Habiter une ville jardin, éloge d'une cité végétale

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TABLE DES MATIÈRES INTRODUCTION GÉNÉRALE………………………………………………………………………………………………7 PARTIE 1| HABITER UNE VILLE AVEC DES JARDINS…………………………………………………………10 1. 1| Etymologie : « L’habitat urbain », un support de vie..............................................................11

1.1.1| Habiter (Notion d’anthropologie) A. B. C. D.

"Habiter, Habitation, Habitat", notion étymologique Habiter "l’espace et l’Autre, l’espace des autres" Habiter et Mobilité : "une conjonction de la structure urbaine" L’habitat, "un nid de partage et de recueillement"

1.1.2| La Ville (Comment a-t-on peint les tableaux urbanistiques actuels?) A. Définition de la ville « Le terme urbain, son milieu et son tissu » « Anthropologie de la ville : image et représentation » B. La ville, une forme en mouvement : Les grandes lignes de l’urbanisation « Introduction, la ville a une histoire » « Industrielle et Moderne, le XXème siècle, Vers un urbanisme végétal » « Le Nouvel urbanisme » « Un modèle urbain durable ? Focale sur l’écoquartier »

1.1.3| Le Jardin (La nature en ville, une longue négociation) A. Définition du Jardin, notion de Jardiner ? « Etymologie du mot « Jardin » « L’image du « Jardin », ses fonds et formes» B. La place du Jardin au fil des époques, une composition polymorphique : « Induction des typologies Grecque et romaine » « L'époque Médiévale - Une source d'inspiration « Du jardin Renaissant jusqu'aux compositions du 18ème siècle - Les Arts s'initient aux compositions végétales » « L'époque Industrielle et Moderne - jardin avant-gardiste et jardin fragilisé » « Représentation du Jardin contemporain : Jardin planétaire - Tiers paysage - Jardin en mouvement »

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C. La nature comme espace paysager «Focale sur le vocabulaire végétal »

1.2| "Vers" une Ville Jardin…………………………………………………………………………………………………………..131

1.2.1| Une réelle nécessité de jardiner la ville. 1.2.2| La ville jardin - jardinée A. La ville jardin : végétal et Ville, quels rapport entretiennent-ils ? B. La ville jardinée : un nouveau regard, réflexion transcendant la conception traditionnelle d'une ville

Partie 2| JARDINER LA VILLE POUR L'HABITER……………………………………………………………....135 2.1| Le végétal s'invite en ville, un éventuel support pour un apport de nature…………………….....136

2.1.1| Composer avec le végétal en ville A. Le centre urbain dense: un milieu hostile ou un support de biodiversité? B. Lieux propices à une inclusion végétale. C. Le végétal, nouveau matériau de l'urbanisme «Un matériau vivant, description du métabolisme» «Impact du végétal au sein des villes, Rôle et Enjeux» «Les acteurs du végétal (en centre) urbain» «Multiplicité de jardinage: d'autres manières de composer»

2.2| Habiter une ville jardin : des projets innovants …………………………..……………………………………...177

2.1.1| Jardiner la ville sous trois échelles A. Le projet territoire : Le projet du collectif Coloco : « Les délaissés en réseau » B. Le quartier jardiné : Le projet du collectif ETC : « Place au changement - La place du géant » C. Reconquérir les rues : Le projet du bureau d’architecture, Maison Edouard François : « Eden Bio »

CONCLUSION GÉNÉRALE……………………………………………………………………………………………....191 BIBLIOGRAPHIE…………………………………………………………………………………………………………..…193 SITOGRAPHIE………………………………………………………………………………………………………………...195 VIDÉOGRAPHIE…………..……………………………………………………………………………………………..…..196 TABLE DES ILLUSTRATIONS……………………………………………………………………………………….…..196 3


FICHE SIGNALÉTIQUE Titre de l’ouvrage : HABITER LA VILLE JARDIN, «éloge de la cité végétale » Nom et prénom : AGNE Samori Année académique 2015/2016 Notation du texte écrit : ………………….…………………………….….……………………………………..…………………………………………………. ………………….…………………………….….……………………………………..…………………………………………………. ………………….…………………………….….……………………………………..…………………………………………………. ………………….…………………………….….……………………………………..…………………………………………………. ………………….…………………………….….…………………… Remarque : ………………….…………………………….….……………………………………..…………………………………………………. ………………….…………………………….….……………………………………..…………………………………………………. ………………….…………………………….….……………………………………..…………………………………………………. ………………….…………………………….….……………………………………..…………………………………………………. ………………….…………………………….….……………………………………..…………………………………………………. ………………….…………………………….….……………………………………..…………………………………………………. ………………….…………………………….….……………………………………..…………………………………………………. ………………….…………………………….….……………………………………..…………………………………………………. ………………….…………………………….….……………………………………..…………………………………………………. ………………….…………………………….….……………………………………..…………………………………………………. ………………….…………………………….….……………………………………..…………………………………………………. ………………….…………………………….….……………………………………..…………………………………………………. ………………….…………………………….….……………………………………..…………………………………………………. ………………….…………………………….….……………………………………..…………………………………………………. ………………….…………………………….….……………………………………..…………………………………………………. ………………….…………………………….….……………………………………..…………………………………………………. ………………….…………………………….….……………………………………..…………………………………………………. ………………….…………………………….….……………………………………..…………………………………………………. ………………….…………………………….….……………………………………..…………………………………………………. ………………….…………………………….….……………………………………..…………………………………………………. ………………….…………………………….….……………………………………..…………………………………………………. ………………….…………………………….….……………………………………..…………………………………………………. ………………….…………………………….….……………………………………..…………………………………………………. ………………….…………………………….….……………………………………..…………………………………………………. ………………….…………………………….….……………………………………..…………………………………………………. ………………….…………………………….….……………………………………..…………………………………………………. ………………….…………………………….….……………………………………..…………………………………………………. ………………….…………………………….….……………………………………..…………………………………………………. ………………….…………………………….….…………………

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RÉSUMÉ HABITER LA VILLE JARDIN, «éloge de la cité végétale » « Imaginez un arbre. Un de ces arbres géants, comme ceux qui poussent dans les forêts équatoriales. Voyez sa taille imposante, sa beauté ; sentez sa présence, l’odeur d’humus à ses pieds ; appuyez-vous contre son tronc à la fois si solide et toujours vivant. Les arbres ont de tout temps fasciné les hommes. Mais si vous le regardez maintenant avec les yeux d’un architecte ou d’un ingénieur, cette fascination devient totale. Car il devient alors une véritable inspiration pour les bâtiments et habitations d’aprèsdemain »1. Vers un urbanisme végétal, traduit l’idée d’une évolution, d’un déplacement ; finalement on peut parler de parcours et de voyage. Chez le citadin, ce voyage se traduit par cet intérêt qu’il porte à s’immerger dans un environnement naturel. On peut le constater dans beaucoup de villes ; cet intérêt porté à la végétation est très important. Les rénovations urbaines, la création de centres commerciaux ainsi que d’autres endroits «publics», s’accompagnent presque toujours d’une présence végétale programmée et dessinée par les concepteurs. Ce phénomène est assez récent comme l’explique Thierry Paquot dans son ouvrage Terre urbaine. Ce caractère soudain intrigue et on peut dès lors se questionner sur la sincérité de cet engouement soudain : d’où viendrait cette lubie ? L’auteur évoque dans un autre article, « Ville et nature, un rendez-vous manqué ? », que le succès de ce phénomène proviendrait, entre autre, de « l’incroyable popularisation du modèle urbanistique de cité-jardin » qui a « le mérite d’obliger les habitants, les élus, les concepteurs à se préoccuper des relations de la ville avec la nature ». Mais pas seulement ; cette nouvelle préoccupation serait également liée à cette prise de conscience générale sur l’état de la planète et de l’environnement. C’est un fait ; la Nature est « consommée » par la ville (pour lotir, cultiver,…) et les écosystèmes sont perturbés par la présence et l’activité humaine qui les modifient. Paquot parle alors d’ « artificialisation » du milieu et de la Nature puisqu’ils sont transformés, notamment à travers la culture. L’homme utilise des techniques pour maîtriser son environnement, il s’en « rend maître et ne craint pas de le dégrader et de l’altérer». « La ville étant l’un de nos sites privilégiés d’intervention, il est normal d’étudier les arbres dans l’un des milieux qui leur est le plus hostile, le milieu urbain »2. Une approche historique sera abordé concernant la ville et le jardin, montrant finalement que la définition qu’on se fait actuellement de ces deux éléments urbanistiques, tendent à ne définir qu’une seul composition végétale. Dès lors la notion de ville-jardin apparait à nos yeux. Cette étude se conclut sur l’analyse de trois projets de ville-jardin aux échelles délibérément variées (« Les délaissés en réseau » - Collectif Coloco ; « Place au changement, la place du Géant » - Collectif ETC ; « Eden Bio » - Bureau d’architecture Maison Edouard François). Elle conduit à la réflexion suivante : Quelles relations et interactions existe-t-il entre ces diverses échelles d’analyse ? Que lien l’homo urbanus entretien-t-il avec son habitat ? Comment peut-il s’épanouir au sein d’un tissu urbain s’apparentant à une ville jardin ?

1

CHAPELLE, Gauthier cité par : SCHUITEN, Luc (2010). « Vers une cité végétale ». Editions Mardaga, p. 130

2

GILLIG, Charles-Materne (architecte paysagiste, professeur HES) cité par : LE GOURRIEREC, Stéphane (2012). « L’arbre en ville : le paysagiste concepteur face aux contraintes du projet urbain ». Agricultural sciences. p 13.

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REMERCIEMENTS

Mes remerciements s’adressent tout d’abord à Monsieur BLANCKAERT Simon pour avoir accepté de superviser ce présent travail de fin d’étude, pour ses conseils avisés, qui ont su m’orienter dans la définition de la problématique et plan de ce TFE. Je le remercie également, pour avoir conforté et accentué cette passion pour le monde végétal qui anime, depuis la plus tendre enfance, ma personnalité, mes réflexions et cette sensibilité architecturale qui s’est prononcée tout au long de ce cursus estudiantin. Je remercie également le corps professoral et administratif de la Faculté d’architecture et d’urbanisme UMons, qui ont su être disponibles et ont su répondre à mes diverses interrogations ou aux doutes prononcés tout au long de ce travail. Un merci tout particulier à Louise Danhaive, pour son aide, elle a contribué à l’apport de qualité pour la rédaction de cet ouvrage. Finalement je voudrais dédier ce travail de fin d’étude à l’homo urbanus, à mon entourage, à mes amis proches, mais surtout à ma famille, m’ayant soutenu, renforçant de la sorte ma motivation et mon implication au sein de ce cursus. Enfin je remercie mes lecteurs pour l’intérêt qu’ils porteront à ce travail.

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INTRODUCTION GÉNÉRALE

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Vers un urbanisme végétal, traduit l’idée d’une évolution, d’un déplacement ; finalement on peut parler de parcours et de voyage. Chez le citadin, ce voyage se traduit par cet intérêt qu’il porte à s’immerger dans un environnement naturel.

On peut le constater dans beaucoup de villes ; cet intérêt porté à la végétation est très important. Les rénovations urbaines, la création de centres commerciaux ainsi que d’autres endroits «publics», s’accompagnent presque toujours d’une présence végétale programmée et dessinée par les concepteurs. Ce phénomène est assez récent comme l’explique Thierry Paquot dans son ouvrage Terre urbaine. Ce caractère soudain intrigue et on peut dès lors se questionner sur la sincérité de cet engouement soudain : d’où viendrait cette lubie ? L’auteur évoque dans un autre article, Ville et nature, un rendez-vous manqué ? , que le succès de ce phénomène proviendrait, entre autres, de « l’incroyable popularisation du modèle urbanistique de cité-jardin » qui a « le mérite d’obliger les habitants, les élus, les concepteurs à se préoccuper des relations de la ville avec la nature ». Mais pas seulement ; il propose d’autres pistes : selon lui, cette nouvelle préoccupation serait liée à certains évènements historiques assez récents comme par exemple les déclarations des Nations Unies sur le réchauffement de la planète ou encore l’ « après Tchernobyl ». Cette prise de conscience générale sur l’état de la planète et de l’environnement, terme que Thierry Paquot définit comme un « ensemble hétéroclite », est donc assez récente. C’est un fait ; la Nature est « consommée » par la ville (pour lotir, cultiver,…) et les écosystèmes sont perturbés par la présence et l’activité humaine qui les modifient. Paquot parle alors d’ « artificialisation » du milieu et de la Nature puisqu’ils sont transformés, notamment à travers la culture. L’homme utilise des techniques pour maîtriser son environnement, il s’en « rend maître et ne craint pas de le dégrader et de l’altérer».

Ma sensibilité au monde végétal est l’une des raisons qui m’ont amené à étudier et travailler dans le domaine du Paysage. Discerner, comprendre et interpréter ce qui nous entoure : un paysage urbain ou rural, est essentiel si l’on veut inclure dans un quelconque cadre ou support d’accueil un projet à caractère « durable », c’est-à-dire un projet qualitatif s’inscrivant dans un site sans en perturber l’habitant (animal ou végétal), voir y améliorer ses conditions de vies. Cet engouement pour des projets s’inscrivant dans une stratégie territoriale s’est éveillé tout au long de ce cursus scolaire, mais s’est réellement prononcé au long des deux années de master, lorsqu’un lien beaucoup plus concret s’est installé entre l’outil architectural et le support de vie qu’est l’environnement, au sein de l’atelier ATSP (Architectures - Territoires - Stratégies - Paysages). La fascination pour la grandeur des arbres a toujours été une motivation dans mon épanouissement pour le respect de la nature. « La ville étant l’un de nos sites privilégiés d’intervention, il est normal d’étudier les arbres dans l’un des milieux qui leur est le plus hostile, le milieu urbain »3. La réflexion est de comprendre la relation qu’entretient le citadin (que nous nommerons occasionnellement « Homo urbanus » au sein de l’étude) avec son support de vie, comment « habite »-t-il ce support urbain ? Quelle place laisse-t-il à la nature ? ici traduit par la place du monde végétal. Pour finalement aboutir à une définition d’une ville (c’est-à-dire un habitat) se rapprochant de celle d’un jardin, ça y est le terme est donné, nous aimerions tendre, dans un conscient collectif, à définir le territoire urbain comme une « ville jardin », c’est en tout cas l’objectif essayant d’être développé dans une première partie. La seconde partie du travail, elle, s’attardera à imager cette « conceptualisation » de la ville, en présentant au lecteur, des projets focalisés en ville tendant à confirmer cette définition de « ville jardin ».

3

GILLIG, Charles-Materne (architecte paysagiste, professeur HES) cité par : LE GOURRIEREC, Stéphane (2012). « L’arbre en ville : le paysagiste concepteur face aux contraintes du projet urbain ». Agricultural sciences. p 13.

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Inspiré par diverses lectures, discussions, rencontres, réflexions collectives et expériences de vie ; nous tenterons de nourrir cette étude à l’aide des diverses expériences professionnelles et personnelles qui m’ont permis d’aboutir à cette nécessité d’ « habiter une ville jardin ». L’arbre en ville est un sujet d’étude complexe car de multiples approches sont possibles : Biologique, Esthétique, Technique, Ecologique, Sociale, « voire » Politique. On se retrouve face à un sujet présentant une multidisciplinarité du paysage. L’arbre n’est pas uniquement le sujet d’étude dans ce travail, il faut considérer une mise en œuvre végétale dans sa totalité. En effet, de multiples essences et familles végétales sont à prendre en considération, lorsqu’une composition spatiale est à effectuer. Intervient alors la notion de jardinage, de savoir-faire, comment composer avec la végétation ? La nécessité de faire prendre conscience aux citoyens de mieux intégrer la végétation et surtout de la respecter dans nos centres urbains est le moteur de ce travail de fin d’étude.

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PARTIE 1| HABITER UNE VILLE AVEC DES JARDINS

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1.1|Etymologie : « L’habitat urbain », un support de vie 1.1.1 Habiter (Notion d’anthropologie)

Mots clés : habiter, habitat, habitation, loger, logement, zonage, abris, déambuler, espace urbain...

Cette partie s’attardera sur la notion d’ «habiter». Que signifie ce verbe couramment employé mais rarement vécu ? Tant d’images, diverses et variées soient-elles, apparaissent dès lors que l’on prononce ce verbe. À travers les cultures, l’intensité de l’action « habiter » varie. Une importance est plus ou moins prononcée vis-à-vis de cette « image », caractérisée comme l’action de se protéger (primordialement parlant). Les coutumes, les cultures, les mentalités et donc les architectures qui s’en découlent proposent des polymorphismes dans les volumétries d’habitat établies ; c’est-à-dire que l’Habitat (caractérisant l’objet à habiter) adaptera sa forme, son fond en fonction de toutes ces caractéristiques reflétant ces diverses mentalités urbaines. On n’Habite pas en Asie comment on Loge en Europe... Le changement de verbe est expressément utilisé ici, pour insister sur cette différence notable de comportement. Le terme « Habiter » lui, renvoie à diverses attentions, le verbe « Loger » quant à lui ne symbolise qu’une infime partie de ce que doit représenter « habiter l’habitat », il ne répond qu’à la fonction d’ « Abris ». Or la notion d’habiter dépasse ce précepte et cette récurrence urbanistique qu’est l’action de « Loger ». Les décideurs (décideurs locaux, bourgmestres, échevins …) se sont longtemps focalisés simplement sur cette notion de protection (certes indispensable, mais ne devant pas agir seule et être la seule action entreprise dans un schéma directeur), plutôt qu’ouvrir leur champ lexical à d’autres valeurs permettant ainsi d’enrichir la vie de l’Homme dans nos centres urbains.

Si l’on en reste à cette définition actuelle de loger, entendue de manière récurrente dans les agences immobilières, le logement n’a « d ’avantages » que sa fonction dortoir (on y sommeille point ?), « nourricière » (on y consomme notre alimentation, mais nous ne la produisons que très rarement) et hygiénique (on y entretient notre santé grâce à ce confort sanitaire). Ces fonctions, primordiales soient-elles, ne sont pas toujours respectées. Des constructions de logements, parfois maladroites, ne respectent même pas ces points essentiels. Alors que des solutions existent pour faire de la ville un espace plaisant, ce n’est que trop timidement que des projets « durables », tendant à cette philosophie d’«habiter spontanément4 la ville », se développent et voient le jour.

Des philosophes, écrivains comme, Lefebvres, Heidegger, Paquot, etc., se sont penchés sur le sujet, afin de comprendre si l’environnement urbain dans lequel s’implante l’habitat a des conséquences sur le comportement de l’Habitant ; sa façon de se projeter et de voir la ville, ou simplement sur la manière qu’il a de s’approprier l’espace urbain, en somme, de « vivre la ville ». « Vivre la ville », c’est la voyager, en parcourir son tissu, s’immerger en site en déambulant dans la rue, pour y découvrir et (ou) partager différentes expériences urbaines implantées en son sein.

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Le terme relève de la spontanéité : il peut désigner ce qui est irréfléchi : « je l’ai fait spontanément, sans réfléchir », ou ce qui n’est pas cultivé : les plantes « spontanées » du botaniste. Ici, ce terme est utilisé dans son sens étymologique : il qualifie l’action ou la volonté libre, qui vont de pair avec les actes réalisés sans que l’on vous l’ait prescrit, ordonné, sans que cela ait été programmé. (Etymologie : bas latin spontaneus, « volontaire, spontané », signifie « de sa propre volonté ». Source : SOULIER, Nicolas (2012, avril). « Reconquérir les rues ».

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Se traduisant sous forme de parcours ou de haltes, la « déambulation urbaine » s’exprime avant tout par les possibilités qu’offre l’ « espace urbain » : - Son « plein et son vide », termes qu’utilisent certains architectes pour déterminer, analyser, caractériser en tant que telle la typo-morphologie d’un tissu de ville, afin de lui donner une image. - Le bâti et le non bâti, représentant l’espace, capable ou non d’être parcouru, où s’invite la Nature. (Homme inclus) - l’« Axe » et le « zonage », traduisant la capacité urbanistique de l’Homme à « programmer » son environnement urbain, se répercutant directement sur son comportement ; l’homo urbanus a cette tendance programmable. - La « Rue » et l’ « Habitat », supports d’expression pour des projets urbains permettant l’épanouissement citoyen.

Fig. 2 croquis personnel, représentation des composantes du tissu urbain.

L’homme urbain déambule à travers divers équipements, permettant de satisfaire différentes fonctions auxquelles il s’adonne. Ces petits voyages ou parcours, dressés de suite à la vue de l’homo urbanus, exposent un panel de Paysages urbains satisfaisant ou non l’humeur de celui-ci. L’intérêt de tout concepteur et(ou) intéressé par ces questions d’habitat (d’ordre urbanistique) est de faire de la ville un « Havre de paix », un « Habitat » paisible pour la population.

Cependant, diverses philosophies se contredisent sur la thématique de « vivre la ville ». L’une perçoit la ville comme un organisme se développant spontanément, cherchant à établir une construction urbanistique fonctionnellement diversifiée et cherchant une mixité des équipements dans leurs implantations (nous en verrons l’exemple par la suite dans le travail de Paquot) ; tandis que l’autre préconise la stricte fonctionnalité, envisageant la ville et la créant sensiblement comme un programme, où le « zonage » est le maitre mot de la conception. Cette stratégie urbaine, préconisée par le mouvement « moderne », peut revêtir les mêmes fonctions, mais cependant, dans cette configuration les équipements sont « sectorisés ». Dès lors, les architectes et urbanistes pensent éviter toute « désorganisation », synonyme d’échec dans la majorité des mentalités. Ces disparités de morphologie urbaine ont plus ou moins été (ou sont encore) accentuées au fil du temps et ont parfois été jusqu’à la confrontation d’espaces urbains ou dans le cas contraire, jusqu’à une réconciliation (image prenant souvent le dessus sur les « villes cartes postales »). Bien que là ne soit pas l’objet d’approfondissement de notre sujet, on pourrait se poser la question de savoir d’où viennent ces disparités dans les stratégies urbanistiques du « monopole immobilier actuel » ? Ontelles été provoquées ? Quels en sont les intérêts …? Des auteurs, tel que Thierry Paquot, peuvent nous aider à trouver un commencement de réponse.

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À toutes les échelles : « la ville, la rue, l’habitat », ; ce phénomène fonctionnaliste caché derrière la rationalisation de l’espace, accentué par certains concepteurs urbains, a la faiblesse de rendre parfois austère les lieux de vie dans lesquels est censé s’épanouir le citadin. Accent mis sur la densité des villes (lié à un accroissement démographique prononcé), décideurs et concepteurs urbains tendent à vouloir s’accorder sur cette optimisation de l’espace urbain.

Mais que ce cache-t-il dernière cette stratégie urbanistique ? Du mauvais comme du bon. En effet, certains décideurs, élus etc.… préconisent l’augmentation de « maison », d’habitat (ou logement devrions nous dire) faisant ainsi le pain des agences immobilières « subissant » soit disant ce phénomène et satisfaisant les autorités locales. Bien évidemment cette notion lucrative n’est pas la seule motivation.

Une prise de conscience sur le contexte environnant nos habitats s’est effectuée, l’étalement urbain dégrade nos écosystèmes, une attention tend à être portée sur la manière de reconcevoir un urbanisme plus « propre ». Il se peut que cette notion de « densité », liée à cet accroissement démographique et cette tendance à l’urbanité (70% de la population sera composée d’homo urbanus)5 , aient modifié notre façon de concevoir nos architectures, L’Habitant se retrouve à devoir se satisfaire (dans une majorité de cas) de logement rationnalisé, où il s’y trouve casé dans une boite « appartement ». Cette structuration architecturale est d’autant plus vraie dans des grandes villes comme Bruxelles, Paris,... D’où vient cette fonctionnalisation de l’architecture, opposée au modernisateur, que prétend le fonctionnalisme du mouvement moderne (lotissements, grands ensembles, quartiers (éco)…) ?

Causes et conséquences de l’étalement urbain ? Il s’agit d’un ensemble de phénomènes sociologique, économiques et politiques qui, pendant la période des trente glorieuses, induisent un pouvoir d’achat en augmentation, une politique d’accession à la propriété qui passe par le financement de maisons individuelles (on pousse les gens à la consommation).

C’est une période de libération où tout le monde veut s’épanouir. Les citadins ont dans leur conscience que l’épanouissement n’est possible que par la (sur)consommation de biens, en tout cas, l’« information » tend à le suggérer. Les plans de secteurs ont permis de larges zones urbanisables, au détriment des zones cultivables6. Par conséquent, ce cocktail a favorisé la multiplication d’une architecture peu chère, satisfaisant une majorité de citadins, sans souci de densifier et de mieux structurer nos conceptions de l’habitation. Cela a été possible puisque la voiture, ce « formidable » outil du 20ème siècle comme on l’entend souvent et ces grands axes routiers, ont permis de faciliter la circulation. Nous ne parlons plus de voyage, de parcours ou de déambulation urbaine, mais de « distance de trajet ».

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Statistiques mondiales (2015, juillet). « Population urbaine de 2008 à 2014 ». Sur Statistes mondiales (en ligne). URL : http://www.statistiques-mondiales.com/population_urbaine.htm 6

Ce sont les prairies permanentes ou autres terres agricoles exploitées (support de biodiversité) qui ont favorisé cette rente et cet étalement urbain allant à l’encontre d’une durabilité.

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Tout s’accélère, nous ne prenons plus le temps de parcourir la ville, mais nous planifions un trajet lorsqu’une quelconque tâche doit être effectuée en ville. « J’allume mon ordinateur, recherche un navigateur cartographique, on y inscrit point de départ et le point d’arrivée, et choisissons spontanément le chemin le plus court ». Nous le voyons, le mot voyage perd de son sens. Le trajet en voiture est-il réellement un plaisir dans centre urbain? Ce sacrifice vis-à-vis de la déambulation urbaine pour satisfaire l’ « eldorado » d’habiter la maison quatre façades en « campagne » ou plutôt en paysage de « lotissement périurbain » en vaut-il vraiment le coup ?

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A.

« Habiter, Habitation, Habitat », Notion étymologique :

« Un point sur l’habiter » Dans leur ouvrage, Thierry Paquot, Michel Lussault, Chris Younès, « Habiter, le propre de l’humain. Villes, territoires et philosophie, 2007 » repositionnent cette notion de l’ l’Habiter. L’auteur Annabelle Morel-Brochet, en analyse le contenu et nous aide à y voir plus claire sur cette notion, pas forcément difficile à assimiler, mais revêtant une quantité considérable de définition tissant l’imaginaire collectif que l’homo urbanus ce fait de ce verbe. La notion d’Habiter n’est pas la plus simple à définir ; bon nombre d’usages et réflexions autour de la notion d’ « habiter » témoignent d’un intérêt accru pour la problématique actuelle de l’ « habitation urbaine et terrestre »7 : ses méthodes, ses significations, sa diversité, ses conséquences sociales, sa soutenabilité (notions de durabilité et de solidité). Dans son résumé, « Un point sur l’habiter. Heidegger, et après… » (MOREL-BROCHET, Annabelle, op. cit.), de l’ouvrage « Habiter, le propre de l’humain » réalisé par Thierry Paquot, Michel Lussault et Chris Younès ; Annabelle Morel-Brochet s’interroge sur cette prise de conscience. L’auteur se demande si cet éveil ne vient pas « d’un déficit d’outils conceptuels » permettant de penser et d’éclaircir la relation que l’homme entretient à l’espace ? En tout état de cause, la notion d’ « Habiter », abordé ici par l’auteur, se concentre sur le lien entretenu avec la « condition urbaine », dans la perspective de développer une « éthique de l’espace ». (MOREL-BROCHET, Annabelle, op. cit.)

Annabelle Morel-Brochet structure sa réflexion suivant les deux parties abordées dans l’ouvrage « Habiter, le propre de l’humain ». L’une s’attarde à « ce qu’habiter peut bien vouloir dire » et développe des « réflexions étymologiques et théoriques sur le sens et les limites de la notion »8. L’autre partie, que nous aborderons par la suite, se consacre à présenter une série d’études de cas reflétant la diversité des problématiques questionnant « l’habiter et les manières de s’en saisir ». Cette argumentation a pour objectif d’illustrer qu’ « habiter n’est pas si simple qu’il y parait» (MOREL-BROCHET, Annabelle, op. cit.), pas si aisée car on habite au-delà des murs du logement, on habite avec l’espace (urbain ou rural soit-il) et on le partage avec les autres. Selon Annabelle MorelBrochet, le terme « habiter » renvoie à des dimensions à la fois intimes, sociales et physiques.

Afin d’appuyer ces propos il serait également intéressant de présenter un ouvrage de Thierry Paquot intitulé, « Habitat, habitation, habiter »9. Dans son ouvrage, il introduit la notion d’ « habiter » en interrogeant son interlocuteur sur « la question du logement ».

7

MOREL-BROCHET, Annabelle (2008, novembre 4). « Un point sur l’habiter. Heidegger, et après…». Sur EspacesTemps.net, Livres (en ligne). URL : http://www.espacestemps.net/articles/un-point-sur-habiterheidegger-et-apres/, page consultée le 1 juillet 2016. 8

Ibid.

9

PAQUOT, Thierry (2005, mars). « Habitat, habitation, habiter. Ce que parler veut dire...». Sur Informations sociales (n°123), p. 48-54 (en ligne). URL: www.cairn.info/revue-informations-sociales-2005-3-page-48.htm, page consultée le 4 juillet 2016.

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« De quoi parlons-nous lorsqu’on aborde la “question du logement” ? De la taille de l’appartement, du statut des résidents, de l’architecture de l’immeuble, de la charge poétique du pavillon et de son jardin ? Les mots sont lourds de sens et chacun d’eux connaît des évolutions, des interprétations, des modes et des disgrâces… » 10 Lorsqu’il parle de son logement, l’individu lambda utilise des termes qui lui sont propres pour décrire son habitat, comme « appartement », « maison », « logis », « chez-soi ». Il lui arrive également d’employer un « jargon » plus familier, comme « crèche », « piaule », « nid », « case », « baraque ». Quoi qu’il en soit, l’abri, qu’il soit solide et permanent, en dur ou souple, mobile ou in situ, précaire ou protégé et garanti, semble bien être un invariant anthropologique. Parler de notion anthropologique nous amène de suite à comprendre et à soulever les prémices de tout comportement humain opérant sur son environnement de vie, ses postures et projections dans son habitat. Les ethnologues et les géographes, lorsqu’ils s’intéressent à un peuple et à sa culture, commencent par décrire son logement (PAQUOT, Thierry, op. cit.). Le passage à une société de marchandisation, rend parfois inégalitaire l’accession à un quelconque habitat, « le logement devient un bien comme un autre, qu’il faut acquérir sur un marché, acheter avec de l’argent et entretenir », précise Paquot. Avec la marchandisation, « la charité aussi devient un business… »11. Acquérir une place, un espace, pour dormir ou séjourner en paix, de façon correcte et confortable, ne semble pas être une exception mais au contraire une règle, insiste Paquot.

Certaines sociétés inégalitaires nous dit-il, même lorsque le besoin est ressenti, associaient dans leur champ lexical au mot « maison », le sens de « maisonnée »12. Cela traduit l’idée d’un collectif composé « d’humains (« libres » et « esclaves », hommes et femmes), d’animaux domestiques, de champs et de forêts et de croyances » unifiant les biens de tous, en une richesse commune. Le rapport de soi à l’autre est dénué d’individualisme, évitant ainsi toute scission sociale. C’est un procédé que décrit Pierre Clastres par exemple, lorsqu’il réalise ses travaux d’anthropologie politique sur les indiens Guayaki du Paraguay au 20ème siècle. Son ouvrage, « Compte rendu de mission chez les indiens Guayaki (Paraguay) »13, tisse un paysage où ces habitants de la forêt tropicale, nomades, vivant en tribu très peu nombreuse (peut-être deux cent cinquante ou trois cent en tout », appliquaient au sein de leur groupe ces pratiques d’ « habiter » (mis en commun de toute source vivrière, partage des tâches équitablement réparties etc…). Thierry Paquot nous explique, en citant Pascal Amphoux et Lorenza Mondada14, que le « chez-soi », dans cette situation, n’est pas l’intimité du sujet, c’est à dire le « pour soi à soi » (correspondant à la sphère privée), mais il traduit l’appartenance à un « soi» plus vaste qui lui procure les conditions de vie nécessaire à son habitat, donc à son évolution.

10

Ibid.

11

Ibid.

12

Ibid.

13

CLASTRES, Pierre (1964). «Compte rendu de mission chez les Indiens Guayaki». Sur Persée (Dans L'Homme, tome 4 n°2), pp. 122-125, (en ligne). URL: www.persee.fr/doc/hom_0439-4216_1964_num_4_2_366647, page consultée le 15 mai 2016. 14

AMPHOUX, Pascal et MONDADA, Lorenza (1989) cité par : PAQUOT, Thierry (2005, mars). « Habitat, habitation, habiter. Ce que parler veut dire...». Sur Informations sociales (n°123), pp. 48-54 (en ligne). URL: www.cairn.info/revue-informations-sociales-2005-3-page-48.htm, page consultée le 4 juillet 2016.

16


« L’« habitation » appartient à l’ « habitat » A l’origine, le mot « habitat » découle du champ lexical de la botanique et de la zoologie ; au début du 19ème siècle (vers 1808), il indique dans un premier temps, le « territoire occupé par une plante à l’état naturel », puis signifie dans un second temps (vers 1881), le « milieu géographique adapté à la vie d’une espèce animale ou végétale », ce que les sciences définissent dorénavant par biotope ou « niche écologique », pour reprendre les mots de l’auteur (PAQUOT, Thierry, op. cit.). Au début du 20ème siècle, cette signification est étendue à l’« environnement » dans lequel l’homme s’épanouit. Quant à la période de l’entre-deux-guerres, on acceptera le terme d’ « habitat » pour désigner les « conditions de logement ». Thierry Paquot développe son argumentation en introduisant le terme « habitable ». Cette notion vient du latin habitabiles, nous dit-il, dont la signification indique un lieu qu’il est possible d’habiter ; « où l’on peut habiter ». Dès lors on comprend que ce qui est « inhabitable » ne permet pas l’ « habitation » (cette notion d’inhabitable sera développée par la suite).

D’un point de vue étymologique Le terme « habitation » renvoie au latin « habitatio » exprimant le « fait d’habiter la demeure ». L’habitation est avant tout un lieu de vie, un lieu protégé de toutes les menaces extérieures. Elle renvoie aux normes sociales qui permettent l’intégration. D’un point de vue comportemental, le mot « habituari », quant à lui, désigné par le terme d’ « habitus » 15 relevant du latin classique, signifie « manière d’être ». Thierry Paquot poursuit sa description étymologique en s’attardant à présent sur un des mots clés de cette étude, le verbe « habiter » : Emprunté au latin « habitare », signifie « avoir souvent » comme le souligne son dérivé « habitudo », qui a donné en langue française « habitude ». Mais ce verbe veut aussi dire « demeurer », cette action est similaire à celle de « rester » ou de « séjourner », traduit l’action d’effectuer une halte, comme l’atteste le proverbe médiéval « il y a péril en la demeure », qui peut être traduit par : « il y a danger à rester dans la même situation » (PAQUOT, Thierry, op. cit.).

La notion attribuée au verbe « habiter », traduisant la volonté de « rester » quelque part, de « vivre » un lieu quelconque ou d’occuper une « demeure » n’apparait que vers 1050, nous dit T. Paquot. À la fin du 15ème siècle, « habiter un pays », c’est le peupler » ; l’idée de prospérer au sein d’un territoire et de s’y développer tend à présenter une définition proche de la situation contemporaine de l’ « habiter ».

15

Paul Vinaches, enseignants chercheurs à l’université de « Toulouse 1 capitole », nous définit le terme de façon très concise, dans un article « Alternatives économiques » ; Définition que l’on se permettra de citer tel quelle : « l’ « habitus » désigne des dispositions générales (façon de faire, de réagir) résultant de l’intériorisation et de l’accumulation par chacun d’entre nous, au fil de notre histoire, des apprentissages passés, d’un savoir-faire inculqué par la famille, l’école et l’environnement social, lors du processus de socialisation ». Source : VINACHES, Paul (1997, avril). « Quand l'habitus détermine nos choix ». Dans Alternatives Economiques (n°147), (en ligne). URL :.http://www.alternatives-economiques.fr/index.php?lg=fr&controller=article&action=html&id_ article=10032&id_parution=102&affiche_def=1, page consultée le 23 juillet 2016.

17


« La demeure apparait comme « le nid, le refuge à la vertu d’abri, la mémoire heureuse de l’origine avec ses qualités de repos, de tranquillité et de sécurité »16 (LEROUX, Nadège, op. cit.). Dans son ouvrage, « Qu'est-ce qu'habiter ? Les enjeux de l'habiter pour la réinsertion », N. Leroux considère que la demeure est « l’une des plus grandes puissances d’intégration, elle évince les contingences et assure la continuité dans la vie de l’homme. Sans elle il serait un être dispersé. La maison est le premier monde de l’être humain »17. Finalement, habiter est le point de départ de la première expérience de l’être dans le monde, la maison (s’il y a) constitue une référence et un outil de construction de soi. Habiter, une notion transfonctionnelle Ces renseignements18 exposent à quel point le verbe «habiter » est riche de signification et de symbolisme, que son sens ne peut se limiter à la démarche d’être logé, mais dépasse cette notion, à tel point que « habitation » et « être » ne puisse être dissociés l’un de l’autre. C’est le constat qu’établit le philosophe et sociologue Henri Lefebvre (1901-1991), lorsqu’il introduit cette notion dans la sociologie urbaine française au cours des années soixante, en s’inspirant largement du philosophe allemand Martin Heidegger (1889-1976). H. Lefebvre utilise le mot « habiter » comme Le Corbusier et les partisans de la charte d’Athènes, c’est-à-dire comme une des « fonctions humaines citadines », à côté d’autres fonctions comme « circuler », « travailler », « se recréer », etc. (PAQUOT, Thierry, op. cit.). Henri Lefebvre note : « L’être humain ne peut pas ne pas bâtir et demeurer, c’est-à-dire avoir une demeure où il vit, sans quelque chose de plus (ou de moins) que lui-même : sa relation avec le possible comme avec l’imaginaire. »19 Quelques lignes plus loin, il précise cette formule : « L’être humain (ne disons pas l’homme) ne peut pas ne pas habiter en poète. Si on ne lui donne pas, comme offrande et don, une possibilité d’habiter poétiquement ou d’inventer une poésie, il la fabrique à sa manière »20.

L’ « habiter » ne résulte plus d’une « bonne » politique du logement, d’une « bonne » architecture, d’un « bon » urbanisme, énonce Thierry Paquot, il doit être « considéré comme source, comme fondement »21 ; c’est de lui que dépend la qualité de la vie privée de l’homo urbanus, de son habitat «entendu comme le logement » (PAQUOT, Thierry. 2005, mars) et toutes les voies et déambulations urbaines qui y mènent.

16

LEROUX, Nadège (2008, janvier). « Qu'est-ce qu'habiter ? Les enjeux de l'habiter pour la réinsertion ». Dans VST - Vie sociale et traitements (n° 97), p. 14-25 (en ligne). URL: www.cairn.info/revue-vie-sociale-et-traitements2008-1-page-14.htmn, page consultée le 13 juillet 2016 17

Ibid.

18

REY, Alain (1992). « Dictionnaire historique de la langue française ». Robert (deux volumes)

19

LEFEBVRE, Henry, cité par : PAQUOT, Thierry (2005, mars). « Habitat, habitation, habiter. Ce que parler veut dire...». Sur Informations sociales (n°123), p. 48-54 (en ligne). URL: www.cairn.info/revue-informations-sociales2005-3-page-48.htm, page consultée le 4 juillet 2016. 20

Ibid.

21

LEFEBVRE, Henri, cité par : PAQUOT, Thierry (2005, mars). « Habitat, habitation, habiter. Ce que parler veut dire...». Sur Informations sociales (n°123), p. 48-54 (en ligne). URL: www.cairn.info/revue-informations-sociales2005-3-page-48.htm, page consultée le 4 juillet 2016.

18


La réflexion d’Henri Lefebvre l’amène à penser que les conditions de l’« habiter » sont « sérieusement entravées par la mondialisation de l’économie capitaliste ». Le mode de vie de l’homo urbanus est de plus en plus « immatérialisée » et se voit être dépassé et dicté par la victoire (que Lefebvre espère passagère…) du « cybernanthrope »22.

Henri Lefebvre développe une logique politique plus que philosophique de sa compréhension de l’« habiter », sa réflexion s’adresse principalement à des praticiens et professionnels de la sphère urbaine. Thierry Paquot offre au lecteur un bref aperçu de l’image que ce fait Lefebvre de l’ « habitat » : « Avant l’habitat, écrit-il, l’habiter était une pratique millénaire, mal exprimée, mal portée au langage et au concept, plus ou moins vivante ou dégradée, mais qui restait concrète, c’està-dire à la fois fonctionnelle, multifonctionnelle, transfonctionnelle » (PAQUOT, Thierry, op. cit.). Ici la notion de « transfonctionnelle » est très intéressante, puisque outrepassant la notion de fonction, le préfixe « trans » signifie à la fois « au-delà » et « à travers ». De la sorte, le simple fonctionnement de la ville omise par la Charte d’Athènes, réduisant la ville à quatre fonctions, « Travailler, se loger, circuler et se recréer », est dépassé par cette transfonctionnalité « fondée davantage sur les « désirs » que sur de prétendus besoins codifiés »23. Serait-elle susceptible de participer à cette libération d’un quotidien aliéné, et ainsi de briser cette routine présente dans beaucoup de foyers ?

L’auteur poursuit sa définition en citant Heidegger, dont les considérations sont bien étrangères à la pensée de Henry Lefebvre. En effet, pour Heidegger, le verbe « habiter » signifie « être-présent-aumonde-et-à-autrui ». Cette vision de « habiter » nous éloigne d’une vision purement sociologique de l’habitation, qui ne vise que le recensement des manières d’ « habiter », une maison ou un appartement, de se loger en d’autres termes. Nous l’avons évoqué précédemment, « loger » n’est pas « habiter » ; l’ « habiter », dimension existentielle de la présence de l’homme sur terre nous dit Paquot, ne se contente pas d’un « nombre de mètres carrés de logement » ou de la « qualité architecturale d’un immeuble ».

« C’est parce que l’homme « habite », que son « habitat » devient « habitation ».» (PAQUOT, Thierry, op. cit.).

22

Ce dernier désigne les fusions de plus en plus nombreuses des corps et de la technologie qui surviennent dans la société postindustrielle à la faveur du développement de la nouvelle informatique et des biotechnologies. 23

BUSQUET, Grégory (2002, avril). « Henri Lefebvre, les situationnistes et la dialectique monumentale. Du monument social au monument – spectacle». L’Homme et la société (n°146), p41-60 (en ligne). URL : www.cairn.info/revue-l-homme-et-la-societe-2002-4-page-41.htm, page consultée le 24 juillet 2016.

19


« Habiter dépasse la notion de loger : « L’habitat déborde le logement » Afin de bien comprendre la réflexion sur « Habiter » et sa signification, un champ lexical particulier est employé dans cette argumentation afin d’appuyer, de manière précise et objective, les intentions que traduisent et qui transparaissent derrière cet « imaginaire » de habiter.

Dans le champ lexical de « habiter », divers termes architecturaux et(ou) urbanistiques particuliers revêtent une signification qui leur sont propres ; de sorte que « Loger » ne traduit pas précisément la même attention, intention que « Habiter ». Par exemple, lorsque la Halte (temps de pause) dure plus ou moins longtemps, ou bien qu’elle tend à se stabiliser d’une certaine manière, la notion de « séjourner » peut également apparaitre, etc… On comprend rapidement que pour soulever cette question philosophique qu’est « habiter », il va de soit d’expliciter chacun des gestes présents au sein d’une ville. L’objectif étant d’en dégager diverses situations urbanistiques méritant qu’une critique y soit apportée.

Dans l’ouvrage collaboratif de Thierry Paquot, Michel Lussault, Chris Younès « Habiter, le propre de l’humain »24, une réflexion collective se conçoit où chaque auteur énonce sa philosophie de « habiter » relevant du façonnage d’un chez-soi. Leurs réflexions, pour une majorité, ne se limitent pas au logis.

Thierry Paquot se consacre dans l’introduction de l’ouvrage à rétablir et à clarifier l’univers lexical gravitant autour de l’idée d’« habiter » : « « Habiter » signifie « être-présent-au-monde-et-à-autrui ». […] Loger n’est pas « habiter » » (PAQUOT, Thierry, op. cit.). L’action d’ « habiter », selon Thierry Paquot, possède une dimension ontologique, interrogeant sur la signification du mot « être », « qu’est-ce que l’être ? ». Habiter c’est : « construire votre personnalité, déployer votre être dans le monde qui vous environne et auquel vous apportez votre marque et qui devient vôtre. […] C’est parce qu’habiter est le propre des humains […] qu’inhabiter ressemble à un manque, une absence, une contrainte, une souffrance, une impossibilité à être pleinement soi, dans la disponibilité que requiert l’ouverture ». (PAQUOT, Thierry, op. cit.).

Dans le jargon immobilier, fruit d’une marchandisation du domaine de l’habitat, l’habitation, « dans un ensemble collectif ou une maison individuelle, en location ou en propriété »25, satisfait tant de mètres carrés à un prix fluctuant en fonction du « marché », elle est désignée sous forme de « cellule » d’habitation, ou bien codifiée sous un lexique de programmation propre au domaine immobilier, par exemple : un T2 correspond à un logement composé de deux grands ensembles qui sont d’une part la « zone de jour » et d’autre part la « chambre à coucher », la cuisine et la salle de bain s’intègre au foyer. Qu’importe la norme qu’on lui attitre, l’habitation est délimitée par des murs, imperméable au contexte environnant son implantation. Elle est équipée d’une porte d’entrée et « ses usages sont d’ordre privé » nous décris Thierry Paquot.

24

MOREL-BROCHET, Annabelle (2008, novembre 4). « Un point sur l’habiter. Heidegger, et après…». Sur EspacesTemps.net, Livres (en ligne). URL : http://www.espacestemps.net/articles/un-point-sur-habiterheidegger-et-apres/, page consultée le 1 juillet 2016. 25

Ibid.

20


« Dorénavant, l’habitat, dans le sens commun, comprend l’habitation et tous les itinéraires du quotidien urbain. »26 (PAQUOT, Thierry, op. cit.). Thierry Paquot site dans son ouvrage « Maison et écologie »27, les résultats d’une enquête, « L’habitat, c’est le logement et au-delà »28, réalisée en France (par le CSTB) sous la direction de Barbara Allen. A partir d’un échantillon de plusieurs centaines de ménages, résidants de neuf quartiers de la banlieue parisienne, l’enquête révèle que la notion d’ « habitat » englobe à la fois l’appartement (ses pièces et leurs diverses destinations), ses circulations et abords (la cage d’escalier, l’ascenseur, le hall d’entrée, le parking, la cave, le local pour les poubelles, etc.) et tous les trajets ou parcours de la vie quotidienne, « le chemin pour l’école, celui qui conduit à l’arrêt du bus ou à la station de métro ou de train, à la boulangerie, etc.»29.

Fig. 3 croquis personnel | L’habitat déborde le logement : les relations de voisinage

26

PAQUOT, Thierry (2005, mars). « Habitat, habitation, habiter. Ce que parler veut dire...». Sur Informations sociales (n°123), p. 48-54 (en ligne). URL: www.cairn.info/revue-informations-sociales-2005-3-page-48.htm, page consultée le 4 juillet 2016. 27

PAQUOT, Thierry (2007). « Maison et écologie ». Sur MEI, « habiter, communiquer » (n°27) (en ligne). URL : http://www.mei-info.com/wp-content/uploads/revue27/10MEI-27.pdf, page consultée le 26 juin 2016 28

ALLEN, Barbara (1998, janvier-février). « L’habitat, c’est le logement et au-delà… ». Dans Urbanisme (n°298), p 68. 29

PAQUOT, Thierry (2005, mars). « Habitat, habitation, habiter. Ce que parler veut dire...». Sur Informations sociales (n°123), p. 48-54 (en ligne). URL: www.cairn.info/revue-informations-sociales-2005-3-page-48.htm, page consultée le 4 juillet 2016.

21


La surface du logement n’est pas seule identifiée à l’habitat, « mon habitat est extensible au gré de mes humeurs, de mes relations de voisinage, de ma géographie affective, tout comme il peut se rétrécir, si moi-même je me replie sur moi, ne veux rencontrer personne, m’enferme dans mon appartement comme une huître dans sa coquille »30 explique Paquot. On comprend bien que cette sphère « habiter » déborde. Paquot insiste sur ce mot provenant du vocabulaire des botanistes qui signifiait, au début du 19ème siècle : « le « milieu » propice à la vie et à la reproduction d’une espèce ». Y aurait-il une ressemblance avec la « niche environnementale ». Chaque habitant réclame un logement, non pas pour simplement y résider, mais pour habiter.

D’où l’importance de la qualité du logement et de son isolation phonique. « Une cage d’escalier bruyante, des parois perméables aux bruits gênent le repos, entravent le bien-être et favorisent l’agressivité, la colère, le refus des autres » (PAQUOT, Thierry, op. cit.). Projetée à l’échelle de l’axe urbain, une « rue triste, sale, inhospitalière » altère notre humeur, l’homo urbanus peut devenir « morose, vulnérable, inquiet et broyez du noir ». Des espaces verts miteux, des stationnements automobiles inappropriés, des incivilités à répétition, […], tout cela contribue à freiner votre épanouissement et à rendre inhabitable votre logement et ses abords.

Nous l’avons vu, Thierry Paquot invite le lecteur, l’acteur urbain, le concepteur, le décideur local, à se repositionner sur la question d’« habiter la ville » ; Sommes-nous, à l’heure actuelle, dans une situation où notre tissu urbain nous permet indiscutablement un quelconque épanouissement individuel ou collectif ? Combien de citadins entendons-nous rêver de partir, de « changer d’air » ? Habiter le monde n’est pas chose facile, nos habitations sont davantage des refuges, « étroits et cadenassés », enfermant l’homo urbanus plus qu’il ne le libère.

« Si « habiter » n’est pas donné à tout le monde et n’a que faire de l’action de l’urbaniste ou de l’architecte, l’habitat et l’habitation relèvent, pour une grande part, de leur attention et de leur talent »31. (PAQUOT, Thierry, op. cit.).

Bien que certains fragments urbains dévoilent parfois un cadre paysager se rapprochant de l’habitat prospère, où la relation sociale se tisse naturellement, il est impératif de provoquer notre habitus afin de trouver des solutions, participatives, relationnelles, écologiques,… permettant à l’homo urbanus de pouvoir, à son échelle, « faire avec » son habitation.

30

Ibid.

31

Ibid.

22


« Habiter, c’est bâtir l’Habitation, la penser » Il serait intéressant, ici, d’introduire brièvement l’étymologie de ce nouveau terme de l’étude, « Penser », afin de cerner correctement la réflexion sur l’ « habiter » qui se développe dans cette partie.

D’après le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL), le verbe Penser signifie à la fin du 10ème siècle : «réfléchir, concentrer son esprit sur quelque chose»32. Cette notion pousse l’homme à la réflexion ; la philosophie tout autant que la poésie sont donc une des disciplines permettant d’exprimer au mieux ce que l’on pense, partager ses expériences, ses pensées.

Sur la thématique de la ville, Jean-François Serre explique qu’après la période antique, la philosophie de la ville est « tombée en désuétude » au profit des utopies. C’est seulement au 20ème siècle que les philosophes reprennent la réflexion questionnant le tissu urbain. L’apport des sciences sociales a contribué à cette relecture de la ville. Mais cependant, Thierry Paquot remarque que ces philosophes ou intéressés de la thématique sont peu nombreux à s’engager ainsi ; « le philosophe des époques moderne et contemporaine répugne à prendre la cité pour objet »33.

Henry Lefebvre s’y est pourtant attelé, non sans succès, à travers ce qu’il dénommait la « métaphilosophie »34. Elle est une branche de la philosophie qui « non seulement n’hésite pas à puiser dans les sciences sociales » pour se nourrir de leurs acquis mais contribue également à la « transformation de l’homme et de la société » (SERRE, Jean-François, op. cit.) Thierry Paquot à travers ce que lui appelle plutôt « philosophie appliquée » dans le sens « d’aborder, d’aller vers, d’employer son esprit à… » La philosophie, écrit-il, « enquête sur la quête de sens, que chaque humain manifeste, toujours à la recherche de l’unité, dans un monde dominé par la technique, qui fragmente, émiette, divise, éparpille. » (SERRE, Jean-François, op. cit.)

Thierry Paquot, auteur de L‘urbanisme c’est notre affaire ! et d’Homo urbanus, précise bien que « ce que la philosophie offre aux professionnels de la ville tient en deux points : primo, les convaincre que l’esthétique rime avec l’éthique ; secundo, que l’humain ne peut véritablement « être » que dans un lieu (fixe ou mobile), et que ce dernier n’est pas simple espace d’enracinement, mais possibilité de séjour. » (SERRE, Jean-François, op. cit.)

32

CNRTL. (2012). Définition de la penser. Sur CNRTL Ortolang (en ligne). URL : http://www.cnrtl.fr/etymologie/penser, page consultée le 5 juillet 2016. 33

SERRE, Jean-François (2014, janvier 12). « XVII – LE PHILOSOPHE ET LA VILLE — 1) « Bâtir, habiter, penser » de Heidegger (1951) ». Sur Urbain serre, La ville à la croisée des chemins – Promenade dans la littérature de l'urbanité (en ligne). URL : http://urbainserre.blog.lemonde.fr/2014/01/12/xvii-xvi-le-philosophe-et-la-ville-1batir-habiter-penser-de-heidegger-1951/, page consultée le 5 juillet 2016. 34

Contraction de « métaphysique », qui porte sur la recherche des causes, des premiers principes» et « philosophie »

23


Sur ce point, qu’est la philosophie, Heidegger interpelle le lecteur et l’avertit, nous explique JeanFrançois Serre en citant le philosophe : « La parole qui concerne l’être d’une chose vient à nous à partir du langage […]. » Or, « l’homme se comporte comme s’il était le créateur et le maître du langage, alors que c’est celui-ci qui le régente. »35. Aussi, suivant la pédagogie de Heidegger, nous laisserons nous porter par ce langage. Comme exposé lors de sa conférence prononcée en août 1951, Martin Heidegger puise dans l’étymologie afin de « retrouver le sens originel, vrai, du bâtir et de l’habiter », explique J-F Serre. « Le bâtir n’a-t-il pas pour fin l’habitation ? » questionne l’auteur. Heidegger amène un commencement de réponse, en nous démontrant que les deux notions sont liées et qu’ « on ne saurait les dissocier sans les dénaturer »36. Le bâtir fait partie intégrante de l’habitation, par conséquent, l’action d’«habiter » passe par le « bâtir ». Dans ce sens tout édifice serait un habiter potentiel quel que soit la fonction qui lui est attitrée. De la sorte, « il ne faut pas prendre bâtir, habiter comme relevant du seul domaine de la construction, mais plus généralement comme se rapportant à l’être. »37 , appuie J-F Serre.

