LA
PREMIÈRE
SEMAINE DE
L'AMÉRIQUE LATINE
r
I
4 - 1 ^ . 4 - 5 -
COMITÉ
wv-4P
D'ACTION
PARLEMENTAIRE A L'ÉTRANGER
LA
PREMIERE
SEMAINE DE
L'AMÉRIQUE LATINE
CONGRES TENU A LYON DU :: 2 :: AU :: 7 DÉCEMBRE 1916
AVERTISSEMENT
Sur l'initiative de leur Président, M. le Député Charles Guernier, ancien Sons-Secrétaire d'Etat, Président de la Commission Sud-Américaine du Comité Parlementaire d'Action à l'Etranger, les « Semaines de l'Amérique Latine » ont été instituées par la Commission Parlementaire d'Action à l'Etranger, sous le haut patronage de M. Aristide Briand, Président du Conseil, Ministre des Affaires Etrangères, avec le concours du Service de la Propagande de la Maison de la Presse (.Ministère des Affaires Etrangères), dans le dessein d'entretenir et d'améliorer les relations amicales entre la France et les Républiques de l'Amérique Latine. Pour agir avec méthode et esprit de suite', il a été décidé que, chaque année, se tiendrait un Congrès dont les travaux auraient pour objet l'étude des diverses questions d'ordre économique, juridique, scientifique, littéraire et artistique intéressant la France et les Républiques sœurs. La première « Semaine », organisée à Lyon, en décembre 1916, par les soins de la Municipalité, grâce à l'intervention de M. P. de Coubertin, assisté de M. le Sénateur Herriot, maire de Lyon, obtint un succès et un retentissement considérables. Les adhérents présents à Lyon, mais aussi maintes autres personnes n'ayant pu s'y rendre, ont souhaité voir réuni et reproduit l'ensemble de ce qui fut dit et commenté dans les différentes séances du premier Congrès (2 au 7 décembre 1916). Nous pensons que cette publication pourra peut-être satisfaire leurs désirs. Elle contient, en effet, les conférences et les rapports et aussi les vœux adoptés par le Congrès, les principales communications faites et les allocutions prononcées. Différentep observations suggérées à des membres des Commissions par l'audition des rapports y sont également relatées, ainsi que certains vœux émis et réservés. Pour rendre la lecture plus aisée, on a intercalé des sous-titres dans le texte de la plupart des rapports ou conférences et, pour donner à cet ensemble de documents un caractère plus général et plus durable, le style direct en a presque partout disparu. Nous espérons ainsi avoir atteint notre double but : remémorer aux Congressistes de Lyon l'utile besogne accomplie, et faire connaître à tous ceux qui s'intéressent à l'union du Monde Latin le résultat dit premier effort des « Semaines de l'Amérique Latine ».
I
Discours et ConfĂŠrences
La premiere
semaine
de l ' A m é r i q u e
latine
à Lyon Allocution de M. Edouard HERRIOT
MESDAMES,
MESSIEURS,
e me garderai bien au début d'une soirée où vous devez entendre les plus intéressants et les mieux informés des orateurs, de vous infliger moi-même un discours. L e rôle que ce programme me réserve est infiniment plus simple, plus agréable pour vous, et, j'ose dire, pour moi, ce rôle, c'est de remercier en votre nom et d'accueillir au nom de cette g r a n d e V i l l e les initiateurs de cette manifestation et ceux qui ont bien voulu y répondre.
J
Il y a quelques semaines, presque quelques mois, l'un de ceux qui sont ici ce soir, M. Pierre de Coubertin, auquel me lie une amitié qui m'est précieuse, venait nous exposer à L y o n l'intérêt qu'il y aurait à multiplier les relations intellectuelles et économiques avec les grandes Républiques qui, dans l'Amérique du Sud, se développent avec tant de luxuriance de toute façon et avec tant d'avenir. N o u s soumettre cette idée, c'était être assuré de la voir accueillie de toutes les forces de mon esprit et de toute l'ardeur de mes sentiments. J'ai accepté très volontiers. L a V i l l e de L y o n a été très flattée d'être choisie comme le centre de cette première manifestation, de cette première organisation, surtout lorsqu'elle a su que le Comité parlementaire d'action à l'étranger que représente ici ce soir M. Guernier, se
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I,APREMIÈRE SEMAINE DE 1/AMÉRIQUE LATINE A LYON
proposait, tous les ans, de faire une Semaine du même genre et du même ordre. C'est L y o n qui aura l'honneur de voir débuter cette manifestation. E n votre nom, je salue les représentants de ces g r a n d s E t a t s , les représentants officiels, les représentants des lettres, des arts, des sciences de ces pays, que vous entendrez ou ce soir ou les jours prochains. Ils se découvriront à vous l'un après l'autre; plusieurs d'entre eux, beaucoup d'entre eux, portent des noms qui sont d é j à très connus au public français et qui lui sont très chers. Ce soir, au début de ces travaux, je veux simplement exprimer la pensée qui est dans tous nos esprits. A l'heure où se débat, un drame qui, par son ampleur, par son importance, par son tragique, par ses conséquences, dépasse assurément tous les drames que l'Histoire ait jamais enregistrés, dans le temps où le peuple français lutte de tout son cœur, de tout son sang, non seulement, il le croit fermement, pour lui-même, mais pour un idéal de vie dans lequel sont comprises la beauté et la bonté et qui est, pour une g r a n d e part, l'héritage de notre idéal latin, dans le temps même où cette nation souffre et travaille autant qu'une nation peut à la fois travailler et souffrir, sans que rien n'abatte sa volonté, son courage, sans que rien ne trouble la clarté de ses intentions et de son but, il était impossible à la France de ne pas se souvenir que par delà les mers il y avait des peuples, j e les en félicite, plus heureux que nous, qui continuent à jouir des bienfaits de la paix, dans des climats et dans des conditions économiques spécialement favorables. E h bien ! en ce moment, il est indispensable que ces liens de fraternité réapparaissent ; si nous ne les faisions pas surgir, si nous ne les affirmions pas, nous mentirions à tout notre passé, et au moment où la France f a i t encore des efforts plus grands que ceux qu'elle a jamais faits, assez fière pour ne solliciter de tous les peuples que la justice, car, pour tout ce qu'elle a f a i t elle ne veut pas autre chose, elle doit penser et espérer que son héroïsme, que son courage, que son esprit de sacrifice seront appréciés comme ils le méritent par nos frères de là-bas qui, certes, ne peuvent pas renier les liens qui les unissent à nous, qui les f o n t penser de la même façon et sentir de même. C'est cette fraternité qui préside à la réunion de ce soir, et c'est, si vous me le permettez, sous son patron a g e que je vais placer les conférences, les discours, qu'à partir de maintenant vous allez, ce soir et les jours suivants, entendre et applaudir. ED.
HERRIOT.
Allocution de M. Charles GUERNIER MESDAMES,
MESSIEURS,
es premières paroles seront pour remercier M. le Sénateur-Maire Herriot et la Municipalité lyonnaise de la gracieuse hospitalité qu'ils ont bien voulu accorder à la première Semaine de l'Amérique Latine.
M
D'autres villes auraient pu être choisies pour le siège de nos assises. E n est-il une qui soit plus représentative et de nos sentiments et de la communion d'idées qui nous unissent aux Sud-Américains que la V i l l e même de L y o n ? L y o n , la métropole de la civilisation latine dans les Gaules, l'ancienne capitale des Gaules, L y o n , qui a rayonné sur le monde latin, L y o n , qui semble par des affinités mystérieuses, traduire si nettement ce qui est au f o n d de la conscience et de l'esprit de nos frères de race : le souci des affaires, le sérieux dans les entreprises, et cependant l'amour p r o f o n d de tout ce qui est beau, de tout ce qui est noble, de tout ce qui est g r a n d . Il y a d é j à dix-huit ans que j'étais professeur à la F a c u l t é de Droit de votre v i l l e ; j e n'ai pas oublié l'hospitalité que j ' y ai reçue, et, lorsque plus tard, entrant au Parlement, j'ai trouvé à côté de moi vos représentants, j'ai compris mieux encore tout ce qu'il y avait de noblesse, d'esprit pratique, de sentiments élevés, d'amour du beau dans l'âme des L y o n n a i s . Permettez-moi maintenant de remercier ceux de nos amis qui, malgré la distance, m a l g r é l'inclémence de la température, malgré les événements, sont venus collaborer avec nous à cette œuvre dont je voudrais définir et préciser le caractère. Il est banal de dire, mais il f a u t répéter néanmoins, car ce sont là des idées essentielles, que nous sommes en présence de la plus g r a n d e lutte qui ait divisé l'humanité. D ' u n côté, une civilisation qui se bat pour la domination, avec méthode, avec intelligence, avec esprit de suite, mais aussi avec une férocité implacable qui ne tient compte ni des individus, ni des sentiments les plus nobles et les plus délicats; il f a u t qu'elle passe et, si c'est nécessaire, on brûle les villes, on les saccage, on injurie, on viole les femmes, on détruit tout, car il f a u t être les maîtres. E n face, une autre civilisation, pour qui le respect de l'individu est le premier des dogmes et le premier des devoirs, qui ne conçoit rien qui ne puisse se rapporter à lui, qui accepte, certes, la méthode, l'intelligence, l'esprit de suite, l'autorité, mais qui pense que
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LA PREMIÈRE SEMAINE DE L'AMÉRIQUE LATINE A LYON
l'autorité n'appartient à ceux qui la détiennent que pour le bien de ceux qui y sont soumis. E t voilà pourquoi lorsque la France a été envahie, et que les libertés ont été menacées, sans qu'il soit nécessaire de rédiger des protocoles ni d'envoyer des ambassadeurs ou d'échanger des correspondances officielles, le cri de notre cœur à peine poussé a eu son écho retentissant à travers l'Atlantique, dans toutes les consciences des Américains latins. C'est qu'il y a entre nous autre chose que des explications formelles, il y a entre nous autre chose que la connaissance précise des vocables exprimant les vérités logiques et a n a l y t i q u e s ; il y a la communion qui s'établit entre les hommes par les vibrations profondes, synthétiques et lointaines des âmes harmonisées depuis des siècles. Nous, nous nous comprenons très bien, latins de l'Europe occidentale, et latins de la libre Amérique, parce qu'il y a entre nous toute la longue accoutumance de l'esprit qui f a i t que nous nous sommes interrogés toujours sur le cas de conscience, que nous nous sommes demandé si nous avions des raisons d'agir ou de nous abstenir, que nous nous sommes posé à nous-mêmes la question et que nous nous sommes jugés. Nous n'étions pas des esclaves obéissant à des maîtres, nous n'étions pas des écoliers suivant des professeurs, nous étions des j u g e s de nous-mêmes et des juges des autres. A u s s i quand le cri de la liberté a été poussé dans la vieille E u r o p e , il a retenti dans la jeune Amérique et c'est par nous, et plus avec nous qu'on ne se l'imagine qu'on a créé par delà les mers les républiques de liberté. Certes, les historiens diront justement que l'action britannique a été à la base de tout ce mouvement, mais nous avons ici même dans cette salle l'un des historiens de ces p a y s qui vous démontrera que la France y a eu une large part et que l'œuvre de C a n n i n g a été fortement consolidée par les interventions de notre g r a n d compatriote Chateaubriand. E t par là on comprendra que lorsqu'il s'est a g i dans les heures d'angoisse de pénétrer le g r a n d drame de l'humanité, l a tâche a été simple, comme elle f u t lorsque notre excellent ami M. de Coubertin vint à L y o n demander à son distingué Maire l'hospitalité généreuse dont nous jouissons aujourd'hui. Sans avoir besoin d'exprimer plus et de préciser d a v a n t a g e , les cœurs étaient d'accord avant que les lèvres eussent parlé. Que voulons-nous, que faisons-nous? Sommes-nous ici pour tenir un de ces Congrès comme il y en a beaucoup, pour former une de ces Associations que l'on voit naître, s'affirmer dans un conseil et une présidence, et puis disparaître? Non. Nous entendons faire une œuvre solide et durable, en connection étroite avec la politique du Parlement de la République française.
V
ALLOCUTION DE M. CHARLES GUERNIER
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A u cours de cette guerre, nous avons vérifié à l'extrême cette vérité maintes fois entrevue, qu'il était nécessaire que les peuples entrassent en une correspondance plus étroite que celle ouverte par les voies diplomatiques. Certes, lorsque l'Histoire permettra de juger, nous aurons à rendre largement justice à certains de nos ambassadeurs, mais il ne suffit plus pour assurer les relations des démocraties modernes que le protocole des chancelleries exprime les conceptions officielles, il f a u t que les Parlements se connaissent, s'éprouvent, s'apprécient. V o i l à pourquoi nous, parlementaires français, nous sommes allés trouver nos collègues de la Chambre des Communes et de la Chambre des L o r d s . Ils ont compris comme nous que nous ne devions plus continuer à discuter les affaires de nos pays, séparés par une cloison étanche, et nous avons constitué la Commission-interparlementaire franco-britannique. Puis, nos collègues de la D o u m a sont venus à Paris, et puis nos collègues italiens; nous- nous sommes mieux rendu compte des intérêts dont nous avons la g a r d e , parce que nous avons pu les exprimer à cœur ouvert, sans les entraves ni le cérémonial des séances publiques. E t ce programme, nous entendons le suivre d'après cette mét h o d e ; ce n'est pas une œuvre de guerre passagère comme elle, c'est l'œuvre de toujours qui commence. N o u s ne pouvions pas pour les Républiques de l'Amérique L a t i n e procéder comme nous l'avons f a i t pour les Parlements anglais, italien, russe; elles sont nombreuses, les circonstances et les distances ne permettent pas des rapprochements fréquents ; il f a l l a i t trouver une autre combinaison. V o i l à pourquoi nous avons songé à instituer une Semaine de l'Amérique Latine. Nous ne sommes venus ici prendre la place de personne. N o u s sommes venus exercer notre rôle de contrôleurs de la nation, d'accord avec nos amis des Républiques sud-américaines. Qu'est-ce donc que nous faisons? Nous ne faisons pas que des discours ou des rapports, nous entendons juger notre effort national, pour nous rendre compte de ce que nous pouvons faire encore. Nous avons des intérêts matériels nombreux et importants; en Amérique L a t i n e nous avons e n g a g é des capitaux considérables ;. nous y avons f a i t partout de g r a n d s trav a u x d'utilité publique. Notre ami M. Hersent vous montrera quelle a été la noble part de la France dans l'œuvre civilisatrice. T a n d i s que les Germains s'établissaient au Brésil, en Argentine, au Chili, au Venezuela, pour faire des entreprises commerciales dont le profit passait chez eux, nous, nous édifiions des travaux d'utilité publique dont le profit était à l'avantage de ces Républiques. N o u s discuterons de nos affaires, parce que nous entendons que les peuples sérieux ne doivent pas se contenter de politesses, d'amitiés et de beau l a n g a g e ;
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I,A
PREMIÈRE SEMAINE DE 1/AMÉRIQUE LATINE A LYON
nous disons à nos amis de l'Amérique du S u d : vous avez des intérêts, nous en avons, examinons-les sans parti pris, sans arrière-pensée, avec la claire vision des hommes d'affaires qui savent ce qu'ils veulent, et comment ils entendent procéder. Nous leur disons encore : D e m a i n , quand la guerre sera finie, nous retournerons chez vous, plus nombreux, mieux outillés, mieux informés, et, pour cela, l a Semaine de l'Amérique L a t i n e sera le lien entre nous, non pas le lien d'un jour, mais un lien de continuité, parce que si, aujourd'hui, dans la noble Cité lyonnaise nous tenons la première Semaine, l'année prochaine, dans une autre ville des provinces françaises, nous tiendrons la seconde, et ainsi de suite ; et dans l'année qui séparera chaque semaine de la suivante, nous préparerons les questions qui y seront discutées. Q u a n d nous irons frapper à la porte des commerçants, des industriels, des hommes d'affaires, nous leur dirons : nous ne venons pas vous trouver dans un sentiment de banale curiosité, nous venons pour la Semaine de l'Amérique L a t i n e , vous la connaissez; dans quelques mois, nous y discuterons des intérêts miniers, des intérêts agricoles, des questions de transports qui vous préoccupent; venez avec nous, prenez la parole, discutez de vos intérêts. E t alors, les hommes de la République qui ont charge de l ' E t a t sauront de quoi il s'agit, car c'est un g r a n d malaise dans les nations, que trop souvent les hommes publics ne sont pas informés, et que lorsqu'arrivent les difficultés, quand il f a u t prendre parti, ils se décident sur des à peu près, au hasard d'une conversation de la rencontre d'un ami. E h b i e n ! nous ne devons' plus continuer cette politique. Nous entendons faire une politique réaliste, une politique de clarté et de juste connaissance. A i n s i quand il s'agira de création de lignes de chemin de fer, d'entreprises de navigation, de mines, d'établissements de crédit, nous aurons nos dossiers, nous serons prêts, nous aurons questionné les hommes, scruté les choses, nous aurons demandé à nos amis, longtemps avant l'heure de la décision, ce qu'ils pensent, de sorte que l'état d'âme nécessaire sera créé en même temps que la précision et l'exactitude des données. E t ce n'est pas seulement sur le terrain des affaires, des intérêts matériels et positifs que nous sommes en communion avec nos frères de l'Amérique Latine. Il y a chez eux des écrivains merveilleux ; vous entendrez tout à l'heure nos amis qui ont écrit dans leur langue de si belles choses pour la France, vous les entendrez dire dans la langue française leurs belles idées; il y a aussi des peintres, des sculpteurs, des musiciens. II f a u t que la g r a n d e âme latine s'exprime au delà des limites étroites de chaque nation; il f a u t que dans la France, p a y s de l'hospitalité
ALLOCUTION DE M. CHARLES GUERNIER
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éternelle, ceux qui sont d a v a n t a g e que nos amis, qui sont nos frères, s'affirment à la face d u monde, pour que le crédit d'admiration qui leur est dû leur soit enfin donné. L e s jeunes hommes de l'Amérique L a t i n e qui, portant dans leurs y e u x toute la claire lumière de leur ciel, regardaient l'avenir avec l'enthousiasme de leurs v i n g t ans, qui nourrissaient le noble espoir de fonder à leur tour une belle f a m i l l e , qui, disposant des ressources matérielles et de la culture raffinée, avaient le droit d'attendre les joies de la vie, ont tout quitté, Patrie, amis, mères, fiancées, pour venir combattre avec nous. Ils ont subi les jours sombres dans l a boue g l a cée des tranchées; ils ont rougi la terre de France de leur sang vermeil, ils sont tombés face au barbare. L e secret d'un pareil sacrifice? A h ! Messieurs, n'est-ce pas le rayonnement, dans le subconscient des âmes immortelles, de l'amour du D r o i t , de la Liberté et de la Bonté, qui unit à travers les siècles et par delà les mers lointaines tous les fils de la civilisation latine.
CHARLES
GUERNIER.
Discours de M. E. GARZON LA GENÈSE
DE LA
RÉVOLUTION
'est un g r a n d honneur pour moi que de prendre la parole dans
C
cette belle cité de L y o n , et dans une réunion comme celle-ci, d'où
doit sortir la consécration définitive, pratique et solennelle des relations politiques et sociales établies entre l a
F r a n c e et
l'Amérique
Latine. L'ouverture de la première Semaine de l'Amérique L a t i n e , dans l'une des plus importantes villes de la France, c'est le triomphe du N o u v e a u - M o n d e couronné par vos mains. Parler de mon Amérique et de notre chère F r a n c e ne saurait changer, même pour un instant, le cours normal de ma vie ; car vous savez —• du moins j e m'illusionne jusqu'à le croire —
que telle est
la noble tâche quotidienne à laquelle j e me suis consacré depuis de longues années, dans le Figaro L e s F r a n ç a i s qui
de Paris.
s'occupent de" finances, de commerce ou d'in-
dustrie ne nous connaissent guère que sous les aspects en rapport avec leurs intérêts légitimes. A v a n t de leur montrer, a v a n t de vous mon^ trer à vous-mêmes, et par vous à votre g r a n d e et prestigieuse nation, quelles furent les idées
philosophiques
qu'il nous f a l l u t mettre en
action et quels furent les sacrifices qu'il nous f a l l u t consentir pour devenir des peuples libres, il est
nécessaire de vous
montrer l'am-
pleur de l'œuvre que nous avons réalisée, dans toutes les branches de notre activité nationale. Personne, parmi ceux qui ont suivi de près notre évolution commerciale, ne pourra nier son magnifique développement ni la place prépondérante
que nous avons prise
l'Europe. C'est là le résultat
dans
les
d'une pénétration
préoccupations laborieuse et
de
paci-
fique, également féconde pour elle et pour nous, et dont votre présence ici est la plus éclatante démonstration. P e n d a n t cette période de notre formation, l'Europe nous a
très amicalement exposé
les
reproches qu'elle croyait devoir nous adresser; qu'il me soit permis, à mon tour, de lui formuler les nôtres. L ' E u r o p e oublie son passé; elle oublie ses révolutions et le s a n g répandu pour ses conquêtes morales ou matérielles; et elle voudrait que nous autres, nous nous soyons organisés comme nous le sommes aujourd'hui sans supporter les mêmes épreuves et sans passer par les mêmes crises.
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LA PREMIÈRE SEMAINE DE i / A M É R I Q U E LATINE A LYON
D a n s ses relations d'affaires avec nous, l'Europe ne se contente pas de s'alarmer des moindres contretemps; elle nous adresse encore de véhémentes représentations lorsque notre commerce traverse un moment difficile, lorsque notre production agricole est en baisse, lorsque nos finances subissent quelque perturbation, comme si ces accidents dépendaient de notre volonté ou comme s'ils étaient la conséquence de l'énorme agglomération américano-latine. T o u t est solidaire dans la vie économique des peuples. L e désordre comme le progrès marchent par étapes ; aucune nation n'a jamais pu s'affranchir de cette loi, imposée par le Destin ou la F a t a lité. L e s choses dépendent les unes des autres, depuis les premières manifestations de la nature jusqu'aux expressions de la volonté individuelle. L a faute d'un législateur qui touche aux intérêts de la classe ouvrière ou de la classe conservatrice ; le libéralisme d'un gouvernement ou les restrictions de sa politique, l'erreur d'un économiste, les illusions d'un philosophe idéaliste ou non, l'optimisme ou le scepticisme d'un homme d ' E t a t , l'ambition d'un soldat, la tyrannie d'une dictature, l'irritante grandeur d'un règne qui insulte la pauvreté de la démocratie, font partie de la complexe nature humaine et entraînent des bienfaits ou des malheurs dont la répercussion s'exerce sur les collectivités. O n ne connaît pas de peuple dans tout l'univers qui n'ait passé par ces alternatives de victoire ou de défaite. L ' E u r o p e , négligeant ces vérités, a beaucoup exigé de nous; beaucoup plus sans doute qu'elle n'aurait dû. Pour la faire revenir de son erreur, il f a u d r a i t lui révéler les trois points principaux de notre histoire: la découverte de l'Amérique, sa conquête et sa révolution. L e s dêux premiers furent des victoires de l ' E s p a g n e , notre mèrepatrie. L e troisième est notre œuvre. Il nous appartient, et c'est aussi notre point de départ.
L'ESPRIT
RÉVOLUTIONNAIRE
U n e révolution en faveur de la liberté ne s'accomplit que lorsque l'idée en a tellement pénétré les cerveaux qu'elle a fini par dominer la conscience de chacun et la conscience de tous; c'est l'homme qui f a i t le monde où il vit, ce ne sont pas les événements 1 ; et c'est de son caractère particulier que dépend le caractère extérieur de la société. T e l était notre cas dès le dix-huitième siècle. I.'idée de liberté commençait à hanter la mentalité américaine. Cette mystérieuse sensation, dont on s'effrayait alors comme d'un crime, finit par se développer et par nous absorber complètement, sous l'influence de l ' a t m o s p h è r e ambiante, c'est-à-dire au choc des idées de la Révolu-
I
13
DISCOURS DE M. E. GARZON
tion française, arrivées jusqu'à nous à travers la brume des océans. D è s 1806, et même a v a n t , on sentait qu'une âme nouvelle avait surgi de notre âme traditionnelle et, quatre ans après, le drapeau de l a rédemption civile était prêt à se lever. S a n Martin montait du S u d au N o r d et B o l i v a r descendait par le chemin
opposé; Artigas,
guayennes,
le
philosophe errant
jetait à travers la terre
démocratie et de la fédération.
américaine
des forêts uru-
les
semences de la
Une génération entière apprêta ses
armes ; les populations dont se composait la vice-royauté de BuenosAires se préparèrent à la lutte et escaladèrent les hauteurs de l ' A n d e gigantesque. L e C h i l i vint à leur rencontre et, tous ensemble, g u i d é s par leurs bannières libératrices, ils franchirent les montagnes les plus élevées de la terre et traversèrent ses plus impétueux torrents pour se ruer,
ivres de gloire et de liberté, vers la citadelle
des
vice-rois,
vers L i m a , dernier r e f u g e de la domination espagnole. L e s populations du N o r d , mues par le même mobile et appelées à d'égales gloires, unissaient leur destin au destin de celles du S u d , en acceptant tous les mêmes sacrifices. A p r è s quinze ans de rudes b a t a i l l e s contre la nature, contre les dieux et contre les hommes, tous les libérateurs du S u d et du N o r d , suivant les
figures
apostoliques de S a n Mar-
tin et de B o l i v a r proclamèrent à la f a c e du monde, du haut de leurs plus hauts sommets, l'émancipation de l'Amérique L a t i n e ; puis, a y a n t r e g a r d é leur œuvre, les fondateurs de notre vie civile de nouveau
traversèrent
les mêmes montagnes, franchirent les mêmes
torrents,
affrontèrent les mêmes précipices, pour reprendre modestement leur place
dans
leurs
foyers.
Beaucoup
qui
étaient
partis
enfants,
revinrent hommes, avec des âmes fortement trempées par l'épreuve et la méditation. LA DOUBLE
ACTION
DES
ÉMANCIPATEURS
Mais la tâche n'était pas terminée. L e u r effort avait édifié le plus p r o d i g i e u x monument du
dix-neuvième siècle:
la liberté d'un
politique
monde. U n nouvel
effort,
peut-être plus g r a n d encore, était nécessaire pour donner à ce monde sa
forme
morale.
Il
fallait
organiser
les
pays
qu'ils
venaient
d'affranchir et secouer la torpeur dans laquelle ils étaient depuis si l o n g t e m p s plongés. A peine descendus de leur cheval de
bataille,
ces mêmes hommes, qui n'avaient reçu pour tout héritage que l'obscurité de la nuit coloniale, se virent dans l'obligation de s'improviser juristes, législateurs, administrateurs. L'œuvre nouvelle s'étendait des confins du N o r d a u x plus extrêmes limites du cap H o r n , au Les
opinions
différaient suivant
les individus.
Les
Sud.
uns -voyaient
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I,A
dans
PREMIÈRE SEMAINE DE 1/AMÉRIQUE LATINE A LYON
l'ordre
rateur;
le
d'autres,
plus
honorable
incohérents
et
complément tragiques,
de
l'effort
faisaient
libé-
appel
à
la
d é m a g o g i e ; le noble esprit révolutionnaire déviait jusqu'à la chimère et l'utopie. L e s classes conservatrices cherchaient des solutions pour maintenir la concorde entre les peuples ; de g r a n d s tribuns exaltaient les bienfaits de la
chantaient,
les
publicistes la discutaient entre eux, et les juristes combinaient
liberté humaine, les poètes
des
lois pour encadrer la nouvelle vie créée par l'esprit
national. A u
milieu
de cette
la
l'affranchissement
confusion
d'hommes
et
de de
choses, d'idées et de méthodes, chacun cherchait la lumière sans parvenir à la faire jaillir. L e sens de la Révolution française avait pénétré au plus prof o n d les hommes de la Révolution américaine, et ils se le communiquaient les uns aux autres comme un évangile de salut. L e s pages les plus fameuses qui s'écrivaient en E u r o p e sur la liberté, l'égalité et les droits de l'homme, parvenaient jusqu'à nos rivages et nous apportaient la formule de la future existence que nous devions réaliser. E t c'est après les avoir lues dans le coin le plus retiré de leurs maisons, après les avoir longuement mûries et s'en être imprégnés, que les hommes du Nouveau-Monde, confiants en leur f o i révolutionnaire, se lancèrent dans la lutte et obtinrent la victoire! E l l e f u t si grande, leur victoire, et si complète f u t leur œuvre, que le f a m e u x ministre anglais C a n n i n g disait, en la contemplant: « La
liberté politique
du Nouveau-Monde
est venue
rétablir
l'équilibre du nôtre. » D e nos jours, le célèbre moraliste italien Ferri émettait
cette
opinion: « L'avenir économique du monde est dans l'Amérique Latine. » E t M . Georges Clemenceau, votre illustre penseur, au cours d'un récent v o y a g e aux républiques de L a P l a t a , s'écriait: « Il est possible que les sauvages d'ici finissent par en remontrer aux civilisés de là-bas! » Je n'aurai g a r d e d'oublier votre g r a n d écrivain A n a t o l e France, qui, venu aussi dans l ' U r u g u a y , en a rapporté cette flatteuse impression: <t U n homme d'une culture supérieure est en train de se former la. » D e telles appréciations sont pour nous une première récompense.
DISCOURS DE M. E. GARZON
LA LIBERTÉ
D'UN
15
MONDE
j e me résume: en l'espace d'un siècle, nous avons soutenu quinze années de guerre contre les fameuses armées du roi d ' E s p a g n e , et nous avons livré un continent libre à la vie universelle des peuples. N o u s avons, en outre, d é f e n d u notre indépendance, les armes à la main, contre l ' A n g l e t e r r e et contre le P o r t u g a l et, tout en
faisant
f a c e a u x orages extérieurs, nous avons entretenu chez nous, pendant cinquante ans, le f e u sacré de la R é v o l u t i o n qui a purifié nos âmes et assaini notre atmosphère. N o u s n'avons pas à ep rougir, puisque là était notre salut. E t voici qu'après tant de bouleversements, répercutés sur un territoire dont l'étendue c o n f o n d
l'imagination,
nous
sommes devant vous, dans cette V i l l e de L y o n , attendant votre j u g e ment. N o u s nous sommes
donné, à l'aube de notre émancipation, la
législation qui nous paraissait la plus appropriée à notre
capacité
morale. L e s générations qui se sont succédé depuis l'ont constamment modifiée, de
f a ç o n à la mettre en harmonie
avec
notre
évolution
psychologique. L a législation de p a y s d'immigration comme l ' A r g e n tine, le Brésil, l ' U r u g u a y , ne peut pas être semblable à celle des p a y s qui ne pratiquent
pas ce système
de peuplement.
Elle
exige
une
forme et un développement particuliers, qui viennent en surplus des lois r é g l a n t l'ensemble de l'ordre social. Cette
œuvre juridique, si
vaste et si complexe, nous l'avons intégralement réalisée; et depuis, au cours du dix-neuvième siècle, bien que nous fussions en pleine période de gestation révolutionnaire, nous n'avons rien n é g l i g é — nous
continuons à ne rien n é g l i g e r ,
siècle —
des divers problèmes
commerce,
la
qui
en ces débuts
nous
du
et
vingtième
sollicitent: les finances, le
production de nos mystérieuses
et
incommensurables
p a m p a s , retiennent toute notre attention. L a construction de t r a v a u x publics a u x vastes proportions, a déterminé de nouveaux courants et de
nouveaux
progrès;
et
la
diffusion
de
l'instruction
primaire
préoccupe, plus que tout autre chose, nos philosophes et nos moralistes. L ' A r g e n t i n e , le Brésil, l ' U r u g u a y et le C h i l i marchent à la tête de la civilisation sud-américaine, et personne n'en prend ombrage sur notre continent: au contraire, cette constatation tient lieu de fraternelle émulation a u x autres peuples frères, qui rivalisent d'ardeur pour répandre chez eux les lumières de l'intelligence et de l'instruction.: ENSEMBLE DE »L'ŒUVRE ACCOMPLIE r Si vous tournez vos r e g a r d s vers le sud, vous v o y e z
Buenos-
Aires, fière de son g r a n d passé libérateur et de sa g r a n d e civilisation
6
I,A
PREMIÈRE
SEMAINE DE 1/AMÉRIQUE LATINE A LYON
actuelle, fière aussi de son r a n g de seconde capitale de l a race latine comptant plus d'un million et demi d'habitants, fière de son confort, de son luxe, de l'énorme chiffre d'affaires qu'elle traite avec l'Europe. L a République Argentine a été en ces derniers temps, par ses merveilleux progrès, un des principaux f o y e r s d'attraction pour les hommes et les choses du monde entier. Continuant ce v o y a g e mental dans lequel j'espère que vous voudrez bien me suivre, nous traverserons la P l a t a , le fleuve sacré, et vous verrez surgir des eaux, souriante et baignée de soleil, Montevideo, capitale de mon beau p a y s , véritable j a r d i n , suivant l'expression de Martin de Moussy, et dont l'organisation économique et financière, les méthodes commerciales, l'instruction primaire partout répandue, f o n t l'admiration de ceux qui la visitent. A l l a n t d a v a n t a g e vers le nord, traversons les A n d e s et passons par S a n t i a g o du Chili, la grande capitale andine, centre du premier p a y s d'origine espagnole qui se soit sérieusement constitué, parmi ceux dont est formé le Nouveau-Monde. Dès les premières heures de sa stabilité purement américaine, l ' E s p a g n e une fois vaincue, le Chili montra une remarquable tendance vers l'ordre, sans sacrifier pour cela la liberté, qu'il étendait à mesure que s'en manifestait le besoin dans le peuple. L e s historiens de l'Europe et de l'Amérique sont unanimes à constater que le Chili accuse à ce point de vue le t y p e anglosaxon, plutôt que l'origine espagnole. L e régime constitutionnel du Chili a toujours été p a r f a i t et son administration publique reste un modèle. L a transmission du m a n d a t présidentiel, par exemple, s'est toujours effectuée en plein accord avec la volonté populaire manifestée par son vote ; et, pour donner une idée plus complète de la philosophie clairvoyante qui g u i d a constamment l'action publique chilienne, je dirai qu'elle a résolu les plus hauts problèmes politiques et sociaux, dans un esprit de liberté raisonnée. S i à ces progrès moraux nous ajoutons la culture de ses grands hommes d ' E t a t et de sa brillante jeunesse, nous comprenons combien il est juste que ce p a y s compte au nombre des plus avancés. C'est ensuite L i m a , la célèbre capitale des Incas, dont chacun admire l'histoire, et dont la culture sociale porte encore aujourd'hui l'empreinte de la chevaleresque E s p a g n e . Puis, remontant par l'Atlantique jusqu'au Brésil, l'opulente République des Tropiques, nous trouvons Rio-de-Janeiro et son port, deux merveilles, l'une édifiée par les hommes, l'autre creusée par la nature. L e Brésil a développé la vaste culture que 4ui souhaitait, en 1807, Jean V I de P o r t u g a l . Ce p a y s , disons-le à son éloge, a passé de la Monarchie à la République sans heurts et sans bouleversements
DISCOURS DE M. E. GARZON
17
politiques; et, alors que l'abolition de l'esclavage a f a i t couler tant de sang par ailleurs, il l'a réalisée sans qu'il en résultât la moindre catastrophe, grâce à la sagesse de ses hommes d ' E t a t . Ces deux mouvements de philosophie libératrice font honneur à notre race. Mexico, capitale d'une république qui attend le moment, peutêtre prochain, de revenir à son statut constitutionnel, au nom de sa merveilleuse civilisation séculaire, n'en est pas moins glorieuse. L'illustre curé H i d a l g o f u t le premier à y faire retentir le cri d'indépendance et p a y a de sa vie, sur l'échafaud, l'élan patriotique de son âme. L a guerre, malgré sa mort — et peut-être à cause de cela — continua sans merci et ce furent Yicente Guerrero, sur les montagnes du S u d , Nicolas B r a v o et le curé j o s é - M a r i a Morales qui recueillirent l'héritage sacré de la parole décisive de H i d a l g o . L a Colombie, réalisant le vœu de Bolivar, dont elle était la fille de prédilection, s'est classée parmi les nations les plus avancées par ses progrès particuliers en littérature et sa p r o f o n d e connaiseance de l'histoire. E l l e possède des poètes exquis, des philosophes et des moralistes réputés; le Venezuela cultive les mêmes tendances avec un é g a l succès et s'enorgueillit d'avoir donné le jour à José M i r a n d a , soldat de W a s h i n g t o n et de L a f a y e t t e , général à Jemmapes et à V a l m y sous Dumouriez, compagnon de captivité de M' M R o l a n d , véritable précurseur de l'indépendance de l'Amérique Latine, qui avait choisi l'Europe de la Révolution pour confidente de l'enthousiaste idée qui le hantait et dont la première génération américaine entrevoyait sans doute la noble figure dans les patriotiques rêveries qui la conduisit à la lutte épique; à M i r a n d a , qui sut intéresser le cœur de la g r a n d e Catherine, réchauffer la froideur de Pitt, g a g n e r l'estime de N a p o l é o n et qui laissa son nom gravé sur l'Arc de l'Etoile. Ces deux nations, se plaçant sous l'égide du Triomphateur du N o r d , poursuivent leur marche inlassable vers les g r a n d s destins qui leur sont promis. L ' E q u a t e u r , après mille vicissitudes, a formé, lui aussi, son âme à la chaleur de la Révolution, et ses héros répondirent dignement à la confiance que les peuples naissants de l'Amérique avaient mise en eux. L ' E q u a t e u r a eu ses g r a n d s hommes, et c'est d'eux que L o u i s V e u i l l o t disait: « Ce sont des hommes du Christ, pjutôt que de Plutarque. » Si aux incomparables richesses de ces g r a n d s p a y s nous ajoutons celles qui f o n t de l'Amérique Centrale un véritable E d e n , ainsi que celles de l'héroïque et beau P a r a g u a y et de la Bolivie en remarquable développement, nous aurons le tableau hâtif mais enchanteur de notre splendide continent. Je dois enfin une mention séparée à C u b a , la perle des Antilles, dont la prospérité matérielle et l'intuitive poésie ont placé l'étoile •solitaire au plus haut degré du très pur azur de notre ciel.
18
I,A PREMIÈRE SEMAINE DE 1/AMÉRIQUE LATINE A LYON
A u moment étions
de
la
une vingtaine
proclamation de notre indépendance, nous
de
millions
d'habitants;
actuellement,
nous
sommes quatre-vingts millions, et c'est chez nous que résidera l'avenir économique du monde. t
LAME
DU NOUVEAU
L ' â m e créole biance nécessaire
MONDE
du
ET
LA PENSÉE
N o u v e a u Continent
a
à son développement. P a r
des idées, celles qui naissaient
en
FRANÇAISE
formé lentement l'amun
courant mystérieux
F r a n c e traversaient les mers pour
venir vers nous. L e s premiers hommes conscients du destin américain les accueillirent; et depuis cette époque, notre pensée n'a cessé d'être en communion constante nouveau monde latin d'aujourd'hui vient
avec
pour
de
la
quatre-vingts millions de monde
de
la
les
pensée française. L ' a d m i r a t i o n du
sublimes holocaustes
vieille
de
la
France
fraternité de leurs âmes,^ et
libres citoyens des républiques
C o l o m b déclarent par mon intermédiaire,
en
latines
les du
cette belle
cité de L y o n , que leur cœur est tout entier avec la France, p a y s du rire, de la révolution et de l'héroïsme; je dis par mon intermédiaire, parce que je
sais bien que mes compatriotes
ne
me contesteront pas
l'honneur de les représenter ici, moi qui détiens en ce moment, par droit historique, la délégation morale des hommes de la R é v o l u t i o n américaine. Je ne v e u x pas terminer sans exprimer ma reconnaissance et celle de mes compatriotes, à M . Aristide B r i a n d , sous les glorieux auspices de qui nous sommes réunis, à M. Herriot, le génial Maire de L y o n , à M . Charles Guernier, le jeune et brillant député, dont le généreux e f f o r t en
faveur
de
mon p a y s trouvera en moi non seulement un
témoin enthousiaste, mais encore un historiographe ému. Et
je
n'ajouterai
plus
que
ceci: l a
Semaine
de
l'Amérique
L a t i n e , qui s'ouvre aujourd'hui à L y o n , aura lieu l'année prochaine à B o r d e a u x . L a suivante, messieurs, vous la tiendrez à Strasbourg.
E.
GARZON.
Discours de M. G R A Ç A A R A N H A
LE PRINCIPE
DE SA NATIONALITÉ
RÉVÉLÉ
AU
BRÉSIL
a guerre, c'est la d o u l e u r ; et, parce que la douleur éveille la
L
conscience de l'individu et la conscience des nations, cette guerre
a révélé au Brésil le principe de sa nationalité, l'âme de sa race qui, m a l g r é tant d'unions disparates, persiste toujours identique, tenace, immortelle, à travers la fuite inéluctable du temps. P a r la force de l'instinct de la race, le peuple brésilien, dès le premier moment de l a guerre, se sentit en communion de
destinée
avec la France. Il n'eut
pas un moment d'hésitation. Il n'attendit pas les violations du droit international, ni les atrocités allemandes pour
fixer
ses sentiments.
Notre sympathie n'a pas été un cri de justice ni une condamnation de juriste, ni l a révolte de notre sensibilité outragée par les crimes allemands. D è s le déchaînement de la lutte, nous sommes venus à la F r a n c e , mûs par l'instinct même qui nous a montré "en cette guerre le renouvellement du
combat de
la
barbarie contre la civilisation. E t
ainsi nous avons obéi au mobile essentiel des races qui ont donné au monde
les quatre plus grandes expressions
de
l'esprit humain: lo
miracle grec, l ' E t a t romain, la plasticité italienne et la merveilleuse unité de la culture française. D a n s leur attitude en f a c e de la guerre réside
la
dissemblance p r o f o n d e des nations latines et
des autres
nations, des hommes latins et des autres hommes. L a guerre, et ce f u t un
de
ses principaux effets, réalisa
la
splendide
cohésion du
monde latin devant le danger. D a n s les p a y s d'immigration comme ceux d'Amérique, aucun homme d'origine ou de culture latine n'est demeuré impassible. Pour intense que soit la sympathie des Américains du N o r d à l ' é g a r d des A l l i é s , il était naturel qu'ils ne sentissent pas, dès l'abord, l'importance capitale du choc du monde latin et du monde germanique. Us juger. Nous
ne
le
pouvaient attendre
les actes, les peser,
les
pouvions pas, parce qu'en nous p a r l a i t la race
créatrice de la riche et lumineuse civilisation, dont nous sommes les dépositaires dans le continent américain. C'est
ainsi que nous nous sommes
révélés
q u a n d notre g r a n d homme national R u y neutralité ne peut être l'abstention,
ni
à
nous-mêmes;
B a r b o s a proclame
l'indifférence, ni
Et
que la
l'insensibi-
20
I,A PREMIÈRE SEMAINE DE 1/AMÉRIQUE LATINE A LYON
lité, ni le silence, nous sentons que par la v o i x incomparable de ce pur Brésilien parle tout le Brésil. L'ÉLÉMENT
GERMANIQUE
O n doit reconnaître que l'élément germanique a déterminé dans toute l'Amérique une entrave à la libre action des gouvernements. E t on peut dire que leur souci presque excessif de neutralité et une certaine timidité d'action à l ' é g a r d de l ' A l l e m a g n e , doivent être attribués en g r a n d e partie au facteur ethnographique des nationalités. C'est
là
une preuve nouvelle que dans cette
guerre
de
races,
dans cette guerre de civilisation, bon s a n g a l l e m a n d ne peut que mentir dans l'interprétation des
sentiments
des
peuples d'une pro-
f o n d e homogénéité morale, comme le Brésil, d o n t la f o r m a t i o n psychologique était d é j à
un
f a i t accompli quand survint l'immigration
étrangère. Aussi, quand le
Brésil proclame, par
écrivains, par les votes de
la
parole de ses g r a n d s
son Congrès, par les manifestations
de
tout le peuple, que la neutralité n'est pas l'indifférence, il repousse le sophisme agréable a u x A 1 k m a n d s de l'isolement continental américain d a n s une guerre entre de vieilles nations européennes, sophisme selon lequel l'Amérique n'étant pas en cause, une absolue neutralité serait seule absolument logique. A p r è s d e u x ans de guerre, q u a n d le monde entier se sent étreint par le
cataclysme, quand toute l'humanité comprend que
nées des nations se jouent sur les champs de b a t a i l l e ce sophisme
est un
mensonge
d e v a n t la
conscience
les
desti-
de l ' E u r o p e , humaine;
une
immense solidarité à travers les espaces lie les hommes de même civilisation et de même sang.
LA SOLIDARITÉ
LATINE
P a r t o u t ce sont des âmes qui se recherchent et, loin d'être une séparation, l'océan eaux, dans rieux
les
est
un
trait-d'union; par dessus l'immensité des
airs, dans l'impondérable des choses, le sens mysté-
des esprits qui
s'unissent et se f o n d e n t dans un même
rêve
de sympathie immortelle, f a i t que là-bas, dans la j u n g l e , dans nos forêts tropicales, la pensée
de
l'homme brésilien suit avec émotion
l'héroïsme inégalable des soldats f r a n ç a i s qui, d é f e n d a n t les frontières du monde latin et r e f o u l a n t les barbares, d é f e n d e n t aussi la liberté
et
l'indépendance d u Brésil. A i n s i ,
la
guerre nous rappro-
chant encore de l ' E u r o p e a mis fin pour toujours à l'absurde légende
21
DISCOURS DE M. GRAÇA ARANHA
de
l'isolement
de
l'Amérique. E t
la
politique
internationale
des
nations de l'Amérique L a t i n e , s'inspirant de cette reconnaissance et de cette solidarité, porte
en soi-même un éternel reflet de
l'idéal.
Contre elle, ne prévaudront pas les principes utilitaires, l a politique de
l'exclusif
intérêt avec quoi
on
stimule l'égoïsme des
peuples,
f o n d e m e n t de l'indifférence à l'égard de la guerre actuelle.
POLITIQUE
ALLEMANDE
T o u t e la politique a l l e m a n d e s'inspire des principes utilitaires. V o u l o i r les implanter
au
Brésil et les imposer à nos esprits, c'est
encore une erreur psychologique
des A l l e m a n d s . N o u s sommes un
peuple de formation sentimentale, un peuple qui a lutté pour
la
liberté d e s autres peuples, qui a concouru à extirper la tyrannie de l'Amérique du S u d , qui, emporté par le fiévreux élan de ses forces morales, a aboli l'esclavage, sacrifiant ainsi l'intérêt à l'idéal. U n tel peuple rejettera le principe essentiel de la politique allemande,
le
cynisme utilitaire qui commande silence au sentiment devant le spectacle du sacrifice universel.
EL MM IGRA TION
ALLEMANDE
L'autre principe
d'immoralité politique qu'on
veut
imposer
à
l'Amérique, c'est celui de l'amitié à tous les peuples qui cherchent les terres promises d u nouveau continent. E n réalité, cette politique de l a r g e hospitalité f u t e x i g é e par les nécessités de l'immigration dans son commencement.
Aujourd'hui,
les g r a n d s
p a y s américains
répudié cette tolérance et tendent à sauvegarder Plus
encore
qu'en aucun
autre territoire
leur
américain,
ont
nationalité. nous
devons
résoudre au Brésil après la guerre la question de l'immigration allemande. D e p u i s environ soixante-dix ans, les A l l e m a n d s sont établis au Brésil,
en
de
vastes colonies,
et cette immigration
ne nous
a
apporté aucun bénéfice remarquable. D a n s les g r a n d e s étendues territoriales qu'occupent les A l l e m a n d s dans le sud du Brésil, la prospérité est médiocre. L e p a y s a n a l l e m a n d , là-bas, est routinier et indolent. T o u t e autre race eût mieux mis en valeur ces riches contrées ; ce que l'immigré italien a f a i t à S â o - P a u l o est l'admirable consécration de l'activité latine conjuguée avec l'effort des Brésiliens souches, tandis que
l'Etat
de
Santa
de
Catharina, colonisé
vieilles par
des
A l l e m a n d s , demeure, en son ensemble, rudimentaire et endormi. P a r
I,APREMIÈRE SEMAINE DE 1/AMÉRIQUE LATINE A LYON
22
ailleurs, dans l ' E t a t de R i o G r a n d e d o S u l , médiocrement colonisé lui aussi, tout d'abord par
des A l l e m a n d s ,
le mouvement
économique
s'est accéléré sous l'impulsion des Brésiliens et des Italiens. ' , i LE
PÉRIL L ' A l l e m a g n e n'a apporté au Brésil ni bénéfice moral, ni bénéfice
économique, elle lui a donné le péril a l l e m a n d . L a m a s s e a l l e m a n d e qui est au Brésil
est
une
tique. Sans
la
moroses
endormies,
et
victoire
menace permanente
de se
la
à
notre liberté poli-
F r a n c e et de ses alliés, ces colonies,
seraient éveillées dans un délire de
con-
quêtes et les A l l e m a n d s déchaînés auraient porté à travers la vaste et merveilleuse terre leur fureur de destruction et de mort. D é j à y sont postés pour cette œuvre i n f e r n a l e les fonctionnaires, les instituteurs,
les
militaires déguisés, les gens de commerce, tous
messagers de la N o u v e l l e - A l l e m a g n e animée du seul esprit de domination. A peine écarté le d a n g e r , quelle responsabilité ne sera pas celle du gouvernement brésilien, s'il n'évite le grave péril qui menace notre nationalité! L'immigration,
son extension,
et
ses méthodes doivent
subir une sérieuse révision. A l'exemple des E t a t s - U n i s , nous devons en réserver le privilège a u x i n d i v i d u s qui nous semblent d i g n e s de la nationalité brésilienne. N o u s avons
la
certitude que
l'immigration
a l l e m a n d e est une atteinte à notre nationalité. P a r l'étrangeté de la l a n g u e , par les différences de religion, par la disparité de toute son âme, l'élément s a x o n ne s'assimile pas à la population
brésilienne,
et se conserve dans sa cohésion dangereuse, en des zones isolées. A p r è s l a guerre, l ' A l l e m a n d f u y a n t l ' E u r o p e cherchera les terres où se créer de nouvelles patries. Souvenons-nous que ces r é f u g i é s qui rechercheront avec humilité
nos
forêts
diaires des Universités, les destructeurs
et
nos villes sont les incen-
de
la
beauté, les dévasta-
teurs des temples, les pirates, les oppresseurs dés peuples libres, souvenons-nous que leur férocité a f a i t l'épouvante du monde. L e Brésil ne peut pas leur servir d'asile, ce serait sa condamnation
devant
l'avenir. Je repousse la pitié débile, l a compassion suspecte, l a conspiration intéressée qui, sous le voile de la bonté humaine, compromettent
le
destin
d'un peuple. Je réclame justice.
ancêtres brésiliens qui ont créé notre patrie g r a n d e , au nom
de
toute
la
sensibilité
d e v a n t les horreurs de cette guerre, au laquelle nous aspirons et
au
et
la
Au
brésilienne
nom
de
la
nom
des
rêvèrent libre et qui
tressaille
beauté morale à
nom des générations qui viendront, je
proteste contre la possibilité d e l'invasion a l l e m a n d e au sol brésilien après la guerre. Incorporer à notre nationalité de pareils criminels et
23
DISCOURS DE M. GRAÇA ARANI-IA
mêler leur s a n g au sang de nos fils, permettre que l'âme ténébreuse poursuivie par la malédiction de l'humanité
vienne
se f o n d r e à la
généreuse âme brésilienne et, par une absurde conjonction, engendrer le Brésil de l'avenir... N o n ! J a m a i s ! ce serait le g r a n d crime, l'épouvantable injure f a i t e à nos descendants dont l e sort est confié à notre prévoyance ! N o u s sommes les g a r d i e n s de la race, les continuateurs de la tradition. P a r une tolérance pusillanime, ne laissons point commettre une trahison irréparable envers
les
destins infinis, dont nous
sommes la source passagère et éternelle.
NÉCESSITÉ Notre
DE
L'UNION
répulsion
AVEC
sera
la
LA
FRANCE
manifestation
de
la
vitalité
natio-
nale, elle sera un acte de prévision politique et la politique
d'un
peuple doit être l'expression de l'instinct national. L a nationalité du Brésil est dans ses origines
et
ses
traditions et non pas dans ses
acquisitions. Celles-ci sont l'élément fluctuant, indéfini et désordonné. C'est du passé que nous vient le trait permanent, le sentiment de la perpétuité qui nous emporte vers l'avenir. P a r la force de l'instinct préservateur de la vie intime du p a y s , la politique du Brésil doit être celle de ses affinités traditionnelles, de son intégration dans le monde moral auquel nous appartenons. L a guerre, encore une fois, nous révéla le sentiment exact de notre communion spirituelle avec la France. E l l e a tracé à la F r a n c e sa g r a n d e mission. P e n d a n t de longues années les peuples latino-américains, par le mirage de l'illusion continentale et par la nécessité de se d é f e n d r e , ont dû participer à un système politique qui les protégea de la tentative de convoitise européenne, qui d é j à se dessinait d a n s la politique allemande. L a guerre a montré combien nous sommes différents des N o r d - A m é r i c a i n s
et
aujourd'hui c'est avec la F r a n c e glorieusement affermie dans sa vraie situation internationale, c'est avec elle que les peuples de l'Amérique L a t i n e doivent s'entendre. L ' i l l u s i o n américaine est passée. Pénétrons les p r o f o n d e s réalités
de la race et
de
la
nation. L a F r a n c e , en
d é f e n d a n t la civilisation, s'est créé une immense responsabilité envers ce monde qui lui
doit
la
débiteur, et c'est pourquoi,
libération. L e bienfaiteur se croit encore en
pleine guerre, la France organise sa
politique cle l'avenir. L'Allemagne
a
démontré la force de l'organisation et de
la
méthode. L ' o r g a n i s a t i o n c'est la préparation pour un but déterminé. L'organisation
de
l'Allemagne
science, par son industrie, par
a été par son
sa philosophie,
commerce
par
sa
et par son art même,
2 4
I,A PREMIÈRE SEMAINE DE 1/AMÉRIQUE LATINE A LYON
par toutes les forces enfin de son esprit et de sa matière, la préparation d'un seul but, la guerre. A cette organisation, la France doit en opposer une autre, celle de l'emploi méthodique de toutes ses forces en vue de son splendide 'et bienfaisant essor, et étendre son inépuisable activité chez les autres nations où son prestige est immortel. L a nouvelle politique française appelant les nations de l'Amérique L a t i n e à une intime collaboration pour coordonner les efforts d'ordre positif, s'est inspirée du sentiment des affinités électives. Ainsi, la France est toujours l'éternelle France, mouvant le monde réel par la force mystérieuse et indomptable de l'Idéal. GRAÇA A R A N H A .
f
Trois siècles d'histoire Sud - Américaine
T
'histoire de l'Amérique du S u d constitue — des origines à l'heure
L
présente — une tragédie en cinq actes et un prologue qui finit
bien et dont l'apothéose terminale se prépare sous nos y e u x . L e prologue, c'est la civilisation précolombienne avec ses grandeurs, ses mystères et ses étrangetés: siècles incertains dont il est permis
d'espérer
que
l'archéologie
moderne
réussira
à
préciser
quelque peu la succession et les caractères. L e premier acte est celui de la découverte et de la conquête; acte b r e f , s'il en f u t ; les trente premières années du seizième
siècle
y
suffisent.
Puis
viennent
la
domination et l'exploitation espagnoles ; et sans doute il eût dû être f a i t de ces trois cents ans-là un u s a g e plus noble et plus fécond ; tout n'est pas dit cependant quand on a stigmatisé les crimes et dénoncé l'obscurantisme.
D e 1810 à 1826,
c'est
ensuite le g r a n d
effort
de
l'indépendance avec ses péripéties diverses, ses inquiétantes alternatives, tout le bouillonnement de forces qui s'ignorent p a r f o i s et s'opposent. L e quatrième acte est l o n g et d é c e v a n t ; il s'éclaire toutefois lorsqu'au lieu d'une succession de guerres civiles sans générosité et sans ampleur, on consent à y apercevoir la querelle presque ininterrompue de d e u x principes adverses se disputant le gouvernement du nouveau monde: le principe fédéraliste et le principe unitaire; l'un issu du sol même et rendu prestigieux par
l'exemple
encourageant
des E t a t s - U n i s , l'autre fortifié par les incessants apports de l'action européenne. L a victoire fédéraliste une fois affirmée, le acte commence. L e s collectivités
s'organisent
cinquième
et progressent
à
pas
rapides. L ' a v e n i r est maintenant d e v a n t eux, un avenir tel qu'aucune portion de l'univers n'en a j a m a i s contemplé de pareil, car nulle part ni à aucun moment il n'a été f a i t , dans les possibilités humaines, une telle part éventuelle à la p a i x , à l a richesse et à la liberté
I
CIVILISATION Laissant
PRÉCOLOMBIENNE complètement
de
côté
la
question
de
l'origine
des
populations indigènes du continent américain, question que la science
38
I,A
PREMIÈRE SEMAINE DE 1/AMÉRIQUE LATINE A LYON
actuelle ne permet guère d'aborder utilement et qui au surplus n'éclairerait point notre sujet, nous constaterons ce f a i t que la civilisation primitive s'est développée dans les régions occidentales, c'està-dire le long de l'océan Pacifique. C e l a est exact de l'Amérique du N o r d , demeurée très retardataire puisqu'elle était encore, à l'époque des v o y a g e s de Colomb, quasi-néolithique et que, dans le sud-ouest seulement, les Indiens commençaient à se servir de briques crues pour édifier leurs pueblos rudimentaires ; et cela est bien plus exact de l'Amérique du S u d où, en regard des peuplades barbares qui parcouraient les forêts brésiliennes ou les pampas argentines, florissaient sur les hauts plateaux des A n d e s de puissants empires fortement organisés et armés. Enfin dans l'Amérique centrale, tandis que les Aztèques et surtout les M a y a s avaient atteint une prospérité remarquable, les plus belles îles des A n t i l l e s , ces îles dont Colomb émerveillé écrivait qu' « on y voudrait vivre à jamais, car on n'y conçoit ni la douleur ni la mort », étaient aux mains d'hommes assez peu avancés intellectuellement et matériellement. D a n s l'échelonnage de tous ces peuples sur l'ossature continentale du nord au sud, nous distinguons nettement trois f o y e r s brillants : d'abord les Aztèques et les M a y a s au Mexique, puis les Chibchas a y a n t leur centre sur le plateau de B o g o t a , enfin l'empire des Incas qui englobait autour de Cuzco, sa capitale, les régions correspondant à peu près à l'Equateur, au Pérou et à la Bolivie modernes. Plus au sud, entre T u c u m a n et Mendoza, il y avait les D a g u i t e s et au nord, vers le H o n d u r a s et le N i c a r a g u a actuels, d'autres peup l a d e s qui, sans être parvenues au même degré de culture, tendaient à s'en approcher. L e s E t a t s aztèques, chibchas et péruviens se ressemblèrent en ceci que ce furent des E t a t s guerriers conduits le plus souvent par des conquérants et visant à l'agrandissement territorial obtenu par l a force. Politiquement ils furent assez dissemblables. A u Mexique, Tenochtitlan (la future Mexico), qui aurait été f o n d é e vers 1330, avait en face d'elle deux cités capables de lui disputer la préséance, C h a l c o et Tezcoco. E l l e abaissa la première et s'entendit avec la seconde. Ce f u t en somme une confédération de villes dominant d'abord les vallées voisines, puis g a g n a n t d'effort en effort jusqu'à soumettre presque tout le sol mexicain. L e s c h e f s de ces démocraties militaires se muèrent peu à peu en souverains sans pourtant que cette souveraineté revêtit le caractère théocratique de celle des Incas. Il semble que ce soient les Chibchas du plateau de B o g o t a qui aient les premiers conçu la monarchie divinisée et traité leur monarque, une fois consacré, comme un être d'essence supérieure. L a centralisation
TROIS
administrative
de
SIECLES D'HISTOIRE SUD-AMERICAINE
l'empire
inca
favorisa*
l'évolution
-/
progressive
d'une pareille i d é e ; on sait à quels excès elle f u t conduite. L e s civilisations indigènes précolombiennes reposèrent sur un extrarordinaire mélange de connaissances a p p r o f o n d i e s et d ignorances fondamentales. E l l e s furent, d'une façon generale, handicapées par deux défectuosités essentielles, l'une provenant de la nature et l'autre de l'homme. L a nature ne fournissait point d'animaux domesticables et notamment d'animaux de trait ni d'animaux laitiers L'homme, de son côté, ne sut pas découvrir la roue, cest-a-dire le principe même de toute mécanique efficace. Ainsi a-t-on pu dire que la mécanique américaine resta uniquement basée sur les mouvements alternatifs. L e s transports, en de pareilles conditions, étaient condamnés à demeurer embryonnaires. Mais, en dehors de ces caractéristiques d'ensemble, d'autres contradictions sont faites pour surprendre L e s connaissances astronomiques furent assez complétés pour permettre l'établissement d'un calendrier de trois cent soixantecinq jours f o r t exact et pourtant l'écriture, à peine existante au Mexique, demeura inconnue au Pérou. L a sculpture et la peinture des M a y a s excitent l'admiration, mais la voûte circulaire ne f u t pas trouvée. L'industrie des poteries présenta de réelles qualités dans l'exécution et la décoration sans qu'elle arrivât à employer le tour. L a métallurgie s'étendit à nombre de minerais: cuivre, zinc, argent, p l o m b ; le travail de l'or f u t intense; le bronze et le laiton étaient connus, mais le fer demeura rebelle; on ne sut pas le réduire et 1 utiliser. Enfin à côté d'une agriculture où l'irrigation et la fumure étaient savamment poussées, la navigation fluviale resta dans 1 enfance Ainsi gênés dans le développement de leurs conditions matérielles, ces peuples concentrèrent, dirait-on, leurs aspirations sur le perfectionnement et la complexité du système l é g i s l a t i f . Ils codifièrent le moindre détail de l a vie civile et de la loi morale, étiquetèrent et cataloguèrent l'individu, réglementèrent ses gestes et sa pensée. Néanmoins la stagnation là encore apparaît. L a persistance et l'abondance des sacrifices rituels s'accordent mal avec le ^respect témoigné d'autre part à la vie humaine et ne donnent point l'impression d'une évolution philosophique vers la lumière et la bonté. Bien souvent les chroniqueurs se sont demandé ce qu'il
fallait
penser des descriptions enthousiastes rapportées par les conquérants espagnols. T o u t porte à les croire non véridiques mais sincères. L e s séductions de la nature, l'aspect certainement prestigieux des grandes cités américaines et de l'ordre qui y régnait devaient émouvoir des hommes récemment
échappés
aux
angoisses et a u x privations
d'un
pénible et l o n g v o y a g e . Surtout le reflet de l'or transformait toutes
28
I,A
PREMIÈRE
SEMAINE DE 1/AMÉRIQUE LATINE A LYON
choses à leur y e u x . L ' o r était p a r t o u t ; il a f f o l a i t par sa seule présence les aventuriers qui s'étaient grisés par avance du désir
qu'ils
en avaient.
II DÉCOUVERTE
ET
CONQUÊTE
L'avant-dernière année du quinzième siècle, Christophe
Colomb,
qui depuis six ans avait découvert des îles ( B a h a m a s et
Antilles)
mais non point la terre ferme, reconnut, au cours de son
troisième
v o y a g e , l'embouchure de l'Orénoque. L e s e a u x du fleuve immense se projetaient à trois lieues en mer.
Colomb augura
la présence
d'un
vaste continent, mais il continua de penser qu'il s'agissait de l'extrétrémité orientale
de l'Asie.
Il devait mourir en 1506, sans
que ce continent n'était point l'Asie.
En
1513, seulement,
savoir Balboa
traverserait l'isthme de P a n a m a et, entrant tout armé dans les flots du Pacifique, en prendrait possession au nom du roi d ' E s p a g n e . D è s le I e r mai 1499, C a b r a i avait ainsi pris possession du Brésil pour la couronne de P o r t u g a l . Ces gestes n a ï f s expriment bien l'état d'âme des aventuriers venus à la suite de C o l o m b et qui, en 1' espace de quelques années,
avaient exploré
les côtes du Y u c a t a n , du H o n d u -
ras, de la Colombie, l'embouchure de l'Amazone, celle du R i o de la Plata,
pénétré
dans la baie de R i o
de Janeiro et allaient tourner
la P a t a g o n i e par le détroit de M a g e l l a n et bientôt remonter le l o n g des côtes chiliennes. La
conquête
'
f u t menée,
comme
la découverte,
avec
la plus
vigoureuse rapidité. Ici l'effort et ses résultats tiennent véritablement du prodige. E n 1518, F e r n a n d Cortez, qui avait aidé à réduire C u b a , s'était embarqué pour le Mexique récemment découvert. Il emmenait 600 à 700 E s p a g n o l s , 18 c h e v a u x , 14 pièces de canon. T r o i s ans plus tard,
l'empire
de
Montézuma
lui
était
soumis.
De
pareils
faits
devaient enfiévrer les imaginations. U n pacte étrange et f o r m i d a b l e se noua entre trois hommes ; F r a n ç o i s Pizarre, ceaux, D i e g o d ' A l m a g r o ,
ex-gardeur de pour-
e n f a n t trouvé qui portait le nom
de
son
v i l l a g e , le dominicain F e r n a n d de L u q u e , maître d'école à P a n a m a , décidèrent
de
faire à eux
trois la conquête
auquel ils s'attaquaient semblait
à l'apogée
du de
Pérou. sa
L'empire
puissance;
ses
sujets se dénombraient par millions. L e s E s p a g n o l s avaient environ 170 fantassins et 67 c a v a l i e r s ; ce nombre f u t de renforts. L e 15 novembre
doublé par
l'arrivée
1533, Pizarre entrait dans Cuzco les
mains, hélas ! d é j à souillées par de nombreux .crimes. D i x - h u i t mois
-/ TROIS SIECLES D'HISTOIRE
SUD-AMERICAINE
plus t a r d , le 6 janvier 1535. était f o n d é e la ville de L i m a , cepend a n t que bien loin de l à , de l'autre côté du continent gigantesque, Mendoza
campait
sur
le
site de
Buenos-Ayres. L e s
explorations
audacieuses se mêlent à ces f o n d a t i o n s de cités. Benalcazar G u a y a q u i l et traverse la Colombie (1).
Q u e s a d a remonte le
fonde Mag-
d a l e n a et franchit les A n d e s . L e N a p o et l ' A m a z o n e , l'Orénoque jusqu'au Méat, le H a u t Pérou jusqu'au G r a n C h a c o sont explorés. V o i c i encore les f o n d a t i o n s d ' A s s o m p t i o n , de B o g o t a (1538), dé L a P a z , d e S a n t i a g o de C h i l i (1541) et bientôt de Caracas et de R i o de Janeiro. Prenez une carte et situez tous ces points. A v e z - v o u s j a m a i s conçu quelque chose d'aussi merveilleux? Il y a trente
ans
à peine
que
Pizarre a pris pied sur le sol péruvien; il n'y a pas cinquante ans que l'existence de ces régions est révélée a u x E u r o p é e n s ; or des d i x capitales d ' E t a t s sud-américains dont nos e n f a n t s apprennent aujourd'hui les noms, il en existe d é j à n e u f : et non point toutes
posées
facilement au bord de la mer sur des ports naturels, mais à mille kilomètres dans l'intérieur comme A s s o m p t i o n ou bien à quatre mille mètres d'altitude comme L a P a z . D e s monts, des fleuves, des forêts de dimensions terrifiantes ont commencé de livrer leurs secrets,
des
espaces
tra-
dans
lesquels
s'enfermeraient
deux
Europes
ont été
versés. E t comment ne pas évoquer, sans que cet h o m m a g e rendu aux explorateurs d'antan diminue le mérite des explorateurs
modernes,
ce sergent L a h a y e qui parti de l a G u y a n e e x p l o r a le H a u t Y a r i et découvrit
cent
cinquante ans
avant
Crevaux
la
chute à
laquelle
celui-ci devait parvenir après tant d'efforts et qu'il n o m m a : chute du désespoir.
1 DOMINATION Dès
III
ET EXPLOITATION
1550 s'installait à L i m a
ESPAGNOLES le premier vice-roi e s p a g n o l .
Le
pouvoir qui s'inaugurait ainsi allait durer plus de d e u x siècles, mais sa juridiction devait plus t a r d se restreindre. A partir de 1718, il y aurait une vice-royauté
distincte pour la N o u v e l l e - G r e n a d e
troisième en 1776, pour
les territoires de la P l a t a .
se divisait en quelques
« capitaineries
générales
régions immenses administrées et commandées par
La
et
», c'est-à-dire des
une
vice-royauté «
en
capitaines
généraux » qui cumulaient entre leurs mains des pouvoirs multiples
(1) O n l ' a p p e l a i t a l o r s N o u v e l l e - G r e n a d e .
30
I,A
PREMIÈRE SEMAINE DE 1/AMÉRIQUE LATINE A LYON
et despotiques. Enfin dans chaque district résidait un fonctionnaire r o y a l qui portait le titre de « protecteur des Indiens » et surveillait les groupements formés par ceux-ci et à la tête desquels étaient restés des caciques le plus souvent hériditaires. Ce titre de protecteur des Indiens n'était point une ironie. Il répondait aux intentions persistantes de la métropole. Ce sont les récits des cruautés de Colomb envers les indigènes qui lui aliénèrent les sympathies de sa protectrice Isabelle. L e s instructions données à ceux qui lui succédèrent témoignaient du désir de mettre les nouveaux sujets de la couronne à l'abri des exactions. U n e série de lois ordonnèrent de les laisser libres de cultiver leurs terres, d'en disposer à leur gré, d'élire leurs magistrats ; il f u t interdit de leur vendre des armes ou des spiritueux, de les employer au portage avant dix-huit ans, de les laisser engager leur travail pour plus d'une année, etc... L e s rois d ' E s p a g n e ne cessèrent d'édicter des mesures préservatrices. Ces mesures, est-il dit au tome V I I I de Y Histoire générale (Lavisse et R a m b a u d ) , « eussent été un immense bienfait pour les Indiens si elles avaient pu être appliquées ; mais elles ne pouvaient l'être à une si g r a n d e distance de l'autorité cntrale et par des hommes qu'animait un furieux désir dt s'enrichir ». Ce « furieux désir de s'enrichir » par malheur était surexcité par les besoins mêmes de la mère patrie. L ' E s p a g n e se trouvait trop pauvre infiniment pour la tâche entreprise par ses fils. E l l e avait prétendu d'abord y faire face par le commerce. D è s 1495, à la demande des frères Pinçon et des autres navigateurs, le gouvernement royal s'était vu obligé d'annuler le monopole concédé à C o l o m b ; licence avait été donnée à tout E s p a g n o l de commercer. F e r d i n a n d chargea un chanoine de Séville, J . - R . de Fonseca, des relations économiques avec le nouveau monde. T e l l e f u t l'origine de la fameuse C a s a de Séville, sorte de- chambre de commerce des Indes que Fonseca dirigea pendant trente ans avec zèle et esprit de devoir. Sous le règne l o n g et coûteux de Charles-Quint, un effort considérable f u t tenté dans le sens du monopole. N o n seulement les produits du nouveau monde devaient passer par l ' E s p a g n e pour s'écouler en E u r o p e , mais l ' E s p a g n e prétendait suffire aux demandes croissantes de ses colonies. E n 1555, il y eut à Séville 16.000 métiers en activité et 130.000 ouvriers au travail: chiffres f a b u l e u x pour l'époque. C e l a ne dura guère. Sous Philippe I I I le nombre des métiers était tombé à 400 et, comme on se cramponnait au mauvais principe du monopole, il f a l l a i t acheter à la France, aux P a y s - B a s , à l'Angleterre, à l'Italie ce qu'on voulait revendre aux Américains. L'échec de pareilles tentatives était f a i t pour rendre plus âpre que jamais la poursuite des richesses directement extraites du sol du
TROIS SIÈCLES D'HISTOIRE SUD-AMÉRICAINE
31
n o u v e a u m o n d e . A u x mines exploitées p a r les Incas et d o n t l'exploitation a v a i t été poursuivie p a r les E s p a g n o l s , s ' a j o u t a i e n t celles qu'on a v a i t récemment découvertes. D a n s ces mines, qui t r a v a i l l e r a i t ? T o u t e l a question g i s a i t là. L ' I n d i e n p a s p l u s que l ' E s p a g n o l n ' a i m a i t le travail
manuel
contraindre:
et surtout
il y
périt.
un t r a v a i l
Dès
aussi
dur.
1505, on commença
On
voulut
l'y
d'introduire
des
esclaves noirs importés d ' A f r i q u e sans pour cela renoncer à e m p l o y e r de f o r c e l a main-d'œuvre i n d i g è n e . C e t état de choses s'empira de d e u x f a ç o n s ; d ' a b o r d par l a surabondance
du
personnel ecclésiastique.
Les
Indiens
étaient aisés à
c o n v e r t i r ; il n'v aurait p a s eu besoin de b e a u c o u p de convertisseurs; il en vint indéfiniment. E n 1644, six m i l l e ecclésiastiques sans bénéfices f o r m a i e n t une sorte de prolétariat clérical. E n 1649 on c o m p t a i t 38
archevêques
et
évêques
et
840
couvents
pourvus
de
grandes
richesses. L e b a s clergé, d é p r a v é , oppresseur des Indiens!, é c h a p p a i t au h a u t clergé, généralement respectable mais intolérant et assoupi tout à l a f o i s . U n e seconde cause de déchéance provenait de l'aristocratie ploutocrate qui s'était r a p i d e m e n t f o r m é e . E n e f f e t , m a l g r é ses e f f o r t s pour drainer à elle les ressources de son vaste d o m a i n e transatlantique, l ' E s p a g n e n'y p a r v e n a i t que de f a ç o n relative. O n a calculé que, d a n s la seconde partie du dix-huitième siècle, les mines du nouveau monde
produisaient annuellement
environ
180 m i l l i o n s de
l i v r e s ; le roi n'en touchait que le cinquième, la moitié au moins de cette dernière somme restait en A m é r i q u e pour couvrir les f r a i s l ' a d m i n i s t r a t i o n r o y a l e . L ' E s p a g n e recevait en fin d e compte
de
de ce
chef à peu près 18 m i l l i o n s de l i v r e s ; les i m p ô t s lui en r a p p o r t a i e n t 10 à 12, soit un t o t a l de 30 millions. L e s véritables richesses, c'est en A m é r i q u e qu'elles s'accumulaient et entre les mains de p r i v i l é g i é s peu n o m b r e u x , lesquels n'avaient aucun intérêt à voir augmenter la production autour d ' e u x , si d'autres qu'eux-mêmes en d e v a i e n t bénéficier. L e s convois réguliers
qui
une
f o i s l'an f a i s a i e n t
le service
entre
C a d i x (1) et l ' A m é r i q u e n'y transportaient p a s p l u s d e 27.000 tonnes de marchandises. U n protectionnisme outrancier, qui interdisait toute initiative industrielle et a l l a j u s q u ' à proscrire l a culture de la v i g n e et de l'olivier pour éviter l a concurrence a u x vins et a u x huiles d ' E s pagne,
empêchait ainsi l'enrichissement
des classes
moyennes
sans
atteindre les possesseurs de vastes d o m a i n e s . P o u r l a même raison, ces derniers maintenaient
j a l o u s e m e n t les institutions
abusives
leur fournissaient à bon c o m p t e l a main-d'œuvre i n d i g è n e . E n des fonctionnaires éclairés et h u m a i n s étaient-ils
qui vain
intervenus dès
le
(I) Cadix succéda en-1720 à Séville c o m m e c e n t r e d e s a f f a i r e s t r a n s a t l a n t i q u e s .
