INTRAMUROS - Article Tristan Lohner

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ALLEMAGNE 15.00 € ESPAGNE 15.00 € ITALIE 15.00 € GRÈCE 15.00 € PAYS-BAS 15.00 € PORTUGAL 15.00 € LUX. / BEL. 15.00 € DOM 15.00 € CANADA 23.99 $ MAROC 180 MAD NOUV CALÉDONIE 2000 CFP POLYNÉSIE 2000 CFP SUISSE 25 CHF AFRIQUE 10 000 CFA ROYAUME UNI 13 £ ETATS UNIS 25 $ US

AVRIL/MAI/JUIN 2020 - N° 203

# 203 LE DESIGN POUR PENSER LE MONDE

DESIGN POUR TOUS

CRÉER POUR LA GRANDE DISTRIBUTION

INNOVATIONS

NOUVEAUX PLASTIQUES DESIGN AUTOMOBILE

INTRAMUROS LAB

RECHERCHE ET PROSPECTIVE : DESIGN URBAIN, 5 G, IMPRESSION 4D...

TRISTAN LOHNER LE DESIGN À 360 °

French and English Texts



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it

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Design démocratique mais pas seulement

d

ans ce numéro où nous abordons le design démocratique, en en traitant les aspects essentiels sans aucune prétention à vouloir ou pouvoir être exhaustifs tant le sujet est vaste, nous avons choisi de mettre en couverture Tristan Lohner, designer aux multiples casquettes, qui considère, à juste titre, que « le design est partout dans nos vies et [que] l’inventivité prolifère ». Pour illustrer ce propos, nous nous adressons à des sujets très variés qui vont des axes de recherche (et de tentatives de solutions) pour ce qu’on appelle communément le « plastique » – terme générique qui recouvre des réalités bien différentes pour ce matériau à une époque où la pollution que cause son utilisation se répand de manière exponentielle à une échelle encore jamais vue –, à la problématique de la copie et aux stratégies industrielles afin d’offrir des produits au juste prix. Avec Intramuros Lab, nous identifions clairement notre cahier design prospectif en regroupant, là encore, des sujets très divers. Pour notre premier rendezvous d’une série à venir, Isabelle Daëron nous expose ses recherches sur les flux dans la ville et comment la rafraîchir de manière simple et efficace pendant les périodes de canicule en utilisant le réseau d’eau non potable déjà disponible. Toujours sur le thème de la recherche, nous abordons l’impression 4D, des matériaux intelligents dont les formes évoluent en répondant à l’influence de stimuli ou d’énergies externes. Comme toujours, Intramuros est aussi une plateforme où les travaux d’étudiants, les designers de demain, ont la part belle et nous offrent leur vision du futur. Au-delà d’être une solution de mobilité propre, le concept Morphoz nous rappelle, très justement, autour de la notion de partage, que l’humain est au cœur des préoccupations du design. De quoi aider à nous rassurer dans une époque troublée. Jan Couacaud

Design for all and other issues

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ocusing on the vast subject of design for all in this issue, we have no intention or the ability to be exhaustive although we cover its essential aspects for it is such a vast topic. We have chosen to put multi-talented designer Tristan Lohner on the cover, who firmly believes that « design is present in all aspects of our lives and inventiveness proliferates. » To illustrate this point of view, we address a variety of topics that range from current research (and attempts at solutions) for what is commonly called « plastic », generic term for this raw material at times when the pollution that it causes is exponential and on an unprecedented scale, the issue of copy or industrial strategies to bring to the market products at the right price. We clearly identify our prospective section with the Intramuros Lab with different topics : designer Isabelle Daeron opens a cycle of conferences with her research work on urban fluxes notably how, simply and efficiently, she uses a city’s waste water network, an inexpensive ressource already available in order to cool down cities in the face of heatwaves. We also invite you to discover 4D printing, intelligent materials whose shapes evolve when they respond to an outside stimulus or energy source. As usual, Intramuros is a platform for design students, tomorrow’s designers, who share with us the variety of their research fields expressing their vision of our future. Beyond being a clean mobility solution, the Morphoz concept car, reminds us, with its focus on the notion of sharing, how design has at heart the well being of humans. Which is rather comforting and most welcome in these troubled times.

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GROUPE BEEMEDIAS 9, place du Général-Catroux 75017 Paris Tél. : +33 (0)1 44 05 50 05 Fax : +33 (0)1 44 05 50 09 www.beemedias.fr

DIRECTEUR DE LA PUBLICATION Thibault Leclerc

RÉDACTEUR EN CHEF Jan Couacaud

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RÉDACTRICE EN CHEF ADJOINTE Nathalie Degardin

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ONT CONTRIBUÉ À CE NUMÉRO

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Anne-Françoise Cochet (secrétaire de rédaction), Litza Georgopoulos, David Kabla, Élodie Mallet, Rémi de Marassé, Laurent Montant, Samantha Pagès, Cécile PapapietroMatsuda, Karine Quédreux, Bérénice Serra, François Salanne.

DIFFUSION MEDIASDIF Olivier Le Potvin olepotvin@wanadoo.fr Tél. : +33 (0)2 32 45 44 43

PUBLICITÉ Directeur de publicité Thibault Carbonnel tcarbonnel@beemedias.fr Tél. : +33 (0)1 44 05 50 05

DESIGN GRAPHIQUE

INTRA-NEWS

06 Actus 18 Lectures 20 Time Line 24

AD VITAM

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LA COLLABORATION

La Carlton, totem sans tabou

es frères Bouroullec et Artek L avec Rope, première de cordée

DESIGN POUR TOUS

32 Tristan Lohner, « Je revendique

un design populaire. »

46 Le design au cœur de la stratégie

de Fermob 50 Tom Dixon, « Quand on a un succès, on espère qu’il fera plusieurs générations. » 54 Le « beau abordable » : créer pour la grande distribution 56 Luminarc, le design industriel appliqué à une vaisselle du quotidien 58 La copie en design

LA CONSCIENCE VERTE DU PLASTIQUE

70 Saintluc, le saint patron du composite 72 William Amor, ennoblisseur de matière 4 _ INTRAMUROS / www.intramuros.fr

ÂME DU DESIGN

76 Émaux de Longwy, comment un

savoir-faire artisanal d’exception aborde le XXIe siècle 80 Luxe : s’inspirer de la nature 84 Horus, le design au service d’un savoir-faire d’excellence 88 Auto : l’anatomie de l’autonomie

ARCHITECTURE D’INTÉRIEUR 92 Silversands, bien plus qu’un record

de 100 mètres

98 Pergolas personnalisables 102 Céramique, l’innovation pour stimuler

un marché atone

INTRAMUROS LAB

108 Design urbain : Isabelle Daëron,

rafraîchir la ville

110 Recherche : l’impression 4D,

comment raisonner la forme ?

