une génétique des objets

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UNE GÉNÉTIQUE DES OBJETS



[évolution & mutations]

UNe génétique des objets



sommaire



Introduction

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I. LE RAPPORT PRODUCTIVITÉ / NATURE

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A. UNE FASCINATION POUR LA NATURE

Préambule : La question de la technique

1. Une mystification 2. Le mimétisme

B. UNE VOLONTÉ DE MAÎTRISER LA NATURE

1. La pensée mécaniste 2. La révolution industrielle 3. Le problème de l’anthropocentrisme

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II. DES AUTOMATISMES [IN]CONTRÔLÉS

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A. LE DISFONCTIONNEMENT DE LA MACHINE

1. Un retour aux sources nécessaire 2. La variation comme constante 3. L’unique dans la série

B. LA MACHINE REPROGRAMMÉE

1. L’automatique dans la création 2. L’ordinateur, la machine des possibles 3. Le fantasme de l’intelligence artificielle

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III. VERS UNE CONCEPTION EXO-GÉNÉTIQUE

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A. INFORMATIQUE & GÉNÉTIQUE

1. L’ADN assimilé au programme                  informatique                   2. Les limites de la métaphore                3. Le code de la modélisation comme                 information génétique

B. CRÉATION CONTEXTUELLE

1. Design et réseaux biochimiques                2. L’adaptabilité de l’objet à son milieu                3. L’éthique d’une génétique de l’objet

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Conclusion

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Glossaire

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Bibliographie




Introduction


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INTRODUCTION


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Dans un contexte de société hyper industrialisée, où les objets sont les témoins d’une standardisation poussée à son extrême, l’artefact, symbole de la technicité et de la capacité de l’homme à raisonner, ne semble plus refléter que le style ou le goût de quelques décisionnaires. Les technologies de prototypage rapide, en pleine expansion depuis maintenant plusieurs années, semblent pourtant promettre une fabrication des objets sur commande, bien loin de l’uniformisation et des contraintes d’une production de masse. Les micros usines personnelles (MUP) vont probablement changer à jamais les règles de conception d’un produit. La transaction de ces objets pourrait devenir prochainement un simple téléchargement de fichier sur internet.

Voir l’article Comment imprimer des objets chez soi. Après les TIC, voici les MUP ! de Joël de Rosnay parut dans Le Monde le 9 novembre 2006. Voir à ce sujet le projet Monsieur FALTAZI. http://www. monsieurfaltazi. com


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INTRODUCTION

Comment dès lors justifier l’acte de création de cet artefact dématérialisé ? Sur quel modèle doit-on penser l’objet de demain ? Comment revendiquer un acte de création circulant librement sur la toile ? Qu’on le veuille ou non, l’objet de demain va acquérir une grande part d’autonomie et être soumis plus que jamais à l’évolution et à la mutation.   Parallèlement à ces révolutions technologiques, notre société tente aujourd’hui de rétablir un lien perdu avec son environnement. Il en va de tous les domaines et plus que jamais, le designer s’interroge sur la création d’objets ‘‘vivants’’. Le défi qui s’établit ici est celui de rapprocher l’artefact d’un monde vivant pour ne plus le concurrencer.     L’objet tend donc d’un côté à se dématérialiser sous la forme d’un code informatique et d’un autre à réintégrer une part de vivant. Peut-on essayer de concilier ces deux orientations ? Les capacités prometteuses de la technologie numérique sont-elle assimilables à certains processus naturels ? Quels rapprochements peut-on opérer entre des principes génératifs naturels, technologiques et la genèse d’un objet ?   Le propos s’établira donc autour d’une réflexion ciblée sur la conception des objets, dans laquelle le designer sera amené à se poser différentes questions. Comment ces rapprochements peuvent-ils influencer les différentes étapes d’un processus de conception? Ces considérations sont-elles à même de définir de nouvelles formes d’objets ? Au travers du thème


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de la génétique des objets, nous tenterons de répondre à ces questionnements établissant un pont entre une science du vivant et des principes techniques de conception d’artefacts.   « Génétique [du grec genno γεννώ, donner naissance] est un mot très ancien, utilisé par les philosophes scolastiques, non dans un contexte biologique mais dans un contexte purement logique, pour définir quelque chose qui produit autre chose : le génétique est ce qui est à l’origine d’une genèse. » Le processus de création d’un objet (l’ensemble des actions qui visent à produire un objet) répond donc bien à cette définition de génétique.   La notion de génétique renvoie également à la biologie moderne, et le parallèle entre une génétique de l’objet et une génétique biologique pose à un certain nombre de questionnements pour le designer. C’est pourquoi, nous étudierons les ressemblances qui existent entre une œuvre humaine et une œuvre de la nature ainsi que les rapprochements possibles entre le fonctionnement d’une machine et celui du vivant. Nous tenterons également de voir jusqu’où l’on peut pousser le parallèle entre processus créatif et biologie, ainsi que les stratégies susceptibles d’en découler pour le designer. Mais avant tout se posent des questions plus générales comme celle de la place de l’homme dans la Nature. Comment appréhende-t-il le monde et de quelle manière ses artefacts influencent-ils son environnement ?

Henri Atlan, La fin du tout génétique (p.52), INRA, Paris, 1999.



d’une fascination à une maîtrise

I. Le rapport productivité / nature :

Le disfonctionnement de la machine 17


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Le rapport productivitĂŠ / nature


la question de la technique

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Les quelques siècles de révolution industrielle que nous venons de traverser suscitent bon nombre de questionnements quant au rapport qu’entretient l’Homme avec la nature. On assiste notamment, depuis quelques années à nombre de changements qui tendent à rendre ‘‘bio’’ notre société. Les Hommes se sont aperçus qu’ils avaient une influence destructrice sur leur environnement. Cette culture écologique émergente soustend en réalité la question de la place de l’Homme dans la nature. L’artefact en tant que produit de la technique humaine est placé au centre de cette question. Il est le reflet du lien entre l’homme et la nature et nous tenterons donc de voir comment l’évolution de ce rapport peut influencer la création de nos objets.


Images extraites du film 2001, L’odyssée de l’espace, Stanley Kubrick, 1968.


la question de la technique

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P réambule : La question de la technique Dès l’Antiquité grecque, l’Homme interroge le lien qu’il entretient avec la nature. On le remarque par exemple à travers le mythe de Protagoras : Platon y raconte que Prométhée et Épiméthée étaient chargés par les Dieux de distribuer des qualités aux être vivants de manière égale. Épiméthée voulu faire la distribution seul et demanda donc à Prométhée de contrôler la répartition. À la fin de cette distribution, Prométhée s’aperçut que l’être humain n’avait rien reçu. L’Homme naquit donc inférieur au reste de la nature. « Il est sans chaussures, il est nu et il n’a pas d’armes pour combattre ». Prométhée va donc aller voler à Héphaïstos et à Athéna le « génie créateur des arts » pour le lui donner. En donnant ce génie aux hommes,

Platon, Protagoras, éditions Les Belles Lettres, Paris, 2002, trad. Alfred Croiset.


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Aristote, Les Parties des Animaux, éditions Les Belles Lettres, Paris, 2002, trad. Pierre Louis. Henri Bergson, L’évolution créatrice (p.140), presses universitaires de France, 2009.

Le rapport productivité / nature

il leur offre une sorte de prothèse pour pallier leur fragilité qui les met à la merci de leur environnement. Ce mythe nous montre que l’Homme de l’Antiquité a conscience d’une différence entre lui et son environnement. Platon appelle cette particularité qui différencie l’Homme du reste du vivant « le génie créateur des arts ». Le terme ‘‘art’’ est ici utilisé dans le sens de la technique de l’artisan qui lui permet de façonner la matière.   Aristote exprime cette même idée d’une manière plus pragmatique. Pour lui, l’Homme n’est pas démuni face à la Nature, puisqu’il possède la main qui lui permet de tenir n’importe quelle arme ou outil et de les fabriquer. Ce génie créateur, dont la main est l’un des outils le plus précieux correspond donc à cette faculté qu’à l’Homme de fabriquer et de créer des moyens de production. C’est sa technicité qui le différencie du reste de la nature. Ce « génie » permet à l’homme d’appréhender son environnement et de se l’approprier.   Plus récemment, Henri Bergson a théorisé ce concept d’un homme créateur par essence. Dans son ouvrage intitulé L’évolution créatrice, il nomme l’être humain « homo-faber ». Il y a là une grande différence avec l’idée d’homo sapiens. L’homo-sapiens signifie l’homme qui pense, qui raisonne et qui par là même est doué de sagesse. Pour Bergson, l’homme ne va pas fabriquer des objets parce qu’il possède une sagesse ou une quelconque capacité à raisonner, mais va au contraire voir ses pensées évoluer en fonction


la question de la technique

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de ce qu’il fabrique. En effet, les avancées techniques font considérablement changer les comportements humains, leurs mœurs, et il est donc intéressant d’observer que cette technique guide directement leur sagesse. En ce sens, l’être humain possède une essence technique à travers laquelle il se réalise.   Si l’on qualifie bien souvent notre société de postindustrielle, c’est justement parce que nous nous sommes aperçu que la pensée du progrès du XIXème siècle avait changé notre sagesse. Notre société se définit donc comme celle qui vient après la révolution industrielle. Cependant, elle tente aujourd’hui de renouer avec son environnement. Cette modification de la pensée est certainement due aux différents accidents, causés par la technique, que la civilisation a subi, mais comme nous l’avons vu précédemment, l’essence technique de l’être humain le pousse continuellement à créer des objets. Malgré son nom, notre société est donc bel et bien restée essentiellement industrielle, ce qui est logique quand on pense qu’il s’agit de celle de l’« homo-faber ».   Les artefacts, produits de cette technicité, dépendent considérablement du regard de l’Homme sur son environnement puisqu’ils sont inévitablement en interaction avec la nature. L’artefact, résultat d’un rapport productivité/nature, rend donc compte de la manière dont l’Homme voit la nature et c’est précisément ce dont nous allons traiter maintenant. Comment l’Homme considère-t-il la nature et de quelle manière l’artefact évolue-t-il en conséquence ?


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Le rapport productivitĂŠ / nature


Une fascination pour la nature

A.

Une La nature

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fascination

pour

1. Une mystification L’Homme évolue au sein de la nature et donc d’une très grande diversité de la faune, de la flore, des paysages, etc. Cette pluralité qui nous environne et nous traverse, nous ne pouvons la voir, ni même la concevoir dans son ensemble. Notre cerveau, même s’il est un organe merveilleusement complexe, est trop limité pour pouvoir saisir cette grandeur. Ce vertige, qui nous envahit parfois lorsque nous contemplons la nature et qui nous pousse bien souvent à la trouver surnaturelle, est causé par cette dimension de notre environnement. D’ailleurs, pendant longtemps, l’Homme a vu la nature d’une manière uniquement mystique.


