Cohabiter l’espace commun La possibilité d’un vernaculaire contemporain
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Croquis de couverture du livre handmade urbanisme, JOVIS Verlag, 2013
Mémoire de jury du PFE
Sara ZEMOULI ECOLE SPECIALE D’ARCHITECTURE Laboratoire « Habiter l’anthropocène »
Jury Stéphane Bonzani - Directeur du diplôme Pieter Versteegh - Président du jury Jean-Paul Loubes - Architecte enseignant à Ensa de Bordeaux Aysegul Cankat – Architecte enseignante à l’ENSA de Grenoble Félix Millory – Architecte DESA Augustin Berque – Géographe et philosophe, directeur d’études à l’EHESS
Avril 2017
Remerciements Merci à mon directeur de diplôme Stéphane Bonzani pour son ouverture d’esprit, et pour m’avoir guidée tout au long de ce travail. A mon président de jury Pieter Vesteegh pour son assistance, A Alain Fidanza pour les discussions multiples qui ont fait avancer ma réflexion. Je tiens à remercier aussi les membres du jury : M. Loubes, Mme Cankat, M. Millory et M. Berque pour avoir accepté de faire partie du jury et pour leur accompagnement, A mon mari, mon bras droit, qui m’a aidé et soutenu tout au long de ce travail, Mes remerciements vont aussi, à mes parents, mon frère et ma sœur pour leur encouragement et leur soutien. Et à tous les habitants de la cour de Bretagne pour leur collaboration.
Sommaire Introduction
CHAPITRE I
09
Pratiquer le vernaculaire Etymologie
13
Illich et la pensée vernaculaire
13
Vernaculaire et architecture
17
Les attributs du vernaculaire
19
CHAPITRE II
25
La possibilité d’un vernaculaire contemporain Le vernaculaire à l’ère de la mondialisation : Un détour par l’informel
27
L’espace commun générateur de sociabilité
49
La ville de Paris comme cadre
57
Belleville, un champ d’expérimentation
57
La cour de Bretagne, un milieu fertile
62
CHAPITRE III
64
Cohabiter l’espace commun : boite à outils (scenario) L’expérience du lieu
66
Ressources du milieu
71
Initier à la cohabitation par l’architecture
80
Faisabilité
89
Possibilités de transposition : la ville par le vide
91
Conclusion
94
Références
97
Annexe
100
9
Introduction Le sujet de ce mémoire ne vient pas de nulle part, il a peut-être muri avec le temps mais tout a commencé lors de l’exposition « réenchanter le monde » qui a eu lieu à la cité de l’architecture en 2014 où j’ai découvert la facette d’un monde en crise. C’est là où sont débutés tous les questionnements sur le vrai rôle de l’architecture et la mission de l’architecte à l’ère de l’anthropocène. Quel monde à réenchanter ? Nous traversons une crise globale. Tous les indicateurs nous forcent à le constater : La mondialisation déculturalisante, un système économique manipulateur, le changement climatique, l’épuisement des ressources, l’explosion démographique, l’inégalité sociale, la pauvreté, et la liste est encore longue. A cette ère de l’anthropocène, les crises sont intrinsèquement liées, me semble-t-il, au modèle sociétal consumériste et que le noyau du mal est relatif à l’imaginaire qui en résulte. La société de consommation et de désirs infinis qu’elle crée, a mis l’humain dans une culture de concurrence et de rivalité permanente avec son prochain. Cette culture du « toujours plus » et de la 1
Titre d’un livre de Serge Latouche
marchandisation des échanges, est responsable d’une grande partie de l’individualisme caractéristique des sociétés modernes et de la transformation de la culture collective entre les individus. Ainsi, il est fort à parier que la crise la plus importante que traverse notre monde contemporain est avant tout une crise humaine. L’architecture détient une grande part de la conception des modes de vie. Elle reflète les idéaux de la société. Si le modèle qui produit l’architecture change, les repères de la société changeront aussi, c’està-dire que face à l’imaginaire relatif à la société consumériste on doit réinventer le modèle qui produit l’architecture pour décoloniser cet imaginaire1. En début du 21ème siècle. On ne peut pas ignorer le changement majeur qui s’opère dans les consciences et dans le regard des urbains que portent sur eux-mêmes, et sur leur mode de vie destructeur. Aujourd’hui, un nombre croissant de personnes cherchent un moyen de vivre en harmonie avec leurs valeurs et leurs natures. On assiste à de plus en plus de mouvements qui tendent à la restauration des liens sociaux, de la culture collective et de la notion du commun notamment en milieu urbain et ce à travers les collectifs de jeunes, les associations d’agriculture urbaine, le commerce local… etc. Dans ce travail, j’essaye de faire le lien entre cette idée de sortir de l’individualisme par la redécouverte des communs et son rapport avec les pratiques
10 vernaculaires qui faisaient autrefois l’unité de la société tel les relations de voisinage et l’autonomie collective…etc. Selon Patrick Bouchain, il semblerait que par effet de retournement inattendu, la redécouverte des valeurs vernaculaires s’avère une alternative pour surmonter la crise. Or, j’essaye de dépasser le simplisme d’une pensée binaire, comme le dit Jean-Paul Loubes2, d’opposer naïvement modernité au vernaculaire. Apprendre du vernaculaire, ne signifie ni de faire un retour vers le passé ni d’abandonner le modèle global pour faire du vernaculaire. La redécouverte des pratiques vernaculaires est une manière de faire un détour par le passé vers un avenir nouveau et qui vient compléter les modes de fabrication planifiée. L’espace publique ou semi privé est le champ où se sont développées autrefois les pratiques vernaculaires : ces rituels inconscients du quotidien dont on ne remarque même pas l’existence mais qui font l'essence de l'art d'habiter3 . Aujourd'hui, avec le coût élevé du foncier dans les villes, les urbains se contentent de l’espace restreint de leurs appartements qui ne dépassent pas la limite de leurs portes d’entrée. Dans ce travail, je pars de l’hypothèse que les vides et les creux urbains tels les cours communes des copropriétés parisiennes, présentent des ressources urbaines
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Jean Paul Loubes, géopoétique et architecture située, dans l’habiter dans sa poétique première, Actes du colloque de Cerisy-la-salle, éd DONNER LIEU, novembre 2008, p329
cachées à reconquérir et qu'elles peuvent présenter le support d’une vie commune conviviale en milieu urbain.
Aujourd’hui, L’espace vernaculaire émerge dans les recoins informels de notre société. C’est dans les bidonvilles par exemple qu’on retrouve cette notion d’espace commun régit par le droit coutumier et qui est le support du lien social dans ces milieux. C’est la raison pour laquelle, ce travail se veut d'abord un requestionnement de ce qu'est l'espace vernaculaire contemporain et ce par un détour par les productions spatiale informelles (les bidonvilles). Ces milieux vernaculaires contemporains pourraient nous inspirer la possibilité de redécouvrir les pratiques vernaculaires en milieu urbain. Ils ont fait leur preuve en matière d’organisation sociale et de survie malgré leur caractère spontané et malgré l'absence de l’aide des institutions. Ils pourraient bien nous inciter à d’autres manières d’habiter en milieu urbain.
L’énoncé de ce travail est organisé selon trois axes principaux. Dans un premier temps j’ai cherché à prendre position par rapport au concept de « vernaculaire » et son rapport à l’architecture et au
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Patrick Bouchain, Construire autrement, Ed ACTES SUD, 2006
11 mode de vie. Dans un deuxième temps, j’ai fait un détour par l’informel en cherchant comment se manifestent les pratiques vernaculaires dans les bidonvilles à travers l’organisation de l’espace et les pratiques habitantes du quotidien. Et enfin, je suis partie de l’hypothèse que les ressources urbaines cachées : les cours communes, les vides urbains peuvent devenir le support d’une vie commune et conviviale dans la société contemporaine de plus en plus individualiste. Donc comment les reconquérir à travers la pratique du commun et comment les rendre cohabitable. J’ai choisis comme cas d’étude une cour commune dans le quartier faubourien de Paris, Belleville, que j’ai abordée par un processus de scénarisation attentif au « déjà là » vécu (humain) et construit. J’ai considéré le milieu, les modes de vie, les pratiques ainsi que les désirs des habitants en tant que support pour le projet. A travers ce travail, je cherche le « comment » du projet et non pas seulement l’objet architectural fini. Le scenario que je propose interroge dans un premier temps les composantes déjà existantes du milieu (physiques, sociales, culturelles, naturelles…etc.) pour ensuite en faire le support d’un programme architectural et une manière d’intervenir dans le site choisit. L’objectif est d’initier ce groupe social à reconquérir l’espace commun et à redécouvrir des pratiques de solidarité et de partage à travers le projet d’architecture. Mes questionnements se sont orientés sur les modes de vie des habitants ainsi que leurs désirs vis-à-vis du potentiel l’espace commun dont ils sont
propriétaires afin de les traduire sur l’espace par un programme architectural. Dans un deuxième temps, ce travail invite à considérer les pratiques vernaculaires et de « faire ensemble » et leur redécouverte chez les urbains sur une échelle plus étendue que celle de la cour, par la possibilité de transposition du scenario ailleurs dans les cours communes voisines, dans Belleville ou dans Paris en général.
12
CHAPITRE I
Le vernaculaire et la pratique du commun
13
A.
Etymologie
Historiquement, le terme vernaculaire était utilisé pour mettre en avant le fait qu’un esclave n’a pas été acheté mais qu’il est né dans la maison. Par la suite le terme s’est généralisé vers 1765 pour désigner non seulement ce qui est né dans la maison mais aussi dans le pays. Après, le terme s’est associé à la langue (1823). On définit alors par la langue vernaculaire la langue communément parlée dans les limites d’une communauté.4 L’étymologie du mot vernaculaire fait donc ressortir le fait que ce terme fait référence à l’origine de la chose et à son appartenance.
B.
Illich et la pensée vernaculaire
Ivan Illich est un penseur autrichien, et un critique social de la modernité. Il a travaillé à créer des pistes vers des alternatives conviviales en relation avec l’autonomie individuelle et les valeurs vernaculaires.
L’autonomie La démarche d’Ivan Illich ne consiste pas à faire de la tradition une valeur, mais bien un outil au service de la critique de la société moderne et industrielle. Sa critique part d’abord de l’idéal même qui porte cette société :
4
La Gde Encyclop., Paris, Larousse, t. 16, 1973, p. 3255, col. 1
l’autonomie individuelle. En ce sens, il ne critique pas la modernité de façon radicale pour le fait qu’elle soit trop moderne ou trop rationnelle, mais bien de ne pas l’être de la bonne manière. « Vernaculaire », dans la terminologie mise en place par Illich, fait référence à un système économique spécifique qui s’oppose au système économique de marché. Dans son essai « le genre vernaculaire », Ivan Illich en se référant à la définition étymologique latine qu’il réinterprète : « Vernaculaire, du latin vernaculus, indigène , désigne originellement tout ce qui est élevé, tissé, cultivé, confectionné à la maison, par opposition à ce que l'on se procure par l'échange [...] Il en découle pour moi l'idée que, dans le monde global du XXIe siècle, sont vernaculaires toutes les démarches qui tendent à agencer de manière optimale les ressources et les matériaux disponibles en abondance, gratuitement ou à très bas prix, y compris la plus importante d'entre elles : la force de travail » 5 « Il nous faut un mot simple, direct, pour désigner les activités des gens lorsqu’ils ne sont pas motivés par des idées d’échange, un mot qualifiant les actions autonomes, hors marché, au moyen desquelles les gens satisferont leurs besoins quotidiens - actions échappant, par leur nature même, au contrôle bureaucratique [...] »
5
Ibid.
14 Dans son ouvrage « Le genre vernaculaire », Ivan Illich construit son argument sur l'idée que le capitalisme implique une manière de vivre entièrement soumise à la marchandise industrielle, il appelle "genre vernaculaire" une organisation des rapports sociaux hors du règne déterminée par la marchandise et ses processus d'échange. Le vernaculaire était pour lui tout ce qui n'était pas destiné au marché dans la Domus romaine, mais réservé l’autoconsommation domestique. En se référant à ce rapport entre le « vernaculaire » et la notion d’échange, je trouve qu’au 21ème, siècle le « vernaculaire » devient le mécanisme économique pseudo informel qui soit directement lié au système économique contemporain (au système capitaliste), il y échappe mais en même temps l’existence de l’un implique l’existence de l’autre. De ce fait, le vernaculaire contemporain n’est contemporain que devant une économie globalisée dont la ville et l’espace urbain sont le terrain fertile. En ce sens, le concept « vernaculaire » renvoie à la notion d’autonomie individuelle et collective et d’échange local qui donc implique un mode de vie de socialité non détourné par la rationalité économique ou administrative mais qui est plutôt régi par des codes et des rituels socioculturels.
6
Ivan Illich, Le silence fait partie des communaux, dans Œuvre complètes 2, éd Fayard, p 749
Les communaux Illich souhaite restaurer une vie communautaire à l’échelon local dans les villes à travers ce qu’il appelle « les communaux » ou « les communs » tels qu’ils sont revendiqués par les altermondialistes. Historiquement, les communaux étaient des biens fonciers tel les forêts où on pouvait ramasser le bois mort, les pâturages, ou l’usage du four banal où chacun, selon le droit coutumier, pouvait en bénéficier. Tout était associé à des pratique de solidarité et de tolérance tel que l’aide gratuite de la récolte de la veuve ou la réparation gratuite de ses outils chez le maréchal ferrant. « Les communaux étaient ces parties de l’environnement sur lesquelles tous les habitants d’une commune avaient des droits d’usage acquis, non pour en tirer des produits monnayables mais pour assurer la subsistance familiale. Les communaux étaient utilisés de façon différente par les différents groupes au sein d’une communauté pour assurer leur subsistance. Le droit coutumier garantissait leur jouissance et imposait des formes spécifiques de respect communautaire »6 L’art d’habiter chez Illich se fonde sur les compétences d’autosuffisance et d’autonomie des populations et qui nécessitent, d’abord, l’existence de la
15 notion de communauté, et une assise territoriale qui est les communaux. Illich dit que la rue où on grandissait autrefois, et où on affrontait et maitrisait son existence, appartenait à ceux qui la peupler. Puis elle a subi des transformations : elle est retracée et aménagée pour les véhicules. 7 Aujourd’hui, on a perdu ce droit commun de la rue et toutes les pratiques qui l’accompagner. Les communaux ont subsisté depuis la révolution néolithique jusqu’à leur enclosure à partir du 15ème siècle en Angleterre c’est-à-dire jusqu’à l’appropriation de ces biens communs par la propriété privée.8. La disparition de ces espaces aujourd’hui est, selon Illich, une des causes de la perte de l’art d’habiter ce monde : « la mesure dans laquelle notre monde est devenu inhabitable est une conséquence manifeste de la destruction des communaux »9
l’emporterait sur la production. Cette révolution devrait à mon avis tourner autour du recouvrement des communaux »10. Les communaux étaient pour Illich ces espaces vernaculaires limités, concentriques, discrets, genrés et régit par les coutumes, qui n’étaient en aucun cas perçus comme affectés de rareté et en l’absence desquels il ne peut y avoir d’art d’habiter11. « Chez le consommateur d’abri moderne, la distinction entre espace privé et espace publique ne remplace pas la distinction traditionnelle entre le logis et les communaux articulée par le seuil : elle la détruit »12 Tout de même, on retrouve toujours aujourd’hui cette valeur symbolique des communaux dans l’espace public, on assiste ces dernières années à des mouvements de reconquête de l’espace public, dans le but qu’ils deviennent commun, par des installations, des évènements communautaires et festifs…etc.