114 P rospective : inventer le futur avec la 5G 116 Diplorama 2020 de l’ENSCI-Les Ateliers 120 Explorations : design humanitaire ;

formes, fonctions et émotion ; revoir l’usage domestique de l’eau 126 Concours : les Pure Talents 2020

Planète Graphique Studio/Paris Michel Barkatz & François Payelle Tél. : +33 (0)1 42 67 67 90 www.planete-studio.com

IMPRESSION BIALEC 23, allée des Grands-Pâquis, CS 794 - 54183 Heillecourt cedex

ABONNEMENTS MFTL Service Abonnements 9, place du Général-Catroux 75017 Paris Tél : +33 (0)1 44 05 50 25 abonnements@beemedias.fr www.shop-beemedias.fr Prix unitaire France : 13,50 € Abonnement France : 50 € Distribution kiosque : MLP Offre d’abonnement page 130

MFTL 9, place du Général-Catroux 75017 Paris Dépôt légal no 203 : mars 2020 Numéro de commission paritaire  : 0322 T 87758 - No ISSN : 07 693710 Les articles publiés dans cette revue n’engagent que la responsabilité de leurs auteurs. Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés pour tous pays. Cette revue peut être utilisée dans le cadre de la formation permanente. Il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement la présente publication, loi du 11 mars 1957 et code pénal article 425, sans autorisation de l’éditeur ou du Centre français du droit de copie, 3, rue Hautefeuille, 75006 Paris.  Couverture © MC Lucas



DESIGN POUR TOUS / PORTRAIT

TRISTAN LOHNER

“Je revendique un design populaire”

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© Studio Erick Saillet

Nathalie Degardin


DESIGN POUR TOUS / PORTRAIT

Il a le regard franc, le sourire large, et une générosité qui transparaît dans son discours sur le design. Fort de best-sellers pour Fermob et de successstories partagées chez RBC, Tristan Lohner revendique être créateur pour tous. De la conception de produits à la distribution, dans ses différentes fonctions, ce designer aux multiples facettes est confronté à chaque étape de la mise en marché, ses différentes expériences alimentant son processus créatif, et inversement. Avec un credo assumé : comment créer pour que la plupart s’en emparent ?

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our Tristan Lohner, dessiner est aussi vital que sa passion pour le piano jazz, qu’il a étudié au CIM de Paris, et pour l’histoire de l’art. Une question de gènes, d’héritage peut-être ? Fils de Pierre Lohner – peintre, sculpteur et dessinateur (notamment pour le journal Le Monde), il a baigné dès l’enfance dans un univers de création et, comme une évidence, a débuté par une formation de maître ébéniste. Mais pour Tristan Lohner, la vie est avant tout une histoire de rencontres, comme celle avec son professeur Bernard Daudé, ébéniste de Pierre Paulin pour le Mobilier National, qui l’incite à poursuivre

à l’École nationale supérieure des arts décoratifs de Paris. Il y suivra alors les cours en design produits de Jean-Marie Massaud. C’est ensuite une rencontre importante : celle avec Franck Argentin, fondateur et PDG du groupe de distribution RBC. Tristan Lohner est actuellement directeur-général adjoint du groupe et directeur du RBC Design Center de Montpellier. En parallèle, il continue son activité de designer avec son agence, Tristan Lohner Design, et collabore avec différents éditeurs français et étrangers. De la conception pure à la mise en marché, du packaging à la scénographie, l’ensemble des activités qu’il embrasse lui permet de construire une vision large de son métier. Il revendique par ailleurs un design populaire, dans le sens le plus démocratique et le plus large de l’expression. •••

RBC, DESIGN CENTER, MONTPELLIER, QUE DIRIGE TRISTAN LOHNER. ARCHITECTE JEAN NOUVEL

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DESIGN POUR TOUS / PORTRAIT

De nombreuses icônes du design sont au départ tâtonnements, accidents, intuitions. L’abandon est parfois nécessaire, il ne faut pas déclencher les airbags avant de démarrer...

HARTÔ, APPLIQUE NINA

••• I : Toutes les fonctions se complètent, s’entrecroisent... T.L. : Je pense que mon expérience chez RBC, tant sur le plan scénographique que managérial, nourrit continuellement ma création et m’accompagne lorsque je prends le crayon. En effet, travailler quotidiennement sur la scénographie des showrooms et la proximité des utilisateurs me permet un autre regard et une certaine distance sur les objets que je dessine. Cette démarche m’éloigne de l’aspect purement formel de l’objet et me recentre sur d’autres facettes telles que le rapport au besoin, à l’envie, au marché. À la toute fin, il y aura bien sûr une forme à ces concepts, mais je pense avant tout mes projets comme des réponses à une problématique donnée. Il m’arrive ainsi de renoncer à certains produits avant même d’avoir commencé à dessiner. Vous êtes donc votre propre filtre ? Oui, je m’autoconteste souvent. (Rires.) Il y a bien sûr des remises en question, je me méfie de moi-même quant à l’analyse permanente du marché dans la démarche créative. De nombreuses icônes du design sont au départ tâtonnements, accidents, intuitions. L’abandon est parfois nécessaire, il ne faut pas déclencher les airbags avant de démarrer... Vous avez vécu dans une famille d’artistes, comment ressentez-vous le fait de créer en design ? Côtoyer les artistes dans ma jeunesse – notamment mon père – m’a fait prendre conscience qu’avoir une réflexion purement formelle ou stylistique est toujours angoissant dans la création, car souvent insuffisant. La multiplicité des formes dans l’histoire des objets usuels est immense, l’humanité en génère depuis qu’elle existe : du trône égyptien

