La corticométrie : une méthode de datationdes dépôts meubles en milieux froids

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Du continent au bassin versant Théories et pratiques en géographie physique

Hommage au Professeur Alain Godard

From Continent to Catchment Theories and Practices in Physical Geography

A tribute to Professor Alain Godard

Coordinateurs de l’ouvrage Marie-Françoise ANDRÉ, Samuel ÉTIENNE,

Maître de Conférences à l’Université de Clermont II

Yannick LAGEAT,

Professeur à l’Université de Bretagne Occidentale

Charles LE CŒUR, Denis MERCIER,

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Professeur à l’Université de Clermont II

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Professeur à l’Université de Paris I - Panthéon-Sorbonne

Maître de Conférences à l’Université de Nantes

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Du continent au bassin versant. Théories et pratiques en géographie physique (Hommage au Professeur Alain Godard) 2007, Presses Universitaires Blaise-Pascal, ISBN - 978-2-84516-335-5

La corticométrie : une méthode de datation des dépôts meubles en milieux froids

SAMUEL ÉTIENNE 1

La météorisation est l’ensemble des processus mécaniques, physico-chimiques, ou biologiques de dégradation des roches, en réponse aux conditions environnementales régnant à la surface de la Terre (Bland et Rolls, 1998). En milieux froids, hautes latitudes ou altitudes, les premiers signes de la météorisation peuvent apparaître sous la forme d’une décoloration superficielle des surfaces rocheuses, polis glaciaires, roches moutonnées, blocs erratiques ou dépôts morainiques grossiers. Cette modification, ténue dans un premier temps, de l’épiderme des roches est dénommée weathering rind par les Anglo-Saxons (Birkeland, 1973) et cortex (mot latin signifiant couche superficielle) par les chercheurs francophones. Nous avons proposé de nommer « corticométrie » la méthode qui consiste à utiliser l’épaisseur des cortex de météorisation comme moyen de datation relative ou calibrée de surfaces meubles telles que moraines, terrasses fluvioglaciaires et autres dépôts grossiers (Étienne, 2001, 2005). Une approche bibliographique de la corticométrie montrera que la méthode est particulièrement prisée en milieux froids. Une application de cette méthode dans le sud de l’Islande autori-

sera l’évaluation de son acuité temporelle sur des surfaces détritiques de nature basaltique dans un contexte climatique subpolaire océanique. 1. Les usages de la corticométrie : aperçu historique L’étude des cortex de météorisation a vu le jour dans les années 1950 avec la publication de l’article séminal de Nelson (1954). Nelson inventa, en quelque sorte, ce nouvel objet géomorphologique afin d’obtenir des informations sur les modalités de la recoloration post-dépôt d’un till granitique des Monts Sawatch, au Colorado. L’étude, à l’échelle de la roche et à celle du minéral, des halos se développant en profondeur (à 12 pouces de la surface) lui permit de désigner l’oxydation comme processus essentiel de météorisation. Mais, et c’est bien là l’apport essentiel de Nelson, il suggéra le premier que l’épaisseur de ces cortex, variable d’un dépôt à l’autre, pouvait être utilisée comme un indicateur d’âge relatif. L’idée fit alors son chemin et, une décennie plus tard, Černohouz et Šolc (1966) furent les

1. Université Blaise-Pascal, Clermont II, Géolab UMR 6042 - CNRS, 4 rue Ledru, 63057 Clermont-Ferrand cedex 1 s (Samuel.etienne@univ-bpclermont.fr).