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Le rapport productivité / nature

Dans l’Antiquité, nous l’avons vu, les philosophes grecs avaient déjà conscience de notre essence technique qui nous donne une force vis-à-vis du reste de la nature : la force de la forger, de l’analyser et de la manipuler. Paradoxalement, ils voyaient dans la nature une puissance supérieure. On peut citer à titre d’exemple un extrait de l’Iliade dans lequel cette mystification de la nature est explicitée. Le récit de la mise en route de la flotte guerrière Grecque pour la guerre menée contre Troie met en scène Agamemnon, chef de cette armée, qui est confronté à Artémis. Cette dernière, par colère, empêche le départ des troupes. Si l’on s’en tient aux faits, que se passe-t-il ? Les vents défavorables empêchent la flotte de prendre le large. Quelle interprétation en font les Grecs ? Ils pensent que les dieux sont en colère. On apprend par la suite qu’Agamemnon a un contentieux avec Artémis, et on interprète donc la non collaboration éolienne comme une vengeance personnelle. Si Artémis en veut à Agamemnon c’est parce qu’elle est déesse de la chasse et qu’un jour, Agamemnon, lui même chasseur, a tué une biche de manière tellement habile qu’on considérera qu’Artémis elle même n’aurait pu le faire. On voit bien, par ce récit, que toute manifestation de la nature est alors vécue comme porteuse de mystère : quand un Homme se montre trop habile à la chasse, on soupçonne que cela puisse vexer les dieux. L’acte de la chasse à l’arc est une prouesse technique, et visiblement, les Hommes de l’époque craignaient que de tels actes,


Une fascination pour la nature

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surpassant la nature, puissent être punis par les Dieux. L’Homme grec est donc soumis à la nature par les Dieux. Il doit avoir un comportement respectueux envers elle et ne surtout pas la défier.   Il a fallu du temps à l’humanité pour ne plus considérer la nature comme mystique, de la même manière qu’un enfant met du temps pour comprendre que ses jouets ne sont pas vivants. Si un enfant pense que les objets sont animés, c’est parce qu’il ne comprend pas la manière dont ils sont conçus, constitués ou fabriqués. Il les assimile donc au reste de la nature qui est vivante. Ce qui est étonnant, c’est qu’en étudiant la nature et donc en la démystifiant, l’être humain, à la manière d’un bambin qui en démontant ses jouets pense immédiatement à en fabriquer un nouveau avec les morceaux, n’a pas cessé d’admirer la nature. Bien au contraire, il a tenté de la reproduire.   En étudiant la nature, l’Homme a donc progressivement arrêté de la considérer comme mystérieuse. Cette rupture fondamentale pour la société humaine a été apportée à la Renaissance par l’étude de la nature en général et plus particulièrement du corps humain. Les artistes sont les premiers à étudier le corps : ils ne le voient plus à l’image de Dieu mais cherchent à en comprendre l’anatomie. L’étude du corps humain par l’anatomiste André Vésale né à Bruxelles est un bon exemple de cette démarche. Il publie en 1555 De Humanis Corporis Fabrica, un ouvrage à la base de la médecine moderne, composé de plus de deux cent planches


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Le rapport productivité / nature

de gravures sur bois illustrant le résultat de dissections opérées sur des cadavres. On pense aujourd’hui que c’est le peintre Tiziano Vecellio qui a réalisé ces dessins d’observation. L’illustre artiste, surnommé Le Titien, est l’un des plus grands portraitistes de la Renaissance. La vision du corps qu’il peint alors repose bien évidement sur une étude approfondie de ce dernier. Le peintre cherche dans ses travaux à reproduire la réalité en l’analysant. Le titre de l’ouvrage de Vésale le montre bien, il s’agit littéralement de l’étude de la constitution du corps humain, on pourrait presque parler de la manière dont il est fabriqué (Fabrica).

2. Le mimétisme Si l’on décortique la nature à cette époque, on ne pense pas pour autant pouvoir la maîtriser. Les artistes tentent seulement de la reproduire, ébahis par sa beauté. Au-delà des progrès dans la représentation du corps, on pense également à l’invention de la perspective qui tente de représenter la vision humaine. L’époque de la Renaissance est aussi marquée par le courant technicien dont on peut citer Konrad Kyeser, Taccola, Filippo Brunelleschi, Jacomo Fontana ou encore Léonard de Vinci. Ce dernier, dans cette même démarche, va tenter de reproduire la nature à travers ses inventions. Si son autogyre ressemble à une graine d’érable et que son avion est équipé d’ailes de chauves-souris,


De Humanis Corporis Fabrica, André Vésale, 1555.


Airbus Megalodon, Luigi Colani, 1977.


Une fascination pour la nature

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ce n’est pas un hasard. De Vinci créait ses objets à la Renaissance comme les designers du bio-design l’ont fait bien plus tard. Il utilisait la forme d’intelligence qu’a la nature pour construire des formes incroyablement équilibrées et élégantes pour concevoir des artefacts.   Au XXème siècle, Luigi Colani a poursuivi cette démarche dans son design et il l’exprime clairement en disant « La Nature sculpte des designs parfaits ». Il prend pour exemple le requin qui possède une « forme stable depuis des millions d’années » pour montrer que la nature possède un répertoire de formes très abouties, testées dans un laboratoire grandeur nature si l’on peut s’exprimer ainsi. À partir des caractéristiques formelles des requins, il a d’ailleurs dessiné bon nombre de moyens de transports. On pense notamment à un projet, datant de 1977, pour Airbus. L’avion de Colani est une adaptation de la forme d’un requin préhistorique, le Megalodon, qui n’a pas évolué pendant plus de 250 millions d’années. La peau de cet animal a une résistance minime aux frottements qui favorise l’écoulement de l’eau et sa forme possède une hydrodynamique quasi parfaite. L’airbus créé sept ans après l’entrée en service du Boeing 747, a été dessiné pour une capacité d’accueil de 1000 personnes. La maquette réalisée a volé et, fidèle à son modèle, le carrossage de l’avion était constitué d’une peau très fine en polyester.

Philippe Pernodet et Bruce Mehly, Luigi Colani (p.59), éditions Dis voir, Paris, 2000.


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Le Bio-design permet ainsi de répondre à des besoins précis en élaborant des objets reprenant des formes organiques adaptées. Un autre cas étonnant parmi tant d’autre est celui du Velcro, que l’on connait bien sous le nom de scratch pour le bruit qu’il produit. Velcro est l’acronyme de velours et de crochet. Il a été inventé par l’ingénieur suisse Georges de Mestral. Il raconte que l’idée du Velcro lui est venue lorsqu’en revenant d’une promenade à la campagne il remarqua qu’il était difficile d’enlever les fleurs de bardane accrochées à son pantalon et à la fourrure de son chien. De Mestral examina alors par curiosité les fleurs de bardane pour comprendre le phénomène. En les regardants de plus près, il constata que les pics de ces fleurs se terminaient par de petits crochets. C’est de cette simple observation qu’il découvrit la possibilité de faire adhérer deux matériaux de façon simple et réversible. Il développa alors rapidement la bande auto-agrippante et breveta son idée en 1951.   De nombreux exemples de mimétisme de la nature par l’Homme pourraient être cités. Cette inspiration, qu’elle soit formelle et/ou technique, est due à une fascination pour la nature. C’est cette admiration qui fait que l’homme essaie de la reproduire. Pour autant, les artefacts ainsi produit ne répondent pas plus que d’autres à des contraintes écologiques. Ce n’est pas parce qu’une forme est empruntée à la nature, que l’objet qui en découle sera plus en harmonie avec elle.


Comparaison d’une fleur de bardane avec une bande Velcro.


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Voir la vidéo des Bouroullec sur http://www. youtube.com/ watch?v= JsmwRbC9NEU

Le rapport productivité / nature

En 2008, la Vegetal Chair de Ronan et Erwan Bouroullec montre bien cette fascination que l’homme a pour la Nature. Le vidéo-clip qu’ils proposent, relatant la phase de dessin et de conception de l’assise, nous montre que le dessin est directement inspiré de la croissance des végétaux. Cependant, ces formes instrumentalisées de la nature, qui semblent en être une évolution, en sont-elles vraiment ? Il semble qu’elles trahissent toutes les règles de l’évolution naturelle, et qu’elles se contentent d’une inspiration formelle, sans aller puiser cet élan vital de la nature qui nous pousse tant à l’admirer. Ce que notre technique envie tant à la nature c’est cette adaptabilité qui la caractérise ; cette capacité qu’elle a de pouvoir muter pour survivre. Mais avant de l’étudier plus en détail, il est indispensable de voir comment le regard de l’Homme sur la nature a évolué, allant plus loin que l’admiration et l’étude de cas particuliers, en tentant de la maîtriser, de la posséder.


Une volonté de maîtriser la nature

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B.

Une volonté de maîtriser la nature 1. La pensée mécaniste La « révolution néolithique », celle de l’agriculture, fut sans doute ‘‘le premier acte technologique’’ de maîtrise de la nature. À partir de ce moment crucial, l’Homme s’est soustrait à l’évolution naturelle, s’appropriant le vivant pour en faire un objet.   Afin d’appréhender son environnement, l’Homme s’est forgé un outil de nature abstraite : la science. La science, en tant qu’objet de manipulation, a considérablement changé notre vision du monde.   En 1637, Descartes écrit son fameux Discours de la méthode, dont le titre complet est Discours de la méthode pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences. Ce titre montre bien la volonté de l’Homme de décortiquer, d’analyser

Jacques Neirynck, Le huitième jour de la création: un mode d’emploi pour la technique, Presses Polytechniques, 2005.


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et de comprendre la nature. Il montre surtout la fin de toute pensée néo-mystique, puisque la recherche de la vérité se fera à présent au travers des sciences. Descartes pose ici les fondements de toutes les sciences modernes. Dans son ouvrage, il veut en finir avec le finalisme. Le finalisme est un paradigme courant auquel notre esprit se réfère plus souvent que nous ne le voudrions. Son principe est simple, il s’agit d’une simplification maximale du rapport de cause à effet. Un exemple concret serait par exemple d’affirmer que si les bébés n’ont pas de dents, c’est pour pouvoir téter ; ce raisonnement est évidemment faux et le constat de l’absence de dent chez les nourrissons ne peut pas être expliqué aussi simplement. La cause est sans doute à chercher dans le développement de l’être humain, depuis l’embryon jusqu’à l’âge adulte. Descartes pose dans son ouvrage les bases réflexives de la physique et de la biologie moderne.   Le paradigme que Descartes met en place au travers de son œuvre est celui de la pensée mécaniste. Ce nouveau regard qu’il théorise sur le monde nous intéresse particulièrement, en tant que designer, puisqu’il compare la nature à une machine. Notre environnement sera, à partir de ce moment là, considéré à la manière d’un artefact. Pour Descartes il n’y a pas de différence entre un objet manufacturé et un phénomène naturel si ce n’est que l’on ne connaît pas toujours les causes en jeu dans la nature.


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Dans la sixième partie de son Discours de la méthode, Descartes pousse son raisonnement plus loin, il décrit l’homme « comme maître et possesseur de la nature ». Descartes entrevoit dans la science une manière pour l’homme de maîtriser la nature afin de pouvoir « profiter de tous ses fruits ». Car en effet, si la nature est une machine, et si nous pouvons la maîtriser, étant donné la richesse dont elle foisonne, nous sommes riches.   Ainsi, Descartes en finit avec le mysticisme et met en place une nouvelle théorie expliquant les fonctionnements de la nature à l’image d’une machine. La pensée mécaniste, manière d’expliquer le monde s’est révélée comme le paradigme dominant au sein de nos sciences. Elle a même pénétré bien plus loin, jusque dans notre manière de vivre, de travailler ou de concevoir nos objets.

2. La révolution industrielle La pensée mécaniste nous amène à la pensée cartésienne moderne, à l’âge de la machine. La ‘‘mécanisation de la vie’’ va être poussée à son extrême avec la révolution industrielle. Il existe bien entendu des machines avant cette révolution, machines dont l’énergie de base reste bien souvent la force humaine ou animale. D’autres machines utilisent des forces


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naturelles faciles à capter, telles que le vent ou l’eau. C’est cependant la machine à vapeur, développée par James Watt à la fin du XVIIIème siècle, qui va bouleverser la civilisation. En effet, grâce à cette nouvelle énergie, les machines peuvent s’implanter partout et surtout à la périphérie des villes ou la main d’œuvre ne manque pas. Avec une rapidité impressionnante, les découvertes techniques vont alors s’enchaîner et permettre à la toute jeune industrie de se développer. Très rapidement, les cadences vont augmenter. Les usines vont alors chercher à augmenter toujours plus leur rendement.   Un peu plus d’un siècle plus tard, apparaît le Fordisme. Cette méthode de fabrication, apparue en 1908, va dominer les économies de la plupart des pays au XXème siècle. Elle porte le nom d’Henry Ford qui est le premier à mettre au point un système de chaîne de montage pour son modèle T. Ce système a été mis en place dans le but de diffuser largement sa voiture à bas prix. Cela va révolutionner non seulement la façon dont les produits seront conçus et agencés mais surtout la structure du processus de travail.   En ce qui concerne l’évolution de la conception des produits, il est surtout question de standardisation. En accroissant considérablement la productivité, le système d’organisation de la fabrication va devenir scientifique, mesuré logiquement, et dominé par la raison. Toute cette révolution va supposer une organisation et une synchronisation sophistiquées


Image extraite du film Les Temps Modernes, Charlie Chaplin, 1936.