32
I,APREMIÈRE SEMAINE DE 1/AMÉRIQUE LATINE A LYON
d é b u t ; la couronne s'était toujours laissé forcer la main. L ' u n d'eux, L a s Casas, n'avait-il pas à d e u x reprises, en 1523 et 1542, obtenu du roi l'annulation du repartimiento
qui créait une véritable servitude
indigène et dont deux fois les pétitions pressantes venues du N o u v e a u M o n d e avaient provoqué le rétablissement? T e l l e était encore aux approches du dix-neuvième siècle l ' A m é rique espagnole. L e sort de l'Amérique portugaise avait été un peu différent. L e s « capitaineries » instituées dès 1504 au Brésil ne constituaient point des délégations régulières du pouvoir
métropolitain.
C'étaient plutôt des sortes de fiefs seigneuriaux
furent par
qui
la
suitfe repris ou rachetés les uns après les autres. Ce régime avait tout de suite engendré une réelle anarchie. Jean I I I , pour y terme, e n v o y a un gouverneur général, lequel Jésuites. Ceux-ci commencèrent que
aussitôt leur œuvre
n'interrompit point le passage
théorique du
Brésil
amena
momentané
sous la domination
f u t principalement dans la région de
et
mettre un
à sa suite les d'évangélisation d'ailleurs
assez
espagnole (1580-1640). Ce
Sâo-Paulo
que cet
apostolat
s'exerça et tout au profit des Indiens. L a colère des colons en
fut
extrême. L e s « Paulistes » surtout, ces aventuriers téméraires fils de blancs et d'Indiennes
qui
organisaient
de
véritables
« battues »
annuelles pour s'emparer des indigènes, les réduire en e s c l a v a g e et les vendre, prirent les armes pour chasser les adversaires inattendus de leur criminel commerce. L e s Jésuites fondèrent en 1609, sur la rive droite du P a r a n a , leurs « réductions », fameuses collectivités théocratiques
et communistes
familles
réparties
en
qui
comprirent
trente-deux
encore, ils allèrent jusqu'à
jusqu'à
bourgades.
quarante
Poussant
mille
plus
loin
C o r d o b a où ils créèrent une université
prospère. A p r è s leur expulsion du Brésil, le ministre P o m b a l tenta d'émanciper légalement l'indigène, mais sans parvenir
à rallier
les
colons à ce libéralisme encore prématuré.
IV
L'EFFORT
DE
L'INDÉPENDANCE
D è s la fin du dix-huitième siècle, dans ces domaines seize fois g r a n d s comme elle que l ' E s p a g n e possédait au N o u v e a u Monde, on sentait se manifester une certaine effervescence, mais sans but précis et sans p l a n défini. E n 1780, une révolte indienne avait été fomentée par le fils d'un cacique élevé à Cuzco, où il s'était familiarisé avec la culture
européenne. L a
rébellion, à laquelle
ce chef
d'associer les créoles, s'était trouvée vite domptée.
avait
refusé
M a l g r é les pré-
TROIS SIÈCLES D'HISTOIRE -SUD-AMÉRICAINE
cautions prises, les nouvelles de France ne tardèrent pas à semer l'agitation. Aussi bien la France comptait-elle beaucoup d'amis en ces p a y s . Non seulement elle s'était établie à Cayenne et avait tenté l a première de coloniser la baie de Rio, mais, des 1667, les bâtiments français avaient commencé de pénétrer dans le Pacifique ; les v o y a g e s de l'astronome botaniste Feuillée (1699-1707), de l'ingénieur Frézier ( 1 7 1 1 ) , du breton L e Gentil ( 1 7 1 5 ) au Chili et au Pérou, des explorateurs Degennes et Beauchesne-Gouin dans l'archipel de C-hiloé et en P a t a g o n i e , la mission envoyée en 1736 à Quito par l'Académie des sciences de Paris pour mesurer un degré de méridien, plus récemment les séjours du naturaliste B o m p l a n d , compagnon de H u m b o l d t dans sa tournée de cinq années à travers le S u d Amérique, tout cela facilitait la diffusion des idées françaises. L e s aspirations de tant de peuples opprimés devaient se tourner vers la France. O n imprima en secret à B o g o t a la Déclaration des Droits de l'homme. H u m b o l d t cohte que les autorités redoublèrent de rigueur despotique, qu'on prohiba les imprimeries dans les villes et que le f a i t de lire Montesquieu ou Rousseau passa pour un crime. Cette politique et plus encore la difficulté des communications intercoloniales et l'absence de c h e f s déterminés retardèrent la révolution. Ce furent les événements d ' E s p a g n e qui en décidèrent. L a nouvelle que la vieille dynastie était renversée au profit d'un Bonaparte f r a p p a de stupeur les fonctionnaires et encouragea les libéraux. T a n d i s que le curé H i d a l g o soulevait le Mexique, des insurrections éclatèrent à L a P a z au mois de mai et à Quito le 2 août 1809; elles furent réprimées, mais sur d'autres points le mouvement s'affirma violemment. L e 19 avril 1810, la junte municipale de Caracas se saisit du pouvoir, tandis qu'à Buenos-Ayres délibérait une assemblée de 600 notables et que la révolution reprenait à Quito et g a g n a i t toute la Nouvelle-Grenade. E n juillet de la même année le Chili se souleva. L i m a restait le centre de la résistance monarchique et cette résistance était puissante. L ' a n née 1811 vit naître deux républiques, celle du P a r a g u a y , que constitua le dictateur Francia et qui allait se développer solitairement de si étrange façon, et celle du Venezuela proclamée à Caracas le 5 juillet et qu'un retour offensif du royalisme allait détruire presque aussitôt. C'est à ce moment que se dessine la noble.et vaillante, mais p a r f o i s un peu déconcertante figure de Simon Bolivar. N é à Caracas en 1783, élevé à M a d r i d par les soins de son oncle le marquis de Palacios, B o l i v a r avait épousé à dix-huit ans sa cousine, fille du marquis del T o r o . L a douleur d'un v e u v a g e prématuré, de fructueux v o y a g e s en E u r o p e et aux E t a t s - U n i s mûrirent rapidement l'âme de ce jeune gentilhomme qui semblait promis à une existence facile. O n dit qu'à Rome sur le mont Sacré, il fit le serment de se vouer à 2
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I,A PREMIÈRE SEMAINE DE 1/AMÉRIQUE LATINE A LYON
l'émancipation de sa patrie. L e serment f u t tenu avec une persévérance admirable. Car au début de cette retentissante aventure, les échecs ne manquèrent pas: échec diplomatique en Angleterre où Bolivar avait espéré obtenir des secours armés; échec militaire en A m é rique où le Libérateur rentré vainqueur dans Caracas en août 1813 se le vit de nouveau enlever l'année suivante. Cette date de 1814 semblait devoir marquer la fin des espoirs autonomistes. L e parti de l'indépendance, a f f a i b l i par la restauration de F e r d i n a n d V I I sur le trône métropolitain, aussi bien que par la désunion des créoles, l'indifférente inaction des Indiens et les difficultés de combiner les forces entre des groupements séparés par d'énormes distances, venait de reperdre toutes ses conquêtes. L e Mexique, qu'on avait cru définitivement émancipé, était lui-même retombé sous le j o u g . Il ne restait que la province de Buenos-Ayres dont les troupes venaient même de s'emparer de Montevideo, mais des divisions intestines y faisaient le jeu des royalistes. O r en peu de temps la fortune tourna. Bolivar, qui jamais ne f u t plus g r a n d que dans cette occurrence, demeurait indomptable. Chassé de Carthagène, sa dernière forteresse, il put à la Jamaïque, avec la tolérance anglaise, préparer une nouvelle expédition. E t ce f u t cette fois par l'Orénoque qu'il pénétra dans sa patrie. D ' A n g o s tura, devenue à la fois quartier général et siège de gouvernement, il tint la campagne avec une sombre énergie. L e s llaneros, ces bouviers de la pampa, cavaliers incomparables et combattants farouches d'abord enrôlés par les royalistes, leur avaient récemment faussé compagnie et se rangeaient maintenant sous les drapeaux du Libérateur. D'autre part, le Congrès de T u c u m a n , le 9 juillet 1816, avait proclamé l'indépendance des provinces unies du R i o de la P l a t a . Ainsi l'aurore de la liberté s'annonçait derechef. D e u x faits se passèrent alors, qu'aucun manuel d'histoire ne devrait ignorer parce qu'ils furent aussi grands par la conception que par l'exécution et par le risque que par le résultat. E n janvier 1817, avec une audace magnifique, le général S a n Martin, parti de Mendoza à la tête de quelque 3.500 hommes, franchit les A n d e s par le col d ' U s p a l a t a (haut de près de 4.000 mètres), descendit vers le Pacifique et, a y a n t d é f a i t les royalistes, entra à S a n t i a g o et assura l'indépendance du Chili, qui f u t proclamée le IER janvier 1818. Dix-huit mois plus tard, Bolivar, après avoir consolidé sa situation, se dirigea à son tour à marches forcées d ' A n g o s t u r a vers la Nouvelle-Grenade et, a y a n t accompli en pleine saison des pluies la traversée terrible des A n d e s , s'empara de B o g o t a le 10 août 1819. Peu après le Venezuela et la Nouvelle-Grenade étaient déclarés unis sous le nom de République de Colombie.
TROIS SIECLES D'HISTOIRE
SUD-AMERICAINE
-/
Il ne restait plus à conquérir que le Pérou proprement dit. A I ima, le vice-roi et ses soldats résistaient encore. Ils espéraient des renforts envoyés par la métropole. Mais les vingt mille hommes réunis à cet effet par F e r d i n a n d V I I tournèrent leurs armes contre ce prince maladroit et impopulaire. A u lieu de s'embarquer pour l'Amérique, ils marchèrent sur M a d r i d (1820). San Martin, aidé par l'amiral anglais Cochrane, passé au service du Chili, s'empara de L i m a le 28 juillet 1821. Cette même année, Bolivar réoccupa Caracas et Carthagène et le congrès de Cucuta dota la république de Colombie d'une constitution. E n 1822 le gouvernement des E t a t s - U n i s reconnut le gouvernement colombien, qui signa d'autre part des traités avec le Chili, le Pérou, le Mexique et la P l a t a . E t ce f u t la fin. L e 6 décembre 1824, le général Sucre, lieutenant de Bolivar, mit en déroute dans la plaine d ' A y a c u c h o , entre Cuzco et L i m a , la dernière armée espagnole. L ' E s p a g n e trouvait son W a t e r l o o en ces lieux où, trois siècles plus tôt, s'était abattu sous ses coups l'empire des Incas. Pendant cette période comme pendant la précédente, l'Amérique portugaise avait eu des destins différents de ceux de l'Amérique espagnole. L a maison de Bragance f u y a n t devant l'ouragan napoléonien avait débarqué au Brésil en 1808 et, de ce fait, le Brésil était devenu un royaume indépendant, situation consacrée officiellement en 1815. Il avait bien f a l l u se décider alors à supprimer les entraves de tout genre qui empêchaient le p a y s de se développer matériellement et intellectuellement, ouvrir les ports, permettre les défrichements, les industries, les spéculations. Jamais ne f u t plus apparente la vertu créatrice de la liberté. E n d i x ans, la population s'accrut d'un tiers et les revenus doublèrent. L e roi Jean V I étendit même son domaine d é j à si considérable en s'emparant de Montevideo. Mais la révolution qui, en 1820, éclata à Lisbonne et à Oporto — contre-coup de celle d ' E s p a g n e — le rappela en Europe. C'était un prince « ignorant, pusillanime et borné ». L e s Brésiliens ne le regrettèrent pas. Il leur laissait pour régent son fils dom P e d r o et celui-ci, comprenant fort bien que la couronne du Brésil valait mieux que celle du P o r t u g a l et qu'entre les deux il f a u d r a i t bien choisir, prit la tête du parti de l'indépendance. L ' A s s e m b l é e constituante qu'il avait convoquée le proclama empereur du Brésil le 12 octobre 1822.
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I,A PREMIÈRE SEMAINE DE 1/AMÉRIQUE LATINE A LYON
V
VERS LA VICTOIRE
FÉDÉRALISTE
A u moment où, par la capitulation du port péruvien du C a l l a o , le dernier s o l d a t espagnol vient de quitter le sol américain, donnons un coup d'œil à l'ensemble de ce vaste continent qui v a
désormais
vivre de sa vie propre et ne devra plus, selon la théorie énoncée par le président des E t a t s - U n i s Monroë (1823), servir de terrain de colonisation à aucune puissance européenne. Il est séparé de l'Amérique anglaise
par
un Mexique
désormais
indépendant.
Un
aventurier,
Iturbide, après avoir écrasé au profit du roi d ' E s p a g n e la cause de la liberté, s'est lui-même proclamé empereur, mais ses sujets qui ne veulent pas de lui l'ont bientôt renversé. L e IER janvier
1825 a été
inaugurée une république fédérative établie sur le modèle de celle des
Etats-Unis. Vient
ensuite
l'ancienne
capitainerie
générale
de
G u a t e m a l a qui a suivi d'abord les destins du Mexique, puis est devenue la république des Provinces-Unies
de l'Amérique
centrale.. Ces
« provinces » sont le G u a t e m a l a , Costa R i c a , le N i c a r a g u a , le H o n duras et S a n S a l v a d o r . L e u r constitution est encore plus
démocra-
tique que celle des E t a t s - U n i s . A u x environs de l'isthme panamique
commencent les domaines
de B o l i v a r . D e p u i s 1819,- le V e n e z u e l a et la N o u v e l l e - G r e n a d e
for-
ment la république de C o l o m b i e ; il en est le chef. E n outre, le 20 février 1824, le Pérou l'a nommé dictateur et, depuis le 31 octobre érigées
en
république de B o l i v i e par le général Sucre qui les a émancipées.
1825, il est aussi le maître
des régions du Haut-Pérou
Le
Chili s'organise tout le l o n g du Pacifique. Sur la côte de l ' A t l a n t i q u e se tiennent les G u y a n e s (dernières
possessions
des puissances
euro-
péennes), le vaste empire brésilien, enfin la république de la P i a t a avec,
entre
eux, l ' U r u g u a y
o b j e t des convoitises
réciproques.
I.e
P a r a g u a y demeure au centre, muré dans son isolement volontaire. L a population totale n'était, au moment où éclata la guerre de l'Indépendance, que de 6 millions à peine, répartis comme suit: 1.200.000 en Colombie,
autant au Pérou,
900.000 au V e n e z u e l a , à
peu
près
autant au C h i l i et à la P i a t a . . . Sur l'ensemble, un septième d ' E s p a gnols,
trois septièmes
races mélangées. L e s
d'Indiens,
trois septièmes de créoles
créoles sont « v i f s ,
turbulents,
et
de
brouillons » ;
les Indiens « mornes et apathiques » ; ni les uns ni les autres n'ont appris à aimer le travail manuel. L'instruction est plus que retardée. L ' e s c l a v a g e , du moins pour les e n f a n t s à naître, n'existe plus guère qu'au Brésil et c'est un a v a n t a g e sensible qu'a l'Amérique espagnole sur
TROIS SIECLES D'HISTOIRE SUD-AMERICAINE
-/
l'Amérique anglaise. Sur d'autres points, la première se trouve désavantagée par rapport à la seconde. B o l i v a r avait pris goût à la dictature. L e « code bolivien » — constitution rédigée par lui et à laquelle il rêvait de g a g n e r la totalité de l'Amérique espagnole — en f a i t f o i . Il s'était persuadé que ce régime absolutiste était la préface indispensable et la garantie de l a liberté. U n congrès convoqué à P a n a m a en vue de cimenter l'unité échoua piteusement. N i le Chili, ni la République Argentine, ni le Brésil n'y voulurent participer et le rêve des E t a t s - U n i s du S u d s'évanouit. Puis le Pérou échappa à Bolivar et ensuite la Bolivie. L e Venezuela enfin se sépara de la Colombie et Quito devint le centre d'un nouvel E t a t , l'Equateur. B o l i v a r avait eu le tort de risquer la violence et l'illégalité pour retenir l'autorité qui lui échappait. L a fin de sa carrière risquait ainsi de ternir l'éclat de l'épopée intitiale. Il mourut en 1830, ne s'étant point résigné à l'avortement de son œuvre politique. Partout sévissait intense la querelle entre les unitaires et les fédéralistes. Cette longue crise de croissance des E t a t s sud-américains n'est pas de celles qu'on puisse tenter d'analyser en quelques lignes. U n tel résumé n'aurait ni relief ni couleur. Ce furent, comme il est indiqué plus haut, des alternances perpétuelles des deux principes. L a constitution fédérale de Colombie établie en 1863, celle du Venezuela qui date de 1864 eurent à subir des retours o f f e n s i f s de la politique unitaire. Il en avait été de même au Chili en 1828 et en 1833. T o u tefois la victoire fédéraliste ne pouvait faire de doute. Il devenait visible, vers la fin du dix-neuvième siècle, que le continent tout entier était promis à cette forme de gouvernement dont le rudiment exista chez les plus avancées des tribus indemnes du N o r d et à laquelle l'adhésion de la république des E t a t s - U n i s apporta de bonne heure une force irrésistible. E n 1889, les E t a t s - U n i s du Brésil, en se substituant à l'empire de dom Pedro II, décidèrent de l'orientation définitive. A la P l a t a , la question se compliquait du f a i t qu'une des provinces, celle de Buenos-Ayres, était trop en avance des autres, trop forte par rapport à elles, et qu'ainsi on arrivait difficilement à la faire s'encastrer dans une organisation fédérale. V e r s le milieu du dix-neuvième siècle, Buenos-Ayres vécut plusieurs années pratiquement séparé du reste de l'Argentine et, quarante ans plus tard, la lutte de « la capitale contre les provinces » sembla devoir se réveiller encore une fois. L a p a i x ne s'établit pas plus aisément que la liberté. Que de guerres en moins de soixante-dix ans ! L ' E q u a t e u r commença par disputer à la Colombie les provinces de P a p a y a n , de Buenavcntura et
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LA PREMIÈRE SEMAINE DE i/AMÉRIQUE LATINE A LYON
de Pasto qui favorisaient grandement par leur situation le commerce du Pacifique, et dans cette lutte l'assaillant échoua; les provinces demeurèrent colombiennes. E n 1827, la guerre sévissait entre le Brésil et la P l a t a pour la possession de l ' U r u g u a y : guerre qui du moins se termina de façon raisonnable, puisque les deux gouvernements s'accordèrent pour renoncer enfin à leurs ambitions inconciliables et pour reconnaître l'indépendance de l ' U r u g u a y . Puis vinrent les guerres suscitées par le dictateur argentin Rosas qui, non content d'attaquer ses voisins, bravait les puissances européennes et vit plusieurs fois les flottes française et anglaise bloquer les côtes de son pays. Ce despote finit par ameuter contre lui les gouvernements du Brésil, du P a r a g u a y et de l ' U r u g u a y et une « armée libératrice » livra bataille à ses troupes, lesquelles furent défaites à Monte Caseros le 3 février 1852. A l'ouest, de nouveau, Equatoriens et Colombiens en vinrent aux mains en 1863 ; les seconds prenaient les armes pour abattre, disaient-ils, le régime théocratique auquel Garcia Moreno avait soumis les premiers, mais avec la secrète ambition de rétablir sur les trois provinces dont se composait la république de l'Equateur la domination colombienne qui avait existé j a d i s . L ' E s p a g n e avait fini très tardivement par reconnaître diplomatiquement certains des E t a t s indépendants issus d'elle, mais elle l'avait f a i t de mauvaise grâce et, de même qu'en 1812 l'Angleterre était revenue à la charge contre les E t a t s - U n i s , en 1864 les E s p a g n o l s tentèrent de reprendre pied sur la côte du Pacifique. Leur agression injustifiée contre le Pérou ne suscita pas seulement un blâme presque unanime en Europe, elle souda ensemble les républiques menacées ; le Chili, plus fort, se jeta vigoureusement dans la lutte. Ce f u t pour la jeune marine chilienne l'occasion de succès que ne compensa pas le bombardement destructif de V a l p a r a í s o par la flotte ennemie; l'Espagne dut se retirer et céder. Survint alors la déplorable guerre du P a r a g u a y (1864-1870). D e 1814 à 1840 Francia, ce despote voltairien qui avait essayé de reprendre l'œuvre des Jésuites, s'était maintenu par la crainte qu'il inspirait et par les sombres barrières dans lesquelles il tenait ses concitoyens c a p t i f s et privés de toutes communications avec le dehors. Mais les deux L o p e z , le père et le fils, qui « régnaient » au P a r a g u a y depuis la mort de Francia, avaient d'abord entr'ouvert — et puis ouvert tout à f a i t — le P a r a g u a y au commerce et au progrès. L e premier L o p e z , après v i n g t et un ans de gouvernement (18411862), laissait la République en état de prospérité. Son fils commençait à développer cette prospérité quand les querelles de frontières qui se multipliaient entre le P a r a g u a y et ses puissants voisins tendirent à l'extrême une situation depuis longtemps menaçante.
TROIS SIECLES D'HISTOIRE
L o p e z eut le tort
-/
SUD-AMERICAINE
d'entamer les hostilités, les j u g e a n t
fatales.
Le
Brésil et l'Argentine, auxquels se j o i g n i t l ' U r u g u a y , apportèrent tout leur effort dans cette lutte de six années pendant laquelle le président et le peuple du P a r a g u a y firent preuve d'une i n d o m p t a b l e énergie et qui se termina par la mort de L o p e z sur le champ de b a t a i l l e et la prise
d'Assomption.
De
i.337.000 habitants
la
population
de ce
malheureux p a y s avait décru en 1873 jusqu'au chiffre de 221.OOO. U n e autre g r a n d e guerre, dite « guerre du Pacifique », a ensang l a n t é de 1879 à 1884 des régions différentes. L e s gisements de salpêtre dont le Chili convoitait la pleine possession et dont il partag e a i t les revenus douaniers avec la Bolivie excitaient par ailleurs les convoitises du Pérou alors en pleine déconfiture
financière.
L a Boli-
vie, conseillée par le Pérou, dénonça la convention qui la liait au C h i l i au sujet du territoire mitoyen. L e C h i l i , qui ne redoutait point la bataille, la provoqua. D è s le début ses troupes occupèrent le littoral bolivien, tandis que ses navires parvenaient à dominer sur mer. E n j u i n 1880, tout le Pérou méridional était occupé. A u commencement de janvier 1883, L i m a f u t p r i s e . T o u t e f o i s ce ne f u t qu'un an plus t a r d que la p a i x f u t signée; la Bolivie perdait l'accès à la mer et le Pérou cédait des territoires riches en salpêtre et en guano. Chose étrange, une guerre civile s'ensuivit parmi les vainqueurs. Ce sont les guerres entre E t a t s que nous venons de reviser rapidement. E s t - i l besoin de rappeler qu'entre citoyens d'un même E t a t , il . y a eu aussi des guerres longues et acharnées? A u Venezuela et dans l'Uruguay,
les « blancos
» et les « colorados
» se sont
entre-
tués. E n Colombie, dans la R é p u b l i q u e A r g e n t i n e , on en est maintes f o i s venu aux mains pour des idées ou pour des personnes. L a série des pronunciamentos péruviens et boliviens est indéfinie...
VI ORGANISATION,
PROGRÈS,
AVENIR
Q u a n d donc et comment ce régime a-t-il pris fin? A quel moment précis le cinquième acte â-t-il succédé au quatrième?... O n serait en peine de le dire. C e l a s'est
f a i t peu
à
peu.
Des
présidents
achevé tranquillement leur m a n d a t et la transmission des
ont
pouvoirs
s'est accomplie "régulièrement sans qu'on ait souvent pris la peine de noter
ce changement
dans
les
mœurs.
Des
différends
qui
jadis
eussent provoqué la guerre, comme celui du Chili et de l ' A r g e n t i n e en P a t a g o n i e , se sont réglés par des ententes. D a n s les esprits comme sur le sol, la culture s'est étendue, féconde et pacifiante. E t le vieux
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I,A
PREMIÈRE SEMAINE DE 1/AMÉRIQUE LATINE A LYON
monde surpris a constaté un beau jour en face de lui la présence de collectivités pleines de sève, auréolées d'avenir, sorties triomphantes des crises de la formation virile et prêtes à collaborer avec lui au progrès général. Sans doute des rechutes, des accidents sont possibles. L e V e n e zuela d'après Guzman B l a n c o a déçu bien des espoirs; le Mexique d'après Porfirio D i a z , plus encore. Mais la courbe d'ensemble n'en est pas moins inscrite sur l'horizon de façon indubitablement ascendante. E t u d i o n s , nous autres gens aux longs passés, étudions désormais cette jeune histoire. E l l e est belle et humaine; elle est pleine d'héroïsme et de noblesse. P e n d a n t longtemps de vulgaires, de faciles ironies nous l'ont dissimulée. E t de même que l'Europe s'est tant obstinée à ne voir dans les Américains du N o r d que des coureurs de dollars sans idéal et sans hauteur,, de même elle se représente les ordonnateurs de l'Amérique du S u d sous la figure de généraux à panache publiant des proclamations grandiloquentes. Il est temps d'en finir avec ce cliché. L e s écrivains futurs rechercheront pour les mettre en lumière ces figures énergiques ou séduisantes du dix-neuvième siècle sud-américain: l'indomptable B o l i v a r , l'honnête et consciencieux empereur dom Pedro II, M i r a n d a et San Martin les soldats vaillants, R o s a s et Francia les dictateurs farouches et obstinés, Garcia Moreno, L o p e z , Sarmiento qui avait pour devise: sans instruction, point de liberté, Santander précurseur d u percement d e . P a n a m a , Paez, l'ancien capitaine des terribles llaneros devenu un chef d ' E t a t modéré et économe... et derrière ceux-là,, beaucoup d'autres moins en vue, de traits moins accusés, mais dont les efforts furent efficaces et qui contribuèrent, à leur r a n g et dans leur sphère, à préparer l'accès définitif du vaste continent à la civilisation moderne. Il y a quatorze ans, commentant dans un journal français le rapprochement qui s'esquissait entre « l ' E s p a g n e et ses filles » ( i ) j'écrivais à propos de l'Amérique du S u d ces lignes qu'on m'excusera de rappeler. « Toutes les richesses du g l o b e s'y trouvent accumulées: métaux, pierres précieuses, épices, graines, essences rares, matières premières des industries de luxe. L ' é l e v a g e et la culture, les exploitations minière et forestière n'y donnent pas encore le sixième du rendement exigible. U n climat sain et varié, des côtes hospitalières, une orographie et une h y d r o g r a p h i e de premier ordre complètent l'heureuse physionomie de ces régions privilégiées. Comparez la parci-
(J) Figaro du 1 " Septembre 1902.
TROIS SIÈCLES D'HISTOIRE
SUD-AMÉRICAINE
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monie dont la nature a usé envers l ' A f r i q u e avec la générosité dont elle a f a i t preuve à l'égard de l'Amérique du S u d et vous serez tenté de placer là l ' E d e n perdu par la faute de nos premiers parents. » T e l est le domaine que les peuples sud-américains ont reçu mission de faire fructifier. V o i c i l'heure des suprêmes semailles qui décideront de la moisson future. Puissent-ils s'y livrer dans l'allégresse et la concorde. E t que l'esprit de la France soit avec eux.
P . DE C O U B E R T I N .
MIRANDA,
General de la Convention
I
PRESTIGE
DE
L'ENCYCLOPÉDIE
EN
AMÉRIQUE
LATINE
u a n d le F r a n ç a i s quitte son p a y s , quand il s'en v a par delà les mers afin de visiter les Amériques, il ne tarde point à reconnaître l'importance
que ses hôtes allouent, et le plus généreusement,
au
prestige des idées conçues par nos philosophes de l ' E n c y c l o p é d i e . Si l'on regrette, presque toujours, devant
.
nous, l'indolence de
notre commerce, de notre industrie, de notre marine pour triompher des concurrences, sur les marchés du nouveau monde, pour dépasser nos émules d ' A n g l e t e r r e et nos ennemis d ' A l l e m a g n e , les citpyens de N e w - Y o r k comme ceux de R i o de Janeiro, de la H a v a n e , de Caracas où de Buenos-Ayres, ne ménagent pas les éloges à notre esprit national, à notre littérature,
à nos g r a n d
aïeux, les
Montesquieu,
les Rousseau, les V o l t a i r e , les D i d e r o t , les Lavoisier, les M o n g e , les G a y - L u s s a c , les L a m a r c k , les L a p l a c e
qui préparèrent
l'esprit
cri-
tique de 1789, le convainquirent de proclamer les Droits de l'Homme èt des Nations, cela dût-il f a i r e surgir contre nous toutes les armées des
Souverains
absolus,
cela
dût-il
nous contraindre
à subir
les
v i n g t ans de guerre pendant lesquels nos soldats de la R é v o l u t i o n et de l ' E m p i r e montrèrent au monde ce que peut un peuple latin épris de justice, pour affranchir, d a n s tous les p a y s , les élites
libérales
souffrant sous le j o u g du despotisme et de la tradition germaniques. L'enthousiasme
qui,
dans
Mayence,
accueillait
en
1792
Custine victorieux des Impériaux, et en 1796, à M i l a n , un
un
Bona-
parte chassant les généraux de l'Autriche, et en 1799, dans N a p l e s , un Championnet vainqueur de ces Bourbons maîtres sur les D e u x Siciles, par la potence et l ' é c h a f a u d ; c'est le même enthousiasme qui salue, dans les villes
des
deux
Amériques,
aujourd'hui, la
Répu-
blique Française levée tout entière, avec ses alliés pour, et selon sa mission, rendre aux f a m i l l e s héroïques de la Serbie le droit de, vivre libres devant leur âtre purifié de toute souillure a l l e m a n d e et gare.
bul-
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I,A
PREMIÈRE SEMAINE DE 1/AMÉRIQUE LATINE A LYON
Comme ils avaient raison, les citoyens des républiques américaines qui bien avant 1914, croyaient en notre mission libératrice et nous disaient: (( « teuton sentie
L à est votre grandeur ! L à est votre gloire ! V o u s avez rappris aux nations dominées par le féodalisme depuis les invasions barbares, la vertu suprême de la L o i conpar les peuples, selon la leçon du forum romain !
« V o s encyclopédistes ont affranchi l'intelligence humaine, envoyé à F r a n k l i n le secours de L a F a y e t t e contre la dynastie hanovrienne qui opprimait les colons de la nouvelle Angleterre. « E t vos armées jacobines ont semé le grain de la liberté. Partout il a germé. Sur l'Amérique L a t i n e de Tiradentes, de M i r a n d a et de Bolivar dès 1793; (( Sur l'Italie de Pepe et sur l ' E s p a g n e de R i e g o en 1820; « Sur la Grèce de K a n a r i s en 1827; « Sur la Prusse, sur la Hongrie de K o s s u t h e n 1848, à l'exemple de votre deuxième R é p u b l i q u e ; « Sur l'Italie encore de G a r i b a l d i en 1859. « Comme ils eurent raison de croire en vos idées j a d i s F r a n k l i n , nos W a s h i n g t o n , nos M i r a n d a , nos B o l i v a r ! »
nos
<( V o u s avez donné au monde la lumière. E t vous la donnerez toujours n'est-ce pas? » F r a n k l i n , W a s h i n g t o n , Miranda, Bolivar, Sucre, S a n Martin, voilà les noms qui conservent, dans leurs syllabes radieuses, l'amour reconnaissant des Américains pour l'intelligence de l ' E n c y c l o p é d i e , pour la nation qui en f u t le prophète et le soldat, pour la République Française. Cette reconnaissance ils nous l'ont témoignée avec le plus noblesse.
de
Nombreux sont les noms que l'on pourrait citer des Américains venus mourir sous nos drapeaux depuis trois ans, afin de garantir les Droits de l'homme violés par la furie des Barbares, en Serbie, en Belgique, en P o l o g n e où leur cruauté a rétabli l'esclavage antique, après v i n g t siècles de christianisme. Qu'ils soient remerciés par toute la gloire, ces jeunes héros! A l'exemple du général Miranda leur ancêtre immortel, ils ont voulu combattre dans nos rangs et servir les libertés latines comme le héros du Venezuela voulut, en 1792 et 1793, combattre dans les rangs Jacobins contre les Impériaux, sous les trois couleurs de V a l m y . E n évoquant la personnalité de M i r a n d a , du Précurseur, comme il f u t surnommé par l'histoire, j e désirerais vivre avec vous, un instant, ses espoirs, ses émotions, ses luttes. E l l e s sont celles de toute l'Amérique L a t i n e depuis 1752, jusqu'en 1810, c'est-à-dire durant
MIRANDA, GÉNÉRAL DE LA CONVENTION
l'époque
où
Montesquieu,
Rousseau,
Voltaire
45
et
Diderot,
puis
F r a n k l i n , L a F a y e t t e , W a s h i n g t o n , Mirabeau, D a n t o n et Bonaparte ont successivement restauré, par
la
puissance de
la plume,
de 1a.
parole et de l'épée, les principes de Solon et de Brutus, abolis par les Barbares, au cinquième siècle de l'ère chrétienne, en f a v e u r de leurs c h e f s qui étaient devenus les souverains, les rois, les barons du vieux monde.
II
MIRANDA.
— ENFANCE,
ADOLESCENCE
C'est dans Caracas, au milieu du dix-huitième siècle que F r a n cisco de M i r a n d a naquit. Il f u t instruit en une maison basse, carrée, d a n s la cour intérieure, le patio. D e g r a n d s arbres y ont poussé en leur habit de v é g é t a u x parasites, qui portent de larges feuillées épanouies comme sains.
Des
filaments ténus et l o n g s pendent
ombragent le sol
bien
battu,
les
arcades
des
visages
a u x branches.
Elles
badigeonnées de jaune,
l'énorme jarre bleue où l'on conserve les eaux du dernier orage qu'a versées la g a r g o u i l l e de terre cuite. O n entend les cloches du couvent qui tintent et qui sonnent ; et aussi le pas régulier de plusieurs mules qu'étouffe la poussière de la chaussée. D a n s les salles très spacieuses crépies nettement, les dames en robes blanches assises parmi les jeunes filles bien coiffées brodent, lisent, fredonnent et regardent, à travers les grilles des fenêtres, la rue vide au soleil. Sur un fauteuil de cuir, un vieillard soigneusement poudré, conte ses souvenirs. Il tourne autour de ses doigts bruns, longs et velus, les j o y a u x de ses bagues a u x armoiries frustes. A t t e n t i f , parmi ses boucles noires, un petit garçon l'écoute. D e cette bouche sage il apprend que, deux siècles et demi plus tôt,
les amis de leur f a m i l l e basque ont accompagné, sur cette côte
du V e n e z u e l a , les premiers explorateurs venus d ' E s p a g n e avec A m e ric Vespuce
et
Ojeda,
un
an
après
Christophe
Colomb
et
que,
depuis, les Basques du Guipuzcoa n'ont plus cessé de s'intéresser à ce p a y s merveilleux, divers, si fertile pour donner les perles de son Océan clair, les bois précieux
de ses
forêts,
l'indigo,
le c a f é ,
le
tabac, le cacao de ses plaines, le bétail des savanes, des « llanos ». A u travail des
Basques espagnols, à leurs c a p i t a u x associés les
anciens marécages, les brousses
désertes des Indiens
Caraques
ont
I,A PREMIÈRE SEMAINE DE 1/AMÉRIQUE LATINE A LYON
46
rendu le centuple. E t voilà pourquoi la cathédrale de Caracas sonne par tant de cloches, remplie de statues saintes et somptueuses. V o i l à pourquoi la procession qui vient de défiler sous les fenêtres a pu montrer à l'enfant l'ostensoir en or du Santissimo,
les
hauts
chandeliers d'argent, les panaches du dais, l'orfroi des chasubles, des mitres et des étoles sur les épaules du clergé, les uniformes resplendissants de l a milice commandée par les jeunes nobles. Ainsi
commandera plus tard
Francisco
de
Miranda,
l'écolier
encore ébloui des luxes divins, s'il se rend digne d'un pareil honneur en retenant,
au collège,
les leçons des Pères jésuites, ces
maîtres
excellents de grec, de latin, de mathématique. Or, le IER août 1767, l'écolier vit les jésuites sortir de leur couvent, qui touchait sa maison. U n édit royal les exilait hors des colonies appartenant à la couronne d ' E s p a g n e , pour y avoir voulu créer un E m p i r e indépendant du souverain. L e s quarante-cinq mille habitants de Caracas protestèrent. L'écolier de quinze ans vénérait ses professeurs. S a f a m i l l e vantait l'œuvre gigantesque
des Jésuites. Ils avaient tout
entrepris et
tout réussi, au P a r a g u a y , comme dans l ' E t a t de Saint-Paul, à R i o de Janeiro, comme au Venezuela, comme en Nouvelle-Grenade.
Cela
au prix de f a t i g u e s inouïes et, souvent, de martyres atroces parmi les tribus anthropophages qu'ils apprivoisaient. L'opulence
des
haciendas
était
due tout entière
à
la
main-
d'œuvre indigène éduquée par la C o m p a g n i e de Jésus, avant que les A f r i c a i n s eussent été amenés du Sénégal et de la Guinée sur les terres des planteurs. Pas de ville qui ne se f û t érigée autour des premiers couvents, d'abord isolés dans la brousse, au flanc des monts, au bord de la mer. L e s Pères avaient pris la défense des Indiens contre des esclavagistes féroces. L e s Pères avaient enseigné un catholicisme accueillant, f a i t d'indulgence et de compassion, à l'inverse des Franciscains sévères, des Dominicains orgueilleux, des Capucins ascètes. L e s E g l i s e s jésuites
offraient
de
véritables centres d'art,
les
seuls, au reste, et qui possédaient de bons tableaux, de belles statues, des boiseries travaillées, des ferronneries et, pour
ornements
sacerdotaux, les chefs-d'œuvres de la broderie européenne. Historiens de cette Amérique L a t i n e qu'ils avaient faite, humanistes, érudits, civilisateurs et organisateurs hors ligne, psychologues émérites, quels crimes les Pères avaient-ils commis pour justifier cette brutale expulsion entre les haies de soldats espagnols, baïonnette au fusil?
MIRANDA, GÉNÉRAL DE LA CONVENTION
47
P a r toutes les Amériques du S u d , l'indignation s ' a g g r a v a . L e peuple se révolta dans beaucoup de villes: à San L u i z du Mexique, à L i m a , à Buenos-Ayres, à S a n t a - F é - d e - B o g o t a où toute l'élite de l a capitale f u t trouver le gouverneur. Il put seulement alléguer, avec une tristesse évidente, son obligation d'obéir à l'édit royal. Pour la première fois peut-être, un édit royal f u t violemment critiqué dans l'Amérique entière. O n écrivit: «. Comment un homme qui « pouvait être un ange, mais aussi bien un démon, saurait-il dispo« ser à son gré du sort de inations entières au mépris des intérêts les « plus chers et les plus sacrés »? Chose extraordinaire: L a plupart des historiens constatent que l'espoir de l'indépendance surgit alors dans les élites, et dans les peuples. L e s étudiants des collèges, des universités considérèrent, comme une offense arbitraire et intolérable, le f a i t de les séparer brutalement de leurs professeurs. L e s ingénieurs, les poètes qui devaient aux Jésuites leur savoir mathématique ou littéraire, ne comprenaient pas cet exil. N o n plus que les planteurs, les agronomes, les économistes, héritiers ou collaborateurs de l'œuvre immense entreprises par les P . P . A n c h i t a et N o b r e g a dès l'an 1500, sur toute l'étendue de l'Amérique du S u d . L a f a m i l l e de M i r a n d a ne f u t pas la moins affectée par ces malheurs publics. Ses protecteurs s'en allaient, l'abandonnant aux rancunes de ses ennemis. O n lui contesta ses titres de noblesse, leur qualité, L e s Miranda durent lutter contre toutes sortes d'intrigues et d'insolences. A u cours de ces querelles, le sens des injustices sociales se fit plus aigu dans le cœur de l'adolescent. Il apprenait bientôt la ruine du P a r a g u a y . L e s établissements des Jésuites avaient été vendus à l'encan par l'autorité sans trouver d'acquéreurs. L e s Indiens communistes s'étaient dispersés. A u V e n e zuela, les Dominicains laissèrent péricliter le legs de la Compagnie. D e même agirent les Capucins qui leur succédèrent. Leurs Indiens se rebellaient. Ils regagnèrent la forêt. L e s troupeaux s'enfuirent par la savane. L a main-d'œuvre se fit rare. D a n s les villes on dut fermer les écoles désertées. L e s réformes dogmatiques imposées aux mœurs contentèrent
l'élite
faciles par les Dominicains
créole. E n quelques années,
l'esprit
mé-
de révolte;
g a g n a la plupart des L a t i n s d'Amérique. A cette époque, du reste, les livres de nos Encyclopédistes s'introduisaient ouvertement ou clandestinement. L e s créoles en étaient si férus que les Brésiliens d'Ouro-Preto, la capitale des Minas Geraes, située bien à l'intérieur du continent, recevaient les œuvres de Voltaire, peu de temps après leur publication en France, sous
48
LA PREMIÈRE SEMAINE DE L"" AMÉRIQUE LATINE A LYON
forme de copies manuscrites et dissimulées dans les charges des mules amenant la cargaison des navires portugais jusqu'à la ville de l'or, du manganèse, de l'étain et des diamants. L a jeunesse se voulut savante, et même studieuse. L a clairvoyance de Galilée f u t opposée à l'ignorance des Inquisiteurs, dans tous les propos. L a mode était à l'histoire naturelle et à l'astronomie, comme en France, comme aux Antilles anglaises et dans la Grande-Bretagne. L ' E m i l e de Rousseau était lu par tou,s les parents soucieux d'éduquer leur progéniture. Des concerts réunissaient les amateurs de musique. On causait passionnément. C'est alors que Francisco de Miranda fête sa seizième année. Grand, beau, fortifié par l'équitation, la chasse, il se peut croire un cavalier d'importance. Il ressent, pour la nature et la splendeur de son pays, un amour mystique. Il se mêle à la vie pastorale des Indiens, à la félicité des villageois dans une campagne plantureuse qui remplit toutes les mains de ses fruits. Ou bien il se promène dans les rues de Caracas, le long des arcades ombreuses, des maisons claires, et basses, badigeonnées d'indigo ou de pourpre, ou d'ocre, ombragées par les branches jaillies de leurs jardins intérieurs. Il va jusqu'à la cathédrale, à l'appel des cloches qui sonnent dans les niches des campaniles. Il salue les jeunes femmes en f a l b a l a s clairs, drapées dans leurs mantilles étroitement. A v e c des amis élégants, sur les places tumultueuses, il commente la belle audace des colons qui s'agitent en Nouvelle Angleterre, et l'énergie de Benjamin Franklin qui, d é j à , proteste, à l'Assemblée de Pensylvanie, contre la tyrannie toute germanique de Georges de Hanovre. Cela se passe par delà la mer que cachent les montagnes bleuâtres. E l l e s s'étagent par-dessus les toits aux tuiles rouges, dans le ciel, avec, jusqu'à mi-pente, leurs épaisses forêts dont les incendies ont dévasté certaines parties. L e s peuples d'oiseaux chantent dans les jardins de la ville que Philippe de Ségur comparera bientôt au Paradis terrestre. Pour cela, pour toute cette nature exubérante et belle, Francisco de Miranda se laisse facilement saisir par les idées de retour à la nature, que les navigateurs apportent de France ou d'Espagne. L a société rend l'homme mauvais, est-il prêt à croire. Cette société comment la modifier? L e s injustices répugnent. E t voici d'ailleurs qu'en heurtant à la
MIRANDA, GÉNÉRAL DE LA CONVENTION
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grand'porte doutée, le jeune homme apprend que les rivaux de sa famille contestent à son père le droit noble de commander la milice. C'est un scandale dans la ville. U n procès devant l'Audiencia va suivre. Il faut défendre, par des moyens de tribunal, un privilège dont l'évidence et la bonne origine devraient toutes seules anéantir les objections. Cette nécessité de plaider sa cause outrage l'orgueil de la famille. L e s plus brillants aristocrates de Caracas ont voulu la rejeter hors de leur communion, la remettre au plan inférieur de la société vénézuélienne. Francisco de Miranda s'en trouve ulcéré. Il déteste ses ennemis vaniteux et arrogants. Il voit mieux, autour de lui, tout à coup, les douleurs des pauvres gens qu'on méprise, de ces mulâtres intelligents qu'on évince, de ces Indiens llaneros si courageux, si fiers-qu'on repousse dans leurs savanes parmi les bestiaux. Miranda comprend mieux toute l'iniquité des distinctions entre les castes. E t , lorsque la sentence de l'Audiencia rétablit les siens en leur droit, il ne veut plus rester à Caracas, où tout l'irrite et l'afflige, sauf le miracle de la nature. A la fin de 1770 il s'embarque. Il part pour l'Espagne. Il a hâte de conquérir de la renommée, de la gloire, de revenir ensuite, avec du rayonnement, pour montrer que ses vertus sont à la hauteur de ses prétentions.
.III LES
VOYAGES
DE
MIRANDA
E n E s p a g n e , Miranda, tout d'abord, adopte l'existence sévère et active du jeune officier, qui se doit à la science du tir et de la fortification, de la manœuvre, de la tactique. Bientôt, ses relations et l'influence des siens, sa haute taille, sa mine sévère, son élégance simple le mettent en relief dans la société aristocratique. Il travaille beaucoup. A dix-neuf ans il est promu capitaine. Immédiatement il demande un congé pour se rendre à Paris. T o u t attire là-bas les intelligences de l'Europe et de l'Amérique. O n a pris d é j à coutume de prétendre que c'est « le foyer des lumières ». L'officier fréquente beaucoup de gens qui en reviennent. Ils lui parlent de la renommée acquise par Montesquieu, Rousseau, Voltaire, Diderot, d'Alembert, par leurs écrits. A cette heure les hommages des élites vont à l'abbé R a y n a l qui publie l'Histoire philosophique des Deux Indes, inspirée, dit-on,
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I,A
PREMIÈRE SEMAINE DE 1/AMÉRIQUE LATINE A LYON
par le comte d ' A r a n d a , le ministre espagnol hostile aux Jésuites. Il devient ambassadeur en France. Ce livre traite du régime colonial en Amérique L a t i n e , des injustices qui s'y commettent. 11 intéresse Miranda. T o u t s'éclaire à ses yeux. D e p a g e en p a g e il retrouve ses sentiments obscurs, ses idées secrètes, l'écho des conversations
tenues,
autour de son enfance, par les planteurs courroucés contre le régime qui les exploite. L e voilà conquis. Bientôt il estime, comme R a y n a l , qu'il f a u t d é f e n d r e la liberté, la vérité et l'humanité. U n peu plus, il adjurerait, lui aussi, son roi Carlos, d'ailleurs fort libéral, de réparer les crimes de ses prédécesseurs et de leurs sujets. D e R a y n a l à d'Alembert, à Diderot, à Helvétius, à Rousseau, à V o l t a i r e , le contact est rapide dans l'esprit du capitaine. Leurs ouvrages lui parviennent en secret ; car l'Inquisition
ne
permet pas leur entrée sur le territoire du R o i catholique. D'autre
part,
l'état-major refuse
le congé pour
se rendre
à
Paris. O n n'aime guère que de jeunes nobles espagnols aillent sur les bords de la Seine essayer les manières des philosophes et respirer le vent de leurs propos. V a i n e s précautions. L ' â m e de l ' E n c y c l o p é d i e a pénétré M i r a n d a , ses amis. E l l e le possède entièrement. S a fortune lui permet d'appeler dans sa garnison un Parisien, qui le met au courant, qui l'exalte. Enfin la permission est obtenue à la suite de mille démarches. L e capitaine saute en chaise de poste. Il traverse les
Pyrénées.
Quelques jours plus tard, il discute dans les c a f é s du P a l a i s - R o y a l . Il écoute dans les salons d u f a u b o u r g
Saint-Honoré, du
faubourg
Saint-Germain. Il est admis dans une loge militaire de la FrancMaçonnerie. Le
voilà
philadelphe
comme
La
Fayette,
et
cet
admirable
Franklin-qui; soulève alors T e s ' c o l o n s du Massachusett contre le despotisme de leur gouverneur., Ce premier séjour à Paris ne f u t pas de longue durée. Il suffit pour que ' le .'jeune enthousiaste s'imprégnât de l'intelligence qui s'exprimait dans; toutes les boutiques de libraires, par les bouches bien rasées de gros bourgeois en habits bruns et en bas blancs, par celles de petits maîtres'en f r a c olive ou aurore qui péroraient, le tricorne sous lé bras,-gesticulaient et secouaient sur leurs épaules la poudre de leurs chevelures fraîchement coiffées. , Ils:"" apprécient; d e v a n t " ' M i r a n d a , les Antiquités d'Herculdnum qu'a publiées l'abbé Barthélémy et qui f o n t fureur. L'esprit latin des
miranda,
g é n é r a l de l a
51
convention
Gracchus, des Brutus, des Sénéque et des Tacite ressuscite dans les discours. L a mode est à l'antique. Chacun se sent gallo-romain, et tolère avec peine le j o u g imposé par les Francs de Clovis, maintenu par les Capétiens et les Bourbons. E n carrosse et en cabriolet, de Paris à Versailles, entre les coups de fouet du postillon, Miranda s'initie à ces nouveautés. 11 lit les Confessions de J.-J. Rousseau. Il souhaite de rendre à ce grand homme visite dans le galetas de la rue de la Plâtrière, et mieux, d'aller en Suisse, saluer Voltaire à Ferney. Mais le temps manque à l'officier en permission. Il n'a f a i t qu'entrevoir M mo du B a r r y , travestie en polonaise, que parcourir les libelles des pamphlétaires, ouïr au passage les chansons frondeuses. Il faut rentrer à M a d r i d . Il rapporte à ses camarades la fièvre de l'Encyclopédie, quelques exemplaires
du
Contrat
social,
et une conception
du
libéralisme
universel. Cela ne nuit point à ses travaux de soldat. Il commande en 1774, durant l'expédition d ' A f r i q u e , puis au siège de Melilla, et vaillamment s'y distingue. Cependant le bonhomme Franklin accapare l'attention du monde par
sa
lutte
téméraire contre la
tyrannie
de l'Angleterre
que
la
dynastie allemande des Hanovre asservit, transforme et détourne de la mission nationale. Dans tous les cercles libéraux, on suit cette controverse entre les citoyens de Philadelphie et le despotisme germanique manœuvrant la puissance anglaise. E n 1776 le manifeste de l'Indépendance est publié. Franklin débarque en Europe. Il espère obtenir dans les loges des Philadelphes français, des Illuminés allemands, le secours des influences maçonniques en faveur de la Liberté naissant par-delà les flots de l'Atlantique. Miranda forme des vœux ardents pour la réussite de cette mission. Il endoctrine ses amis. Il exalte Franklin, son savoir, le génie du chercheur qui sait attirer la foudre dans le paratonnerre, la capturer, la réduire à merci. O n apprend avec désespoir l'échec du grand Philadelphe dans les loges allemandes, puis, avec une joie folle, le succès inespéré dans les loges françaises, leur action sur la cour de Louis X V I , le rôle de L a Fayette, la décision royale qui conclut le traité de 1778, avec les Insurgents. L'élite généreuse des Encyclopédistes a comblé tous les vœux des libéraux en Europe et en Amérique. Puisque le Pacte de Famille oblige l'Espagne à combattre avec la France, Miranda se démène pour accompagner l'expédition.
j-oé
la
première
semaine de i / a m e r i q u e l a t i n e
a
lyon
E n 1779, il chevauche sur les bords d u Mississipi avec les régiments du- général Galvez.
L e capitaine
pour un idéal, même quand
sait l'ivresse de
ses devoirs d ' E t a t - m a j o r
combattre
l'obligent
à
remplir dans les Antilles anglaises ses missions d'observateur, même quand ses rivaux absolutistes, ignorant sa tâche secrète, l'accusent sur les apparences, de contrebande et de malversations. F a t i g u é de ces lâches intrigues, Miranda t p o u r t a n t , démissionne. Il se rend
auprès
de
Rochambeau,
de
La. F a y e t t e ,
de
Custine.
Ensemble, ils conduisent les troupes françaises à l'assaut de Y o r k Town. Miranda voit, de ses y e u x hardis, la Liberté qui triomphe. L e s troupes du Hanovrien sont chassées. W a s h i n g t o n , L a F a y e t t e s'embrassent sous l'étendard neuf et glorieux des colons américains. U n e révolution a réalisé l'idéal des encyclopédistes. « Ma première pensée f u t un sentiment de jalousie nationale... écrira plus tard M i r a n d a . . . L e premier élan de mon âme f u t un vœu pour l'affranchissement des lieux qui m'avaient vu naître, car je n'osais encore appeler l'Amérique une patrie. » O u i , faire de cet E d e n splendide, une patrie, c'est un devoir qu'il f a u t s'imposer puisque cela semble p o s s i b l e . , M i r a n d a plus que j a m a i s adore son Venezuela prodigieux. Il sent le courage des 11aneros bondir en son cœur. Il se rappelle la victoire des Communeros au P a r a g u a y en 1730. Il se promet de recommencer cela. L e soleil, les palmeraies de son pays, les j o y a u x volants dans la lumière tranversale de la forêt sublime, obscure, mystérieuse et riche, les cités de couvents blancs, d'églises bleues, de maisons pourpres, jaunes, i n d i g o , sous les dômes des arbres en feuilles éternelles, les fleurs belles comme des visages d'amoureuses, la fierté des Indiens, la vive éloquence des mulâtres, le savoir nombreux, varié de l'élite créole, la f o i de belles femmes vertueuses, courageuses et passionnées: tout cela vibre en lui. Il est le total frémissant de ces millions d'êtres, qui souffrent en leur orgueil, qui souffrent en leur intelligence, qui souffrent en leurs biens. L e s Péruviens étaient affamés par leurs .corregidors qui détenaient le privilège de vendre seuls, à des prix excessifs, les objets de consommation, et qui, sans pitié, exaspéraient les métis contre les Indiens. Quarante mille de ces malheureux avaient pris les armes, suivi un descendant des Incas, homme très remarquable, assailli la ville de Cuzco, mais sans bonheur, et laissé leur chef a u x mains des bourreau;*. Il avait été dépecé tout v i f , le 17 mai 1781, comme sa femme, son jeune fils, six de ses amis; et ensemble, afin qu'ils souffrissent non seulement
miranda, g é n é r a l
de l a
convention
53
de leur agonie propre, mais de celles torturant les être les plus chers. M i r a n d a connut aussi la révolte des Communeros qui, le i l mai 1781, rendus furieux, à Socorro, par la proclamation de taxes inédites, soulevèrent le peuple de la Nouvelle-Grenade, marchèrent avec leurs troupes, et obtinrent, en l'absence du vice-roi, une capitulation abrogeant les mesures odieuses. Capitulation bientôt dénoncée à son retour par le vice-roi lui-même. L e s bourreaux exécutèrent en décembre 1782 quatre des protestataires. M i r a n d a s'imagine retournant vers la côte de son p a y s , que les vertes chevelures des cocotiers annoncent à l a vigie de la frégate. Comme F r a n k l i n , il apportera dans ses mains le drapeau neuf et glorieux de la Liberté. L e lieutenant-colonel Miranda devient l'ami de W a s h i n g t o n . Tusqu'en 1784 il demeure parmi les citoyens de l a nouvelle R é p u blique, habile pour s'associer les esprits, les volontés, les espoirs d'affranchissement universel. A u x officiers du génie français, M i r a n d a emprunte leurs connaissances de mathématiciens. Il se les assimile. Il les développe pour ses études personnelles, sans négliger d'écrire à ses parents de Caracas qu'émeuvent à l'extrême les victoires de W a s h i n g t o n et la p a i x de Paris consacrant l'Indépendance. L a première Indépendance sur le monde. A Caracas, à Buenos-Ayres, à Quito, à S a n t a - F é , à L i m a , les créoles se félicitaient les uns les autres. Ils s'embrassaient dans les rues. P l u s de justice régnait sur la terre. E t la cour d ' E s p a g n e ellemême avait contribué par les armes au succès de F r a n k l i n , des Philadelphes et des Encyclopédistes. E n acclamant Charles I I I , les créoles pouvaient maintenant réclamer de ses ministres l'équité même pour laquelle ses troupes avaient combattu. C e l a se disait dans tous les patios du Venezuela, pendant les réunions du soir, dans toutes les haciendas de la Nouvelle-Grenade, après le défilé des nègres au crépuscule, dans tous les ranchos des savanes, au moment où les gauchos sautent de leurs chevaux écumeux, les débrident, puis viennent essuyer la sueur de leurs mèches bleuâtres devant l'épouse a u x cheveux indiens, à la marmaille obèse, toute nue entre les pourceaux noirs. T o u s s'exaltaient dans les barques de l'Amazone, dans les couvents du Pérou, dans les ports du Chili. O n attendait de Charles III un statut nouveau, qui protégerait les créoles contre l'arbitraire des vice-rois et des gouverneurs, contre les vexations du fisc, contre la cruauté des juges, de leurs soldats et de leurs bourreaux, aux heures des manifestations nécessaires. M i r a n d a recevait les lettres de ses compatriotes, qui, a v a n t v o y a g é j a d i s en France, en avaient rapporté, le livre de Montesquieu,
54
la
première
semaine de i,'Amérique l a t i n e
a
lyon
L'Esprit des Lois, et qui retrouvaient les principes de cet ouvrage dans la constitution des Etats-Unis. Des « Sociétés littéraires » fondées par les parents du colonel lui décrivaient leur enthousiasme pour Rousseau, pour R a y n a l et son Histoire philosophique. O n lui citait tel vers de Corneille : L'injustice à la fin produit l'indépendance. U n e Chilienne, de Santiago, lui demandait le Dictionnaire Encyclopédique, bien que les E s p a g n o l s et les Dominicains de làbas le déclarassent « plus malfaisant que la fièvre pourprée ». U n e dame de Santa-Fé exigeait YHistoire naturelle de Buffon. Sur une place de cette ville, des professeurs bénévoles enseignaient aux badauds attentifs la langue de L a Fayette, en plein air. Leur auditoire devenait foule à l'ombre des flamboyants. L e s jeunes gens riches arrangeaient chez eux une librairie. Ils la remplissaient d'ouvrages encyclopédistes. Ils y suspendaient l'image de Franklin dans un cadre d'ébène, incrusté d'écaillé et d'ivoire. Ils conviaient leurs camarades à la discussion des idées libérales. T o u s accouraient. Des cénacles se formaient dans les salons où les murs portaient des maximes élues dans les œuvres de Rousseau, de Montesquieu, de Voltaire. Rivarol pouvait écrire sans crainte que le monde était français dans son Discours sur l'Universalité de notre langue. Sujet proposé par l'Académie de Berlin aux amateurs de ses prix littéraires. E n vérité, les Latins d'Amérique furent alors des amis sans pareils de notre esprit. De Philadelphie, Miranda s'était dirigé vers Londres, où les souvenirs de Cromwell et des Têtes Rondes le tentaient. Il n'y trouva que de bonnes paroles et de la courtoisie, sans plus. D e là, il voyagea par la Prusse, soumise à ses caporaux, par l'Autriche disparate et opprimée, par l'Italie sanglante divisée entre ses tyrans, par la Grèce courbée sous le cimeterre des pachas, par la Turquie paresseuse et féroce épuisant des races esclaves. Il connut cette Europe qu'avaient asservie les dynasties germaniques et le Grand Seigneur, avec leurs prisons combles, leurs potences et leurs échafauds dressés, leurs bagnes, pleins de littérateurs, de philosophes, de savants à l'éloquence trop redoutable pour l'absolutisme. Il vit, dans Naples, une princesse éhontée qui livrait les Deux-Siciles à ses favoris. Puis il parvint en Chersonèse russe où Catherine II voyageait fastueusement avec l'énorme Potemkine, suivie
miranda,
général
de l a
convention
55
par les f o u r g o n s contenant cette ville de bois qu'on érigeait chaque soir. La
Sémiramis du N o r d ,
l'amie
de
Diderot
et de F a l c o n n e t ,
n'accueillit pas tout de suite l'encyclopédiste de Caracas. Il dut suivre le cortège jusqu'à K i e w pour obtenir une audience, bien que Potemkine eût manifesté tout de suite de la sympathie à l'égard de celui que W a s h i n g t o n et Rochambeau avaient tant distingué. L a belle figure de M i r a n d a plut à l'impératrice. Il la vit, à K i e w , victorieuse des Turcs, imposante, grasse,
la
mine vive et la répartie subite. E l l e lui proposa tout de suite de prendre du service en Russie. L ' o n y manquait de colonels instruits connaissant la science de l'état-major, a y a n t pratiqué la guerre. — L ' E s p a g n e n'est pas le p a y s qui vous convient, s'écria l'amie des Encyclopédistes... O n vous y brûlerait ! Cette exclamation permit à Miranda de plaider pour les révolutions de l'Amérique L a t i n e . M i r a n d a sut encore dire les résultats prolongés de ces convulsions populaires, et comment des ambassadeurs mystérieux, délégués par les provinces de l'Amérique Latine, sollicitaient, à Londres, une intervention, comment des conspirations se tramaient à L i m a , BuenosA y r e s , partout, comment l'exemple de F r a n k l i n et de W a s h i n g t o n victorieux assurant l'indépendance de leur République, agitaient les âmes créoles. Miranda sut décrire leur soif de liberté, son espérance de l'assouvir. Il intéressa la souveraine. Il la suivit à Saint-Pétersbourg. E l l e semblait alors conquise par les idées encyclopédistes, par ses amitiés avec Grimm, V o l t a i r e et Diderot. E l l e voulait, ainsi que Pierre le G r a n d , donner l'instruction la plus large aux élites de la Russie, sans dissiper toutefois l'ignorance des m o u j i k s ni des marchands. Sans doute aussi, semblait-il opportun à Catherine II d'avoir en Amérique L a t i n e , des amis capables d'y faire pièce à la cour d ' E s p a g n e , en cas de besoin diplomatique. P a r ailleurs, certaine de son pouvoir absolu, il ne lui coûtait guère de favoriser un idéal sans portée dans ses états, et de se créer ainsi, par le monde, une réputation de princesse éclairée. M i r a n d a ne' f u t pas dupe. P a s plus qu'il ne l'avait été de Frédéric
le G r a n d , ni dë Jo-
seph II. Ces'monarques lui avaient f a i t passer des revues cependant, et l'avaient comblé de vaines promesses. Dès lors, M i r a n d a ne compte plus que sur le jeu des intérêts économiques.
j-oé
la
première
semaine de i / a m e r i q u e l a t i n e
a
lyon
D u palais de l'Ermitage, Miranda partit, précédé par une circulaire impériale l'accréditant auprès de toute ambassade russe en Europe. Il emportait une licence pour tirer sur la trésorerie de SaintPétersbourg, chaque fois qu'il voudrait y avoir recours. E n janvier 1790 il est à Londres, dans le cabinet de W i l l i a m Pitt, à l'heure où s'élève un dissentiment entre l'Angleterre et l'Espagne, pour leurs possessions d'Amérique, Bien qu'en 1784 les ministres anglais l'eussent poliment éconduit, Miranda ne s'est point rebuté. Il garde cette conviction : l'Angleterre si marchande, si consciencieusement acharnée, depuis deux siècles, à soutenir ses contrebandiers dans la mer des Antilles, accorderait, un jour, son protectorat aux créoles, en échange de traités substituant le commerce britannique au commerce espagnol, dans les ports de l'Amérique Latine. Nulle autre nation n'a de tels motifs pour seconder les desseins du libéralisme enfiévré dans Caracas, Santa-Fé, Ouro-Preto, BuenosA y r e s , par les premières tentatives du Tiers, aux E t a t s généraux de Versailles, par le serment du Jeu de Paume, par le rôle que L a Fayette assume de jouer entre Louis X V I , l'Assemblée Nationale, et le peuple de Paris. E t Miranda multiplie ses démarches à Whitehall auprès des ministres anglais. Il leur remet un dossier considérable dans un ample portefeuille de maro'quin vert. Ce dossier enveloppe un projet de constitution pour un Empire latin qui eût embrassé tout l'ouest de l'Amérique septentrionale, depuis le cours du Mississipi jusqu'à l'Océan Pacifique, et depuis les sources de ce grand fleuve jusqu'au cap H o r n ; excepté le Brésil et la Guyane. U n Parlement semblable à celui de la Grande-Bretagne eût régi les destins des peuples. Les Jésuites exilés par Charles III fussent rentrés dans les Amériques Latines, et eussent repris leur tâche d'organisateurs ayant fait leurs preuves. L e s progrès soudains de la Révolution de ce projet l'attention de Pitt.
française
détournèrent
U n arrangement provisoire f u t conclu sur ces entrefaites avec la cour d'Espagne. Cela n'empêcha point que Miranda pût obtenir, du Cabinet de Londres, la promesse formelle de coopérer à l'indépendance de l'Amérique méridionale dans le cas où la guerre aurait lieu entre l'Espagne et l'Angleterre, sur le même pied que la France l'avait garantie aux colonies anglaises qui forment aujourd'hui les Etats-Unis d'Amérique.
miranda,
général
de l a
57
convention
IV LA RÉVOLUTION
FRANÇAISE
Mais, durant ces négociations, le l o n g effort de nos communes gallo-romaines
asservies par les barons F r a n c s , depuis le cinquième
siècle, aboutissait à rompre le j o u g maintenu, sur le peuple latin, par les Capétiens et leurs f é o d a u x . Convoqués par L o u i s X V I , afin de parer à la ruine du royaume dont une mauvaise gestion avait compromis
la vitalité,
les E t a t s
Généraux de 1789 étaient devenus l'Assemblée Nationale. L e T i e r s a v a i t acquis le droit à la parole et a u x actes. L e s Communes qui, si brillamment, avaient à Bouvines témoigné de leur résurrection, le 27 j u i l l e t 1214, en dispersant les armées germaniques de l'Empereur O t h o n I V , a v a n t d'envoyer, a u x premiers E t a t s Généraux de 1314, leurs députés, les Communes ressaisissaient le pouvoir. A l'arbitraire du prince, elles opposaient le principe latin de la L o i consentie par le peuple. L e s E n c y c l o p é d i s t e s s'exprimaient par la v o i x de Mirabeau, de Condorcet, par les gestes de L a F a y e t t e , par les cris du peuple délivrant, avec les c a p t i f s symboliques de la Bastille, sa propre liberté. Enfin, les E n c y c l o p é d i s t e s s'exprimaient par les D r o i t s de l'homme. M i r a n d a revint à Paris lorsqu'il eut acquis la certitude que ces mouvements étaient durables. L a F a y e t t e et R o c h a m b e a u le présentèrent a u x Girondins. Pour la seconde f o i s , M i r a n d a se trouvait au f o r t d'une révolution déterminée par les principes qui avaient enthousiasmé les heures de son adolescence. Bientôt il ne douta plus que ses amis de la L é g i s l a t i v e l'aideraient à p a r f a i r e l'émancipation de l'Amérique L a t i n e . E t de chacun, de Brissot, de Petion, il reçut les promesses nécessaires, solennelles, que lui avait en somme refusées la
protestante
A n g l e t e r r e en conflit avec la catholique E s p a g n e ; ce que lui avaient refusé contrairement à leurs principes, les loges écossaises de dres, d'où
les
Jacobites
étaient
partis, au
Lon-
début du dix-huitième
siècle pour, dans Paris, f o n d e r le premier centre maçonnique. Ces
promesses,
Napoléon
devait
les tenir,
en
1809 et
1810,
lorsque, devant ses armées victorieuses en E s p a g n e , s'évanouirait le prestige de la Junte absolutiste. A u cours de l'année 1792, M i r a n d a discute avec le ministre des A f f a i r e s étrangères
les moyens d'une expédition franco-anglaise au
j-oé
la
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semaine de i / a m e r i q u e
latine
a
lyon
Venezuela. Ce qui eût lié à ceux de Paris les intérêts de Londres et préparé l'alliance des deux nations parlementaires. Puisque les ministres de Louis X V I avaient armé afin d'assurer l'indépendance des Etats-Unis, rien de logique ne pouvait empêcher que les ministres de l'Assemblée Législative, et du même roi, n'armassent pour assurer l'indépendance des Amériques Latines, si françaises par l'esprit de leurs élites. Or, le roi capétien ayant essayé de rejoindre, par la route de Varenne, les régiments du roi de Prusse que la cour des Tuileries avait appelés pour raffermir - le trône chancelant; puis les troupes prussiennes s'étant avancées jusqu'à V e r d u n sous la conduite des émigrés, le peuple de France prononça la déchéance de Louis X V I . A l'appel de Danton, la nation tout entière s'était levée. chant de la Marseillaise avait retenti.
Le
Dumouriez offrit à Miranda de commander une division. U n peuple de volontaires encadré par les vieilles troupes, plus fidèles à la France qu'à la dynastie, se rua dans l'Argonne pour défendre la beauté de son idéal, le fusil au poing. Par delà ses baïonnettes il vit s'enfuir les régiments du duc de Brunswick, la victoire accourir vers le drapeau tricolore. E t parmi ses chefs que ce peuple ivre d'orgueil acclamait, le général Miranda saluait les bataillons qui défilaient devant son cheval. Dressé de toute sa haute taille, dans son habit bleu à feuilles d'or, levant son bicorne chargé de plumes, étreignant, de ses longues jambes en culotte blanche et en bottes à revers, un alezan excité par le roulement des tambours, le fils des L a t i n s d'Amérique rendait hommage, le cœur en joie, au triomphe des Latins de France, qu'il venait de conduire sur le chemin de la victoire, contre la multitude germanique. Par-dessus les Océans, l'union des deux esprits se consommait. L e lendemain de V a l m y , le 21 septembre 1792, la République était proclamée. V o i l à l'heure insigne et sublime sur laquelle je souhaite fixer, un moment, l'attention. L'influence du Contrat Social, l'influence de l'Encyclopédie passe les mers pour émouvoir, dans sa belle maison de Caracas, au milieu du paradis tropical qu'est le Venezuela, un jeune noble, fort riche, très intelligent, très sensible, attristé par les injustices de la vie sociale. la
E t ce jeune homme a quitté son palais, sa famille, ses domaines, plus magnifique des patries, pour venir en Europe s'instruire
miranda, g é n é r a l
de l a
convention
59
mieux de la pensée française, pour lui vouer son existence jusqu'au martyr. Car ce sera le martyr un jour. E t Miranda ne sera pas le seul. D'autres l'ont imité. D'autres sont morts pour nos trois couleurs, pour une maxime de Montesquieu, pour une phrase de
Rousseau,
pour une sentence de Diderot, pour une apostrophe de Danton, et hier pour le souvenir de ces grandes paroles. Non. Miranda ne f u t pas le seul qui ait, avec nous, combattu pour la L o i latine contre la force germanique. Dans les champs de l'Argonne, de l'Alsace, de l'Artois, de la Champagne et de la Meuse, des tombes récemment fermées contiennent des cœurs américains qui voulurent, se rappelant l'œuvre de l'Encyclopédie, mourir pour elle, encore, un siècle et plus après la fin de ses prophètes. Miranda leur a donné l'exemple. Au lendemain de V a l m y , nul de ses devoirs ne le trouve indolent. Il marche en tête de nos colonnes. Il chevauche à côté de nos canons. Il encourage les bataillons de « Savetiers », les savetiers héroïques qu'avaient, à tort, raillés si cruellement les nobles francs de Coblentz et les officiers prussiens. Miranda les aime ces joyeux enfants de nos faubourgs qui portent au visage l'âme fière et gaie de la jeune République en marche, hérissée de baïonnettes, au son des tambours, avec ses artilleries trottantes, ses escadrons chantants parmi les cliquetis des sabres et les hennissements des chevaux. Sous les bicornes à plumet écarlate, que de figures charmantes sourient entre leurs mèches, blondes, brunes, noires, vers le général venu de si loin, à travers l'Atlantique, afin de partager leurs périls et leurs ivresses. Par les routes, par les chemins, par les traverses, encombrant les villages, surgissant des venelles, bondissant des fossés, l'armée de la République libératrice marche avec Miranda, qui voit, dans son rêve d'avenir, un autre peuple latin célébrer bientôt son affranchissement aussi, tandis que sonneront toutes les cloches des cathédrales bleues, des cathédrales roses, des couvents jésuites et dominicains, au sommet des façades si blanches entre les lueurs vertes jailli.es des bananiers ; et cela, de la mer Atlantique à la mer Pacifique. Miranda marche. L a Marseillaise rythme la cadence des mille et mille pas qui frappent le sol de la patrie menacée. L a science du général déjoue les projets de l'ennemi. Il mène à la gloire.
j-oé
la
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semaine de i / a m e r i q u e l a t i n e
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L e s Impériaux battent en retraite par les terres belges. L e s villes ouvrent leurs portes. Les
libéraux
des cités pavoisent a u x trois
beffrois des corporations
flamandes,
couleurs
les
vieux
qui saluent, de leurs carillons, la
Liberté apparue. A n v e r s crache un moment les f e u x de la citadelle sur les b a t a i l lons de M i r a n d a . L a défense ne peut résister à leur f o u g u e , au talent de leur chef. L e s soldats des t y r a n s capitulent. Miranda
nous donnait
la gloire
d é j à que nous
ressusciterons
demain.
V
l MIRANDA
ET
DU MOURIEZ
D e retour à Paris,
dans cet hiver
de
1792, il
discutait
avec
Brissot la possibilité d'établir, à S a i n t - D o m i n g u e , une base d'action, et d'y préparer un débarquement sur la côte ferme du Venezuela. L e Jésuite P a l b o Greman y provoquait alors
des
enthousiasmes
par la brochure où il annonçait a u x Américains du S u d que l'heure sonnait d'être libres. E t cette brochure de l'exil copiée, divulguée, propagée, partout répandue
sous mille
déguisements
déterminait
nombre
de
créoles
et de mulâtres à la lutte immédiate pour l'indépendance. M i r a n d a cependant craignit que S a i n t - D o m i n g u e n'offrît pas de ressources suffisantes à la constitution d'une
flotte.
