L’Extension de la Ville en profondeur A la conquête du sous-sol
Séminaire Domaine C, Semestre 8, Sandra Le Garrec
* Illustration par Christelle Mozzati
« Pourquoi cette focalisation spatiale sur le dessous ? »
Et pourquoi pas ?
Au départ, mon envie était de travailler sur le développement du métropolitain sous les grandes villes. Le métro parisien est en effet quelque chose qui m’a toujours fasciné. Venant d’un petit village, je me suis rendue pour la première fois à Paris à l’âge de quatorze ans et je n’avais pas une seule seconde pris conscience de l’ampleur de ce réseau souterrain jusqu’au moment où je l’ai moi-‐même emprunté. Et ce fut une sorte de choc. Je suis restée là, un peu déboussolée, complètement étonnée. Par ce labyrinthe enfoncé sous terre d’abord. Par la facilité déconcertante avec laquelle les parisiens l’empruntaient ensuite. Par leur attitude pressée, presque blasée enfin. Ne se rendaient-‐ ils pas compte de la folle beauté de ces tunnels futuristes ? De l’inventivité et de l’énergie déployées pour les creuser ? L’idée première de ce mémoire partait donc de cette expérience… Et lorsque la question de la focalisation sur le souterrain s’est posée, j’ai pensé, qu’en effet, il ne serait peut être pas plus mal de remonter sur terre. Paradoxalement, j’ai tout de même continué à me plonger dans les entrailles du monde souterrain. Les romans de Jules Verne, les contes de Claude Ponti, le manga Akira, les films de science-‐fiction tels que Metropolis, la Cité de l’Ombre ou encore Star Wars,… sont autant d’œuvres qui ont bercé mon enfance et que je redécouvrais avec un regard neuf : il y a plus que le métro sous terre et j’étais certaine que si je continuais encore à creuser (sans mauvais jeux de mots), je trouverais encore de la matière pour nourrir ma réflexion. Et ce fut le cas. Un rapide coup d’œil sur Google m’a prouvé qu’il existait une multitude, un nombre incalculable, de réalisations architecturales et urbaines sous terre. Montréal, Paris, Tokyo,… en regorgent. Quelque part, nous connaissons pour beaucoup ces réalisations du monde souterrain. Entre imaginaire et réel, entre peur et fascination, entre ténèbres et sagesse, elles existent, depuis toujours pour certaines, et se développent telles des villes sous les villes. On en parle peu, on ne les voit pas. Mais leur présence ne fait aucun doute. Et c’est cette profondeur que j’aimerais explorer…
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Introduction
Première partie
Ü Ü Ü Ü Deuxième partie Ü Ü
Troisième partie Ü Ü
Conclusion
SOMMAIRE Bienvenue dans le Monde Souterrain Un univers encore mal connu : Entre crainte et fascination
p 4 p 7 Une limite physique : le sol comme frontière et le centre de la Terre comme mystère Une question de représentations : un imaginaire basé sur une certaine dichotomie Un problème d’ambiance : un environnement anxiogène Une notion d’esthétique : profondeur et laideur comme synonymes ? De la fiction à la réalité : p 20 Enterrer pour mieux vivre à la surface Le monde souterrain : Un monde d’ingénieurs ? Quelle place pour l’architecte ? Villes exploitant leur sous-‐sol : trois exemples concrets -‐ Montréal : La ville à l’intérieur de la ville -‐ Paris : Des souterrains sans urbanisme -‐ Tokyo : Et le métropolitain amena le souterrain… Vers le futur de la ville : p 35 Le rêve urbain est permis Angoisses d’un monde malade : des peurs plus ou moins justifiées Optimisme d’un avenir radieux : -‐ Quand les livres nous ouvrent les portes des l’imagination ‘’durable’’ -‐ Quand développement durable rime avec souterrain viable -‐ Des grandes idées aux plus petits projets, l’invention d’un sous-‐sol salvateur L’univers du souterrain est l’univers du possible p 49 Bibliographie, articles et sites internet p 53 Remerciements p 58
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Bienvenue dans le Monde Souterrain…
Introduction
Loin des yeux,… Aussi loin que l’on remonte dans le temps, l’espace urbain apparaît comme un univers à trois dimensions : il se développe en surface, rien de plus naturel. En hauteur, cela va de soit. Mais également, et on l’oublie trop souvent, en profondeur. Un oubli inconscient, d’une part : ce qui est enterré, ce qui n’est pas visible directement à nos yeux, nous apparaît comme flou, mal connu, voir inexistant. Un oubli volontaire, d’autre part : le monde souterrain est sujet à de nombreuses angoisses, à la fois physiques et sensibles. L’obscurité, l’humidité, l’enfermement, les abîmes, les températures extrêmes, soit trop chaudes, soit trop froides… Un monde où il paraît difficile de se sentir à son aise, et où tout semble nous repousser vers la surface. D’ordinaire si enclin à conquérir de nouveaux territoires, l’Homme semble bien maladroit dans ce monde obscur et c’est avec difficulté qu’il peut y entrer. Pour franchir la limite du sol et exploiter de nouveaux espaces, il doit en somme inverser ses réflexes naturels de bâtisseur et s’y prendre en ‘’négatif’’. Ses capacités de perception doivent s’adapter à l’obscurité absolue qui règne dans les profondeurs de la terre. Il doit inventer d’autres outils, intervertir les repères qu’il utilise à la surface, retirer de la matière au lieu d’en ajouter, utiliser d’autres modes de représentations. Il est plus curieux de constater qu’à une époque où l’homme découvre presque tous les jours de nouvelles étoiles à des millions d’années lumière, il sache si peu de choses sur son propre sous-‐sol. Et tandis qu’il envoie des vaisseaux spatiaux qui sortent de son système solaire, il n’a été capable de s’enfoncer que de quelques centaines de mètres de profondeur dans sa propre planète1. 1
Le monde souterrain, Jean-‐Jacques Terrin, Paris, Editions Hazan, 2008
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Le sol n’est pourtant pas une barrière infranchissable Malgré l’ampleur de la tâche, l’homme a en effet grignoté ça et là, sous les villes, la lithosphère2. Une infime couche à l’échelle de la planète. Un univers souterrain des plusieurs millions de mètres cube à l’échelle de l’Homme où nous nous appliquons ainsi quotidiennement à descendre. Se hâter dans les tunnels labyrinthiques du métro, garer sa voiture dans un parking souterrain, aller chercher une bouteille à la cave. Des actions banales certes, menées, au mieux, dans une totale indifférence. Au pire, accompagnées d’un fort sentiment d’antipathie. Pourtant, elles révèlent d’une nécessité pour chacun d’entre nous : celle d’entrer et d’occuper les profondeurs de la terre. Après tout, la notion de profondeur et de caverne est irrésistiblement liée à celle de l’existence humaine. Déjà à l’ère préhistorique, les hommes furent contraints de pénétrer au sein de la terre, soit pour y chercher un refuge contre les éléments naturels, soit pour échapper à leurs ennemis, qu’ils soient humains ou prédateurs. Grottes, habitats troglodytes, cavités, tunnels, sous sols,… sont autant de créations souterraines ayant toujours, ou presque, existé, et que l’Homme continue sans cesse d’explorer et de développer. Depuis la nuit des temps, l’idée d’investir les entrailles de la terre pour se mettre à l’abri, pour inventer un monde idéal, pour construire un autre futur, fait rêver l’humanité. 2
Partie superficielle du globe assurant la transition entre le manteau chaud (1400°C vers 100 km. de profondeur) et sa surface externe froide. Dictionnaire des sciences de la Terre, Encyclopédie Universalis, Albin Michel, 1998
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Le monde du ‘’dessous’’ a toujours existé Si l’imaginaire est là, développé, abondant, la réalité n’en est pas moins. Il existe depuis des milliers d’années une infinité d’exemples qui pourraient être cités. Des grottes préhistoriques aux pyramides d’Egypte, des mines de charbons aux catacombes, des tunnels du métro aux égouts, les références architecturales anciennes ne manquent pas. Étrangement, les œuvres plus récentes ne portent pas la même image. Elles sont tout aussi nombreuses mais l’évocation du mot ‘’sous-‐sol’’ ou ‘’souterrain’’ pour décrire un projet urbain, provoque une certaine angoisse. Les cavernes ou les cryptes archéologiques sont regardées comme des objets appartenant à la mémoire collective, sources de connaissance et de sagesse. Les musées ou les centres commerciaux contemporains enfoncés sous terre, rebutent, repoussent. Liés à une peur de l’enfermement, du manque de lumière, ou aux légendes qui entretiennent la symbolique des souterrains, leur développement fait également écho aux nombreuses difficultés que rencontrent les villes aujourd’hui. En effet, l’environnement urbain est pollué en surface, les rues sont engorgées de véhicules, le maintien de l’habitat est rendu difficile du fait de la pression foncière et de l’entassement progressif des populations en centre ville. De plus, l’évolution de la vie urbaine exige toujours plus : plus de loisirs, plus de mobilité, plus de culture, plus de santé. Installer une partie de ces activités sous la surface et ainsi exploiter le sous-‐sol, sans complexe et sans appréhension, comme un espace urbain à part entière, semble devenu un des enjeux de l’urbanisme contemporain. Dans cette optique, peut-‐on penser que l’urbanisme souterrain serait une solution afin d’alléger la ville, voir de la renouveler ? L’utilisation optimisée de l’espace souterrain peut-‐elle apporter une dimension supplémentaire à l’urbanisme durable pour permettre une augmentation de la densité dans une ville où il fasse bon vivre ?
Forum des Halles, Paris, Place Carrée
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Première partie Un univers encore mal connu : Entre crainte et fascination
Première partie
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Un univers encore mal connu : Entre crainte et fascination
Souterrain, aine, (de sous et terre d’après le latin subterraneus) 3 1. Qui est ou se fait sous terre. Passage souterrain. 2. fig. LITTER. Caché, obscur. Une évolution souterraine.
S’il y a de nombreuses questions qui n’ont cessé de revenir tout au long de mes recherches, elles étaient toutes liées à l’appréhension liée à l’exploitation du sous-‐sol. En effet, plus j’avançais dans les profondeurs de la Terre, plus je me passionnais pour le sujet et moins je comprenais pourquoi les autres restaient réticents, voir aveugles face à ce monde. Il est clair qu’il ne laisse personne de marbre. On l’aime, mais le plus souvent, on le craint, on l’évite. On le trouve parfois fascinant ; souvent, on le trouve laid. Quoiqu’il en soit, son évocation fait souvent appel à des sentiments pour le moins extrêmes. Mais comment expliquer que l’on pense toujours ne rien savoir à son sujet ? A quelles images mentales fait-‐il référence ? Pourquoi ne laisse-‐t-‐il personne indifférent ? Pourquoi sommes-‐nous angoissés ou fascinés par ce qui se trouve dessous ? Les réponses sont nombreuses ; elles s’étendent dans plusieurs domaines, tels que la géologie, l’anthropologie, la mythologie, ou encore la philosophie. La vraie réponse est inconnue, probablement est-‐elle un croisement entre toutes ses réponses et d’autres encore inexplorées. Voici celles qui m’ont le plus interpellé.