Ivan Illich écrivait dans Une société sans école : « Ainsi, tandis que notre société contemporaine est emportée dans un mouvement où toutes les institutions tendent à devenir seule bureaucratie postindustrielle, il nous faudrait nous orienter vers un avenir que j’appellerai volontiers convivial, dans lequel l’intensité de l’action 7
Jean François Gomez, célébrations d’Ivan Illich, http://www.serpsy.org/des_livres/livres_06/yvan_illich.html , visité le 22/01/2017 8 Wikipédia, article « les biens communaux », visité le 25/02/2017 9 Ivan Illich, l’art d’habiter,Du receuil Dans le miroir du passé ( conférences et discours 1978-1990), Paris, Decartes et Cie, 1994 p760 10 Ivan Illich, société sans école, éd Seuil, 2003
11
Silvia Grünig Iribarren, Le mouvement silencieux, dans Alterarchitectures Manifesto sous la direction de Thierry Paquot, éd Infolio, 2012 12
Ibid
16
Valeurs
Humain
Convivial
Socialité
Ethique
Communautaire
Commun
Vernaculaire Organisation sociale
Local
Culture
Autonomie
Milieu Schéma explicatif de la pensée vernaculaire
17 Projets contemporains pour le recouvrement des communs Collectif ETC, la place du géant Le collectif ETC est une association fondée en 2010 par des jeunes architectes diplômés de l’INSA de Strasbourg. Il se définit comme « support d’expérimentations urbaines participatives ». Il questionne la manière de faire la ville ainsi que la pratique de l’espace urbaine aujourd’hui. Leurs projets vont à la reconquête de l’espace urbain à travers des installations éphémères et ludiques et des activités communes et participatives. Le projet de « la place du géant », situé à Sainte Etienne, était un concours remporté par le collectif, il avait pour objet de mettre en valeur un espace en friche situé au centre-ville. L’occupation de cet espace en place urbaine était une étape préliminaire au projet de construction des immeubles. L’objectif du collectif était d’impliquer les habitants dans l’appropriation de cet espace qui va devenir le leur, et ce en organisant des évènements d’autoconstruction, cuisine et repas partagés, des activités pour enfants…etc. Ce type d’action, en plus de dynamiser le quartier et d’occuper les friches urbaines, il contribue à instaurer le lien social entre l’habitant et son entourage par les pratiques du « faire ensemble » ainsi qu’il initie les enfants à une culture urbaine « de terrain » par leur offrir la chance de mettre les mains à la patte.
La place du géant, image du collectif ETC
Cohabitation de la place par la cuisine partagée, image du collectif ETC
Implication des enfants dans la décoration de la place, image du collectif ETC
18 Le passage 56, Saint Blaise, Paris Par aaa, l’Atelier d’Architecture Autogéré Ce projet montre la possibilité d’occupation d’un interstice urbain en espace collectif autogérée. Le lieu était anciennement un passage fermé mais après la construction d’un bâtiment il s’est retrouvé inconstructible à cause des nombreuses fenêtres qui le bordent.
Façade du bâtiment éphémère du passage 56, image de aaa
L’espace est géré par une association locale, il est utilisé pour le jardinage, des spectacles, ateliers, fêtes, expositions…etc. En même temps « aaa » continue à proposer des usages pour diversifier l’appropriation et le type des usagers qui le fréquentent. Ce projet montre l’imaginaire des urbains qui est en train de changer par rapport à leurs modes de vie. Par soucis d’écologie ou par choix, fréquenter de tels espaces révèle la volonté de vivre autrement et de retourner aux sources. En plus de la dynamique sociale qu’elle s’est créée et le savoir-faire qui se transmet entre les usagers, est un potentiel qui va assurer la survie de cet espace collectif et qui va préserver l’identité d’un lien « commun ».
Le jardin partagé du passage 56, image de aaa
19
C.
Vernaculaire et architecture
L’idée de ce chapitre est de comprendre de quelle manière le mot « Vernaculaire » est utilisé dans le but de décrire une architecture. Dans le chapitre précédant, j’ai essayé de relier la pensée vernaculaire à une manière d’être, dans ce chapitre il s’agit d’une manière de faire.
Encyclopédie de l'architecture vernaculaire du monde Le professeur Paul Oliver avait publié 3 tomes en 1997 sur la question de l’architecture vernaculaire dans le monde en 1997 par Cambridge University Press. Le premier volume aborde : les principes, les théories, et les philosophies ayant cours dans l'étude de l'architecture vernaculaire. Elle est définie comme étant l'architecture sans architecte, l’architecture des gens, qui fait appel aux matériaux disponibles sur le lieu et qui met en œuvre des techniques ancestrales, tout ça par opposition à l'architecture d’architecte faite pour des gens. Dans ce volume, sont également abordés : l'influence des spécificités culturelles, le rôle des matériaux et des techniques, l'impact des milieux physiques, le processus de la construction, l'importance des éléments décoratifs et symboliques, les méthodes de classification typologique, la multiplicité des usages et des fonctions. Les volumes 2 et 3 abordent les
13
Définition de WIKIPEDIA
traditions constructives dans le cadre de grandes zones.13
L'architecture vernaculaire selon Eric Mercer Un autre essai, qui a précédé celui du professeur Paul Oliver, de ce qu’est l’architecture vernaculaire a été proposé en France vers le début des année 1980 par une revue éditée par le Centre d'études et de recherches sur l'architecture vernaculaire (CERAV). La définition a été Inspirée des travaux du spécialiste britannique Eric Mercer. Elle définit un bâtiment vernaculaire comme appartenant à un mouvement de construction ou de reconstruction caractéristique d’une époque donnée et qui reflète un changement économique et une classe sociale qui l’utilise. En ce sens, connaître l’origine sociale du constructeur-utilisateur est un facteur déterminant pour comprendre un bâtiment.
Architecture sans architecte de Bernard Rudofsky Ecrivain, historien et architecte américain d’origine autrichienne, Bernard Rudofsky (1905-1988) dans son livre « architecture sans architectes » initié dans le cadre d’une exposition « Architecture sans architectes » et publié par MMA de New York en 1965. Son propos dans ce livre est, comme il l’a écrit, « faire éclater notre étroite conception de l’art de bâtir, en explorant le
20 domaine de l’architecture non codifiée » et que « à défaut de termes spécifiques, nous diront de cette architecture, selon les cas, qu’elle est vernaculaire, anonyme, spontanée, indigène ou rurale ». Il s’est intéressé à des exemples d’architectures vernaculaires issus du monde entier et la diversité de leur savoir-faire. Il définit cette architecture comme étant l’activité « spontanée et continue des communautés » qui est loin d’être l’œuvre des spécialistes, c’est une architecture non codifiée, relatant l’art de construire, qui n’est pas sous l’influence de la pensée théorique des architectes. On entend par cette définition qu’il y a donc un rapport et une étroite relation entre l’architecture sans architecte et l’architecture vernaculaire.
Régionalisme et régionalisme critique
On peut considérer l’architecture du régionalisme comme étant proche du vernaculaire, car elle est une des rares architectures après le mouvement moderne à promouvoir l’aspect culturel du bâtiment. En revanche, on peut reprocher à ce mouvement d’avoir voulu reprendre une forme stéréotypée en se focalisant sur l’apparence plutôt que sur l’essence de l’architecture. Par exemple dans le célèbre traité régionaliste « Murs et toits pour le pays de chez nous, de Charles Letrosme, dont les trois tomes ont été publié en 1923, 1924 et 1926, est explicite sur la méthode qui permet à l’architecte de dessiner un projet régionaliste. Dans un premier temps, il s’agit de définir un plan dans une problématique fonctionnelle qui engendre une volumétrie pittoresque, laquelle, dans un second temps, sera habillée d’un costume régional composé de motif empruntés à l’architecture paysanne locale.14 De ce point de vue, le régionalisme devient du « modernisme habillé ».
Le courant architectural appelé « régionalisme » date de la première moitié du XX siècle. Cette architecture puise son inspiration dans l’architecture populaire local. Elle donne une dimension culturelle à l’identité de cette architecture. C’est un aspect qui est particulièrement recherché dans le « régionalisme, au détriment parfois du rapport au milieu. La villa du Peintre Eugène Boudin, de style Normand, à Deauville 14
Jean-Claude Vigato, Le régionalisme, valeurs et critiques, dans Chez Nous, Térritores et identités dans le monde contemporains, Editions de la vilette, Paris, 2006, p54
21 Vers les années 1960, de nouvelles questions sont soulevées par rapport l’architecture du régionalisme : « comment être moderne et retourner aux sources, comment raviver une vieille civilisation endormie et prendre part dans la civilisation universelle ? »15. Le critique et historien de l’architecture Kenneth Frampton publie en 1983 un livre : « towards a critical regionalism : six points of an architecture of resistance ». Framton se réfère au philosophe Paul Ricœur. Ici le régionalisme critique ne présente pas le vernaculaire produit autrefois. Selon Frampton, le régionalisme critique devrait adopter de façon critique l’architecture moderne pour ses apports positifs. Mais en même temps, être attentif au contexte plutôt que simplement la scénographie de l’architecture. Dans son livre, Frampton a recours à la phénoménologie pour asseoir ses arguments, at aux aspects tactiles de l’architecture plutôt que visuels. Toutefois, le régionalisme critique prend en compte des données géologiques, topographique ou météorologiques spécifiques au site, mais applique formellement des références culturelles artificielles et garde la même connivence avec le processus industriel des modernes de la standardisation.
15
Paul Ricœur, civilisation universelle et cultures nationales, Histoire et vérité,1955
Alvaro Siza "investigateur du régionalisme critique", Insel Hambroich Foundation, photo par Ducci Malagamba
22 Le pseudo historisime du mouvement post-moderne J’ai choisi d’évoquer le mouvement post-moderne dans ce chapitre car il est le reflet de notre époque, et au nom duquel vont naitre tous les courants qu’on connait aujourd’hui : écologique, green architecture, architecture durable…etc. C’est un mouvement dont l’influence est encore présente de nos jours. Il est né vers les années 1970 en tant que l’expression momentanée d’une crise de la modernité16. Il est parfois vu comme une simple réaction anti-modernisme par la surabondance de références aux clichés populaires sur les style architecturaux anciens. Néanmoins, la définition du concept du mouvement reste floue et multiple du moment qu’on déploie différentes définitions relatives aux esprits des architectes. Ces derniers ont dépouillé l’histoire de toute signification dans la mesure où ils ont fait un retour à l’histoire dans son image et dans sa forme et non dans son esprit.
Le nouveau vernaculaire et le concept du « Learning from » Par sa publication « Learning from vernacular, vers une nouvelle architecture vernaculaire », Pierre Frey, professeur à l’école polytechnique fédérale de Lausanne, dépasse la référence simpliste à la forme ou
16
C. Guibet Lafaye, l’esthétique de la postmodernité, Etude réalisée dans le cadre d’une coopération entre l’université Masaryk de Brno (République tchèque) et l’université Paris 1 Panthéon Sorbonne.
à l’image romantique de l’architecture vernaculaire. L’auteur part d’abord d’une critique de l’architecture ordinaire et extraordinaire produite par l’industrie globale et les alternatives qui émergent dans certains pays dans le monde. Il renoue explicitement avec le discours critique de Bernard Rudofsky et de Ivan Illich. « Learning from » est un concept qui incite à examiner les circonstances, tirer des leçons et réinterpréter pour une nouvelle architecture vernaculaire. On y retrouve la volonté d’une redéfinition de l’architecture vernaculaire en rapport avec l’époque actuelle.
23
D.
Les attributs du « Vernaculaire » Le rapport au milieu
Selon le professeur Fréderic Aubry17 précise que la trilogie conceptuelle : l’Homme, le site et les matériaux est indissociable pour parler d’architecture vernaculaire. La combinaison de ces trois éléments permet de définir les particularités des différentes architectures vernaculaires : « La morphogénèse de l’architecture vernaculaire s’établit sur la synthèse d’une trilogie conceptuelle composée de trois pôles de référence à partir desquels on peut analyser méthodiquement chaque construction et l’interpréter en répondant aux simples questions quoi ? pour qui ? où ? pourquoi ? comment ? L’HOMME enveloppe et exprime le contenu de toutes les données thématiques, activités et besoins de nature socio-économique, culturelle et historique. LE SITE intègre toutes les données environnementales, climat, morphologie, … LES MATERIAUX impliquent les choix et les techniques mis en œuvre de la forme bâtie. »18 L’architecture vernaculaire est concernée aussi par la norme sociale. Nezar Elsayyad et Elena Tomlinson19 trouvent que Vernaculaire dans un monde globalisé ne relève pas uniquement d’une forme d’architecture liée 17
Fréderic Aubry, Professeur Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne 18 Guindani, Doepper, 1990
au lieu mais qui renvoi surtout à un concept de groupement social. Dans ce cas, on parle d’une pratique sociale qui, quand un groupe l’adopte, devient une « norme ».
Atemporalité On a tendance à associer le vernaculaire à ce qui provient du passé (à ce qui est périmé), à ce provient d’un héritage culturel issu des générations antérieures. Or, l’architecture vernaculaire n’est en aucun cas l’architecture du passé. Elle est une architecture atemporelle car elle évolue en fonction de son époque. Au fil des générations, les moyens de mise en œuvre se perfectionnent ou se perdent, l’emploi des matériaux évolue selon l’époque et même le contexte change selon l’époque. Une architecture vernaculaire contemporaine est donc une architecture vernaculaire qui appartient au temps actuel. Comme l’explique Ursula Hartig20, l’architecture vernaculaire est en fonction du monde actuel et de son évolution, ce n’est pas une notion figée, indépendante de l’évolution. L’architecture vernaculaire ne peut en effet être la même des sociétés pré-étatiques aux grandes organisations actuelles.