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LES DOMAINES FROIDS

premiers à utiliser les cortex de météorisation comme éléments de datation en Bohème en établissant que l’épaisseur des cortex était fortement liée au temps astronomique. Afin d’évaluer l’impact heuristique de cette nouvelle méthode dans le champ de la géomorphologie (usages thématiques et variations géographiques des usages), nous avons examiné l’occurrence de l’expression « weathering rind » (WR) dans deux des principales bases de données bibliographiques en sciences de la Terre : GEOREF (1784-2001) et GEOBASE (1980-2001). Le mot clé WR rencontre 39 occurrences dans GEOREF et 55 dans GEOBASE. Un examen des doublons permet l’élimination de 15 articles, la base de données finale étant alors composée de 79 articles publiés. Ces articles ont été consultés et classés selon l’usage qui y était fait des cortex de météorisation (3 champs définis : datation, étude des processus ou divers) et selon l’espace d’étude des cortex (5 champs définis : milieux froids, milieux tempérés, milieux chauds intertropicaux, étude en laboratoire ou expérimentations ou approche méthodologique, enfin, espace indéterminé). Les résultats sont présentés dans le tableau 1. Bien que la base de données bibliographiques obtenue via GEOREF et GEOBASE soit manifestement incomplète, nous avons choisi de ne pas inclure les articles manquants dont nous avions connaissance : nos travaux de recherche étant orientés vers les méthodes de datation et les milieux froids (Étienne, 2004), nous aurions alors Champ de recherche

faussé la population statistique en gonflant artificiellement la base de données au profit de ces deux champs d’étude. Nous considérons donc que, si sous-représentation il y a dans ces bases de données, celle-ci est a priori « neutre » et donc également répartie sur les différents champs définis. Les cortex de météorisation sont principalement utilisés par les géomorphologues comme outil de datation (68,4 % des publications, dont plus de 10 % pour la datation de l’activité tectonique (datation d’un plan de faille, par exemple) et 58 % pour des reconstructions paléoenvironnementales (datation de moraines, par exemple). Cette prédominance de l’usage en tant que chrono-marqueur s’explique par le fait que les cortex offrent, en effet, un moyen de dater de manière relative les dépôts (le postulat étant que plus le cortex est épais, plus le dépôt est ancien). Mieux, s’ils peuvent être calibrés (selon les protocoles en usage en lichénométrie, par exemple), ils autorisent également une datation plus fine, numérique (Colman et Pierce, 1981). Les cortex apparaissent ensuite comme des objets précieux pour l’étude des processus de météorisation (26,6 % des publications) puisqu’en comparant le noyau frais d’une roche et son cortex on peut révéler les mécanismes de la dégradation de la roche (Oguchi, 2001). Du point de vue des espaces de considération des cortex, on notera la forte représentation des milieux froids (un article sur deux). Ceci s’explique aisément par le fait, souligné par Alain Godard (1990), que la datation des objets géomorphologiques dans ces milieux est un pro-

%

Espace de recherche

%

1 - processus de météorisation

26.6

Milieux froids (glaciaires, périglaciaires)

50.6

2 - outil de datation

68.4

Milieux tempérés

17.7

Paléo-environnement

58.2

Milieux chauds intertropicaux

07.6

Activité tectonique

10.1

Laboratoire, expérimentation, méthodologie

20.3

05.0

Indéterminé

03.8

3 - autres

Tab. 1. Usages et espaces d’usage des cortex de météorisation en géomorphologie (1954-2001).


LA CORTICOMÉTRIE

: UNE MÉTHODE DE DATATION DES DÉPÔTS MEUBLES EN MILIEUX FROIDS

blème majeur en raison de la rareté des jalons utilisables. Toute nouvelle méthode apparaissant dans le champ de la datation géomorphologique se trouve alors rapidement testée par les acteurs des milieux froids, la démarche d’adoption ou de rejet pouvant s’apparenter aux phénomènes de mode (Sherman, 1996 ; Étienne, 2004), tels que les définissent certains outils théoriques de la sociologie (Sperber, 1990). L’espace secondaire d’étude des cortex est le laboratoire (20,3 % des articles), notamment par le biais des études de microscopie électronique (voir les multiples exemples présentés par Dorn, 1998). 2. Étude des cortex en surface ou en subsurface : des stratégies différentes pour des objectifs différents Deux stratégies sensiblement différentes peuvent distinguer les études corticométriques : celles qui s’attardent sur les mesures de l’épaisseur des cortex présents sur des surfaces rocheuses affleurantes (corticométrie de surface) et celles qui vont rechercher les cortex en profondeur, au sein même des dépôts (corticométrie de subsurface). Les mesures en surface s’accordent avec l’utilisation des cortex comme témoins d’évolution de courte durée : Chinn (1981) et Gellatly (1984) ont montré que l’apparition de cortex sur des grès ou des roches métamorphiques nécessitait 130 années d’exposition en surface alors que près de 4 000 ans sont nécessaires lorsque les échantillons sont prélevés en profondeur (généralement au niveau de l’horizon Bt des sols ; cf. Whitehouse et al., 1986). Si les lithoclastes de surface sont très réactifs, leur longévité est cependant plus restreinte : gélifraction, corrasion, desquamation sont des processus-relais ou des interférences qui viennent perturber le développement des cortex et réduisent son espérance de vie. À son corps défendant, le cortex devient non plus un bon marqueur chronologi-