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au coffre moyenâgeux, en passant par la commode Louis XV, c’est une infinité de solutions et de références possibles. Quant au design, cette discipline si jeune, issue de la révolution industrielle, elle a aussi sa propre histoire formelle et ses références. Il est à mon sens indispensable dans cette immensité de volumes et de proportions de tenter de maintenir une ligne qui puisse porter la recherche formelle : qu’elle soit sociologique, symbolique, écoresponsable, humanitaire, peu importe. C’est une manière d’échapper à une certaine forme de gratuité dans la démarche créative. Quel est alors votre moteur pour créer ? La contrainte, bien sûr ! Bernard Daudé me disait, lors du brevet des métiers d’arts en ébénisterie, que c’était de la contrainte que naissait la liberté. Comme je suis d’accord avec lui aujourd’hui ! Contrainte du matériau, contrainte de la cible, contrainte du prix, contrainte de l’ergonomie : c’est tout cela qui engendre un vocabulaire de formes et donc une réponse stylistique. L’utilisation des symboles et de la psychologie des profondeurs sont également des notions qui me passionnent. Comment évoquer sur un objet inanimé le luxe ou l’accessibilité, la séduction, la qualité, la vitesse, le nomadisme ? Tout cela est possible grâce au langage des symboles, à la psychologie des couleurs et des formes. Les peintres l’ont toujours su, comme les primitifs flamands, qui, par exemple, suggéraient l’importance sociale des personnages représentés par leur dimension sur le tableau ou la direction des regards. Cette présence du symbolisme, transversale dans l’histoire de l’art et du design, m’a toujours fasciné et interrogé. Je tente de la garder présente dans ma démarche de création.


DESIGN POUR TOUS / PORTRAIT

Vous avez créé Balad, la première lampe de Fermob, qui connaît un succès continu. Quels sont les symboles derrière le projet ? L’idée de Balad est avant tout le nomadisme. J’ai donc dessiné une grande poignée qui vient recouvrir le contour de l’objet, qui vient « par-dessus » l’intégralité de l’objet et donc qui prédomine. Je voulais aussi que la fonction on/off soit ludique, discrète et intuitive. Je l’ai donc inscrite à l’intérieur même de la forme, à l’attache de la poignée et du diffuseur, créant ainsi une interpénétration entre la fonction pure et l’aspect mécanique du projet. Je voulais enfin que le produit existe de manière très personnalisée, presque comme un personnage de bande dessinée ou de cartoons, une sorte de petit fantôme avec un casque audio sur la tête. Cette personnalisation me permettait d’amplifier l’aspect sympathique et attachant du projet. Quant à la forme générale, je voulais donner l’impression que l’objet avait déjà subi une érosion, qu’il était à l’épreuve du temps et donc des modes : un volume simple et doux,

LUMINAIRE BALAD POUR FERMOB

LUMINAIRE RECHARGEABLE MOON POUR FERMOB

sans arêtes vives, que l’on a envie de garder dans son environnement quotidien. Bernard Reybier, Éric Bibard et toutes les équipes de Fermob ont été, et sont toujours, très investis et attentifs dans notre collaboration. Nous formons une équipe solide et partageons les mêmes valeurs. Vous dirigez le RBC Design Center, situé à Montpellier, créé il y a huit ans : 2 500 mètres carrés, huit activités différentes, du magasin de vêtements ou d’accessoires à la librairie. Comment vos diverses activités, du créateur au distributeur, s’entrecroisent-elles ? Le Design Center, c’est avant tout un fantastique scanner de l’univers design ! Particuliers, contract, indoor, outdoor, objets, livres, nous avons travaillé avec Franck Argentin et toute l’équipe pour créer une expérience unique et inédite. Et quelle école ! Une des notions apprises dans cette aventure, et dont je me suis beaucoup servi dans la collaboration avec Fermob, est l’interdépendance entre le merchandising et le packaging du produit. Comment faire exister avec force un produit dans une scénographie ? Comment le rendre légitime, séduisant et… autonome ? L’observation et l’analyse de l’expérience client, le travail sur le merchandising m’ont naturellement poussé à réfléchir à l’intégration d’une notion marketing, ainsi que sur le packaging et la vie du produit dans les magasins. Et cela très en amont dans le processus de développement du projet. Au-delà de la création, la scénographie est-elle aussi une part essentielle de votre travail ? Oui, la scénographie m’a toujours intéressé et elle nourrit aussi mon travail sur le design produits. Les showrooms RBC représentent aujourd’hui neuf lieux et plus de 7 000 mètres carrés de scénographies. Donc bien entendu, je ne suis pas seul à gérer toutes les implantations, mais cela représente un travail important et passionnant dans mon quotidien, ••• INTRAMUROS / www.intramuros.fr _ 35


DESIGN POUR TOUS / PORTRAIT

••• quant à la manière de gérer les atmosphères intrinsèques à chaque lieu et cohérentes dans leur ensemble. C’est un exercice intéressant que de jouer avec différentes atmosphères, matières, lumières et de pouvoir créer ainsi une ambiance minimaliste ou baroque, calme ou dynamique… D’ailleurs Fermob m’a demandé de concevoir un nouveau type de showroom dédié à la lumière : Fermob Light. C’est une aventure différente du design produits et tout à fait passionnante. Pourquoi s’exprimer différemment dans les divers lieux et ne pas suivre une identité RBC ? Car chaque lieu a son propre ADN. La géographie, l’histoire du lieu, de la ville, du quartier, l’orientation, la lumière, tout cela induit une biologie intrinsèque au lieu. Je crois que chaque site possède sa propre vibration et sa propre énergie et c’est donc naturellement que l’on se doit d’accompagner cette nature et cette énergie. Il faut être alors capable d’être réceptif et de ressentir la personnalité du lieu. Par exemple, au Cube Orange de Lyon, le showroom n’est pas dans le centre historique et a toujours été un fantastique lieu pour le contract. Imaginé par les architectes Jacob + MacFarlane, ce lieu « dit » la collectivité et la notion de grands projets. À l’inverse, le showroom d’Avignon – conçu par Christophe Pillet –, près du palais des Papes, est typiquement généraliste, traditionnel, chic, rassurant, où l’on expose des marques habitat haut de gamme et où l’on va pour acheter « le » très beau canapé. Chacun de ces espaces est un terrain d’expérimentation.