Fig. 4 croquis personnel |Concept, Habiter la ville

35

HEIDEGGER, Martin, cité par : SERRE, Jean-François (2014, janvier 12). « XVII – LE PHILOSOPHE ET LA VILLE — 1) « Bâtir, habiter, penser » de Heidegger (1951) ». Sur Urbain serre, La ville à la croisée des chemins – Promenade dans la littérature de l'urbanité (en ligne). URL : http://urbainserre.blog.lemonde.fr/2014/01/12/xvii-xvi-lephilosophe-et-la-ville-1-batir-habiter-penser-de-heidegger-1951/, page consultée le 5 juillet 2016. 36

Ibid.

37

Ibid.

24


« Habiter c’est être » et l’habitation est un « ménagement »38, en ce que sa vocation est précisément de ménager, signifiant, assurer, arranger, préparer... « Soigner et construire, tel est le bâtir au sens étroit. L’habitation, […] est un bâtir au sens d’une telle préservation.» Des notions de pérennité et soin de l’habitat sont sous-entendues derrière cette citation.

L’espace s’« accorde » aux lieux, en ce sens, Jean-François Serre nous dit que « l’espace est essentiellement ce qui a été aménagé, ce que l’on a fait entrer dans sa limite. »39 Reste à éclaircir le rapport « physique » qu’entretiennent les lieux avec l’espace et la relation « charnelle » de l’homme à l’espace, conseil l’auteur.

Fig. 5 croquis personnel | L’homme, l’espace, le lieu

Dans un premier temps, le rapport du lieu à l’espace est caractérisé par les espaces que nous parcourons journellement ceux-ci mêmes « aménagés par des lieux, dont l’être est fondé sur des choses du genre des bâtiments. ». On comprend donc que le rapport des lieux à l’espace s’opère par cette mise en situation de l’homo urbanus dans un contexte dicté par de quelconques réalisations, ici il s’agit de bâtiments. Ceux-ci structurent, dessinent l’espace, par leurs lignes architecturales.

Dans un second temps, Jean-François Serre éclaircit la relation de l’homme à l’espace : « […] l’espace n’est pas pour l’homme un vis à vis. Il n’est ni un objet extérieur ni une expérience intérieure. Il n’y a pas les hommes et en plus de l’espace […]» (SERRE, Jean-François, op. cit.).

38

Terme qu’aime employer Thierry Paquot,

39

SERRE, Jean-François (2014, janvier 12). « XVII – LE PHILOSOPHE ET LA VILLE — 1) « Bâtir, habiter, penser » de Heidegger (1951) ». Sur Urbain serre, La ville à la croisée des chemins – Promenade dans la littérature de l'urbanité (en ligne). URL : http://urbainserre.blog.lemonde.fr/2014/01/12/xvii-xvi-le-philosophe-et-la-ville-1batir-habiter-penser-de-heidegger-1951/, page consultée le 5 juillet 2016.

25


Fig6. croquis personnel | La représentation de l’espace

Penser l’homme indépendamment de l’espace n’est pas concevable pour ces philosophes. « Des espaces s’ouvrent par cela qu’ils sont admis dans l’habitation de l’homme. » Ainsi, « le rapport de l’homme à des lieux et, par des lieux, à des espaces réside dans l’habitation ». Cela traduit l’idée que, l’homme immergé dans un lieu (symbolisant l’atmosphère, l’ambiance), ne peut être présent en son sein que par la prise de conscience des espaces limitant ou délimitant sa sphère d’expression, d’expérimentation. « La relation de l’homme et de l’espace n’est rien d’autre que l’habitation pensée dans son être.» Ici, l’homme habite un lieu, car il pense l’espace, le conçoit.

26


Mais que signifie bâtir ? Soulève J-F Serre, « Bâtir est, dans son être, faire habiter. Réaliser l’être du bâtir, c’est édifier des lieux par l’assemblage de leurs espaces. »40 Or, on ne peut pas construire sans habiter déjà les lieux explique l’auteur. Tentons d’expliquer ce que l’auteur entend par « habiter est le trait fondamental de l’être en conformité duquel les mortels sont.»41 Et poursuivons l’analyse en notant que si « bâtir fait partie de l’habiter », la pensée elle-même fait partie de l’habitation. « Bâtir et penser, chacun à sa manière, sont toujours pour l’habitation inévitables et incontournables. »42 Simplement, que traduit l’idée ? Heidegger nous fait comprendre que bâtir signifie « faire habiter ». Réussir à exprimer « l’être du bâtir », c’est-à-dire « être présent pour bâtir », c’est réussir à édifier des lieux avec les espaces mis à disposition. Or pour pouvoir construire, ou « nous construire », il faut déjà habiter, occuper le lieu. Habiter est donc le trait fondamental de tout « être », ce que confirmera tout mortel. Sans habitat, « être » est plus difficile et par conséquent, la vie dont l’homo urbanus se doit de mener est plus difficile ; d’où la notion de « mortels » employée par l’auteur. Si bâtir fait partie de l’habiter, la pensée elle-même fait partie de l’habitat, de l’habitation. Rajouteronsnous, « Il faut penser pour bâtir » ; c’est la raison pour laquelle une diversité d’habitat apparait.

Martin Heidegger nous met en garde : « […] la véritable crise de l’habitation ne consiste pas dans le manque de logements. » Elle « réside en ceci que les mortels en sont toujours à chercher l’être de l’habitation et qu’il leur faut d’abord apprendre à habiter. » 43 C’est la thérapie au déracinement que de mener « l’habitation à la plénitude de son être. » Or, « ils le font lorsqu’ils bâtissent à partir de l’habitation et pensent pour l’habitation. » Heidegger titrait sa discussion : Bâtir, habiter, penser ; sa conclusion boucle ces trois actions en un même geste « salvateur » (signifie qui sauve). Le fonctionnalisme du mouvement moderne est remis en question par cette ontologie de l’habiter nous dit Serre. Au lieu de rabaisser l’habitation et l’urbanisme au rang d’« outil » et d’« outillage » comme Le Corbusier le concevait dans ses réalisations, Heidegger les élève à celui de l’ « être ».

Jean-François Serre conclu son article, en se référant une dernière fois à Heidegger, qui, commentait dans une autre conférence ce vers adapté d’une poésie du penseur et poète allemand Friedrich Hölderlin (1770-1843) : « … l’homme habite en poète… ». Vers que reprendra Henri Lefebvre dans La Révolution urbaine pour expliquer qu’à la différence de l’ « habitat », notion seulement fonctionnelle, l’ « habiter », pratique vécue, était à « mettre en rapport avec la nature de l’homme », dont l’être « se situe dans l’habiter, s’y réalise et s’y lit. » Heidegger nous dit encore dans ce sens : « …l’homme habite en tant qu’il bâtit » et qu’il « ne peut bâtir ainsi que s’il habite déjà… ». C’est que « le vrai habiter a lieu là où sont les poètes » et que « la poésie édifie l’être de l’habitation », elle est « le faire habiter originel. » De sorte qu’en dernier ressort, « la poésie est la puissance fondamentale de l’habitation humaine » (SERRE, Jean-François, op. cit.).

40

HEIDEGGER, Martin, cité par : SERRE, Jean-François (2014, janvier 12). « XVII – LE PHILOSOPHE ET LA VILLE — 1) « Bâtir, habiter, penser » de Heidegger (1951) ». Sur Urbain serre, La ville à la croisée des chemins – Promenade dans la littérature de l'urbanité (en ligne). URL : http://urbainserre.blog.lemonde.fr/2014/01/12/xvii-xvi-lephilosophe-et-la-ville-1-batir-habiter-penser-de-heidegger-1951/, page consultée le 5 juillet 2016. 41

Ibid.

42

Ibid.

43

Ibid.

27


B.

Habiter « L’espace et l’Autre, l’espace des autres. »

La thématique de la cohabitation, la coprésence, autrement dit « habiter avec l’autre à ses côtés »44 a longtemps été investie par la sociologie, mais aussi d’autres disciplines. Quel que soit le terme employé, on y retrouve une constante dans les rapports sociaux et des divergences établies dans les compositions ou aménagements. Les réflexions retenues sont celles de la « proxémie »45, du marquage des espaces ou encore de l’affirmation identitaire par la distinction.

Cohabiter implique le partage des espaces de vie, des espaces d’articulations et des espaces publics ; il traduit le fait de « voisiner », pour reprendre le terme de N. Leroux, c’est-à-dire mettre en scène « différentes cultures de l’ « habiter » n’ayant pas choisi d’être ensemble, ni de se fréquenter mais partageant une grande proximité physique »46.

Dans de nombreuses situations, l’habitant-résident ressent le besoin de s’affirmer en tant que tel dans un espace. Peu importe sa « philosophie de vie », la manière dont il se comporte vis-à-vis d’autrui (le citadin lambda), l’habitant-résident revendique une légitimité sociale sur une portion d’espace qui lui est attitrée ou non et s’ambitionne plus encore une priorité sur d’autres usagers comme le promeneur, le consommateur, mais aussi le nouvel habitant, le « nouveau voisin ». Le partage de l’espace, qu’il soit urbain ou rural, est négocié en permanence, il est implicite, contractuel ou parfois conflictuel. A ce sujet Nadège Leroux voit l’habitat comme un marqueur d’identité, il est « le témoin du réseau social d’appartenance », il dévoile le niveau de vie de ses occupants, il permet de « montrer à l’autre sa capacité à habiter »47 (donc à exister) et à être intégré dans la société. Annabelle Morel-Brochet soulève également une « analogie et un jeu de miroir », entre l’« image sociale du lieu » et l’ « image sociale que l’habitant souhaite renvoyer de lui-même »48. Cette idée traduit un bon nombre d’expériences, où le citoyen développe un comportement social qui tend à refléter le paysage dans lequel s’implante son habitat. En effet, qui ne connait pas une ville où un « zonage », un quartier, un lotissement etc…, marqué par un élément d’architecture singulier (quelques soit sa symbolique, sa « valeur » culturelle), étant assimilé de suite à une « marque urbaine », un quelconque statut social.

44

MOREL-BROCHET, Annabelle (2008, novembre 4). « Un point sur l’habiter. Heidegger, et après…». Sur EspacesTemps.net, Livres (en ligne). URL : http://www.espacestemps.net/articles/un-point-sur-habiterheidegger-et-apres/, page consultée le 1 juillet 2016. 45

La proxémie ou proxémique est une approche de l'espace introduite par l'anthropologue américain Edward T. Hall à partir de 1963. Ce néologisme désigne d'après lui « l'ensemble des observations et théories que l'Homme fait de l'espace en tant que produit culturel spécifique » 46

LEROUX, Nadège (2008, janvier). « Qu'est-ce qu'habiter ? Les enjeux de l'habiter pour la réinsertion ». Dans VST - Vie sociale et traitements (n° 97), p. 14-25 (en ligne). URL: www.cairn.info/revue-vie-sociale-et-traitements2008-1-page-14.htmn, page consultée le 13 juillet 2016 47

Ibid.

48

MOREL-BROCHET, Annabelle (2008, novembre 4). « Un point sur l’habiter. Heidegger, et après…». Sur EspacesTemps.net, Livres (en ligne). URL : http://www.espacestemps.net/articles/un-point-sur-habiterheidegger-et-apres/, page consultée le 1 juillet 2016.

28


Qu’est ce qui influence cette prise de position de la part du citadin résident vis-à-vis de son lieu de vie ? Cette intention traduirait-elle l’envie de se distinguer ? Y a-t-il une volonté de marquer son identité pour communiquer avec autrui? L’idée n’est pas mauvaise et a été développée par l’anthropologue américain Edward T. Hall ; la diversité comportementale n’est pas hostile à la prospérité sociétale. En effet, la façon d’occuper l’espace en présence d’autrui est un des marqueurs identitaires. Pour exemple, notre proximité spatiale est différente selon notre culture. Ce sont donc nos habitudes cultuelles qui nous font prendre différentes places spatiales49. Cependant on s’aperçoit qu’un déséquilibre apparait lorsqu’une scission s’opère entre ces divers statuts sociaux ; ils ont tendance à se « sectoriser » en divers zonages dont l’identité est propre à chacun.

Indifférence et précarité : capacité d’ « habiter » ou d’ « inhabiter » un lieu L’homme a toujours eu besoin de s’abriter, de se protéger, et de s’approprier des espaces, nous dit Nadège Leroux, architecte de profession. Dans son ouvrage « Qu’est-ce qu’habiter ? »50, l’auteur alerte le lecteur sur les enjeux de l’habiter pour la réinsertion.

Michel Agier dans son travail soulève une question très préoccupante qu’est habiter la précarité, matérielle ou sociale soit-elle. Annabelle Morel-brochet51 en prenant l’exemple du sans domicile (fixe), du citadin « immigré » (nommé réfugié selon le contexte socio-politique), etc… soulève un fait où l’on se retrouve face à une situation de solitude, où l’autre est son propre soi. La question du comment « habiter », quand les conditions matérielles de dignité et de sécurité sont volontairement absentes pour éviter la « pleine habitation », doit indéniablement être soulevé. Les enjeux de l’habitat sont d’autant plus importants pour le citadin inhabiter (SDF) : acquérir un logement, c’est récupérer une vie normée et « normale » (c’est-à-dire être réinséré dans la société), c’est également retrouver « la place du corps », et c’est bien sûr « investir un lieu et le faire sien » 52 après de longues périodes passées dans des lieux impersonnels nous dit Leroux.

Thierry Paquot soulève également ce constat et pointe du doigt également l’indifférence d’un bon nombre d’habitants lorsqu’ils rencontrent un « citadin inhabiter », décrit comme sans domicile fixe dans son ouvrage « Habitat, habitation, habiter » : « La manifestation d’une extrême pauvreté programmée est précisément l’absence de point de chute où loger », Pour beaucoup de peuples le “sans domicile fixe” apparaîtrait comme une anomalie, une aberration.

49

DESWARTES, Elisabeth (2015-2016). « La proxémie ». Sur Psychologie-Sociale. URL : http://www.psychologiesociale.com/index.php?option=com_content&task=view&id=141&Itemid=44, page consultée le 1 juillet 2016. 50

LEROUX, Nadège (2008, janvier). « Qu'est-ce qu'habiter ? Les enjeux de l'habiter pour la réinsertion ». Dans VST - Vie sociale et traitements (n° 97), p. 14-25 (en ligne). URL: www.cairn.info/revue-vie-sociale-et-traitements2008-1-page-14.htmn, page consultée le 13 juillet 2016 51

MOREL-BROCHET, Annabelle (2008, novembre 4). « Un point sur l’habiter. Heidegger, et après…». Sur EspacesTemps.net, Livres (en ligne). URL : http://www.espacestemps.net/articles/un-point-sur-habiterheidegger-et-apres/, page consultée le 1 juillet 2016. 52

LEROUX, Nadège (2008, janvier). « Qu'est-ce qu'habiter ? Les enjeux de l'habiter pour la réinsertion ». Dans VST - Vie sociale et traitements (n° 97), p. 14-25 (en ligne). URL: www.cairn.info/revue-vie-sociale-et-traitements2008-1-page-14.htmn, page consultée le 13 juillet 2016

29


Thierry Paquot interpelle l’homo urbanus sur le comportement qu’il adopte en regard d’un citadin sans abri : « Comment, en effet, penser le dénuement total ? L’absence de halte, l’impossibilité d’effectuer une pause ? Nombreuses sont les sociétés, de par le monde et dans le passé, qui se dotaient d’un système d’entraide et ne pouvaient tolérer de laisser ne serait-ce qu’un pauvre hère à la porte de la ville, au seuil d’une maison, dehors, à l’extérieur de ce qui fait la “société”, justement. »53

Morel-Brochet constate qu’un « douloureux paradoxe de l’habiter humain » est réaffirmé et poursuit sa réflexion en tissant la situation où « temps et nécessité anthropologique » poussent le citadin immigré, projeté dans les pires conditions, à habiter l’espace dont il fait présence, le contraint à « faire avec l’espace, même inhabitable ». En citant Michel Agier, l’auteur éclairci la situation de ce processus de habiter : « Là, les réfugiés se transforment, après deux ou trois années, en habitants ; puis ils deviennent les citadins d’une ville nue »54, où l’image sociale projetée n’est plus celle d’un tissu accueillant, d’un habitat prospère.

« Habiter avec ou sans domicile » L’habitation n’existe pas si la présence d’espaces privés n’est pas. Ce territoire privé, bien souvent de recueillement, protège des regards indiscrets, constate Nadège Leroux. Dans bien des cas, un phénomène d’appropriation de l’espace fait apparaitre la personnalité de chaque occupant, à travers les objets et usages qu’il estime sien ; se dessine alors dans l’habitation un portrait ressemblant à son « être ». « L’ordre et le désordre, le visible et l’invisible, l’harmonie et les discordances, l’austérité ou l’élégance, le soin ou la négligence, le règne de la convention ou les touches d’exotisme, etc. »55

Un espace privé est « l’espace du corps et de l’intimité ». Leroux questionne le lecteur sur les notions de distance ou de proximité que l’homo urbanus entretient avec le monde social. « Comment traiter ces espaces de l’entre-deux, la pénétration des regards dans l’intime et le familier ? » Toutes ces questions soulevées par l’auteur ont intéressé et nourrit la réflexion de l’architecte et urbaniste Nicolas Soulier. Ces notions sur l’entre-deux l’ont amené à développer la notion de « Frontage » dans la sphère urbaine. Ce « concept » traduit l’idée de lisière entre deux « masses » ou espaces vécus. Nous aborderons ces notions dans une seconde partie (« la ville jardin »).

Une tendance à habiter un lieu apparait dès lors qu’une personne, pendant une certaine durée, répètent les gestes du quotidien. « En fonction de son état physique et psychique, de ses moyens ou de son statut social, des périodes de sa vie et de son quotidien, on habite successivement un lit, une chambre, un appartement ou une maison, un immeuble, une rue, un quartier, une ville, un pays ».

53

PAQUOT, Thierry (2005, mars). « Habitat, habitation, habiter. Ce que parler veut dire...». Sur Informations sociales (n°123), p. 48-54 (en ligne). URL: www.cairn.info/revue-informations-sociales-2005-3-page-48.htm, page consultée le 4 juillet 2016. 54

Ibid.

55

LEROUX, Nadège (2008, janvier). « Qu'est-ce qu'habiter ? Les enjeux de l'habiter pour la réinsertion ». Dans VST - Vie sociale et traitements (n° 97), p. 14-25 (en ligne). URL: www.cairn.info/revue-vie-sociale-et-traitements2008-1-page-14.htmn, page consultée le 13 juillet 2016

30


Deux manifestations de l’habiter se distingue, celle de « l’homme ordinaire » (avec domicile, et celle de « l’homme exclu » (sans domicile). Dans les deux situations, « la recherche d’un chez-soi est essentielle et continue ». (LEROUX, Nadège, op.cit.) Leroux définit l’homme ordinaire comme l’occupant d’un espace défini, qu’il aménage en une unité spatiale lui appartenant et qui participe à son développement identitaire. L’habitation, en d’autre terme, devient le refuge de « la vie privée, de son intimité, mais aussi de sa représentation.

Le processus d’ « habiter », nous dit N. Leroux, diverge selon différents parcours, degrés d’intimité, différentes enveloppes auxquels l’homo urbanus se retrouve immergé. Habiter la ville, c’est la vivre avec autrui, en partager les expériences. La sphère publique doit être investie par le citadin, elle est le symbole de la sociabilité. La notion de dépassement que provoque l’ « habiter » vis-à-vis de l’action de loger, pousse l’occupant à investir, à habiter au-delà de sa demeure. L’homo urbanus, dans ce sens, s’approprie également le quartier « familier », qu’il définit par les lieux de repli et trajets répétés. Le quartier apparait comme un maillon permettant de maintenir la relation d' « habiter » qu’entretiennent le lieu d’habitation et la ville. De la même façon que le jardin agit sur l’habitat, en prolongeant son univers intime, le quartier devient un « accroissement de l’habitacle » 56, il est le lieu de la discussion.

Les rapports de mitoyenneté sont constamment stimulés par divers phénomènes urbains : « rapports de voisinage, trajets quotidiens, rapports avec les commerçants ». Autant d’éléments qui font que l’homo urbanus se repère dans le tissu urbain, en développant ses marques. La pratique de l’espace public, donnant sens à la connaissance des lieux, donne le sentiment d’être sur son propre territoire, même s’il est partagé, énonce N. Leroux. Il permet au citadin de faire corps avec son environnement social, et d’en vérifier son insertion. « Habiter un lieu, c’est exister et prendre place dans la société, c’est pratiquer les usages communs du quotidien qui sont directement liés à l’habitat : manger et se faire la cuisine, recevoir, se divertir et se détendre, travailler, dormir dignement en étant protégé, prendre soin de soi, avoir une intimité, etc. » (LEROUX, Nadège, op.cit.)

L’homme exclu, ou « citadin inhabiter » comme nous avons pu le définir en amont, se trouve dans une condition de personne sans abri. Cette situation pénible, pousse la personne à relever l’épreuve d’« habiter » dans l’espace public, ou dans les lieux du système « assistanciel », comme précise N. Leroux. La rue, de par sa grande lisibilité, impose à l’occupant un mode de vie tout à fait différent de celui de l’ « homme ordinaire ».

56

Ibid.

31


Fig. 7 croquis personnel, « le citadin inhabiter »

Dans cette situation, il s’agit « d’habiter sans aucune limite ni repère, sans aucune intimité, alors soumis à l’errance et à la mobilité afin de satisfaire les besoins du quotidien » (LEROUX, Nadège, op.cit.). Ce mode de vie pousse le « citadin inhabiter » à devoir parcourir, une grande partie du tissu urbain, afin de satisfaire au mieux ses besoins élémentaires du quotidien (manger, se divertir, dormir, travailler, se protéger). Son habitat devient polymorphique et impersonnel, il loge temporairement une chambre d’accueil, occupe une installation précaire, mais le plus souvent, son habitation se résume « aux effets personnels (porter sa maison sur son dos) ou au corps ». Il n’y a pas de limites successives, de « filtre urbain », si nous pouvons employer ce terme. La personne est à tout moment « identifiable dans le rôle du « sdf » aux yeux des habitants du quartier ».

Cette forme d’habiter déstructurée inhibe les relations sociales (sentiment souvent bercé entre honte et rejet) et freine toute stabilité ou construction personnelle ; Nadège Leroux nous en brosse le portrait : « - adosser son installation à un mur (première protection) ; - dormir sur ses affaires (principe du coffre-lit) pour les sécuriser ; - utiliser ses affaires comme mobilier structurant l’espace (signifiant un espace de « propriété ») ; - utiliser une enveloppe qui freine tous les regards indiscrets : tente/abri de fortune/squat : avec cette protection, la personne n’a plus besoin de rechercher d’autres éléments protecteurs (murs, etc.)» 57

Sans filtres successifs, ou espaces de transition, entre le public et le privé, l’intimité ne peut guère s’exprimer : « l’individu peut difficilement prendre soin de lui-même, il ne s’accepte pas, et il ne peut donc pas se construire ». L’espace intime s’exprime pleinement, à la condition d’avoir un territoire exclusivement personnel où l’on peut se dérober du regard des autres.

57

Ibid.

32


L’habitation ou le logement permet se décrochement de l’espace public, il protège de la rue. S’écarter la rue et de la misère lui étant parfois associée, en habitant un logement, privilégie le réseau familial. En citant Gaston Bachelard, Nadège Leroux précise à ce sujet : « Ce sentiment qui lie la maison au refuge familial, en analogie au nid ou à la coquille (Gaston Bachelard), relie entre eux les membres de l’unité domestique et les sépare du reste de la collectivité, l’habitation se développe dans un climat affectif qu’il faut protéger contre toute intrusion »58.

Sachant que « vivre », c’est se développer librement, la notion de choix intervient spontanément. Nadège Leroux considère qu’ « habiter sa propre demeure, c’est aussi avoir le choix ». Celui d’aller « en dehors » ou « à l’intérieure », de « s’isoler ou d’être en collectivité », de « se laisser aller à ses humeurs ou non », sans devoir dépendre des normes sociétales. Malheureusement, ce choix, les « citadins inhabiter » ne l’ont pas : « tout n’est qu’obligations, contraintes ou encore interdictions. Vivre à la rue, c’est vivre sans refuge, sans repère, sans intimité, et sans aucun choix de vie »59.

Nous l’avons vu, la cohabitation stimule la construction de la civilité, plus ou moins facilitée selon le statut social de l’homo urbanus. Cependant, elle peut apparaitre comme une véritable épreuve pour le « citadin inhabiter », qui se doit de respecter des « règles irréfutables de bonne entente ». Dans des conditions urbanistiques parfois précaires, quelles sont ses relations de voisinages ? Sont-elles un choix ou une obligation ? On se rend bien compte dans cette condition qu’un effort conséquent doit être apporté dans nos villes sur la « négociation entre le public et le prive »60 afin de développer d’éventuelles potentialités d’espaces partagés accueillant.

Le refuge urbain, le travail de Luc Schuiten La mise en œuvre de ces espaces de convivialité pourrait être momentanément habitée par tous les habitants-résidents, devenant alors le prolongement de la demeure. Des réflexions sur « habiter la ville », des projets d’architecture ont été menés par Luc Schuiten, où est proposé sur des lieux, publics ou privés, que l’on peut caractériser de « délaissé urbain » un aménagement rationnel, riche en fonctions et dont l’éthique est exemplaire. Afin d’introduire sa réflexion, Luc Schuiten n’hésite pas à nous faire une petite piqure de rappel. « Le droit au logement est inscrit dans la déclaration universelle des droits de l’homme, dans la charte sociale européenne et dans le pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, la constitution belge (art 23). « Les États parties au présent Pacte reconnaissent le droit de toute personne à un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille, y compris une nourriture, un vêtement et un logement suffisants ainsi qu’à une amélioration constante de ses conditions d’existence»61 58

BACHELARD, Gaston, cité par : LEROUX, Nadège (2008, janvier). « Qu'est-ce qu'habiter ? Les enjeux de l'habiter pour la réinsertion ». Dans VST - Vie sociale et traitements (n° 97), p. 14-25 (en ligne). URL: www.cairn.info/revuevie-sociale-et-traitements-2008-1-page-14.htmn, page consultée le 13 juillet 2016 59

LEROUX, Nadège (2008, janvier). « Qu'est-ce qu'habiter ? Les enjeux de l'habiter pour la réinsertion ». Dans VST - Vie sociale et traitements (n° 97), p. 14-25 (en ligne). URL: www.cairn.info/revue-vie-sociale-et-traitements2008-1-page-14.htmn, page consultée le 13 juillet 2016 60

Ibid.

61

SCHUITEN, Luc (2014, septembre 30). « Archi human, projet de construction de logements intégrés dans l’environnement urbain pour les sans-abri ». Sur Végétalcity (en ligne). URL : http://www.vegetalcity.net/topics/refuges-de-diogene-luc-schuiten-tedx-liege/

33


En réalité, la situation du citadin « sans abri » est encore loin de ces belles déclarations. Loin d’être une priorité pour les décideurs locaux, c’est une réalité plus dure qui affecte les plus démunis des homo urbanus, ne pouvant répondre à leur besoins fondamentaux.

L’Asbl ARCHI HUMAN, à laquelle participe activement L. Schuiten, dirige ses recherches sur d’éventuelles architectures qui permettraient de fournir aux sans-abri de nos villes « un refuge digne et respectable, bien intégré dans le milieu urbain et de grande qualité environnementale et architecturale ». (SCHUITEN, Luc, op. cit.) Conscient de la réelle nécessité de se concerter avec l’habitant ou l’usager, lorsqu’un quelconque projet urbain doit s’installer, l’association s’efforce de réaliser ces objectifs en collaboration avec « la société civile, le monde associatif, le monde des entreprises et les pouvoirs publics ». (SCHUITEN, Luc, op. cit.)

Fig. 8 croquis SCHUITEN Luc | Archi human, projet de construction de logements pour les sans-abri

« Les espaces intermédiaires rassemblent et distinguent, accompagnent et accueillent les transformations au sein des dynamiques ». (LEROUX, Nadège, op.cit.)

Investir ces espaces d’entre-deux, pouvant être comparé au phénomène de « lisière » (espaces riches en interactions), en développant le sens de la collectivité pourrait susciter l’implication citoyenne dans la régulation des espaces de vie, « extra muros à l’habitation », afin de s’y identifier plus spontanément. 34


C.

Habiter et Mobilité : une conjonction de la structure urbaine

Les comportements urbanistiques agissant sans retenue sur le tissu urbain s’affirmèrent dans le premier quart du 20ème siècle, une dimension relativement nouvelle de l’habiter modifie l’attitude de l’ « homo urbanus ». La condition habitante devient dictée par ce nouveau mouvement de vitesse lié à la mobilité grandissante ; sous toute ses formes : aérienne (aviation récréative) et terrestre (réseaux ferroviaire et routier), la ville transforme de manière grandissante son tissu urbain de façon « programmable ». Ses champs d’actions : « la rue, la rame de métro, le lotissement, le camp, le quartier, la ville, la Terre » (MOREL-BROCHET, Annabelle, op. cit.) deviennent autant de lieux d’observation et d’espaces d’échanges propices à d’éventuels partages culturels.

Fig. 9 Highway 86 - Expo 86 - History of 20th Century Transportation Processional Plaza - Vancouver, Canada - 1986

C’est parmi les géographes que les efforts de construction d’une structure théorique invitant à penser l’ « habiter » semblent les plus prononcés. Annabelle Morel-Brochet énonce le travail de Mathis Stock et Michel Lussault, invitant ainsi à « reconsidérer l’angle à partir duquel on pense généralement l’habiter » - à savoir « la façon dont les individus sont dans l’espace » - et à engager une conceptualisation pragmatique posant le problème du « faire avec de l’espace », afin de parvenir à mieux intégrer le problème majeur de la distance, « problème renouvelé par deux traits culturels majeurs de l’habiter contemporain : la mobilité et la co-spatialité » (MOREL-BROCHET, Annabelle, op. cit.). Les géographes M. Stock et M. Lussault envisagent l’espace comme « une condition et une ressource de l’action » pour reprendre leurs termes.

35


Ces phénomènes urbanistiques, censés être des lieux de voyage et de halte, présentent des situations parfois disparates, où les équipements et les « modes d’habitats réticulaires », dessinent comme un maillage urbain composé de « réseaux mobilitaires », réunissant divers espaces communautaires ou privatifs disjoints. Morel-Brochet interroge le lecteur sur des questions liées à l’altérité et l’éloignement de ces différents espaces d’ «Habitat » qui devraient être envisagés comme des moteurs et non seulement vus comme un phénomène négatif d’étalement urbain.

Cependant, l’ordonnance du réseau de mobilité et son intrusion dans les valeurs sociétales transfigurent dans les dispositifs spatiaux, dans le quotidien de l’habitant, comme dans les imaginaires (création visuelle) commente Annabelle Morel-Brochet. Ce processus de déplacement programmé chamboule les mécanismes et repères de l’habiter des sociétés historiquement sédentaires, poursuit Morel-Brochet ; bien que « l’attirance à la découverte, à la curiosité ou les impératifs de la vie économique et sociale » aient toujours conduit l’homme au voyage physique dans l’espace conclut-elle.

Dans un contexte, où la vitesse structure l’ « Habitat », cette manifestation fragilise le processus d’épanouissement de l’homo urbanus dans sa recherche d’ «Habiter » une ville accueillante et parcourable en toute sérénité. C’est le défi que l’auteur énonce, où : « parvenir à penser cette dualité fondamentale de l’habiter dont parlait entre autres Georges-Hubert de Radkowski 62»63 provoquerait dans nos systèmes et mécanismes de développement urbanistique un paysage de ville spontanée, composé d’« habitat-habiter », où les déplacements et haltes deviendraient des moments et instants de bien-être, de partage, d’éveil collectif.

62

Georges-Hubert de Radkowski, est un philosophe, sociologue et anthropologue polonais (Anthropologie de l’habiter, 2002) 63

MOREL-BROCHET, Annabelle (2008, novembre 4). « Un point sur l’habiter. Heidegger, et après…». Sur EspacesTemps.net, Livres (en ligne). URL : http://www.espacestemps.net/articles/un-point-sur-habiterheidegger-et-apres/, page consultée le 1 juillet 2016.

36


D.

L’Habitat, un « nid » de partage et de recueillement

Comme nous avons pu le voir dans le paragraphe « Habiter, c’est bâtir l’Habitation. Un point sur Heidegger », il est intéressant de comparer cette philosophie de l’habiter avec celle développée par Emmanuel Lévinas (1906-1995), philosophe d’origine lituanienne naturalisé français en 1930, dans Totalité et infini ; « Le rôle privilégié de la maison, écrit-il, ne consiste pas à être la fin de l’activité humaine, mais à en être la condition et, dans ce sens, le commencement. »64

Cette idée traduit qu’une architecture d’habitat, en l’occurrence l’habitation est un objet en constante évolution, où notre activité y est également enrichie par diverses tâches auquel s’adonne l’homo urbanus. Il faut voir l’habitat comme un « nid » que l’on cultive, que l’on aménage ou ménage au fil du temps et que l’on s’approprie au fur et à mesure de son occupation ; Il n’est pas un espace figé, mais devient l’espace où l’homme commence à vivre, parfois même avec allégresse. C’est dans ce sens que l’habitat doit être « riche » et varié en divertissement.

Rompant avec l’idéologie fonctionnaliste, E. Lévinas précise : « La fonction originelle de la maison ne consiste pas à orienter l’être par l’architecture du bâtiment et à découvrir un lieu – mais […] à y ouvrir l’utopie où le « je » se recueille en demeurant chez soi »65. En d’autre terme, l’architecture ne doit pas dicter la « façon d’être » de l’habitant mais doit au contraire participer, épauler l’homo urbanus à l’élaboration de son développement personnel, naturel et spontané. Jean François Serre appuie ces propos en citant E. Levinas : la maison comme condition de l’activité humaine permet donc à l’homme de réaliser ses fins : « Parce que le moi existe en se recueillant, il se réfugie empiriquement dans la maison.» 66 C’est en çà qu’une maison que l’on a occupée pendant plusieurs années, voire plusieurs décennies, renvoie bien souvent à l’image de son occupant. « Etre » dans son habitat, c’est le personnaliser ; Prenons simplement l’exemple d’une quelconque consultation immobilière, où, lorsque s’organise la visite d’une habitation, bon nombre d’intéressés se projettent déjà dans l’habitat, alors qu’aucun contrat n’ait été encore signé ou validé. Cette capacité qu’a l’homme de se projeter dans l’espace et de développer ses propres images mentales est remarquable. Renforçant cette idée d’appropriation d’espace, en conservant cet exemple de consultation immobilière ; il est également difficile face à une situation où le logement à visiter est encore occupé par les locataires ou propriétaires, et encore généreusement aménagé et décoré de leurs expériences de vie, de se projeter dans cet habitat, où l’ « être » de l’autre est encore installé. A moins de partager des affinités avec certains éléments déjà mis en place, et là… on parlera de « coup de cœur ».

64

LEVINAS, Emmanuel, cité par : SERRE, Jean-François (2014, janvier 12). « XVII – LE PHILOSOPHE ET LA VILLE — 1) « Bâtir, habiter, penser » de Heidegger (1951) ». Sur Urbain serre, La ville à la croisée des chemins – Promenade dans la littérature de l'urbanité (en ligne). URL : http://urbainserre.blog.lemonde.fr/2014/01/12/xviixvi-le-philosophe-et-la-ville-1-batir-habiter-penser-de-heidegger-1951/, page consultée le 5 juillet 2016. 65

Ibid.

66

Ibid.

37


Si pour Heidegger, l’habiter en tant que « mode d’être », est un enracinement, pour Emmanuel Lévinas « la maison choisie est tout le contraire d’une racine. Elle indique un dégagement, une errance qui l’a rendu possible […]. » Ainsi, pour M. Heidegger, « être homme veut dire : être sur terre comme mortel, c’est-à-dire : habiter » et c’est en ce sens qu’il peut être dit qu’on habite le monde ; pour le E. Levinas, au contraire, la demeure est « arrachement au monde, condition du recueillement ». L’habitation suppose « la séparation d’avec le monde » nous dit J.F Serre et, en tant que telle, elle est éventuellement ouverture au monde. « La séparation qui se concrétise à travers l’intimité de la demeure » doit être mise en rapport avec l’hospitalité, qui « en manifeste la féminité », nous dit encore l’auteur de Totalité et infini. L’éthique de Lévinas vient relayer l’ontologie de Heidegger : « La relation avec l’infini, demeure comme une autre possibilité de l’être recueilli dans sa demeure. La possibilité pour la maison de s’ouvrir à Autrui, est aussi essentielle à l’essence de la maison que les portes et les fenêtres closes. » (E. Levinas, Totalité et infini. Essai sur l’extériorité, p188)

« Habiter la ville récréative : L’enfant urbain » On a comme souvenir de la ville, un lieu ludique apparaissant comme un terrain d’aventure ; mais au fil du temps, nous nous apercevons que tout cet imaginaire collectif à tendance à s’estomper de plus en plus, jusqu’à faire de la ville, un territoire normalisé, ségréger, où on a l’impression que tout s’est spécialisé. En effet, chaque territoire à une finalité particulière, une fonction et finalement, l’enfant n’est plus « maitre de son royaume »67, il est cantonné devant un écran de télévision, installé dans une « aire de jeu », que Thierry Paquot appelle un « parking à enfant », avec tous les équipements de protection qui gravitent autour, délimitant sa sphère d’épanouissement.

Thierry Paquot pense que « l’enfance n’est pas un moment de notre existence mais c’est un pays », l’idée est antérieurement développée par Gaston Bachelard (1884-1962), philosophe français des sciences et de la poésie, appuie-t-il dans sa discussion. L’ « enfance » est un paysage, notre pays natal. Par conséquence, ce pays natal est « celui dont on aura toujours la nostalgie » ; l’idée qui se traduit derrière, est celle de réfléchir à ce qu’est l’enfance, comprendre « ce qu’était son enfance, par rapport à celle des autres ». Son intérêt s’est donc porté sur ce personnage, qui est l’enfant.

Le philosophe insiste sur le fait que l’enfant doit bénéficier de droits, il mentionne d’ailleurs la déclaration du « droit des enfants » publiée en 1989 (précédée à plusieurs reprises par des déclarations antérieures, société des nations en 1924 et déclaration en 1959-89). On observe donc une sorte de préoccupation de ce « petit humain » qui est l’enfant, et qui a des droits ; Thierry Paquot cite également un article stipulant : « qu’on ne peut rien faire qui concerne un enfant sans le consulter »68 pour étayer son argumentation. Et là !... Il s’aperçoit que tous les adultes sont « hors la loi » ; aussi bien les élus que les architectes ou les urbanistes qui élaborent des écoles ou autres équipements pédagogiques pour enfants (« des crèches », « des aires de jeux », même des « chambres à coucher »), sans les consulter. On se retrouve donc en porte-à-faux par rapport à une législation internationale.

67

PAQUOT, Thierry (2016, janvier 26). « Enfant des villes et des territoires urbanisés ». Sur Avenue centrale, rendez-vous en sciences humaines (en ligne). URL : http://www.avenue-centrale.fr/Thierry_Paquot, page consultée le 5 juillet 2016. 68

Ibid.

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Dans nos pays, outre des évènements dramatiques survenant soudainement à l’enfant (enfant rescapé, « enfant soldat » ou bien enfant abandonné dans la rue, etc…), on ne se pose très peu la question du statut des enfants et de leur vraie place dans la ville. Qu’est-ce qu’habiter la ville pour un enfant ? Il est probable que ses préoccupations ne sont pas nôtres, c’est-à-dire, celles d’un adulte. De quoi a besoin l’enfant urbain pour s’épanouir?

Thierry Paquot s’attarde sur l’étymologie du mot enfant, pour en déceler d’éventuelles informations permettant une meilleure compréhension de cet individu, cet « être » (plus que) vivant. Il s’aperçoit qu’ « enfant » nous vient du latin « infans » qui désigne celui « qui ne parle pas », lui-même issu du verbe grec « fémi » celui « qui ne sait manifester sa pensée par la parole ». Le constat est clair, « s’il ne parle pas encore, l’enfant n’a pas le « droit à la parole », c’est donc normal qu’on ne le consulte pas », dit-il ironiquement pour caricaturer la « triste » situation de l’enfant urbain.

Un autre terme latin pour parler de l’enfance est « puer », qui a donné puéril, ce terme correspond à la situation de l’enfant jusqu’à sa septième année. Arrive ensuite le terme « adolescent » venant du latin, qui veut dire « grandir » et puis il y a le terme « éphèbe », terme grec, qui signifie « jeunesse ». On observe donc un panel de mots pour désigner ce qui précède l’âge « adulte ». C’est à travers ces grandes étapes, sous ces différents processus, que l’enfant se construit, acquiert l’intelligence, l’intelligibilité du monde, distinct d’un enfant à l’autre ; c’est du moins ce qu’expose les travaux du biologiste Suisse, Jean Piaget (1896-1980), que nous exprime Thierry Paquot dans sa discussion. Ce point est important à soulever afin d’organiser au mieux la vie de l’enfant, étant donné que visiblement, ce sont les adultes qui « dirigent » sa vie, sa « ville ». L’enfant en prenant « conscience et connaissance de son corps, prend connaissance du monde »69, et progressivement, il va « sortir de lui », moins se préoccuper de sa personne mais il va « aller vers l’autre », dans le « territoire de l’autre ». Il se retrouvera donc contraint à sortir de son habitat pour aller « en dehors » ; Thierry Paquot nous énonce divers espaces que l’enfant progressivement va occuper ; bien souvent le jardin, quand il y a, sera le premier contact avec un environnement extérieur, encore très attaché à sa sphère d’habitation ; ensuite l’enfant part étudier à l’école, puis se dépense au « centre aéré » ou « centre de loisirs », puis voyage en partant en « vacances », etc… Ces situations soigneusement choisies par Paquot inscrivent une « temporalité de l’enfance » dans des « territorialités particulières », nous dit-il. Thierry Paquot trouve donc très intéressant de suivre ces évolutions et processus d’apprentissages, afin de pointer du doigt tout processus allant dans le meilleur environnement possible pour l’enfant et au contraire, ce qui contrarie ses propres évolutions.

69

PAQUOT, Thierry (2016, janvier 26). « Enfant des villes et des territoires urbanisés ». Sur Avenue centrale, rendez-vous en sciences humaines (en ligne). URL : http://www.avenue-centrale.fr/Thierry_Paquot, page consultée le 5 juillet 2016.

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Divers théoriciens et pédagogues ce sont attelés dans leur travail à mettre en avant, « comme seule discipline, constitutive d’un éventuel enseignement éducationnel des enfants, le jeu »70. Un des auteurs privilégiés de Paquot, Patrick Geddes71 (1854-1932) fait partie de ces théoriciens qui ont très bien interprété ce qu’était ce personnage de l’ « enfant » et qui et se sont mis à leur service.

« C’est par le jeu que l’enfant grandi » (PAQUOT, Thierry, Ibid.)

« Fini de jouer ! Tu étudieras après. », L’idée est là ! nous fait comprendre Paquot, qui a eu l’idée et a voulu, en vain, proposer de taguer ce slogan dans la ville de Dunkerque. « Il faut d’abord jouer », recommande le philosophe, « puis lorsque l’on a terminé de jouer, si jamais on y arrive, alors là on se met à étudier ; mais en fait c’est la même chose»72. De cette pédagogie, Paquot distingue les éducateurs « officiels » des éducateurs « alternatifs ». La nuance ici est importante puisqu’elle distingue deux philosophies partagées entre un enseignement institutionnel, soumis à des règles et des conventions, et un enseignement plus intuitif, plus souple, laissant s’exprimer plus spontanément l’enfant. Avec le « jeu », non seulement « on se distrait », « on apprend », mais surtout on « expérimente » et on « éprouve » ; là, sont les deux « mots magiques » de la pédagogie de John Dewey (1859-1952), un psychologue et philosophe américain, explique Paquot, en rajoutant : « C’est par l’épreuve de quelque chose, qu’on grandit en soi-même ».

On en revient au fait, où, si la ville est « orthogonale, géométrique, imposée, canalisée » et bien , il est vraisemblable que l’enfant fera très peu d’expérience, va très peu découvrir cette ville et par conséquent, son corps. Par ses mouvements inopinés, ses morphologies polyvalentes, ses atmosphères chaleureuses ou austères, la ville devient pour l’enfant l’école du « corps et de l’esprit », elle l’interpelle, le bouscule, le surprend tout au long de son parcours, l’initiant subtilement aux comportements qu’il adoptera face à des phénomènes urbains auquels il est possible qu’il soit confronté. Thierry Paquot s’intéresse alors à l’espace d’expression qui leur est attribué, les « aires73 de jeux ». Expression qui le dérange, car il les assimile et les compare aux « aires de parking » ou aux « aires de repos sur les autoroutes ». L’« Aire de jeu » semble présenter une structure « à part » dans la ville disposée en un lieu quelconque et ordonnée par classe d’âge, lorsqu’il s’agit d’un édifice scolaire.

70

Ibid.

71

Sir GEDDES, Patrick est un biologiste et sociologue britannique, connu aussi comme un précurseur dans de nombreux domaines, notamment l’éducation, l’économie, l’urbanisme, la géographie, la muséographie et surtout l’écologie 72

PAQUOT, Thierry (2016, janvier 26). « Enfant des villes et des territoires urbanisés ». Sur Avenue centrale, rendez-vous en sciences humaines (en ligne). URL : http://www.avenue-centrale.fr/Thierry_Paquot, page consultée le 5 juillet 2016. 73

La notion d’ « aire », du latin area ; renvoi à un espace, un lieu où se déroule une chose ou un phénomène.

40


Le philosophe remarque que cette disposition entreprise par les enseignants allait à l’encontre des pédagogies nouvelles de P. Geddes par exemple. Thierry Paquot note : « on a une classe hétérogène ! On a une classe dans laquelle il y a des enfants de six ans jusqu’à quinze ans ; le petit mime, le grand se responsabilise vis-à-vis du plus jeune »74.

On a ici une situation où cette classe composite est « à l’image de notre société », c’est-à-dire qu’elle est dans la diversité et permet donc à chacun de se positionner, de se situer. L’être humain est situationnel, relationnel mais aussi sensoriel ne l’oublions pas ; donc l’enfant, par le jeu va éprouver ses six sens, nous en connaissons cinq, mais le sixième, que les sciences neurophysiologiques nous décrivent, est « le mouvement », il est l’élément interférant sans cesse dans chacun de nos cinq sens ; ce qui fait que nous ne pouvons pas traiter nos sens un par un. Cependant, T. Paquot a eu l’occasion de rencontrer des situations où les professeurs « officiels » enseignaient différentes thématiques de façon très distinguées. Les sens agissaient de façon indépendante, aucun lien entre ces sensations n’était recherché dans ces exercices ; il explique la situation professorale qu’il a rencontrée : « Là on va faire un exercice que pour la vue, plus tard, quand vous serez plus grand, vous ferez un exercice pour le tact, puis plus tard pour le goût, ainsi de suite». « J’ai vu ce tableau, qui m’a touché », montre bien l’interrelation de nos sens, toujours aux aguets, s’enrichissant mutuellement ; « voir c’est toucher, entendre c’est s’approcher, ressentir, écouter …»75 Ce qui fait que notre approche sensorielle et une approche permanente et qui joue avec notre chronobiologie76 venant rythmer notre capacité à ressentir quelque chose.

Thierry Paquot nous donne l’exemple de Hubert Montagner, qui a découvert que les enfants, de un an à sept ans, ont deux moments un de latence, « où ils ne sont pas au top de leur capacité d’attention », […] « c’est 8h30, 9h et 13h30, 14h… voyez à qu’elle heure commence l’école… » Ironise T. Paquot. Les horaires sont dictés par les adultes, par « l’entrée à l’usine, au bureau, dans les boutiques, à l’école … » on voit bien que si l’on voulait être attentif à la chronobiologie des enfants il nous faudrait évidemment en modifier les horaires.

« Le loisir chez nous, c’est quelque chose qu’on nous octroie, qu’on nous accorde, pas quelque chose qui prime avant même qu’on se mette à travailler».77 (PAQUOT, Thierry)

74

PAQUOT, Thierry (2016, janvier 26). « Enfant des villes et des territoires urbanisés ». Sur Avenue centrale, rendez-vous en sciences humaines (en ligne). URL : http://www.avenue-centrale.fr/Thierry_Paquot, page consultée le 5 juillet 2016. 75

Ibid.

76

La chronobiologie étudie les phénomènes temporels internes déterminés génétiquement aussi bien que les phénomènes externes (cycles quotidiens, saisonniers, etc.) et leur influence sur les différents organismes vivants. 77

PAQUOT, Thierry (2016, janvier 26). « Enfant des villes et des territoires urbanisés ». Sur Avenue centrale, rendez-vous en sciences humaines (en ligne). URL : http://www.avenue-centrale.fr/Thierry_Paquot, page consultée le 5 juillet 2016.

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Dans les aires de jeux, très « normalisées et normalisatrices », on ne va pas essayer d’égayer ses six sens. Ces aires sont mal entretenues, pourvues d’un « mobilier standard », voir « mobilier débilitant », on se retrouve face à un phénomène où il y a un appauvrissement de l’imaginaire des enfants. Ces aires de jeux, que l’on ne retrouve pas forcément dans d’autre pays sont nommés plus tôt « terrain d’aventure », ou « playground » en anglais. Précurseur sont les allemands, vers 1830, lorsque des parents, des éducateurs et autres, décident un terrain d’aventure.

Le terrain d’aventure est un terrain vague, « un grand terrain au milieu de la ville ou dans la ville » (PAQUOT, Thierry, Ibid.). On y retrouve des arbres, un étang, il y a des stères de bois et puis les enfants jouent, où ils y construisent des cabanes ou se font un barrage dans la petite rivière. Dans un tel contexte, les enfants inventent finalement quelque chose en permanence. Le plus intéressant ici, c’est le contact naturel et spontané qui s’opère directement entre l’enfant et son environnement, « ils prennent la terre, la mélange, et en font un gâteau ! Et ils demandent de venir goûter... Et là tout d’un coup on voit un monde qui se crée, un imaginaire qui fonctionne » (PAQUOT, Thierry, Ibid.).

L’enfant en étant dans l’ « élémental » prend conscience de lui-même et l’enfant, par tous les jeux qu’il invente, accompli sa mission, qui est de fabriquer des mondes ; pour Thierry Paquot, l’enfant est un « faiseur de monde ». Un enfant vient au monde, pour mettre ce monde dans le monde des adultes. Ce faiseur de monde a besoin d’une incroyable attitude de créativité. Ce qui est important, c’est que dans ce terrain d’aventure, les quatre éléments constitutifs de notre culture occidentale – il y en a cinq en orient - soient présents : « la terre, l’air, l’eau et le feu ». Et donc, ces quatre éléments sont constitutifs du « playground », ainsi T. Paquot ose appeler « terrain d’aventure » l’école « élémentale » et pas « élémentaire ». Pour Thierry Paquot, l’enfant, en étant dans l’élémental, prend conscience de lui-même par tous les jeux qu’ils invente. L’enfant est un faiseur de monde, il est un « chercheur d’hors », car il recherche « en dehors de lui », en dehors des autres, en dehors de l’école, en dehors de la ville ; il est toujours « entrain de », « en cours de », ce que T. Paquot trouve remarquable. Malencontreusement, cette philosophie est largement contrariée par le monde des adultes qui préfère « un emploi du temps » ; ce système est voué à l’échec, car une « activité réclame le temps dont elle a besoin » (PAQUOT, Thierry, Ibid.). Il ne faudrait pas croire que trop de liberté, entendu par les tenants du conformisme, trop de laxisme, empêcherait les enfants de grandir en eux-mêmes, explique Thierry Paquot ; au contraire cette disponibilité du temps dans l’apprentissage permet à chacun d’être à son rythme.

La ville récréative, effectivement, n’existe pas ; mais on peut la rêver. C’est donc, une ville piétonne, une ville à petite vitesse pour le dire autrement. Où le temps peut être pris pour la déambuler paisiblement. Les villes, aujourd’hui, sont des villes rapides, Jan Gehl, architecte et urbaniste danois, travaille sur l’aménagement, ce que Paquot apelle, le ménagement de la voirie entre autres, des parvis, des places etc… Il décrit la ville à cent à l’heure, comme Dubaï, la ville de l’automobile et puis Venise correspondant à la ville à cinq à l’heure.

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Actuellement on sait que 75% des enfants, de l’école élémentaire vont à l’école en voiture, « pour des distances allant de 300m à 2km »78. En 1904, dans son roman qui s’appelle « la maternelle », Léon FRAPIÉ, décrit des enfants qui vont de chez eux à l’école maternelle à pied, à l’âge de trois ou quatre ans ; « imaginez çà à l’époque actuelle, il en serait hors de question ». Nous nous retrouvons dans une situation où l’entrée de l’école doit être généreuse, accueillante, afin que l’enfant puisse s’y rendre en toute sérénité. L’entrée doit être pourvue d’un parvis « ménagé » et équipé. On supprime les éventuels aménagements exigus, fermés par une barrière métallique, installés pour ne surtout pas gêner les voitures.

« Tous les enfants sortent de l’école, en une flopée désordonnée, s’égosille et là tout d’un coup, ils buttent contre ce « pot-laid » », c’est normal ! Alors, supprimons ces barrières, créons un parvis, une énorme place, avec un autre revêtement de sol, un dessin d’enfant pourquoi pas, avec diverses couleurs, pour dire « attention là, il faut faire attention ! Y’a des faiseurs de monde qui arrivent ». (PAQUOT, Thierry, Ibid.)

« Rendre un lieu habitable » Une série d’équipements et aménagements urbains permettrait de rendre un lieu habitable. La mise en œuvre d’un mobilier urbain agréable, d’ « un Abribus confortable », d’une voirie chaleureuse privilégiant le piéton et le vélo, plutôt que l’automobile, « un éclairage rassurant, des façades variées, des boutiques en rez-de-chaussée, etc. » favorisent de façon prononcée « l’habitabilité d’un quartier ». 79

A l’échelle de l’habitation, une attention doit être apportée sur la morphologie du logis (espace aéré et modulable) et doit tenir compte de la cohérence des équipements installés. « Un logement traversant, des fenêtres bien disposées, des radiateurs discrets, un chauffe-eau qui ne trône pas au milieu d’un mur, des pièces facilement aménageables, des coins, des placards et des dépendances »80, voilà quelques pistes énoncées par Thierry Paquot, contribuant à améliorer incontestablement notre habitation. De la sorte, une habitation agréable est un habitat plaisant, distrayant, propice à l’éveil des sens, procurant ainsi une sensation de « réconfort », engendrant des atouts pour « habiter ». L’épanouissement de l’habitant, lui permettant de construire sa personnalité, son ouverture à autrui ou au contexte qui l’environne, se déploie immanquablement. Celui-ci laisse une marque dans la « sphère de l’habitat » devenant sienne, qui lui est propre, participant ainsi au métissage des mentalités urbaines.

78

Ibid.

79

PAQUOT, Thierry (2005, mars). « Habitat, habitation, habiter. Ce que parler veut dire...». Sur Informations sociales (n°123), p. 48-54 (en ligne). URL: www.cairn.info/revue-informations-sociales-2005-3-page-48.htm, page consultée le 4 juillet 2016. 80

Ibid.