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Définition provenant du dictionnaire Le Robert 1995
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Une limite physique :
Le sol comme frontière et le centre de la Terre comme mystère
Le sol est probablement la plus grande des frontières, le plus haut des obstacles (bas en l’occurrence), que l’Homme n’ait jamais eu à franchir. Le mur de Berlin, la grande muraille de Chine, la frontière entre les Etats-‐Unis et le Mexique,… ne sont rien face à cette limite presque aussi infranchissable qu’elle est imperceptible. Mais qu’y a-‐t-‐il sous nos pieds ? La composition même de la Terre n’a de cesse d’intriguer. Au cœur du mystère : la nature du centre de la Terre. Depuis la nuit des temps, d’innombrables hypothèses ont été échafaudées à ce sujet. Ses représentations sont forcément imaginaires, peu de mortels ayant entrepris une descente dans les entrailles jusqu'à une période relativement récente. L’exemple le plus diffusé est probablement celui d’Agartha, une cité, un royaume ou un monde souterrain légendaire apparu au XIXe siècle dans des œuvres de fiction utopistes et des courants spirituels occidentaux, intégrant des éléments hindouistes et bouddhistes. Le thème s’est développé au XXe siècle en se liant aux mythes des mondes disparus (Hyperborée, Atlantide, Lémurie), et à partir des années 1950 aux théories de la Terre creuse. Il a été adopté par des mouvements New Age. Agartha est en général présentée comme un monde idéal susceptible de sauver l’humanité.
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La réalité reste aujourd’hui difficile à cerner, tant les profondeurs de la Terre semblent irrémédiablement inaccessibles à l’Homme. Selon les chercheurs, seule une petite frange de la croûte terrestre pourra un jour être explorée. Ils doivent faire appel à des modèles mathématiques et à des simulations pour la représenter, et sans l’apport de ces méthodes d’exploration indirecte, les humains seraient restés totalement ignorants du contenu profond du globe au-‐delà des quelque deux ou trois premiers kilomètres. Le rayon de la Terre est d’environ 6 100 kilomètres. Sa matière est composée d’un noyau très dense, d’un rayon de 1 000 kilomètres. Le noyau externe, liquide, est d’une épaisseur d’environ 3 200 kilomètres. Les deux noyaux sont constitués d’un alliage de fer et de nickel. Autour du noyau externe se trouvent le manteau, d’une épaisseur d’environ 2 200 kilomètres, puis la croûte […] Selon les chercheurs, seule une petite frange de la croûte terrestre pourra un jour être exploitée4. Au collège, on nous apprend souvent que la Terre est semblable à un oignon. Elle est enrobée de couches, entassées les unes sur les autres, du manteau jusqu’à son noyau. Et bien, autant dire que nous ne resterons probablement que dans l’enveloppe extérieure de l’oignon. La spéléologie, activité aux multiples facettes, ne se prête guère, même dans sa composante sportive, à l’établissement de records.5 4
Encyclopédie Microsoft Encarta 2005, article « Terre » Wikipédia, Article « Composition de la Terre »
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Une question de représentations : Un imaginaire foisonnant basé sur une certaine dichotomie…
Creuser son imagination Bien sûr, nous connaissons tous Jules Verne et ses voyages fabuleux dans les profondeurs d’une Terre creuse. Mais il y a plus. Le monde souterrain est un monde de mythes, de rêves, d’introspection et d’angoisses, de réalité aussi, qui ne peut être exprimé que par des images puisqu’on ne peut pas le voir, que celles ci soient poétiques, littéraires, picturales, musicales, olfactives … ou numériques.6 Si l’on y réfléchi à deux fois, on se rend compte que la mythologie, la littérature, le cinéma,… Le folklore de la plupart des peuples s’est emparé de la légende souterraine pour tisser des récits fabuleux se rapportant aux cavernes, grottes, trésors, labyrinthes. , Les références au monde souterrain sont innombrables, insoupçonnées pourrait-‐on dire, tant on les trouve partout, dans tous les genres, à toutes les époques, pour exprimer des sentiments divers, comme un inlassable leitmotiv qui annoncerait tantôt la folie ou la mélancolie, tantôt le danger, tantôt l’aventure ou le fantastique. Tantôt l’Utopie. Tantôt l’Enfer… 6
Le monde souterrain, Jean-‐Jacques Terrin, Paris, Editions Hazan, 2008
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Utopie d’un Monde Idéal
Le monde souterrain a ce pouvoir très particulier de décupler notre imagination. Il donne en effet l’occasion à l’homme de rêver à un ailleurs plus beau, plus riche, plus vertueux que ce qu’il connaît à la surface. Parfois, le souterrain abrite des sociétés, composée d’êtres intelligents et purs, qui ont bâti des villes fantastiques tombée dans l’oubli après une guerre nucléaire, comme la cité Ember, 7 ou après une découverte majeure par des mineurs, comme à Coal City8. D’autres fois, ce sont des trésors immenses qui sont cachés au fond d’une grotte et qui feront du héros un homme opulent, surtout si cet homme s’appelle Ali Baba, ou Indiana Jones. D’autres fois encore, ce sont les héros qui découvrent par inadvertance un monde magique souterrain, comme Alice qui accède au Pays des Merveilles9 en tombant dans un terrier de lapin ou Adèle, qui transformée en être minuscule, découvre les dessous de Paris grâce aux Zéfirottes10. 7
La Cité de L’ombre, Jeanne Duprau, 2004 Les Indes Noires, Jules Verne, 1877 9 Alice au Pays des Merveilles, Lewis Carroll, 1865 10 La Nuit des Zéfirottes, Claude Ponti, 8
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Mais toujours, il s’agit de voyages initiatiques qui cristallisent de nombreux désirs dans la vie de nos héros. Une quête de soi-‐même, un retour aux sources, une rupture avec la société moderne. Le temps d’une lecture, se retrouver dans le ventre de la Terre revient en quelque sorte à retourner dans le ventre de la Mère où l’on découvre un environnement protecteur où le bonheur, la sécurité et l’opulence sont à portée de pelle. Il se demande s’il n’y a pas en lui, nécessairement, derrière chaque caverne, une caverne encore plus profonde – si au-‐ dessous d’une surface il n’y a pas un monde plus vaste, plus étranger, plus riche, si derrière chaque fond, et sous chaque « fondement », il n’y a pas un tréfonds. 11
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Friedrich Nietzsche, Par-‐delà le bien et le mal, fragment 289, traduction de Henri Albert révisée par Jean Lacoste et Jacques Le Rider, Paris, Robert Laffont « collection Bouquins », 1993, 728. Voir Michel Serres, « Un Voyage au bout de la nuit, » Critique, tome XXV, n° 263, avril 1969.
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Angoisse des Enfers
Les Enfers, monde de ténèbres, obscur reflet des angoisses les plus anciennes de l’Homme sont présents dans toutes les religions et ont ce point commun qu’ils possèdent tous leur siège au fond de l’abîme. Hadès, Pluton, Satan, Yama,… trônent dans des gouffres souterrains, entourés de monstres infernaux, de dragons qui sentent le souffre, de serpents en tout genre, gardiens du cœur de l’Enfer où bien-‐sûr personne n’a envie de finir. Car le monde souterrain, c’est aussi cela : un lieu de châtiment et de privation éternelles pour les âmes humaines après la mort. Le terme enfer vient du latin infernus qui signifie « ce qui est en dessous ». Le dogme de l'existence de l'enfer vient du principe de la nécessité d'une justification de la justice divine, associée à l'expérience humaine selon laquelle il ne semble pas que les mauvais soient suffisamment punis durant leur vie. La croyance en un enfer était répandue dans l'Antiquité et on la trouve également dans la plupart des religions du monde, aujourd'hui. 12 Loin des trésors fabuleux et de la connaissance éternelle, les œuvres littéraires de tout temps ont bien compris que les entrailles de la Terre sont aussi le lieu idéal (ou plutôt infernal) afin de provoquer un sentiment d’angoisse, d’enfermement chez le lecteur. 12
Encyclopédie Microsoft Encarta 2005, article « Enfers »
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Nombreuses sont les cités corrompues où le chaos et la laideur règnent en sous-‐sol. Dans les égouts de Gotham City 13 , les chauves souris deviennent humaines, les crimes se multiplient, les vilains aussi. A Métropolis14, ville futuriste, où les plus riches s’amusent et se prélassent à la surface alors que les ouvriers, réduits à l’état d’esclavage, travaillent sans relâche dans les souterrains afin de faire fonctionner la ville. Et d’éviter de se faire avaler tout rond par le Monstre-‐Machine… Lieu de supplice également dans la ville de Néo-‐Tokyo15, le sous-‐ sol fait l’objet d’activités suspectes : l’armée japonaise réalise en secret des tests nucléaires… sur des individus. La perspective ultime de ces aventures est en effet effrayante : la mort condamne inexorablement les Hommes, lecteurs ou héros, à prendre possession du sous-‐sol de la Terre, allongés et immobiles, dans un costume en sapin…
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Batman, comic américain créé par Bob Kane et Bill Finger dans Detective Comics #27 en 1939. 14 Metropolis, Fritz Lang, 1927 15 Akira, Katsuhiro OMOTO, Editions Glénat, 1985
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Un problème d’ambiance : Un environnement anxiogène Le souterrain est un environnement complexe. Le plus grand défaut dont il souffre est probablement le fait qu’il soit anxiogène, presque pathogène. Le manque de lumière, la perte de repères, les matériaux naturellement présents, telles que la pierre ou la terre, sont difficiles à traiter pour un architecte, et encore plus à maîtriser. Jean Jacques Terrin, entretien à Paris, le 19 Septembre 2011 La nature même du sous-‐sol n’attire pas franchement l’être humain. Les adultes ont peur de l’enfermement, les enfants, de l’obscurité. Quiconque souffrant d’un problème de claustrophobie n’entrera pas facilement dans cet environnement. " Peur irrépressible de se trouver dans un endroit clos, associée à la crainte d'étouffer et au désir de fuite " 16 Là est le problème. L’Homme se sent en danger dans ce milieu qu’il perçoit comme hostile. Trop froid, ou trop chaud, humide, clos, désagréable, autant à l’œil qu’au nez, sombre, … sont autant de qualificatifs qui pourraient être employés pour décrire l’ambiance régnant dans une grotte ou une caverne. Pourtant, ces craintes sont bien souvent psychologiques : les cavités naturelles sont des environnements purs, à l’équilibre climatique évident. On y trouve les eaux les plus claires, l’air le plus pur. 16
Définition psychanalytique du terme « claustrophobie », article De la claustrophobie et de l’enfermement, par TZ Team
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. Recueil de témoignages de commerçants, à l’occasion des travaux de réaménagement du Forum des Halles, à Paris, paru dans Demain, Les Halles, Juin 2011
« Je travaille dans le métro depuis maintenant 5 ans. C’est sûr, au début, ça me faisait bizarre de me dire que je travaillais dessous. Et puis, en fait, je m’y suis habituée. J’ai l’impression d’être dans une boutique normale, au final, sauf qu’à travers ma vitrine, je ne vois pas la rue, avec les arbres et le ciel. Juste le tunnel, le béton, la lumière des néons. Par contre, à la surface comme ici, ce sont les mêmes gens pressés »
« Mon café, c’est ma vie. Je ne pense pouvoir revenir à la surface maintenant. J’aime cette sensation le matin, de descendre les escaliers du métro, et de me poster là, derrière mon comptoir. C’est un peu comme si j’étais la seule personne immobile au milieu de tout ce fracas. Tous ces gens qui passent, c’est mon spectacle quotidien. »
« Je ne pouvais pas rester. J’avais l’impression d’étouffer, d’être plongée dans une atmosphère lourde et pesante. J’ai cru que cette sensation allait passer mais non. J’ai tout changé dans ma boutique, la lumière, la déco, la disposition des présentoirs, mais rien n’y a fait. Au bout de 2 ans, j’ai vendu ma boutique et je suis revenue sur le vrai sol. Je suis aujourd’hui qu’il y a des gens comme moi, qui ne sont pas faits pour passer du temps sous terre, et que quoiqu’on y fasse, cette sensation de mélancolie, d’angoisse, ne partira pas. On finira tous sous terre, non ? Alors pourquoi y descendre maintenant ? »
Les aprioris du sous-‐sol sont et resteront nombreux tant qu’ils seront liés à notre psychologie. Car se rendre dans un espace souterrain ressemble trop souvent à un combat entre une réalité faussée et une problématique intérieure.