19
N. Alsayyad and E. Tomlinson, traditional environments en a post traditional world : interdisciplinary 20 U. Hartig, Contextual construction, Learning from the verncular, dans stratégies pour un développement durable local, Institute for Town and Regional Planning, Berlin, 2008, P. 90
24 Spontanéité L’architecture vernaculaire est une architecture du bon sens, instinctive, elle fait appel aux moyens à disposition. Elle n’est pas dessinée, aucun style n’est préalablement défini. Le savoir-faire né du besoin c’est lui qui décide de la forme de l’architecture. On retrouve des formes sobres et simples et une efficacité du geste architectural ainsi que dans l’emploi de la matière Il est évident que le besoin de pratiquer l’architecture est inné en nous, né du besoin instinctif de s’abriter et d’aménager l’espace autour de nous. De ce fait, le caractère spontané de l’architecture vernaculaire donne un ensemble spontané et chaotique mais ordonné car régi par le bon sens humain.
Processus L’architecture vernaculaire est d’abord un processus. Elle n’a donc pas une fin figée ni de spécialisation définitive. Elle est sujette d’une perpétuelle évolution par addition ou par soustraction. En ce sens, elle est basée sur l’expérience, soit on garde où on abandonne. L’habitant est un moteur du processus et non pas le consommateur final. Ceci implique un certain savoirfaire et un esprit d’autonomie.
L’autonomie Le vernaculaire par définition est le produit qui n’est pas destinée à l’échange ce qui soutient l’absence du dualisme client-architecte. Sans échange, chacun devient client de lui-même et architecte de lui-même. La définition du métier de l’architecte dans le cas d’une société vernaculaire deviendrait peut-être une conception du cadre d’habiter et non pas de l’habitation elle-même.
25
CHAPITRE II
Le vernaculaire à l’ère de la mondialisation : un détour par l’informel
26 Il est souvent difficile d’observer et de comprendre nos propres manières d’habiter dans notre propre culture spatiale de la société moderne pour la simple raison que nous les avons incorporées dans notre inconscient. Pour les requestionner, elles nécessitent un écart qui relativise nos repères et un détour par une autre culture qui nous montre l’étendue des possibles ce dont l’être humain est capable d’accepter. Vouloir étudier la manifestation d’un nouveau vernaculaire dans les bidonvilles vient d’un intérêt personnel envers ces productions spatiales spontanés. Elles existent en parallèle avec la ville contemporaine mais incarnent une autre image de fabrication de l’espace et du mode d’habiter aujourd’hui. Le mot bidonville est directement lié à la pauvreté et dire « Apprendre des bidonvilles » peut s’avérer une ascèse, car il est plus rationnel de lutter contre la pauvreté plutôt que d’en faire l’éloge. Or, cette rationalité est propre aux normes de confort modernes qui déterminent ce qu’est la pauvreté.
institutions. Cette situation marginale, la présence de l’espace commun qui n’est ni publique ni prive, est devenu une ressource et support pour les pratiques de sociabilité et de partage. Ce mode d’organisation du tissu sociale associé à un usage vernaculaire de l’espace peut mettre en cause toutes les ambitions du développement durable et de ladite « écologie sociale ». J. Choppin et N. Delon donnent une définition qui encourage à voir le monde autrement : « il existe heureusement une autre face du temps présent, une face qui résiste à l’empire féroce de marché comme au potlatch ? On la qualifie souvent de secteur informel »22. De ce fait, dans quelle mesure pourrait « l’informel » nous inspirer la pratique du vernaculaire contemporain dans l’espace urbain ?
On dit que la nécessité est la mère de l’innovation technique et sociale21. En ce sens, la sociabilité, l’entraide et le partage dans un bidonville est le résultat d’un besoin de survie et donc sans ces relations sociales l’organisation d’une communauté s’avère difficile surtout étant dans l’informalité et exclu de l’aide des 21
Yona Friedman, architecture de survie, éd L’éclat, 2003, p
22
Julien CHOPPIN & Nicolas DELON, Encore heureux, Matière grise, éd Pavillon de l’arsenal, 2014
27
A. Les bidonvilles : un vernaculaire contemporain Aujourd’hui plus que la moitié de la population mondiale est devenue urbaine. Avec le changement de la société et dans un espace qui est devenu mondialisé, parler de pratiques vernaculaires c’est faire forcément référence à un contexte urbain contemporain. La posture reste la même mais l’objet n’est plus traditionnel, il est contemporain23. Ainsi l’architecture n’est plus figée, elle a, au contraire, une capacité à absorber la nouveauté ou à s’y adapter. D’autre part, la circulation des informations, des images, des matériaux dans une société en mouvement créée les conditions favorables à l’apparition de formes nouvelles.24
culture25. Chaque bidonville a son histoire propre. Il se développe selon un rythme particulier, dispose d’une structure bien définie, présente des atouts et des contraintes propres à leur milieu. Leur emplacement et leur morphologie sont variés : quartiers densifiés du centre-ville, flancs de montagne, mornes (collines), ravins, terres basses en bord de mer, plaines en périphérie...etc.26 A l’inverse, les bidonvilles partagent tous le fait c’est le fait qu’ils sont tous issue d’une réalité urbaine de marge, ils se déploient et s’organisent selon un modèle similaire d’un point de vue de la densité élevé, populations pauvres, conditions de vie difficiles, vie communautaire…
Les bidonvilles, un phénomène global, cette version non maitrisée de la production de l’architecture et de l’urbanisme sur le plan sanitaire, technique et juridique est perçu à travers l’image médiatisée, comme des zones de violence incontrôlée, comme espace anarchiques sans foi ni loi, une image d’uniformité misérable. Cependant, la réalité de cette image est autre, un bidonville n’est pas un stéréotype qui se répète dans les 4 coins du globe, certes ce sont des produits d’un contexte urbain mondialisé mais le résultat est à chaque fois un milieu singulier qui appartient à un territoire et qui est façonné par une
Faire l’analogie entre le mode d’habiter vernaculaire et le mode d’habiter dans les bidonvilles a été abordé par des architectes du fait que les bidonvilles soient une production en lien avec une culture, un lieu, une population. La question de la légitimé ou de l’égalité des constructions n’étant plus prioritaire, Jean-Paul Loubes parle volontiers d’architecture vernaculaire contemporaine et donc de l’inscription de l’évolution de l’architecture dans un contexte spatio-temporel.
23
25
24
L’équipe de chercheurs LAA Robin, 1992
« Les proportions atteintes par la croissance de la démographie mondiale ont entrainé le développement Jean Goulet, Les bidonvilles, une forme urbaine viable, dans la ville autrement, géographie contemporaine, éd presse universitaire du Québec, 2005, p156 26 Ibid.
28 d’une architecture populaire de masse. Productions des sociétés modernes, ces phénomènes, par leurs formes, les matériaux qu’ils utilisent, les cultures des groupes qui les mettent en œuvre, ne peuvent plus être qualifiés de traditionnels. Ils sont cependant vernaculaires dans la mesure où ils mettent en œuvre des ressources locales sans l’aide des institutions. C’est le cas du secteur dit informel… l’association de vernaculaire à contemporain marque la reconnaissance de ces processus actuels de production du bâti fondé sur les ressources locales. »27
Les territoires construisent-ils les identités ou les identités construisent-elles les territoires ? La ressemblance est fort présente entre le modèle vernaculaire d’une Medina et le plan d’un bidonville dit « Vernaculaire contemporain ». Elle est liée principalement à des raisons culturelles, par exemple : l’organisation autour d’une cour ainsi que la discontinuité de la perspective de la rue principale pour empêcher les perspectives directes à l’intérieur de la communauté.
« Ce qui caractérise la contemporanéité des quartiers de bidonville est le fait qu’ils soient comme un collage de certains principes vernaculaires, en même temps, ils saisissent l’efficacité de la circonstance urbaine contemporaine afin d’être développé dans la ville. Au cours du processus de la prise de décision, les habitants sélectionnent ou abandonnent. »28 Ainsi une nouvelle norme est générée sur place pour s’adapter au « déjà là » du contexte urbain et ses contraintes. On y retrouve les mêmes notions des attributs du vernaculaire précédemment cités mais qui s’adaptent et qui évoluent :
27,
Jean-Paul Loubes, Traité d’architecture sauvage Edition du sextant, p42
Analogie entre un plan d’une Médina maghrébine (Ksar au sud Marocain) à droite et un plan de bidonville à Nanterre (était habité principalement par une population Maghrébine) à gauche.
28
Ming Tang, L’urbanisme spontané du quotidien ; Mombay Istanbul Naiobi, projet de recherche en vue d’une inscription en thèse, Ecole doctorale
29 Malgré l’absence de style architecturale propre, comment se manifeste l’identité culturelle dans les milieux vernaculaires aujourd’hui ? Dans le cas de comparaison de la Medina maghrébine aux bidonvilles de Nanterre, la lecture en plan permet une grande lisibilité des deux modèles.
Les bidonvilles, des établissements humains Ce sont des établissements humains qui créent une véritable communauté. « Le croisement des cultures et savoirs faire dont sont dépositaires les groupes humains qui s’y côtoient, avec l’économie d’un lieu et sa géographie (site, climat, etc.). »29
Organisation sociale vernaculaire De nos jours, la taille de la ville a dépassé la dimension admissible qui permet aux êtres humains de vivre en harmonie dans une société. Aristote a dit “ A tout état correspond une taille limite, comme il y a une taille limite pour toutes les autres choses, plantes, animaux, outils. Aucun ne conserve sa puissance naturelle lorsqu'il devient démesurément grand ou démesurément petit ; car alors, il s'en trouve soit entièrement dénaturé soit perverti.”30 Et l’être humain 29
Ibid.
30
Aristote, Les Politiques, Edition Flammarion, 2015
de par sa nature ne peut vivre socialement qu’en groupe relativement petit, citant l’exemple de l’échelle humaine qui était plus ressentie autrefois avec le système de mesure pied, pouce, etc., et c’est à cette échelle, que l’être humain puisse se repérer et communiquer avec l’autre. Mais paradoxalement il est toujours attiré par l’aventure que lui promet la foule.31 De nos jours, c’est cette communication avec l’autre qui devient une notion hors échelle, on croit bien que le message est transmis mais en réalité c’est juste une illusion « […] les organisations centrales (états, grandes villes, etc.) ont depuis longtemps, dépassé le seuil du groupe critique correspondant à leur structure d’organisation. Elles sont donc incapables de réagir face aux crises […] »32. Les bidonvilles, comme le dit Y. FRIDMAN sont organisés en groupe de « bidonvillages » ou des petites communautés dans la communauté et c’est ce qui assure la bonne organisation et la bonne administration. La plupart du temps, la communauté du bidonville a son chef, cette personne est responsable du terrain et peut attribuer des parcelles aux nouveaux arrivants en déterminant leur taille et leur emplacement.
31
Yona FRIEDMAN, architecture de survie philosophie de la pauvreté, Edition de l’Eclat 2003 32
Yona FRIEDMAN, architecture de survie philosophie de la pauvreté, Edition de l’Eclat 2003
30 Organisation spatiale spontanée, métabolique Les constructions dans les bidonvilles se font selon une logique progressive en fonction de la place disponible, elles n’obéissent à aucun principe logique mais tout de même cette évolution ressemble à l’évolution de la toile d’araignée où toute construction est connectée d’une certaine manière à ses voisines jusqu’à obtenir une sorte de réseau. La cabane ou la baraque est l’unité de base qui constitue le tissu des bidonvilles, elle occupe entièrement sa parcelle ce qui fait que la morphologie du bidonville est constituée de la multiplication de cette dernière. D’après une recherche sur le cas de l’habitat spontané à Bankok, Fanny Gerbeaud affirme : « Les constructions spontanées peuvent paraître héritières des légères maisons sur pilotis qui couvraient jadis la plaine de Bangkok. Mais ce serait oublier qu’elles sont aujourd’hui surtout guidées par le manque de moyens : c’est parce qu’elles sont nées de la nécessité que leurs formes répondent et s’adaptent avec justesse aux contraintes. Leurs caractéristiques révèlent toutefois des solutions inventives d’ajustement au contexte : l’emploi du bois rend les bâtiments facilement amendables ; les agencements spatiaux favorisent la ventilation et l’éclairage naturels ; des partitions légères cloisonnent
les espaces pour accueillir plusieurs générations sous un même toit ; plusieurs fonctions y prennent place. Soit un ensemble de dispositions qui rendent les logements très flexibles d’un point de vue architectural comme urbain : ils peuvent quasiment changer de forme à la demande et s’insèrent sans peine dans les interstices et les délaissés de l’urbanisation réglementée. Ainsi l'habitat spontané, en plus de confirmer la capacité des nonsachant à concevoir de l'espace urbain adapté à la demande, propose une autre façon de produire la ville, plus lente mais non moins qualitative à long terme. »33 « Dans un barrio34 , il est toujours question de l’aléatoire, de l’accidentel, de hasard et surtout de l’inachevé. Une construction dans un barrio n’est jamais fini, ainsi le barrio elle-même de s’achève pas, elle déborde toujours. L’espace des barrios transforme continuellement sans s’arrêter dans une forme précise, il est perpétuellement en train de se faire. L’espace non projeté et non planifié est un espace actif et vivant, c’est un espace en mouvement… »35
« Le déjà là » comme matière première Les bidonvilles sont dans la ville mais ils ne subissent pas le modèle global. Alors que la ville fait une « architecture hors sol », les bidonvilles respectent « le déjà là » construit (urbain) et naturel (site, végétal,
33
Gerbeau Fanny, l’habitat spontané : une architecture adaptée pour le développement des métropoles ? Le cas de Bangkok (Thaïlande), résumé de la thèse de doctorat, 2012
34 35
Veut dire quartier de bidonville au Brésil Didier Drummond, architectes des favelas, éd Dunod, 1993
31 climat). Le plan d’un bidonville reflète la culture et la nature de la région tel est le cas pour le village vernaculaire, on arrive à reconnaitre les bidonvilles des différentes origines. Dans les bidonvilles, on utilise les matériaux disponibles sur place, réutilisés ou les plus bon marché ou qui ne coute rien (pour le recyclage des rebus). On n’a pas à se déplacer pour chercher avec quoi construire.
32
B. Lecture analytique des Gecekondu de Kustepe, Istanbul Istanbul, la ville polychrome, est aujourd’hui un immense théâtre d’hétérogénéité urbaine. Sous les effets du néo-libéralisme économique et de la mondialisation culturelle de la période post 1980, les espaces et symboliques d’Istanbul ont été restructurés suivant une polarisation radicale entre les différents segments de la population. Les industries consommatrices de main-d’œuvre ont été déplacées dans les zones périphériques, pendant que le centre est remodelé en quartier d’affaire, en espace de consommation ou en site touristiques36. Les gratte-ciels des grandes entreprises forment un tableau hétérogène dans le paysage urbain avec les quartiers de Gecekondu qui se sont retrouvé figés au centre de la métropole stambouliote. Une régénération urbaine poussée par les forces de la globalisation est mise en œuvre, elle entraine le déplacement de la population pauvre vers la périphérie lointaine. Or, des mouvements de résistance semblent vouloir préserver ces milieux vernaculaires.