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que mais un témoin des processus d’érosion agissant à la surface du dépôt étudié. Ainsi, Gellatly (1984) a montré que l’utilisation de l’épaisseur moyenne des cortex sous-estime l’âge des moraines, et elle recommande l’utilisation de la valeur modale. Ses données suggèrent également que, même après 130 années d’exposition seulement, la plupart des cortex de surface sont sujets à la destruction et que leur épaisseur est plus réduite que prévue. Knuepfer (1988) réserve la corticométrie de surface à des dépôts dont l’âge est inférieur à 20 000 ans. Les stratégies de subsurface s’accordent davantage avec des évolutions sur le long terme : la sélection des fragments porteurs de cortex se fait en général dans l’horizon Bt des sols s’étant développés sur les dépôts à dater. Il faut donc « attendre » que le front de météorisation ait atteint une certaine profondeur (30 à 50 cm sous la surface en général) pour que se développent les cortex. En fonction des ambiances morphoclimatiques, cette hystérésis entre le moment de l’abandon des sédiments et le développement des cortex peut atteindre plusieurs milliers d’années (7 000 ans dans la partie occidentale de Yellowstone selon Colman et Pierce, 1981). Les courbes de croissance des cortex calculés par les différents auteurs traduisent cette dynamique contrastée entre les cortex de surface et les cortex de subsurface (tab. 2). L’intérêt de cette seconde stratégie d’échantillonnage est, a priori, une meilleure conservation de l’intégrité des cortex et donc un créneau potentiel de datation plus large que la stratégie de surface : Černohouz et Šolc (1966) évaluent une fourchette de datation comprise entre 500 ans et 10 Ma. Leur limite haute paraît peu réaliste car elle suppose une immunisation des dépôts sur toute la période considérée, il faut donc suivre Colman et Pierce (1981) qui restreignent la méthode de subsurface aux 500 000 dernières années. Au contraire de la première stratégie, ce protocole renseigne moins sur les processus de météorisation subaérienne qui génèrent ou interfèrent avec le développement du cortex que sur les processus de pédogenèse (humi-


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LES DOMAINES FROIDS

Courbe de croissance en surface E= 0.8462 log (A) + 0.0384

Lithologie

Type de cortex

Localisation

Source

basalte

oxydation

Islande

Étienne, 2001

grès

oxydation

Nouvelle-Zélande

Chinn, 1981

E = log (0.73 + 0.038 A)

basalte, andésite

oxydation

États-Unis

Colman et Pierce, 1981

E = 4.64 log (1 + 0.01 A)

grès

oxydation

Bohême

Černohouz et Šolc, 1966

A= 1030 E 1.24 Courbe de croissance en subsurface

Tab. 2. Courbe de croissance des cortex de météorisation en fonction des stratégies d’échantillonnage. A – âge (années) ; E – épaisseur (mm).

fication). Ainsi, cette seconde stratégie convient pour la datation de dépôts, pour l’étude des processus pédogénétiques, mais pas pour l’étude de processus de météorisation de surface. 3. La corticométrie en Islande du sud 3.1. Site et méthodologie