Image extraite du clip Amorous Androids, Chris Cunningham, 2000, créé pour la chanson All is full of love de Björk.


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rendus possibles par une conception de pièces détachées standardisées. Cette standardisation va conduire à la pensée fonctionnelle, « la forme suit la fonction » comme le dira Louis Sullivan au début du XXème siècle. Toute l’histoire du design d’objets repose sur cette standardisation et cette révolution industrielle mécanisant la société. Pourtant, Dès la fin du XIXème siècle, certains théoriciens n’acceptant pas cette attitude, tels John Ruskin ou William Morris, vont créer des mouvements visant à réhabiliter l’artisanat, considérant que lui seul est capable d’assurer l’épanouissement du producteur.   La conception des objets a considérablement été modifiée par la révolution industrielle, mais il y a plus grave. Le changement concernant le travail et donc les travailleurs à modifié l’Homme lui-même. Tout ce glissement de l’artisanat à l’industrie, a fait assimiler l’être humain à une machine. On pense bien sûr à Charlie Chaplin dans Les Temps modernes, qui nous dépeint avec humour la vie d’un travailleur d’usine ravagée par la répétition continuelle du même geste. Il est évident que le système industriel visait à réduire les gestes et déplacements inutiles des travailleurs et à augmenter les profits et donc le niveau de vie des ouvriers, mais il serait hypocrite de nier le fait que cette mutation de la société s’est faite au détriment d’une aliénation de l’Homme à la machine. Comme Jacques Ellul l’écrit, « Il est absolument superficiel de dire : il y a d’un côté l’homme, chevalier sans peur


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Jacques Ellul, Exégèse des nouveaux lieux communs (p.226), éditions La Table ronde, Paris, 1994.

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et sans reproche, indépendant, autonome et souverain, de l’autre la machine, objet, aussi objet qu’un bâton… C’est un homme vivant dans cette société (construite en fonction de la machine) et modifié lui-même par la machine qui utilise la machine. Mais comment pourrait-il prétendre la maîtriser et l’obliger à suivre ses propres voies, alors qu’avant même d’avoir pris conscience du problème, il est déjà transformé, adapté à la machine, et structuré par elle? Si la machine reste un outil entre les mains de l’homme, c’est d’un homme conditionné par cet outil qu’il s’agit. » L’Homme ne sera plus jamais le même. Ces découvertes vont profondément modifier son rapport à la nature.   La société industrielle va d’ailleurs amener une évolution des mœurs : la consommation de masse. Cette dernière place l’objet au sein d’un cycle continu de fabrication, consommation, dégradation. Ce cycle continu possède pourtant une discontinuité importante. Hormis le fait qu’il soit redondant, il ne marche qu’à sens unique : les objets dégradés restent là, dans une attente nocive à notre environnement. La notion de l’œuvre, au sens de fabrication des mains de l’Homme, dont parle Hannah Arendt paraît intéressante pour démontrer une double erreur dans la logique du produit industriel de masse. Dans la Condition de L’homme moderne, elle montre que l’œuvre, malgré son usage, est supposée durable. Cette durabilité apporte de la stabilité à l’Homme. Cette œuvre dont parle la philosophe est une œuvre en marge de la nature puisque figée dans le temps.


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Si l’objet ne sert pas la nature, il sert au moins l’Homme. L’œuvre, produite par une société industrielle dans une logique de consommation, perd son rôle de repère pour l’être humain en ce qu’elle n’est plus durable. Pour autant, cette non durabilité ne se rapproche pas d’une nature adaptative, puisqu’elle termine sa vie comme détritus.   J’ouvre ici une parenthèse que nous serons amenés à développer par la suite. Nous considérons aujourd’hui que la nature fonctionne comme une machine, c’est un fait. La science nous a appris énormément sur la nature même si nous sommes encore loin de la comprendre dans son intégralité. Une théorie inverse (ce qui ne veut pas dire en opposition) qui amènerait à considérer la machine à la manière d’une œuvre de la nature remettrait considérablement en question la notion d’artefact. Ce questionnement est, il me semble, fondamental pour le designer aujourd’hui, compte tenu des évolutions de notre société.   Toutes ces modifications de la société basées sur la pensée mécaniste, comme unique explication du vivant, sont en réalité dues à un problème plus profond. Cette idéologie, qui a conduit aux pires aberrations, est en réalité la cause du point de vue adopté au départ par la science moderne.


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3. Le problème de l’anthropocentrisme Martin Heidegger, « La question de la technique » (p.35), Essais et Conférences, éditions Gallimard, Paris, 1988, trad. André Préau.

Aujourd’hui, poussée à son paroxysme, on entrevoit les limites de la pensée mécaniste. Ce n’est pas que l’Homme n’a pas réussi à maîtriser la nature, mais qu’il commence à comprendre qu’il ne peut la maîtriser entièrement. Tout ne gravite pas autour de l’Homme. Ce dernier n’est qu’un maillon d’une grande chaîne et il a beau pouvoir modifier la courbe de cette chaine, chaque maillon a son influence. La pensée mécaniste analyse la nature comme une conception humaine ; elle se concentre uniquement sur la vision de l’homme en non pas sur une vue globale du vivant.   Heidegger parle de « pro-vocation » de la nature par l’Homme. Provocation dans le sens agressif du terme, mais aussi dans un sens étymologiquement plus fin : pro signifie ‘‘donner’’ une vocation par la force. En maîtrisant la nature nous lui donnons des vocations qu’elle n’a pas par essence et nous la dénaturons donc d’une certaine manière. Car la vocation pourrait être définie comme l’essence même d’une chose, ce qui fait qu’elle est ce qu’elle est. Le philosophe illustre cette idée entre autre en parlant d’une centrale hydroélectrique. « La centrale électrique est mise en place dans le Rhin. Elle le somme (stellt) de livrer sa pression hydraulique, qui somme à son tour les turbines de tourner. Ce mouvement fait tourner la machine dont le mécanisme produit le courant électrique, pour lequel la centrale régionale et son réseau sont commis aux fins de transmission.


Une volonté de maîtriser la nature

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Dans le domaine de ces conséquences s’enchaînant l’une l’autre à partir de la mise en place de l’énergie électrique, le fleuve du Rhin apparaît, lui aussi, comme quelque chose de commis. La centrale n’est pas construite dans le courant du Rhin comme le vieux pont de bois qui depuis des siècles unit une rive à l’autre. C’est bien plutôt le fleuve qui est muré dans la centrale. Ce qu’il est aujourd’hui comme fleuve, à savoir fournisseur de pression hydraulique, il l’est de par l’essence de la centrale. »   Ce qu’exprime ce texte, à travers un vocabulaire particulier, c’est la réduction systématique que la technique humaine impose à la nature. Cet « arraisonnement » de la nature est précisément dû à l’anthropocentrisme. Arraisonner signifie littéralement prendre possession d’un navire. Ce terme utilisé pour traduire la pensée d’Heidegger sur le rapport qu’entretient l’Homme avec la nature par le biais de l’artefact est intéressant car il renvoie étymologiquement à la notion de raison, raison scientifique apportée par la pensée mécaniste. Pensée qui a donné le cartésianisme qui place précisément l’Homme au centre. On peut se dire, qu’après tout, le Rhin reste un fleuve inscrit dans le paysage et dans une géographie. Mais s’il le reste, c’est parce que nous l’utilisons, ce fleuve est perçu par l’homme non plus en tant que fleuve mais en tant que moyen de produire une énergie, de transporter des marchandises, etc. On voit ici que l’artefact possède une réelle influence sur le vivant, ne serait-ce que parce qu’il en modifie notre vision.


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Le rapport productivité / nature

Le contexte actuel de récession imposé par des modes de conception, de production et de consommation visiblement inadaptés à notre environnement pose ainsi un certain nombre de questions. Il est peut être bien venu d’essayer de voir ce que la nature peut nous apprendre en terme de développement (durable) d’une entité et de morphogénèse afin de voir comment le designer pourrait générer de la forme non d’une manière anthropocentrée mais selon des processus plus évolutifs, selon une loi venant non de l’Homme mais de la nature. Car après tout, c’est bien l’Homme qui est dans la nature, in situ, et pas l’inverse; il faudrait donc essayer de ne plus regarder la nature uniquement au travers d’enjeux spécifiques à l’être humain mais essayer d’adopter un positionnement plus systémique, si tant est que cela soit possible. L’Homme possède donc une essence technique qui le pousse à créer des artefacts. Ses artefacts sont bien souvent les témoins du rapport qu’il entretient avec son environnement. Ils rendent parfois hommage à une nature mystique soit par une contemplation soit par une observation de la forme d’intelligence qu’elle possède à répondre à des problèmes techniques. A d’autres moments, ils reflètent une volonté de maîtrise sur notre environnement provoqué par une vision anthropocentrée. Dans tous ces cas, l’activité de l’être humain dans la nature, in situ, possède une influence sur cette dernière.


Une volonté de maîtriser la nature

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L’Homme fabrique des artefacts, et il interagit par ce biais sur son environnement. Comment faire alors pour que sa production ne lutte plus contre la nature ? De nos jours, les designers sont précisément là pour guider l’homo-faber, de manière à effectuer des choix pertinents au regard de la technique et de l’environnement. Il est donc de leur rôle de réfléchir aux rapprochements possibles entre la nature et les artefacts.



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II. des automatismes [in]contr么l茅s

Le disfonctionnement de la machine


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A. LE DISFONCTIONNEMENT DE LA MACHINE

1. Un retour aux sources nécessaire Un nombre croissant d’expérimentations tendent à rendre l’objet vivant. Il existe des raisons essentiellement philosophiques à cette mouvance. Cette réflexion n’est pas nouvelle : Andréa Branzi, au travers de ses travaux, parlait déjà de « réconciliation » entre l’objet et la nature. Maurice Merleau-Ponty quant à lui, parle d’une « historicité primordiale » dans laquelle doit se replacer la technique humaine. « Il faut que la pensée de la science (pensée de survol, pensée de l’objet en général) se replace dans un ‘‘il y a’’ préalable, dans le site, sur le sol du monde sensible ». La réflexion de MerleauPonty dans L’Œil et l’esprit est intéressante pour le designer car elle met en évidence des manques dans la raison scientifique que le peintre n’a pas selon lui.

Maurice Merleau-Ponty, L’œil et l’esprit (p.56), éditions Gallimard, 1964.


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Ibid., p. 9-10.

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Or le travail du designer se situe précisément à mi chemin entre la technique, la science, et l’expressivité, l’art du peintre. Le discours de Merleau-Ponty se nourrit particulièrement de ce qui vient après Descartes, les « deux monstres » qu’il a engendrés, à savoir la science et la philosophie moderne.   Nous avons déjà observé certaines limites du paradigme qu’a instauré Descartes, mais il y en a d’autres. D’après le philosophe, la science moderne se dispense du « détour par la métaphysique » (Descartes y est tout de même passé) et « part de ce qui fut son point d’arrivée ». Elle évite ce qui fait problème, le composé d’âme et de corps et, par-là, évacue à la fois l’âme et Dieu. En supprimant la divinité, c’est « le sentiment de l’opacité du Monde » qu’elle fait disparaître. Le sujet devient un corps mécanique et la pensée une technique ; « penser, c’est essayer, opérer, transformer, sous la seule réserve d’un contrôle expérimental où n’interviennent que des phénomènes hautement «travaillés» » Autrefois, Dieu garantissait l’adéquation des modèles ou des lois à la nature. En supprimant Dieu comme fondement de nos sciences, ces modèles apparaissent définitivement comme des constructions de l’homme. Le problème n’est pas tant que l’homme produise des constructions, mais plutôt le fait qu’il n’en saisisse pas la portée. Il croit toucher la nature en soi avec ses instruments, alors qu’il découvre une nature qu’il a lui-même produite. Le savant s’ignore lui-même derrière sa science. C’est ce qui rend ses constructions


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si abstraites et qu’il en vient à se concevoir lui-même comme une machine, avec tous les dangers que ce type de réflexion comporte. Pour retrouver son sens, la science doit se voir « comme une construction sur la base d’un monde brut ou existant ». Cela implique que le savant se retrouve comme corps propre, qu’il prenne conscience de son appartenance au monde qu’il étudie. Merleau-Ponty ajoute que « dans cette historicité primordiale, la pensée allègre et improvisatrice de la science apprendra à s’appesantir sur les choses mêmes et sur soi-même, et redeviendra philosophie... » Cette philosophie dont Merleau-Ponty parle est celle qui n’admet plus de séparation entre l’âme et le corps, parce qu’elle n’a pas de sens. Elle est précisément celle du peintre qui fait de son corps le prolongement de son âme. Merleau-Ponty ira même jusqu’à dire que «le peintre est le seul à avoir droit de regard sur toutes choses sans aucun devoir d’appréciation ». C’est dans ce regard qui engendre le geste qu’on retrouve la philosophie véritable dont parle l’auteur.   Le designer, en tant qu’être vivant dans le monde, in situ, doit aujourd’hui penser, lui aussi, la technique dans cette « historicité primordiale ». Les objets créés par l’Homme dans ce monde, ne peuvent plus ignorer l’histoire de la nature. Ils doivent se replacer dans ce ‘‘il y a’’, dans cette évolution de la vie.