Comme une toile ou une encore sculpture, on le compose : les volumes, les tapis, la lumière, la gestion des pleins et des vides, tout cela entre en jeu et crée la mise en scène. Il existe donc forcément un rapport ténu entre l’invention d’un objet, quel qu’il soit, et son environnement. Une autre notion capitale est le rapport à l’intime ou au non-intime : réussir une atmosphère pour une chambre ou pour un plateau de bureaux ne met pas en œuvre la même sémantique, le même symbolisme. Dans ces showrooms, vous créez donc des scénarios, vous racontez des histoires... Ce n’est pas moi, c’est d’abord et toujours un travail d’équipe. Je m’enrichis quotidiennement du point de vue de tous les collaborateurs : architectes, scénographes, chargés de projet, assistants, bureaux d’études, monteurs, tous ont leur propre point de vue, et c’est cette accumulation d’imagination et de créativité qui est intéressante. Vous vous adressez aussi bien au particulier qu’au contract. Comment construisez-vous votre rapport à ces deux univers ? Effectivement, on collabore avec tous les acteurs de ces mondes. D’un côté, un écosystème où l’on se confronte aux problématiques du coworking, de la migration des fonctions, aux nouvelles manières de travailler. Et de l’autre, la sphère domestique liée à toute l’architecture de nos vies : la modification de la cuisine comme espace de convivialité, l’interpénétration de l’espace de travail et de notre habitat. Je vis la même chose en tant que designer. Avec Fermob, nous réfléchissons régulièrement à l’utilisation contract ou home des produits que nous développons et, bien sûr, à leur transversalité. Dans le même temps, avec Koleksiyon, nous mettons en œuvre un développement d’univers « dédramatisés » pour les espaces de travail, utilisant les codes du cool, du confortable et du calme. Qu’est-ce que vous avez observé dans les changements d’attente des consommateurs ? Ce que je trouve particulièrement marquant dans notre rapport au design aujourd’hui, c’est avant tout la diversité des réponses possibles. Nous sortons peu à peu d’une ère obscurantiste et d’une forme de compréhension unilatérale du phénomène design. Pendant longtemps, les grands éditeurs ont véhiculé une image du design très élitiste, minimaliste : une iconographie parfois déconnectée de nos vies, faite de shootings dans des appartements de 500 mètres carrés, de mannequins et de meubles surdimensionnés. Or, ce qui séduit les gens aujourd’hui dans CE PROJET, BAPTISÉ SPEED, EST ISSU D’UNE VENTE AUX ENCHÈRES ORGANISÉE PAR ARTCURIAL ET RBC. IL S’AGISSAIT DE RÉINTERPRÉTER LA CHAISE MASTERS DE KARTELL, DESSINÉE PAR PHILIPPE STARCK ET EUGÉNIE QUITLLET.

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DESIGN POUR TOUS / PORTRAIT

L’écoute, c’est fondamental dans le travail. Dans les modes de communication, ce qui a évolué, c’est la porosité entre la personne à qui est destiné l’objet et celui qui le crée.

TABLES BEBOP POUR FERMOB

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DESIGN POUR TOUS / PORTRAIT

PROTOTYPE TABLE REST’O POUR FERMOB © Tristan Lohner Design - 3D Small Rendering

••• le design, c’est justement très souvent l’inverse : l’accessibilité et la singularité. Je m’explique, le design réunit ce que tout oppose : le monde de la raison et celui de la déraison, le monde de l’entreprise, de l’argent, de la rationalité et celui du sensible, de l’imaginaire, de la liberté. Et c’est l’union de ces deux mondes si différents qui donne au design son pouvoir si singulier et si attirant. La créativité peut entrer maintenant dans toutes les composantes de notre environnement : une chaise, un téléphone, une enceinte, une trottinette… Le geste créatif, l’attention aux proportions, le travail sur les matériaux, l’éthique écoresponsable… Le design est partout dans nos vies et l’inventivité prolifère. Grâce au design, la rêverie est devenue possible et l’objet du rêve devient réalité. C’est pour toutes ces raisons que le design est à présent pleinement intégré à la culture populaire : dans les magazines, la rubrique Design vient maintenant côtoyer l’horoscope. Est-on en train d’entrer dans l’ère de la cohérence après l’ère de la consommation ? Ce qui est sûr, c’est que nous sortons d’une vision uniquement élitiste pour entrer dans l’ère de la diversité et du sensible. Les gens ont pris le design à bras-le-corps et c’est tout simplement passionnant. Les goûts se libèrent, se personnalisent et cette appropriation de la multiplicité 38 _ INTRAMUROS / www.intramuros.fr

de l’offre et des différentes cultures est favorisée par le Net et par la vitesse de propagation de l’information. La connaissance d’un produit devient quasi immédiate, le distributeur et le designer sont face maintenant à des connaisseurs qui ont leur avis et leur propre style. C’est génial, mais cela demande beaucoup plus d’exigence à tous les acteurs du métier. Si les consommateurs « se professionnalisent », selon vos termes, que proposent les acteurs du marché face à ce changement? Les éditeurs tendent bien sûr à la différenciation, les fabricants aussi. Le modèle unique d’un produit industriel se diversifie et s’ouvre à de multiples possibilités d’expression. Voilà donc le grand retour de l’artisanat, des petites séries, du savoir-faire des ébénistes, des maîtres verriers. Notre univers n’est plus seulement scindé en deux entités distinctes avec le contract d’un côté et l’habitat de l’autre, mais il est constitué aujourd’hui d’une multitude de marchés et donc de matière à penser pour le designer. Hospitality, coworking, espaces informels, télétravail, explosion de l’outdoor, nouveaux matériaux et nouvelles technologies de lumière, apparition de résidences étudiantes designées... C’est une émergence infinie, et tous ces marchés sont autant de pistes