Un intérêt personnel pour cette forme d’habitat spontané m’a poussé à s’intéresser au Gecekondu d’Istanbul afin d’analyser leur caractère vernaculaire dans ce contexte globalisé. En tant qu’architecte, et sans ignorer les aspects, économiques, politiques, sanitaires et règlementaires des Gecekondu, mon intérêt lors de cette étude était porté uniquement à leur aspect architectural et à l’organisation sociale. J’ai procédé par une étude de terrain ensuite d’analyse pour comprendre comment pourrait se manifester les pratiques du vivre ensemble à travers la simple lecture de la production spatiale de Gecekondu.
Le terme Gecekondu est utilisé pour désigner un type d’habitat et un tissu urbain non planifié, produits suite aux migrations économiques et/ou politique depuis les années 1950 vers les grandes villes de la Turquie, et tout particulièrement Istanbul.37
36
Sibel Yardimci, la face cachée de la métropole, Revue Urbanisme n374, p71
37
Aysegul Kancat, Gecekondu : un projet urbain en acte et en puissance, Revue Urbanisme n374, p71
33 ²²
Cas d’étude : Kustepe
0
Urbanisation, Istanbul
10
34 Pour comprendre les enjeux de ces quartiers d’habitat spontané, j’ai effectué un voyage de deux semaines à Istanbul où j’ai fait la connaissance de Mme Aysegul Cankat, architecte enseignante à l’école d’architecture de Grenoble. Elle mène des travaux de recherche sur une dizaine de quartiers d’habitat spontané à Istanbul. Lors du voyage, J’ai participé avec Mme Cankat et ses étudiants du master « urban design » de l’université des Beaux-Arts de Mimar Sinan à Istanbul, à une visite Insitu du quartier Kustepe suivit d’une journée d’échange à l’université. J’ai visité aussi d’autres quartiers de Gecekondu qu’elle m’avait conseillé d’étudier. Trois sites furent étudiés : Kustepe : un quartier de Roms figé au centre de la métropole, Hamidiye : un quartier à la périphérie de la métropole et enfin les Gecekondu sur les toits des immeubles à Fatih. Le reste du séjour était consacré à la découverte de la ville ainsi qu’à la restitution du relevé. Finalement, se concentrer sur un seul cas d’étude « Kustepe » permet de mieux rentrer dans le cœur du sujet de l’analyse.
35
Photo collective avec Aysegul et le reprĂŠsentant de la communautĂŠ Roms de Kustepe
36 Kustepe : « le village dans la ville » Kustepe veut dire en turc : la vallée des oiseaux. Le quartier présente des caractéristiques très particulières et riches en diversité typologique : sa situation en plein cœur d’Istanbul, sa forte densité et sa topographie abrupte. L’architecture sans architectes, les matériaux mis en œuvre, l’inscription du quartier dans le lieu, le caractère communautaire ainsi que les pratiques des habitants sont tous des traits révélateurs de l’aspect vernaculaire de Kustepe. Malgré le contexte urbain très dense, le quartier se démarque par sa forme urbaine depuis plus d’un demi-siècle. Kustepe, comme beaucoup d’autres quartiers de Gecekondu, est menacé d’éviction éminente. Les tours du quartier des finances s’y rapprochent dangereusement créant une angoisse silencieuse. A Kustepe, il existe une grande diversité culturelle et une population de diverses origines, mais le secteur où j’ai concentré mon étude, on y recense beaucoup plus de population Rom. Cette unité ethnique est un facteur très important dans les relations sociales de Kustepe.
37
Kustepe dans le paysage urbain
38
Inscription de Kustepe dans le tissu urbain
39
Habitations Seuils
Organisation des parcelles Ă Kustepe
40 Imbrication complexe, lieux riches Au départ le Gecekondu est une simple baraque installée par rapport au terrain et aux moyens disponibles. Ensuite, et en fonction du besoin on rajoute des extensions ou on surhausse d’un deuxième ou un troisième niveau. Faute de place en milieu urbain, il est nécessaire de densifier. Dans ce cas on assiste à une verticalisation du Gecekondu, les baraques de la deuxième génération (surhaussées) sont rasées par ses propres habitants pour être remplacées par des Gecekondu verticales de la troisième génération « les Appartkondu » qui peuvent atteindre parfois à plus de cinq niveaux. Les « Apartkondu » est une typologie assez standardisée, on assiste à un appauvrissement typologique du Gecekondu.
dominant, actuel, est en effet l’autoconstruction d’un immeuble- avec éventuel à un contremaître… »38
Cette verticalisation laisse la place à une construction généralisée d’immeubles jointifs en bétons ce qui donne naissance à la construction de la ville ordinaire. « un processus universel de fabrication de la ville en dehors de toute planification par densification à partir d’un habitat individuel »39.
L’évolution du Gecekondu
Jean-François Pérouse définit les « Apartkondu » : « Mot à mot, par analogie avec les Gecekondu, immeuble posé la nuit ; ce qui est un peu forcé. La construction d’un apartkondu nécessite à l’évidence plus d’une nuit. On est donc bien dans l’extension de sens. L’apartkondu, immeuble non réglementaire dans ses modalités de construction, mais édifié sur un terrain appartenant au constructeur, témoigne d’une tendance à la densification immédiate du bâti illégal de bas de gamme. Le mode de construction 38
Jean François Pérouse, Les tribulations du terme Gecekondu, European Journal of Turkish Studies, 2004, p11
devenu recourt
39
P.Pinon et A.Borie, portrait de ville, Istanbul, éd cité de l’architecture et du patrimoine, 2010, p53
41 Vu la situation urbaine de Kustepe, et la topographie ardue du terrain, le principe de densification se base sur comment composer avec ce qui est déjà construit. Imbriquer des volumes et assurer un accès indépendant n’est pas toujours facile sans avoir recours à des dispositifs particuliers. Ainsi que l’évolution du Gecekondu induit les habitants à développer plus d’ingéniosité pour permettre l’accès aux étages supérieures. Pour atteindre l’étage supérieur rajouté à l’unité initiale, le but n’étant pas de déformer le plan initial, les habitants rajoutent un escalier en façade donnant naissance à une coursive ou un balcon en façade. Et quand le bâtiment dépasse R+1, une cage d’escalier centrale devient nécessaire pour desservir le reste des étages. De ce fait, par la densification, les dispositifs d’entrée perdent en diversité. Ce caractère évolutif du Gecekondu crée une complexité de l’espace partagé entre les voisins. On assiste à une naissance de typologie l’espace commun riches en qualité spatiale : des seuils, des terrasses, des cours, des coursives…etc. Cet espace commun généré offre une grande flexibilité spatiale des usages entre intérieur et extérieur. Malgré l’hiver froid à Istanbul, que plusieurs activités quotidiennes se passe en dehors de l’espace couvert et construit en dur. Ce qui fait qu’on retrouve souvent des installations d’appropriation de l’espace commun.
42
Balcon
Terrasse
Cour
Balcon Cour Terrasse
Coursive
43 La topographie de Kustepe participe activement à la morphologie urbaine du quartier. La configuration urbaine des rues de Kustepe est intrinsèquement liée à la pente du terrain sur lequel se développent les habitations. Ces dernières se développent en escalier en fonction de la pente. Ceci permet une grande gymnastique dans l’imbrication des volumes créant une diversité typologique et architecturale. Rue, ruelle, cours distributives, passerelles distributives ou palier distributif, la structure parcellaire de Kustepe démontre la présence d’une grande hiérarchie dans l’organisation des espaces de distribution. L’accès aux habitations accessible depuis la rue se fait directement en traversant un seuil ou par un escalier en contre bas de la rue si le logement est en aval par rapport à la pente. Dans le deuxième cas, l’espace perdu en dessous de l’escalier est souvent utilisé en tant qu’espace de stockage. Pour les habitations accessibles depuis un espace de distribution (escalier, ruelles), on retrouve souvent un palier, une coursive ou une petite cour menant à la porte d’entrée.
44
La promiscuité est un facteur parmi tant d’autres qui incite à interagir avec son voisin.
Distribution par escalier
45 Les relations de voisinage A Kustepe, les relations sociales concernent en grande partie les relations de voisinage. En plus d’appartenir à la même communauté ethnique (Rom), la situation de précarité que partagent les habitants, la densité élevée ainsi que la grande promiscuité les incitent à solidifier les relations de voisinage et de partage. De ce fait, la notion de voisinage devient une donnée structurelle et une caractéristique essentielle du milieu social. Pour réussir la négociation d’un bout de territoire, il faut d’abord réussir ses relations avec l’entourage. Les formes de voisinage sont diverses à Kustepe. Ça commence par la fenêtre et la porte en vis-à-vis, ensuite l’escalier du voisin qui traverse la façade de celui d’en bas jusqu’au partage de la même cour, coursive et cage d’escalier. Dans le cas bidonville, ça nécessite de vrai compromis. Ce besoin du vivre ensemble donne lieu à l’apparition d’une attitude de « faire ensemble ».
L’escalier principal est approprié et couvert au niveau de l’accès au logement. Cette partie est mutualisée entre deux voisins.
L’espace résiduel entre deux logements est mutualisé et utilisé comme salon en plein air.
46 Typologie de l’espace vernaculaire
maison : séjour extérieur, espace de stockage et la plupart du temps ils font office de jardin, de terrasse.
La rue, le seuil L’espace intérieur des habitations n’étant souvent pas suffisant, la vie intérieure est projetée en dehors de l’habitation dans les espaces résiduels devant les façades puis par prolongement dans la rue. Cette appropriation de la rue et des interstices urbaine à Kustepe nous rappelle ce qu’appelle Ivan Illich « l’espace vernaculaire » car on y pratique des activités de subsistance. La vie quotidienne des habitants, surtout les femmes, se passe donc dans l’espace vernaculaire, il est le réceptacle de plusieurs types d’usage : On y installe des chaises pour boire un thé avec les voisins, les enfants en fait leur espace de jeu, on y exerce une activité commerciale devant chez soi (vendre des légumes, tricoter et vendre le produit sur place). Pour cela, les dispositifs de transition de la rue à l’intérieur de la maison varient et présentent une grande richesse en typologie. Les seuils marquent la limite entre le l’espace vernaculaire et l’intérieur de l’habitation. Ils sont souvent rythmés par des strates transitoires : une grande marche ou un petit muret et d’autres fois par une chicane en muret décalés, comme on peut retrouver aussi carrément une petit espace construit en dur ou en matériaux récupéré qui permet de passer de la rue à l’intérieur. On peut remarquer que certains seuils sont utilisés en tant que pièce faisant partie de la
Les dispositifs patiaux marqueurs de seuils sont plus présents quand l’habitation donne sur la rue principale et ils le sont un peu moins à l’intérieur de l’îlot là où généralement les espaces résiduels assurent cette transition et où le flux des passants est moindre. L’intimité à l’intérieur de l’îlot est imposée par le caractère arborescent du réseau de circulation : depuis la rue, ruelle ou escalier principal, rue interne, palier, seuil couvert et finalement la porte. L’orientation de la porte d’entrée doit être le plus cachée possible des regards des passants. Le principe est de voir sans être vu.
47
L’arbre joue le rôle de filtre et protège le seuil
L’espace de transition est aménagé, et il est utilisé comme salon ouvert
Le seuil ici est un double retrait par rapport à la rue
Le seuil joue le rôle d’un filtre pour voir sans être vu
Seuil délimité par un muret créant une chicane
Une Pièce à part entière, utilisée pour le stockage et permet la transition à l’intérieur.
Seuil délimité par une marche assez haute
48 Espaces interstitiels L’organisation spontanée du quartier de Kustepe et l’imbrication complexe des logements due à la topographie ardue du site donnent naissance à une multitude de porosités et des interstices en cœur d’îlot. Avec un œil simpliste on pourrait qualifier ça d’une mal gestion de l’espace tandis que ces poches urbaines sont de véritables lieux générateurs d’interaction et de sociabilité. Par exemple, la femme utilise l’espace devant chez elle comme extension de l’intérieur de son logement pour faire les tâches ménagères, un autre en fait le prolongement de son garage, encore plus loin ça devient la placette devant le boulanger ou l’épicier du quartier ou tout le monde s’arrête pour avoir les nouvelles de son voisin. Ces espaces n’appartiennent à personne mais c’est à tout le monde, on paye pas de prix pour les utiliser, tout le monde peut en profiter.
Les vides qui se créent à l'intérieur des îlots constituent de véritables poches d’interaction.
Le tissu irrégulier crée une arborescence de passages étriqués qui rapprochent les voisins les uns des autres.
Les espaces de distribution ouverts sur la rue créent des séquences de convivialité.
49
50
C. L’espace commun générateur de sociabilité
Le lieu crée le lien « Coexistence indécidable et inévitable tout à la fois »
L’acte de « faire » crée le lieu
Michel de Certeau
Le sentiment d’appartenance ne se crée pas uniquement par le fait d’appartenir à lieu donnée, il se crée plutôt par le l’action de pratiquer ce lieu. Par exemple : Cuisiner, signifie s’approprier l’espace dédié à la cuisine pour pratiquer l’acte de cuisiner ; bricoler ; c’est créer un univers de bricolage dans le lieu dédié pour, jardiner…etc. En ce sens, l’acte de « faire » donne un autre rapport à l’espace et un imaginaire qui lui est associé.
En faisant le travail d'analyse sur le quartier de Kustepe, je me suis rendue compte que le logement dans les villes est devenu tellement confortable qu'on n'éprouve pas vraiment le besoin de s'approprier ni partager les espaces communs tel les cours d'immeubles, couloir d'immeuble ou jardin commun...Etc. au moment où la plupart des urbains s'inquiètent de l'insociabilité que le sont devenus les modes de vie urbains.
Les petits détails de la vie quotidienne, nous semblent toujours pareilles, or elles sont l'essence qui organise l’espace habité, elles créent les lieux d’interaction et donc de convivialité. Elles contribuent à façonner le lieu de la même manière que le lieu soit un vecteur essentiel à la subsistance de ces pratiques. De ce fait, on pourrait dire que la présence du lieu crée la dynamique sociale et en retour les interactions sociales et les pratiques du quotidien façonneront le lieu et le transformeront.
L’espace commun dans les Gecekondu est né l’organisation spatiales complexe, de la négociation et en respect au « déjà là ». Il présente les qualités de l’espace vernaculaire d’autrefois. Il est le support de sociabilité qui garantit la cohabitation dans des conditions de vie marginales. Il donne naissance à une autre configuration sociale qui distingue la société des bidonvilles de notre société moderne. S’approprier l’espace extérieur en même son voisin où chacun ne sait pas où commence la propriété de l'autre devient un vrai vecteur de sociabilité.
51 Projets collaboratifs
garderie autogérée, des jardins pour les amateurs du jardinage… etc.