Ibid., p. 13. Ibid., p. 60. Ibid., p. 14.


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2. La variation comme constante Aristote, Physique (livre 2, chapitre 1), éditions Vrin, Paris, 1972.

S’il est certain qu’il est difficile pour l’être humain de prendre du recul quant à son influence sur la nature, il est intéressant de voir comment la machine retrouve naturellement une part de variation. La nature viendrait elle alors reprendre ses droits ?   Tout dans notre environnement évolue depuis l’arbre qui pousse jusqu’aux modifications du climat dues aux excès industriels. En réalité, n’évolue que ce qui est naturel, et c’est précisément ce dont parle Aristote : « Parmi les êtres, en effet, les uns sont par nature, les autres par d’autres causes. […] Chaque être naturel en effet a en soi-même un principe de mouvement et de fixité, les uns quant au lieu, les autres quant à l’accroissement, d’autres quant à l’altération. Au contraire un lit, un manteau et tout autre objet de ce genre, en tant que chacun a droit à ce nom, c’est-à-dire dans la mesure où il est un produit de l’art, ne possèdent aucune tendance naturelle au changement, mais seulement en tant qu’ils ont cet accident d’être en pierre ou en bois ou en quelque mixte, et sous ce rapport ; car la nature est un principe et une cause de mouvement et de repos pour la chose en laquelle elle réside immédiatement, par essence et non par accident. » À partir de l’observation d’une différence entre les êtres, être au sens de ce qui est, Aristote explicite sa thèse, selon laquelle il y a dans chaque être un principe de mouvement ou de fixité, de repos.


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Le mouvement n’est pas le repos, c’est la réalisation d’une forme, une tension vers l’acte par ce qui cherche à s’achever sans encore être achevé. Le mouvement va donc concerner la nature. Le repos, au contraire, c’est la disparition du mouvement dans l’acte parfaitement achevé. Aristote fait ici référence aux objets.   Il y a donc pour Aristote, d’une part, la nature qui est un acte en tant que mouvement : elle possède un principe de changement. Ce principe de changement est caractérisé par deux aspects. L’aspect formel, l’acte en train de se réaliser, et l’aspect matériel, qu’il appelle « puissance », la potentialité offerte à l’esprit humain de la mettre en forme, potentialité inhérente à la matière, comme si cette dernière appelait l’être humain à la travailler. Si l’on prend pour exemple, le bois comme matière, impossible de ne pas voir dans le bois son aptitude à être travaillé par l’artisan, à recevoir une forme (c’est son aspect matériel, la « puissance »). Pour autant, l’aspect formel du bois est indéterminable par avance. C’est le développement de l’être vivant ‘‘arbre’’ qui va lui donner ses caractéristiques ; le bois est donc constamment en mouvement.   D’autre part, Aristote parle des êtres produits par une cause non naturelle. L’objet par exemple ne reçoit son statut que de l’art qui le produit, et donc de la volonté de l’homme. L’art est à prendre ici au sens de la technique maniée par un artisan. Pour de tels objets le principe de changement n’est pas inscrit en eux comme dans le vivant,


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même si les matériaux avec lesquels ils sont fabriqués gardent un principe de changement. En effet, ils n’ont rien en eux qui dise qu’ils doivent être.   Pour finir, Aristote reformule sa thèse comme une conclusion à tirer de ce qui précède : la nature est un principe. Le philosophe fait bien la distinction : les objets artificiels reçoivent d’autrui leur forme et donc leur existence et restent ce qu’ils sont avant qu’ils ne se dégradent ; alors que ceux qui existent par nature reçoivent d’eux même ce qu’ils ont à devenir, un principe de mouvement et de changement. Cette idée de contenu informant le vivant sur ce qu’il doit être, fait de nos jours penser à l’ADN. Aristote montre ici qu’il considère les œuvres humaines comme inférieures aux œuvres de la Nature parce qu’elles sont figées, qu’elles n’ont pas de but en elle-même qui les fasse évoluer. Les artefacts ne possèdent pas ce principe de mouvement qui caractérise la nature.   Finalement, si nos artefacts ne possèdent pas en eux ce principe de mouvement, c’est parce que nous les fabriquons et que nous en maîtrisons le développement du début à la fin. Les objets ne sont pas pensés en tant qu’entités mais en tant qu’artefacts. L’artefact désigne justement un produit modifié par l’Homme et non un produit de la nature. Il arrive pourtant que les machines finissent par générer des variations dans leur production d’une manière assez similaire à la nature.


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3. L’unique dans la série La machine tire son nom du latin machina qui signifie astuce, invention ingénieuse, dispositif. Dans un contexte industriel, elle est un produit fini mécanique capable d’utiliser une source d’énergie pour effectuer par elle-même, sous la conduite ou non d’un opérateur, une ou plusieurs tâches spécifiques, en exerçant un travail mécanique sur un outil. Elle a la charge de déplacer ou de façonner la matière. Du fait de son usage répétitif, la machine se dérègle progressivement. Elle possède donc une tendance naturelle à la variation.   Il existe des phénomènes naturels qui dans des cas de répétitions produisent de la variation. Henri Atlan, qui a étudié les principes « d’auto-organisation » théorise un processus qu’il appelle « la complexité par le bruit ». Cette complexité par le bruit tire son nom du bruit qui peut exister dans une voie de communication. Dans tout transfert d’information, il y a des erreurs qui interviennent. On peut considérer ces erreurs de transmission comme une perte. Mais si l’on considère l’information erronée comme un nouveau type d’information inconnue jusqu’alors, il s’opère en réalité un gain en complexité. Plus l’information de départ est redondante, plus il y a de chance d’avoir du bruit et donc d’obtenir de nouvelles informations.   Une notion importante se dessine ici, celle de l’aléatoire, ou du chaos, et de ce qu’il peut générer en terme d’organisation. Atlan nous cite trois cas

Henri Atlan, La fin du tout génétique (p.25), INRA, Paris, 1999.


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Ibid., p. 28.

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où ce principe de « complexité par le bruit » fonctionne et joue un rôle dans le vivant : d’abord dans la théorie classique de l’évolution, « puisque les mutations, qui sont précisément des erreurs de réplication des ADN, sont considérées comme la source de l’augmentation progressive de la diversité et de la complexité des êtres vivants ». D’autre part, dans le système immunitaire, où ce bruit permet une « extraordinaire diversité » nécessaire à la survie. Et enfin, dans des processus où ce « bruit développemental contribue à créer de la diversité et de la spécificité en diminuant une redondance initiale ». Atlan parle ici plus évasivement du développement d’un individu qui se complexifie durant sa croissance.   Grâce à des principes d’auto-organisation, il est donc envisageable que l’information génétique, information guidant un développement, puisse évoluer et même se complexifier. Ce principe s’applique donc à des systèmes redondants et permet de les améliorer ‘‘naturellement’’ en créant de la diversité et de la spécificité. La redondance résonne avec la notion de série et il semble intéressant d’observer comment la reproduction (ou la production) en série peut créer de la diversité. Si l’on regarde nos modes de production actuels, toute variation ou erreur dans un produit fini est automatiquement considérée comme défaut et donc rejetée. Cette vision s’oppose aux phénomènes biologiques ou physiques qui prouvent que ces aléas, ces bruits inhérents à toute reproduction peuvent être porteurs


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de diversité et de spécificité. Il y a là une interrogation primordiale pour tout le champ des arts appliqués. De nombreux designers l’ont déjà expérimentée en questionnant les outils de la fabrication en série par exemple.   On peut notamment penser à Gaetano Pesce et ses séries aléatoires. Il a inventé le concept de série différenciée, notamment en réaction à une production trop homogène et trop normative. En 1972, il réalise la première chaise « similaire » c’est-à-dire ‘‘pas tout à fait la même’’. La série Gold est une « série différenciée ». Sa démarche de designer repose sur la qualité de la différence et sur un refus de l’uniformisation : c’est un « droit des objets » nous dit-il. Il conçoit ainsi des matériaux à humeur et introduit le hasard dans la production sérielle. « On ne vit plus dans une époque des copies, on vit dans une époque des originaux. » En 1983, à New York, il crée la chaise Pratt en résine polyuréthanne injectée par un processus modifiable. Des résines de différentes couleurs sont injectées dans un ordre aléatoire et on peut arrêter l’injection quand on le souhaite. Chaque chaise, pourtant produite dans un même moule, est ainsi unique. Gaetano Pesce propose des solutions pour maîtriser les aléas de la machine en en faisant un principe. Il accepte ainsi dans ses travaux la variabilité naturelle qui fait que rien n’est unique et que tout change. Il rompt par cette démarche avec la logique de standardisation provoquée par l’industrialisation.

Éric Tortochot, Design(s), de la conception à la création (p.166), éditions Bréal, Rosny-sous-Bois, 2004.


Chaise Pratt, Gaetano Pesce, 1983.


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Ceci étant, en prolongeant la métaphore de la production en série avec des principes d’auto-organisation, on s’aperçoit que la complexité par le bruit n’intervient pas que dans la phase de ‘‘finalisation’’, si l’on peut dire, ou de production, mais bien dans la phase de ‘‘développement’’, contrairement au travail de Gaetano Pesce. Le designer peut-il imaginer des processus de création prenant en compte ce phénomène de complexité par le bruit dans une phase d’esquisse? Peut-il créer une série d’objets qui n’ait pas une forme définie et maîtrisée, mais qui possède des caractéristiques libres d’évoluer et de muter avant même que l’objet ne soit réalisé ? De ce fait, si le designer perd le contrôle de l’évolution qui va de l’idée à l’objet, il faut nécessairement qu’un phénomène automatisé la prenne en charge.


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B. La machine reprogrammée 1. L’automatique dans la création Automatique est un terme intéressant car il renvoie à la notion de répétition, de gestes sériels et mécaniques. Mais, il est également le nom donné à l’étude des systèmes dynamiques. Les systèmes dynamiques évoluent, comme leur nom l’indique. Ces systèmes dépendent d’un certain nombre de contraintes extérieures qui ne sont pas forcément maîtrisables. Les principes d’automatisme ont passionné les artistes du XXème siècle car ils interrogent le rapport entre la maîtrise et le hasard qui est un questionnement récurent pour le créatif. En effet, difficile d’évaluer dans un dessin la part de maîtrise et la part de laisser aller de la main qui laisse l’outil glisser sur la feuille. Ces interrogations se sont retrouvées dans bons nombre de champs de la création.