Une étude de corticométrie a été menée dans la partie sud de l’Islande (64°N, 19°W), dans la vallée du Sólheimajökull, langue glaciaire d’une dizaine de kilomètres de longueur alimentée par la calotte Mýrdalsjökull (fig. 1). Trente-huit dépôts (21 cordons morainiques, 17 sandurs), situés entre 60 et 90 m d’altitude, y ont fait l’objet d’investigations dans le cadre d’un travail de caractérisation et de quantification de la météorisation en milieu subpolaire océanique dans des matériaux basaltiques (Étienne, 2001, 2004). Tous les cordons morainiques situés en amont du vallum externe sont postérieurs au Petit Âge Glaciaire, le vallum externe marquant l’avancée maximale des glaces, vers 1890 pour ce glacier (Dugmore, 1989). D’après l’étude des photographies aériennes, on peut affirmer que la position du glacier au moment des travaux de terrain (1997-99) était identique à celle de 1945 (Sigurdsson, 1998), ce qui signifie que les dépôts morainiques ou fluvio-glaciaires situés entre le vallum externe et le glacier ont été mis en place il y a 55 à 110 ans. Au-delà du vallum du PAG, les dépôts sont essentiellement des sandurs ou des morai-

nes de fond post-weichseliens. Leur datation a été obtenue par lichénométrie ou téphrochronologie (Dugmore, 1989). Des mesures ont également été effectuées à la surface des plateaux encadrant la vallée du Solheimajökull, là où affleure la moraine de fond weichselienne dont la mise à découvert peut être estimée à 9 600 ans au minimum. Dans la vallée, les sandurs sont des dépôts fluvio-glaciaires résultant en grande partie d’une dynamique catastrophique de type jökulhlaup. Le volcan Katla est, en effet, couvert par la calotte du Mýrdalsjökull. Les éruptions régulières de ce volcan (deux éruptions majeures par siècle depuis mille ans) se traduisent, notamment, par la formation de grands réservoirs sous-glaciaires d’eau de fonte. Les vidanges brutales de ces réservoirs provoquent des débâcles aussi brutales que soudaines qui remobilisent les sédiments de l’avant-pays glaciaire. En juillet 1999, une large partie du fond de vallée a été remodelée par un jökulhlaup d’origine éruptive (Russell et al., 2005), le pic de débâcle ayant atteint 5 000 m3.s-1 selon les estimations de Roberts et al. (2000). Ce type de jökulhlaups majeurs semble avoir été récurrent tout au long de l’Holocène (Maizels et Dugmore, 1985), mais des phénomènes similaires de moindre intensité mais plus fréquents, dus à la vidange de lacs de barrage glaciaire, sont aussi intervenus dans la remobilisation des sédiments et la construction des sandurs. Des galets et des blocs basaltiques, à texture fine ou porphyrique, ont été sélectionnés à la surface de chacune des unités morphosédimentaires. Les galets ont été cassés en deux au marteau et un


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: UNE MÉTHODE DE DATATION DES DÉPÔTS MEUBLES EN MILIEUX FROIDS

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Fig. 1. Le glacier Sólheimajökull, émissaire de la calotte Mýrdalsjökull, Islande du Sud, et son avant-pays glaciaire détritique (cliché S. Étienne, juin 1999).

fragment rocheux a été détaché sur les blocs. D’un dépôt à l’autre, il est alors apparu que la couleur des cortex pouvait varier fortement (du gris au rouge orangé) malgré des caractéristiques pétrologiques constantes (Étienne, 2000). Des travaux expérimentaux et des analyses microbiologiques ont suggéré que cette variabilité des cortex pouvait être reliée à la variation des populations microbiennes cryptoendolithiques, notamment fongiques (Étienne et Dupont, 2002). Ainsi, contrairement à de nombreuses études de corticométrie antérieures, nous avons discriminé notre population de cortex selon leur couleur et selon la texture des basaltes, telle qu’elle peut être appréciée à l’œil nu, sur le terrain (voir les détails de cette typologie dans Étienne, 2000, 2001 ou 2004). Des analyses en lames minces et à la micro-sonde ont montré que les cortex de couleur rouge-orangé (WR1) contenaient une forte proportion de minéraux ferro-magnésiens oxydés, tandis que les cortex jaunâtres (WR2)