Espaces de travail collaboratifs Depuis les quinze dernières années, on assiste à un développement de mouvements sous des appellations diverses : Makers, Do It Yourself…etc. Ce sont des communautés qui se sont créés autour du concept de mettre en partage des idées et des savoir-faire. Les initiatives sont nées d’abord dans les communautés de fabricants de jeux vidéo ensuite la culture s’est expansée pour transmettre l’idée qu’on doit s’affranchir de l’univers industriel en fabriquant par soi-même dans des FabLab (fabric laboratory). Ça touche également les communautés d’artistes en développant des ateliers de pratiques artistiques amateurs et ladite « bibliothèque d’outils » : un espace pour le prêt d’outils. Ces lieux collaboratifs sont généralement ouverts et gratuits et parfois on y adhère par un abonnement annuel, mensuel ou par heure de travail si le travail consiste uniquement en l’usage de machine de fabrication. La dynamique de ces lieux se matérialise aussi par l’organisation de conférence, d’évènements et de workshops.40 C’est la raison pour laquelle, on intègre parfois à ces espaces de coproduction des espaces complémentaires mais qui restent dans le même principe de partage : café associatif, cuisine partagée,
40
http://bbf.enssib.fr/tour-d-horizon/nouveaux-usages-et-espacescollaboratifs-et-creatifs_65444
A l’ère de la crise sociale et de repli sur soi, cette culture incite à l’autonomie et elle fait de l’acte de « faire » et de « transmettre » un moteur pour le changement. La généralisation de ce type d’espace collaboratifs à travers les associations locales, dans les quartiers en difficulté et autres sont avant tout un prétexte d’échange et de cohésion sociale. A mon sens, ce n’est ni la prolifération de ce ses lieux d’échanges ni l’innovation qui en découlent qui sont l’objectif en soi mais c’est plus le changement qui va s’opérer dans l’imaginaires de la jeune génération et de la génération à venir qui est à applaudir. On est en train de préparer une génération de moins en moins individualiste, de moins en moins dépendante du produit fini que lui offre le marché. Je trouve que c’est un pas vers une société résiliente.
52 WoMa (Working-Making) Situé dans le 19ème arrondissement de Paris, c’est un espace de travail et de fabrique, il se veut un lieu-outil41 qui permet de travailler, partager ces compétences et bénéficier de celles des autres autour du partage du lieu. Il s’adresse aussi à ceux qui veulent s’investir et contribuer dans un projet de quartier. L’espace de travail, photo par WoMa
L’équipe qui gère le lieu se compose de 7 personnes de différents domaines : des designers, architectes, sociologues et communicants...etc. Parmi les architectes, il y en a un qui était enseignant à l’Ecole Spéciale, c’est lui qui m’a ouvert l’esprit sur cette nouvelle culture de lieu de partage en faisant des séances de WorkingMaking au WoMa. Le lieu propose des évènements, rencontres, formations et workshops…etc. C’est-à-dire qu’on puisse réserver le lieu pour organiser sa fête de diplôme par exemple dans une ambiance d’ouverture sur les autres usagers.
Evènement, photo par WoMa
L’association offre des services divers qui varient entre juste le fait de venir travailler quelques heures jusqu’à l’usage de machines de fabrique seul ou assisté.
L’espace des machines, photo par WoMa
41
http://www.woma.fr/fr/about-us
53
Organisation spatiale du lieu et des services, croquis par WoMa
54 Jardins partagés (Agrocité) Habitant à Colombes, et passant souvent par les lieux, ce projet de l’Agrocité me parait une expérience parmi tant d’autres qui ont réussi à transformer le discours en pratique malgré qu’il soit aujourd’hui menacé de destruction et de transformation en parking par la mairie de Colombes. Dans la cadre du projet R-urbain de l’Atelier d’Architecture Autogéré (aaa), l’agrocité est une unité d’agriculture urbaine située à la ville de Colombes (Hauts de Seine) mêlant agriculture partagée, économie de circuits courts, culture de production locale et une vie associative et solidaire. C’est un projet visant à initier et soutenir les dynamiques de résilience urbaine par l’intégration de l’agriculture dans un milieu urbain (la ville de Colombes) ainsi que par les pratiques de solidarité et de partage qui créent le lien social.
Programmes et objectifs de l’Agrocité, croquis par aaa
Discussion dans la salle commune, photo par Elsa Ferreira
Le jardin abrite : des parcelles d’agriculture occupées de manière individuelle, un jardin pédagogique dédié à des ateliers de découverte de la culture du jardin potager, L’agrolab, l’abri du jardin est bâtiment de l’association construit en matériaux de récupération, il abrite une salle commune ; une kitchenette et une salle de bricolage ; une bibliothèque de graines ; un café associatif et un mini marché de production locale.42 Parcelles individuelles, photo par aaa
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http://www.collectifetc.com/realisation/projet-r-urban-acolombes/
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Schéma du programme spatial du jardin de l’Agrocité, croquis par aaa
56 Cuisine collaborative ou Cocooking C’est un lieu de rencontre et de partage de culture culinaire. Foodlab de l’association Volumes Il se situe dans le 19ème arrondissement de Paris. Le foolab est, d’abord, un espace de travail professionnel équipé d’une cuisine et un espace bistrot, mais aussi un espace collaboratif relatif à tous ce qui est culinaire. Il offre aussi des services accessibles à tous. Il est géré par une association « Volumes » et intégré à une espace de coworking dont l’ensemble fait 500 m². Il coexiste avec deux autres pôles : un pôle de coworking et un autre pôle de fabrication numérique (comaking). Le foodlab abrite : des ateliers de cuisine participatifs, un service bistrot et un laboratoire gastronomique avec une organisation spatiale modulable.
Espace de coworking, photo par Volumes
Le Foodlab, photo par Volumes
L’objectif principale de l’association est de fédérer une communauté dont les trajectoires et les expériences multiples amènent les usagers de divers profils de se côtoyer, de partager et de travailler ensemble dans une ambiance conviviale.
Organisation spatiale du Foodlab, croquis par Volumes
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SchĂŠma du programme spatial de Volumes, croquis par Volumes
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D.
La ville de Paris comme cadre
E. Belleville, un champ d’expérimentation
Enjeux Tissu urbain A quelle portion de ce monde standardisé appliquer les réflexions de ce travail ? L’intérêt d’étudier le mode vie vernaculaire dans les bidonvilles était de faire le détour par l’informel pour requestionner nos manières de vivre dites « formelles » ainsi que nos manières de projeter dites « planifiées ».
Ayant fait mon stage de master à Belleville, j’ai pratiqué ce quartier faubourien pendant 6 mois. J’ai été très marqué par le caractère villageois du quartier ainsi que par la multitudes cours intérieures des immeubles.
Je vis à Paris, j’ai donc la possibilité de faire le travail sur place et vérifier sa faisabilité. En outre, Paris étant la capitale la plus dense de l’Europe et au regard des enjeux du développement durable, la ville va devoir se transformer sur elle-même. Comment anticiper ces transformations en accord à la fois avec son propre tissu urbain mais aussi avec le milieu social et culturel ?
Le tissu urbain de Belleville est né sur un terrain précédemment cultivé en vignoble, il a un caractère d’un quartier populaire : une géographie particulière, un urbanisme de faubourgs, immeubles modestes et logements souvent petits. Issu d’un passé rural, l’urbanisme du quartier de Belleville conserve toujours les parcelles en longues lanières dues au partage et héritage successifs43. Avec la densification du quartier, plusieurs immeubles à allées ont été bâtis sur la même parcelle, un toujours en front de rue, les suivants, laissent toujours l’espace d’une cour pour la lumière et l’aération. Il semblerait qu’à l’origine les cours communiquaient, permettant d’effectuer une boucle à l’intérieur de l’îlot tel un village dans la ville. Ces ensembles réunissaient ainsi des centaines d’habitants et des dizaines d’ateliers artisanaux commandés par un seul accès sur rue et régit par une seule loge de concierge.44
43
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L’objectif de ce travail est d’initier à travers le projet d’architecture aux pratiques vernaculaires et de vivreensemble en milieu urbain. Les communaux d’autrefois ont disparu aujourd’hui, est ce qu’on les substitue par la rue ? les espaces publiques ? ou par les cours communes ? Quel est la possibilité d’un mode de vie vernaculaire contemporain dans l’espace urbain ? ou intervenir et comment ?
R. De Villanova et A. Deboulet, Belleville, quartier populaire, Creaphis éditions, 2011, p33
Ibid
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Vides urbains Carte des cours intérieures à Belleville, des ressources cachées de l’urbain
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60 La population Depuis le début du XXème siècle, le quartier a connu plusieurs vagues d’immigration qui sont venues d’Afrique et de l’Asie. Ces immigrés se sont mélangés à la population locale des ouvriers et artisans et avec le temps passant, des communautés se sont formées à Belleville : Maghrébins, chinois, vietnamiens…etc. Cette diversité donne aujourd’hui un visage unique à ce quartier de Paris. Il aussi devenu une terre d’artistes, car après la délocalisation de certaines activités, les ateliers qui étaient autrefois dédiés à l’artisanat et certaines petites industries se sont réhabilités et transformés en ateliers d’artistes. La convivialité perçue dans le quartier aujourd’hui est une preuve que malgré les différences, les gens ont réussi à se côtoyer. Or, la population du quartier connait, récemment une gentrification par la population aisée qui quitte les quartiers riches de Paris pour venir former une communauté renfermée à Belleville.
voisin ou simplement pour contempler le mouvement des gens. La rue, les commerces, les cafés et les cours intérieures de Belleville sont un vrai support de sociabilité. La forte présence d’artistes rajoute un cachet spécial aux cafés, terrasse et aux espaces publiques. Pleins de murs sont tagués, et parfois même le sol des places publiques. En plus des fêtes populaires de chaque communauté qui peignent le quartier d’une couleur différente
Tag sur les murs
Des Pratiques populaires L’ambiance à Belleville est très populaire, surtout en bas du quartier (le bas Belleville). La multiplicité des petits commerces qui restent ouverts même le dimanche fait que le flux des passants soit continu du matin au soir. Même les habitudes des habitants du quartier sont différentes : à Belleville, ce n’est pas gênant de stationner dans la rue pour discuter avec un Pratiques populaires sur l’espace publique
61 La gentrification Les quartiers de Faubourg de l’est parisien connaissent un phénomène d’embourgeoisement de leur population. Après le passé ouvriers de ces quartiers, et le caractère populaire fort présents aujourd’hui, ils sont en train de se transformer. Depuis les années 1980, les anciennes cours industrielles et artisanales se réhabilitent vu leur état désaffecté et dégradé après la fermeture et le départ en banlieue des ateliers artisanaux et industriels, un mouvement qui était progressif entre les années 1950 et 1990. Aussi, avec la construction des logements sociaux en banlieue, les ménages populaires ont été encouragés à partir en banlieue
de la rue se transforme petit à petit avec la nouvelle population jusqu’à la disparition tel est le cas dans plusieurs quartiers parisiens. Dans le passé, ces cours servaient d’espace complémentaires aux métiers artisanales installés dans les locaux qui les entourent. Cette organisation permettait la complémentarité de ces métiers. La cour servait de lieu d’entrepôt, de séchage de bois et de stockage de matière première. Ce phénomène de gentrification des quartiers populaires se propage de façon très discrète car la dynamique populaire ne laisse pas remarquer l’arrivée d’une nouvelle population47.
Ces vastes cours réhabilitées par des promoteurs immobiliers qui se sont inspirés de l’exemple du Buisson Saint-Louis45 en transformant une ancienne usine en lieu d’habitation, sur le modèle de la cour fermée, attirent de plus en plus des ménages de classes moyennes et supérieures et surtout des artistes. Elles présentent aujourd’hui une séquence de calme dans Belleville. Une fois dedans, le calme et la verdure font oublier le caractère populaire du quartier. 46 Certaines cours ont fait l’objet d’un renouvellement complet de la population. De ce fait, l’usage populaire 45
Le lavoir du buisson saint Louis, est un vieux lavoir réhabilité en habitat groupé et autogéré en 1983.
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Anne Clerval, la gentrification à Paris intra-muros, Thèse de Doctorat de géographie d’aménagement et d’urbanisme, 2008 47 Ibid
62 Le vide, ressource pour le projet Il se situe en bas Belleville, mon choix s’est porté particulièrement sur cet îlot vu ses particularités morphologiques. En passant chaque jour par la rue du faubourg du temple durant la période du stage, deux grands porches dont le nom étaient gravée en haut attirées toujours mon attention (la cour de Bretagne et la cour de la grâce de dieu). En explorant plus à l’aide de cartes, la morphologie de l’îlot est bien plus complexe. Il est composé de plusieurs cours intérieures fragmentées, traversantes ou fermée. Il fait plus de 10 ha de superficie, à l’échelle urbaine il constitue un vrai village dans la ville. Au départ, il m’a semblait qu’à l’origine l’îlot était soit traversé soit les cours communiquaient entre elles faisant une boucle. Or, les cartes historiques témoignent que l’îlot avait toujours constitué une masse dans le tissu urbain. Aujourd’hui, il est, du point de vue social, très hétérogène. Il est habité par plusieurs catégories sociales, chaque cour constitue une île à part. On y trouve de l’habitat social, des copropriétés privées et même de l’habitat participatif (le lavoir du buisson saint louis).
Îlot situé dans le bas Belleville
Evolution de l'îlot entre 1700, 1850 et aujourd’hui
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F. La Cour de Bretagne : un milieu fertile Contrairement au caractère populaire du quartier, la cour de Bretagne est un havre de calme dans Belleville. Elle forme un passage fermé d’une centaine de mètres (une cour traversante) entre la rue du Faubourg du Temple et la rue du Buisson St-Louis et est composée de cinq bâtiments datant de la fin du XVIIIe siècle et du tout début du XXe siècle. Elle tient son nom de la famille Bretonne qui la posséda, du second empire à l’an 2000 puis rachetée par un marchand de biens, réhabilitée et revendue par lot (132 lots) en 2001.48
Aujourd’hui la cour est un lieu de vie et de travail. On y retrouve les logements qui cohabitent avec les entreprises (de presse généralement). Les habitants font partie d’une catégorie socioprofessionnelle assez aisée qui travaillent dans le design, l’architecture, mode, presse et photographie, certain ont fait de leur logements un atelier de travail. Les immeubles hérités des anciens espaces industriels et artisanaux avec de grandes fenêtres hautes de presque 4 mètres est un atout qui a fait que la plupart des logements soient aménagés en loft.