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Une notion d’esthétique : Profondeur et laideur comme synonymes ? La Beauté n’est pas une qualité inhérente aux choses elles-‐mêmes mais existe uniquement dans l’esprit de l’observateur, et chaque esprit perçoit une beauté différente 17. La beauté. Un des concepts les plus subjectifs qui existe dans notre langage. Pourtant, elle fait écho à une perception personnelle qui est directement influencée et liée à une époque : ce qui est beau et ce qui ne l’est pas se réfère à un ensemble de critères, à une pensée spécifique d’un moment donné de l’histoire. Il s’agit souvent moins d’une conviction spirituelle ou architecturale que d’une conviction sociale, presque sociologique. Aussi étrange que cela puisse paraître, un parallèle peut être fait entre les grands principes classiques et l’urbanisme souterrain. En un sens, la raison pour laquelle les grands principes classiques ont été perpétués pendant si longtemps, sans rencontrer de bouleversements forts, semble qu’ils étaient communément acceptés et correspondaient aux attentes et désirs de la société. Puis, en très peu de temps, les codes se renversent. Ces principes deviennent désuets, as been, voir ‘’laids’’. En va de même pour le monde souterrain. Sauf que j’ose espérer qu’il fera le chemin inverse : rejeté, voir passé sous silence aujourd’hui, arrivera peut-‐être le jour où les critères de beauté changeront et où il sera exploité sans apriori et sans réserve. 17
David Hume, « Of the Standard of Taste », Essays Moral, Political and Literary, Londres, 1898, p 268
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Bien sûr, avant cette note de pur optimisme, il convient de comprendre les raisons de la laideur actuelle de notre sous-‐sol. Hormis les question d’ambiance et de représentations déjà traitées ci-‐avant, la notion d’ ‘’appropriation’’ donne une autre vison de cette non-‐amour du souterrain. « La beauté des ensembles urbain est le produit de cet équilibre sensible entre pouvoir collectif et liberté individuelle »18
Là est peut être la clef. Les ensembles urbains souterrains sont pour le plus souvent de produits absolus du pouvoir collectif. Ils sont liés à des transports en commun, des activités commerciales en commun, des parkings en commun. Trop de collectif et pas assez d’individuel. Pas de place pour l’appropriation et la créativité de chacun dans cet ensemble de règles collectives. La rationalité de ce monde obscur, l’ingénierie, la technologie qui le parcourt, font oublier que l’esthétique est un facteur prédominant dans l’aménagement des villes. Elle est certes difficile à définir, fluctuante selon les populations, les lieux, les époques, mais c’est une dimension urbaine pour laquelle on est prêt à sacrifier beaucoup d’autres qualités, tels que le coût ou même l’utilité. Aujourd’hui, le problème des villes est qu’il y existe de nombreuses œuvres souterraines remarquables, autant dans leurs conceptions que dans leurs usages, et qui pourraient être qualifiées de « belles ». Mais elles ne sont que des éléments ponctuels, et non la règle commune. Ce n’est pas la beauté ponctuelle mais l’harmonie générale qui prime 19
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Louis Métrier, « La production du Beau, Trois études de sociologie sur l’habitation populaire », retranscription écrite d’une conférence donnée le 15 Novembre 2000 à la Sorbonne 19 Ibid
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Deuxième partie
De la fiction à la réalité : Enterrer pour mieux vivre à la surface
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De la fiction à la réalité :
Deuxième partie
Enterrer pour mieux vivre à la surface
Le monde souterrain : Un monde d’ingénieurs ? Quelle place pour l’architecte ? Il y a confusion entre habitat souterrain et urbanisme souterrain. Si à l’origine de la maison souterraine, il y a eu la volonté de donner à un abri un aspect accueillant, on a eu tort par la suite, de croire qu’il était possible de généraliser la méthode. […] L’Homme est fait pour vivre au soleil, à l’air et jouir du spectacle de la nature. L’urbanisme souterrain est une nécessité ; l’habitat souterrain est un pis aller auquel on peut penser qu’on échappera 20
Malgré sa passion pour les profondeurs, Edouard Utudjian (biographie ci-‐à gauche) avait compris qu’habiter sous terre, trouver des maisons sous la surface du sol, resteront toujours une utopie. Les architectes ne construiront pour ainsi dire jamais d’habitat souterrain. L’enjeu n’est pas d’enterrer l’habitat humain, mais seulement certains organes de la ville qui encombrent la surface par leur masse importante ou qui peuvent la désengorger, voir la ‘’soulager’’ en sous-‐sol. Ainsi les limites de l’urbanisme souterrain tiennent en quelques mots : il ne doit pas conduire à la construction de ‘’villes cavernées’’, d’habitations permanentes enterrées. L’habitat souterrain ne peut être que très réduit et temporaire, l’Homme ne fera toujours que passer rapidement sous la surface. Dans cette optique, on peut bien sûr penser que l’architecte n’a pas sa place en souterrain. Pourtant, la question est simple : le travail d’un architecte se limite-‐t-‐il au simple habitat ? 20
Edouard Utudjian, Architecture et Urbanisme Souterrains, Collection Construire pour le Monde, 1966, p 43
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L’urbanisme souterrain est une saine politique du sous-‐sol exigeant une étroite liaison doit exister entre l’urbaniste et l’architecte, l’ingénieur et le géologue 21 Il y a tant à faire en dessous, et du travail pour de nombreux corps de métiers. On pense bien sûr à l’ingénieur. Circulation des fluides, de l’électricité, tunnels routiers et ferroviaires, réseau du métropolitain, égouts et catacombes... Le monde souterrain est un entrelas de réseaux, qui riment avec calculs, outils de planification et connaissances scientifiques. Pourtant, depuis des années, on voit se développer en sous-‐sol une architecture de service, mêlant centres commerciaux, musées, salles de cinémas ou de concert, restaurants, centres sportifs,… Ces véritables projets, quelques peu différents de ce que l’on trouve à la surface, avec un programme réel et une maîtrise d’ouvrage à assurer, représentent un enjeu, presque un défi pour les architectes. Comment faire entrer la lumière ? Comment lier l’œuvre au tissu existant, qu’il soit souterrain ou en surface ? Comment traiter le parcours de l’usager afin qu’il ne perde pas tous ses repères ? Ces questions se sont, depuis longtemps déjà, posées à de nombreux architectes. Aux quatre coins du monde, des dizaines de métropoles ont sauté le pas et développé leur réseau souterrain chacune à leur manière, créant ainsi des bout de villes enterrés et viables. Elles se nomment Amsterdam, Toronto, Vienne, Moscou, Paris, New York… Dans le cadre de ce mémoire, nous nous attacherons principalement à trois villes : Paris, bien sûr, mais aussi Montréal, une ville référence en matière d’urbanisme souterrain, et enfin la tentaculaire Tokyo, aussi frénétique à la surface, qu’en souterrain. Trois villes séparées par des milliers de kilomètres les unes des autres au sens propre, comme au figuré. Géographie, géologie, histoire, climat, culture, mode de vie, … D’une ville à l’autre, tout change, tout est différent. Leur réseau souterrain apparaît alors comme le reflet de leur personnalité et nous amène à découvrir trois expériences uniques en leur genre. 21
Edouard Utudjian, L’urbanisme souterrain, Collection ‘’Que sais-‐je ?’’ N°533, Presses Universitaires de France, 1972, p 25
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Edouard Utudjian, 1905, Istambul -‐1975, Paris, 22
Mourir pour de idées, l’idée est excellente. Mourrons pour des idées d’accord, mais de mort lente. D’accord, mais de mort lente. George Brassens
‘’Apôtre de l’urbanisme souterrain’’
Lorsqu’il était encore enfant, un oncle d’Utudjian lui montra des images de la construction du métro et lui parla de la description épique des égouts de Paris par Victor Hugo dans Les Misérables. Ce fut le départ d’une passion. A peine arrivé à Paris à l’âge de quatorze ans, Utudjian découvrit le métro qui le fascinait tant et rencontra les deux architectes de cette grande réalisation : Guimard et Bechmann. Poursuivant son rêve, il entreprit une formation d’architecte aussi complète que possible et accumula un nombre de diplômes impressionnant : celui de l’Ecole des Hautes Etudes commerciales et financières à celui de l’institut d’Urbanisme de Paris, en passant par les diplômes d’ingénieur civil et d’architecte D.P.L.G. (il suivit notamment les conférences de Le Corbusier et fréquentait l’atelier de Perret), sans parler de ses études pour la restructuration des Monuments Historiques. En 1933, une idée lui vint ‘’Pourquoi ne pas fonder un groupe pour étudier toutes les architectures souterraines ? Pourquoi ne pas réaliser 23 une Metropolis engloutie dans le sol ?’’ . Le G.E.C.U.S. (Groupe d’Etude et de Coordination de l’Urbanisme Souterrain) naquit. Intervenant dans de nombreux pays, le groupe réalisa voies, parkings et usines souterrains, travaux d’assainissement et réseaux d’égouts. […] Edouard Utudjian, s’il est un des grands théoriciens visionnaires de notre temps, s’il s’est employé sans relâche à ce qu’il ne serait pas exagéré d’appeler un apostolat de l’urbanisme souterrain, par des articles, des conférences, des rapports, des livres de vulgarisation, est aussi un grand réalisateur. Le savoir-‐faire du G.E.C.U.S. fut apprécié partout, à part peut-‐être en France, où l’hostilité envers le groupe d’étude semblait automatique… Le Ministère de la Construction ne lui donna à ce propos jamais de commande officielle. Le G.E.C.U.S. resta actif jusqu’à la mort d’Utudjian, et persiste encore aujourd’hui en tant qu’A.F.T.E.S (Association Française des Tunnels et de l’Espace Souterrain), structure responsable de toute construction souterraine importante
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Selon Gabriel Dupuy, présentation de l’Urbanisme Souterrain de Sabine Barles et André Guillerme, Annales de Géographie, N°595, p 327
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Propos rapportés par Michel Ragon, préface de l’ouvrage Architecture et Urbanisme Souterrains, Collection Construire pour le Monde, 1966, p 8
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Villes exploitant leur sous-‐sol : trois exemples concrets