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Le monde dans lequel ont voulu nous projeter les 19ème et 20ème siècles est autocentré sur des processus physiques, de programmation, modifiant agressivement, « par assauts répétés », la nature à l’aide de procédés techniques drastiques, indifférents à un quelconque aménagement urbain spontané. Ces propos sont appuyés par Annabelle Morel-Brochet, lorsqu’elle cite l’ouvrage collaboratif, « Habiter, le propre de l’humain », et évoque le travail du philosophe Chris Younès faisant écho à la réflexion de Maria Villela-Petit (chercheur émérite au CNRS), portant sur « le basculement conjoint du statut cosmologique de la Terre et de notre conception de la nature ». Elle nous invite à prendre conscience que nous n’avons pas encore rompu avec la voie ouverte par le rationalisme des Lumières, qui a fait « perdre à la Terre sa qualité d’habitat matriciel de ces vivantsmortels que nous sommes », la réduisant ainsi au « rang de simple planète »81.

Ainsi est oubliée la place qu’occupent l’humain et ces habitus « naturels » au sein de cet habitat devenu générique (terme qui représente bien, la monotonie de certain processus d’urbanisation encore préconisé à l’heure actuelle), comme le lotissement à tendance expansive, les quartiers de grands ensembles, etc… rendant rigide toute action voulant être entreprise sur son habitat. Plus grave, cette incapacité à moduler un espace « habitable », devenu par conséquent rigide, ne convient pas au plus grand nombre. Nous observons de façon récurrente que des conflits d’intérêts peuvent très vite être soulevés sur ces espaces à « loger » et déstabiliser tout processus d’ « osmose urbaine ».

« Ce sont les humains qui, en dernière instance, façonnent le monde commun et le monde de chacun. » Cette interdépendance conduit parfois à la guerre, à l’extermination et plus souvent – mais à quel prix ? – à la cohabitation dans l’indifférence réciproque. »82 (PAQUOT, Thierry)

Face à cette situation, le monde est inhabité, devient « orphelin de l’humanité de l’humain ». Remarquable soit-il, l’habitant ne se lamente pas pour autant et admet un logement décent, un « habitat comme il faut » et une « impossibilité totale d’ « habiter » ».

« Une telle situation se banalise, dans les enclaves résidentielles, comme dans les grands ensembles à la dérive et révèle à quel point l’urbanité ne correspond aucunement à des règles, des codes, des procédures relationnelles, mais à la vérité de la relation elle-même. ? »

(PAQUOT, Thierry, Ibid.)

81

MOREL-BROCHET, Annabelle (2008, novembre 4). « Un point sur l’habiter. Heidegger, et après…». Sur EspacesTemps.net, Livres (en ligne). URL : http://www.espacestemps.net/articles/un-point-sur-habiterheidegger-et-apres/, page consultée le 1 juillet 2016. 82

PAQUOT, Thierry cité par : MOREL-BROCHET, Annabelle (2008, novembre 4). « Un point sur l’habiter. Heidegger, et après…». Sur EspacesTemps.net, Livres (en ligne). URL : http://www.espacestemps.net/articles/unpoint-sur-habiter-heidegger-et-apres/, page consultée le 1 juillet 2016.

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« Habiter c’est participer : Une prise en main citoyenne » Entités, villes et communes sont confrontées à un monde en constante évolution, à de nouveaux enjeux. Adopter, de la part des élus, un changement de comportement est primordial dans l’élaboration d’une ville de demain plus saine, c’est de ces acteurs urbains que bien des projets durables dépendent. On voit actuellement apparaitre dans diverses villes et communes des pistes de réflexion, parfois même un début de réponse citoyenne où des projets sont menés à bien sur l’échelle d’une localité pour répondre et satisfaire des défis à échelle planétaire. De la « ville jardin » (notion développée tout au long de ce travail de fin d’étude) au « Jardin planétaire » de Gilles Clément, on voit clairement ici que ces échelles (support de l’habiter) nourrissent de plus en plus la réflexion de l’homo urbanus. En Belgique, comme en France83 des actions citoyennes se développent de plus en plus. C’est à l’aide de quelques exemples de mouvements initiateurs que cette partie se développera.

Les décideurs locaux Dans le cadre d’une réflexion prospective sur le devenir des villes et communes Wallonne de demain, une « journée de réflexion pour les décideurs locaux »84 s’est organisée à Namur, le 19 mai 2016. C’est sous la forme de conférences et discussions ouvertes que la thématique a été soulevée. Nous le savons les pratiques locales devront évoluer à l'avenir et, notamment, tenir davantage compte des citoyens. « Commencer par se mettre à l’écoute des citoyens »85 ; voilà ce que préconise le juriste à l’UCL (Université Catholique de Louvain) - Olivier de Schutter, travaillant sur le thème de la gouvernance. L’intérêt de tirer parti de l’énergie du citoyen, qui très souvent, déborde d’idées quant à la manière de transformer son habitat ou bien d’améliorer son environnement, permet de mieux comprendre les obstacles qu’il rencontre, qui ne sont que trop rarement entendus. Plutôt que de préconiser des approches descendantes, dites « Top down » dans le jargon de démarche procédurale, où les techniciens décident du besoin des citoyens et de ses devoirs ; inversons la tendance de manière ascendante (dite Bottom-up) et écoutons-les ; tentons de nous connecter à cette énergie citoyenne afin d’élargir l’imagination politique. Cette idée semble être partagée par les interlocuteurs de cette conférence ; c’est le cas à Hannut, ville à la campagne de quinze mille habitants, à la frontière Flamande/Wallonne. « De plus en plus des conseils facultatifs se développent » où, de la personne âgée au jeune citoyen, l’intérêt porté au projet de la ville est prononcé. Des réunions avec des commerçants ainsi que certains quartiers citoyens s’opèrent, nous dit Manu Douette, Bourgmestre de Hannut : « Il est plus facile de construire avec les citoyens un projet que de l’imposer frontalement »86. C’est cette démarche qui tend à se développer actuellement dans la mentalité des décideurs locaux ou autres organismes urbains. 83

Territoires dont les parcours ont été effectués personnellement au travers de voyage dans diverses villes, communes ou municipalités. 84

MERTENS, Jacques (2016, mai 19). « Ville de demain : journée de réflexion pour les décideurs locaux ». Sur RTC Télé Liège (en ligne). URL : http://www.rtc.be/reportages/societe/1471107-ville-de-demain-journee-de-reflexionpour-les-decideurs-locaux, page consultée le 20 juillet 2016. 85

DE SCHUTTER, Olivier cité par : MERTENS, Jacques (2016, mai 19). « Ville de demain : journée de réflexion pour les décideurs locaux ». Sur RTC Télé Liège (en ligne). URL : http://www.rtc.be/reportages/societe/1471107-villede-demain-journee-de-reflexion-pour-les-decideurs-locaux, page consultée le 20 juillet 2016. 86

DOUETTE, Manu cité par la journaliste BONIVERT, Françoise dans : MERTENS, Jacques (2016, mai 19). « Ville de demain : journée de réflexion pour les décideurs locaux ». Sur RTC Télé Liège (en ligne). URL :

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D’autres échevins, comme celui de la ville d’Héron (commune située dans la province de Liège), visent à développer ces notions de développement durable, cherchant l’équilibre dans les masses urbaines et rurales (que l’on qualifierait d’Espace Nature). Bien souvent l’idée, dont les projets sont très concrets, est de redévelopper le tourisme local, relancer par conséquent une économie, avec la mise en valeur des productions locales. Cette reconnexion ou revitalisation de l’habitat urbain amène les citoyens à dialoguer, à créer du lien entre les habitants, à créer de l’emploi rendant ainsi, de manière plus persévérante, les intentions urbanistiques établies actuellement en ville. Lucien Kroll insiste également sur cette notion participative dans son travail (présenté à la suite de l’étude), permettant à l’homo urbanus de façonner son habitat afin qu’il puisse l’habiter.

L’implication plus forte des citoyens dans la gestion locale ne signifie toutefois pas la fin des conseils communaux. Olivier de Schutter, dans une interview, raconte qu’il ne s’agit pas de « céder un pouvoir ou d’en perdre. Il s’agit de s’assurer que le pouvoir qu’on exerce, le soit de manière plus réflexible, plus informé, en ayant plus d’idées à proposer à partir de ce que les citoyens et citoyennes amènent comme suggestion »87.

Les élus conserveraient toujours, en effet, la capacité d’exercer les arbitrages finaux, mais partageraient plus intelligemment la gestion de leur territoire à l’aide de divers collectifs, dont l’engouement pour ces méthodologies d’action est apprécié actuellement.

Les collectifs Alors évidemment, il existe une multitude d’exemples de villes s’investissant dans cette initiative de participation et collectivité citoyenne. En France par exemple, c’est le travail qu’exerce des collectifs comme le collectif ETC né à Strasbourg en 2009, ou bien Coloco qui est un collectif Parisien, mais aussi le collectif YA+K (« il n’y a plus qu’à ») formé en 2010 et bien d’autres encore… Ces exemples, d’initiatives citoyennes, se traduisant bien souvent sous forme d’un collectif encore « jeune », ont été effectués dans diverses villes ou municipalités. Ici la focale s’attarde sur le collectif YA+K ayant opéré dans une petite ville du Sud Manche, Avranches, où un projet de réhabilitation du quartier de la Turfaudière concernant la rénovation urbaine d’un quartier social a été élaboré.

« Travaillant différentes échelles spatiales (de la ville à l’objet) et temporelles (de la prospective à l’éphémère) », pour reprendre les mots du groupe, le collectif vise à créer, des situations ludiques et évolutives où s’initient et s’écrivent d’autres rapports au réel et à l’imaginaire urbain. Cette philosophie de l’habiter est généralement partagée au sein de ces différents organismes, ne voit-on pas ici, une nouvelle forme de faire la ville, contrastant fortement avec les « entreprises architecturales » ou les « bureaux de Starchitectes » élaborant des projets aux coûts faramineux dont les richesses de participation et d’échanges sociaux sont souvent absentes.

http://www.rtc.be/reportages/societe/1471107-ville-de-demain-journee-de-reflexion-pour-les-decideurs-locaux, page consultée le 20 juillet 2016. 87

DE SCHUTTER, Olivier, cité par la journaliste BONIVERT, Françoise dans : MERTENS, Jacques (2016, mai 19). « Ville de demain : journée de réflexion pour les décideurs locaux ». Sur RTC Télé Liège (en ligne). URL : http://www.rtc.be/reportages/societe/1471107-ville-de-demain-journee-de-reflexion-pour-les-decideurs-locaux, page consultée le 20 juillet 2016.

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Focale sur le projet Turfaudière-Mermoz Cette action en lien avec le contrat de ville a été portée par la ville d'Avranches, la ville de Saint Martin des Champs, l'Etat et la Communauté de communes Avranches - Mont Saint Michel.

Fig. 10 Photo personnelle, projet potager collectif au quartier du Mermoz

« Le collectif a cherché à repenser le quartier »88. Sur une période de six semaines, a été mis en place, avec les habitants du quartier, différents aménagements. La démarche entreprise a poussé les architectes à analyser le quartier durant les trois premières semaines afin de se rendre compte des travaux qu’ils auraient à réaliser ; cibler les attentes des citadins est primordiale. On trouve là, un bon moyen d’atteindre et de rencontrer la population, afin d’échanger par des discussions, sur leurs attentes par rapport à l’aménagement de leur quartier. 88

Collectif YA+K cité par CHERON, Marie-Claire (2016), « projet de réhabilitation du quartier de la Turfaudière par le collectif d’architectes YA+K ». Sur Avranches, Mont St Michel, communauté de communes (en ligne). URL : http://www.cc-avranchesmontsaintmichel.fr/Vie-quotidienne/Actualite/Politiques-contractuelles/Projet-derehabilitation-du-quartier-de-la-Turfaudiere-par-le-collectif-d-architectes-YA-K, page consultée le 24 juillet 2016.

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Contradiction, mise en accord, sont autant d’actions faisant vivre le projet et bien plus encore, procurant un certain épanouissement collectif au sein d’une Cité. Plusieurs ateliers ont été mis en œuvre, pour aboutir à différentes actions, notamment : « la création d’un chemin entre le centre Saint Paul et l’espace Mosaïque, la construction de potagers, d'une cabane à livres et d’une cabane à insectes avec la coopération de l’association Incroyable Comestible »89. Le but principal de ces actions étant d’apprendre à construire ensemble, repenser le territoire avec la population tout en liant l’action sociale. L'investissement des habitants du quartier est-il effectif ? Lui permettra-t-il de rester en place à long terme, d’être apprécié, occupé, par conséquent d’être vécu et « Habiter » ? Un début de réponse sera apporté à la suite de ce travail.

89

Ibid.

48


« L’architecture du bonheur », selon Alain de Botton (2006) Se focaliser sur le lieu qui est « la ville », nous amène à présenter les éléments ou phénomènes qui la composent. Enoncé brièvement en amont, le lieu se dessine par les espaces qui y sont installés ; L’architecture, l’urbanisme, le paysage, sont autant de mécanismes créateurs de ville, ils sont les « outils » mis à disposition de l’homme pour parfaire au mieux son environnement habitable. Or, l’idylle urbain n’est que trop rarement observable, les hommes le porte bien souvent d’ailleurs à l’échelle d’imaginaire, voire d’utopie, comme si l’architecture du bonheur ne pouvait demeurer.

Ces remarques sont bien souvent énoncées et portées par des philosophies très fonctionnaliste, ne voyant aucune rente, aucune plus-value dans la composition poétique d’un espace. Pour eux, la fonctionnalité architecturale sous couvert d’une rationalité inappliquée, traduit l’idée d’une ville surtout « ordonnée », programmable, de façon à ce que toute marchandisation puisse y traverser le tissu (parfois même sans s’y arrêter), de manière « fluide » et sans encombre. Ironie du sort, on parle de trafic, bien souvent inhibé par ces moyens de locomotion désuets mais lucratifs, s’imposant aux citadins, et rendant leur champ d’expression canalisé par un ensemble de voies de circulation rectiligne ou aucune souplesse de déambulation n’est possible. Ce phénomène de conception urbaine fût pendant très longtemps et l’est encore dans certaine région malheureusement, le « modèle à suivre » pour l’élaboration d’une ville.

Or, l’architecture doit elle se contenter, à l’instar des constructeurs immobilier ou autres bureaux d’ingénierie, de « rentrer dans le moule » ? D’appliquer bêtement ces philosophies passées dans nos lieux de vie, au risque d’en fragiliser l’habitat ? Alain De Botton (2006), journaliste, philosophe et écrivain suisse s’oppose à cette philosophie moderniste, en initiant dans sa réflexion un dialogue autour du bonheur, soulevant la question de ce qu’est « l’architecture du bonheur », dont il donnera le nom à son ouvrage. Il serait intéressant, ici, d’exposer la représentation qu’il se fait de cet outil de conception urbain, « architecture bonheur ». Dans son article « XVII - LE PHILOSOPHE ET LA VILLE - 3) L’architecture du bonheur selon Alain de Botton (2006) », Jean-François Serre introduit sa réflexion par la citation suivante :

« Tu penses que la philosophie est difficile, mais je t’assure que ce n’est rien comparé à la difficulté d’être un bon architecte. »90 (Ludwig Wittgenstein à sa sœur Gretl)

90

WITTGENSETEIN, Ludwig cité par : SERRE, Jean-François (2014, février 2). « XVII – LE PHILOSOPHE ET LA VILLE — 3) «L’architecture du bonheur selon Alain de Botton (2006) ». Sur Urbain serre, La ville à la croisée des chemins – Promenade dans la littérature de l'urbanité (en ligne). URL : http://urbainserre.blog.lemonde.fr/2014/02/02/xviile-philosophe-et-la-ville-3-larchitecture-du-bonheur-selon-alain-de-botton-2006/, page consultée le 5 juillet 2016.

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Si la conception du bonheur est une idée assez neuve en Europe au 18ème siècle, selon Saint-Just (1767-1794)91, l’architecture, après avoir été exagérément fonctionnaliste au cours du 20ème siècle, ne pourrait-elle pas contribuer à sa réalisation au 21ème siècle ? Alain de Botton considère qu’ « il n’est pas de ville concevable sans architecture digne de ce nom. » La question d’une « architecture du bonheur » est donc tout naturellement soulevée par Alain de Botton. En interpellant l’architecte, De Botton cherche à affirmer que l’architecture « pourrait participer à un urbanisme du bonheur », pour autant que la définition que s’en fait l’architecte soit en adéquation et ne s’impose pas à celle que projette l’homo urbanus. Jusqu’à la fin du 18ème siècle, la question d’un esthétisme ne se posait pas. Le classicisme, nous dit J-F Serre, constitue à cette époque « la garantie du beau sur le plan international et l’architecture vernaculaire sur le plan local ». Il faudra attendre le 19ème siècle pour observer un changement. L’éclectisme, avec le néogothique (originaire d’Angleterre) triomphe, rompant ainsi le consensus. Le 20ème siècle pense trouver une solution grâce aux ingénieurs, supplantant les architectes, en imposant le fonctionnalisme, « nouveau style international ».

« Le critère technique est désormais érigé en arbitre reléguant l’esthétique au magasin des curiosités archaïques »92. (SERRE, Jean-François, op.cit.)

C’est ignorer, nous dit A. de Botton, que « l’architecture ne se réduit pas à une adéquation à la fonction, à des besoins, mais nous parle, et nous parle de nous, de nos désirs, de nos aspirations, au bonheur tout particulièrement ». « Un sentiment de beauté indique que nous avons rencontré une expression matérielle de certaines des idées que nous nous faisons d’une bonne vie. » Autrement dit : « La notion de bâtiments qui parlent nous aide à mettre au centre de nos interrogations en matière d’architecture la question des valeurs selon lesquelles nous voulons vivre – plutôt que (seulement) de l’aspect que nous voulons voir aux choses. »93

91

Louis Antoine Léon de Saint-Just est un homme politique français de la Révolution française. Le plus jeune des élus à la Convention nationale, Saint-Just était membre du groupe des Montagnards. Soutien indéfectible de Robespierre, il est emporté dans sa chute, le 9 thermidor. Les montagnards sont, pendant la Révolution française, les députés de l’Assemblée législative de 1791 les plus à gauche (formant le groupe de la Montagne), alors que les députés des bancs les plus modérés prenaient le nom de Plaine ou de Marais, (en ligne). URL : http://www.cosmovisions.com/ChronoRevolutionMontagnards.htm 92

SERRE, Jean-François (2014, février 2). « XVII – LE PHILOSOPHE ET LA VILLE — 3) «L’architecture du bonheur selon Alain de Botton (2006) ». Sur Urbain serre, La ville à la croisée des chemins – Promenade dans la littérature de l'urbanité (en ligne). URL : http://urbainserre.blog.lemonde.fr/2014/02/02/xvii-le-philosophe-et-la-ville-3larchitecture-du-bonheur-selon-alain-de-botton-2006/, page consultée le 5 juillet 2016. 93

DE BOTTON, Alain cité par : SERRE, Jean-François (2014, février 2). « XVII – LE PHILOSOPHE ET LA VILLE — 3) «L’architecture du bonheur selon Alain de Botton (2006) ». Sur Urbain serre, La ville à la croisée des chemins – Promenade dans la littérature de l'urbanité (en ligne). URL : http://urbainserre.blog.lemonde.fr/2014/02/02/xviile-philosophe-et-la-ville-3-larchitecture-du-bonheur-selon-alain-de-botton-2006/, page consultée le 5 juillet 2016.

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Jean-François Serre en citant Alain de Botton, identifie trois manières pour faire parler un bâtiment : « – à travers la fonction (utilitarisme), – par métaphore avec ce que nous sommes (anthropomorphisme), – par association d’idées. »94

L’auteur remarque qu’« il y a autant de formes de beauté que de conceptions du bonheur ». C’est que « qualifier de belle une œuvre architecturale ou de design, c’est reconnaître en elle une expression de valeurs essentielles à notre épanouissement, une incarnation de nos idéaux personnels dans un support matériel. » (SERRE, Jean-François, op.cit.)

Nous l’avions énoncé précédemment, notre « chez-soi », cette capacité à « être l’espace », est l’expression de notre nature, notre tempérament, « notre personnalité » pour reprendre les mots de J-F Serre. Afin de s’épanouir en un lieu quelconque, d’en dégager un éventuel bonheur, le décor se doit d’être en phase avec « nos états d’âme », variant ainsi en totale harmonie : « Nous avons besoin d’un refuge pour conforter nos états d’âme, nous dit De Botton, parce que tant de choses s’opposent à nos désirs ; « nous avons besoin que les lieux où nous vivons nous rapprochent des versions désirables de nous-mêmes et stimulent les côtés importants mais évanescents de notre personnalité. » (SERRE, Jean-François, op.cit.)

« Un bel édifice peut renforcer notre volonté d’être meilleur. » A travers l’architecture ne recherche-ton pas « une équivalence entre les domaines éthiques et visuels » ? N’est-on pas toujours à la poursuite de « l’équation morale entre le beau et le bien »95 ? explique J-F Serre. Ces propos traduisent simplement l’idée, d’une recherche d’habitat esthétique et personnel en total harmonie avec l’environnement dans lequel il se bâtit, se construit son identité ; dans lequel il tisse ses relations avec autrui. Alain de Botton considère que : « l’impulsion architecturale la plus sincère semble plutôt liée à un désir de communication et de commémoration, un désir de s’exprimer autrement que par des mots, à travers le langage des objets, des couleurs et des matériaux : une ambition de faire savoir aux autres qui nous sommes – et, ce faisant, de nous le rappeler à nous-mêmes. » (SERRE, Jean-François, op.cit.)

L’architecture exprimerait ainsi des idéaux que notre vie quotidienne rend difficile d’accès. Serait-ce quand on a le plus de difficultés et de contrariétés qu’on est susceptible d’être le plus attentif et sensible aux belles choses ? Jean-François Serre insiste sur le fait que « nos références en matière esthétique varient en fonction des situations dans lesquelles nous sommes immergés, de nos environnements et de nos états d’âme ».

94

Ibid.

95

Ibid.

51


« Plutôt que les posséder physiquement, ce que nous désirons au niveau le plus profond, c’est ressembler intérieurement aux objets et aux lieux qui nous touchent par leur beauté. » C’est que, « comme le savait bien Stendhal96, « il y a autant de formes de beauté que de conceptions du bonheur».97

Ici, cette multiplicité de « forme de beauté » dont parle Stendhal rend difficile, voire vain à notre époque, la recherche de règles de la « bonne architecture » comme il a pu en être question autrefois avec les quatre livres d’architecture (1570) de l’architecte Andréa Palladio (1508-1580), figure de la renaissance italienne. Chez les modernistes, bien plus tard, l’exercice à également essayé d’être soulevé. Prenons l’exemple de la Chartes d’Athènes, rédigé sous la direction de Le Corbusier (1933), qui déjà à l’époque était critiqué par un certain nombre de « modernisateurs » s’opposant à ces théories ; règles plus qu’appréciées cependant par une majorité de décideurs. A ce sujet Alain De Botton ne s’y risque pas, mais nous pose la question suivante : « Quelles sont ces vertus de nature à nous assurer le bonheur ? »

Pour Jean-François Serre, elles s’identifient sous quatre « propriétés » : L’ordre / L’équilibre/ L’élégance/ La cohérence. - L’ordre, qui « contribue à l’attrait de presque toutes les œuvres architecturales importantes ». C’est ainsi que la rue, « produit d’une intelligence spécifiquement humaine », exprime cet ordre urbain répondant à « un idéal de vie opposé au chaos incarné par la nature. » - L’équilibre, résultat d’une « tension vivifiante entre l’ordre et le chaos ». - L’élégance, qui s’exprime dans la proportionnalité des forces auxquelles l’architectonique des bâtiments est soumise. Ce qui fait dire à A. de Botton qu’« il y a de la beauté dans ce qui est plus fort que nous ». - La cohérence : « la beauté est le fruit d’une relation cohérente entre les parties ». En outre, « l’incohérence architecturale n’affecte pas seulement les bâtiments eux-mêmes. Elle peut aussi, et non moins gravement, se trouver dans la relation entre un bâtiment et son contexte, géographique ou historique ». A. de Botton précise ainsi qu’« un bâtiment adapté à son contexte pourrait donc être défini comme un bâtiment qui incarne certaines des valeurs les plus désirables et certaines des plus hautes ambitions de son époque et du pays où il se trouve […] ». Et c’est, poursuit notre auteur, dans la « combinaison de formes traditionnelles et de matériaux modernes » qu’on sent « comme une conversation mutuellement respectueuse entre le passé et le présent ».

96

Henri Beyle, plus connu sous le pseudonyme de Frédéric de Stendhal (1783-1842) est un écrivain français appartenant au mouvement du romantisme et réalisme, connu en particulier pour ses romans Le Rouge et le Noir et La Chartreuse de Parme. 97

BEYLE, Henri dit Stendhal, cité par : SERRE, Jean-François (2014, février 2). « XVII – LE PHILOSOPHE ET LA VILLE — 3) «L’architecture du bonheur selon Alain de Botton (2006) ». Sur Urbain serre, La ville à la croisée des chemins – Promenade dans la littérature de l'urbanité (en ligne). URL : http://urbainserre.blog.lemonde.fr/2014/02/02/xvii-le-philosophe-et-la-ville-3-larchitecture-du-bonheur-selonalain-de-botton-2006/, page consultée le 5 juillet 2016.

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Pour A. De Botton, les architectes du mouvement moderne se réclamant du fonctionnalisme ont failli. Ils n’ont pas su discerner et comprendre les besoins de l’habitant et ont été incapables de les retranscrire « dans le langage clair du projet architectural » (SERRE, Jean-François, op.cit.).

Les lieux que nous estimons beaux, conclut-il, sont « l’œuvre de ces rares architectes qui ont l’humilité de s’interroger sérieusement sur leurs désirs et la ténacité de traduire leurs fugaces impressions de bonheur en formes logiques – une combinaison qui leur permet de créer des environnements qui satisfont des besoins que nous n’avions même pas vraiment conscience d’avoir » (SERRE, Jean-François, op.cit.). Dans la conception de l’auteur, l’architecture du bonheur est anthropomorphe, elle figure comme une conception urbaine qui nous correspond.

L’après-guerre est une époque de reconstruction. L’urgence et la nécessité de se reloger étaient les principales préoccupations des décideurs locaux. Cependant à en voir les stratégies fonctionnalistes à l’œuvre à cette période, on a du mal à croire que le bien-être, le divertissement et l’épanouissement soient les maitres mots de leur projet d’urbanisme. Cette situation urbanistique, fragilisé par un contexte d’après-guerre appelle-t-elle pour autant à la répétition des formes et la monotonie de l’habitat ? « Est-elle si incompatible avec le beau et l’harmonie ? Faut-il que la nécessité implique le mal-être ? Ne constitue-t-elle pas plutôt une excuse facile ? » (SERRE, Jean-François, op.cit.).

« Conclusion » Tout au long de cette partie une série d’analyses textuelles a été entreprise et diverses interprétations de discussions philosophiques ont pu être apportées, afin de discerner au mieux l’ « imaginaire » dans lequel pouvait nous projeter la notion d’ « habiter ». Indissociable d’un lieu, d’un ou plusieurs espaces, intérieures ou extérieures soient-ils, alimentés ou non par l’action de penser l’habitat ; l’ « habiter » se caractérise par la capacité de « faire avec » un lieu, un support. Ici, l’intérêt de l’étude se porte sur « la ville » et la façon dont on l’habite, il s’agirait donc maintenant de nous attarder sur ce qu’est le support de la ville, qu’est ce qui l’a façonne ? D’éventuelles réponses seront apportées dans le second chapitre.

53


1.1.2| La Ville, (Comment a-t-on peint les tableaux urbanistiques actuels?)

A.

Définition de la ville, qu’est-ce que la ville ?

« Le terme urbain », son « milieu » et son « tissu » Le milieu urbain - Définition selon le Service Public de Wallonie (SPW) : « Le milieu urbain se caractérise par une densité importante d'habitat et par un nombre élevé de fonctions qui s'organisent en son sein. C'est le centre des activités secondaires et tertiaires et le cadre d'activités sociales et culturelles importantes. »

On peut définir, en relation avec le milieu urbain, les concepts suivants : ⌐ ⌐

Noyaux agglomérés : « noyaux caractérisés par la continuité de l'habitat » ; Agglomération : « ensemble de communes contiguës dont les tissus agglomérés s'interpénètrent » (ex : l'agglomération de Mons est constituée des communes de Mons, Boussu, Colfontaine, Frameries, Quaregnon et Saint Ghislain).

- Définition selon Larousse : « L’unité urbaine, ensemble d'habitations telles qu'aucune ne soient séparées de la plus proche de plus de 200 mètres et qui comprend au moins 2 000 habitants. (Si cet ensemble s'étend sur une seule commune, celle-ci est ville isolée. S'il s'étend sur plusieurs communes, il forme une agglomération urbaine et toutes les communes le composant sont des communes urbaines.) »

Le tissu urbain « Métaphore qui fait référence au tissage- le textile-, ou à la biologie - les tissus végétaux, osseux »98.

Pour Philippe Panerai, le terme de tissu urbain entraîne une double acception : « Il s’agit d’une vision locale qui « oublie » momentanément l’organisation de l’ensemble, l’armature, le squelette, pour s’intéresser au remplissage, à la substance ». (PANERAI, Philippe, Ibid.) Il s’agit d’une organisation qui présente à la fois une forte cohésion entre les éléments et une capacité à s’adapter, à se modifier, à se transformer. Appliqué à la ville, le terme de tissu évoque « la continuité et le renouvellement, la permanence et la variation », poursuit l’auteur. Il rend compte de la caractéristique des villes anciennes et des interrogations que soulève l’étude des urbanisations récentes. Il suppose une attention « au banal comme à l’exceptionnel, aux rues ordinaires et aux constructions courantes comme aux ordonnances et aux monuments » (PANERAI, Philippe, Ibid.).

98

PANERAI, Philippe (2009). « Analyse urbaine ». Editions parenthèses, chap.4, p 70.

54


Parmi les multiples définitions du tissu urbain, on a choisi la plus simple. Le tissu urbain est constitué de la superposition ou de l’imbrication de trois ensembles :

- le réseau des voies - les découpages fonciers - les constructions

Fig.11 Le tissu : Le Caire, le centre ancien. P. Panerai

Cette définition met en évidence les caractères qui permettent aux différentes parties de la ville d’évoluer tout en maintenant la cohésion de l’ensemble et la clarté de sa structure. Elle s’applique aussi bien aux tissus anciens - fortement marqués - qu’aux secteurs d’urbanisation plus récente où la constitution du tissu se présente souvent à un stade initial sous une forme encore embryonnaire.

55


« Anthropologie de la ville : image et représentation »

Perception de la ville pour l’œil d’un néophyte : Dans son ouvrage « Analyse urbaine », Philippe Panerai99 interroge le lecteur sur la question de l’espace urbain et la représentation qu’il s’en fait. Nombreux sont les citadins ne possédant pas les clés, habituellement utilisées par les spécialistes et théoriciens, qui permettent la compréhension de l’espace urbain100.

Or, l’auteur nous explique qu’il existe pourtant un code, « une manière de décoder l’espace » permettant d’en prendre conscience et pouvoir l’habiter. Panerai poursuit sa réflexion en s’interrogeant sur cette situation, « Que vont-ils répondre si on leur demande ce qu’ils voient dans le territoire de la ville ? A quels objets vont-ils spontanément faire allusion ? Quels objets vont spontanément retenir leur regard ? » (PANERAI, Philippe, Ibid.). Toutes ces questions sont essentielles si l’on veut cerner les attentes territoriales de l’homo urbanus, ses désirs et critiques qu’il est susceptible de soulever de ce tissu urbain.

Certains éléments d’architecture ou d’urbanisme marquent l’habitus du citadin, devenant repères dans un quelconque parcours. Ces éléments ne sont pas anodins, puisqu’ils accrochent le citadin dans l’espace, qu’il considère ensuite d’agréable ou non. L’intérêt pour les concepteurs de l’urbain est donc de discerner ces différents éléments afin de rendre leur composition la plus généreuse possible, créant des conditions « optimales » d’habitat. Philippe panerai note dans son ouvrage que les immeubles et les rues sont de manière récurrentes, les compositions les plus soulevées par les habitants. « Les immeubles sont perçus comme hauts ou au contraire petits, luxueux ou pauvres, colorés ou non. Les rues sont, elles, décrites comme bruyantes ou calmes, vides de commerces ou au contraire bien équipées […] Les rues sont notées comme ennuyeuses ou laides et sales, évoquant la pauvreté. » Tout autant d’éléments participant à la construction d’un paysage urbain. Cependant, l’architecture est peu ou pas du tout remarquée, à l’exception seule des immeubles exceptionnels (par leur taille, la coloration des matériaux) ou « des chantiers de construction, les creux dans la continuité de la forme bâtie »101, constate P. Panerai. Ces dents creuses, par le paysage « aéré » qu’elles dégagent, interpellent et questionnent le citadin ; Que se passe-t-il ici ? Que va-t-il s’y développer ? Dans ces situations, provoquant le quotidien de l’homo urbanus, la situation du devenir du lieu, c’est-à-dire de l’habitat, intéresse tout naturellement le citadin lambda. Dans la rue, la présence ou l’absence d’arbres frappe également l’œil de l’innocent promeneur. En résumé, l’auteur énonce les liens qui existent entre le projet papier (la réflexion du concepteur) et la réalité sur site ; « le tracé, notion abstraite, est remplacé par la rue, espace concret, total et vivant. L’architecture, elle, n’est perçue, sauf exception, qu’en tant que volume. Quant au sol, support du bâtiment, (et support de production), sa présence n’est absolument pas mentionnée ». (PANERAI, Philippe, op. cit).

99

Architecte et urbaniste et professeur à l’école d’architecture de Paris-Villemin,

100

PANERAI, Philippe (2009). « Analyse urbaine ». Editions parenthèses, chap.1, p 6.

101

Ibid.

56


Des échelles d’analyse urbaine : L’analyse du géographe, l’œil de l’architecte. Dans les divers traités ou ouvrages fondamentaux de géographie urbaine, « objets d’étude des « spécialistes des lieux », des analystes de l’espace », les villes sont décrites à travers leur situation, leur site, leurs fonctions, leur plans et extensions. La prise de recul est incontestable, ainsi l’échelle de référence est « résolument macroscopique », par conséquent « déterritorialisée » puisque, c’est d’abord la prise en compte de l’espace physique, « vu à vol d’oiseau », qui prime. Outre ces critères morphologiques, nombreux ouvrages se concentrent sur les fonctions urbaines. En énonçant le traité de géographie urbaine de J. Beaujeu-Garnier, Philippe Panerai nous dit que la description et la classification des grandes fonctions urbaines s’articule autour des thématiques suivantes : « de fonction militaire, fonction commerciale, fonction industrielle, fonctions culturelle »102

Lorsqu’est abordée la structure interne d’une ville ou agglomération, c’est à chaque fois la totalité de l’organisme urbain qui est analysé. D’autres spécialistes, quant à eux, s’attardent sur une échelle plus « microscopique » d’analyse, où sont étudiées la rue, la place, les jardins publics, les espaces libres privés et la surface bâtie.

Fig. 12 croquis personnel. La ville-jardin, une notion d’échelle

A travers toutes les formes urbaines extrêmement diversifiées du monde habité, le géographe ou autre spécialiste du territoire doit être capable de discerner des constantes : « choix, du site, contraintes imposées par celui-ci, rôle des grands axes structurants, grandes fonctions urbaines et leur traduction spatiale »103. Philippe Panerai insiste sur le fait que cette lecture géographique de l’espace urbain s’opère à une vaste échelle à contrario du travail de l’architecte; « c’est tout le territoire urbain que l’on embrasse et que l’on essaie d’expliciter » (PANERAI, Philippe, Ibid.).

102

Ibid.

103

Ibid.

57


Le niveau d’analyse le plus couramment utilisé reste ici le quartier. Ne voit-on pas ici un lien avec la notion d’ « habiter » développée en amont ? Le rapport qu’entretient le citadin avec l’espace urbain pour habiter son propre habitat (lieu de recueillement) mais également, le transcender, pour habiter l’espace public, bien souvent son quartier - « entre-deux » entre la vie privée et la vie collective urbaine) - est palpable. Dans bien des projets estudiantins d’architecture, les professeurs insistent sur le fait « d’aménager les alentours d’un projet », réflexe qui d’ailleurs n’arrive pas toujours spontanément de la part de l’étudiant, qui se focalise uniquement sur la parcelle, comme si « le projet ne s’inscrivait pas dans un tissu urbain, mais dans un « néant ».

La démarche de l’architecte s’inscrit naturellement dans le cadre de la parcelle. « Alors que pour le géographe, le parcellaire n’est que le support d’un bâti, lui-même support de fonctions » pour l’architecte, la parcelle, le parcellaire sont objets d’études en eux-mêmes. L’intérêt de porter un dialogue commun entre ces différents corps de métiers de l’aménagement urbain est primordial si l’on veut voir apparaitre dans nos villes, des projets cohérents les uns aux autres. L’idée que traduit Philippe Panerai derrière cette citation est très intéressante puisqu’elle permet de comprendre rapidement l’enjeu qui se traduit derrière ces notions d’échelles urbaines ; « On peut schématiquement dire que le géographe établit un découpage molaire de l’espace, l’architecte un découpage moléculaire » (PANERAI, Philippe, Ibid.). Les échelles de Macro et Micro sont donc clairement énoncées ici.

Cette dichotomie signalée ci-dessus, entre un regard géographique, qui serait globalisant, et un regard architectural particularisant, n’est peut-être qu’une vue théorique prévient Panerai. En réalité, ces différences d’approche ont tendance à s’estomper. Le géographe comme l’architecte, une fois sur le terrain, se trouvent confrontés au problème du parcellaire comme au bâti que celui-ci supporte. Les occasions d’être sur le terrain sont multiples, « simples promeneurs dans la ville, nous sommes attirés par des signes divers : là une façade du 18ème siècle, ici une devanture tout en verre et acier, ailleurs une boulangerie à l’ancienne, etc… »104

104

Ibid.

58


B.

La ville, une forme en mouvement : Les grandes lignes de l’urbanisation

« Introduction, la ville a une histoire » Avant-propos : « Les archéologues qui scrutent les plus anciens sites urbains (Mésopotamie, Egypte, Crète, Chine, etc.) remarquent l’existence d’un réseau, plus ou moins dense et hiérarchisé, de voies de circulation, comme si toute ville possédait obligatoirement des rues. […] Une ville est avant tout un ensemble organisé de voies. » 105

Les chemins précèdent l’apparition de l’homme, donc de la ville, explique T. Paquot. Ils sont tracés par les animaux qui chassent, vont boire, se cachent, se reproduisent… « Ces pistes animales de survie desservent le territoire de telle espèce en évitant instinctivement de recouper celles des autres espèces, qui leur sont éventuellement hostiles. » On comprendra rapidement que ces cheminements serviront de « bases » et seront utilisés par l’Homme trouvant sur les passages toutes ressources indispensable à son évolution (l’eau, le gibier, les places de pâturages et de culture…). Ne voit-on pas ici apparaitre le rapport anthropologique de l’Homme à son habitat ?

Dans son ouvrage, Terre urbaine, cinq défis pour le devenir urbain de la planète, Thierry Paquot retrace rapidement les grandes lignes de la sédentarisation de l’Homme jusqu’à l’apparition des premières villes. « À l’origine de ce que nous nommons « villes », il y a la révolution néolithique, qui permet l’agriculture et l’élevage, c’est-à-dire la domestication de plantes, d’espèces végétales et d’animaux».106 Ces nouveaux « processus sociaux », font apparaitre une organisation sociale inédite implantée là où les échanges commerciaux se déroulent, « au carrefour des routes et des voies de circulation fluviales et maritimes ».

Dès lors, la ville se crée d’un ensemble de bâtiments, positionnés à l’intersection des routes, et devient « le lieu des pouvoirs » (militaire, religieux et économique). Bien que les historiens aient souvent essayé de donner à la ville une définition, les histoires urbaines du monde, montrent que des divergences apparaissaient tout naturellement. La ville, étant influencée par le contexte dans lequel elle s’implante, présente des caractéristiques qui lui sont propres. « La ville n’a jamais existé seule » appui T. Paquot ; « Il convient par conséquent de saisir le phénomène urbain comme pluriel, et de parler de villes en réseau ». (PAQUOT, Thierry, ibid.) Les éléments constitutifs d’une unité urbaine s’agencent différemment et évoluent selon des modalités propres. Aucune ville n’a la même histoire.

Dans son ouvrage, Terre urbaine, T. Paquot discerne trois temporalités urbaines ayant marqué l’histoire des processus urbanistiques et par conséquent influencé le mode de vie de l’homo urbanus.

105

PAQUOT, Thierry (2009). « L’espace public ». Editions la découverte, pp. 68-69.

106

PAQUOT, Thierry (2016, avril). « Terre urbaine, cinq défis pour le devenir urbain de la planète ».Editions la découverte, p. 42

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Dans un premier temps, la création des villes, « entretenue par le surplus agricole », marqua le début de l’urbanisation. Le second temps, figure du 15ème et 16ème siècle, avec l’ouverture des voies maritimes et découverte de l’Amérique, correspond à celui de la mondialisation et des villes commerciales « branchées au réseau transcontinental ». Le troisième temps, quant à lui s’apparente à une « urbanisation planétaire » pour reprendre les mots de l’auteur, où la totalité des continents se retrouvent embarqués dans ce processus affectant d’abord les pays industriels, puis ceux du Tiers monde. L’urbanisation planétaire débute avec l’industrialisation et accompagne le développement de la « modernité monde ». Cette dernière urbanisation s’accompagne d’une multiplication des villes millionnaires (quelques chiffres : « 11 en 1900, 80 en 1950, 276 en 1990, 370 en 2000 et vraisemblablement 550 en 2015 »), et de l’apparition de gigantesques mégapoles de plus de 10 millions d’habitants (2 en 1950, 18 en 2000). (PAQUOT, Thierry, ibid.)

L’histoire urbaine est un réservoir d’architecture, végétal ou minéral, témoignant de nos civilisations. Par conséquent s’y intéresser doit être un réflexe primordial pour tout concepteur de ville, car maintes réponses « urbanistiques », susceptibles de répondre à des problématiques actuelles, y sont dissimulées de façon plus ou moins perceptibles. L’intérêt de cette partie est de repositionner succinctement l’évolution de ce développement urbain - sans forcément s’attarder minutieusement sur chaque période emblématique de l’urbanisme - afin de saisir la situation actuelle de nos villes et de comprendre d’où viennent les différents tableaux urbanistiques figurant dans nos lieux d’habitat. Dans ce chapitre nous nous attarderons sur les mécanismes urbanistiques se développant au cours de l’époque industrielle jusqu’à nos jours, afin de saisir l’émergence de cet éveil écologique, cette prise de conscience environnementale fortement soulevée actuellement. C’est à travers diverses réflexions et mouvements, respectant plus ou moins cette notion de durabilité, que se construira ce chapitre, ayant comme dénominateur commun la ville.

« Industrielle et Moderne, le XXème siècle vers un urbanisme végétal »

Une mutation urbaine L’aire industrielle va chambouler de nombreux territoires, par pression sociale ou par volonté ; d’importantes migrations de populations vont apparaitre et densifier des cités déjà tassées et asphyxiées. La population se voit « contrôlée » et conditionnée par l’outil qu’est l’urbanisme. Toute une stratégie de gestion sociale est mise en œuvre, de sorte que le lieu d’habitat, de type ouvrier, soit édifié à proximité, voir imbriqué aux fabriques et entrepôts. Ici, la focale des décideurs locaux est orientée vers des intérêts économiques au détriment d’un cadre de vie sain et bucolique. Cette mentalité qui repose essentiellement sur la notion productivité ne se soucie guère des intérêts biologiques vitaux et nécessaires au bon développement et à l’épanouissement du citadin dans son environnement. Malgré la pression qui pèse, due à la mauvaise utilisation des outils urbanistiques, les consciences s’éveillent et d’intéressants comportements se développent. La nature apparaît timidement, « sur le rebord d’une fenêtre », de formes diverses et variées, « dans une boîte de conserve ou bien le long des boulevards, avec les platanes fièrement alignés»107.

107

PAQUOT, Thierry (2004). «Ville et nature, un rendez-vous manqué ?», Dans Diogène p. 83-94 (n°207) (en ligne). URL: https://www.cairn.info/revue-diogene-2004-3-page-83.htm#s1n2, page consultée le 31 mai 2016

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Fig. 13 Photographie personnelle d’un intra-ilot, à Gennevilliers, Paris : Chemin de grue

Rapidement, le monde des lettres soulève également cette lacune. Emile Zola constate ce manque sensible chez les citadins de la « Grande métropole de la modernité ». Il note : « Les parisiens montrent aujourd’hui un goût immodéré pour la campagne. A mesure que Paris s’agrandit, les arbres ont reculé et les habitants, sevrés de verdure, ont vécu dans le continuel rêve de posséder, quelque part, un bout de champ à eux. Les plus pauvres trouvent le moyen d’installer un jardin sur leurs fenêtres ; ce sont quelques pots de fleurs qu’une planche retient ; des pois de senteur et des haricots d’Espagne font un berceau. On loge ainsi le printemps chez soi, à peu de frais»108

108

Émile Zola, Le Capitaine Burle et autres contes (1882), cité par : PAQUOT, Thierry (2004). «Ville et nature, un rendez-vous manqué ?», Dans Diogène p. 83-94 (n°207) (en ligne). URL: https://www.cairn.info/revue-diogene2004-3-page-83.htm#s1n2, page consultée le 31 mai 2016

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Harassé par un train de vie parfois « étourdissant », le citadin «minéral » n’a comme seule « issue » que l’évasion et le divertissement, du moins telles sont ses volontés. Lorsqu’il le peut, le voyage vers « un autre chose » devient un temps d’arrêt, une sensation de satiété qu’il échange avec son environnement ; l’harmonie végétale devient idyllique. Ce sentiment varie en fonction du cadre urbanistique dans lequel s’inclut l’habitat, car « l’Habiter » diverge selon la structure opérante (Lotissement unifamilial, cités collectives privées ou publiques, appartement, maison, fermette, etc…). Les gens quittent la ville pour aller en campagne ; celle-ci, réparatrice et compensatrice, inspirera certains concepteurs de ville, que l’on n’appelle pas encore urbanistes109. Ils souhaitent associer, combiner, entremêler la ville et la campagne, du moins l’idée que l’on se fait de ces deux réalités sociales et culturelles. (PAQUOT, Thierry, op. cit.)

Fig.14 Schéma personnel, schématisation comportementale

Ebenezer Howard (1850-1928) en fut l’un des précurseurs. Ce courant de pensée préconise la fondation de « cités jardins » afin non seulement de dépasser la dichotomie ville/ campagne, dénoncée tout au long du XIXème siècle par la plupart des réformateurs sociaux (PAQUOT, Thierry, op. cit.), mais surtout pour offrir à tous des conditions de vie agréables, n’empruntant à la ville et à la campagne que leurs seules qualités, à savoir : le dynamisme des relations du citadin « minéral » et les gestes et constructions paysagères « durables » qu’établit le citadin « rural ». Au-delà d’un urbanisme qui fond le bâti dans la végétation, ce qui caractérise la cité-jardin c’est l’esprit coopérateur de ses habitants. Ce que vise Howard n’est pas un contenant « naturel », un cadre bucolique, mais un contenu social qui confère à la cité-jardin sa valeur de « bien commun », et par « commun », il convient d’entendre ce qui engage les uns envers les autres et non pas ce qu’on partage entre soi. L’objectif visé par Howard a plus une portée sociale qu’écologique.

109

(Apparition du terme « urbaniste » au début du XXe siècle, 1910). Universalis (2016). « L’urbanisme en France ème au 20 siècle ». Sur Encyclopædia Universalis » (en ligne). URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/ urbanisme-l-urbanisme-en-france-au-xxe-siecle/, page consultée le 31 mai 2016.

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Fig.15 Photographie personnelle Rue St Malo, à Brest

Le projet de la Rue St Malo, implanté dans le centre historique de la ville de Brest (France), est un parfait exemple de composition urbanistique mettant en scène la nature (traduit ici par la végétation foisonnante et spontanée) et l’architecture. Porteur d’un lourd passé, cette rue marque les consciences à la fois pour l’histoire qu’elle exprime à travers sa matérialité (celle d’une guerre ayant détruit par ses bombardements la quasi-totalité de la ville), ainsi que pour l’élan social qui s’en découle aujourd’hui à travers ce projet associatif que met en place « Mimi », une retraitée, qui a réinvesti l’intégralité de la rue pour le bien-être de tous, épaulé par le collectif ETC, auteur du projet du théâtre. On y retrouve, une scène musicale, un « auditoire », une boutique, un atelier d’expression, un potager, et de magnifiques temps de pause où la végétation s’est bien souvent invitée à la fête. Sur cette trame qui ne fait pas plus de 500m de long, dont le contexte urbain est parfois étouffant, ici, le voyage entrepris est une réussite.

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Focale sur la « cité- jardin » Les cités jardins, traduction française de « Garden-city », sont apparues au 19ème siècle. Elles sont issues d’une période historique exaltée par la révolution industrielle, le progrès et la machine élève le rythme de production au détriment de la ville et du cadre de vie. Autour de l’usine les ouvriers se sont entassés dans les quartiers où « promiscuité, insalubrité et précarité »110 sont les maitres mots. Cette dérive conduit les philosophes et patrons éclairés à penser une harmonie entre le travail et le cadre de vie et ils imaginent une cité idéale pour une société idéale qui est la cité jardin.

a) Qu’est-ce qu’une cité jardin ? Selon Ebenezer Howard (1850-1928)111, la cité-jardin est une ville, un modèle d’établissement « propre », conçue en vue d’assurer à la population de saines conditions de vie et de travail. La citéjardin vient en réponse au problème de l’habitat humain à l’ère industrielle ; les dimensions doivent être justes suffisantes pour permettre le plein développement de la vie sociale. Le modèle se traduit sous la forme d’un établissement autosuffisant et non d’une ville dortoir. Le premier questionnement est de se demander alors si la dimension polyfonctionnelle est prise en compte ? Est ce qu’il y a diversité des fonctions ? La capacité d’accueil de la cité-jardin est effective pour une population de 30 000 habitants entourés d’une ceinture rurale agricole non constructible.

Le concept : « Les trois aimants » et « diagramme de la cité jardin »

Fig. 16 « Les trois aimants » et « diagramme de la cité jardin »

110

BENMALTI Asmaa, et CHELEF, Sabria (2013, août 31). « Les cités-jardins, un modèle pour demain ». Sur in slide share (en ligne). URL : http://fr.slideshare.net/Saamysaami/cits-jardins-01, page consultée le 29 juillet 2016. 111

HOWARD, Ebenezer (1850-1928), est né à Londres. Urbaniste anglais, il est le fondateur du mouvement des cités-jardins. Auteur de « To-morrow : A Peaceful Path to Real Reform (1898)(« Demain : une voie pacifique vers une véritable réforme ») et de Garden Cities of To-morrow (1902)(Les Cités-jardins de demain).

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Par ce modèle urbanistique, E. Howard cherche à contrer la tendance de l’exode rural qui aboutit à la surpopulation des grandes villes. Ses cités-jardins sont conçues pour offrir aux habitants de la campagne les avantages et les débouchés économiques des grandes villes industrielles. La cité-jardin permet en effet la « combinaison saine, naturelle et équilibrée de la vie urbaine et de la vie rurale, et cela sur un sol dont la municipalité est propriétaire »112. Chaque cité-jardin doit être la propriété d’une société à responsabilité limitée.

Convaincant par ses arguments sociaux économiques, E. Howard élabore deux cités-jardins dans le Hertfordshire : « Letchworth (1903) et Welwyn (1919) »113. Ces réalisations serviront de prototype aux villes nouvelles crées par le gouvernement britannique après la Seconde Guerre mondiale. Cependant, ces villes qui voient le jour se détournent du modèle de Howard, dans la mesure où la présence d’une zone agricole attenante n’est plus indispensable. Pourquoi Howard a préféré créer un monde nouveau et bien rangé, et qui était évidemment plus aisé que de trouver le moyen d’améliorer les conditions de vie ?

« Quartier et centre de la cité jardin»

La « Garden-city », conçue par Howard, est une création « ex nihilo »114 sur terrain vierge. Sa surface et sa population sont limitées : le domaine collectivisé doit avoir 2 400 hectares ; la ville proprement dite n'en occupe que 400 pour une population ne devant pas dépasser 30 000 habitants. Un système de jardins et d'avenues plantées structure le noyau urbain, en organisant le groupement et la répartition des édifices publics au centre, puis des commerces et des habitations et enfin des écoles. Les industries quant à elles sont localisées la périphérie, où elles sont en contact direct avec la ligne de chemin de fer électrique qui encercle l'agglomération (UNIVERSALIS, op. cit.) Fig. 17 « Quartier et centre de la cité jardin »

112

Universalis (2016). « Cité-Jardin ». Sur Encyclopædia Universalis » (en ligne). URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/cite-jardin/, page consultée le 29 juillet 2016. 113

Universalis (2016). « HOWARD, Ebenezer (1850-1928) ». Sur Encyclopædia Universalis » (en ligne). URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/ebenezer-howard/, page consultée le 29 juillet 2016. 114

Expression latine signifiant « à partir de rien »

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Fig. 18 ÂŤto-morrow a peaceful path to real reform Âť

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La Belgique ne possède pas de « ville-jardin » au sens des «Garden-Cities» anglaises mais a vu naître, autour des villes et dans les banlieues industrielles, de nombreux «faubourgs-jardins »115. Le mot cité-jardin est aujourd’hui fréquemment utilisé pour indiquer ces réalisations, « le mot cité étant pris dans le sens d’un groupement de logements présentant une unité et non dans celui de ville » (DEGRAEVE, Jean Michel, op. cit.). La première cité-jardin belge fut édifiée en 1912 à Genk-Winterslag, à proximité d’un charbonnage du groupe Coppée dans le « bassin carbonifère campinois ». Elle fut réalisée par l’architecte Adrien Blomme (1878 - 1940) fortement influencé la cité- jardin de Letchworth.

Fig. 19 Première cité-jardin belge (1912) à Genk- Winterslag, édifiée par l’architecte Adrien Blomme

Thierry Paquot constate qu’à défaut d’être de bonne volonté, la « cité jardin » se borne à être une « banlieue-jardin », ne présentant qu’un esthétisme végétal superflu (lotissement amélioré, îlot verdoyant) où s’estompe la richesse associative qu’imaginait Howard. En effet, bien que le modèle soit intéressant, son implantation, bien souvent en périphérie des agglomérations, a provoqué une faiblesse dans le tissu urbain ; la popularisation de la cité jardin a débloqué des situations à la fois porteuses d’améliorations pour l’habitat mais a également été responsable d’un déséquilibre biotique engendré par ce phénomène que l’on nomme « étalement urbain ». Face à cette situation, les élus, les concepteurs, se préoccupent des relations de la ville avec la nature, tout en essayant de faire face à la spéculation foncière, la marchandisation du sol qui devient un réel frein à cet élan humaniste se voulant éthique.