DESIGN POUR TOUS / PORTRAIT

de travail et d’expérimentation pour toute la chaîne de la profession, du designer au fabricant, de l’éditeur au distributeur. Je suis pour ma part dans l’observation de ces mutations dans nos manières de vivre et de ressentir. Et c’est bien cette observation qui guide le crayon. Ma démarche n’est pas formelle, c’est avant tout une contribution à une reflexion commune sur la pertinence de ce que l’on peut apporter aujourd’hui, avec honnêteté. Les traits, la forme, viennent à la toute fin. C’est dans cette attention que, finalement, vous posez les bases d’une vision du design assez populaire ? Dans « populaire », il y a « peuple », il y a les autres. Or l’écoute et l’attention sont fondamentales dans le travail d’un designer. Ce qui a beaucoup évolué, c’est la porosité entre la personne à qui est destiné l’objet et celui qui le crée. Le produit n’est plus imposé mais choisi. De plus en plus d’utilisateurs n’ont pas uniquement une relation de dépendance et de captivité avec leur environnement. Ils développent la nécessité d’un rapport choisi, sensible et intelligent avec les objets qui les entourent. Je suis donc pour encore plus de proximité et de complicité avec l’utilisateur final. Il est pour moi important de tenter d’intégrer la psychologie et les envies des utilisateurs, de prendre de la hauteur et d’essayer de trouver les réponses justes. Et si nous remplacions la condescendance par l’attention aux autres ? /

TABLE PI POUR KOLEKSIYON © Tristan Lohner Design - 3D Small Rendering

ELLA POUR SCE, 2014

DESSINER POUR LE CONTRACT Avec Koleksiyon, Tristan Lohner amorce une collaboration autour de deux gammes. Line est une gamme d’assises qui se décline du pouf jusqu’au canapé, en passant par l’îlot de repos et la cabine de travail. Cette collection se veut d’une lecture simple et calme pour se positionner autant dans les salles d’attente que dans les lobbys d’aéroport. L’ensemble de la gamme repose sur un panneau horizontal et une injection de mousse pour des assises autoportantes qui garantissent un grand confort. Des ponts dans la structure assurent le plug de modules d’assises. Si on est à la limite d’un modèle pour particuliers, l’apport de panneaux séparateurs et de petites tables crée des esthétiques différentes, voire des îlots pour de grandes entreprises. Des modules d’angle complètent les ensembles. La seconde collection s’inspire du symbole mathématique π. Pi est en effet une gamme de bureaux dont les piétements permettent une grande variété de réponses possibles inhérentes aux besoins du contract : poste simple, poste double, bench de six, table de réunion… Une pièce de fonte d’aluminium connectée à des tubes de section rectangulaire lui confère robustesse et stabilité. D’un prix très abordable, les gammes Pi et Line sont actuellement en cours de développement pour être présentées en juin au NeoCon, à Chicago. INTRAMUROS / www.intramuros.fr _ 39


DESIGN FOR ALL / PORTRAIT

TRISTAN LOHNER “I am an advocate of popular design” He has a frank look, a broad smile, and a generosity of spirit that is reflected in his speech about design. With best-sellers for Fermob and success stories shared at RBC, Tristan Lohner claims to be above all a designer for everyone. From product design to distribution, in his various functions, this multi-faceted designer is confronted at every stage of the marketing process, his different experiences feeding his creative process, and vice versa. With an assumed credo: how do you create so that most people can grasp it? © Erick Saillet

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or Tristan Lohner, drawing is as vital as his passion for jazz piano, which he studied at the CIM in Paris, or for art history. A question of genes, of inheritance perhaps? Son of Pierre Lohner - painter, sculptor and illustrator (notably for the newspaper Le Monde), he has been immersed from childhood in a world of creation and, as a matter of course, began by training as a master cabinetmaker. But for Tristan Lohner, life is above all a story of encounters, such as the one with his professor Bernard Daudé, Pierre Paulin’s cabinetmaker for the Mobilier National, who encouraged him to continue at the École nationale supérieure des arts décoratifs in Paris. There he took courses in product design with JeanMarie Massaud. Ensues an important meeting : the one with Franck Argentin, founder and CEO of the distribution group RBC. Tristan Lohner is currently Deputy Managing Director of the group and Director of the RBC Design Center in Montpellier. At the same time, he continues his activity as a designer with his agency Tristan Lohner Design and collaborates with various French and foreign manufacturers. From pure design to marketing, from packaging to scenography, all the activities he embraces allow him to build a broad vision of his profession. He is also an advocate of popular design, in the broadest and most democratic sense of the word. 40 _ INTRAMUROS / www.intramuros.fr

I: All functions complement each other, interweave with each other... T.L.: I think that my experience at RBC, both scenographically and managerially, continually nourishes my creativity and accompanies me when I pick up the pencil. Indeed, working daily on the scenography of the showrooms and the proximity of users allows me another look and a certain distance on the objects I draw. This approach takes me away from the purely formal aspect of the object and refocuses me on other facets such as the relationship to the need, to the desire, to the market. At the very end, there will of course be a form to these concepts, but above all I think of my projects as answers to a given problem. So sometimes I give up certain products before I have even started drawing. So you are your own filter? Yes, I am often my own contradictor. (Laughs.) Of course, there are questions, I have doubts about constantly analysing the market in the creative process. Many design icons are initially trial and error, accidents, intuition. Abandonment is sometimes necessary, you shouldn’t set off the airbags before starting...


DOSSIER / PORTRAIT

You lived in an artist’s family, how do you feel about creating in design? Living with artists in my youth - especially my father - made me realise that having a purely formal or stylistic approach to design is always distressing, because it’s often insufficient. The multiplicity of shapes in the history of everyday objects is immense, humanity has been generating them since the beginning of time: from the Egyptian throne to the medieval chest of drawers, via the Louis XV commode, there is an infinite number of possible solutions and references. As for design, this very young discipline, born of the industrial revolution, it also has its own formal history and references. In my opinion, it is essential, in this immensity of volumes and proportions, to try to maintain a line that can support formal research: whether it is sociological, symbolic, ecoresponsible, humanitarian, whatever. It is a way of escaping a certain form of gratuitousness in the creative process.