La cour est un espace circulable et accessible aux véhicules. Par sa taille et par le nombres d’habitants qui y habitent (aujourd’hui 220 personnes), la cour est tel un village dans la ville. Ceci a fait que le règlement relatif à l’usage commun et privé de la cour est relativement strict, une cause qui a empêché la liberté d’appropriation de cette dernière qui est censé être plus dynamique et conviviale. Plus que la moitié de la superficie de la cour est occupée par des parkings à voitures et à vélo. Le sol est entièrement minéral orné par bacs à fleur en bas des immeubles, Les façades lisses, alignées et peintes en blanc, les trottoirs tracent les limites pour les places de parking, la cour est à la fois cour et rue en même temps.
48
Ibid
Intérieur de la cour de Bretagne
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CHAPITRE III
Cohabiter L’espace commun : boite à outils Dans ce chapitre, j’ai essayé de décrire le scenario de comment initier les habitants à reconquérir l’espace commun (la cour) où je propose une sorte de boite à outils qui consiste en les étapes que j’ai suivi pour arriver à proposer une solution (une architecture). Tout n’a pas été tracé au préalable, à chaque étape je suis l’intuition qui me conduit à la suivante tout en respectant le milieu et ses spécificités.
Schéma du processus que j’ai suivi pour initier les habitants à cohabiter l’espace commun
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A. L’expérience du lieu Pour me rapprocher du milieu vécu de la cour, j'ai passé un séjour chez l'habitant à travers la plateforme communautaire de location "Airbnb". J’ai passé 3 jours chez la responsable de la copropriété où j'ai eu l'occasion d'observer, de discuter avec les habitants et de comprendre la vie sociale de près. Je tiens à remercier Agnès qui était très généreuse quant aux détails qu’elle m’a raconté de la vie de la cour ainsi que pour les documents et relevés qui m’ont beaucoup servi durant mon travail. Ces documents consistent en des relevés des étages des lots, les relevés des façades ainsi que le règlement de la copropriété. J'ai rencontré aussi Paola, journaliste italienne installée à Paris avec son mari. Elle fut aussi la responsable de la copropriété pendant quelques années. Les gens auxquels j'ai parlé étaient très aimables, malgré que je n’aie pas pu croiser suffisamment de personnes dans la cour, elle était souvent vide. C’est la raison pour laquelle j’ai préféré interroger les autres par téléphone ou par email, c’était plus facile et plus efficace pour moi. Cette expérience m'a permis de vivre pleinement la cour durant tous les moments de la journée sauf que la période d’hiver n’était pas la saison où les gens sortent
pour profiter du soleil, la cour servait juste de passage pour rejoindre son chez-soi. L’expérience de faire des relevés par le dessin de cette belle cour, était très amusante. Je me baladais avec ma chaise d’un endroit à l’autre pour dessiner. Il fallait que je fasse attention de ne pas m’installer dans les coins privés, j’évitais les petits jardins. Tout ce qui était installé sur le trottoir est commun. J'ai réussi à prendre des photos à différents moments de la journée surtout la nuit où les grandes fenêtres des lofts révèlent un autre visage de la cour. La nuit, la cour vit à travers les fenêtres. En plus de la vie de la cour, j’ai exploré aussi le quartier. Dans la maison du quartier qui se situe à quelques mètres de la cour, j’ai demandé l’avis de l’association sur l’implication des habitants de la cour de Bretagne dans la vie du quartier. La surprise était que malgré qu’il se passe aucun évènement communautaire dans la cour, certains habitants étaient quand même actifs dans la vie du quartier comme pour l’évènement de la « fête de la soupe ».
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La cour pendant la nuit
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Chez Paola
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Chez Agnès
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B.
Les ressources du milieu
La copropriété de la cour de Bretagne compte 132 lots et plus de 220 individus qui y habitent. Depuis que la cour a été réhabilitée et revendue en 2001, il y a eu 3 vagues d’arrivants : la première vague fait partie de la classe moyenne où le m² ne coûtait pas très cher, ensuite la deuxième vague vers 2006 qui est relativement aisée et la dernière vague qui est constituée que par des riches vu le prix du m² carré qui s'est multiplié par 5 en 10 ans. Témoignage de Paola,
« Depuis 15 ans que la cour existe, la vie communautaire ne s'y est jamais vraiment développée. Quelques tentatives au début (fête de la cour, videgrenier) ont rapidement été abandonnées, faute d'enthousiasme. Le sujet d'un espace partagé est abordé régulièrement, au sein du conseil syndical, mais presque sur le ton de la plaisanterie, car personne n'y croit vraiment. Cette cour est grande (130 logements), compliquée à gérer, et les habitants s'en tiennent aujourd'hui à des relations de bon voisinage. Les tables disposées dans la cour sont à usage privatif, occupées parfois à la belle saison par quelques voisins en manque d'espace ». Témoignage de Christophe, membre du conseil
arrivée avec la deuxième vague.
syndical et ancien de la cour.
Cette différence a fait que des clans se sont constitués parmi les habitants : les anciens, les moins anciens et les nouveaux.
D’après tous ces témoignages, la vie sociale ne dépasse pas les relations de bon voisinage. Elle rappelle le modèle standard d’un logement collectif où on partage que le palier et la cage d’escalier : la cour c’est le palier qu’on traverse pour rejoindre la cage d’escalier.
La vie sociale
« Vous avez bien vu. L’ambiance n’est pas toujours très « amicale ». Il y a les bonnes personnes, très sympathiques, celles moins sympathiques…Ce climat est probablement dû aux différents clans qui se sont formés dans cette (trop) importante copropriété de 132 lots. » J. Bouquiaux, habitant et membre du conseil syndical.
« Je n'étais que locataire et y suis resté 4 ans. La cour est un endroit magnifique l'ambiance qui y règne est en total contraste avec la rue. Tout le monde vit replié sur soi-même avec peu d'échanges ». Joseph, ancien locataire de la cour
Agnès, appelée "Âme de la cour" est l'actuelle responsable de la copropriété, elle fait partie des anciens. Elle organisait les repas de la cour et des vides greniers mais aujourd’hui il n'y a pas tout le monde qui est d'accord pour de tels évènements.
Culture et modes de vie Une population plutôt riche qui s’installe dans un quartier populaire est dite « Bobo ». C’est une
73 contraction de « bourgeois-Bohême », La définition du terme n’est pas très claire et elle reste encore floue, souvent employée pour parler d’un style de vie d’un certain groupe social mais pas d’une classe sociale forcément. Le sociologue Camille Peugny définit un bobo comme : « Une personne qui des revenus sans qu’ils soient faramineux, plutôt diplômée, qui profitent des opportunité culturelles… » C’est généralement une population qui partagent les mêmes valeurs, ils ont un capital culturel assez important, ils travaillent dans l’art, l’architecture, les média…etc. Le chanteur Renanud les décrit dans sa chanson « les bobos » de manière anecdotique : « Ils sont une nouvelle classe […] Sont un peu artistes […] Mais leur passion c’est leur boulot. Dans l’informatique, les Médias […] Font leur course dans les marchés bio […] préfèrent se déplacer à vélo […] Ils vivent dans les beaux quartiers ou en banlieue mais dans un Loft… » La chaine française Arte a fait un reportage en 2005 « les bobos dans la ville », où ils comparent le phénomène d’embourgeoisement des quartiers populaires dans 3 capitales européennes dont Paris. La cour de Bretagne était l’exemple des îlots de bobos à Belleville. Malgré que le terme « bobo » soit parfois péjoratif, certains habitants de la cour de Bretagne
l’assument totalement : « je suis née Bourgeoise et j’ai choisi la Bohême » m’a dit Paola.
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Atelier de Judith, photo par nemoperrier
Loft situÊ dans le bâtiment central, photo par Pierre Laurent Hahn
Photo par julien___a sur instagram
75 Les pratiques Les pratiques de la vie quotidienne sont révélatrices de la culture, des désirs et des modes de vie.
Substitution du stationnement d'automobile par des jardins La cour de Bretagne était la première copropriété en France à avoir autorisé de substituer les places de parking en jardins dans le règlement de copropriété. Ces jardins sont à usage privé. On Compte aujourd'hui 7 places de stationnement substituées par des jardins privés sur 48. « Aujourd’hui, je n’ai rien à dire, car il n’existe plus rien des idées du départ, ce qui ne signifie pas qu’il n’y en ait pas de nouvelles (je n’ai aucune obligation de les admettre ni de les comprendre). Les plantes ! Nous sommes (nous étions ?) la seule copropriété (la première de France) à autoriser dans le règlement de copropriété la substitution de l’automobile par des plantations (en pots) — interdit d’ôter les pavés du roi. » Hubert Tonka, professionnel dans la maison de presse installé dans la cour.
Jardins privés à la place des places de parking
Plantes potagères
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Substitution des places de stationnement par des jardins privĂŠs
77 La recyclothèque Une initiative parmi les plus rares, une recyclothèque est installée dans le local poubelle de la cour. Malgré que l'endroit soit dédié principalement aux déchets néanmoins la volonté d'en faire une vrai recyclothèque est très remarquable. La disposition des rayonnages de rangement, les cadre sur le mur, la diversité des objet dédiés au recyclage tout ça montre que l'activité de partage et de recyclage fonctionne bien depuis l'an 2004 c'est à dire plus de 12 ans.
"Depuis novembre 2004, une étagère est installée dans le local poubelles situé dans la cour. Le recyclage perdure et fait régulièrement des heureux. Malheureusement, faute de place, nous ne pouvons mettre en place un rayonnage dans le local poubelles du bâtiment F. Vous trouverez dorénavant un rayonnage spécifique pour les livres (lui aussi récupéré dans le local et installé par le gardien). Livres gratuit, en bon état, pouvant au choix être empruntés, lus et remis en rayon ou conservés. N'hésitez pas à en profiter. Pour les objets, bibelots, jouets, eux aussi en bon état, vous pouvez continuer à les déposer dans l'étagère prévue à cet usage. Pour ce qui rentre dans la catégorie "encombrants", merci de faire appel aux services de la ville de Paris sur le site : encombrants. paris.fr Cordialement Agnès le Pont- le 19 février 2013"
78 Les désirs des habitants Désirer : action de désirer, d’aspirer à avoir, à obtenir, à faire quelque chose ; envie, souhait.49 Le désir diffère du besoin. Le désir de cohabitation n’est pas un besoin pour les habitants de la cour de Bretagne. Ils vivent et survivent sans lui. Ils le qualifient comme quelque chose qui n’est pas essentiel mais qui est désirable, c’est un plus. Par contre, le fait que ces désirs existent, je les considère comme facteurs essentiels pour faire accepter mon idée en tant qu’architecte et pouvoir négocier avec les habitants pour la faisabilité de mon projet. Avant d’interroger les habitants, mes questions étaient déjà orientées et structurées. Avec l’objectif de rendre la cour cohabitable, je leur ai proposé une sélection de programme d’espaces partagés avec une brève description pour inciter leur imaginaire à produire des images et des situations spatiales.
49
Définition de larousse.fr
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Cuisine partagée + four à pain « J'aimerai un atelier pour nous faire du pain" Paola
Mini-crèche parentale "Lorsque nous étions locataires, avant la mise en copropriété, nous avions l'habitude de confier notre enfant tous les matins à la concierge. Il a maintenant 18 ans, nous sommes devenus propriétaires, et il n'y a plus de concierge" Christophe
Atelier vélo " J'aimerais un atelier vélo, informatique et local de répétition" Christophe
"Je suis mère de 2 filles qui sont dans la même école, nous les jeunes mamans on aimerai bien une crèche pour nos enfants après l'école" Cassilda, Espace de jeu " Je reçois des clients de Airbnb, je veux quand même qu'ils passent u séjour au calme." Agnès
80 Les prises du milieu
Le mur mitoyen : le déjà là construit
Afin d’apporter des transformations sur un milieu déjà construit, il faut savoir négocier avec le « déjà là ». Il faut mettre en pratique des ruses et des tactiques50pour ne pas perturber l’existant. Il faut repérer les prises opportunes qui présentent des qualités pour le projet sans pour autant déstabiliser ce qui est aujourd’hui stable.
Le mur qui sépare la cour de Bretagne de la cour voisine est une ressource physique et une opportunité qu’offre le milieu. Il est tel un creux qui sépare les deux cours qui a la possibilité de devenir habité par une architecture. Il est long de 38 mètre et haut de 3,5 mètre. Aujourd’hui le bas du mur est occupé par des places parking.
Le milieu selon Augustin Berque se manifeste par des ressources, des contraintes, des risques, des agréments51.
« Un mur mitoyen est un ouvrage situé à la séparation de deux propriétés sur lequel les deux voisins ont un droit de propriété c'est à dire les deux voisins ont la propriété de la totalité du mur et non pas seulement de la moitié […] C'est un ouvrage de maçonnerie qui comporte des éléments scellés au sol. »52
Avec l’hypothèse que la cour, en tant que milieu, pourrait devenir un support de lien social, dans ce cas il faut entrer en interaction avec ce milieu afin de mobiliser ses ressources et s’en servir pour cette fin. Or, ces ressources ne sont saisissables selon Berque que si on saurait avoir une prise sur eux :
L’arbre : le déjà la planté
« Les pins ont des branches et les rochers sont rugueux par nature, mais ils n’offrent des prises qu’à l’enfant qui sait grimper »
L’espace sous l’arbre, aujourd’hui utilisé pour les déposer les bacs de compostage, est situé à un coin entre le mur mitoyen (précédemment cité) et un immeuble de la cour. C’est coin très chaleureux et riche en qualité spatiale.
50
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Michel de Certeau Augustin Berque, Médiances de milieux en paysage, Ed Reclus Belin, 2000, p95 51
Eric Roig, directeur fondateur de droit-finances.net droit-finances.commentcamarche.net visité le 07/02/2017
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L’arbre
Le mur
Le mur
L’arbre
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Mur mitoyen Cour voisine
Cour de Bretagne
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C.
Initier par l’architecture
Après avoir mobilisé tous les moyens qui me sont possibles pour l’écoute du milieu qui la cour de Bretagne, mon rôle maintenant est trouver comment initier les habitants à cohabiter la cour et par quel programme architectural ? Les copropriétés ordinaires ainsi que les cohabitâts53, représentent tous les deux une forme d’habitat collectif. Cependant, la différence entre les deux réside dans le fait que la copropriété est un cadre bâti préconçu (anticipé) où les habitants doivent s’y adapter contrairement au cohabitât où les habitants génèrent leur espace habité ensemble. Le cohabitât se compose d’une partie privé (logements) et de parties communes (cuisine partagée, buanderie, atelier commun…etc.). Je trouve que la cour de Bretagne comme beaucoup d’autre espaces communs en milieu urbain ont cette possibilité pouvoir se transformer en un pseudo cohabitât par la régénération de l’espace commun. C’est-à-dire que la matière première qui est le vide est déjà existante, il reste à trouver le moyen pour y injecter des espaces communs en accord avec le déjà construit et le vécu des 53
Définition du cohabitât ou l’habitat participatif : L’habitat participatif est définit par la loi ALUR « L’Habitat Participatif est une démarche citoyenne qui permet à des personnes physiques de s’associer, le cas échéant avec des personnes morales, afin de participer à la définition et à la conception de leurs logements et des espaces destinés à un usage commun, de construire ou d’acquérir un ou plusieurs immeubles destinés
habitants. Et ce dans le but de transformer les habitudes des urbains et les inciter à plus de partage et de vivreensemble.
