Ferez & Luauté_AMEPSY

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L’activité physique et sportive comme outil médico-psychologique ? Etude de l’offre de pratiques en direction des personnes infectées par le VIH Sylvain Ferez* et Jean-Pierre Luauté** * Maître de conférences, SANTESIH (JE 2516), Université Montpellier I. ** Psychiatre, 25 rue de la République 26100 Romans. Conflit d’intérêt : aucun.

L’accès de l’activité physique et sportive au rang d’outil d’« ingénierie médico-sociale » n’a cessé de se renforcer dans les deux dernières décennies. La récente fusion des prérogatives liées à la « jeunesse et aux sports » et à la « santé » au sein d’un même ministère confirme cette tendance. On attend du sport des effets sanitaires, prophylactiques sinon quasi thérapeutiques. Cette évolution pèse clairement sur l’émergence d’une offre de pratiques spécifiquement adressées aux personnes séropositives au VIH. Elle apparaît cependant en décalage avec la nature de la demande des personnes touchées, qui ont du mal à se défaire du statut de patient et à accéder à une simple activité de loisir. Il s’agit donc ici de proposer une lecture critique de l’application au sport de la perspective d’« ingénierie sociale » développée par certains courants américains de sociologie du travail [8], en s’appuyant notamment sur une approche de sociologie clinique [5].

Entre peur de la contamination et effets bénéfiques de l’exercice Depuis le début des années 1990, la littérature scientifique internationale sur le VIH et l’activité physique est dominée par les approches biomédicales. Il n’existe quasiment pas de travail en sciences humaines et sociales sur le sujet, hormis quelques études sur l’appel à des sportifs de haut niveau comme vecteurs d’éducation et de prévention [2, 4]. En fait, seules des revues biomédicales ont publiés des travaux s’intéressant à la fois à la peur de l’infection au cours de la pratique et à l’effet de l’exercice chez les personnes séropositives. La peur de l’infection dans la pratique sportive Les premiers travaux s’intéressent essentiellement aux risques de transmission du virus au cours de la pratique sportive [1, 9, 14, 18, 22, 30]. Les questions qu’ils soulèvent continuent à

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se poser dans les années 2000 : quel est le risque réel qu’un sportif transmette la maladie à un autre pratiquant dans un sport de contact ? Ce risque est-il suffisant pour justifier une notification officielle pour les autres joueurs et/ou une exclusion ? [6, 15, 21, 29] La réflexion semble ainsi perméable aux préoccupations sociales puisque, en dépit d’apports scientifiques clairs sur la probabilité quasi nulle de contamination dans le sport, la peur domine les débats et les mêmes questionnements réapparaissent. L’effet de l’exercice chez les personnes séropositives Puis, peu à peu, s’impose la question des effets physiologiques de l’exercice sur les personnes séropositives. Les études s’intéressent d’abord aux effets de l’exercice sur le système immunitaire [7, 16, 26-28]. A partir de 1997, elles se mettent à appréhender l’exercice comme moyen de lutte contre les effets secondaires des nouveaux traitements antirétroviraux [3, 10-12, 23, 24, 32, 33]. Dès lors, les progrès thérapeutiques conduisent à considérer l’activité sportive comme une manière d’atténuer ou de contrer les effets secondaires des traitements, y compris au plan psychologique. La natation et le jogging sont le plus souvent conseillés pour leurs effets physiologiques ; le yoga, le taï chi, et autres gymnastiques douces, pour le bien-être psychologique qu’ils apportent.

Méthode : Pour une anthropo-sociologie du corps malade Aucune étude ne s’est pour l’heure intéressée à l’offre concrète de pratique sportive pour les personnes séropositives, ni à la question de l’accès social des personnes séropositives aux pratiques sportives. Appréhendée dans les contextes familial, médical et professionnel, la question de la gestion sociale du VIH et de la stigmatisation des personnes séropositives n’a pas été étudiée dans le domaine des loisirs, a fortiori sportifs [19, 31]. La pratique sportive, en introduisant de facto la dimension corporelle, offre pourtant une spécificité intéressante. Car outre la peur du corps de l’autre séropositif (en raison du risque de contagion), les travaux

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d’anthropologie de la maladie attestent de la persistance d’une forte dégradation de l’image de soi, et plus particulièrement de l’image du corps des sujets séroconvertis [13, 17, 20, 25]. Comment ce corps infecté, qui est vécu comme souillé à la fois par les autres et par soi-même, peut-il s’investir dans la pratique physique et s’intégrer à un environnement sportif ? L’étude porte sur l’histoire des discours sur « sport et VIH » et sur les créneaux d’activités créés pour les personnes séropositives. Il apparaît tout d’abord qu’à la prolifération des premiers correspond la rareté des seconds. Seuls deux types d’acteurs proposent des créneaux de pratique sportive explicitement ouverts aux personnes séropositives : les associations de prise en charge de personnes malades et les clubs sportifs gay et lesbien.

Résultats : Le sport, un loisir ou une nécessité ? La dualité de l’offre correspond à une dualité du sens des pratiques proposées : alors que l’offre du milieu gay et lesbien s’oriente avant tout vers le loisir et la sociabilité, celle des associations de prise en charge des personnes malades s’inscrit dans le prolongement de l’assignation biomédicale à l’observance thérapeutique et à une certaine « hygiène de vie ». Dans ce cadre, « l’exercice régulier et modéré » se donne comme une nécessité sanitaire renvoyée à la responsabilité des « patients ». Cette logique est bien illustrée par le dessin ciaprès, tiré d’un des premiers articles sur le sport du magazine Remaides de l’association Aides. L’esprit est le même à Act Up, qui intitule sa 64ème Réunion Publique d’Information, le 16 mai 2006, « clope, canapé, malbouffe », avec un tabacologue, un diététicien et un spécialiste du sport. Du côté du sport gay et lesbien, l’ouverture de principe aux personnes séropositives, bien figurée par la charte « VIH & Sport » de la Fédération Sportive Gay et Lesbienne de 2001, n’empêche pas l’invisibilité des gens concernés. A la communication institutionnelle s’oppose un évitement du sujet et des mécanismes d’(auto-)exclusion. Un seul club propose, en

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natation, un créneau « d’intégration des personnes séropositives ». Sa création, début 2000, n’a pas fait l’unanimité et il fonctionne difficilement avec quelques participants.

De la difficulté sociale d’être à la fois « malade » et « sportif »… La perception a priori positive du sport comme outil, scientifiquement testé, au service de l’ingénierie médico-sociale, contribue à occulter les difficultés des personnes touchées. L’idée que l’accès à l’activité physique et sportive puisse être un motif de souffrance échappe au champ du pensable. Pire, cet impensé crée une surdité à la demande des personnes. Ainsi, les forts encouragements des acteurs médicaux et associatifs à la pratique sportive se heurtent à des résistances des intéressés et/ou à des difficultés d’accès. Ces derniers semblent en fait confrontés à une dualité dans leur engagement physique : soit être de « bons » patients (se pliant aux exigences d’une prise en charge sanitaire rationnelle dans le prolongement de l’intervention biomédicale classique), soit être des sportifs « normaux » (devant cacher leur séropositivité).

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33 Yarasheski KE et al. Resistance exercise training reduces hypertriglyceridemia in HIVinfected men treated with antiviral therapy. Journal of Applied Physiology 2001 ; 90 : 133138.

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