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Définition du dictionnaire du CNRS. http:// www.cnrtl.fr/ definition/ programme

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On pense bien sûr au mouvement surréaliste et à l’écriture automatique qui met précisément en exergue la poésie générée par des pulsions de l’écrivain, volontairement incontrôlées. Ainsi emporté par le jeu, il laisse son esprit vagabonder et composer avec le moins de maîtrise possible des vers porteurs de messages quasi-subliminaux.   Vera Molnar s’interroge elle aussi sur cette part de maîtrise et de hasard dans ses créations computationnelles. Dans toutes ses œuvres, l’artiste établit un protocole strict. Ce protocole réunit la plupart du temps, un programme informatique, un ordinateur et une imprimante. Le programme informatique est le support que l’artiste utilise pour fixer les règles qui vont servir à élaborer son œuvre. Le terme de programme est intéressant car tous les artistes suivent un programme artistique lorsqu’ils ont une œuvre en tête. Ce ‘‘programme’’ est une sorte de stratégie qui aide à déterminer la visée de l’œuvre, depuis l’idée initiale jusqu’à la réalisation. Il est « l’ensemble des conditions à remplir, des contraintes à respecter dans l’exécution d’une œuvre ». Il en est de même avec le programme informatique que Vera Molnár codifie. Il est le concept même de l’œuvre exprimé informatiquement comprenant une idée de départ ainsi que des moyens d’élaboration précis du futur résultat.   L’ordinateur sert ici l’artiste comme complément, comme prothèse lui permettant d’aller peut être plus loin que ce qu’elle aurait pu faire seule.


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Il joue un rôle central dans le processus de création puisque l’artiste lui soumet l’interprétation du programme. Vera Molnár lui délègue en quelque sorte l’interprétation de ses concepts. L’imprimante quant à elle sert d’une manière générale de bras à l’ordinateur, c’est elle qui va exécuter l’œuvre, la matérialiser.   Cependant, ces dernières années, l’artiste à plusieurs fois fait exécuter certaines de ses œuvres à la main. On peut prendre pour exemple la collection du FRAC Lorraine. Si une personne ‘‘lambda’’ peut les réaliser, et ce sur divers supports, c’est que les œuvres de Vera Molnár n’ont pas de matérialité propre. Comme pour de nombreux artistes l’œuvre est donc avant tout un concept. Il est certain que l’informatique, de par sa nature même, se prête à la création d’images qui n’ont pas de matérialité propre, qui ne dépendent donc plus d’un support. L’image informatique a perdu ce qui faisait autrefois sa chair : ses pigments, son grain, son épaisseur sont dématérialisés. L’image est devenue fantôme. En revanche, si certaines caractéristiques de l’image ont disparues, la composition des images elle se trouve facilitée par l’automatisme de l’ordinateur.   L’ordinateur dématérialise donc d’une certaine manière l’œuvre puisqu’il ne participe pas de sa réalisation physique. Cependant il contribue largement à l’élaboration de cette dernière. Il ouvre la voie d’un intermédiaire entre le concept et la réalisation, une étape supplémentaire permettant des applications plus diversifiés d’une même idée


Algorithme, fil noir, clous, Vera Molnár, 2009, d’après Promenade (presque) aléatoire, Vera Molnár, 1999.


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tout en laissant totalement ouverte la question du médium. L’informatique concrétise des concepts sans les matérialiser.   Ses exemples de créations, générées de manière automatique, montrent clairement que malgré les formes aléatoires qu’ils peuvent revêtir, la maîtrise est toujours là. Laisser une part de liberté à la machine ne suffit donc pas à donner à l’œuvre un principe de variation similaire à celui de la nature même si l’aspect formel inattendu peut s’y apparenter. Que la machine soit prévue pour donner des résultats variants comme dans le cas de Gaetano Pesce ou qu’elle génère une part de hasard ne délivre pas l’œuvre du pouvoir de son créateur. Mais l’œuvre doit elle être autonome au point de posséder sa propre volonté ? Il y a là une question récurrente à laquelle s’attache l’art conceptuel. Que doit-il rester d’une œuvre si ce n’est son essence ? Immatérielle, elle renvoie immédiatement au concept. Sans rentrer dans un débat sur la nature de l’art, il existe bien des raisons qui poussent certains artistes à libérer l’œuvre de son créateur, de son maître et donc de toute maîtrise. Cette non maîtrise de la part de l’artiste, lui permet en réalité d’expérimenter plus de solutions, dont certaines auxquelles il n’aurait pas lui-même pensé.


Hyper Transformation, Vera Molnรกr, 1975-1976.


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2. L’ordinateur, la machine des possibles Dans Hyper-Transformation, Vera Molnár commence par dessiner sur l’ordinateur un ensemble de carrés concentriques dont les côtés diminuent régulièrement. Leur nombre est fixé arbitrairement. Il apparaît ainsi un réseau de carrés plus ou moins denses, en fonction de la grandeur de la trame, parfaitement redondants.   Afin d’animer (littéralement de donner vie à) cette surface et de créer « un état esthétique », l’artiste va faire varier un ou plusieurs paramètres afin de rompre la « monotonie » de départ. L’utilisation de l’ordinateur pour cette tâche va permettre une évolution lente du visuel proposant ainsi un panel de variations ou de mutations de cette œuvre. Cette méthode peut finalement s’apparenter à celle de tous les peintres de l’histoire : esquisser, raturer, gratter, recommencer, recouvrir partiellement, modifier, sont des opérations qui visent à se rapprocher de l’image que le peintre avait imaginé ou rêvé au départ. L’ordinateur ne révolutionne donc pas le travail de l’artiste, mais va cependant lui permettre de découvrir des possibilités impensées. Vera Molnár évoque ainsi 27 600 variations possibles avec le programme créée pour Hyper-Transformation. Rares sont les artistes à pouvoir dire qu’ils ont fait ne serait-ce que 20 000 esquisses préalables à la réalisation d’un tableau.

Florence de Mèredieu, Art et Nouvelles Technologies, éditions Larousse, Paris, 2005.


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Cette richesse que l’artiste puise dans l’informatique lui permet de faire évoluer son travail différemment de ce qu’elle aurait pu l’envisager au départ. La démarche de l’artiste chevauche alors celle du scientifique.   Tout ce protocole pourrait d’ailleurs être apparenté à la démarche expérimentale d’un scientifique. En effet, Vera Molnár crée un point de départ à son expérience, une sorte de ‘‘solution’’ stable qu’elle va faire réagir avec un ‘‘corps’’ extérieur afin de pouvoir observer un ou plusieurs résultats.   Grâce à son programme, Vera Molnár injecte un certain pourcentage de maladresses et d’irrégularités dans le dessin pour recréer de ‘‘l’humain’’ artificiellement. Par exemple, si l’on dessine à la main des carrés concentriques, il apparaît évident qu’ils ne seront pas rigoureusement concentriques mais chaque fois plus ou moins décalés. Cette part de hasard que laisse la main, et qui fait toute la sensibilité d’un dessin, peut être formalisée et générée artificiellement. L’artiste intègre donc à son programme la possibilité au carré de se décentrer aléatoirement dans un intervalle plus ou moins grand, ce qui se traduira par des modifications allant de l’imperceptible au plus chaotique.   Pourtant, la part de hasard est finalement assez faible, étant donné que c’est l’artiste qui crée le programme et qui décide donc de la part de liberté laissée à l’ordinateur. L’art computationnel est donc rarement une production laissée au hasard mais bel et bien un geste maîtrisé du créatif. Vera Molnár a d’ailleurs appelé


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symboliquement une de ses compositions 1% de hasard comme pour rappeler que la démarche est à 99% calculée et soignée par l’artiste.   Cependant, il suffit bien souvent de peu de hasard pour donner une impression d’aléa. Récemment exposée au FRAC Lorraine, Algorithme, fil noir, clou reprend une composition antérieure du nom connoté de Promenade (presque) aléatoire. Il s’agit d’un trait qui semble errer sans direction précise tant son cheminement est sinueux et entrecoupé. Or le titre de Promenade (presque) aléatoire vient, ici aussi, souligner le fait que l’aléatoire ne l’est pas vraiment : le ‘‘presque’’ se retrouve entre parenthèses, comme un aveu à peine murmuré. Il s’agit en fait d’un algorithme mathématique. La fonction mathématique ne laisse ici rien au hasard et se trouve être parfaitement respectée dans l’exécution des deux œuvres. Vera Molnár est bien souvent partagée entre deux amours opposés qui, pourtant, flirtent bien souvent dans ses œuvres. D’une part la rigueur mathématique et d’autre part la forme ‘‘hasardeuse’’, deux entités qui ne semblent rien partager et qui pourtant se génèrent l’une l’autre. C’est ce glissement qui s’opère entre la rigueur et le hasard, entre l’attendu et l’inattendu qui vient créer l’émotion dans des œuvres pourtant créées de manière « antimétaphysique », comme se plaît à le dire l’artiste.   L’allègement, dans les dernières décennies, de dispositifs techniques autrefois très lourds et l’arrivée d’ordinateurs domestiques ont ainsi joué un rôle conséquent dans le monde de l’art. Les ordinateurs secondent

http://collection. fraclorraine.org/ parcour/showtext/ 1?wid=422&lang=fr


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et anticipent désormais le travail humain. La puissance de calcul des machines permet une transformation et même une auto-transformation accélérée du monde des images. Pourrait-on transposer ces principes dans l’univers de la création des objets ? La question de la matérialité de l’œuvre prend ici de l’importance. En effet, un objet ne peut être détaché de tout support, sa dématérialisation l’oblige à rester cantonné au monde du virtuel. Cependant, des imprimantes 3D permettent aujourd’hui la fabrication d’objets viables. Les programmes informatiques peuvent-ils prendre en compte les caractéristiques d’un matériau au même titre que les règles de composition d’une image ? Des objets virtuels peuvent-ils avoir un avenir matériel ?

3. Le fantasme de l’intelligence artificielle Le fantasme de l’automate, machine douée d’intelligence, commence peu après Descartes. Si la nature est une machine et que l’homme fabrique des machines, pourquoi ne fabriquerait-il pas de la nature ? Comme tout fantasme, il comporte des désirs et des craintes, le désir de devenir Dieu en créant une nouvelle nature et la crainte d’être dépassé par notre création.   R&Sie(n) est une agence d’architecture parisienne qui propose des scénarii entre réalité et fiction. Dans I’ve heard about, R&Sie(n) propose la vision


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d’une architecture imaginaire. « Ce n’est pas l’espoir d’un monde meilleur qui anime le projet » dixit François Roche. Il n’est donc pas question ici de futurisme, ni de science-fiction, encore moins de fantastique. Ce projet suggère un monde différent, simultané de notre présent, un peu à la manière de Thomas More avec Utopia, et c’est ce qui fait sa finesse. Cette structure architecturale pensée ou rêvée par le collectif est une architecture complexe qui réinterroge la notion même de société. Il s’agit d’une réflexion sur la vie politique, sociale, écologique, biologique et topologique d’une cité. Au travers de cette réflexion, l’agence utilise la machine comme une entité capable de matérialiser les désirs de chacun, à la manière d’une pensée collective agissante.   Le Viab (abrégé de variabilité et de viabilité) est une machine spéculative. Elle est une pensée abstraite qui n’a pas pour objet la pratique, ou en tout cas pas pour but premier. Cette machine a été élaborée entre autres par F. Roche, A. Midal et B. Durandin. Elle est la base de la structure I’ve heard about : c’est elle qui est supposée en assurer le développement, la fabrication et l’entretien. Pour ce qui est de sa réalité, elle a été étudiée pour pouvoir se déplacer dans l’architecture à la manière d’un serpent robotique et pour pouvoir couler de la matière par strate sans coffrage. Mais le plus intéressant concernant l’utilisation de cette machine n’est bien évidement pas sa technologie (le projet reste fictif), mais bien ce qui la commande…

Architectures expérimentales, collection du Frac centre, éditions HYX, 2003.


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http:// www.newterritories.com/ I’veheardabout .html

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D’après F. Roche le Viab est « directement piloté par la schizophrénie, la paranoïa et le désir des habitants de la structure urbaine ». En effet le principe de I’ve heard about est de se développer en fonction des requêtes des habitants ainsi que d’informations recueillies via des récepteurs chimiques ingérés par ces derniers. Le Viab qui est responsable de l’édification de la structure urbaine voit donc son travail guidé par ces informations collectives.   La machine de R&Sie n’est donc pas une ode au cybernétisme, pas plus qu’un retour à la machine des années 60 (celle-ci devait prendre le pouvoir). Elle perd ici son « deus ex machina », son omnipotence. Pour autant, le fantasme de l’intelligence n’est pas si loin. La machine perd certes ici son rôle fictif d’intelligence suprême dominant l’homme puisqu’elle reste régie par nos pulsions, mais elle demeure cependant la machine imprévisible du fait de sa schizophrénie. Quelle est cette dualité qui régit la machine ? Il s’agit d’une part du protocole industriel pour lequel a été créée la machine et d’autre part du fait qu’une machine est reprogrammable et peut donc servir à faire autre chose que ce pourquoi elle a été faite. R&Sie(n) considère le Viab comme une extension, comme le prolongement non pas d’un homme mais d’une communauté entière, ce qui confère à cette machine une sorte de con-naissance, de con-science. Elle devient une entité générée par un ensemble, comme une sorte de conscience collective dans un corps artificiel.