étaient davantage sujets à une dissolution des plagioclases. Une distinction identique a été effectuée dans le même temps par Oguchi (2001) qui a analysé des andésites au Japon. Oguchi a prélevé des fragments en subsurface, et elle constate une juxtaposition des deux types de cortex, le cortex d’oxydation se trouvant sur la partie la plus externe de la roche. L’épaisseur de la zone décolorée ou recolorée, le cortex donc, a été mesurée avec un réglet métallique et un compte-fil, chaque mesure a été arrondie au dixième de millimètre le plus proche. Un minimum de 100 mesures a été effectué par dépôt et l’échantillonnage compte un total supérieur à 4 000 données. Pour chaque dépôt, la moyenne de chaque couple type de cortex/lithologie a été retenue.


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LES DOMAINES FROIDS

3.2. Résultats et discussion

Plus haut, c’est-à-dire sur les plateaux encadrant la vallée du Sólheimajökull de 200 à 1 200 m d’altitude, l’épaisseur des cortex augmente depuis les marges glaciaires vers les marges des plateaux, mais la courbe n’est pas régulière : une nette augmentation apparaît en deçà de 500 m. Cet étage inférieur des plateaux n’est pas soumis à l’action morphogénique des vents catabatiques (et, pour ce qui nous concerne ici, la corrasion des cortex) contrairement aux parties plus élevées et plus proches de la calotte glaciaire où les cortex sont décapés au fur et à mesure de leur croissance (voir Étienne et André, 2003).

L’épaisseur des cortex de météorisation augmente graduellement pendant les 150-200 premières années avant de se réduire ou de stagner (fig. 2). Un modèle d’évolution a été proposé (Étienne, 2002) qui semble caractéristique des cortex de surface où des processus-relais de météorisation, notamment la desquamation, inhibent leur développement après un siècle et demi à deux siècles d’exposition dans les fonds de vallée. Ce modèle s’appuie sur les modifications structurales progressives du cortex (augmentation de la porosité, ameublissement ou induration) qui favorisent l’apparition de discontinuités (micro-diaclases) entre la roche saine et le cortex, conduisant à terme au détachement du cortex. Gordon et Dorn (2005) ont testé et validé ce modèle en Arizona dans des milieux arides et semi-arides : la même séquence de relais de processus de météorisation y a été observée, mais sur un pas de temps plus long (de l’ordre de quelques milliers d’années et non plus du siècle).

4. Conclusion : l’acuité temporelle de la corticométrie en Islande La relation entre l’épaisseur moyenne des cortex et la durée d’exposition est forte dans le sud de l’Islande lorsqu’on ne retient que les cortex d’oxydation produits sur les blocs et galets basaltiques affleurants (R² = 0,89). Le lien statistique

mm

3,5 3

2 1,5

(1400-1700)

B2

dépôt de Holar

2,5

Maximum Petit Âge glaciaire

A2

C2

A1

1 B1

0,5 C1

0 0

50 A1

60

62

64 A2

67

82

96

100

110

temps de cortification (années) B1 B2

150

154 C1

450

9600 C2

Fig. 2. Évolution de l’épaisseur des cortex au cours de l’Holocène, Sólheimajökull. L’échelle des abscisses (x) n’est pas linéaire, une échelle logarithmique eût été préférable, mais rendait la lisibilité du graphique trop confuse