Architecture ouverte « L’architecture n’est pas seulement un art […] c’est d’abord et surtout le cadre, la scène où se déroule notre vie. »54 « L'architecture ouverte » est définie comme une architecture qui n'est pas aboutie et qui laisse une porte ouverte à l'exploration et à l'expérimentation. On considère qu’une architecture est fermée ou ouverte en termes de sa finalité si elle est connue ou pas dès le début du projet. « Construire est pour moi une partie d’un processus, à la fin duquel seulement, l’objet physique se constitue. En tant qu’architecte, on est un développeur ou un créateur de processus. »55
à leur habitation et, le cas échéant, d’assurer la gestion ultérieure des immeubles construits ou acquis » 54
Bruno Zevi, Apprendre à voir l’architecture, 1959
55
Gion A. Caminada, Architektur dialoge, zurich,p360
83 Caractéristique d’une architecture ouverte Pérennité, adaptabilité La pérennité est définie comme l’état de ce qui dure toujours56 , on pourrait entendre par cela deux possibilités : soit l’état de ce qui est stable et figé et donc qui résiste dans le temps, soit l’état de ce qui est souple, qui bouge et qui se métamorphose selon les circonstances. Aujourd’hui la seule façon de durer qu'aura un bâtiment c'est sa capacité à se transformer, à se déformer et à s'adapter. Or, ceci n'implique pas qu’il doit être impersonnelle pour avoir cette capacité de se transformer. Il peut tout à fait être ouvert et répondre aux besoins d’usagers présents qui soient déjà déterminés mais aussi, il aura la capacité d’évoluer et de répondre aux attentes de ses futures usagers. Il sera appropriable en tout temps et toutes circonstances. Comme le dit Patrick Bouchain : « Si on transforme quelque chose, c’est qu’on va plus se l'approprier ». « Il faut laisser l'ouvrage ouvert, non fini, laisser un vide pour que l'utilisateur ait la place d'y entrer pour s'en servir, l'enrichir, sans jamais le remplir totalement... » 57 L'implication de l'usager dans la fabrication du lieu (je ne parle pas ici de l’autoconstruction) est associée 56 57
Définition de larousse.fr Patrick Bouchain, Construire autrement, Ed Actes Sud 2006, p29
implicitement à l'appropriation et donc à la création d'un imaginaire relatif à l'expérience de ce lieu. Si l'usager pratique cet acte de fabriquer le lieu avec son entourage, ceci favorisera la création d'un imaginaire commun et un sentiment d'appartenance à la fois au lieu mais aussi au groupe. L’intervention à la cour de Bretagne se veut une œuvre ouverte d'abord par ses formes, sa matière mais aussi par la possibilité de l'évolution des usages internes comme la possibilité de l’évolution totale de la structure. Cet aspect inachevé du projet est une manière d'inciter les habitants de la cour à prendre l'initiative et à décider ensemble de ce qui peut servir et satisfaire tout le monde aujourd'hui et demain. Des formes simples « Un minimum d'écriture pour d'interprétation » Nicolas Michelin
un
maximum
Afin de concevoir une œuvre ouverte à des transformations futures, il est important que la configuration générale de la forme soit la plus simple et élémentaire possible. C'est une architecture faite pour tous, concerne tout le monde et doit être compréhensible par tous.
84 Séparer la matière qui dure de la matière qui bouge Les usages, les parcours, les vues ainsi que la lumière sont des éléments susceptibles de bouger plus que l'architecture elle-même. Les interventions pour transformer une architecture peuvent aller aux plus minimes. Parfois il suffit juste de signalétiques pour inciter à un autre usage du lieu. Espace ouvert : un espace sensible J’ai toujours trouvé que la pièce fermée communique l’image de spécialisation de la fonction de l'espace, d’un individualisme et d’un repli sur soi. Par contre dans un espace ouvert, le repère par rapport aux éléments de l'architecture est fort différent : on ne se repère plus par rapport à l'angle de la pièce, à sa limite ou à son dedans et dehors. On se repère plutôt par rapport à la présence son prochain, un meuble, une plante, une ambiance, le bruit... etc. Dans ce cas, l'appropriation de l’espace devient plus sensible. Dans le cas d'un espace ouvert, même la circulation peut être habitée : un corridor habité, un escalier habité, une coursive habitée...etc.
85 Exemples de projet d’architecture ouverte
médiatiquement et a mis l’incrémentalisme en lumière.
le
principe
de
Incrémentalisme Le terme d’architecture incrémentale est récemment revenu dans les débats entre architectes et urbanistes d’une façon assez différente des pionniers antimodernistes comme Kroll58 et Habraken59. Il est défini par Lucien Kroll comme : « l’ajout d’un élément après l’autre, sans cohérence – la science de la débrouillardise, pour aboutir à l’unité provisoire d’une action, d’un processus, d’une démarche […] au fur et à mesure » L’incrémentalisme démontre un potentiel nouveau dans la gestion et la restructuration du tissu urbain. On voit par exemple des stratégies affirmées comme incrémentale déployé pour l’apport d’infrastructure dans les bidonvilles en Inde ou dans la requalification des townships en Afrique du Sud. Le projet de logements sociaux Quinta Monroi de l’agence chilienne Elemental s’est largement distingué
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Kroll, architecte et théoricien Belge, il n’a jamais employé le terme explicitement le terme incrémentalisme mais son travail y fait penser à bien des égards. Pour lui, ce ne sont ni les architectes ni les ingénieurs qui font la ville mais ce sont les habitants. 59 Architecte théoricien Hollandais, il s’oppose à la standardisation du logement par la « la machine à habiter » de le Corbusier. Sa théorie
Ce projet a vu le jour dans un contexte d’urgence à la suite d’un tremblement de terre dans la ville d’Iquique au Chili, des milliers d’habitants se sont retrouvés sans abri du jour au lendemain. Le manque de moyens et de ressources concédés par la ville et par le gouvernement chilien pour monter le projet ont amené Elemental a une solution innovante et incrémentale : la moitié d’une bonne maison, vaut mieux qu’une petite maison. C’est un concept d’un habitat « incrémenté planifié », le principe est de laisser l’habitat inachevé et de confier à chaque habitant le soin de le compléter en y intégrant le socle de la future extension de la maison.
Alejandro Aravena, Elemental Schéma explicatif du principe : la moitié d'une bonne maison vaut mieux qu’une petite maison
porte sur le concept d’Open Building qui consiste à « réformer la pratique de la production industrielle de l’architecture et affirmer la démocratisation de la decision-making et donner aux occupant le plus grand pouvoir décisionnel dans l’organisation et l’usage de leur habitat ».
86 Avec Elelemntal, on retrouve la capacité qu’offre la démarche incrémentale à maintenir, dans certaine circonstances, la faisabilité d’un projet grâce à la prise en compte d’un inconnu sur la question ressources : financière, matérielles et humaines.60
Le devenir d’une demi-maison après l'extension par les habitants
intuitives, participatives, etc. Il dresse aussi des plannings mais il surveille le contexte et se modifie à chaque étape. Ainsi la fin n’est pas définie dès le début »62. Charles Lindblom l’a défini ainsi « l’incrémentalisme désarticulé, la science de s’en sortir. Il est fondé sur le désordre créatif et sur l’intuition, et non sur le calcul ou l’analyse ». De ce fait, le principe de l’incrémentalisme rejette toute rationalité préalable au projet. Le projet de réhabilitation Berlin-Hellersdorf en Allemagne été un projet d’un quartier « à humaniser ».
Incrémentalisme de Lucien Kroll Lucien Kroll, architecte Belge, architecte du désordre. Il a orienté son travail, dès le début de sa carrière vers la participation active des habitants dans la réalisation de leurs habitations. Le concept de l’incrémentalisme a été théorisé dans les années soixante par Charles Lindblom 61, issu des sciences politiques et économiques, l’incrémentalisme est un processus évolutif, il consiste à faire des petits changements afin de faire évoluer un système de manière graduelle. « Signifie : pas à pas, au fur et à mesure ; ses décisions sont écologiques, empathiques, 60
Raphael walther, Incrémentalisme et architecture, mémoire de préjury Master 2, Ecole spéciale d’architecture, 2014, p26 61 C. Lindblom, 1917, oilitologue
Projet de réhabilitation d'une barre de logements à Berlin
62
Lucien Kroll, Techniques contre humanisme, dans Recycler l’urbain sous la direction deR. D’arienzo et C. Younes, 2014, p359
87 L’utopie de Yona Friedman Yona Friedman est un architecte et théoricien francohongrois, il vit à Paris depuis 1957. Il a si peu construit mais son œuvre théorique inspire beaucoup la nouvelle génération d’architectes et enrichit fortement la compréhension du monde contemporain. Il remet en cause le système économique capitaliste qu’il associe au devenir de la société contemporaine et à l’appauvrissement de l’individu. Friedman admet que : chaque société est une utopie dont la conception nécessite de s’abstraire de son époque et de son milieu pour pouvoir élargir le champ de la réflexion architecturale. Le village urbain Le village urbain de Yona Friedman est une entité sociale qui existe dans la ville globale qui, de par sa taille, sa délimitation géographique et son organisation, a la capacité de résilience et de survie en cas de crise ou de pénurie. Il considère ce modèle d’organisation comme un contre-développement de la ville, cette ville a dépassé la dimension admissible qui permet aux êtres humains de vivre en harmonie dans une société. Aristote a dit “ A 63
tout état correspond une taille limite, comme il y a une taille limite pour toutes les autres choses, plantes, animaux, outils. Aucun ne conserve sa puissance naturelle lorsqu'il devient démesurément grand ou démesurément petit ; car alors, il s'en trouve soit entièrement dénaturé soit perverti.”63 Et l’être humain de par sa nature ne peut vivre socialement qu’en groupe relativement petit, citant l’exemple de l’échelle humaine qui était plus ressentie autrefois avec le système de mesure pied, pouce, etc., et c’est à cette échelle, que l’être humain puisse se repérer et communiquer avec l’autre. Mais paradoxalement il est toujours attiré par l’aventure que lui promet la foule.64 De nos jours, c’est cette communication avec l’autre qui devient une notion hors échelle, on croit bien que le message est transmis mais en réalité c’est juste une illusion « […] les organisations centrales (états, grandes villes, etc.) ont depuis longtemps, dépassé le seuil du groupe critique correspondant à leur structure d’organisation. Elles sont donc incapables de réagir face aux crises […] »65 Y. FRIEDMAN propose un modèle à la ville qui peut résoudre la question de la taille critique : « Une ville fondée par juxtaposition de plusieurs villages urbains où chaque village possède un vrai centre
Aristote, Les Politiques, Edition Flammarion, 2015 65
64
Yona FRIEDMAN, architecture de survie philosophie de la pauvreté, Edition de l’Eclat 2003
Ibid.
88 où les habitants de ce village accomplissent la majeure partie des activités quotidiennes. »66 La ville spatiale
Cette définition de l’architecture mobile donnée par Yona Friedman signifie, un habitat proposé aux habitants et qui ne détermine pas la finalité d’usage, une architecture ouverte.
Friedman imagine dès 1959 une structure à l’échelle d’un quartier d’une ville surélevée sur pilotis qui peut empiéter sur une ville déjà construite ou sur des zones non constructibles. C’est une trame tridimensionnelle sur plusieurs niveaux qui pourrait accueillir une ville industrielle, résidentielle ou commerciale. « Cette technique permet un nouveau développement de l'urbanisme : celui de la ville tridimensionnelle ; il s'agit de multiplier la surface originale de la ville à l'aide de plans surélevés »67 « Le bâtiment est mobile au sens où n’importe quel mode d’usage par l’usager ou un groupe doit pouvoir être possible et réalisable »68.
Etapes de développement de la cité spatiale, par Yona Friedman, 1958
Son principe était de concevoir une œuvre ouverte, flexibles, transformables, démontables et déplaçables sans soucis de la contrainte structurelle et c’est à l’habitant de venir greffer son habitation qui occupera seulement la moitié d’un module de la trame c’est-àdire il faut qu’il y ait une alternance plein vide à chaque fois. Cet aspect modulaire est propice à une croissance sans limite de la ville.
66 67
Ibid. La ville spatiale, http://www.frac-centre.fr/
La ville spatiale sur pilotis, croquis de Yona Friedman
68
Yona Friedman, l’architecture mobile, éd Casterman, 1996
89 Junya Ishigami, constellation
Ishigami est un architecte japonais né en 1974 au Japon. Son architecture est une œuvre des possibilités infinies. Il s’intéresse à la physique et à la thermodynamique pour comprendre comment les nuages défient la gravité pour les transposer à l’architecture. Son projet de l’espace de travail de Kanagawa Institue of technology près de Tokyo est un espace vaste ne contenant aucun mur, et qui est constitué de 305 poteaux tel les arbres d’une forêt.
L’espace de travail de Kanagawa Institue of technology
Les poteaux qui donnent l’impression qu’ils sont disposés de manière aléatoire, dessine l’espace par leur densité et leur position. On y retrouve le principe de constellation des étoiles c’est à dire la concentration des poteaux détermine les zones d’interaction, elle crée des recoins et les espaces de circulation. En outre, la nature, fortement présente dans l’œuvre de Ishigami, participe à l’organisation de l’espace en même temps que le mobilier. Constellation, croquis de Ishigami
90 Répondre par une œuvre ouverte A ce stade, le dispositif architectural se révèle un outil afin de vérifier la faisabilité de l’hypothèse de départ : le partage d’espaces communs est un facteur générateur de sociabilité. On appelle ça : le projet martyre car il sert parfois uniquement à transmettre où à vérifier la faisabilité de l’idée.
Un bâtiment qui ne perturbe pas le milieu Le mur mitoyen que j’ai repéré (cité plus haut) est une opportunité pour installer une structure légère qui va dédoubler l’épaisseur du mur et qui va donner l’image qu’on vient habiter l’épaisseur du mur mitoyen. J’ai opté pour une structure qui libère le rez-de-cour et qui conserve certaines places de parking.
J’ai répondu à cette thèse par un bâtiment qui va contenir un programme d’espaces collaboratifs et qui va permettre aux habitants de se croiser, de se rencontrer et de se côtoyer. Il se veut un bâtiment : non perturbateur du milieu vécu ; polyvalent et économique.
La largeur de la structure reprend la largeur d’une place de parking.