I’ve heard about, détail des tentacules d’un Viab.


I’ve heard about, diagramme des relations politiques, R&Sie(n), 2005.


La machine reprogrammée

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F. Roche précise qu’il s’agit d’une « machine qui va essayer de négocier avec « la multitude ». La multitude dont il parle ici renvoie sûrement à la notion de classe ouvrière donnée par Tony Negri dans son livre Empire en 2000. Une multitude qui doit selon T. Negri « être capable d’une séparation radicale de notre réalité, d’un abandon et d’une absence qui nous mettent de nouveau en contact avec l’autre, avec l’ami abandonné, avec le réel qui s’était dispersé. » On pourrait presque voir dans cette citation de l’excommuniste italien une définition du projet I’ve heard about. Cette absence au monde réel est permise par la machine dans l’urbanisme pensé par R&Sie(n).   Dès lors, le Viab piloté par la multitude, par des protocoles sociaux, de voisinages, mais aussi par des scripts mathématiques et robotiques va permettre de faire émerger des possibilités d’urbanisme où la machine devient un lieu d’incertitude, d’indétermination et d’auto-construction. La machine possède ici des caractéristiques du vivant, ou la société y serait vue comme un tout ou chacun jouerait le rôle d’une cellule. On pourrait presque remplacer le célèbre deus ex machina par un nouveau ‘‘natura ex machina’’. Le Viab réinvente l’intelligence artificielle, en changeant simplement de référent. De deus on passe à natura, mais finalement peu importe son inspiration, la machine reste source de fascination. Cette fascination est justement due au fait qu’elle puisse devenir indépendante.


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des automatismes [in]contrôlés

R&Sie(n) dans son projet réconcilie en quelque sorte la machine et la nature. Elle n’en demeure pas moins effrayante; la nature est par définition imprévisible, mais l’expérimentation réussit le pari de replacer l’artefact dans « l’historicité primordiale » dont parle Merleau-Ponty. La structure matérielle fait corps avec l’âme et les désirs de l’individu. La structure de l’architecture laissée libre, n’est alors plus du ressort de l’architecte mais d’une somme d’informations internes et externes au projet. L’Homme, indissociable de sa technique, possède le besoin d’être en harmonie avec la nature parce qu’il en fait partie tout en y étant extérieur. Il en fait partie intégrante en vivant in situ avec son lot de sentiments dû à ses sens et à son âme. Il en est extrait de par sa capacité à manipuler ce monde qu’il habite par la science et la technique avec son corps. L’Homme aujourd’hui remodelé plus ou moins volontairement par sa technicité tente de reprendre racine dans un monde naturel. La machine elle même dans sa conception tente de renouer avec les origines de son créateur par des procédés automatiques. Mais renouer avec notre environnement en en laissant la charge à la technologie n’est il pas une utopie ? Pourrions-nous utiliser notre connaissance du vivant pour rapprocher l’artefact des principes de la nature ? Comment la nature génère elle le vivant ? Quelles sont les règles d’une morphogenèse ?


La machine reprogrammée

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La science de la génétique s’attache précisément à cette étude du développement de la nature, à sa génération. Cette science peut elle nous servir à concevoir des objets différemment d’avec notre logique habituelle ?



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III. Vers une conception exo-génétique

Le disfonctionnement de la machine


des automatismes [in]contrôlés

Molécule d’ADN et ses quatre bases azotées.


Informatique & génétique

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A. Informatique & génétique 1. L’ADN assimilé au programme informatique Dans La fin du tout génétique, Henri Atlan explique d’où provient le paradigme du « tout génétique » en biologie. Depuis le XVIIème siècle, la pensée mécaniste regarde le vivant comme une machine bien huilée (ce qui ne peut être totalement nié) et lui confère un processus déterministe. Cette machine, comme toute machine suffisamment complexe, se doit d’être ‘‘pilotée’’ par un programme. Atlan introduit donc son propos en revenant sur un article de Ernst Mayr, publié en 1961, intitulé Cause and effect in biology qui est le premier à avoir comparé l’ADN à un programme informatique.   D’où provient cette métaphore ? Mayr en écrivant son article se réfère à la notion de plan d’organisation

Ce déterminisme, qui veut que la vie se développe grâce à une suite d’événements en cascade déterminés par des liens de cause à effet, n’est pas à confondre avec la notion d’un processus qui serait déterminé.


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Henri Atlan, La fin du tout génétique (p.14), INRA, Paris, 1999.

Vers une conception exo-génétique

inhérent à tout être vivant, notion qui fut introduite par la pensée vitaliste (les vitalistes envisagent la vie avec un caractère ‘‘mystique’’, ils pensent qu’une « force vitale » demeure au dessus des lois physico-chimiques, une force capable de donner vie à la matière). Avec la découverte du code génétique constituant l’ADN, les mécanistes trouvent donc un support à ce plan d’organisation, lui ôtant ainsi sa portée vitaliste. C’est cette découverte qui permet « pour la première fois, d’introduire efficacement la notion d’information en biologie, information dite génétique » . Mayr, «dans une précipitation extraordinaire», nous dit l’auteur, assimile donc l’ADN, support d’informations, à la notion de programme. En rapprochant le génome d’un programme, Mayr trouve ici un moyen de démontrer le mécanisme du vivant.   Afin d’éclairer un peu ce propos, il nous faut revenir sur la définition de l’acide désoxyribonucléique ou ADN. Il s’agit d’une molécule que l’on trouve dans le noyau de toute cellule vivante. Cette longue molécule en forme de double hélice repliée sur elle même est constituée de quatre bases azotées (l’Adénine, la Thymine, la Cytosine et la Guanine). Ce que l’on appelle gène est en réalité une suite d’un nombre précis de ces quatre bases agencées dans un certain ordre. Il s’agit finalement d’un fragment de l’acide désoxyribonucléique. En biologie, on parlera de séquence. Une séquence ADN peut donc se représenter comme une liste des éléments A, T, C et G dans un ordre précis


Informatique & génétique

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qui aura évidement une influence énorme sur le vivant. Si l’on assimile l’ADN à un programme c’est parce qu’il est ‘‘écrit’’ selon ce ‘‘code’’ quaternaire.   Une telle métaphore est à l’époque de Mayr tout à fait originale et apportera un grand soutien au développement de toute la génétique moderne. Néanmoins, cette comparaison, comme toute idée novatrice, a apporté son lot de joie et de peur. De joie tout d’abord, avec le sentiment d’accéder à la connaissance ultime du vivant et donc à sa maîtrise : « Puisque tout est écrit dans le programme génétique, il suffit de déchiffrer ce programme pour comprendre la totalité de la nature d’un organisme ». De ce sentiment naît également une crainte évidement liée à l’éthique. Si tout est génétique, l’homme devient capable de lire l’information génétique à l’origine de la genèse du vivant. S’il la décrypte, il peut la réécrire, d’où la crainte de ‘‘l’apprenti sorcier’’ : celle de pouvoir toucher l’intouchable, de modifier l’essence même de la vie. Finalement, si l’ADN passionne tellement les scientifiques et la population, c’est qu’on peut voir, à travers la métaphore du programme informatique, une boite de Pandore à demi ouverte.   Cette métaphore est évocatrice pour le designer : si la génétique peut être comparée à un programme informatique, le code de la modélisation d’un objet peut-il lui être assimilé ? L’analogie est intéressante mais le code d’une modélisation 3D est celui d’un fichier et non pas d’un programme.

Ibid. p.16.


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Vers une conception exo-génétique

2. Les limites de la métaphore Il s’agit principalement de mots codant pour des actions et de ponctuations servant à hiérarchiser les informations.

Henri Atlan, La fin du tout génétique (p.24), INRA, Paris, 1999.

La première observation scientifique qui vient s’opposer à la métaphore de l’ADN assimilé à un programme informatique, est que tout programme informatique contient des éléments de syntaxe nécessaires à son bon fonctionnement. Or, la suite de bases azotées de l’ADN n’en comporte pas vraiment : « L’ADN ne présente que très peu d’éléments de syntaxe, et à notre connaissance pas le moindre élément de sémantique qui permette d’y voir une structure de langage, même formel ».   De plus, Atlan, en tant que biologiste, a énormément travaillé sur l’épigénétique. Cette dernière traite de processus biologiques qui tirent leur diversité non pas de variations dans la séquence des gènes, mais de variations dans leur organisation, aussi bien d’un point de vue topologique, que spatial et/ou temporel. En d’autres termes, elle se propose d’étudier les phénomènes qui font que les gènes ne sont pas toujours activés ou ‘‘utilisés’’ au même endroit et au même moment. En cela, elle montre, par bien des exemples, que les gènes sont certes porteurs d’informations mais qu’ils ne sont pas les seuls responsables du développement du vivant. Cette métaphore semble quelque peu erronée, et c’est pourquoi Atlan s’attache à revoir le raisonnement qui l’a portée.   L’idée d’un programme écrit dans les gènes sous la forme de séquences nucléotidiques des ADN provient, d’après l’auteur, des observations suivantes, puis de leur interprétation :


Informatique & génétique

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1) « L’ADN est une séquence quaternaire facilement réductible […] à une séquence binaire ». L’ADN est une suite des éléments ATCG, une séquence quaternaire et le langage informatique quant à lui est binaire. On peut facilement passer de la première séquence à la seconde. 2) « Tout programme d’ordinateur […] est réductible à une séquence binaire ». En effet, le langage machine à proprement parlé est une suite de 0 et de 1. 3) Interprétation : « les déterminations génétiques fonctionnent à la manière d’un programme d’ordinateur inscrit dans l’ADN des gènes. » L’erreur de ce raisonnement est la réciproque du point 2, à savoir « toute séquence binaire est un programme ». En réalité, ce n’est pas parce qu’un programme peut être une suite binaire, que toute suite binaire est un programme.   A partir de là, la métaphore s’affaiblit et Atlan propose donc, sinon une alternative, un complément à cette idée : « Il est possible […] de rejeter la métaphore du programme, tout en conservant le concept essentiel, celui d’information génétique ». En effet, les séquences de code génétique ne contiennent pas à proprement parlé de syntaxe comme pourrait en contenir un programme informatique, mais il y a tout de même un ordre établi dans la succession des bases azotées. Si l’ADN n’est pas un programme que peut-il être d’autre ? Atlan propose donc de regarder la cellule dans son ensemble comme un programme qui interprète les données codées dans l’ADN.

Ibid. Ibid. p.25.


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Vers une conception exo-génétique

Ce déplacement de la notion de programme de l’ADN vers la cellule résulte bien entendu de l’étude d’Atlan de l’épigénétique. Avec sa théorie, l’auteur démystifie quelque peu la vision que l’on peut avoir de l’ADN pour montrer que la vie est finalement bien plus complexe qu’un simple programme d’ordinateur. L’ADN n’en reste pas moins porteur d’informations génétiques. D’une manière résumée, Atlan propose donc de voir le code génétique non plus comme un programme mais plutôt comme une donnée. On pourrait penser qu’il s’agit là d’un simple jeu de rhétorique, mais la différence est tout de même de taille. Un programme, même s’il peut être vu comme une simple donnée (il s’agit toujours d’une suite de 0 et de 1), est précisément fait pour interpréter des données. Comparer le code de l’ADN à une donnée lui ôte son ‘‘pouvoir’’ mais préserve son intérêt génétique. Du point de vue de la réflexion du designer, cette nouvelle théorie est intéressante car elle ne l’empêche plus de comparer un code génétique au code d’une modélisation 3D.