115

DEGAEVE, Jean Michel (2012, août). « La cité-jardin, un modèle durable ? ». Les Cahiers nouveaux (n°82) (en ligne). URL : http://docum1.wallonie.be/documents/CAHIERS/CN82/C2A3_Degraeve.pdf

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Assurément, il est rare d’observer ce genre de projet dans un centre-ville. Pourtant, une inclusion de cité jardin dans ces typologies traditionnelles rythmerait le paysage et diversifierait les atmosphères urbaines, modifiant éventuellement à long terme les comportements et relations qu’entretiennent les citadins. Vers une prise de conscience ? Le 20ème siècle, vers un nouvel urbanisme végétal ? En réponse à cette offensive, des réactions politiques sont entreprises, comme « la municipalisation du sol, l’obligation juridique de réserver tant de mètres carrés libres au prorata116 de tant de mètres carrés construits, d’ouvrir les jardins de certaines propriétés, d’installer des espaces verts… » (PAQUOT, Thierry, op. cit.). Le geste ici est fort, puisqu’on assiste à un changement d’état. Ce passage d’un statut privé à une situation publique suscite forcément des réactions de la part des « propriétaires habitant » et de ces nouveaux « visiteurs occupant ». Le travail ici est très intéressant car il plonge ces différents acteurs dans une situation d’échange ; un dialogue se crée, le partage social est développé. Hugo Conwentz (1855-1922, botaniste allemand) invite les édiles à s’investir lors d’une conférence intitulée « les villes et la nature » durant le premier congrès international des villes, à Gand en 1913. Selon Conwentz, il faut, dès le plus jeune âge, inculquer à l’école le respect des « monuments naturels » et inciter l’enfant à prendre connaissance du paysage, lui enseigner l’importance et la méthodologie appropriée pour développer des forêts, des « espaces verts »117, des réserves pour « la nature spontanée », des promenades plantées et des « jardins scolaires ». (Thierry Paquot) Autre intéressé du mouvement et fervent défenseur de cette méthodologie participative, l’architecte belge contemporain à notre ère, Lucien Kroll développe de belles réflexions et réalisations118 sur des ensembles d’habitats collectifs, s’apparentant plus sous forme d’écoquartier119.

Fig. 20 Schéma personnel, un modèle urbain prospectif.

116

Signifie, « en proportion de »

117

Expression utilisée à partir des années soixante.

118

ODDOS, Valérie (2015, juin 22). « Lucien et Simone Kroll : construire pour que les gens soient bien ». Sur France infotv, rubrique culturebox (en ligne). URL : http://culturebox. francetvinfo.fr/tendances /architecture/lucien-etsimone-kroll-construire-pour-que-les-gens-soient-bien-222433, page consultée le 1 juin 2016. 119

Terme que nous définirons à la suite de l’étude

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Fig.21 Plan d’ensemble du projet d’extension à Barcelone, Léon Jaussely

Le travail qu’entreprendra Léon Jaussely à Barcelone, vise à intégrer plus de nature dans la vile, avec ses percées plantées, ses réseaux verts qui articulent les quartiers entre eux. De nos jours cette méthodologie urbanistique est nommée Trame ou bien Maillage Vert (et « Bleu », lorsque la gestion de l’eau doit être effectuée).

L’architecte-urbaniste français Léon Jaussely (1875-1932), admirateur du modèle de la cité jardin dans laquelle il voit la possibilité de « réaliser le mélange intime du cadre naturel et du milieu urbain, ou, si le cadre ne s’y prête pas, ramener la nature dans ce milieu par l’énorme développement des plantations ». Pour lui, « rapprocher la vie de l’homme urbain de la Nature, (...) est le deuxième principe directeur dont toute la nouvelle théorie de l’urbanisme moderne découle, dans ses effets pratiques comme dans son esthétique.» (PAQUOT, Thierry, op. cit.). Toutefois, l’intérêt qu’il porte à ce modèle ne l’empêche pas de douter de sa réussite : il ne croit pas en sa multiplication sur des terrains vierges. Il souhaite qu’on s’inspire de ses principes pour embellir l’ancienne cité. En conjuguant la cité jardin au système de parcs, il souhaite réaliser une ville débordante de plantations, « d’espaces « libres », de pauses verdoyantes, de boulevards ombragés, de jardins publics…»120 120

JAUSSELY, Léon (1923) cité par : PAQUOT, Thierry (2004). «Ville et nature, un rendez-vous manqué ?», Dans Diogène p. 83-94 (n°207) (en ligne). URL: https://www.cairn.info/revue-diogene-2004-3-page-83.htm#s1n2, page consultée le 31 mai 2016

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De nouveau la réalité est moins rêvée. Les espaces verts sont accaparés par les spéculateurs, la nature est dégradée, aliénée, s’essouffle, « les immeubles et les pavillons sans grâce contredisent le paysage et le sabotent allégrement. » (PAQUOT, Thierry, op. cit.). Les pouvoirs publics ne se pressent pas pour délimiter de nouveaux parcs, ouvrir un zoo, redessiner un cimetière, aménager les berges d’un fleuve, concevoir un stade et des pelouses d’entraînement ; ils évoquent dans de beaux discours l’importance du « poumon vert » qui permet à la ville de respirer, mais optent pour un « urbanisme de dérogation » qui accroît la population et les inadmissibles embouteillages. (PAQUOT, Thierry, op. cit.).

Les Modernisateurs Les stratégies urbaines soulevées par la prise de conscience environnementale amènent le citoyen à développer un nouvel organisme pour se défendre. La ligue urbaine, en devenir Ligue urbaine et rurale créée par l’écrivain et diplomate français Jean Giraudoux (1882-1944), en 1928 en est un bel exemple. Ses membres dénoncent la ville sclérosée, macadamisée et déshumanisée. Pour eux, prospective urbanistique est synonyme de cohésion entre le support urbain et les évolutions de la technique. «Tout comme Ebenezer Howard est un partisan du tramway électrique et du train, qui dessert ses cités jardins ; Giraudoux et ses amis ne pleurnichent pas sur une ville dépendante de la machine qui aurait perdu son âme, non, ils sont persuadés que le progrès technique doit servir le renouveau des villes et les ouvrir davantage encore à la nature ». (PAQUOT, Thierry, op. cit.). Ce parti pris sera également assimilé par les architectes dit modernes, mais la fonctionnalisation « rationnelle » de l’espace urbain sera pour ces concepteurs le maître mot de leur réalisation et réflexion architecturale.

Opposés aux « modernes », les « modernisateurs » rassemblés derrière l’étendard que représente la revue Urbanisme (née en 1932) défendent une autre idée de la ville et par conséquent, une autre manière de faire de l’urbanisme, explique T. Paquot, dans son ouvrage « Terre urbaine, cinq défis pour le devenir de la planète ». Souvent redondant, le thème de la nature en ville est abordé, il le sera au moins au cours des années cinquante, et à nouveau depuis les années soixante, avec des paysagistes comme Jacques Simon, Jacques Sgard, Bernard Lassus… André Véra (1881-1971) publie un article au titre explicite, « Nature et Urbanisme »121 dans lequel il s’adresse à l’homme de l’art : « La conservation et la reconstitution des paysages ne sont pas des entreprises suffisantes pour retenir l’homme près de la nature. L’urbaniste doit organiser des rencontres de l’un avec l’autre, décidant des plantations sur des terrains nus, assignant aux arbres une place sur ses plans. »122 Ces recommandations s’apparentent fortement au nouveau concept paysager porteur d’équilibre environnemental que promeuvent les paysagistes que sont Gilles Clément, Caroline Mollie ou bien d’autres développeurs et adeptes de la philosophie de Permaculture123.

121

VERA, André cité par : PAQUOT, Thierry (2004). «Ville et nature, un rendez-vous manqué ?», Dans Diogène p. 83-94 (n°207) (en ligne). URL: https://www.cairn.info/revue-diogene-2004-3-page-83.htm#s1n2, page consultée le 31 mai 2016 122

Ibid.

123

Créée dans les années soixante-dix en Australie par Bill Molisson et David Holmgren, la permaculture est un système conceptuel inspiré du fonctionnement de la nature. Depuis des centaines de millions d’années, la nature crée des écosystèmes harmonieux et durables, qui génèrent eux-mêmes les conditions favorables au développement de formes de vie plus évoluées. Permaculture signifiait, à l’origine, agriculture permanente, puis le concept s’est élargi pour devenir culture permanente, dans le sens de durable

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La diversité est le maître mot ; quoi de plus enrichissant que de faire correspondre et planter des espèces diverses et variées qui s’adaptent aux différents sites et climats ? Par procédé chimique, les plantes se développent et se régulent spontanément. André Véra conclut son recueil d’articles, L’urbanisme ou la vie heureuse, par le slogan suivant : « La France par l’urbanisme, devient un jardin». (PAQUOT, Thierry, op. cit.).

Fig.22 Master plan du projet Radburn, New Jersey, Henry Wrigh et Clarence Stein

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Les mentalités bougent, les langues se dénouent chez les concepteurs et l’on voit apparaître des architectures visant l’évolution et l’amélioration du modèle cité-jardin. Les architectes Henry Wright (1878-1936) et Clarence Stein (1882-1975) vont réaliser une ville expérimentale, Radburn, dans le New Jersey. En effet, on y retrouve certaines caractéristiques de ce type de cité ; l’habitat et le jardin s’articulent autour d’un parc central, où les pelouses fusionnent en des coulées vertes, et la nature unifie les constructions au paysage.

Dans le projet de H. Wright et C. Stein, le schéma de la mobilité est également pris en considération, « La voirie est hiérarchisée et monofonctionnelle, les voitures, les vélos et les piétons possèdent leur réseau : ainsi, par exemple, les enfants se rendent à l’école en bicyclette sans craindre d’être renversés par une automobile ». Cette petite ville dissimulée dans la campagne est riche en associations et en « unités de voisinage » et se refuse à n’être qu’un cadre luxueux pour familles aisées. Son objectif est d’inventer une alternative au modèle du lotissement pavillonnaire banal, où chacun s’enferme dans un chez soi coupé égoïstement des autres. La nature, terrain d’aventures pour les enfants, est aussi un lieu d’apprentissage et de connaissance et exerce une action apaisante sur tous. Le citadin s’y promène, fait de l’exercice, sent son corps, stimule ses sens, prend la mesure des variations climatiques, des changements de saison, etc., bref, « ce contact permanent avec la nature lui rappelle combien est fragile l’existence humaine, combien est décisive son alliance avec la Terre. » (PAQUOT, Thierry, op. cit.).

Un modernisateur français, Gaston Bardet, va lui aussi partir en guerre contre le fonctionnalisme ; Le Corbusier sera une de ses cibles privilégiées. Sa revendication pour l’héritage de Ebenezer Howard et les Garden city de Frank Lloyd Wright est également soulevée. Le nouvel urbanisme, affirme-t-il, doit être biologique ; « en ce sens, il accordera la primauté à la femme et à l’enfant. Il doit “féminiser” le cadre urbain pour y réintégrer la nature, le renouvellement ; il doit satisfaire aux besoins de l’enfance, besoins d’expansion, d’éclatement, qui ne sont pas ceux des adultes» (PAQUOT, Thierry, op. cit.). Dans le modèle qu’il propose, un urbanisme solidaire de la nature est esquissé.

Le contexte urbain d’après-guerre Après la guerre, on assiste à une période de mutation urbaine ; détruites et sinistrées, les villes voient leur tissu urbain décousu. Une solution hâtive est entreprise pour parer rapidement à cette fragilité sociale ; les concepteurs adoptent le modèle de « tours et de barres » de logement pour satisfaire les pressions politiques. Malheureusement, ces grands ensembles dessinent des paysages austères, cause d’une rationalisation brute de l’habitat et de son implantation dans le paysage urbain, principe du « chemin de grue »124. Dans ces compositions architecturales, le strict minimum est mis à disposition des résidents dans les espaces, qu’ils soient extérieurs comme intérieurs. Thierry Paquot nous décrit dans son article une situation précaire, « petits bouts de verdure, peu entretenus, lépreux, mal aimés, fréquemment occupés par des automobiles, jonchés de détritus et de déjections canines. » qui mériterait une sérieuse attention.

124

Epoque où les grands ensembles se développent de façon exponentielle ; on voit donc apparaitre dans les banlieues, multitudes de grues, mise en œuvre dans les chantiers de tours et barres de logement. Dans un contexte contemporain, ce phénomène est facilement observable dans les nouveaux zonages urbains accueillant des ZAC, ou autres concept urbanistique caractérisant du logement groupé et « social ». Par exemple, dans l’agglomération parisienne, la ville de Nanterre expose clairement ce phénomène de « chemin de grue »

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Paradoxalement, il est prévu dans ce genre de projet une grille d’équipement d’un grand ensemble d’habitation dite « grille Dupont » (1958), où y figurent plan masse et autres documents d’urbanisme nécessaires à la mise en œuvre d’un projet. Si l’intérêt porté aux habitants ou futurs résidents était appliqué soigneusement, on devrait également voir apparaître des enquêtes sociologiques relatant les réelles attentes des citadins ; Cependant les événements montrent que ces aménagements paysagers ne sont qu’agrément visuel, touche verte dans ces documents de persuasion. Cette immersion dans un paysage minéral, où l’absence d’atmosphère chaleureuse se fait sentir, plonge l’habitant dans un quotidien « plat », freinant l’éveil Nature des enfants et adultes. Pour citer Thierry Paquot, « Les quartiers de logements sociaux des communes de banlieue manquent cruellement de parcs conçus comme partie prenante de l’habitat. La verdure dont ils disposent est celle des jardins bricolés des pavillons voisins, des rares jardins ouvriers ou familiaux encore en activité et ceux des équipements municipaux.»125 Des réflexes, ou gestes de composition spatiale existent pourtant et auraient pu assurer le succès de ces espaces verts. Prenons l’exemple de la démarche paysagère qu’entreprennent les paysagistes et biologistes Gilles Cléments et Caroline Mollie ou bien l’architecte James Wines. Leurs travaux, répondent parfaitement aux attentes des citadins et visent également à enrichir les biotopes et leur richesse spécifique. Plus simplement, il suffit d’énoncer la notion de « Jardin » et de suite, toutes les images que le mot dégage apparaissent. L’idée qui se traduit est, d’un point de vue comportemental, de Jardiner la ville, de composer le tissu urbain comme un ensemble « homogène » où une relation équilibrée se tisse à travers les diverses structures et échelles qui le composent.

Fig.23 Ross's Landing Park and Plaza - Chattanooga, TN - USA - 1992

125

PAQUOT, Thierry (2004). «Ville et nature, un rendez-vous manqué ?», Dans Diogène p. 83-94 (n°207) (en ligne). URL: https://www.cairn.info/revue-diogene-2004-3-page-83.htm#s1n2, page consultée le 31 mai 2016

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Faire dialoguer la ville Cependant, un rebondissement apparaît ponctuellement sur certaines réhabilitations de grands ensembles qui ne se contentent pas de « repeindre les cages d’escalier et d’installer des digicodes » explique T. Paquot, mais repensent l’entière disposition des bâtiments ; les silhouettes sont redéfinies et désormais entremêlent le bâti au végétal. « L’espace vert n’est plus un alibi d’une quelconque esthétique, mais un élément constitutif du projet urbain. »

Fig. 24 "La Mémé", la maison des étudiants en médecine, Woluwe-Saint-Lambert, Belgique - 1970

Faire participer les habitants, c'est le principe de Lucien Kroll. Depuis 50 ans, il construit ou réhabilite des ensembles où les gens doivent avoir envie de vivre, des écoles où les enfants doivent se sentir bien. Il travaille avec sa femme Simone Kroll, qui intègre le végétal dans ses projets.

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Pour l’architecte, « l’architecture n'est pas une marchandise, un narcissisme personnel ou collectif. Elle est un lien empathique entre les humains. "Il faut créer des choses où les gens sont bien.»126

Dans le travail de L. Kroll, la participation des citadins est nécessaire à la bonne réalisation d’un projet, ces applications en site urbain ne manquent pas : la « mémé » à Louvain en Woluwe (Bruxelles), une barre abandonnée à Montbéliard, etc… En fonction des besoins et surtout avec l’avis des habitants, il transforme, rajoute des terrasses ici et là, y construit à côté des petites maisons pour créer des places et circulations ; L’idée, de faire respirer le bâtiment, est clairement entreprise dans son travail.

Certaines erreurs ou réussite de planification urbanistique ont été soulevées dans ce travail, l’intérêt était d’en prendre connaissance et conscience afin que les nouvelles générations de concepteurs urbains tiennent compte de ce processus dont on a maintenant un retour. Une méthodologie visant à développer un cadre urbain apaisant pour le citadin est également esquissée. Comment en est-on arrivé, dans nos villes, à vulgariser cet élément de nature, que l’on appelle végétation? D’un point de vue anthropologique à quoi nous amène cette relation « d‘artifice » matériel et cette satiété psychologique, psychique, que le citadin entretient avec ces modèles urbanistiques ? Le mode de vie, « outil »127 a conduit le citadin à changer son comportement ; l’immersion spontanée dans un monde de nature s’affaiblit. Petit à petit, le comportement de l’Homme et le dynamisme qui existe dans ces échanges relationnels se fragilisent. Le rythme se modifie, le train de vie s’accélère, ne serions-nous pas en train de nous adapter à un cycle artificiel ? Le citadin se doit de se développer et d’affirmer sa « mathesis»128 dans la situation urbaine dans laquelle il s’immerge. L’émancipation se traduit avant toute chose par une transformation de l’endroit où l’on vit afin de s’y sentir bien, Il convient de ne pas confondre le Beau et l’Agréable. C’est par ce questionnement, soulevé par Thierry Paquot, que cette lecture de l’urbanisme du 20 ème siècle se conclut ; en effet « La ville a rendez-vous avec la nature, comme la lune avec le soleil, mais elle ne le sait pas ! Affaire classée ? Non, affaire à suivre ! »129

126

ODDOS, Valérie (2015, juin 22). « Lucien et Simone Kroll : construire pour que les gens soient bien ». Sur France infotv, rubrique culturebox (en ligne). URL : http://culturebox. francetvinfo.fr/tendances /architecture/lucien-etsimone-kroll-construire-pour-que-les-gens-soient-bien-222433, page consultée le 1 juin 2016. 127

Rapport à Stiegler et la technicité

128

Terme issu de la langue et philosophie grecque, signifie fondamentalement « science et connaissance par excellence». Ici le terme est employé pour désigner « l’action et le désir d’apprendre », se connaitre soit même et connaitre l’autre pour habiter pleinement notre environnement, être celui-ci. Source : DESANTI, Jean-Toussaint (2005, février). « Réflexion sur le concept de Mathesis ». Sur CAIRN.INFO (en ligne). URL : https://www.cairn.info/revue-figures-de-la-psy-2005-2-page-103.htm, page consultée le 12 juin 2016. 129

PAQUOT, Thierry (2004). «Ville et nature, un rendez-vous manqué ?», Dans Diogène p. 83-94 (n°207) (en ligne). URL: https://www.cairn.info/revue-diogene-2004-3-page-83.htm#s1n2, page consultée le 31 mai 2016

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« Le Nouvel urbanisme » un mouvement nous venant des Etats-Unis » 1980 Le mouvement du Nouvel urbanisme cherche à rompre avec les principes de la Charte d'Athènes et à retrouver les principes de génération et de composition des villes anciennes (charte de Nouvel urbanisme), en ce qui concerne l'aménagement des espaces urbains, tandis que les bâtiments euxmêmes peuvent revêtir des apparences plus ou moins modernes.

Ce mouvement se considère comme opposé, d'une part à l'urbanisme du mouvement moderne mettant en avant les déplacements automobiles et les aménagements étalés sur des zones étendues, d'autre part au style international qui a rompu avec les cultures nationales et locales, ne s’intéressant que de très loin aux données géographiques et historiques d’une localité. Les zones résidentielles, uniformément construites dans de bref délai, sont également critiqués par ce mouvement cherchant à requalifier ce modèle pavillonnaire qui s'est imposé en Europe depuis les années 1960. Leurs objectifs sont claires, « Il s'agit de retrouver une échelle d'aménagement, une densité et un rapport entre le bâti et les vides plus favorable aux piétons »130. Le nouvel urbanisme cherche à « réhumaniser » l'espace urbain, à le rendre moins ordonné, programmé. On retrouve donc dans ce mouvement des quartiers avec des maisons différentes les unes des autres, mais combinées dans des zones urbaines restant cohérentes et de taille médiane. « Faire vivre » ensemble la population, toutes classes sociales confondues, en incluant dans un même quartier plusieurs types d'habitations, est le but recherché par ce mouvement. On voit apparaitre ici des critères de développement similaire à l’écoquartier. Le phénomène observé par Dunham Jones, Ellen, Architecte, professeur à l’institut de Technologie de Géorgie, à Atlanta, est très comparable à une certaine situation observé dans les banlieues de Belgique ou de France. Devenant l’objet d’attention des concepteurs urbain, la périphérie de la ville est de plus en plus sollicitée dans des projets d’architecture et d’urbanisme. Le nouvel urbanisme, se focalise particulièrement sur cette partie de la sphère urbaine susceptible d’offrir au citadin, un nouveau support d’habitat et un réseau de communication, sain et agréable131. Réinvestir des projets déjà ancrées dans ces zones, pour modifier la forme et en améliorer le fond, est le travail auquel s’adonne E. Dunham Jones.

Histoire des « banlieues » La période « après-guerre », est marqué par un exode des populations urbaines quittant la ville pour s’installer à sa périphérie. Au même moment, les politiques publiques, les procédures bancaires et financières, se modifient et permettent aisément au promoteur d’investir massivement dans la banlieue. On voit dans ce modèle pavillonnaire un choix plus sain et la promesse d’un avenir meilleur.

130

Studio Lentigo (2005, avril 27). « New urbanism ou nouvel urbanisme ». Sur Studio lentigo (en ligne). URL : http://www.studiolentigo.net/?p=3960, page consultée le 30 juin 2016. 131

« Cittaslow » : communauté de villes qui s'engagent à ralentir le rythme de vie de leurs citoyens. Ce mouvement d'urbanisme s'inscrit dans les mouvements de la décroissance économique et du nouvel urbanisme. « Carfree » : mouvement international qui réunit des organisations et des individus engagés à promouvoir des alternatives à la dépendance automobile, autant en matière de modes de déplacement que d'urbanisme.

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Dans un entretien, E. Dunham Jones, soulève la constatation qu’avec la « banlieue » s’est opéré « un incroyable transfert de richesse et un changement de modèle dans la façon d’accumuler la richesse 132». L’espace d’une seule génération a suffi l’homo urbanus pour s’habituer à voir sa propre maison et déjà envisager l’idée de la revendre au double ou triple de sa valeur initiale au moment de la revente. On assiste ici à une belle démonstration des « mentalités spéculatives », cherchant la rente et le profit, plutôt que la sobriété et l’échange de bien. Ces aires périphériques considérées moins comme un milieu de vie et plus comme un investissement est une conception assez récente.

En citant KUNSTLER HOWARD, James, E. Dunham Jones, décrit une situation critique des banlieues américaines où l’espace public est vraiment dominé des « strips commerciales »133 et des grosses artères qui sont pratiquement les endroits les moins aimés et les moins durables sur la planète. Toujours sur ces zones commerciales périphériques, E. Dunham Jones précise que ces conceptions urbanistiques ne laissent pas la possibilité à l’habitant de s’y développer spontanément, ce sont des espaces pour lesquels personne ne développe de sentiment d’appartenance. Un lieu « inhabité », est un espace où personne ne se soucie de son « état de santé », où le vandalisme sévit à répétition sur tout équipement en œuvre et où personne ne s’arrête pour dire : « On doit faire quelques chose » (DUNHAM JONES, Ellen, op. cit.).

Une société en évolution « Au départ, l’idée sous-jacente à la création des banlieues était : le père travaille et la mère reste à la maison pour élever les enfants. Dès les années 1970, ce n’était déjà plus la norme et le père n’allait pas travailler au centre-ville. A cette époque, les deux parents travaillent, dans une autre banlieue, plutôt qu’au centre-ville ». (DUNHAM JONES, Ellen, op. cit.).

Dans un contexte actuel, la génération dite « Y », les jeunes professionnels, les citadins souhaitent avoir un style de vie urbain. La plupart ont grandi en banlieue mais la trouvent ennuyeuse. Notre façon d’utiliser la quasi-totalité des espaces urbains est en plein changement, les préoccupations des nouvelles générations ne sont plus les même qu’il y a soixante ans et pourtant la manière de construire peine à évoluer. Ce que souhaite la « classe créative », ce qu’elle attend d’un milieu de travail, est d’être immergée dans un milieu urbain vibrant, et non dans ces grands « open-space » où le spécialiste est cantonné sur une chaise de bureau et séparé de son voisin par deux cloisons. Les compagnies reconnaissent donc de plus en plus que pour être en mesure d’embaucher ces nouveaux spécialistes informatiques, le milieu les accueillant doit-être de qualité.

132

DUNHAM JONES, Ellen (2013, mai 16). « Nouvel urbanisme et requalification des banlieues : Ellen DunhamJones». Crédit vidéo : Vivre en ville (en ligne). URL : https://vimeo.com/166229406#collections, page consultée le 30 juin 2016. 133

Se traduit littéralement par « bande commerciale », cette expression caractérise le phénomène de périurbanisation commerciale américaine, où une multitude de centre commerciaux se sont développé dans les banlieues.

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Requalifier le tissu urbain La méthodologie abordée par le nouvel urbanisme, focalise son attention sur la requalification de la banlieue, c’est-à-dire, tirer simplement profit du nombre grandissant de propriétés commerciales sous-utilisées à mesure que les banlieues vieillissent. Sur ce point, E. Dunham Jones considère que ces « strips commerciales » nous sont données comme une seconde chance. A nous, acteurs urbains d’en faire dès à présent des endroits plus durables. On peut les réinvestir en ajoutant des activités communautaires, ou les réaménager de façon plus compacte, pour qu’elles soient favorables à la marche, voire desservies en transport en commun. Une restructuration végétale est également indispensable. E. Dunham Jones préconise de « rétablir les milieux humides, en ajoutant des parcs, des jardins communautaires, de l’agriculture ou de la production d’énergie » (DUNHAM JONES, Ellen, op. cit.).

Risque d’uniformité L’architecte Dunham Jones, apprécie les villes qui sont l’exemple même d’urbanisme incrémental, où l’on retrouve des bâtiments de plusieurs générations ; on y sent toute l’histoire du tissu urbain. Cela fonctionne très bien lorsque la trame urbaine, faite de petits îlots, est favorable à la marche. Dans le cas contraire, l’exercice est plus périlleux, « on doit travailler sur des grands morceaux pour rendre la trame de rues favorable à la marche, offrir du transport en commun, incorporer plus d’espaces publics, assurer une plus grande présence de logements abordables, insister sur des infrastructures vertes plus performantes » (DUNHAM JONES, Ellen, op. cit.). Ellen Dunham Jones, relève la critique qui est souvent apportée aux projets du nouvel urbanisme ; « ils ressemblent à Disney, transpirent la nostalgie. C’est de l’urbanisme instantané ». Elle voit cette critique comme un défi que concepteurs urbains et architectes se doivent de relever. Ellen Dunham-Jones interroge les nouvelles générations d’architectes et urbanistes ou autre concepteur de ville : « comment mettre en place une infrastructure qui permette cette croissance et cette évolution constante ? », sans reproduire les erreurs trop fonctionnalistes des modèles du mouvement modernes.

Réponses à la gentrification Tant de gens parlent de l’embourgeoisement comme d’une mauvaise chose en soi. Le problème vient du fait que l’on pousse des habitants de longue date à se délocaliser. L’embourgeoisement est un problème sérieux, qu’aucune collectivité n’a su résoudre complétement. Ce que proposent beaucoup le projet de nouvel urbanisme est un zonage inclusif où il n’est pas possible de faire la différence entre un logement subventionné et un autre qui ne l’est pas. Dans cette situation, en faisant le tour du quartier, il est difficile pour le passant de stigmatisés les habitations composant l’espace. Les adeptes du nouvel urbanisme camouflent volontairement les différences. Mais Ellen relève que ces gestions et modèles urbanistique, ne seront optimal qu’à condition de mettre en place un transport agréable et une mobilité abordable. Le nouvel urbanisme se focalise donc sur le lien entre logement et transport accessible. Cette réflexion apparait comme un total contre-pied des approches modernes du logement social, qui avaient tendance à dire : « les HLM devraient avoir l’air de HLM. On va les rassembler et appeler çà Les projets » (DUNHAM JONES, Ellen, op. cit.). Quiconque habite là est stigmatisé puisqu’il habite un logement social.

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«Un modèle urbain durable ? Focale sur l’écoquartier » « Les écoquartiers sont encore aujourd’hui à l’échelle de l’expérimentation »134, ces modèles s’apparentent presque à des « quartiers vitrines », fleurissant de toutes parts, qu’il faudrait mettre en avant. Thierry Paquot n’est pas un adepte des projets de « Tour dense », tels que certains projets le préconisent dans la réflexion sur le Grand Pari(s) par exemple. Le philosophe réfute l’argument de certains concepteurs qui utilisent ce modèle (prônant la verticalité) comme une réponse écologique au problème lié à l’accroissement démographique. « Au lieu de dire à des équipes qu’il faudrait rivaliser de fantaisie pour le Grand Paris, il faudrait qu’ils rivalisent d’intelligence technique et esthétique pour faire des éco-quartiers avec des maisons individuelles » (PAQUOT, Thierry, op. cit.). Certains quartiers réalisés pour l’habitant, combinant une réflexion d’ « écohabitat » à une habitation individuelle, démontrent que ces modèles ne sont pas opposés. Prenons l’exemple de Lucien Kroll ou Giancarlo de Carlo qui combinent des pâtés de maisons individuelles « imbriquées les unes dans les autres où chacun a son entrée et son jardin suspendu » (PAQUOT, Thierry, op. cit.). Visiblement efficace et de qualité, ces écoquartiers deviennent des habitats où le refuge y est agréable, et nourri « trente ans après », le bien-être des enfants les ayant habités, ne voulant plus les quitter.

Fig.25 Giancarlo De Carlo, Villaggio Matteotti auzoa, Terni 1969-1974

« Cet idéal de la maison est un idéal de qualité de vie et nourrit plus que l’imaginaire : la maison est le cosmos, et notre accord avec le monde passe par ce type d’habitat. » (PAQUOT, Thierry, op. cit.)

134

PAQUOT, Thierry (2009, avril 3). « Vers un urbanisme sensoriel - entretient avec Thierry Paquot ». Sur Mouvements, rubrique « Essai & Débat », par CHAPELLE Sophie (en ligne). URL : http://mouvements.info/versun-urbanisme-sensoriel-entretien-avec-thierry-paquot/, page consultée le 24 juillet 2016.

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L’engouement pour la maison individuelle n’est pas « honteuse » explique T. Paquot, « il ne faut pas culpabiliser les citadins de vouloir cela, ça me semble légitime ». Cette volonté nécessite «simplement » une remise en question de nos pratiques urbanistiques. Dès à présent il nous faut éviter de construire cette maison au milieu d’une parcelle, mais réfléchir, « inventer un urbanisme de la maison individuelle ». L’ «étalement urbain », tant accusé de nos jours, a été cautionné par le pouvoir public, ne l’oublions pas.

Un point étymologique « Le terme « écoquartier » (parfois écrit à tort « éco-quartier ») est un néologisme associant le substantif « quartier » au préfixe « éco- », qui vient du grec ancien οἶκος, oîkos (« maison ») et entre dans la composition des mots écologie et économie » 135.

Un modèle écologique ? Les tout premiers écoquartiers en France sont apparus au milieu des années 90, ils tirent leur inspiration des pays nordiques. Cet engouement pour ce nouveau modèle urbanistique peut s’expliquer par diverses causes : « - Une prise de conscience écologique face aux problématiques actuelles liées au changement climatique, à la biodiversité, l’épuisement et la pollution des ressources naturelles, - L’impulsion portée par les autorités gouvernementales au travers du Grenelle puis des appels à projets qui reçurent un écho inattendu, - L’augmentation du prix des matières premières et le souci d’économiser et de réduire sa facture énergétique. » (LASTERNAS, Isabelle, op. cit.)

Ce modèle en est encore à ses balbutiements, la notion d’écoquartier demeure parfois « quelque peu floue et la démarche encore tâtonnante » (LASTERNAS, Isabelle, op. cit.)

L’écoquartier apparait comme un modèle qu’on ne peut quantifier de manière précise. Satisfaisant une situation singulière, l’historique de ces modèles nous présente des réalisations dont le nombre d’habitants n’est jamais du même ordre de grandeur.

135

LASTERNAS, Isabelle (2011, décembre). « Écoquartiers, quartiers de rêve ? Utopies et réalités ». Sur Oise-laVallée, agence d’urbanisme et de développement (en ligne). URL : http://www.oiselavallee.eu/wordpress/wpcontent/uploads/Etude/2011_Ecoquartiers_mars%202012.pdf, page consultée le 25 juillet 2016.

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En effet dans son rapport sur la définition de l’écoquartier, I. Lasternas prend l’exemple de divers projets précurseurs présentant des densités variées : « Il est dénombré 250 habitants sur 1.7 hectare dans l’ensemble de Bedzed à Beddington en Grande-Bretagne, soit moins de 150 habitants à l’hectare, le quartier Vesterbro à Copenhague, au Danemark, en accueille 34 000 sur 35 Ha, soit 970 habitants à l’hectare. Pour comparaison, le quartier Vauban de Freiburg en Allemagne, cité comme exemplaire, compte seulement 95 habitants à l’hectare, soit 10 fois moins. » (LASTERNAS, Isabelle, op. cit.)

Dans un écoquartier, les habitants doivent être impliqués dès la conception du quartier ou au démarrage du projet de réhabilitation. Dans cette logique de développement durable, la concertation doit être au cœur du processus, la conception de tels quartiers attache une importance particulière à « la mixité socio-économique, culturelle et générationnelle » (LASTERNAS, Isabelle, op. cit.). Du point de vue économique, c’est la multifonctionnalité des services et commerces qu’il faut viser. L’architecture de ce modèle urbanistique ne doit pas simplement satisfaire, décideurs locaux et habitants, pour son esthétisme ou avantage d’image écologique. Pour qu’un projet d’écoquartier soit mené à bien, il faut indéniablement qu’une prise de conscience citadine s’opère et que ses occupants, accompagnés tout au long de la vie de l'écoquartier par divers organismes, s’éduquent à ce nouveau mode de vie, permettant ainsi une intégration en adéquation avec les objectifs de développement durable.

Depuis une vingtaine d’année, le modèle d’écoquartier fait l’objet de débats et controverses, où divers concepteurs de la ville défendent leurs positions, cependant toutes ces agitations visent à déterminer la réelle valeur écologique, économique et sociale de ce modèle vu comme le « nouvel habitat écologique ». Ces concepteurs remettant en cause la réelle efficacité de l’écoquartier, tel l'architecte Rudy Ricciotti, estiment que le concept d'écoquartier « prend un certain sens quand il s'agit de rénovation urbaine, mais se contredit quand il s'agit d'implantation détruisant un milieu naturel ou seminaturel »136. Les décideurs locaux faisant la promotion d’un projet d’écoquartier l’entendent trop souvent comme un « îlot écologique » 137au sein de leur ville sans trop se soucier, dans son élaboration, de son rapport avec le reste de la ville. La réelle efficacité d’un écoquartier, vient non seulement de sa bonne implantation dans le contexte environnemental en présence, mais surtout de son inclusion et dialogue avec le contexte général de la ville. « C’est pourquoi un écoquartier doit être le fruit d’une politique d’aménagement de la ville qui établit en amont les stratégies de développement économique et équilibre la mixité sociale » (OUTREQUIN, Philippe, Ibid.)

136

Wikipédia (2016, 14 juillet). « Ecoquartier ». Sur Wikipédia, l’encyclopédie libre (en ligne). URL : https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89coquartier, page consultée le 8 août 2016 137

OUTREQUIN, Philippe (2009, mars 24). « L’écoquartier ne doit pas être une enclave écologique pour bobos ». Sur Le Moniteur, rubrique « architecture et urbanisme » (en ligne). URL : http://www.lemoniteur.fr/article/lecoquartier-ne-doit-pas-etre-une-enclave-ecologique-pour-bobos-735279, page consultée le 8 août 2016

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On se retrouve parfois devant une situation où des projets d'écoquartiers ruraux se retrouvent très déconnectés des services (transports en commun ou gare, école, alimentation, santé). La posture qu’adoptent les habitants au sein de leur habitat influence la valeur finale du quartier (utilisation de la mobilité douce, ou « transports propres », gestion et tri des déchets, etc.).

Fig.26 composition végétale d’un écoquartier - E.V.A. Lanxmeer (1994 à 2009), Culembourg - Pays-Bas.

Un écoquartier doit être « reproductible » explique P. Outrequin. Si l’on veut parler de « modèle durable », Il faut le concevoir comme un tissu qu’il est possible d’étendre au reste de la ville, afin qu’à terme l’écoquartier ne soit plus perçu comme un événement «commercial » ponctuel, mais devienne un quartier ordinaire. De la sorte, une homogénéité doit apparaitre entre les projets de rénovation urbaine et les constructions « durables » naissantes.

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« Conclusion » L’urbanisme est une discipline qui en est à ses balbutiements, si on la replace dans l’histoire du phénomène urbain. Saisie dans les années soixante par des concepteurs proclamant un fonctionnalisme urbain, le mouvement se retrouve appuyé par les politiques lui laissant « carte blanche » pour reconstruire la ville, « au nom de la modernisation » 138. Le problème réside dans le comportement adopté par la société. L’homo urbanus, engrainé dans ce processus de « tertiarisation de l’économie », sur consomme les espaces urbains et les ressources énergétiques. Ces gestes ont des répercussions sur la ville qui se traduisent sur le territoire par deux phénomènes : « la création de zones administratives et la prééminence de la voiture comme mode de déplacement » (ARAU, op. cit.).

« En appliquant la séparation des fonctions à l'échelle de zonages entiers de la ville, l’urbanisme moderne est allé à l’encontre de la nature même de la ville qui se défini par la cohabitation, à l’échelle du piéton, des fonctions, par leur imbrication, par leurs interrelations et par la continuité entre elles. » (ARAU, op. cit.).

Cependant depuis une vingtaine d’année, certains organismes ou groupes d’habitants, comme L’ARAU (l’Atelier de Recherche et d’Action Urbaines, dans la région de Bruxelles), analyse des projets d’aménagement urbain, public et privé, afin de remédier à davantage d’urbanité. Ils soulèvent diverses questions susceptibles de donner réponse à certaines problématiques urbaines139.

Afin de mieux construire ou reconstruire la ville, il est intéressant de commencer par implanter une « Habitation » de qualité, nécessaire à l’éveil personnel de chaque individu. « Diversité et mixité » des fonctions étant les maîtres mots du concept de développement durable ; les lieux de travail d’échelle humaine (ne s’apparentant pas à des tours bureau), les équipements, les espaces « verts » de qualité, doivent être accessibles et répartis de manière homogène au sein de la ville en faisant attention à ce que le tout soit desservi par les transports en commun car la voiture tue la ville.

Aujourd’hui, il est devenu inévitable de reconstruire la ville, plutôt que d’accentuer ce phénomène d’étalement urbain et ses répercussions liées au coût énergétique qu’il génère. La périurbanisation produit des coûts importants : « réseaux, routes, transports en commun, transport de l’eau, de l’électricité, du courrier, égouttage,… ainsi que des nuisances : pollution diverses, de l’air, de l’eau, du paysage ». (ARAU, op. cit.).

138

ARAU (2010, janvier 1). « Réponses de l'ARAU au questionnaire d'Atenor ». Sur ARAU, Action urbaine, rubrique « espace public » (en ligne). URL : http://www.arau.org/fr/urban/detail/5/reponses-de-l-arau-au-questionnaire-datenor, page consultée le 8 août 2016. 139

Nous les avons relevées précédemment.

83


Les concepteurs doivent s’atteler à organiser des quartiers où chaque homo urbanus dispose de ses besoins à « portée de main » et, en même temps où les habitants ne soient pas enfermés mais aient la possibilité de parcourir l’ensemble de la ville, que ce soit en transports en commun, efficaces et agréables, ou par des trames végétales, des promenades piétonnes accessibles en mobilité douce. Le citadin doit être prioritaire dans l’espace public et non enterré ou bousculé. Il serait envisageable de redonner une échelle humaine à la ville, où l’harmonie de ses constituants reflètent le visage de ses habitants. Bien que les concepteurs et spécialistes du phénomène urbain aient participé et participent encore à la construction d’une ville, il est indispensable, pour prospérer, d’avoir l’attention de l’habitant ainsi que sa manifestation au sein de l’univers sociétal. Celui-ci doit pouvoir participer réellement à l’élaboration et à l’entretien de son habitat, acquérir une certaine forme d’éducation à la « durabilité » de son habitat, encore bien loin des préoccupations citadines qui prônent de nos jours.

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1.1.3| le Jardin (La nature en ville, une longue négociation)

Le mot « Jardin » vient du vieux François « Jart ou gart », de langue francique ; il remonte vraisemblablement à un mot gallo-romain hortus gardinus (gardinium est attesté au 9ème siècle en latin médiéval) signifiant « jardin entouré d'une clôture » ; étant issu de l'ancien bas-francique gart ou gardo140.

L’image du « Jardin », ses fonds et formes « L’avantage du jardin vient de ce qu’il ne s’encombre pas obligatoirement des prescriptions sociales ou culturelles. C’est un lieu possible des transgressions, un territoire de liberté. »141 (CLEMENT, Gilles)

Si l’on veut tendre à définir la notion de jardin, il est nécessaire au préalable de soulever et d’assimiler le terme « Jardiner », signifiant l’action qui en compose l’espace dans le temps. C’est ce que nous dit Hervé Brunon dans une entrevue intitulée le jardin de sagesse, « Pour avoir un jardin, il faut apprendre à Jardiner. »142 (Hervé BRUNON) Jardiner, c’est donc savoir interpréter un espace, un lieu, un instant, préexistant une situation. Nous entendons par là que jardiner c’est projeter le corps dans l’espace, le mettre en scène afin de se l’approprier. Cet action traduit clairement la volonté du corps de vouloir « habiter un lieu »143 ; Et pour habiter un lieu, il faut l’étudier, le voyager : « Les gens s’arrêtent, elle est occupée à l’expliquer, c’est un jardin actif »144 (Lucien KROLL) Ces propos sont appuyés par Lucien Kroll qui évoque, lors d’une conférence organisée dans le cadre de l'exposition "Simone & Lucien Kroll, une architecture habitée", l’importance de l’ « habiter » à travers cette affirmation : « Pour être un jardin, il faut lui montrer qu’il est Habité »145 (KROLL, Lucien et Simone)

140

CNRTL. (2012). Définition du jardin. Sur CNRTL Http://www.cnrtl.fr/etymologie/jardin, page consultée le 10 juin 2016

Ortolang

(en

ligne).

URL :

141

CLEMENT, Gilles (1997). « Les libres Jardins de Gilles Clément». Dans la collection « les grands Jardiniers » (éditions du chêne), p. 137 142

BRUNON, Hervé (2011). « Paris, jardin des Tuileries ; Varengeville-sur-Mer, bois de Morville ». Crédits vidéos : Cité de l'architecture et du patrimoine (en ligne). URL : http://www.centrechastel.parissorbonne.fr/membres/herve-brunon, page consultée le 3 juillet 2016. 143

Notion développée en amont

144

KROLL, Lucien et Simone et le Collectif ETC (2013, décembre). «Simone & Lucien Kroll, une architecture habitée». Crédits vidéos : Pavillon-Arsenal (en ligne). URL : http://www.dailymotion.com/video/x16sqxz_conference-simone-et-lucien-kroll-collectif-etc_news, page consultée le 3 juillet 2016. 145

Ibid.

85


Depuis toujours, « marquer » le territoire à l’aide d’outils divers et variés est une action à laquelle l’Homme s’adonne spontanément. Il dessine des intentions, redessine ses compositions spatiales, provoque des volumétries influençant ainsi le comportement du spectateur. Le voyage se crée, mouvement et dynamique rythment le parcours végétal de l’ « Homo urbanus »146. Le Jardin se veut de diverses formes et fonds, il peut se retrouver dénué de symbolisme culturel ou au contraire en être imprégné. Dans ce second cas de figure, l’interprétation des signes exposés peut faire partie du quotidien de l’ « Homo urbanus ». Le symbolisme permet une compréhension plus aisée de l’aménagement complanté, il s’en découle alors un déploiement de tableaux paysagers reflétant l’expression paysagère « anticipée » par le concepteur. Ce critère du symbole a longtemps figuré et figure encore dans la réflexion d’une composition végétale. Quelle que soit sa fonction, le jardin est l’expression d’un art de vivre, (CERTU) il est la marque d’une volonté de créer un lien fécond avec la nature147.

Le jardin évolue au rythme de l’histoire, change au gré des modes et des saisons. Caractérisé comme le témoin vivant de l’inspiration d’un paysagiste, de la composition d’un architecte, des trouvailles d’un jardinier, Il met en scène un paysage qui se situe à mi-chemin entre « le peigné et le spontané » et qui oscille entre «l’artifice et le naturel ». (CERTU) Toute civilisation s’épanouit dans les jardins ; au fil des époques, le Jardin stimule chez le concepteur, un intérêt porté sur cette nature :

« Ecrire un rêve ; assembler dans l’enclos le meilleur des fruits, des fleurs et des légumes, des formes et des couleurs, le meilleur de la vie telle que nous la percevons » (Gilles CLEMENT)

Dans ses dires, Gilles Clément expose une idée limpide qui n’a jamais cessé de persister et d’habiter les consciences au fil des époques. Cette projection idyllique d’un « TOUT fertile » est de mise dans nos centres urbains. Il est aisé d’appliquer la logique de composition du jardin à l’échelle d’une ville, on parlerait ici d’une cohabitation entre deux masses, à la fois minérale et végétale. C’est en tout cas ce vers quoi tendrait une définition plus subjective du Jardin urbain. Ce geste, ce recul pris sur une situation urbaine in situ, l’auteur du « manifeste du tiers paysage »148 tend à vouloir le développer et l’appliquer dans son ou ses métiers que sont l’écriture, la philosophie, ou le paysage... Selon l’auteur, le jardin n’a pas d’échelle, il est « intemporel », c’est ainsi qu’il nous propose dans son ouvrage une définition du « jardin planétaire »149 que nous développerons à la suite de cette étude.

146

Terme employé par PAQUOT, Thierry (1990, janvier) dans son ouvrage « Homo urbanus: essai sur l'urbanisation du monde et des mœurs », et développé par RIFKIN, Jeremy, théoricien social. 147

BOUTEFEU, Emmanuel (2009). « Composer avec la nature en ville ». Edition CERTU p188

148

CLEMENT, Gilles (2014, décembre). « Manifeste du tiers paysage». Dans la collection « sciences sociales » (éditions sens&tonka), p. 15-16 149

Ibid.

86


« Le jardin planétaire représente la planète comme un jardin. Le sentiment de finitude écologique fait apparaître les limites de la biosphère comme l’enclos du vivant..»150 (Gilles CLEMENT) Dans sa finitude écologique, il considère la Terre comme un «jardin» clos, un enclos où il est du rôle de chacun de composer (dans une harmonie stable) chaque Topos comme un lieu unique, qu’il va de soit de modeler et d’entretenir intelligemment.

« Renouer avec la nature, c'est réinvestir le jardin dans sa fonction la plus impérieuse, où prennent part la poésie comme la métaphysique. »151 (Hervé BRUNON)

Il serait également intéressant d’exposer dans cette définition le rapport qui peut exister entre la Nature et le Jardin. Le Jardin est fait par l’homme et pour l’homme, il est un lieu de vie, alors que la nature elle-même est le lieu où tout se passe. La nature dépasse l’être humain, elle l’englobe ; et le jardin, lui, est organisé pour permettre un certain rapport au monde, conduisant celui qui le parcourt, celui qui en jouit à une certaine sérénité, surtout à une réceptivité, lui permettant de pouvoir non seulement arriver à mieux comprendre le rapport qu’il entretient avec lui-même mais aussi avec le monde qui l’entoure et la nature elle-même qui est convoquée dans le jardin. Mais cette nature n’est pas totale dans cet enclos, seulement certains éléments en sont privilégiés ; ceux qui ont un sens particulier. (Yolaine ESCANDE et Hervé BRUNON)

L’intérêt croissant des citadins pour la nature doit conduire les concepteurs de parcs et de jardins à diversifier l’offre, à améliorer les capacités biologiques des espaces verts, à introduire un peu plus de « nature vivante » plutôt que de « nature spectacle » Finalement, concepteurs en tous genres se regroupent sur la définition. Du physique au mental, n’yt-il pas un lien dans le comportement spatial de l’architecte, de l’urbaniste, du jardinier, du philosophe ? C’est en tout cas ce qui transparait dans les travaux de Thierry Paquot, Lucien et Simone Kroll, Nicolas Soulier, Gilles Clément, Caroline Mollie, Jean-Marc Besse, Hervé Brunon …

150

Ibid.

151

BRUNON, Hervé (2003). « Le jardin, notre double». (édition Autrement).

87


B.

La place du Jardin au fil des époques, une composition polymorphique

Dans ce chapitre, vous sera présenté un historique retraçant l’origine et l’évolution des phénomènes de jardin de la ville et du « bâtiment » afin de mieux cerner toute la pertinence de son implantation en milieu urbain de nos jours. Ces propos seront illustrés d’exemples. Volontairement, ce chapitre focalise son attention sur la description et l’évolution du jardin à certaines époques. L’idée ici, n’est pas de retracer avec minutie l’intégralité de l’histoire des jardins, bien que l’exercice y soit très enrichissant, mais plutôt de mettre l’accent sur les principaux mouvements et réalisations ayant participé positivement à l’évolution de notre habitat, afin qu’il tende à répondre durablement aux besoins de l’homo urbanus. Porteur de nombreux principes152 de permaculture, les jardins médiévaux ont beaucoup à nous apprendre quant à la manière de jardiner « durablement » son « habitat ». C’est sur cette première période, où les structures urbaines se dessinent de plus en plus, que nous nous attarderons dans un premier temps. Débordant de symbolisme, le végétal est dissimulé au sein du tissu urbain dans les propriétés privées ou monastiques. À peine perceptible pour le citadin ; nous tâcherons de saisir les mécanismes et relations qu’entretenait l’homo urbanus avec la ville. Chamboulé par un contexte socio-économique d’après-guerre, le végétal, qui porté tant de symbolisme dans l’imaginaire des citadins moyenâgeux, se retrouve réduit à un simple « tapis vert », faisant office de cadre paysager « apaisant » et d’apport de nature, que les techniciens modernes, et non jardinier, qualifient d’ espaces verts ou « récréatifs ». Cette période, dont l’impact est encore observé actuellement dans nos villes, sera abordée dans un second temps. Découlant d’une prise de conscience environnementale, liée à la situation critique des écosystèmes planétaires, une mutation urbaine se met timidement en place. Cherchant à réduire au maximum l’impact des déchets urbain dans nos villes, les architectes, urbanistes, paysagistes, anthropologues, développent ou réinterprètent certaine compositions végétales passées, permettant de jardiner la ville afin de procurer à l’habitant un cadre de vie sain et agréable. Certaines pratiques vous seront présentées dans un dernier temps, reflétant une éventuelle avancée vers un urbanisme « planté », dévoilant au tissu urbain, l’image d’une ville jardin.

Aucun projet de paysage ne se conçoit sans prendre en compte l’histoire du site. De la même manière aucun projet de plantation ne devrait se faire sans prendre en compte son historique ; que ce soit par l’étude des philosophies développées au cours de l’histoire des jardins ou le rappel des techniques employées ; une prise en considération de ces « outils » de conception (spatiale) du jardin est inévitable si la réussite d’un projet (de diverses échelles) est envisagée. Ces notions vous seront explicitées tout au long de cette partie. « Le Jardin a existé à partir du moment où l’homme a mis son savoir-faire au service des dieux ». 153

152

Certains d’entre eux vous seront présentés par la suite.

153

Etudier (2011, mai 11). « Histoire des jardins ». Sur Etudier, «société, santé et culture » (en ligne). URL : http://www.etudier.com/dissertations/Historique-Des-Jardins/261278.html, page consultée le 25 mai 2016

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Cette citation exprime clairement l’engagement de l’homme envers une figure divine, Dieu(x). Transcendant toute chose et porteur peut-être d’un avenir idyllique, l’homme voit en « le jardin » comme une métaphore de la recherche du paradis perdu, le jardin est aménagé pour répondre au monde chrétien avide de symbole.

« A l’origine judéo-chrétienne de notre société, la première ville, Hénoch, construite par Caïn, fils d’Adam et Eve chassé du jardin d’Eden, symbolise l’orgueil humain qui défie Dieu et la Nature »154.

Elle (la nature) qui est à la fois « moteur » et « carburant » de notre enrichissement et évolution, s’est vu être écartée des consciences ; Déjà très tôt une dichotomie entre ville et nature est installée dans les mentalités, où un pouvoir politico-religieux renforce cette vision (et scission), considérant l’espace naturel comme un milieu hostile. L’incapacité de l’homme à pouvoir maîtriser un tel écosystème l’a-t-il frustré au point de le qualifier de nuisible ? La connaissance, l’ouverture d’esprit sont à l’initiative de l’intérêt porté à la nature, nécessaire à notre biologie. Aborder l’histoire de la végétation en ville amène à parler de l’histoire des jardins, ainsi donc, du paysage. S’attacher à l’histoire des jardins, c’est, s’intéresser à son évolution, assimiler technicités et philosophies de conception qui ont déjà été expérimentées et pratiquées au fil du temps afin d’intervenir à présent, de la manière la plus qualitative possible, sur notre territoire (ne pas reproduire des erreurs, ou bien au contraire réinterpréter des conceptions porteuses d’évolution).

154

DURÉAULT, Jérôme (2013). « Architecture contemporaine et nature en ville ». Agricultural sciences.

89


Ligne du temps : l’art des jardins de l’antiquité à nos jours

Fig.27 Ligne du temps : l’art des jardins de l’antiquité à nos jours

Antiquité :

Moyen-âge :

10 000 ans avant JC : Quand Abbayes et monastères (vie l’Homme se sédentarise : en autarcie, jardins clos). début de la culture, des Jardins de châteaux, amour jardins. courtois (exemple : roman de 2ème millénaire avant JC : la Rose) premières représentations A la suite des croisades, picturales en Egypte. jardins influencés par 4ème siècle avant JC, 4ème l’Orient. siècle après JC : naissance de la botanique en Grèce. Romains : Villas à la campagne et jardins de ville (exemple : Pompéi) Renaissance : Harmonie classique (Alberti) : références aux modèles de l’Antiquité. Terrasses, jeux d’eau, motifs géométriques. Découverte de la perspective en peinture.

17ème siècle :

20ème siècle :

Jardin à la française : triomphe de la rigueur, axe central, ligne de fuite jusqu’à l’infini (Le Nôtre).

Urbanisme : création « espaces verts ».

Dompter la nature : symétrie, art topiaire. 18ème siècle :

Nouvelles préoccupations : environnement, écologie. Mouvement Arts & Crafts : Edwin Lutyens et Gertrude Jekyll (mixed border, chambres de verdure).