Montréal : La ville à l’intérieur de la ville S’il est une ville qui peut être citée comme modèle d’urbanisme souterrain, il s’agit bien évidemment de Montréal. Plus de trente kilomètres de réseau, des complexes immobiliers, des commerces, des équipements collectifs tels que des universités, des salles de cinéma ou de concerts, des centres sportifs, le tout complété par de nombreux tunnels piétonniers, d’escaliers mécaniques, de vastes places intérieures et de bouches de métro… Sous le béton, c’est une véritable ville sous la ville qui s’est développée depuis plus de quarante ans, et que l’on nomme désormais ‘’Montréal Souterrain’’. Depuis des années, il s’en dit des choses sur le Montréal Souterrain. Des belles et des moins mûres.24 A Montréal, l’idée de construire une ville intérieure se précise dans les années d’après guerre. A cette époque, les tensions entre l’Est et l’Ouest, l’URSS et, bien sûr, le si proche voisin du Sud, les Etats Unis, font trembler les bulletins de radios et les journaux. La première crise de Berlin (1948-‐1949) n’est pas très loin, tout comme d’ailleurs la guerre de Corée (1950-‐1953). Les missiles cubains (1962), eux, sont encore au chaud, dans les réserves secrètes de l’île de Fidel Castro. Le premier coup de pelle dans le sol montréalais marque le début d’un engouement pour les tréfonds de notre planète : en Septembre 1962, est inaugurée la Place Ville Marie25. Imaginez la scène : une place souterraine de plus de 278 800 m², au pied d’une tour cruciforme de 44 étages26, tout en métal et en verre. Autant dire, « du jamais vu ». Le responsable de la location des espaces commerciaux, un certain Georges Fuzet, annonce sur les ondes de Radio-‐Canada : Etant donné le climat brutal que nous avons au Canada, ça rend la galerie de la Place Ville Mairie remarquable (…) Ces galeries permettent à un acheteur de presque y vivre. 24
Fabien Deglise, Montréal Souterrain : Sous le béton, le mythe, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Editions Héliotrope, 2008, p 9 25 Architecte en chef : Henry N. Cobb. Son maître à pensée était Ieoh Ming Pei, architecte de la très célèbre pyramide du Louvres 26 A ce jour, le gratte-‐ciel n°1, Place Ville Marie, est le quatrième plus haut édifice de Montréal
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Après l’inauguration de la place, l’ambition d’un Montréal Souterrain se précise : s’il l’on a peur du grand froid, on a aussi peur de la Guerre Froide. La menace nucléaire est, comme partout ailleurs, très présente. Mais voyant le succès et la fierté avec laquelle la population porte le projet, le rêve d’un sous-‐sol viable sort de terre, avec, désormais, en trame de fond la volonté de vouloir inscrire la métropole dans la modernité, tout en donnant aux humains qui l’animent la chance de prendre le contrôle sur les éléments. Et les évènements.
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Galerie après galerie, durant les cinq dernières décennies, s’est creusé le Montréal Souterrain. Il s’est répandu aussi dans tous les coins du centre-‐ville infléchi par des règles d’urbanisme, poussé par des contraintes géographiques, mais aussi, par cette quête de la modernité qui, depuis les années 1960, doit se conjuguer forcément au temps de la libre circulation des individus et des marchandises. Chaque élément hétéroclite de ce casse tête urbain en sous-‐sol a bien-‐sûr été assemblé pièce par pièce pour permettre aux Montréalais de mieux consommer des environnements, quelques peu aseptisés il est vrai, mais aussi se divertir et de faire un pied à la rigueur climatique. Aujourd’hui, Place Ville Marie est devenue, comme le suggéraient les esprits visionnaires qui l’ont conçue, une « ville dans une ville.27
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Historique La Grande Dame De Montréal, Place Ville Marie, SITQ – Place Ville Marie 4, Place Ville Marie, bureau 600 Montréal (Québec) H3B 2E7 514 861-‐ 9393, disponible en PDF sur le site www.placevillemarie.com
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Tokyo : Et le métropolitain amena le souterrain… C’est à plus de 10 000 km de Montréal, que nous amène notre prochaine visite dans les souterrains de notre monde. Direction Tokyo. Dans ce pays souvent assailli par les pires catastrophes, le développement des réseaux souterrains est apparu très tôt comme un enjeu national. Lorsque le sol tousse, la ville s’embrase, la vague débarque,… le sous-‐sol reste implacable, immobile, stérile à ce chaos. La position des autorités publiques y est pour beaucoup dans le développement du sous-‐sol tokyoïte. Sur les quelques décennies où le réseau souterrain s’est développé, elles ont en effet considérablement varié. Un peu comme s’il pressait un bouton on/off, l’Etat Japonais a poussé, ou restreint, la production des œuvres dans les entrailles de la mégalopole.
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L’histoire commence en 1923. Le sol tremble comme jamais auparavant28, entraînant un gigantesque incendie dans la capitale. La reconstruction est prétexte à créer la première ligne de chemin de fer métropolitain du Japon. Aux vues des améliorations du trafic qu’elles procurent, l’Etat encourage, du moins tolère, la création des galeries commerciales, liées aux stations de métro. Cependant, à partir de 1973, la création d’espaces piétonniers souterrains est freinée, en grande partie parce qu’il devenait problématique d’autoriser des entreprises privées à s’installer sous les propriétés publiques29. Puis soudainement, en 1980, il se retire totalement de ses positions. Il interdit toute construction dans ce monde tellurique à la suite d’une seconde catastrophe : l’incendie d’un centre commercial semi-‐souterrain dans la ville de Shizuoka, pourtant située à plus de 160 km de Tokyo. La réglementation s’assoupli à nouveau vers la seconde moitié des années 1980 pour atteindre une phase très volontariste, traduite notamment par la création en 1987 du projet de l’Urban Underground Space Center of Japan, destiné à évaluer les potentialités de la ville souterraine dans toutes ses dimensions : juridiques, techniques, sociales, etc…30 Envolés les préjugés, les peurs, sur le monde du dessous. Les passages souterrains, les complexes commerciaux, deviennent plus complexes, plus profonds, au sens propre comme au figuré. Leurs fonctionnalités deviennent multiples ; désormais, ils empilent, juxtaposent, superposent,… gares de chemin de fer, activités commerciales, transferts piétonniers, stations de métro, équipements collectifs,… L’ « échange » devient le maître-‐mot, et la ville s’enrichit de cette nouvelle connexion entre le haut et le bas. La transition entre les différents réseaux et l’espace urbain n’en devient que plus riche, la connexion entre les différents points névralgiques de Tokyo n’en devient que plus fluide. La ville au service du piéton, libre de tout déplacement dans cette incroyable maille urbaine. On assiste au Japon à une nette distinction entre sous-‐sol banal-‐ affleurant peut-‐on dire, et sous sol profond. Dans le premier cas, il s’agit au mieux d’organiser le chaos en coordonnant les multiples acteurs ; dans le second, l’acteur public devient dominant.31 28
Grand séisme de Kantō, qui a dévasté la plaine de Kantō, qui se situe à Honshū, er l'île principale duJapon, le 1 septembre 1923 à 11 h 58. Ce séisme a été estimé en 1972 à une magnitude de moment de 7,9. Il provoqua de graves dommages aux villes de Yokohama, de Kanagawa, de Shizuoka, et de Tōkyō (www.wikipedia.org) 29 Futuristic underground arcades : thoughts for an ideal realization, actes de la ème 9 conférence internationale de l’ACUUS, Turin, novembre 2002 30 Dont le point d’orgue est probablement la conférence Urban Underground Utilisation ’91, organisée par le centre en question, à Tokyo en décembre 1991. 31 BARLES, Sabine et JARDEL, Sarah, L’urbanisme souterrain, étude comparée exploratoire, Rapport de recherche pour le compte de l’Atelier Parisien d’Urbanisme, 2005, p 43
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Les projets prennent du volume, les plafonds décollent en hauteur, la lumière inonde les entrailles de la ville, … Oubliés les impressions de confinement, d’aveuglement et d’enterrement. Désormais, les centres commerciaux, les infrastructures et les stations de métro s’offrent du bon temps en sous-‐sol, et invitent la population nippone à s’y arrêter. Centre Commerciale Yaesu Cela fait maintenant 30 ans que je vis à Bordeaux. Pourtant, même maintenant, les souterrains de Tokyo me manquent. C’est comme s’il manquait quelque chose ici. Une épaisseur dans la ville, un lieu pour aller dessous tout ça (montrant la rue). Je me souviens que lorsque nous étions jeunes, et que nous avions du temps pour trainer, mes amis et moi allions faire un tour au centre commercial de Yaesu, près de la gare de Tokyo. J’adorais ce centre commercial. Tout en couleurs, en profondeur. On allait là, c’était comme notre bulle. A l’intérieur de la ville, mais en dehors. Enfin en dessous. Mais quand je retourner à Tokyo, je reviens rarement dans ce centre commercial, je prends même très peu le métro. Maintenant, je trouve cela trop différent de ma manière de vivre. Peut être trop jeune, trop de monde. Ou peut être que je me dis que ce sera un choc trop brutal de redescendre après avoir passé tant de temps sur le sol de Bordeaux. Entretien avec Mr Shindo, commerçant, professeur de langue, de cuisine et d’arts martiaux (et bien plus encore) d’origine japonais, vivant à Bordeaux
TERRIN, Jean-‐Jacques, Le Monde Souterrain, Hazan, Guide des Arts,
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Paris : Des souterrains sans urbanisme Passage obligé par la capitale française. A mi-‐chemin entre Tokyo et Montréal, Paris s’est-‐elle aussi dotée d’un réseau souterrain pour le moins performant. Réseau souterrain et Paris ? Si l’on y réfléchit, dans un premier temps, on ne pense à rien d’autre qu’au réseau du métropolitain. Pourtant, si l’on regarde d’un peu plus près, on découvre que le sous-‐sol parisien regorge d’œuvres souterraines. Les Halles, l’Institut de Recherche et de Coordination en Acoustique et Musique, la gare Montparnasse, les catacombes, la bibliothèque François Mitterrand, la crypte archéologiques de l’Île de la Cité, … L’ensemble ne constitue pas un réseau, comme à Montréal, ou à Tokyo, mais plutôt une succession d’évènements, sans lien apparent les uns avec les autres. A l’heure du Paris industriel, commence l’exploitation du souterrain français. Carrières, et caves, fleurissent et trouent le sol de la capitale comme un gruyère. Au XIXème siècle voit l’ingénierie et la gestion des flux envahir le monde du dessous : toutes sortes de réseaux techniques s’y développent – égouts, eaux, électricité, air -‐, rapidement rejoints par les réseaux de télécommunication propres au XXème siècle. Après l’ouverture du premier réseau métropolitain à Londres en 1863, Paris se rêve en capitale moderne, et se donne les moyens de projeter nombre de projets, aériens ou souterrains. C’est à l’occasion de l’Exposition Universelle de 1900 que la ligne 1 est conçue et réalisée par Fulgence Bienvenüe (le mystère est levé sur le double nom de la station de métro ‘’Montparnasse-‐Bienvenüe). La plupart des lignes que nous utilisons aujourd’hui furent ouvertes entre 1900 et 1930. L’apparition de la RATP en 1970 donnera un nouvel élan aux transports franciliens et permettre au réseau souterrain urbain de continuer à s’étendre : le métro avec Météor (ligne 14) en 1988 et le RER avec Eole (ligne E) en 1999.