3. Le code de la modélisation comme information génétique Il existe d’une part, sinon une analogie, du moins une ressemblance entre l’ADN et un code informatique. D’autre part, on observe que la création d’un produit


Informatique & génétique

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passe de plus en plus par un stade de développement informatique, notamment au travers des technologies de CAO.   De nos jours, l’objet est virtuel bien avant d’appartenir à la réalité. Cette virtualité rendue possible par l’outil informatique a une influence grandissante sur la matérialisation des objets. Grâce au code d’une modélisation, on peut désormais établir toute une batterie de test de résistance, simuler des fabrications industrielles, et modifier aisément l’objet pour qu’il réponde au mieux à un cahier des charges. On peut donc imaginer comparer ce code de la modélisation à une information génétique, au sens où cette information va régler l’usinage d’un moule, le calibrage d’une machine, la production en série, bref l’essence même de l’artefact.   Enfin, on sait désormais qu’il est possible à partir d’un modèle informatique ‘‘virtuel’’ d’imprimer une maquette ‘‘réelle’’. Toutes ces technologies de prototypage rapide prennent un essor remarquable pour la facilité qu’elles procurent à développer un produit plus rapidement que jamais. Aujourd’hui ce ne sont plus des maquettes qui sont réalisées mais bel et bien des produits finis. On parle de plus en plus de micro-usines personnalisés. De plus, les technologies s’améliorant, on essaie aujourd’hui ‘‘d’imprimer’’ en volume du métal, quand hier on ne pouvait stéréolithographier que des résines sans réelles qualités de résistance.

Il ne faut cependant pas être dupe, si les résines stéréolithographiées ne sont pas toujours résistantes, elles ne le sont pas forcément moins qu’un métal travaillé selon ce procédé.


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Vers une conception exo-génétique

Toutes ces avancées soulèvent évidemment des questions dans le processus de création, qui est une sorte de genèse à bien des égards. Dans le champ des arts appliqués, il semble intéressant d’étudier les rapprochements possibles entre la notion de genèse de l’objet et celle de génétique, au sens biologique du terme. Ainsi, il importe au designer de voir comment le code informatique du modèle virtuel d’un objet, considéré comme son ADN, influence son développement et sa maturation. Le designer peut-il penser des principes qui permettraient à l’objet, à partir de son ‘‘code génétique’’, de muter ou d’évoluer de manière autonome ?


Création contextuelle

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B. Création contextuelle 1. Design et réseaux biochimiques Atlan montre en quoi les gènes du vivant (littéralement ce qui génère) ne sont pas contenus uniquement dans l’ADN. Il explique donc les bases de l’épigénétique. L’épigénétique étudie, comme son nom l’indique, ce qui génère le développement du vivant dans son ensemble : la somme, ‘‘l’épi‘‘, des causes de la génération du vivant. Atlan montre que ce développement est régi par des réseaux biochimiques complexes. Existe-il une correspondance à ces réseaux biochimiques du vivant dans l’objet ?   La génétique d’un objet, si elle veut tendre à se rapprocher de phénomènes naturels d’évolution, ne peut bien évidement pas se contenter d’évoluer de manière hasardeuse. En effet des choix s’opèrent dans la nature :


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Vers une conception exo-génétique

la sélection naturelle est là pour garder à la fois une diversité et un équilibre. Il en est de même avec le design d’un objet qui est toujours relié à sa fonction et à bon nombre de contraintes. Alors, en fonction de quel paramètre un objet peut-il évoluer ou muter ? Atlan montre comme nous l’avons déjà dit que si l’ADN ne peut-être totalement rapproché d’un programme d’ordinateur, il peut l’être d’un ensemble de données. Se pose alors la question de l’exécutif : qu’est ce qui interprète ces données ? Où est le programme ? Il se situe en partie dans la cellule et donc dans des relations épigénétiques, c’est-à-dire dans l’ensemble du système qui réagit par des réseaux biochimiques à son environnement. Il semble porteur de faire un parallèle de plus avec l’objet : l’ADN d’un objet serait alors le code de sa modélisation, qui n’est autre qu’une somme de données ayant besoin d’un programme informatique pour être reproduit et interprété, et également d’une chaîne de production, reliée à l’ordinateur, pour le matérialiser. Peut-on soumettre ce ‘‘système’’ complexe à un environnement extérieur ? Peut-on penser un ensemble de capteurs qui, à la manière d’un réseau biochimique naturel, influencerait le code d’une modalisation afin de faire varier l’objet fini en fonction de paramètres extérieurs, exogènes ? Après tout, les réseaux biochimiques naturels sont composés de capteurs de natures différentes (les cinq sens en sont un bon exemple). Ils sont assimilables aux périphériques d’un ordinateur qui le relie à son entourage.


Création contextuelle

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Ce ‘‘système’’ numérique, alors considéré comme un corps vivant, peut être relié à son environnement afin de conduire le développement d’un objet en adéquation avec son milieu.   Il s’agit alors de déterminer la nature de l’environnement d’un objet. Cet environnement est d’abord humain. En effet, si l’Homme n’était pas là, l’objet n’existerait pas. Non pas parce que personne ne pourrait le fabriquer mais parce que personne ne l’utiliserait. Le designer peut-il penser des objets qui évolueraient en fonction de leur utilisateur, d’une manière autonome ? L’environnement d’un objet se trouvant être premièrement son utilisateur, il s’étend également à l’environnement de ce dernier, puisqu’il lui est soumis, c’est-àdire à une géographie, un écosystème, un climat, etc.   D’autre part, l’ensemble de l’outillage qui sert à la fabrication d’un artefact peut être considéré comme un groupement de cellules échangeant des flux de matière et d’énergie. Le réseau biochimique, c’est précisément ce réseau d’échange entre les cellules et les organes d’un être vivant qui participent à son développement. L’objet industriel, s’il n’appartient pas au corps des machines qui le produisent, ne peut-en être dissocié car il n’existe que par elles et elles n’existent que pour lui. On pourrait donc imaginer d’autres types d’échanges avec le milieu, directement liés à l’appareil de production. Il existe une richesse d’interactions possibles entre la chaîne numérique d’un objet et son environnement, dont l’interrogation et la formalisation sont du ressort du designer.


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Vers une conception exo-génétique

2. L’adaptabilité de l’objet à son milieu Être vivant qui puise les substances qui lui sont nécessaires dans ou sur l’organisme d’un autre, appelé hôte.

R&Sie(n) prône une symbiose du bâtiment et de son environnement en faisant de l’adaptabilité au milieu l’un des points essentiels de ses processus créatifs. « Il ne s’agit plus d’opposer le projet à son contexte, comme deux hypothèses distinctes, mais de les lier par le processus de transformation même. Le projet n’est plus issu d’une projection abstraite mais devient une distorsion du réel. », précise F. Roche. L’agence rêve d’une architecture où la forme ne serait plus dictée par le style ou l’esthétique, mais bien par le lieu de son implantation.   R&Sie(n) tente de renouveler les codes et formes de l’architecture en créant des hybridations à partir de photographies de l’environnement numérisées puis déformées et retravaillées. F. Roche résume cette démarche en disant « faire avec pour en faire moins » et fait de cette phrase un des dogmes de son agence.   Dans le cas de I’ve heard about, R&Sie(n) propose un projet de ville utopique qui se constitue à travers des scénarii multiples. Cette architecture fractale, faite de sécrétions contingentes, s’assimile à un parasite vivant, comme le polype d’un massif corallien. Les polypes sont des animaux qui s’assemblent en colonie pour créer un corail. Ils construisent leur structure, qui sert de squelette extérieur, à partir de minéraux collectés dans l’océan et de micro-algues venant y vivre en symbiose.


I’ve heard about, vue générale d’une hypothèse.


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Vers une conception exo-génétique

Les récifs coralliens servent d’ailleurs d’abri à de nombreuses espèces animales et végétales. De manière similaire, l’architecture du collectif s’élabore grâce au Viab sur des principes de croissances aléatoires et d’inachèvement. La constitution physique de sa forme reflète la structure politique de la communauté. Le réseau proliférant de cette architecture se constitue à la fois à partir de matières importées et de matières recyclées, synthétisées, polymérisées, issues des espèces animales et végétales qu’il abrite. Par exemple, il est prévu que les matières constitutives des lieux d’habitation se nécrosent par parties tous les dix ans afin d’éviter la permanence de leur occupation liée au sentiment de propriété individuelle. Mais les matériaux de construction des structures de I’ve heard about dépendent surtout de leur environnement, espaces où le Viab va aller chercher les ressources nécessaires au développement de la structure. La structure est ainsi directement liée à son environnement tant dans ses matériaux, liés aux caractéristiques du lieu d’implantation et à la vie qui s’y développe, que dans sa formalisation, directement dictée par la manière de vivre de ses habitants.   Les questionnements soulevés par un tel projet sont ils transposables au champ du design d’objet ? Les objets possèdent également un environnement qui leur est propre. Le designer peut-il penser une nouvelle ‘‘écologie’’ où l’objet quitterait son rang d’artefact pour être soumis jusque dans sa conception à des règles inhérentes à la nature ? Car rappelons-le, la définition d’artefact est celle d’un produit ayant subi une transformation par l’homme.


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Il se distingue donc des phénomènes naturels. Des paramètres contextuels tels que le climat sont susceptibles de déterminer la forme, le volume ou le matériau d’un produit. L’objet ainsi pensé ne serait plus le reflet du goût d’un ou plusieurs, mais plutôt une sorte de prolongement de son environnement, comme directement dérivé de sa situation.

3. L’éthique d’une génétique de l’objet Un tel objet, au-delà de questionnements inhérents à sa forme, à sa fonction ou à sa production soulève des problèmes éthiques pour le designer. En effet, un objet dématérialisé sous forme de code est soumis à de nombreuses modifications, en fonctions de paramètres exogènes qui peuvent être naturels ou non. Un code informatique est bien plus facilement modifiable par la première personne venue qu’un moule d’injection par exemple. La volonté de laisser autonome un objet, avec les risques d’évolution et de mutations que cela comporte, est un choix que seul le créateur, le designer, peut faire.   Ce choix dépend d’abord de la définition que le créatif donne d’un objet. Si l’on considère l’objet comme une œuvre supérieure à la nature, on ne peut le laisser évoluer librement. Si au contraire, on le considère comme une œuvre ayant été créée dans un contexte précis,


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Vers une conception exo-génétique

à une époque donnée et qui dépend donc du principe de changement naturel, l’objet s’inscrira alors dans une histoire non achevée.   Il dépend aussi de la manière d’envisager la propriété intellectuelle, ce qui encore une fois, dépend totalement du designer. Le créatif est à même de délimiter lui-même le cadre dans lequel l’objet va évoluer, et dans ce cas , l’intégrité de son œuvre ne sera pas atteinte. Mais il peut également choisir de laisser le code génétique d’un objet libre d’évoluer au gré de son histoire. Ces modifications atteignent-elles l’intégrité de l’objet en tant qu’œuvre ?   Sur ce point, il parait important de remarquer que depuis quelques temps, un nouveau modèle juridique de la propriété intellectuelle est en plein essor : le copyleft. Ce dernier s’oppose comme son nom l’indique au copyright. Il s’agit d’une réglementation qui permet de laisser une création libre de droit, sans pour autant que l’auteur en perde la propriété intellectuelle. Si une personne modifie une œuvre existante sous copyleft, elle est obligée de conférer le même statut à l’œuvre modifiée, ce qui l’empêche de s’accaparer une idée de manière exclusive. L’auteur de la modification est également obligé de citer le nom du créateur original ainsi que de mettre à disposition un accès à l’œuvre originelle. Les nombreuses expérimentations de ce système, notamment dans le secteur du logiciel montrent qu’il est viable et permet de générer des bénéfices.


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Ce cadre juridique reste pour le moment en marge des activités du design. Mais dans un cadre où l’objet est amené à perdre de sa matérialité, il semble indispensable pour le designer de s’interroger sur de tels systèmes et sur les scénarii d’usage qu’ils peuvent générer.   Enfin, au-delà de l’éthique du créateur, l’éthique de l’objet lui-même est en jeu. Si l’on considère ce dernier comme vivant, peut-on se permettre de le modifier génétiquement ? Dans un monde où l’objet est bien souvent sacralisé, le modifier est un acte fort qui peut aussi bien le cantonner au monde de l’artificiel, du matériel que lui rendre hommage. En créant une nouvelle génération d’un objet existant, on peut, me semble-t-il, laisser apparaître l’image de son ancêtre tout en lui conférant des propriétés nouvelles, symboles d’une autre époque.