BALAD FOR FERMOB

So what is your driving force to create? Constraint, of course! Bernard Daudé told me, during the Brevet des Métiers d’arts in cabinetmaking, that freedom was born out of constraint. How I agree with him today! Material constraint, target constraint, price constraint, ergonomic constraint: all this generates a vocabulary of shapes and therefore a stylistic response. The use of symbols and in depth psychology are also notions that fascinate me. How to evoke on an inanimate object luxury or accessibility, seduction, quality, speed, nomadism? All this is possible thanks to the language of symbols, the psychology of colours and shapes. Painters have always known this, like the Flemish primitives who, for example, suggested the social importance of the characters represented, by their dimension on the painting or the direction of the glances. This presence of symbolism, transversal in the history of art and design, has always fascinated and questioned me. I try to keep it present in my creative process. You created the Balad, the first lamp for Fermob, which has been an ongoing success. What are the symbols behind the project? The idea behind Balad is above all nomadism. So I designed a large handle that covers the outline of the object, that comes «on top» of the whole object and therefore dominates it. I also wanted the on/off function to be playful, discreet and intuitive. So I inscribed it inside the form itself, on the handle and diffuser attachment, creating an interpenetration between the pure function and the mechanical aspect of the project. Finally, I wanted the product to exist in a very personalized way, almost like a cartoon or comic book character, a sort of little ghost with headphones on its head. This customization allowed me to amplify the friendly and endearing aspect of the project. As for the general shape, I wanted to give the impression that the object had already been eroded, that it was resistant to time and therefore to fashions: a simple and soft volume, without sharp edges, that you want to keep in your daily environment. Bernard Reybier, Eric Bibard and all the Fermob’s team have been, and still are, very invested and attentive in our collaboration. We form a solid team and share the same values. •••

TABLE BEBOP FOR FERMOB

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DESIGN FOR ALL / PORTRAIT ••• You run the RBC Design Center in Montpellier, created 8 years ago: 2500 square meters, 10 different activities from the clothing and accessories store to the bookstore. How do your different activities intertwine, from the designer to the distributor? The Design Center is above all a fantastic scanner of the design world! Private individuals, contract, indoor, outdoor, objects, books, we worked with Franck Argentin and the whole team to create a unique and original experience. And what a school it has been ! One of the concepts I learned in this adventure and which I used a lot in my collaboration with Fermob is the interdependence between merchandising and product packaging. How do you force a product to exist in a commercial environment ? How do you make it legitimate, attractive and... autonomous? Observing and analysing the customer experience and working on merchandising naturally led me to think about integrating the marketing concept, as well as the packaging and the life of the product in the stores. And this very early on in the project development process. Beyond creation, scenography is also an essential part of your work? Yes, scenography has always interested me and it also feeds into my work on product design. The RBC showrooms today represent 9 venues and more than 7,000 m2 of scenography. So of course, I am not

PROTOTYPE REST’O FOR FERMOB © Tristan Lohner Design - 3D Small Rendering

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LAMP NINA FOR HARTÔ.

alone in managing all the locations, but it represents an important and exciting part of my work in my daily life, in terms of how to manage the atmospheres that are intrinsic to each location and make them coherent as a whole. It’s an interesting exercise to play with different atmospheres, materials, lights and to be able to create a minimalist or baroque, calm or dynamic atmosphere. In fact, Fermob asked me to design a new type of showroom dedicated to light: Fermob Light. It’s an adventure that is different from product design and completely exciting. Why express differently in different places and not follow «one» RBC identity? T.L.: Because each place has its own DNA. The geography, the history of the place, the city, the neighbourhood, the orientation, the light, all this induces an intrinsic biology to the place. I believe that each site has its own vibration and its own energy, and it is therefore natural to accompany this nature and energy. One must then be able to be receptive and feel the personality of the place. For example, at the Cube Orange in Lyon, the showroom is not in the historic centre and has always been a fantastic place for contract work. Designed by the architects Jacob + MacFarlane, this place « states » the community and the notion of big projects. Conversely, the showroom in Avignon - designed by Christophe Pillet- near the Popes’ Palace, is typically generalist, traditional, chic, reassuring, where you can see top-of-the-range home brands and where you go to buy «the» very beautiful sofa. Each of these spaces is a testing ground for experimentation. Like a canvas or a sculpture, it is composed: the volumes, the carpets, the light, the management of full and empty spaces, all of this comes into play and creates the staging. There is therefore necessarily a tenuous relationship between the invention of an object,


DESIGN FOR ALL / PORTRAIT

whatever it is, and its environment. Another crucial notion is the relationship to the intimate or the non-intimate: creating a successful atmosphere for a room or an office space does not use the same semantics, the same symbolism. In these showrooms, you create scenarios, you tell stories... It’s not me, it’s first and foremost teamwork. I am enriched daily by the point of view of all the collaborators: architects, scenographers, project managers, assistants, design offices, fitters, all have their own point of view and it’s this accumulation of imagination and creativity that is interesting You are addressing both the private individual and the contract market. How do you build your relationship with these two worlds? Yes, we collaborate with all the actors of these worlds. On the one hand, there is an ecosystem where we are confronted with the problems of coworking, the migration of functions and new ways of working. And on the other, the domestic sphere linked to all the architecture of our lives: the modification of the kitchen as a space of conviviality, the interpenetration of the work space and our habitat. I experience the same thing as a designer. With Fermob, we regularly think about the contract or home use of the products we develop and, of course, their cross-functionality. At the same time, with Koleksiyon, we are developing a ‘dedramatised’ world for workspaces, using the codes of ‘cool’, comfort and calm. What have you observed in changes in consumer expectations? What I find particularly striking in our relationship with design today is above all the diversity of possible responses. We are gradually emerging from an obscurantist era and a one-sided understanding of the design phenomenon.