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A ce propos, la construction de la ligne E du RER a été l’un des plus gros chantiers souterrains en France. Il comprenait la réalisation de deux gigantesques gares souterraines, Magenta et Haussmann-‐Saint-‐Lazare, chacune représentant une fois et demi le volume de la tour Montparnasse couchée à 30 mètres sous terre. L’usage français du souterrain est donc ainsi : identifié, rapide, efficace. Le métropolitain y est roi. En revanche, pour les piétons, l’usage est loin d’être aussi systématique qu’à Tokyo ou qu’à Montréal. Les passages souterrains préconisés par Emile Massard en 1910 font un fiasco : ils ne sont que des lieux de rendez-‐vous, et accroître leur nombre serait obliger l’Administration à augmenter le nombre des agents de mœurs.32 Il est bien connu que les français n’aiment pas que l’on change leurs habitudes. Le monde souterrain n’en faisant malheureusement pas parti, il ne déroge pas à la règle. Jusqu’à aujourd’hui Toutes les autres tentatives d’espaces dédiés à la gloire du piéton parisien ont été quelques peu vaines. Ou timides. Deux grands projets sortent du lot par leur audace : le Carrousel du Louvre, galerie réalisée à l’occasion du projet du Grand Louvre, et le Forum des Halles... 32
Rapport au nom de la deuxième commission sur la circulation au Conseil Municipal de Paris, 1923, p 44
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Le cas des Halles : un trou dans le cœur de Paris pour certains, un coup de cœur parisien pour ma part S’il y a un projet que j’ai découvert grâce à ce mémoire, et qui me porte tout particulièrement à cœur, il s’agit bien du Forum des Halles. Parce qu’il est trop souvent dénigré, ou parce que je ne comprends pas le désintérêt dont il fait l’objet, je voudrais écrire une petite parenthèse en l’honneur de ce projet aussi particulier et novateur, que critiqué et mitigé. On l’appelait vulgairement « le trou » (c’est toujours le cas en réalité), et, forcément, il n’était pas très beau. Cicatrice immonde dans le tissu urbain parisien, l’immense cavité avait été placée là, par les humains sans trop penser aux lendemains. Creusé dans les années 1970 au cœur de la capitale française, à l’emplacement des anciennes Halles Baltard, détruites hâtivement, et que les français ne cesseront maintenant de pleurer, le trou coupait dramatiquement le premier arrondissement parisien. Fonctionnel, vital pour le développement économique de la ville tout comme, paradoxalement, pour les rapprochements entre humains, ce grand fossé a, pendant des années, fait rager les Parisiens et donné des cauchemars aux urbanistes, qui ne savaient pas franchement quoi en faire Le sort de l'emplacement connaîtra un début de réponse lorsque Paris se dotera d'un nouveau métro express régional. Il sera décidé que les nouvelles lignes, qui traverseront Paris en longueur et en largeur, seront connectées à cet endroit avec la station de métro Châtelet. Paradoxalement, le trou des Halles devient alors un point névralgique de la ville, une jonction des quatre extrémités de la banlieue parisienne et la plus grande station de métro d'Europe.
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Mais il faut encore combler le trou. Et se creuser la tête pour savoir comment. Pourquoi pas un centre commercial souterrain ? Et peut être un espace vert, par là, au dessus ? Avec un minimum de consensus, à tâtons, parce que le projet fait peur, et parce que l’on sait que l’on ne pardonnera pas facilement la disparition des Halles, les travaux du centre commercial du Forum des Halles débutent en 197933. Une cité souterraine prend forme, même maladroitement, avec ses rues, ses places, ses cinq niveaux, ses nombreux équipements. Comme pour cacher les défauts de ce monde foncièrement imparfait, une liste infernale de chiffres défile : 70 000 m² d’espace publique et de commerces, 50 000 m² de parcs de stationnement, 800 000 voyageurs quotidiens, 41 millions de clients annuels, 23 salles de cinéma, un jardin de plus de quatre hectares,… Le ventre de Paris, évoqué par Zola du temps des marchés de gros, est gros, est énorme. Mais n’est pourtant pas connecté au cœur des parisiens. Perte de repères, mauvaises fréquentations dans les tunnels du métro, éclairage peu rassurant, architecture vieillissante, dégradation du parc, … On assigne tous les défauts à cette initiative en sous-‐sol. Quarante ans et deux concours de réaménagement plus tard, le projet fait encore aujourd’hui parlé de lui. De nombreuses images de synthèse circulent, montrant un nouveau toit, ressemblant à une feuille d’arbre, et un nouveau parc bucolique. En revanche, motus et bouche cousue sur l’activité souterraine. De nombreux réaménagements sont là aussi prévus, mais rien n’est dévoilé. Garde-‐t-‐on les regards éloignés sur cet aspect du projet que l’on sait qu’il sera quoiqu’il en soit touché par la critique ? Les architectes veulent-‐ils créer un effet de surprise et montrer les améliorations du souterrain ? Ou bien le public n’en a tout simplement que faire ? 33
Architectes en chef : Claude Vasconi et Georges Penchréach. Trame fixe de structure de 11 313 m par 16 000 m . L'inauguration a eu lieu le 4 septembre 1979, en présence de Jacques Chirac, maire de Paris.
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Je n’ai pas de réponse. Le futur me les apportera et je regarde le Forum se transformer avec curiosité. J’aimerais parfois crier aux parisiens, et aux autres, d’aller voir les espaces que le Forum a à leur offrir, d’arpenter ses artères souterraines et ses places intérieures. Pour l’expérience, et pour la fascination du lieu. Que l’on aime, ou pas, n’est pas un soucis. En revanche, que l’on juge le Forum sans l’avoir un jour vécu, sans connaître l’histoire qu’il porte en son sein, est une ineptie. Je pense aujourd’hui qu’il est un projet qui mérité d’être révélé, car dans toutes ses maladresses, ses défauts, il reste hors-‐ normes, en dehors des codes même de l’architecture et de l’urbanisme. Nous l’aurons compris : les villes assumant pleinement l’utilisation de leur sous-‐sol sont rares. Qu’il s’agisse d’une véritable ville intérieure, comme à Montréal, d’une maille frénétique de connexion, comme à Tokyo, ou d’un réseau performant de transport collectif, associé à des éléments ponctuels, comme à Paris, les sous-‐sols prennent des formes multiples, s’adaptant aux ambitions de ces métropoles en quête d’un ‘’mieux’’, du moins d’un ‘’différent’’. Les images diffusées par les entrailles de ces villes résonnent à la surface et commencent à faire du bruit dans la tête de nos contemporains. Il est maintenant possible de rêver en grand et d’inviter un futur tout proche dans ces cavités telluriques.
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Troisième partie
Vers le futur de la ville : Le Rêve urbain est permis
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Vers le futur de la ville :
Troisième partie
Le rêve urbain est permis
Aujourd’hui, le monde souterrain est devenu une réalité. A travers le monde, les villes en prennent conscience peu à peu, l’exploitent chacune à leur manière, à leur rythme. Mais toujours, les entrailles de la Terre gardent leur part de mystère, et sont enclines à décupler l’imagination d’un bon nombre de personnes. Certains y voient un lieu de refuge, puisse que nous le savons tous, et que les médias nous le répète quotidiennement, mille catastrophes sont sur le point de nous tombées sur la tête. De la vague tueuse au surpeuplement des villes, jusqu’à la très médiatisée fin du monde, tout est prétexte à chercher un refuge. Ou à nous enterrer vivants. D’autres sont fascinés par les possibilités qu’offre ce monde sous le monde. ‘’Circuler’’, ‘’sauvegarder’’, ‘’consommer’’, ‘’créer’’, ‘’creuser’’ sont des verbes qui accompagnent la pensée de ces concepteurs d’un genre nouveau. Le futur, qu’il soit tout proche, ou plus lointain, sourit à l’intérieur du ventre de la Terre. Mais, à vrai dire, aussi fort que son passé, porteur de mille mythes et représentations, son avenir laisse présager qu’il ne sera pas de tout repos. Comme dans les œuvres littéraires anciennes, entre utopie et enfer, le futur urbain se dévoile entre rêve et cauchemar. Et comme toujours lorsque que l’on aborde les tréfonds de notre planète, le cœur est partagé entre angoisses profondes et envies d’un « mieux », d’un « meilleur ».