CONCLUSION


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Conclusion


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Comme nous avons pu le voir au sein de cette réflexion, l’Homme possède une essence technique qui le pousse à produire des objets. Depuis toujours, il est partagé entre une admiration pour la nature et une volonté de la maîtriser. Sa fascination le pousse à vouloir s’en rapprocher et donc à créer des artefacts inspirés par elle. Parfois, il essaie même de l’égaler en tentant de produire des objets vivants.   Parallèlement, le changement permanent de la nature, qui va à l’encontre de la stabilité que recherche l’Homme, l’a poussé à chercher en elle des mécanismes inspirés de sa propre création. Dans cette logique, l’être humain a développé un système complexe de fabrication d’objets avec pour mode de pensée,


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Conclusion

le mesurable, le calculable et le maîtrisable.   Plus que jamais, l’homme se trouve partagé entre ces deux attitudes envers son environnement, l’une le poussant vers la conception d’objets vivants, l’autre vers l’utilisation toujours plus accrue de la technologie.   La génétique se situe elle aussi au croisement de l’observation de la nature et d’une volonté de manipulation de cette dernière. Cette science nous permet de comparer certaines caractéristiques du développement de la nature à d’autres, liées à nos technologies. Comparer le code d’une modélisation informatique à un code ADN peut nous permettre, malgré quelques dangers éthiques, de générer de nouveaux moyens de concevoir des produits. Ces nouvelles voies se rapprochant d’une certaine morphogenèse offrent, pour le designer, des possibilités de création de formes nouvelles, nonstandards. Elles donnent également la possibilité de ne plus enfermer un objet dans une forme figée, mais de le laisser évoluer en fonction des époques. Elles offrent enfin la possibilité de générer des objets en fonction de leur environnement, pour qu’ils ne soient plus le simple reflet d’une volonté, mais bien de ce qui fait qu’ils sont. Cependant, le fait de pouvoir concevoir des objets génétiquement, ne les rend pas vivants, ils demeurent bel et bien des artefacts. Mais cela tend tout de même à les rapprocher du principe naturel de mouvement, en permettant qu’ils puissent évoluer et muter en fonction de paramètres exogènes, comme c’est le cas pour tout être vivant dans un écosystème.


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Depuis quelques années, une nouvelle approche du système industriel émerge, appelée écologie industrielle. Cette discipline tente de voir comment le fait de considérer que l’industrie n’est pas totalement séparée de la biosphère, mais n’en est qu’un cas particulier, peut avoir des répercussions sur notre manière de la gérer. Elle étudie le système industriel à partir de ses flux de matière et d’énergie, comme on le ferait pour un écosystème. Elle s’intéresse à son évolution sur le long terme. Des scientifiques de tous horizons étudient ensemble comment l’histoire naturelle a fait évoluer les écosystèmes vivants, afin d’en reprendre des principes en vue d’équilibrer cet énorme ‘‘écosystème’’ qu’est l’industrie. Ainsi, ce dernier pourrait peut être enfin s’autoréguler, comme tout écosystème digne de ce nom. Des exemples de symbiose entre différents corps industriels existent : chaque industrie utilise les déchets des autres comme matière première.   Dans les années à venir, le designer pourrait trouver ici un rôle de premier ordre en pensant la fabrication de ses produits comme une partie d’un système bien plus vaste qu’il importe d’équilibrer.

Sur ce sujet, lire Vers une écologie industrielle de Suren Erkman.



Glossaire


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GLOssaire


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Art computationnel Souvent associée aux méthodes de traitement d’informations propres à l’outil informatique, computation signifie calcul. L’art computationnel fait ainsi référence aux procédures apparues à la suite de l’introduction de l’ordinateur dans le processus de création, non pas comme outil de représentation mais comme outil de calcul. L’ordinateur (computer en anglais) permet la résolution d’énoncés présentés sous forme de calculs. Ce principe étend l’usage de la logique informatique, issue des sciences mathématiques, à d’autres champs de l’activité humaine : théorie des organisations, architecture, sciences cognitives, médicales…

CAO « Conception Assistée par Ordinateur » : un système de CAO comprend d’une part des matériels (ordinateurs, écrans…) et d’autre part des logiciels. La CAO permet aux concepteurs de résoudre un problème (conception d’un objet) en tenant compte des contraintes (de couts, de délais de fabrication…). Ce processus « informationnel » (gestion d’informations, entrée et sortie de données, calculs) s’appuie sur une représentation informatique de l’objet en cours de conception. Le sigle CFAO (« Conception et Fabrication Assistée par Ordinateur ») remplace de plus en plus souvent le sigle CAO car il en prolonge l’application dans l’automatisation de la fabrication, la robotique et la gestion de production.


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GLOssaire

Chaîne numérique La chaîne numérique désigne l’ensemble des modules informatiques interconnectés qui permettent de réaliser toutes les étapes qui mènent du cahier des charges à la production d’un produit selon le principe « du fichier à la fabrication » (« from file to factory »). Il n’y a donc plus de séparation entre la conception d’un côté et la fabrication de l’autre : tous les partenaires du projet – le designer, l’ingénieur, le mathématicien, etc. - ont accès à la même maquette numérique. L’agence Objectile fut la première en France à appliquer de nouvelles logiques de conception et de production de l’architecture : ses prototypes sont réalisés directement par des machines à commande numérique selon le procédé du prototypage rapide. Les données concernant la géométrie des pièces sont transmises sous forme de fichier numérique à des outils robotisés dotés de logiciels de décomposition de formes (le modèle volumique est facettisé selon un maillage triangulaire au format appelé STL puis tranché en autant de sections nécessaires pour sa réalisation en strates par la machine de prototypage rapide).

Complexité Selon la formule consacrée « le tout est plus que la somme des parties », se dit d’un système dont le comportement ne peut pas être prédit par une formule simple de calcul en raison du grand nombre d’entités en interactions qui le constitue. Les colonies de fourmis en sont un exemple notoire.


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écologie Science qui analyse les relations entre les êtres vivants et leur environnement. En accord avec cette définition, certains architectes conçoivent aujourd’hui l’objet architectural comme un organisme actif et vivant, qui s’intègre et surtout réagit à son environnement.

Fractale Objet mathématique ou physique dont les formes se subdivisent par elles-mêmes laissant apparaître, à des échelles d’observation de plus en plus fines, des motifs similaires. Il existe plusieurs exemples naturels de fractales : le chou romanesco, la fougère ou encore les côtes bretonnes sont les plus connus.

Modèle informatique Le design dit « numérique » se définit par le fait que le projet est conservé sous une forme codée dans une mémoire d’ordinateur ; le modèle informatique d’un objet, appelé « maquette » virtuelle, est la représentation informatique d’un objet dans ses trois dimensions. Ce modèle permet la simulation d’actions (on peut le représenter sous tous les points de vue ; on peut le déplacer, y faire des coupes…) sans avoir à fabriquer l’objet. Toute modification engendrant de nouveaux calculs, de nouvelles évaluations fonctionnelles ou techniques, la manipulation du modèle informatique facilite ainsi à moindre coût, les modifications et les améliorations. On distingue trois types de modèle tridimensionnels : le modèle filaire, le modèle surfacique et le modèle volumique.


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GLOssaire

Morphogenèse Ensemble des lois génétiques, structurelles et écologiques gouvernant la genèse des formes. Si la notion est issue des sciences naturelles, de la pousse des plantes à la croissance des organes et corps, on peut l’emprunter pour qualifier l’étude et l’application de ces principes élémentaires de formation à l’objet.

Non stadard Par définition, le non-standard s’oppose au standard, terme qui sous-tend l’idée de répétition à l’identique engendrée par la rationalisation et la normalisation de la production. Mais l’idée de non-standard trouve son origine dans les mathématiques : Abraham Robinson puis Benoît Mandelbrot et René Thom ont montré que, dans le domaine de la topologie, l’analyse nonstandard impliquait une transformation de l’idée de géométrie et une redéfinition de l’espace en tant qu’ensemble de paramètres modifiables.

Numérique Par opposition à analogique, qualifie une représentation de données ou de grandeurs physiques au moyen de caractères, généralement des chiffres.


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Script Suite d’opérations informatiques écrites dans un langage spécifique, dit « langage de script », qui permet de générer une ou plusieurs actions.

Systémique L’analyse systémique envisage les faits, non pas isolément, mais globalement, en tant que parties intégrantes d’un ensemble dont les différents composants sont dans une relation de dépendance réciproque.



bibliographie


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Bibliographie


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Design(s) Barral Jacquie et Gilles Joël, Dessein dessin design, Presses de l’Université de Saint-Étienne, 2007 De Mèredieu Florence, Art et Nouvelles Technologies, Éditions Larousse, Paris, 2005 De Rosnay Joël, Comment imprimer des objets chez soi. Après les TIC, voici les MUP !, Journal Le Monde, 9 novembre 2006. Elam Kimberly, Géométrie du Design, Éditions Eyrolles, Paris, 2001. Frac Centre, Architectures expérimentales, Éditions HYX, juin 2003 Guidot Raymond, Histoire du design de 1940 à nos jours, Éditions Hazan, Paris, 2004. Migayrou Frédéric, L’Enjeu Capitale(s), Éditions du Centre Pompidou. Pernodet Philippe et Mehly Bruce, Luigi Colani, Éditions Dis voir, Paris, 2000. Siegfried Giedon, La mécanisation au pouvoir, Éditions du Centre Pompidou, Paris, 1980. Tortochot Éric, Design(s) : de la conception à la création, Éditions Bréal, Rosny-sous-Bois, 2004. www.monsieurfaltazi.com www.new-territories.com


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Bibliographie

Philosophie(s) Arendt Hannah, Condition de L’Homme Moderne, Éditions Calmann-Levy, 1983 Aristote, Les Parties des Animaux, Éditions Les Belles Lettres, Paris, 2002, trad. Pierre Louis. Aristote, Physique, Éditions Vrin, Paris, 1972. Bergson Henri, L’évolution créatrice, Presses Universitaires de France, 2009. Ellul Jacques, Exégèse des nouveaux lieux communs, Éditions La Table ronde, Paris, 1994. Heidegger Martin, Essais et Conférences, Éditions Gallimard, Paris, 1988, trad. André Préau. Merleau-Ponty Maurice, L’œil et l’esprit, Éditions Gallimard, 1964. Neirynck Jacques, Le huitième jour de la création : un mode d’emploi pour la technique, Presses Polytechniques, 2005. Platon, Protagoras, Éditions Les Belles Lettres, Paris, 2002, trad. Alfred Croiset.


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Science(s) Atlan Henri, La fin du tout génétique, Éditions de l’INRA, Paris, 1999. De Rosnay Joël, L’aventure du vivant, Éditions du seuil, Paris, 1988. Erkman Suren, Vers une écologie industrielle, Éditions Charles Léopold Mayer, Paris, 2004. Feyerabend Paul, Contre la méthode : Esquisse d’une théorie anarchiste de la connaissance, Éditions du seuil, Paris, 1979. Gleick James, La Théorie du Chaos, Éditions Flammarion, Paris, 2008. Jacob François, La logique du vivant, Éditions Gallimard, Paris, 1973.


UNE GÉNÉTI DES OBJETS [��������� � �������

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Samuel Javelle Créateur/ Concepteur option design de produit samueljavelle.com

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OBJETS DES OBJETS

Mémoire du Diplôme Supérieur d’Art Appliqués 2009/2010

Merci à Philipe Boisnard Merci à L’équipe enseignante Philipe Xavier Boisnard Gergaud L’équipe Gil enseignante Javelle Mémoire Xavier du Diplôme Marina Gergaud Supérieur Langlois d’Art Gil Appliqués Caroline Javelle 2009/2010 Leplae Marina Samuel Ambroise Langlois Javelle Maupate Créateur/ Caroline &Leplae Chloé Concepteur Mémoire Renard option design du Diplôme de produit Ambroise Supérieur Maupate d’Art Appliqués & Chloé 2009/2010 Renard Samuel Javelle



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