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: UNE MÉTHODE DE DATATION DES DÉPÔTS MEUBLES EN MILIEUX FROIDS

entre les deux paramètres est moins concluant dans le cas des cortex de dissolution (R² = 0,46). Les deux courbes de croissance sont de type logarithmique. Les cortex d’oxydation sont discernables sur le terrain après 25-30 années d’exposition et la valeur moyenne de leur épaisseur augmente jusqu’à 110-150 ans. Après cette période initiale, les courbes stagnent, voire s’abaissent. Ce comportement est interprété comme un signe de destruction externe du cortex : l’augmentation de la porosité et l’ameublissement du cortex sont des effets connus de la météorisation (Oguchi, 2001) et ceci offre des conditions favorables à la libération de matière (par lessivage ou destruction mécanique : micro-gélifraction ou corrasion). L’oxydation du fer est également un processus qui conduit à la désagrégation des minéraux (Dixon et al., 2002). Une synergie entre les processus biologiques, chimiques et mécaniques, peut expliquer la généralisation des phénomènes de desquamation observable à la surface des dépôts âgés de plus de 150 ans (Étienne, 2002). La desquamation paraît ainsi être un des facteurs explicatifs de la difficulté d’utilisation de la lichénométrie en Islande : une agrégation des diamètres de Rhizocarpon sp. est en effet couramment observée sur des dépôts présumés mis en place dans la première moitié du xixe siècle, conduisant à une sous-estimation de l’âge réel de certains dépôts (Kirkbride et Dugmore, 2001). Ce regroupement des diamètres de lichens peut ainsi être aussi bien une conséquence de la croissance non linéaire des lichens (Bradwell, 2001) que la conséquence d’une instabilité de la surface de croissance des lichens (c’est-à-dire le cortex) au bout de 150-200 ans.

La corticométrie de surface est, en Islande du sud, une méthode de datation très sensible, particulièrement utile dans les plaines fluvio-glaciaires de basse altitude pour les 150 dernières années. Elle doit être utilisée en complément de la lichénométrie notamment pour la datation de dépôts dont l’âge est compris entre 70 ans (début des

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couvertures photographiques aériennes en 1937) et 110 ans (maximum du PAG pour un grand nombre de glaciers islandais). Son usage doit se faire avec précaution sur les terrains plus anciens (perturbations dues à la desquamation) ou situés à plus hautes altitudes (au-dessus de 400 m) où la corrasion interfère grandement avec le développement des cortex. Références Birkeland P., 1973. Use of relative-age dating methods in stratigraphic study of rock glacier deposits, Baffin Island, N.W.T. Canada, Arctic and Alpine Research, 5 : 401-416. Bland W., Rolls D., 1998. Weathering. An introduction to the scientific principles, London, Arnold : 271 p. Bradwell T., 2001. A new lichenometric dating curve for southeast Iceland, Geografiska Annaler, 83A : 91-101. Černohouz J., Šolc I., 1966. Use of sandstone wanes and weathered basaltic crust in absolute chronology, Nature, 212 : 806-807. Chinn T.J.H., 1981. Use of weathering rind thickness for Holocene absolute age-dating in New Zealand, Arctic and Alpine Research, 13 : 33-45. Dixon J.C., Thorn C.E., Darmody R.G., Campbell S.W., 2002. Weathering rinds and rock coatings from an Arctic alpine environment, northern Scandinavia, Geol. Soc. Am. Bull. 114 : 226-238. Dorn R.I., 1998. Rock coatings, Amsterdam, Elsevier : 429 p. Dugmore A.J., 1989. Tephrochronological studies of glacier fluctuations in Iceland, in Oerlemans J. (ed.), Glacier fluctuations and climatic change, Dordrecht, Kluwer : 37-57. Étienne S., 2000. Étude du développement de cortex d’altération sur des sédiments morainiques basaltiques postPetit Âge glaciaire dans le sud de l’Islande, Environnements périglaciaires, 7, 25 : 25-39. Étienne S., 2001. Les processus de météorisation des surfaces volcaniques en Islande. Approche épistémologique de la géomorphologie des milieux froids, thèse de Doctorat, Université de Paris Panthéon-Sorbonne : 477 p. Étienne S., 2002. The role of biological weathering in periglacial areas: a study of weathering rinds in south Iceland, Geomorphology, 47 : 75-86. Étienne S., 2003. Le Sud de l’Islande : un univers minéral sous la dépendance des microorganismes ?, Bulletin de l’Association de Géographes Français, 80, 4 : 401-406. Étienne S., 2004. Islande. Biogéomorphologie d’un milieu périglaciaire humide, Clermont-Ferrand, Mélanie Séteun, coll. « Géoenvironnement » : 257 p.


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