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Angoisses d’un monde malade
Le monde semble assiégé des pires cataclysmes : entre catastrophes naturelles, peur d’être tous serrés dans le même ville, ou pire : fin du monde. Les hommes n’ont cessé des solutions souterraines à ces angoisses qui les dépassent et auxquelles ils ne peuvent rien. Evaluation des risques : des peurs plus ou moins justifiées Peur des catastrophes naturelles Tempêtes de neige, ouragans, canicules, séismes de force 9, tsunamis, pluies torrentielles, froid polaire,… On a vu se développer depuis quelques années le nombre de catastrophes naturelles. Paraît-‐il que l’Homme l’a bien cherché. Certaines villes, qui ont toujours connu des cataclysmes terribles, ont depuis longtemps compris l’importance des souterrains sauvegarder leur territoire ou de mettre à l’abri leur population. Grâce à l’exploitation du sous-‐sol, Montréal, régulièrement assiégée par le blizzard arctique, n’est pas contre nier sa condition climatique et donner aux humains le sentiment de contrôler les éléments. Tokyo sait qu’elle ne peut lutter contre le sol qui tousse. Mais elle sait aussi que les souterrains peuvent protéger ses habitants : en 1995, le tremblement de terre de Kobe, s’il a ruiné 90 % du bâti en surface, n’a détruit que 10 % des constructions souterraines. Depuis, doit-‐on s’étonner que ‘’se mettre à l’abri en sous-‐sol’’ fait parti des consignes de sécurité en cas de séismes ? de Tokyo Extrait du M anuel de Survie Officiel (enseigné dans les écoles et les entreprises de fonctionnaires) In an underground shopping center: and await instructions. ・Shelter near a wall or large pillar, emergency lighting will come on immediately. ・Do not panic. If the electricity fails, instructions. In general, the underground is safer than the ground. ・Do not rush to the exit. Follow the Le sous-‐sol trouve aujourd’hui un écho particulièrement favorable grâce à cette inertie – thermique, physique, presque psychologique et sociale – qui le caractérise tant et qui lui donne deux avantages : sauvegarder les territoires des risques naturels, mais également donner le pouvoir non négligeable aux humains de nier leur condition éphémère.
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Peur du manque de place Les villes contemporaines souffrent toutes d’un problème majeur : elles manquent de place. Le nombre de leurs populations augmente chaque jour un peu plus. Les banlieues se développent comme une traînée de poudre. Les voitures encombrent les rues. Pourtant, elles ont bouclé leurs ceintures depuis belle lurette. Aujourd’hui, à l’étroit dans leurs habits de béton, de pierre et de verre, elles cherchent, en sous-‐sol, des solutions à leur régime forcé. Le monde souterrain apparaît alors comme une solution salvatrice, et le lieu idéal pour fluidifier, stocker, écouler, dégager les contraintes de notre surface en plein chaos. Cependant, tout dépend de ce que l’on enterre et de ce pour quoi l’on enterre ; Mais la plupart du temps, enterrer les flux, tous les flux, est l’enjeu principal. Les passages souterrains comme méthode de ségrégation du trafic sont principalement développés pour remédier à la congestion du trafic et la pénurie d’espace urbain, et pour permettre la sécurité des traversées des rues.34 Depuis quelques années, on assiste cependant à un changement d’échelle dans le raisonnement : ce ne sont plus les seules centres urbains qui sont saturés, mais les espaces urbanisables tout entiers. En d’autres thermes, les possibilités d’extension spatiale des agglomérations sont jugées épuisées. La pénurie foncière est évidente dans certaines villes. Les métropoles japonaises, surtout Tokyo, en sont l’exemple le plus flagrant. Les grandes villes japonaises ont depuis longtemps atteint les limites physiques de leur croissance en ce qui concerne leur surface, et les limites du niveau de service de leurs infrastructures publiques.35
Quel est l’intérêt de construire à la surface des parkings aériens, des centres commerciaux, des équipements sportifs et culturels lorsque l’on sait que ce sont des projets dévoreurs d’espaces et souvent aveugles à leur environnement ? De ce fait, la mobilisation du souterrain se fait pressante. Tous serrés en haut, les hommes rêvent de reprendre leur respiration et de dégager leurs métropoles. 34
S. Miura, T. Ojima, Environnemental Study on underground shopping center, in Urban Underground Utilization, p. 355 35 K. Okuyama, Modernology study surface of the underground space of Japan, 1997, p 34
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Peur de la fin du monde On a longtemps cru à la guerre nucléaire. Comme une peur venue tout droit des films de science fiction et des mangas des années 80, l’angoisse du grand champignon s’est développée pendant la Guerre Froide, entre la Russie et les Etats-‐Unis. A l’ère atomique correspond l’âge souterrain, M. E. Bornecque. Aujourd’hui, on croit moins en la réalité de l’atome qui explose qu’à celle, encore plus tragique, de la fin du monde.
On le sait, elle ne date pas d'aujourd'hui. Ni d'hier à vrai dire. Depuis la chute de l’Empire Romain, plus de 180 annonces de fin du monde se sont succédées... sans qu’elles aient un jour trouvé réalité (heureusement, nous sommes bien là, à écrire des mémoires). Depuis les romains qui croyaient que le Ciel allait leur tomber sur la tête, à l'an 1 000, qui inquiétait tant les Chrétiens, comme on peut le voir dans les vieilles peintures où règnent des scènes de chaos et de fin sombre de l’humanité. 1500 ans plus tard, le "bug de l'an 2000" évacué, rebelote pour l’apocalypse. Cette foi-‐ ci, il s’agirait d’un alignement exceptionnel des planètes du système solaire, prévue pour le 21 décembre 2012, selon un certain calendrier Maya. Réaction naturelle face à ce pessimisme ambiant : plonger la tête sous la terre. Car si le souterrain fait peur, il en rassure aussi certain. On ne compte plus le nombre de cachettes protectrices, d’abris, qui ont été réalisés jusqu’à ce jour. Caves pour stocker de la nourriture, des boissons, des armes ou des munitions, tunnels-‐ refuges pouvant abriter des milliers d’habitants, bunkers à vocation carcérale ou antiatomique, bases sous-‐marines stratégiques,… sont autant d’exemples bien réels, et présents aux quatre coins du monde, révélant cette nécessité de se protéger. Pourtant, aux détours de mes explorations sur la toile, j’ai découvert un abri d’un genre nouveau. Une société américaine, nommée Vivos, croit dur comme fer que le monde tel que nous le connaissons est presque fini, et affirme que l’après-‐Armageddon ne sera possible qu’en développant des bunkers anti-‐nucléaires dans les sous-‐sols de nos pays.
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En se rendant sur leur site internet36, l’accueil n’est guère à la plaisanterie. Sur fond de musique dramatique et d’images larmoyantes, on peut lire ceci : Des milliers de personnes pensent que la fin du monde est proche. Et si les prophéties étaient vraies ? Avez-‐vous une solution de survie pour votre famille ? Il est peut être temps. Les risques sont partout autour de nous. Le gouvernement est-‐il préparé ? L’extinction de la vie est-‐elle proche ? La société Vivos est en train de constituer un réseau de bunkers… … Pour survivre, quel que soit l’issue de tout cela. L’ultime solution pour vous assurer de vivre. Vivos, l’ultime genèse
La pilule est difficile à avaler. Faux fanatiques ou vrais scientifiques, cette société a de quoi effrayer. Peut-‐on résumer à ces quelques boites de conserve l’avenir de l’urbanisme souterrain, voir de l’urbanisme tout court, à en croire la fin annoncée toute proche ? Angoisses inattendues, trouvées au hasard de mes recherches, le site internet de la société vaut bien le détour cybernétique. Juste histoire de se dire que nous ne sommes pas si fous, pas si malheureux. Pour ma part, je n’ai qu’un seul souhait : que les cellules de vie proposées par cette société restent souterraines. Si souterraines qu’elles passeront inaperçues. 36
http://www.terravivos.com/
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La notion de risque ferait marcher nos sociétés Se cacher, se protéger d’un danger potentiellement réel est le propre de l’Homme. Il a toujours imaginé des moyens de prévenir les risques éventuels, en d’autres thermes de « sauver sa peau », depuis l’Homme Préhistorique qui cherchait refuge dans les cavernes, histoire d’éviter de finir en steak de mammouth, jusqu’au seigneur du Moyen-‐Age qui bâtissait des châteaux-‐forts, entourés par des murs infranchissables. Cependant, aujourd’hui, on assiste à un changement : le risque n’est plus extérieur, mais bien un élément constitutif de nos sociétés. Insécurité des emplois, insécurité politique, insécurité sociale, insécurité des banlieues,… Les pressions sont quotidiennes, les protections peu certaines. Le problème est que la science elle-‐même devient une ‘’insécurité’’. Confrontée à ses propres produits, ses propres insuffisances et ses ‘’ratés’’, elle ne peut plus se décharger de ses responsabilités sur la nature. Le mythe de la fin de l’histoire, celui qui considère la société industrielle développée comme l’apogée de la modernité, est donc largement mis à mal.
La science devient de plus en plus nécessaire mais de moins en moins suffisante à l’élaboration d’une définition socialement établie de la vérité. 37 Croire ce qu’affirme la science, ou non, n’est pas un problème. En revanche, subir les dégâts qu’elle peut engendrer devient un enjeu fort par notre avenir, et celui du Monde Souterrain. C’est peut être là, dans cette notion de risque, qu’il trouvera une finalité. Il ne reste simplement plus qu’à souhaiter que le monde d’en dessous ne soit pas un prétexte pour y enterrer toutes les hontes, les peurs, presque les horreurs de nos sociétés.
On se complait à ne surtout pas envisager les dégâts du progrès. 38
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Ulrich Beck, La Société du Risque, 1986 Paul Virilio, Architecture Principe, 1966
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Optimisme d’un avenir radieux
Quand les livres nous ouvrent les portes des l’imagination ‘’durable’’ Le monde souterrain est foncièrement imparfait. Mais ce qui semble fou lorsqu’on l’observe et l’analyse, est que l’on revient toujours à une certaine dimension ‘’imaginaire’’. Il a beau être décousu, avec ses composantes qui marient des environnements disparates, érigés à la gloire de la vitesse, du déplacement, de la consommation, … il fait quand même des envieux. La vie secrète dans les sous-‐sols fait rêver, nous l’aurons compris tout au long de ces quelques pages. Et, à travers des créations destinées aux enfants, le rêve peut se cultiver très jeune. Toujours un rapport très fin lie les œuvres fictives à la réalité, et l’on y trouve souvent les échos et les besoins de nos sociétés. Les tortues ninja de Kevin Eastman et Peter Laird ne vivent-‐elles pas dans les égouts, là même où ces charmantes créatures un brin hyperactives sont devenues humanoïdes après avoir été en contact avec des déchets radioactifs ? Quand au monde des Barbapapas, ces ovoïdes imaginés par Annette Tison et Talus Taylor, ne devient-‐il pas plus propre après que les usines polluantes, la gestion de déchets et le transport des humains ont tous été placés sous terre, à la suite d’un sinistre épisode d’ultra pollution ? Anecdotique et enfantine, cette révolution en sous-‐sol présentée en une planche dans l’Arche des Barbapapas39 résume pourtant les préoccupations du moment, mais aussi le lien étroit qui relie depuis des années la conquête du sous-‐sol aux angoisses environnementales. 39
L'arche de Barbapapa, Talus TAYLOR, Annette TISON, Collection Les aventures de Barbapapa, 1974
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Quand développement durable rime avec souterrain viable Le sous-‐sol présente des atouts indéniables : calme, inertie thermique, résistance aux secousses... Ses propriétés ont été mises à profit depuis longtemps. Face aux défis de la ville de demain, la question de l’utilisation du sous-‐sol se pose comme une évidence. Pourtant, il nécessite de reconnaître que le sous-‐sol peut être une véritable ressource pour le développement durable. Les grands enjeux climatiques, énergétiques, écologiques vont bientôt conduire à des révisions de l’organisation et de la physiologie de la ville, afin d’aller vers un modèle de ville durable. Dans cette mutation du mode de vie urbain, en une ou deux générations, aucune solution ne peut être négligée. C’est l’occasion de valoriser une ressource peu utilisée et très méconnue : le sous-‐sol et plus généralement l’espace souterrain. S’il peut contribuer à rendre la ville durable, il s’agit alors de réfléchir aux conditions et aux modalités urbanistiques qui permettront une meilleure prise en compte de cet espace par les concepteurs, aménageurs et gestionnaires de la ville. AFTES Colloque 2006 Ce qui peut paraître évident, ne l’est évidemment pas. Le monde souterrain est habitué à connaître des difficultés de tout genre, alors même dans le cas où il peut être salvateur, il suscite de nombreuses interrogations. Des freins culturels, juridiques, économiques ou techniques, réels ou fictifs s'opposent à cette prise de conscience. Quel accès aux données du sous-‐sol ? Quelles fonctions urbaines peuvent être transférées en sous-‐sol en créant une valeur ajoutée supplémentaire ? A quelles conditions les aménagements souterrains conduisent-‐ils à une ville durable et quels en sont les indicateurs ? Dans quelle mesure une complémentarité peut entre les aménagements de surface et les aménagements en souterrain ? Quelles sont les conditions d’une appropriation par l'homme de l'espace souterrain ?