91 Un bâtiment polyvalent Afin d’assurer la polyvalence du bâtiment et une transformation facile des usages, j’ai répondu par 3 typologies d’espaces collaboratifs : l’espace du rez-decour pour les activités qui nécessite un rapport direct avec la cour (Le four à pain, atelier vélo) ; Espaces chauffés pour les activités de coworking, réunion ainsi que la garde d’enfants après l’école ; L’espace plein air pour le jardin, terrasse et le jeu d’enfants. Chaque typologie est raccordée au réseau d’alimentation en eau, en électricité ainsi qu’au réseau d’évacuation. L’espace chauffé est traité par un système de chauffage au sol ainsi qu’une disposition de prises électriques réparties de manière homogène dans l’espace. Evacuation Eau Electricité
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Un bâtiment économique J’ai opté pour que le bâtiment soit économiquement faisable, ce qui fait que la réalisation doit être la moins chère possible du point de vue du coût de la construction mais aussi en termes d’usage par une isolation adaptée. Les critères du choix des matériaux devaient d’abord répondre aux exigences techniques et de légèreté du bâtiment : structure métallique afin que le bâtiment doit le plus fin possible ; des façades en polycarbonate isolants pour les parties chauffées ; planchers en OSB isolants… etc.
Coupe-détail sur la façade
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D.
Faisabilité Qui finance ?
Pour évaluer la faisabilité du projet d’un point de vue économique, il faut préciser d’abord que le bâtiment sera dédié à tous les copropriétaires. Ainsi, ils seront tous copropriétaires de ce dernier et il sera donc financé et géré par eux-mêmes. Dans la conception du projet, j’ai opté pour que le budget de la construction soit le plus minime possible afin de faire accepter l’idée du financement aux habitants. De plus, si on suppose que le rajout de plus 250 m² d’espaces partagés dans la copropriété, ceci va rajouter une plus-value qui n’est pas négligeable au logement de chacun. De ce fait, si chacun accepte de contribuer d’un montant de 1 sur 132 du budget total du nouveau bâtiment, on pourrait considérer que le projet est tout à fait faisable.
Faisabilité du scenario : qui fiance le projet
94 La réglementation L’espace minéral de la cour de Bretagne est protégé d’un classement en tant qu’Espace Libre Protégé (EPL), et à ce titre, il est délimité sur les documents graphique du règlement général du Plan Local d’Urbanisme de Paris (2016) (voir annexe). Un ELP est définit dans l’article UG13 comme : « un espace généralement à dominante minérale, ne comportant pas de construction en élévation et constituant, sur un ou plusieurs terrains, un ensemble paysager protégé […] pour sa fonction dans le paysage urbain et le cadre de vie des habitants, sa qualité esthétique ou de témoignage historique et, le cas échéant, son rôle dans le maintien des équilibres écologiques ». D’après le texte du PLU, La réglementation ne me permet pas d’intervenir sur l’espace minéral de la cour par une construction en élévation. D’abord, je voudrais rappeler qu’un des objectifs de mon travail étant de scénariser les champs des possibles qui permettront de reconquérir l’espace commun. Donc, étant donné que l’intervention dans la cour se fera par une installation sans fondations (éphémère), et considérant que l’idée du projet serait acceptée par les habitants (les copropriétaires), et ne causerait aucune gêne visuelle ou sonore pour l’environnement alentours, dans ce cas, on pourrait dire que le projet et
faisable d’un point de vue règlementaire et qu’il a toutes les données nécessaires pour être négocié.
95 Projet adopté par les habitants On dit souvent qu’un bon projet, c’est un projet adopté par ces usagers. A cet effet, et après avoir proposé un dispositif architectural en fonction des désirs ainsi que des besoins des habitants afin de les inciter à reconquérir l’espace commun, j’ai décidé de retourner à la cour de Bretagne pour rencontrer les habitants une deuxième fois. Cette rencontre est une étape post-projet dont l’objectif était de savoir la réaction des habitants et leur abilité à adopter l’idée du projet. Pour ce faire, j’ai installé un stand à l’entrée de la cour le temps d’une après-midi afin d’interroger les passants. J’y ai exposé les maquettes du projet : une maquette d’insertion du bâtiment dans la cour ; une maquette scénarisée avec tous les programmes proposés. Ensuite j’expliquais le concept à chaque personne interrogée et je lui laisse le temps de réagir. Globalement, les réactions étaient positives notamment par rapport au programme proposé. Certains ont manifesté un grand enthousiasme pour que leur copropriété soit munie de tels espaces de partage à un tel niveau qu’ils m’ont même suggéré de nouvelles propositions sur les scenarios d’usage. Toutefois, Un gêne était relevée auprès des propriétaires des places de parking, situées en bas du mur mitoyen, car le dispositif architectural que j’ai proposé consiste en le déplacement de certaines places de stationnement.
Ainsi que certains ont montré des soucis par rapport aux charges supplémentaires que ça va engendrer le bâtiment une fois réalisé. Quant au financement du projet, le montant du budget prévu à la construction du bâtiment était très acceptable par la plupart des personnes interrogées, voire même surprenant. Néanmoins, la copropriété envisage prochainement des travaux de ravalement des façades abimées par l’effet de capillarité ce qui fait qu’un budget important est prévu à cet effet. Dans ce cas et à l’heure actuelle, la capacité de fiancer le projet par les habitants n’est pas assez faisable.
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E. Possibilité de transposition : La ville par le vide L’échelle d’intervention de la cour de Bretagne n’était qu’un cas d’étude par rapport à la problématique de départ qui est celle de : comment reconquérir l’espace commun pour qu’il devienne un support de sociabilité. Au tout début de ce travail, ma réflexion était portée sur une échelle urbaine beaucoup plus étendue : l’échelle de tout l’îlot, cet îlot qui est très marquant par sa taille dans le tissu urbain et par sa richesse en cours communes. Maintenant je souhaite y revenir pour vérifier dans quelle mesure le scenario, de faire cohabiter les cours communes, est valable ailleurs dans d’autres cours communes et en rapport avec leurs propres spécificités et leurs propres ressources. Je voudrais préciser que l’idée n’étant pas de généraliser le scenario que j’ai expérimenter dans la cour de Bretagne partout dans l’îlot mais plutôt confirmer la possibilité qu’il soit faisable ailleurs. L’îlot étant très hétérogène d’un point de vu des classes sociales et des groupes ethniques qui y habitent, on n’y retrouve pas que La classe bourgeoise celle de la cour de Bretagne. C’est pourquoi, les pratiques des habitants diffèrent, leurs modes de vie, leurs cultures ainsi que les rapports sociaux…etc. En ce sens, la stratégie d’aborder les autres cours communes est susceptible de beaucoup changée comme il serait peutêtre parfois impossible d’y intervenir.
Il me semble que malgré les contraintes que présente la cour de Bretagne pour expérimenter un tel scenario, Je pourrais dire quand même que l’espace en termes de superficie était, très généreux pour y insérer un bâtiment et un programme aussi varié. Aussi, la réaction positive des habitants, par rapport à la faisabilité du projet, est un facteur très motivant. Je souhaite clôturer ce travail par une question ouverte à d’autres explorations dans le même esprit du processus que j’ai suivi pour faire ce travail : Dans quelle mesure pourrait-on dire que ce scenario de reconquérir l’espace commun de la cour de Bretagne pourrait être valable ailleurs, dans l’îlot, dans Belleville ou même dans Paris ?
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Typologie des cours communes de l’Îlot
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Conclusion Ce travail était une prise de risque pour moi, où le bâtiment d’architecture, comme ça l’est habituellement, n’était pas au cœur de ma réflexion. Mon objectif était le « comment » du projet plus que « l’objet » en lui-même. J’ai voulu, à travers ce projet, expérimenter par un scenario la faisabilité d’une hypothèse : comment intervenir sur ce qui est déjà construit ; entremêlé au vécu des gens, pour les inciter à des pratiques de cohabitation. J’étais consciente que ce processus relève beaucoup plus des sciences sociales que de l’architecture pure et dure. Or, après le long travail que j’ai mené, je suis persuadée que l’architecte est aussi un sociologue sans pour autant en avoir le titre. Et c’est grâce aux orientations de Monsieur Bonzani et Monsieur Versteegh que j’ai pu rester sur le chemin et de ne pas sortir du sujet. Suivre la méthode était au cœur de mon processus de travail. Aussi, les conseils de Mme Aysegul Cancat m’ont toujours donné confiance en ce que je fais. Le deuxième risque que j’ai pris était le site que j’ai choisi. Il n’était pas le meilleur qui existe pour expérimenter ce scenario, beaucoup de personnes m’ont reproché ce choix mais au final j’ai décidé de suivre mon intime conviction qui m’y ait conduit au tout début. J’avoue qu’il était plein de contraintes, non pas des contraintes qui enrichissent le projet mais qui le coincent et qui le figent, sauf que je ne regrette pas l’expérience.
J’ai beaucoup appris au contact des gens, entre Istanbul et Paris. La mondialisation a standardisé les formes mais pas les vécus des gens. Ils restent aussi complexes que l’est la ville mondialisée. Ils sont une richesse qu’il faut savoir écouter en tant qu’architecte. Les crises dont on nous parle tous les jours ne sont pas aussi géantes et globales, Il faut juste guérir l’origine du mal sans en créer d’autres à chaque fois. La ville, cette grande institution, doit être abordée au fur et à mesure, il faut saisir les opportunités pour apporter des petits changements où chacun fait sa part : le politicien fait sa part, l’architecte fait sa part, l’économiste…etc. Jusqu’au citoyen ordinaire par sa collaboration. A la fin de ce travail, pleins de questions relatives à notre métier me restent encore suspendues, auxquelles je veux quand même répondre avant de sortir sur le terrain. A ce stade je peux confirmer mes intuitions du départ : qu’être architecte n’est pas forcément remplir, c’est peut-être tisser, réparer, compléter, accompagner, mais avant tout savoir regarder et critiquer.
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Un jour, dit la légende, il y eut un immense incendie de forêt. Tous les animaux terrifiés, atterrés, observaient impuissants le désastre. Seul le petit colibri s’activait, allant chercher quelques gouttes avec son bec pour les jeter sur le feu. Après un moment, le tatou, agacé par cette agitation dérisoire, lui dit : « Colibri ! Tu n’es pas fou ? Ce n’est pas avec ces gouttes d’eau que tu vas éteindre le feu ! » Et le colibri répondit : « je le sais, mais je fais ma part. » Légende amérindienne retranscrite par Pierre Rabhi dans son ouvrage La Part du colibri, l’espèce humaine face à son devenir, éditions de l’Aube
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Filmographie JN. ORHON, Bidonvilles-architecture de la ville future, film documentaire 2014 ;
107 - salle commune et de réunion
Annexe
- Une cuisine partagée démontable pour faire la fête…
Email type envoyé aux habitants « Bonjour, Je m’appelle Sara, je suis étudiante en architecture à l’Ecole Spéciale d’Architecture de Paris (ESA Paris). Je travaille sur la cour de Bretagne pour mon diplôme de fin d’études. J’ai réussi à avoir vos coordonnées grâce à la liste affichée dans le hall d’entrée de la copropriété. Je suis désolée de vous déranger, mais je serai très reconnaissante si vous pourriez m’aider en me racontant votre expérience en tant qu’habitant de la cour. Mon sujet étant la vie communautaire dans les cours communes à Paris. Donc j’essaye de comprendre la nature de la vie communautaire entre les voisins de la cour d Bretagne, s’il y a un esprit de partage et d’ouverture sur l’autre et si vous organisez des évènements, des fêtes ou des repas entre voisins, car d’après le mobilier installé dans la cour, les plantes, etc… j’ai senti qu’il y a de fortes intentions de vivre ensemble malgré que l’ambiance y soit souvent discrète. Je souhaiterais savoir pourquoi ? De ce fait, ma proposition architecturale va consister en la possibilité de l’évolution des parties communes de la cour par exemple : -une librairie partagée (évolution de l’actuelle recyclothèque) -des chambres démontables)
d’appoint
(modulables
et
Ce que j’entends par démontable, c’est une structure qu’on peut monter et démonter en fonction du besoin et qui serait par la suite rangée dans un endroit prévu à cet effet. Donc je souhaiterai savoir qu’est-ce que vous en pensez ?
Je voudrais aussi vous demander aussi si vous avez déjà entendu parler du « le cohabitât », c’est une sorte de copropriété où chaque habitant génère son logement et en même temps partage certaines parties avec les voisins (laverie, librairie, jardin, etc…). Est-ce que vous considérez que cette forme d’habitat collectif est meilleure qu’une copropriété classique ? En vous remerciant Madame d’avoir accepté de me lire, et en espérant avoir un retour de votre part, Je vous souhaite une agréable journée, Ps : vous trouverez ci-joint des images d'exemples de cohabitât. »
108 Règlement des Parties communes de la cour de Bretagne "Les parties communes sont celles qui ne sont pas affectées à l'usage exclusif d'un copropriétaire déterminé. Elles forment une copropriété avec indivision forcée et considérée comme partie accessoire et intégrante de la partie divise de chacun des copropriétaires." partie 1- chapitre 3 du règlement de copropriété
"Parties communes générales : La totalité du sol, c'est à dire l'ensemble du terrain, en ce compris le sol des parties construites et de la cour. Les locaux pour bicyclettes e voitures d'enfants, les locaux poubelles, Les loges des concierges et leurs logements, La cour et les porches donnant accès aux rues, Les conduits du tout à l'égout communs à tous les bâtiments, Les conduites de gaz, d'électricité communes à tous les bâtiments, L'antenne collective et le réseau câblé collectif de réception des émissions de radiodiffusion et de télévision." partie 1- chapitre 3 du règlement de copropriété
"Accessoire aux parties communes générales :
-Le droit de surélever les bâtiments comportant plusieurs locaux qui constituent les parties privatives différentes, ou d'en affouiller le sol. -Le droit d'affouiller les cours et autres espaces, - Le droit de mitoyenneté afférent aux parties communes. Les parties communes et les droits qui leur sont accessoires ne peuvent faire l'objet, séparément des parties privatives, d'une action de partage ou d'une licitation forcée." partie 1- chapitre 3 du règlement de copropriété
"Cour commune -Des zones hachurées en vertu sur le plan dit "Zone de non circulation" pourront accueillir des aménagements paysagers superficiels. Un traitement similaire pourra être réalisé sur les emplacements de stationnement." partie 2- chapitre 1 du règlement de copropriété
109 La réglementation : le projet par rapport au PLU Espace Libre Protégé
Extrait du PLU, dispositions générales par rapport à la cour de Bretagne.
110 Cour commune d’implantation
et
servitude
contractuelle
"Les propriétaires de terrains contigus ont la possibilité de ménager entre leurs bâtiments des cours communes. Dans ce cas, aucune des limites d'une cour commune faisant vis-à-vis à une limite séparative ne peut être située à une distance inférieure à 2 mètres de celle-ci."
Extrait des figures du PLU, implantation en limite séparative