For a long time, the major manufacturers conveyed a very elitist, minimalist image of design: an iconography sometimes disconnected from our lives, made up of shooting in 500 m2 apartments, models and oversized furniture. But what appeals to people today in design is often the opposite: accessibility and uniqueness. Let me explain, design brings together what everything opposes: the world of reason and a certain madness, the world of business, of money, of rationality and the world of the sensible, the imaginary, of freedom. And it is the union of these two so different worlds that gives design its singular and attractive power. Creativity can now enter all the dimensions of our environment: a chair, a telephone, a loudspeaker, a scooter... The creative gesture, attention to proportions, work on materials, eco-responsible ethics, design is everywhere in our lives and inventiveness proliferates. Thanks to design, daydreaming has become possible and the dream object becomes reality. It is for all these reasons that design is now fully integrated into popular culture: in magazines, the Design section now runs next to the horoscopes. Are we entering the “era of coherence” after the “era of consumption”? What is certain is that we are leaving a purely elitist vision to enter the era of diversity and sensibility. People have embraced design and it’s very exciting. Tastes are being liberated, personalised and this appropriation of the multiplicity of offers and different cultures is encouraged by the web and by the speed at which information spreads. With the fact that a product becomes almost immediate, both the distributor and the designer are now faced with connoisseurs who have their own opinions and their own style. This is brilliant but also requires a lot more from everyone involved in the business. •••

HURRICANE LIGHTS CUUB FOR FERMOB

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DESIGN FOR ALL / PORTRAIT

••• If consumers are «becoming more professional», in your words, what are the market players proposing in the face of this change? Manufacturers increasingly have diffentiated offers. The unique model of an industrial product is diversifying and opening up to multiple possibilities of expression. It is also the great return of craftsmanship, small series, the knowhow of cabinetmakers and master glassmakers. Our universe is no longer simply divided into two distinct entities with the contract on one side and the residential market on the other, but today it is made up of a multitude of markets and therefore a source of food for thought for the designer. Hospitality, coworking, informal spaces, telecommuting, the explosion of outdoor activities, new materials and new lighting technologies, the appearance of designed student residences... Infinite proposals are emerging and all these markets are as many avenues of work and experimentation for the entire chain of the profession. From the designer to the manufacturer to the distributor. For my part, I’m in the process of observing these changes in our ways of living and apprehending thiings. And it is this observation that guides the pencil. My approach is not formal, it is above all a contribution to a common reflection on the relevance of what we can bring today, with honesty. The lines, the form, come at the very end of the process.

It is in this attention that you finally lay the foundations for a vision of design that is quite popular? In popular, there are people, there are others. Listening and attention are fundamental in the work of a designer. What has evolved a lot is the porosity between the person for whom the object is intended and the person who creates it. The product is no longer imposed but chosen. More and more users do not only have a relationship of dependency with or are trapped by their environment. They develop the need for a chosen, sensitive and intelligent relationship with the objects that surround them. I am therefore in favour of even more proximity and complicity with the end user. It is important for me to try to integrate the psychology and the desires of the users, to take the right distance and to try to find the right answers. What if we replaced our condescending attitude with attention to others? /

SHOWROOM RBC PARIS.

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DESIGN FOR ALL / PORTRAIT

DRAWING FOR THE CONTRACT MARKET With Koleksiyon, Tristan Lohner begins a collaboration with two ranges. Line is a range of seating that goes from the stool to the airport seat. Simple in terms of manufacturing to meet the needs of waiting rooms and airport lobbies. The assembly rests on a panel, with a simple system that allows no straps, an injection of foam for self-supporting seating while TABLE PI FOR KOLEKSIYON

© Tristan Lohner Design - 3D Small Rendering

guaranteeing comfort. Bridges in the structure ensure the plug of seating modules. If we are at the limit of a model for private individuals, the addition of separating panels, small tables create different aesthetics, islands for larger companies. Corner modules complete the sets. The second collection is inspired by the typical student office. Pi is a range of desks, based on the mathematical symbol π, with a piece of cast aluminium that makes the junction: the height and depth can be varied, and crossbars act as cable grommets. Rightly priced, the desk is extremely solid, based on the development of a cast part that fits the aluminium tubes. It is currently being prototyped for presentation at Neocon in Chicago netx June.

COLLECTION LINE FOR KOLEKSIYON © Tristan Lohner Design - 3D Small Rendering

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DESIGN POUR TOUS / LA STRATÉGIE DE FERMOB

LE DESIGN au cœur

de la stratégie de Fermob Nathalie Degardin

Quand Bernard Reybier reprend Fermob en 1989, c’est un atelier de ferronnerie en voie de disparition qui emploie une dizaine de personnes. Le groupe comprend aujourd’hui 350 personnes, avec un éventail de 80 collections et de 200 produits qui s’exportent dans 40 pays. La force de la marque, qui explique une telle expansion, est d’avoir su miser sur le design comme élément fort de développement.

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ermob rassemble aujourd’hui trois usines en France, dont le siège historique, à Thoissey, et une autre à Mâcon à la suite de la reprise de Vlaemynck (tissage, confection, mousse), et, au sud de Lyon, l’usine Rodet reprise il y a deux ans. Ces unités produisent toutes les collections de mobilier. Les gammes de luminaires sont conçues au sein du groupe, mais la fabrication se fait dans une unité en Chine. À l’origine de cette diversification, l’intégration de la société grenobloise Smart & Green, spécialiste dans l’éclairage LED. Comme le dit Dominique, un ouvrier qui a vécu le rachat en 1989 et qui est en poste aujourd’hui au prototypage : « Entre la reprise et aujourd’hui, il s’est passé tout un univers. Avec le passage aux créations contemporaines, le design a sauvé l’entreprise. » En effet, quand il reprend l’atelier de ferronnerie, Bernard Reybier met immédiatement en place une stratégie de développement autour de l’internationalisation et de l’innovation. Mais l’originalité de sa vision d’entrepreneur, c’est d’avoir pensé un troisième pilier stratégique autour du design : « En 1989, personne ne comprend ce que cela veut dire, on me prenait pour un illuminé. À l’époque, on parlait déjà beaucoup des éditeurs, moi, je nous revendiquais comme fabricants. Car nous sommes des fabricants : nous concevons, nous fabriquons, après nous vendons. Concevoir fait partie de la stratégie design ; la sélection des produits est un vrai métier, celui de la vente un autre. Et pour faire une stratégie design, il faut des designers. Cela paraît une évidence aujourd’hui,