Puis il dut retourner à la tête de sa division pour la guerre de Hollande. O r la droiture de son caractère et la logique de ses convictions allaient le mettre en conflit avec Dumouriez qui, v o y a n t tous les monarques de l ' E u r o p e se coaliser contre la R é p u b l i q u e , craignit la d é f a i t e et ses conséquences possibles pour les généraux de la R é v o lution. A
Paris, la nécessité
de
faire vivre,
adversaires, l'idéal conquis dans la salle
parmi
ses
innombrables
du Jeu de P a u m e et
les
hommes qui le d é f e n d a i e n t , les o b l i g e a de sévir cruellement contre ceux qui entretenaient une correspondance
avec les émigrés, conduc-
teurs des armées germaniques sur notre sol. L e s factions discutaient avec violence, entêtées, chacune par leur système jusqu'à voter la mort des contradicteurs.
miranda, g é n é r a l
Les
discussions
s'achevaient
de l a
par
61
convention
l'argument
péremptoire
de
l'échafaud. Estimant
que ce tumulte
inévitable
amènerait la catastrophe,
Dumouriez f o r m a le dessein de rentrer dans Paris à la tête de ses divisions afin de rétablir l'ordre, puis de composer avec les
Impé-
riaux et les émigrés. Il ne pouvait agir sans le consentement de M i r a n d a , trop populaire dans les brigades, et que ses troupes suivaient aveuglément. Il f a l l a i t donc persuader le L a t i n d'Amérique. A p r è s avoir décrit les troubles de Paris, les disputes de la Convention, la fureur des monarques et de leurs noblesses germaniques épouvantés par le supplice du roi capétien, Dumouriez crut deviner que tant d'évidences redoutables allaient convaincre son lieutenant. Il s'écria: —
Je suis prêt à franchir
le
Rubicon.
Il
faut
marcher
sur
Paris. Miranda recule d'un pas. Il se redresse de toute sa taille. Il se roidit en cette mine altière qui impose : Général, vous n'êtes point César pour franchir le Rubicon, et l'armée n'est point composée des légions du vainqueur des Gaules. Si l'on vous soupçonnait d'avoir tenu un pareil propos, l'armée entière vous répondrait à coups de fusils. V o t r e remède, citoyen général, est pire que le mal ; et je m'y opposerai de toutes mes forces ! — —
V o u s possible, vous battrez contre moi? C'est si vous vous battez contre l a République. V o u s serez donc Labienus? Labienus ou Caton, vous me trouverez toujours du côté de la
République ! C'était fatalement la ruputure entre les deux hommes, entre les deux consciences. Celle de M i r a n d a ne voulait rien connaître d'une trahison. E t tous les Français d'aujourd'hui peuvent dire qu'ils lui doivent le prestige de leur p a y s dans le monde, les victoires du Droit latin sur la force germanique: Fleurus, Arcole, R i v o l i , Zurich, les P y r a mides,
Marengo,
Austerlitz,
Iéna, W a g r a m , toute
l'épopée
de
la
nation. Car si Dumouriez avait accompli son projet, la France passait immédiatement sous le j o u g des étrangers ramenant dans leurs fourgons, comme ils le firent en 1815, les émigrés, les princes qui eussent anéanti les libertés si chèrement acquises. T a n d i s que la vitalité glorieuse dont elles ont joui, de 1792 à 1808, a laissé des souvenirs féconds. Ils ont inspiré aux enfants, nés sous le soleil d'Austerlitz, le devoir de préparer la résurrection de %
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1830, de 1848, et d'engendrer la descendance qui n'a rien oublié, en 1914, des devoirs acceptés en 1792, pour assurer sur le monde la liberté des peuples. Miranda, vraiment, a sauvé le principe de la République en opposant sa droiture et sa foi très fermes à la proposition de celui qu'on avait, le croyant féru de sentiments libertaires, choisi pour remplacer L a Fayette obstinément royaliste et transfuge. Miranda, vraiment, a sauvé le principe de la République en s'opposant à la proposition de ce Dumouriez qui, le lendemain de V a l m y , avait coiffé le bonnet rouge, au club des Jacobins, et reçu l'accolade de Robespierre. L a réponse de Miranda lui fit un ennemi de Dumouriez. Craignant une dénonciation, celui-ci le voulut déconsidérer auprès des troupes et de la Convention. Il lui attribua des missions impossibles à remplir. T e l l e f u t pendant la campagne de Hollande, l'attaque de Maëstricht. E l l e ne pouvait réussir, avec des troupes mal équipées, une artillerie trop médiocre, fort peu de munitions. L e s assiégeants durent se retirer, lorsque le IER mars 1793, la puissante armée du prince de Saxe-Cobourg se déploya devant les trente mille hommes de Dumouriez. L a retraite s'opéra sur Liège, puis sur Nerwinden, devant quoi le 18 mars, les Impériaux prirent leurs positions. De Dumouriez, Miranda reçut l'ordre formel, heureusement écrit, de passer la rivière qui couvrait ses troupes, la Petite Gette, et de se porter, avec sept colonnes, par delà, contre l'ennemi deux fois plus nombreux, pourvu d'une artillerie très supérieure à celle des Français, et installé dans un terrain presque inabordable. Néanmoins, Miranda conduisit l'assaut en personne à la tête des bataillons aux plumets rouges commandés par cinq généraux. Merveilleusement, ils dépensèrent toute leur bravoure de V a l m y , de Jemmapes. Ils gravirent la pente sous le feu le plus terrible. Trois heures ils répétèrent leurs élans. Deux mille héros tombèrent en chantant la
Marseillaise.
L'obstacle demeurait insurmontable. Miranda, ayant la rivière à dos, dut prescrire la retraite. Il dirigea le recul par les trois ponts; et si bien, que, seuls, huit canons démontés restèrent aux mains des Impériaux. Miranda ramena tout son monde à Tirlemont, dans le moment où le général Valence laissait à l'aile droite les Autrichiens s'emparer de Nerwinden. Bien que les Français se fussent retirés sur leurs positions de départ, et n'eussent aucunement permis aux Impériaux de les délo<"
f
miranda,
général
de l a
63
convention
ger, l'obligation de la retraite générale s'imposa. L e s pertes avaient été grandes. L e s forces germaniques semblaient énormes. Dumouriez commit à M i r a n d a le soin de céder lentement le terrain, en f a i s a n t face. D u 18 au 21 armée
contint,
mars 1793, quatre
fatigua,
jours et
quatre
découragea la poursuite,
et
nuits,
notre
rejoignit
ses
camps au sud de L o u v a i n , selon les indications précises du général en chef. A peine descendu de cheval M i r a n d a reçut un message. L a Convention l'appelait d e v a n t sa barre pour se justifier d'avoir désobéi a u x ordres supérieurs, et d'avoir ainsi facilité la victoire des adversaires. Imputant à M i r a n d a la cause de sa d é f a i t e et les effets de son imprudence, Dumouriez avilissait d'avance un témoignage d a n g e r e u x pour son civisme. D é j à Camus, représentant du peuple a u x armées, n'avait-il pas, de son p o i g n a r d , menacé le général suspect qui devait bientôt, avec L o u i s - P h i l i p p e d'Orléans, passer
aux
Impériaux, sous les coups d e
fusils de nos soldats indignés. A Paris, M i r a n d a sut le précis de l'accusation. Il avait méconnu l'ordre formel de pivoter avec l'aile gauche durant la bataille, « sans quitter sa position ». Heureusement, le vainqueur d ' A n v e r s avait g a r d é le texte de ses instructions écrites: « L e général M i r a n d a attaquera, par la gauche, tant avec ses « troupes qu'avec celles du général Champmorin. Il passera la rivière « sur tous les ponts, et attaquera, sur autant de colonnes, et vigou(, reusement, l'ennemi dans sa position. » L a signature de Dumouriez, au bas, s'étalait.
VI
MIRANDA Le
DEVANT
SES
8 avril 1793,
JUGES
M i r a n d a traverse, pour se rendre devant
Comité de la guerre, les rues où se coudoient
le
des sans-culottes en
bonnets rouges, des crieurs de j o u r n a u x en carmagnoles rayées, des harangères criant
la marée,
des tricoteuses b a v a r d a n t
autour
des
affiches nationales, des merveilleuses montrant leurs jambes jusqu'à la jarretière, des
muscadins engoncés dans leurs cravates et leurs
collets, des hussards coiffés du mirliton, traînant
le sabre
avec
la
j-oé
la
première
semaine de i / a m e r i q u e l a t i n e
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lyon
sabretache et riant a u x petites bouquetières, a u x marchandes d'amadou, a u x ouvrières en modes, à la belle teinturière accorte sous l'enseigne du L i o n V e r t . Ces gens devinent-ils que, le général au teint basané, si roide dans ce cabriolet, avec un officier de gendarmerie, se demande si sa tête roulera ce soir, ou demain peut-être, sur l ' é c h a f a u d ? Se peut-il qu'étant venu, de si loin, combattre pour la
Répu-
blique, cette fin atroce lui soit réservée par la République même? E t trop injustement. L e voici devant ses juges.
Ce sont gens d'apparence sévère :
l'un porte l'habit bleu et les épaulettes en or de général ; les autres ont de grosses redingotes ventre,
et des chapeaux
avec
des écharpes tricolores
enfoncés sur des mèches
autour
grises,
sur
du des
visages glabres, sur une perruque à marteaux encadrant un visage cramoisi. L ' a v o c a t C h a u v e a u - L a g a r d e compulse le dossier. L'homme à la perruque interroge, gravement, brièvement. S a voix résonne dans la salle grande, démeublée, vide. U n e pluie de giboulée bat les hautes fenêtres. E l l e ruisselle sur les carreaux. L'huissier baille en son banc. M i r a n d a n'énonce que des vérités nettes. Il s'étonne des questions simples. Il redoutait des embûches, des subterfuges. Il s'aperçoit que Dumouriez n'a pas tant de crédit sur l'esprit de ces gens-là. L e général aux épaulettes d'or hoche la tête, l'accusé, certainement, après chaque réponse.
en
faveur
de
Il apparaît trop que Dumouriez crut à la transformation de la retraite en déroute, et que la réussite de ce mouvement difficile p l a i d e pour le prévenu. T o u t devient clair, franc, incontestable à mesure que les explications s'échangent devant le Comité silencieux et attentif. L e s jours suivants, à la Convention, l'éloquence de ChauveauL a g a r d e paraît superflue. Chaque juré, chaque j u g e prononce l'éloge du général. M i r a n d a se redresse acquitté à l'unanimité. L e s membres de la Convention se lèvent. Solennellement ils le félicitent. T o u t e une foule survenue l'entoure. E l l e le presse de ses compliments. E l l e l'écoute avec déférence.
miranda, g é n é r a l
dk l a
convention
65
VII
VERS LA LIBÉRATION
DES AMÉRIQUES
LATINES
M i r a n d a ne reprit pas de commandement aux armées de la R é p u blique. L'autorité qu'il avait acquise lui suffisait. E l l e lui permit de fréquenter les milieux les plus influents, et d ' y plaider, avec quelque chance, pour la libération des Amériques Latines. U n e opinion se répandait à Paris : soulever les peuples de tous les p a y s ; étendre la révolution sur l ' E u r o p e entière, sur le N o u veau M o n d e
aussi. C'était un rêve caressé. L a
victoire
de Fleurus
encouragea les espérances d'affranchissement universel. M i r a n d a les p r o p a g e a i t de son mieux. E n même temps, il recevait dans ses domiciles de la rue SaintFlorentin, de Ménilmontant, les v o y a g e u r s de son p a y s . Il entretenait une correspondance avec ses compatriotes. Il savait que les Droits de l'Homme, connus maintenant par les créoles du Venezuela, de la Colombie, et transcrits sur les calepins, transmis par les lettres, prenaient, dans les intelligences, l'importance d'une sorte d'évangile. O n les imprimait Marino.
clandestinement à S a n t a - F é , chez le savant
Maintes
personnes
adroites répandaient
Antonio
le précieux
texte
dans toutes les f a m i l l e s . Il a l l a bientôt jusqu'au f o n d du Mexique et dans la P a t a g o n i e . C'était la charte modèle que tous les acceptaient. O n l'avoir
connue
la et
commentait. O n se résignait à l'avoir
discutée
en
public.
la
Antonio
libéraux
prison
pour
Marino
et
d'autres laissèrent confisquer leurs domaines par les tribunaux. Même ils s'en allèrent vers les bagnes de l ' A f r i q u e espagnole, afin d'expier le crime d'avoir d i v u l g u é la g r a n d e
parole
de la R é v o l u t i o n fran-
çaise et, tout à l'heure, universelle. A u Brésil, dans Ouro-Preto, les étudiants de l ' E c o l e des Mines, exaltés par cette lecture conspirent. L ' u n d'eux, T i r a d e n t e s , est arrêté, conduit à R i o , condamné à mort. L e s absolutistes exposent le corps coupé
par quartiers, en
des
cages de fer, à quatre endroits d'Ouro-Preto. L a tête est fixée sur une pique. L a
hampe est plantée f a c e à
la prison, au milieu de la place sur laquelle s'élève maintenant la statue de l'illustre martyr. A i n s i toutes les Amériques saignaient pour l'amour de la R é v o lution française. U n e communion tragique consacrait glorieusement la fraternité intellectuelle des latins. 3
j-oé
la
première
semaine de i / a m e r i q u e l a t i n e
a
lyon
Dès lors, M i r a n d a ne doute plus de sa mission. Il sera certainement le Libérateur. A cela seul il pense dans la cellule de la Force où, compromis par
son amitié
avec
les
Girondins,
il médite,
de
juillet 1793 à
décembre 1794, sur les vicissitudes étranges de sa carrière. T a n t que Robespierre vécut, il put croire à la proximité
d'un
jugement et d'une mort qui termineraient les jours du républicain le plus sincère. Robespierre abattu, Miranda ne put même recouvrer aussitôt la liberté. O n le soupçonna de conspiration. Il ne sortit de prison qu'en janvier 1795. Il put se réinstaller dans sa maison de Ménilmontant parmi ses tableaux et ses statues, et tenir, comme devant, table ouverte. De
là,
son
activité inlassable
dirigeait,
à Londres,
les
dé-
marches des créoles, qui sollicitaient aussi les secours de l'Angleterre. Il endoctrinait ses hôtes
de passage,
Vénézuéliens,
Péruviens,
Chiliens qui venaient, en France, saluer l'aurore de la liberté, ses troupes victorieuses,
et
y
contempler quelques exemples
d'énergie
républicaine. Commensal
de
l'ambassadeur
Barthélémy,
le
conseiller
du
Comité de Salut-Public pour les A f f a i r e s étrangères, ami du général Menou, très en faveur auprès de l a Convention, M i r a n d a rencontrait aussi Bonaparte,
chez l a maîtresse de T a l m a ,
dans
la
Chaussée-
d'Antin. L e s deux généraux causent : « Il avait appris qui j'étais ; aussi lia-t-il conversation avec moi, m'accablant d'un déluge de questions auxquelles je répondis autant que la politesse l'exigeait... <( L e jour où Bonaparte vint dîner chez moi, j e lui trouvai l'air étonné à l'aspect du luxe dont j'aimais à m'entourer dans mon intérieur.et Mes invités étaient parmi les hommes les plus énergiques des débris de l a Montagne. (( A u milieu d'eux, Bonaparte, soucieux, rêveur, hochait la tête devant la violence de nos expressions. « Depuis, il a dit de moi : « M i r a n d a est un d é m a g o g u e , ce n'est pas un républicain. » Il ne pouvait y avoir d'intimité p a r f a i t e entre ces deux hommes. M i r a n d a refusait alors le commandement d'une armée en répondant qu'il avait combattu de bon cœur pour la l i b e r t é , mais que l a Liberté étant sauve, sa tâche, lui paraissait finie. E t il publiait cette réponse dans un opuscule qui circula, pour étonner ses amis,, les autres.
miranda, g é n é r a l de l a c o n v e n t i o n
67
D e nouveau ses relations lui devaient nuire en Fructidor. Ainsi que ses visiteurs et convices ordinaires, il f u t condamné à la déportation, et f a i l l i t partir pour Cayenne. Grâce à des habiletés, il réussit à g a g n e r l'Angleterre en décembre
1797, après deux années de subterfuges et de luttes pour
échapper aux proscriptions qui frappaient ses amis. Ce serait mal connaître le caractère des L a t i n s d'Amérique que de croire à sa rancune, pour une France inhospitalière. Treize ans plus tard, lorsqu'il atterrira sur la côte de sa patrie, pour répondre enfin, après mille démarches, échecs ( i ) et déconvenues, a u x appels de B o l i v a r et des libéraux de Caracas que la conquête de l ' E s p a g n e par Napoléon a libérés de leurs obéissances envers F e r d i n a n d V I I , c'est dans son uniforme de général français qu'à la proue de sa chaloupe apparaît M i r a n d a devant l'ovation de ses compatriotes réunis sur le quai de L a G u a y r a . C'est
dans l'habit de V a l m y , l'habit a u x
larges revers,
l'habit du
général de la
feuilles d'or et aux
Convention,
que
Miranda
débarque, pour embrasser Bolivar et commencer cette longue guerre de l'Indépendance, dont il ne connaîtra pas la fin heureuse. C'est
dans
l'habit de V a l m y et de Nerwinden,
l'habit de 93,
qu'il signera l'acte de l'Indépendance, debout contre la table dressée sous un tapis de velours rouge à crépines d'or en une chapelle de Caracas, où, le 7 juillet 1811, se sont réunis les quarante et un députés libérateurs. A
cette proclamation de l'Indépendance
toutes les
Amériques
Latines ont répondu. N i les défaites, ni les supplices épouvantables, ni l'hostilité de la nature écrasant, sous le cataclysme d'un tremblement de terre, l'élan de la révolution, et donnant aux royalistes le prétexte d'attester la colère trop évidente du Ciel contre les républicains, rien ne pouvait plus anéantir l'essor de la pensée latine. Que Miranda ait connu toutes les amertumes du pire désastre; qu'il ait vu ses partisans vaincus, dispersés, les royalistes triomp h a n t s ; qu'il ait vu sa main signer la capitulation livrant aux absolutistes le p a y s r a v a g é par leurs troupes, avec toutes les espérances de sa noble vie ; qu'il ait vu ses amis surgir autour de sa couche, la dernière nuit de sa liberté, pour le faire saisir par les soldats mêmes de l'Indépendance, lui arracher son sabre illustre, l'emprisonner en l'accusant, et le trahir; qu'il ait vu les geôliers de F e r d i n a n d V I I le
(1) C o n s u l t e r , n o u r l e s d é t a i l s , l ' e x c e l l e n t o u v r a g e d u très r e g r e t t é J. M a n c i n i s u r Bolivar ( P i o n , é d i t e u r ) . U n e p a r t i e très i m p o r t a n t e est c o n s a c r é e à la v i e de M i r a n d a .
j-oé
la
première
semaine de i / a m e r i q u e l a t i n e a
lyon
charger de fers pesants; qu'il ait vu la mort venir le glacer lentement dans le cachot de C a d i x , m a l g r é le soleil de juillet 1816: cela est e f f r o y a b l e à penser. Mais cette longue torture était consécutive au rêve intérieur qui avait, cinquante ans, ébloui l'intelligence du g r a n d L a t i n . E t ce rêve, la force de sa volonté en a préparé la réalisation. L e s Républiques espérées par l'esprit de M i r a n d a vivent aujourd'hui, un siècle après sa mort, libres, grandioses et respectées, puissantes par la fraternité latine qui va les réunir plus étroitement, selon l'inspiration de l ' E n c y c l o p é d i e , et la volonté opiniâtre du Précurseur. PAUL A D A M .
Le rôle du Salpêtre du Chili dans la guerre et dans l'agriculture « Le Salpêtre, c'est-à-dire la poudre à canon, est la matière qui conserve l'État et soutient le Trône ». HENRI
IV.
uoique p l u s de trois siècles se soient écoulés d e p u i s que le roi
Q
V e r t - G a l a n t p r o n o n ç a ces paroles, elles n'ont p a s cessé d'être
vraies. O n pourrait même dire qu'elles sont a u j o u r d ' h u i p l u s vraies
encore qu'alors, si l'on tient compte des quantités de cette matière que les E t a t s dépensent actuellement pour leur conservation. Lin spécialiste, c o m m e n t a n t dernièrement d a n s le Times
un r a p -
port du I V e corps d'armée a l l e m a n d sur l a S o m m e , é v a l u a i t que, en s o i x a n t e - d i x - s e p t j o u r s , depuis le IER j u i l l e t j u s q u ' à la mi-septembre 1916, la dépense d ' e x p l o s i f s des d e u x armées ennemies sur l a S o m m e a v a i t absorbé 400.000 tonnes de salpêtre d u C h i l i , c'est-à-dire 5.000 tonnes p a r j o u r . D'un
autre côté,
si
l'importance
du
salpêtre
pour
la
guerre
remonte à plusieurs siècles, son a p p l i c a t i o n d a n s la p l u s p a i s i b l e des industries, l'agriculture, est entrée d a n s l a pratique à peine
depuis
une trentaine d'années. D e 1884 à 1914, l a c o n s o m m a t i o n a g r i c o l e du nitrate en F r a n c e
est
passée
de bien moins de
100.000 tonnes
à
300.000 tonnes et d a n s le m o n d e de 400.000 à 2.200.000 tonnes. C e dernier c h i f f r e représente p l u s de 6.000 tonnes p a r j o u r , c'est-à-dire que, si l'on tient compte de toutes les sources d'azote a g r i c o l e (engrais chimiques,
f u m i e r , etc.),
la c a p a c i t é
de c o n s o m m a t i o n
d'azote
de
l'agriculture en temps de p a i x est c o m p a r a b l e à celle de toutes les armées du m o n d e d a n s un c o m b a t incessant.
DE
LA PROVENANCE
DU
SALPÊTRE
O r , tout cet azote de nitrate provient d u C h i l i . D e p u i s la moitié du d i x - n e u v i è m e siècle, il a été e x p o r t é des ports nitratiers vers le reste du m o n d e presque 50 m i l l i o n s de tonnes de nitrate de soude. E n a d m e t t a n t un p r i x de vente m o y e n au consommateur de 260 f r a n c s , é v a l u a t i o n sûrement au-dessous d e l a m o y e n n e , ce nitrate représente une v a l e u r d e treize m i l l i a r d s de f r a n c s , d o n t d i x m i l l i a r d s au b a s mot ont été r é p a n d u s sur les c h a m p s comme engrais. D o n c , en s u p p o sant que l'usage de l'engrais azoté ne produise qu'un profit m o y e n
j-oé
la
première
semaine de i / a m e r i q u e
latine
a
lyon
é g a l à la valeur de l'engrais employé', c'est-à-dire que l'augmentation de récolte due à l'emploi du nitrate ait été seulement du double de la valeur de ce produit, il s'en suit que le C h i l i a contribué a u x rendements de l'agriculture mondiale, depuis que celle-ci f a i t usage de son salpêtre, pour
plus
d'avant-guerre,
la
de
20 milliards. P e n d a n t les dernières années
valeur
de l'augmentation
des
récoltes
due
au
nitrate dépassait certainement un milliard de f r a n c s par an. L e nitrate est donc pour son p a y s d'origine un don de la nature, ou plus exactement la nature a devancé, du moins en partie, le travail du chimiste, en lui fournissant toute
f a i t e la combinaison de
l'azote, travail dont le p a y s propriétaire de gisements se f a i t p a y e r la valeur en t a x a n t cette matière d'un droit d'exportation. E n 1906, M. E m i l e
Gautier a exposé en termes très concis
la
f a ç o n dont ce travail s'est effectué et conservé: D a n s ces régions sans pluie, qui s'étendent sur une b a n d e étroite « entre la Cordillière des A n d e s et l ' O c é a n Pacifique, la
fixation
de
(( l'azote atmosphérique par le sol et sa conversion en nitrate par la c. lente
transformation de m i l l i a r d s
de
micro-organismes
nitrifica-
<( teurs, sa combinaison avec la soude ou la potasse et la cristallisa« tion des nitrates se sont poursuivies p e n d a n t
des siècles et
des
(( siècles, au point que, mieux que l'ancienne E g y p t e , le Chili a fini « par mériter le nom de « grenier du monde », puisque c'est du C h i l i U à peu près exclusivement que vient, non pas tout le pain dont s'ali« mentent les peuples civilisés, mais ce qui sert à le produire. » C'est d a n s cet ordre d'idées qu'un député disait récemment à la Chambre
de
« longues
Santiago:
années,
« Le
salpêtre
chilien
de rester dans leur p a y s
permet, à un
depuis
grand
de
nombre
<t d'étrangers qui, sans l'excès de production agricole due au nitrate, « auraient été obligés d'émigrer, à la recherche des grains qui man« quaient
chez eux.
Nous
avons
eu
la
chance
de posséder
une
<( richesse qui nous met par elle-même en condition d'exercer une « influence sur l'économie mondiale, ce qui est pour nous un a v a n t a g e « matériel et moral : matériel car il nous a aidés à supporter
nos
<c dépenses, moral car il nous a procuré la considération des nations (( européennes en raison de notre apport au bien-être de leurs popu« lations. »
APERÇUS
SUR
,
L'INDUSTRIE
S a n s exposer
DU NITRATE
la technologie
et sans
DE
SOUDE
faire la p r o p a g a n d e
du
nitrate de soude, la littérature courante sur ces deux sujets étant en France,
sinon
très
abondante,
du
moins
suffisante,
ainsi
qu'en
témoigne la note b i b l i o g r a p h i q u e jointe à cette publication, on peut
t
le
role
du s a l p ê t r e
du c h i l i
dans l a
guerre
71
cependant esquisser d'abord les lignes caractéristiques de cette vaste industrie, puis tenter de constater les résultats dus à l'efficacité fertilisante de son produit. Les gisements de nitrate s'étendent sur une bande orientée du Nord au Sud d'une étendue de 7 à 800 kilomètres — deux fois la distance de Châlon à Marseille — sur une largeur ne dépassant guère 60 kilomètres sans s'éloigner jamais à plus de 100 kilomètres, ni se rapprocher à moins de 10 d e l à côte du Chili, sous les latitudes de 19 à 26 degrés, autrement dit à la limite de la zone tropicale de l'hémisphère Sud. Que ce mot « tropical » n'évoque pas cependant des visions de forêts vierges et de larges fleuves aux eaux tièdes; car c'est au contraire dans une étendue désertique, à environ mille mètres d'altitude, d'aspect alternativement salin et rocailleux, qu'existent les gisements de la substance précieuse. A peine les silhouettes de quelques tamarugos, légumineux au feuillage délié, dénoncent-elles la présence de quelque humidité souterraine. C'est dans ce désert naturel que se trouvent parsemées 170 usines montées avec l'outillage le plus moderne pour extraire de la gangue qui en contient de 15 à 30 0/0, le nitrate au titre de 95 ou 96 0/0 qui est expédié sur tous les marchés du monde. Ces usines avec les chemins de fer qui descendent le nitrate sur neuf points de la côte du Chili, représentent un capital de 750 millions de francs au minimum; elles fournissent du travail à plus de 40.000 ouvriers et sont l'unique raison d'être d'une population de 250.000 habitants. Quoique, au commencement de la guerre l'industrie du nitrate ait subi un arrêt, et le prix du nitrate une baisse tout comme celui du coton, bientôt la réaction due à l'énorme consommation d'explosifs ne tarda pas à se produire, et actuellement pas moins de 140 usines fonctionnent à plein rendement. L a capacité de production varie pour chacune de ces usines de 5.000 à 100.000 tonnes par an, la moyenne de production annuelle par usine en activité ne dépassant guère 21.000 tonnes. Il est pourtant à remarquer que depuis la guerre ce sont surtout les grandes usines qui font l'effort de la production, dont le total pour les douze mois se terminant le IER novembre 1916 s'est élevé à 2.940.000 tonnes, chiffre le plus haut jusqu'ici. Malheureusement, de cette énorme quantité de nitrate dont le contenu en matière fertilisante serait suffisant pour presque doubler la production annuelle de blé en France, à peine environ la dixième partie y est-elle parvenue, et ce surtout pour la fabrication de l'acide nitrique destiné aux explosifs.
j-oé l a
DES
première
RÉSULTATS
semaine de i / a m e r i q u e l a t i n e
OBTENUS DU
PAR
a
lyon
L'EMPLOI
NITRATE
DE
SOUDE
COMME
ENGRAIS
D e s c h i f f r e s donnés p l u s h a u t il a p p e r t que la c o n s o m m a t i o n norm a l e de nitrate en F r a n c e ,
les
dernières
années
avant
la
guerre,
a t t e i g n a i t environ 330.000 tonnes, d o n t 40.000 pour les industries chimiques, et moins de 300.000 tonnes pour
l'agriculture;
or de
ces
300.000 tonnes, l a p l u s g r a n d e partie était e m p l o y é e pour l a betterave sucrière, qui n'occupe p o u r t a n t que 1 0/0 de la superficie cultivée de la F r a n c e . C'est dire que les régions d u M i d i ne f o n t qu'une cons o m m a t i o n insignifiante d'azote a g r i c o l e en c o m p a r a i s o n des régions du N o r d de la F r a n c e . E n e f f e t , d'une enquête qui remonte à 1 9 1 1 , se r a p p o r t a n t 30 départements
qui
f o r m e n t l a zone Méditerranéenne
se
aux
groupant
autour d u bassin du R h ô n e , résultent les c h i f f r e s suivants: ces 30 départements contiennent une superficie cultivée de près d e 10 m i l l i o n s d'hectares, d o n t la moitié en céréales et en tubercules, et la consommation moyenne
de nitrate n'y
t a n d i s que les départements
atteint que 1 1/2 k i l o s p a r hectare,
du Nord
en consomment
13 k i l o s
hectare. O r , il est à remarquer que les rendements p a r céréales
dans
ces régions
du
Sud
et
du
Sud-Est
par
hectare des
de
la
France
n'atteignent qu'au 60 0/0 des rendements m o y e n s de toute la F r a n c e , et à moins de 50 0/0 de ceux des régions du N o r d de l a F r a n c e . D u reste, il a été souvent remarqué qu'un p a r a l l é l i s m e s e m b l a b l e existe entre les rendements m o y e n s du b l é en F r a n c e comparés avec ceux
de
Belgique,
A n g l e t e r r e et
Allemagne,
et
la
consommation
totale d ' e n g r a i s p a r hectare c u l t i v é d a n s les mêmes p a y s . L e s belles statistiques que p u b l i e depuis quelques années l'Institut International d ' A g r i c u l t u r e de R o m e , permettent de f o r m e r
le petit
t a b l e a u sui-
v a n t où j ' a i tâché d e résumer quelques chiffres essentiels:
RENDEMENTS
CONSOMMATION
MOYENS
d'engrais DE
TOUTE
SORTE
POMMES DE
Par h e c t a r e .
France
Quintaux-
58 kilos.
Allemagne
108
»
Angleterre
80
»
Belgique
274
»
Pays-Bas
190 »
.
par
TERRE
(1905-1914.) SUCRE
BRUT
de betterave.
hectares.
14.
90.
31
20.
-138.
44
22.
144.
24.
170.
45
140.
38
le
role
du s a l p ê t r e
du c h i l i
dans l a g u e r r e
73
Il serait intéressant de faire connaître en regard de ces chiffres, celui de la capacité de consommation de nitrate pour toute la France, et ceux de l'augmentation des rendements agricoles qui pourrait s'ensuivre. Cette étude n'a pas été faite, et les données n'existent pas pour la faire par rapport au nitrate seul ; mais on peut s'en faire une idée par des déductions logiques des chiffres qui précèdent et par quelques informations notoires. E n effet, en prenant d'après Grandeau la somme de six milliards de francs comme représentant la valeùr de la récolte annuelle dç céréales, pommes de terre et betteraves en France, ce qui put être considéré comme un minimum, il s'ensuit qu'une augmentation de seulement 10 0/0 sur les rendements actuels représenterait ÔOO millions de francs, ce qui est juste le double de ce que la France dépensait avant la guerre en engrais chimiques de toutes espèces. O r le tableau précédent montre que, même en admettant qu'il y ait, en sus de la plus g r a n d e consommation d'engrais dans les autres p a y s qui y figurent, d'autres causes des plus g r a n d s rendements, l'écart général étant supérieur à 50 0/0, on ne peut guère douter qu'un emploi double de la quantité d'engrais chimiques actuellement consommés en France, c'està-dire un surcroît de dépenses de 300 millions, produirait une augmentation de récoltes (sur les 6 milliards) d'au moins 20 0/0, c'està-dire de 1.200 millions. Je ferai remarquer que cette appréciation n'est nullement un calcul de fantaisie de mon cru ; elle n'est pas puisée non plus dans les brochures de la p r o p a g a n d e du nitrate. Mais elle est d'accord avec les conclusions des plus éminents agronomes français de ces derniers temps, depuis leur doyen M. GRANDEAU et M. T i b u l l e COLLOT, le Directeur de c< l ' E n g r a i s », jusqu'aux auteurs des ouvrages les plus récents ayant pour but d'encourager les progrès de l'agriculture française, M. AUGÉ-LARIBÉ (1912), M. A l b e r t DULAC (1912), M. ZOLLA (19 13)- L e s économistes français partagent aussi ces convictions, ainsi que le f a i t constater une toute récente communication de M. E d m o n d THERY à l'Académie d'Agriculture de France. A u surplus, les auteurs sont aussi d'accord sur ce point que la fumure qui contribue le plus à l'augmentation des rendements agricoles est l'engrais azoté, sauf peut-être pour , la pomme de terre où la potasse joue aussi un g r a n d rôle.
DU
CHOIX
D'UN POUR
ENGRAIS L'AGRICULTURE
AZOTÉ ET
L'INDUSTRIE
FRANÇAISES
C'est donc un f a i t acquis que l'intérêt agricole de la France exige une beaucoup plus g r a n d e consommation d'engrais azoté que celle qui f u t faite dans le passé. L a question qui se présente ensuite naturelle-
j-oé
la première
semaine de i / a m e r i q u e l a t i n e
a
lyon
ment, est celle du choix, au point de vue français, de la forme d'engrais azoté convenant le mieux en même temps à l'agriculture et à l'industrie nationales. Mais cette question ne saurait être résolue ni même exposée dans son détail au cours de cette simple étude. Il f a u t néanmoins remarquer que jusqu'en 1914, des seuls engrais azotés chimiques produits en France, lé s u l f a t e d'ammoniaque atteignait à peine le chiffre de 75.000 tonnes et la cyanamide, celui de 7.500 tonnes. D e ces deux matières, l'une étant un sous-produit et l'autre ne pouvant être fabriquée économiquement qu'au moyen de forces h y d r a u liques à bon marché, ni l'une ni l'autre ne sont susceptibles d'un développement indépendant. Ce n'est, là encore, qu'un résumé de ce qui a été plus d'une fois exposé par des spécialistes français, entre autres par M. le Professeur FLEURENT dans ses conférences (janvier-mars 1916) au Conservatoire National des A r t s et Métiers, sur les industries chimiques en France et en A l l e m a g n e . Quant au procédé de N o t o d d e n pour produire l'acide nitrique par synthèse, il ne saurait entrer en ligne de compte pour l'azote agricole, et il ressort de l'expérience même de N o t o d d e n , où la dépense d'installation par cheval dynamique n'est que de 200 francs et l'entretien annuel de 10 à 20 francs, qu'avec des forces hydrauliques 4 ou 5 fois plus chères, le prix de revient en France ne pourrait concurrencer celui de l'acide produit au moyen du salpêtre chilien, autant qu'on peut se procurer ce dernier. Mais pour en revenir au point de vue agricole, il reste encore à envisager la valeur fertilisante comparée de l'azote nitrique du salpêtre et celle de l'azote ammoniacal du sulfate. Cette question a été tranchée depuis longtemps en France, non seulement par des expérimentateurs, depuis M. GRANDEAU, dont les résultats ont attribué une supériorité de 10 à 25 0/0 à l'azote nitrique, mais aussi par le commerce, car depuis 1901 (sauf en 1910 et 1911), le kilogramme d'azote nitrique a été payé sur le marché du N o r d environ 10 0/0 plus cher que l'azote ammoniacal. D'ailleurs, il ne f a u t pas oublier que seul l'azote nitrique est immédiatement assimilable par les plantes, et seul par conséquent peut servir à fumer les cultures de printemps. Seul, enfin, le nitrate convient à tous les sols et y produit son effet rapide et sûr, ce qui n'est pas le cas pour le s u l f a t e et encore bien moins pour la cyanamide dont l'effet est extrêmement aléatoire de l'aveu même de ceux qui en f o n t la p r o p a g a n d e . Je ne f a i s que constater ici des f a i t s acquis et confirmés par nombre d'autorités absolument impartiales.
le
DU
ROLE
role
A JOUER
du s a l p ê t r e
PAR
LA
FRANÇAISE
du c h i l i
MARINE DANS
dans l a
guerre
75
MARCHANDE L'INDUSTRIE
DU
NITRATE
Il semblerait donc naturel, d'après ces prémisses, que la France, p a y s agricole par excellence, ait pris g r a n d intérêt à l'industrie et au commerce du nitrate. O r , il n'en est rien: en supposant la distribution des capitaux proportionnelle à celle des <c quantum » de production dans l'industrie d u nitrate, des 750 millions antérieurement cités, 275 millions seraient des capitaux chiliens, 250 millions seraient anglais, 100 millions allemands, et les 125 restants sont américains et de nationalités diverses. Il n'y a pas de capitaux français dans l'industrie d u nitrate. Q u a n t au transport maritime, la première place revient au p a v i l l o n anglais, la seconde au pavillon allemand, qui transportait en 1913-1914 près de 600.000 tonnes de nitrate, et la troisième au pavillon français (Maison Bordes), avec environ la moitié de ce dernier tonnage. Comme commentaire de cette situation, le mieux est de répéter ce qu'écrivait il y a d i x ans un agent français du Ministère de Commerce au C h i l i , M. GLSSOT, après avoir f a i t ressortir les avantages que vaudrait a u x intérêts agricoles de la France une augmentation d e consommation du salpêtre. L e s lignes suivantes de cet auteur n'ont rien perdu de leur importance: « «. « « « ci « « « « « « « « ti <( « «
« Mais en dehors de la culture, en se p l a ç a n t à un point de vue plus général, notre marine marchande et, partant, notre commerce, devraient trouver dans le salpêtre un élément d'activité. U n e soixantaine de voiliers à peine, la plupart appartenant à la Compagnie Bordes, viennent annuellement toucher les ports de salpêtre. L e s vapeurs français qui chargent le nitrate sont très rares, E t cependant tous les navires venant au Chili sont certains de trouver dans le transport du salpêtre de quoi assurer leur fret de retour. L e s bateaux anglais et allemands sillonnent à peu près seuls les e a u x chiliennes et le développement des flottes du Pacifique que couvrent ces pavillons devrait, être pour les armateurs français la garantie la plus certaine de réussite. D e plus les navires venant actuellement au Chili sont insuffisants pour assurer le service entre l'Europe et ce p a y s . L e s bateaux français trouveraient, tant au H a v r e qu'à L a Pallice ou à B o r d e a u x , les marchandises nécessaires à leur chargement complet. L e s craintes du retour à vide disparaissent lorsque l'on songe a u x quantités énormes de salpêtre qui s'exportent, annuellement et qui ne feront que croître à l'avenir, nécessitant tous les jours d a v a n t a g e des
j-oé
l a première
semaine de i / a m e r i q u e l a t i n e a
lyon
« t o n n a g e s disponibles. L e s A n g l a i s l'ont compris et, a p p l i q u a n t ici « l a méthode qui préside à leurs v o y a g e s en O r i e n t et en E x t r ê m e « Orient, a l l a n t d a n s ces p a y s lointains uniquement lestés de char<1 b o n a n g l a i s qu'ils vendent au f u r et à mesure
qu'ils
rencontrent
« d u f r e t et revenant en A n g l e t e r r e c h a r g é s des p r o d u i t s exotiques, « ils vont au C h i l i a p p o r t a n t à ce p a y s les nombreuses matières qui « lui
font
totalement
défaut
« métropole,
lestés
de
<c A l l e m a n d s
appliquent
et
retournent
salpêtre q u ' i l s avec
succès
d a n s les ports d e
la
revendront en E u r o p e .
Les
la
leur
même
méthode
et
<( p a v i l l o n , flottant d a n s tous les ports d u C h i l i , menace de détrôner « le p a v i l l o n a n g l a i s . « Il serait peut-être bon pour la marine m a r c h a n d e française de « suivre ces g r a n d s
exemples
et de se lancer résolument
dans
les
« e a u x d u Pacifique où elle trouvera l a meilleure des primes à son <( encouragement. L e
commerce
f r a n ç a i s sous toutes ses formes ne
« pourra qu'y g a g n e r . » Un conseils
moment
reviendra —
de M . G l S S O T
auront
bientôt, il
faut
repris leur
l'espérer —
actualité. E t
où
les
même
on
pourrait a j o u t e r qu'il est f o r t possible après l a guerre (et passé une période d e transition) de voir se présenter, comme j a d i s , des occasions f a v o r a b l e s pour les capitalistes étrangers d'acquérir des terrains nitratiers au C h i l i . C e u x qui seraient à l ' a f f û t de ces occasions feront d e bonnes a f f a i r e s ,
ainsi
que
les ont
faites naguère
les capitalistes
a n g l a i s , et ceux d'autres nationalités. Pourquoi des capitalistes f r a n çais n'en profiteraient-ils pas ?
DU
PRIX
ACTUEL
DU
NITRATE ET
SON
ABAISSEMENT
POSSIBLE
U n point i m p o r t a n t à considérer en ce qui concerne l'avenir de l a consommation d u salpêtre du C h i l i en F r a n c e comme engrais, est celui du p r i x auquel il peut être livré à l'agriculture. S a n s entrer à ce sujet dans des observations
de
détails trop a b o n d a n t s , voici mise au -point. D ' a p r è s
les
seulement quelques
données
qui
ont
été
publiées en F r a n c e en 1912 p a r l'ingénieur chilien M . D I A Z - O S S A , le k i l o g r a m m e d'azote revient, dans le nitrate mis en sac, à la côte chilienne à
1 f r a n c en moyenne, et
1 f r . 30 une f o i s transporté en
E u r o p e , en comptant un fret maritime normal. C e dernier prix met la tonne de nitrate (contenant 155 k i l o s d'azote) à 200 francs. O r , si l'on veut se f a i r e une idée de la capacité
de
concurrence
du salpêtre chilien vis-à-vis des p r o d u i t s azotés de f a b r i c a t i o n européenne, il importe de tenir compte des possibilités de réduction de
le
role
du s a l p ê t r e
du c h i l i
dans l a
77
guerre
ces p r i x de revient d a n s l'avenir. A cette fin, voici séparément les f a c teurs essentiels du dernier p r i x de revient, qui sont les suivants, touj o u r s d'après M . DIAZ-OSSA :
Prix
de revient
combustible,
à l'usine, y compris
main-d'œuvre,
amortissement
Fr.
» 4§ 11
T r a n s p o r t à la côte, commissions
»
Droit d'exportation F r e t maritime, assurance, commissions
" 4i »3° Fr.
La ensemble,
première
remarque à f a i r e ,
est que le nombre
i 30
q u a n t à l'industrie
d'usines est excessif
par
dans
son
rapport
au
v o l u m e t o t a l de l a production. Il est démontré qu'une usine à nitrate n'atteint son m a x i m u m de rendement qu'à partir d'une capacité de p r o d u c t i o n de 50.000 tonnes p a r an. L a moyenne est, on l'a vu plus h a u t , au-dessous de la moitié de ce chiffre. C e f a i t a du reste été b r i l l a m m e n t démontré depuis l a guerre par l a plus vaste des entreprises nitratières, la C o m p a g n i e chilienne d ' A n t o f a g a s t a qui p r o d u i t actuellement 276.000 tonnes de nitrate p a r an. E n e f f e t , le p r i x de revient actuel d a n s ses usines,
d o n t l a plus g r a n d e
atteint 65.000
tonnes p a r an, est presque de 25 0/0 au-dessous de l a m o y e n n e générale. O n est donc en droit de déduire qu'une concentration
de l'in-
dustrie d u nitrate, sur le principe de l ' é l i m i n a t i o a des unités de c a p a cité insuffisante, aurait d é j à
pour conséquence une diminution
sen-
sible d e la m o y e n n e d u p r i x de revient g é n é r a l a u x usines. Q u a n d à l a technique courante
de cette industrie, il s u f f i r a de
dire que du nitrate contenu d a n s un gisement en e x p l o i t a t i o n , il n'arrive guère à l'usine que 80 0/0 et même moins, et que les déchets qui sont d ' a u t a n t p l u s f o r t s qué le caliche encore 8 0/0 d u nitrate environ. L e
est moins riche,
procédé
employé
contiennent
aux
usines a
surtout un g r a n d d é f a u t qui en entraîne d'autres, c'est qu'il est mittent
et n o n continu
pour
chaque a p p a r e i l ,
d'où
inter-
des pertes
de
calorique et une dépense excessive de combustible. C e sera donc une prévision extrêmement modérée que de chiffrer à 20 0/0 la r é d u c t i o n possible et même p r o b a b l e du p r i x de revient aux
usines, p a r
l'amélioration des conditions industrielles
et
tech-
niques. L e droit d ' e x p o r t a t i o n — est-il besoin de le f a i r e remarquer? n'est nullement un facteur
industriel
—
du p r i x de revient ; c'est une impo-
sition d o n t le t a u x peut varier au g r é des lois chiliennes, selon le
j-oé
la
première
semaine de i / a m e r i q u e l a t i n e
a
lyon
moment et d a n s les proportions requises p a r l a nécessité — merait toutes les autres en cas de lutte commerciale —
qui pri-
de f a i r e f a c e
à la concurrence. L ' o r g a n i s a t i o n , si défectueuse qu'elle mérite m i e u x d'être qualifiée manque
d'organisation,
d u commerce du nitrate o f f r e aussi une m a r g e
d'économies sur le p r i x de revient en E u r o p e , p a r
l'élimination
—
ou p l u s e x a c t e m e n t p a r la réduction à un m i n i m u m •— de bien d e s intermédiaires qui f o n t p a y e r leur intervention nullement
indispen-
s a b l e souvent, p a r des commissions variables. U n e réduction de 2 o/o pourrait être f a c i l e m e n t atteinte de ce chef p a r une concentration d u commerce —
ou centralisation des ventes —
p a r a l l è l e à celle de l'in-
dustrie. E n f i n , les producteurs extension propres
de leur
de nitrate
Association —
assureurs. Ceci
est sûrement
comme disent les A m é r i c a i n s , cents
devenir —
propres
p a r une
affréteurs et
une proposition
leurs
commerciale.,
q u a n d il s ' a g i t d'un t o n n a g e qui se
chiffre annuellement p a r trois millions, à b o r d — de quatre
peuvent
leurs
et d'une v a l e u r m a r c h a n d e
—
millions -par an et plus. E n encaissant les
profits rélevés jusqu'ici p a r les C o m p a g n i e s de n a v i g a t i o n et d'assurances sur le nitrate, l ' A s s o c i a t i o n
des producteurs
réaliserait
une
opération qui se t r a d u i r a i t p a r une réduction d u p r i x de revient d u salpêtre transporté en E u r o p e de 3 0/0 au m i n i m u m . E n tenant compte de ces chiffres, que les compétences ne pourront q u ' a p p r o u v e r , il resterait d o n c comme f a c t e u r s purement triels
et essentiels
indus-
d u p r i x de revient du k i l o g r a m m e d'azote nitrique
d a n s le salpêtre chilien rendu en port f r a n ç a i s : Prix de revient à l'usine T r a n s p o r t à la côte, etc F r e t maritime, etc
Fr.
» 39 » 09 » 27
Fr.
» 75
'.
c'est-à-dire moins de 120 f r a n c s
la tonne de nitrate (à 95 0/0; 155
k i l o s d'azote). C'est sur un chiffre de cet ordre de grandeur q u a n d on veut établir des p r o j e t s d ' i n s t a l l a t i o n
qu'il pour
faut
tabler
f a i r e concur-
rence au nitrate de soude. T o u s ceux qui ont quelques connaissances des conditions actuelles de p r o d u c t i o n
en
France
d'acide
nitrique,
nitrates de l'air ou autres produits azotés, même de la h o u i l l e ,
se
rendent compte que le p r i x de 75 centimes le k i l o g r a m m e d'azote ne laisserait en
aucun
cas
une
m a r g e de bénéfice
aucune de ces a f f a i r e s considérées
industrielleme7it.
bien
attrayante
à
I le
DES
role
du s a l p ê t r e
RESSOURCES
DU
du c h i l i
CHILI
EN
dans l a
guerre
GISEMENTS
DÉ
79
SALPÊTRE
Il reste encore, avant de conclure, un autre point à examiner. O n répète de tous côtés que le salpêtre du Chili sera épuisé en 1923. L a mention que l'on f a i t de cette date si précise provient d'une erreur d'interprétation
des
déductions
d'un
rapport
du
Directeur
des
Douanes du Chili à la date de 1902, où il n'était f a i t état que des reconnaissances jusqu'à
Vannée
pratiquées içoo.
dans
certaines
étendues
des
gisements
Or, de nouvelles reconnaissances ont été exé-
cutées de 1908 à 1 9 1 1 , qui établissent d'abord l'existence de plus de 200 millions de tonnes de nitrate industriellement
exploitable. Ce
volume suffirait donc à la consommation mondiale pendant soixanted i x ans encore — c'est-à-dire presque jusqu'à la fin du siècle —
au
t a u x annuel de 3 millions de tonnes (qui n'a encore été atteint aucune année) et pendant cinquante ans — supposant une augmentation
c'est-à-dire jusqu'en 1966 —
de consommation
annuelle
en
de 55-000
tonnes, comme par le passé. Mais ces prévisions ne se rapportent qu'au contenu des terrains où des sondages ont démontré la présence étant
recouvert
mètres,
d'une
croûte
d u nitrate. Or, celui-ci
saline, épaisse
et l'étendue des p a m p a s
composées
souvent
de
de cette
croûte
plusieurs étant
immense, aucun des experts et spécialistes ayant étudié cette question en j u g e a n t d'après les conditions locales ne met en doute qu'une grande partie de ces p a m p a s ne constitue de nouveaux gisements de salpêtre dont la contenance pourrait bien être quatre ou cinq
fois
supérieure à ceux jusqu'ici en exploitation et concédés. O n voit donc que, s'il peut être très intéressant pour le Chili, afin d'établir sur des bases connues ses projets financiers d'avenir, de pousser l'exploration de ses terrains nitratiers jusqu'à la reconnaissance complète de cette richesse naturelle, il n'y a aucunement lieu pour les p a y s consommateurs de se préoccuper de l'épuisement plus ou moins prochain de la substance azotée qui reste jusqu'ici la plus précieuse de celles que le sol fournit à l'agriculture. ALEJANDRO
B E R T R A N D
8 o
l a p r e m i è r e semaine de 1/amérique l a t i n e a
NOTES
BIBLIOGRAPHIQUES SUR
LE
NITRATE
lyon
FRANÇAISES
DU
1906. — A d o l f o ORTUZAR : Le Chili de nos jours,
CHILI 1 vol. 647 p a g e s .
1907. — E m i l e GLSSOT : Le Chili économique. — Rapport Commerce de France, 1 vol. 120 p a g e s .
au Ministère
du
1908-1913. — A. BERTRAND : P u b l i c a t i o n s i l l u s t r é e s de g r a p h i q u e s : d a n s le j o u r n a l de L i l l e L'Engrais du 10 j u i l l e t 1908 ; 15 j a n v i e r 1909 ; 22 a v r i l , 25 n o v e m b r e , 2, 9, 16, 30 d é c e m b r e 1910 ; 21 j a n v i e r , 17 f é v r i e r ; 12, 19, 25 m a i ; 22, 29 s e p t e m b r e 1911; 21 m a r s 1913. — D a n s le j o u r n a l Le Phosphate de P a r i s , le IER, 8, 15 d é c e m b r e 1910; 12, 19, 26 j a n v i e r , 2, 16, 23 f é v r i e r , 4 m a i , 25 s e p t e m b r e 1911 ; 17 j u i n , i 5 r et 15 j u i l l e t 1912. 1912. — Ch. PI.UVINAGE : Industrie
et Commerce
des Engrais,
1 vol. 543 p a g e s .
1912. — B é l i s a r i o DIAZ-OSSA : « L ' I n d u s t r i e du N i t r a t e de S o u d e », d a n s l a Revue Générale des Sciences du 30 m a i 1912, et d a n s le Bulletin de la Société d'Encouragement à l'Industrie Nationale, j u i n 1912. 1916.— A. MORVILLEZ : Le Nitrate chure.
Guides
de Soude
et son emploi
rationnel,
1 bro-
Almanach Agricole du XXe siècle (16 e a n n é e ) , 1916. Régionaux d'agriculture pratique : 30 b r o c h u r e s i l l u s t r é e s , p o u r les d i f f é r e n t e s r é g i o n s et c u l t u r e s de l a F r a n c e , de la Suisse r o m a n d e , A l g é r i e et T u n i s i e , 1914, r é d i g é e s p a r les a g r o n o m e s M M . MORVILLEZ, BOURBAN, ROUSSEI.LE, GUÉRIN, GUYOT, ARVEUF, LEFEBVRE et LÉONARDON.
La participation de la France au développement économique de l'Amérique Latine. A v a n t et depuis 1900. — Ports concédés ou confiés à des entreprises françaises. — Chemins de fer concédés, construits ou financés. — Mines et entreprises industrielles diverses. — Banques et Sociétés foncières. — Mouvement commercial (Argentine, Brésil, Chili, Uruguay, autres pays). Résultats g-lobaux. — Parallèle entre le rôle des entreprises de travaux françaises et les entreprises françaises de commerce et de navigation.
U n e étude de la part assumée par les entreprises et le capital français dans les g r a n d s travaux publics et le développement économique de l'Amérique Latine offre un intérêt multiple. E l l e apporte une preuve, à côté de mainte autre, de ce qu'a su réaliser l'esprit d'entreprise français dans le domaine des grands travaux d'utilité publique; elle fournit en même temps un exemple, digne d'être publié, de ce que pourrait être, sur une plus large échelle, l'initiative française dans le monde. E l l e montre par ailleurs la solidarité d'ores et d é j à existante, et facile à resserrer plus encore, entre l'économie française et l'économie sud-américaine; elle découvre enfin le champ immense ouvert dans ce p a y s à notre activité économique, en même temps que les facilités que nous sommes assurés d'y rencontrer, si nous savons utiliser les positions d é j à prises. D'autre part, la comparaison entre les succès remportés par nos entreprises de travaux et les insuffisants progrès de notre commerce avec l'Amérique du S u d , met à nu les lacunes de nos méthodes et de notre organisation commerciales, et pose dans son ensemble le problème des conditions auxquelles, après guerre, l'expansion économique de la France jouera son rôle de salut pour le pays. Avant
içoo,
la France avait encore très peu participé à la créa-
tion de l'outillage
économique
sud-américain.
O n pourrait tout au
plus citer, en Argentine, le réseau initial de la Compagnie des Chemins de Fer de la Province de S a n t a - F é , remontant à 1886, et construit par la C o m p a g n i e de F i v e s - L i l l e , en même temps que l'installation de quelques fabriques de sucre dans la province de Tucuman. L a grande crise
financière
argentine
de
1890, survenue après une
période de développement agricole et commercial très intense, avait en effet, ralenti considérablement notre expansion de ce côté. A u Chili, des maisons françaises s'étaient
intéressées au trans-
j-oé
la
première
semaine de i / a m e r i q u e l a t i n e
a
lyon
port des salpêtres, et un bassin de radoub avait été construit par une entreprise française à T a l c a h u a n o . A u Pérou, le port de C a l l a o avait été installé sous l'égide de la Société Générale. L e port de Buenos-Ayres, la majeure partie des chemins de fer de l'Argentine et de l ' U r u g u a y avaient, au contraire, été concédés à l'industrie anglaise. Beaucoup
de
compagnies
brésiliennes s'étaient
créées et développées de la même manière. Comme on le voit, notre part avait été jusqu'alors presque insignifiante dans le développement des grandes œuvres d'utilité publique. D u r a n t cette période notre commerce, beaucoup moins important qu'à présent, tenait cependant la deuxième place dans le mouvement commercial extérieur de la République Argentine et du Brésil, et la C o m p a g n i e des Messageries Maritimes
tenait
le premier r a n g pour
le transport des passagers.
A R G E N T I N E . — PORTS.
— Depuis
içoo,
sion française en Argentine, a été celle du Port dée MM.
le
18
janvier
Schneider
1902,
à
MM.
Hersent
la première concesdu Rosario,
Jean
et
accor-
Georges,
et
et C i e , à la suite d'un concours auquel avaient pris
part des maisons françaises, anglaises et belges. Il s'agissait de créer de toutes pièces, sur le Parana, à 300 kilomètres environ de son embouchure un g r a n d port ouvert à la navigation d'outre-mer, muni des installations, de l'outillage et des silos les plus modernes, de manière à favoriser la manutention rapide et économique des marchandises, et en particulier celle des céréales, principal produit du pays. L e gouvernement accordait, comme unique compensation à l'éxécution des travaux, l'exploitation du port pendant une durée de quarante ans. L e programme initial s'élevait à environ 58 millions de f i a n c s et comprenait, notamment, 3.700 mètres de quais. L e tonnage sur lequel avait été basée la concession était celui de l'année 1899, durant laquelle le port de Rosario avait présenté un mouvement d'entrée et de sortie de 2.325.000 tonnes de j a u g e , pour 1.643.000 tonnes de marchandises. O r , depuis, la longueur du quai a été portée à 6 kilomètres environ, afin de satisfaire à un mouvement de w a g o n s plus considérable que dans aucun de nos ports français, même durant la période actuelle de guerre. L a dépense totale afférente à la concession de Rosario s'élève, à ce jour, à 125 millions de francs environ. Je me suis étendu un peu plus sur ce premier g r a n d travail, car sa réussite f u t , dans une certaine mesure, le point de départ de tout
la france et
le mouvement pays.
le
français,
developpement de l ' a m é r i q u e
qui
se
produisit
latine
ultérieurement
83
vers
ces
E n 1908, la Compagnie Française du Chemin de Fer de Rosario à Puerto-Belgrano obtint la concession, dans l'Arsenal de BahiaB l a n c a , d'un w a r f présentant 650 mètres de développement de quai, et spécialement outillé pour la manutention des céréales. Ces trav a u x , s'élevant à 20 millions de francs, ont été terminés en 1912 et furent exécutés par M M . Hersent. E n 1910, la Société des Grands Travaux de Marseille traita, après a d j u d i c a t i o n , la construction du port Quequen, dont le montant s'élève à 15 millions de francs environ et qui est plutôt destiné au cabotage. Presque à la même époque, MM. Aliard, Dollfus, Sillard et Wiriot obtenaient, à Mar del Piata, la construction d'un g r a n d port en eau p r o f o n d e , dont l'importance des travaux était prévue à 60 millions de francs. Ces travaux comportent deux grandes jetées-abri et 3.000 mètres de quai, avec 10 mètres d'eau à leur pied. L a Compagnie du Port commercial de Bahia-Blanca, concessionnaire d'un port à l'entrée de la baie du même nom, confia, en 1912, l'exécution des travaux de la première section, s'élevant à 28 millions de francs environ, à la R é g i e Générale des T r a v a u x Publics. Cela représente au total 248 millions de francs pour les ports argentins construits par des entreprises françaises, avec plus des deux tiers des capitaux fournis par la France. CHEMINS DE FER. — L'importance des entreprises çaises de transport est relativement plus g r a n d e encore :
fran-
T o u t d'abord, la Compagnie des Chemins• de Fer delà Province de Santa-Fé, avec une longueur de 1.926 kilomètres à la voie de 1 mètre, pour un coût de 256.271.000 f r a n c s ; la Compagnie du Chemin de Fer de Rosario à Puerto-Belgrano, avec une longueur de 800 kilomètres à la voie normale argentine, pour 187.500.000 f r a n c s ; la Compagnie Générale du Chemin de Fer de la Province Buenos-Ayres, avec un parcours de 1.268 kilomètres à la voie 1 mètre, pour un total de 225.000.000 f r a n c s ;
de de
puis les Chemins de fer du Méridiano-Quinto et le Midland, d'une longueur respective de 4.60 et de 500 kilomètres, construits avec des emprunts contractés en France, pour des sommes de 67.000.000 et 7.500.000 f r a n c s ; soit au total une participation française de 746.000.000 francs environ., pour 5.000 kilomètres de chemins de fer construits en A r g e n tine.
j-oé
la
première
semaine de i / a m e r i q u e
ENTREPRISES
latine
INDUSTRIELLES.
—
a
lyon
Parmi
celles-ci,
citons : le Gaz de Rosario, la
Brasserie
au capital de 4.800.000 f r a n c s ; Quilines,
de
représentant
un
capital-actions
de
27.000.000 francs, et 6.000.000 francs d'obligations; les MM.
Fabriques
Hileret, la Société
de
Sucre
et
Raffineries
de
Santa-Anna,
à
estimées 17.000.000 f r a n c s ; des Tanneries
Soulas,
avec un capital de 6.000.000 f r .
environ. les Nouvelles
Sucreries
de Ledesma,
dont 22.000.000 francs ont
été fournis par un établissement financier français ; soit un total apparent de 82.800.000 francs environ, pour
les
principales industries françaises en Argentine. BANQUES ET SOCIÉTÉS FONCIÈRES. — L'énumération des banques et sociétés foncières françaises, ainsi que le montant des capitaux qu'elles emploient, démontrent également combien notre expansion vers ces p a y s s'est développée au cours des d i x dernières années. Citons notamment : la Banque Française du Rio de la Plata, au capital de 140.000.000 francs, notre établissement le plus ancien; et la Banque Argentine et Française, au capital de 10.000.000 f r a n c s ; la Banque Française et Italienne pour l'Amérique du S u d , avec un capital de 25.000.000 f r a n c s ; sa création date de 1910; puis, les deux très puissants établissements de crédit foncier : la Banque Hypothécaire Franco-Argentine, créée avec le concours de l'Union Parisienne en 1905; son capital est de 75.000.000 francs et le montant des obligations émises représente 243.000.000 francs ; le Crédit Foncier Argentin, créé en 1906, sous les auspices du Comptoir d'Escompte et de la Société Générale, avec un capital de 50.000.000 francs et 192.000.000 francs d'obligations; enfin : le Crédit Foncier de Buenos-Ayres et des Provinces Argentines, f o n d é en 1910, au capital-actions de 12.500.000 francs, avec 32.750.000 francs d'obligations émises; la Caisse Hypothécaire Argentine, créée à la même époque avec un capital-actions et obligations de 37.500.000 f r a n c s ; la Société Foncière de l'Argentine, créée en 1911, et travaillant avec un capital-actions et obligations d'environ 15.500.000 f r a n c s ; le Crédit Foncier de Santa-Fé, la plus ancienne des sociétés de ce genre, puisque son origine remonte en 1896, et disposant de 37 millions de francs environ ;
la france et le
le Crédit
Argentin
d e v e l o p p e m e n t de
-pour
Prêts
l'amérique
Agricoles
latine
85
et Hypothécaires,
au
capital de 5.000.000 francs. D'autre part, le Ho gar Argentino,
Société Argentine hypothé-
caire, a émis récemment, en France, pour une somme de 110.000.000 francs d'obligations. L a participation
du capital
français aux établissements
finan-
ciers travaillant en Argentine, soit comme Banques proprement dites, soit comme Banques Hypothécaires, dépasse la somme d'un
milliard,
et si l'on y comprend certaines affaires hypothécaires dont le capital a été fourni par des groupements régionaux, tels que L i l l e et R o u b a i x , on doit atteindre facilement le chiffre de 1.200.000.000 francs. MOUVEMENT COMMERCIAL. - - Comme on l'a d é j à vu plus haut, jusqu'en 1890, la France occupait, après l'Angleterre, la deuxième place dans les importations argentines. D e 1890 à 1900, la lutte entre les différents p a y s pour conquérir le marché argentin devint de plus en plus sérieuse. A partir de 1900, la France se laissait distancer, non seulement par l ' A l l e m a g n e , mais aussi par les E t a t s - U n i s : en 1913, elle occupait la quatrième place. L e s exportations françaises en Argentine sont cependant passées de 54.500.000 francs en 1900 à 190.000.000 francs en 1913, soit un peu plus du triple. Mais durant la même période, les exportations allemandes faisaient plus que quadrupler : de 83.000.000 elles passaient à 356.500.000 francs. Il n'est pas sans intérêt de rappeler ici que, jusqu'en 1880, les importations de France et d'Angleterre en Argentine étaient sensiblement égales. T o u r à tour, ces deux p a y s occupaient la première place, tandis que les importations d ' A l l e m a g n e demeuraient insignifiantes. Ainsi, en 1880, la proportion des importations françaises et anglaises en Argentine, par rapport aux importations totales, était respectivement de 28,4 0/0 et 27,8 0/0, tandis que les importations allemandes, dans la même période, n'atteignaient qu'à peine 5 0/0 de l'ensemble.
B R É S I L . — PORTS. — L a Compagnie des Docks et du Port de Bahia obtint, en 1908, la concession de ce port, pour une durée de quatre-vingt-dix ans. L e s ouvrages comprennent la création de deux digues au large, et de 2.500 mètres de quais, avec tout l'outillage approprié à un g r a n d établissement maritime moderne; leur valeur s'élève à 75.000.000 francs. E n 1909, le gouvernement brésilien concédait à des Compagnies françaises les ports de Pernambuco et de Rio-Grande-do-Sul.
j-oé
la
première
L a Société
semaine de i / a m e r i q u e l a t i n e a
de Construction
du Port
lyon
de Pernambuco
commença
la construction du port en 1909 et, en 1910, elle chargea la Société d e Construction des B a t i g n o l l e s , à Paris, d e les continuer. L e montant des t r a v a u x s'élève à 100.000.000 francs environ; les ouvrages comprennent notamment une g r a n d e digue avec brise-lames et 6.300 mètres de mur de quai, complètement outillés. L e Port
de Ro-Grande-do-Sul
f u t concédé à une Société fran-
çaise, qui chargea M M . D a y d é et P i l l é , F o u g e r o l l e et Groselier, d e l'exécution
de
l'ensemble
des
travaux,
s'élevant
à
160.000.000
francs environ. L e s ouvrages consistent en d e u x jetées d e 4.OOO mètres chacune, allant jusqu'aux grands f o n d s du large, et 2.500 mètres de quais en eau p r o f o n d e , à l'intérieur de la lagune. L'entrée du port est maintenant assurée avec 6 mètres d'eau sous zéro, et le très difficile problème technique de l'entrée de l a L a g u n a
dos Patos, à
l'étude
depuis soixante ans, se trouve enfin réalisé grâce à l'intervention de nos ingénieurs. D'autre part, en 1910, les t r a v a u x hydrauliques du f u t u r Arsenal de la Marine, à Rio de Janeiro, furent a d j u g é s , après concours, à la Société des Batignolles qui, sous le nom de Société Française d'Entreprises au Brésil, en commença l'exécution. Ces travaux comportaient la construction de 650 mètres de quai sous d i x mètres d'eau ; d'un bassin de radoub de 230 mètres de longueur, ainsi que d'une cale de construction couverte. L'ensemble de ces travaux, s'élevant à 30.000.000 francs environ, a dû être résilié depuis la guerre, par suite de questions financières. N o u s ne les signalons donc que pour mémoire. Enfin l'épargne française a participé à la construction du Port de Para, avec la prise d'environ 130.000.000 francs d'obligations. L e s t r a v a u x de ce port sont réalisés par la Maison Pearson de L o n dres; mais M M . Schneider et C i e ont fourni une partie de l'outillage, pour 12.000.000 francs environ. D e même, l a Société Française du Port de Rio de Janeiro, au capital de 10.000.000 francs, avec 12.500.000 francs d'obligations, exploite le port de la capitale fédérale, dont la construction avait été confiée à M M . C. H . W a l k e r et C i e de Londres. E n resume, la part française dans les travaux maritimes entrepris au Brésil dans ces dernières années atteint 517.500.000 francs, sur un total de 697.500.000 francs de travaux confiés à des maisons étrangères, — les iSo.ooo.ooo formant la différence a y a n t été exécutés par des maisons anglaises.
la france et le
CHEMINS
DE
developpement
FER.
—
de
l'amérique
latine
87
L a construction et l'exploitation de
chemins de fer au Brésil a attiré également l'attention des capitalistes et industriels français, comme le démontre Pénumération ci-après : la Compagnie
du
Chemin
de
Fer
de
Sâo-Paulo-Rio-Grande,
avec 280.000.000 francs d'obligations émises en F r a n c e ; la Compagnie
du Chemin
de Fer Victoria
Minas,
au capital de
40.000.000 francs d'actions et 90.000.000 francs d'obligations, en g r a n d e partie.négociables à P a r i s ; la Compagnie
des
Chemins
de
fer
de
Goyaz,
au capital
de
28.300.000 francs, avec 25.000.000 francs d'obligations négociables à Paris ; la Compagnie
Auxiliaire,
des Chemins
de Fer au Brésil,
créée à
l'aide de capitaux français et belges, au capital de 41.000.000 francs et 110.000.000 francs d'obligations, dont 40.000.000 francs environ émis en F r a n c e ; les Chemins
de Fer Fédéraux
Brésiliens,
réseau S u d de Minas,
au capital de 32.000.000 francs, et 50.000.000 francs d'obligations, négociables à P a r i s ; le Chemin
de Fer Sud-Ouest
de l'Etat
de Bahia,
au capital de
y.000.000 francs, avec 6.250.000 francs d'obligations émises; la Compagnie
Nord-Ouest
du Brésil,
au capital de 33.000.000
francs (20.000 contos), avec 67.500.000 francs d'obligations émises; la Compagnie
de Chemin
de Fer du Nord de Parana,
au capital
de 1.000.000 francs et 4.350.000 francs d'obligations négociables en France ; enfin, la Compagnie
des Chemins
de Fer du Nord de
Sâo-Paulo,
dont la dette obligations s'élève à 30.000.000 francs. A u total, le capital e n g a g é dans les chemins de fer brésiliens, rien qu'en obligations
négociables
à Paris,
s'élève
à
600.000.000
francs environ.
ENTREPRISES
INDUSTRIELLES.
— Parmi les
entreprises
industrielles de diverses natures, on peut citer notamment : les Abattoirs la Société
de Para, au capital de 5.000.000 f r a n c s ; des
Sucreries
Brésiliennes,
au copital
de
7.000.000
francs, avec 1.842.500 francs d'obligations; la Compagnie Sud-Atlantique, la Société 7.500.000 Paris :
Française
des Télégraphes
au Brésil
et dans
le
au capital de 1.000.000 f r a n c s ; des Améliorations
francs,
avec
de la Ville
II.250.000
de Para, au capital de
francs d'obligations émises à
j-oé
la
première
semaine de i / a m e r i q u e l a t i n e
a
lyon
la Compagnie Générale pour l'Amélioration de la Ville de Fernambuco, au capital de 8.750.000 francs, avec 6.000.000 francs d'obligations ; au total, 29.250.000 francs d'actions et 19.092.500 francs d'obligations, dont la plus large part est afférente aux capitaux français. BANQUES ET SOCIÉTÉS FONCIERES. — L e s Etablissements de crédit français, au Brésil, quoique moins nombreux, et surtout moins puissants qu'en Argentine, sont cependant dignes d'attirer l'attention. Nous signalerons : le Crédit de 50.000.000 gations ; la Banque tal 25.000.000
Foncier du Brésil et de l'Amérique du Sud, au capital francs, dont la dette s'élève à 68.500.000 francs d'obliFrançaise et Italienne pour l'Amérique du Sud (capifrancs, — dont il a été d é j à parlé pour l'Argentine);
la Banque- Française francs ;
pour
le Brésil,
au capital
de
15.000.000
la Banque Hypothécaire et Agricole de l'Etat de Sâo-Paido, capital 10.000.000 francs, avec 40.000.000 francs d'obligations;
au
le Crédit Foncier et Agricole de l'Etat de Minas Geraes, au capital de 10.000.000 francs, avec émission autorisée de 90.000.000 francs d'obligations. la Société Financière et Commerciale Franco-Brésilienne, au capital de 10.000.000 f r a n c s ; enfin le Crédit Foncier du Brésil, au capital-actions de 12.500.000 francs, avec 37.500.000 francs d'obligations. E n résumé, les capitaux français engagés dans les principales banques et sociétés de Crédit Foncier au Brésil, s'élèvent à 343.500.000 francs, dont 107.500.000 francs d'actions et 236.000.000 francs d'obligations. MOUVEMENT COMMERCIAL. — Pour le mouvement d'importation, la France occupe la quatrième place au Brésil, après l'Angleterre, l ' A l l e m a g n e et les E t a t s - U n i s . L e montant de nos importations s'élève à 143.000.000 francs pour l'année 1912, c'est-à-dire à la moitié environ du mouvement d'importation de l ' A l l e m a g n e .
C H I L I . — PORTS. moindre.
— Notre participation dans ce p a y s est bien
^ Comme travaux de ports, M M . A l l a r d , Couvreux, D o l l f u s , W i r i o t et S i l l a r d , construisent, dans l'Arsenal de Talcahuano, un bassin de radoub de 250 mètres de longueur, muni d'une mâture
\
france et le
flottante
développement
de l ' a m é r i q u e
latine
89
d e 180 tonnes de puissance (contrat de 1 9 1 1 , d'une impor-
tance de 24.000.000 francs). M
G a l t i e r , après un concours en 1 9 1 1 , est nommé a d j u d i c a t a i r e ,
pour la somme de 20.000.000 francs, Port
de San-Antonio,
des ouvrages extérieurs
du
au n o r d de V a l p a r a i s o .
L a totalité des t r a v a u x de ports exécutés en ce moment au C h i l i s'élève à 114.000.000 francs, dont 44.000.000 f r a n c s ont été donnés à , des maisons françaises. CHEMINS
DE
FER.
— Pour ce qui concerne les entreprises de
transport, nous signalerons le Chemin
de Fer Longitudinal
du
Chili,
exécuté pour le compte du gouvernement chilien par la R é g i e Géné1 aie et une maison de construction
a n g l a i s e , dont
l'importance
est
d'environ 100.000.000 francs. ENTREPRISES
INDUSTRIELLES.
—
La
participation
française d a n s les Sociétés de mines n'est pas non plus n é g l i g e a b l e : les Mines
et
Usines
de
Cuivre
de
7.000.000 f r a n c s ; les Mines de Cuivre de Naltagua,
Chanaral,
au
capital
de
au c a p i t a l de 10.000.000 f r a n c s
et 3.000.000 f r a n c s d ' o b l i g a t i o n s ; les Mines
de Cuivre
de Catemou,
au c a p i t a l de 5.000.000 f r a n c s
et 2.500.000 f r a n c s d ' o b l i g a t i o n s , réparties entre B r u x e l l e s et P a r i s ; les Hauts
Fourneaux
et
Aciéries
du
Chili,
au
capital
de
7.000.000 f r a n c s et 10.000.000 f r a n c s d ' o b l i g a t i o n s ; soit au t o t a l
29.000.000 f r a n c s d'actions et
15.500.000 f r a n c s
d ' o b l i g a t i o n s investis, au cours de ces dernières années, dans l'industrie chilienne.
URUGUAY.
—
D a n s l ' U r u g u a y , nos compatriotes, M M .