Jardins à l’anglaise (Kent, Brown) : Jardin paysager = planter des tableaux (influence de Poussin et le Lorrain) Asymétrie, irrégularité, « retour à la nature ». 19ème siècle : Haussmann, « faire respirer la ville » (parcs, jardins, grandes artères). Parcs publics sous Napoléon III (ex : parc des Buttes-Chaumont) Plantes nouvelles et progrès techniques (serres : Crystal Palace, Londres, 1851) Mouvement Arts & Crafts : Edwin Lutyens et Gertrude Jekyll (mixed border, chambres de verdure).

des

90


« Introduction des typologies grecque et romaine » L’apparition des jardins s’opère à la sédentarisation de l’homme vers 5000 av J-C. Ce nouveau mode de vie a influencé de nouvelles pratiques permettant la survie et évolution de l’espèce humaine. La culture, l’exploitation de la terre devient organisée, une tendance à regrouper les cultures et animaux s’installe pour les protéger. De 4000 av J-C à 500 ap J-C; Les jardins de l’antiquité étaient des lieux réservés aux dieux et interdis aux hommes, symbolisant la force et la virilité et permettaient une communion entre la terre et les hommes. Cette découverte historique n’a été possible que grâce aux peintures. Ils étaient composés de grands murs renfermant des vignes et des bassins séparés par des portes. Ceux-ci étaient installés sur les berges du Nil entre 4000 et 1100 av J-C. Les principaux végétaux étaient des sycomores, lotus, cyprès, palmiers, vignes et bleuets.155 En 3000 av J-C se développent les jardins de Mésopotamie, localisés entre le Tigre et l’Euphrate. Conséquence d’un accident climatique, le territoire se retrouve dévasté par une montée de la nappe phréatique et oblige les Hommes à réagir en optimisant leurs aménagements paysagers. C’est une première évolution que l’Homme mésopotamien va déclencher en établissant des propriétés construites en hauteur

Les jardins suspendus de Babylone | jardins suspendus de Sémiramis

Erigés pendant l’antiquité par Nabuchodonosor II (605 et 562 av. J.C.), cet ouvrage témoigne de la volonté de l’Homme de marquer ses goûts et ses envies dans un territoire, imposant ainsi la culture sur la nature. Le nom donné à cet ouvrage, « les jardins suspendus » provient du fait qu’ils étaient réalisés sur des « toitures terrasses » sur plusieurs étages. Structurellement parlant, ces jardins sont composés d’arcades en pierres et dallées de plomb et d’asphalte afin d’éviter toutes infiltrations d’eau. On y retrouve comme essence des platanes, bouleaux, cyprès, cèdres ainsi que des plantes fleurs et arbres fruitiers. Fig.28 Les jardins suspendus de Babylone

155

OGNIBENE, Alexandre (2010-2011). « Verduriser l’architecture : la rencontre entre le végétal et l’architecture ». Travail de fin d’étude, p. 5

91


Les jardins Perses, Grecs et Romains De 500 av JC à 500 ap JC, les Perses conçoivent et développent le parc tel que nous le côtoyons aujourd’hui, servant de promenade et au repos. À nouveau, une évolution est attribuée à l’espace végétale, les mentalités se modifient et l’homme adopte une autre philosophie. La signification que l’on donne de la végétation est toute autre, le jardin, le parc s’ouvre aux hommes et devient leurs lieux de repos et divertissement. Tout en conservant sa notion de sacre (attribuée auparavant), le parc (puissance « verte »), inspire le silence, la sérénité et la paix et reste un lieu de fraicheur où les arbres sont sacrés et où les animaux se regroupent et y trouvent refuges. D’origine mésopotamienne (2111 à 2003 av JC, IIIème dynastie d’Our), la Ziggourat propose les prémices du jardin vertical. Edifice inventé par les Perses, ce temple perché sur une montagne accueil en son sommet une composition végétale. Les premières réalisations de jardins se manifesteront dans la seconde partie de l’ère grecque, entre 500 et 300 av JC. Dédiés aux Dieux, les jardins grecs sont édifiés dans le but d’entrer en communion avec ce monde céleste. Leurs jardins sont également mis en œuvre afin d’obtenir une production de fruits et légumes abondante. Outre cet aspect de source vivrière, un but philosophique est également entretenu, c’est ainsi que s’y réunisse des lycéens et athlètes à la recherche de repos et bien-être. Les villes évoluent, des espaces publics végétalisés voient le jour. D’un point de vue éthique les Grecs sont respectueux du site et de ses qualités paysagères car elles définissent l’expression des Dieux. « Le jardin devient ainsi un élément de luxe et de passion ». Leur intérêt pour cet élément, composante de la nature, pousse les Grecs à classer et répertorier les végétaux par noms et par familles.

À cette même époque, les romains complexifient leurs jardins. Ils segmentent leurs grands domaines forestiers en divers enclos dans un désir de cultiver le jardin, de se consacrer à la pratique religieuse mais aussi à la culture. C’est alors qu’apparaissent les cours intérieures appelées Atrium.

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« Les jardins médiévaux »

Témoin de notre civilisation, le Moyen-âge est une période où les schémas structurels urbanistiques et comportementaux s’amorcent. Déterminante dans les enjeux de composition spatiale urbaine et à l’origine de la cité telle qu’on la connait et l’habite actuellement, la ville moyenâgeuse nous dévoile un patrimoine riche en découvertes techniques et riche de symbolisme. La focale est appuyée ici, sur cette période médiévale, afin de cerner les signes avant-coureurs de l’archétype urbanistique occidental qui se perpétuera au fil des époques et influencera plus d’une ville dans la schématisation et composition de leur(s) noyau(x) urbain(s). Devenant modèle pour nos méthodes de cultures actuelles, l’intérêt porté sur les jardins du moyen-âge et leur technicité n’est plus à démontrer. Des approches productives comme la Permaculture, s’épaulent aujourd’hui de vieux concepts médiévaux, comme les buttes de terres, l’aménagement des jardins en plessis, etc… Le sujet se concentre ici sur la relation que les hommes entretenaient avec le jardin médiéval. De quelle manière était-elle perçue (la relation) ? Quel rapport existait-il entre les trois composantes urbaines que sont, la ville, le jardin et l’habitant ? Cette partie porte, dans un premier temps, sur l’esquisse des grandes notions du jardin médiéval (qu’il soit intra ou extra-muros) afin de contextualiser l’univers des jardins se déroulant à cette époque. Etymologie du jardin médiéval, technicité et symbolisme vous seront donc présentés de manière générale. Cependant l’accent sera mis, dans un second temps, sur les jardins que l’on qualifierait d’urbains ; entendons par là toute conception de jardin établi en milieu urbain, en Intra et extra-muros (à l’intérieur des fortifications voir à ses pourtours). Cette méthodologie permettra de faire ressortir de manière limpide les ressemblances ou divergences d’application entre les conceptions actuelles de jardin et celles passées. Nous avons des leçons à tirer du passé, qu’il est intéressant de faire ressortir.

Contextualisation L’engouement pour les jardins du Moyen-âge a connu ces dernières années un essor considérable (d’un point de vue technique, les modes de production et de culture moyenâgeuse respectent bien plus la terre, le sol, que le font les méthodes expansives actuelles). De nombreux jardins médiévaux ou d’inspiration médiévale ont été créés dans de multiples régions de France et sont actuellement ouverts au public.

Pour la plupart des études, afin de mieux cerner les grandes lignes de composition de jardin du moyen-âge, c’est par le biais des enluminures156 que la thématique a été abordée. Quelques inventaires tardifs et les documents importants que sont les capitulaires de Villis de Charlemagne, le plan de l’abbaye de Saint-Gall et un poème de Walafried Strabo, Hortulus, ont également permis d’étoffer les recherches. Au vu de ces données, il apparait que les jardins du 11ème au début 14ème siècles sont mal connus, à part les jardins monastiques dont la documentation sur la composition des jardins n’est plus à démontrer. Cependant, nous en présenterons tout de même les principes structurels par la suite. Dès le 11ème siècle, le paysage médiéval se transforme suite à l’augmentation démographique régulière et conséquente. Jusqu’au 13ème siècle, L’occident chrétien entre dans une période de croissance et d’expansion : le commerce se développe, les villes s’animent, un des aspects essentiels de cet essor est en effet le développement urbain qui atteignit son apogée au 13ème siècle. La demande en alimentation était alors plus forte et de nombreux jardins furent créés. On en retrouve

156

Texte religieux

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la trace dans de nombreux documents - en particulier dans les cartulaires - où l’on constate une grande diversité des termes qui désignent le jardin au Moyen-âge. Quel que fut le contexte géographique, urbain ou rural, le jardin s’est installé, tolérant au gré du temps les migrations démographiques, dans toutes les régions de France. À cette époque, tout jardin se devait d’être structuré et aménagé.

Les textes littéraires nous éclairent plus sur les jardins d’agrément que sur les autres types de jardin. Même s’ils exposent souvent des lieux allégoriques, rappelant largement les jardins bibliques, les descriptions restent proches de celles que donnent les encyclopédistes de l’époque, tels Albert le Grand157 et Pierre Crescens158, dont les informations sont plus objectives, se rapprochant du fondement naturaliste qui apparait au début du 16ème siècle.

Le vocabulaire médiéval du jardin Une focale est abordée ici sur les différents termes désignant le jardin du moyen-âge, cerner ce vocabulaire est utile pour une meilleure compréhension des textes décrivant l’utilisation qu’en faisait les moyenâgeux. Le moyen-âge avait un vocabulaire précis pour désigner le jardin proprement dit. Dans la littérature, le mot « jardin » ou « jarz » était couramment employé et relatait à peu près les mêmes acceptions qu’aujourd’hui. « Il était tantôt jardin d’agrément, comme dans Erec et Enide : ...de l'air ert de totes parz Par nigromance clos li jarz […] I avoit flors et fruit maür.

Tantôt jardin utilitaire, et en l’occurrence ici jardin médicinal, dans le Roman de Renart : Tant erra Renart au matin Qu'il s'adreça vers un jardin Ou il ot herbes de manières Qui sont precïeusez et chiers Et bones pour tous maus saner »159

Tantôt verger d’arbres fruitiers, comme dans l’épisode du « partage des proies » : Car cloz estoit trestou entor Et li jardins et la maisons 157 158

Frère dominicain, philosophe, théologien, naturaliste, chimiste allemand. ème

Magistrat, agronome et écrivain italien du 13 siècle, auteur du « traité d’économie rurale ». Rédigé entre 1304 et 1306, le Ruralium commodorum opus réunit toute la science agronomique moyenâgeuse et tous les souvenirs des auteurs latins, avec une orientation vers l’agriculture méditerranéenne. L'auteur est bien supérieur à son siècle. 159

GESBERT, Élise (2003, octobre-décembre). « Les jardins au Moyen Âge : du XIe au début du XIVe siècle ». Sur Cahiers de civilisation médiévale (n°184), pp. 381-408 (en ligne). URL : http://www.persee.fr/doc/ccmed_00079731_2003_num_46_184_2868, page consultée le 25 mai 2016

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De pieus agus, de gros et Ions ; [...] La dedens avoit d'arbrissiaus De maintes guissez, ce sachiez, Que tuit erent de fruit cargié » (GESBERT, Élise, op. cit.)

Alors que le mot jardin est abondamment répandu dans les textes littéraires, un autre terme, d’origine latine, l’ « ort » (de hortus : « Jardin ». Lui, est issu du francique gardo, il donna horticulture, horticole...), vient se substituer à ce dernier dans la littérature en quelques rares occasions.

Le « vergier », quant à lui, est en fait le terme du jardin le plus abondamment utilisé par la littérature. Il provient de viridarium, lui-même dérivé de l'adjectif viridis, « vert » en latin. Il désigne le jardin de plaisir au Moyen-Age et devient plus tard un lieu planté d'arbres fruitiers. « Dès le 11ème siècle dans la chanson de Roland, il regroupe comme le mot « jardin » tous les types de fonctions : — jardin d'agrément dans un poème de Marcabru (12ème s.) : A la fontana del vergier, On l'erb'es vertz josta-I gravier, A l'ombra d'un fust domesgier, En aiziment de blancas flors E de novelh chant costumier,

— jardin utilitaire, ici jardin de simples, dans le Roman de Renart : Et Renart commença a querre Par le vergier et trait de terre Herbes dont il ot assés,

— jardin mixte, où l'utile rejoint l'agréable, dans le Roman de Thèbes : A un vergier que molt ert gent ; Que onque espice ne piement Que homme peûst trover ne dire De cel vergier ne fu a dire. [...] Ot une porte bien ovré, Par ou Ligurges soelt venir, Li reis, pur son déduit tenir » (GESBERT, Élise, op. cit.)

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À un type de jardin correspondait donc parfois au moyen-âge un mot particulier. Mais de manière générale, les termes les plus fréquents, aussi bien en langue d’oc160 qu’en langue d’oïl161, sont l’ « ort », « le jardin » et le « courtil » et dans une moindre mesure le « verger » ou viridario.

Ses représentations : une composition polymorphique Les jardins médiévaux évoluent sur une double symbolique religieuse et profane, métaphore de la nostalgie du paradis perdu (Jardin d’Eden) et la quête de l’être aimé, de la recherche du plaisir de tous les sens. Ils procurent donc des fonctions à la fois utilitaires (jardin de rapport) mais aussi d’agrément (jardin secret ou jardin d’amour).

A l’époque médiévale le jardin est un espace clos, au préalable utilitaire, on y fait pousser les fruits, les légumes et les herbes (médicinales ou culinaires). Les jardins, souvent juxtaposés à des lieux d’habitation, à une abbaye ou un couvent, sont créés par l’homme et pour lui. Par ailleurs, il existe à cette époque quelques exemples de jardins conçus à l’intérieur des remparts162. Ne voit-on pas apparaitre ici les prémices des Jardins urbains ? C’est cette notion que l’on cherchera à développer plus en profondeur par la suite.

C’est dans les abbayes édifiées sous l’influence du modèle des villas romaines qu’on voit « pousser », dès le 9ème siècle, les premiers jardins médiévaux Occidentaux163. Le jardin dit religieux a une grande connotation spirituelle ; il apparaît comme un lieu clos (pour se protéger des intrus mais aussi dans un souci religieux), ordonné selon les besoins de l’homme (la structure du jardin est délimitée en carré ou rectangle de terre cultivée et cernée par un mur ou une palissade, entourée d’allées pour faciliter la promenade ou simplement travailler la terre); Il est également un lieu d’abondance et témoigne de la civilisation. Ces abbayes associaient différents types de jardins qui allaient devenir emblématiques du Moyen-âge ; pour les citer, on y retrouvait : le potager (hortulus ou hortus), le verger (pomarius ou viridarium), le jardin des simples ou médicinal (herbularius ou herbarium) où l’on cultivait les simples164 utilisées par la pharmacopée165 et enfin, le « jardin de l’âme », jardin clos du cloître (hortus conclusus). Ce dernier modèle sera également réutilisé dans les jardins d’agrément, jardins dits d’amour, dont la signification ici est plus profane.

160

Langue romane parlée dans le tiers sud de la France, les Vallées occitanes et Guardia Piemontese en Italie, le Val d'Aran en Espagne et à Monaco 161

Langue romane qui s’est développée dans la partie nord de la Gaule, puis dans la partie nord de la France, dans le sud de la Belgique (Belgique romane) et dans les îles Anglo-Normandes 162

La vie du jardin (2005, mars). « Les jardins profanes ». Sur La vie du jardin (en ligne). URL : http://www.la-viedu-jardin.com/medieval/profan.php#villes, page consultée le 26 mai 2016 163

PAQUOT, Thierry (2016, juin). « Le paysage ». Editions la Découverte. p. 48

164

Plantes aux vertus médicinales, également nommé plantes officinales.

165

Historiquement, c’est un ouvrage encyclopédique recensant principalement des plantes à usage thérapeutique, mais également des substances d’origine animale ou minérale et, plus récemment, des substances chimiques.

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a) Le modèle sacré L’image de ces jardins dans les monastères ne relevait pas de notre conception naturaliste mais d’une vision du monde propre à l’univers médiéval dont Dieu en est l’ « incontestable » centre. Le monde du vivant est le reflet imparfait des réalités célestes, une allégorie d’un paradis sur Terre.

« L’idée de jardin affiliée au paradis vient du mot grec « paradeisos » qui désigne un verger verdoyant protégé par un mur des vents brûlants et desséchants. »166

La vie terrestre, transitoire soit-elle, servait à gagner sa vie future dans la « Cité de Dieu ». Ainsi, la contemplation de la nature, sa sublimation, n’était pas axée que sur sa valeur esthétique, mais surtout sur son contenu symbolique : la nature était une donnée spirituelle et non une réalité matérielle. Plantes et formes géométriques possèdent une puissante valeur symbolique enracinant le jardin religieux dans la lecture de l’Ancien Testament167 et dans la vision du monde de l’époque évoqué dans l’ « hortus déliciarum »168. Toutes ces conceptions Edéniques proposent une vision du Paradis perdu où l’homme vivait en autosuffisance, à l’abri des difficultés de la vie. Toutefois, un changement sensible de perception s’opère au 14ème siècle : l’attention de la société lettrée se reporte vers le monde sensible, vers la nature elle-même. Cette transcendance divine s’atténue, permettant à Spinoza, trois siècles plus tard, d’identifier Dieu à la Nature. Afin d’affiner l’univers des jardins religieux, il est intéressant de décrire plus en profondeur ces différents modèles :

Le jardin potager (hortulus ou hortus) Le mot potager vient du mot potage, "herbes pour le pot". De ce jardin familial, très peu d’informations dans les illustrations ou dans les textes sont énoncées ; trop commun, trop présent dans la vie quotidienne des humbles, il n’a pas vraiment intéressé les intellectuels, les poètes et les artistes de l’époque. En revanche, de nombreux documents, dès l’époque carolingienne, nous renseignent sur des jardins monastiques, comme, par exemple, le fameux plan de l’abbaye de Saint-Gall, exécuté vers 820. Il s’agit d’un plan idéal qui a servi de modèle pendant longtemps. Les cultures s’organisent en plates-bandes strictes. L’espace est cloisonné en petits rectangles de terre cultivée (en général, au nombre de neuf, représentant la Trinité, symbole chrétien), séparés par des allées et parfois maintenus par des plessis.

166

Le buis qui court (2005, juin). « Si l'histoire m'était contée.. ». Sur le jardin médiéval (en ligne). URL : http://lejardin-medieval.e-monsite.com/pages/jardins-medievaux/si-l-histoire-m-etait-contee.html, page consultée le 5 juillet 2016. 167

Expression utilisée dans la tradition chrétienne pour désigner l'ensemble des écrits de la Bible antérieurs à Jésus-Christ 168

L'Hortus Deliciarum est un manuscrit, une encyclopédie chrétienne, réalisée entre 1159 et 1175 par Herrade de Landsberg et ses moniales au couvent de Hohenbourg (mont Sainte-Odile), dont l'original a été détruit. C'est la première encyclopédie connue qui ait été réalisée par une femme. Cet ouvrage en latin résume les connaissances théologiques et profanes de l'époque. Le manuscrit original, transféré à la bibliothèque de Strasbourg lors de la Révolution française, a été détruit lors de l'incendie de la bibliothèque en 1870, au cours de la guerre francoprussienne.

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La plupart des plantes utilisées en cuisine, possèdent aussi des vertus médicinales. Le régime des moines, essentiellement végétarien, fait du potager le fournisseur (en grande partie) de la nourriture monastique. La base de leur alimentation est faite de légumineuses (fèves, pois, lentilles, vesces). Egalement familiers de la table du pauvre, les céréales et les légumes y sont les plus représentés : Choux, oignons, poireaux, pois chiche, ainsi que les herbes à cuire : bettes, arroches, épinards ou amarantes ou les légumes–racines, tels navets, carottes, choux-navets et panais etc…

« A la rescousse de la monotonie du quotidien, on produisait de nombreux condiments et aromates qui remplaçaient, chez les plus démunis, les épices des tables aisées. L’ail y régnait en maître, de même que la moutarde et le raifort. Les ombellifères venaient ensuite : la coriandre, l’aneth et le fenouil ainsi que les labiées : le thym, la sarriette, le basilic et la marjolaine. »169

Le jardin des simples (herbularius ou herbarium) A l’abbaye de Saint-Gall (Suisse), par exemple, près de l’infirmerie, se trouvait un herbularius, un jardin d’herbes où étaient cultivées les plantes aux vertus médicinales particulières utilisées dans la pharmacopée médiévale. Les moines possédaient une connaissance empirique mais très précise des vertus médicinales des plantes. L’herboriste avait un rôle important dans l’abbaye dont il était à la fois l’apothicaire et le médecin. Selon la croyance, la plante indiquait par sa forme ou par ses caractéristiques son utilité – on y voyait un signe de Dieu, son souci de donner aux hommes des ressources. Par exemple, la pulmonaire aux feuilles tachées de blanc évoquant des alvéoles pulmonaires passait pour adoucissante et pectorale. Les plantes peuvent aussi avoir des pouvoirs plus symboliques, tout à fait dans l’esprit médiéval habitué au contenu spirituel des choses. Par exemple, la joubarbe, ou barbe de Jupiter, guérissait les brûlures et on en mettait sur les toits des maisons car elle était réputée pour détourner la foudre (fonction également architecturale). Les femmes occupèrent une place importante dans l’art de guérir jusqu’à la fin du Moyen-âge – l’on pense, par exemple, à sainte Hildegarde de Bingen qui rédigea des « manuels médicaux ».

Les carrés médicinaux sont généralement organisés selon l’usage des dites plantes : - Plantes des fièvres et des refroidissements (nos antibiotiques) - Plantes des femmes (pharmacopée destinée aux problèmes féminins) - Plantes vulnéraires (pour les traumatismes) - Purges (pour équilibrer les humeurs) - Plantes des maux de ventre (fréquents en raison d’une nourriture mal équilibrée)

169

Le buis qui court (2005, juin). « Si l'histoire m'était contée.. ». Sur le jardin médiéval (en ligne). URL : http://lejardin-medieval.e-monsite.com/pages/jardins-medievaux/si-l-histoire-m-etait-contee.html, page consultée le 5 juillet 2016.

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Dès les premiers siècles chrétiens, les ordres religieux assurent les soins aux malades. Au sein des monastères, les moines érudits se mirent à rechercher, à transcrire et commenter les œuvres d’Aristote, Hippocrate, Dioscoride, Galien ou Pline et à traiter les malades avec des plantes médicinales cultivées dans leurs jardins de simples. A l’intérieur des châteaux forts eux-mêmes, on aménagea des « courtils »170 ou des enclos où poussèrent fleurs et simples. C’est aussi l’époque où furent créées les premières écoles ou universités de médecine en Europe occidentale – aux 10 et 11ème siècle à Salerne pour la toute première, puis à Montpellier au 12ème siècle.

Le verger (pomarius ou viridarium) Les espèces cultivées dans le verger médiéval nous sont encore familières. Elles étaient différentes selon les climats (pommiers, noyers, amandiers, châtaigniers, cerisiers, etc.). Parfois, le verger était doublé d’un cimetière. Ce dernier fournissait le symbolisme naturel du cycle vital et offrait également un symbolisme religieux. Pour le moine en effet, la mort n’est pas une fin, ce n’est que la porte qui mène à Dieu Chaque abbaye se devait d’avoir son verger à haute tige ; c’était le lieu du cimetière. Les troncs dressés symbolisaient la résurrection à venir pour les moines. Sous les arbres, les tombes dormaient et l’herbe croissait, symbole de la félicité future. Dans le verger, poussaient de grandes variétés de poiriers, pommiers, cerisiers, pruniers... Des vergers, on en distingue trois sortes171: - les petits vergers, - les vergers des moyennes personnes, - les vergers des rois et autres nobles puissants et riches.

Le cloître (ou hortus conclusus) Au centre du monastère, le cloître, directement inspiré des jardins bibliques, est la première image de l’hortus conclusus, le jardin clos. Il concrétise l’une des aspirations profondes de la vie monastique : se retirer du monde. Le cloître était carré afin de symboliser la figure de la terre. Son espace était généralement découpé par deux allées qui se croisaient à angle droit et marquaient ainsi les quatre axes du monde et ses quatre horizons. Très souvent, au centre se trouvait un puits ou une fontaine, l’eau jaillissante et pure s’opposant aux eaux dormantes du péché. Sur les pelouses, on plantait des fleurs symboliques (la pivoine, symbole de la Vierge surnommée « rose sans épines », le lys, symbole de la pureté de la Vierge et du Christ, l’iris, symbole de la future royauté du Christ). Lieux de méditation, de prières, ces jardins étaient simplement et de toute évidence les métaphores du jardin d’Eden.

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Petit jardin attenant à une maison de paysan, généralement clos de haies ou de barrières.

171

La vie du jardin (2005, mars). « Les jardins profanes ». Sur La vie du jardin (en ligne). URL : http://www.la-viedu-jardin.com/medieval/profan.php#villes, page consultée le 26 mai 2016

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b) Le modèle profane A cette même époque se développe des jardins à caractère profane, ne présentant aucun caractère sacré ou religieux. Les puissants seigneurs possèdent des jardins d’agrément et des jardins d’amour qu’ils font entretenir avec les plus grands soins. De ces jardins se dégage diverses typologies, les « jardins aristocratiques », les « jardins des châteaux forts », les « jardins urbains », le « jardin rural », le « jardin des herboristes et apothicaires ».

Le jardin d’agrément et jardin d’amour La beauté des jardins montre le goût et aussi la fortune de son propriétaire car le jardin apparait comme un symbole de pouvoir. Ces jardins profanes se veulent de véritables paradis terrestres dont les images furent reprises dans la littérature courtoise. L’image du jardin d’amour se fixa dans les enluminures : c’était un jardin clos, agrémenté de fleurs et d’arbres, où les amants pouvaient cacher leur amour.

La fontaine, qui apporte de la fraîcheur, était également un symbole d’amour – eau de vie. Très vite, elle se transforma en fontaine de jouvence qui redonnait jeunesse, force et beauté. Entre ces deux jardins – mystique et courtois – l’homme pouvait choisir et vivre pieusement dans le jardin mystique (voir le Jardin de vertueuse consolation) ou vivre dans les plaisirs du jardin de Déduit du Roman de la rose…

Focale sur les Jardins médiévaux en milieu urbain

a) Les jardins intra-muros Au Moyen-âge, la ville laisse peu de place à la nature, c’est un véritable labyrinthe de rues étroites, de venelles et d’entrelacs. Jusqu’à la Renaissance, la place de la nature en ville se retrouve réduite aux jardins privés des rois et des classes aisées. Les conditions de vie urbaine étaient donc influencées par le statut social du citadin. L’intérêt porté sur les jardins urbains se focalise ici sur la compréhension de leur installation et de leur évolution dans l’espace restreint et concentré que pouvait-être la ville à l’époque médiévale. Divers facteurs, géomorphologiques, démographiques, économiques et politiques ont déterminé leur implantation.

L’image reflétée par les villes moyenâgeuses lors de leur accroissement ou de leur apogée s’apparente souvent à un amas d’habitats et de bâtiments serrés les uns aux autres. La réalité fut parfois tout autre. Les villes ont pu se voir être vêtues, à l’intérieur de leurs murs, de nombreux espaces verts dont beaucoup adoptent un caractère que certains auteurs172 qualifient de « champêtre ». Vignes, prés, granges, jardins ou encore petit élevage sont signalés dans l’enceinte des villes.

172

RIAT, Georges (1900, mai) cité par : GESBERT, Élise (2003, octobre-décembre). « Les jardins au Moyen Âge : du XIe au début du XIVe siècle ». Sur Cahiers de civilisation médiévale (n°184), pp. 381-408 (en ligne). URL : http://www.persee.fr/doc/ccmed_0007-9731_2003_num_46_184_2868, page consultée le 25 mai 2016

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A la fin du 11ème siècle, les maisons avec cour et jardin ne sont pas rares. Dans son ouvrage « Les jardins au moyen-âge : du XIe au début du XIVe siècle » Elise Gesbert173 nous présente une situation où un acte de donation est effectué à l'abbaye de la Sauve Majeure (France) : un certain Thierry, nous dit-elle, « fît don en 1079 de plusieurs maisons avec cour, verger et terre dans la cité d'Orléans (... Aurelianis in civitate domos cum viridario et curte et terram adiacentem) 174 ».

Les jardins sont présents dans des villes de modeste envergure telle Chazelles, à proximité de Lyon, poursuit-elle en citant les auteurs, J. Gardette et J. Monfrin : « on voit la maison de Martin Raouz se trouver « dedenz les portes de Chasalez » accompagnée de « l'ort qui est de très la mayson »175 ». Les plus grandes agglomérations de France, comme Paris, voient également s’implanter en leur sein des jardins pour laquelle S. Roux a noté leur existence « en 1265, rue des Noyers, une grange avec un petit jardin tenant à un verger ; en 1270, rue des Poitevins, une place où il y a une loge tenant à une grange et à un jardin ; et en 1276, rue des Noyers, une autre grange attenante à un jardin. »176 Tenant au « citoyen végétal » qu’est le jardin, une ville comme Paris songe à faire de cet outil de composition spatiale l’image de son paysage urbain, réinterprétant ainsi leurs structures urbaines à l’aide d’une dénomination florale, Elise Gesbert écrit à ce sujet en citant A.Francklin « La Taille177 de 1292 offre quelques exemples de noms de rue évoquant des jardins parisiens : sur la rive droite, la rue des Rosiers, dans la paroisse Saint-Gervais ; la rue des Jardins, dans la paroisse Saint-Jean ; la rue du Figuier et la rue des Gardins dans la paroisse Saint-Paul, et sur la rive gauche, dans la paroisse de SaintBenoit-le-Bestourné, la rue aux Porées.»178

Contemporain à cette époque, Gesbert nous cite à nouveau un auteur du Moyen-âge : « Tibaut dans son Roman de la Poire faisait ainsi une description de Paris : La sont lé genz liées et gaies, La sont li buisson et les haies, Les arboises et li vergier. »

173

GESBERT, Élise (2003, octobre-décembre). « Les jardins au Moyen Âge : du XIe au début du XIVe siècle ». Sur Cahiers de civilisation médiévale (n°184), pp. 381-408 (en ligne). URL : http://www.persee.fr/doc/ccmed_00079731_2003_num_46_184_2868, page consultée le 25 mai 2016 174

HIGOUNET, Charles et HIGOUNET-NADAL, Arlette (1996) cité par : GESBERT, Élise (2003, octobre-décembre). « Les jardins au Moyen Âge : du XIe au début du XIVe siècle ». Sur Cahiers de civilisation médiévale (n°184), pp. 381-408 (en ligne). URL : http://www.persee.fr/doc/ccmed_0007-9731_2003_num_46_184_2868, page consultée le 25 mai 2016 175

GARDETTE, Jean-Luc et MONFRIN, Jacques, cité par : GESBERT, Élise (2003, octobre-décembre). « Les jardins au Moyen Âge : du XIe au début du XIVe siècle ». Sur Cahiers de civilisation médiévale (n°184), pp. 381-408 (en ligne). URL : http://www.persee.fr/doc/ccmed_0007-9731_2003_num_46_184_2868, page consultée le 25 mai 2016 176

ROUX, Stéphane (1998) cité par : GESBERT, Élise (2003, octobre-décembre). « Les jardins au Moyen Âge : du XIe au début du XIVe siècle ». Sur Cahiers de civilisation médiévale (n°184), pp. 381-408 (en ligne). URL : http://www.persee.fr/doc/ccmed_0007-9731_2003_num_46_184_2868, page consultée le 25 mai 2016 177

Faisant référence ici à l’impôt.

178

FRANKLIN, Alfred (1987) cité par : GESBERT, Élise (2003, octobre-décembre). « Les jardins au Moyen Âge : du XIe au début du XIVe siècle ». Sur Cahiers de civilisation médiévale (n°184), pp. 381-408 (en ligne). URL : http://www.persee.fr/doc/ccmed_0007-9731_2003_num_46_184_2868, page consultée le 25 mai 2016

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Au Moyen-Age, divers lieux et niveaux de l’espace urbain étaient investis de jardins, du cœur des villes jusqu’à leur pourtour ; ceux-ci appartenaient généralement à des établissements ecclésiastiques ou à des personnes riches ou nobles179.

La ville de Laon nous est donnée ici en exemple pour imager ces propos. Elise Gesbert nous décrit un paysage urbain réfléchi et structuré par et pour les classes les plus riches ou religieuses, car, possédant un patrimoine foncier important, elles se permettent d’accommoder le tissu urbain à leur image, se mettant plus ou moins en avant dans la cité : « le quartier ouest de la cité, occupé majoritairement par le groupe épiscopal et les demeures des officiers, des chevaliers et du châtelain, est garni de bâtiments pour la plupart fortifiés. » Suivant les demeures, un phénomène tend les riches propriétés, nommées magna domus180 par A. Saint-Denis (lui-même cité par Gesbert) à vouloir soit, se fermer sur l’espace « public » urbain (représenté par les axes de mobilité : rues, ruelles etc…) via des murs fortifiés, soit, dans de rares occasions, s’ouvrir et laisser transparaitre ainsi des masses végétales provenant directement des jardins : « Donnant sur la rue, ils sont dotés de dépendances, avec jardin ou verger, le plus souvent situés à l'arrière. »

Une autre tendance urbanistique moyenâgeuse consistait à regrouper dans la cité divers petits quartier ou îlots, dénommés par les mots mansus, manerium ou domus. Cette composition comprenait plusieurs bâtisses édifiées sur plusieurs parcelles groupées de petites tailles. Une majorité des grandes familles de la ville en possédaient un nous dit Gesbert « Le mansus d'Hugues la Truie, situé dans les quartiers ouest se composait en 1204 de onze maisons, dont deux avec jardin. »

Cependant, dans un contexte de forte urbanisation, cette situation du jardin Laonnois ne vaut que jusque vers la moitié du 13ème siècle. À la fin du siècle, la cité étouffe à l'intérieur de sa muraille. Les jardins s’estompent peu à peu pour laisser place à de nouvelles habitations qui cherchent à garantir leur protection en s’installant à l'intérieur de l’enceinte. Au Moyen-Âge, de manière plus redondante, les jardins occupent une place périphérique dans la ville, ils sont implantés à proximité des murs d’enceintes. Ce geste n’est pas anodin et se justifie très souvent par le fait que les quartiers dans lesquels s’implantent ces jardins sont les plus récents. Elise Gesbert nous en donne une situation : « à la fin du 11ème siècle, à Saint-Etienne d'Agde, un jardin est mentionné dans une donation à l'église Sainte-Marie d'Agde par la comtesse Ermengarde et son fils Bernard, près de la porte nord de la cité. » (GESBERT, Elise, op. cit.)

179

Noblesse : Classe dominante réunissant deux conditions: d'abord la possession d'un statut juridique propre, qui confirme et matérialise la supériorité à quoi elle prétend; en second lieu, que ce statut se perpétue par le sangsauf, toutefois, à admettre, en faveur de quelques familles nouvelles, la possibilité de s'en ouvrir l'accès, mais en nombre restreint et selon des normes régulièrement établies. Source : URL : http://medieval.lacorreze.com/glossaire_titres.htm 180

Magna Domus : La grande maison ou l'hôtel particulier, magna domus, nous dit A. SAINT-DENIS, est un élément caractéristique du paysage urbain laonnois. Elle est presque toujours associée à un jardin ou un verger.

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Une autre preuve consiste à renforcer l’hypothèse selon laquelle, l’implantation d’un jardin en milieu urbain est souvent signe d’aisance. En effet, on a retrouvé à la suite de fouille archéologique dans l’ilot de Tramassac (en bordure de la cité Lyonnaise), un espace vide existant depuis le 11 ème siècle jusqu’au 14ème siècle s’apparentant à un jardin ; E. Gesbert en décrit l’état dans son ouvrage : « Entre le mur d'enceinte du chapitre Saint-Jean et les vestiges d'un bâtiment, ont été retrouvés des tessons de céramiques appartenant à différentes couches de terre mais se complétant, annonçant le brassage de la terre d'un jardin. ». Etoffant le constat d’un éventuel rapport entre le statut social du citadin et la mise en œuvre d’éventuels jardins, elle poursuit son argumentation en décrivant la fouille : « un dépotoir daté de la fin du 13ème s. au début du 14ème siècle, contenant de la céramique de luxe, témoin de la richesse du propriétaire des lieux ». (GESBERT, Elise, op. cit.) Au milieu du 14ème siècle, bien que la population ne cesse de croitre, les jardins continuent d'occuper divers espaces dans les villes comme à Reims, Elise Gesbert soulève ce constat dans son ouvrage - Les jardins du Moyen-âge - : « Au total, la Prisée de 1328 en compte quarante-six, quantité non négligeable si l'on songe que les jardins des églises et des maisons religieuses ne sont pas compris dans cet inventaire. Dix-huit de ces jardins intra-muros étaient la prolongation d'une maison avec laquelle ils étaient estimés globalement, alors que vingt-huit étaient localisés sur des parcelles indépendantes.» (GESBERT, Elise, op. cit.)

Nous avons pu constater que le jardin était tantôt rattaché à une habitation, tantôt placé sur une parcelle indépendante. Cependant, nous ne pouvons pas affirmer si une tendance accompagnait l'une ou l'autre option. Le jardin jouxtant l’habitat est ordinairement à son arrière, cette disposition permettait tout simplement à l'occupant d'accéder plus rapidement à sa demeure bordant la rue.

La fonction résidentielle est primaire. Mais la place qu’occupe le jardin lié à la maison, peut s'expliquer en deux points. 1. Le jardin, étant un terrain où l’on cultivait diverses essences nécessitant des soins et entretien quasi journalier, ainsi par commodité, le jardin occupe sa place tout naturellement à proximité de l’habitation. Elise Gesbert note à ce sujet que la fréquence des expressions de type «jardin adjacent à la maison » ou bien « jouxtant la maison » est courante. Poursuit-elle : « Cluny, à la fin du 11ème siècle était par exemple garnie de maisons aux façades étroites mais profondes, et prolongées par un jardin : domus et ortum qui adheret domui »181. On trouve d'autres exemples à Bayeux au 13ème siècle, avec l'expression plus précise « derrière la maison : jardino rétro dictam domum, situm inter castrum nostrum Baioense ».182

2. L’essor démographique engendre une métamorphose de la ville. Les jardins cèdent fréquemment leur emplacement à de nouvelles habitations. Rejetés hors des murs et séparés de leur maison, les jardins laissent place à un milieu urbain minéral

181

DUBY, Georges (1971) cité par : GESBERT, Élise (2003, octobre-décembre). « Les jardins au Moyen Âge : du XIe au début du XIVe siècle ». Sur Cahiers de civilisation médiévale (n°184), pp. 381-408 (en ligne). URL : http://www.persee.fr/doc/ccmed_0007-9731_2003_num_46_184_2868, page consultée le 25 mai 2016 182

DELISLE, Léopold (1260) cité par : GESBERT, Élise (2003, octobre-décembre). « Les jardins au Moyen Âge : du XIe au début du XIVe siècle ». Sur Cahiers de civilisation médiévale (n°184), pp. 381-408 (en ligne). URL : http://www.persee.fr/doc/ccmed_0007-9731_2003_num_46_184_2868, page consultée le 25 mai 2016

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C’est un paysage « brut », appauvri de nature qui se dessine ici ; Ainsi l’image de la cité médiévale tortueuse et sinueuse dénuée de végétal s’accentue.

Afin d'expliquer la présence de jardins à l'intérieur de la ville, certaines études ce sont intéressées à leurs propriétaires à l’aide de documents de recensement urbain, ou titres de propriétés. Ils ont remarqué que le jardin à l'intérieur des murs était souvent signe de richesse. Elise Gesbert énonce différent noms de propriétaires de jardins intra-muros appartenant à un certain rang ou une certaine catégorie sociale « Les princes de la famille royale ont des jardins à Paris ; saint Louis lui-même en possède sur la pointe de l'île de la Cité. À Provins, on pouvait voir à l'extérieur de l'enceinte du château des comtes de Champagne, un jardin à l'ouest des portes nord. Quant à l'implantation des jardins à Laon, elle correspond presque toujours à la présence de demeures fortifiées qui appartiennent à des officiers et à des chevaliers, c'est-à-dire à des familles aristocratiques. » Bien souvent, outre ces classes aristocratiques, les établissements religieux entretiennent également des jardins dont les mets sont de première nécessité. Pour tout homme d’Église de haute hiérarchie il était envisageable, en dehors des ensembles religieux, de posséder des jardins pour leurs propres besoins. « Le jardin de l'îlot Tramassac à Lyon, qui côtoie un hôtel, appartenait en fait à l'évêque Philippe de Thurey dont le nom est mentionné par des textes d'archives ».183 « Les bourgeois ont toujours passé pour aimer beaucoup les jardins », écrit G. Riat avec raison en 1900 dans L'art des jardins (GESBERT, Elise, op. cit.). C'est au 12ème et 13ème siècle que la bourgeoisie prospère ; aussi, a-t-elle probablement contribué à l'existence des jardins intra-muros. Dans son ouvrage « Reims et les Rémois »184, P. Desportes, cité également dans l’ouvrage de E.Gesbert, a constaté qu’à Reims les jardins indépendants de l’habitation appartenaient certainement à une population relativement modeste comme il en est question dans la paroisse de Saint-Étienne, tandis qu'à Saint-Jacques, paroisse beaucoup plus fortunée, la grande majorité des jardins était couplée de maisons.

« Doit-on voir un lien entre le couple maison-jardin et l'aisance du propriétaire en milieu urbain ? » (Élise GESBERT) Peut- être, cependant ce constat est certainement valable dans un contexte de forte croissance urbaine. Lorsque les murs de la ville s'accroissent, les petits jardins d'artisans ou de simples marchands prolifèrent sans contrainte spatiale à l'extérieur de l’enceinte, ils comptent parmi les plus nombreux mais cela généralement pour un court laps de temps, car les populations gagnent toujours du terrain à la fin du Moyen Âge. L’existence et l'entretien des jardins urbains sont donc liés à une situation économique et un état démographique correct.

183

ARLAUD, C., BURNOUF, Joëlle et BRAVARD, Jean-Pierre (1994), cité par : GESBERT, Élise (2003, octobredécembre). « Les jardins au Moyen Âge : du XIe au début du XIVe siècle ». Sur Cahiers de civilisation médiévale (n°184), pp. 381-408 (en ligne). URL : http://www.persee.fr/doc/ccmed_0007-9731_2003_num_46_184_2868, page consultée le 25 mai 2016 184

DESPORTES, Philippe cité par : GESBERT, Élise (2003, octobre-décembre). « Les jardins au Moyen Âge : du XIe au début du XIVe siècle ». Sur Cahiers de civilisation médiévale (n°184), pp. 381-408 (en ligne). URL : http://www.persee.fr/doc/ccmed_0007-9731_2003_num_46_184_2868, page consultée le 25 mai 2016

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b) Les jardins périurbains De par une faible superficie, il est rendu difficile pour les jardins vivriers intra-muros d’assurer les besoins en approvisionnement alimentaire nécessaire à toute la population urbaine. Pour prospérer, la ville à fréquemment vu son noyau urbain « se dévoiler », faisant apparaitre autour des villes, qu’elles soient de grandes ou petites envergures, une « auréole de jardinage » (GESBERT, Elise, op. cit.). ainsi nommée par Georges Duby. Le phénomène est redondant, dans plusieurs villes, l’éloignement des murs d’enceintes influe directement sur la quantité de cultures et jardins qui s’installent sur le territoire en question. Ainsi un « nouveau » paysage se crée, un tableau urbain de type « banlieue d’une agglomération » se compose à la périphérie de la ville. Dans son ouvrage, Elise Gesbert nous décrit de manière schématique la façon dont ce tissu urbain se compose : « Les habitations des faubourgs, les jardins qui les entourent, les clos de vigne et les différentes autres cultures. »

Fig. 29 Structure de la ville et la périphérie à l’époque médiévale

En prenant l’exemple de Chartres, Gesbert nous présente une description de sa composition au 11ème siècle. Dans le cartulaire de Saint-Père nous dit-elle : « les vignes font place aux jardins : terram in qua quondam fuere vinae et modo sunt in ea ortuli plurinorum hominum..., puis à des maisons » (GESBERT, Elise, op. cit.). C'est dans le dernier tiers du 11ème siècle que la ville voit son développement urbain s’accroître et cela pendant le siècle suivant. « Face à cet essor, la demande en alimentation se fait plus pressante et les vignes doivent céder leur place vers la vallée de l'Eure et dans les plaines de l'Ouest. » (GESBERT, Élise, op. cit.)

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Les faubourgs, de par une situation géographique proche du noyau urbain, sont en réalité «le terrain de prédilection des jardins»185, cela s’explique par la rapidité avec laquelle les propriétaires urbains ont accès à leur parcelle ; n’empêchant pas les nouvelles maisons de s'implanter à l'intérieur des murs d’enceintes, ils ont peu de contraintes spatiales. Dans la littérature, nous pouvons trouver des descriptions de paysages péri-urbains envahis de jardins. Elise Gesbert nous présente l’exemple le plus remarquable, celui du Roman de Thèbes : « trois des sept portes de la cité sont directement en contact avec des jardins.»186 Un effort ici est tenu à être apporté, afin d’accueillir le visiteur au sein d’une cité à l’allure verdoyante. Parfois, on retrouve certains quartiers à la périphérie des villes exploités presque totalement en jardins et portant des noms significatifs.

« En Roussillon, l’horta de Perpignan devient en 1225 l’horta nova par un agrandissement, celui d'Argelès est mentionné plusieurs fois à la fin du 13ème siècle, en 1293 ; en Provence, ces lieux sont appelés « ors » ou « orts ».» (GESBERT, Elise, op. cit.)

La littérature médiévale nous renseigne également sur d’éventuels aménagements de jardins périurbains proches des murs et des portes des villes. Comme il en est question, à la fin du Moyen-âge, à Arles on peut retrouver en grande majorité des jardins à proximité des murs de la ville, si ce n’est au pied même du rempart. Elise Gesbert, rencontre souvent dans des documents écrits des expressions du type propre portale ou extra et propre muros Arelatis. La présence de l'eau à l'extérieur d'une ville a certainement influencé l’installation des jardins hors des murs. Ces cours d'eau permettent au jardinier d'irriguer plus facilement sa parcelle. Illustrant très bien ce propos, il serait intéressant d’évoquer les marais de Paris, de Picardie et de ses régions voisines, créés pour la plupart à partir du 13ème siècle. Elise Gesbert conte à ce sujet « De grands travaux de drainage permettent en effet à de nombreux jardins de s'installer auprès des villes. L'emplacement est idéal : proches des villes qu'ils alimentaient généreusement, ils trouvent de l'eau en abondance. Ils sont ceinturés de fossés assez larges pour recueillir l'eau drainée, sinon les immondices ». (GESBERT, Elise, op. cit.)

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BILLOT, C. (1987) cité par : GESBERT, Élise (2003, octobre-décembre). « Les jardins au Moyen Âge : du XIe au début du XIVe siècle ». Sur Cahiers de civilisation médiévale (n°184), pp. 381-408 (en ligne). URL : http://www.persee.fr/doc/ccmed_0007-9731_2003_num_46_184_2868, page consultée le 25 mai 2016 186

Mora-Lebrun, Francine cité par : GESBERT, Élise (2003, octobre-décembre). « Les jardins au Moyen Âge : du XIe au début du XIVe siècle ». Sur Cahiers de civilisation médiévale (n°184), pp. 381-408 (en ligne). URL : http://www.persee.fr/doc/ccmed_0007-9731_2003_num_46_184_2868, page consultée le 25 mai 2016

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Au terme de ce panorama, nous observons que les structures des villes médiévales françaises ont installé en leur sein de nombreux jardins. Bien que leurs surfaces n'y occupent, la plupart du temps, qu’une place minime, ils contribuent tout même généreusement au patrimoine végétal de la cité. Dès qu'ils sortent des murs, le phénomène tend à s’inverser et les jardins, dit péri-urbain, voient leurs morphologies s’agrandir. L’étendue de l’enceinte et le nombre d’habitations influencent directement la quantité et la densité des jardins intra-muros ; « En général, dans les petites agglomérations et dans les parties les plus anciennes de celles-ci, les jardins étaient peu nombreux. À Puy-Saint-Front de Périgueux, la présence et la disparition des jardins intra-muros ont pu être mesurées grâce à des textes allant de 1247 à la fin du 15ème siècle : les changements étaient liés à la situation démographique ». (GESBERT, Elise, op. cit.) Il semblerait que cette prolifération de composition végétale, se soit opérée à partir du 13 ème siècle, si l'on s’en tient à la documentation écrite. Mais rien ne nous certifie que cet augmentation de jardin reflète la réalité, les informations transmises ont pu être déformées : « l'origine sociale de l'auteur, le type de texte — littéraire ou historique — et sa raison d'être, sont autant de facteurs qui ont contribué à biaiser la réalité ou à en sélectionner une partie. Cette multiplication a donc pu débuter bien avant. » (GESBERT, Élise op. cit.)

c) Les Jardins en milieu rural Bien que le milieu rural ne soit pas la localité sur laquelle se concentre le travail, il est intéressant d’en énoncer tout de même les grandes lignes. De fait, afin de subvenir au besoin vivrier de la cité, ce territoire était indispensable à l’organisation de la ville. Le jardin en milieu rural a donc un rôle nourricier indubitable. S'insérant facilement dans un paysage « aéré » où les habitations sont peu concentrées, il est une partie intégrante de l'ensemble villageois. De manière semblable au comportement de la ville, le jardin forme une enceinte fertile encerclant ou jouxtant les habitations. Un phénomène est récurent en milieu rural, maison et jardin se lient au point que la construction d'une habitation implique, la plupart du temps, la création d'un jardin proche. Le cartulaire de la Sauve Majeure témoigne au 11ème siècle de cet état de fait : « Ratier de Daignac, son épouse et ses enfants donnent en libre alleu le moulin de Talabruga, une terre pour faire un jardin et une maison pour loger le meunier (molendinum de Talabruia et terram ibidem ad ortum faciendum et mansionem ubi possit molinarius hospitari) »187. Elise Gesbert relève de ces écrits que le jardin semble bien ici indispensable pour la vie quotidienne du futur meunier. L'expression domum et ortum exprime dans les textes médiévaux l'association maison-jardin. Au 12ème siècle, ces termes figurent dans une donation de terres avec moulin à l’abbaye de la SauveMajeure : quarterium terrae iuxta molendinare ad faciendum domum et ortum et viam euntibus ad molendina. (GESBERT, Élise op. cit.)

187

HIGOUNET, Charles et HIGOUNET-NADAL, Arlette (1996) cité par : GESBERT, Élise (2003, octobre-décembre). « Les jardins au Moyen Âge : du XIe au début du XIVe siècle ». Sur Cahiers de civilisation médiévale (n°184), pp. 381-408 (en ligne). URL : http://www.persee.fr/doc/ccmed_0007-9731_2003_num_46_184_2868, page consultée le 25 mai 2016

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Métaphoriquement à la ville, lorsque le comportement des habitations tend à s’associer, les jardins forment la « banlieue » du village et dessinent ainsi autour de celui-ci une ceinture dite « courtillage », « enclos », « pourpris », etc., selon les pays (GESBERT, Élise, op. cit.). Ainsi, bon nombre de jardins ne jouxtent par leur habitation, mais peuvent être situés à proximité de terres voisines ou proches de moulins dont l’intérêt est lié à la présence d’un cours d’eau appui Elise Gesbert.

C’est par raison de commodité d’irrigation que l'eau, indispensable à la croissance végétale, a attiré les jardins. Elise Gesbert le remarque lorsque Chrétien de Troyes188 décrit, dans Erec et Enide, le paysage que les personnages découvrent en arrivant à Carrant. « Vergiers » et « rivières » sont associés dans un même vers : De forez et de praeries De vignes et de gaingneries, De rivières et de vergiers.189

Outre cette fonction irrigatrice, les ruisseaux et rivières ne servent pas seulement à nourrir le terrain en eau ; influençant parfois sa morphologie, ils délimitent le jardin et en déterminent sa profondeur.

Dans le milieu rural, il existe très peu de cas où les fermes se retrouvent dénuées de jardin. Une tendance nous montre que les plus fortunés cultivent immanquablement des légumes, des simples, des fruits voir même des plantes textiles. Les plus modestes quant à eux, se contentent de planter quelques herbes, quelques racines. Outre ce rapport utilitaire qu’entretiennent ces jardins de campagne, très peu d’informations nous sont données sur la valeur d’agrément du jardin de plaisir et d’évasion. Sur ce questionnement l’auteur Gesbert n’apporte pas de réponse « Il est vrai que les documents historiques ne font jamais allusion à la fonction même des jardins. La littérature, quant à elle, ne nous décrit grossièrement que des choux, des arbres fruitiers et des herbes médicinales. » Mais une hypothèse selon laquelle on peut imaginer que pour quelques personnes plus aisées l’aménagement d’un coin de jardin pour l’agrément, ait été effectué « la composition florale d'un jardin est toujours la réponse directe aux besoins des propriétaires. »

188

Poète français, considéré comme le fondateur de la littérature arthurienne

189

ZINK, Michel cité par : GESBERT, Élise (2003, octobre-décembre). « Les jardins au Moyen Âge : du XIe au début du XIVe siècle ». Sur Cahiers de civilisation médiévale (n°184), pp. 381-408 (en ligne). URL : http://www.persee.fr/doc/ccmed_0007-9731_2003_num_46_184_2868, page consultée le 25 mai 2016

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« Du jardin Renaissant jusqu'aux compositions du 18ème siècle : Les Arts s'initient aux compositions végétales »

Les jardins de la Renaissance (style italien) Grandement influencé par les œuvres de l’Antiquité, la composition végétale de la renaissance à l’époque classique renoue avec les références gréco-latines servant ainsi de points de repère pour composer de splendide jardin. Le jardin de la renaissance italienne s’inspire d’une nature idéalisée pour ses aménagements. On assiste ici à la métamorphose de l’évolution de l’homme. Proportion et beauté deviennent les maitre mots et règles à suivre dans l’art des jardins. « L’homme dompte la nature pour en faire de l’art »190.

Fig. 30 jardins de la villa d’Este, à Tivoli (Italie)

On assiste à la première utilisation des axes pour orienter le regard. C’est donc autour d’un point d’intérêt que le jardin s’organise ; il est courant d’utiliser ce procédé pour des jardins privés, mettant ainsi en avant une villa ; la réalisation des jardins de la villa d’Este au 16ème siècle, à Tivoli est un exemple significatif. Ayant un respect pour la nature, et la prenant en considération, on voit sur des terrains en pentes s’aménager des terrasses mettant en exergue des vues sur le paysage environnent et sur le jardin mis en œuvre, cet élément architectural joue le rôle de loggia. Les éléments dominants y sont la pierre et l’eau.

190

OGNIBENE, Alexandre (2010-2011). « Verduriser l’architecture : la rencontre entre le végétal et l’architecture ». Travail de fin d’étude, p. 7

109


Les jardins du Grand Siècle (« à la française ») Emerveillés par lors de nombreux voyages effectués en Italie, les nobles ont été fortement influencé par ce mouvement de l’époque classique et reviennent avec l’envie de posséder autour de leurs châteaux des jardins d’ornement aussi sophistiqués que ceux de la Villa d’Este ou de la Villa Médicis. Les jardins « à la française » s’apparentent comme un prolongement de l’architecture. Cette conception des jardins nécessite qu’un dialogue s’installe entre l’architecte et le « maitre-jardinier ». Ces jardins ont pris toute leur ampleur avec les célèbres réalisations du jardinier du roi. André Le Nôtre est à l’origine de la conception des jardins de Vaux le Vicomte et des jardins de Versailles. En France, les jardins furent de préférence réalisés sur « d’immenses superficies au terrain remodelé et aplani tout autour des demeures »191. André Le Nôtre se servit de la perspective comme d’un fil conducteur autour duquel le jardin s’organisait, « créant un axe central traversant la demeure puis des axes obliques et perpendiculaires qui régissaient le tracé des parterres » (La Ferme Ornée de Carrouges, Ibid). L’outil de la perspective permet d’amener le regard au-delà du jardin, « aussi loin que possible à travers les bois et les champs », L’idée qui devait transparaitre était que l’homme contrôlait totalement la nature. De même sorte que les jardins renaissant italien, le jardin « à la française » s’organise de façon à ce que le château soit valorisé, reflétant ainsi la « grandeur » du roi. Le 17ème siècle fut l’apogée des jardins « à la française », puis le goût pour les parcs à l’anglaise aux contours sinueux plus romantiques marqua le déclin de ce style mis à l’honneur dans toute l’Europe par Le Nôtre.

