BERN2 66
Chapitre 3 Souvinances et autres chamaneries Ange, mon cher ange, Depuis combien et combien de jours, pas un mot de toi n’a fait route jusqu’à moi, fût ce après musarder aux escales : là où je sais que la parole aime à s’abandonner aux sableries tièdes et aux blandices massoucrelles du faire-néant : comme si, ton canot, tu l’avais prématurément hâlé sur le rivage, manière de faire retraite et renoncer à ton mandat d’affectueuse protection ; comme si messager, tu n’étais pas aussi le message ; et comme si l’oiseau n’était pas aussi le vol ni la flèche le sillage. Te l’avouerai-je ? La thèse d’une possible vexation à toi infligé par moi-même et à mon insu n’a trouvé en moi qu’un adepte de circonstance et, au demeurant, fort peu diligent. Elle n’a pas résisté pas au simple énoncé de ta vertu première, exclusive de tout degré : la fidélité. Mon inquiétude n’en fut que plus vive qui, s’alarmant de ta brusque disparition, m’a jeté dans les bras répugnants d’insomnie. Son royaume, j’en connais d’expérience l’exacte dimension. Il mesure dix jours et dix nuits à l’aune dont j’ai arpenté ses mornes, ses ravines et ses bas-fonds jusqu’au poste frontière du Couchant. C’est là que j’ai pris la décision de m’aventurer sur tes traces, dans la tierce dimension des êtres et des choses. J’ai marché, ah ! j’ai marché, et tant marché que j’ai, à la folie, charmé toutes les herbes du chemin : leurs puissants alexitères m’ont aidé à tromper la vigilance des dagues, des dogues et des dragons. Maintenant que j’ai donné
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