Al-
iarti, Coiseau, C o u v r e u x , D o l l f u s , W i r i o t , D u p a r c h y et S i l l a r d , ont exécuté,
de
1900 à
v a u x d a n s le Port
1910, pour environ 70.000.000 f r a n c s de
de Montevideo,
tra-
qu'ils ont créé de toutes pièces.
L e s o u v r a g e s p r i n c i p a u x comprenaient : 3 jetées extérieures de 4.300 mètres de longueur t o t a l e ; un chenal d'accès, creusé avec 10 mètres d ' e a u ; 2.500 mètres de quais, avec
10 mètres d'eau à leur base, et
60 hectares de terre-pleins. D ' a u t r e part, MM.
Hersent
construisent en ce moment à
s a n d u , sur le R i o U r u g u a y , un port
fluvial.
C o m m e banque, signalons, dans cet E t a t , le Crédit l'Uruguay,
au c a p i t a l
de 5.000.000
d'obligations.
I
Pay-
francs,
Foncier
avec 4.900.OOO
de
francs
j-oé
la première
semaine de i / a m e r i q u e l a t i n e a
lyon
A U T R E S P A Y S . — L a Bolivie, le Pérou, l'Equateur, le Venezuela et la Colombie ont également profité de l'expansion française, mais dans des proportions moindres. Il est cependant intéressant de rappeler la Compagnie des Mines de la Huanchaca, en Bolivie, avec un capital de 40.000.000 francs, placé partie en France, partie en Angleterre, ainsi que le Chemin de Fer allant de Y Argentine à la Paz; enfin, le Crédit Foncier Péruvien, au capital de 5.000.000 francs.
R E S U L T A T S C O M P A R E S . — L a part du génie civil et du capital français, dans le développement des œuvres d'utilité publique et la mise en valeur de l'Amérique du S u d , a donc été considérable, on peut même dire prépondérante dans ces derniers temps. L e s plus grandes nations peuvent nous l'envier. A u cours des quinze dernières années, la France est en effet intervenue dans la construction des ports Sud-Américains, pour une somme de 880.000.000 francs environ, sur un total de 1.325.000 francs. L a différence pour 400.000.000 francs est revenue à des constructeurs anglais. L ' A l l e m a g n e n'y a contribué que pour une somme de 45-°OO.OOO francs au plus. D u r a n t cette période, la France a participé à la construction des chemins de fer pour une somme g l o b a l e d'environ 1.450.000.000 francs, contre une participation anglaise de plus du triple, tandis que la part de l ' A l l e m a g n e a été pour ainsi dire nulle dans ce domaine. L e développement de nos établissements financiers, plus particulièrement en Argentine et au Brésil, a marqué également un progrès des plus appréciables. Mais nos méthodes bancaires sont à transformer, si l'on veut tirer un meilleur parti des facilités et des dispositions amicales que nous sommes assurés de trouver dans l'Amérique Latine.. U n certain nombre de ces affaires ont subi une marche ascendante très prospère ; d'autres n'ont pas encore atteint les résultats qu'on pouvait espérer. Mais les affaires, à leur début, ne souffrent-elles pas assez souvent, comme les êtres jeunes, d'une crise de croissance, sans que leur avenir en soit compromis ? Il ne semble donc pas douteux qu'avec un peu de temps et de prudente administration, tous les capitaux engagés soient largement rémunérés. Mais il est un f a i t qui f r a p p e et qui étonne : la disproportion entre les incontestables succès remportés dans l'Amérique du S u d par les entreprises françaises de travaux publics, par les entreprises françaises industrielles ou financières, d'une p a r t ; et d'autre part les
la
france et le
developpement
de
l'amérique
latine
91
médiocres résultats obtenus par le commerce d'exportation et les transports maritimes français vers les mêmes pays. Certes, la France a f a i t un effort notable en triplant le montant de ses exportations, ce qui correspond à peu de chose près à la progression de l'Angleterre.
Mais,
durant cette même période, le com-
merce allemand prenait un essor beaucoup plus considérable, grâce à l'appui de ses banques et de sa navigation. D e même, et pour des raisons diverses, notre marine marchande n'a malheureusement pas su réaliser, vers l'Amérique
du S u d ,
les
progrès à pas de géant que durant ces quinze dernières années y ont f a i t s toutes les marines concurrentes : anglaise, allemande, italienne, et même hollandaise. Quelles sont les raisons de cette absence de simultanéité dans le développement
des diverses branches de l'activité
économique fran-
çaise dans l'Amérique L a t i n e ? Comment s'explique le retard de notre expansion
commerciale
vers ces contrées? Ces mêmes questions plus générale pour
se posent d'ailleurs d'une f a ç o n beaucoup
l'ensemble de notre commerce
extérieur.
s'étonnera pas que dans ces conditions la question soit et brièvement étudiée, en tenant compte des circonstances
O n ne
généralisée nouvelles
créées par la guerre mondiale. GEORGES
HERSENT.
Le problème de l'expansion économique de la France dans le monde L'expansion, nécessité normale. - L'expansion, nécessité impérieuse d'apresguerre. — Les difficultés de l'expansion d'après-guerre. — Les m o y e n s : mise au point de l'outillage national et de la marine marchande ; solidante nationale ; méthodes commerciales nouvelles ; rôle du crédit ; développement d e l esprit d'entreprise ; réforme de l'éducation.
On
a quelquefois comparé la France à un être humain
dont
Paris serait le cœur et dont nos rivières, nos canaux et nos chemins de fer, représenteraient le système artériel. U n tel être ne saurait naturellement respirer que par ses frontières terrestres et maritimes ; d'où il
suit
que
l'atmosphère indispensable
l'univers, avec lequel
il
à sa vie
serait
pour
lui
échangerait les éléments dont il ne peut se
passer pour croître et se développer. Cette image, comme
ne la retrouvons-nous
pas partout
dans
la
vie,
le disait très justement notre g r a n d philosophe, M. Bergson,
dans la séance inaugurale de 1' « U n i o n Française », à la Sorbonne? A vivre isolé et ramené sur soi-même, tout être, toute société, tout p a y s se recroqueville, se ratatine et s'anémie. L a vie, l'intelligence, la force, la richesse nous viennent toutes d u dehors ; elles procèdent soit de l'absorption de substances vitales extérieures,
soit de l'échange des
idées, des produits du sol ou de l'industrie. Ainsi, tout pays, comme tout être humain, pour se développer et prospérer,
a besoin de s'extérioriser; il
lui
f a u t respirer à
pleins
poumons et rechercher toujours la plus grande expansion compatible avec ses ressources et ses moyens d'action. L e problème de notre expansion, au lendemain de la guerre ne se pose pas sous la forme d'une discussion purement académique; il est devenu une nécessité inéluctable pour le p a y s tout entier. L e s paiements en or que la France aura dû guerre, les emprunts
à l'étranger
faire, pendant la
qu'elle aura été obligée
de
con-
tracter, pour satisfaire à ses engagements, devront être soldés. U n appoint en numéraire nous sera fourni par les dépenses des étrangers en France,
par le « tourisme », pour
employer
le
aujourd'hui en usage. Cette source de richesse, si on sait la lopper, peut même nous donner des résultats
mot déve-
très supérieurs à ceux
que l'expérience du passé pourrait nous faire escompter, mais il f a u drait s'en occuper activement.
j-oé
la
première
semaine de i / a m e r i q u e
latine
a
lyon
D'autre part, nous recevrons à nouveau, de l'étranger, comme par le passé, les intérêts des emprunts que nous y avions placés, bien qu'on puisse craindre, de ce côté, certaines défaillances et diminutions importantes. Mais ce ne seront là que des appoints. L a plus grosse part de la valeur d'échange à trouver,pour payer nos créanciers, devra être recherchée par voie d'économies dans la consommation nationale, et surtout dans une intejisification de notre -production agricole, minière, industrielle et commerciale. L'excédent de la production sur la consommation nationale deviendra alors de la monnaie d'échange, laquelle rétablira notre balance commerciale et redonnera à notre monnaie fiduciaire, sur tous les marchés du monde, sa valeur normale d'autrefois. N e nous faisons pas d'illusions à cet é g a r d : si, dans notre empire colonial, nous devons jouir d'avantages spéciaux, si notre commerce doit trouver des facilités dans les p a y s alliés, dans le reste du monde nous aurons à lutter avec les armes que nous aurons su forger. Ce qui peut être f a i t dans l'Amérique du S u d , ressort des quelques chiffres précédemment fournis. Mais q u a n d on réfléchit que notre effort d'expansion doit tout aussi logiquement et avantageusement se tourner vers la Russie, la Chine, l'Asie Mineure, le Mexique, l ' E s p a g n e et vers tant d'autres p a y s — vers nos colonies qui ne doivent pas être seulement un déversoir de fonctionnaires, et vers le Maroc à peine ouvert d'hier, — on se rend compte de l'importance de la tâche à remplir. N e méconnaissons pas les difficultés qui nous attendent : si la vie a été relativement facile, avant l'effroyable tourmente que nous traversons, la concurrence commerciale de demain sera tout autre; elle se présentera sous l'aspect d'une lutte acharnée, pleine d'âpreté. Mais cela n'a rien pour effrayer les Français, qui donnent en ce moment la mesure de ce que l'énergie de leur race peut fournir, quand c'est nécessaire au p a y s . Q u e faut-il donc pour assurer la victoire économique de demain? Organiser notre travail national sur des bases plus modernes, afin de pouvoir produire en plus g r a n d e quantité et à meilleur marché, tout ce que notre sol, notre sous-sol ou nos manufacturés sont susceptibles de donner. Indiquons à larges traits sous quelles formes et par quels moyens ce programme peut être réalisé. L a première préoccupation devra être la mise au point de touf notre outillage national : nos ports, nos canaux, nos chemins de fer, dont l'encombrement récent a montré l'insuffisance notoire. Il f a u t , en effet, qu'à l'avenir nous soyons à même de réduire au minimum le
l ' e x p a n s i o n de l a f r a n c e dans l e monde
coût du transport des
matières premières,
95
ainsi que des
produits
manufacturés destinés soit à nos industries de transformation, soit à notre exportation. Mais, bien entendu, la solution de ce problème ne saurait être envisagée avec nos méthodes anciennes. L a F r a n c e aura trop de créanciers à satisfaire, trop de plaies à guérir pour e n g a g e r des dépenses inutiles. D é v e l o p p e r et préciser ici ces questions, entraînerait trop loin. Qu'il suffise de dire qu'avant tout, il f a u d r a aller vite et conserver le souci dominant de faire de notre o u t i l l a g e n a t i o n a l . un
instrument
pratique et vraiment industriel. P l u s de luxe, plus de dépenses maladroites, mais une concentration
de nos efforts sur les œuvres natio-
nales indispensables. L e s générations futures pourront, si elles en ont les ressources, perfectionner cet o u t i l l a g e ; notre premier soin devra être d'en tirer le meilleur parti sans perte de temps. D e u x indications typiques : il est à espérer que L y o n , dont le développement industriel, pendant la guerre, aura été si considérable, saura
réaliser
prochainement son g r a n d port fluvial, en même temps
que l'aménagement du R h ô n e aussi bien vers la Suisse que vers la mer. L'accessiblité
de
la
Seine
et
de
Paris
aux
plus
forts
cha-
l a n d s s'imposera par ailleurs. L e s sévères enseignements de la période de guerre n'en auront-ils pas démontré la nécessité impérieuse? Notre o u t i l l a g e doit, enfin, être complété par l'amélioration et la transformation de notre marine marchande. Cette nécessité, pour un g r a n d p a y s comme le nôtre, a malheureusement été trop méconnue dans les milieux dirigeants. O n a cru, et l'on croit encore dans certaines sphères, qu'en d é v e l o p p a n t notre marine marchande, on f a v o risait
trop
exclusivement
certaines
sociétés de
navigation :
mieux
vaut, pourtant, favoriser des sociétés françaises, que d'aider la navig a t i o n étrangère à se développer à nos dépens. Il y a là une erreur qu'il est inutile de souligner. T o u t le monde en sent trop bien aujourd'hui le poids.
N o u s payions ainsi, a v a n t l a guerre, un tribut
de
400.000.000 f r a n c s par an a u x marines étrangères; et, cette année, ce tribut atteindra près de i .500.000.000 francs. L a flotte française ne devra pas seulement être considérable en nombre, puisque, demain, notre avenir sera au delà des mers; il conviendra, en outre, qu'elle comporte de g r a n d s et magnifiques paquebots rapides. L a n a v i g a t i o n ne saurait se borner au rôle de conv o y e u r ; elle doit être la réclame vivante, le porte-drapeau,
l'orgueil
de la t( P l u s G r a n d e France », de celle qui doit être admirée et respectée
dans
d'outre-mer,
le
monde
entier. N'oublions
l'arrivée d'un g r a n d
navire
pas
que, dans
les
français est un peu
pays de
la
F r a n c e qui apparaît. Ce navire doit alors être le premier et le plus
É
j-oé
la
première
semaine de i / a m e r i q u e l a t i n e
a
lyon
p a r f a i t témoignage de notre grandeur, comme de notre puissance économique. Ce puissant outillage une fois constitué, organisé et mis au point, comment motiver son rendement? V o i c i , à peine ébauchées, quelques directrices : L'union de tous les intérêts., la coopération de tous les de l'organisme économique national, la solidarité des classes et patronales, doivent coûte que coûte se réaliser en vue du mun à atteindre : le succès final de notre expansion, et la de la France dans le monde.
éléments ouvrières but comgrandeur
D e nouvelles méthodes commerciales s'imposeront. L e s A l l e mands les avaient élaborées, et nous n'avons qu'à tirer parti de leur expérience. M. Hauser, l'éminent professeur de la F a c u l t é de D i j o n , les a parfaitement mises en relief. A p p l i q u o n s donc, chez nous, comme on les appliquait en A l l e m a g n e , les t a r i f s combinés d'exportation à prix réduits; opérons toutes les détaxes possibles sur tout ce qui doit sortir de France. L'intervention de nos Banques pourrait également contribuer dans une large mesure à notre expansion, par la généralisation des crédits à l o n g terme, notamment par une participation plus large aux affaires industrielles et commerciales intéressant l'exportation. L e crédit devrait être accordé non seulement aux personnes justifiant au préalable de garanties suffisantes, mais, comme cela se pratique aux E t a t s - U n i s , en Angleterre et dans l'Amérique du .Sud, à celles qui, se destinant aux affaires avec l'étranger, ont donné ou donnent des preuves suffisantes d'énergie et de moralité. Il est enfin un élément de nos succès économiques à l'étranger sur l'importance duquel on ne saurait trop insister : à savoir l'esprit l'entreprise. C'est principalement l'inégale intensité de l'esprit d'entreprise chez nos g r a n d s entrepreneurs de travaux et chez nos commerçants qui explique l'inégalité des succès remportés par les uns et les autres dans le monde, et en particulier, ainsi que nous l'avons noté précédemment, dans l'Amérique L a t i n e . L'esprit d'entreprise a toujours existé chez nos grands ingénieurs et dans les milieux de t r a v a u x publics. L a France ne leur doit-elle pas d'avoir semé un peu partout, dans le monde, ces grandes œuvres qui rappellent d'une. manière si tangible l'influence de notre génie créateur? C'est d'abord le C a n a l de Suez, dû à l'initiative du g r a n d Français, F e r d i n a n d de Lesseps ; puis la régularisation du D a n u b e devant V i e n n e ; le canal de Corinthe et celui de P a n a m a ; ce sont la majeure partie des chemins de fer de l'Autriche, de l ' E s p a g n e , du P o r t u g a l , de la Turquie, de la Grèce, de l'Asie Mineure. Ce sont aussi les
l ' e x i ' a n s i o n de l a f r a n c e dans l e
97
monde
ports de Lisbonne et de L e i x o è s en P o r t u g a l , les ports de B i l b a o , de Valence,
de
C a d i x , de
M a l a g a , de
Passagès,
de
Carthagène
d'Alicante, en E s p a g n e ; de Salonique, de Beyrouth,
et
de Constanti-
nople, de Smyrne, en T u r q u i e ; les ports d'Anvers et de Zeebruge, en Belgique, pour ne citer que les principaux ouvrages, en dehors de la nombreuse liste signalée à propos de l'Amérique du Sud. D e tels témoignages de notre action au dehors ne se sont
pas
manifestés tout seuls. Ils sont dus à la volonté et à l'énergie d'une pléiade d'hommes d'action, qui n'ont pas craint d'aller au loin rechercher, étudier et réaliser des travaux que les nécessités nationales ne pouvaient pas toujours leur assurer chez nous. Si notre
grand
commerce, nos industriels, nos
financiers,
nos
hommes de science, nos artistes mêmes, avaient, avec l'habitude de sortir de France, la pratique des langues étrangères ; si leurs e n f a n t s avaient
passé
leurs
années
d'apprentissage
auprès
de
concurrents
étrangers ou complété leurs études par des v o y a g e s lointains, notre situation actuelle serait très différente. Il n'y a aucun doute que nos routines commerciales et industrielles, nos habitudes casanières, qui nous ont f a i t méconnaître les p a y s étrangers, eussent depuis longtemps vécu, et que notre expansion dans le monde f û t autrement efficace et prospère. Ces considérations d'ordre psychologique amènent à signaler en terminant l'importance capitale que prend désormais en toute matière économique, et principalement en matière d'expansion, la question de l'éducation de la jeunesse. A l a racine de chacune de nos difficultés économiques, on retrouve toujours la même et identique cause
du
mal : le manque d'hommes et de caractères utilement préparés à leur tâche. L a réforme de notre système national
d'éducation
apparaît
ainsi comme une nécessité urgente, puisque d'elle dépend en g r a n d e partie le succès de notre expansion économique. L a France de demain ne peut plus se contenter d'une éducation abstraite, à objectif purement idéal et général, ne menant à rien, tout en voulant mener à tout. L'éducation nouvelle doit comporter, en premier lieu, une large culture physique. d'un
entraînement
L'endurance et la progressif
et
discipline naissent
continu,
et
surtout
facilement de
la
vie
d'équipes. La
pratique des sports en commun,
acquise dès l'enfance, ne
constituerait-elle pas tout naturellement le trait d'union si nécessaire entre les jeunes gens qui doivent s'expatrier? E l l e leur fournirait une occasion de se réunir, de s'entr'aider au lieu de se jalouser et de disperser leurs forces, sans profit pour la communauté,
pour le p a y s . 4
j-oé
la
première
semaine de i / a m e r i q u e l a t i n e
a
lyon
L'exemple des A n g l a i s et des A l l e m a n d s , qui ont f a i t de leurs associations de sports à l'étranger et dans leurs colonies, de véritables véhicules
d'influence,
est là pour montrer
ce
qu'on peut tirer
de
pareilles méthodes. E n second lieu, une des préoccupations constantes de la pédag o g i e future, préoccupation quasiment inexistante aujourd'hui, doit être le développement de l'énergie morale, fruit d'une éducation de la volonté, entraînant avec elle initiative, responsabilité, continuité dans l'effort, c'est-à-dire les qualités de caractère de l'homme
vrai-
ment f o r t et confiant en lui-même. Enfin, l'éducation développera l'intelligence de l'enfant, certes, mais en lui inculquant avant tout le goût de l'étude et du
travail,
ainsi que le désir du perfectionnement, bien plus qu'en accablant sa mémoire d'une foule de notions toutes faites. Ne
conviendrait-il
d'instruction
prévissent
pas,
en
particulier,
la connaissance
que
d'au
nos
moins
programmes deux
langues
étrangères, que tout jeune homme devrait, parler couramment dès l'âge de quatorze à quinze ans, comme sa propre langue? E n résumé, tout ce que l'industrie française, depuis une quinzaine d'années, a pu réaliser dans l'Amérique du S u d ,
témoigne de son
activité, et constitue, pour l'avenir, la preuve la plus encourageante des succès que nous sommes appelés à remporter, partout où nous aurons à engager le combat sur le terrain économique. Mais, pour que notre expansion puisse prendre le développement que nous attendons, il f a u t , préalablement, organisation du travail, — nal, —
réaliser : une meilleure
la mise au point de notre outillage natio-
le développement de notre marine marchande, — et surtout
adopter des méthodes plus modernes, tant dans l'industrie, le commerce et les transports que dans les formes du crédit. T o u t e f o i s , ces améliorations, jugées aujourd'hui indispensables, seraient à elles seules inefficaces si elles n'étaient accompagnées d'une réforme
complète
de
heureuse transformation
notre
éducation
de la mentalité
pas l'oublier, au lendemain
nationale,
entraînant
une
française. Car, il ne f a u t
de la guerre, toutes les grandes
puis-
sances, non seulement ennemies mais alliées, seront dans l'obligation de faire, parallèlement, des efforts analogues aux nôtres, et cela en vue d'assurer leur propre expansion économique. D o n c , sur ce nouveau champ
de
bataille,
ne
vaincront
que
les
nations
possédant
les
méthodes de travail les plus perfectionnées, et disposant des hommes moralement et physiquement les mieux trempés, pour cette nouvelle lutte.
l ' e x p a n s i o n de l a f r a n c e dans l e
monde
99
U n e telle préparation ne demande pas seulement des paroles ; elle réclame des actes immédiats. E l l e réclame aussi l'entente étroite de toutes les activités devant concourir à l'extension de notre influence. Car le prestige français dans le monde, après notre effort admirable durant la guerre, sera d'autant plus efficace qu'il aura comme contrepartie, à l'intérieur, l'union de tous les Français dans la p a i x .
GEORGES
HERSENT.
La France vue de l'Amérique Latine
UNE
VOIX
DE
L'AMÉRIQUE
LATINE
e ne suis p a s qualifié pour parler au nom des R é p u b l i q u e s
J
g i n e e s p a g n o l e ou p o r t u g a i s e
du N o u v e a u
donc p a s l a v o i x , m a i s seulement une
voix
v o i x amie d e l a F r a n c e , qui v a dire les européenne a p r o d u i t e s de l'autre côté
Monde.
d'ori-
C e ne
sera
de l ' A m é r i q u e L a t i n e ,
impressions
que la guerre
d e l ' O c é a n , et les sentiments
qu'elle y a éveillés. I l f a u t , j e le sais bien, attendre le recul d u t e m p s pour
apprécier les données d u p r o b l è m e
d ' e x a c t e s c o n c l u s i o n s ; mais il y a
psychologique
et en
tirer
d è s à présent assez d e m a t é r i a u x
pour déterminer les g r a n d e s l i g n e s d e ce p r o b l è m e . J'essayerai de les exposer simplement, avec u n amour
p r o f o n d de l a justice, qui n'est
autre chose que l a vérité en marche, et avec le f e r m e désir d e ne p a s me départir de l ' i m p a r t i a l i t é qui doit dominer ces études.
Mais
peut-être ne pourrai-je p a s rester i m p a r t i a l en f a c e d e s v i o l a t i o n s évidentes
et
graves
du
droit des gens.
Peut-être
ne
pourrai-je
pas
conserver l'esprit serein en considérant les terribles conséquences d'une attaque imprévue, préparée de l o n g u e d a t e a v e c une m é t h o d e et une f o r c e d ' o r g a n i s a t i o n remarquables.
QUELQUES
CONSIDÉRATIONS
GÉNÉRALES
SUR
L'AMÉRIQUE
C e n'est p a s ici l'occasion d'étudier le résultat des m é l a n g e s de races d e notre A m é r i q u e ,
que
Castellanos
( i ) , le penseur cubain, a
a p p e l é une « M o s a ï q u e ethnique ». L e Brésil mis à p a r t — où les émig r a n t s p o r t u g a i s et d'autres éléments se sont mêlés a u x races aborigènes, —
le reste d e l ' A m é r i q u e L a t i n e
a eu comme base étrangère
l ' a p p o r t f o r m é p a r les « conquistadores », qui provenaient surtout d u n o y a u de c o m p a g n i e s assemblées a u d a r d s d e C a s t i l l e et d ' A r a g o n . I l s
quinzième apportèrent
siècle sous les étenau N o u v e a u
Monde
leur l a n g u e riche et sonore, leurs trésors de c o u r a g e et d'esprit chevaleresque, et marquèrent d u sceau
de
p o p u l a t i o n qu'ils dominèrent p e n d a n t
leur trois
(i) J . CASI'EUANOS, LOS dos Peligros de America,
puissante personnalité l a siècles. L e s conquérants
d a n s l'édition de ses
faite par les soins de l'Académie Nationale Cubaine d'Arts et Lettres.
œuvres,
j-oé l a
première
semaine de i / a m e r i q u e l a t i n e
apportèrent en même temps que
les bienfaits
a
lyon
d'une religion qui se
substitua a u x cultes sanglants, un goût de l'idéalisme et des tendances généreuses, qui ont permis aux sentiments de conserver là-bas cette rare et ardente fraîcheur que nous avons la joie de constater en ces jours cruels. L a composition ethnique de chaque p a y s , depuis E l - R i o - G r a n d e del-Norte jusqu'au
cap
H o r n n'est pas uniforme, — au contraire.
L'influence du climat, du milieu,
des particularités des peuples indi-
gènes épars dans ce vaste continent,
les diverses sources et l'impor-
tance des courants migratoires variant d'un p a y s à l'autre, ont produit des résultats différents. L a République Argentine, la Colombie et le Pérou, par exemple, présentent des caractères dissemblables. L a composition ethnique du Chili est bien distincte de celle de C u b a . Cependant, par-dessus- toutes ces différences, on peut dire qu'il existe dans l'Amérique L a t i n e comme un t y p e spécial idéologie morale et religieuse,
de civilisation, une même
une sensibilité
pareille, et une com-
mune conception de la vie. L'historien philosophe Buckle montre que le climat, la nourriture, le sol, exercent une influence considérable, mais non pas exclusive. L a culture intellectuelle et la culture morale sont les facteurs dominants. Quoiqu'on y puisse remarquer de différents degrés de civilisation, ces cultures sont identiques en Amérique L a t i n e , à un tel point qu'on peut affirmer que les éléments psychologiques constitutifs de la civilisation y ont établi un lien de solidarité effectif. Cette Amérique, jeune et puissante, qui g a r d e des trésors inépuisables, dont les plaines offrent au travail humain l'emploi le plus rémunérateur, dont les grandes rivières sont autant d'artères ouvertes à une civilisation qui chaque jour se développe plus amplement ; dont la nature offre des beautés incomparables, — cette Amérique constitue un champ superbe pour l'éclosion des idées qui naissent des sentiments les plus généreux. L à - b a s , on aime la liberté sous toutes ses formes, on à le sentiment et le respect du droit, et l'on g a r d e , comme un héritage des conquérants, un esprit chevaleresque qui f a i t aimer tout ce qui est bon et beau. Ce ne sont pas seulement des mots d'éloge pour l'Amérique L a t i n e à laquelle j'ai l'honneur d'appartenir : ces opinions correspondent a u x faits. Il y a là, comme partout, à côté de l'homme qui est le « loup de l'homme », selon le mot de Plaute, l'homme qui dirige sa pensée selon la vérité, et sa vie selon son devoir. Il est vrai que nous avons eu dans nos p a y s des luttes à soutenir, non seulement contre l'ennemi du dehors pour d é f e n d r e nos droits, mais aussi des luttes intestines terribles et malheureuses. M a pauvre patrie souffre encore de ce fléau, mais j'espère que bientôt, par la logique qui domine les événements, nous verrons de nouveau mise en pleine
l a f r a n c e v u e de l j a m é r i q u e l a t i n e
lumière « l'unité morale du
peuple
mexicain,
io3
qui correspond assez
bien au magnifique ensemble géographique de son territoire », comme le dit avec tant d'autorité le prince R o l a n d Bonaparte dans sa très remarquable étude démographique sur mon p a y s (1).
AU
SUJET
DU
MEXIQUE
L e s richesses du Mexique sont si grandes, que M. G o m a t a pu dire : « Si par un de ces cataclysmes imaginaires, tels que notre savant romancier Jules Verne se plaît à les créer, le Mexique se trouvait tout à coup séparé du reste du monde, il aurait le précieux privilège de se suffire à lui-même, tant ses ressources sont variées et abondantes » (2). Je suis donc certain, parce que j e connais sa vitalité nationale (prouvée même au milieu de la lutte fratricide par les statistiques récentes), que le Mexique se relèvera vigoureux, que l'ordre et la loi régneront pour le bien de tous, d'accord avec la justice, spécialement pour les classes déshéritées, et que mon p a y s sortira de cette terrible épreuve g r a n d et fort, après la tempête, comme « la feuillée dont la cime fléchit au vent qui passe et puis se redresse par la propre vertu qui l'élève ». O n permettra ce ferme et légitime espoir à mon patriotisme pur et ardent. Ces jeunes républiques, après les premiers tâtonnements de leu» enfance, ont g r a n d i , elles se sont fortifiées et se sont assimilé tous les éléments du progrès universel. D a n s leur terre de libertés ont pris racine les grandes conquêtes de l'esprit humain. L e commerce et l'industrie s'y sont développés et la civilisation transplantée de l ' E u rope s'y est acclimatée, en donnant des fruits abondants et nouveaux.
INFLUENCE
INTELLECTUELLE
N o u s avons goûté la beauté des classiques grecs et romains ; nous avons f a i t nôtre le rêve passionné de D a n t e , en l'accompagnant dans son v o y a g e spirituel à la région des grandes douleurs comme à celle de l'espoir, à celle du bonheur. L a fantaisie si profondément humaine de Shakespeare nous a émus; nous
avons
ressenti les angoisses de
F a u s t et nous avons f a i t avec B y r o n le pèlerinage de C h i l d e H a r o l d . Mais nous ne pouvons pas dire que la source littéraire de notre vie intellectuelle américaine se trouve en H e l l a d e ,
(1) Population I., p. 147.
et Colonisation,
dans Le Mexique
(a) HIPPOLYTE GOMOT, Agriculture, Vol. I., p. 259.
non plus que sur les
au début du XXe siècle.
dans Le Mexique
au début
du. x x e
Volume siècle.
j-oé l a p r e m i è r e
semaine de i / a m e r i q u e l a t i n e a
lyon
rives du Tibre ou de l'Arno, ni dans la terre qui enfanta la M a g n a Charta, un des plus beaux j o y a u x de la couronne anglaise et de l'humanité tout entière. Doubles ont été les sources principales de notre culture intellectuelle. L e siècle d'or de la littérature espagnole a conquis nos âmes, qui ont suivi avec un filial amour la marche de l'esprit espagnol. L a pensée française, avec le charme persuasif de votre style, a façonné notre pensée. Nous admirons les écrivains du siècle de Louis X I V et du dix-huitième siècle. Nous avons été secoués par « ce géant dont par moments on dirait qu'il devient montagne », en appliquant à Victor H u g o son jugement sur Eschyle. Nous avons écouté et compris les douleurs de Musset. Nous avons frémi en lisant la Comédie Humaine, écrite au même compas rapide qui marquait la marche de l'œuvre de L o p e de V e g a . E t les savants de France, ses philosophes, ses penseurs si puissants, Descartes, Pascal, Claude Bernard, Pasteur, pour ne citer que les sommets, ont aidé puissamment à tremper nos âmes. E n exemple de notre communauté de sentiments, je me plairai à citer le grand poète José Maria de Hérédia, qui nous appartient par son origine. E t de même que l'âme grecque et l'âme romaine se sont harmonieusement fondues dans V i r g i l e , dont l'Enéide représente les traditions de deux peuples, l'admirable artiste qui a évoqué dans ses Tro-phèes la grandeur de Rome, la lutte épique du moyen âge, la Résurrection des Dieux pendant la Renaissance, a su peindre avec le brillant coloris de Fortuny, l'âme hautaine des Conquistadors et la terre fleurie où il vint au monde. D a n s l'œuvre de ce Parnassien, les blocs de marbre de Paros et de Carrare qu'il arracha à cette terre européenne, il les tailla vigoureusement à la fois et délicatement avec le ciseau que votre culture avait mis dans ses mains. E t ses sculptures empruntent chaleur et vie au soleil — ce « condor aux ailes de lumière » — qui féconde les terres tropicales du Nouveau Monde. INFLUENCE
ÉCONOMIQUE
A cette influence intellectuelle s'est ajoutée l'influence économique et financière. L e s Français, qui ont su par l'admirable esprit d'épargne et par le patriotisme, surmonter la terrible crise qui sévit après 1870, sont les grands créanciers internationaux. L e s emprunts et les autres opérations financières faites par eux dans le Nouveau Monde, leur y ont procuré une position exceptionnellement forte. Leur commerce et leur industrie n'ont pas suivi, malheureusement, dans les derniers temps, la même voie ; l'Allemagne profita de quelque défaillance et arriva peu à peu, par les encouragements et les facilités qu'elle donna aux opérations commerciales, à élever notablement le bilan de son com-
la f r a n c e v u e d e lj a m é r i q u e l a t i n e
io3
merce international avec l'Amérique Latine. L'importance
de ce com-
merce apparaît dans l'étude publiée par M. Ezequiel Chavez, un écrivain très distingué de mon pays, dans le Bulletin Américaine,
de la
que dirige un homme d'une haute valeur,
Bibliothèque ardemment
voué au rapprochement intellectuel des p a y s de langues espagnoles et de la France, M . Martinenche. travail
accompli
Cette étude montre le fruit' du
par les A l l e m a n d s dans ce champ d'activité;
résultats identiques peuvent être
signalés
dans
toute
des
l'Amérique
L a t i n e , et spécialement au Brésil où l'émigration allemande a eu une importance considérable. LA
GUERRE
ET
LA
CRISE
DU
DROIT
L a guerre européenne éclata soudainement. U n éclair j a i l l i t dans une atmosphère qui semblait sereine et le premier coup déchaîna
de tonnerre
la plus furieuse des tempêtes dont l'humanité ait
eu
à
souffrir. L'Amérique,
surprise,
comprit tout de suite
conflit, qui est, comme le dit très bien une
lutte
de
forces psychologiques.
l'importance
du
le docteur Gustave L e B o n , Les
deux
partis belligérants
recueillirent des sympathies, dans ce continent de g r a n d s idéalismes; sympathies imposées, plutôt que par les intérêts matériels en concurrence, par les principes moraux opposés l'un à l'autre. Chose curieuse, mais au f o n d très humaine : ce n'étaient pas les raisons d'ordre économique ou politique qui déchaînaient les esprits, dans bien des c a s ; c'étaient des souvenirs p r o f o n d s et délicieux, mais tout à f a i t en dehors
des
éléments de la tragédie.
O u i n'a
senti l'ascension
de
l'esprit humain au souffle de la magie de Beethoven, au contact de la force de Goethe et de ICant, de la science de W i r c h o w et de Y h e r i n g ? L e s germanophiles espéraient, et les pro-alliés craignaient que f o r m i d a b l e préparation allemande ne donnât un prompt
la
triomphe
a u x empires du centre. Mais le courant impétueux se heurta comme à une digue, hélas ! éphémère, et à l'héroïque courage d'un adversaire imprévu; et le continent américain tout entier s'inclina respectueusement devant un g r a n d peuple et un
grand
roi : le peuple belge et
A l b e r t Ier. Je me rappelle la figure simple et douce du prince A l b e r t en son palais de la rue de la Science, à Bruxelles, et la silhouette délicate de sa noble compagne, qui passera à l'histoire avec le plus bel éloge qui puisse être f a i t d'une rein Ver transit benefaciendo, — e l l e traversa la vie en faisant le bien. Comme j e me rappelle la séance historique du Sénat où le prince héritier prit possession de sa place dans la haute assemblée! J'entends encore la voix forte et claire dont le
j-oé
la
première
semaine de i / a m e r i q u e
latine
a
lyon
prince A l b e r t prononça son serment de dévouement au bien du peuple belge, comme s'il eût alors la divination de l'avenir, la vision d'un peuple luttant héroïquement pour la plus digne des causes, et d'un roi jouant le rôle le plus noble qu'un homme puisse rêver. Q u a n d la Belgique, sublime et noble dans ses souffrances, sera redevenue plus prospère encore qu'avant la guerre, quand s'épanouira de nouveau riche et heureuse la force morale et intellectuelle de ses fils, on dira, lui appliquant la belle phrase que d'Annunzio applique à une de ses héroïnes: « D e son martyre elle sort ailée. » L a violation du droit par l'invasion de la Belgique et l'héroïsme de ses défenseurs, produisirent en Amérique un effet immense. Plusieurs opinions hésitantes se rallièrent à la cause des A l l i é s ; et l'on put même enregistrer plusieurs conversions... Ceci, me semble-t-il, est bien à notre honneur ! Vinrent ensuite le triomphe de la Marne, triomphe f a i t de la volonté de vaincre de tout un peuple, et la défense glorieuse de V e r d u n : le monde américain vit alors dans le peuple français, considéré trop souvent comme essentiellement brillant, mais superficiel, le digne héritier des gloires de l'Orléans de la Pucelle, du Bouvines de P h i l i p p e - A u g u s t e , du V a l m y de Dumouriez. L e jour où f u t connu le succès de la bataille de la Marne, on put répéter le mot de Goethe quand, suivant en curieux l'armée prussienne, f r a p p é par la fière attitude des soldats de Kellermann, il dit gravement au soir de V a l m y : « E n ces lieux et dâns ces jours commence une ère nouvelle pour l'histoire du monde. » Mais ces deux victoires —- si grandes soient-elles — ne sont pas les éléments décisifs qui vous ont conquis là-bas la majorité des cœurs : ils sont venus à la France pour la noblesse de sa cause et l'élévation morale de l'abnégation qu'elle apporte à la lutte. S a cause est la noble cause du droit. L a stupeur provoquée en Amérique — les journaux et les livres en témoignent — par les premières dépêches annonçant l'invasion de la Belgique et du L u x e m b o u r g , ne fit que grandir quand on sut par la note de sir E d w a r d Goschen, que, selon l'opinion du chancelier d ' A l l e m a g n e , les mouvements des armées ne pouvaient pas être arrêtés par l'existence d'un « chiffon de papier », mis en travers du chemin qu'on supposait à Berlin devoir être le chemin de la victoire. L e s esprits cultivés, épris d'idéal, et les hommes d'action connaissant les réalités de la vie, se sont demandés avec angoisse si le droit allait à jamais tomber dans cette tempête où tant de vies et où tant d'illusions ont péri. L e s Républiques du Nouveau Monde, si éprises du droit, dont les meilleurs principes ont inspiré les Conférences Panaméricaines — comme j'ai eu l'honneur de l'exprimer à la deuxième conférence de L a H a y e en présentant,
l a f r a n c e v u e d e lj a m é r i q u e
comme contribution à l'étude
de
io3
latine
certains problèmes i n t e r n a t i o n a u x ,
l'un d e s traités que les R é p u b l i q u e s américaines ont conclu entre elles —• ces R é p u b l i q u e s
s e . d e m a n d a i e n t si le droit
n'était plus qu'une
illusion près d e s'évanouir à j a m a i s . » Comme fond une cire au souffle d'un brasier »
et comme se sont évanouis les rêves de p a i x universelle. M a i s n o n ; le droit ne peut p a s périr. hommes les m i e u x
E c o u t o n s a ce propos ce que d i t un
doués des E t a t s - U n i s ,
d a n s son très beau livre The Clianging
M.
des
George Wickersham,
Order ( i ) , consacré à l a vitalité
d u droit : « L a loi, dit-il, peut q u e l q u e f o i s être violée comme toutes les institutions humaines, p a r des erreurs ou des oublis d a n s les cas où elle doit être a p p l i q u é e ; mais l'esprit qui l'a f o r m é e , esprit qui honore l'homme, est permanent et v i t a l . » C'est la raison p a r laquelle, en A m é r i q u e et j e p a r l e de toute
l ' A m é r i q u e , ainsi que de tous les
endroits d u m o n d e où la conscience humaine, n'est p a s endormie, la cause du
droit est sacrée, et celui qui a l'honneur
de porter
son
d r a p e a u mérite l'estime universelle. Q u ' i l soit donc permis à un de ceux que M . P i l l e t a p p e l l e « les serviteurs du droit » d ' a f f i r m e r en ce moment sa f o i d a n s la vie éternelle de cette f o r c e f o n d a m e n t a l e d e la Société des N a t i o n s . L a v i o l a t i o n du droit n'est p a s la n é g a t i o n du droit. Il m a n q u e , il est vrai, d a n s le droit international, les cas
de ces v i o l a t i o n s , mais
des
sanctions efficaces pour
les droits f o n d a m e n t a u x
subsistent i m m u a b l e s (2). A p r è s
les hostilités,
des
Etats
il y aura à apporter
maintes modifications à l ' a p p l i c a t i o n de ces principes,
modifications
suggérées p a r l'expérience acquise, p a r la t r a n s f o r m a t i o n qui se prod u i r a , et qui s'est p r o d u i t e d é j à partiellement, dans tous les ordres de la vie sociale, ou bien imposées p a r les n o u v e a u x m o y e n s de destruction et de d é f e n s e que la science à mis en œuvre p e n d a n t cette guerre, qui a confirmé
la
définition que
M a e t e r l i n c k d o n n a i t de ce
fléau : (( espèce de miroir d i a b o l i q u e qui reflète, inverti, les conquêtes de la civilisation ». L e droit, qui d a n s cette crise a p p a r a î t et d i s p a r a î t pour certains esprits comme d a n s une lueur
d'éclair,
et c o n f u s é m e n t , doit surgir
en pleine lumière, pour être définitivement le g u i d e de
l'humanité.
F a i r e le contraire, serait retourner à la vie de l'homme p r i m i t i f ; ce serait commettre le crime d'arracher les meilleures p a g e s de l'histoire de l'humanité.
(1) G.-P. Putnam Sons, New-York, 1914. (2) A . PIIXIST. Recherches
sur les droits fondamentaux
des Etats.
P a r i s . — A.
j-oé
l a p r e m i è r e semaine de i / a m e r i q u e l a t i n e a
lyon
L'une des tâches capitales après la guerre sera de restaurer la confiance des masses dans le Droit. Il f a u d r a , dans ce but, éviter les exagérations qui ont nui à son empire. N e lui demandons pas, dans l'état actuel de l'humanité, le bonheur de l'homme soudainement conquis, ni la paix permanente immédiate et inaltérable. Demandonslui seulement tous les biens qu'il peut nous donner, et des trésors nous seront alors acquis. T e l l e serait la vertu de la confiance dans le droit, qu'on pourrait dire avec raison que tant de douleurs n'auront pas été souffertes en vain au cours de cette guerre, si, par l'effort de ceux qui soutiennent vaillamment la cause de la justice, cette belle chose —- .l'empire du Droit dans le monde, :—• s'imposant à tous et pour toujours, venait enfin s'ajouter à tout ce qui forme la beauté de la vie. i ^ MANIFESTATIONS DE
LA
PART
DE DES
SYMPATHIE DIVERS
ÉTATS
DE
L'AMÉRIQUE
LATINE
L'invasion de la Belgique et du Luxembourg, la mort tragique de Miss Cavell, la déportation en masse des paisibles habitants des territoires occupés par les forces allemandes, la méconnaissance des lois de la guerre dans certains cas bien déterminés, qui ont f a i t l'objet du beau discours prononcé à la séance publique des cinq Académies, en octobre 1914, par l'éminent professeur M. L o u i s Renault (1), le torpillage du Lusitania et du Ancona, les bombardements des villes ouvertes, la destruction des œuvres d'art et de souvenirs historiques irréparables, ont fait plus en Amérique en faveur des A l l i é s que la plus active des propagandes. L'élan magnifique avec lequel on a aidé, dans le plus généreux enthousiasme, les œuvres charitables de guerre fondées par les Alliés, a été la réponse à ces faits si odieux, qu'il faut remonter aux terribles souvenirs de la guerre de Trente A n s pour en trouver de semblables. Il est vrai que l'opinion en Amérique, quoiqu'en général fermement favorable aux A l l i é s (2), n'est pas encore complètement unanime. M. Clunet, l'un de vos juristes les plus autorisés en matière d e droit international, donne à ce sujet une intéressante information: plus de soixante journaux de langue espagnole et portugaise répandent encore la « doctrine germanique » dans l'Amérique Latine (3). Mais pour faire apprécier l'importance réelle des sentiments des amis de la France en Amérique, de ceux dont « les vieilles sympa-
(1) La Guerre et le Droit des gens au x x » siècle. Firmin-Didot et C i e , 1914. (2) La Guerre et les Neutres, Plon-Nourrit et C i e , p. 294. (3) Journal de Droit International, 1916, p. 1581.
l a f r a n c e v u e d e lj a m é r i q u e l a t i n e
thies
latentes pour la France se sont
changées
comme un effet de l'épreuve douloureuse certains f a i t s significatifs. d'Amérique Calderón,
qui ont
ancien élève de l ' E c o l e
amour
ardent,
actuelle », j e rappellerai
Ils sont nombreux
donné leur vie à la
en
io3
les volontaires venus
France,
des B e a u x - A r t s
tel José
Garcia
de Paris,
qui
mourut héroïquement à son poste d'officier observateur. T e l encore cet admirable colombien H e r n a n d o de Bengoechea, dont nul écrivain de talent n'était mieux qualifié à raconter la vie que Gérard d ' H o u v i l l e , qui ajoute à l'héritage des dons du g r a n d Hérédia la grâce féminine. Hernando de Bengoechea est mort en combattant — comme il l'écrivait _
pour la belle cause des nations qui incarnent devant l'univers
la justice et l a loyauté. Qu'on lise, d'autre part, le manifeste des médecins argentins; que l'on goûte la beauté des derniers mots que l'éminent ministre de cette République à Paris, M. R o d r í g u e z I.arreta, a dit à la France avant son départ, lors du banquet qui lui a été offert par les Commissions des A f f a i r e s Extérieures de la Chambre et du Sénat ; que l'on apprenne par les études de deux personnalités très distinguées, M . W i l m a r t , membre de l'Académie de D r o i t et de Sciences sociales, et M. Caries, professeur à l'Université de Buenos-Ayres ( i ) , combien sont v i f s dans la République Argentine « les v œ u x des directeurs de la conscience nationale pour le triomphe d'une cause qui représente une morale identique à la morale qui y domine, un droit f o n d é sur les mêmes principes que ceux de la constitution de cette prospère et noble république, une civilisation qui suit la même route qu'elle ». L'éloquent président de la Chambre des représentants de Cuba, M . Orestes Ferrara, a traduit heureusement l'opinion prédominante dans <( la Perle des A n t i l l e s », quand il a exprimé « les sentiments enthousiastes et la gratitude infinie de la race latine du Nouveau Monde envers les vaillantes nations, qui, en d é f e n d a n t leur territoire, servent noblement la cause du Monde et gravent à nouveau plus profondément au livre de l'humanité les imprescriptibles droits de la liberté et de la justice (2). » Pour le Chili, il f a u t voir dans les études de M. S i l v a V i l d o s o l a , l'écrivain si distingué, et de M. Mackenna Subercaseaux, le reflet des sentiments qui se sont f a i t jour dans un peuple épris de liberté et respectueux du
droit. E n U r u g u a y ,
la loi déclarant fête nationale le
Quatorze Juillet et la manifestation chaleureuse qui souligna décision législative,
montrent où vont les sympathies de la
blique Orientale.
(1) Bulletin de la Bibliothèque (2) Voix de l'Amérique Latine,
Américaine, décembre 1915. Berger-L-evrault, p. 56.
cette Répu-
j-oé
la première
semaine de i / a m e r i q u e l a t i n e a
lyon
Oui, en outre, ne connaît l'action efficace de la « L i g u e Brésilienne pour les A l l i é s », fondée par quelques-uns des plus brillants esprits du Brésil, M M . R u y Barbosa, Graça A r a n h a , José Verissimo et E . Montarroyos. Cette ligue a su grouper les personnalités les plus distinguées de la politique, des sciences et des arts, comme M M . le sénateur Azeredo, président du Sénat F é d é r a l , Medeiros A l b u querque, S a V i a n a , etc. O u i ne connaît ici, en France, où l'on suit, avec le plus vif intérêt la marche ascendante de la sympathie brésilienne pour les A l l i é s , les manifestations du Parlement F é d é r a l ? Oui pourrait oublier ce vote, unique au monde, par lequel la Chambre brésilienne a adopté, à la demande clu député Irineu Machado, une motion de blâme aux belligérants coupables de la violation du droit? E t surtout, qui ignore la courageuse, habile et persuasive éloquence du sénateur R u y Barbosa, si magnifiquement épanouie dans la célèbre conférence de Buenos-Ayres, où il représentait son p a y s comme ambassadeur extraordinaire à l'occasion du centenaire de la République Argentine? L ' a r d e n t écho que l'émouvant discours de M. R u y Barbosa trouva dans sa patrie permet de voir en son verbe splendide l'expression même de l'âme brésilienne. Il f a u t faire mention encore de deux autres admirateurs de la France : M. Gomez Carrillo, qui représente si brillamment la haute culture de l'Amérique Centrale, et M. Corredor L a Torre, si dévoué à la cause de l'Amérique L a t m e . Ces manifestations, et d'autres que' l'on pourrait citer, montrent que si les gouvernements de notre Amérique sont obligés à la plus stricte neutralité, ses citoyens ne peuvent rester neutres entre le bien et le mal, entre la vérité et l'erreur. Il est impossible, en effet, de demeurer indifférent à la lutte actuelle. Ceux-là f o n t injure à la dignité humaine, que n'émeut pas le spectacle offert au monde, — comparables ainsi à ces hommes « qui vécurent une vie aveugle », rencontrés par V i r g i l e et D a n t e aux premiers cercles de l ' E n f e r . L'esprit humain s'abaisse s'il est partagé entre deux tendances nettement opposées. Ces gens-là sont comme les « bezantes », ces monnaies dont parle l'éminent M. H a n o t a u x , mises en circulation au début de la Renaissance, dans certaines villes italiennes, et qui portaient d'un côté la Croix, de l'autre le Croissant.
LES
SENTIMENTS
DE
L'AMÉRIQUE
LATINE
E n résumé, les publications et les f a i t s rappelés montrent : que l'Amérique L a t i n e
a répondu par un geste de
indignation, par un geste aussi de pitié infinie, à l'appel
profonde des mains
l a f r a n c e v u e d e lj a m é r i q u e l a t i n e
io3
<( crispées d'épouvante et d'horreur » des femmes et des enfants du Lusitania-; que les sentiments d'amour de la justice ont été blessés en Amérique Latine par la violation des règles du droit international reconnues et adoptées par le monde civilisé; que la destruction de Louvain, le bombardement de Reims, de Venise — absolument inutiles au point de vue militaire — ont ému profondément, dans l'Amérique Latine, la légion de ceux qui ont l'amour de la science, de l'art et de la beauté; enfin, que le goût de l'indépendance, le respect de la liberté humaine, le culte de la famille, également sacrés aux yeux et selon le cœur des peuples du Nouveau Monde, valent aux victimes d'odieuses déportations notre compassion la plus- douloureusement indignée. A u cours de cette mêlée, qui rappelle par son terrible pouvoir destructif l'accomplissement des imprécations de Macbeth à Hécate et aux sorcières, se sont affirmés dans l'Amérique entière les sentiments les plus nobles. O n a aidé généreusement à diminuer les malheurs actuels par des souscriptions et l'envoi de dons à la Croix-Rouge française. O n a aidé et on aidera amplement les innocentes victimes de la guerre, les femmes et les orphelins, en proclamant ainsi la solidarité universelle devant 1a. souffrance et en prouvant au surplus qu'il y a deux forces, inspiratrices des plus belles actions de l'homme, plus puissantes et plus mystérieuses que la Fofce même: l'Amour et la Douleur.
LE
NOUVEAU
DROIT
INTERNATIONAL
L e jour où, par le courage de ses Armées, qui semblent avoir pris comme devise : « Faire tout le possible, et au delà », le jour où, par la production intense des armes et des munitions, et par l a force morale de l'union nationale dans chacun des pays alliés, la France aura remporté le triomphe définitif, elle aura à résoudre les problèmes économiques, sociaux, politiques et juridiques les plus graves et les plus élevés. Sûrement une assemblée d'hommes d ' E t a t et d'hommes de science rédigera alors la Charta M a g n a du droit international. E l l e le fera — du moins j e le crois ainsi — en déterminant les principes fondamentaux, sans descendre aux détails trop minutieux. L e s principes qui forment aujourd'hui la base du droit seront les mêmes, mais ses applications actuelles seront modifiées profondément, d'accord avec les enseignements de l'expérience.
j-oé
la première
semaine de i / a m e r i q u e l a t i n e a
lyon
D é j à , en Amérique, on se préoccupe de ces problèmes d'aprèsguerre. « L'Institut Américain de D r o i t international », par sa déclaration du mois de janvier dernier, à W a s h i n g t o n , sut donner en cinq articles, une forme précise a u x principes r e l a t i f s au droit des nations comme base de la solution des problèmes qu'ils soulèvent. M. Ernesto O u e s a d a ( i ) , délégué argentin au C o n g r è s scientifique panaméricain à W a s h i n g t o n , a f a i t à la Prensa,
de B u e n o s - A y r e s ,
une importante
conférence sur le néo-panaméricanisme. Il croit que les nations américaines sont appelées à instaurer le nouveau droit. M. A l v a r e z , autorité respectée
dans le domaine
Alexandro
du droit international,
considère « qu'une ère nouvelle s'était ouverte pour le droit des gens dès la fin du dix-neuvième siècle, et que,
avec la guerre actuelle, il
entrera dans une nouvelle période (2) ». Cette codification sera-t-elle inspirée par les principes que M. P h i l i p p Marshall Brown expose dans sa remarquable étude International
Realities
juristes comme M. P i l l e t (4)» des hommes
(3)? Ici, en F r a n c e , des d'Etat
et des historiens
comme M . H a n o t a u x (5), se sont occupés de ces problèmes dont l'étude et la solution s'imposeront au monde civilisé, à peine la guerre finie.
LA
LIGUE
DES
ÉTATS
NEUTRES
A p r è s m'être efforcé d'exposer
les sentiments
et les aspirations
de l'Amérique L a t i n e envers la France, il me paraît utile d'exprimer encore une pensée et aussi un espoir. L a guerre actuelle
nous
a prouvé, une f o i s
de plus, que sans
d'efficaces sanctions, le droit ne peut être imposé à tous. Il y a d i x ans,
dans la préface que j'ai écrite pour le livre de M .
Carnegie : Pour
l'Arbitrage
(6), j'ai
traduit
une idée
Andrew
fondamen-
tale, commune a u x écrivains de droit international, en soulignant l'importance qu'aurait pour le maintien de la p a i x dans le monde l'acceptation de principes clairs, précis et d'un caractère général, si on y j o i g n a i t des sanctions d'ordre moral dans certains cas, d'ordre matériel
dans
d'autres.
spécialement
en
ce
Il qui
faut
déterminer
concerne
et
régler ces
les problèmes
de
la
sanctions, neutralité.
L ' o n connaît, sans doute, quelques-uns des incidents qui sont
sur-
venus
Sar-
(1) (2) page (3) (4) (5) (6)
en
Amérique
Latine.
Le
cas
du
bateau
Présidente
Journal de Droit International, 1916, page 1661. La Grande Guerre Européenne et la Neutralité du Chili, Pedone, Paris, 1915, 50. The North American Review. A v r i l 1916, p. 516. Revue Générale du Droit International Public, 1916. Revue des Deux Mondes, novembre 1916. Bouret, Paris, 1907.
l a f r a n c e v u e d e lj a m é r i q u e
miento
io3
latine
( i ) , qui a été de la p a r t de M . Z e v a l l o s l ' o b j e t d'une interpel-
l a t i o n au S é n a t a r g e n t i n , et qui m o t i v a la p u b l i c a t i o n d'un « L i v r e B l e u », p a r l a Chancellerie de la R é p u b l i q u e de l a P l a t a ; on se r a p p e l l e aussi les v i o l a t i o n s de la neutralité d a n s les îles de J u a n F e r n a n d e z et de P â q u e s (2), qui ont donné lieu à des m a n i f e s t a t i o n s de h a u t patriotisme de l a p a r t de l a Chancellerie du C h i l i . Ces e x e m p l e s suffisent à prouver qu'il y a de g r a v e s lacunes sur ce point du droit d e s gens. Il f a u t combler ces lacunes —
qui viennent surtout des d i f f é -
rences d ' a p p l i c a t i o n ou d'interprétation —
des principes
fondamentaux
et le m o y e n le plus efficace est de constituer à présent une
ligue
d e s E t a t s neutres. C e s E t a t s neutres ont des devoirs à remplir et, en g é n é r a l , on doit reconnaître qu'ils les ont exactement accomplis pend a n t cette g u e r r e ; mais ils ont aussi des droits, qu'il f a u t maintenir et garantir
fermement. Je n'ignore p a s les d i f f i c u l t é s que présente
la
constitution de cette l i g u e à l'époque actuelle, mais le besoin s'en f a i t tellement
sentir,
que
puissances Scandinaves,
j'espère
que
l'exemple
donné
par
les
trois
dont les représentants se sont réunis
pour
étudier quelques-uns de ces problèmes, ne restera pas sans f r u i t . L a l i g u e pourrait se f o r m e r sans que les E t a t s qui l a constituent se départissent de l a p l u s stricte neutralité, et « sans perdre de vue que les A l l i é s ont résolu de régler eux-mêmes leurs comptes avec leurs agresseurs ». L ' é c h a n g e de vues qui aurait lieu à cette occasion permettrait d'aboutir, sans conclure de conventions internationales
propre-
m e n t dites, à l'entente nécessaire pour résoudre les problèmes posés. D e cette réunion, les droits des neutres sortiraient
plus
ferme-
ment déterminés, et les neutres eux-mêmes m i e u x en mesure d'accomp l i r avec une complète efficacité tout leur devoir. Je me permets de f a i r e à cet é g a r d un a p p e l chaleureux a u x nations neutres. L ' E t a t qui prendrait l'initiative d'une telle action mériterait bien de l a cause d e l ' H u m a n i t é . C o m b i e n de vies pourraient être épargnées ! Combien d'intérêts
seraient
garantis ! Mais
seraient affirmés qui représentent
surtout,
combien
une conquête
de
principes
de la civilisation !
L ' A m é r i q u e L a t i n e ne peut se désintéresser de cette question, en dépit de son é l o i g n e m e n t des c h a m p s de b a t a i l l e , car la guerre a pris un si terrible d é v e l o p p e m e n t , que les intérêts m o r a u x et matériels de tout le m o n d e civilisé sont plus ou moins touchés. L o r s q u e j'ai eu le g r a n d honneur de présider les Commissions de D r o i t international a u x C o n g r è s panaméricains de M e x i c o et de R i o
(1) La Prcnsa de Buenos-Avres, 7-8 décembre 1915, 5 janvier 1916. Libro
publié par le Gouvernement argentin, janvier 1916. (2) AUÎXANDRO ALVAREZ. Œ u v r e citée.
Azul,
j-oé
la première
s e m a i n e de i / a m e r i q u e
latine
a
lyon
de Janeiro, chargées d'étudier la codification du droit des gens pour le N o u v e a u M o n d e , j e me suis demandé quelles .seraient les sanctions efficaces du droit. D e p u i s le commencement de cette guerre — comme je l'ai déclaré maintes f o i s —
j e crois que la solution la plus pra-
tique, au cas malheureux d'une nouvelle lutte, serait la création, pour ainsi dire automatique, d'une Commission de neutres, établie par un accord de toutes les puissances à la Conférence qui sera appelée à résoudre les problèmes internationaux plus importants soulevés par la guerre. Cette Commission aurait pour o b j e t de faire appliquer dans tous les cas
la définition classique de la guerre : te U n e
relation
d ' E t a t à E t a t », pour prévenir ou examiner les violations des règles de la guerre et pour appliquer les sanctions décrétées, le cas échéant. A i n s i pourraient s'harmoniser, pour le bonheur de tous, la justice et la force. Celle-ci sans celle-là, serait une tyrannie, et la justice sans la force serait l'impuissance du bien devant le mal. LAIDE
CHARITABLE
DE
L'AMÉRIQUE
L e s a n g a coulé à flots, mais il y a toujours eu heureusement une main pour l'étancher. L e B o n S a m a r i t a i n a toujours mis le baume sur les blessures ouvertes. D'innombrables larmes ont été versées, mais toujours il y a eu une main pour les sécher, et une v o i x forte et douce pour apporter a u x âmes une consolation dans leur détresse, Bénissons ceux qui ont voulu par leur argent, par leur travail, par leurs paroles, compatir à moments tragiques,
la
souffrance et la diminuer.
envoyons par d e l à
D a n s ces
l'Océan notre salut
recon-
naissant à ceux qui ont voulu soulager et guérir. L ' a i d e de l'Amérique entière,
de l'Amérique S a x o n n e et
de
l'Amérique L a t i n e ,
qui est
venue jusqu'à vos blessés, à vos femmes qui pleurent et a u x pauvres orphelins, est une aide sainte. L e s efforts de tous les gens de bien de l'Amérique ont
été
demandé
pourraient,
s'ils
si
vigoureux, que je me suis plus non
seulement
soulager
d'une la
fois
douleur,
mais aussi vaincre le m a l , comme le « Poverello », ce d o u x F r a n ç o i s d'Assise, qui domina le loup de Gubbio, en lui disant : a L o u p , mon frère L o u p , suivez-moi; ne faites plus le m a l . » E t le loup suivit sans plus Jaire le ipal. Mais l'homme, moins sage que le loup, ne renonce pas encore à faire le m a l , hélas ! et la force est
malheureusement
nécessaire pour l'en empêcher. Je voudrais bien que l'expression
de ma
pensée
profondément
émue pût dire à tous nos frères de l'Amérique entière : « V o u s n'avez pas subi la g r a n d e m a l a d i e de l'âme qui est l'indifférence. V o u s avez a g i en hommes dans la plus haute acception
l a f r a n c e v u e de l ' a m e r i q u e
latine
" 5
du mot. V o s efforts seront toujours utiles, chaque jour plus
utiles,
chaque jour plus riches. (( V o u s avez donné tout votre cœur; vous verrez que là même où p a r f o i s n'atteint pas l'esprit, le cœur arrive et accomplit son œuvre. » HOMMAGE
A LA
NATION
ARMÉE
Il y a quelques mois, R o m e célébrait une m a n i f e s t a t i o n patriotique imposante.
Je me trouvais
dans
la V i l l e
Eternelle.
De
la
Piazzetta du C a p i t o l e , qui domine le F o r u m , je v o y a i s se dérouler la théorie des groupes qui, de tous les quartiers de la ville, se dirigeaient à la place de Venise, où devait se former le cortège ce soir-là. Plutôt que des v œ u x adressés a u x A l l i é s , à la vaillante armée italienne et à son R o i — ce noble R o i dont j'ai eu le g r a n d privilège de constater dans des conversations inoubliables la haute valeur, rehaussée par la g r a n d e simplicité d'un caractère ferme et droit — les bruyantes acclamations qui faisaient vibrer l'air de cette lumineuse fin d'après-midi, paraissaient l'affirmation consciente et sûre de la victoire du Droit, et du succès de la revendication nationale. E n entendant ces joyeuses clameurs où l'âme latine traduisait ses espoirs, dans ce décor solennel, unique au monde, où chaque pierre raconte
la
grandeur
d'un
peuple
qui
aujourd'hui
même,
sur
les
hauteurs du Carso, s'affirme le d i g n e héritier de ses ancêtres, j'évoquais la R o m e antique. E t là, devant ces muets témoins des gloires anciennes, devant les ruines des temples et des p a l a i s où les liserons enroulaient autour des blocs de marbre leur couleur et leur grâce, d e v a n t
le majestueux
Colisée et les ruines du P a l a t i n , il me semblait voir le défilé des légions
triomphantes
de
la glorieuse
brillante R o m e de César. J'imaginais
R o m e républicaine
ou de la
l'éclatant cortège suivant
la
V o i e Sacrée, du C h a m p - d e - M a r s au Capitole, entre la double rangée des temples et des palais, parmi l'enthousiasme du peuple acclamant la victoire. E t j'évoquais alors cette autre armée qui, sur la terre de F r a n c e , suit courageusement la V o i e Sacrée qu'ont tracée le devoir et 3'amour de la Patrie. Je v o y a i s la nation armée, unie dans la même élévation de sentiments, suivre sans d é f a i l l a n c e , lentement mais sûrement, le chemin désigné à ses efforts, que termine, comme la V o i e Sacrée des Romains, l ' A r c de T r i o m p h e . F. L. D E L A
BARRA.
L'Opinion
publique
en Argentine
on premier devoir est de remercier le Comité
M
France-Amérique
qui m'a f a i t un g r a n d honneur, en me d e m a n d a n t de venir vous
dire ici ce que les A r g e n t i n s pensent de la France. Je n'ai pas voulu laisser échapper une occasion aussi heureuse de relever certaines erreurs trop communément répandues, erreurs qui ont été, un moment donné, la cause d'un malentendu regrettable, aujourd'hui d'ailleurs complètement dissipé. A v a n t d'aborder mon sujet, je tiens à déclarer, tout que ce n'est pas comme représentant de La Prensa
d'abord,
que je prends la
parole d e v a n t vous. C e j o u r n a l , en effet, a pour principe d'exposer ses opinions dans ses colonnes. D o n c rien dans ce que je dirai ici
—
et j e vous prie de considérer ma déclaration comme f o r m e l l e —
ne
saurait e n g a g e r d'autre personne que moi-même. Je ne dois être à vos y e u x qu'un homme qui vient vous dire, en toute simplicité et en toute franchise, ce qu'il sait d'un sujet qui lui est familier, parce que ses relations avec les A r g e n t i n s lui donnent l'occasion fréquente d'en étudier les éléments. Pour bien comprendre l'état d'esprit actuel des Argentins, il est indispensable de savoir quelles étaient les tendances diverses qui les animaient, au moment où est survenue la guerre. I l y a lieu de remarquer que, si une évolution s'est produite chez eux, depuis d e u x ans, ce n'est à aucun degré dans leurs sentiments intimes, —
car l ' A r g e n t i n est franchement f r a n c o p h i l e , —
mais uni-
quement dans la manifestation extérieure de ces sentiments. .
LE
FOYER U n e des raisons qui leur ont imposé une certaine retenue,
au
début, c'est l a composition hétérogène de beaucoup de leurs f a m i l l e s . L ' A r g e n t i n e est un p a y s immense, peuplé à peine de neuf millions
d'habitants.
E l l e a besoin
pour
se
développer
d'une
main-
d'œuvre sans cesse accrue. Pour ce m o t i f , elle s'efforce d'attirer à elle et de retenir le plus d'étrangers possible. E l l e leur donne l'hospitalité
n 8
l a première
semaine de l ' a m é r i q u e
latine
a
lyon
,
\
la plus absolue, sous l'égide de sa Constitution si généreuse et si humanitaire. D'autre part, ceux-ci trouvant là-bas de plus g r a n d e s facilités d'exploitation qu'ailleurs, s'attachent au p a y s et cherchent à y f o n d e r leur f o y e r . L a f a m i l l e argentine, qui n'a pas intérêt à se fermer a u x éléments étrangers, se trouve être très pénétrée par ceux-ci. Il n'est pas rare de voir, là-bas, des jeunes filles d'une même f a m i l l e mariées à des étrangers de nationalités différentes. Il arrive que le même toit abrite, à la fois, des beaux-frères a n g l a i s , italiens, a l l e m a n d s et français. D a n s ces f o y e r s cosmopolites, les discussions relatives à la guerre avaient pris, au
début, une forme dangereuse pour la bonne harmo-
nie f a m i l i a l e . Pour éviter les conflits, la f a m i l l e argentine
décida,
très raisonnablement, de renoncer a u x conversations relatives
à
la
guerre. E l l e prit d'autant mieux ce parti, que le f o y e r est, pour le chef de absolue.
famille .
argentin,
une chose
sacrée, où l'union
doit
être
Cette neutralité d'attitude a r e j a i l l i sur la vie au dehors, mais elle n'a nullement empêché les cœurs latins de là-bas de battre avec les nôtres, s'attristant à nos échecs, s'enthousiasmant à nos succès.
L'INSTRUCTION Un
MILITAIRE
autre - facteur a pu d'ailleurs accroître
la retenue que
A r g e n t i n s ont apportée, au début, dans la manifestation
de
les
leurs
sentiments francophiles. C'est le doute qu'ils avaient de notre force et de la valeur de notre organisation militaire, doute né de l'habile et intense p r o p a g a n d e que l ' A l l e m a g n e f a i s a i t chez eux, et aussi de ! éducation que, depuis près de d i x ans, leurs officiers recevaient chez nos voisins de l ' E s t . P e n d a n t longtemps, les officiers argentins étaient venus p a r f a i r e en F r a n c e de
notre
leur éducation Etat-major
et se
militaire. Ils y recevaient l'enseignement pénétraient, en
matière
d'organisation
militaire et de tactique, de notre esprit, de nos tendances, de nos traditions et de nos gloires. C'était là, certainement, un précieux élément de notre prestige au dehors. N o u s n'avons pas su le conserver
II ne
m appartient pas de rechercher les causes de cette désertion ni de les d i r e ; mais j e p e u x affirmer que nous avons commis une g r a n d e f a u t e en ne faisant pas jusqu'à l'impossible pour retenir chez nous les officiers argentins. L ' A l l e m a g n e , usant de toute sa ténacité et de toute sa souplesse, recueillit
l'héritage
délaissé par nous. C'est dans <es
écoles que, depuis plus de d i x années, étaient argentins. Ceux-ci
recevaient en A l l e m a g n e
formés les officiers
l'enseignement
le
plus
l'opinion publique
complet.
Choyés,
en
X I
argentine
traités de f a ç o n admirable,
les cadets
9
argentins
étaient versés dans l'armée a l l e m a n d e , au même titre que les cadets allemands. Ils recevaient des commandements e f f e c t i f s et, à la tête de leurs soldats, on les dressait à admirer la discipline, l'organisation et la puissance matérielle des armées que nos ennemis
prépa-
raient contre nous. Ces officiers, imbus, saturés de l'éducation militaire allemande,
lorsqu'ils retournaient en
dans les tendances et l'organisation
de
Argentine,
leur
apportaient
propre armée
l'esprit
qui présidait à l'organisation et créait les tendances de l'armée allemande. L'esprit
français, le prestige
français
décroissaient
parmi
les
militaires argentins, au f u r et à mesure que l'armée allemande devenait d a v a n t a g e pour eux le modèle à suivre. A ce changement apportaient un concours efficace les instructeurs a l l e m a n d s qui avaient supp l a n t é les instructeurs français. Berlin
les choisissait d'ailleurs
très
soigneusement, car ils constituaient de merveilleux agents de propagande.
E t c'est ainsi qu'au début de la guerre, on considérait
A r g e n t i n e comme irrésistible la puissance militaire de
en
l'Allemagne.
Mais, sous le couvert d'une perfide p r o p a g a n d e allemande, on parlait,
en même temps,
de
notre
décadence, et
on
se
montrait
impressionné par la force matérielle si soigneusement et si minutieusement organisée, qui devait un jour — croyaient —
les A l l e m a n d s du moins le
assurer notre écrasement.
Notre prestige
ne souffrit pas seul de cet effacement, ce
aussi notre production
industrielle, au développement
de
nous avons eu le tort de ne pas toujours suffisamment songer. f a i s a n t l'éducation militaire des officiers argentins, les
fut
laquelle En
Allemands
devaient inévitablement parvenir à s'assurer la fourniture du matériel de guerre utilisé en A r g e n t i n e . L e u r s canons, leurs munitions, leurs fusils remplacèrent les nôtres. L'influence allemande devint telle, làbas, que nos uniformes: tunique, d o l m a n , shako, k é p i , en usage dans l'armée argentine,
furent détrônés par les uniformes
d'outre-Rhin.
N o s ennemis réussirent même à faire adopter le casque à pointe et à faire admettre le pas de p a r a d e , dont la r i g i d i t é prétentieuse était pourtant si peu f a i t e pour séduire les A r g e n t i n s , sensibles, avant tout, à la mesure et à la grâce.
L'INFILTRATION L'influence
ALLEMANDE allemande
milieux, au détriment
de
pénétrait
et
progressait
dans
tous
l'influence -française. E t c'est ainsi
les que,
poursuivant leur invasion pacifique, les A l l e m a n d s finirent par chasser
la première
120
semaine de i / a m é r i q u e
latine
a
lyon
des Universités argentines les professeurs français, et les remplacer par des Herr Professors allemands. Cette infiltration tenace était, et continue à être, admirablement soutenue par leurs diplomates et leurs consuls. L ' A l l e m a g n e n'envoie en Argentine que des ministres de
valeur, hommes d'action éprou-
vés, qui organisent avec soin la colonie a l l e m a n d e et lui
donnent,
grâce à une cohésion absolue, une force dont profite chacun de ses membres. LA
COLONIE
ALLEMANDE
Ce
a de remarquable
qu'il y
dans la colonie
allemande,
en
A r g e n t i n e , c'est la solidarité étroite de ceux qui la composent. Ou'un scandale éclate parmi eux, aussitôt on s'efforce de l'étouffer. E t , si un nouveau débarqué se présente, il est reçu à bras ouverts par ses compatriotes. O n l'entoure de conseils, on le comble de recommandations, on le lance dans les affaires, on le met, en quelque
sorte,
dans l'impossibilité de ne pas réussir. LA
COLONIE
FRANÇAISE
Q u e voyons-nous, au contraire, dans la colonie française? Je ne veux pas faire ici l'étude détaillée des d é f a u t s d'organisation notre colonie ; mais j e dois dire, cependant, que trop
souvent
de
nous
avons manqué de direction. Il en est résulté, pour les F r a n ç a i s de l ' A r g e n t i n e , des divisions aussi lamentables qu'affaiblissantes. P a r ce manque d'organisation et de solidarité, nous ruinons, en A r g e n t i n e , notre autorité et notre influence. NOTRE
LITTÉRATURE
ET
NOTRE
POLITIQUE
Puisque j'ai assumé la tâche de vous dire les causes qui ont contribué à créer l'état d'esprit dans lequel se trouvaient les A r g e n t i n s au début de la guerre, j e
dois dénoncer
aussi
l'influence
néfaste,
produite un peu partout à l'étranger, par une certaine littérature. Plusieurs
de nos auteurs s'étaient f a i t une spécialité de
représenter avec un caractère frivole. L e u r thème f a v o r i
nous
consistait à
nous peindre comme avides de plaisirs, jouisseurs à l'âme dégénérée et corrompue. N o n jugeait
seulement en A r g e n t i n e , mais
partout, on nous
d'après ces lectures.Et lorsque les étrangers venaient
chez
nous, l'impression préconçue qu'ils avaient semblait se confirmer par l'aspect de nos boulevards, de Montmartre, de nos théâtres, de tous les lieux de plaisir, rendez-vous commun de cette clientèle cosmopo-
l'opinion
lite
publique
en
121
argentine
Ils j u g e a i e n t la F r a n c e par ce qu'ils v o y a i e n t de P a n s , et sans
chercher à se rendre compte que les principaux acteurs de cette vie si superficielle étaient des éléments venus des quatres coins du monde. E n f i n , il f a u t noter que nos discussions politiques d'avant-guerre, âpres et continues, qui s'étalaient dans notre presse et occupaient si f o r t notre Parlement, donnèrent à l'extérieur l'impression que nous étions si divisés que, même d a n s une heure suprême, nous ne
sau-
rions pas nous imposer l'union sacrée.