Fig. 31 Château Vaux le vicomte, (1658–1661), Maincy (France)

191

La Ferme Ornée de Carrouges (2014). « Histoire de l’art des jardins ». Dossier pédagogique, histoire des Arts (en ligne). URL : http://www.lafermeorneedecarrouges.fr/fichiers/histoire_art_jardin.pdf, page consultée le 3 juillet 2016

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Les jardins du siècle des lumières (style anglais) C’est au 18ème siècle, en Angleterre, que naît le style « jardin paysager ». Philosophes et poètes, aristocrates et politiciens se prennent de passion pour l’art des jardins. Théoriquement, les principales sources d’inspiration du jardin paysager furent la peinture et le théâtre. Dans un premier temps c’est par la littérature que le mouvement s’exprima. Le poète Alexander Pope se moqua de l’artificialité du jardin « à la française ».

« La poésie, la peinture et l’art des jardins […] seront considérés comme trois sœurs, ou comme les trois nouvelles Grâces qui habillent et ornementent la nature »192. (WALPOLE, Horace)

De par son agencement et ses formes irrégulières, le jardin à l’anglaise s’oppose au style de « jardin à la française ». Tant sur le point de l’esthétisme que du symbolisme, le jardin anglais et bien loin des gestes jardinés par le style français. Il se proclame avant tout paysage et peinture. Ce refus de la symétrie vient comme un symbole d’émancipation vis-à-vis de la monarchie et de ses représentants sous la Révolution française. L’esthétique, ici, privilégie la redécouverte de la nature sous son aspect spontané et poétique, l’objectif n’étant plus de la contrôler mais d’en jouir.

La promenade du jardin paysager anglais s’apparente à un voyage ; on y flâne et y parcours ses sentiers sinueux, nous voyant spontanément être surpris par les divers tableaux paysager s’offrant découvrant tout au long de la déambulation. Tout comme dans un tableau, « l’équilibre des volumes, la variété et l’harmonie des couleurs et des matières végétales » est recherché par le concepteur. « La perspective atmosphérique prime sur la perspective optique »193. En tout état de cause, les « anomalies » de la nature y sont exploitées et non corrigées. « Le jardin à l’anglaise est en somme une peinture vivante »194. (La Ferme Ornée de Carrouges)

Ne voit-on pas apparaitre les prémices des compositions contemporaines du paysage ? En tout cas le style anglais, par son « landscape gardening », aurait influencé un certain nombre de jardinier du 20ème siècle. Belvédères, panoramas, vues, scandent les jardins anglais.

192

Ibid.

193

Ibid.

194

Ibid.

111


« Le jardin à l'époque Industrielle et Moderne - jardin avant-gardiste et jardin fragilisé » C’est au 19ème siècle qu’une réelle innovation sociale apparait. Des parcs municipaux émergent dans la ville et sont mis à disposition des habitants. Désormais, tout le monde peut venir se divertir dans ses poches végétales et ne sont plus strictement réservées à quelques privilégiés. En Angleterre, John Claudius Loudon195 fut le premier à plaider en faveur de l’ouverture des jardins publics, garantis comme « instrument de réforme sociale »196.

Période industrielle Dans un souci de redonner à la ville une atmosphère plus vivable, le programme le plus important de parcs publics intégré à un plan d’urbanisme est apparu en France : il s’agit de la restructuration de Paris, « lancée par Napoléon III et orchestrée par le baron Haussmann ». L'objectif est d'« aérer » la capitale pour en « chasser les miasmes », c'est-à-dire d'en faire une ville « moderne et assainie ». Avec l’omniprésence de certaines industries dans le centre de la capitale, il devenait nécessaire d'apporter aux parisiens « de l'air » et de nouveaux espaces de loisir. Ce sont de grandes artères et de grands parcs publics qui permirent d’ouvrir des espaces dans ce centre urbain déjà bien dense. Ingénieurs et horticulteurs s’attelèrent à accomplir ces grands travaux ; Adolphe Alphand et JeanPierre Barillet-Deschamps seront commis par le baron Haussmann. Le 19ème siècle fait figure de « progrès » techniques. Cette période permit la réalisation de grandes structures en verre et en fonte ; c’est ainsi qu’apparurent de gigantesques serres qui servirent notamment à développer l’acclimatation d’espèces tropicales.

Arts & Crafts (1880 - 1910) Ce mouvement architectural et paysager anglais voit le jour à la fin du 19ème siècle il signifie littéralement « arts et artisanats ». Art & Crafts renvoi directement aux inquiétudes de ces artistesartisans devant le progrès : « inquiétude, besoin d'individualisation, recherche de véritables valeurs dans un contexte de mutations rapides des paysages et des sociétés sous l'impulsion de la deuxième révolution industrielle »197.

L'idée essentielle du mouvement Arts & Crafts est simple : « pour eux, le bonheur réside dans l'artisanat car un ouvrier ne peut s'épanouir et être fier de son ouvrage que s'il participe à chaque étape de sa réalisation et de sa fabrication ». Ce mouvement pousse certaines communautés d'artisans à quitter la ville et à partir s'installer à proximité de la nature ; cet exode est encouragé par le développement des réseaux ferroviaires.

195

Botaniste écossais (1783- 1843, né à Cambuslang, Lanarkshire, en Écosse.

196

La Ferme Ornée de Carrouges (2014). « Histoire de l’art des jardins ». Dossier pédagogique, histoire des Arts (en ligne). URL : http://www.lafermeorneedecarrouges.fr/fichiers/histoire_art_jardin.pdf, page consultée le 3 juillet 2016 197

Ibid.

112


Le mouvement Art & Crafts s’exprimera dans les compositions végétales. Gertrude Jekyll198 (1843 1932) a donné une grande importance aux « plates-bandes d’herbacées adossées à des murs dans les grands jardins de la Belle Epoque anglaise, en les traitants en grands mouvements colorés et serrés» (La Ferme Ornée de Carrouges, op. cit.). Précurseur de certains concepts actuels de jardinage « écologique », G. Jekyll a développé la technique des « mixed borders », encore très utilisée aujourd’hui. On voit également émerger de ces compositions végétales des chambres de verdure199, permettant au visiteur de s’immerger plus facilement dans un paysage arboré et floral.

Ami de G. Jekyll, William Robinson va nous permettre d’articuler les réflexions sur l’art des jardins du 19ème et du 20ème siècle. En 1870, il expose dans son ouvrage intitulé The Wild Garden la conception suivante : « un jardin ne doit pas être régenté par l’arbitraire de son tracé mais il doit favoriser l’épanouissement des végétaux»200. Respecter leur forme et leur taille à l’état naturel est primordiale. Il soulève également l’idée de « placer des plantes indigènes ou exotiques d’une résistance à toute épreuve dans des conditions leur permettant de prospérer sans nécessité de soins particuliers »201.

Ces « gestes jardinés » sont annonciateurs d’un nouveau fondement dans les jardins contemporains. Son obstination sur l’aspect non-programmé des essences végétales est à l’origine de la conception la plus actuelle de nos jardins. Il conseille, par exemple, « le mélange dans les plates-bandes de plantes locales et exotiques, l’acclimatation, dans l’herbe, de plantes à bulbe, et surtout l’idée de permanence des plantations » (La Ferme Ornée de Carrouges, op. cit.).

Les espaces verts C’est au 20ème siècle que l’on voit apparaitre la notion « d’espaces verts ». Dans le langage de l’urbanisme, l’espace vert représente tout espace d'agrément végétalisé, qu’il soit composé de surface engazonnée, arborée, arbustive et éventuellement plantée de fleurs et d'arbres.

Le terme « espace vert » renvoit généralement aux espaces publics ou semi-publics et sous-entend une situation en milieu urbain ou périurbain. Cette composition végétale, inventée pendant la période d’après-guerre, dans un contexte de reconstruction urbanistique, ne fit pas l’objet d’une grande attention pour les urbanistes ou autres concepteurs ; par conséquent, l’histoire de l’art des jardins n’a pas connu d’évolution à cette époque. Elle fut le « pare-pauvre » de la reconstruction et « servit souvent de bouche-trous dans les villes – d'où les termes très généraux d'espaces verts ».

198

Paysagiste anglaise (1843 - 1932) né à Londres. Elle a été un des grands jardiniers de son temps et son influence sur l'art du jardinage reste importante. Cette artiste influencée par le mouvement « Art and Crafts » s'est consacrée aux jardins. Ses recherches ont porté sur l'équilibre des couleurs : plates-bandes, mix-borders, jardins boisés, plantes grimpantes et rosiers. Elle a montré l'importance de la proportion, des textures et du parfum dans les jardins. Source : Wikipédia, Gertrude Jekyll. 199

Les chambres de verdure successives permettent de créer des atmosphères différentes et assurent les surprises. Cette découverte par étapes du jardin plait beaucoup aux visiteurs. 200

Ibid.

201

Ibid.

113


« Représentation du Jardin contemporain - Jardins planétaire - Jardin en mouvement Jardin écologique » La définition que William Robinson202 se fait du jardin en 1870, serait à l’origine de la conception la plus actuelle de nos jardins. « Un jardin ne doit pas être régenté par l’arbitraire de son tracé mais il doit favoriser l’épanouissement des végétaux, en respectant par exemple leur forme et leur taille à l’état naturel»203. Cette approche naturaliste, « lance la vogue » des grands jardins horticoles où raffinement et considérations écologiques se rejoignent. Ce type de jardinage nécessite une connaissance affirmée de la botanique ; non seulement des caractéristiques de chaque végétal mais aussi de l’interaction des végétaux entre eux. Cette méthodologie de « jardinage écologique », Gilles clément204 en a fait sa spécificité. La définition que le paysagiste se fait de jardiner serait celle qui se rapproche le plus de la définition du jardin voulant ici être développée. Inventeur du concept de « jardin planétaire »205, Gilles Clément considère que « la Terre est, comme le jardin, un espace clos, fini et arpentable, que l'Homme, en bon jardinier, doit ménager ». Sa définition apparaît donc comme un état des lieux, « d'où il faut partir et dont il faut s'inspirer » pour inventer les jardins de 21ème siècle. Abordant la notion de paysage, faisant lieu dans ce jardin planétaire, G. Clément introduit également dans le vocabulaire des paysagistes, le terme de « Tiers paysage » Dans cette logique de nature spontanée, le paysagiste développe dans ses réalisations des jardins s’apparentant à une composition spontanée qu’il « baptise » les jardins en mouvement. Cette stratégie de jardiner, a le remarquable mérite de laisser aller ou du moins intervenir le moins possible, sur les essences plantées en un lieu.

Jardin planétaire

« Le Jardin Planétaire est un concept destiné à envisager de façon conjointe et enchevêtrée : -la diversité des êtres sur la planète -le rôle gestionnaire de l’homme face à cette diversité » 206

202

Horticulteur irlandais (1838-1935)

203

La Ferme Ornée de Carrouges (2014). « Histoire de l’art des jardins ». Dossier pédagogique, histoire des Arts (en ligne). URL : http://www.lafermeorneedecarrouges.fr/fichiers/histoire_art_jardin.pdf, page consultée le 3 juillet 2016 204

CLEMENT, Gilles, né le 6 octobre 1943 à Argenton-sur-Creuse (Indre), est un ingénieur horticole, paysagiste, écrivain, jardinier et enseignant à l’Ecole Nationale Supérieure du Paysage de Versailles. 205

Exprimé pour la première fois dans son roman-essai, Thomas et le voyageur, en 1996

206

CLEMENT, Gilles. « Le jardin planétaire ». Sur Gilles Clément jardinier, le jardin en mouvement, je jardin planétaire et le tiers paysage. (en ligne). URL : http://www.gillesclement.com/cat-jardinplanetaire-tit-Le-JardinPlanetaire, page consultée le 15 juin 2016.

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Le concept de Jardin Planétaire est façonné à partir d’un triple constat associant la finitude écologique, le brassage planétaire et la couverture anthropique. La notion de finitude écologique survient au milieu du 20ème siècle attenant à l’approfondissement des connaissances écologiques sur la planète. « Elle fait apparaître le caractère « fini » de la biomasse planétaire, rend la vie précieuse et précaire, non indéfiniment renouvelable, donc épuisable »207. Gilles Clément considère que la finitude écologique se définit par « les limites de l’enclos dans lequel se joue l’avenir de la diversité dont l’homme fait partie », à savoir, la biosphère208. Comme pour l’étymologie du jardin, le « Jardin Planétaire » est le lieu de « l’accumulation de toute une diversité soumise à l’évolution, aujourd’hui orientée par l’activité humaine et jugée en péril » (CLEMENT, Gilles, op. cit).

Le brassage planétaire est « le résultat d’une agitation incessante des flux autour de la planète : vents, courants marins, transhumances animales et humaines, par quoi les espèces véhiculées se trouvent constamment mélangées et redistribuées» (CLEMENT, Gilles, op. cit).

Les plantes et les animaux se répartissent selon leur capacité à habiter les grandes zones climatiques planétaire, contrairement à l’homme qui, lui, est capable de franchir toutes les barrières climatiques « à l’aide de multiples prothèses (habitats, vêtements, véhicules climatisés) (CLEMENT, Gilles, op. cit). « Le jardin, pris dans le sens traditionnel, est un lieu privilégié du brassage planétaire. Chaque jardin est fatalement agrémenté d’espèces venues de tous les coins du monde ». (CLEMENT, Gilles, op. cit). Le travail du jardinier finalement est un rôle d’entremetteur, il fait se rencontrer entre elles, des espèces qui, à priori, n’étaient pas destinées, à se rencontrer.

La couverture anthropique concerne la superficie d’un territoire jardiné, dont la gestion est conduite par l’homme. « Dans un jardin, si tout n’est pas maîtrisé, tout est connu » (CLEMENT, Gilles, op. cit). La méthodologie employée par le paysagiste G. Clément le pousse à laisser s’épanouir les espèces délaissées du jardin ; il considère que leur choix d’emplacement est volontaire, soit « par commodité ou par nécessité ». Afin d’appuyer sa définition du jardin planétaire, G. Clément tisse une situation : « la planète, entièrement soumise à l’inspection des satellites, est, de ce point de vue, assimilable au jardin ».

« La finalité du Jardin Planétaire consiste à chercher comment exploiter la diversité sans la détruire. Comment continuer à faire fonctionner la « machine » planète, faire vivre le jardin, donc le jardiner ». (CLEMENT, Gilles, op. cit).

207

Ibid.

208

Fine pellicule autour de la planète, limitée aux limites-mêmes d’apparition de la vie.

115


Tiers paysage

« Fragment indécidé du Jardin Planétaire, le « Tiers paysage » est constitué de l’ensemble des lieux délaissés par l’homme »209.

Si l’on s’intéresse de plus près au paysage, on découvre subitement une quantité d’espaces indécis, dépourvus de fonction sur lesquels il est difficile de porter un nom. Cet ensemble n’appartient ni au « territoire de l’ombre » ni à « celui de la lumière »210, pour reprendre les termes de l’auteur. Le Tiers paysage se situe aux marges, dissimule un « entre-deux ». Il concerne les délaissés urbains ou ruraux, les espaces de transition ; en lisière des bois, le long des routes et rivières, dans les recoins oubliés de culture agricole, « là où les machines ne passent pas » (CLEMENT, Gilles, op. cit.).

A ces délaissés viennent s’ajouter les territoires en réserve, composés de lieux inaccessibles, sommets de montagne, lieux incultes, déserts ; réserves institutionnelles : parcs nationaux, parcs régionaux, « réserves naturelles ». Entre ces « fragments de paysage » aucune similitude morphologique. Cependant un élément tend à les unifier : Tous constituent un territoire de refuge à la biodiversité. Si l’on compare le Tiers paysage à l’ensemble des territoires « soumis à la maîtrise et à l’exploitation de l’homme », le Tiers-Paysage constitue l’espace privilégié d’accueil de la diversité biologique. Une nature plus ou moins dictée influence, fortement ou non, l’intensité d’occupation d’une richesse spécifique. Le nombre d’espèces dénombrées dans un champ, une culture ou une « forêt gérée » est maigre en comparaison au nombre recensé dans un délaissé satisfaisant leur accueil.

De ce point de vue, le Tiers-paysage apparaît comme le « réservoir génétique de la planète, l’espace du futur … » (CLEMENT, Gilles, op. cit.). Dans son ouvrage, G. Clément incite le lecteur à considérer le Tiers-Paysage comme une « nécessité biologique ». Ces espaces conditionnent l’avenir des êtres vivants ; il est donc impératif pour tout concepteur, du néophyte au professionnel, de modifier la lecture traditionnelle qu’il se fait du territoire et de valoriser, dès à présent, ces lieux habituellement considérés comme négligeables, voire ingrats.

Le tiers paysage est sans échelle. Il couvre l’ensemble des écosystèmes capables d’assurer le maintien d’une diversité. Les instruments d’appréciation du Tiers paysage vont du satellite au microscope, explique G. Clément. « L’analyse des informations obtenues à partir des satellites donne, en particulier, l’activité de biomasse pour une région donnée ; l’analyse à partir des microscopes donne, en particulier, l’énoncé des êtres les plus simples vivant au sein d’un écosystème. » (CLEMENT, Gilles, op. cit.).

209

CLEMENT, Gilles (2014, décembre). « Manifeste du tiers paysage». Dans la collection « sciences sociales » (éditions sens&tonka), p. 13 210

L’analyse montre le caractère binaire de ce paysage : d’un côté l’ombre avec les exploitations forestières dominées par le douglas, paysage réglé par l’ingénieur forestier ; de l’autre côté la lumière avec les exploitations agricoles principalement vouées à l’élevage, paysage réglé par l’ingénieur agronome. Si la masse ombre-lumière semble couvrir tout le territoire elle ne le révèle pas dans son entier.

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Le terme de Tiers-Paysage ne se réfère pas au Tiers-Monde mais au Tiers-Etat. Il se réfère au pamphlet211 d’Emmanuel-Joseph Sieyès de 1789 : « Qu’est-ce que le Tiers-Etat ? - Tout - Quel rôle a-t’ il joué jusqu’à présent ? - Aucun - Qu’aspire-t-il à devenir ? - Quelque chose. »212

Jardin en mouvement

« Le Jardin en Mouvement s’inspire de la friche : espace de vie laissé au libre développement des espèces qui s’y installent » 213.

Dans ce genre de composition végétale, les forces en présence, « croissance, lutte, déplacement, échange », ne se confrontent pas aux obstacles habituellement dressés pour contraindre la nature à la géométrie, à la propreté ou à tout autre principe culturel privilégiant l’aspect, l’esthétisme. Le jardin en mouvement est un dialogue entre la nature et le jardinier. Celui-ci tente de jardiner des masses, ou ponctuations végétales pour les faire évoluer à leur meilleur usage sans en altérer la richesse spécifique. « Faire le plus possible avec, le moins possible contre » résume la position du jardinier du Jardin en Mouvement.

Le jardin en mouvement, comme une cour de « récréation végétale », s’agite, s’épanoui, se fatigue, évolue. Animés d’êtres vivants, plantes, animaux, humains, cette composition est dictée par leur interaction dans le temps. Nous le comprenons, « la tâche du jardinier revient à interpréter ces interactions pour décider quel genre de « jardinage » il va entreprendre » (CLEMENT, Gilles, op. cit.). L’objectif étant de maintenir et accroître la diversité biologique, pour cela il faut : « - maintenir et accroître la qualité biologique des substrats : eau, terre, air - intervenir avec la plus grande économie de moyens, limitant les intrants, les dépenses d’eau, le passage des machines … » (CLEMENT, Gilles, op. cit.).

211

Le pamphlet est une forme d'expression contestataire. Un pamphlet peut tout aussi bien être une poésie, un roman, une fiction etc. 212

CLEMENT, Gilles (2014, décembre). « Manifeste du tiers paysage». Dans la collection « sciences sociales » (éditions sens&tonka), p. 13 213

CLEMENT, Gilles. « Le jardin en mouvement». Sur Gilles Clément jardinier, le jardin en mouvement, je jardin planétaire et le tiers paysage (en ligne). URL : http://www.gillesclement.com/cat-mouvement-tit-Le-Jardin-enMouvement, page consultée le 15 juin 2016.

117


G. Clément observe son support d’expression plus qu’il ne le jardine. Une meilleure connaissance des espèces et leurs comportements permet de mieux exploiter leurs capacités naturelles, sans obligatoirement dépenser excessivement d’ « énergie contraire » et de temps. Dans cette dynamique de gestion, l’une des manifestations les plus remarquables du Jardin en Mouvement vient du déplacement physique des espèces sur le terrain. Le Jardin en Mouvement tire son nom du mouvement physique des espèces végétales sur le terrain, que le jardinier interprète à sa guise. « Des fleurs venant à germer dans un passage mettent le jardiner devant le choix de savoir s’il veut conserver le passage ou conserver les fleurs ». Le Jardin en Mouvement recommande d’entretenir les espèces ayant déterminé leur lieu d’implantation. Ces principes bouleversent la conception formelle du jardin qui, jusqu’ici, se trouve entièrement remise entre les mains du jardinier. Le dessin du jardin, changeant au fil du temps, dépend de celui qui entretient, il ne résulte pas d’une conception d’atelier sur les tables à dessin.

« L’émergence de l’écologie bouleverse le rapport de l’homme à la nature. Il était maître du monde, le voici appartenant au monde, sans plus, contraint de respecter toutes les formes de vie sur Terre. Son avenir en dépend. Il n’y a aucune incompatibilité théorique entre les formes géométriques et les formes organiques. Seule la pollution s’oppose significativement au discours protégeant la vie. Il arrive parfois que l’artifice vienne au secours de la nature et sauve des espèces en danger. Tout jardin, de manière décidée ou non, joue un rôle de conservatoire. « Tout jardinier, de manière consciente ou inconsciente, fait office d’entremetteur en accélérant la fréquence des rencontres entre espèces d’origines éloignées, au sein d’un immense et inévitable brassage des flores. »214

214

CLEMENT, Gilles (1997). « Les libres Jardins de Gilles Clément». Dans la collection « les grands Jardiniers » (éditions du chêne), p. 109

118


C.

La nature comme espace végétal paysager.

« Focale sur le vocabulaire végétal » Notion de paysage « Le paysage désigne une partie de territoire telle que perçue par les populations, dont le caractère résulte de l'action de facteurs naturels et/ou humains et de leurs interrelations »215.

Le paysage est-il une réalité, un objet qui existe en dehors de nous ?, ou est-il une image, une représentation mentale, marquée de la subjectivité de notre perception et de notre interprétation ? C'est un « choc de cultures » qui est révélé à travers ces questions soulevées par C. PARTOUNE. A l’origine, le paysage est une approche artistique, au sens de décor, d’artifice disposant d’une valeur esthétique, le paysage est l’agencement des traits, des formes d’un espace limité d’un pays ou territoire. « Historiquement Le regard paysager s’est formé dans le monde occidental au contact de l’art pictural et de ses évolutions au début de l’époque moderne, notamment à la Renaissance »216.

Composante de l’espace terrestre, Ce paysage est représenté ou observé tant à l’horizontale qu’à la verticale par l’observateur. Il implique donc un point de vue ; une prise de position. La thématique paysagère, méthodologie actuelle d’apprentissage, semble assez récente. « Avant d’être l’objet de représentations artistiques, le paysage état un pays » (OGNIBENE, Alexandre, op. cit.), une portion du territoire offrant des perspectives plus ou moins importantes avec une identité bien marquée ; le cas échéant un lieu de travail pour les habitants locaux qui font partie de ce pays. A la fin du 20ème siècle, deux approches complémentaires concernent le paysage : « Il est d’une part considéré comme un système modelé par différents facteurs naturels (abiotiques, biotiques et anthropiques), le paysage peut, de ce point de vue, présenter des potentialités écologiques. D’autre part, le paysage peut être considéré comme une perspective culturelle interprétée par chacun selon sa culture et ses référentiels».

La notion de paysage sous-tend une dimension esthétique, picturale voir littéraire forte en tant que représentation. Bien souvent le paysage s’appréhende visuellement. C’est fréquemment la vue qui focalise notre attention sur un élément singulier, cependant les odeurs et ambiances sonores peuvent également en modifier la perception.

215

PARTOUNE, Christine (2004, septembre). « La dynamique du concept de paysage ». Sur Revue Éducation Formation - n° 275, Laboratoire de méthodologie de la géographie, Université de Liège. URL : http://www.lmg.ulg.ac.be/articles/paysage/paysage_concept.html, page consultée le 27 juillet 2016. 216

Wikipédia (2016, 14 juillet). « Paysage». Sur Wikipédia, l’encyclopédie libre (en ligne). URL : https://fr.wikipedia.org/wiki/Paysage, page consultée le 20 juin 2016

119


Dans son ouvrage, Le paysage, Thierry Paquot (2016), décrit le paysage « naturel » comme un « abri du paysage spirituel»217, « il est un cheminement intérieur plus qu’une vue panoramique, un écho au « connais-toi toi-même » socratique, une complicité avec la culture passée, en un mot le paysage est une représentation d’un monde et non pas celle du monde. En cela, il diffère de la carte et du territoire… » (PAQUOT, Thierry, op. cit.) Pourrait-on parler de subjectivité Paysagère ? Dès lors que le jugement esthétique est pris en considération, où l’on charge l’espace de significations et d’émotions, l’étude paysagère ne peut être que subjective. Le paysage ne fait pas partie de l’environnement. L’environnement est un concept récent, d’origine écologique, regroupant l’eau, la terre, la végétation, les reliefs. Certains géographes le confondent, bien à tort, avec le paysage. Mais un paysage s’inscrit, il est donc inséré dans un environnement.

Notions d’espaces « naturels » / « verts » Les espaces naturels sont identifiés comme autant de « poumons verts » qui « aèrent » ou « irriguent » le tissu urbain. L’appellation espace naturel recouvre un sens très large ; on parle d’espace naturel ou espace vert, mais la distinction entre les deux termes n’est pas facile. Pour bien fixer le sens du mot « naturel » définissons son opposé qui est « artificiel ». Un espace « artificialisé » est donc un milieu dans lequel l’état ou l’aspect des lieux est contrôlé, régulé, maîtrisé par l’activité humaine. « L’expression « espace naturel » rappelle bien évidemment la couverture végétale de l’espace auquel logiquement on l’identifie. Dès lors, un espace naturel est souvent assimilé à un espace boisé. Car l’arbre est un élément déterminant de la naturalité d’un lieu. Qu’il s’agisse d’un Cèdre isolé dans un parc résidentiel ou d’un chêne poussant en pleine forêt, la hauteur, le port, la couleur du feuillage, signent le caractère naturel d’un espace. C’est pourquoi, l’image d’un espace vert en ville est immédiatement accolée à celle d’une pelouse, alors que celle d’un espace naturel est identifiée à un site boisé. L’arbre est par excellence la marque de noblesse de la nature. »218 Pour certains, l’espace « naturel » est incarné dans les immenses paysages sauvages où la nature spontanée existe depuis des millénaires et s’organise librement sans aucun artifice. Pour d’autres, l’espace « naturel » se confond avec la « campagne » où le bois, l’étang, la mare, le pré incarnent les formes traditionnelles de représentation de la nature. Une activité humaine rentre bien souvent en interaction avec ces espaces, on parle alors de milieux secondaires, de milieux seminaturels, suivant l’intensité des interventions.219 Pour d’autres enfin, l’espace « naturel » est symbolisé par un « parc » sous l’aspect d’un espace vert engazonné, fleuri, arboré. Le parc est assimilé à un « espace naturel » à portée de main qui peut prendre la forme d’un modeste enclos plus ou moins soigné.

217

PAQUOT, Thierry (2016). « Le paysage ». Édition la découverte, p. 49.

218

BOUTEFEU, Emmanuel (2009). « Composer avec la nature en ville ». Edition CERTU p. 30.

219

HUNT, John Dixon cité par : BOUTEFEU, Emmanuel (2009). « Composer avec la nature en ville ». Edition CERTU

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On a longtemps cherché à limiter la signification de l’expression « espace vert » aux seuls parcs et jardins publics localisés dans les centres villes. Ainsi, les coulées vertes et toutes les pénétrantes vertes qui s’avancent dans le tissu urbain, ne relèveraient pas de la famille des espaces verts ? Il est courant que les terrains boisés en soient exclus et que les forêts appartiennent à la catégorie des « espaces naturels » et non à la famille des « espaces verts ». Et pourtant, la plupart des citadins considèrent les espaces verts comme des « espaces naturels », malgré le fait qu’ils soient soumis à des soins réguliers et qu’ils aient été créés et aménagés de toutes pièces. Le square, le parc, la forêt symbolisent autant de visions plurielles de la nature en ville. Peu importe que les structures paysagères soient ordonnées de manière régulière ou non, composées à des fins ornementales, conservatoires ou productives, c’est toujours un peu de nature (vie) qui entre dans la ville. Un urbaniste parle volontiers « d’espace vert », un paysagiste de « site paysager », un promoteur « d’espace non bâti » (BOUTEFEU, Emmanuel, op. cit.). Suivant le regard de chacun des acteurs urbains, un même espace vert peut nourrir un vocabulaire fécond, susciter des débats passionnés, nourrir des conflits d’usage et d’appropriation, tant les points de vue sont contradictoires. En définitive, on peut se demander si les espaces verts en ville n’auraient pas pour vocation de remplir les espaces « vides » de construction, les emplacements réservés en attente d’un hypothétique équipement public, les terrains biscornus inconstructibles, les délaissés fonciers dont on ne sait que faire, bref tous les espaces « libres » que personne ne s’approprie, faute de leur trouver une vertu particulière, de leur déceler un cachet propre ou de leur donner une fonction précise ? A l’origine, la notion d’ « espaces verts » est introduite par l’urbaniste Eugène Hénard en 1903, ce terme lui apparait lorsqu’il décide de cartographier l’ensemble des parcs et jardins accessibles aux Londoniens et aux Parisiens. « La carte des espaces verts ouverts au public, tant dans Londres que dans Paris, lui permet de comparer la répartition des « taches vertes » dans les deux capitales ». Il constate immédiatement qu’une certaine « pauvreté végétale » apparait dans la ville de Paris, contrairement à la générosité végétale qu’offre la richesse des parcs et jardins Londoniens à ses habitants. Dans le cadre de ce travail, le terme espace vert sera déterminé au sens de la circulaire du 8 février 1973 relative à la politique des espaces verts, pour laquelle un espace vert englobe : - Toutes les réalisations vertes urbaines telles que bois, parcs, jardins, squares, et même les plantations d’alignement et d’accompagnement. - Toutes les superficies vertes périurbaines et rurales, en particulier les massifs forestiers, les forêts, les zones d’activités agricoles, les espaces naturels.

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Notion de Trames vertes Les trames vertes sont des réseaux de connexions biologiques pour la préservation de la biodiversité, Elles servent de corridors écologiques, pour éviter éventuellement la disparition d’espèces vivantes autochtones ou issues de migration, et relient les espaces verts entre eux fournissant ainsi des continuités vertes aux citoyens. Elles allient à la fois convivialité et sécurité pour les déplacements de toutes sortes d’êtres vivants.

Par les formes variées des habitats « naturels » inscrits dans ces corridors écologiques, une faune sauvage et spontanée, des productions vivrières, des « sites de repos et d’abris », etc..., se développent progressivement, afin d’être de nouveaux supports de richesse spécifique. La trame verte se constitue généralement d’éléments biologiques ou physiques qui permettent un passage de façon continue.

La structure de la trame verte a pour finalité de restaurer, protéger et gérer la biodiversité (OGNIBENE, Alexandre, op. cit.).

D’un point de vue de la « législation », Le code de l'environnement (article L. 371-1 I) assigne à la « Trame verte et bleue » les objectifs suivants : « 1. Diminuer la fragmentation et la vulnérabilité des habitats naturels et habitats d’espèces et prendre en compte leur déplacement dans le contexte du changement climatique. 2. Identifier, préserver et relier les espaces importants pour la préservation de la biodiversité par des corridors écologiques. 3. Mettre en œuvre les objectifs visés au IV de l’article L. 212-1 et préserver les zones humides visées aux 2° et 3° du III du présent article. 4. Prendre en compte la biologie des espèces sauvages. 5. Faciliter les échanges génétiques nécessaires à la survie des espèces de la faune et de la flore sauvages. 6. Améliorer la qualité et la diversité des paysages. »220

220

CRPF (2012, mai 29). « Définition de la trame verte et bleue ». Sur FOGEFOR du limousin formation gestion forestière. URL : http://www.crpf-limousin.com/sources/files/ FOGEFOR/ droitfo_definition_trame_verte_ et_bleue.pdf, page consultée le 5 août 2016.

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« Conclusion »

L’histoire le démontre, le regard porté sur le jardin a constamment évoluer au fil des époques, laissant plus ou moins des traces importantes. Sa condition d’existence n’a pas toujours pu être et n’est pas toujours des plus propice à son épanouissement ; en effet le jardin se retrouve, dès le moyen-âge, façonné selon des axes symboliques, il est clôturé d’un mur, ses essences sont taillés architecturalement pour ne mettre en évidence finalement qu’une esthète primant sur le reste. « Le jardin était le plus souvent intégré à l’étude architecturale au sein de laquelle on lui réservait une place mineure : on ne tentait donc de comprendre le sens du jardin que par rapport aux bâtiments qu’il prolongeait. » 221 A l’époque de la renaissance italienne, on voit également cette nature domestiqué dans les jardins, où là encore, les effets artistiques sont les éléments clés d’une bonne composition végétale. Finalement l’intérêt porté au métabolisme végétal, ne se manifeste qu’avec les découvertes scientifiques associées à cet être vivant. La botanique a justement permis au monde végétal d’être perçu différemment, laissant aux concepteurs une plus grande liberté de jardinage, incluant tant les notions d’esthétisme que d’écologie ; ainsi d’autres formes arborescentes se développent. Au 20ème siècle, le botaniste Francis Hallé est l’une des figures emblématiques des sciences associées au monde végétal ; ses études sur la structure architecturale de l’arbre à notamment contribué à la naissance de nouveau concept d’architecture et de paysagisme. L’intention ici n’est pas d’affirmer, que ces jardins historiques ne respectaient pas le végétal, puisqu’on voit déjà apparaitre au moyenâge un intérêt apporté à celui-ci dans la pharmacopée, mais que l’intérêt principal ne portait pas sur les propriétés biologiques des essences. L’existence des jardins va « bien au-delà d’une simple manifestation esthétique » (BARON, Évelyne, op. cit.). Témoins des civilisations, leur étude constitue une mine de renseignements sur leurs aspirations morales et spirituelles. On s’aperçoit rapidement que la définition que l’on donne génériquement du jardin revêt en réalité des aspects forts divers. Elles varient selon l’ethnie ou l’époque à laquelle celui-ci appartient. On constate aisément que le jardin ne peut plus se résumer à un modèle particulier de composition végétale, mais doit être vu et appréhendé comme un élément polyfonctionnel, sans « limite » particulière, un tout, où s’incrémente une multitude de situations végétales qui apparaissent à l’homo urbanus comme une infinité de possibilité de jardinage, lui permettant d’habiter et vivre la ville. Cette situation redéfinit le statut du jardin et par conséquent celui de la ville, faisant de ces composantes urbaines deux notions indissociables. Dès lors, considérons la ville - voire la planète comme un grand terrain d’aventure, où le végétal compose l’espace et devient le support de jeu de l’habitant.

221

BARON, Évelyne (1987). « Pour une ethnohistoire des jardins ». Sur Journal d'agriculture traditionnelle et de botanique appliquée, pp. 125-142 (en ligne). URL : http://www.persee.fr/doc/jatba_0183-5173_1987_num_34_1_3968

123


Fig. 32 croquis personnel, « le jardin planétaire »

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1.2| « Vers » une Ville Jardin « La ville se présente comme une construction, un artefact, quelque chose non seulement d’artificiel mais qui bride le naturel »222, elle le compose. En effet, le phénomène se répète, de nombreuses villes s’imposent à leur site, en y modifiant la composition spatiale provoquant des changements comportementaux : modification du relief, des plantations, ou déviation de fleuve qui la traverse, ou autre « folie » réalisée pour diverses raisons. De telles directives exposent clairement l’inattention ou le peu d’intérêt porté par les concepteurs ou décideurs, que l’on nomme « élus », vis-à-vis de l’environnement qui inclut autant la nature que l’urbain.

Pourtant, l’histoire urbaine vieille seulement de sept à neuf mille ans le montre (PAQUOT, Thierry, op. cit.) : les villes les plus radieuses se parent de parcs et de jardins (Babylone, Bagdad, Grenade, Samarkand, Londres et ses nombreux espaces verts). Cette recherche de cadre bucolique est « indémodable ». Les réactions citoyennes produites en réponse à la situation des villes se répètent périodiquement ; Thierry Paquot nous le raconte dans son article Ville et nature, un rendez-vous manqué ? ; « La demande de verdure, la démarche paysagère, la défense de l’arbre dans la ville, ne sont pas des phénomènes récents, liés à une prise de conscience des enjeux écologiques ou à une volonté de mettre en place un urbanisme de « développement durable », ils appartiennent à une sorte de « subconscient collectif » ancien - c’est une image, bien sûr -, qui de manière récurrente se manifeste, certainement lors de « crises », perçues comme telles ou non.» (PAQUOT, Thierry, op. cit.) Cette nécessité végétale apparait donc comme un phénomène éphémère redondant.

Au moment où la ville se densifie, la nature s’y propage jusque dans les moindres recoins, du moins elle s’y retrouve contrainte, si elle veut perdurer. La technique ne cessant de croitre, progression du génie civil, forme urbaine métamorphosant le tableau urbain et ses mouvements, le regard porté sur la ville ne se fait plus forcément à partir de la rue, mais la sphère est accessible et façonnable dans ses trois dimensions ; du macadam aux toitures bétonnées en passant par ces murs, la nature est partout la bienvenue, parfois même sous les formes les plus inattendues. Car si l’homme n’a jamais été autant capable de modeler la nature et de maîtriser partiellement les éléments, la prise de conscience de la fragilité de son écosystème, et l’importance qu’il accorde au mieux vivre ensemble démontrent l’urgence de certaines mesures à prendre. Qu’il soit objet d’ornement dans certains lieux, publics ou privés, ou qu’il participe naturellement à notre environnement, l’arbre a droit de cité ; mieux, il a devoir de cité.

L’importance que nous accordons aux enjeux environnementaux, nous pousse à changer notre vision de la société, nous renvoie à la nécessité de prendre avec le plus grand sérieux l’avenir du monde végétal - en particulier l’arbre, symbole de nature dans nos villes - car il est aussi le nôtre.

222

PAQUOT, Thierry (2004). «Ville et nature, un rendez-vous manqué ?», Dans Diogène p. 83-94 (n°207) (en ligne). URL: https://www.cairn.info/revue-diogene-2004-3-page-83.htm#s1n2, page consultée le 31 mai 2016

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1.2.1| Une réelle nécessité de jardiner la ville

« La ville est perçue par beaucoup comme un espace hostile à la nature, voire un milieu anti-nature » 223 . Depuis les années 1990, les Français reconnaissent aisément que la qualité de la vie s'est améliorée, mais ils déplorent de « ne pas avoir suffisamment d'espaces verts à proximité de leur logement ». (BOUTEFEU, Emmanuel, op. cit.). C'est un phénomène redondant de l'urbanisme actuel ; l’homo urbanus « réclame » davantage de verdure d'autant plus lorsqu'il « habite » une grande ville. Les ménages résidant bien souvent des « barres de logements », ressentent plus que d'autres l'insuffisance de nature. Dans son ouvrage, E. Boutefeu, soulève que par rapport à un foyer habitant en maison individuelle pourvue d'un jardin, la différence est significative : « 84% des Français estiment qu'il faut créer davantage de jardins et de parcs en milieu urbain » (BOUTEFEU, Emmanuel, op. cit.). Lors de concertations citoyennes, il ressort fréquemment que la présence d'un jardin soit le premier équipement public spontanément cité par les personnes interrogées pour améliorer la qualité de vie en ville. Cet intérêt croissant pour la nature doit aiguiller les concepteurs de parcs et de jardins à diversifier l’offre, à améliorer les capacités biologiques des espaces verts, à introduire un peu plus de « nature vivante » plutôt que de « nature spectacle ». Les nombreuses crises environnementales des dernières décennies ainsi que la certitude du réchauffement climatique, sensibilisent la conscience collective ; cet éveil environnemental contribue à une prise de conscience sur la fragilité des écosystèmes et sur les défis à relever dans les prochaines années. Les problématiques urbaines, telles que la pollution générée par nos outils de « progrès technique », le regain d’intérêt pour la nature et les « espaces verts » favorisent l’émergence de nouveaux types de jardins urbains. Les collectivités, conscientes des enjeux environnementaux, sociaux et culturels liés aux jardins urbains accordent une place plus importante à la dimension paysagère de leurs territoires. Aujourd’hui, « le végétal urbain » est devenu un moyen de maîtriser ou du moins compenser les effets négatifs de la croissance urbaine. Le jardinage devient un loisir, passant du statut de lieu de production à celui de lieu de consommation, et cela, toutes classes sociales confondues. Les projets de jardins publics, de trame verte et bleue et de nature en ville deviennent des outils de communication, non plus quantifiés sur la base d’une surface d’ « espace vert » minimale par habitant mais sur des « critères qualitatifs relevant des usages et des performances écologiques et économiques »224. Dans bien des projets urbains, les considérations écologiques actuelles incluent bien souvent la nature comme « partenaire » de la ville. S’en découle alors l’idée de structurer la ville et ses quartiers par la nature, se traduisant bien souvent par l’organe végétal. Rendre une atmosphère saine et agréable est l’objectif de ces concepteurs luttant par exemple contre le phénomène d’îlot de chaleur225.

223

BOUTEFEU, Emmanuel (2007, avril 28). « La nature en ville : des enjeux paysagers et sociétaux». Sur Géoconfluences (en ligne). URL : http://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc/transv/paysage/PaysageViv.htm, page consultée le 1 juillet 2016. 224

DURÉAULT, Jérôme (2013). « Architecture contemporaine et nature en ville ». Agricultural sciences.

225

APUR (2009). « Une petite synthèse du Grand Pari(s) de l’agglomération parisienne ». Atelier Parisien d’Urbanisme, p. 134.

126


Diverses initiatives saisissent l’attention de certains aménageurs de la ville, comme l’architecte urbaniste français Nicolas Soulier, qui propose la reconquête des rues par leur « fertilisation ». La notion qu’il introduit, celle du « Frontage »226, est très intéressante car elle renvoie à la notion de « lisière », d’ « entre-deux », elle décrit un espace urbain, où, de fortes interactions s’y développent.

Fig. 33 croquis de Nicolas Soulier (2012). « La rue »

Cet espace de transition entre deux masses résulte à la fois : du « plein et vide », de « la masse bâti et non bâti », de « l’axe et du zonage », du « lieu de recueil et d’expression sociale ».

226

« Le Frontage » est l’élément urbain sur lequel notre attention s’attardera dans la suite de l’étude.

127


La qualité de sa composition est déterminante si l’on veut faciliter les échanges de l’homo urbanus avec le monde extérieur. C’est dans cette « sphère de transition » que certains citadins s’adonneront au jardinage, afin d’obtenir et rendre plus agréable leur habitat collectif ou personnel. C’est ainsi que l’on peut trouver dans diverses villes ou métropoles, des quartiers, des rues, des ruelles qui, par l’initiative collective d’habitants, se retrouvent végétalisés, ou jardinés devrions nous dire, formant ainsi des petits îlots de fraîcheur.

Fig. 34 photos personnelles, Rue des Thermopyles, à Paris (2016)

D’autres actions, relevant plus du militantisme, incitent les gens à reconquérir leur espace urbain afin de rétablir un mieux vivre communautaire en ville. Des mouvements activistes voient le jour, comme la « Green Guerilla »227 développant ces notions de sensibilisation au monde végétal. À Mons (Belgique), il est possible d’observer à divers endroits de la ville des murs tagués avec de la mousse végétale, rue de l’Atre par exemple, véhiculant un message de paix et de rappel à la nature.

La nécessité d’intégrer plus de nature en ville est clairement traduite par ces manifestations citadines étouffant dans des villes hyperactives dominées par la voiture et le gris béton.

« Le besoin de nature en ville ne serait-il pas lié à la perte, à l’absence ou à la privation d’une certaine forme de nature authentique, vivante, libre et indépendante de l’homme » (BOUTEFEU, Emmanuel, op. cit.)

227

La « Green Guerilla » est un mouvement qui appelle la population citadine non pas à prendre les armes, mais plutôt à prendre leur arrosoir ou leur sac de graines afin de reverdir la ville de façon plus ou moins légale.

128


Comportement sociétal La transformation sociétale, décrivant une société de pénurie passant à une société de mode de vie basé sur la « sur » consommation et les loisirs, influence grandement le processus d’urbanisation à l’œuvre à la fin des années 50 jusqu’à aujourd’hui. « Pour compenser une urbanisation massive et peu contrôlée, l’espace « vert » urbain devient une sorte de parade aux nuisances générées par l’homme »228. Une nouvelle transformation apparait dans les années 70-80, décrivant le passage d’une société « sur-consommatrice et de loisirs » à une société porteuse d’équilibre entre nature et homme. Les gens demandent constamment plus de nature en ville, « Les citadins du XXIème siècle vouent un culte aux petits oiseaux et aux herbes folles » (BOUTEFEU, Emmanuel, op. cit.) La nécessité de redonner un cadre de vie équilibré est primordiale et urgente si l’on veut limiter au maximum les effets négatifs de l’étalement urbain et maintenir les citadins au sein de nos agglomérations. Réintroduire la nature en ville est une nécessité si l’on veut protéger nos campagnes. Cette prise de conscience internationale amène les politiques à devoir de plus en plus s’investir dans des missions environnementales ; les thématiques liées à la place de l’homme dans la nature se dénouent, par exemple ce thème était la ligne directrice imposée dans l’élaboration de l’exposition universelle « Milano 2015 ». On assiste aujourd’hui, à une densification des centres urbains afin de nourrir tout être humain, il est essentiel de limiter l’étalement urbain au profit des zones agricoles. Qui dit densifier ne dit pas forcément milieu imperméable. Les notions de trames et maillages verts et bleus apparaissent dans l’espoir de reconstituer un réseau écologique cohérent. Cette demande croissante de la part des citoyens de vouloir plus de « vert » en ville afin d’améliorer leur cadre de vie n’est pas nouveau (IFPRA). Plus de nature et densification s’oppose ? Est-il possible de concilier les deux, comment et sous quelles formes ?

« Il ne faut pas croire qu’il soit facile de planter des arbres en ville ! »229. L’homme adopte bien souvent un comportement répulsif vis-à-vis de certaine mise en œuvre végétale. Dans son ouvrage Des arbres dans la ville, l’urbanisme végétal, Caroline Mollie considère que « l’arbre ne cesse d’être réprouvé, exclu : ses branches tomberaient sans cesse, ses ramures viendraient taquiner les lignes électriques et les caténaires des TRAM, ses fleurs seraient de plus en plus allergènes, ses fruits toxiques, ses feuilles trop glissantes et trop coûteuses à nettoyer… ! »230.

228

DURÉAULT, Jérôme (2013). « Architecture contemporaine et nature en ville ». Agricultural sciences.

229

MOLLIE, Caroline (2009, octobre). « Des arbres dans la ville, l’urbanisme végétal ». Actes Sud | Cité Verte, p. 11

230

Ibid.

129


« Pouvons-nous imaginer une ville sans arbres ? La plus minérale d’entre elles, aujourd’hui, a un parc où le regard se repose de la rigidité du bâti, de la rectitude des avenues. » L’arbre est ainsi devenu présence à la fois légère et nécessaire à nos fragilités. Le végétal ajoute à la ville une dimension à la fois rêveuse et bienveillante. Les urbanistes froids parleront de « confort des espaces urbains ». Le simple usagers des boulevard reconnaitra une proposition de bonheur qu’il n’est pas interdit de suivre. Au début du troisième millénaire, l’arbre ne peut être circonscrit aux fonctions visibles qu’on lui octroyait il y a encore peu d’années : fournir du bois, de l’ombre, des signes pour les regards, nous servir ou nous plaire. Celui des forêts comme celui des villes est devenu acteur indispensable au jeu complexe, désormais incertain, de la Biosphère.

Nous proposons une approche critique de cet engouement en nous intéressant à la « ville jardinée » du point de vue de l’habitant, de l’ « Homo Urbanus », celui qui fait vivre le lieu. « La capacité des habitants à jardiner intuitivement des espaces souvent ingrats est remarquable » 231, nous explique M. Paris. C’est aux abords de leur logement que ceux-ci s’expriment, le jardin se vêt donc d’une végétation polymorphique : Balcon, terrasse, rebord de fenêtre, façade ou pied d’immeuble sont autant d’espaces d’expressions laissés à leur disposition. Ces surfaces minimes ne satisfaisant pas assez les attentes citadines, l’Homo urbanus ne cesse de vouloir accroitre ces points de contact végétal dans un premier temps, devenant éventuellement nature dans un second temps, en pratiquant de plus en plus le jardinage en dehors de la sphère du logement : dans des jardins dit « familiaux », nouvellement désignés jardins partagés, dans les parcs et jardins publics ou simplement dans la rue en jardinant les pieds d’arbres.232

231

PARIS, Magali (2011). « Le végétal donneur d'ambiances : jardiner les abords de l'habitat en ville.. ». Thèse : Architecture, aménagement de l'espace. Université de Grenoble 232

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1.2.2| La ville jardin - jardinée

Le Jardin évolue, ses formes et fonds conservent certains caractères passés ou bien prennent une signification parfois tout autre. Traduisant d'avantage des actions, des gestes spatiaux, évoluant dans le temps, plus tôt qu'une image végétale fixe, les jardins se métamorphosent en fonction des stratégies urbaines et attentes du citadin. Aucune limite ne lui doit être octroyée, puisque nous l'avons vu précédemment avec l’évolution des divers jardins, les échelles d'action sont également diverses. On ne se retrouve donc plus bloqué par les quatre murs des configurations médiévales du jardin. S'infiltrant au sein du maillage urbain, que son inclusion soit provoquée ou spontanée, l'homo urbanus se retrouve en contact avec un monde végétal essayant tant bien que mal de trouver une place dans cette dominante urbaine minérale. Bien heureusement certains projets de jardins tendent à effacer cette dichotomie urbaine, longtemps ancrée dans les mentalités, qui visait à séparer ville et « nature jardinée ». Ces compositions végétales remarquables aboutissent à une nouvelle situation où ces deux éléments ne font qu'un.

Comprenons donc que la ville dans sa composition spatiale s'agence, s'organise, comme l'on pourrait jardiner une composition végétale où en l'occurrence ici, un jardin. En effet, de la même façon que le jardin, une ville se crée, croit ou régresse, mais surtout dépend d'une occupation, d’un entretien, d'une attention qui doit lui être portée. C'est de cette manière que nous concevons la ville jardin. Des nouvelles stratégies urbanistiques visant à jeter un regard globalisant sur un tissu urbain tendent à vouloir relier entre elles les différentes poches végétales présentent au sein des villes, les mutualiser. Cette notion a été abordée en amont lorsque la notion de trame verte a été énoncée. La mentalité n'est plus de viser l'individualité du jardin privé, mais la mise en relation de ses différents phénomènes insulaires (Notion développée dans le travail de Mc Arthur, image de « l'île dans la mer »). On voit ainsi se développer de plus en plus de promenades végétales par exemple, où le jardin n'est plus délimité par un clos (référence au moyen âge) mais le dépasse, et crée un jardin ouvert à tous (animal et humain). A long terme, ces nouvelles stratégies de compositions végétales créent un réseau urbain planté de végétation. L'histoire nous le montre, cette tentative a timidement été employée lorsque les enceintes défensives des villes se sont transformées en promenades urbaines, agréées d'allées plantées, avant d'être investies par l'automobile par la suite. Cette méthodologie met spontanément en lien différents espaces végétaux, susceptibles d'installer au sein de nos villes des masses végétales accueillant un morceau de nature dans ce paysage urbain. En fonction de la technique de mise en œuvre utilisé cette présence de nature est plus ou moins accentuée et de qualité. Les jardins en mouvement de Gilles Clément favorisent par exemple ce type d'insertion de végétation se rapprochant d'une composition naturelle. Ils sont devenus par ailleurs un modèle de référence dans bon nombre de « projet - paysage », d'architecture et d'urbanisme.

L'idée développée dans la ville jardin n'est donc pas de rendre public des jardins particuliers ou privés, qui restent nécessaires pour l'habiter de l'homo urbanus, mais de développer ou occuper de nouveaux espaces, de nouvelles surfaces végétales au sein des axes de déambulation. Investir les rues, les places, les constructions, les complexes sportifs et même les délaissés urbains, dits dents creuses, sont autant des éléments d'accueil pour une insertion végétale.

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L'objectif étant de "plonger" le citadin dans une atmosphère végétal, afin d'en favoriser son bienêtre, la mise en contact du citadin au monde végétal doit avoir lieu dans les endroits qu'il côtoie le plus fréquemment afin d'en stimuler sa curiosité et son intérêt. Ce contact au végétal sera envisagé par diverses compositions satisfaisant les attentes particulières de l'habitant occupant le lieu d'action, car de la même façon que l'on conçoit un projet d'architecture, planification, stratégie d'action, tableau AFOM, le projet de paysage ou de jardinage s'envisage de la même manière. A.

La ville jardin : végétal et Ville, quels rapports entretiennent-ils ?

La ville jardin traduit clairement l’idée d’une ville façonnée par la main de l’homme, nous l’avons vu au début de cette étude ; la notion de jardiner dépasse la notion de jardinage. Composer la ville, c’est créer, modeler, entretenir ou supprimer ses équipements, ses réseaux ses habitations. L’objectif étant d’obtenir un habitat le plus durable possible. En partant de cette définition, on comprend mieux ce que traduit l’idée de jardiner une ville. A chacun sa manière de procéder sur ce sujet, puisqu’il existe autant de manières d’habiter que de citadins, par conséquent les différentes façons de jardiner sont toute autant diversifiée. Cependant certaines maitrises conceptuelles sortent du lot. Des théoriciens, praticiens, auteurs, et tout autre concepteur intéressés par la ville et son végétal, ont développé différents concepts ou théories permettant de jardiner plus ou moins durablement la ville.

« La ville peut-elle être jardin ? » Jusqu’à récemment, la fusion de la ville avec la nature relevait de l’imagerie des cités utopiques voire de la science-fiction. Aujourd’hui, alors que la moitié de la population mondiale vit en milieu urbain, faire entrer la nature dans la ville est une nécessité, la tendance va à la densification afin d’éviter le phénomène d’étalement urbain ruinant l’équilibre écologique, mais cette irruption végétale doit permettre à la nature de pénétrer cette ville pour ne pas y suffoquer. Cette insertion végétale, à de rares exceptions près, ne se traduit plus sous la forme de grands parcs, comme cela a pu être le cas dans les grandes villes ou métropoles telles que Paris, Bruxelles etc…). « Par manque de foncier et parce que la démarche va à l’encontre du processus même de densification. »233 Dans cette situation tous les emplacements et supports disponibles doivent être investis, afin que la végétation s’immisce, comme l’explique le paysagiste Gilles Clément, auteur de l’ouvrage « Manifeste du tiers paysage ». Dans un contexte urbain aussi dense que paris, on ne peut plus se contenter uniquement de la nature domestiquée des parcs haussmanniens ; c’est d’ailleurs ce que confirment les citadins préférant aujourd’hui une végétation plus spontanée, de proximité, à l’image de jardin partagé.