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S’étendre vers le haut, ou vers le bas, mais éviter la dispersion
Une des caractéristiques du cerveau humain est qu’il peut projeter des images mentales, permettant d’associer un mot, un objet avec une représentation. Et cette représentation peut être poussée dans le futur. L’Homme se plait donc à penser l’avenir, et toujours, se demande à quoi il pourrait ressembler. Dans un article de Science et Avenir, baptisé à juste titre « A quoi ressemblera la ville de demain ? », on peut y lire de bons présages pour l’univers souterrain. Et bien, il paraît que la ville du XXème ne s’étalera plus. Elle s’enfoncera. Le ministère de l’Ecologie, de l’Energie, du Développement Durable du Logement et des Transports a adopté un projet national en ce sens en janvier 2011, sur proposition de l’Association Française des Tunnels et Espaces Souterrains (AFTES). (…) Pour mieux répondre aux principes d’économies d’énergie des transports, la ville de demain alliera mixité et densification urbaine : les habitations et bureaux se retrouveront ainsi dans les même quartiers, et plutôt que de s’élever en surface, les immeubles descendront toujours plus bas. Pourtant, toute cette énergie positive distillée dans ces quelques pages, est bien vite dépassée, voir oubliée par un article de la même revue, paru un mois plus tard. « Rêves Urbains » décortique le concours Skyscraper Competition40. Les difficultés extrêmes rencontrées, en raison des effets de la pollution, de la démographie, la gestion des déchets, la raréfaction des ressources, stimulent au plus haut point l’imagination dans ce domaine, conditionnée plus que jamais par la donne environnementale. 40
Soit « Concours de Gratte-‐Ciels », lancé en 2006 par le magazine américain d’architecture et de design, eVolo. 715 architectes et designers, issus de 95 pays
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Face à la confrontation de ces deux articles, je reste perplexe. D’autant plus qu’il faut l’avouer, les images virtuelles des gratte-‐ ciel futuristes font plus rêver que celles d’un monde souterrain, semblant aussi aseptisé que s’il sortait d’un jeu de GameBoy. Même si l’on trouve une certaine envie, une volonté de sortir le sous-‐sol de l’ombre pour y prouver qu’une urbanité est possible, la tour, et sa symbolique, reste la grande préférée, chère au cœur, et à l’imagination humaine. Si le monde souterrain oscille entre crainte et fascination, le monde aérien n’est toujours que paradis, richesse, élévation aussi bien intellectuelle que matérielle. Skycraper Competition 2011 Illustration de l’article « A quoi ressemblera la ville de demain ? »
Mais un des points positifs de ces articles : les hommes ne rêvent plus de s’étaler, encore et toujours plus loin, mais bien de densifier. Inexorablement, la ville des années 1980 s’étendait de zones commerciales, en banlieues-‐dortoirs et équipements éloignés du centre des villes, reliés par des voies express et des rocades. Aujourd’hui, on pense connexion, économie de transports, d’espaces, sauvegarde des villes, limitation des trajets. Que l’on s’amuse à matérialiser des tours, ou des sous-‐sol, l’enjeu principal de la modernité et du développement durable de nos métropoles ne serait-‐il pas tout simplement d’ « épaissir » les couches, de rêver de façon verticale ?
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Des grandes idées aux plus petits projets, l’invention d’un sous-‐ sol salvateur Beaucoup d’idées existent. Elles sont le fruit de passionnés des souterrains, ou tout simplement de grands penseurs qui excellent dans l’art de la coupe, et qui ont su comprendre que le souterrain à ses propres atouts. Edouard Utudjian, Paul Maymont ou encore Eugène Hénard,… Pas tout à fait visionnaires, mais pas non plus concepteurs ordinaires, ces quelques noms de l’urbanisme et de l’architecture sont les précurseurs en matière de sous-‐sol, et en regardant leur production, on se rend compte que tout est encore une question de déplacement dans ce monde où bouger est l’essence de tout un-‐chacun. Parce que les images parlent souvent mieux que les mots quand il s’agit d’imaginer la ville de demain, et aussi, parce que, je l’avoue, j’arrive à la fin de ce mémoire, et que je ne sais plus comment m’exprimer (la paraphrase n’est pas mon amie), voici un florilège des projets souterrains, laissant présager que nous n’avons pas fini d’explorer les entrailles de notre Terre…
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Conclusion
L’univers du souterrain est l’univers du possible
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L’univers du souterrain est l’univers du possible
Conclusion
Voici la vérité, la certitude la plus vraie, sans mensonge aucun. Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas.
Ce qui est en bas est comme ce qui est en haut. Gravure sur la Table d’émeraude, Hermès Trismégiste, fondateur mythique de l’alchimie, personnage célèbre de l’Antiquité Quoi de moins naturel que de vivre en sous sol ? Dans un certain sens, il est étrange de penser que le sous-‐sol existe depuis des millions d’années. Il nous est encore, dans sa plus grande partie, inconnu, alors que l’Homme n’a de cesse de s’interroger sur la composition du monde qui l’entoure.
Tout cheminement entre dessus et dessous induit un changement de polarités. On passerait ainsi de l’obscurité à la lumière, des Ténèbres au Paradis. Toute valorisation n’est elle pas verticalisation ? 41 , se demande Bachelard. L’escalier, l’échelle figurent plastiquement la rupture du niveau qui rend possible le passage d’un mode d’être à un autre42. Dans ce cas, l’ascension serait synonyme d’élévation spirituelle, de divinité, et la descente mènerait tout droit en enfer ?
M.C. Escher, Cage d’Escaliers
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Poétique de l’Espace, 1957 Ibid
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Car il est vrai que le souterrain originel est sombre, sans lumière naturelle, sans façades, contraire aux lois de la vie en surface et cristallise en son sein de nombreux mystères. Il est défini par une limite, celle de la surface de la Terre. L’architecture souterraine, avec toute la poésie, tout l’imaginaire qu’induit cette morphologie urbaine, est souvent synonyme de déshumanisation. On a longtemps pensé que le «moi», l’individu n’aurait ainsi pas sa place dans ces lieux introvertis et sombres. Mais aujourd’hui, s’ouvrent de nouvelles perspectives pour le souterrain. Même un espace obscur devrait recevoir un peu de lumière provenant d’une ouverture mystérieuse, juste assez de lumière pour pouvoir nous dire combien il est vraiment obscur43, Louis Kahn Bien que dans une cette mesure, la limite physique du sol a aujourd’hui tendance à devenir poreuse. La frontière s’efface peu à peu, les pieds des métropoles s’enfoncent dans cette nouvelle dimension de l’espace urbain. Enjeu du développement durable, désir de vitesse, apogée de la société de consommation, ou tout simplement envie d’innovation constructive, les projets se matérialisent ici et là, dans tous les pays du monde et l’exploitation du sous-‐sol devient une composante majeure de la ville moderne. 43
Form and Design, 1950
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Rien n’est sérieux en ce bas monde que le rire, Gustave Flaubert S’il nous faut maintenant conclure ce sujet de mémoire, je dirais que mon envie première était de m’amuser, car selon moi, travailler sans s’amuser, c’est un peu comme apprendre une fable de La Fontaine sans en comprendre la morale. Intéressant, mais pas formateur. Heureusement, j’ai bien compris le fin mot de cette histoire-‐ci, bien qu’il soit plus dû à Jules Verne qu’à La Fontaine. Ce que j’y ai découvert m’a beaucoup appris, car c’est parfois en plongeant la tête sous la terre, en regardant notre monde d’en bas, que l’on se rend compte de la réalité de la surface. Je pense que je me souviendrai longtemps de cet exercice, de cette expérience. Pour nous, étudiants en architecture, écrire un mémoire s’apparente à écrire un livre. Une occasion rare, un exercice difficile lorsqu’on sait que l’on est plus concepteur d’espaces que concepteur de phrases. J’espère en retour, que ces quelques pages vous auront apporté, du moins, que j’aurais réussi à vous communiquer mon enthousiasme face à ce monde, que je ne cesserai désormais de parcourir, et de contempler.
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Bibliographie APIN, Janol, Métropolisson, Editions Lacarothe, 2005 Le photographe ludique, Janol Apin réuni dans son ouvrage une série de portraits humoristiques de ses amis, dans plus de 120 stations de métro. Pour ceux qui aiment les jeux de mots et les photos en noir et blanc.
BARLES, Sabine et JARDEL, Sarah, L’urbanisme souterrain, étude comparée exploratoire, Rapport de recherche pour le compte de l’Atelier Parisien d’Urbanisme, 2005 Un regard croisé et très renseigné sur le réseau souterrain de trois grandes métropoles : Paris, Montréal et Tokyo.
DEGLISE, Fabien, Montréal Souterrain : sous le béton, le mythe, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Editions Héliotrope, 2008 Trouvé dans un vieux carton de la Fnac, entre un livre sur le jeûne et un autre sur l’art de la récupération des conserves, vendu trois euros. Fabien Deglise, sociologue et journaliste, décrit avec passion et sans langue de bois, les développements successifs du réseau souterrain de Montréal, ses réalités fascinantes, ses travers notoires. Une sorte de lutte contre les idées reçues, dont est apparemment terni ce réseau disparate et complexe.