L'ÉVOLUTION
DE
LOPIN ION
ARGENTINE
E t c'est ainsi que, lorsque la guerre éclata, l'opinion argentine hésita à
croire
que la F r a n c e
pût
résister à l'attaque
allemande.
D'ailleurs, les succès faciles que les A l l e m a n d s remportèrent en B e l gique, leur marche triomphale vers Paris, l a p r o p a g a n d e effrénée et perfide à laquelle, en août 1914. nos ennemis se livrèrent à BuenosA y r e S j
_
p r o p a g a n d e qui tendait à montrer
sants à contenir
la
les F r a n ç a i s
poussée s a u v a g e des H u n s
impuis-
modernes, —
don-
nèrent a u x A r g e n t i n s l'impression que l a partie était, dès son début, perdue pour nous et que nous devions, a v a n t peu, tomber à la merci de l'envahisseur brutal, vaincus a v a n t d'avoir pu nous reprendre en f a c e de cet assaut aussi s a u v a g e que brusqué. A u f u r et à mesure qu'arrivaient les informations télégraphiques d u théâtre de la guerre, les A l l e m a n d s célébraient bruyamment à B u e n o s - A y r e s , d a n s les rues, dans les brasseries, dans tous les lieux publics, leurs premiers succès. L e u r arrogance grandissait de jour en jour. Ils semblaient d é j à vouloir en imposer au monde entier. C'est à ce moment, que l'opinion argentine se montra hésitante, v i v a n t avec nous, mais en silence, les heures qui
précédèrent
timide,
angoissantes
la b a t a i l l e de l a Marne. Notre g r a n d e victoire de sep-
tembre 1914 j e t a un frisson d'espoir d a n s l'âme argentine. L ' o p i n i o n se ressaisit d e v a n t notre virile résistance. E l l e comprit que les efforts démesurés de l ' A l l e m a g n e resteraient stériles en f a c e de notre volonté nettement arrêtée de lutter jusqu'au dernier homme. L a b a t a i l l e de la Marne et celle de l ' Y s e r ; l'offensive de C h a m p a g n e et celle d ' A r t o i s ; la défense héroïque et à j a m a i s célèbre V e r d u n , où une barrière de poitrines a arrêté l'élite de l'armée
de alle-
m a n d e , commandée par le trop présomptueux K r o n p r i n z ; enfin, notre offensive de
l a Somme,
ont persuadé
le monde que
m a l g r é sa l o n g u e et minutieuse préparation,
l'Allemagne,
n'était pas de taille
à
nous vaincre. L e s A r g e n t i n s ont suivi pas à pas, étapes par étapes, toutes les péripéties du drame
angoissant
que nous vivons, et, de cœur
avec
122
la
première
semaine de i / a m é r i q u e
latine
a
lyon
nous, communiant dans le même idéal, ils forment des v œ u x pour la victoire des A l l i é s .
LA
CULTURE
FRANÇAISE
EN
ARGENTINE
Q u ' y a-t-il d'étonnant à cela ? L e s A r g e n t i n s sont si près de nous par leur culture. Il n'est pas un établissement d'instruction, où l'on n'étudie
les classiques
français. L a
plupart
là-bas,
des A r g e n t i n s
parlent notre langue, et leurs mœurs, comme leurs goûts et leur culture, portent l'empreinte de notre esprit. D e tous les nationaux
de
l'Ancien et du N o u v e a u Monde, l ' A r g e n t i n est celui qui ressemble le plus au Français. E t cette ressemblance se manifeste dans toutes les branches de l'activité ! V o y e z la ville de B u e n o s - A y r e s , avec ses avenues splendides, ses monuments a u x lignes pures et ses résidences particulières de s t y l e irréprochable: n'est-elle pas une i m a g e de notre Paris moderne ? Il n'est pas, d'autre part, un seul intellectuel argentin soit formé en t r a v a i l l a n t nos auteurs. E t
qui ne se
les représentants
g r a n d e R é p u b l i q u e que l'Amérique du S u d nous a envoyés les docteurs José P a z ,
Miguel
Cané,
Carlos, C a l v o ,
de
la
jusqu'ici,
R o d r i g u e z I.ar-
reta, sont ou étaient tous des hommes nourris de la culture française. E s t - i l un Parisien plus pur que actuellement
l'Argentine
l'hoinme
chez nous,
désigné
Marcel
pour
représenter
de A l v e a r ? L e
suprême du Gouvernement argentin, le docteur H i p p o l y t e est lui-même un Basque, fils de Français. l'idée
française : José
Santamarina,
E t , enfin, ces apôtres
Carlos
Madarriaga,
chef
Irigoyen, de
Ezéquiel
P a z , le docteur D a v i l a , le subtil poète A l m a f u e r t e , le docteur Sicardi, le docteur Chutre et, avec eux, toute celle p l é i a d e de jeunes gens qui mettent avec enthousiasme, au service de notre p r o p a g a n d e ,
leur
cœur, et leurs efforts.
LA
PRESSE
ARGENTINE
Enfin, la presse argentine,
timide ou prudente
au début de la
guerre, a, depuis, hautement m a n i f e s t é ses sympathies pour la cause des A l l i é s . V o u s me permettrez de citer ici, parmi les j o u r n a u x qui nous sont sympathiques : La Prensa, La Manana, La Capital
La Epoca, del Rosario,
El
Orden
La Nacion,
El Diario,
de T u c u m a n , El Dia del
Los Principios
de C o r d o b a , Caras y
Critica, Rosario, Curetas,
P. B. T., etc. A tous ces organes, nous devons un t é m o i g n a g e public de gratitude.
l ' o p i n i o n p u b l i q u e en
123
argentine
V o i c i , d'ailleurs, à titre de document, la déclaration nette et courageuse qu'a cru devoir faire, sur ses sympathies dans son numéro d u 28 juin 1916, La Prensa,
et ses
tendances,
de B u e n o s - A y r e s :
(c L a parole de ce journal ne peut être suspectée par personne, et moins encore par les A l l i é s . E l l e se concilie avec les exigences neutralité p a r f a i t e et seconde l'honnête neutralité
de la
d'une
République
Argentine. (c Si, afin de donner une plus g r a n d e autorité a u x réclamations aue nous formulons au sujet des listes noires, il est nécessaire
de
faire un aveu public de nos sympathies dans la guerre, sans aucun embarras ni aucune restriction, nous proclamons notre adhésion intime à la cause des A l l i é s ,
car elle répond
argentine avec la G r a n d e - B r e t a g n e ,
a u x liens de la civilisation
la F r a n c e et l'Italie. T o u t
le
N o u v e a u M o n d e , neutre dans la lutte, ressent sans doute aucun,
et
pour les mêmes m o t i f s , les mêmes inclinations. « L e s relations historiques des civilisations sont
indestructibles.
A u j o u r d ' h u i plus que j a m a i s , nous nous sentons spirituellement unis à l'âme immortelle de R o m e et d'Athènes. » V o i l à les déclarations formelles d'un organe qui constitue, l'Amérique du S u d ,
une puissante entité.
dans
Cette confession a eu
le
retentissement d'un événement sensationnel, car qui connaît le g r a n d journal de B u e n o s - A y r e s peut affirmer que cet aveu dissipe phère équivoque qu'on a voulu créer et reflète le sentiment la Direction de La
Prensa.
LES
ARGENTINS
ENGAGÉS
l'atmosintime de
Pour mieux affirmer le sentiment francophile des Argentins,
il
me suffira de signaler' les centaines de jeunes gens qui, à leur f r a i s et librement, sont venus combattre sous les plis du drapeau tricolore. T'appliquerai à ces A r g e n t i n s le j u g e m e n t que Gaston sur les volontaires américains: «
Riou
P a r m i ces jeunes gens,
portait
nombreux
sont ceux qui appartiennent à l'élite de la société. Ils sont humains et raffinés, aiment l a vie et croient que sa splendeur est de
lutter
pour la justice et le droit. Ils ont le culte de la démocratie, haïssent la violence,
révèrent
la dignité de l'homme et la dignité des peu-
ples. Ils sont des consciences, des caractères purs et
forts.
Si
ces
jeunes gens se sont donnés à la F r a n c e , c'est que la F r a n c e est, à leurs y e u x , un chevalier du plus haut idéal humain q u i ' a i t illuminé la terre; ils traversèrent l'Océan comme on part pour une croisade. L a cause de la F r a n c e est pour eux la cause de toute l'humanité. » Permettez-moi, en terminant l'exposé des sentiments des A r g e n tins envers la F r a n c e , de vous relater la petite scène qui se déroula,
124
la
première'
semaine de i / A m é r i q u e l a t i n e a
lyon
la semaine dernière, en gare de H e n d a y e . E l l e me f u t contée par un témoin. L e capitaine Z u l o a g a , le nouvel
attaché
militaire de la R é p u -
blique A r g e n t i n e , r e j o i g n a i t Paris, son poste. A u cours de son transbordement,
il
aperçut un groupe
de trois F r a n ç a i s
mutilés,
l'un
amputé d'une j a m b e , l'autre d'un bras et le troisième la tête recouverte de b a n d a g e s . L e s trois portaient sur la poitrine les glorieuses médailles de guerre. Fortement impressionné, le capitaine
Zuloaga
s'approcha, ému, des trois soldats, se découvrit d e v a n t eux et, déclinant ses qualités, il embrassa les médailles des héros, en leur disant: « C e baiser fraternel, v a i l l a n t s soldats, est celui que je donne, par votre entremise, à mes camarades français, qui luttent pour le plus g r a n d idéal de l'humanité! »
CONCLUSION J'ai fini. Je me suis efforcé de dire, dans un l a n g a g e très simple, le sentiment réel des A r g e n t i n s à l ' é g a r d de la France. P a r m i mes auditeurs, il m'est a g r é a b l e de constater
la présence
de nombreux
A r g e n t i n s . Je les prends à témoin de la fidélité de mon exposé, persuadé qu'en outre, tous ceux de là-bas approuveront mon E t , sûr d'interpréter exactement leurs sentiments à tous, j e pas à les associer à l'acclamation
ardente par laquelle j e
langage. n'hésite termine:
Vive la F r a n c e ! F.
CAZAUX.
L'Opinion publique au Brésil
SYMPATHIE
DU
BRÉSIL
POUR
LES
ALLIÉS
#
a sympathie du Brésil pour les A l l i é s , s'est manifestée d'instinct
L
dès le premier moment du conflit. E l l e s'est depuis,
chaque
jour, plus affirmée et, à l'heure actuelle, on peut proclamer qu'aucun p a y s n'est plus acquis que le Brésil à la cause de la
civilisation
latine, d é f e n d u e par la F r a n c e . Toute nationale —
la
population
brésilienne
—
la
population
purement
a l'intuition que sa destinée est liée à celle de l a France.
Q u a n d éclata
la guerre, l'âme brésilienne
avertie. D u d é p a r t des premiers réservistes
s'éveilla, subitement
f r a n ç a i s datent les pre-
mières manifestations populaires. L e peuple brésilien s'est montré, à ce moment, ce qu'il devait être p e n d a n t toute la guerre: un peuple de gens de cœur, insoucieux du p r é j u g é juridique
de l a
neutralité
absurde et fausse, c o i f e g t i o n d'esprits timorés et inertes, mais qui, dans une guerre comm? M l e - c i , dans une semblable crise de civilisation, ne peut être imposée à la conscience humaine. En
quittant le Brésil, les réservistes
f r a n ç a i s ont emporté les
vœux ardents de nos âmes pour la victoire de leur patrie. E t combien de Brésiliens, à ce moment douteux de la guerre, ne sont-ils pas venus s'enrôler dans
les b a t a i l l o n s
français!
Combien
sont
morts
pour l a F r a n c e ! Combien ont mis spontanément et intégralement leur jeunesse, leur avenir, leur enthousiasme, au service d u D r o i t et de l a Liberté ! Aucun
Brésilien
ne s'est enrôlé dans
les
hordes
allemandes,
aucun n'a donné son s a n g pour l ' A l l e m a g n e . . . C'est l a preuve la plus expressive de notre élan pour les A l l i é s . MANIFESTATION
A LA CHAMBRE
DES
DÉPUTÉS.
L e 8 août 1914, quelques jours après la déclaration de guerre et q u a n d la B e l g i q u e f u t envahie, un événement d'ordre politique se produisit tout à l'honneur du Brésil. M . Irineu
Machado
et plusieurs de ses collègues
soumirent
à
l'approbation de la Chambre f é d é r a l e des députés, la requête suivante:
126
la
« La
première
semaine de i/amÉrique l a t i n e
a
lyon
Chambre des députés du Brésil, déplorant que les
puissantes nations du monde aient préféré avoir
plus
recours à la force,
au lieu de chercher, pour leurs divergences, les solutions pacifiques et juridiques, f a i t des v œ u x pour la plus rapide terminaison de la lutte armée et espère que seront respectés l'intégrité nationale,
l'indépen-
dance et les droits des peuples neutres et étrangers au conflit,
de
même que les principes du droit international public, les traités, les conventions et accords internationaux et les conventions et délibérations élaborées par la Conférence de la P a i x , lesquels ont pour but de rendre « la moins inhumaine possible » l'immense calamité de la guerre ». P a r l a n t en juriste, en expert du D r o i t international, en pacifiste, M . Irineu M a c h a d o fit le procès du militarisme, ennemi du progrès et de l'humanité. Il souhaite voir la jeune nation brésilienne « bâtir sa grandeur morale, précisément en faisant ces nobles gestes de culture et d'amour de l'ordre international et de la justice ». Il terminait, en évoquant une des plus hautes pensées de L é o n
Bourgeois,
par une ardente profession de f o i et d'attachement envers la F r a n c e : « L a leçon de son histoire, disait-il, n'indique pas autre chose que la préoccupation constante de la conservation de la p a i x pour le bien de l'humanité et l'union de tous les cœurs humains dans un même idéal d i g n e et supérieur. » A p r è s avoir vivement félicité l'orateur, la Chambre des députés du Brésil a d o p t a la requête de M . Irineu M a c h a d o . U n tel discours, une telle approbation sont les seules manifestations qui émanèrent des peuples neutres à l'occasion de la violation de la neutralité de la B e l g i q u e et des procédés a l l e m a n d s de guerre. LA
LIGUE
BRÉSILIENNE
POUR
LES
ALLIÉS
L e s adhésions du peuple brésilien à la cause française se multiplièrent
dès les premiers mois de
la
guerre. L'élite
entière, l'élite
intellectuelle et sociale, prit position contre la barbarie
allemande.
L e peuple suivit l'élite, et ce f u t un exemple exceptionnel d'unité sentimentale.
L'atmosphère,
si
l'on
peut
dire,
devint
complètement
« alliée ». E t cela, au point que les représentants diplomatiques des puissances centrales s'éclipsèrent: on ne les vit plus en public. Il convient, en notant la formation de cette ambiance, de rendre a u x femmes brésiliennes l'hommage qui leur est dû. P a r leur action et par des œuvres bienfaisantes, elles se sont dévouées a u x combattants français et alliés. P a r leur fierté morale et par leur culte de la vérité courageusement proclamée, elles ont entretenu dans nos f o y e r s ''enthousiasme pour votre cause, qui est aussi la nôtre.
l'opinion
publique
au
127
brésil
D è s le commencement des hostilités, des écrivains qui, par pur patriotisme, avaient dénoncé le péril allemand et avaient témoigné des sympathies du Brésil pour l'Entente recevaient de toutes parts les plus v i f s encouragements. O n les engageait à développer leur activité. Ces écrivains, dont deux ont l'honneur de siéger à ce Congrès, ont compris la
nécessité de
donner
aux
sentiments
brésiliens
un
organe d'action et ils ont alors f o n d é « la L i g u e brésilienne pour les A l l i é s ». Ce f u t la première ligue de cette nature qui f u t créée au monde. S a tâche f u t f a c i l e ; elle n'avait point à raviver des sentiments endormis et elle répondait à un besoin d'expansion dont frémissait tout le Brésil.Aussi,
l'orateur qui eut l'insigne mission de
définir le programme de la L i g u e , lors de son inauguration, n'eut-il qu'à préciser qu'elle ne venait pas créer, mais seulement organiser des sympathies. L a L i g u e a vu venir à elle les hommes les plus remarquables de la littérature, de la politique, de l'enseignement, de la magistrature, de la presse, de l'art, voire même de l'armée et de la marine. A sa naissance, elle suscitait l'enthousiasme de la jeunesse des académies. L'action de la L i g u e se développait journellement en des conférences, en des fêtes en l'honneur et au profit des A l l i é s , et par des pétitions de caractère politique, par des motions adressées au Congrès et au Pouvoir
exécutif,
par
des protestations
contre
les atrocités
alle-
mandes, et contre les violations du droit international, protestations dont la plus récente est celle qu'elle éleva contre la réduction à un i n f â m e esclavage des populations civiles de l a France envahie et de la Belgique. E l l e poursuit ses efforts. A v e c énergie, avec ténacité, une poignée d'hommes résolus luttent là-bas pour la cause sainte de la France et sont heureux de lui donner ce qu'ils pensent donner de plus beau, de plus pur: le dévouement désintéressé... Ainsi, nous demeurons fidèles à notre devise: « A v e c la France, avec les A l l i é s , pour l'Humanité. » Cette belle initiative brésilienne ne devait pas se limiter à R i o de Janeiro. E n d'autres E t a t s du Brésil, et des plus considérables, comme à B a h i a et à Minas, d'autres ligues se sont constituées et ce mouvement est loin de faiblir. T o u t récemment, au mois d'octobre dernier, un nouveau comité s'est f o n d é à Pernambuco. Ces ligues se rattachent à celle de R i o et comprennent les hommes les plus représentatifs de chaque E t a t . C'est avec une ardeur constante qu'elles développent une action ininterrompue contre l ' A l l e m a g n e et pour les Alliés.
I 128
RUY
la
première
semaine de l ' a m e r i q u e
latine
a
lyon
BARBOSA N u l privilège, plus rare et plus f é c o n d pour la cause du droit,
de la civilisation et de la justice, ne p o u v a i t être donné à la L i g u e brésilienne que celui d'être présidée par notre g r a n d homme national, Ruy
Barbosa. P a r
son passé
de
défenseur de
humaines, par ses facultés intellectuelles et
toutes les
libertés
morales, par sa culture
exceptionnelle, par son verbe prestigieux, par son génie d'écrivain, il n'y a pas aujourd'hui un homme politique au monde dont l'autorité soit plus considérable en son p a y s . Il lui revenait d'être l'incomparable interprète
de l'âme brésilienne,
attristée et révoltée par
les
crimes a l l e m a n d s . R u y Barbosa a donné de cet état d'âme brésilien la plus complète, la plus splendide expression, dans la conférence qu'il prononça à B u e n o s - A y r e s où l'avait délégué son gouvernement, en qualité d'ambassadeur extraordinaire, à l'occasion du centenaire de la R é p u b l i q u e A r g e n t i n e . A u c u n moment, aucun lieu n'étaient plus appropriés ni plus opportuns pour une aussi éclatante manifestation. Ce f u t dans une université,
devant
des jurisconsultes et
des
hommes politiques, devant toute une jeunesse a v i d e de lumière, altérée de vérité, que le g r a n d Brésilien a proféré la sentence de la condamnation de l ' A l l e m a g n e . E t il est excellent que cette sentence ait été prononcée, non à R i o de Janeiro, mais dans une autre capitale de l'Amérique L a t i n e , a f f i r m a n t ainsi dans un nouveau f o y e r de civilisation les principes de justice qui sont le patrimoine légué au monde par la culture romaine. L a mémorable sentence de R u y B a r b o s a , membre du de la H a y e ,
condamne
l'Allemagne
Tribunal
pour ses f o r f a i t s monstrueux,
pour toutes les violations de la loi et de l'honneur qu'elle a commises, pour tous ses crimes. E t le j u g e ne se limite pas à stigmatiser, il e x i g e une sanction et cette sanction doit être appliquée par les, neutres. L e s neutres doivent organiser
la justice internationale. « L a
neutralité,
proclame R u y
Barbosa, ne peut être l'abstention, ni l'indifférence, ni l'insensibilité, ni le silence... E n t r e ceux qui méconnaissent la loi et ceux qui l'observent, il n'y a pas de neutralité possible... L e s tribunaux,
l'opi-
nion publique et la conscience ne sont pas neutres entre la loi et le crime. » Quel incomparable honneur pour un homme politique d'une nation neutre d'avoir prononcé un tel j u g e m e n t , appelé à transformer le concept de la neutralité et à hausser la conscience des peuples ! L e Brésil, qui a pris au cours de cette guerre de belles initiatives en f a v e u r de la justice, a pu encore donner au monde le t é m o i g n a g e
l'opinion
publique
au
brésil
i29
du sentiment national par l'adhésion unanime de la Chambre
des
députés et du Sénat f é d é r a l à la sentence du j u g e . L a F r a n c e nous a compris et rien ne peut toucher notre cœur plus que la reconnaissance de ceux que nous aimons. C'est la tendresse exquise des affinités. E t q u a n d la France, par les organes les plus autorisés de son Parlement, par ses plus éminents journalistes et ses plus écrivains,
a bien voulu
exprimer
sa reconnaissance
au
illustres
Brésil,
le
Brésil a été pénétré de la plus p r o f o n d e émotion. Il f e r a d a v a n t a g e , s'il le peut, pour la cause de la libération du monde. D e p u i s la conférence de B u e n o s - A y r e s , R u y Barbosa a, dans un discours prononcé en qualité de président de la L i g u e pour les A l l i é s , flétri dans un f o u d r o y a n t réquisitoire la fausse neutralité, « L a fausse neutralité, a-t-il proclamé, que nous déplorons, est un pacte avec le crime, une désertion du devoir ! »
TÉMOIGNAGES
DE
L'AMOUR
C'est
que
nous
ainsi
DU
aimons
BRÉSIL la
POUR
France.
LA
D'autres
FRANCE Brésiliens
donnent de cet amour un t é m o i g n a g e incomparable. Ce sont ceux-là qui n'ont pas admis que les F r a n ç a i s tout seuls combattent l'ennemi et qui sont venus
leur offrir leur force et leur sang. Q u e
sommes-
nous, nous qui combattons par la parole, par rapport à ceux qui ont consenti le sublime sacrifice? Parmi tous ces héros anonymes venus de loin, de très loin, il en est un, un jeune nègre, qui était en France
où son maître
l'avait
amené du Brésil. Il l'aimait, cette France, de toute son âme ardente, de toute son âme rudimentaire. L a guerre éclate. Son nom était : L u i z de O l i v e i r a ; à ce nom il en a j o u t a un autre : France. Il s'engage et part au front. U n jour, il écrit à sa marraine, une dame brésilienne, ceci: « M a
marraine,
mon b a t a i l l o n
est désigné pour le prochain
assaut. D a n s quelques jours, je puis mourir; mais je ne veux
pas
mourir sans avoir sur moi un petit drapeau brésilien. Envoyez-le-moi, et vous serez bénie. » L e drapeau f u t envoyé sans retard, et le lendemain, L u i z de O l i v e i r a F r a n c e , un petit drapeau sur son cœur, mourut pour la F r a n c e et pour le Brésil. GRAÇA
ARANHA.
L'Opinion publique
au Chili
1
L'INFLUENCE
ALLEMANDE
n 1914, l'influence allemande était considérable au Chili, et l'importance croissante des intérêts germaniques y était f a v o r a b l e ment regardée par une partie de l'opinion. A une époque dont trente ans seulement nous séparent, les seules influences intellectuelles, commerciales et autres qui eussent a g i dans notre p a y s ,
étaient
celles de l ' E s p a g n e ,
de
l'Angleterre
et
de
la
F r a n c e : la première nous avait donné sa civilisation en même temps que sa langue et ses traditions; l'Angleterre nous avait modèle de ses institutions
libérales; la France
trice de nos luttes pour l'Indépendance,
avait
le centre
lequel toujours se sont tournés nos regards
été
proposé le l'inspira-
de culture
depuis que nous
vers avons
cessé d'être une colonie de l ' E s p a g n e . Jusqu'en
1892,
les
règlements
en
vigueur
dans notre
armée
furent les mêmes du temps de Charles III, et les uniformes militaires furent à peu près ceux de l'armée française à la fin du second Empire. Q u a n t à notre marine, elle n'avait point renié les méthodes britanniques, ni les traditions de vaillance et d'honneur héritées de ses organisateurs a n g l a i s du début du clix-neuvième siècle. L'instruction publique au Chili avait été calquée sur les modèles français dont nous nous étions approprié les programmes pour l'enseignement des humanités et même pour l'enseignement universitaire. Il n'y a pas encore bien longtemps, les textes dans lesquels la jeunesse chilienne étudiait étaient presque tous traduits du français. L a guerre de 1870 et le p r o d i g i e u x développement de l'activité a l l e m a n d e qui s'ensuivit firent naître dans le monde entier l'engouement pour les choses allemandes: idées, firent,
méthodes, commerce, —
et
de la soi-disant « organisation allemande », l'objet de l'admi-
ration universelle. L e Chili suivit le mouvement, comme la France, l'Angleterre et le reste du monde. Mais, en réalité, cette A l l e m a g n e avec toutes ses merveilles, c'étaient les livres français et a n g l a i s qui nous l'avaient
p
144
la première
semaine de i/amÉrique l a t i n e
a
lyon
f a i t connaître: rares sont en effet, chez nous, les personnes qui savent l'allemand, tandis qu'il n'y
a pas de Chilien cultivé qui ne
parle
français ou anglais, ou p a r f o i s l'une et l'autre langue. L e gouvernement chilien e n g a g e a quelques professeurs allemands des deux sexes pour les E c o l e s Normales, l'Institut P é d a g o g i q u e et certains lycées. E n leur confiant la direction de services très importants, on les mit à même d'influer sur la formation des
nouvelles
vénérations, grâce aux instituteurs primaires et a u x professeurs des L y c é e s qui sortent
de
notre
Institut
pédagogique.
Telle
était
la
situation entre 1880 et 1890. L e s professeurs allemands qui s'établirent au Chili à cette époque étaient pour la plupart des hommes d'un mérite indiscutable, et plus d'une fois, il nous a f a l l u rendre hommage à l'œuvre excellente qu'ils réalisèrent et que certains d'entre eux poursuivent encore aujourd'hui. Ils avaient été recrutés directement par les agents diplomatiques chiliens, sans aucune intervention du gouvernement impérial, et il ne f a u t pas les confondre avec une autre catégorie de professeurs, instruments dociles du pangermanisme envahissant et destructeur, qui se répandirent ensuite dans le monde entier. Ces professeurs trouvèrent au Chili
une mentalité
rebelle aux
modifications, un peuple d'origine latine, de sang européen très pur, qui avait reçu les influences espagnole et française dans sa culture,^et l'influence britannique dans son commerce. Ils comprirent que, s'ils voulaient se fixer dans le p a y s , il leur
faudrait
s'adapter, se
con-
former, se plier aux traits fortement accentués du caractère national. Ceux qui ne l'ont pas f a i t ne sont plus au Chili depuis longtemps. L'influence ainsi exercée f u t indéniable, certes, mais elle ne f u t ni aussi p r o f o n d e ni aussi exclusivement allemande qu'on pourrait le croire. L e génie propre de la race opposait une résistance invincible à l'application de méthodes et de systèmes philosophiques inconciliables avec nos traditions.
Les
professeurs
chiliens se
sentaient
capables de doter leur p a y s d'une culture nationale par le développement naturel de l'éducation latine que nous avions reçue en naiss a n t ; et leur répugnance à accepter les maîtres allemands constitue l'un 'des chapitres les plus
intéressants
de la vie
intellectuelle
au
Chili pendant ces trente dernières années. Plus tard, l'on e n g a g e a des officiers allemands pour l'armée et la moderniser
d'après
réorganiser
les principes prussiens à la mode
entre 1894 et 1900. Ces officiers allemands travaillèrent avec acharnement, et ils eurent vite f a i t d'imposer à l'armée chilienne les uniformes prussiens, de lui apprendre le f a m e u x « pas de l'oie », et d'implanter les règle-
*
L'opinion publique au
c'ilLi
133
ments allemands traduits à la hâte. B r e f , ils accomplirent une tâche rapide, f o r t brillante en apparence, et utile incontestablement, mais qui n'aurait jamais suffi à éduquer une armée, si les officiers chiliens ne s'étaient ensuite livrés à un travail d'intelligente adaptation. C'est peut-être à l'Ecole Militaire et à l'Académie de Guerre que les A l l e m a n d s ont laissé la trace la plus p r o f o n d e : et là encore, les choses ne commencèrent à aller normalement qu'après l'œuvre de discrimination et de mise au point des officiers chiliens. Nombreux furent les militaires chiliens à qui le gouvernement allemand offrit dans les écoles et les régiments de l'Empire des facilités, de la considération et des avantages qui n'avaient guère d'analogues que ceux dont jouissaient dans la marine britannique nos futurs officiers de marine. D'autre part, le commerce allemand se développait rapidement au Chili aux dépens du commerce britannique et du commerce français. Ceux-ci, d'ailleurs, semblait-il, ne tenaient pas autrement à conserver leur ancienne prééminence et paraissaient abandonner d'un cœur léger ce coin du monde à leur compétiteur. L e pavillon français disparaissait graduellement de nos mers, et quant aux A n g l a i s , tout en conservant encore le premier rang, aussi bien pour les importations que pour les exportations, ils ne faisaient absolument rien pour enrayer l'avance des A l l e m a n d s . E n même temps se fondaient au Chili des banques allemandes, et de toutes parts l'on assistait à une action méthodique et concertée, qui, protégée directement et aidée de mille manières par le gouvernement impérial, avait pour mission d'emporter d'assaut le marché chilien. L e s A l l e m a n d s ne créaient rien de bien original au Chili, mais ils s'intéressaient à tout et unissaient leurs capitaux aux nôtres dans des industries et des affaires de toute espèce. Il est donc explicable qu'au début de l a guerre de nombreux Chiliens — qui d'ailleurs étaient loin de constituer une majorité —regardaient l ' A l l e m a g n e avec sympathie et applaudissaient à son influence dans leur pays. L a découverte des méthodes allemandes, leur succès dans nos collèges et nos casernes, nous avaient révélé un monde jusqu'alors inconnu à nous autres, latins ingouvernables et à qui notre indiscipline invétérée a d é j à coûté si cher: j e veux dire le monde de l'organisation. A u milieu du désordre apparent qui caractérise les p a y s n e u f s en train de s'organiser, et qui pourrait à bon droit décourager les esprits qui ne f o n t pas crédit à l'énergie de la race et à ses traditions, les mécanismes germaniques causèrent un éblouissement.
la première
134
semaine de i / a m é r i q u e
latine
a
lyon
L'armée ressentait de la gratitude pour les enseignements reçus de l ' A l l e m a g n e et pour l'influence qui avait a g i comme un stimulant sur les vieilles institutions militaires, o b j e t de l'orgueil légitime
de
la nation tout entière. A j o u t o n s encore ceci: au Chili pas plus qu'ailleurs ne manquaient les m a l a d e s de la volonté, qui veulent qu'on leur apporte tout sur un plateau, sans qu'il leur en coûte la plus petite initiative, —
de ces
gens qui ne rêvent que « gouvernements forts ». Enfin, il existe un
dernier
facteur de la
sympathie
éprouvée
par certains Chiliens envers l ' A l l e m a g n e : je veux parler de ce culte de la force, qui n'est pas le meilleur trait de caractère que nous ait légué l ' E s p a g n e . E n dépit de l'éducation, on voit quelquefois reparaître le conquistador chez le S u d - A m é r i c a i n d'aujourd'hui. C'est de l'ensemble de ces facteurs que naquit le courant de sympathie pour l ' A l l e m a g n e , qui se manifestait au Chili au moment où la guerre éclata. Mais la majorité de la nation, les hommes les plus cultivés, la classe intellectuelle, tous les esprits libéraux et avancés, enfin toute la masse en qui parlent la race, qui est latine, les traditions qui sont latines, les vertus et les faiblesses mêmes, qui sont également latines, —
tous, furent de cœur avec les A l l i é s . L e u r adhésion f u t enthou-
siaste et spontanée envers la F r a n c e , — l'Angleterre,
que
l'on
voyait
une
plus raisonnée à l'égard de
fois
de
plus tirer
l'épée
pour
d é f e n d r e les libertés essentielles de l'humanité. /
IT
LA GUERRE
ET
L'OPINION
Cependant, la guerre suivait son cours. A p r è s quelques mois d'interruption forcée dans les relations postales, les communications se rétablirent entre l'Europe et le continent sud-américain: c'est alors que le C h i l i connut les détails de l'invasion de la B e l g i q u e , les traitements infligés aux populations civiles des F l a n d r e s et du nord de la France,
la
villages
entiers, de cathédrales,
destruction
volontaire
des
monuments,
d'hôtels
de
l'incendie
de
v i l l e ; b r e f , le souffle
empesté vint jusqu'à notre lointain p a y s , annonçant l'orgie de feu et de
sang
où
se
vautrèrent
les hordes
germaniques
lorsqu'elles
se
ietèrent sur l'Europe occidentale au s i g n a l donné par l'Empereur. L e s correspondants des j o u r n a u x chiliens menter
les événements;
les documents
commencèrent à com-
officiels furent traduits
et
publiés, en même temps que de nombreux Chiliens, chassés d ' E u r o p e
l'opinion publique
au
chili
par la guerre, regagnèrent leur p a y s . Or, certains d'entre eux avaient assisté à des scènes terribles, avaient entendu les plaintes, et pouvaient nous renseigner de première main. Bientôt, nous apprîmes à- nos dépens, par les violations monstrueuses de la neutralité chilienne dont se rendirent coupables des b a t e a u x marchands et des navires de guerre allemands, quelle était l'attitude des Germains à l'égard des petites nationalités. Puis nous apprîmes les incursions commises par les « T a u b e n » et les (( Zeppelins » sur les villes ouvertes, les torpillages de bateaux marchands, l'assassinat délibéré de centaines de femmes et d'enfants, les meurtres s y s t é m a t i q u e s de n o n - c o m b a t t a n t s , neutres ou b e l l i g é rants, qui reposaient dans leurs maisons ou traversaient les mers à l'abri des lois protectrices établies dans le monde civilisé. L a répétition de ces actes, dont certains eurent nos côtes pour théâtre, et les autres souillèrent divers lieux du globe, ouvrirent les yeuK des Chiliens qui regardaient encore l ' A l l e m a g n e avec complaisance. L a nation, jalouse de ses libertés, sentit que cette guerre n'était pas autre chose que l'irruption sur un monde libéral, humanitaire, imprégné de sentiments chrétiens, de toutes les forces de la barbarie, unies à tous les raffinements de la science. Ce qui, une fois de plus, menaçait d'étouffer le progrès moral de l'humanité, c'était une barbarie mâtinée de chimie... A l'heure actuelle, l'opinion chilienne est franchement f a v o r a b l e aux A l l i é s , et elle souhaite leur triomphe, parce, qu'elle voit en eux les représentants du progrès, des sentiments humains, et des grandes idées de liberté, de respect des faibles et de justice internationale basée sur le droit, qui sont communes à toutes les démocraties modernes. Des circonstances récentes ont permis à cette opinion de se manifester en public, et personne n'a désormais le droit de supposer chez les Chiliens une inclination en faveur de l ' A l l e m a g n e : au début de la guerre, elle a peut-être existé, mais seulement dans une f a i b l e minorité. L ' o n a beaucoup parlé des sympathies allemandes du clergé catholique d ' E s p a g n e , du Sud-Amérique et même d'Italie. Mon impression personnelle est que le clergé, dans ces contrées, s'est montré plus anti-français que germanophile. Lorsque la guerre'éclata, le mauvais souvenir laissé par la Séparation et la dissolution des Congrégations ne s'était pas encore dissipé. L e clergé chilien est très éclairé, et sa culture, sa moralité exemplaire, son patriotisme agissant lui ont valu dans le p a y s une g r a n d e autorité. Si, dans son sein, il s'est trouvé des prêtres favorables à l ' A l l e m a g n e , du moins ce sentiment ne s'est-il pas traduit par des
136
la première
semaine de l ' a m é r i q u e
latine
a
lyon
manifestations publiques, et l'on peut être assuré qu'il n'est point celui de la fraction influente du clergé. T o u t nous porte montré
à
croire que le clergé chilien s'est toujours
d'une correction absolue,
comme c'était son devoir,
étant
donnée la neutralité officielle du pays. E t même, quelques prêtres ont manifesté envers
la Belgique et la France d'ardentes
sympathies.
T o u s les journaux cléricaux, y compris l'organe officiel des Evêques, ont protesté contre certains attentats germaniques
particulièrement
révoltants pour des âmes chrétiennes. E n résumé, l'on peut dire que, depuis le commencement guerre,
la majorité de l'opinion chilienne
a sympathisé
de
avec
la les
A l l i é s , et qu'au fur et à mesure que le temps passait, les événements n'ont
fait
qu'accentuer la faillite
de! la
propagande
germanique,
entreprise au Chili sous la direction des agents diplomatiques de l'Empire. A l'heure actuelle, c'est quotidiennement que l'on rencontre des manifestations non équivoques de la résolution, où sont à la fois la nation et ses chefs, d'orienter notre politique vers une entente pleine de cordialité avec les puissances alliées. Cependant, pour être tout à f a i t sincère, je dois noter une ombre à ce tableau, et comme un point noir à l'horizon de l'année 1916... Je veux parler des « listes noires ». Juste au moment où le C h i l i manifestait publiquement sa sympathie pour les puissances de l'Entente, celles-ci ont imposé à ieurs ressortissants la prohibition de faire du commerce avec les maisons soupçonnées de servir les intérêts des Puissances Centrales. L ' a p p l i c a t i o n de cette politique au Chili y a provoqué, même de la part des journaux aliadophiles, de véhémentes protestations. Cette question est délicate, elle mérite de retenir l'attention, car elle est très habilement exploitée par la p r o p a g a n d e allemande. Il f a u t examiner individuellement chaque cas, dans un esprit conciliant. Ainsi, l'on pourra éviter de nuire aux intérêts légitimes du commerce chilien, sans pour cela servir indirectement celui des A l l e m a n d s , et de cette manière, l'on aura chance de calmer l'opinion et de détruire les effets de la p r o p a g a n d e allemande dans notre p a y s . C'est plutôt une question d'application que de doctrine.
4
L'opinionpublique
au
c'ilLi
137
III
LES
ÉTATS-UNIS
AU
CHILI
L'avenir du commerce allemand dans l'Amérique du S u d dépend naturellement du résultat final de la guerre, et il est permis de supposer qu'il ne recouvrera pas de longtemps ses proportions d'autrefois. L ' A l l e m a g n e a excité la défiance par ses méthodes, ses ambitions, sa politique à l'égard des peuples faibles, son absence de moralité internationale et ses abus de force. D ' u n autre côté, il ne f a u t pas s'attendre, quelle que soit l'issue de la lutte, à voir le commerce allemand disparaître complètement des rivages sud-américains : au contraire. Français et A n g l a i s trouveront à l'avenir en lui un rival non méprisable. L e s qualités auxquelles il devait sa prépondérance subsistent intactes, et le plus qu'on puisse dire, c'est que du moins il rencontrera sur sa route des obstacles nouveaux et des adversaires a y a n t plus d'expérience. Mais ce qu'il y a de nouveau, comme élément introduit par la guerre et qui lui survivra, c'est le développement prodigieux accusé dès maintenant par le commerce des E t a t s - U n i s . L a guerre, on le conçoit, n'a pas contribué à grandir le prestige de l'Europe aux y e u x des Américains. L e spectacle de ce continent, déchiré par la lutte la plus gigantesque de tous les siècles, n'est pas de nature à donner une haute idée de son avenir immédiat ou lointain. Or, à l'heure actuelle, les E t a t s - U n i s mettent cette situation à profit avec décision et méthode; ils ont adopté, à l'égard des p a y s latins d'Amérique, une politique d'amitié, de cordialité, de rapprochement, qui leur a donné d'excellents résultats. Des hommes éminents de la g r a n d e République du N o r d parcourent l'Amérique L a t i n e , publient des livres et font des conférences qui dévoilent l'état véritable de nos p a y s ; s'ils en laissent entrevoir les d é f a u t s , du moins exaltent-ils leurs mérites et soulignent-ils les alléchantes perspectives qu'ils offrent aux capitaux américains. Ils ne se contentent pas d'étudier, ils donnent des leçons et des avis. D è s avant la guerre, nous voyions très souvent arriver au Chili ces touristes observateurs, venus des Universités nord-américaines. E n même temps venaient les grands brasseurs d'affaires. Joignez à cela l'attraction exercée sur les étudiants chiliens par les Universités et les Collèges des E t a t s - U n i s , où ils trouvaient des
138
la
première
semaine de i / a m É r i q u e l a t i n e
a
lyon
facilités supérieures à celles qui leur étaient faites au delà de l'Atlantique, — sans compter un accueil courtois, sans rien de ce ton protecteur et parfois dédaigneux que les Sud-Américains ont trop souvent rencontré en Europe, sous les formes de la politesse la plus exquise. L'enseignement de l'espagnol s'est répandu aux E t a t s - U n i s de prodigieuse f a ç o n ; en outre, de grands établissements de crédit, comme la National City Bank of New-York, ont fondé des instituts spéciaux pour faire l'apprentissage des jeunes gens qui se destinent au commerce avec l'Amérique espagnole. Il serait bon que Français et A n g l a i s connussent à f o n d l'œuvre ainsi réalisée là-bas, qui est empreinte de ce tour original propre aux Américains. Je dois dire que jamais les Etats-Unis n'ont joui d'une grande sympathie au Chili. C'est qu'en effet, plus d'une fois, nous avons été les victimes de la politique brutale qu'ils adoptèrent il y a quelques années à l'égard de l'Amérique méridionale. Mais, depuis dix. ans, tout est changé. L e cabinet de Washington a relégué dans les caves de la Maison Blanche le big stick qu'il brandissait autrefois comme une menace à l'adresse des peuples du sud, sans faire de distinction entre ceux qui se comportaient sagement et ceux qui étaient la proie de perpétuelles révolutions. E n outre, un certain raffinement de formes a fait son apparition dans le secrétariat d ' E t a t , et une connaissance plus approfondie des peuples du continent a conduit le gouvernement, la presse et la nation yankees à regarder le Chili et les pays voisins avec un respect et une considération jusque-là inusités. L e panaméricanisme a bien changé de caractère. L'on n'y trouverait presque plus aucune trace de la politique impéraliste qui, en se traduisant par la prise de Cuba et de Porto-Rico, et par la singulière création de l'Etat de Panama, semblait une menace perpétuelle pour notre souveraineté. Certes, il existe encore au Chili des esprits qui se montrent défiants à l'égard de la politique des Etats-Unis, quelle qu'elle soit, et qui dénoncent dans le panaméricanisme, même ganté de velours, comme il çst actuellement, un danger ou tout au moins une tendance inquiétante et des visées mystérieuses. En tout cas, l'on peut affirmer que le Chili n'acceptera jamais une politique qui, sous une forme ou sous une autre, entraînerait pour notre pays une pression extérieure ou la soumission à des intérêts non exclusivement nationaux. Jamais nous ne proclamerons assez haut que ce petit pays est résolu à faire son chemin, si modeste qu'il soit, avec son indépendance intacte; en dépit des épreuves et des traverses, il ne se mettra à la remorque d'aucune puissance, ni d'Europe ni d'Amérique.
l'opinion publique; au
139
chili
M a i s on ne saurait se f a i r e d'illusions: m a l g r é son nationalisme et sa défiance, le C h i l i n'en subit p a s moins, de la p a r t de l ' A m é r i q u e du N o r d , une influence avec l a q u e l l e il d e v r a compter à l'avenir. D o r é n a v a n t , en e f f e t , rien ne pourra arrêter l'essor
formidable
du commerce américain qui d é b o r d e sur le continent tout entier, pend a n t que l ' E u r o p e consume ses forces d a n s une œuvre de
dévasta-
tion. O u i pourrait empêcher les énormes c a p i t a u x que la guerre f a i t naître a u x E t a t s - U n i s de chercher un e m p l o i lucratif d a n s nos républiques, pour le p l u s g r a n d grand avantage p a s naturel
de
profit de ces dernières et pour le plus
l'influence
que les courants
américaine? E t , d'autre intellectuels
part, n'est-il
latino-américains,
surtout
en matière d ' é d u c a t i o n , se d i r i g e n t vers les E t a t s - U n i s , p a y s démocratique et p a y s neuf comme les nôtres, pour lui d e m a n d e r des directions à suivre, des m o d è l e s à imiter et des institutions à
emprun-
ter? (1) L a seule chose qui nous sépare est la différence de race ; mais elle est e f f a c é e en partie p a r l'élasticité du caractère américain, pour qui l'absence de passé g l o r i e u x ment improvisés
offre
et séculaire
moins
de
sujets
d a n s nos organismes récemd'étonnement et de m a l e n -
tendus que pour l ' E u r o p é e n . A j o u t o n s que, m a l g r é la guerre, le c a n a l de P a n a m a unit désorm a i s les d e u x océans, et qu'ainsi
se trouve
réduite
la
distance qui
nous séparait des g r a n d s centres de la côte orientale des E t a t s - U n i s . C e c a n a l est une route américaine, c'est la porte par l a q u e l l e l'énergie américaine, tournant le d o s à l ' E u r o p e , v o g u e r a sur les flots du P a c i fique,
à la recherche des peuples jeunes et robustes qui sont l a réserve
et l'espoir de l'humanité. D é j à , sur les rives de cet O c é a n Pacifique, qui b a i g n e les côtes des d e u x A m é r i q u e s , de l ' A u s t r a l i e et de la N o u v e l l e - Z é l a n d e , du J a p o n et des P h i l i p p i n e s , l'on voit a p p a r a î t r e une vie n o u v e l l e , où se c o n f o n d e n t , avec le courant des richesses et des échanges, les ambitions et les convoitises des peuples. L e souci de la vérité nous o b l i g e donc à dire qu'après la guerre, les A l l i é s trouveront en A m é r i q u e latine, à côté de leur ancien r i v a l l ' A l l e m a g n e , a f f a i b l i e et considérablement h a n d i c a p é e d a n s la reprise de son e f f o r t , un nouveau compétiteur, les E t a t s - U n i s , dont la situation sera d ' a u t a n t plus solidement
assise que
la guerre aura duré
d a v a n t a g e et donné p l u s de g a g e s a u x tendances hostiles à l ' E u r o p e .
(1) En igis et 1916, les Américains, particulièrement le syndicat Guggenheim, ont acheté au Chili un grand nombre de mines de cuivre parmi les plus riches du pays, et ils commencent à s'intéresser aux affaires de nitrate de soude.
140
la
première
semaine de i / a m é r i q u e l a t i n e
a
lyon
IV
LE
NATIONALISME
CHILIEN
L e phénomène le plus intéressant que la guerre ait produit au Chili est le renforcement des tendances nationalistes, qui existaient d é j à dans le p a y s , mais qui ne se traduisaient que par la p r o p a g a n d e de quelques écrivains et par le sentiment p r o f o n d mais peu agissant d'une partie de l'opinion. P l u s d'un écrivain d'Europe et d'Amérique a d é j à observé la différence qui sépare le Chili du reste des peuples issus comme lui du démembrement de la puissance espagnole: j e veux parler de ce caractère à part qui en f a i t une nationalité parfaitement définie, nettement distincte, et capable d'assimiler les immigrants de race différente, sans que les traits essentiels de sa physionomie soient le moins d u monde altérés. L e mouvement nationaliste existait avant la guerre, il a toujours existé; mais les événements récents lui ont f o u r n i après coup une justification et ont beaucoup f a i t pour qu'on lui confiât la politique du pays. L a guerre a f a i t toucher du d o i g t les dangereux effets d'une trop grande dépendance économique à l'égard de l'Europe. N o u s avons subi avec une p r o f o n d e douleur l'insolence de l ' A l l e m a g n e qui, au moyen de quelques croiseurs et de ses bateaux marchands, a violé la neutralité du Chili, b a f o u é ses autorités et a pu ainsi remporter certains succès, comme celui de la bataille de Coronel, qui n'eussent pas été possibles autrement. T o u t cela a rendu une nouvelle vigueur à la cause du protectionnisme douanier, qui se propose de diminuer les importations et de maintenir f a v o r a b l e la balance commerciale. Grâce à ses inépuisables ressources naturelles, le Chili peut créer sur son territoire une vie industrielle et devenir une grande puissance manufacturière. D'une extrémité à l'autre d u p a y s abonde la force motrice hydraulique, grâce a u x torrents et aux cours d'eaux qui se précipitent vers la mer, du haut des A n d e s dont les neiges éternelles les alimentent. L e Chili possède des gisements houillers, que l'on commence seulement à exploiter et qui fournissent un combustible au moins é g a l en qualité à celui d'Australie. L e cuivre et le fer s'y trouvent avec une abondance telle que, dans un avenir rapproché, l'on peut espérer voir le Chili parmi les plus g r a n d s producteurs de ces deux métaux. U n e dernière cause f a v o r a b l e au développement économique de notre p a y s , c'est la facilité avec laquelle on accède à la mer, quel
141
L'OPINION PUBLIQUE AU C ' i l L I
à l a configuration du p a y s , qui est une longue b a n d e de terre, a été que soit le point du territoire qu'on e n v i s a g e ; cet a v a n t a g e naturel, d û encore amélioré par les voies ferrées que le gouvernement
construit
sans arrêt. C'est ce qui e x p l i q u e pourquoi, dans notre p a y s , tous les p l a n s en f a v e u r de l'industrie nationale
sont précédés
d'une
active
p r o p a g a n d e en vue de développer l a marine marchande. U n e exposition des produits de l'industrie nationale, qui vient de se tenir à S a n t i a g o , a révélé a u x Chiliens eux-mêmes qu'ils sont c a p a b l e s de fabriquer et qu'ils fabriquent d é j à maints articles pour lesquels ils dépendaient a u t r e f o i s des producteurs européens. Il ne f a u t donc pas s'étonner si le nationalisme s'étend rapidement à toutes les sphères de l'activité chilienne: l'éducation, l a politique, l a littérature, l'art et même l a vie de société. Les
établissements
d'instruction
et
d'éducation
commencent
à
s'affranchir de l'imitation servile des méthodes ou des principes européens
et
basées sur
anglo-américains; l'observation
du
ils
réclament
carctère
l'adoption
de
doctrines
n a t i o n a l , de l'histoire
et
des
besoins propres du C h i l i . Il est remarquable que toutes les m a n i f e s t a t i o n s
littéraires
et
artistiques de ces dernières années révèlent une tendance nationaliste bien définie; la
plupart
ont
pour
sujet
les mœurs
p a y s a g e s , l'histoire, les caractères, les problèmes Même
l'architecture
commence à répudier
les
locales,
sociaux d u
modèles
les
pays.
européens;
elle c o n d a m n e les abominables constructions édifiées au C h i l i par des architectes a l l e m a n d s , qui sont aussi bons constructeurs
que
déplo-
rables artistes, et c'est d a n s la restauration des styles c o l o n i a u x de l ' E s p a g n e qu'elle cherche l a base d'une orientation propre. L a littérature dramatique, enfin, accuse une certaine vitalité ; elle représente
de préférence,
des
t a b l e a u x de l'histoire
nationale,
des
scènes de la vie chilienne d'autrefois. L ' o n assiste de toutes parts à une renaissance
de l a tradition
d a n s ce p a y s pourtant neuf et où tout semble appartenir à l'avenir. L a nation se sent forte et elle veut tirer de son propre f o n d s les éléments de son existence. CARLOS S I L V A
VILDOSOLA.
Situation et Avenir de la France en Amérique Latine au point de vue économique LA
GUERRE
ET
SES
EFFETS
LOINTAINS
amais encore comme à cette époque de
J
destruction, de boulerse-
ment, d'arrêt de toutes choses, on n'a compris à quel point la commodité des v o y a g e s et l'épanouissement commercial des vingt dernières années avaient diminué les distances et rapproché les unes des autres les diverses contrées de la terre. A u delà des océans, certains pâtissent et d'autres profitent de nos épreuves. Il n'est pas un coin, si reculé soit-il, où l'on ne sache que l'Europe est à feu et à sang et l'Amérique, comme le Japon, vibre à tous les coups que se portent les adversaires. LES
SENTIMENTS
A v e c une égale ardeur, chaque groupe de belligérants plaide sa cause devant l'opinion du monde. A p p u y é e s de dépêches et de radios innombrables, illustrées d'images, de photographies et de films, les thèses opposées détaillent les chances, comparent les forces, exaltent les droits, inspirent des livres et des journaux spéciaux et suscitent, dans tous les p a y s , des discussions passionnées. Peu à peu cependant, la et triomphe des préjugés et revision de bien des valeurs, milieu des sympathies qui se et d'admiration aillent à ses
vérité se f a i t jour, l'évidence s'impose tandis que se poursuit lentement une ce sera l'honneur de la France qu'au concertent et s'amplifient, tant de v œ u x drapeaux.
Mais le sort de la bataille d é j à à peu près décidé ne provoque plus chez les peuples la même angoisse. Insensiblement, ils se sont accoutumés au spectacle de ces horreurs et de ces pertes qui dépassent tous les m a u x infligés à l'humanité depuis qu'elle existe et ce qui transparaît maintenant, c'est comme une attente inquiète, la troublante incertitude de l'état où seront réduites les forces économiques de chaque nation après avoir passé au creuset de la guerre. LES
INTÉRÊTS
Impondérables ou visibles, des éléments se déplacent et se rassemblent en vue des futurs conflits d'industries, de commerces et de clientèles. T o u t ne sora-t-il pas changé dans les conditions de la production, avec la multiplication des outillages, la généralisation des
la
146
méthodes
première
de
travail
semaine de i/amÉrique l a t i n e
perfectionnées
énormes? Q u i donc possédera
a
lyon
et l'improvisation
le plus d'or? Qui disposera
d'usines du
plus
haut potentiel d'enrichissement? O ù seront les plus grands consommateurs? Où pourra-t-on puiser les masses de capitaux que réclament les p a y s neufs? E t quel p a y s de fabriques participera le plus intensément à la réfection des stocks épuisés et du matériel usé pendant la durée de la guerre? Ainsi, partout où le crédit,
le fret et
devenus plus chers et plus rares, on
voudrait
les marchandises scruter
sont
l'avenir. L e s
sympathies sont fixées, mais les intérêts demeurent hésitants ; d s ne sont pas sûrs de leur voie, ils la cherchent, et en la cherchant, ils sentent bien qu'on les aidera à la trouver et qu'ils ne la choisiront pas selon leurs préférences. P a r une sorte d'intuition unanime, les neutres pressentent que la préparation industrielle et commerciale et la prépondérance sur les marchés internationaux parachèveront ou déferont en partie l'œuvre de la guerre. Ils savent également
que si, à la
p a i x , les besoins du monde entier seront assez vastes pour apaiser la concurrence,
quelques
années
suffiront à rendre
aux
luttes
écono-
miques une acuité extrême et à leur donner une importance primordiale.. V o i l à pourquoi il est utile de se préoccuper de
l'expansion
matérielle de notre pays, malgré des soucis plus immédiats.
LAMÉRIQUE
LATINE
A u c u n débouché ne sera négligeable. Nous aurons besoin des clientèles raffinées et difficiles, mais aussi des marchés neufs, non encore industrialisés et pleins de richesses inutilisées et inconnues. Parmi ceux-ci, il convient de placer au tout premier r a n g ce continent, cet ensemble de p a y s si divers qui composent l'Amérique L a t i n e . O n a souvent décrit leurs ressources quasi inépuisables; depuis vingt ans, elles ont attiré d a v a n t a g e les courants d'émigration et les capitaux que le C a n a d a , l'Australie, l ' A f r i q u e ou la Sibérie. Mais pour imaginer leur avenir merveilleux et tout proche, dans une splendeur incomparable, je crois bien qu'il f a u t y avoir vécu, avoir subi l'entraînement de leurs progrès par bonds, avoir étudié le développement de leurs populations et leur puissance d'absorption des éléments n o u v e a u x ; il f a u t , dans des v o y a g e s qui durent des semaines et vous mènent des immenses pampas fertiles a u x Cordillères métalliques ou aux forêts à bois à sèves et à fruits précieux, avoir contemplé ces réserves du monde presque fabuleuses... Celui qui a pu voir de petits bourgs devenir en quelques années des villes géantes et qui a été le témoin des magiques transformations que le rail suscite, celui-là mesure mieux la f o r m i d a b l e avance que certains de
situation
et
avenir
de l a
france
en a m e r i q u e
l a t i n e151
ces p a y s ont prise sur les autres, mais il ne doute pas non plus que le v i n g t i è m e siècle sera b i e n f a i s a n t pour tous. H i e r encore on ne p a r l a i t C h i l i et d u M e x i q u e ; vivifier le Pérou,
que
du Brésil et de l ' A r g e n t i n e ,
d e m a i n le trafic par
le
l ' E q u a t e u r , la C o l o m b i e .
du
c a n a l de P a n a m a ira
E t l a lointaine
Bolivie
elle-même où, il n'y a pas si l o n g t e m p s , n ' a v a i t point retenti le sifflet de la locomotive, nous f o u r n i r a a v a n t
cinquante
ans
du
blé et d u
bétail, en outre de ses minerais et de son caoutchouc.
STATISTIQ
DES
LATIN
O-AMÉRIC
AINES
A u s s i bien il n'est que de r e g a r d e r le d i a g r a m m e des échanges internationaux
pour
se
convaincre
de
la
force et de
la
rapidité
d ' e x p a n s i o n de l ' A m é r i q u e L a t i n e . D e 1902 à 1912, en d i x ans, ces nations ont d o u b l é , triplé, et dans
plusieurs
cas,
quadruplé
leur
ensemble, en 1913 elles importaient
commerce
pour
plus
extérieur.
Toutes
de six m i l l i a r d s sept
cent cinquante m i l l i o n s de f r a n c s , e x p o r t a i e n t pour sept m i l l i a r d s sept cent m i l l i o n s de f r a n c s (1) et trois d'entre elles, l ' A r g e n t i n e , le Brésil et le C h i l i , constituaient d é j à , si l'on peut se fier à certaines statistiques, une clientèle presque aussi importante pour les p r o d u i t s f r a n çais que les E t a t s - U n i s . C e simple rapprochement est bien instructif et p o u r t a n t , nous ne sommes p l u s parmi les p r i n c i p a u x fournisseurs de ces contrées où, a u t r e f o i s , le commerce f r a n ç a i s tement l ' a n g l a i s ; nos ventes viennent m a i n t e n a n t
suivait i m m é d i a -
au quatrième r a n g ,
et elles sont en passe, en d e u x endroits au moins, d'être reléguées au cinquième (2).
(1) Voici quels étaient, en 1913, et en milliers de francs, les chiffres d'importation et d'exportation pour les divers marchés sud-américains :
Argentine Uruguay Paraguay Brésil Chili Pérou Bolivie Equateur Venezuela Colombie . . . . , Centre Amérique Mexique Cuba
IMPORTATIONS
EXPORTATIONS
2.100.000 260.500 40.600 1.679.500 617.850 152.200 11 3-375 43.800 105.500 134.925 245.275 500.000 700.000
2.400.000 338.000 28.130 1.621.000 743.075 2S3-425 144.200 78.875 129.575 146.575 254.950 750.000 802.500
(a) Sur un total d'importations de 6.750 millions, les Anglais prennent 25 %, les Allemands près de 18 %, les Etats-Unis environ 15 %, et la France, 8,30 %, (chiffres de 1913, d'après le Statesman's Year Book).
160
la
première
semaine de i/amÉrique l a t i n e
Ces chiffres sont donc moins s a t i s f a i s a n t s
a
lyon
pour nous, F r a n ç a i s ,
que pour nos amis latins du n o u v e a u continent. M a i s cherchons-en la contre-partie: nous verrons que,
parmi
les E t a t s
E u r o p é e n s , nous
sommes les seuls à recevoir d ' A m é r i q u e d u S u d plus que nous n'expéd i o n s (1). R a p p e l o n s - n o u s nos c a p i t a u x qui
que, avec ceux de l ' A n g l e t e r r e , ce
ont le p l u s
généreusement
e x p l o i t a t i o n et à l ' o u t i l l a g e public
des jeunes
A t l a n t i q u e . E n f i n , ne p e r d o n s p a s de richit, p l u s il est susceptible
sont
contribué à l a mise en républiques
d'outre-
vue
que
p l u s un p e u p l e s'en-
d'achalander
nos
industries de l u x e et
d ' é l é g a n c e et que c'est heureusement le cas des p a y s qui nous occupent. E s t - i l possible de ne p a s être f r a p p é p a r la c o n t r a d i c t i o n a p p a rente de ces constatations, qui sont à la portée de n'importe économiste en c h a m b r e : d'une p a r t nos ventes
diminuaient
quel
propor-
tionnellement, et de l'autre nos achats grossissaient en même temps que nos p a r t i c i p a t i o n s
d'intérêt
a l l a i e n t se m u l t i p l i a n t
et que
les
g o û t s de l a clientèle auraient d û nous f a v o r i s e r d a v a n t a g e . E n bonne l o g i q u e cela signifie q u ' a v a n t
la guerre notre système
d ' a f f a i r e s en A m é r i q u e L a t i n e était m a l approprié à l'état des concurrences. N e
sommes-nous p a s f o n d é s à nous
demander
comment
il
résisterait à un redoublement d ' e f f o r t s de nos adversaires si nous ne le consolidions et ne le r e f o r m i o n s p o i n t ? . . . Il convient
donc
d'en
étudier les lacunes et les vices et, après avoir c o m p a r é les chiffres, de comparer nos procédés à ceux de nos concurrents, en recherchant la bonne politique commerciale à suivre.
LES
ÉLÉMENTS
COMPOSITES DU
COMMERCE
SUD-AMÉRICAIN
L e s A m é r i q u e s L a t i n e s sont, au point de vue de leur évolution économique, arrivées au même s t a d e de d é v e l o p p e m e n t que les E t a t s U n i s vers 1875. A v e c infiniment de raison, les g e n s du p a y s se consacrent surtout à l ' é l e v a g e , a u x p l a n t a t i o n s , a u x fermes ou a u x mines, et sauf q u a n d elle a été protégée artificiellement, l'industrie m a n u f a c turière n'est pas très importante. L e commerce n'est p a s encore stabilisé et il commence seulement à se nationaliser
peu à peu. E n f a i t ,
n u l l e p a r t ailleurs il n'existe actuellement un milieu d ' a f f a i r e s aussi mêlé ni aussi v a r i é ; et t a n t de races — A n g l a i s , A l l e m a n d s , Italiens, Espagnols, Portugais,
Français,
Dalmates, Syriens,
Chinois —
c o u d o i e n t avec les n a t i o n a u x , qu'à les voir se disputer
s'y
les affaires,
réussir ou échouer d a n s des conditions sensiblement é g a l e s pour tous
(1) E n igi3, sur 1111 total d'exportations de 7.690 millions, la France a pris près de 9 % et l'Allemagne 13 %. Quant à l'Angleterre, sa part est de 22 %« (contre 25 % de ventes).
situation et avenir
d e l a f r a n c e en a m e r i q u e l a t i n e
15
1
on peut recueillir des expériences multiples, bien mieux qu'on ne le pourrait faire en allant étudier ces différents peuples chez eux, dans leur cadre et au milieu de leurs habitudes. C'est comme une nouvelle concurrence qui vient se greffer sur celle que se f o n t les producteurs et les exportateurs d ' E u r o p e ; elle trouve son frein dans l'obligation de se plier a u x goûts et aux
besoins de
la
région, mais elle
n'en
offre pas moins toutes sortes de possibilités et de réactions complexes. Je n'entreprendrai
pas,
dans
ce rapide
exposé,
de
faire
un
tableau de ces rivalités et d'en déterminer la psychologie. Mais il ne sera pas superflu de noter quelques traits caractéristiques de tant d'activités qui se lient ou s'entremêlent, qui se développent à l'écart ou qui se combattent, triomphent ici, avortent là et aboutissent généralement à quelques spécialisations.
LES
ANGLAIS
Par droit de premier occupant, par la vertu d'un sûr instinct et d'une tradition sans cesse rajeunie d'éléments frais, les A n g l a i s tiennent toujours la tête dans le haut commerce. Courtiers et transporteurs maritimes, assureurs, banquiers, maîtres des câbles, il n'est pas de p a y s où ils n'excellent dans l'une ou l'autre des grandes industries locales: élevage, agriculture ou mines. Presque partout, ils contrôlent les principales lignes de chemins de fer et, à reviser rapidement la liste de leurs affaires, on constate qu'elles s'appliquent de préférence aux importations et aux exportations essentielles, j e veux dire à celles qui donnent le mouvement économique à toute une région. I l existe ainsi un t y p e de vieille maison anglaise ou écossaise d'outremer, à qui aucune opération importante ne demeure étrangère. Il y a également dans beaucoup de villes un type de magasin « pure english » qui sert pour ainsi dire de « standard » aux produits du R o y a u m e - U n i . Quant a u x g r a n d s magasins de détail qu'on voit s'établir à Buenos-Ayres, à Saint-Paul, à S a n t i a g o , à l'instar de W h i t e l e y ou de S e l f r i d g e , c'est une innovation toute récente et à mon sens suffisamment révélatrice de l'attention avec laquelle nos alliés suivent l'évolution de leur clientèle.
LES
FRANÇAIS
Nous, Français, nous n'avons jamais eu, dans le commerce sudaméricain,
une place comparable à la leur. L'époque n'est pas
si
lointaine, pourtant, où, dans les négoces de tissus, de •merceries, de cuirs et de bien d'autres articles, nos maisons de gros étaient les pre-
162
la première
semaine de i/amÉrique l a t i n e a
lyon
mières et nos revendeurs les mieux achalandés. Souvent, nos compatriotes ont été, là-bas, des initiateurs quand il s'agissait d'approprier des cultures, de mettre au point de nouvelles pratiques ou de créer une industrie, et on ne nous conteste pas une sûre maîtrise dans les constructions de ports et les entreprises de chemins de fer. A v e c nos placements, dont le total ne doit guère être inférieur à quinze milliards, quels beaux éléments de prospérité ! A tout le moins, ils auraient dû nous assurer cette apparence cossue et enviable des vieilles maisons bien pourvues... E h bien! en réalité, on compte si peu de Français de haute situation et si peu de grandes entreprises nettement françaises en Amérique L a t i n e que nous n'y jouissons même pas de la considération dont on entoure les anciens riches: notre or passait par trop de mains et le plus souvent c'étaient des étrangers qui en profitaient et le faisaient servir à la cause de leurs pays. S a u f à Buenos-Ayres, à Montevideo et à Mexico, notre commerce n'est guère représentatif; nos banques, quand il y en a, n'égalent pas leurs rivales; quantités de maisons de gros ont perdu leur nationalité française; et voici que les bâtiments et les vitrines de nos magasins de nouveautés font parfois piètre figure à côté des installations modernes dç nouveaux venus. Enfin, symptôme des plus inquiétants, notre pavillon apparaît de moins en moins dans les ports. Mais pour caractériser à quel point notre prestige baissait, est-il rien de plus typique que cette boutade échappée à l'un de nos meilleurs amis, à l'un de ceux qui f o n t maintenant rayonner autour d'eux leur amour pour la France : « Des Français ! me disait-il un jour, mais vous ne nous envoyez plus que des tailleurs, des coiffeurs et des vendeurs de colifichets!... »
LES
ESPAGNOLS
ET
LES
PORTUGAIS
Encore, si la mode était notre domaine incontesté ! Mais les compétitions s'acharnent. Je ne parlerai guère du Syrien, colporteur que rien ne rebute et qui arrive à tenir boutique et bureau. Mais plus que le Français, l ' E s p a g n o l est un brillant vendeur; de détaillant de tissus, de nouveautés et de chaussures, il se f a i t volontiers confectionneur, et s'il établit un commerce de demi-gros ou de gros, on le voit réussir fréquemment et propager le goût des produits de son p a y s . Ainsi en va-t-il, au Brésil, des Portugais économes et travailleurs qui se sont, à Rio, presque complètement substitués aux marchands français.
situation et
LES
avenir
de l a
f r a n c e en a m e r i q u e l a t i n e
15 1
ITALIENS
Chacun
prône instinctivement ce qui
vient
bien l à l'une des raisons de l'essor i n c r o y a b l e
de chez lui, et c'est
du commerce
italien,
qui dès m a i n t e n a n t assure le p l u s bel avenir a u x industries du Piém o n t , de la L o m b a r d i e et de N a p l e s . A N e w - Y o r k , l'Italien s'était f a i t la réputation
d'être,
avec le Grec,
m o n d e . G r â c e à la l a r g e clientèle son p a y s
en
Amérique
du
que
l'épicier le p l u s adroit
lui
du
ont v a l u e les colonies de
S u d , il a pu p l u s aisément y
aborder
d'autres b r a n c h e s : les tissus, les dentelles, la chapellerie,
la
céra-
mique ; on le voit installer des ateliers qui deviennent vite des f a b r i ques ; des noms de T u r i n et de M i l a n s'inscrivent enseignes de m o d i s t e s ; d a n s
presque
toutes
sur de
nombreuses
les c a p i t a l e s ,
celles-là
mêmes qui n'ont reçu qu'un nombre restreint d ' é m i g r a n t s , il y a au moins une b a n q u e
italienne ; et l'on n ' i g n o r e p a s les p r o g r è s
éton-
nants des lignes de n a v i g a t i o n dont les b a t e a u x p a r t a n t de Gênes ou de N a p l e s touchent tous les g r a n d s ports des d e u x côtés de l ' A m é r i q u e L a t i n e . N u l ne peut méconnaître l'étendue, les ramifications et les succès m u l t i p l e s de cet e f f o r t tout jeune qui monte et s'infiltre insensib l e m e n t , comme les e a u x d'une i n o n d a t i o n et où il convient de discerner le prélude d'une influence commerciale r a p p e l a n t
à bien
é g a r d s les premiers pas des A l l e m a n d s d a n s l a conquête
de
des leurs
débouchés.
LES
ALLEMANDS
L a différence consiste surtout en ce que, à l'origine de sion italienne, on trouve
l'ouvrier,
l'ouvrier
l'expan-
qui peine, amasse
son
pécule sou par sou et f a i t plusieurs f o i s la traversée a v a n t de s'installer d a n s le p a y s et d ' y attirer les siens ; à la base commerce a l l e m a n d , au contraire, il y a l ' e m p l o y é ,
de l'essor le
du
commerçant
ordonné, patient, a p p l i q u é à sa besogne, f o r m é à plusieurs pratiques et
tenace
lassera-t-on
d a n s ' sa de
volonté
répéter
silencieuse
comme
d'arriver...
on ne cesse
de le
(i).
Quand
se
faire
depuis
la
guerre, que l'expansion commerciale des A l l e m a n d s procède de systèmes
artificiels
de
vente, qu'elle
cache
de
noirs
desseins et que,
réglée comme une machine, elle s'est d é v e l o p p é e selon un p l a n préconçu? Il est peu de sujets sur lesquels on ait écrit plus d'absurdités, (i) S'il est vrai qu'il v a 400.000 Allemands au Brésil, ils sont cantonnés dans trois Etats, dont deux ne sont pas particulièrement florissants. Au Chili, il y en a 30.000 seulement (à peine plus que des Français), et dans les pays de la Plata 55.000 en tout !
164
l a p r e m i è r e semaine de i / a m é r i q u e l a t i n e
a
lyon
Pour bien comprendre ce qui s'est passé, il suffit d'avoir été mêlé làbas à la bataille quotidienne. d'efforts
avertis,
qui
Il y a eu simplement une multitude
naturellement,
fatalement,
devaient
se
ren-
contrer, se grouper, se renforcer les uns les autres, mais entre lesquels la concurrence n'a j a m a i s cessé et qui n'ont le plus souvent visé qu'à la satisfaction d'intérêts privés... C e l a dit,
et si
l'on considère
choses de plus haut, on constate que les A l l e m a n d s
sont
les
installés
partout, dans toutes les villes et dans tous les commerces. Ils ne sont pas assez plaisants, ni assez adroits pour battre le L e v a n t i n
ou
le
L a t i n dans le débit au comptoir; mais ailleurs, dans le négoce de gros,
dans ' les banques,
dans
les bureaux
d'armateurs,
dans
les
fabriques, leur méthode les favorise, les impose, leur assure la priorité. S'ils se sont enrichis en produisant, ils s'enrichissaient
autant,
sinon d a v a n t a g e , en vendant comme commissionnaires, non seulement leurs produits, mais les nôtres, ceux des x<\nglais, des E s p a g n o l s et du monde entier, en les transportant sur leurs b a t e a u x , en les revendant sur place, en faisant nos encaissements, en se chargeant de nos achats...
N e voyons
donc pas seulement
dans
les A l l e m a n d s
industriels bien organisés; ils étaient par excellence, rement en Amérique
du
Sud,
et
des
particuliè-
les courtiers internationaux
en mar-
chandises et en crédit, et j e n'hésite pas à nous prédire toutes sortes de déboires dans l'après-guerre
économique
si nous n'en tenons pas
compte, nos alliés et nous, pour essayer de leur faire échec.
LES
AMÉRICAINS
DU
NORD
Q u a n t aux Américains du N o r d , —
les Y a n k e e s , comme on les
appelle dans les p a y s néo-espagnols — il n'y a pas lieu de redouter leur action autant que, le bluff
aidant,
on serait porté à se
l'ima-
giner. Producteurs favorisés de spécialités chères et pratiques, exportateurs de
produits bruts,
audacieux
accapareurs,
acquéreurs de mines, voilà leurs titres authentiques.
prospecteurs
en situation de tenter une politique financière de g r a n d e Mais qu'il s'agisse de vendre,
et
Peut-être sont-ils
d'emballer, d'expédier,
envergure.
d'assurer,
de
négocier ou d'ouvrir crédit, leur apprentissage débute seulement dans ce difficile domaine du commerce extérieur proprement dit. L a guerre les met à l'aise pour essayer
de supplanter
les Européens,
et
ils
doivent é c h a f a u d e r maintes espérances sur la hausse de leurs chiffres d ' a f f a i r e s ; ne
considèrent-ils
pas
l'Amérique
Latine
comme
leur
« marché promis », au point de vouloir commercialiser la doctrine de Monroe? Il est pourtant une limite qu'ils ne dépasseront pas : celle qui,
pour
les
articles courants ou
de
grande
consommation,
est
situation
marquée
et avenir
d e l a f r a n c e e n a m e r i q u e l a t i n e151
par l'impossibilité d'établir un prix de revient plus a v a n t a -
geux... Il va sans dire qu'une esquisse aussi r a p i d e ne prétend pas à exposer la situation sous toutes ses f a c e s : il f a u d r a i t la renforcer, la pousser d a v a n t a g e pour qu'elle prît toute sa signification; aussi bien, l a p l u p a r t des négociants
ou
des
financiers
qui ont été en relation
avec l'Amérique L a t i n e pourraient l a rehausser de s o u v e n i r s personnels et d'exemples vécus.