233

GUISLAIN, Margot (2014, juillet 17). « La nature s’invite en ville ». Sur le Moniteur hebdo, rubrique « architecture et urbanisme » (en ligne). URL : http://www.lemoniteur.fr/article/la-nature-s-invite-en-ville24905630, page consultée le 15 juillet 2016.

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Comme nous avons pu le constater précédemment le champ lexical du jardin déborde de représentations et conceptualisations. Son évolution, à travers divers corps de métiers (intéressés de l’histoire et gestion du territoire), a amené l’homo urbanus à se projeter dans l’espace spontanément, ou à l’aide d’outils, pour en saisir les échelles dans laquelle se compose la nature, en l’occurrence ici, le végétal. Nous nous apercevons très rapidement que le mécanisme de développement des êtres vivants est similaire que l’on soit en milieu urbain ou rural. Les éléments principaux structurant ces deux paysages, sont facilement comparables (d’un point de vue de l’image qu’ils renvoient). Nous distinguerons la « prairie ouverte » du « bois » comme nous distinguons l’ « espace rue » de notre « habitation ». Ces métaphores sont très évocatrices ; tantôt le corps s’exprime « ouvertement », il est « à nu », ou bien tantôt, le corps se recueille et cherche repos. Dans les deux situations, l’ « entredeux », que l’on nommera « la lisière » dans un paysage rural ou « frontage » dans le milieu urbain, déborde d’interactivité et de partage.

Fig. 35 croquis personnel, « la métaphore des milieux », une notion de « Bois, lisères et prairie ouverte »

Bien souvent, facteur d’une bonne inclusion de l’habitat dans son « environnement », le frontage urbain est source d’une éventuelle richesse écologique. Satisfaisant à la fois l’occupant et le passant, cette « lisière urbaine » apparait comme un point de contact efficace faisant dialoguer le végétal ou autre composition avec l’homo urbanus. Présent à toute les échelles, « de la ruelle à la trame verte », le frontage serait-il un éventuel support d’intervention pour faire entrer toujours plus de « nature » en ville, ou devrions nous dire « végétal », afin que ville et jardin ne fassent qu’un. 133


B. La ville jardinée : un nouveau regard, une réflexion transcendant la conception traditionnelle d'une ville

Jardiner : la clé d’un développement durable ? Cette réflexion sur une gestion de la ville jardin, nous amène à faire évoluer la définition du jardin et de l’acte de « jardiner ». Elle n’est plus uniquement focalisée sur l’élément végétal, mais se projette à toute autre manifestation urbaine ayant également pour finalité de modifier le paysage urbain et ses comportements. Jardiner la ville, afin de satisfaire au mieux les conditions d’ « habiter » de l’homo urbanus, c’est être capable de - voyager, découvrir, dégager, établir, faire, dialoguer, intégrer, déployer, vérifier, entretenir, choisir, apporter, disposer, rythmer, ordonner, agrandir, modeler, complanter, aménager, cultiver - comprendre l’espace urbain. Nous serions tentés de dire que les conditions pour « habiter » pleinement son habitat découlent d’une attention apportée à la ville Jardinée, et non composée (telle est sa situation actuelle). Jardiner la ville dépasse la notion de simplement « composer », comme si la ville n’était qu’un espace de création infini et que son entretien n’était pas la première des préoccupations. L’homo urbanus jardine la ville dès lors qu’il l’occupe, il en devient acteur. Faisant corps avec l’espace, il participe à la construction de ce paysage urbain. Si l’on prend du recul sur cette situation, nous nous apercevons que « jardiner » apparait comme l’outil répondant aux recommandations dictées par le Schéma de développement durable. Par conséquent la ville jardinée serait une ville incluant spontanément en son sein, ces trois critères primordiaux permettant l’éveil sociétal.

Fig. 36 schéma personnel, concept du développement durable

« Caroline Mollie, décrivant le présent de l’arbre dans la ville, fait rêver d’un temps où « l’équilibre de la nature » sera compris comme une harmonisation globale du territoire des hommes. Rêver, mais aussi inciter à travailler à cet événement dans une contradiction vécue comme fertile».234

234

LIEUTAGHI, Pierre cité par : MOLLIE, Caroline (2009, octobre). « Des arbres dans la ville, l’urbanisme végétal ». Actes Sud | Cité Verte, p. 17

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PARTIE 2 | JARDINER LA VILLE POUR L’HABITER

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2.1| Le végétal s’invite en ville, un éventuel apport de nature 2.1.1| Composer avec le végétal en ville

Il est fréquent, tant de la part des citadins que des aménageurs, d’assimiler et de réduire la nature en ville aux compositions végétales urbaines, se traduisant couramment sous forme d’espaces verts, publics ou privés soient-ils. La nature est caractérisée par son autosuffisance, sa remarquable capacité à se développer spontanément sans la moindre sollicitation humaine extérieure. Dès lors que l’homme intervient pour en dicter sa croissance structurelle, autrement dit, la jardiner ; il ne nous est plus possible de caractériser la composition comme un élément de nature, puisqu’elle se retrouve désormais « artificialisée », par conséquent ne peut plus « être ». La finalité de tout projet de composition végétale urbaine, doit focaliser son intention sur un aménagement le plus spontané possible, où le contexte spatial du site d’accueil est pris en considération par le concepteur. Un site, c’est avant tout un support d’accueil possédant une richesse singulière. L’utilisation d’essence autochtone rend favorable une éventuelle reproduction de nature en centre urbain. Nous focaliserons donc notre attention sur la notion de végétal (éventuel support de nature), ce qu’il représente métaboliquement parlant, son inclusion urbaine dans un milieu parfois hostile mais aussi support d’une réelle richesse spécifique.

A.

Le centre urbain dense: un milieu hostile ou un support de biodiversité ?

Les biologistes ont longtemps écarté le milieu urbain de leur champ habituel de recherche, la ville étant considérée comme un environnement hostile à la vie sauvage. Il faut attendre les années septante pour que de timides études d’inventaire « faune, flore » voient le jour, amenant certains scientifiques à réviser leur jugements et à considérer la ville comme « un écosystème » à part entière. Dans son ouvrage « composer la nature en ville », E. Boutefeu soulève la question de « la place laissé à la nature en ville ». Ce questionne interroge directement le support urbain, peut-il ou non accueillir, mais surtout jardiner durablement le monde végétal ? Ces deux masses, minérale et végétale, principales composante d’un tissu urbain, peuvent-il entretenir un dialogue fusionnel ou se retrouvent-il en confrontation ? L’objectif de ce chapitre est de montrer que le milieu urbain est un espace de vie intéressant pour une faune et une flore particulière qui présentent d’étonnantes capacités d’adaptations. Boutefeu alerte le citadin et conseil de mieux connaitre le patrimoine naturel urbain pour mieux le gérer. « La ville est le théâtre d’une vie animale et végétale », colonisant discrètement « un vieux mur de pierres disjointes, les berges d’un cours d’eau, les annexes vertes d’une voie rapide urbaine » (BOUTEFEU, Emmanuel, op. cit.). Partout où elle s’initie, la nature s’affirme.

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Même situé au cœur d’un quartier minéralisé, un bâtiment peut se retrouver occupé par des plantes spontanées, souvent appelées « envahissantes »235, ou bien habité d’une faune insoupçonnée. De par sa diversité architecturale, la ville peut devenir un milieu « refuge » pour certains animaux ou plantes cherchant échapper à la prédation ou à la pression de la chasse. Le végétal en position insulaire L’objectif visé dans cette partie est de cerner l’intérêt que peut susciter ou non le support urbain, dans les réseaux écologiques naturels. A la fin des années 60, se développe une biogéographie insulaire proposée par R. Mac Arthur et E. Wilson, qui servira de base théorique pour de nombreuses études d’écologie continentale. Projeté à l’échelle de nos villes, ce phénomène insulaire peut être comparé à une île d’habitat végétale noyée dans dans une « mer » de constructions (minérales).

a) l’intérêt du modèle insulaire : Robert Mac Arthur et Edward Wilson (1963-1967) Les travaux de ces chercheurs sur le peuplement des îles et des archipels océaniques les ont amenés à déterminer au moins cinq paramètres influençant la richesse spécifique (biodiversité) d’une île (biotope) : « - La surface de l’île dont dépend le taux d’extinction des espèces; - La diversité biogéographique du site d’accueil qui conditionne le nombre de biotopes disponibles et le potentiel biologique des lieux en fonction des conditions climatiques, des caractéristiques topographiques, de la position géographique de l’île, de l’importance de la couverture végétale; - La distance à la source d’approvisionnement (continent) qui joue sur le taux d’immigration des espèces; - L’âge de l’île qui détermine le niveau d’endémie des espèces, la solidité des assemblages biologiques, l’importance des relations trophiques entre les communautés animales et végétales; - La dynamique des populations qui intervient sur le taux d’accroissement spécifique, sur l’aptitude d’une espèce à coloniser durablement un site »236

Fig. 37 Renouvellement des espèces, modèle insulaire de Robert Mac Arthur et Edward Wilson.

Fig.38 Relation entre richesse spécifique et la superficie

235

Essences faisant figure de « plante opportuniste », sont très souvent communes, voire banales. Les botanistes retrouvent parmi ces essences, les plantes adventices, les spontanées, les pestes végétales et les plantes reliques, toutes ayant cette tendances à abriter une richesse spécifique insoupçonnée. 236

BOUTEFEU, Emmanuel (2009). « Composer avec la nature en ville ». Edition CERTU p. 78

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Le diagnostic qui ressort de cette étude montre qu’une petite île éloignée des côtes possède un faible taux d’immigration et un taux d’extinction élevé. À l’inverse, une grande île proche des côtes aurait un bien meilleur taux d’immigration et un plus faible taux d’extinction qui se traduirait par une augmentation de la richesse biologique. La richesse spécifique au sein d’un biotope s’établit au point d’équilibre des processus d’immigration et d’extinction des espèces.

Cette étude est source d’indication pertinente nous permettant de la transposer à notre échelle d’étude. En effet ces mécanismes biologiques, ou phénomènes insulaires réagissent de la même façon à l’échelle de nos centres urbains. L’île devient nos espaces « verts » (île végétale), le continent, quant à lui, fait figure des milieux naturels environnant nos villes.

Fig. 39 l’intérêt du modèle insulaire.

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Nos comportements urbanistiques vis-à-vis de ces biotopes (sources vitales), ne sont pas des plus respectueux. L’émiettement et le morcellement des massifs boisés liés à l’accroissement des infrastructures et à la pression d’urbanisation ont pour effet d’éloigner les sources d’approvisionnement en créant des discontinuités et des interruptions spatiales dans la trame boisée. La théorie des peuplements insulaires permet de mieux saisir le mécanisme d’adaptation des espèces colonisant un vieux parc boisé ou un jardin récemment créé, dont la flore n’est pas encore arrivé à « maturité ».Elle permet également de comprendre comment ces espèces s’organisent et maintiennent des « effectifs stables »237.

Dans nos centres urbains denses, « l’extinction des espèces isolées dans le tissu urbain est un péril permanent » (BOUTEFEU, Emmanuel, op. cit.). Le morcellement de l’habitat végétal oblige les espèces à développer des stratégies adaptatives. A ce sujet E. Boutefeu énonce dans son ouvrage, que « pour survivre dans un Parc ou un jardin, les animaux et les plantes « urbanisés » doivent changer de préférence écologique, étendre leur champ d’action ou au contraire le contracter tenant compte de la taille de l’espace vert encore disponible, de l’éloignement de leurs « terres ancestrales », des artifices horticoles et des pratiques culturales qui sont introduits ainsi qu’à l’omniprésence humaine » (BOUTEFEU, Emmanuel, op. cit.). Le surenchérissement des obstacles physiques à la colonisation rend occasionnel et aléatoire le flux d’immigration. L’importance des liaisons entretenues avec d’autres noyaux satellites influence le métabolisme fertile ou stérile d’une communauté insulaire vivant en autarcie.

Techniquement parlant, la théorie des peuplements insulaires nous est d’une grande utilité pour améliorer les conditions de vie des espèces animales et des plantes sauvages qui poussent en ville. Si l’on admet que nos processus d’urbanisation sont la cause de ces fragmentations et disparités des habitats naturels, il va de notre devoir de se repositionner d’un point de vue comportemental et d’adapter des stratégies de compositions végétales agissant sur les paramètres clés indispensables à l’équilibre des richesses spécifiques (développé par R. Mac Arthur, E. Wilson) : La surface, la distance ville - campagne ou autres habitats bio-diversifiés, la couverture végétale en présence.

237

BOUTEFEU, Emmanuel (2009). « Composer avec la nature en ville ». Edition CERTU p. 82

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b) Des gestes maladroits « Trop adulé, l’arbre devient victime de son succès »238 s’attriste Caroline Mollie. Afin de répondre aux exigences environnementales de l’homo urbanus, le végétal est réclamé pour combler, en « deux temps, trois mouvements », les interstices ou bien « accompagner massivement l’ensemble des projets urbains ».

La course à l’image écologique est scandée par maints décideurs locaux, qui n’hésitent pas à accentuer ce contre-sens en « maquillant » leurs principaux espaces publics de « plantations en bacs, en jardinières, sur dalles, dans des fosses exiguës, dans des rues trop étroites ou privées de lumière, en d’autres termes, sans avenir ». (MOLLIE, Caroline, op. cit.) Ces comportements laissent à désirer si l’on a pour objectif d’enrichir la ville de nouveaux biotopes. C. Mollie relève certains abus que provoquent l’engouement actuel pour les transplantations d’arbres âgés, « le prêt à planter est en pleine expansion ». (MOLLIE, Caroline, op. cit.)

Dans son ouvrage, Des arbres dans la ville, l’urbanisme végétal, la paysagiste nous donne l’exemple de la sollicitation de l’Olivier : « ils font l’objet d’un trafic particulièrement lucratif développé par des industriels peu scrupuleux qui bénéficient de fonds européens pour renouveler les oliveraies espagnoles et italiennes notamment». Elle poursuit en décrivant la répercussion que cela occasionne sur l’être vivant : « ces oliviers sont réduits au dixième de leur couronne et de leurs racines puis mis en bac, véhiculés sur de longues distances. » (MOLLIE, Caroline, op. cit.)

Fig. 40 Des gestes maladroits, mise en pot d’Olivier

238

MOLLIE, Caroline (2009, octobre). « Des arbres dans la ville, l’urbanisme végétal ». Actes Sud | Cité Verte, p. 21

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Cette marchandisation du végétal apparait comme une imposture, ne relevant en aucun cas de gestes visant une durabilité. Ces pratiques qui nient les besoins du végétal, pour simplement assouvir les plaisirs de la société, sont pour Caroline Mollie irrecevables. Fréquemment effectuées à la va-vite, en trop grande densité, et implantées dans des milieux stériles ou exigus, les compositions végétales peinent à se maintenir en vie ; elles survivent. Il s’en découle alors des formes végétales disgracieuses ou moribondes, fragilisées, à la limite de la dangerosité.

« La quantité l’emporte sur la qualité et la précipitation sur la raison » (MOLLIE, Caroline, op. cit.)

Dans son ouvrage, Caroline Mollie, s’attache à développer quelques fondements qui pourraient éviter des pratiques inutiles et coûteuses. La végétation est généreuse si ces conditions de vie le sont aussi. Voici quelques gestes recommandés par la spécialiste : - Evaluer autrement : Rendre compte de la surface projetée de la couronne et mieux encore, calculer le volume par rapport à l’espace urbain. - Ne pas planter : Il convient de ne pas compenser le manque de plantations par l’invasion de jardinières, plantes en pots, ou excès de fleurissement. - Abattre un arbre sur deux : Cela relève du véritable tour de force, nous dit C. Mollie, tant l’homo urbanus y est attachés. Pourtant, plantés tous les cinq mètres, l’épanouissement foliaires de l’arbre est plus facilement favorisé, cette « respiration » permet également une meilleure circulation de l’air et de la lumière. -Planter de jeunes sujets : « Plus l’arbre et jeune, mieux il s’installe, mieux il croît, mieux il résiste aux maladies et plus il sera vigoureux pour de longue décennies ». (MOLLIE, Caroline, op. cit.) - Limiter l’exotisme et l’excès de singularité : Une tendance publicitaire donne le pas aux acteurs de l’aménagement. Leur stratégie n’est qu’un mirage, ils souhaitent simplement faire rêver le citadin en projetant l’image d’un paysage idyllique, synonyme de vacances ou évasions. - Développer de nouvelles formes végétales : Eviter l’uniformité et la monotonie des modèle historique de référence qui bride les idées nouvelles. - Associer et informer concepteurs et gestionnaires : « Le propre du végétal est d’évoluer dans le temps et cette caractéristique est trop peu prise en compte dans les projets ». (MOLLIE, Caroline, op. cit.). La communication semble être une condition essentielle de succès dans « la conduite d’un programme raisonné d’urbanisme végétal ». Les plantations urbaines font l’objet de beaucoup de fausses idées et de malentendus.

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B.

Lieux propices à une inclusion végétale.

Comme nous l’avons vu précédemment, la végétation s’introduit partout en ville, là où le minéral n’a pas contaminé l’espace ou bien laisse à travers ses brèches de jeunes pousses adventices : le végétal gagne tous les espaces urbains quels qu’ils soient. (BOUTEFEU, Emmanuel, op. cit.)

Les espaces « verts » publics (squares, parcs, (complexe sportif), plantation d’alignement, forêts domaniales) : Ces espaces sont d’ordre public, cela signifie que tout le monde peut y accéder. Les citadins s’y rendent pour diverses nécessités qui leur sont propres ; on comprend rapidement que les concepteurs ont tout intérêt à varier les compositions des paysages. L’espace vert est un équipement social de premier plan, nous dit Emmanuel Boutefeu. Il favorise le contact à la « nature » pour les citadins n’ayant pas les moyens de quitter aisément la ville. Outre leurs caractéristiques esthétiques, ces espaces permettent le repos, la détente, le loisir. L’espace « vert » doit donc être beau, propre et soigné, agréable, spacieux, aéré, fonctionnel, paisible et sûr, naturel et authentique, et à proximité de l’habitant. Cette liste non-exhaustive présentant une multiplicité d’attentes est bien évidement difficile à mettre en œuvre sur un même espace si l’on veut préserver une flore en bonne santé.

Les espaces « verts » intérieurs privés (arbres, vergers, jardins des particuliers, domaines) Ces espaces réunissent toutes compositions végétales privés. Ils se traduisent autant par des jardins attenants aux habitations, que l’habitant se donne à cœur joie de jardiner, ou dans le cas contraire de le laisser évoluer à l’état de friche - moins attrayant esthétiquement, mais possédant tout de même un avantage pour une éventuel occupation d’une richesse spécifique - que par des domaines paysagers naturels, ou du moins où l’intervention humaine est moins conséquente ; nous pensons notamment au zone Natura 2000, ou autres réserves privées riche en biodiversité.

Les espaces construits et minéralisés (murs, toits-terrasses, façades, pavés de cours d’immeuble…) Bien souvent, ce sont les plantes grimpantes qui constituent le moyen le moins coûteux pour jardiner ces supports minérales. De par leur capacité à déployer un couvert végétal important, ils donnent rapidement au lieu une « atmosphère de nature spontanée » (BOUTEFEU, Emmanuel, op. cit.). Elles « habillent » un mur, animent une palissade, jouent un rôle d’écran (soit acoustique ou visuel). Bien évidemment d’autres systèmes, hérités de « caprices » architecturaux, existent pour parer divers constructions urbanistiques de plantes végétales. Le progrès technique à pousser les ingénieurs à développer de nouvelles structures permettant d’accueillir artificiellement la végétation sur des supports verticaux ou aériens, je pense notamment aux réalisations du biologiste et botaniste, Patrick Blanc, qui réalise des décors urbains foisonnant de « vert » avec ses remarquables murs végétaux relevant d’un geste artificialisé. Un architecte argentin a également participé activement au développement de la relation entre l’architecture et le végétal ; Emilio Ambasz en 1995, inaugure à Fukuoka (Japon), un hall international prolongeant un parc existant dont la morphologie est constituée de jardins en terrasse, concourant à rendre à la ville « le terrain qu’ils occupent en doublant la taille de l’espace public »239.

239

DE VALLÉE, Sheila (199). « L’architecture du futur ». Edition Terrail. P. 143

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Les espaces délaissés (terrains vagues, friches, jachères, berges de cours d’eau) » Les délaissés, ces espaces bien souvent inoccupés ou bien laissés à l’abandon (à la suite d’une démolition de bâtiments ou l’arrêt d’une activité industrielle ou agricole), ont la remarquable capacité de développer spontanément un « écosystème » en transition, accueillant très rapidement des espèces animales et végétales qui réinvestissent le lieu et en enrichissent le biotope.

Fig. 41 photo personnelle, délaissé urbain dans la rue Bouzanton, à Mons (2016)

Ces dents creuses marquent fortement le paysage urbain, s’initiant dans les moindres recoins ou résultats d’une mutation urbaine, le délaissé urbain s’observe à toutes les échelles. Ayant la capacité d’investir un simple bord de rue ou une entité végétale de grand intérêt écologique, le délaissé urbain dialogue avec le territoire d’une ville. Il devient involontairement le dénominateur commun des divers supports urbain. Il permet la connexion entre différentes masses ou ouvertures, et cela à divers endroit de la ville (en son centre, dans sa périphérie, ou bien à l’extérieur de la « Cité »).

Fig. 42 photos personnelles, délaissé urbain à l’intersection de la rue des gages et la rue des canonniers, à Mons (2016)

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En s’invitant dans la ville, c’est par ses portes d’entrées que la faune et la flore tentent de s’installer. Friches industrielles et voies de chemins de fer abandonnées sont fréquemment les lieux les plus « contaminés ». Des projets urbanistiques visent à remettre en valeur ces espaces au fort potentiel de biodiversité. On voit apparaitre des balades vertes, où la trame végétale se dévoile sous nos yeux. Belle initiative par les concepteurs proposant ainsi au citadin une immersion végétale urbaine, parfois le faisant sortir de la ville, sans qu’il ne s’en rende compte, ou simplement lui laissant la possibilité de voyager dans un centre urbain dense, où diverses fonctions lui sera proposé ; sociales, reposantes, paysagères, ludiques, écologiques,…

Fig. 44 croquis personnels, jardiner le territoire Frasnois - « Le chemin de vert », ATSP (2016)

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C.

Le végétal, nouveau matériau de l'urbanisme

« Un matériau vivant, description du métabolisme »

L’arbre est un être vivant, focus sur cet élément naturel « L’arbre, faut-il le rappeler, est un être vivant et à ce titre, il mérite toute notre attention ».240

Ancré par ses racines, le végétal est « immobile » et donc contraint de vivre aux lieux et places qui lui sont assignés. « Muet de surcroît, il ne peut exprimer sa satisfaction ou son mécontentement241. Lorsque les conditions lui sont défavorable, il réagit dans le temps, il stagne, il dépérit et il est abattu ou rasé. Cela peut durer quelques mois, quelques années ou quelques décennies. Comme tout être vivant, la végétation surgit, croît et dépérit. C’est là une propriété importante qui peut être problématique face à un urbanisme, certes en constante évolution, mais conçue pour durer. La végétation n’est pas une matière inerte, à contrario de ses homologues urbains que sont le béton, l’acier ou le verre. La végétation a des besoins et exige qu’on y prête attention et qu’on en prenne soin, sa prise en compte doit inévitablement être effectué dans les phases de conceptions du projet. Le climat et l’orientation sont deux critères principaux devant être pris en compte dans une composition végétale souhaitée et dans le choix des essences plantées. Le contexte, lui-même, définit souvent la palette variétale. En effet, favoriser des espèces autochtones bien souvent oubliées ou mises de côté est toujours recommandé afin de mettre en valeur, non pas un exotisme végétal importé et « non durable », mais des essences présentes sous nos latitudes dont le caractère reste tout aussi fort et de qualité. Il est donc conseillé de s’inspirer des écosystèmes observés et de la végétation locale.

La plante croît et connait un mouvement continu. Son organisme réglé et dépendant des saisons permet, sous certains climats, de jouer avec le temps. « En anticipant les saisons, et par une bonne connaissance des espèces choisies, il est possible de créer de véritables évènements végétaux, par le fleurissement où le changement de couleur des feuilles à l’automne »242. La saison de repli est aussi importante à prendre en compte pour les végétaux caducs243 qui par leur transparence permettent de laisser passer la lumière. Dans son ouvrage, Des arbres dans la ville, l’urbanisme végétal, Caroline Mollie, décrit au lecteur quelques ambiances liées aux différents phénomènes végétaux saisonniers. L’immense diversité des essences végétales permet aux concepteurs, paysagistes, jardiniers, architectes, urbanistes… de nombreuses associations végétales, à condition que les besoins de chaque espèce, leur adaptabilité et leur capacité à cohabiter, aient été bien cernés.

240

MOLLIE, Caroline (2009, octobre). « Des arbres dans la ville, l’urbanisme végétal ». Actes Sud | Cité Verte, p. 36

241

Néanmoins Caroline Mollie nous dit que l’arbre émet de multiples signes à ceux qui savent l’écouter, l’observer. Une lecture attentive du tronc et du houppier donne des indications sur son état de santé. 242

DURÉAULT, Jérôme (2013). « Architecture contemporaine et nature en ville ». Agricultural sciences.

243

Plantes qui ne sont pas totalement persistantes. Cela signifie que ces plantes perdent leur feuillage en hiver ou dans le courant de l'année en fonction des espèces.

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Fig. 45 croquis personnel, composition végétale par strates diversifiées et d’essences variées

Comme nous avons pu l’affirmer, la végétation implique un entretien qui doit être pris en compte dès les premières phases de la conception. Taille et remplacement des sujets contaminés ou morts sont le travail d’entreprises spécialisées ou des usagers.

Fonctionnement de l’arbre : un point sur le métabolisme végétal La plante vit par la qualité et l’intensité des échanges entre son système souterrain et son équivalent aérien. Schématiquement, les racines et plus précisément leurs extrémités, les radicelles, puisent dans la terre l’eau et les sels minéraux nécessaires à la fabrication de la sève brute qui circule jusqu’aux feuilles. Là se déroule la photosynthèse. Cette réaction chimique utilise l’énergie lumineuse et la chlorophylle pour assimiler le gaz carbonique ambiant et le convertir en sucres. La sève brute est alors transformée en sève élaborée qui alimente en retour tous les organes de la plante, depuis les feuilles, aux extrémités aériennes, jusqu’aux radicelles aux extrémités souterraines. Les radicelles ont besoin des feuilles et inversement. « Les unes comme les autres sont des organes éphémères, nombreux, de petite taille, siège des attaques des maladies et des ravageurs, à l’interface avec le monde extérieur et responsables des échanges vitaux. Les feuilles et radicelles sont potentiellement fragiles et particulièrement sensibles à toute agression du milieu ou intervention humaine ».244

244

MOLLIE, Caroline (2009, octobre). « Des arbres dans la ville, l’urbanisme végétal ». Actes Sud | Cité Verte, p. 37

146


Fig. 46 Francis Hallé, Du visible à l’invisible, arborescence souterraine en réciproque au système aérien.

Une bonne installation du système racinaire permet à l’arbre de se développer dans de bonnes conditions et d’émerveiller le citadin par ses superbes ramures. « C’est bien une vigoureuse arborescence souterraine qui assure l’approvisionnement de la couronne ainsi que l’ancrage et la stabilisation de l’ensemble.

Leur rôle est pourtant décisif, car seules les feuilles et les radicelles assurent la croissance de la structure aérienne et de son équivalent souterrain. Si l’on prend l’exemple de l’arbre, toute atteinte à l’une des parties se répercute inéluctablement sur l’autre et fragilise l’ensemble. Il convient donc de bien respecter cet équilibre, de pourvoir aux besoins spécifiques de chacune d’entre elles et de ne pas entraver leur croissance.

147


« Impact du végétal au sein des villes, Rôle et Enjeux. » "Partout où l'arbre a disparu, l'homme a été puni de son imprévoyance."

Argument écologique et environnemental Sans les végétaux, il n’y aurait aucune vie sur terre. Ce sont des organismes vivants essentiels à l’homme et aux animaux car la photosynthèse produit l’oxygène, l’élément indispensable à leur vie. Le végétal joue un rôle important dans la construction de l’homo urbanus. Il agit sur l’environnement, la santé mais également revêt un rôle social important, permettant de procurer à l’être humain une sensation de bien-être. Ses enjeux fondamentaux agissant au sein de la ville, apportent de véritables bouffées d’air frais dans un environnement à forte densité. Cette nécessité d’évasion, de voyage, grâce à la nature, lui est indispensable. « Les arbustes plantés en pot, les bacs à fleurs, pire encore, les îlots directionnels verdurisés ne sont pas suffisants à l’épanouissement des citadins »245, relève A. Ognibene.

La nature est essentielle pour le bien-être de tous. La présence d’un jardin privé ou collectif améliore considérablement le cadre de vie de l’homo urbanus, il est d’ailleurs fréquent que le citadin en tienne compte dans son choix de la localisation de son habitat. « L’homme est égoïste, il fait passer ses intérêts avant ceux de la nature » (OGNIBENE, Alexandre, Ibid.). Cependant, il commence à prendre conscience que l’humanité est dépendante des bienfaits rendus par la nature, particulièrement pour la santé.

Les objectifs énoncés par l’Ordre des architectes sont clairs : « Au travers de l’acte architectural, assurer l’éco-efficience (réduction des déchets, promotion des matériaux performants, recours aux énergies alternatives) mais également garantir la prise en charge des impératifs sanitaires et de sécurité des constructions et des chantiers »246.

245

OGNIBENE, Alexandre (2010-2011). « Verduriser l’architecture : la rencontre entre le végétal et l’architecture ». Travail de fin d’étude, p. 12 246

GENET, Patrice. (2005, avril). « L’Ordre des architectes quitte l’association HQE : Quelques explications ». Sur Ordre des architectes (en ligne) URL : http://www.architectes.org/l%E2%80%99ordre-des-architectes-quittel%E2%80%99association-hqe-quelques-explications-avril-2005-0, page consultée le 7 juin 2013

148


a) Gestion des eaux Le développement durable nous explique que les rejets sont des ressources. Ici la maxime du chimiste, philosophe et économiste français Antoine Lavoisier prend tout son sens : « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ».

Fig, 47 croquis personnel, gestion des eaux.

Le végétal peut jouer un rôle dans la gestion des eaux pluviales en ville. Lors de fortes précipitations, sa composition permet d’irriguer et canaliser l’eau afin d’éviter d’éventuelles inondations. Il apparait donc comme un complément aux bassins d’orages qui ne suffisent pas toujours à contenir les eaux. En prenant l’exemple d’une surface engazonnée, on comprend rapidement que la capacité à retenir davantage l’eau, est plus performante comparée à une « surface asphaltée »247. Les eaux pluviales et eaux de ruissellement deviennent des ressources essentielles pour le développement des essences végétales en ville. Etant donné la problématique de la gestion des eaux pluviales en milieu urbain, occasionnée par cette imperméabilisation intensive des sols, la végétation vient donc comme une des solutions permettant l’assainissement des eaux, celles-ci restituées au végétal par la suite. Le mécanisme est simple, l’eau ruisselant se charge des impuretés et de la pollution urbaine, elle est ensuite traitée, puis évacuée dans le cours d’eau. On comprend rapidement l’intérêt de ne pas relâcher une eau polluée dans la nature si l’on tient à préserver un environnement sain. D’autres compositions végétales possèdent des propriétés réellement performantes, comme c’est le cas pour les bassins de phyto-remédiation ou phyto-épuration ; ce concept est souvent utilisé dans les projets de permaculture.

Fig. 48 Schéma explicatif du principe fonctionnel d’un bassin de phyto-remédiation.

247

OGNIBENE, Alexandre (2010-2011). « Verduriser l’architecture : la rencontre entre le végétal et l’architecture ». Travail de fin d’étude, p. 15

149


Fig. 49 Jardin suspendus (Mons 2016). Installation d’un bassin de phyto-remédiation.

Une zone humide pourrait donc être comparée à une « station » ou dispositif d’épuration. Ce processus est dû en grande partie à des organismes vivants (bactéries, algues) qui minéralisent la matière organique pour ensuite être assimilée par les végétaux supérieurs (macrophytes). Certains d’entre eux (principalement les roseaux) permettent une oxygénation du milieu et favorisent en conséquent le développement de micro-organismes aérobies. Ces processus, mis en place par l’Homme, réinterprètent le mécanisme d’une zone humide. L’ouvrage Certu, renseigne de manière plus approfondie sur ces systèmes d’autoépuration. Ces « pédagogies » ont comme avantages : «une faible consommation d’énergie (que les stations d’épuration traditionnelle dépendent), une maintenance simple, des coûts d’exploitation réduits, une intégration paysagère naturelle tout en créant des zones humides qui sont des milieux à forts intérêts écologique ». 248

248

BOUTEFEU, Emmanuel (2009). « Composer avec la nature en ville ». Edition CERTU p30

150


D’autres systèmes de gestion de l’eau sont également envisageables dans nos centres urbains. Des compositions hors-sol, telles que les toitures végétales par exemple, permettent de créer une zone tampon en absorbant l’eau pluviale et en la retenant dans le système de drainage. D’autres concepts, parfois appelé « gadget », peuvent aussi contribuer à retarder le ruissellement, c’est le cas de la façade végétale.

b) Air ambiant : filtre « anti-pollution » et régulateur thermique. Depuis quelques années, les scientifiques s’accordent sur le fait qu’une pollution atmosphérique et une augmentation des températures tend à s’amplifier dans les localités urbaines. Ces phénomènes, provoquant un îlot de chaleur rendent parfois inconfortables les conditions de vie de l’homo urbanus, créant au sein d’une ville un sentiment d’ « étouffement ». En effet, il est courant d’entendre de la part des citadins, des expressions comme « besoin d’air frais » ou « un bain de nature », lorsque ceux-ci réclament une immersion dans un cadre naturel. La végétation, est bien souvent le remède à cette nécessité ; son métabolisme répond tout naturellement à cette requête. Par procédés chimiques ou mécaniques, appelés « Photosynthèse », les plantes produisent de l’oxygène et absorbent le dioxyde de carbone. Bien que cet événement se déroule en journée et s’inverse la nuit, « la balance reste positive dans le sens de la production d’oxygène»249. Le végétal capte et stocke du carbone (et autre élément polluant contenu dans l’air et le sol) pendant sa croissance et le transfert au sol lors de sa décomposition. L’efficacité de ce métabolisme varie en fonction des espèces végétales plantées et de la surface disponible ; il faut donc être attentif au choix de celles-ci et à l’envergure du support d’accueil mis à disposition, pour éviter des plantations contre-productives. C’est à ces conditions que son rôle dépolluant est alors observé.

Fig. 50 Croquis personnel, Le végétal a un rôle de filtre et anti-pollution.

249

DURÉAULT, Jérôme (2013). « Architecture contemporaine et nature en ville ». Agricultural sciences.

151


On remarque dans les centres urbains que la température relevée au niveau des espaces végétaux diminue de quelques degrés contrairement aux « zones imperméabilisées et foncées » formant un « îlot de chaleur »250 urbain. L’activité industrielle, l’automobile, le chauffage influencent considérablement la température urbaine. Les mises en œuvre végétales apparaissent donc comme une parade ou solution dans la lutte contre l’îlot de chaleur. La composition architecturale de l’arbre par exemple, permet, en plus de l’ombrage, l’augmentation de l’albédo de la surface foliaire et le rafraîchissement par le phénomène d’ « évapotranspiration »251. J. Duréault nous en décrit le processus dans son travail, Architecture contemporaine et nature en ville : « Ce phénomène consiste en la transpiration des plantes qui augmente l’humidité de l’air et l’évaporation de l’eau contenue dans le sol qui est une réaction endothermique, c’est-à-dire qui consomme de la chaleur et donc refroidit l’air ambiant ». A l’inverse, en hiver, le végétal peut protéger des pluies ou des vents désagréables. L’effet de la végétation sur le climat urbain est très vite perceptible.

Fig. 51 croquis personnel, principe du phénomène d’îlot de chaleur.

250

Un îlot de chaleur urbain (ICU) est une zone urbaine dont la température est significativement plus élevée que celle des zones environnantes. Dans un îlot de chaleur, le thermomètre peut afficher 5 à 12 °C de plus qu'en milieu naturel ! Les îlots de chaleur se forment dans les zones fortement urbanisées. Leur intensité dépend de la météo, du pourcentage d'urbanisation, des sources de chaleur d'origine humaine, de l'heure, de la journée, de la saison, etc. 251

DURÉAULT, Jérôme (2013). « Architecture contemporaine et nature en ville ». Agricultural sciences, p. 24

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c) Support de Biodiversité Alors que la biodiversité se retrouve malmenée par les conséquences comportementales et mode de vie de l’homo urbanus, sa réintroduction dans nos villes est « à la mode ». Nous l’avons précédemment vu en définissant la notion de « Trame verte », ces éléments végétaux, lorsqu’ils sont interconnectés permettent de créer des corridors écologiques, indispensables à la circulation des populations faunistiques et floristiques. Chaque être vivant à ses besoins, il est donc primordial de diversifier les supports d’accueils afin de répondre aux besoins des espèces les plus variées. « Certaines espèces végétales serviront à d’autres végétaux ou animaux indigènes d’habitat ou de ressources »252. La végétation autochtone trop absente dans nos villes caractérise pourtant un « milieu donné » et un « contexte écologique » nous dit J. Duréault. Son inclusion dans divers supports urbains, accessibles ou visibles pour les passants et habitants, est porteuse d’une certaine forme de pédagogie et de sensibilisation à la nature. Cette attention portée aux espèces indigènes n’exclut pas l’insertion ou la présence de végétaux allogènes, c’est-à-dire d’origine étrangère. Il est d’ailleurs quasiment impossible de ne planter que des essences indigènes tant les échanges d’un continent à un autre sont courant, que ce soit par l’homme ou la migration animalière. Ce qui importe, comme le conseille Gilles Clément dans son concept de jardin en mouvement, c’est la diversité des structures végétales et des habitats. Certains spécialistes de la composition végétale, tel G. Clément, réalise des projets dont l’attention se focalise particulièrement sur cette nécessité de mettre en relation une diversité d’essence végétale. Composition qui d’ailleurs se retrouve parfois impénétrable par le citadin, afin d’optimiser au maximum le développement de richesses spécifiques, animales et végétales ; c’est le cas dans le projet Lillois, l’île Derborence253, réalisé par Gilles clément en 1990 au sein du Parc Matisse.

Fig. 52 projet l’île Derborence, réalisé par Gilles clément (1990), au sein du Parc Matisse, à Lille (France)

252

Ibid.

253

Le seul projet d’ampleur proposant une scénographie du Tiers-Paysage est le Parc Matisse à Lille où l’île Derborence, objet central exhaussé à 7 mètres du plan commun, reçoit sur 3 500 m2 une « forêt idéale » installée par la seule nature. Inaccessible mais observée, elle sert de matrice et d’indicateur pour une gestion dans la plus grande économie possible des huit hectares de parc public.

153


L’idée ici n’est pas de s’attarder sur chaque critère écologique pour lequel contribue l’insertion de nature en ville, mais de citer les principales fonctions sur lesquelles le végétal agit. Les informations qu’on en retire sont tout de même instructives et doivent indéniablement être acquises dans la réflexion des concepteurs urbains.

La préservation et le développement d’espaces à caractère naturel en milieu urbain participent à la qualité de la vie et au bien-être des citadins. En effet, nombreux sont les bénéfices retirés par l’homme des fonctions écologiques. Parmi les nombreuses fonctions des espaces verts en ville, retenons qu’ils : « - Exercent une fonction essentielle de support à la biodiversité. - Contribuent à la protection des nappes phréatiques et à l’amélioration de la qualité des eaux. - Contribuent à l’amélioration de la qualité de l’air à travers la captation des polluants atmosphériques et la production d’oxygène. - Assurent une régulation du cycle du carbone et une atténuation des changements climatiques. - Contribuent à la réduction du bruit urbain. - Contribuent à la régulation du microclimat de la ville et à l’atténuation de l’effet d’îlot de chaleur urbain (ombrage, rafraîchissement de l’air, réduction de la vitesse des vents, augmentation de l’humidité atmosphérique). »254

Argument social Les espaces verts urbains remplissent également d’importantes fonctions sociales. Les espaces verts accessibles au public constituent des lieux d’échanges et de rencontres. Ils favorisent ainsi l’ancrage local des habitants du quartier. Les espaces verts accessibles au public offrent aussi des opportunités variées de détente et de récréation. Le contact avec la nature procure généralement à petits et grands beaucoup de joie et de plaisir. Les jeux de plein air font partie intégrante du développement physique et psychique des enfants. Les aires de jeux naturelles offrent de multiples possibilités de découverte et permettent le développement d’un lien fort avec la nature tout en contribuant à la bonne santé des enfants.

Les espaces semi-naturels sont souvent des espaces de loisirs privilégiés. Leur taille, souvent grande, invite en effet à la pratique d’activités qui permettent de se distancier de l’ambiance urbaine. Les plus petits parcs urbains ne sont cependant pas à négliger ; ils ont l’immense intérêt de la proximité. Alors que les formes plus sauvages d’expression de la nature sont quelquefois considérées comme négligées, sans valeur, voire anxiogènes (Hermy et al. 2005) le caractère non horticole de la végétation est parfois revendiqué par les usagers (Valet et al. 2006). Ainsi, le caractère spontané de la végétation des friches constitue-t-il sans doute l’un des facteurs clés de l’attrait qu’elles exercent sur les citadins.

254

Rapport Nature (2012, septembre). « Rapport sur l’état de la nature en région de Bruxelles-Capitale » p. 9. URL : www.bruxellesenvironnement.be, page consultée le 15 avril 2015.

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Les intérieurs d’îlots, jardins privés et potagers permettent également aux citoyens de jouir d’un contact de proximité avec la nature. Sans oublier les avantages économiques de l’activité, singulièrement en période de crise, le développement du jardinage répond vraisemblablement au besoin d’un certain retour à la terre. Il permet particulièrement bien de ressentir les changements de saison et de s’accorder avec eux.

En ville, toutes les formes de végétation ont donc leur importance. Il est dès lors particulièrement important de veiller à la bonne répartition dans le tissu urbain des espaces verts accessibles au public afin que chaque citoyen puisse en bénéficier à proximité de chez lui.

a) Style de vie Nous l’avons vu dans la première partie que l’engouement du citadin pour un retour à la nature de notre société était prononcé et que la ville dense amplifiait ce sentiment. Dans un milieu urbain parfois hostile les gens ont besoin de « vie et de nature dans le design »255. La végétalisation (terme propre à la profession architecturale et urbanistique) d’un centre urbain, parfois même artificielle a le mérite de rapprocher spatialement les plantes et autres éléments de la nature de l’habitat de l’homo urbanus. « Ce voisinage implique alors de nouvelles relations » (RAPPORT NATURE, op. cit). Les végétaux comme témoins du cycle naturel des saisons qui n’est perceptible dans la ville qu’à travers la couleur du ciel et les intempéries, ont l’avantage de rattacher les Hommes à leur territoire, les amènant parfois à remettre les mains dans la terre. Ce geste d’entretien d’une composition végétale peut être laissé de façon ludique aux usagers, retrouvant ainsi le plaisir de cultiver, d’embellir, de jardiner leur quartier, s’investissant tout naturellement dans leur relation au voisinage. Ressurgissent alors des « expériences rurales » trop souvent oubliées, ils retrouvent le contrôle de leur confort personnel et de leur environnement. Il serait intéressant d’illustrer ces propos à l’aide de deux expériences menées personnellement au sein de projets collectifs, dans lesquels nous nous sommes retrouvés confrontés à deux comportements divergents de la part des acteurs. La notion d’entretien, indissociable du Jardin, prend tout son sens dans ces deux situations. L’une, sur une parcelle privée, a abouti à une situation positive, où le projet perdure encore et relève d’une réelle dynamique estudiantine, professorale et professionnelle ; l’autre quant à elle, à vocation publique et insérée dans un quartier social Normand, est jusqu’à présent mise de côté par la population, se retrouvant comme rejetée par l’habitant.

Des questions sur le réel engouement et investissement du citadin dans des projets d’insertion végétale sont à soulever. En effet, certains comportements montrent une contradiction entre la volonté de l’homo urbanus à demander un apport de nature en ville et l’artificialité de la mise en œuvre végétal dont il préfère largement se contenter ; prenons l’exemple des arbres en pot, mobilier au design floral, etc… bien loin de remplir les caractéristiques de composition naturelle.

255

Mc LENNAN, (2004) cité par : Rapport Nature (2012, septembre). « Rapport sur l’état de la nature en région de Bruxelles-Capitale ». URL : www.bruxellesenvironnement.be, page consultée le 15 avril 2015.

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Fig. 53 projet collectif, « jardins des expériences », réalisé par la Fa+u et d’autres corps estudiantins, à Mons (2016)

Situé dans la périphérie de Mons, ce projet pédagogique initié par la FA+U Mons est une aubaine pour ses élèves ayant la possibilité d’expérimenter des gestes de jardinage. Ce jardin apparait comme un moyen d’appréhender la transformation et évolution du paysage. L’objectif était de projeter le corps des acteurs dans l’espace et de lui faire prendre conscience de l’intérêt écologique qui peut se découler de ce genre d’initiative. La finalité ici est tournée vers le lien social et environnemental qui résulte des interactions entre ces étudiants, professionnels et le contexte naturel.

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Fig. 54 projet, « projet Turfaudière-Mermoz », réalisé par le collectif YA+K, à Avranches-St Martin des Champs (2016)

La focale présentée en amont sur le projet « Turfaudière-Mermoz », du collectif YA+K, nous montre finalement que les attentes des décideurs locaux et concepteurs de ce projet n’ont abouti à aucun résultat satisfaisant les critères prescrits à la base. Est-ce que le projet n’est sollicité que périodiquement ? A-t-on assez éduqué et épaulé la population à l’entretient d’un tel projet ? Ou alors assistons-nous à un désintérêt total des habitants vis-à-vis de cette initiative collective ? Ces interrogations en soulèvent d’autre, dès lors, on remarque que « faire avec » la nature en ville, la jardiner, est moins évident qu’il puisse en paraitre.

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b) Psychologie, atmosphère et ambiance Les études sont de plus en plus nombreuses à le démontrer, la vue sur un environnement naturel procure un effet psychologique positif sur l’Homme. Une simple fenêtre sur un paysage peut avoir des effets bénéfiques sur la santé humaine, parfois même thérapeutique. Cette ouverture permet d’évacuer un éventuel stress quotidien, voire favoriser une quelconque méditation. On entend souvent dire, que vivre à proximité du végétal réduit les risques de dépression, d’anxiété, de mélancolie,… le végétal est apaisant.

« Les gens disent souvent qu’ils aiment la nature ; pourtant, ils se rendent rarement compte qu’ils en ont besoin. La nature n’est pas simplement quelque chose d’agréable ; elle est un élément essentiel au fonctionnement sain de l’être humain ».256

256

BOUTEFEU, Emmanuel cité par : OGNIBENE, Alexandre (2010-2011). « Verduriser l’architecture : la rencontre entre le végétal et l’architecture ». Travail de fin d’étude, p. 12

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D’un point de vue thérapeutique, des chercheurs constatent que cet élément de nature favorise également un progrès sur la santé des patients hospitalisés. « Il est sans nul doute plus agréable de regarder à travers une fenêtre des scènes de paysages plutôt que d’être enfermé entre quatre murs en béton » (OGNIBENE, Alexandre, op. cit.).

Fig. 55 square des peupliers, « des ruelles jardinées », à Paris (2016)

Le végétal fascine ; de par son architecture arborescente constamment en mouvement, ses teintes évoluant au grès des saisons et variant selon les essences. Des études psychologiques et travaux scientifiques, montrent que les couleurs peuvent avoir une action sur l’organisme humain. « La couleur dominante du végétal est sans conteste le vert » (OGNIBENE, Alexandre, op. cit.). Suivant les théories, le vert apaise, détend et réconforte, et est bien souvent associé à la nature. Il est symbole de vie, espérance et santé. Ce phénomène est expliqué par certaines visions évolutionnistes qui affirment que les humains sont « plus adaptés au contexte naturel qu’au contexte urbain artificialisé dans lesquels ils se sont regroupés ». (DURÉAULT, Jérôme, op. cit.)

159


Fig. 56 exposition « l’architecture de Terre », Camille Thibert et Lucas Grandin, au carrefour des arts, à (2016)

« La nature, agit sur l’âme, elle peut y éveiller des émotions, des idées qui nous reposent ou nous agitent et provoquent la tristesse, la gaieté ».257 Outre son aspect positif sur la psychologie humaine, elle peut également être une source d’inspiration (Biomimétisme), stimulant la curiosité et procurant un certain épanouissement, plaisir, nourrissant notre imagination ou bien provoquer des sentiments de peur ou de répulsion.

257

WOLFGANG, Johann cité par : OGNIBENE, Alexandre (2010-2011). « Verduriser l’architecture : la rencontre entre le végétal et l’architecture ». Travail de fin d’étude, p. 13

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Elle est représentative de sens, de symboles, de repères culturels et de la propre nature humaine. Dans son ouvrage, Des arbres dans la ville, l’urbanisme végétal, Caroline Mollie décrit une situation où le citadin exprime un mécontentement, lorsqu’il observe que l’abattage d’un arbre remarquable, auquel il s’attachait, a lieu ; celui-ci ayant également pour conséquence d’altérer la qualité du lieu.

Fig. 57 Abattage d’un arbre remarquable, Jardin intra-îlot, vue de mon habitat. Mons, 2016

Favorisant également les conditions de l’ « habiter », la végétation peut répondre au réconfort, bienêtre et sécurité de l’habitant, en favorisant la condition de recueillement dans l’espace privé, protégeant l’occupant des regards indiscrets.

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c) Lien social Il est courant de voir les gens se réunir dans un parc, ou autre composition de végétation. Les espaces « verts » sont des lieux de rencontre indispensable dans la ville. Les diverses combinaisons de structures végétales sont autant de façons de créer des contacts « interindividuels ». « L’observation du végétal, sa culture ou encore la simple appréciation de ses aménités amènent les gens à se retrouver, se réunir autour d’un lieu, au pied d’un mur ou sur une terrasse. » (OGNIBENE, Alexandre, op. cit.) L’atmosphère est à la tranquillité, au calme et au partage. C’est dans ce but que doivent être travaillées les ambiances végétales mises à disposition dans l’habitat de l’homo urbanus.

Fig. 58 .a) « Le jardin suspendu ». Mons, 2016

162


Fig. 59. b) « Le jardin suspendu ». Mons, 2016

Le rôle d’accompagnement social est également assuré par les jardins familiaux258. « Le jardin familial est paré de toutes les vertus » nous dit E. Boutefeu. Outre la fonction vivrière, l’accès quotidien à la nature, le jardin procure aux citadins une extension de son habitation, favorisant les rencontres, l’entraide, et les échanges entre générations. Boutefeu considère ces jardins comme de véritable « instruments d’éducation et de transmission des techniques de jardinage » (BOUTEFEU, Emmanuel, Ibid.). Ce jardin est un bon outil de solidarité et d’éveil social. Argument culturel La végétation crée une sensation de bien-être par la notion de beauté essentielle au développement humain. L’harmonie d’une architecture induit d’une certaine façon sa durabilité. Si l’on apprécie un bâtiment pour sa « beauté », un sentiment de conservation et protection apparait spontanément. La beauté relève de la culture, elle est aussi subjective. On assiste de nos jours à la création d’une esthétique de l’écologie. Le vert est partout et à la mode, quitte à présenter des compositions maladroites, voire même ne répondant pas à des critères de durabilité. Prenant l’exemple de ces « Arbres en pots » décorant bien souvent des rues piétonnes ou autres support d’accueil minéral urbain. Outre ce réel « artifice » d’élément de nature, d’autres compositions relèvent plus d’une inspiration écologique, tel que Gilles Clément les conçoit dans ses projets, les massifs de graminées que l’on retrouve sur les parterres de nos villes en sont un exemple. Ces plantes qui étaient jusqu’à peu des « mauvaises herbes » sont devenues à la mode, grâce à leur allure sauvage et leur image écologique. Depuis tout temps la nature dépasse les modes, son caractère intemporel se traduit par l’utilisation de son végétal par exemple pendant plusieurs siècles.

Caroline Mollie constate que les villes italiennes « donnent le ton et son reconnues comme de véritables chef-d’œuvre »259, elle nous en fait une description, dans son ouvrage : « L’espace public y est dépourvu de plantations, mais en revanche celles-ci peuvent apparaître au-dessus des murs, derrière les portails, dans les jardins privés, bien souvent logées au sein d’espaces privés », comme il en est le cas au Jardin milanais, Brera. S’immerger au sein de ce jardin urbain se fait spontanément, tellement l’entretient, la transformation végétale et le patrimoine architectural est remarquable.

258

Parcelles de terre mises à la disposition du chef de famille pour qu’il les cultive personnellement, en vue de subvenir aux besoins de son foyer, à l’exclusion de tout usage commercial. 259

MOLLIE, Caroline (2009, octobre). « Des arbres dans la ville, l’urbanisme végétal ». Actes Sud | Cité Verte, p. 11

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Fig. 60 Jardin botanique de Brera, Milan, crédit photo : BAYER, Jérôme

Le patrimoine reflète également le caractère identitaire et culturel d’une époque et d’une civilisation. Le rapport que la nature entretient avec le « Temps » transparait à travers le patrimoine architectural et végétal d’une ville. Afin d’en perpétuer la culture, s’inscrire dans son contexte, il est important de s’inspirer du patrimoine local. La notion patrimoniale du végétal est de plus en plus sollicitée dans nos centres urbains, elle découle de cet intérêt observé pour la nature. « Ce patrimoine est constitué des alignements d’arbres, des parcs et jardins historiques mais aussi des essences rurales qui ont contribué à l’essor économique et parfois écologique d’un territoire ». (OGNIBENE, Alexandre, op. cit.) Dans son travail A. Ognibene cite parmi ces éléments patrimoniaux, « certains arbres d’exception, certaines espèces emblématiques ou en voie de disparition » ; les paysagistes et les collectivités veillent alors à les mettre en valeur dans les centres urbains.

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Fig. 61 Pavillon d’exposition universelle, « Milano 2016 », crédit photo : BAYER, Jérôme

Certains projets contemporains d’architectures ont permis à des villes un essor économique considérable par le seul biais de l’attraction touristique architecturale ou liée à l’engouement végétal. C’est le cas par exemple à Milan, où l’exposition universelle 2016, dont la thématique se focalisait sur l’agriculture urbaine et sur de nombreux concepts relevant d’un développement durable, a permis de développer et véhiculer un message de responsabilité et de conscience écologique.