DE BOTON Alain, L’Architecture du Bonheur, Editions Le Livre de Poche, 2006
DUPRAU, Jeanne, La Cité de l’Ombre, Gallimard Jeunesse, 2004 Devant la menace de la guerre atomique, les plus grands scientifiques et architectes du monde décident de construire une cité souterraine et d’y envoyer une partie de la population. L’histoire de cette cité, nommée Ember, est enregistrée dans une petite boite, qui malheureusement fini par se perdre. Des siècles plus tard, la population d’Ember vit tranquillement sous les profondeurs de la terre, sans trop se poser de questions et pensant qu’il n’existe rien, si ce n’est le néant, au-‐delà de la ville. Pourtant le générateur alimentant la cité ne tarde pas à montrer des signes de faiblesse, menaçant chaque jour un plus de plonger la ville dans l’ombre…. Dans ce livre dit « pour enfants », j’ai été étonnée d’y découvrir tout un aspect sociologique. Jeanne Duprau réussit, en mon sens, à imaginer une société ‘’autre’’, avec ses codes, ses qualités et ses travers. Une société qui est dépeinte avec un grand réalisme et où il est facile de s’y projeter.
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GAFARD Emmanuel, Paris Souterrain, Parigramme, 2007 Un petit livre nous plongeant la tête sous la terre, et pourtant, trouvé au hasard, tout en haut de la tour Montparnasse. Un reportage sur les souterrains de Paris. Un regard historique rempli de mystères.
GIRARD, Christophe, Metropolis, Les Enfants Rouges (hors collection), 2011 Une œuvre inspirée librement du film de Fritz Lang et de Théa von Harbeu. Les dessins de la ville à l’encre noire y sont poignants et d’un graphisme plus contemporain. L’action, quelque peu simplifiée, met l’accent sur certaines scènes et prouve que cette histoire, vieille de près d’un siècle, est d’une actualité effarante.
OMOTO, Katsuhiro, Akira, Editions Glénat, 1985
Le manga culte de toute une génération. L’action se passe à Tokyo, dans les années 2020. Quarante ans auparavant, la ville a été détruite par une mystérieuse explosion qui déclencha la Troisième Guerre mondiale et la destruction de nombreuses cités par des armes nucléaires. Malheureusement, Neo-‐Tokyo, la nouvelle ville, est une mégalopole corrompue : sillonnée à sa surface par des bandes de jeunes motards désœuvrés et drogués, son sous-‐ sol fait également l’objet d’activités suspectes : l’armée japonaise réalise en secret des tests nucléaires… sur des individus.
PONTI, Claude, La Nuit des Zéfirottes, Editions L’Ecole des Loisirs, 2006 Illustrant lui-‐même ses livres, Claude Ponti s’est créée au fils des années un univers fantastique et reconnaissable entre mille. Ses œuvres mettent souvent en scène des petits personnages vivant à l’intérieur des arbres ou dans des cavernes confortablement meublées. La Nuit des Zéfirottes est son livre le plus poussé en matière d’habitat souterrain. Les Zéfirottes sont des êtres minuscules, qui maintiennent le bon fonctionnement de Paris (et toutes les villes du monde, soit dit en passant). Travaillant cachées, elles vivent sous terre. « Sous Paris, loin en dessous du plus profond du tout dessous, les Zéfirottes ont bâti des villes où d’énormes moulins à eau tournent et actionnent les soufflets à air. Leur pays s’étend dans d’immenses grottes, les unes sur les autres avec le Ciel d’en Haut, le Ciel d’en Bas et celui du Milieu ».
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SALETTA, Patrick, A la découverte des souterrains de Paris, 1990 Un voyage, en images, dans les profondeurs de Paris. Des catacombes aux réserves de minerais, en passant par le métro ou par de nombreuses réalisations architecturales, on y découvre la face cachée de cette capitale que nous croyons connaître par cœur.
STRÖM, Marianne, Métro-‐Art et Métro-‐poles, ACR édition, 1994 Comme son nom ne l’indique pas, cet ouvrage traite, avec un regard très renseigné, des réseaux de transport souterrains d’une quarantaine de villes. Amsterdam, Toronto, Vienne, Moscou, Paris, New York… Les métropos des quatre coins du monde sont analysés, décryptés, photographiés. L’Art souterrain est certes présent, cependant je retiens surtout l’avis critique de l’auteur, qui vaut bien un détour en métro.
TERRIN, Jean-‐Jacques, Le Monde Souterrain, Hazan,
Guide des Arts, 2008 Jean Jacques Terrin est un architecte et professeur de l’Ecole Nationale d’Architecture de Versailles. Cet ouvrage, une véritable encyclopédie de poche sur le monde souterrain, témoigne de sa passion pour les profondeurs obscures de la Terre dans toute leur diversité. L’œuvre fonctionne comme une sorte de lexique sur le monde souterrain, regroupant toutes sortes de thème s’y rapportant de près ou de loin (par exemple, ‘’morts vivants’’, ‘’prisons’’, ‘’la guerre des mines’’ ou encore ‘’habitat troglodyte’’). Chaque page est ainsi riche de définitions, de références cinématographiques et bibliographiques, d’illustrations.
UTUDJIAN, Edouard, Architecture et Urbanisme souterrains, Collection Construire pour le Monde, 1966 Edouard Utudjian. Un nom que personne, ou presque, ne connaît. Pourtant, j’ai découvert une personnalité étonnante. L’homme d’une idée neuve : l’urbanisme souterrain. A cette idée, il a voué sa vie. Conférences, articles, rapports, livres, réalisations souterraines (parkings, réseau des égouts de Paris, …), il a également fondé en 1933 le G.E.C.U.S. (Groupe d’Etude et de Coordination de l’Urbanisme Souterrain), qui persiste encore aujourd’hui en tant qu’A.F.T.E.S (Association Française des Tunnels et de l’Espace Souterrain). Pourtant, ‘’Les associations d’architectes qui ont « crucifié » Le Corbusier, (le mot n’est pas trop fort) n’ont pas épargné Utudjian – mais Utudjian peut en être fier. Il se trouve en bonne compagnie. Enfin, jusqu’à une date très récente, la presse a toujours considéré l’urbanisme souterrain comme une plaisanterie’’. On peut voir dans ce livre beaucoup de messages : un cri d’alarme. Une fascination pour les profondeurs de la Terre. Une grande dose d’imagination. Une envie de prouver qu’un urbanisme du sous-‐sol est possible.
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VERNE, Jules, Les Indes Noires, 1877 Voyage au Centre de la Terre, 1864 Mathias Sandorf, 1867
Un des principaux mérites de Jules Verne est d’être parvenu, grâce à son sens de la documentation, à adapter au roman les conquêtes et les découvertes des savants de son époque, tout en les mettant au service d’une imagination foisonnante, qui, bien souvent, a fait de lui un visionnaire. Verne traite ce thème du voyage dans les entrailles de la Terre à sa manière, oscillant entre le scientifique, puisqu’il se fait l’écho des derniers développements de la paléontologie, et le fantastique, la descente vers les origines du monde devenant un parcours initiatique.
Articles
BAYE Éric, Grands projets et utopies pour les métropoles au Japon, Flux n°50 Octobre / Décembre 2002, p. 53-‐58
COSTES Laurence, Les petits commerçants du métro parisien, Revue européenne de migrations internationales, 1988
DE BEI Andreina, Rêves Urbains, Sciences et Avenir, Juin 2011
GOLEDZINOWSKI Felicia, Signalisation et désorientation dans le métro, Communication et langages, 1983
GUILLERME André, Autophiles et autophobes : la congestion urbaine dans les grandes villes au début du XXe siècle, Centre d’étude et de conférences de Melon, 6 avril 2006
METRIER Louis, La production du Beau, Trois études de sociologie sur l’habitation populaire, Retranscription écrite d’une conférence donnée le 15 Novembre 2000 à la Sorbonne
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SIMON Gwendal, Entre marche et métro, les mouvements intra-‐urbains des touristes sous le prisme de l’ « adhérence »
KHALATBARI Azar, A quoi ressemblera la ville de demain ?, Sciences et Avenir, Mai 2011 Association Française des Tunnels et de l’Espace Souterrain, Institut pour la Recherche appliquée et l'expérimentation en génie civil, Vers un projet national , « Ville 10D -‐ Ville d’idées », Différentes Dimensions pour un Développement urbain Durable et Désirable Décliné Dans une Dynamique « Dessus -‐ Dessous », Octobre 2010
Sites Internet Urbanisme souterrain : http://www..techniques-‐ingénieur.fr/base-‐ documentaire/construction-‐th3/batiment-‐et-‐travaux-‐ neufs-‐ti253/urbanisme-‐souterrain-‐c3061 http://www.lemadblog.com/architecture/les-‐villes-‐ souterraines-‐dun-‐reve-‐durbaniste-‐a-‐une-‐realite-‐future/ http://www.aftes.asso.fr/comites-‐delegations_espace-‐ souterrain_historique.htm http://www.technique-‐ingénieur.fr/glossaire/urbanisme-‐ souterrain Montréal : Plan du réseau de chemin de fer métropolitain, en format PDF, http://www.stcum.qc.ca/metro/map metro.htm Plan de la ville intérieure et le réseau de chemin de fer métropolitain, situation actuelle, disponible en format PDF, http://www.stcum.qc.ca/metro/mtl-‐sout.pdf Tokyo : Le réseau de chemin de fer métropolitain, 2004, disponible sur la toile, format PDF, http://www.tokyometro.jp/network/pdf/rosen_fra.pdf
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Remerciements
Un an de mémoire, ce n’est pas rien. Aussi modestement qu’un chanteur qui remercie les personnes qui l’ont inspiré pour un album, je tiens à dire un grand « Merci » à chaque des personnes suivantes : Caroline Mazel et Patrice Godier, pour leur enthousiasme surprenant et superbe face à ce sujet de mémoire pour le moins atypique, Mr Shindo, pour sa présence chaque fois que j’ai besoin de lui, Jean Jacques Terrin, pour cette rencontre et cette passion souterraine, Sabrina et, bien sûr, Lucie, pour leur soutien, toujours inébranlable, Stéphanie, pour son expérience fort instructive à la RATP, une autre Stéphanie (et non des moindres), pour tous nos souvenirs d’enfance, Matthieu, pour sa passion des catacombes, Myriam, pour m’avoir fait croire que j’étais unique, Micky et Patrick, pour leur culture et leur vision du monde (j’irai où vous êtes allés), Laurie, pour m’avoir accompagné dans des coins étranges et sombres de notre monde, Mr Brochet, pour ses cours du vendredi matin, qui m’ont souvent laissé perplexe (qui a dit que l’on devait toujours être d’accord ?) et qui sans le savoir, ont renforcé mes convictions et espoirs pour les entrailles de la Terre. Vous m’avez tous donné l’énergie d’y arriver et m’avez fait avancer, même quand le cœur n’y était pas. Merci enfin, à tous les auteurs, les architectes, les urbanistes, les cinéastes, les écrivains, les sociologues, les scientifiques, les réalisateurs, les scénaristes, les dessinateurs, les chercheurs,… Merci à tous ces grands rêveurs qui font que notre monde n’est pas plat, mais bien au contraire, en relief, et qui savent que l’imagination n’a pas de limite.
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