C e n'est certes pas à eux qu'il est besoin
de
démontrer que pour nos affaires avec ces p a y s , les statistiques douanières nous f o n t une part plus belle que l a réalité.
IMPRESSION
D'ENSEMBLE
O r , si l a sottise est d é j à lourde financiers
de se contenter
des courtages
et d u bénéfice industriel, en laissant à d'autres les belles
places, les commissions et les profits commerciaux, qui ne verra danger
de passer par
des intermédiaires qui sont des
le
concurrents
d ' a u j o u r d ' h u i ou de demain? O u e l'on d e m a n d e
à nos amis sud-américains si,
l'aspect rabougri de notre commerce en
face
à
constater
des apparences
floris-
santes du commerce a l l e m a n d , par e x e m p l e , ils se sont toujours rappelé que
la
F r a n c e est une aussi bonne cliente que
l'Allemagne.
N'ont-ils même pas oublié p a r f o i s que nous leur avons de tout temps donné infiniment plus, et non seulement des hommes et des idées, mais des c a p i t a u x e f f e c t i f s et d u crédit à l o n g terme sous f o r m e de t r a v a u x , de f o n d s publics et d'emprunts, m o y e n s indispensables
de
faire fructifier leurs b i e n s ! LES
RAISONS
QUE
L'ON
DONNE
DE
NOTRE
RECUL
ÉCONOMIQUE
L o r s q u ' i l s'agit d'expliquer pourquoi nous nous sommes
laissés
distancer d a n s l a lutte économique, bien rares sont ceux qui n'ont pas quelques
arguments tout préparés,
plus
ou
moins
approfondis
et
d a n s le choix desquels le désir de rejeter sur autrui la responsabilité d'un état de choses qui blesse l ' a m o u r - p r o p r e n a t i o n a l pourrait bien n'être pas sans influence. L ' i n d u s t r i e l s'en prend à l'inaction gouvernementale, le commerçant à l'indifférence du banquier, le banquier à l'esprit
timoré
du rentier,
l'exportateur à l'incompétence
de
notre
corps consulaire, l'armateur à la position g é o g r a p h i q u e de l a F r a n c e , qui la met sur le chemin de l a concurrence étrangère. Certains accusent notre
d é f a i t e de 1870, ou la fréquence
de
nos grèves, ou
le
manque d'union d a n s nos efforts. D'autres encore arguent de notre
154
l a
p r e m i è r e ' semaine de i/Amérique l a t i n e
spécialisation dans l'article de luxe, de la d'œuvre, de la dépopulation.
a
lyon
cherté de notre
main-
Mais combien ces bonnes raisons apparaissent relativement faibles quand on les éclaire d'une expérience g a g n é e dans les voyages, la fréquentation des grandes places du monde et dans la collaboration ou la concurrence avec les commerçants étrangers. E t au surplus, n'existe-t-il pas des maisons françaises — commerces et industries — qui se développent constamment, abordent chaque jour de nouveaux marchés et rivalisent d'initiative et d'élan avec les compétiteurs les plus avisés?
NOTRE
CONSERVATISME
EN
FACE
DE
L'ÉVOLUTION
MONDIALE
E n f a i t , les conditions dans lesquelles nous nous trouvons sont loin d'être d é f a v o r a b l e s et notre équilibre économique nous a même assuré jusqu'ici toutes sortes d'avantages que ne connaissaient plus l ' A l l e m a g n e ni le R o y a u m e - U n i . Seulement nous avions des habitudes casanières, notre scepticisme s'accommodait de trop de préjugés et de partis pris et nous ne progressions plus a la même cadence pressée que les autres p a y s civilisés. O h ! nous étions assez enviés pour toutes ces joies et ces harmonies mesurées qui sont de notre terre et pour les raffinements de nos manières et de nos esprits. Mais vivant repliés sur nous-mêmes, satisfaits des compliments et des hommages dont nous flattaient visiteurs et imitateurs et qui allaient surtout à notre passé, n'attachant même pas d'importance à nos merveilleuses épopées coloniales, retenus par la routine, sans vues suffisantes sur l'extérieur, nous n'avions ni le goût, ni le souci, ni d'assez fréquentes occasions de nous comparer aux autres, de distinguer ce qu'ils réussissaient mieux que nous ou d'entendre les avertissements de quelques v o y a geurs informés. C'est ainsi que, privés des stimulants nécessaires et bien que notre génie inventif eût mis sa marque sur les principales découvertes de la mécanique, de l'électrotechnie et de la chimie, nous n'étions plus les premiers dans le domaine du confort, ni dans la poursuite des progrès purement matériels. Notre infériorité était encore plus apparente dans tout ce qui touche à l'activité commerciale et aux conceptions financières, parce que c'est dans ce domaine que la transformation a été la plus radicale et la plus rapide depuis une trentaine d'années. Si l'on se décidait à admettre que ces facteurs nouveaux ont sans doute plus contribué à transformer le monde que les derniers dogmes sociologiques, les meilleurs écrits modernes ou les plus belles théories scientifiques, si l'on reconnaissait qu'en France on ne s'en est pas rendu compte, par d é f a u t de la juste notion de ce qui se
situation et
passe au dehors,
avenir
de l a
france
e n a m e r i q u e l a t i n e151
on discernerait, dans cet anachronisme, la
cause
première du mal que je dénonçais tout à l'heure. N o s systèmes commerciaux,
disais-je,
étaient
mal
appropriés
à
l'état
des
concur-
rences ; mais, derrière les systèmes, il y a les hommes, et les nôtres pèchent par manque de préparation, par ignorance de l'étranger, par insuffisance de formation technique et d'adaptation
aux
nécessités
de notre époque. CONCEPTIONS
SIMPLISTES
DU
COMMERCE
EXTÉRIEUR
Te voudrais qu'on pût me contredire dans cette critique générale qui laisse place à de louables exceptions. Malheureusement,
quand
on lit toutes ces études inspirées par le désir de reprendre aux A l l e mands (on ne s'occupe que d'eux, pour l'instant) la situation enviable qu'ils avaient conquise dans les p a y s sud-américains, on saisit sans la moindre peine à quel point nos esprits sont peu formés aux complications du commerce international. L e s mêmes recettes faciles que préconisent sans g r a n d succès et depuis si longtemps les revues spéciales, on les retrouve dans les Dossiers Commerciaux, ces recueils d'informations —
excellents à d'autres titres —
publiés par l ' O f f i c e
N a t i o n a l du Commerce Extérieur. D ' a b o r d , la p a i x nous aura assuré d ' a v a n t a g e u x traités de commerce... Puis, on aura créé cette fameuse banque d'exportation
dont v i n g t projets avortés n'ont pas
l'intérêt... O n va reformer le corps consulaire...
Et
alors,
atténué de
nom-
breux voyageurs n'auront qu'à se répandre de par le monde
pour
exploiter la vogue que la victoire conférera à tout ce qui est français... Faut-il admirer cette belle confiance ou se défier d'un tel simplisme qui f a i t abstraction de toutes les causes de l'avance
acquise
avant
concur-
la guerre et augmentée
depuis par nos
principaux
rents ? LES
FACES
DU
PROBLÈME DE
NOTRE
EXPANSION
COMMERCIALE
A quoi bon se leurrer ! Cette avance, il sera dur, très dur de la regagner. Car, dans les affaires, la réussite est, plus souvent qu'un effet du hasard ou d'un effort isolé, la résultante d'un labeur persévérant et d'une innombrable succession d'études patientes, de déboires, d'expériences et de progrès imperceptibles. Qu'on n'espère pas improviser; c'est peu à peu qu'on reprendra le dessus'. Mais c'est une raison de plus pour essayer de voir clair dans l'ensemble, pour dénombrer nos éléments de succès, pour montrer comment on peut les coordonner et pour commencer à se préparer.
156
la première
semaine de i / a m é r i q u e l a t i n e a
lyon
L e problème de notre expansion commerciale en Amérique L a t i n e comporte à la fois l'étude et l'accord de nos possibilités de production, de nos organismes d'exportation ou de vente, de nos moyens de chargements et de transports maritimes, des nécessités du commerce lointain de distribution ou de revente, de notre pouvoir d'achat, de notre puissance financière, des questions de crédit dans la métropole et outre-mer, et il doit être tout entier imprégné du souci de contribuer au prestige et à l'enrichissement de la France.
LA
PRODUCTION
U n principe qui me paraît essentiel et qui m'a f r a p p é d'autant plus, quand j e l'ai entendu pour la première fois, qu'il venait d'un maître en organisation d'usines, c'est qu'il est plus facile de bien fabriquer que de bien vendre. E n s'exprimant ainsi, ce g r a n d industriel avait évidemment en vue une fabrication intensive, laquelle aboutit à la nécessité de chercher des débouchés au delà des frontières douanières, c'est-à-dire d'exporter. C'est à ce point de vue que j e voudrais me placer.
LES
VENTES
DIRECTES
T a n d i s qu'autrefois, la presque totalité des exportations se traitaient par commissionnaires, depuis une vingtaine d'années, on exporte de plus en plus directement, et il se trouve aujourd'hui des gens qui ne croient pas seulement qu'il f a u t développer ces ventes directes, mais que le système de ventes par commissionnaires est périmé. Or, tous les moyens d'exporter ne sont-ils pas bons, et ne suffit-il pas qu'ils subsistent pour prouver leur utilité? Certes, l'industriel intelligent et disposant de la fortune ou du crédit nécessaires, a mille raisons de vouloir organiser lui-même ses ventes, afin de toucher d'une part le consommateur privé par la réclame et d'autre part le consommateur marchand par ses échantillons et par les arguments que constituent les prix de ses produits, leur qualité et la publicité qu'il leur consacre.
LES
COMMISSIONNAIRES
Mais comment s'arrangera le petit producteur qui n'a ni l'organisation ni les moyens suffisants pour les* grosses fabrications et pour les échéances éloignées? N e doit-il pas recourir à l'intermédiaire qui lui fera des avances mille
détails
ou le paiera comptant et le débarrassera des
d'emballage,
d'expédition, de tirage et de recouvre-
situation et avenir
de l a f r a n c e en a m e r i q u e l a t i n e
15
1
ment? Cet intermédiaire, c'est le commissionnaire qui est indispensable aussi bien quand il s'agit de grouper
de petites quantités de
marchandises ou de profiter des sautes journalières
des cours que
lorsqu'il commandite ses clients, soit en leur ouvrant des comptes courants, soit en leur
accordant
pour
les paiements des délais
si
longs que les fabricants ne pourraient y consentir. Ne
voit-on
pas
d'ailleurs le commissionnaire
se
transformer,
faire peau neuve, se spécialiser d a v a n t a g e ? Peu à peu et
particu-
lièrement à H a m b o u r g , à B i r m i n g h a m et à Manchester, H devient un véritable exportateur, c'est-à-dire un commerçant travaillant non plus sur la base d'une commission qu'il f a l l a i t enfler par toutes sortes de ristournes et de profits plus ou moins licites, mais avec un bénéfice qu'il appartient à son habileté et à son sens des achats de
rendre
aussi rémunérateur que possible. T a n t ô t , il installe des succursales dont il contrôle les achats et tantôt, non content d'attendre le client chez lui, il le f a i t solliciter par des voyageurs, p a r f o i s même en concurrence immédiate avec ses propres fournisseurs. Puisque dans la pratique chaque cas est résolu à part, laissons donc les théoriciens se disputer sur tel ou tel système. Fabricants ou marchands,
il
importe
seulement
qu'il y
en ait
un
aussi
grand
nombre que possible qui veuillent être des exportateurs. A eux de s'organiser, d'être au courant des pratiques compliquées de la corresp o n d a n c e d'outre-mer,
d e s embarquements, des
classements de
fret,
des assurances .maritimes, des changes internationaux, des t a r i f s et déclarations douanières. A eux de donner toute l'attention nécessaire à
la
composition de leur
méthodes de travail. E t
personnel,
et à
la transformation
des
si,, à cet é g a r d , la France est moins bien
partagée que l ' A l l e m a g n e , la Belgique, l'Angleterre ou la Suisse, si on n'y trouve pas assez d'employé^ bien dressés et p o l y g l o t t e s , n'estce pas parce que les patrons ne suivent pas d'assez près les progrès réalisés à l'étranger? DIFFICULTÉ
DE
BIEN
VENDRE
L a difficulté de s'organiser à Paris ou en province est peu de chose, du reste, à côté de celle de vendre au loin, que ce soit directement ou indirectement, sans risques exagérés. Il est évident qu'il convient d'abord de se plier aux usages des marchés où l'on veut pénétrer, et c'est une règle qui s'impose à tous. Mais comment s'organiser pour la vente? Faut-il déléguer des voyageurs, nommer des représentants, s'entendre avec des groupes, monter des dépôts? Peutêtre la meilleure méthode et qui évite toutes les f o l l e s disccussions de systèmes consiste-t-elle à saisir les bonnes occasions qui surviennent.
170
la première
semaine de i / a m é r i q u e l a t i n e a
lyon
T e l s essais de consortium ont abouti à un échec retentissant, alors que d'autres ont donné d'excellents résultats. Il est des dépôts perpétuellement en perte alors qu'on en connaît qui sont des mines d'or. Ici, une fabrique envoyait un v o y a g e u r qu'elle a remplacé par des agents à poste fixe; là, il s'est produit exactement le contraire; ailleurs, agents et voyageurs se secondent les uns les autres.
TANT
VAUT
L'HOMME
TANT
VAUT
L'AFFAIRE
T o u t revient donc, en matière d'exportation, à rechercher le « n g h t man ». Pour le trouver, pour le surveiller, pour mieux s'accorder avec lui, il ne f a u t pas qu'un patron hésite à passer les mers: n e n ne vaut l'œil du maître... et quand on l'a trouvé, il f a u t tâcher de le garder, en lui créant la situation que ses mérites, son activité et son'adresse commerciale peuvent lui faire ambitionner. Bien des déboires sont venus de ce qu'on n'a pas compris que les affaires lointaines doivent reposer sur la prudence et la responsabilité de ceux qui les traitent sur place. E n faisant les frais d'un v o y a g e u r ou en nommant un représentant, l'exportateur, — fabricant ou commissionnaire — f a i t plus qu'engager un agent. Il se lance par ce seul f a i t dans une suite d'affaires qu'il lui sera impossible de surveiller utilement dans leur préparation et dont le sort dépend surtout de celui qui les aura amenées.
LES
AGENTS
DE
VENTE,
BASE
DU
COMMERCE
D'EXPORTATION
Ainsi la conquête de débouchés nouveaux dépend du recrutement des agents de vente. Sachons choisir ces bons auxiliaires à la fois actifs et sérieux: ils sauront éclairer, documenter, aiguillonner leurs correspondants. O n pourra constater alors que la fabrique française peut se mettre en ligne pour bien des articles d'exportation qu'on ne lui demande pas d'ordinaire et que les possibilités de production sont susceptibles de s'élargir d'une manière inouïe, en permettant des réductions de prix de revient et en assurant à la main-d'œuvre la continuité du travail. L a question du personnel que j'avais effleurée, à propos des bureaux de la métropole, se pose donc avec plus d'ampleur, quand il s'agit des ventes. Ce personnel, il n'existe pas en assez g r a n d nombre, et l'on ne tient pas assez compte de mésaventures de toutes sortes infligées par leurs agents à des maisons françaises, quand on conseille de répandre partout nos voyageurs. E t pourtant on trouve, chez les nôtres, un esprit d'adaptation, une facilité de compréhension, un sens des nuances qui classent certains de nos vendeurs comme les
situation et avenir
de l a f r a n c e en a m e r i q u e l a t i n e
15
1
meilleurs de tous et qui font même que de nombreuses maisons étrangères recherchent leurs services de préférence à ceux de leurs propres, compatriotes. N'est-ce pas là le nœud du problème?... L e s dons brillants de nos jeunes gens seront une promesse presque certaine
de
succès en matière d'exportation, quand ils s'appuieront sur une armature suffisamment solide de connaissances sérieuses, d'expérience et de moralité. C'est ce qui me permet d'affirmer que nous augmenterons nos exportations, à la condition d'éduquer et de former d'une f a ç o n rationnelle
et
moderne
nos
commis
de vente et de bureau,
ainsi
que nos futurs directeurs et chefs de service.
LE
COMMERCE
D'OUTRE-MER
Lorsqu'après avoir été transportée par mer, elle a subi les formalités si compliquées et si variées de la douane, le sort d'une marchandise française n'est pas indifférent. L a voilà en magasin, à sa place, étiquetée, cotée, empilée à côté d'autres marchandises venant de tous les coins du monde. L a q u e l l e sera la plus demandée par l'acheteur? Question d'habitude et aussi de mode, de vogue, donc de publicité. Mais à laquelle iront les préférences du marchand? E n présentant nos produits, se montrera-t-il insistant auprès de la clientèle, ou bien offrira-t-iï en même temps, avec plus de chaleur, des articles similaires? Cela dépendra, me dirat-on, de l'avantage plus ou moins g r a n d qu'il y trouvera pour luimême. Pourtant personne n'ignore, par exemple, que le foisonnement des boutiques italiennes en Amérique du S u d favorise Côme aux dépens de L y o n et que le marchand de pianos allemands ne vantera jamais volontiers nos E r a r d , nos P l e y e l et nos Gaveau. Instinct ou calcul, bien des éléments divers viennent ainsi nuancer les deux lois suprêmes du commerce: l'intérêt et la concurrence, et c'est pourquoi, quand on trace un programme d'expansion commerciale, le chapitre concernant les reventes et distributions devrait être précisé avec autant de soin que celui des ventes ou exportations proprement dites. Pour écouler nos produits, je ne me p l a i n d r a i point qu'on se serve de tous les moyens et de toutes les méthodes, ni qu'on recoure à l'entremise de tous les commerces bien placés, de quelque nationalité qu'ils soient. L e chauvinisme serait déplacé dans les affaires internationales et la seule politique judicieuse consistera à faire Sortir de France le plus de marchandises possible pour y faire rentrer le plus d'or. Mais en attendant que se nationalisent peu à peu les commerces sud-américains, il convient que le commerce français d'outremer (gros, demi-gros, détail) reprenne plus d'importance, s'épanouisse à nouveau et regagne son ancien rang.
172 l a p r e m i è r e
LES
MAGASINS
DE
semaine de i / a m é r i q u e l a t i n e
a
lyon
DÉTAIL
Pour le commerce de détail, il est à peine besoin d'y insister. T o u t le monde comprend que les g r a n d s magasins et les magasins « chic » sont des expositions permanentes et efficaces qui, en renouvelant constamment les étalages et la montre, forment le goût du public et qui, par la seule garantie d'origine des produits, permettent des comparaisons peu favorables aux falsifications. Je voudrais qu'il y eût ainsi, non pas comme aujourd'hui dans quelques villes seulement, mais dans chaque centre important, une ou plusieurs maisons françaises, qui, certes, n'auraient pas le monopole des productions nationales, mais qui, par leurs choix et par le luxe de leurs installations, seraient sûres de s'attirer une très bonne clientèle, en même temps qu'elles donneraient le ton et faciliteraient le travail de nos voyageurs de gros... L e s envois de postaux que f o n t nos L o u v r e et nos Galeries ne contrebalancent pas l'effet des superbes établissements H a r r o d , à Buenos-Ayres ou M a p p i n , à Saint-Paul. N'attendons pas qu'il soit trop tard pour nous en apercevoir: notre commerce de détail d'outre-Atlantique, tout en étant le plus solide, puisqu'il a le mieux résisté, appelle des retouches et des extensions; il est urgent de les étudier avec soin.
LE
COMMERCE
DE
GROS
D a n s le commerce de gros, notre retard et notre recul sont malheureusement plus sensibles. Il ne serait que trop aisé d'expliquer comment, pour n'avoir pas voulu se départir des méthodes et des conceptions qui avaient f a i t leur fortune, bien des maisons françaises ont disparu par le seul effet des transformations qui s'opéraient autour d'elles... Qu'importe! Il ne s'agit pas de critiquer le passé, mais de construire l'avenir, et de saisir tout d'abord et les avantages purement commerciaux et aussi le prestige qui s'attachent, dans les p a y s neufs, au g r a n d commerce. E n Amérique Latine, il n'est personne qui ne connaisse et ne cite volontiers les firmes puissantes établies dans la région ou dans les légions voisines, et qui constituent comme une réclame perpétuelle de l'activité des nations auxquelles elles appartiennent et de la richesse des contrées où elles trafiquent. Certaines occupent des locaux magnifiques et des succursales nombreuses. E l l e s possèdent des dépôts, des hangars, des quais; la publicité murale, journalistique répète leurs noms. E t vous les rencontrez dans la pratique de toutes les affaires.
s i t u a t i o n e t a v e n i r de l a f r a n c e en a m e r i q u e l a t i n e
Certes, leur caractéristique générale ce sont les stocks de
lèl
marchan-
dises (toujours plus ou moins spécialisées) qu'elles maintiennent pour la
distribution, qu'elles ont achetées en compte propre, et qu'elles
reçoivent en dépôt et en consignation. E l l e s
f o n t l'importation pro-
prement dite. Mais beaucoup d'entre elles s'occupent aussi d'exportation, participent aux soumissions des Ministères et des grands trav a u x , traitent quelques opérations de banque et tout en a p p u y a n t leur renommée sur le volume de leurs ventes et de leurs achats, elles profitent de l'importance des intérêts de la métropole qui leurs sont confiés. Importations, consignations, exportations, agences et représentations, opérations de banques, tous les genres se mêlent ou peuvent se mêler dans ces maisons d'un type moderne, complexe, qui
réalise
presque toutes les combinaisons viables du commerce d'outre-mer. Ceux de , nos compatriotes qui ont fréquenté les Amériques, n'auront qu'à faire appel à leurs souvenirs pour concrétiser cette description sommaire et la préciser par quelquesVioms propres: des noms de maisons anglaises ou allemandes... et ils pourraient, bien songer pour certains pays, à quelques rares noms français. Souhaitons et faisons en sorte que ces exemples isolés se généralisent. A des degrés divers de perfection et de puissance, il ne devrait pas y avoir une seule capitale, un seul centre d'affaires en Amérique L a t i n e , où ne puissent se développer des établissements de cette espèce, nettement français et à la fois très proches de l'élément indigène.
ÉLÉMENTS
DE
RECONSTRUCTION POUR
NOTRE
COMMERCE
D'OUTRE-MER
Actuellement, beaucoup de produits sud-américains que nous consommons et qui représentent quelques centaines de millions nous viennent non pas directement des planteurs, des fermiers et des mineurs, mais par des intermédiaires étrangers. Si nous les achetions nous-mêmes, quels avantages n'y trouverions-nous pas? Imaginez que nos compagnies de navigation, d'assurances, de trav a u x publics, que nos grandes usines et nos marques les plus réputées s'imposent comme règle absolue (je dis absolue et non pas de principe) de remplacer peu à peu, sans relâche, leurs agences étrangères par des agences françaises. A d m e t t e z encore que des stocks considérables soient constitués, par achats fermes en France, par dépôts et par consignations.
6
174
la première
NÉCESSITÉ
D'UN
semaine de i/amÉrique l a t i n e
PROGRAMME
a
lyon
NATIONAL
V o u s aurez ainsi établi logiquement un p l a n de réalisation, rénovation
de
notre
commerce
d'outre-mer,
qu'instinctivement
de les
A l l e m a n d s ont appliqué a v a n t nous, et qui, d'autre part, a contribué à la grandeur du R o y a u m e - U n i . Certes, il soulèvera des résistances, il se heurtera à bien des obstacles et des mauvaises volontés. Mais il doit être i m p é r a t i f , parce que le prestige f r a n ç a i s exige des maisons fortes, représentatives, et que c'est seulement par de pareils moyens que nous pourrons les constituer ou les développer. Dans
l'intérêt
du
pays,
le
programme
national
d'expansion
devrait d'ailleurs favoriser les entreprises d é j à existantes et y faire affluer des forces nouvelles. P a r contre, elles se verront obligées de recruter des employés jeunes, de valeur, qui y acquèreront de l'expérience et de l'autorité, avant de tenter à leur tour fortune, quelques années plus tard, en multipliant ainsi les centres de notre résistance commerciale. Il n'y a rien de chimérique dans tout cela. Q u a n d on v o u d r a le réaliser on le pourra... Je n'ignore pas qu'il f a u d r a sûrement du temps et sans
doute
aussi
de
clairvoyantes
interventions
des
pouvoirs
publics. L e manque de personnel spécialiste se f e r a vivement sentir, comme dans toutes les questions d'expansion. Mais l'œuvre est assez belle et assez utile pour qu'on y persévère: en servant notre industrie et notre commerce d'exportation, en préparant les voies à nos ingénieurs, en centralisant nos achats, en f a c i l i t a n t les démarches de nos voyageurs, nos entreprises d'outre-mer rajeunies et renforcées accroîtront le rendement de nos productions, augmenteront nos revenus et ne manqueront pas de provoquer chez nos amis plus d'estime pour la vitalité française.
T e l m'apparaît, dans ses grandes lignes, un programme d'action, de reconstruction, mettant en œuvre des éléments existants, mais qu'il importerait d'examiner en détail. D a n s les limites de ce bref exposé, je crois avoir insisté avec assez de netteté sur l'obligation où nous sommes de prendre exemple au delà de nos frontières, afin de compléter et de former les états-majors et les cadres de notre commerce extérieur... Je ne saurais non plus passer sous silence les facilités de crédit à revendiquer et sans lesquelles notre p l a n et nos hommes resteraient sans emploi'.
situation
UTILITÉ
DES
et avenir
BANQUES
de l a
DANS
f r a n c e e n a m e r i q u e l a t i n e151
LES
D'EXPORTATION
COMMERCES ET
D'OUTRE-MER
A la rigueur, et pour un volume d'exportation médiocre, on peut se passer d'une banque spéciale; malgré tant de discours et de rapports, ne s'en est-on pas passé jusqu'ici? D e même, des affaires d'outre-mer sans g r a n d e surface n'appellent pas la création de banques françaises d'outre-mer: la bonne clientèle quelle que soit sa nationalité est recherchée, soutenue et, en Amérique Latine, un commerçant avisé et heureux ne sollicite pas en vain le crédit dont il a besoin. Mais, tout en proclamant la vertu du libéralisme en matière de banques aussi bien qu'en matière de commerce, il f a u t considérer que la guerre nous aura assez appauvris pour que nous tâchions de faire nos affaires nous-mêmes. E t , pour peu que l'on veuille faire de l'expansion et que l'on voie g r a n d , il f a u t compléter le cycle et organiser notre propre crédit, afin de donner â nos ventes et à nos achats internationaux des assises plus solides. Faisons donc tous nos efforts pour qu'on crée une banque d'exportation et des banques françaises dans les p a y s sud-américains qui n'en ont pas encore. Je ne m'attarderai pas au problème du personnel, ni à aucun détail qui pourrait empiéter sur l'exposé de M. C l a u d e ; j e désirerais seulement dans l'ordre des réalisations indiquer quelques circonstances propres à nous tenir lieu d'encouragement. LA
BANQUE
D'EXPORTATION
Que n'a-t-on pas dit et écrit sur la banque d'exportation? O n est allé prendre des modèles partout et il n'en est sorti jusqu'ici que des projets. Entre temps, un groupe d'industriels de R o u b a i x - T o u r c o i n g , las d'attendre, avait constitué, au capital initial de 750.000 francs, une modeste entreprise: « L e Comptoir Français d ' E x p o r t a t i o n » qui se mit, pour la plupart des ventes de la région, à accorder du crédit a u x exportateurs, c'est-à-dire à avancer quelques dizaines de millions chaque année sur factures et connaissements. Comment? E n transformant le papier commercial à long terme en papier bancaire à court terme, opération sans g r a n d risque en général et sans aléa, peut-on assurer, pourvu que le tireur de la traite originale ou expéditeur soit solide: ne tient-on pas en effet un g a g e (le connaissement) jusqu'à remise de la marchandise et ne garde-t-on pas indéfiniment recours sur le tiré et sur le tireur? Ce procédé ne constitue pas une innovation bancaire; bien que généralisé en A l l e m a g n e et employé dans de
164
la première
semaine de i / a m é r i q u e l a t i n e
a
lyon
nombreuses places françaises, il restait assez exceptionnel. L'initiative des Roubaisiens a prouvé qu'il n'était pas si difficile de l'appliquer en g r a n d . D'autre
part,
d'Angleterre,
de cette
Angleterre
aux
banques
mondiales une autre leçon nous vient : le souci de l'après-guerre n'a-t-il pas poussé «
British
le
Gouvernement
Bank
for
à
Foreign
intervenir
T r a d e »?
pour
la
formation
Qu'attendent
donc
du
notre
Ministre des Finances et notre Ministre du Commerce pour se concerter, afin de ne pas laisser se perdre l'initiative de R o u b a i x , tout en suivant l'exemple que nous donne un p a y s autrement bien organisé que la France pour le développement du commerce international?... N e désespérons pas.
BANQUES
FRANÇAISES
D'OUTRE-MER
Quant aux banques d'outre-mer, elles devraient pouvoir disposer de ces crédits sur acceptations qui ont toujours été des opérations courantes de nos établissements de crédit dont elles seraient filiales ou correspondantes. Notre
réputation
financière
leur
attirerait
des
dépôts
impor-
tants si elles donnaient confiance par la f a ç o n dont elles seraient dirigées.
Mais elles
pourraient
compter, aussi
sur
deux
éléments
d'affaires et de f o n d s de roulement qui me paraissent extrêmement intéressants et qu'à tort ou à raison, je me figure qu'on ne met pas assez en
lumière. Eléments d'affaires: ce serait la représentation de
nos intérêts financiers, si considérables. F o n d s de roulement : j e veux .parler, de ces sommes que nos banques seraient chargées d'encaisser pour le compte de nos
exportateurs ou
de
la banque
d'escompte
française, et dont elles ne seraient comptables, quand le règlement s'effectuerait en traites à quatre-vingt-dix jours de vue sur Paris, que trois ou quatre mois après la liquidation des traites originales. Depuis que les banques allemandes ont mis leur emprise sur Latine, le
cours du change à quatre-vingt-dix
jours de
l'Amérique vue
(qui
n'offre pas le moindre avantage et cause plutôt une perte au client, obligé de payer d'autre part les intérêts correspondants) s'est en effet imposé sur tous les marchés, ceux mêmes où, il y a quelques années, on ne cotait que le cours à vue. E t l'on ne diminuera pas la portée de ce simple stratagème, si l'on se rappelle que les banques allemandes encaissaient au moins chaque année deux à trois milliards dont elles pouvaient garder la disposition pendant un trimestre, de façon
à
augmenter leur mouvement de caisse d'un appoint constant de cinq à sept cents millions !
s i t u a t i o n e t a v e n i r de l a
ROLE•
DES
f r a n c e e n a m e r i q u el a t i n e151
BANQUES
E n recommandant à nos financiers cette source de disponibilités, et en exprimant le souhait de voir nos banques sud-américaines s'adonner de plus en plus, sinon se consacrer entièrement a u x opérations de commerce, il y aurait également lieu de montrer comment elles pourraient faire des avances à nos acheteurs ou a u x producteurs exotiques, comment elles pourraient escompter les traites de nos revendeurs, bonifier le change sut Paris — de tout temps moins avantag e u x que le change sur L o n d r e s , — enfin comment il leur serait possible d'étayer notre influence sur l'aide qu'elles apporteraient aux industries et aux maisons de commerce locales.
CONCLUSION
Mais cela dépasse mon sujet et l'on sait assez que tout se 'tient dans le monde des affaires: les réussites des uns profitent à tous, et la fabrique, le commerce, la banque, l'armement, le travail, la richesse nationale, chaque genre d'activité est étroitement solidaire des autres, dans le progrès comme dans la décadence. Si les heures critiques que nous vivons nous portent inconsciemment à faire des examens de conscience, nos amis d'Amérique L a t i n e doivent y voir la volonté d'une réforme de notre politique commerciale. Ils déploraient depuis longtemps que nous nous effacions, que nous ne prenions plus une part suffisante dans le développement de leur économie nationale. C e u x qui sont les témoins de l'effort de la France pendant la guerre, de ses improvisations ordonnées, de sa constance et de son opiniâtreté à vaincre, ceux-là nous ont d é j à rendu leur confiance pour l'avenir. Nous ne les décevrons point. O h ! nous n'avons pas, comme les A l l e m a n d s , à tenter une politique de rapprochement sur la base d'intérêts que les contingences actuelles vont réduire à des proportions bien restreintes, si les A l l i é s ne les laissent plus se parer d'avantages empruntés. Mais, forts de nos amitiés traditionnelles et désintéressées et de nos affinités intellectuelles, nous prétendons que les courants d'échanges, de capitaux et de produits peuvent se précipiter dans les deux sens pour le bien de la France et des p a y s de l'Amérique L a t i n e , et nous y travaillons.
ARMAND
PETITJEAN.
Les faiblesses de notre organisation commerciale ATROPHIE
DU
COMMERCE
FRANÇAIS
AUTOUR
DE
LA
GUERRE
u début des hostilités, les affaires commerciales françaises en Amérique du Sud, particulièrement en Argentine, ont été complètement paralysées. L e manque de tonnage a fait cesser les exportations d'Europe et la situation s'est encore plus aggravée lorsque les industriels et commerçants français ayant d é j à des relations directes en Amérique du Sud, ont prévenu leurs clients qu'ils aient à envoyer des f o n d s d'avance pour recevoir des marchandises.
A
L e s pays neutres, alors, profitant sans tarder de cette erreur commise en France de suspendre ainsi tout crédit, ont proposé aux marchés sud-américains la majeure partie des articles fournis généralement par les maisons françaises, à l'exception des produits de grandes marques, spécialités presque impossibles à concurrencer. L'EFFORT
DES
ÉTATS-UNIS
L e s Etats-Unis sont immédiatement entrés en première ligne. Des commissions spéciales sont parties de New-York pour étudier les marchés, des voyageurs ont été envoyés sur place, ont choisi des agents locaux afin de pénétrer plus rapidement dans la clientèle et ont négocié des affaires importantes. Ils ont d'abord proposé des marchandises remplaçant celles que la France expédiait des départements envahis. Ils ont vendu et vendent encore des produits métallurgiques, des poutrelles d'acier, tous les articles pour la fabrication des voitures (essieux, ressorts, accessoires), des automobiles, des tissus de coton, des cuirs tannés, de la verrerie moulée, de l'orfèvrerie de fantaisie, sauf les couverts, de la boulonnerie, etc...
NÉCESSITÉ
DE
S'ARMER
POUR
LA
REPRISE
DES
AFFAIRES
Il faut donc dès maintenant préparer ici la reprise des affaires en s'armant non seulement pour parer à la concurrence allemande qui reprendra après la guerre, mais encore pour s'appliquer à concurrencer les articles fabriqués en pays neutres, notamment aux E t a t s - U n i s qui, semble-t-il, sont particulièrement dangereux pour le commerce d'exportation français.
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LA PREMIÈRE SEMAINE DE i/AMÉRIQUE LATINE A LYON
L e s industriels devraient essayer, m a l g r é les difficultés de l'heure, de créer des outillages nouveaux leur permettant de produire en série et à bon compte.
Actuellement, il est presque impossible de
leur
demander quoi que ce soit sans les entendre répondre : « qu'ils ne peuvent livrer de la marchandise pour l'exportation, alors qu'ils n'arrivent pas à contenter leur clientèle française, et qu'après la guerre seulement il leur sera peut-être possible de réorganiser leurs services et de créer un nouvel outillage ». ROUTINE
DES
MAISONS ET
INITIATIVE
FRANÇAISES DES
MAISONS
ALLEMANDES
Sans tomber dans une critique excessive, tendance fréquente en France, on peut remarquer qu'il existe de grandes industries qui renouvellent trop rarement leurs catalogues et ont toujours trop peu de nouveautés (en temps normal bien entendu) à présenter à la clientèle sud-américaine ; elles se contentent de vivre sur leur vieille réputation et leur honorabilité bien établie et hésitent à affecter une certaine partie de leurs bénéfices à créer des modèles nouveaux, sous prétexte que cela coûte trop cher, et que la clientèle achète leur marque, appréciée depuis de longues années. Mais il advient que la clientèle ne trouvant pas ce qu'elle désire, les abandonne peu à peu. C'est ainsi que certaines industries françaises, très importantes, telles que l'orfèvrerie et la porcelaine, ont périclité au g r a n d profit des maisons allemandes. Il y a, en Amérique du S u d , de très grosses maisons d'importation qui n'achètent presque plus rien en France. L e s modèles offerts par les A l l e m a n d s étant toujours nouveaux, f a i t s au goût de l'acheteur, minutieusement étudiés, séduisent la clientèle et s'en attirent la sympathie, d'autant plus facilement que les fabricants offrent un crédit variant de six mois à un an. (Ce crédit est excessif il est vrai, et un crédit à cent v i n g t jours constituerait d é j à un g r a n d progrès, et un délai suffisant.) D e s commissionnaires parisiens se sont vus obligés d'acheter en A l l e m a g n e , pour le compte de leurs commettants, alors qu'ils auraient pu souvent apporter ce chiffre d'affaires en France. Malheureusement, bien des industriels français s'enferment dans leur tour d'ivoire et n'écoutent que trop rarement, sinon jamais, les conseils de ceux qui connaissent les difficultés de la réalisation des ventes, pour avoir essuyé souvent des r e f u s formels dans les différentes places où ils sont allés solliciter des commandes. Il y a longtemps que l'on entend dire qu'il f a u t remédier à tout cela en changeant les coutumes commerciales.
LES FAIBLESSES DE NOTRE ORGANISATION COMMERCIALE
169
E n effet, cela presse; mais les causes du mal sont multiples et lointaines. O n ne f a i t rien sans hommes.
PRÉPARATION
DU
PERSONNEL
COMMERCIAL
D a n s tous les p a y s du monde il y a des affaires, mais il n'y a pas partout des hommes. Aussi, est-il urgent d'en préparer par une longue et minutieuse éducation, de f a ç o n à créer une élite de commerçants français aptes à développer nos affaires à l'étranger. Il f a u d r a i t , semble-t-il, choisir des jeunes gens au moment où ils ont fini des études sérieuses, et leur faire faire des séjours à l'étranger assez longs, pour qu'ils reviennent en France imprégnés de tout ce qu'ils auront eu le temps de regarder autour d'eux et puissent alors marier nos méthodes de travail avec celles de nos concurrents. Sans insister sur les facilités financières nécessaires et réalisables ici mieux que partout ailleurs, il ne f a u t pas que nos jeunes gens aillent tenter la fortune à l'étranger inconsidérément, sans un but bien déterminé. II leur f a u t partir avec un important b a g a g e d'expérience et emporter des semences de réussite immédiate car, dès leur arrivée en p a y s sud-américain, ils se trouveront en concurrence avec le monde entier et aux prises avec des commerçants avisés, connaissant les usages commerciaux et les ressources industrielles de tous les p a y s d'Europe. Il est donc indispensable que nos nationaux soient appuyés dans leurs travaux par les industriels ou les commerçants français et aussi, par l ' E t a t lui-même.
CONSULS
ET
AGENTS
DIPLOMATIQUES
FRANÇAIS
N o s consuls, nos agents diplomatiques, sont tous des hommes disposés à d é f e n d r e ardemment les intérêts de leur p a y s , mais ils n'ont souvent pas la préparation commerciale qui leur permettrait d'agir efficacement. T o u s ceux qui ont recouru aux conseils des agents diplomatiques ont toujours été reçus avec la plus grande courtoisie; mais il n'est pas douteux qu'ils n'ont jamais pu compter sur un résultat pratique et sur une aide utile. E n effet, il advient que le voyageur se trouve en présence d'un agent diplomatique venu, la plupart du temps, trop récemment dans le p a y s et en connaissant imparfaitement les choses et les gens. Ce qui s'explique : il était à T o k i o , on l'a envoyé à L i m a ; il lui est bien difficile de connaître les besoins d'un p a y s sans avoir eu le
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LA PREMIÈRE SEMAINE DE i/AMÉRIQUE LATINE A LYON
temps matériel ni d'en apprendre les usages, ni d'avoir f a i t connaissance avec les individus et cela ne se f a i t pas en quelques mois. Des attachés commerciaux faisant leur carrière dans le p a y s , auraient un rôle utile à jouer, car le voyageur, en arrivant, trouverait, grâce à cette organisation toute faite, le moyen d'obtenir sans perte de temps de bons renseignements et surtout des renseignements sincères, alors qu'actuellement, il est obligé de s'adresser, presque toujours, à des concurrents, lesquels n'ont pas g r a n d intérêt à dire exactement le f o n d de leur pensée. »
ORGANISATION
NÉCESSAIRE DE
D'UN
SERVICE
RENSEIGNEMENTS
COMMERCIAUX
D a n s les p a y s qui sont à la merci de crises fréquentes, les crédits changent. U n e organisation officielle tenant à jour les renseignements et les changements survenus serait donc d'un g r a n d secours. Combien d'industriels découragés d'avance ont refusé des propositions d'affaires en Sud-Amérique parce qu'une fois ils avaient eu des déboires ! D a n s tous les pays, il existe dans chaque branche du commerce et de l'industrie des maisons excellentes, de tout repos, mais il est nécessaire de les connaître, de les avoir suivies depuis longtemps, de savoir leurs habitudes et leurs manières de traiter les affaires et d'avoir une certaine intimité avec leurs chefs. E n opérant ainsi, on ferait des affaires nombreuses et de bonnes affaires.
LES
REPRÉSENTANTS
Les représentants français sont encore rares, par rapport
aux
représentants a l l e m a n d s ; et nos voyageurs sont plus rares encore. E n France, les c h e f s de maisons ne se déplacent pas facilement: c'est une erreur de leur part à laquelle il est cependant bien facile de remédier. L e s clients sud-américains sont accueillants; visiter leur plaît et pour peu que le v o y a g e u r apporte un échantillonnage séduisant, les affaires culté, souvent même sur parole, de bonne f o i . et plus franche amitié.
le f a i t d'aller les venant d ' E u r o p e se f o n t sans diffisur le pied de la
Pour réussir il f a u t que tous les industriels, commerçants ou commissionnaires non seulement aient un représentant sur place, mais encore qu'ils envoient à époque fixe chaque année, un voyageur s'ex-
LES FAIBLESSES DE NOTRE ORGANISATION COMMERCIALE 183
p r i m a n t a v e c facilité, c a p a b l e de discuter la fabrication des m a r chandises, le prix de revient, et susceptible d'aborder les détails techniques. Ce v o y a g e u r , accompagné du représentant, aura ses entrées p a r t o u t ; et ses amitiés, ainsi que sa bonne humeur (qualité nécessaire dans les p a y s latins) l'aideront à s'introduire auprès de la clientèle, surtout s'il est g u i d é de f a ç o n à ne pas faire de mauvais placement. Cette manière de procéder réussira presque toujours et les résultats en seront excellents pour notre p a y s .
LES
BANQUES
Il existe en Amérique Latine, des banques a y a n t des succursales en Europe ; ces succursales f o n t le service d'encaissement des traites à des taux accessibles. E l l e s escomptent également des bordereaux de traites ou plutôt f o n t des avances sur des traites à l'encaissement, à des conditions possibles; mais cela ne suffit pas et il f a u d r a i t beaucoup plus. L e s banquiers devraient prendre l'habitude d'être plus larges dans les découverts avec les commerçants. A u lieu de se livrer à des spéculations ou à des opérations d'emprunts étrangers, ils feraient certainement mieux de s'intéresser de plus près a u x commerçants désireux d'étendre leurs affaires, et de former des associations de divers fabricants pour monter des sociétés, encourageant ainsi le développement de l'industrie. Il f a u d r a i t que ces mêmes établissements financiers, après avoir recueilli les renseignements leur donnant toute leur sécurité sur les clients sud-américains, puissent faire des conditions au moins semblables à celles de nos concurrents ennemis. L ' A l l e m a g n e était tombée dans l'excès contraire et a gâché la clientèle en Amérique du S u d , en faisant de trop longs crédits; un terme moyen est nécessaire. D'ailleurs, les établissements financiers, eux non plus, ne sont pas assez renseignés sur les affaires sud-américaines; ils devraient, tout comme des industriels ou des commissionnaires, envoyer des hommes qui leur rapporteraient de bons éléments de travail.
LES
COMMISSIONNAIRES
E n France, la loi touchant
le commissionnaire n'a pas changé
depuis Napoléon. L e commissionnaire est assimilé à un courtier et n'a donc pas le droit d'avoir un bénéfice en dehors de la commission qu'il prélève. Pour beaucoup
d'articles et plus particulièrement
pour
l'article
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LA PREMIÈRE SEMAINE DE i/AMÉRIQUE LATINE A LYON
de Paris, le commissionnaire est une nécessité ; mais il f a u d r a i t qu'il pût agir comme en Angleterre, en qualité de marchand, de façon à pouvoir réaliser un bénéfice suffisant et ne pas risquer de grosses sommes pour un avantage insignifiant. Ce mode de travail décourage bien des commissionnaires; la meilleure solution, d é j à exposée, serait d'arriver à ce qu'il existe des ententes spéciales entre maisons exerçant cette profession, afin de lui donner une tournure intéressante, car, pour l'instant, le commissionnaire est plutôt un banquier qu'un acheteur. Il n'a pas le temps de s'occuper de proposer des marchandises dans sa clientèle: i l ' e s t trop absorbé par la surveillance des crédits, et l'acheteur, qui connaît cet état de choses, ne s'adresse à lui que lorsqu'il a véritablement besoin de crédit.
REMANIEMENT
DE
L'ORGANISATION
FINANCIÈRE ET
Ce que par tier des bénéfice
COMMERCIALE
service financier pourrait être assuré par le banquier mieux le commissionnaire; ce dernier serait ainsi véritablement courmarchandises françaises, et il pourrait se contenter d'un petit puisqu'il n'aurait plus les mêmes risques à courir.
Pour le banquier, c'est son métier et son affaire que de s'entourer de garanties et de renseignements pour ne faire des découverts qu'à bon escient. L ' o n sait, il est vrai, que des banquiers français ont d é j à songé à offrir le ducroire au vendeur, moyennant un avantage raisonnable: c'est un pas vers un progrès intéressant qui doit être vivement encouragé. E n France, le jour où l'organisation financière et commerciale permettra d'agir dans ces conditions, nul doute que nos exportations n'y trouvent leur compte.
COMPENSATION
A
OBTENIR
DES
NATIONS
SUD-AMÉRICAINES
Si, de plus, nos consuls et nos agents diplomatiques parviennent à obtenir des compensations des p a y s sud-américains, c'est-à-dire des abaissements de droits de douane sur nos produits, de nouvelles facilités inconnues jusqu'à ce jour surgiraient. Si par exemple, avant la guerre, nos ports n'ont pas été ouverts a u x viandes argentines, c'est parce qu'ici, pour des raisons de protectionnisme outrancier, on n'avait jamais pu arriver à ce résultat,
• \
LES FAIBLESSES DE NOTRE ORGANISATION COMMERCIALE
173
c e p e n d a n t que nos alliés les A n g l a i s , qui sont à ce point de vue les meilleurs clients de l ' A r g e n t i n e , a v a i e n t obtenu des a v a n t a g e s à l'entrée là-bas pour leurs a n i m a u x reproducteurs, ainsi que pour d'autres produits (i). M a i s il ne f a u t pas oublier que c'est t o u j o u r s donnant
donnant
que les a f f a i r e s se traitent, et si l'on veut obtenir des compensations, il f a u t offrir des a v a n t a g e s . C h a c u n e des questions exposées d e v r a i t être l'objet de propositions spéciales, pour chaque branche de la vie économique de notre p a y s , et pour atteindre à un résultat pratique il f a u d r a i t encore bien peu
de
chose,
semble:t-il:
que
les hommes
dirigeant
les
affaires
veuillent bien y mettre de la bonne v o l o n t é (2). GEORGES
CAHEN.
(1) Il serait fort utile que les Conseils d'Administration des Compagnies de Navigation Françaises songent à faire des aménagements spéciaux pour le transport des animaux sur pieds, et des viandes frigorifiées. Il y a certainement là une grosse affaire à monter dès que les circonstances le permettront. (2) Liste des principaux articles français importés en Argentine : Articles d'alimentation. — Conserves, chocolat, eaux-de-vie, liquides, liqueurs, champagnes, huiles, fruits secs, pommes de terre de semence. L'importation des vins français a diminué en raison de la production nationale. Parfumerie, automobiles, articles de mode parisienne, nouveautés, porcelaine fine, verrerie fine, cristallerie, tissus de soie, essieus, ressorts de voiture, spécialités pharmaceutiques, droguerie, ciments, orfèvrerie, bijouterie fine, couleurs fines, objets d'art, bronzes, tableaux, ameublements, glaces, tapis, tapisseries, bronzes d'éclairage, etc., etc... Liste des principaux articles allemands qu'il faudrait essayer de concurrencer en France : . . . Machines de toutes sortes (sauf les machines agricoles fabriquées presque exclusivement en Amérique du Nord), tout l'appareillage électrique, produits chimiques, couleurs d'aniline, maroquinerie, tissus de coton, papiers de toutes qualités, articles de ménage en fer émaillé, jouets, quincaillerie, otitillage, articles pour le bâtiment, fils de fer et d'acier, poutrelles (en concurrence avec la Belgique), papiers d'étain, zinc, porcelaines de qualité courante, baguettes pour l'encadrement, bijouterie imitation, or faux en feuilles, verrerie bon marché et de fantaisie, lampisterie, bouteilles, soieries imitation, rubans de Crefeld, pianos, etc... Principales industries argentines : Distilleries, fabriques de liqueurs, chocolateries, verreries ordinaires (bouteilles), fabriques de drap, fabriques de bonneterie, fabriques de papier d'emballage, raffineries de sucre, fabriques de toiles oour faux-cols, chemises (capitaux allemands), forces motrices électriques (deux compagnies, l'une allemande très importante, l'autre italienne), fonderies, confections pour hommes, fabriques d'objets en celluloïd, etc., etc.
Le Commerce Français d'Amérique Latine et la Mobilisation
LES
EFFETS
DE
LA
MOBILISATION
u cours des débats de la première Semaine de l'Amérique L a t i n e , touchant les questions d'ordre commercial, on s'est accordé à mettre en valeur l'impérieuse nécessité de se préoccuper du recrutement et de la formation des hommes qui, dans le r a n g ou aux postes les plus élevés, seront les bons ouvriers de l'expansion économique de la France en Amérique Latine. Sous une forme détournée, cela revient à donner toute son importance à l'élément n Personnel » dans la vie et le développement des commerces français d'outre-Atlantique, et à paraphraser l'aphorisme: <( T a n t vaut l'homme, tant vaut l'affaire » qui n'est nulle part aussi vrai que dans les p a y s neufs. Personne n'ignore, du moins parmi les Amérique L a t i n e , les spécialistes d'affaires d é f a u t que les maisons importantes sont d ' E u r o p e la plupart de leurs collaborateurs
gens de pratique, qu'en f o n t encore à ce point obligées de faire venir principaux.
Cette seule indication permet d'imaginer le désarroi dans lequel la mobilisation a jeté les entreprises françaises, lorsqu'elle a rappelé tout le monde, patrons et employés, depuis les réservistes de l'armée active jusqu'à ceux de la territoriale, sans distinction aucune, comme à l'aveuglette. D'une part, de trop rares sursis a y a n t été accordés, d'autre part, f o r t peu de mobilisés ayant pu se faire remplacer utilement et leur absence s'étant prolongée plus de deux ans d é j à , la liste est longue des litiges, bilans désastreux, fermetures de maisons, ruines, préjudices de toutes sortes qui s'accumulent... S'il s'était agi de subir un mal nécessaire, dont les autres auraient pâti comme nous, le dommage n'aurait été que relatif. Mais ce n'est pas le cas: alors que, dès le premier jour, nous avions f a i t un appel en masse — du moins il apparut tel en Amérique Latine, puisqu'on ne fit pas de distinction entre les classes — les A n g l a i s et les Italiens avaient le temps d'éprouver l'utilité du système allemand de mobili-
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l a première
semaine de L / a m é r i q u e l a t i n e a
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sation économique, et, parmi leurs nationaux fixés outre-mer, ils ne convoquaient sous les drapeaux que les hommes des plus jeunes classes. Grâce à cette précaution, les cadres de leur commerce extérieur tenaient bon, tandis que, par le jeu naturel de la concurrence s'exerçant contre nous, le nôtre menace de se disloquer.
L'AVANTAGE
DE
LA
SITUATION
POUR
NOS
CONCURRENTS
Il apparaît certain que d'ici à la fin de la guerre, tous nos compétiteurs, qu'ils soient alliés, ennemis- ou neutres, auront encore augmenté l'avance d é j à prise sur nous, et se trouveront de plus singulièrement avantagés, parce qu'ils se seront enrichis pendant que s'affaiblissent nos maisons et parce qu'ils auront affermi, à notre détriment, leur position sur les différents marchés. Nos litiges peuvent s'aggraver, ils épurent les leurs; ils liquident leurs stocks à gros bénéfices, et s'il y a des règlements et des prohibitions, ils tournent les règlements et narguent les prohibitions. Notre clientèle nous était vivement disputée: nous sommes seuls à avoir cessé de la solliciter avec opiniâtreté.
les
L a faveur dont jouissaient nos spécialités remontait, en partie, à une époque où notre renom était incontesté et il convenait de l'alimenter par la publicité ; chaque fois que bonne g a r d e n'a pas été faite, mille substituts ont pu s'introduire et se sont introduits. A cet é g a r d , les statistiques américaines et italiennes seraient très intéressantes à dépouiller et les manifestes de douane — ceux même de certains navires anglais — ne causeraient pas peu de surprise à t e u x qui croient à l'efficacité complète des listes noires et à l'étouffement du commerce allemand d'outre-mer. L e s preuves abondent. Mais à quoi bon prolonger l'exposé d'une situation si claire? Pendant cette période de crise où le travail devrait être le plus ardent, où l'on devrait avec acharnement se disputer les affaires, nous nous sommes arrêtés d e travailler, nous nous sommes laissé prendre notre clientèle et enlever nos débouchés, alors que nos rivaux, plus laborieux que jamais, g a g n e n t tout ce que nous perdons. E t même, nous nous laissons handicaper d a v a n t a g e , puisqu'ils s'arment dès maintenant pour les batailles économiques qui suivront la grande guerre.
le
PRÉPARATION
commerce f r a n ç a i s
DE LES
d'amerique
L'APRÈS-GUERRE ENNEMIS,
latine
COMMERCIALE LES
ALLIÉS
ET
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77
PAR LES
NEUTRES
L e s A l l e m a n d s , les A n g l a i s et les Américains du N c r d préparent sur place l'après-guerre commerciale. Ils la préparent de différentes façons. L e s Américains du N o r d ont tout à f a i r e ; ils ouvrent des banques (il existe d é j à des succursales de trois institutions différentes), ils remettent sur le métier de vieux projets de lignes de navigation directe, achètent des mines à coups de millions, rééditent des tournées imposantes d'industriels et de gros commerçants, f o n d e n t des maisons d'achat : tout en essayant d'accaparer certaines productions, ils visent d'ailleurs plutôt à la prédominance financière qu'à la suprématie commerciale. N o s amis les A n g l a i s bouchent les trous qui existaient dans leur organisation: en dehors du projet de leur grande banque d'exportation, la (( British B a n k for Foreign T r a d e », qui travaillera avec le monde entier, ils établissent des banques locales dans les rares p a y s où ils n'en avaient pas: au Venezuela, par e x e m p l e ; ils n'ont jamais eu autant de vendeurs sur les bateaux allant en Amérique du S u d ; ils publient, en espagnol, une magnifique série de catalogues de leurs industries; ils ont mandé cinq attachés commerciaux en Amérique L a t i n e et nos voyageurs rapportent qu'il est curieux de voir avec quel sens de leurs intérêts ils savent (et nous devons les en féliciter) jouer de la <( black-list »... Q u a n t aux A l l e m a n d s , ils sont les mieux parés, parce qu'ils sont partout, dans toutes les villes et dans tous les commerces, et parce que leur machine à moudre les affaires a beau être arrêtée, elle est la plus forte et la plus moderne. Réduire leurs chiffres n'est point détruire leur organisation, et le monument de leur patiente et méthodique action ne s'effondrera pas d'un coup de bélier. Aussi, nos ennemis doivent-ils attendre la reprise du « business as usual » avec confiance. Entre temps, ils multiplient leurs offres de service, même auprès des maisons françaises; ils annoncent que leurs soldats prisonniers apprennent l'espagnol, en vue des opérations commerciales futures ; ils f o n t croire aux acheteurs que le renchérissement des prix n'est dû qu'à leur disparition du marché, ils bluffent quant à leurs préparatifs d'après-guerre (navires en chantier, achats énormes, etc.) et réussissent à impressionner les acheteurs par des circulaires variées dont l'une, entre autres, recommande de retenir du fret à H a m b o u r g , afin de ne pas être pris au dépourvu par la p a i x ! . . . Ces constatations sont d'autant plus pénibles que nous n'avons à
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leur opposer de notre côté qu'une diminution d'activité, en dehors des démarches et des études de quelques comités bien intentionnés. U n devoir qui s'impose est d'affirmer qu'il n'est que temps
de
réagir.
LES
PRINCIPES
A
ADOPTER
Les principes de mobilisation que les A l l e m a n d s , les A n g l a i s , les Italiens et les B e l g e s ont appliqués à l'égard de leurs commerçants d'outre-mer sont aussi bons pour la France que pour eux. N e seraitce que par instinct de conservation, et même s'il n'y avait pas lieu de se préoccuper de l'avenir, il convient d'autant plus d'adopter ces principes que vingt-six mois de guerre ici et de concurrence là-bas, dans des conditions spéciales, en renforcent encore le bien-fondé. Il f a u drait donc, sans délai et quelle que soit leur situation militaire, mettre en sursis d'office les hommes indispensables au maintien de nos forces économiques en Amérique L a t i n e et les rendre à leurs affaires, sans attendre une demande de leur part. L ' e f f e c t i f n'en est pas nombreux, quelques centaines en tout. E t quoique le véritable intérêt national qui s'attache à cette mesure soit bien démontré, on peut le rendre plus évident encore en insistant sur le profit qu'il y aurait à utiliser les circonstances présentes pour inventorier nos ressources et nos moyens d'action en Amérique L a t i n e , et pour nous livrer à une vaste enquête sur les possibilités proches de notre commerce extérieur. L e s bénéficiaires de sursis seraient les mieux qualifiés pour participer à cet inventaire et à cette enquête et pour en faire des instruments pratiques d'expansion. A mon sens, ils devraient coopérer à cette œuvre nationale, sincèrement et efficacement, sous peine de rappel. N o s commissions d'achat pourraient également prendre leurs avis, et il n'y a pas à expliquer comment ils pourraient aider à l'œuvre de documentation et de clarté que poursuit la propag a n d e française. L e s surâis accordés seraient donc des sursis d'un caractère spécial et entraîneraient des obligations bien déterminées. L e Président de la Semaine de l'Amérique Latine, M. le Député Guernier, a, dès le début, saisi l'importance et le caractère d u ' p r o j e t sommairement exposé ici. Nombreux sont ceux qui en ont approuvé le principe, mais tous doivent beaucoup compter sur lui, sur sa clairvoyance et sur son dévouement, pour en obtenir, une fois pour toutes, la réalisation, avant qu'il ne soit trop tard. ARMAND
PETITJEAN.
La Marine française et son rôle dans les relations avec l'Amérique Latine SERVICE
DES
VOYAGEURS
e ne vais tenter ici que de résumer la question complexe des relations maritimes entre la France et l'Amérique L a t i n e , aidé dans cette tâche par des données rapportées personnellement de Panama et d'Amérique où je suis allé en 1914 et au cours d'une seconde mission en 1915.
J
Nous avons eu avec l'Amérique L a t i n e des rapports extrêmement anciens et suivis, d'une importance telle qu'il est permis de dire que, si jusqu'à il y a une trentaine d'années nous occupions dans les eaux sud-américaines le second r a n g immédiatement après les A n g l a i s , nous nous placions avant eux au point de vue des voyageurs. Peu a peu, cette situation est entrée en régression, au point qu'à la veille de la guerre, nous étions tombés à un r a n g tout à f a i t inférieur, indigne de notre nation et de nos intérêts. Il serait trop long d'indiquer pourquoi il en f u t ainsi, les raisons sont multiples, elles tiennent à notre organisation maritime qui va s'imposer si impérieusement aux préoccupations de la classe dirigeante et du Parlement, à notre organisation commerciale, à tout un ensemble de faits. Les Messageries Maritimes, après avoir longtemps assuré le service vers les eaux sud-américaines avec des unités excellentes assurément, mais qui étaient devenues peu à peu inférieures à celles plus modernes mises par la suite en ligne par nos concurrents étrangers, se sont vu dépassées. O n connaît l'histoire de la Compagnie Sud-Atlantique. Autour de cette nouvelle venue on avait f a i t une g r a n d e publicité ; elle mettait en ligne de magnifiques unités, cependant tout cet effort a abouti à un échec lamentable et nous a f a i t beaucoup plus de mal que si nous avions continué à exploiter dans les conditions antérieures. E n effet, lorsque l'on examine un terrain quelconque de concurrence, le premier point est de commencer par savoir ce que sont les moyens d'action des concurrents. Lorsque la guerre a éclaté, les A n g l a i s avaient situation sur l'ensemble du marché sud-américain avec et le Pacific Steam. Leur situation n'était pas encore elle était menacée. Immédiatemènt après les A n g l a i s ,
conservé leur le Royal Mail entamée, mais avait surgi le
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semaine de L/amÉrique l a t i n e
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lyon
p a v i l l o n allemand. Plusieurs des firmes allemandes s'étaient imposées avec des paquebots superbes. L a C o m p a g n i e A l l e m a n d e Cosmos portait même le p a v i l l o n allemand jusque vers le Pacifique par M a g e l lan. Puis venaient les grandes firmes italiennes et la Compagnie H o l l a n d a i s e en bonne posture. N o u s avions trois compagnies françaises : la Sud-Atlantique, faisant le service postal et la grande ligne, la Compagnie des Transports Maritimes, faisant le service mixte, et, au point de vue presque exclusivement commercial, les Chargeurs Réunis. D e v a n t la disparition du pavillon allemand et la gêne du pavillon anglais, les pavillons italien et hollandais ont pris la première place. L e pavillon italien, spécialement la Navigazione Générale Italiana, s'est détaché du peloton avec une rapidité tout à f a i t remarquable et des moyens dont nous pourrons faire notre profit. D u r a n t la crise subie actuellement par le pavillon allemand et son l o n g effacement possible après la guerre, nous avons le devoir d'envisager dès aujourd'hui l'amélioration de notre situation, d'examiner la place prise par les concurrents et les conditions propres à retrouver notre situation et mieux encore, après le retour de la vie normale. Il f a u t en vérité que nous nous préoccupions de savoir par quels moyens nous rétablirons demain la position du p a v i l l o n français dans le Sud-Amérique. Ceci, au surplus, est aussi bien vrai pour l'ensemble du monde. L e pavillon suit la marchandise, parce que le p a y s producteur de la marchandise a un intérêt vital à être son propre transporteur. Q u a n d il en va autrement, il se passe peu de temps avant que le commerce et l'industrie du transporteur ne se substituent au commerce et à l'industrie du transporté. Si, de la marchandise, nous passons aux passagers, il se produit un phénomène identique. D a n s cet ordre d'idées, nous étions arrivés en Amérique à une situation p a r a d o x a l e , tenant à notre matériel, à nos méthodes et à nos conditions inférieures d'exploitation. Ce n'est point énoncer une critique, mais signaler un fait, de dire que nos pouvoirs publics ont eu jusqu'ici i vis-à-vis de notre p a v i l l o n , une politique peu bienveillante. L e public lui-même n'échappait pas à cette tendance. Il était devenu de mode de ne plus v o y a g e r sur les bateaux français. O n v o y a i t couramment des hommes politiques français, des troupes dramatiques ou d'autres personnalités françaises arriver en Amérique sur des navires étrangers et p a r f o i s ennemis. O n peut estimer qu'il existe un patriotisme économique; celui-ci ne doit pas être tenu pour vain surtout en matière maritime. Com-
l a marine
française et l'amerique
latine
isl
ment s'étonner alors que quand les riches Américains, même les plus francophiles, venaient en France, c'était le plus souvent le paquebot allemand, anglais ou hollandais qui les y amenait? Il importe que, désormais, il n'en aille plus ainsi: il f a u t que nous fassions l'effort nécessaire pour que notre p a v i l l o n reprenne sa place, pour que nos amis viennent en France sur des bateaux français, d'autant plus que l'on peut dire de la marchandise ce que l'on dit des passagers, car celle-ci ne tarde pas à échoir à la nationalité du transporteur. D e même un Sud-Américain venant en France sur un paquebot étranger s'inféode peu à peu aux choses de la nationalité à qui il a donné sa clientèle. Il entend pendant la traversée vanter les charmes, les avantages, la position géographique, les mœurs du p a y s auquel appartient le bateau. U n jour vient où il devient un p r o t a g o n i s t e des choses de ce p a y s . L e s A l l e m a n d s ont f a i t à ce point de vue un effort énorme. A u cours d'un v o y a g e au Chili, feuilletant des livres sur la table de mon hôtel, j e trouvai une brochure éditée en espagnol, très belle, très bien illustrée. Cette brochure importante avait pour but de faire de la p r o p a g a n d e au Chili même, en faveur des lignes de navigation et de chemins de fer et des hôtels allemands. E l l e contenait un ensemble de cartes, de graphiques, par lesquels on démontrait que le centre de l'Europe était, non pas Paris, mais Berlin. C'est en vain, ai-je besoin d'ajouter, que je cherchais là des brochures analogues parlant des compagnies de chemins de fer et de navigation et des hôtels français. . Comment pouvons-nous envisager cette nécessité absolue de l'établissement de communications avec l'Amérique du S u d ? Quatre catégories de service existent: i ° L e service de g r a n d e ligne à passagers représentant par excellence l'exploitation de concurrence internationale ; 2° L e service de seconde classe mixte à marche ralentie marchandises et passagers ;
pour
3° L e service commercial régulier; 4° L e tramp.
SERVICE
POSTAL
Pour le service de grande ligne, nous nous trouvons en présence de services subventionnés qui sont déterminés par des cahiers des charges très serrés, et dont on peut dire qu'ils ne répondront plus demain aux conditions de la concurrence internationale.
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l a première
semaine de L / a m é r i q u e l a t i n e a
lyon
L e monde maritime et le Parlement auront, dès la reprise de la vie économique, à examiner les conditions dans lesquelles doivent être renouvelées les conventions maritimes. " J'exprimerai un vœu : c'est que ces conventions ne soient plus rédigées exclusivement par des hommes politiques et par des postiers, mais que les intéressés, c'est-à-dire le monde des affaires métropolitain et colonial, les chambres de commerce françaises, celles de France comme celles de l'étranger, soient dorénavant consultés. Ces services seront assurés demain par des unités dont il est difficile de déterminer la nature. D e celles qui constituaient notre flotte marchande avant la guerre, certaines ont été détruites, d'autres nécessiteront de longues réfections. O n peut donc affirmer qu'au moment venu, il nous va f a l l o i r posséder une flotte adéquate aux nécessités imposées par la reprise de la vie économique, nos besoins ainsi que les résultats que nous devons obtenir, c'est-à-dire une flotte en état de supporter la concurrence contre les flottes rivales. Ici un facteur essentiel domine : c'est la valeur de nos concurrents. Il est de toute urgence qu'au point de vue de la rapidité, de la régularité, de la valeur des bateaux et d u niveau naviguant, nous puissions mettre en ligne des unités aptes à lutter victorieusement contre les concurrents, et que nous ne soyons pas obligés de faire appel au patriotisme des Français, à la bonne volonté des étrangers pour les engager à s'embarquer à nos bords. Il importe que la supériorité de nos services suffise seule à attirer et à retenir la clientèle.
LA
RAPIDITÉ
D'ABORD
EST
INDISPENSABLE
L a ligne postale française doit être, rien que par le f a i t de la position géographique de notre pays, la plus rapide. Pour cela, il f a u t que le parcours soit modifié: à Buenos-Ayres, et après une rapide escale à Montevideo et un arrêt à R i o de Janeiro, le paquebot atteindrait directement à Lisbonne sans toucher D a k a r , assez largement desservi d'autre part en temps normal pour qu'il n'y ait point d'opposition de ce chef de la part du monde colonial français. Ce trajet pourrait se faire en treize jours. L e passager devra trouver à Lisbonne un transbordement impeccablement organisé, et le train transatlantique Lisbonne-Paris devra permettre au v o y a g e u r d'arriver dans le minimum de temps et avec le maximum de confort à Paris. Ouiconque est astreint aux fréquentes traversées sait combien la clientèle des grandes lignes apprécie tout g a i n de temps sur un trajet. Si l'on arrive au résultat que je viens de dire et auquel pouvaient parvenir les unités comme le Lutetia et le Gallia, et que les
l a marine f r a n ç a i s e e t l'amerique l a t i n e
isl
affiches puissent annoncer que l'Europe est à treize jours de BuenosA y r e s , par la ligne française, nous aurons d é j à g a g n é une première et bien importante manche dans la lutte de la concurrence internationale. D e Lisbonne, le service s'effectuerait sur B o r d e a u x à vitesse diminuée. Je crois devoir insister sur la suppression de l'escale de D a k a r : elle a été l'un des poids qui ont le plus lourdement handicapé la ligne française, pour de multiples raisons qu'il est superflu de développer ici. Notre g r a n d port de l ' A . O . F . n'aura pas, je le répète, à souffrir beaucoup de cette mesure, puisqu'il est desservi par la ligne belge, par la C o m p a g n i e des Transports Maritimes, par celle des Chargeurs Réunis et par d'autres Compagnies étrangères, au point que l'on peut dire qu'un bateau part tous les jours de ce point pour l'Europe, ou arrive venant d'Europe. L a suppression du g r a n d courrier d'Amérique n'aura donc sur la vie des passagers en provenance de notre g r a n d e colonie que bien peu d'influence.
RÉGULARITÉ.
ET
CONFORT
Après la rapidité, il f a u t assurer la régularité des services. Jusqu'à présent, on a toujours calculé la vitesse des navires en nœuds. Il sera nécessaire désormais de remplacer ce facteur illusoire et impossible à vérifier par un honoraire en heures; c'est-à-dire que la malle française devra arriver tel jour, à telle heure; nos services auront alors la régularité souhaitable, et l'on ne verra plus la clientèle de la ligne française attendre p a r f o i s plusieurs jours l'arrivée de la malle française : cas trop fréquent autrefois. P e n d a n t longtemps, nos bateaux avait eu une réputation de bonne cuisine. Cette réputation avait bien diminué en ces dernières années, sans parler de la tenue hôtelière du bord elle-même. D e nos jours, un paquebot de grande ligne est un hôtel flottant: un palace, comme dit un néologisme. C'est en palace qu'il doit être exploité, suivant l'exemple à nous donné par certains de nos concurrents étrangers auxquels cette méthode judicieusement appliquée a valu le succès. C'est ainsi, pour citer ce seul exemple, que la Navigazione Générale Italiana, hier encore de second plan, est parvenue en peu d'années à conquérir une place des plus importantes dans les eaux sud-américaines. Sur cette ligne, en effet, le service est de premier ordre. Il est assuré en régie par une entreprise hôtelière. A bord des paquebots, le passager trouve ainsi un service aussi p a r f a i t qu'à terre, dans les plus réputés établissements. Il ne tient qu'à notre Armement d'imiter ces méthodes, dont l'application a démontré l'excellence. T e l s sont, indiqués succinctement, quelques-uns
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des moyens par lesquels on peut arriver à entrevoir autrement que d'une façon théorique le relèvement
des services maritimes sur
la
grande ligne postale de l'Amérique du Sud. /
SERVICES
MIXTES
ET
COMMERCIAUX
Nous nous trouvons ici en présence de deux problèmes, en négligeant la question de prix, secondaire, par ce qu'il existe en f a i t un marché international, de telle sorte que le bénéfice du transporteur réside non pas intrinsèquement dans le taux même du fret, mais autant et plus dans le prix de revient. D a n s cet ordre d'idées, le premier problème à résoudre est la nécessité de scinder les services jusqu'à présent communs du Brésil et de la P l a t a . Il est question que certains services commerciaux ou mixtes soient affectés uniquement au Brésil. O n a envisagé ainsi la possibilité de scinder le service brésilien en service N o r d et service Sud. O n étudie sérieusement dans certains milieux la possibilité de desservir le nord du Brésil et même l ' A m a z o n e ; le point terminus de cette ligne aboutirait à R i o ; puis une autre ligne desservirait le sud de. Rio, Santos et Rio-Grande-do-Sul. J'ignore ce qu'il subsistera après la guerre de ces projets. O n avait songé à un service alterné dont l'intensité varierait suivant les saisons. Quant aux services de la P l a t a , ils resteraient ce qu'ils sont à l'heure actuelle; mais on envisagerait la possibilité de les pousser jusqu'à Rosârio, un port construit et exploité par une Société française et qui f a i t le plus g r a n d honneur à notre technique dans le monde entier. Nous pouvons établir là des relations maritimes solides et suivies. O n a même été jusqu'à envisager la possibilité de remonter éventuellement jusqu'à S a n t a - F é , dont les milieux intéressés affirment qu'on aurait là des éléments permanents de chargement. L ' A r m e m e n t doit examiner la possibilité de desservir, lorsque le port sera terminé, B a h i a - B l a n c a où nous avons des intérêts considérables et où les A l l e mands s'étaient f a i t s transporteurs de notre fret auprès des négociants en céréales et en laines, qui représentent sur cette place le commerce français. POSSIBILITÉS
DE
LA
MARINE
FRANÇAISE
Je terminerai en examinant les dans le Pacifique.
DANS
LE
possibilités de notre
PACIFIQUE
pavillon
E n 1914, j'avais été envoyé à P a n a m a pour étudier d'une façon définitive l'organisation des services maritimes français pour le Pacifique: question sur laquelle j'ai déposé un rapport à mon retour de France.