165


Argument économique Bien souvent, c’est par l’arbre que l’enjeu économique résulte d’une composition végétale. Il s’apparente comme l’élément principal de toute composition jardinée, que le support d’accueil soit minéral ou végétal. On le retrouve « conditionné » dans plusieurs thématiques urbaines ou rurales : le verger, l’agroforesterie (traditionnelle et urbaine), les espaces verts (parc de loisirs lucratif et parc touristique), etc… La production fruitière, issue de vergers et de plantations isolées d'arbres fruitiers comme « les poiriers, les pruniers et les cerisiers ainsi que les arbustes fruitiers tels que les framboisiers et les groseilliers »260 sont un apport économique certain pour leur propriétaire. Outre ces productions fruitières, l’agriculture urbaine apparait également comme une solution économique répondant aux besoins alimentaires des habitants. De plus en plus de serres « hydro ou aquaponique » voient le jour dans nos centres urbains, présentées sous forme d’un prototype servant d’exemple, ou bien intégrées dans des projets d’architecture de grande ampleur, tels que des bâtiments exclusivement construits à des fins de production. Les fermes Lufa, entreprise agricole et technologique Montréalaise, en est un très bel exemple. Ils réalisent à deux reprises un site de production agricole urbaine, l’un réalisé à Ahuntsic, en Février 2011 ; l’autre plus conséquent, construit en Août 2013 à Laval.

Fig. 61 Ahuntsic : Première serre commerciale sur un toit, au monde.

« Notre serre d’Ahuntsic est le prototype qui a tout déclenché. Cette serre de polyculture fournit plus de 70 tonnes de nourriture chaque année pour les Montréalais. »261 La valeur économique des arbres en milieu urbain est considérable. Les milliers d'emplois directs et indirects qu’engendrent l'arboriculture et l'horticulture en font une branche économique importante. Bien souvent, pour le plus grand bien-être de la population, les décideurs locaux accordent beaucoup d'attention à ces domaines.

260

ARBOQUEBEC (2016). « Les rôles de l'arbre sur l'équilibre urbain ». Sur Arboquébec, importance de nos arbres (en ligne). URL : https://arboquebec.com/importance, page consultée le 22 juillet 2016 261

Les Fermes Lufa (2014). « Nos fermes ». Sur Les Fermes Lufa (en ligne). URL : http://www.lufa.com/fr/ourfarms.html, page consultée le 30 juillet 2016.

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Dans le domaine de l’agroforesterie, l’utilisation de la matière ligneuse constitue une force majeure de l'économie. « Que ce soit dans l'utilisation de matériaux de construction, de bois d'œuvre, de bois de chauffage ou de pâte à papier, l'industrie de la transformation de produits forestiers est indispensable à la survie de l'économie actuelle. »

Certains arguments lucratifs peuvent également se traduire, indirectement, par l’attrait touristique que peut susciter l’arbre. Les habitants des grandes villes ne sont pas sans connaître les parcs, les boisés et les quartiers pourvus de magnifiques arbres. L'engouement pour de tels sites suscite l'intérêt d'un grand nombre d'individus. Les boisés et les parcs urbains à haut potentiel ligneux font également la convoitise des touristes. Ceci est un atout économique non négligeable pour une ville ou agglomération ; l’exemple le plus significatif serait celui de « Central Park », devenu un des éléments, ou monuments touristiques le plus visité dans la métropole New Yorkaise.

Les atouts sont multiples, l’arbre s’apparente également à un « économiseur d'énergie », « une plantation d'arbre située du côté nord d'une résidence peut contribuer à réduire sensiblement les coûts liés aux frais de chauffage durant l'hiver » (ARBOQUEBEC, op. cit.). En période estivale, une composition végétale judicieusement plantée autour d’une habitation abaisse la température et diminue de la sorte une quelconque utilisation du climatiseur.

Les arbres, par la plus-value financière, accroissent la valeur des propriétés. Cette plus-value peut « augmenter d'environ 10 à 23% la valeur d'une maison et parfois aller jusqu'à 30% de la valeur totale ». La présence des arbres dans l’espace végétal est une aubaine tant pour leur propriétaire que pour les propriétés avoisinantes, voyant accroitre la valeur de leur propriétés. « Les propriétés situées en périphérie d'espaces verts (parcs, terrains de golf, etc..) acquièrent aussi une plus-value au moment de la revente car les acheteurs sont souvent prêts à y investir plus d'argent que pour un même bien situé dans un endroit moins avantagé ». (ARBOQUEBEC, op. cit.)

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Fig. 62 serre aquaponique, Ã St Gilles, Bruxelles (2016)

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« Les acteurs du végétal (en centre) urbain» Une législation végétale Que ce soit dans le domaine public ou privé, des lois et prescriptions permettent de cadrer les interventions sur le végétal. Différentes échelles, code civil, code de l’environnement, code de l’urbanisme, ont une influence sur la gestion du végétal en ville. Le code pénal prévoit également des sanctions en cas d’atteinte à la vie du végétal. Cependant des règlements et usages locaux peuvent être mis en place par les mairies, service d’urbanisme, règlement de lotissement ou de copropriété... devenant ainsi la règle à suivre. (MOLLIE, Caroline, op. cit.)

« L’arsenal des textes législatifs et réglementaires s’est considérablement enrichi depuis la création du ministère de l’environnement en 1971 ». Bien que les mécanismes juridiques soient de plus en plus complexes et détaillent avec une « minutie inégalée » les organismes de protection et les servitudes susceptibles d’être mises en œuvre, leur application appelle un réel savoir-faire des « services d’état et des collectivités territoriales ». (BOUTEFEU, Emmanuel, op. cit.) L’instauration d’un réseau cohérent d’espaces verts, de parcs et de jardins partagé au sein d’une agglomération, est inconcevable sans une vision à long terme des élus, renouvelée par « des services techniques motivés et compétents ». (BOUTEFEU, Emmanuel, op. cit.) Emmanuel Boutefeu présente certains acteurs ayant participé à la préservation du végétal en ville. En se focalisant sur le cas Londonien, il présente Sir Patrick Abercrombie, qui en 1943 recommande la poursuite de la création d’une ceinture verte autour de la capitale (green belt), il propose également un ratio de 1.7 hectare d’espaces verts pour mille habitants. Les communes périurbaines n’atteignant pas cette superficie sont considérées comme déficitaires en espaces verts. « Sir Patrick Abercrombie défendra sa politique de création de nouveaux parcs sur cet indicateur d’environnement. ». Ainsi voiton se développer en 1982, dans le Sud-Est Londonien, l’aménagement de Burgess Park couvrant une superficie de 45 hectares. Ce parc est une réussite, puisque de nos jours encore, son espace est constamment occupé. D’un point de vue politique, l’image accordée à l’espace vert a toujours été très rationnelle. Divers indicateurs sont mis en place dans des circulaires, ceux-ci devant répondre à des objectifs. Prenons l’exemple de la circulaire du « 8 février 1973 », relative à la politique d’espaces verts, fixant la superficie des espaces verts par habitant à : « - 10 mètres carrés par habitant en zone centrale urbaine. - 25 mètres carrés par habitant en zone périurbaine »262. On s’aperçoit que cet indicateur quantitatif est considérablement employé tant par les collectivités locales que les administrations publiques. 263 Quarante an après, la direction des parcs et jardins de la ville de Paris continue de s’inspirer du ratio d’espaces verts par habitant pour « décider des nouvelles implantations et du rééquilibrage des jardins et des squares » (BOUTEFEU, Emmanuel, op. cit.)

262

BOUTEFEU, Emmanuel (2009). « Composer avec la nature en ville ». Edition CERTU p. 73.

263

BAILLY, Pierre (1975) cité par : BOUTEFEU, Emmanuel (2009). « Composer avec la nature en ville ». Edition CERTU p. 73.

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Des disciplines propres au végétal en ville Les conditions particulières de la végétation en ville ont conduit au développement de « nouvelles » disciplines : Foresterie urbaine, arboriculture urbaine, urbanisme végétal (idée développée par Caroline Mollie dans son ouvrage, Des arbres dans la ville), etc… Leurs applications portant en grande partie sur la gestion du patrimoine arboré des villes. Foresterie urbaine : Cette discipline s’intéresse donc à l’arbre lui-même dans son milieu et à ses apports pour la ville et ses habitants (cadre de vie). L’approche regroupe des considérations écologiques, sociales économiques et géographiques. L’arboriculture urbaine : Elle concerne principalement la culture et l’entretien des arbres et non leurs utilisations industrielles ou commerciales. Par ailleurs de nombreux inventaires du patrimoine arboré des villes sont réalisés pour en faciliter la gestion. Pour les concepteurs gravitant autour de l’arbre, la prise de connaissance de cet inventaire peut faciliter les choix de plantation. Ces inventaires mènent le plus souvent à des plans de gestion ou s’intègrent dans des chartes de l’arbre. Dans son idée d’urbanisme végétal, Caroline Mollie considère que le paysagiste concepteur doit tenir compte des particularités de l’essence végétale mise en œuvre, en l’occurrence dans son ouvrage, l’arbre urbain, « Si les arbres possèdent de nombreux éléments communs, chacun d’entre eux possède ses propres caractéristiques et exigences vis-à-vis de leur milieu. Leurs mécanismes biologiques et physiologiques sont la base de leur compréhension ». (MOLLIE, Caroline, op. cit.)

Végétal et évolution culturelle Nous observons que les réflexions sur le devenir des compositions végétales sont en constante évolution. Le concepteur cherche toujours à « faire mieux » pour le citadin. Cependant, cette finalité n’aura lieu que si elle s’accompagne d’un travail « pédagogique et culturel » porté par l’ensemble des acteurs de l’aménagement urbain, des décideurs mais aussi du grand public. La prise en compte des enjeux de développement durable conduit en effet en grande partie à des solutions « situées à l’interface des savoirs et des organisations techniques conventionnels ». (MOLLIE, Caroline, op. cit.). Dès lors, un vrai effort de communication entre les métiers, de « remise en cause des habitudes professionnelles » et la capacité de définir des objectifs communs et partagés, doit être effectué.

Cependant cette «évolution des métiers » pour reprendre les termes employés par l’auteur, n’est pas suffisante. Un autre enjeu crucial porte également sur la « perception et l’acceptation de ces changements par les citadins. L’image de la nature en ville reste aujourd’hui encore très liée, aux yeux des habitants des villes, à l’idée d’ordre et de propreté. Cette projection faisant écho à la tradition horticole d’entretien des jardins ne doit pas être sous-estimée, car elle constitue un frein culturel important à l’acceptation de ces changements. L’image d’une végétation plus libre et diversifiée, plus naturelle et moins normée doit être expliquée afin d’être « comprise puis admise ». Le fonctionnement de cette « ville jardin » repose effectivement sur de nouveaux équilibres mais aussi sur des changements individuels de pratiques et de comportements. L’avenir risque d’imposer une culture des choix différente de celle que l’on connait aujourd’hui. Le « nouvel urbanisme végétal » doit donc intégrer son héritage historique et esthétique, approfondir sa liaison complexe et sensible avec la société, mais également reconnaître sa fonction écologique nécessaire à l’équilibre de fonctionnement d’une ville durable. « C’est la condition de son indispensabilité ».

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« Multiplicité de jardinage: d'autres manières de composer »

Une notion d'échelle Les études récentes consacrées à la fréquentation des espaces verts urbains et périurbains, démontrent très nettement la complémentarité des différentes formes que peut prendre cette « nature jardinée » : ainsi la ruelle plantée d’essences spontanées, le micro-square de proximité, le jardin de quartier, la « promenade verte », le grand parc, l’espace naturel périurbain ou « corridor écologique » ne sont pas des « masses » en concurrence mais apparaissent au contraire comme les maillons complémentaires d’un réseau de nature qu’il reste encore à compléter et à rendre lisible. La place de la nature dans la ville repose en fait sur un double équilibre, nous explique C. Mollie : « l’équilibre entre espace construit et espace ouvert264 d’une part, puis l’équilibre minéral/végétal de ces espaces ».265 Bien que la situation d’accroissement démographique interpelle une majorité d’acteurs urbains, cette volonté d’équilibre entre ces masses, minérale /végétale, n’est pas contradictoire avec l’objectif de « densité urbaine » devant répondre au problème d’étalement urbain. Investir avec la végétation la situation existante de nos centres urbains, soulève indéniablement une remise en cause de la dominance automobile occupant majoritairement l’espace public. Réinvestir ce support, actuellement macadamisé, permettrait d’y composer diverses masses en jardinant les strates végétales présentes au lieu. C’est à cette condition qu’il sera possible de concevoir une ville conciliant qualité des déplacements et qualité de vie. Le choix du végétal ne doit plus uniquement constituer une solution de remplissage des vides interstitiels du tissu urbain, mais un choix délibéré et réfléchi, un élément à part entière du projet urbain. Dès lors, cette volonté peut s’exprimer à toutes les échelles de la conception de la ville : SCOT266 pour le maintien d’une trame verte cohérente et le respect des grands équilibres écologiques (continuités naturelles, corridors écologiques, action en faveur de la biodiversité, rééquilibrage territorial de l’accessibilité des espaces de nature…). C’est donc grâce au végétal, sous toutes ses formes et pour ses différentes fonctions, qu’il nous est possible d’envisager la conception d’une ville nature.

264

Dans cette perspective, l’espace ouvert est le plus souvent envisagé comme :

- un espace végétal ; - un gage de qualité environnementale pour une ville plus durable ; - une condition du bien-être et de la qualité de vie des habitants ; - un outil de qualification et de requalification des interstices urbains ; - une matière pour l’élaboration de nouvelles formes d’espaces publics. 265

MOLLIE, Caroline (2009, octobre). « Des arbres dans la ville, l’urbanisme végétal ». Actes Sud | Cité Verte, p. 238 266

Schéma de cohérence territoriale.

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Afin de satisfaire les attentes du citadin, désireux d’occuper divers lieux d’évasion, d’échange, ou points de contact avec un « espace vert » (porteur d’une image de Nature) ; les acteurs liés au monde végétal ont mis en place des structures et conceptions urbanistiques « vertes » permettant de répondre à leur attentes. C’est ainsi que se développe une diversité de parcs, squares ou jardins urbains aux fonctions et attributs très variés, tantôt satisfaisant un moment d’évasion et de repos, susceptible d’abriter une biodiversité, tantôt répondant aux besoins ludiques des activités sportives ou éducatives. Le manque évident d’espaces verts au sein des villes, amène les gestionnaires à devoir proposer des formes éclectiques polyvalentes, ne répondant pas toujours aux attentes des usagers, dont les désirs divergent. La composante végétale d’un paysage ne peut pas être envisagée de manière statique, c’est une structure vivante et dynamique, donc nécessairement évolutive dans l’espace et dans le temps. L’oubli de cette réalité conduit à réaliser du décor jetable qui s’apparente plus à de l’événementiel qu’à un investissement sur le long terme. Certes, on peut chercher à dominer et à modeler la nature, la tradition des jardins à la française en est une parfaite illustration, mais cela impose de s’opposer à une force à la fois naturelle (biologie) mais aussi universelle (entropie) et nécessite donc une énergie conséquente comme chaque fois que l’on tente d’imposer notre ordre au désordre de la nature.

Il est donc impératif de réconcilier les ambitions de conception avec les objectifs de gestion. La démarche de projet doit majoritairement s’intéresser à la question du devenir des réalisations et envisager d’autres choix susceptibles de minimiser les besoins d’intervention. Or l’analyse des surcoûts de gestion met généralement en évidence l’éloignement entre les principes de conception des projets et les règles de fonctionnement naturel des écosystèmes. Ainsi, ce n’est souvent que par des mesures correctives artificielles et récurrentes que l’aménagement paysager peut survivre : arrosage, fertilisation, traitements phytosanitaires… Ce système plus ou moins hautement régulé fonctionne et peut donner des résultats étonnants mais au prix d’un coût économique et environnemental exorbitant. Ce modèle de création qui s’oppose à la nature ne peut plus servir de référence pour caractériser ce nouveau lien entre la nature et la ville. C’est nécessairement vers des paysages qui se revendiquent comme des écosystèmes à part entière, qui sont envisagés comme des compositions vivantes et complexes en devenir vers un équilibre naturel, qu’il me semble impératif de s’orienter. Un vrai défi d’observation, de compréhension et d’imagination de ces compositions naturelles capables d’évoluer vers un état d’équilibre ou d’engager sous nos yeux une dynamique de transformation s’offre donc aux architectes paysagistes et aux gestionnaires qui choisiront d’accompagner la nature plutôt que de la soumettre.

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Réflexion sur les strates du végétal, arborées, arbustives En botanique, les strates végétales désignent les principaux niveaux d'échelonnage vertical d'un « peuplement végétal »267, chacun étant identifié par un microclimat et une faune spécifique.

Fig. 63 croquis personnel, Compositions végétales : Les trois strates, Herbacées, Arbustives, Arborées.

a) Strates Herbacées : 5 à 80 cm, constituées essentiellement de graminées, de plantes à fleurs, de fougères, ainsi que de petits végétaux ligneux sous-arbustifs comme les bruyères, les airelles, les myrtilles, les rhododendrons, etc. b) Strates Arbustives : 1 à 8 m, comprenant soit des végétaux ligneux qui ne dépassent guère cette hauteur (houx, sorbiers, ifs, buis, etc.), soit de jeunes arbres. c) Strates Arborées : Au-delà de 10 mètres de hauteur, les végétaux appartiennent à la strate arborescente ou arborée. En fonction de l’orientation, les strates se retrouvent plus ou moins ensoleillées. Afin d’obtenir de belles compositions végétales, il est important de veiller à ce que toute les strates soient ensoleillées ; pour cela le concepteur devra planter les essences à plus gros gabarit au nord, comme les éléments arborés, et crescendo, aboutir à une plantation de sous-bois (arbustive), puis herbacée (taillis, couvre sol, tubercule) exposée au sud.

267

Wikipédia (2016, 14 juillet). « Strate (botanique) ». Sur Wikipédia, l’encyclopédie libre (en ligne). URL : https://fr.wikipedia.org/wiki/Strate_(botanique), page consultée le 9 août 2016

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La ville prend ses marques : la ville ponctuée, traversée, limites de la ville

« Le végétal accompagne les fondements urbains. Tout au long de l’histoire de la cité, il en marque le cœur, les limites, les seuils et accès »268. La végétation émerge des interstices et accompagne l’entrelacement de ses rues. Elle marque ainsi les déambulations et apparait comme un élément de repère fixant les orientations.

Le végétal s’invite en ville, sous diverses formes et dans divers lieux. Il s’installe en son cœur comme à sa périphérie, et se revêt d’une couverture végétale plus ou moins importante suivant l’espace dans lequel il s’épanouit. Diverses pratiques de « jardinage » tendent à s’affirmer ; les plantes ponctuent, traversent, limitent ou prolongent le tissu urbain, en fonction des supports mis à leurs dispositions. Voyons donc de plus près à quoi s’apparentent ces compositions végétales. a) La ville ponctuée « L’arbre unique est simultanément monument, voûte et repère ». (MOLLIE, Caroline, op. cit.) Bien souvent issu d’une volonté d’esthète, l’arbre met en évidence un bâtiment, une cour privée, ou bien une place. L’arbre planté participe, par son caractère « intemporel »269, à l’histoire et l’atmosphère du lieu qu’il occupe. Dans son ouvrage, Caroline Mollie présente différentes situations urbaines, où l’arbre figure comme un des éléments principaux du paysage urbain. Il se retrouve dans des situations plus ou moins fâcheuses. Tantôt il dévoile au citadin une allure gracieuse et harmonieuse, ou bien, lorsque les conditions ne sont pas propices à son épanouissement, présente une structure fragilisée et une couverture végétale rabougrie. Ces « jardins ponctués », se contemplent aussi bien dans des tissus urbains historiques composés d’un patrimoine remarquable que dans les nouveaux ensembles d’habitations ou autres espaces urbains en mutation. Comme il en est question à Garbejaïre (France), la structure urbanistique d’un quartier peut être influencée par un arbre d’un certain âge, remarquable ou non, qui préexiste la situation. Une attention toute particulière doit lui être prodiguée afin qu’il puisse supporter les travaux et qu’il puisse s’adapter à son nouvel environnement. Cette attention toute particulière est un exemple de gestes à adopter si l’on veut faire de la ville un jardin.

268

MOLLIE, Caroline (2009, octobre). « Des arbres dans la ville, l’urbanisme végétal ». Actes Sud | Cité Verte, p. 121 269

Se comprend ici, dans le sens d’ «indémodable ».

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Malheureusement, ces précautions ne sont que trop rarement entreprises et ont pour conséquence la dégradation des conditions de l’arbre. L’asphaltage ou minéralisation des places publiques entraine l’asphyxie du système racinaire de l’arbre, ne résistant pas à cette transformation radicale de leur milieu de vie souterrain. Pour introduire l’arbre en ville, il est important de « choisir l’endroit et le moment qui mettent en évidence la charge symbolique et la portée significative de l’arbre unique » (MOLLIE, Caroline, op. cit.). Sa dimension temporelle doit également être prise en compte, car il est amené à « traverser » les siècles. Il convient alors de veiller à ce que toutes les dispositions soient prises pour que son développement s’effectue dans de bonnes conditions. b) La ville traversée Rues La rue est une voie de circulation ménagée entre les maisons ou les immeubles et est souvent utilisée comme voie de communication. Elle est fréquemment agrémentée de végétation, plus souvent plantée latéralement dans l’espace privé que dans l’espace public, lui donnant son caractère et son ambiance singulière. Le modèle d’ « alignement » est la composition la plus souvent mise en œuvre dans ces espaces publics. De moyenne hauteur, les arbres sont efficaces pour « qualifier et différencier les voies », notamment en quartiers pavillonnaires où l’architecture ne joue pas de rôle structurant dans l’orientation du citadin. Dès lors que la rue laisse à sa disposition des espaces privatifs entre le trottoir et la façade, nommé Frontage par l’architecte N. Soulier, le riverain l’aménage spontanément et y plante diverses essences à sa guise selon son inspiration. Cet espace intermédiaire est une zone extrêmement sensible, précise Caroline Mollie, qui donne à « voir le statut social de l’intéressé et constitue vis à vis du public le devant de la scène et le préalable de l’intimité familiale »270.

Ruelles, cours et venelles Ces éléments correspondent aux voies d’accès aux quartiers ou lotissements de faible densité. Leur tracé souple fait apparaitre « les multiples replis » de la ville traditionnelle ou des quartiers nouveaux nous dit C. Mollie. De morphologie « hybride », entre la rue et le chemin, ces espaces ne sont que très rarement soumis au tumulte de la circulation motorisée. Dans ces espaces plus « discret », le végétal s’implante de façon spontanée ou alors relève du geste volontaire de ses habitants. Nous assistons alors à un dialogue entre l’espace public et l’espace privé.

Fig. 64 croquis personnel, « La ruelle »

270

MOLLIE, Caroline (2009, octobre). « Des arbres dans la ville, l’urbanisme végétal ». Actes Sud | Cité Verte, p. 140

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Ces lieux végétalisés de façon délibérée dévoilent parfois dans ces espaces réduits des jardins de pots, « compositions rigoureuses ou fantaisistes de plantes décoratives ou fleuries » (MOLLIE, Caroline, op. cit.), qui arrivent, à force d’accumulation et de juxtaposition, à former de véritables jardins verticaux. Ici, l’intérêt porté à l’embellissement de sa demeure est très palpable. Le plaisir qu’éprouve l’habitant, à jardiner ses compositions végétales, tient couramment à être partagé, invitant ainsi le passant à admirer et à respecter ce qui lui est offert.

c) Les limites de la ville Ceintures vertes La « ceinture verte » est un terme d’urbanisme que l’on rencontre chez les théoriciens de l’aménagement du début du 20ème siècle, mais cette structure végétale existait bien avant cette période. L’apparition des ceintures vertes est liée à l’évolution des techniques de défense. « A partir du 18ème siècle, la paix intérieure s’installe progressivement dans le royaume, et les villes, à l’étroit dans leurs enceintes, peuvent procéder à la démolition des murailles »271.

Fig. 65 croquis personnel, « La ceinture verte »

Ces travaux sont un bon moyen d’améliorer et de renforcer les « balades » existantes. Ces structures végétales évoluent en fonction des opportunités foncières et financières disponibles autour de la ville, on assiste par conséquent à une approche incrémentale de composition jardinée, faisant évoluer le paysage urbain au fil du temps. Etant à la fois « limite, écrin, seuil, liaison et lieu de promenade », la ceinture verte renforce l’image d’une ville comme entité.

271

MOLLIE, Caroline (2009, octobre). « Des arbres dans la ville, l’urbanisme végétal ». Actes Sud | Cité Verte, p. 144

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Boulevards « Le boulevard est une voie de circulation qui entoure partiellement ou totalement une ville, un quartier, ou un ensemble et qui en détermine l’accès »272. Le boulevard marque la périphérie ; il fait dialoguer l’intérieur et l’extérieur de la Cité et en indique les entrées. Les contraintes de la circulation ont souvent conduit à élargir l’emprise de la voirie au détriment des trottoirs et à transformer les terre-pleins en aires de stationnement. Souvent bien loin de la fonction initialement attribuée, le boulevard évoque maintenant « une densité de circulation, un mouvement et un brouhaha » incessants, plus qu’une promenade végétale paisible.

Fig. 66 croquis personnel, « Le boulevard»

Cet élément s’identifie par ses dimensions assez spacieuses, « ses plantations et son tracé légèrement courbe »273. Il constitue l’une des voies importantes d’orientation et de répartition au sein de la ville. L’accroissement urbain a atténué, voir a fait disparaitre son image circulaire et aujourd’hui correspond à une artère de liaison inter-quartiers.

Réseaux de circulation périphérique Les réseaux de circulation périphérique dessinent les limites de la ville contemporaine. Leur ménagement doit renforcer l’identification de l’ensemble urbain et doit en faciliter l’accès.

Fig. 67 croquis personnel, « Rond-point »

Dans le cas de la plupart des villes nouvelles, ensembles et limites sont difficile à cerner : « l’urbanisation se développe à partir de points distants les uns des autres et comble progressivement les alvéoles qui lui sont destinées » (MOLLIE, Caroline, op. cit.). A la croisée des voies, Les ronds-points peuvent être intéressants pour faciliter l’orientation et la lisibilité du parcours ; ils peuvent également transmettre au visiteur l’image de la ville. Fig. 68 croquis personnel, « Prairies, pelouses et tapis verts»

272

MOLLIE, Caroline (2009, octobre). « Des arbres dans la ville, l’urbanisme végétal ». Actes Sud | Cité Verte, p. 151 273

Ibid.

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d) la ville prolongée « Souvent les compositions végétales destinées aux jeux et aux promenades sont réalisées au-delà de la ville, la projetant ainsi hors de ses limites. Les lieux et les moments du divertissement, du plaisir et de la détente fixent alors le sens des développements ultérieurs »274. (MOLLIE, Caroline, op. cit.). Allées L’allée est un terme du jardin qui désigne l’espace de cheminement linéaire le long duquel s’effectue la promenade. Elle est réservée aux piétons, aux cavaliers, aux cyclistes et exceptionnellement aux véhicules qui alors ralentissent leur allure. L’allée régulière est bordée de part et d’autre d’une ligne d’arbres, c’est la figure de base de tous les ordonnancements végétaux. L’allée irrégulière s’oppose presque radicalement à la précédente, car elle ne se dirige pas directement vers le but à atteindre mais suit des courbes et contre-courbes. Ce tracé est plus adapté au parc qu’à la ville.

Prairies, pelouses et tapis verts Les grandes étendues de pelouses représentent des espaces aérés indispensables à la ville. L’existence de telles compositions permet d’accueillir toutes sortes d’évènements festifs ou sportifs. Ces compositions sont assez rares dans nos centres urbains et leur histoire varie d’une ville à l’autre. Ces grandes pelouses correspondent parfois à d’anciennes esplanades ou d’ancien « champs d’exercice ». S’apparentant à un paysage champêtre, ces « jardins aérés» ont perduré dans le temps, échappant aux convoitises des constructeurs. Divers explications peuvent être apportées pour justifier cette situation ; en effet, comme évoqué précédemment, ces étendues permanentes permettent le rassemblement des habitants lors de manifestations traditionnelles ; elles peuvent également être liées à l’impossibilité de construire ou de cultiver, c’est le cas des zones inondables. D’un point de vue environnemental, ces grandes pelouses ont la capacité de retenir les eaux de pluie et d’en imprégner le sol permettant ainsi « une meilleure gestion des eaux souterraines » (MOLLIE, Caroline, op. cit.). Ces nouveaux réflexes tendent à être assimilés par les concepteurs de ville, on voit par exemple dans de nouveaux quartiers, des bassins d’orage intégrés à la structure même des aménagements extérieurs ; ces gestes offrent à l’homo urbanus de beaux espaces de détente ou de loisirs. D’autres compositions végétales existent et permettent également d’accueillir toujours plus de nature en ville. Ici ils n’ont pas était décrits mais l’on pourrait parler des avenues, esplanades, quais, rives et berges, ou bien même de ces « dents-creuses » que l’on qualifie de délaissés urbains.

274

MOLLIE, Caroline (2009, octobre). « Des arbres dans la ville, l’urbanisme végétal ». Actes Sud | Cité Verte, p. 159

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2.2| Habiter une ville jardin : des projets innovants À chacun sa réflexion, méthodologie, stratégie et son échelle d’analyse ; cette diversité d’action rend les projets urbains plus stimulants et moins monotones. L’interprétation de ce concept de villejardin, aboutit bien souvent à des objectifs et des résultats similaires, c’est-à-dire à une inclusion durable de l’élément végétal en ville par des initiatives participatives et citoyennes.

Focalisons-nous, dès à présent, sur divers projets de composition végétale, dont les échelles divergent, afin de bien cerner cette image intrinsèque du principe de ville-jardin. Pour l’habiter, il faut vivre la ville, la voyager, en parcourir son tissu devenu un réseau écologique dépassant l’échelle « micro ». A cette échelle, lorsqu’ils sont menés à bien, les projets, par leur morphologie ouverte sur la ville, invitent d’autres réalisations à poursuivre l’élan qu’elles essaient de mettre en place. Ce dialogue évolutif permet aux échelles de communiquer, devenant ainsi même complémentaire. C’est à cette condition qu’un maillage vert ou une trame végétale se consolide, permettant ainsi à la ville d’accueillir en son sein, une richesse spécifique s’épanouissant dans ce qu’on pourrait appeler, « corridor écologique ». Ces projets sont variés, de diverses formes et fonctions, ils répondent par leur programmation à des attentes bien précises. C’est donc tout l’intérêt de ce chapitre, de présenter ces divers tableaux paysager traversant la ville à toute échelle, de son micro habitat jusqu’à la planification macroscopique de son territoire.

Parmi ces réalisations, vous seront présentés :

Le projet territoire, la Trame verte

Le quartier jardiné

Reconquérir les rues

Le projet du collectif Coloco :

Le projet du collectif ETC :

« Les délaissés en réseau »

« Place au changement

Le projet du bureau d’architecture, Maison Edouard François :

- La place du géant »

« Eden Bio »

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Le projet du collectif Coloco : « Les délaissés en réseau » Présentation du collectif Collectif indépendant, Coloco s’est créé en 1999 puis s’est transformé en 2006 en une société SARL pour renforcer son opérationnalité et développer les marchés publics d’aménagement. Coloco réunit Paysagistes, Urbanistes, Botanistes, Jardiniers et Artiste. « Des stratégies territoriales à la construction de jardins »275, le collectif établit une relation de continuité entre les échelles et les acteurs : « le paysage est l'ensemble du vivant sous le regard des humains. » Exploration, Stratégie, Activation, Construction, Transmission sont les étapes successives de leurs projets, accompagnant ainsi la relation entre les hommes et le lieu où ils vivent, « tous uniques et tous ensemble ». (COLOCO, op. cit.) Le projet : « Les délaissés en réseau »

Le collectif se questionne dans ce projet, de façon prospective, sur le développement de Montpellier à l’horizon 2040. Afin de cerner les réelles attentes et besoins des citadins, Coloco articule son projet d’ « orientations stratégiques » autour d’une concertation citoyenne s’articulant selon quatre axes principaux: 1 | Intervenir transversalement sur le territoire : Ré-agencer la ville existante et renforcer l’estime entre le territoire, les habitants et les aménageurs. Intensifier la liaison des réalités transversales sur les tissus existants, aujourd’hui désarticulées. 2 | Consolider la synergie entre les acteurs : Renforcer la gouvernance entre les institutions et la participation citoyenne. 3 | Proposer plus de transversalité entre les services de la Ville. 4 | Activer, densifier, équilibrer : Vers une citoyenneté et une intensité de l’espace public. Vers un équilibre entre densité et vide naturel urbain. Vers une nature urbaine comme accueil d’usages, moteur de la transformation.

275

COLOCO, (2009-2012). « Manifeste ». Sur Coloco (en ligne) URL : http://www.coloco.org/projets/les-delaissesen-reseau/, page consultée le 20 juillet 2016

180


Fig. 69 « Les délaissés en réseau »

Coloco exprime clairement dans son projet cette notion d’interrelation entre Habiter - Ville - Jardin. En effet, dans leur projet, « les délaissés en réseau », focalisés sur le territoire Montpelliérain, le collectif développe ses actions à l’aide trois facteurs, ayant tous pour finalité « la diversité urbaine », clé existentielle pour habiter la ville jardin. Le schéma directeur, qu’ils développent dans ce projet, s’apparente sensiblement à la démarche entreprise tout au long de ce travail de fin d’étude. Coloco considère que la diversité urbaine résulte de la corrélation entre : - « les critères des usagers », que nous pourrions comparer aux conditions d’habiter de l’homo urbanus. Ces critères développent diverses « actions », comme l’imaginaire, l’émotion, la détente, le « sens de l’espace », la sécurité, l’appropriation, la multiplicité des usages ou encore l’investissement. 181


Fig. 70 « Les délaissés en réseau »

- Les « objectifs de la ville » sont également des attentions portées par le collectif. Nous retrouvons dans le projet un rapport à la ville, et à ce qui la compose : « ambiance, usage / démocratie, gestion, polyvalence, sécurité, exploitation, formation / apprentissage. Autant de mots-clés indispensables à la bonne conception d’un projet urbain favorable à l’épanouissement de l’Homme.

- « Les dynamiques naturelles », sont également des facteurs de diversité urbaine, qui doivent être indissociables de la composition du jardin, parmi ces actions on y retrouve : l’hydroponie, le génie écologie, une attention apporté à la pollution, et à la qualité de l’air, et éventuellement à une faune et flore riche en diversité.

On assiste ici à une manifestation spatiale répondant à la définition de ville-jardin, où l’échelle d’analyse, qui ici intéresse les concepteurs, dévoile une stratégie territoriale.

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Le projet du Collectif ETC : « Place au changement - La place du géant » Présentation du bureau Né à Strasbourg en septembre 2009, le Collectif ETC a pour volonté de rassembler des énergies autour d’une dynamique commune de questionnement de l’espace urbain. Le Collectif se veut être un support à l’expérimentation. « La philosophie du collectif oriente ses réflexions vers un réel dialogue social, les différents usagers de la ville (habitants et professionnels) peuvent tous être acteurs de leur aménagement à des échelles très variées »276 . L’objet et l’intérêt de ces expérimentations urbaines n’est pas seulement dans le résultat, mais surtout dans le processus qui le génère et dans le nouvel environnement et les nouveaux comportements qu’il engendre. Leurs projets se veulent « optimistes, ouverts et sont orientés vers le public spontané de la ville ». Leur particularité commune est d’agir dans l’espace public en intégrant la population locale dans leur processus créatif. L’intérêt porté à ce Collectif, relève de cette attention donnée aux habitants. Le choix de présenter ce projet ne relève pas forcément d’une composition végétale remarquable, mais ici la focale est orientée vers la notion d’appropriation de l’espace urbain, autrement dit de l’habitat. Le projet : « La place du géant »

Remporté par le Collectif Etc, le concours «Défrichez-là», organisé par l’Etablissement Public d’Aménagement de Saint Etienne (EPASE) au mois de mars 2011, avait pour objet la mise en valeur, pour une durée de trois ans, d’un espace en friche situé au centre de Saint Etienne, dans le quartier de la gare de Chateaucreux. Une seconde édition a eu lieu du 18 au 30 mars 2013.

276

COLLECTIF ETC (2009). « Place au changement ! La place du géant ». Sur Collectif ETC (en linge). URL : http://www.collectifetc.com/realisation/place-au-changement-chantier-ouvert/, page consultée le 21 juillet 2016

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Fig. 71 « Le projet : « La place du géant »

Le projet d’expérimentation devient envisageable à partir du moment où la structure d’accueil, ici la place, n’est pas figé, mais est modulable dans le temps. Comme un jardin d’expérience, ce concept développé par le Collectif ETC répond spontanément aux questions liées à la notion d’habiter dans ce TFE. Observer le réflexe des habitants face à l’inclusion d’un projet dans la sphère d’habitat, provoque des réactions dont il faut tenir compte. Sur une période de trois ans, le collectif a pu cerner certaine attentes, remarques ou critiques laissés par les habitants. Celles-ci ont été prises en considération et pendant une période de cinq semaines, la collectivité a réinvesti le lieu « pendant lequel de nombreux événements et atelier de création avaient été organisés, faisant de ce terrain un lieu atypique dans le paysage urbain local ». Si l’on compare leur processus d’action aux diverses notions d’habiter la ville jardin, explicité en amont, on s’aperçoit très vite que bien des points en commun se tissent. « La place du géant », localisé en plein quartier du Châteaucreux, à St Etienne, est un exemple de composition de jardin urbain appuyant très clairement les propos énoncés tout au long de l’étude.

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Le projet du bureau d’architecture, Maison Edouard François : « Eden Bio »

Présentation du bureau Edouard François est architecte et urbaniste depuis 1986. Il crée sa propre agence d’architecture, d’urbanisme et de design en 1998. Sa carrière est lancée avec des opérations telles que «L’Immeuble qui Pousse » livrée en 2000 à Montpellier et « Tower Flower » livrée à Paris en 2004. Il définit son architecture comme telle : « Elle reflète les tropismes de notre société contemporaine. Le développement durable, le local, la mise en valeur du patrimoine et du site sont des thématiques qui traversent (…) (sa) production et s’expriment dans des propositions fortes et inattendues, en phase avec leur contexte »277.

Le projet : « Eden Bio »

Dans un contexte urbanistique en constante évolution, il est devenu nécessaire pour les architectes de trouver des solutions architecturalement durable afin d’accueillir au mieux le végétal au sein de notre habitat urbain. Comme nous avons pu l’énoncer en amont dans ce travail, un milieu urbain dense ne rime pas nécessairement avec un milieu imperméable ou étanche, au contraire, les concepteurs de la ville doivent actuellement s’atteler à développer divers concept permettant de procurer à l’homo urbanus, un cadre de vie sain et agréable à vivre. C’est le travail auquel s’attèle l’architecte Edouard François. La réalisation de son projet Eden Bio en est un bon exemple d’habitat pouvant composer la ville -jardin car il répond au souci de densification, ici dans le 20ème arrondissement parisien.

277

FRANÇOIS, Edouard (2009). « .URL : http://www.edouardfrancois.com/fr/maison-edouard-francois/edouardfrancois/, page consultée le 20 juillet 2016.

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Fig. 72 « Le projet : « Eden Bio »

Trois idées ont guidé ce projet : La première, est celle « du respect des lieux, de son histoire » (François Edouard, op. cit.) nous explique l’architecte. L’accroche patrimoniale est ici fortement prononcée puisque le concepteur s’attache à inclure son projet dans l’atmosphère qui régnait auparavant, « son histoire à la Doisneau ». Cette attention à une histoire, donc une culture passée, marque les esprits et bien souvent un sentiment d’appartenance se développe spontanément de la part de l’habitant. Ce regain d’intérêt pour un habitat fortement marqué d’une histoire pousse fréquemment le citadins ou occupant et respecter le lieu, de la sorte de belles compositions peuvent prospérer dans notre centre urbain brut. Cette attention patrimoniale se traduit par la typo-morphologie qu’il a appliqué à sa composition, « Des bâtiments sont là, pleins de vie et dénués de toute prétention ou d’ordonnancement. Certains sont bas, d’autres hauts. Des impasses étroites et fines, mémoire du passé maraîcher des lieux, interrompent l’alignement sur rue et dessinent la parcelle, pour autant de vues de verdure à donner à lire sur un cœur d’îlot ensoleillé ». (François Edouard, op. cit.) Puisqu’une habitation communique avec son environnement, la deuxième idée de E. François était de jardiner au sein de ce projet, des ruelles plantées où des axes de porosité se dessinent au cœur du projet, à l’aide d’essences végétales diverses et variées, donnant à la rue une atmosphère beaucoup plus accueillante. L’accès aux habitations à également était soigné. Cet espace de transition entre un corps public et privé est primordial, comme a pu le souligner l’architecte Nicolas soulier lorsqu’il aborde les notions de « Frontage ». Edouard François adopte un ménagement où chaque desserte d’habitation est individualisé, « En intérieur d’îlot on ne trouve pas de hall « bourgeois » mais des portes d’entrées individuelles qui s’ouvrent directement dehors comme autant d’expressions d’individualité » (François Edouard, op. cit.)

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Fig. 73 « Le projet : « Eden Bio »

« Un grand immeuble prend forme en cœur d’îlot, végétal il se donne à lire comme une masse boisée. Autour, de petites maisons de ville s’alignent parées de tous les matériaux que l’on trouve habituellement en intérieurs d’îlot : bois brut, parpaing, tuile mécanique, zinc, béton brut nous serviront de parements. Eden Bio sera fait de ces matières disparates, sans oublier la nature qui est notre dernier point ». (François Edouard, op. cit.) La troisième idée est celle de la place de la nature pour habiter les recoins de cette composition villageoise. Non pas des jardins dessinés et paysagés mais autant de friches faites de plantes venues seules coloniser les coins et les recoins. Pour ce faire, le sol originel de la friche urbaine a été remplacé par un sol organique profond, bio, certifié Demeter. La moindre graine venue des vents explose sur ce sol aux vertus exceptionnelles. Trois ans après la livraison, partant d’un sol entièrement nu, des ailantes de plus de deux mètres de haut accompagnent des buddleias, l’herbe à papillon.

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« Conclusion » Subjectivement, l’exercice a voulu se manifester, lors de l’élaboration d’un projet tournaisien, au premier quadrimestre de la deuxième année de master. L’analyse du territoire, préalablement établie, a permis de cibler certaines attentes, tant attendues de la part de décideurs locaux que de la part des habitants ; il a également été possible de répondre à la programmation énoncée - qui était : « l’insertion de logements et d’une crèche dans le centre de Tournai ». Dans sa situation urbanistique, le cœur de la ville, dénué de masses végétales importantes, demande clairement qu’on lui porte attention, et que ce critère de « nature » tant convoité par les citadins soit perçu comme un défi à relever. L’étude personnelle de ce cœur urbanistique patrimonial m’a amené à inclure à cette programmation la conception d’un jardin urbain. Les statuts et différents tableaux jardinés au sein de cette implantation projettent le visiteur à la fois en plein espace public végétal et l’amènent à « flirter » avec des espaces partagés entre publics et privés, en ne lui laissant que la seule possibilité d’entrevoir certains jardins privés.

Il était primordial d’immerger l’homo urbanus dans ce type de disposition, lui montrant que le jardin et la ville ne sont pas deux notions contradictoires mais fortement liées. Là où l’architecture venait soutenir le végétal, ce dernier venait renforcer la qualité architecturale du projet, en répondant à la fonction du bâti, comme il en était question pour la serre (traditionnelle ou aquaponique) ou le claustrât de la crèche devant intimiser l’espace végétal mis en œuvre au sein de « l’école ». On assiste donc à un dialogue unificateur entre ces deux masses, la végétale et la minérale, qui, malheureusement, sont bien souvent en perpétuelle confrontation dans nos espaces publics.

188 Fig. 73 « Le jardin de l’Escaut »


189 Fig. 74 « Centre historique de Tournai »


Fig. 75 « Jardins de l’Escaut, inclusion végétale au patrimoine Tournaisien »

En finalité, les grandes lignes de composition de ces projets, ainsi que la philosophie adoptée par leurs auteurs, nous ont permis d’appuyer l’argumentation développée tout au long de ce travail et de démontrer que ce concept, ou vision de « ville-jardin » dépasse bien plus le simple geste relevant d’une utopie. L’idée se concrétise à travers les réalisations de certains concepteurs de ville n’ayant pas « peur » de se détourner du traditionnel parcours et méthodologie de conception architecturale. 190


CONCLUSION GÉNÉRALE

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Ce travail écrit se conclut par une ouverture, par des questionnements relatifs au jardinage de la ville à la petite comme à la grande échelle. Comment agencer les masses végétales, supports d’une richesse spécifique, afin de les faire correspondre à des stratégies territoriales et inversément ? La question de l’échelle a été abordée tout au long de l’étude et illustrée par les trois différents projets ayant chacun une « superficie » d’intervention différente. Une notion commune – ou plutôt une nécessité si l’on vise un équilibre – s’en dégage : la participation citoyenne, le partage et la transmission d’idées lors d’un quelconque projet d’aménagement. La population, puisqu’elle Habitera ce projet (que l’on pourrait nommer « jardin ») qui transformera son cadre de vie, doit donc se concerter. Un autre réflexe auquel devra s’attenir l’homo urbanus est l’échelle de l’action, du geste qu’il portera sur son habitation ; celle-ci ne se contentant pas du simple logis, l’habitation dépasse les murs et déborde sur la rue, comme l’illustre « la place du géant », projet du collectif ETC. Une ville jardin est une ville où l’homme se projette dans son habitat ; il y habite, s’y inscrit dans une temporalité. Tout comme le végétal, la vie est « périodique » ; on nait, on croit, on fatigue, nos comportements influencent la vie de chacun dans une ville. Comme le dit Heidegger : « habiter c’est être au monde et à autrui ». Ces propos appuient clairement cette définition de ville jardin où toute action qui s’y déroule implique nécessairement l’investissement de l’acteur urbain qui pose un geste dans les temps se répercutant à différentes échelles. Du geste le plus minutieux à la réflexion globale, le jardin est avant tout un espace d’évasion, d’échange, de partage mais surtout de création et d’entretien. Projeté à l’ensemble du tissu urbain, la volonté ici n’est plus de voir la ville comme un territoire plurisectoriel, (aux limites floues) composé de divers équipements et espaces verts qui ne dialoguent pas forcément entre eux, mais plutôt de la voir comme une sphère d’habitat harmonieux où tout espace végétal est équipement, « public » et « privé », nécessaire au développement de la cité. Le jardin urbain est alors considéré comme un tout ne faisant qu’un. Ainsi, la gestion de ces espaces relève de la concertation citoyenne et non plus uniquement des décideurs locaux et concepteurs spécialistes de la ville qui dictent les comportements urbains et imposent un habitat parfois dénué de vitalité. Dans un contexte où les relations sociales sont de plus en plus fragilisées, où l’homo urbanus n’échange ou ne partage plus spontanément d’expériences avec son voisin, où il ne respecte que trop peu son environnement, il est primordiale de remettre en question nos modes de vie, nos habitats, voire notre « éducation sociétale ». On s’aperçoit de plus en plus que tout savoir vivre, tout savoir habiter ensemble tendent à s’estomper ; des répercussions environnementales en découlent et l’attitude de l’homme a des conséquences certaines sur le « jardin planétaire ». La première « crise urbanistique » réside dans le changement de mode de vie « rural », qui, dicté par les miasmes de l’ère industrielle et la mécanisation des outils et des schémas de développement, se désintéresse petit à petit de cet élément de nature qu’est la végétation ; celleci, qui faisait de la ville un endroit minéral relativement vivable, la remplace par des équipements, la contraint à l’artificialité (ou la supprime) afin de donner raison à cette société dont le mode de vie est basé sur la « sur » consommation et les loisirs. Cependant, ne voyons pas dans la ville qu’une image négative renvoyant à certains comportements. La ville peut être généreuse envers la nature et révèle par son architecture et son urbanisme des habitats propices à l’épanouissement de richesses spécifiques ou de l’homo urbanus. Refuge pour les hommes et certains animaux, elle est un incroyable terrain d’investigation, où des relations se tissent, des expériences se créent et des mentalités évoluent. Le végétal est notre voisin, il est notre allié et participe indubitablement aux conditions de vie de l’homo urbanus. Malgré la difficulté avec laquelle une démarche écologique tend à voir le jour depuis une vingtaine d’années, ne laissons pas s’affirmer ce paradoxe qui tend à avancer que l’homme, bien qu’il ressente ce besoin de nature, « se tire dans les pattes » en malmenant ou détruisant ce monde végétal.

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VIDÉOGRAPHIE KROLL, Lucien et Simone et le Collectif ETC (2013, décembre). «Simone & Lucien Kroll, une architecture habitée». Crédits vidéos : Pavillon-Arsenal (en ligne). URL: http://www.dailymotion.com/video/x16sqxz_conferencesimone-et-lucien-kroll-collectif-etc_news BRUNON, Hervé (2011). « Paris, jardin des Tuileries ; Varengeville-sur-Mer, bois de Morville ». Crédits vidéos : Cité de l'architecture et du patrimoine (en ligne). URL : http://www.centrechastel.paris-sorbonne.fr/membres/hervebrunon PAQUOT, Thierry (2016, janvier 26). « Enfant des villes et des territoires urbanisés ». Sur Avenue centrale, rendezvous en sciences humaines (en ligne). URL : http://www.avenue-centrale.fr/Thierry_Paquot

TABLE DES ILLUSTRATIONS Fig. 1 croquis personnel, « Immersion végétale -2015 » Fig. 2 croquis personnel, représentation des composantes du tissu urbain Fig. 3 croquis personnel | L’habitat déborde le logement : les relations de voisinage Fig. 4 croquis personnel |Concept, Habiter la ville Fig. 5 croquis personnel | L’homme, l’espace, le lieu Fig. 6 croquis personnel | La représentation de l’espace Fig. 7 croquis personnel, « le citadin inhabiter » Fig. 8 croquis SCHUITEN Luc | Archi human, projet de construction de logements pour les sans-abri Fig. 9 Highway 86 - Expo 86 - History of 20th Century Transportation Processional Plaza - Vancouver, Canada 1986 Fig. 10 Photo personnelle, projet potager collectif au quartier du Mermoz Fig. 11 Le tissu : Le Caire, le centre ancien. P. Panerai Fig. 12 croquis personnel. La ville-jardin, une notion d’échelle Fig. 13 Photographie personnelle d’un intra-ilot, à Gennevilliers, Paris : Chemin de grue Fig. 14 Schéma personnel, schématisation comportementale Fig. 15 Photographie personnelle Rue St Malo, à Brest Fig. 16 « Les trois aimants » et « diagramme de la cité jardin » Fig. 17 « Quartier et centre de la cité jardin » Fig. 18 «to-morrow a peaceful path to real reform » Fig. 19 Première cité-jardin belge (1912) à Genk- Winterslag, édifiée par l’architecte Adrien Blomme Fig. 20 Schéma personnel, un modèle urbain prospectif. Fig. 21 Plan d’ensemble du projet d’extension à Barcelone, Léon Jaussely Fig. 22 Master plan du projet Radburn, New Jersey, Henry Wrigh et Clarence Stein Fig. 23 Ross's Landing Park and Plaza - Chattanooga, TN - USA - 1992 Fig. 24 "La Mémé", la maison des étudiants en médecine, Woluwe-Saint-Lambert, Belgique - 1970 Fig. 25 Giancarlo De Carlo, Villaggio Matteotti auzoa, Terni 1969-1974 Fig. 26 composition végétale d’un écoquartier - E.V.A. Lanxmeer (1994 à 2009), Culembourg - Pays-Bas. Fig. 27 Ligne du temps : l’art des jardins de l’antiquité à nos jours Fig. 28 Les jardins suspendus de Babylone Fig. 29 Structure de la ville et la périphérie à l’époque médiévale Fig. 30 jardins de la villa d’Este, à Tivoli (Italie) Fig. 31 Château Vaux le vicomte, (1658–1661), Maincy (France) Fig. 32 croquis personnel, « le jardin planétaire » Fig. 33 croquis de Nicolas Soulier (2012). « La rue » Fig. 34 photos personnelles, Rue des Thermopyles, à Paris (2016) Fig. 35 croquis personnel, « la métaphore des milieux », une notion de « Bois, lisères et prairie ouverte » Fig. 36 schéma personnel, concept du développement durable Fig. 37 Renouvellement des espèces, modèle insulaire de Robert Mac Arthur et Edward Wilson. Fig. 38 Relation entre richesse spécifique et la superficie Fig. 39 l’intérêt du modèle insulaire. Fig. 40 Des gestes maladroits, mise en pot d’Olivier Fig. 41 photo personnelle, délaissé urbain dans la rue Bouzanton, à Mons (2016)

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Fig. 42 photos personnelles, délaissé urbain à l’intersection de la rue des gages et la rue des canonniers, à Mons (2016) Fig. 43 croquis personnel, jardiner le territoire Frasnois - « Le chemin de vert », ATSP (2016) Fig. 44 croquis personnels, jardiner le territoire Frasnois - « Le chemin de vert », ATSP (2016) Fig. 45 croquis personnel, composition végétale par strates diversifiées et d’essences variées Fig. 46 Francis Hallé, Du visible à l’invisible, arborescence souterraine en réciproque au système aérien. Fig. 47 croquis personnel, gestion des eaux. Fig. 48 Schéma explicatif du principe fonctionnel d’un bassin de phyto-remédiation. Fig. 49 Jardin suspendus (Mons 2016). Installation d’un bassin de phyto-remédiation. Fig. 50 Croquis personnel, Le végétal a un rôle de filtre et anti-pollution. Fig. 51 croquis personnel, principe du phénomène d’îlot de chaleur. Fig. 52 projet l’île Derborence, réalisé par Gilles clément (1990), au sein du Parc Matisse, à Lille (France) Fig. 53 projet collectif, « jardins des expériences », réalisé par la Fa+u et d’autres corps estudiantins, à Mons (2016) Fig. 54 projet, « projet Turfaudière-Mermoz », réalisé par le collectif YA+K, à Avranches-St Martin des Champs (2016) Fig. 55 square des peupliers, « des ruelles jardinées », à Paris (2016) Fig. 56 exposition « l’architecture de Terre », Camille Thibert et Lucas Grandin, au carrefour des arts, à (2016) Fig. 57 Abattage d’un arbre remarquable, Jardin intra-îlot, vue de mon habitat. Mons, 2016 Fig. 58 .a) « Le jardin suspendu ». Mons, 2016 Fig. 59. b) « Le jardin suspendu ». Mons, 2016 Fig. 60 Jardin botanique de Brera, Milan, crédit photo : BAYER, Jérôme Fig. 61 Ahuntsic : Première serre commerciale sur un toit, au monde. Fig. 62 serre aquaponique, à St Gilles, Bruxelles (2016) Fig. 63 croquis personnel, Compositions végétales : Les trois strates, Herbacées, Arbustives, Arborées. Fig. 64 croquis personnel, « La ruelle » Fig. 65 croquis personnel, « La ceinture verte » Fig. 66 croquis personnel, « Le boulevard» Fig. 67 croquis personnel, « Rond-point » Fig. 68 croquis personnel, « Prairies, pelouses et tapis verts» Fig. 69 « Les délaissés en réseau » Fig. 70 « Les délaissés en réseau » Fig. 71 « Le projet : « La place du géant » Fig. 72 « Le projet : « Eden Bio » Fig. 73 « Le jardin de l’Escaut » Fig. 74 « Centre historique de Tournai » Fig. 75 « Jardins de l’Escaut, inclusion végétale au patrimoine Tournaisien »

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