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mais, il y a trente ans, cela ne l’était pas. Et la valeur ajoutée des compétences du designer est importante. Je me souviens de collègues industriels de l’ameublement qui me disaient : “Pourquoi payes-tu des designers ?” J’ai toujours eu cette volonté d’avoir des designers en interne et en externe ; c’est stimulant pour la créativité, c’est une sorte d’assurance design et c’est aussi très intéressant, car quand il y a des designer extérieurs, l’interface avec les équipes prototypes et développement est faite par le studio de design interne. » Le design, élément clé Au départ petit bureau d’études, le studio design a été créé en 2013 et réunit actuellement six personnes. Son directeur, Éric Bibard, explique qu’un tiers de son temps de travail consiste en de la veille. Sur les avant-projets, avec son équipe, il analyse 250 pistes par an, avec un comité d’exploration hebdomadaire : « En dehors de nos propres créations, le volume de propositions reçues est énorme. Sur les derniers dix-huit mois, j’ai reçu plus de 260 projets, dont 63 chaises, 45 tables, 40 canapés… » Tout ce qui est envoyé est étudié. S’il est dit de Fermob que c’est « l’entreprise qui a inventé la couleur au jardin », le studio design ne s’occupe pas de la couleur, car une équipe interservices, qui réunit des spécialistes et des personnes du marketing, s’y consacre. Au-delà de la signature des vingt-quatre couleurs de la maison, dont trois sont renouvelées chaque année, la particularité de l’entreprise est d’avoir inventé le process industriel adéquat qui permet de gérer en un temps record les changements de couleurs sur la chaîne de peinture (en six minutes) et, donc, les livraisons de


DESIGN POUR TOUS / LA STRATÉGIE DE FERMOB

TRISTAN LOHNER, DESIGNER ET BERNARD REYBIER, PRÉSIDENT-DIRECTEUR GÉNÉRAL DE FERMOB, DEVANT LES PROTOTYPES DU PIED DE LA TABLE REST’O, MARS 2020.

Pour faire une stratégie design, il faut des designers. Cela paraît une évidence aujourd’hui, mais, il y a trente ans, cela ne l’était pas.

commandes dans les délais quelles que soient les couleurs. Comme le précise Éric Bibard, cette signature couleur est extrêmement importante, elle permet des relectures permanentes des gammes et ainsi le renouvellement des collections phares. De nombreux designers participent ou ont participé à l’aventure Fermob. Parmi eux, on retrouve Frédéric Sofia (collections Luxembourg, Ultrasofa, Sixties), Pascal Mourgue (chaise pliante Dune, collection Croisette), Patrick Jouin (fauteuil Kate, chaise Facto), Tristan Lohner (collection de luminaires Balad et Moon, collection BeBop, table Rest’O), Juliette Liberman (banc Charivari), Archivolto (fauteuil Rythmic, jardinière Terrazza), Antoine Lesur (collection Cadiz). Mis à part le plaisir de travailler pour une marque prépondérante sur le marché, comme le souligne Tristan Lohner, le fait d’avoir le studio design interne

en interlocuteur est une chance, « l’équipe d’Éric Bibard est là aussi pour assurer que le produit sorte au bon prix. Sa force, c’est d’être concentrée sur le projet ». Une nouvelle stratégie : le showroom monomarque Selon Bernard Reybier : « La vente en ligne ne veut plus rien dire aujourd’hui, on est dans le cross selling : on va sur Internet et en magasin. On a fait le choix de travailler avec les pure players de l’ameublement en ligne comme Made in Design, Camif… Et on a notre propre site qui ne concurrence pas la marque, mais qui participe à sa diffusion, et on travaille principalement avec des distributeurs tout en ayant nos showrooms. C’est toujours intéressant pour un fabricant d’avoir un ou deux magasins et un site Internet, c’est son propre terrain d’expérimentation. On ne veut pas remplacer notre réseau de distribution, au contraire, on partage nos expériences de ventes. » Dans ce contexte, Fermob annonce prochainement l’ouverture à Marseille d’un nouveau concept, Fermob Light. C’est Tristan Lohner qui a planché sur le concept de ce magasin monomarque, depuis sa définition et l’architecture intérieure jusqu’à la charte graphique et l’expérience client. « Il s’agit d’un petit showroom, entre 50 et 70 mètres carrés, ••• INTRAMUROS / www.intramuros.fr _ 47


DESIGN POUR TOUS / LA STRATÉGIE DE FERMOB

CONCEPT MAGASIN FERMOB LIGHT © Tristan Lohner Design - 3D Small Rendering

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••• ultra-centré dans un quartier sympa, ultra-optimisé avec un travail sur la présentation, le papier cadeau, les références clients, et qui sera axé sur les luminaires, les accessoires, les cadeaux. » Le concept polysémique comprend à la fois cette offre de produits en cash and carry, une expérience client autour du conseil et un test dans la cabine d’essayage, ou dans une chambre noire revue en cabine de test des luminaires, déjà mis en place dans un des showrooms, par nécessité. « Le principe : on entre à l’extérieur ! On est dans une zone urbaine et on doit avoir la capacité d’entrer à l’intérieur tout en étant dehors… » Une présence importante de la végétation existe pour rappeler que l’on est dans 48 _ INTRAMUROS / www.intramuros.fr

CONCEPT MAGASIN FERMOB LIGHT © Tristan Lohner Design - 3D Small Rendering

l’univers de l’outdoor. « On va traduire cette atmosphère avec un faux plafond technique pour l’accroche des suspensions et la descente de la végétation du plafond. » Un autre atout de Fermob Light, à part d’être le premier magasin spécialisé en luminaires outdoor, c’est de mettre en avant la technologie. Comme l’explique Bernard Reybier : « Fermob, c’est aujourd’hui la lumière intelligente, un éclairage gérable par une appli via Bluetooth. Toutes les collections de luminaires ont cette possibilité de connexion dans un système qui consomme peu d’énergie. Dans un magasin dédié, on peut vous en parler, et cela signifie aussi y accumuler les expériences pour ensuite former les collaborateurs de nos revendeurs. » /


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