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isl la
marine
française
et l'amerique
latine
C'est une question assez complexe, parce qu'elle est double. A p r è s la guerre, le pavillon français doit absolument figurer régulièrement dans le trafic du Pacifique, d'où il a été à peu près absent jusqu'ici. L e s conclusions de mon rapport sont les suivantes: un remaniement de la ligne des Antilles et le prolongement d'une ligne par P a n a m a jusqu'au Pacifique et avec Corronel comme terminus, semble bien s'imposer. Corronel est, en effet, le seul centre charbonnier de la côte sud-américaine, en même temps que les minerais constituent là un gros fret de retour permanent. O u a n t au Pacifique -Nord, il s'agit de savoir s'il convient d y restaurer un service régulier : question délicate, parce que le fret que l'on trouve en cette partie du monde est généralement bas et assez peu compatible avec l'exploitation d'une ligne régulière grevée du coût du passage à travers le canal. Je conclus donc à la réserve de la ligne N o r d , à l'instauration de la ligne S u d , avec des paquebots mensuels que j'appellerai de seconde classe, du t y p e Haïti par exemple, t y p e parfaitement conçu, ni trop coûteux, ni trop g r a n d et répondant de façon p a r f a i t e au trafic visé. J'ai déconseillé dans ce parcours, et pour des raisons multiples, tout ce qui pouvait ressembler à du cabotage. G u a y a q u i l , q u a n d les conditions sanitaires le permettent, A n t o f a g a s t a , C a l l a o , V a l p a r a i s o et Corronel comme terminus, semblent devoir être les escales de ce trajet. Enfin, je terminerai par un mot sur les tramps. Il y a deux catégories de transports: les communications régulières existant entre deux centres m o n d i a u x (ceux-là sont régis par des services plus ou moins directement encouragés par les gouvernements) ; puis, les transports effectués par des unités isolées, suivant les ordres et les besoins, c'està-dire par les tramps* O n peut dire des tramps qu'ils sont les travailleurs saisonniers de l'armement. L e u r rôle est trop connu pour que j ' y insiste. Il serait souhaitable que les Compagnies détenant actuellement les services réguliers sur l'Amérique du S u d possédassent dans les centres principaux un office commun ; cela serait tout à l'avantage de la défense de nos intérêts maritimes. Je souhaite qu'avec une réorganisation pratique conçue dans le sens bien compris de nos intérêts matériels et de notre influence, notre pavillon se présente demain au r a n g qui lui revient dans ces eaux où il flottera désormais comme un symbole de notre victoire, ce qui sera la plus haute garantie de son succès. MAURICE
RONDET-SAINT.
Les relations avec le Nord de l'Amérique Latine par la Cie Générale Transatlantique
NÉCESSITÉ
DES
LA
ET
FRANCE
COMMUNICATIONS L>AMÉRIQUE
MARITIMES
LATINE
PENDANT
ENTRE LA
GUERRE
r - ^ è s le début des hostilités, en août 1914, s'est posée la grave ques. L )
tion du maintien des communications maritimes entre la France
et les p a y s d'Amérique L a t i n e desservis par la C o m p a g n i e Générale Transatlantique,
c'est-à-dire toutes les régions comprises entre
les
E t a t s - U n i s et la G u y a n e : Mexique, Guatemala, H o n d u r a s , Nicarag u a , Costa-Rica, Colombie, Venezuela, ainsi que les grandes et les petites Antilles. L'utilité de ces communications était évidente. A u moment ou nos ennemis nous attaquaient brusquement et dans les conditions trop connues, il importait, au point de vue de notre diplomatie dans les p a y s situés au delà de l'Atlantique, de ne pas interrompre des communications ne pouvant guère être maintenues que par les lignes directes. Il f a l l a i t absolument rester en contact le plus fréquent possible avec les représentants officiels de notre p a y s en Amérique et pouvoir faire parvenir, dans les délais les plus courts et avec toutes les garanties de sécurité et de discrétion, les instructions que comportait la grave situation résultant des événements qui se succédaient avec rapidité sur notre continent. Il f a l l a i t également recevoir aussi vite que possible les rapports de ces représentants, dont la tâche à cette époque était p a r f o i s difficile, en raison des intrigues locales de nos ennemis qui, en nombre beaucoup plus élevé que celui de nos nationaux, pouvaient exercer une influence regrettable et dangereuse à tous les points de vue. Il importait aussi d'assurer
les
communications
postales,
si
utiles à l'époque, puisque ' subitement tout l'équilibre antérieur était rompu et qu'il y avait à songer à la défense de nos intérêts politiques, industriels, commerciaux transatlantiques.
et
financiers
dans
toutes
les
régions
Si, par des voies autres que celles des lignes directes de n a v i g a tion, les courriers pouvaient être dirigés sur le Mexique et C u b a , il n'en était pas de même pour les Républiques centre-américaines, ainsi
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que pour la Colombie, le Venezuela et les Guyanes. L e maintien des lignes s'imposait donc encore à ce point de vue postal, surtout à cette époque troublée. Il en était de même pour les mouvements de passagers. Il f a l l a i t songer non seulement à rapatrier rapidement les Français mobilisables résidant en Amérique, mais aussi à assurer l'exode vers leurs patrie des nombreux étrangers qui, pour différentes raisons, se trouvaient en France et avaient le désir bien légitime de n'y pas rester, d'autant plus que les banques ne pouvaient plus alors leur verser les f o n d s sur lesquels ils comptaient. E n outre, ces lignes de navigation devenaient plus utiles encore que par le passé, pour apporter les produits commerciaux et industriels de l'Amérique. L a France, qui a un réel besoin des produits du Centre A m é que en temps de p a i x , en a un plus g r a n d encore en cette période de guerre. Il lui f a u t , en effet, s'approvisionner pour l'alimentation de l'armée et de la population civile, tout en important les produits nécessaires à son matériel militaire. C'est ainsi que tous les p a y s desservis par nos lignes françaises, depuis le Mexique jusqu'en G u y a n e , y compris les grandes et les petites Antilles, fournissent du c a f é , du cacao, du caoutchouc, des peaux, des rhums, de l'alcool, du tabac, des minerais pour la métallurgie, etc. O n se rend compte que ces divers produits sont d'une utilité toute particulière en ce moment.
DIFFICULTÉS
POUR
LE
MAINTIEN
DES
SERVICES
L e Gouvernement français et la C o m p a g n i e Générale T r a n s a t l a n tique reconnaissaient le g r a n d intérêt du maintien des services, mais se trouvaient devant de grosses difficultés. T o u t d'abord, la présence des nombreux corsaires dans l'Atlantique constituait une sérieuse menace pour les navires, en raison de la rapidité avec laquelle ces corsaires avaient pris la mçr, la facilité avec laquelle ils pouvaient se ravitailler, grâce à une longue et minutieuse préparation de nos ennemis, et le manque de moyens de défense des nations alliées, surprises par une attaque aussi brusque qu'inattendue. O n signalait au début des hostilités des croiseurs de guerre allemands ou des navires corsaires dans toutes les mers baignant
les
régions du Centre Amérique, dans le g o l f e du Mexique et dans les mers des "Antilles. Des dépêches parvenaient d'une f a ç o n incessante de tous les ports desservis par nos lignes de navigation ; c'était tantôt un croiseur ennemi qui menaçait nos navires s'ils voulaient entrer ou sortir, tantôt des paquebots corsaires qui étaient en ravitaillement sur
r e l a t i o n s ? a v e c l e n o r d de l ' a m é r i q u e l a t i n e
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un des points des côtes américaines; tantôt enfin des mines
flottantes
qui avaient été vues et qui constituaient un danger permanent. Si ces nouvelles étaient peut-être exagérées, il n'en et a n
pas
moins vrai que nos ennemis profitaient de la surprise produite par leur attaque et de notre manque de préparation de défense, pour menacer la circulation sur les mers, au début de la guerre, alors que la police n'avait pas pu être organisée; les navires circulant commercialement étaient certainement en réel danger. D u reste des torpillages trop
nombreux
vinrent
justifier
ces craintes et,
en
apportant^ la
panique, amenèrent les gouvernements alliés non seulement a arrêter provisoirement la circulation de leurs navires, mais aussi a prendre immédiatement des dispositions de défense maritime.
_
A côté de ces dangers, il y avait des difficultés pour le maintien des lignes de navigation. L e Gouvernement français avait dû, dès la déclaration de guerre de l ' A l l e m a g n e , réquisitionner un certain nombre de paquebots destinés soit à assurer des transports, soit à être armés en croiseurs de guerre, d'où diminution importante de la flotte marchande et complication,
par
suite, pour trouver
le nombre nécessaire
de
navires pour assurer les départs réguliers. E n outre, la mobilisation des marins et assimilés tant pour 1 armement des navires de guerre que pour l'augmentation
des effectifs
des armées de terre venait entraver encore la continuation des services maritimes. T o u s ces obstacles accumulés rendaient bien complexe le problème des communications avec les régions d'Amérique Centrale, mais ils n'arrêtèrent ni le Gouvernement français ni la C o m p a g n i e T r a n satlantique. E n effet, le Gouvernement, qui avait décidé au commencement d'août de suspendre tous les services maritimes sur l'Amérique Centrale, reconnut bien vite que cette décision, peut-être justifiée en g r a n d e partie, avait des conséquences trop graves, et presque aussitôt, environ quinze jours après, il se mit d'accord avec l a compagnie concessionnaire pour reprendre les communications par mer. Cette mesure s'imposait. ORGANISATION
DES
DIVERS SERVICES MARCHANDISES ET
POUR VOYAGEURS COURRIERS POSTAUX
D è s les premiers départs, un véritable a f f l u x de voyageurs se produisit et justifia les décisions qui venaient d'être prises. L e s paquebots partirent avec un nombre de voyageurs tel qu'il f a l l u t recourir à des installations de fortune. Des changements de navires sur les différentes lignes vinrent suppléer au manque de matériel, et des marins furent mobilisés par le Ministère pour permettre l'armement et le départ des navires.
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T o u t e f o i s , l'exode des voyageurs f u t de courte durée et bientôt après on put constater sur les navires des vides de plus en plus g r a n d s ; mais les communications étaient rétablies et la question était réglée aux points de vue les plus importants : celui de la diplomatie, celui de la poste et celui du transport des marchandises à destination de la France. Depuis cette époque, bien que les voyageurs soient peu nombreux (et on le comprend facilement, puisque, m a l g r é la police des mers exercée par les A l l i é s , la sécurité ne peut pas être complète), les départs se sont effectués régulièrement sur toutes les lignes desservies avant la guerre, sans aucune exception. L e Mexique, malheureusement troublé par des difficultés d'ordre intérieur, mais conservant encore sa vitalité, grâce à la fertilité remarquable de son sol, puisqu'il y pousse à la fois les produits des climats tempérés et ceux des climats tropicaux, maintient des exportations, sinon comme en temps normal, du moins encore importantes, en raison de l'époque actuelle. L e s paquebots postaux y vont régulièrement tous les mois ; malheureusement, les voyageurs sont rares, et pourtant quel p a y s plus séduisant pourrait les attirer? A u x beautés naturelles, montagnes aux neiges perpétuelles, forêts aux essences d'arbres les plus rares, torrents sauvages, s'ajoutent les beautés accumulées depuis les temps préhistoriques jusqu'à nos jours, toutes les civilisations a y a n t laissé des monuments précieux : pyramides, tombeaux, temples, églises, palais, etc. Il était utile, sans aucun doute, de maintenir les communications directes maritimes de la France avec ce beau pays, dans lequel les intérêts de nos nationaux sont si importants et où nous comptons une population française nombreuse et comme il y en a peu dans les autres régions du monde. A v e c Cuba, nos relations maritimes n'ont pas été diminuées, qu'elles aient été assurées par des paquebots postaux ou des navires à marchandises. Il f a l l a i t conserver sur cette île, appelée la perle des Antilles, nos services maritimes, pour y prendre les produits du sol, si abondants et si précieux pour notre ravitaillement civil et militaire, en particulier les sucres, les rhums et les alcools. D e même pour Puerto Rico, a u x terres si riches, si bien cultivées et encore si fertiles, m a l g r é des siècles d'exploitation. L ' I l e d ' H a ï t i , dont la puissance de végétation est presque unique, puisque les habitants, sans travailler la terre, ont à leur disposition des produits tels que le c a f é , dont les plantations actuellement sans culture remontent à plus d'un siècle, a eu ses ports régulièrement desservis et sans interruption depuis le début de la guerre. Ces communications s'imposaient d'autant plus que la République
relations
a v e c l e n o r d de l ' a m é r i q u e l a t i n e
191
d ' H a ï t i , qui est le seul p a y s d'outre-mer où le français soit la langue nationale, conserve toujours ses sympathies pour notre nation. L e s p a y s du Centre-Amérique: N i c a r a g u a , S a n S a l v a d o r , Costa R i c a , H o n d u r a s , sont tributaires des lignes de n a v i g a t i o n pour leurs communications avec le reste du monde. H importait donc aussi pour ces p a y s de maintenir nos services maritimes. Ces
pays,
si
particulièrement
favorisés
de
la
nature
et
où
l'homme a le moindre effort à faire pour obtenir les résultats les plus inespérés, ont besoin, pour se développer, du concours de la
voie
maritime. Notre devoir était donc de ne pas oublier que, depuis de nombreuses années, nous sommes en contact permanent avec eux et que des liens commerciaux
s'ajoutant à
des
liens d'amitié,
nous
unissent et se resserrent même d'année en année. L a Colombie et le Venezuela se trouvent dans une situation anal o g u e ; notre commerce avec ces régions s'est toujours maintenu régulier, et le concours qu'il pouvait nous donner en ces temps de guerre était trop précieux pour que nous puissions songer à ne pas en profiter. Sur ces régions encore, notre effort maritime s'imposait. Je laisserai de côté toutes les statistiques qui nous entraîneraient un peu trop loin et qui n'auraient du reste qu'un intérêt relatif. Ces statistiques montreraient pourtant que, si le mouvement des voyageurs, important au début, a été en se ralentisant de plus en plus pour des raisons bien naturelles, le mouvement des marchandises a été intense dans le sens de l'importation en France et f a i b l e au début dans l'autre sens, mais est allé en s'accentuant régulièrement, preuve manifeste de la reprise de notre activité industrielle et de la vitalité de notre p a y s . IMPORTANCE ET
DU
POUR
L'AVENIR
DÉVELOPPEMENT
DE DES
LA LIGNES
CONSERVATION DE
NAVIGATION
N o u s avons examiné toutes les raisons qui justifiaient le maintien des communications maritimes avec l'Amérique centrale. Nous avons vu que ces communications ont été assurées dans les meilleures conditions de régularité et de fréquence, puisqu'elles sont restées telles qu'elles étaient avant la guerre, malgré les difficultés de tous genres qu'il a f a l l u surmonter. Il est une considération d'une importance capitale, dont il f a u t dire encore quelques mots. Si la France a un intérêt incontestable en ce moment à conserver ses lignes de navigation, elle a aussi le devoir, malgré les difficultés de l'heure présente, de penser à l'avenir, c'està-dire au moment où, après la victoire, il f a u d r a organiser l'expansion commerciale et économique de notre pays. E l l e n'y arrivera qu'en
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la
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latine
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développant sa marine marchande. A ce point de vue encore, nos lignes sont d'une utilité incontestable, car c'est sur une organisation d é j à existante, telle que celle que nous avons pu maintenir, que s'appuieront les efforts d'avenir devenus nécessaires, permettant à notre commerce et à notre industrie de trouver les débouchés auxquels ils auront droit, après l'effort surhumain accompli par la nation française. L'ouverture du C a n a l de P a n a m a , qui a coïncidé presque avec la déclaration de guerre, a constitué un véritable triomphe de l'effort humain et de la civilisation, au moment où une guerre barbare et rétrog r a d e semblait nous ramener bien loin en arrière. Cet événement capital n'a pas pu produire tous ses effets, car la guerre a sa répercussion dans toutes les parties du monde. L e C a n a l de P a n a m a doit produire un véritable rayonnement autour de lui, en donnant une vie nouvelle à ces riches régions, en y amenant des capitaux qui y sont encore trop rares, une émigration suppléant la main-d'œuvre actuellement insuffisante, et, avec les lignes de navigation se développant et créant par suite le trafic, toute cette belle Amérique L a t i n e , sous l'impulsion d'un effort constant et raisonné, prendra un essor nouveau. Ce sont les lignes de navigation et, parmi celles-ci, celles portant notre pavillon qui apporteront, avec le commerce et les voyageurs, des idées nouvelles. Aussi, ces beaux p a y s de l'Amérique Centrale encore en pleine jeunesse doivent-ils, par suite, se développer, grandir, se fortifier comme des adolescents vigoureux qui n'ont été usés ni par un effort trop g r a n d , ni par le poids des années. Si notre vieille E u r o p e , et en particulier notre France, se trouve passagèrement anémiée par la dure saignée de la guerre actuelle, elle reprendra bientôt après la victoire toute sa vigueur, car son énergie n'aura j a m a i s été en d é f a i l l a n c e , et elle sera prête alors, au moment opportun, à apporter à la jeune Amérique L a t i n e le concours de son expérience acquise par des siècles de luttes, de travail et de sacrifices. Cette Amérique, dont les sympathies pour nous n'ont jamais f a i b l i , lui tendra cordialement ses deux mains et, unissant nos efforts, nous nous prêterons un appui mutuel pour le développement de nos commerces réciproques. Il f a u t donc que notre p a v i l l o n continue à se montrer fièrement dans tous les ports de l'Amérique Latine, prouvant ainsi que notre p a y s reste puissant et calme sous l'orage, qu'il veut affirmer sa vitalité malgré les épreuves de l'heure présente et que, sans être arrêté par les obstacles qui se dressent devant lui, il suit sa marche en avant pour le triomphe du progrès et de la civilisation. DAL
PIAZ.
I
Les relations avec le Centre et le Sud de l'Amérique Latine par les " Chargeurs Réunis " et la " Sud-Atlantique " I
SERVICES
VERS
LA
PLAT A
DES
a Société anonyme Chargeurs
L
« CHARGEURS
Réunis,
RÉUNIS
»
fondée il y a bientôt qua-
rante-cinq ans, avait pour objet l'exploitation de « tous services
maritimes de transport sur tous les points du globe », notamment du Havre
à VAmérique
du Sud.
L ' o b j e c t i f des fondateurs a été nette-
ment indiqué au cours de l'Assemblée générale constitutive, tenue le i l février 1872. Il y f u t déclaré: <( L a création de notre Société répond au désir, depuis longtemps manifesté par les exportateurs français, de voir se fonder une entreprise nationale les dispensant de confier à des navires étrangers le soin de leurs expéditions de marchandises, à destination du Brésil et de la P l a t a , expéditions auxquelles les paquebots postaux mis en ligne au départ de B o r d e a u x , en application
de
la
loi du 17 juin
1857 et des conventions du 22 avril 1861 et de 1872, ne peuvent faire face. » L a politique des Chargeurs Réunis pendant quarante-cinq années n'a pas varié. E l l e peut se résumer' comme suit : mettre à la disposition des exportateurs et des importateurs, opérant par les ports de la Manche et de l'Océan A t l a n t i q u e , un tonnage suffisant pour leur permettre d'effectuer leurs transports sous pavillon f r a n ç a i s ; après avoir doté le p a y s d'un outillage et d'une organisation en rapport avec les besoins des échanges, éliminer systématiquement les armements étrangers. Nous ne referons pas l'historique de ces années de travail soutenu et de luttes. N o u s indiquerons seulement quelle était la situation des services de la Compagnie en 1914, avant la déclaration de guerre, ce qui a été f a i t depuis cette époque et les grandes lignes des programmes tracés pour l'avenir. E n ce qui concerne la concurrence étrangère, les Chargeurs Réunis étaient parvenus à éliminer des armements qui avaient poursuivi, avec des succès divers, mais avec une g r a n d e ténacité, le draiT
94
LA
première;
semaine de 1 / A m é r i q u e l a t i n e
a
lyon
nage de notre fret national. C'est ainsi que les exportateurs ont pu assister au départ de Y Alian and State Line qui opéra au H a v r e pendant trente-cinq années, ainsi que de la Zuid America Lijn et du Lloyd Royal Hollandais, qui avaient maintenu des services réguliers au départ de Dunkerque pendant six années. L a Hamburg America Linie. qui, sous le f a l l a c i e u x prétexte d'aider les Chargeurs Réunis dans leur lutte contre la Compagnie H o l l a n d a i s e , tenta d'établir dans le nord de la France sa filiale, VArgo Linie, f u t , elle aussi, obligée d'abandonner la partie. Il en avait été de même des armements belges fondés par les firmes Alanceau, D e p p e , Strecker, Dens, et des tentatives de certains agents maritimes alliés aux firmes R o t h frères, H o u l d e r frères et M o x o n Sait. Mais nous tenons à bien souligner que ces éliminations n'ont été effectuées qu'après que la Compagnie eut procédé à un renforcement tel de ses services que les exportateurs n'eurent pas à souffrir de la disparition du pavillon étranger. A u commencement de l'année 1913, les Chargeurs Réunis exploitaient, sans aucune subvention de l'Etat, des services extrêmement importants dans la direction de la P l a t a . Ces services étaient divisés en quatre groupes, savoir : Service
n°
1 (accéléré),
effectué à
12 nœuds
1/2 de
vitesse
moyenne, par des vapeurs à 2 hélices, de 10.000 tonnes de portée en lourd. U n départ tous les 28 jours. Itinéraire : A-ller : Dunkerque, L e Havre, B o r d e a u x - P a u i l l a c , V i g o , Ténériffe, Montevideo, Buenos-Ayres. Retour : Montevideo, Madère, V i g o , L e Havre, Dunkerque. Service n° 2 (Parana), effectué à 11 nœuds 1/2 de vitesse moyenne, par des vapeurs à 2 hélices de 8.000 tonnes de portée en lourd. U n départ tous les 28 jours. Itinéraire : A l l e r : Boulogne-sur-Mer, L e H a v r e , V i g o , Ténériffe, Montevideo, Buenos-Ayres, Rosario-de-Santa-Fé. Retour : Buenos-Ayres, Montevideo, Ténériffe, V i g o , Le Havre, Boulogne, Dunkerque. Service n° 3 (frigorifique), effectué à 11 nœuds de vitesse moyenne par des vapeurs à simple hélice de 7.500 tonnes de portée en lourd. U n départ tous les 28 jours. Itinéraire : A l l e r : Dunkerque, L e H a v r e , L a Pallice, B o r d e a u x - V i l l e , V i g o , T é n é r i f f e , Montevideo, Buenos-Ayres. Retour : Montevideo, Ténériffe, Londres, H u l l (ou Newcastle), Dunkerque. Service n° 4, effectué à 10 nœuds 1/2 de vitesse moyenne par des vapeurs à simple hélice de 6.500 et 7.000 tonnes de portée en lourd. U n départ tous les 28 jours. Itinéraire :
les
relations
A l l e r : Dunkerque,
avec l e
Le
centre
Havre,
et
Vigo,
le
195
sud
Montevideo,
Buenos-
Ayres. Retour : Montevideo, Ténériffe, L e H a v r e , Dunkerque. L e s quatre services étaient combinés de manière à assurer à la clientèle un départ du Havre, pour la P l a t a (Montevideo et BuenosA y r e s ) chaque semaine. Il avait été f a i t choix du mercredi, afin de faciliter le travail des maisons d'exportation; celles-ci, opérant également avec l'Amérique du N o r d , chargeaient, en effet, sur l'excellent service de la Compagnie Générale Transatlantique, qui comportait chaque semaine, le samedi, un ou deux départs. L'alternance et la régularité dans les opérations de chargement se trouvaient ainsi fort heureusement assurées. Ce service de semaine sur l'Amérique L a t i n e , exploité au départ du H a v r e , aux côtés du service de semaine sur l'Amérique du N o r d , donna pleine satisfaction à la clientèle et eut le plus g r a n d succès. L e s autres ports français n'étaient pas moins bien desservis. C'est ainsi que la C o m p a g n i e offrait à la clientèle : par le port de Dunkerque —
Boulogne-sur-Mer
—
Rochelle-Pallice
—
Bordeaux
39 départs par an. 3 13 26
—
D a n s la Péninsule Ibérique, V i g o était desservi 52 fois par an, ce qui permettait au pavillon français de prendre une part importante dans les transports de passagers émigrants espagnols. L e port de P a s a j e s était desservi pendant la saison d'exportation des vins. Il était touché éventuellement aux ports de B i l b a o et de L a Corogne. D e s ententes passées avec des entreprises de cabotage en France permettaient aussi de drainer vers L e H a v r e des frets chargés dans les ports de Saint-Malo et de Saint-Brieuc (principalement pendant la saison d'exportation des pommes de terre). Il était également pris des marchandises en provenance de l'Angleterre, de la Belgique et de la H o l l a n d e , apportées par des navires de petit tonnage et transbordées au Havre. Enfin, grâce à une série d'accords passés avec des armements côtiers, il était possible à la C o m p a g n i e d'accepter au départ de France des marchandises destinées à un grand nombre de ports de la République Argentine, du P a r a g u a y , de l ' U r u g u a y , tels que : Asunción, Bahia-Bianca, B e j a d a Grande, Boca et ports du Riachuelo jusqu'à Barracas, C a m p a n a , Colastine, Concordia, Corrientes, Frey
2i6l a p r e m i è r e
semaine de L / a m é r i q u e l a t i n e
a
lyon
Bentos, L a P l a t a , Parana, P a y s a n d u , Salto, Santa E l e n a , S a n t a - F é , San Nicolas, Sauce, V i l l a Concepción (Argentine), V i l l a Concepción ( P a r a g u a y ) , V i l l a Constitución, V i l l a Encarnación, Y b i c u y , Z a r a t e ; et les points suivants de la P a t a g o n i e et de la Terre de F e u : San B l a s , San Antonio, San Jose, A r r o y o - V e r d e , Bahia-Cracker, Pirámides, R a w s o n , Cabo-Raso, Camarones, Puerto-Visser (Figueroa A l c o r t a ) , C o m o d o r o - R i v a d a v i a , B a h i a - S o l a n o , C a l e t a - O l i v i a , Mazaredo, Cabo-Blanco, Puerto-Deseado, Sea-Bear B a y , B a h i a - L a u r a , San Julián. Santa-Cruz, R i o - G a l l e g o s , P u n t a - L o y o l a , L a p a t a i a , U s h u a i a , A l m a n z a , Brown, Harberton, Puerto M a d r y n . Aussitôt la déclaration de guerre, les Chargeurs Réunis se mirent à la disposition de l ' E t a t pour aider à la défense nationale. D e s réquisitions importantes ayant réduit la flotte libre à un chiffre insuffisant pour permettre le maintien d'un départ chaque semaine sur la P i a t a , il f u t décidé que, m a l g r é toutes les difficultés, le service ne serait pas arrêté. A p r è s une suspension de quelques semaines, due à la nécessité d'attendre la constitution d'un organisme d'assurance contre les risques non couverts par les polices ordinaires, les mises en ligne furent effectuées et une organisation de guerre, présentant la plus g r a n d e régularité possible, f u t adoptée. C'est à ce moment (septembre 1914) que la C o m p a g n i e appela l'attention du Ministre de la Guerre sur l'intérêt que pouvait présenter pour la défense nationale l'importation des viandes frigorifiées de la P l a t a . L e s Chargeurs Réunis démontrèrent qu'il f a l l a i t écarter toute idée d'immobiliser leurs cinq vapeurs frigorifiques dans cinq ports français pour servir de dépôts flottants, et de faire effectuer les transports de viandes par les navires anglais. A la fin de septembre 1914, un service frigorifique P i a t a - B o r d e a u x était organisé. D a n s le courant de 1915, les Chargeiirs Réunis décidaient d'aménager à leurs f r a i s et leurs risques leurs trois g r a n d s porteurs : Malte, Ceylan, Ouessant, pour le transport des viandes congelées. L e s Chargeurs Réunis avaient commencé dès l'année 1884 à transporter des viandes congelées en France, appliquant les procédés de Charles Tellier. Ils avaient vu, en 1900, la France se fermer définitivement à l'importation de ces v i a n d e s ; mais, n'ayant pas perdu confiance dans la réouverture du marché, ils avaient maintenu une organisation spéciale et avaient dirigé leurs navires sur l'Angleterre en attendant que le p a y s r e c o n n û t la nécessité de faire de nouveau appel aux produits argentins. Grâce à l'effort considérable f a i t en 1915 par les Chargeurs Réunis et aux transformations importantes qu'ils effectuèrent, alors que l'immobilisation de g r a n d s navires était si difficile et si coûteuse et que le prix des machineries et des travaux avait presque décuplé,
les
relations
avec
le
centre
et
le
197
sud
ils possèdent actuellement une flotte de huit vapeurs frigorifiques, à savoir : portant 3.000 tonnes de viande — 3.000 —
Malte Ceylan Ouessant A.-Jauréguiberry A.-Rigault-de-Genouilly A. -Sallandrouze-de-L
.... amornaix
— — .—
3.000 I.IOO 1.200
—
1.200
Amiral-T70u.de
—
1.200
A miral-Zède
—
1.200
— — —
—
D e son côté, la Compagnie des Transports Maritimes n'a pas n é g l i g é cette question, et elle a aménagé deux navires : Italie et Espagne, appelés à porter chacun 1.900 tonnes de viande, de sorte que l'ensemble des d e u x Compagnies assure à la France le transport annuel de 84.000 tonnes de viande frigorifiée. A ce chiffre s'ajouteront bientôt les disponibilités de quatre g r a n d s vapeurs mixtes à deux hélices, nommés Aurigny, Belle-Isle, Désirade, Eubée, actuellement en achèvement, que la C o m p a g n i e des Chargeurs Réunis a décidé d'aménager pour le transport de 3.000 tonnes de viande, et qui pourront apporter annuellement à B o r d e a u x ou au H a v r e un complément de 58.000 tonnes. D e cette f a ç o n , l a France pourra recevoir chaque année 142.000 tonnes de viande f r i g o rifiée provenant de la P i a t a . Depuis le début de l'année courante, les services des Chargeurs Réunis sur la République Argentine, au départ des ports de la Manche et de l'Océan A t l a n t i q u e , ont été réorganisés. Il est effectué une mise en ligne tous les quatorze jours du H a v r e . L e s navires f o n t escale à B o r d e a u x et leurs départs alternent avec ceux des vapeurs de la Compagnie Sud-Atlantique, assurant ainsi une p a r f a i t e régularité. Il est difficile de parler des programmes d'avenir, puisqu'il est impossible de déterminer, actuellement, si l'armement français pourra ou non, faire construire les outils qui lui seront nécessaires. Néanmoins, nous pouvons dire que nous avons l'intention de renforcer nos services sur la P i a t a , en améliorant encore le programme adopté en 1914 et dont le développement normal a été arrêté par la guerre. N o u s en rappelons les grandes lignes : i ° : maintien d'un service très fréquent au départ de Dunkerque (de 26 à 39 départs annuels) ; 2 0 : maintien d'un service de semaine au départ du Havre, aussi rapide et aussi direct que possible; 3 0 : maintien, en combinaison avec la Compagnie de navigation Sud-Atlantique, d'un service de semaine au départ de B o r d e a u x ;
2I
6
LA PREMIÈRE SEMAINE DE L/AMÉRIQUE LATINE A LYON
4°: fréquentation régulière des escales de Boulogne-sur-Mer et de la Rochelle-Palice ; 5°: fréquentation régulière des escales espagnoles de L a Corogne et de V i g o . Enfin, nous envisageons très sérieusement le report de la tête de ligne des services dans la mer du N o r d , à A n v e r s ou à Rotterdam. Pour rappeler une opinion récemment exprimée au Parlement, qu'un p a y s « a la marine de son exportation », nous ajouterons qu'il a aussi « la marine de ses exportateurs » et, nous souhaitons recevoir tout l'appui des exportateurs français pour continuer la tâche que nos fondateurs de 1872 avaient si nettement tracée.
II
SERVICES
VERS
LE
BRÉSIL
DES
« CHARGEURS
RÉUNIS
»
Depuis leur fondation, en 1872, les Chargeurs Réunis se sont appliqués à offrir au commerce des moyens de transport suffisants pour permettre aux exportateurs et importateurs travaillant avec le Brésil de se servir du p a v i l l o n français. C'est grâce à la collaboration des Chargeurs Réunis que le H a v r e est demeuré le g r a n d port d'importation des c a f é s du Brésil. L e s services exploités dans la direction du Brésil ont eu, pendant de très longues années, L e H a v r e comme base unique d'opérations; puis, dans le but de mettre fin a u x 1 détournements de fret françaispar la. voie d'Anvers et de faciliter aux usines du N o r d et de l'Est l'exportation de leurs produits, la tête de ligne a été reportée à Dunkerque, L e H a v r e étant conservé comme port d'escale. D'autre part, les Chargeurs Réunis n'ont jamais cessé de s'intéresser aux exportations du P o r t u g a l vers le Brésil. Q u a n d ils entrèrent dans ce trafic, les lignes anglaises et allemandes, qui étaient étroitement syndiquées, firent un très gros effort pour décourager les tentatives françaises. M a l g r é une guerre de t a r i f s acharnée qui dura trois années (1900-1903), les Chargeurs Réunis maintinrent leurs touchées régulières à Porto et à Lisbonne. L e syndicat anglo-allemand, lassé de cette résistance, proposa la p a i x en 1904, et une entente équitable s'établit, comportant l'octroi à la ligne française d'une situation honorable. Grâce à l'effort constant d'agents actifs, grâce à la réorganisation du matériel, la situation des Chargeurs Réunis au P o r t u g a l n'a pas cessé de se consolider et de s'améliorer. C'est ainsi qu'à Porto, en 1914, à la veille de la guerre, ils étaient parveftus à ramener une
L E S RELATIONS AVEC LE CENTRE ET LE SUD
199
part importante des expédiions de marchandises à destination du Centre Brésil : 80 0/0. A Lisbonne, la part prise par les Chargeurs Réunis dans l'exportation avait été de 18 0/0. Q u a n d la guerre éclata, ils expédiaient un g r a n d vapeur de charge tous les 14 jours sur l'itinéraire suivant : Voyage d'aller : Dunkerque, L e H a v r e , V i g o , Porto, Lisbonne, R i o de Janeiro, Santos. Voyage de retour : R i o de Janeiro, B a h i a , T é n é r i f f e , H a v r e , Dunkerque. L e s escales de B a h i a et de Pernambuco étaient fréquentées aux v o y a g e s d'aller quand le tonnage offert justifiait les touchées. Enfin, grâce à des accords passés avec des sociétés de cabotage opérant sur la côte brésilienne, il était accepté du fret, au départ d'Europe, pour les points suivants : Pernambuco, Maceio, A r a c a j u , Victoria, Antonina, P a r a n a g u a , Sao-Francisco, I t a j a h y , Florianopolis, R i o - G r a n d e - d o - S u l , Pelotas, Porto-Alegre. Actuellement, la Compagnie assure, m a l g r é les très grandes d i f f i cultés que présente l'exécution d'un service régulier, un départ du H a v r e tous les 14 jours. L e s unités mises en ligne sont les g r a n d s vapeurs de 8.500 tonnes de portée : Ango, Bougainville, Champlain, Bupleix, qui ont été livrés en fin 1913 et commencement 1914, et le vapeur Amiral Villaret de Joyeuse, de 7.600 tonnes de portée, qui a été mis en service en fin 1912. Ces unités de première cote permettent aux exportateurs de maintenir un courant d'affaires et aux importateurs de recevoir dans les meilleures conditions les cafés, cacaos, haricots, cuirs, tabacs, bois, etc., du centre du Brésil. Il est difficile, actuellement, de tracer des plans d'avenir. Néanmoins, les Chargeurs Réunis ont établi un programme dont les grandes lignes sont les suivantes : i ° : consolidation de la ligne centre Brésil, en augmentant les départs de France et de la Péninsule Ibérique et en les portant progressivement à trois par mois ; 2°: reprise des touchées à Dunkerque du service Centre-Brésil et • transfert de la tête de ligne à Anvers ou même à Rotterdam, suivant ce que sera la situation économique de la Belgique et de la H o l l a n d e après la conclusion des traités de p a i x ; 3 0 : fréquentation régulière des ports de Pernambuco et de B a h i a par les navires de g r a n d e ligne du service Centre-Brésil ; 4 0 . création d'une nouvelle ligne autonome nord Brésil, o f f r a n t au commerce au moins un départ tous les quatre semaines : cette ligne aurait Anvers comme premier port de départ, ou bien Dunkerque, toucherait ensuite au Havre, à V i g o , Porto, Lisbonne, Madère, Ceara, Saint L u i s de Maranhao, P a r a , avec touchées au retour aux
2
i
LA PREMIÈRE SEMAINE DE L/AMÉRIQUE LATINE A LYON
6
mêmes escales, puis à P a r a h y b a , Madère, Lisbone, Leixoes, Havre et Dunkerque. Seules les réquisitions militaires actuelles empêchent les Chargeurs Réunis d'inaugurer immédiatement cette l i g n e ; 5° ; réorganisation des services de transbordements sur Paranag u a , Sao-Francisco, Florianopolis, R i o - G r a n d e , Pelotas, PortoA l e g r e , jusqu'à ce qu'il soit possible d'établir une deuxième ligne nouvelle partant d ' E u r o p e et se dirigeant sur le sud Brésil avec touchées à Florianopolis, R i o - G r a n d e . Cette ligne pourrait être organisée de manière à unir le sud Brésil avec la République Orientale de l ' U r u g u a y . 6" : E t u d e très sérieuse des transports de viandes frigorifiées brésiliennes à prendre à R i o de Janeiro, Santos et R i o - G r a n d e . A noter qu'aucun des services de navigation de la C o m p a g n i e des Chargeurs Réunis exploités dans la direction du Brésil ne reçoit de subvention d u Gouvernement français. L e s navires mis en ligne ne transportent actuellement que des marchandises et des passagers immigrants. T o u t e f o i s , dès l'entrée en service des navires actuellement en achèvement, et qui comportent des installations pour passagers de classe, il est projeté de les faire escaler à un ou deux ports du Brésil pour y déposer ou y prendre des passagers.
II
SERVICES
VERS
LA
PLAT
A
ET
LE
DE
BRÉSIL LA
« SUD-ATLANTIQUE
D è s le commencement des hostilités, la Compagnie tion
Sud-Atlantique
l'Etat,
a vu
tous
ses
paquebots
ce qui l'a mise dans l'impossibilité
de
».
Naviga-
réquisitionnés
par
d'exécuter les services
rapides de transports de passagers entre la France et les ports
de
l'Amérique Latine. L e s paquebots extra-rapides Lutetïa, Burdigala
Gallia,
le paquebot rapide
et le paquebot de réserve La Gascogne
ont été réquisi-
tionnés pour être employés comme croiseurs auxiliaires. L e s paquebots Divona Massilia,
et La Bretagne
ont été transformés en navires hôpitaux. L e
qui était en construction aux F o r g e s et Chantiers de
la
Méditerranée, à L a Seyne, n'a pu être achevé par suite du manque de matériaux et de main-d'œuvre. Privée de la plus grande partie de ses moyens, la C o m p a g n i e a pu néanmoins Samara,
organiser
Sequana,
avec
Garonna,
ses
quatre
navires
mixtes :
Niger,
et d e u x navires affrétés, un service qui
L E S RELATIONS AVEC L E CENTRE ET L E SUD
201
offre à la clientèle un départ de B o r d e a u x toutes les deux semaines, le samedi, venant alterner avec les navires mixtes et les vapeurs de charge de ses gérants, les Chargeurs Réunis. L'itinéraire actuellement suivi comporte des touchées à : V i g o , Porta, Leixoes, Lisbonne, D a k a r , Pernambuco ou B a h i a (alternativement), R i o de Janeiro, Santos, Montevideo, Buenos-Ayres. L e retour a lieu par les mêmes escales. L a vitesse moyenne est de i l nœuds à 12 nœuds 1/2, suivant les unités. Cette organisation, quoique modeste, rend actuellement les plus g r a n d s services. L e commerce d'exportation et d'importation qui opère par le port de Bordeaux a exprimé à la C o m p a g n i e sa satisfaction pour l'effort important qu'elle a réalisé dans des circonstances particulièrement difficiles. Mais la Compagnie de Navigation Sud-Atlantique se rend compte que les besoins de transport après la guerre seront considérables et qu'il est indispensable de prévoir, dès maintenant, une organisation qui permette de répondre au trafic des passagers et des marchandises. D e s plans ont été tracés en mettant à profit les leçons de l'expérience et en prévoyant d'une façon très large le développement des échanges par le g r a n d port de B o r d e a u x . Nous ne sommes pas à même d'apporter ici des précisions sur le programme qui a été adopté. Qu'il nous suffise d'indiquer quelquesuns des principes sur lesquels il est basé. i ° O f f r i r annuellement aux passagers et a u x exportateurs un nombre de départs par paquebots rapides, par vapeurs mixtes et par vapeurs de charge, aussi considérable que possible, en tenant compte des saisons commerciales. 2 0 Garantir à la clientèle une p a r f a i t e régularité. 3° Maintenir pour les lignes à passagers une vitesse suffisante, sans tomber dans les très grandes vitesses, qui obligent l'armateur à pratiquer des prix prohibitifs ou à solliciter de l ' E t a t des subventions considérables. 4° Chercher à diminuer dans la plus large mesure l'assistance demandée à l ' E t a t ; mais, par contre, lutter contre l'imposition, par l'Administration, d'exigences anormales, de la nature de celles qui figurent dans la plupart des cahiers des charges français rédigés avant la guerre. 5° A d o p t e r comme règle, pour le personnel de tous grades, le maintien^ à bord de tous les navires d'une discipline de fer et exiger une extrême propreté. Il f a u t , à notre avis, pouvoir allier à la discipline d'un navire de guerre la propreté méticuleuse d'un bateau de plaisance.
202
LA PREMIÈRE SEMAINE DE L'AMÉRIQUE LATINE A LYON
6° A d o p t e r , pour l'organisation et l'exploitation des hôtels des navires,
la
collaboration
de
spécialistes
rompus
au
service
des
g r a n d s hôtels de terre, à l'instar de ce qui a été f a i t récemment sur les lignes italiennes. 7° Organiser dans tous les ports les embarquements et
débar-
quements de passagers suivant les meilleures méthodes adoptées à l'étranger. Nous avons en vue, notamment à B o r d e a u x , la création de véritables
gares
maritimes,
telles qu'elles
sont
organisées
à
Bre-
merhaven, à L i v e r p o o l et à N e w - Y o r k . N o u s avons étudié avec la Chambre de Commerce de B o r d e a u x toute une organisation, qui peut être réalisée rapidement, si les Ponts et Chaussées n'y font pas obstacle. N o u s sommes convaincus qu'avec une volonté bien arrêtée nous serons à même de reprendre la première place dans les transports de passagers de classe vers l'Amérique Latine.
DENIS
PÉROUSE.
,1
Les relations avec le Sud de l'Amérique Latine par la Sté Gle de Transports maritimes à vapeur DÉBUTS
DE
LA
SOCIÉTÉ
a Société Générale de Transports Maritimes à vapeur célébrera l'année prochaine le cinquantenaire du premier départ de ses navires vers l'Amérique du Sud. C'est, en effet, le 14 septembre 1867 qu'elle expédiait le vapeur Bourgogne, inaugurant le premier service direct allant sans transbordement-jusqu'à Buenos-Ayres. L e s autres lignes de navigation existant à cette époque arrêtaient leurs navires à Montevideo, et c'est par transbordement sur des vapeurs annexes que passagers et marchandises traversaient l'estuaire du R i o de la P l a t a pour g a g n e r la rade de la capitale de la République A r g e n tine. L e s nouveaux services de la Société Générale des Transports Maritimes créaient l'union des p a y s latins d'Europe et d'Amérique ; ils possédaient au plus haut degré ce caractère, qu'ils ont toujours conservé depuis lors, puisque le même navire reliait les trois plus grandes nations latines : l'Italie, la France et l ' E s p a g n e , à trois autres nations du continent américain : le Brésil, l ' U r u g u a y et la République Argentine. L a tête de ligne était en effet Gênes, où des vapeurs côtiers amenaient les passagers de l'Italie méridionale; les navires touchaient ensuite à Marseille, puis à Barcelone et, parfois, à une autre escale d ' E s p a g n e . D e là, ils faisaient route sur D a k a r , R i o de Janeiro, Santos, Montevideo et Buenos-Ayres. L e s vapeurs étaient disposés pour le transport des émigrants et des marchandises et emportaient également des passagers de cabines. L e service ne comprenait qu'un seul départ mensuel. SUCCÈS
ET
ACCROISSEMENT
L e succès du service français méditerranéen f u t si complet qu'au bout de peu d'années la Société reconnut la nécessité de renforcer le matériel utilisé à l'origine. U n navire f u t commandé en 1870 aux F o r g e s et Chantiers de la Méditerranée : il constituait pour son temps un t y p e absolument exceptionnel. La France avait en effet 125 mètres de longueur, dimension bien modeste aujourd'hui, mais tout à f a i t remarquable à une époque où les plus g r a n d s paquebots transatlantiques étaient le Scotià de la Compagnie Cunard, qui mesurait 115 mètres, et YOcéanic de la W h i t e Star, de 128 mètres. Malheureusement, la guerre de 1870 vint arrêter l'essor de la navigation fran-
2
i
6
L A
PREMIÈRE SEMAINE DE L/AMÉRIQUE LATINE A LYON
çaise, et le développement
de la Société Générale
des
Transports
Maritimes se trouva ralenti. S i l'on franchit une période de quarante années, on la retrouve en 1910 singulièrement transformée. T r o i s services mensuels ont remplacé l'unique service du début ; ils sont effectués par des paquebots à d e u x hélices dont le dernier type, Valdivia,
porte 60 passagers de
i™ classe, 75 de 20 classe, 150 de 3e classe et 1.500 passagers d'entrepont, à la vitesse de 15 nœuds. A ces trois départs s'ajoute un départ mensuel, plus particulièrement
destiné au transport des
émigrants,
pour le Brésil. U n cinquième départ mensuel est assuré par des cargoboats
exclusivement
réservés
aux
matériaux
et
aux
marchandises
pauvres. L'accroissement de sa flotte et la fidélité de sa clientèle ont permis à la Société Générale
de Transports
Maritimes
de se classer,
dans les statistiques de l'immigration argentine, au premier r a n g des Compagnies de n a v i g a t i o n européennes au point de vue du nombre annuel des passagers d'entrepont débarqués dans la République (voir les statistiques des années 1910-1911). SITUATION
ACTUELLE
L a guerre actuelle a, naturellement, apporté une p r o f o n d e perturbation dans les services de la Société Générale de Transports Maritimes. E l l e n'a pu maintenir, du f a i t des réquisitions, qu'un seul service à passagers, deux services sur le Brésil et des départs irréguliers de cargo-boats. P a r contre, elle a créé une nouvelle branche d'activité adaptée aux besoins de la défense nationale, en transformant d e u x de ses navires en frigorifiques. Ces navires transportent chacun 1.700 tonnes de viande congelée et assurent un départ mensuel. SITUATION
FUTURE
L a Société Générale de Transports Maritimes avait réussi à acquérir, depuis 1914, douze nouveaux vapeurs. Malheureusement, la guerre sous-marine lui a enlevé 8 unités, et le gain net de tonnage est réduit, à l'heure actuelle, à 8.800 tonneaux de j a u g e . L a Société Générale de Transports Maritimes n'en compte pas moins développer, après la victoire, les services sur l'Amérique du S u d , en particulier en spécialisant d e u x lignes mensuelles pour le Brésil, et en portant à 7 le nombre de ses départs mensuels pour les ports sud-américains, nonobstant les créations de lignes réalisées pend a n t la guerre vers les Antilles françaises et le G o l f e du Mexique et qu'elle entend, bien entendu, maintenir et consolider. HUBERT
/
GIRAUD.
Les Méthodes bancaires en Amérique du Sud
NÉCESSITÉ
DE
L'EXISTENCE DE BANQUES
FRANÇAISES
A
L'ÉTRANGER
p . epuis longtemps d é j à , tous ceux que préoccupe le développement L )
de nos relations économiques à l'extérieur ont appelé l'attention
sur la nécessité d'avoir à l'étranger des banques françaises susceptibles de faciliter au commerce les crédits nécessaires. L a s de n'être pas écoutés, la plupart s'étaient résignés; seuls quelques apôtres plus persévérants se refusaient à désespérer, mais leur voix n'ayant sans doute pas les accents qui persuadent, les disciples n'accouraient pas. La
question n'est donc pas nouvelle, mais elle est
redevenue
d'actualité. A v e c la marine marchande, elle occupe le premier rang des réformes demandées par l'opinion publique. De
l'effroyable
catastrophe que
l'orgueil
fou
d'une caste
a
d é c h a î n é e sur le vieux continent, résultera après la guerre l'ouverture à l'univers entier d'un champ d'action économique immense, presque illimité. Chaque p a y s se préoccupe dès maintenant des débouchés futurs, et parmi eux, le Brésil, dont nous connaissons tous la
prodigieuse
richesse, a voulu prendre sa place. Il a rappelé qu'il avait une infinité de produits dont la France a besoin, et dont elle aura plus besoin encore; il a rappelé qu'il était lui-même importateur d'une infinité d'articles qu'à substituer des marchandises
et qu'il ne. demandait
françaises aux marchandises alle-
m a n d e s ; enfin, il a rappelé que les Français avaient chez lui des amitiés trop fréquemment méconnues et dont on ne sait pas tirer
le
meilleur parti. Cette invitation à un rapprochement plus étroit des deux p a y s n'a rien qui doive surprendre, car il f a u t bien admettre que, de même que l'atavisme héréditaire.est une vérité indéniable, de même l'affinité des races ne se peut discuter. E l l e engendre une communauté de pensées et de sentiments qui attire et rapproche, et des L a t i n s , quoi qu'on fasse, iront toujours vers les Latins. Si cependant il restait quelques doutes à ce sujet, il suffirait pour les dissiper de constater l'exemple de l'Italie qui, alliée aux empires allemands, est venue, mue par une force irrésistible, se ranger aux côtés de sa sœur latine.
2 i 6
LA PREMIÈRE SEMAINE DE L/AMÉRIQUE LATINE A LYON
A ce signal du Brésil, ont répondu tous les Français qui ont pu apprécier les ressources de ce p a y s privilégié, ses sympathies pour la France, et aussi la place prépondérante qu'il y avait à prendre. D a n s la presse des deux p a y s , des hommes éminents, avec l'autorité de leur nom, ont prodigué les encouragements à ce programme et ont signalé ce qu'il, y avait à faire. Sans cesse, avec une persévérance admirable, ils ont insisté sur ce f a i t que tout effort sera improductif s'il n'est étayé par la création au Brésil
d'une ou
plusieurs banques
françaises,
ayant
spécialement
pour but de faciliter les relations entre les deux pays, et ils ont écrit à ce sujet de quoi convaincre les plus incrédules. Pourtant, ces appels multiples, lancés par des voix autorisées, sont restés sans écho. Il ne semble pas qu'on ait rien f a i t en ce sens, et ce qui est pire, il ne semble pas qu'on veuille rien faire. (c Patientia », a-t-on l'habitude de dire au Brésil. Ici aussi, il f a u dra persévérer jusqu'à la réussite, avec l'aide de l'influence de la Presse, arme puissante et nécessaire.
LES
BANQUES
ÉTRANGÈRES
AU
BRÉSIL
Comme trop souvent, pour ne pas en perdre l'habitude, Içs Français se sont laissés distancer par leurs concurrents. E n effet, les statistiques laissent constater l'existence des banques suivantes, à l'exclusion des banques nationales, bien entendu : T r o i s banques anglaises : I O London
and Brazilian
2° London
and River Plate
3° The British
Bank
Bank; Bank;
of South
America.
T r o i s banques allemandes : Io Brasilianische 2° Banco Bank) ;
Bank
Allemao
3° Banco Germánico nische B a n k ) .
fiir
Deutschland;
Transatlantico cla America
(Deutsche
do Sirt (Deutsche Sudamerika-
U n e banque portugaise : L a Banque
Ultramarino.
U n e banque espagnole : L a Banque
Español
du Rio de la
Ueberseeische
Plata.
I,ES MÉTHODES BANCAIRES EN AMÉRIQUE DU SUD
207
L ' I t a l i e sans avoir de banque absolument autonome, est largement représentée, étant donnée la place prépondérante qu'elle occupe dans la Banque
Française
dans la Banque
Italo-Belge,
et Italienne -pour VAmérique
du
Sud,
et
qui sont surtout des banques italiennes.
L ' A m é r i q u e du N o r d , la dernière venue dans la banque (1915) a manifesté son intention de rattraper ses devanciers et de prendre une première place en se faisant représenter par l'une de ses plus importantes maisons: la City LES
BANQUES
Bank d.e
New-York.
FRANÇAISES
D u côté français, nous avons la Banque Française et Italienne pour VAmérique du Sud, établissement très prospère d'ailleurs et ne demandant qu'à progresser, mais où, on le sait, l'élément italien est prépondérant, ce qui s'explique par le f a i t que la colonie italienne dans l ' E t a t de S â o - P a u l o se trouve être plusieurs centaines de fois plus importante que la colonie française ; et vouloir modifier cette prépondérance serait aller contre les intérêts de l'Etablissement. Il n'est que juste d'ailleurs de signaler, à l'éloge des dirigeants de cette banque, la nouvelle mesure, prise tout récemment par eux, consistant à a d j o i n d r e des Français dans la Direction de ses A g e n c e s au Brésil. Cette décision qui répond au désir manifesté depuis plusieurs années par la colonie française, permet de fonder les meilleurs espoirs, quant à l'influence française, et mérite toutes les approbations et tous les encouragements. Il f a u t souhaiter que cet effort se continuera et que de nouvelles nominations s'ajouteront à celles d é j à faites. Il existe une seconde banque française, il est vrai, mais localisée à Sâo-Paulo, la Banque Française pour le Brésil. Cette maison offre un exemple qui devrait être fréquemment suivi, en comprenant, parmi ses actionnaires, outre des Français, un certain nombre de Brésiliens, membres des plus notables f a m i l l e s ; car cette réunion, dans des affaires communes, de personnalités appartenant a u x deux nations ne peut que favoriser l'entretien et le développement des relations économiques entre les p a y s intéressés. Malheureusement, de création toute récente, la Banque Française pour le Brésil n'a pu prendre son essor quand la guerre a éclaté. Son capital est trop modeste pour lui permettre, quant à présent, la possibilité de jouer le rôle considérable d'une banque française, appelée, selon la conception du projet, à faire face à tous les besoins de crédit rendus nécessaires par les échanges entre les deux p a y s . Mais le développement prochain de sa part apparaît à la fois souhaitable et possible.
2
LE
i
6
LA PREMIÈRE SEMAINE DE L/AMÉRIQUE LATINE A LYON
CHANGE
Parmi
les opérations
pratiquées
par les diverses
banques,
le
change tient de loin la tête. C'est sur des centaines de millions de francs par an qu'opèrent quelques maisons. Ce chiffre énorme provient
de ce que le change
n'est pas seulement fonction des exportations et des importations, c'està-dire des ventes et des achats réels; car la plus grosse part provient de la spéculation pure. O n vend, en effet, et on achète du change à découvert, comme en France, on vend ou on achète à découvert du blé, du sucre,
du
c a f é , etc., à la Bourse du Commerce, comme on vend on achète à découvert des valeurs à la Bourse des Valeurs. •
*
/
Cette spéculation qui repose uniquement sur le jeu, a pour résultat néfaste de fausser entièrement les cours au plus g r a n d préjudice du commerce local. E l l e s'est surtout manifestée en ces dernières années, grâce à l'intervention connue d u Gouvernement F é d é r a l , en vue d'enrayer la baisse des cours du change, au delà d'une limite déterminée, qui a permis aux joueurs de faire presqu'à coup sûr le jeu de la bascule. E t a n t données les perturbations p r o f o n d e s apportées ainsi à la vie économique du p a y s , il est permis de s'étonner que ne soit pas rigoureusement interdite toute opération à découvert, a y a n t le change pour objet. T o u t au moins, au moment où le Gouvernement F é d é r a l , obéissant au plus louable désir d'équilibrer son b u d g e t , cherche à se procurer les ressources nécessaires, on ne comprend pas qu'il ne grève pas d'impôts, d'ailleurs très justifiés, ces opérations à découvert, d'autant plus que de tous les contribuables d'un p a y s les joueurs sont certainement les moins intéressants. D'ailleurs, on serait mal venu de critiquer le gouvernement qui prendrait cette sage mesure, puisqu'il ne ferait que suivre l'exemple donné par la plupart des autres p a y s , et notamment par la France. D a n s ces négociations sur le change, les banques anglaises tiennent de loin la première place. E l l e s en avaient presque le monopole il y a encore quelques années. C'est un f a i t connu qu'un Sud-Américain venant en France se munira de livres sterling et non de francs presque toujours. Ce n'est pas la seule anomalie. Q u e le Gouvernement F é d é r a l , un E t a t , une ville, aient à effectuer en France, le paiement de coupons d'emprunts qu'ils y ont contractés, c'est presque toujours en livres sterling et non en francs qu'ils feront la provision. L e s banques anglaises avaient aussi presque entièrement sivité des traites de c a f é .
l'exclu-
I,ES MÉTHODES BANCAIRES EN AMÉRIQUE DU SUD
209
L e s dépôts et les encaissements d'effets sont les autres
opéra-
tions principales des banques étrangères fonctionnant au Brésil. LES
CRÉDITS Mais voici le point brûlant de la question : les crédits, dont on
s'est beaucoup préoccupé, et dont on se préoccupe encore beaucoup, à juste titre d'ailleurs. O n a prétendu établir un parallèle entre le chiffre des
transac-
tions commerciales et la facilité des crédits accordés par les banques étrangères, mais il semble qu'il
y
ait de
l'exagération
dans
cette
f a ç o n de voir. N o n pas que l'on puisse nier l'efficacité du crédit quant au développement du commerce, car dans tout p a y s nouveau, où les situations particulières n'ont pas encore eu le temps de se consolider, où f a t a l e m e n t sont très limitées les disponibilités
immédiates,
le
crédit
est un facteur essentiel. Mais il n'est pas t o u t ; ce n'est qu'un facteur au milieu de plusieurs autres non moins importants sans
lesquels
tous les crédits possibles seront inefficaces. Ainsi,
les
marchandises de provenance
première place au Brésil.
pris
la
Si pénible que soit cette constatation,
a l l e m a n d e ont
il
i a u t bien la faire. L e s articles pharmaceutiques sont presque exclusivement d'origine
allemande,
de
même
les produits chimiques,
la
métallurgie, les lampes électriques, etc... O n a attribué cette emprise a u x grandes facilités de paiement a l l a n t jusqu'à dépasser une année,
accordées par les maisons
m a n d e s ; la réussite de ces dernières est, en effet,
alle-
due en partie
à
ces très longs délais. M a i s c'est une erreur de croire que ces échéances prolongées
dépendent
de la
seule
intervention
des banques
alle-
mandes installées au Brésil. Il convient d'en chercher l'explication dans des causes d'un ordre beaucoup plus général. E n aller
en
réalité,
il
faut,
remontant
découvrir la source dans l'organisation
plus
haut,
commerciale
alle-
mande en général. ORGANISATION
ALLEMANDE
Bien plus qu'auprès des banques installées à l'étranger, l'industrie et le commerce a l l e m a n d trouvent auprès des banques de leur p a y s tous les appuis qu'un crédit
dont
ils
ont
sera nécessaire,
besoin.
Ils
savent que chaque
ils seront assurés
de l'obtenir,
fois quelle
qu'en soit d'ailleurs l'importance. D è s lors ils n'ont plus besoin de se préoccuper de recevoir le prix de leurs marchandises,
pour se pro-
«
2
i
6
LA P R E M I È R E SEMAINE DE L/AMÉRIQUE LATINE A LYON
curer les f o n d s demandés par l'achat des matières premières ou l'acquit de leurs frais généraux. Produire le plus possible de marchandises, en assurei la vente, telles sont leurs principales préoccup a t i o n s ; le paiement ne vient qu'ensuite. E n conséquence, ils peuvent vendre à longs délais, sans avoir à solliciter l'intervention de leurs banques installées à l'étranger, lesquelles allégées de cette charge par les banques de la métropole, pourront diriger leurs efforts dans une autre direction. L e s maisons allemandes installées au Brésil ne vendent pas que des marchandises allemandes. E l l e s achètent aussi des marchandises étrangères dans le but de les revendre, mais, obligées de les payer dans des délais très courts, p a r f o i s même au comptant, si elles veulent consentir à leurs acheteurs des facilités de paiement, elles ont à faire l'avance de f o n d s . C'est alors qu'interviennent les banques, en leur procurant les f o n d s dont il est besoin pour faire face aux avances. L e s maisons sont certaines de trouver toujours l'appui qui leur est utile. Mais où les banques allemandes excellent, c'est surtout dans les avances à faire aux exportateurs brésiliens. L e plus bel exemple de cette activité nous est fourni dans l ' E t a t de B a h i a par la question des tabacs. O n a été très surpris en France, et même très ému d'apprendre que la régie française achetait tous ses tabacs à H a m b o u r g . O r elle ne pouvait faire autrement. L e s cultivateurs, dans l ' E t a t de B a h i a , de cette plante dont la vente se chiffre par centaines de millions, manquant de moyens pour en développer la culture, les A l l e m a n d s , avec un esprit d'initiative caractéristique, ont compris tout le parti à tirer de -la situation. A v e c l'aide de léurs banques, ils ont f a i t à ces producteurs toutes les avances nécessaires, remboursables à longues échéances. E n compensation, ils ont f a i t signer des contrats leur assurant le monopole de la récolte : d'où la nécessité de s'adresser à eux. D'ailleurs, cette convention est détestable pour les producteurs qui, en supprimant la concurrence, se sont mis à la merci des offres allemandes. A u fur et à mesure qu'ils se libéreront de ces avances, ils reprendront leur indépendance. E n profiter serait de l'intérêt des deux pays, puisqu'en supprimant l'intermédiaire allemand, l'acheteur français pourrait acquérir à meilleur compte, en même temps que le producteur brésilien vendrait plus cher.
223
I,ES MÉTHODES BANCAIRES EN AMÉRIQUE DU SUD
DIFFÉRENCE
ENTRE
LA SITUATION
DES
DE CRÉDIT L a vérité est qu'il ne peut être
ÉTABLISSEMENTS
EN FRANCE
f a i t de crédit
ET AU par
BRÉSIL
les banques
qu'avec la plus g r a n d e circonspection, à des maisons de solvabilité de tout premier ordre, ou contre garanties. En
France,
les g r a n d s établissements
dépôts qu'ils emploient à l'escompte
reçoivent de
nombreux
du papier de commerce; cela
n'offre pas d'inconvénient. C a r survienne une crise qui provoque de la part des déposants une demande subite de retraits, il suffira a u x établissements
de porter à
la B a n q u e
de F r a n c e
les effets par
eux
escomptés : celle-ci, en les réescomptant, leur remettra les f o n d s , qui devront leur permettre de rembourser les dépôts. L a situation au Brésil est toute différente. L e capital investi dans les banques étrangères est relativement peu é l e v é ; par contre elles reçoivent beaucoup de dépôts. C'est donc surtout avec l'argent de ces dépôts qu'elles travaillent. Si elles l'emploient à faire de l'escompte ou des crédits, et que pour une raison imprévue, les déposants sollicitent leur brusque remboursement, la situation sera des plus périlleuses, pouvant aller jusqu'à la cessation de paiement, parce qu'il n'y a pas au Brésil de banque de réescompte. D ' o ù la nécessité pour les Banques de limiter les opérations de crédit à leur propre capital et à leurs réserves. A u surplus, les résultats financiers obtenus par les banques étrangères sont des plus encourageants. E n t r e autres, la London ~Plate Bank,
dende de 15 0/0 et la Banque du Sud,
River
m a l g r é la situation actuelle, vient de distribuer un divi-
avec un capital
Française
et Italienne
four
l'Amérique
de 25.000.000 francs, accuse pour
l'exer-
cice écoulé, un bénéfice net de 3.322.451 francs.
LES
GRANDS
ÉTABLISSEMENTS
DE
CRÉDIT
FRANÇAIS
Pourtant, m a l g r é ces résultats, les g r a n d s établissements de crédit français qui n'ont pas hésité à créer des succursales ou des correspondants dans les g r a n d s centres européens jusqu'à ce
jour, de chercher
à
n'ont pas j u g é à propos,
prendre une
place
prépondérante,
qu'ils ne pourraient manquer d'acquérir rapidement non seulement au Brésil, mais dans toute l'Amérique du S u d . O n leur a reproché d'avoir préféré les émissions, ou l'exportation de nos c a p i t a u x à l'étranger, parce qu'ils retiraient ainsi des bénéfices importants et faciles.
2
i
6
LA P R E M I È R E SEMAINE DE L/AMÉRIQUE LATINE A LYON
Pour leur justification, ils pourraient faire valoir que le placement par leurs soins de valeurs étrangères
a rendu dans les circons-
tances actuelles un signalé service, en permettant au Gouvernement f r a n ç a i s de s'en servir comme monnaie de paiement des achats f a i t s par le Gouvernement à l'étranger. Mais ce serait une erreur de croire que les émissions, pour être très productives, soient sans danger. Il f a u t les prendre ferme, et si le public n'y souscrit pas, les g a r d e r en portefeuille, ce qui constitue des immobilisations p o u v a n t p a r f o i s peser lourdement sur la
situa-
tion. Peut-être, la cause de cette indifférence réside-t-elle simplement d a n s l'absence d é j à signalée, d'une banque de réescompte au Brésil. Quels qu'en soient les m o t i f s , sans se permettre un seul instant de mettre en doute la bonne volonté des Etablissements de crédit à faire tous leurs efforts pour aider au développement
du
commerce
français au dehors, on ne peut que regretter cette abstention de leur part. C a r , ce n'est pas seulement que leur aide ait manqué de ce f a i t à notre commerce. Ce qui est pire, ce sur quoi il f a u t insister parce que de tels errements ne doivent pas se renouveler, c'est que leur absence a causé au commerce français un préjudice considérable, en favorisant indirectement
le
développement
de celui de ses
concurrents.
F a u t e d'avoir des banques françaises à qui les adresser et
d'autre
part ne pouvant soupçonner un seul instant que des banques allemandes puissent trahir leur confiance par une telle félonie, certaines maisons françaises, certains établissements que vous me permettrez de ne pas nommer, chargeaient les banques allemandes de leurs effets à recouvrer.
ROLE
DES
BANQUES
ALLEMANDES
Pourquoi celles-ci? C'est l'éternelle raison : elles étaient meilleur marché; mais elles avaient à cela d'excellents m o t i f s , car voici la f a ç o n d'opérer : U n commerçant français vend de la marchandise à un client qui réside au Brésil. Il remet à son banquier habituel son connaissement, la facture détaillée
indiquant
la nature
de
la
marchandise,
son
prix, etc., l'effet correspondant au montant de la facture. Ce banquier à son tour adresse ces documents à son correspondant au Brésil. par hasard, ce correspondant se trouve être une des banques
Si
alle-
mandes, comme cela s'est produit à maintes reprises, celle-ci v a en tirer bien vite parti.
I,ES MÉTHODES BANCAIRES EN AMÉRIQUE DU SUD
La
commission
qu'elle
réclame
pour
213
l'encaissement
passe
au
second p l a n . E l l e adresse au consul a l l e m a n d , dès qu'elle les reçoit, tous les documents transmis et surtout la facture. L e consul qui, cas très rare chez les consuls français, est généraleement un a g e n t commercial de premier ordre, y puise tous les renseignements utiles. I l sait donc le nom de l'acheteur, la nature de la marchandise remise, son prix, la commission. Quelques jours après, un représentant allem a n d , documenté par lui, se rend chez le négociant destinataire, et lui f a i t ses propositions en toute connaissance de cause, sachant exactement la limite de l a concession qu'il
doit
consentir pour
vendre
meilleur marché. D e s maisons françaises se sont étonnées d'être délaissées par des correspondants établis au Brésil, avec qui elles faisaient des affaires depuis des années ; qu'elles ne cherchent pas d'autres causes.
QU'Y
A-T-IL
A
FAIRE
POUR
DÉVELOPPER LES
RELATIONS
ÉCONOMIQUES
?
Il est évident que la F r a n c e a beaucoup à faire si elle veut développer ses relations é c o n o m i q u e s avec le Brésil. En
premier lieu, se place la nécessité de créer au Brésil
banque d'émission, f a i s a n t le réescompte : la Banque
du Brésil
une est
t o u t indiquée pour remplir ce rôle. L ' i m p o r t a n t organe qu'est le Journal
du
Commerce
de R i o
de
Janeiro, toujours en a v a n t , quand il s'agit de signaler les réformes utiles à son p a y s , a publié
à ce sujet des articles
admirablement
documentés. Pour quiconque a pu suivre les efforts f a i t s par M . le Président Venceslau B r a z , pour rétablir la situation économique du Brésil, il n'est pas permis de douter
qu'il veuille avant de quitter la
Présidence, faire aboutir cette réforme. Ce serait là le couronnement de son œuvre, et il s'assurerait ainsi la reconnaissance p r o f o n d e de ses concitoyens. A p r è s l'accomplissement de cette réforme, nos g r a n d s établissements de crédit se décideront peut-être à répondre à l'appel que de toutes parts leur adresse l'industrie et le commerce français. Ce serait la meilleure solution, parce que seuls ils disposent de la puissance financière voulue. T o u t au moins devront-ils modifier leur f a ç o n d ' a g i r et accorder au commerce français d'exportation toutes les facilités de crédit nécessaires.
214
LA PREMIÈRE; SEMAINE DE 1/AMÉRIQUE LATINE A LYON
BANQUE
FRANÇAISE.
D'EXPORTATION
Si pourtant, ils persistaient dans leur attitude, il f a u d r a i t songer à la création
d'un organisme
nouveau.
côtés la création d'une g r a n d e banque
On a
envisagé
française
de
divers
d'exportation,
à
laquelle participeraient toutes les maisons françaises d'exportation. Mais sa réussite se heurterait à de grosses difficultés. Il lui f a u drait,
pour
agir efficacement, disposer
de
capitaux
importants.
Pourra-t-elle se les procurer? Si l'on songe a u x besoins énormes de c a p i t a u x , qui, la guerre terminée, se feront sentir de toutes parts, le doute est permis. Il serait peut-être possible de ne libérer que partiellement
les
actions, du quart par exemple. V u la surface présentée par les souscripteurs, la B a n q u e ainsi créée
pourrait facilement trouver l'appui
nécessaire auprès de la Banque de France. Cette solution pourtant, tout en constituant une notable amélioration serait encore i m p a r f a i t e . C a r elle ne viendrait en aide qu'aux seuls négociants et industriels
français,
sans être
d'aucun
secours
pour le commerce brésilien d'exportation, et aussi, f a u t e de représentation au Brésil, elle ne pourrait assurer le recouvrement des effets f r a n ç a i s ; cependant nous avons vu combien ce point est d'importance capitale. Mais encore une lacune des maisons françaises est de n'avoir que peu de représentants à l'étranger, à cause des dépenses
affé-
rentes, alors que les concurrents, surtout a l l e m a n d s , en sont au contraire
abondamment
p o u r v u s ; les visites à la
clientèle
sont,
sans
lassitude, multipliées, ce qui permet à un représentant de se trouver, comme par hasard, présent au moment où le commerçant s'aperçoit qu'il manque d'un article déterminé, et de prendre la commande. UNE
FORMULE
NOUVELLE
U n e banque d'exportation ne remédierait
pas à cette
lacune à
moins de prendre à sa charge tout un service de représentation. U n e formule nouvelle est née récemment, qui constitue un véritable bouleversement des méthodes bancaires, mais qui paraît devoir grouper toutes les voix, parce qu'elle réunit tous les avantages. D'après cette formule, un organe t r a v a i l l a n t avec des c a p i t a u x d é j à existants
éviterait
de
ce f a i t
la difficulté de s'en
procurer
d'autres. Il assurerait le recouvrement des effets, par des établissements a y a n t eux-mêmes des intérêts f r a n ç a i s ; il procurerait les crédits sous forme de prêts sur marchandises a u x exportateurs des p a y s ; il prendrait à sa charge le soin de faire visiter les clients.
deux
I,ES MÉTHODES BANCAIRES EN AMÉRIQUE DU SUD
215
V o i c i les grandes lignes du fonctionnement de la combinaison : U n e maison, d'origine-française ou a y a n t des intérêts français et d é j à installée à l'étranger, servirait d'intermédiaire à la fois entre les commerçants voulant vendre à l'étranger des produits français, ou acheter des produits étrangers, et entre les commerçants étrangers voulant acheter des produits français ou vendre en France des produits de son pays. Pour ce faire, elle louerait à ses frais d e s ' m a g a s i n s où seraient exposés les échantillons qui lui seraient e n v o y é s ; elle aurait à ses frais, des représentants d é j à installés dans le p a y s et connaissant bien la clientèle; avant de transmettre une commande, elle prendrait soin d'abord de vérifier la solvabilité de l'acheteur, et ne prendrait ainsi que des ordres sérieux, d'où commencement de sécurité pour les vendeurs. 1 L ' e x p é d i t i o n de la marchandise serait faite à son nom, et lui seraient adressés également les connaissements, factures, effets à encaisser; étant seule à pouvoir dédouaner la marchandise, elle ne remettrait le connaissement à l'acheteur qu'autant que celui-ci paierait sa facture. Si le client ne pouvait verser qu'une partie de la somme, elle lui ferait l'avance du surplus au moyen d'un prêt sur marchandises, sauf à accepter ensuite des paiements partiels, en échange desquels, au f u r et à mesure, elle permettrait le dégagement partiel de la marchandise. E t troisième hypothèse, si l'acheteur ne peut payer même un acompte, elle prend livraison de la marchandise, qu'elle cherchera ensuite à revendre. E n échange de tous ses services, le commerçant pour le compte de qui elle agirait n'aurait d'autres débours à supporter que la commission à payer par lui sur les ventes faites par l'intermédiaire de cette maison. M a x i m u m de sécurité, du f a i t de la vérification de la solvabilité des acheteurs, et de la délivrance de la marchandise contre paiement, représentants gratuits avec comme seule dépense une commission : tels sont les avantages qui seraient offerts au commerce et à l'industrie des deux p a y s . Il ne semble pas que l'on puisse faire mieux. L e s représentants ne devraient pas d'ailleurs se contenter d'offrir de la marchandise, ils devraient s'enquérir des besoins et des goûts de chaque p a y s pour permettre d'y satisfaire. Cette combinaison serait à la veille d'être appliquée dans différents p a y s et son fonctionnement au Brésil f a i t l'objet d'un examen très a p p r o f o n d i d'une importante maison française, qui y est établie depuis plusieurs années d é j à .
LA PREMIÈRE SEMAINE DE L/AMÉRIQUE LATINE A LYON
2 i 6
UNION
DU
COMMERCE
FRANÇAIS
EN
VUE
DE
LA
VICTOIRE
ÉCONOMIQUE
Mais l'aide de la banque ne suffit pas et l'institution projetée ne prétend pas f a i r e des miracles. Il f a u t que, de leur côté, les commerçants fassent tous leurs efforts, et, sans sortir du sujet, il est permis de leur suggérer une idée avant de conclure. Pourquoi, à l'exemple de l ' A l l e m a g n e , ne serait-il pas créé en F r a n c e un organe de publicité commun a u x
d e u x p a y s où
seraient
insérées toutes les offres et toutes les demandes? U n tel organe, par sa publicité, aurait son existence assurée, tout en rendant les plus g r a n d s services. L e s efforts de tous seront indispensables pour maintenir la F r a n c e à un r a n g d i g n e d'elle, dans la lutte économique intense qui suivra l'après-guerre. Quand
la F r a n c e
depuis plus de d e u x ans donne
un si
bel
exemple d'énergie au point de vue militaire, on se refuse à croire qu'il ne peut en être de même sur le terrain commercial. A p r è s la victoire des armes, il lui f a u d r a la victoire économique, en vue de laquelle tout le commerce français doit tendre toutes les forces de son intelligence et de son bon vouloir.
EDMOND
CI.AUDE.
Les relations financières entre l'Amérique Latine et la France AVANT
LA
GUERRE
epuis que les E t a t s de l'Amérique L a t i n e , les 22 Républiques qui
D
se p a r t a g e n t l'immense continent qui s'étend du M e x i q u e à la
P a t a g o n i e , se sont élevés à la d i g n i t é de puissances indépendantes, ils ont trouvé leur point d'appui économique en Angleterre et en F r a n c e . D e p u i s un quart de siècle, l'intervention de cette
dernière
s'est de plus en plus affirmée. C'est Paris qui tendait à devenir le centre principal des affaires de cette partie du Nouveau M o n d e qui ne se suffit pas encore à elle-même et qui a besoin de c a p i t a u x pour mettre en valeur ses inépuisables ressources naturelles. C'est Paris qui était le marché principal des f o n d s publics, des actions et o b l i g a t i o n s d'entreprises de toute sorte a y a n t leur siège en A r g e n t i n e , au Brésil, au C h i l i et dans mainte autre contrée avoisinante. D e p u i s un demi-siècle, la F r a n c e n'a pas cessé de financer l ' A m é rique L a t i n e . I l serait trop l o n g de retracer ici l'histoire détaillée de cette intervention des c a p i t a u x français, qui a été constante et qui s'est manifestée sous les formes les plus diverses. E l l e a eu
deux
o b j e t s principaux : 1° souscrire les emprunts émis par les différentes R é p u b l i q u e s ; 2° s'intéresser à un très g r a n d nombre d'entreprises de l'ordre le plus varié : chemins de fer, ports, usines, mines, compagnies de n a v i g a t i o n , exploitations agricoles, opérations foncières. E n ce qui concerne les emprunts, la F r a n c e a toujours a g i de la f a ç o n la plus libérale : elle s'est montrée prête à fournir à des conditions très modérées les c a p i t a u x dont les E t a t s , les provinces, les municipalités avaient besoin. C'est ainsi que ces diverses
catégories
d'emprunteurs ont trouvé à des conditions, on peut le dire, inespérées, des milliards pour lesquels
ils n'ont
à
servir qu'un
intérêt
modique : la F r a n c e les f a i s a i t profiter de l'abondance des disponibilités qui régnait sur ses propres marchés. L e résultat de ces facilités a pu être de pousser les gouvernements sud-américains
dans la voie des dépenses budgétaires, mais
d'une f a ç o n générale ils doivent qui
leur
donnait
le
moyen
se louer d'avoir trouvé un prêteur
d'entreprendre
des
travaux
d'utilité
publique qui, dans l'ensemble, ont été profitables a u x nations qui les entreprenaient. Nous ne saurions également trop insister sur le f a i t
2
i
6
LA P R E M I È R E SEMAINE DE L/AMÉRIQUE LATINE A LYON
que cette intervention s'est toujours produite dans les conditions les plus favorables pour les p a y s intéressés, c'est-à-dire que la France a toujours apporté son concours a u x conditions les plus douces. O n a vu fréquemment des emprunts à des t a u x d'intérêts très bons, souscrits par les capitalistes français, servir à rembourser des emprunts antérieurs consentis à des taux plus élevés par d'autres nations. C'est ainsi que le g r a n d emprunt brésilien de 500 millions de francs environ de 1889, souscrit surtout en France, a servi à rembourser des 5 0/0 détenus principalement en Angleterre. C'est ainsi que le 4 0/0 mexicain de 1910, a permis de rembourser un 5 0/0 détenu en A l l e m a g n e , que le 4 1/2 argentin de 'IgI'I, de 350 millions, a servi, à mon sens, à rembourser des emprunts anglais et allemands contractés à des taux plus élevés. Nous ne discutons pas la question de savoir si cette politique a été bonne au point d t vue français : elle a été à coup sûr avantageuse aux E t a t s sud-américains. Même en ces matières financières, la générosité proverbiale de la France se manifeste. A ses amis elle consentait des conditions particulièrement favorables. U n e autre caractéristique de l'intervention française, celle-ci moins louable que lorsqu'elle apportait des capitaux aux E t a t s emprunteurs, est celle qui s'est p a r f o i s manifestée en matière d'entreprises industrielles. J'aborderai ce point en toute franchise, puisque aussi bien nous parlons à des amis et qu'entre amis il vaut infiniment mieux se dire la vérité. T r o p souvent les Français ont négligé de s'occuper des affaires auxquelles ils s'intéressent. Ils en souscriront les actions ou les obligations, mais ils négligeront d'envoyer leur représentant prendre part à la direction des chemins de fer, des usines de g a z ou d'électricité, des entreprises de colonisation, de culture, dont les perspectives les séduisirent, mais au développement desquels ils ne s'associeront pas assez étroitement. Nous pourrions mutiplier les exemples de cas de ce genre. Nous n'en citerons qu'un, celui des Brazil Railways. O n connaît la vaste entreprise qui a été formée sous ce nom par un Américain audacieux, M. Parcival Farquhar, et qui englobe non seulement plusieurs lignes de chemin de fer, au Brésil et dans l ' U r u g u a y , mais d'immenses terrains, des ports, des entreprises d'élevage, des installations frigorifiques, en un mot tout un monde de sociétés de nature et de nationalités diverses, séparées souvent les unes des autres par des prodigieuses distances, sans compter celles que l'imagination du fondateur entrevoyait comme devant être à brève échéance incorporées dans son engloutissant omnium et dont il commença d é j à la création sur le modèle de la première, comme par exemple, la compa-
RELATIONS FINANCIÈRES ENTRE L/AMERIQUE LATINE ET LA FRANCE
2I9
gnie mort-née des Argentine Railways. Certes, la conception étant grandiose, elle séduisit les Français, toujours prêts à s'enflammer pour les vastes projets et de la race de ceux qui souscrivirent à Paris les actions du canal de Suez, alors qu'ailleurs on raillait les illusions de F e r d i n a n d de Lesseps. Mais ici, malheureusement, le fossé entre la réalité et les visions d'avenir était trop p r o f o n d , le milliard de capit a u x français qui rachetèrent les titres de la Brazil Railways et le nombre de ses filiales n'ont pas suffi à le combler. L ' é c h a f a u d a g e s'écroula. N'insistons sur ce souvenir pénible que pour montrer avec quelle bonne volonté la France est prête à soutenir de toutes ses forces ce qui lui paraît de nature à être utile à l'Amérique du Sud. L e simple examen de la cote française nous révèle l'importance du marché qui s'est créé chez nous, par les titres de l'Amérique Latine. A u Parquet des agents de change de Paris sont inscrits des f o n d s pubics de 14 E t a t s f é d é r a u x ou provinciaux qui représentent un capital normal de 3 milliards et demi de f r a n c s ; nous y voyons figurer le Brésil pour 1.300 millions, l'Argentine pour 800, l ' U r u g u a y pour 700, le Mexique pour 500, les E t a t s de Saint-Paul et de Minas Geraes au Brésil, la province de Buenos-Ayres, chacun pour 200 millions. L e capital des entreprises de toute sorte, chemins de fer, banques, crédits fonciers, ports, tramways, nitrates, mines, exploitations agricoles, inscrites également à la cote officielle dépasse 4 milliards de francs. A ces deux catégories, il convient d'aiouter celle des f o n d s d ' E t a t et titres de sociétés, extrêmement nombreux, qui se négocient sur le marché libre qu'on désigne du nom de coulisse. E v i demment, la totalité des rentes, actions et obligations ainsi inscrites aux cotes parisiennes et à celle de certaines bourses provinciales ne sont pas la propriété de Français. U n e certaine proportion de chaque émission, très variable selon les cas, se trouve au-dehors, soit dans le p a y s , soit sur d'autres marchés européens. C'est ainsi que l ' U r u g u a y détient le tiers environ de sa dette. Il y a donc lieu de faire sortir de ce chef une certaine réduction du chiffre d'environ 50 milliards de francs auquel nous conduisent les évaluations ci-dessus. Mais, d'autre part, il f a u t tenir compte de la quantité considérable de titres sud-américains que des Français ont achetés au dehors, notamment en Angleterre et en Belgique et qu'ils ont laissés en dépôt chez leurs correspondants. Nous ne croyons pas nous tromper en supposant que cette quantité est au moins égale à la proportion des valeurs cotées en France et possédées par des étrangers, en sorte que finalement l'évaluation de 10 milliards de francs doit se rapprocher de la vérité.
2i6
LA P R E M I È R E SEMAINE DE L/AMÉRIQUE LATINE A LYON
PENDANT
LA
GUERRE
T e l l e était la situation en 1914, q u a n d la guerre éclata. E l l e eut pour effet inévitable de ralentir les relations financières proprement dites entre la F r a n c e et l'Amérique d u S u d . L e s marchés furent d'abord entièrement
fermés et ne se rouvrirent
français
ensuite
que
pour les négociations des valeurs antérieurement cotées. E n matière d'émissions .nouvelles, ils n'admirent guère que les f o n d s nationaux dont les d e u x g r a n d e s émissions de novembre 1915 et d'octobre 1916 ont à elles seules réuni plus de 27 m i l l i a r d s de francs, sans compter tout ce qui s'est fourni au Trésor sous forme de bons et d'obligations de la D é f e n s e nationale. Mais s'il ne p o u v a i t être question de solliciter les c a p i t a u x f r a n çais pour des entreprises nouvelles, les banques qui avaient e n g a g é leur clientèledans certaines entreprise? s u d - a m é r i c a i n e s ne les perdirent pas de vue. E l l e s apportèrent un soin particulier à se tenir au courant de ce qui concernait
les sociétés d o n t elles avaient placé
les
actions et les obligations. N o u s citerons ici encore la même c o m p a g n i e des Brazil Railways
dont nous avons parlé plus h a u t et qui se trouva,
en 1914, a u x prises avec des difficultés considérables. Celles-ci n'ont pas rebuté les financiers français. E n pleine guerre, m a l g r é toutes les difficultés d'une pareille reconstruction, ils s'occupent activement de réorganiser les Brazil
Railways.
belge, le Comité qui représente
D ' a c c o r d avec ses associés a n g l a i s et les actionnaires et les
obligataires,
travaille avec énergie à une reconstitution qui s'effectuera sans doute en 1917 et grâce à laquelle nous avons le ferme espoir que les c a p i t a u x aventurés il y a quelques années se reformeront peu à peu. N o s amis du Brésil, au lieu de voir nos c a p i t a u x leur arriver par l'intermédiaire de véritables parasites ^ s'interposant entre eux et nous, seront maintenant en rapports
directs
avec nos
financiers,
nos
ingénieurs,
nos
techniciens qui travailleront en pleine harmonie avec le gouvernement de R i o et celui des provinces intéressées, à la prospérité d'une entreprise qui touche a u x intérêts v i t a u x de la g r a n d e République. V o i l à un exemple mémorable
de ce qu'ont été à de
certaines
heures les relations financières franco-américaines et de ce qu'elles ne seront certainement plus. N i nos banquiers, ni même notre
public
n'accepteront plus de f o r m u l e comme celles du f o n d a t e u r du
Brazil
Railways.
E s t - i l besoin de démontrer que la nouvelle « manière » sera
infiniment plus profitable au prêteur et à l'emprunteur? D'autres exemples pourraient ctre fournis du concours donné au cours de la guerre par la place de Paris à nos amis américains. D e s E t a t s et des provinces, obérés par des e n g a g e m e n t s excessifs, n'ont
RELATIONS FINANCIÈRES ENTRE L/AMERIQUE LATINE ET LA FRANCE
2I9
pu payer l'intérêt de leurs emprunts. Ils ont négocié avec leurs créanciers pour obtenir l'autorisation de payer un certain nombre de coupons en papier, c'est-à-dire de créer un nouveau titre destiné à consolider ces coupons et portant à cause de cela le nom de funding îoan (emprunt de consolidation). Ces propositions ont été examinées, discutées et finalement acceptées par les créanciers français qui ont ainsi montré que, même au plus fort de la crise, ils étaient capables de venir en aide à leurs amis.
L'AVENIR O u e l est maintenant l'avenir qu'il f a u t d'une façon générale envisager au point de vue des relations financières de la France et de l'Amérique L a t i n e ? Ce que nous venons de dire du passé et du présent permet de faire pressentir la réponse. Notre p a y s n'abandonnera pas un continent auquel il a confié le quart, peut-être le tiers des capitaux placés par lui au dehors. Ainsi que nous l'avons démontré, sur 30 ou 40 milliards qui forment le total des valeurs mobilières étrangères que nous possédons, 10 sont des rentes, actions ou obligations de l'Amérique Latine. Nous ne saurions donc nous désintéresser du sort de nations auxquelles nous sommes liés par une telle communauté d'intérêts. Nous l'avons du reste prouvé au cours même de la guerre, qui semblerait devoir absorber toutes nos forces vives, mais qui ne nous a pas empêchés de nous occuper avec énergie d'un certain nombre des affaires sud-américaines qui réclamaient notre intervention. Ce seul f a i t démontre de la f a ç o n la plus éclatante que nous n'entendons pas déserter un domaine sur lequel nous avons à travailler énergiquement, pour y Recueillir plus tard les moissons que nous y avons semées. T o u t e f o i s il est évident que nous ne pouvons pas, à l'heure actuelle, fournir à nos amis le même concours que celui que nous leur donnions si libéralement depuis de longues années. Il ne saurait être question de procéder sur une g r a n d e échelle à de nouvelles émission^ sur les marchés français, réservés presque exclusivement à la souscription des f o n d s d ' E t a t nationaux. Nous ferons cependant remarquer que, m a l g r é la difficulté du temps, c'est à Paris que se sont trouvés les millions en nombre respectable qui étaient nécessaires à la reconstitution de certaines entreprises brésiliennes. E n présence de cet arrêt ou plutôt de ce ralentissement momentané de la collaboration française, on pouvait s'attendre à ce que quelques-unes des Républiques L a t i n e s tournassent leurs regards d'un autre côté. E l l e s n'ont pas manqué de jeter les y e u x sur les E t a t s U n i s de l'Amérique du N o r d , ou plutôt ceux-ci ne se sont pas f a i t
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LA P R E M I È R E SEMAINE DE L/AMÉRIQUE LATINE A LYON
faute de considérer le champ si intéressant qu'offre à leur activité débordante ce jeune continent qui paraît tout désigné pour tenter leur initiative. N o n seulement les E t a t s - U n i s étaient d é j à avant 1914 la communauté du globe dont la puissance économique était la plus g r a n d e ; mais, depuis la guerre et par le f a i t même de la guerre, leur richesse s'est accrue et s'accroît tous les jours dans des proportions considérables. D è s lors, quoi de plus naturel que de supposer qu'ils s'occuperaient des finances de l'Amérique Latine, d'autant plus que depuis quelques années ils ont manifesté, à plusieurs reprises, le désir d'établir des rapports suivis entre le continent du N o r d et celui du M i d i . Des conférences panaméricaines organisées sur l'initiative de W a s h i n g t o n , ont été tenues à plusieurs reprises : à W a s h i n g t o n en 1889 et 1890, à Mexico en 1902, à R i o de Janeiro en 1906, à BuenosA y r e s en 1910. D e u x conférences plus spécialement financières ont eu lieu à W a s h i n g t o n en 1915 et à Buenos-Ayres en 1916. L o r s de cette dernière, M. Mac A d o o , secrétaire de la Trésorerie des E t a t s - U n i s dé l'Amérique du N o r d , a déclaré que son p a y s ne songeait pas à profiter de la situation européenne pour chercher à rompre les liens qui unissent l'Amérique du S u d à l'Ancien Monde. D ' u n autre côté, M. W a r b u r g h , l'un des délégués des E t a t s - U n i s , membre du conseil fédéral des banques de réserve, a exprimé l'opinion que la Grande République est appelée à étendre son action sur le g l o b e et à devenir le banquier de beaucoup de nations. Je me garderai de prophétiser à cet é g a r d , et de chercher à prédire dès maintenant quelle sera la nature des relations financières qui s'établiront entre le N o r d et le Midi de l'Amérique. Nous avons cependant sous les y e u x certains documents intéressants qui nous permettent de nous faire une idée de la f a ç o n dont la chose est comprise dans les milieux les plus compétents des E t a t s - U n i s . M. W i l l i a m H . L o n g h , président de la Business Training Corporation, c'est-à-dire de la Société d'entraînement aux affaires, a examiné, dans les A n n a l e s de l'Académie américaine des sciences politiques et sociales et précisé les conditions auxquelles les E t a t s - U n i s s'intéresseront aux affaires de l'Amérique du Sud. Il déclare nettement que ce ne sera que dans deux cas, ou bien s'il s'agit de faire un placement à très courte échéance, ou si l'affaire qui se présente est exceptionnellement avantageuse. D a n s cette dernière catégorie, M. L o n g h range les entreprises minières, agricoles, de terrains, de bétail ; mais pour réussir elles exigent la présence effective et p e r m a n e n t e de ceux qui s'y intéressent. Or, dit-il, l'Américain n'aime pas à s'expatrier. Il semble donc écarter la probabilité d'une intervention efficace sur ce domaine. D'autre part, certaines de ces entreprises fondées par des Euro-
RELATIONS FINANCIÈRES ENTRE L/AMERIQUE LATINE ET LA FRANCE
2I9
péens sont arrivées à un point de leur développement où le risque est beaucoup moins g r a n d qu'au début et en même temps, par suite de la guerre, les titres de beaucoup d'entre elles sont tombés bien au-dessous des prix d'émission. Ce serait donc, dit l'auteur, une occasion pour ses compatriotes de s'y intéresser. T o u t e f o i s il se hâte de faire remarquer que des prix qui peuvent sembler bas à des Européens ne le paraissent pas à des Y a n k e e s qui trouvent chez eux des occasions de placement analogue. M . L o n g h en conclut qu'ils s'abstiendront. Peut-être, ajoute-t-il, si la guerre continue, le niveau des prix deviendra-t-il séduisant pour nous. Il envisage l'hypothèse d'après laquelle le phénomène se produira dans la période de reconstruction qui suivra la guerre. A p r è s avoir ainsi examiné les différents aspects du problème, M. L o n g h formule ses conclusions dont la netteté ne laisse place à aucun doute : i ° Il y a peu de probabilités que les E t a t s - U n i s placent des capitaux dans l'Amérique du S u d au cours des prochaines années; 2° l'cpoque ne semble pas venue pour les E t a t s - U n i s de racheter les valeurs de l'Amérique centrale et méridionale détenues en Europe. D a n s ces conditions, il ne semble pas que nos amis de l'Amérique L a t i n e doivent s'attendre à voir leur orientation financière s'écarter sensiblement de ce qu'elle était avant 1914. Certes, il est possible, et probable même, que les relations commerciales proprement dites, c'est-à-dire les échanges de produits se développeront entre les deux moitiés du continent américain. L e canal de P a n a m a , malgré les grandes difficultés de son entretien, y aidera ; mais ce n'est pas à NewY o r k que les f o n d s des 22 Républiques qui étaient représentées à la dernière conférence financière trouveront un large marché. Lorsqu'on voit avec quelles difficultés des obligations de premier ordre comme celles des grandes puissances européennes sont acceptées à W a l l Street, on comprend que l'époque n'est pas encore proche où les E t a t s en quête de souscripteurs à leurs emprunts auront sur les rives de l ' H u d s o n des banquiers toujours prêts à leur ouvrir tous les crédits dont ils ont besoin. L ' E u r o p e est donc encore le réservoir de capitaux où l'Amérique L a t i n e puisera. Instruits par l'expérience, nous mesurerons sans doute plus sagement les subsides que nous accorderons; mais cette modération même aura le plus heureux effet sur les destinées des prêteurs et des emprunteurs. Nous trouverons d'ailleurs en face de nous des débiteurs non seulement assagis par le régime de diète forcée auquel ils auront été soumis pendant la guerre, mais enrichis, dans bien des cas, par la vente à des prix énormes de beaucoup de leurs produits qu'ils exportent vers l'Europe en ce moment. Nous n'en voulons d'autre preuve que la hausse des changes argentins et uruguayens qui sont
LA PREMIÈRE SEMAINE DE L'AMÉRIQUE LATINE A LYON
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cotés en ce moment bien au-dessus du pair, le premier à 6, le second à 12 o/o de prime environ par rapport à la livre sterling. C'est là un phénomène tout à f a i t inattendu qui rappelle celui qui s'est produit sur la peseta espagnole. Pour la première fois depuis qu'elle existe, cette monnaie a dépassé la parité de l'or. Bien que cette rupture d'équilibre de certains changes sud-américains soit évidemment temporaire et destinée à
disparaître avec la guerre, elle n'en consti-
tue pas moins un indice très f a v o r a b l e pour les p a y s qui en profitent. C'est à ce titre que nous la soulignons, pour montrer les ressources uue tient en réserve l'Amérique Latine. E l l e sait avec quelle pathie
la France favorisera de toute manière son
financier.
sym-
développement
L e s événements actuels ont ralenti, mais non pas interrompu
l a manifestation
de ces dispositions.
P l u s que jamais,
nos
d'outre-mer peuvent compter sur nous. RAPHAEL-GEORGES
LÉVY.
amis
La Musique et le Théâtre
fin d'accroître l'influence latine dans les manifestations musicales en Amérique du S u d , il serait souhaitable : i ° que les musiciens américains soient amenés à se grouper en des sociétés nationales, affiliées à la Société Nationale
Française,
faisant exécuter les œuvres françaises inédites, la Société Nationale Française usant de réciprocité vis-à-vis des compositeurs américains. L e s conditions de création de sociétés nationales de musique sont définies par des statuts et des r è g l e m e n t s dont il serait utile de donner connaissances aux
Américains, afin d'avoir une p a r f a i t e similitude
d'action ; 2° d'augmenter nos possibilités d'échanges musicaux en créant dans les principales villes sud-américaines des dépôts d'éditions musicales françaises, tant pour les œuvres classiques que pour nos productions les plus modernes; d'obtenir des éditeurs français qu'ils s'eng a g e n t à éditer les plus intéressantes productions des compositeurs américains ; 3° d'établir également dans les principales villes, des dépôts de nos principales manufactures de pianos et de lutherie, en mettant à la tête de chacune de ces maisons, indépendamment d'un représentant commercial, un agent artistique choisi parmi les jeunes virtuoses français désireux de s'expatrier et qui pourraient envisager, indépendamment de la situation matérielle fixe qui leur serait garantie, une plusvalue considérable, du f a i t des leçons et des concerts qu'ils seraient appelés à donner : lorsqu'ils rentreraient en France, ils deviendraient de vrais consuls intellectuels des p a y s dont ils auraient reçu l'hospitalité ; 4° d'obtenir des Conservatoires et des E c o l e s de musique régionaux que l'on s'adresse de préférence en France pour pourvoir
au
remplacement ou à l'augmentation des membres du corps enseignant ; au besoin
d'envisager la création
de
Conservatoires
latins où
les
méthodes musicales françaises serviraient à la formation, à l'élucidation des méthodes nationales dans chaque p a y s ; 5° d'établir des relations permanentes entre la critique musicale sud-américaine et l'opinion française et vice-versa, par une collabo8
2
i
6
ration
LA PREMIÈRE SEMAINE DE L/AMÉRIQUE LATINE A LYON
réciproque
à
des revues
artistiques,
principalement
par
la
création d'un fascicule spécial au bulletin des Sociétés N a t i o n a l e s ; 6° d'aider au développement musical par la création, dans les centres importants, de Sociétés Philharmoniques fondées sur le principe de la Société Philharmonique de France ou d ' E s p a g n e , permettant à nos meilleurs artistes français de se rendre en Amérique, dans des conditions abordables pour les Comités de chacune de ces Sociétés, étant donné le nombre important de concerts qui pourraient être ainsi assurés par la tournée comprenant l'ensemble des Sociétés Philharmoniques ; 7° enfin d'obtenir des agents de concerts ou managers établis en Amérique qu'ils se mettent en rapport d'une manière constante avec le Consortium des agents de concerts français. T o u c h a n t les questions de théâtre, il f a u d r a i t : 1° le théâtre français n'étant encore presque toujours à la portée que des gens très riches, rechercher les moyens de le mettre à la portée des classes moyennes ; notamment, dans les p a y s où il y a une importante colonie française (500.000 et plus en Argentine), étudier très sérieusement les goûts et surtout les besoins moraux et nationaux de ces colonies, en matière de théâtres, cinématographes, et chansons pour les rattacher d a v a n t a g e à nous, et en faire de constants et dignes propagandistes de notre culture, de notre langue, de notre littérature, de notre art; 2° le niveau du café-concert étant jusqu'ici très bas, demander à des artistes de valeur et compétents, tels que M me Y v e t t e Guilbert, comment répandre et faire apprécier jusque dans les lieux médiocres, les meilleures, belles, gaies, saines, même morales chansons françaises, (montrer partout que la chanson française est bien supérieure aux autres) ; 3 0 que la Société des Auteurs Dramatiques se préoccupât de grouper avec ordre à Paris des renseignements — qu'elle demanderait à ses agents en Amérique et à toutes personnalités compétentes — sur les œuvres dramatiques des p a y s latins d'Amérique, de réunir autant de traductions que possible de ces œuvres, pour permettre à nos directeurs de théâtres et critiques d'y faire toutes recherches utiles; 4° aviser à tous moyens de répandre le meilleur théâtre
fran-
çais et, outre les progrès à réaliser dans les théâtres publics, répandre jusque dans les f a m i l l e s et dans les lycées le goût du théâtre classique et d'autre part des pièces pouvant être jouées dans les familles :
LA MUSIQUE ET LE THEATRE
227
dans plusieurs p a y s de l'Europe, soit au dix-huitième siècle, soit au commencement du dix-neuvième, c'est le plaisir de jouer la comédie dans les salons qui a donné le goût du théâtre et peu à peu créé un g r a n d théâtre national ; la diffusion dans les familles sud-américaines du théâtre classique français, ainsi que des meilleures pièces de Musset et de R o s t a n d ou autres brillants auteurs contemporains, peut efficacement aider à la constitution de théâtres américains; un catalogue brièvement analytique pourrait être établi, avec soin, des pièces, saynètes, monologues, pouvant être recommandés aux écoles; dans les petites villes, les philharmoniques pourraient s'occuper en même temps du théâtre f r a n ç a i s ; dans les grandes villes, avec l'aide des sections de l ' A l l i a n c e Française, pourraient se constituer des sociétés d'arçis du théâtre français ; 5° établir des rapports entre les universitaires ou journalistes sudaméricains et la Société des Auteurs Dramatiques pour faciliter des campagnes de conférences sur le théâtre français, soit par des Français éminents, soit par des intellectuels américains à qui la Société pourrait envoyer tous documents utiles.
ALFRED
CORTOT.
Peinture, Sculpture, Arts décoratifs
e Sous-Secrétaire d ' E t a t serait heureux de voir constituer une sous-
L
commission spéciale pour l'étude des rapports artistiques et litté-
raires entre les p a y s américains et nous : peinture, sculpture, gravure, art décoratif, théâtre, musique. A
cette sous-commission
spéciale collaborerait
le
Service
de
l ' E x p a n s i o n artistique organisé, au Sous-Secrétariat d ' E t a t des BeauxArts, depuis la guerre, afin d'établir des échanges entre les p a y s amis de la France. Il conviendrait immédiates.
d'étudier
dès maintenant
quelques
réalisations
I Que, d'abord, les Américains du S u d veuillent bien nous dire ce que nous pouvons point •
de vue
faire pour servir
artistique.
Nous
nous
leur p a y s en France,
préoccupons
dès
au
maintenant
d'organiser des Comités chargés de recevoir les intellectuels latins, de
leur
procurer,
dans
l'ordre
de
leurs
travaux
et
de
leurs
préoccupations, les relations qui peuvent leur être le plus utiles ou agréables, d'organiser des Conférences et E x p o s i t i o n s dans ces mêmes groupements pour faire mieux connaître au public français les arts et la littérature de l'Amérique L a t i n e et pour célébrer les
principaux
anniversaires de son histoire. Ces Comités seraient formés d'Américains du S u d résidant en France et de Français. Ils auraient des correspondants dans les principales villes françaises. II U n e fois que les Sud-Américains auront bien voulu nous exprimer les desiderata plan
de travail
de l'Amérique L a t i n e , nous leur proposerons un commun
en Amérique L a t i n e pour y répandre
le
goût de l ' A r t Français dans les conditions les plus aimables et profitables à l'Amérique et à la France. Nous envisagerions dans leurs grandes
villes
la
formation
de
Sociétés
analogues
aux
Sociétés
2
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LA PREMIÈRE SEMAINE DE L/AMÉRIQUE LATINE A LYON
Philharmoniques faisant pour la peinture, sculpture, gravure et art décoratif ce que les Philharmoniques f o n t pour la musique. Ces Sociétés, qui pourraient s'intituler les Amis de VArt Français, organiseraient des Expositions diverses avec catalogues e x p l i c a t i f s , assurant à leurs sociétaires des possibilités d'acquisitions avantageuses. Ils interviendraient, dans la mesure où ils le croiraient bon pour leur pays, pour déterminer des acquisitions par leur musée, par leur Société à titre collectif ou par les particuliers. D'autre part, il y aurait lieu de rechercher si, pour des périodes transitoires, il ne serait pas bon de faciliter des v o y a g e s , missions, affectations de professeurs français de dessin ou autres, auprès des V i l l e s ou Etablissements. Puis il y aurait à multiplier et resserrer les relations entre les librairies et les bibliothèques, les éditeurs d'art sud-américains et nos éditeurs et photographes d'art. Par réciprocité, nous nous appliquerons à chercher les moyens d'assurer un séjour plus facile et plus agréable aux jeunes Américains venant étudier, soit dans nos E c o l e s d'art, soit dans les Ateliers des maîtres. D a n s les cas où, selon ce qui s'est passé pour le reste du monde, et estimant que des travaux ou œuvres d'art français sont assurés d'une plus-value considérable, des établissements particuliers —municipalités ou E t a t s — désireraient confier à des artistes français la commande de décoration d'hôtels, de restaurants ou de palais, de décors de théâtre, monuments commémoratifs, etc... il y aurait lieu de chercher ensemble les meilleurs moyens de fournir à ces particuliers, municipalités ou E t a t s , les renseignements qui leur seraient nécessaires pour arrêter leur choix. Pour passer de ces dispositions générales à un commencement d'application ; n'est-il pas possible d'organiser dès maintenant en diverses grandes villes sud-américaines des Expositions d ' A r t français?
/
MARIUS-ARY
L E B L O N D .
Organisation et développement des relations universitaires
UTILITÉ ET
GRANDES
DU ÉCOLES AVEC
« GROUPEMENT DE
DES
FRANCE
L'AMÉRIQUE
UNIVERSITÉS
POUR LATINE
LES
RELATIONS
»
'est en grande partie autour du « Groupement » que s'est concentrée notre action universitaire, dans ses rapports avec l'Amérique Latine. O n est, naturellement, plus préoccupé en ce moment des relations commerciales et industrielles. Mais s'il est vrai que, dans l'Amérique du jSud, la force de l'idéalisme latin est telle que le développement économique y devient une pénétration intellectuelle, il ne f a u t pas oublier que l'influence intellectuelle prépare aussi le terrain au développement économique.
C
Comment, d'autre part, ne pas tenir compte du rôle joué par le commerce des livres qui se rattache si directement à l'action universitaire ? N'est-ce pas aussi à l'Université qu'il appartient de donner plus de force et d'étendue à l'enseignement de l'espagnol et du portugais qui sont, en quelque sorte, la clé qui nous ouvrira plus d'une porte? N'oublions pas, enfin, le rôle joué par les idées françaises à l'aube de l'indépendance de l'Amérique Latine. L e s sympathies, ainsi éveillées, sont loin d'avoir été inutiles à notre commerce. Ces considérations, volontairement sommaires, justifieront, sans doute, l'utilité d'un groupement universitaire.
FONDATION
DU
« GROUPEMENT
»
L e Groupement des Universités et Grandes Ecoles de France pour les relations avec l'Amérique Latine, a été f o n d é en 1908, sur l'initiative de M. le Professeur L e Chatelier, par quelques-uns des représentants les plus éminents des Universités françaises. Ces universitaires croyaient que la France pouvait et devait jouer, entre l'Ancien et le Nouveau Monde, ce rôle d'intermédiaire indispensable qu'elle a eu l'honneur de remplir entre le N o r d et le Midi de l'Europe.
2
i
SES
6
LA PREMIÈRE
SEMAINE DE L/AMÉRIQUE LATINE A LYON
DESSEINS
L e « Groupement » est né de l'idée que la France et l'Amérique L a t i n e ont toujours été unies par une sympathie qui vient beaucoup moins d'une parenté de race discutable ou d'une similitude de langue, que d'une orientation parallèle de la civilisation. Il s'est f o n d é avec le désir de maintenir et de resserrer les liens formés par la tradition historique et par la communauté de l'idéal latin, et de réagir contre les préjugés et, plus encore, contre une ignorance qui sont également f â c h e u x des deux côtés de l'Atlantique et qui,
du nôtre, risque-
raient d'être une maladresse et une ingratitude. A ces Républiques, que de façons diverses et pour des raisons assez différentes, sollicitent W a s h i n g t o n , Berlin et M a d r i d , il s'efforce de procurer à Paris un centre de recherches intellectuelles.
SON
ACTION
D'où vient l'importance de l'action d'universitaires qui ne passent point pour disposer des plus grandes forces politiques et économiques? C'est, d'une part, que leur rôle apparaît plus désintéressé et, d'autre part, que ce sont assez souvent, au delà de l'Atlantique et sur les rives du Pacifique, leurs collègues ou leurs amis qui dirigent les destinées de leurs p a y s respectifs. D a n s des Républiques qui ont d é j à , et quelquefois f o r t bien, organisé un enseignement supérieur professionnel et un enseignement primaire de tendances nécessairement nationalistes, l'effort du « Groupement » ne doit pas seulement porter sur le complément de hautes études que nos Universités peuvent offrir, mais aussi sur les méthodes propres à créer ou développer un enseignement secondaire moins incomplet, c'est-à-dire, à favoriser l'éducation et l'instruction des classes dirigeantes. Cet effort sera d'autant mieux accueilli, qu'il ne f a i t courir aucun danger à aucune des nationalités si distinctes de l'Amérique L a t i n e , puisque « francisation » ne veut pas dire autre chose que souci plus vif de clarté et d'humanité. Il s'exerce, d'ailleurs, dans des milieux qui ont été nourris de nos idées et de 'nos livres.
j
ORGANISATION
LA
TACHE
ET
DEVELOPPEMENT
DES
RELATIONS
UNIVERSITAIRES
233
ACCOMPLIE
L a tâche d é j à a c c o m p l i e p a r le « G r o u p e m e n t » a été exposée d a n s u n r a p p o r t du 4 j u i n 1914 ( L ' A c t i o n du « Groupement sa fondation
jusqu'à
la fin de l'année
1913)
»
depuis
(1).
Il a obtenu des C o m p a g n i e s françaises de n a v i g a t i o n
d'impor-
tantes réductions de t a r i f pour les étudiants qui lui sont adressés de l'Amérique Latine. U n p r é j u g é pesait et pèse encore sur notre enseignement
supé-
rieur. O n le croit plus théorique que pratique, parce qu'on en ignore l a souplesse et la variété. N o t r e <c G r o u p e m e n t » a f a i t connaître toutes les ressources offertes p a r nos U n i v e r s i t é s et leurs instituts techniques, en adressant d a n s l ' A m é r i q u e L a t i n e des éditions en e s p a g n o l et en p o r t u g a i s d u Livre
de l'étudiant
américain
en
France.
Il a f o r m é , d a n s chacune des R é p u b l i q u e s L a t i n e s d ' A m é r i q u e , des C o m i t é s qui se tiennent en relations avec lui, et il a n o m m é des correspondants, d o n t l'activité i n d i v i d u e l l e est plus particulièrement agissante. Il a é t a b l i des échanges universitaires réguliers sous d e u x f o r m e s principales : tantôt, ce sont des conférences données en
Sorbonne,
p a r les maîtres les p l u s éminents de l ' A m é r i q u e L a t i n e , sur le rôle d e la F r a n c e d a n s l'émancipation ou la f o r m a t i o n intellectuelle de leurs p a y s ; tantôt, ce sont des cours qui se correspondent, comme le cours d'études brésiliennes, à P a r i s , et le cours d'études françaises à S â o Paulo. Il a installé un centre d'études et une bibliothèque où il réunit lès livres et publications édités d a n s les p a y s latins d ' A m é r i q u e ,
ainsi
que les o u v r a g e s et les revues de F r a n c e et de l'étranger, concernant ces mêmes p a y s , leur histoire, leur vie scientifique, universitaire
et
artistique. Le Latine
« Groupement (ancien Bidletin
» f a i t paraître de la Bibliothèque
un
Bulletin
américaine),
de
l'Amérique
qui publie des
articles sur les principales questions intéressant le m o u v e m e n t intellectuel de l ' A m é r i q u e L a t i n e , des documents, jusque-là inédits, concern a n t l'histoire américaine et qui sont épars d a n s les archives de l ' A n cien
et
du
Nouveau
Monde.
Il
a
inséré
des
études f a i t e s à l a
d e m a n d e d u « G r o u p e m e n t », p a r u n collaborateur autorisé de chacune des nations latines d ' A m é r i q u e , et relatives à l'activité universitaire, scientifique, littéraire et artistique de l'année écoulée. E n f i n , le « G r o u p e m e n t » a créé une collection d'études sur l'org a n i s a t i o n politique et économique et sur la vie intellectuelle et uni(1) Cf. le Bulletin de la Bibliothèque
Américaine de juin 1914.
2
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6
LA
P R E M I È R E SEMAINE DE L / A M É R I Q U E LATINE A LYON
versitaire dans les Républiques de l'Amérique Latine. L e s derniers volumes parus sont : Le Gouvernement représentatif fédéral dans la République Argentine, par J.-N. Matienzo; Le Droit international p,rivé dans la législation brésilienne, par R o d r i g o Octavio ; L'Université sociale, par R o d o l f o Rivarola. ACTIVITÉ
DU
« GROUPEMENT
» DEPUIS
LA
GUERRE
Depuis la guerre, le « Groupement », quoique privé, par la mobilisation, de la plupart de ses collaborateurs, s'est attaché à mettre, au service de la France et de ses Alliés, les sympathies qu'il s'était acquises dans l'Amérique Latine. C'est lui qui, le premier, a envoyé, en décembre 1914, clans toute l'Amérique Latine, une brochure en espagnol et en portugais où, sous le titre : La Guerre et la Civilisation française, était exposé le point de vue de nos intellectuels. Grâce à l'activité incessante de ses correspondants, il a pu faire répondre efficacement aux manifestations hostiles d'une propagande brusqué® Enfin, il a demandé, et il publie chaque mois dans son Bulletin, des études sur l'état de l'opinion dans chacune des Républiques avec lesquelles il est en relations. Ces études, dues aux écrivains américains les plus autorisés, constituent la meilleure des propagandes par leur évident désintéressement. E l l e s seront réunies en un volume de notre collection, sous le titre : L'Amérique Latine et la Guerre Européenne., Nous pouvons d é j à les inscrire au livre d'or de notre reconnaissance. DE
L'ACTION
DU
« GROUPEMENT
» APRÈS
LA
GUERRE
Que reste-t-il à faire, et comment peut-on favoriser l'œuvre du « Groupement »? C'est surtout aussitôt après la guerre que l'action du <c Groupement » peut être le. plus utile. E n ce moment, comme on dit familièrement, les jeux sont faits,.et ils ne pourront être modifiés que par les conditions de la paix future. Il est impossible, du reste, de savoir actuellement sur quels, concours on pourra alors compter. Il serait bon qu'en temps opportun le gouvernement français pût gider efficacement le « Groupement », en lui permettant ainsi de développer ces échanges universitaires, dont l'influence a été particulièrement féconde. Deux questions de sérieuse importance doivent être envisagées. C'est d'abord la transformation du Bulletin en une grande revue de l'Amérique Latine, qui deviendrait l'organe des relations entre la
ORGANISATION E T
DÉVELOPPEMENT
DES RELATIONS
UNIVERSITAIRES
23 )
France et les Républiques de l'Atlantique et du Pacifique. E t c'est aussi l'installation, à Paris, d'une sorte de palais de l'Amérique L a t i n e avec tous les services (presse, télégraphe, salle de conférences) et toutes les ressources (bibliothèque, salon de lecture et de réception), que comporterait une pareille fondation. L a France verrait ainsi sa capitale devenir véritablement la métropole de cette civilisation latine qu'elle d é f e n d aujourd'hui avec un héroïsme auquel l'Amérique I .atine, par le sang de quelques-uns de ses fils et par la voix de la majorité de ses intellectuels, ne cesse de rendre un hommage réconfortant.
L'ENSEIGNEMENT
DE
L'ESPAGNOL
ET
DU
PORTUGAIS
D è s maintenant, le Parlement devrait se préoccuper de l'extension de l'espagnol et de l'introduction du portugais dans notre enseignement public. Il songe à rendre l'anglais obligatoire. Si cette mesure est adoptée, elle risque de faire diminuer dans l'Amérique L a t i n e la part du français. E l l e risque aussi d'enchaîner notre effort à l'intermédiaire de l'Angleterre. L e s institutions calquées sur notre « Groupement », à Stuttgart et à Munich, s'unissent pour développer, en A l l e m a g n e , le rôle de l'espagnol. L a part qui lui est faite aux E t a t s - U n i s a augmenté depuis la guerre de 400 0/0. L ' U n i v e r s i t é de Londres organise des cours d'espagnol, en vue de l'action commerciale anglaise dans l'Amérique du Sud. Il n'est que temps d'agir à notre tour. U n enseignement public doit répondre à la fois à des nécessités nationales et à des besoins pédagogiques. L e s unes et les autres sont d'accord pour démontrer les b é n é f i c e s que la France aurait retirés d'une plus juste distribution des langues étrangères à tous les degrés de son enseignement, si elle n'avait pas été trop longtemps hypnotisée par ce qui n'était, en somme, que la superstition d'une d é f a i t e qui sera bientôt réparée. Cette extension de l'espagnol, jointe à l'introduction du portugais, permettrait aussi d'accueillir plus largement, dans nos lycées et collèges, dans nos écoles commerciales ou professionnelles, les fils des Latins d'Amérique qui séjournent en France ou qui y seraient attirés. L e (( Groupement » a d é j à indiqué dans quelles conditions on pourrait créer, pour les L a t i n s d'Amérique, des diplômes d'ingénieur p o l y technique et leur adapter, sans l'affaiblir ou le fausser, notre haut enseignement. Il prépare, en ce moment, un tableau de notre enseignement secondaire destiné à la même clientèle. Mais ses efforts demeureront impuissants sans l'appui des pouvoirs publics qui peut être efficacement sollicité par la commission parlementaire sud-américaine. Après la guerre, le g r a n d développement de l'action française se
LA PREMIÈRE SEMAINE DE L'AMÉRIQUE LATINE A LYON
256
f e r a vers l'Occident. Il serait criminel de l'entraver par une
négli-
gence qui n'aurait pas l'excuse de l'ignorance. NÉCESSITÉ
DE
LAIDE
DES
COMMERÇANTS
L'action universitaire ouvre la voie au commerce. Réciproquement, l'expansion de la France dans le domaine universitaire peut être favorisée par lesi commerçants. C'est à eux qu'il appartient d e réclamer la diffusion de l'enseignement des langues espagnole et portugaise. D'une manière plus directe, ils peuvent, par une aide immédiate et efficace, contribuer à accroître nos ressources. Assez et trop longtemps, nous n'avons travaillé qu'avec de la bonne volonté. N o u s tenons à notre désintéressement, mais, si nous en avons les moyens, nous pouvons faire plus large, plus g r a n d et plus durable. IL
FAUT
A
LA
FRANCE
UNE
POLITIQUE
AMÉRICAINE
L ' o n a souvent montré la nécessité, pour la France, d'avoir une politique coloniale consciente d'elle-même. O r , il f a u t se rendre compte qu'aujourd'hui une bonne politique américaine ne lui est p a s moins nécessaire que, par exemple, une politique africaine. A u surplus, il ne s'agit point ici de colonisation d'aucune sorte. E n sollicitant la confiance des peuples latins d'Amérique, la France ne songe à aucune conquête, pas même à une conquête morale. E l l e n'enseigne que la clarté, elle n'invite qu'au respect de tous, dans l'indépendance de chacun. Héritière d'une civilisation qu'aucun sophisme ne lui f e r a renier, elle estime qu'une Amérique qui demeurera latine est nécessaire à l'équilibre du monde. E t cette Amérique ne demeurera latine qu'en continuant à cultiver l a tradition de nos idées. D a n s un banquet, qu'il présentait comme un témoignage d'adhésion à notre groupement, M. le doyen R i v a r o l a disait, à Buenos-Ayres, le 29 septembre 1912 : « Il y a plus d'un siècle, partirent de France, trois filles de sa philosophie, trois fées de lumière vêtues de rouge, de blanc et de bleu, qui s'élancèrent à la conquête des âmes. E l l e s s'appelaient : Liberté, E g a l i t é , Fraternité. E l l e s supplantèrent les trois vertus théologales et promirent au monde le bonheur des hommes dans la démocratie. » M. R i v a r o l a n'ignore pas que le l a n g a g e des fées lumineuses ne f u t pas toujours très bien compris; mais parce qu'il croit fermement que << la démocratie est possible par la science et la science par l ' U n i v e r sité », il f o n d e les plus beaux espoirs sur le développement des relations universitaires entre ces L a t i n s , qui se sont créé sous les étoiles nouvelles des patries fermement aimées, et la France, qui n'a rien perdu de sa nationalité propre à cultiver le sentiment de l'humanité. ERNEST
MARTINENCHE.
Le rôle de la Presse quotidienne et périodique dans les relations entre la France et l'Amérique Latine
T~youx établir entre la F r a n c e et l'Amérique L a t i n e des relations écoP
nomiques et politiques correspondant, dans l'ordre des intérêts, à
la qualité originelle, à l'élan, à l a valeur collective des sentiments d'amitié que les républiques
du
Nouveau Monde
manifestent pour
notre p a y s , le concours régulier, méthodique, de la presse est indispensable. I l importe donc d'examiner, en premier lieu, les moyens par lesquels on pourrait faire dans la presse française une part
plus
g r a n d e à l ' i n f o r m a t i o n télégraphique et a u x études sur l'Amérique L a t i n e ; d'examiner, en second lieu, les moyens par lesquels on pourrait m i e u x f a i r e connaître dans l'Amérique L a t i n e , non pas les f a i t s du jour qui sont r a d i o g r a p h i é s figure,
quotidiennement, mais
la
véritable
l a force foncière, le caractère spécifique du peuple français.
Ces questions, d'apparence simple, sont pourtant très complexes ; d'un intérêt qui semble accessoire au r e g a r d
des g r a n d e s
questions
techniques, elles conditionnent cependant les rapports f u t u r s de la F r a n c e et des R é p u b l i q u e s L a t i n e s d'Amérique. L ' o r g a n i s a t i o n de l'échange régulier, par la voie de la presse, des f a i t s qui sont la résultante quotidienne de la vie économique, intellectuelle, sociale, politique, et des idées qui en f o n t la synthèse, est l'article second de tout programme d'action franco-américaine,
l'article
premier étant, en quelque sorte, l'exposé même du p l a n d'ensemble dans lequel peuvent s'ordonner et se multiplier sans cesse les réalités du présent et les possibilités de l'avenir. L a presse est, en effet, le principal moyen de f o r m a t i o n et d'expression
de l'opinion publique, et la guerre nous a démontré
que
l'opinion était désormais le mystérieux et f o r m i d a b l e levier de gouvernement des nations modernes; il convient donc d'avoir une presse qui soit fonction des relations que nos p a y s respectifs se proposent d'établir entre eux.
La
f o r m a t i o n d ' u n courant
d'opinion a
sources principales : l'infiltration lente des idées et des f a i t s —
deux et,
par f a i t s , il f a u t entendre aussi bien l'énoncé ou l'appréciation d'un intérêt
amenés sur une même pente par des c a n a u x dont le plus
important est la presse quotidienne ou périodique; —
la
seconde
source est un événement qui soulève soudain le vieux f o n d s d'idées de la masse, qui déplace en quelque sorte la ligne de p a r t a g e des e a u x ,
2
i
6
l a première semaine de l/amérique l a t i n e a l y o n
qui change le cours des opinons et crée en peu de temps un d'esprit
différent,
c'est-à-dire,
en
miques et politiques nouvelles. E n
somme,
des
possibilités
état
écono-
ce qui concerne l'Amérique
par
rapport à la France, c'est la première cause qu'il f a u t envisager.
En
ce qui concerne la F r a n c e par rapport à l'Amérique, l'événement s'est p r o d u i t : c'est la seconde cause qui a g i t . O r , s'il s'agit de relations économiques, il n'y aura de g r a n d s mouvements d'affaires que ceux qui seront créés par des courants d'opinion ; s'il s'agit
de
relations
politiques sensiblement différentes de l'expédition cordiale des affaires de chancellerie, il n'y
aura
d'attraction
de peuples à peuples
que
celles qui seront provoquées par ces lames de f o n d qui amènent à la surface toutes les raisons anciennes et p r o f o n d e s pour lesquelles ils ont intérêt
à poursuivre un but commun.
I L e s j o u r n a u x d ' A m é r i q u e L a t i n e , a y a n t pour la p l u p a r t un f o r m a t et un nombre de p a g e s qui f o n t paraître bien archaïques les feuilles françaises les plus réputées ou les plus répandues, sont remplis de nouvelles d ' E u r o p e . P a r m i ces nouvelles, celles de F r a n c e , par la place qu'elles tiennent, marque le d e g r é de curiosité intellectuelle et souvent de s y m p a t h i e ardente dont notre p a y s j o u i t dans le continent sud-américain. E n dehors des i n f o r m a t i o n s relatives à la guerre, tous les jours, dans une f o u l e de j o u r n a u x , sont notés les f a i t s essentiels qui marquent
la pulsation de la vie quotidienne
de tout
un
peuple. L'histoire utilisant les j o u r n a u x pour l'étude intégrale de la F r a n c e contemporaine trouvera dans cette presse en l a n g u e e s p a g n o l e et portugaise des données aussi riches et pénétrantes
que dans
les
gazettes de n'importe quelle nation d ' E u r o p e . P a r contre, d a n s
la presse française, en général, les nouvelles
relatives aux différentes Républiques L a t i n e s d ' A m é r i q u e sont rares, irrégulières, disparates, incohérentes, supposant connue une masse d e f a i t s ignorés, nouvelles déformées par le triage arbitraire dans l'ensemble, d o n n a n t une impression de petit, d'incertain, de perdu dans le temps et dans l'espace, de lointain, presque d'extra-planétaire. S i bien que le recueil de ces nouvelles d'une année serait pour l'étude des phénomènes sociaux contemporains un cas extrêmement curieux et suggestif de d é f o r m a t i o n et de falsification de la réalité par un procédé courant de morcellement, de discontinuité, a p p l i q u é à un ordre de choses dont l'enchaînement et la vérité sont solidaires. P a r m i les efforts qui sont f a i t s pour faire connaître en F r a n c e l'Amérique L a t i n e , il convient cependant de signaler entre autres la
l a p r e s s e e t l e s r e l a t i o n s e n t r e l a f r a n c e e t l ' a m e r i q u e l a t i n e ^39
rubrique du Figaro, qui a un caractère de propagande économique autant que politique et où un patriote éclairé, M. E u g é n i o Garzon, condense avec talent les choses de tout un continent ; « L'Information Universelle », fondée en 1915 par M. Victor Margueritte et qui constitue d é j à une sorte d'encyclopédie de renseignements de toute sorte; enfin le Bulletin de l'Amérique Latine, dirigé avec tant d'autorité par M. le Professeur Martinenche, qui, avec de trop modiques moyens, a continué pendant la guerre à nous donner, comme il le faisait depuis cinq ans, de solides et savantes études où la presse française pourrait puiser souvent des nouvelles et toujours des idées. Mais, quelque intéressantes que soient ces tentatives, elles laissent malheureusement à peu près entier le problème de l'information générale dans la grande presse. Comment le résoudre? Comment peut-on intégrer dans le rythme général de la vie du monde, dans l'esprit des peuples latins d ' E u r o p e , de la France en particulier, la vie de tout un continent où se sont constituées de jeunes nations auxquelles les dons de la race et les richesses naturelles inépuisables garantissent un avenir de possibilités illimitées? A u premier abord, des moyens simples et pratiques se présentent à l'esprit. Fonder un grand journal, une grande revue, une grande agence télégraphique, qui seraient les organes des relations futures entre la France et l'Amérique Latine? C'est une rêverie ruineuse. L ' e x périence — constituée par trop de tentatives manquées et qui ne peuvent pas réussir — nous enseigne que la bonne besogne pratique et réaliste consiste à améliorer ou à transformer les instruments d'action existants. Il convient d'abord d'aider la presse à découvrir l'Amérique L a t i n e , entreprise facile si l'on est résolu à faire entrer ces jeunes républiques dans la politique générale des nations latines d'Europe. D a n s ce but préliminaire, il f a u d r a i t amener les journaux de Paris et les grands quotidiens de province à grouper par p a y s et par séries les informations relatives à la vie économique, intellectuelle, sociale, politique. Les informations économiques devraient être groupées, en outre, par saisons, si elles sont d'ordre agricole (cafés,, caoutchouc, laines, etc.); par pays et par catégories, si elles sont industrielles, commerciales ou financières. Les informations politiques devraient faire l'objet de transmissions beaucoup plus abondantes et être groupées aussi par catégories. L e sensationnel ou l'accidentel devraient faire place à l'utile et au normal quotidien. C'est ainsi qu'il y aurait grand' intérêt et grand profit à mentionner parmi les projets et propositions de loi, ceux qui sont relatifs par exemple aux grandes lois organiques, ,aux travaux publics, constructions de ports, d r a g a g e des fleuves, chantiers maritimes, outillage économique, etc...
2
~]6
l a première semaine de I/amÉrique l a t i n e a l y o n
L e métaphysicien H é g e l , qui est un des principaux architectes de l ' A l l e m a g n e , s'est initié aux vues d'ensemble qui ont eu des conséquences pédagogiques et par suite politiques si redoutables, par la lecture assidue des comptes rendus des séances du Parlement anglais. L a lecture au jour le jour ou le dépouillement régulier des documents parlementaires nous aiderait beaucoup à comprendre la vie des 17 républiques, à nous faire réfléchir par exemple à la théorie et à la pratique du fédéralisme, problème devant lequel se trouvera l'Europe de demain et pour la solution duquel elle n'a que l'expérience allemande, inacceptable pour les A l l i é s , mais dangereuse pour tout le monde, si l'on n'y prend garde. E n second lieu, les nouvelles ainsi groupées devraient être transmises par une agence télégraphique, l'agence H a v a s , par exemple, vieille institution française qui a des succursales au Brésil, en L T rug u a y , en Argentine, au Chili, au P a r a g u a y , et qui f a i t un service de réexpédition aux journaux abonnés des différents p a y s où il n'y a pas de succursale. O n peut même concevoir une amélioration du réseau de l ' H a v a s qui est absente de l'Amérique centrale et des républiques septentrionales du continent sud-américain, Venezuela, Colombie, etc., où les agences allemandes ou bien germanophiles des E t a t s - U n i s suppléent largement aux services que l'agence française n'est pas en mesure d'assurer. D'ailleurs, la leçon de la guerre imposera la réorganisation ou la transformation du service télégraphique international comme une impérieuse nécessité et comme une condition primordiale de toute <( politique extérieure ».
II Supposons réalisés ces moyens d'apparence simple et pratique pour faire eri France une part plus large à l'information télégraphique sur l'Amérique latine. Nous aurions la matière ordonnée et présentée pour porter enseignement et inciter à l'action ; nous aurions l'outillage de transmission, et cependant il n'y aurait à peu près rien de changé. E t pourquoi? Parce que l'agence H a v a s , comme toutes les Stefani, agences télégraphiques internationales, W o l f f , Reuter, F a b r a , Fournier, R a d i o , etc., les vieilles douairières comme celles de formation récente, sont des institutions soumises à la loi de l'offre et de la demande, comme de simples maisons de commerce. Ce sont des marchés aux nouvelles. L ' o f f r e de l'information par les agences télégraphiques suppose la demande de la presse, et la demanda d e la presse suppose la demande du public. .Y a-t-il actuellement,
l a p r e s s e e t l e s r e l a t i o n s e n t r e l a f r a n c e e t l'amerique l a t i n e
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en France, un public s'intéressant à l'ensemble de la vie des républiques latines et sentant l'intérêt général qu'il y aurait à établir des rapports plus étroits entre elles et nous? E n dehors des hommes en relation d'affaires avec l'Amérique latine et dont le nombre est restreint et sans grande action sur la masse, le gros du public français n'a que des notions sommaires, fragmentaires, disparates, émoussées par cet écran du lointain dont nous parlions tout à l'heure. Nous sommes séparés — une élite mise à part — par un océan d'ignorance dans lequel flottent un certain nombre de préjugés créés, semble-t-il, par les financiers au temps où ils croyaient qu'on peut faire avec les dictatures de meilleures affaires qu'avec les peuples libres. Pour créer un public français s'intéressant à la vie des nations latines d'Amérique et assez nombreux pour porter une grande politique de relations économiques, sociales, intellectuelles, il f a u t que nous bâtissions à pied d'œuvre et que nous fassions le f o n d s solide et continu sur lequel viendront se classer et agir les f a i t s morcelés dans le temps et grapillés dans l'espace. T a n t et si bien que ce qui paraît pratique est vain et que ce qui paraît théorique sera seul efficace. D e u x moyens, et que, partant, on efficacité certaine, g r a n d mouvement latine.
qui ne sont ni simples ni de résultat immédiat trouvera théoriques, mais qui seuls sont d'une apparaissent comme nécessaires pour créer un d'idées et d'affaires entre la France et l'Amérique
E n premier lieu, une entreprise scientifique de longue haleine s'impose pour étudier toutes les questions intéressant l'histoire, la géographie, la vie politique, sociale, économique, intellectuelle, morale, religieuse, les causes de développement, de grandeur et de faiblesse des nations latines d'Amérique. Bien que la tendance soit aux ouvrages de statistique économique, comme s'il ne s'agissait que de marchés et de débouchés, alors qu'il s'agit d'autre chose autant que de cela, il y a d é j à un matériel digne de remarque, quelque chose comme un commencement de culée du pont à jeter sur cet océan d'ignorance, en un mot quelques très bons ouvrages en espagnol, en portugais et en français. Il est salutaire d'ajouter que les travaux allemands sur l'Amérique, rarement désintéressés, constitutent une production qui est loin d'être négligeable. L a L i g u e de l'Enseignement, à la demande de M. de Coubertin, a mis à l'étude l'élaboration d'un programme d'enseignement de l'histoire de l'Amérique latine en France avec réciprocité pour la France en Amérique Latine. V o i l à une initiative d'excellent augure. D'autres forces, telle que le Groupement des Universités, le Comité
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France-Amérique, par exemple, contribuent à former les équipes de travailleurs consciencieux qui constitueront ce f o n d s d'idées et de f a i t s scientifiquement élaborés qui pénétreront par l'école, l'université, les journaux,
les revues, dans la masse, pour y provoquer le désir de
savoir, d'être informée, pour y créer l'état d'esprit qui détermine la demande de l'économie classique, pour y
déclencher le geste
qui
consiste à tirer un sou de son gousset pour acheter le journal, geste menu, mais symbolique et impératif, décisif dans la formation
des
courants d'opinion par la presse. L e premier moyen vraiment efficace et réaliste pour faire une part plus grande aux informations et a u x études sur l'Amérique latine doit être une entreprise de longue haleine, et dont l'ampleur se mesure au but que nous nous proposons d'atteindre, une de ces entreprises scientifiques qui seules engendrent et permettent de réaliser les grands projets politiques. V o u s pourrez éparpiller tant de millions qu'il vous plaira pour fonder des journaux, vous dépenserez en pure perte votre argent, ou celui des autres, tant que vous n'aurez pas créé un esprit f a v o r a b l e aux idées, au corps d'idées vertébrées à une g r a n d e conception d'ensemble. O n annonce qu'une Histoire Générale et une Histoire de la littérature de VAmérique Latine sont en préparation. Puissent ces œuvres être de haute pensée, alerte et conquérante, car ce sont les grands courants d'idées qui ont souvent décidé des directions politiques de la nation française.
III U n second moyen s'impose pour activer l'effet un peu lent mais certain du premier, l'accroître et le stabiliser. Nous voulons parler cle l'organisation rationnelle de la publicité. O n se propose de créer un g r a n d mouvement de relations économiques, intellectuelles, politiques entre la France et l'Amérique L.atine. O n nous dit comment, on nous dit pourquoi. Mais de nouvelles méthodes et des intiatives privées plus nombreuses sont fonction d'une tendance et propension générale, d'un esprit public, en un mot. L'utilisation et l'organisation rationnelles de la publicité peuvent contribuer largement à la solution du problème. E x p a n s i o n économique et publicité, c'est-à-dire propulsion générale par la presse, sont des facteurs corollaires. P l u s grande sera l'expansion, plus grande sera la publicité et réciproquement. Mais ici encore, un état d'esprit favorable à la publicité est à créer; question plus p é d a g o g i q u e que technique pour le moment, question importante,
l a p r e s s e e t l e s r e l a t i o n s e n t r e l a f r a n c e e t l'amerique l a t i n e ^39
en tout cas, qui sera à la fois cause et résultante d'un esprit commercial nouveau. L a production moderne est basée sur cette donnée psychologique ; la multiplication des désirs accroît les besoins. L a publicité est l'exploitation commerciale d'un phénomène social correspondant à un état économique donné. E l l e est une forme de l'art de persuader, une prop a g a n d e intéressée, une coordination de moyens appropriés pour faire pénétrer dans la foule, par l'image, par l'expression répétée et variée à l'infini, une idée qui f a i t naître le désir, crée le besoin, déclenche l'acte, c'est-à-dire le geste de l'acheteur; elle est une force pour faire penser et agir une foule, un peuple, une nation, d'une manière collective. Car le désir d'acquérir des idées, de réaliser un idéal social ou politique se forme, sous des mobiles différents, mais dans le même boîtier que le désir d'acquérir des pastilles pour la toux, des livres rares, un moulin. Il y a trois moyens principaux de faire de la publicité : a) L'affiche, qui opère par la vue et forme une sorte d'obsession murale; multipliée à l'infini, elle paraît se mouvoir et poursuivre le passant ; b) le catalogue, qui est une récapitulation des besoins, faite de telle sorte qu'elle incline à satisfaire les anciens et à en faire naître de n o u v e a u x ; c) la -presse, qui f u t longtemps un organe de propagation des nouvelles, de diffusion et de défense des opinions. S'étant développée en proportion de l'instruction publique, elle est devenue une affaire commerciale très coûteuse, dont les bénéfices les plus assurés proviennent de la publicité. L a transformation de la presse d'opinion, à tirage restreint, en g r a n d e presse d'information et de publicité, est un des chapitres les plus importants de l'histoire sociale contemporaine. L a grande presse vit de publicité : c'est un axiome commercial. D a n s l e s / p a y s à g r a n d développement industriel, la publicité par la presse a pris un essor correspondant. E n France, la publicité en est encore plus ou moins à la période de l'artisanerie, de la petite boutique tenue par la petite f a m i l l e dans la petite ville. E n A l l e m a g n e , pour ne parler que de l'ennemi, elle est entrée dans la phase de la grande entreprise collective et anonyme. L ' A l l e m a g n e a exercé une grande action sur la presse étrangère par le moyen des contrats de publicité, contrats à court terme qui liaient les journaux aux agences de publicité sur lesquelles le gouvernement a la haute main. A la veille de la guerre, le Ministère des A f f a i r e s Etrangères est intervenu directement pour organiser ce qu'on a appelé depuis la « p r o p a g a n d e ». Cette organisation partiellement décrite dans un rapport de l'Ambassadeur d'Angleterre à Berlin, en date du 27 février
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l a première semaine de I/amérique l a t i n e a l y o n
1914 et dans la Deutsche
Exfortrevue,
numéro du 5 juin 1914, repose
d'une part sur les cotisations d'une puissante association, comprenant parmi ses membres toutes les personnalités de l'industrie, du commerce, de la finance, sur une contribution annuelle de la
Wilhelm-
strasse, et, d'autre part, sur l'utilisation méthodique et patriotique de la publicité dans la presse internationale. Nous ne pouvons entrer dans le détail du p l a n et du fonctionnement de cette politique qui prévoit, naturellement, l'action à exercer dans l'Amérique Latine. Il est hors de doute que la presse jouera un o-rand rôle dans le reclassement des influences nationales dans & ^ . . . l'Europe de demain et dans la formation de ces amphyctionies qui se sont dessinées moralement au cours de la guerre ; en tout cas, c'est de la presse que dépendront, en grande partie, l'ampleur et la solidité des relations franco-américaines. Il convient donc de se rendre compte du puissant moyen d'action qu'est la publicité. Ce n'est pas ici le lieu d'aborder l'étude technique du rapport des idées et des intérêts dans la presse, et, par suite, dans la politique des E t a t s contemporains. Pour l'établissement de nos relations futures avec l'Amérique Latine, on pourrait cependant essayer dès maintenant de canaliser dans un certain nombre de journaux la publicité actuelle ou éventuelle. O n constaterait rapidement des résultats tangibles qui donneraient à l'expérience une valeur probante et décisive.
IV Il nous reste à examiner brièvement comment on pourrait faire mieux connaître la véritable figure et l'âme de la France dans 1*Amérique Latine. C'est un immense et passionnant sujet, d'une importance telle qu'il y aura lieu de le traiter un jour sous tous ses aspects. Nous pouvons à peine l'esquisser ici. L e s f a i t s du jour, les nouvelles politiques, militaires, économiques, de toute sorte, sont radiographiés quotidiennement. L'opinion de l'Amérique L a t i n e est donc mise à même de savoir, de juger, de se prononcer, d'agir en conséquence. Ces informations opèrent sur un vieux f o n d s d'idées relatives à la France, sujettes à critique et à revision par endroits, dignes d'être maintenues et appuyées sur d'autres points. Puisque nous savons ce que l'Amérique pense de la France, nous connaissons la tabula sur laquelle vient se peindre la figure de la France en guerre. D ' a b o r d , que faut-il entendre par la figure ou l'âme d'un p a y s ? Ce n'est pas seulement la description de toutes les forces d'activité, de toutes les manières de penser et de sentir. C'est une composante de toutes les q u a l i t é ; acquises et de toutes les raisons causales permanentes qui
l a p r e s s e e t l e s r e l a t i o n s e n t r e l a f r a n c e e t l'amerique l a t i n e
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constituent le caractère d'un peuple, le modifient sans cesse, mais de telle sorte que chaque modification est un enrichissement du f o n d s fixé et immuable. Il y a, pour les nations comme pour les individus, des principes d'individuation
qui exigent,
pour les déterminer et
formuler,
de
longues recherches dans le passé, de patientes observations dans le présent. L a véritable figure de la France a été, au cours du dernier demisiècle, faussée d'une f a ç o n grave et souvent systématique. Il importerait de savoir dans quelle mesure et par quels procédés. Quelque difficultueuse que f û t l'entreprise, elle est possible, et il serait bien utile de la réaliser, en ce qui concerne surtout les p a y s avec lesquels guerre nous engagera
dans des relations nouvelles. Cette
la
analyse
scientifique des témoignages impartiaux et des calomnies intéressées de l'étranger, mise en regard des thèmes développés sur la
France
pendant la guerre, constituerait un précieux document pour
nous
mieux connaître nous-mêmes. Il nous aiderait peut-être aussi à nous corriger de cette manie de battre publiquement la coulpe sur la poitrine les uns des autres. Ce travail
ferait voir la France par
le
dehors. Mais il f a u d r a i t aussi rassembler méthodiquement une documentation aussi complète et objective que possible sur notre p a y s vu de l'intérieur. L e s éléments sérieux et durables de la figure de la France, sont fournis par toutes les formes de l'activité française : science, agriculture, industrie, commerce, politique, lettres, arts, religion, recherches de toute sorte, institutions, organisation sociale, événements d'idées, découvertes, etc... Il f a u d r a i t d'abord dresser et tenir à jour la bibliographie de ce que l'on pourrait appeler la collection des rapports des ambassadeurs vénitiens sur la F r a n c e ; c'est-à-dire de tous les livres et documents français et étrangers qui ont la valeur durable et la puissance de pénétration de ces incomparables observateurs. Ce serait un travail facile pour ceux qui ont souffert à l'extérieur de la figure que faisait ou qu'on faisait faire à la France avant l'an 14. O n pourrait même constituer une petite bibilothèque qui aurait sa place marquée dans cette « Maison d'Amérique L a t i n e », dont M. Martinenche propose la fondation. Ce serait un premier moyen de mieux faire connaître la France que de permettre aux correspondants de la presse étrangère de. l'étudier. L'influence de ces ambassadeurs de l'opinion publique internationale est en raison directe de leur talent et du tirage ou du crédit de leur journal. Sans doute, ils sont un peu tyrannisés par l'information d'actualité, mais ceux qui connaissent les représentants à Paris de la
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presse sud-américaine savent que rien de ce qui est vivant et va au f o n d des hommes et des choses ne leur est étranger. Pour mieux connaître la véritable ligure de la France, il f a u t aussi nous persuader que les articles, longs ou courts, qui n'expriment que des impressions oratoires, lyriques et f u g i t i v e s ne sont pas la meilleure littérature d'exportation parce qu'elle est à base d'ignorance; et peut-être faudrait-il faire oraison, sur le conseil de M. Renan, pour nous pénétrer de cette vérité : que ce ne sont pas ceux qui parlent d'eux-mêmes avec le plus de complaisance qui se connaissent le mieux. Outre les g r a n d s quotidiens en langue espagnole et portugaise que tout le monde connaît, il y a dans l'Amérique L a t i n e une floraison de revues susceptibles de s'intéresser à tous les chefs d'études que nous venons d'énumérer: revues scientifiques, revues politiques, revues juridiques, revues philosophiques, revues médicales. O n peut entrevoir le jour où un certain nombre de spécialistes français traiteront dans les principales revues sud-américaines une série de questions sur lesquelles nous avons intérêt à nous expliquer, sans lyrisme, scientifiquement. E t , en échange de ce bon procédé, nombreuses sont les revues françaises qui accueilleront les études de nos confrères américains sur l'Amérique Latine. Il n'y a pas lieu de s'étendre sur l'utilité de ces collaborations réciproques : on aurait l'air de rêver de choses extraordinaires; on ne ferait pourtant que décrire une politique, une véritable politique d'échange d'idées et d'expansion intellectuelle, hors de laquelle il y a quelques initiatives heureuses et beaucoup de présomptueuses velléités. L e s organisations et dispositions pratiques seront relativement faciles à trouver, si nous sommes bien pénétrés de la nécessité d'agir, de nous concerter pour agir. D a n s le dernier demi-siècle une conjuration infernale dont il importe, encore une fois, que les Français arrivent à se faire une idée a p p r o f o n d i e a été ourdie contre la France. L e s logiciens de la Marne et les dialecticiens de V e r d u n ont rétorqué bien des sottises ; il appartient a u x écrivains de se montrer dignes de tels argumentateurs, de se retourner face à l'étranger et, avec cette prérogative qui a f a i t dire à Joseph dé Maistre, à la fin du dix-huitième siècle, qu'une idée exprimée en français est un bélier poussé par 30 millions d'hommes, de recommencer sans cesse les démonstrations nécessaires avec des castypes, de faire et de refaire sans cesse, selon les règles sévères de l'art, le portrait bien aimé.
l a p r e s s e e t l e s r e l a t i o n s e n t r e l a f r a n c e e t l'amerique l a t i n e ^39
V A v a n t la guerre, l'historien, le sociologue, l'économiste français savaient bien qu'il se faisait en Amérique L a t i n e une expérience très instructive et qu'il y avait un intérêt scientifique et politique de premier ordre à la suivre dans ses phases successives, à l'aller voir de près. S'il lui arrivait de penser en homme politique ou en homme d'affaires, il se rendait vite compte que les conditions n'étaient pas favorables au développement souhaité des relations franco-américaines. N i les hommes, ni les méthodes, ni l'argent, ni les moyens de communication et de transport n'étaient posés comme facteurs efficaces d'action. A u j o u r d ' h u i , le même observateur considérant et le caractère spécifique de la guerre, et la leçon qui s'en d é g a g e d é j à , et les conséquences immenses qui en résulteront, conclut hardiment : maintenant il est possible et il est nécessaire d'agir. Pour organiser les relations intellectuelles, économiques, sociales, politiques, de l'Amérique L a t i n e , il f a u t procéder scientifiquement à la façon de C l a u d e Bernard notre maître : il f a u t avoir l'intuition de l'avenir, poser comme idées directrices le résultat de quelques expériences bien faites dans le passé et quelques données présentes, observées exactement, enfin agir conformément à la nature des choses et à l'intérêt franco-américain. L'européanisation de la terre est un phénomène historique immense, dont les causes profondes et efficaces seront ruinées par la guerre. L ' E u r o p e gardera longtemps encore la primauté intellectuelle, ' mais, s'étant engagée dans une politique qui, à l'intérieur des E t a t s est fondée sur la loi du nombre et, à l'extérieur, sur le principe des nationalités, elle subira le choc en retour et de l'une et de l'autre. Divisée en deux camps par des raisons que plusieurs générations n'épuiseront pas, chacun aura besoin d'alliés pour les luttes, même pacifiques, de l'avenir. Ce sont précisément toutes les causes p r o f o n d e s et durables qui ont déchaîné la guerre européenne qui commandent notre politique avec l'Amérique Latine. '
L e principe des nationalités va miner le monde, jusqu'à ce que
le monde se soit recomposé selon les ferments spirituels qu'il contient. D'autre part, la guerre a détruit les richesses acquises pendant des générations. Il f a u d r a les reconstituer rapidement, sous l'impérieuse nécessité du besoin, car cette déperdition de biens aura pour conséquence
une dénivellation
des
désirs
et
une diminution
des
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l a première semaine de I/amérique l a t i n e a l y o n
moyens de les satisfaire. Pour rétablir l'équilibre et parer aux perturbations sociales, il f a u d r a mettre en valeur de nouvelles sources de richesse. Il sera nécessaire aussi d'activer la reconstitution de cette richesse pour empêcher la civilisation de rétrograder, car la civilisation est proportionnelle à la somme de richesse acquise, consolidée, répartie dans la masse, et qui permet les travaux désintéressés de l'esprit, l'élaboration et la poursuite d'un haut idéal de perfection morale et collective, individuelle et nationale. D e ce point de vue encore, il est utile de nous convaincre que nous aurons besoin des républiques latines d'Amérique. Mais il ne s'agit pas seulement de l'accroissement des échanges économiques; il f a u t envisager le bénéfice moral que la vieille E u r o p e L a t i n e tirerait des effluves de jeunesse et des courants d'énergie de nations qui montent le chemin lent et long qui va de la libération à la liberté, des guerres de l'indépendance à l'ordre, sous l'attraction des vieilles normes qui ont f a i t l'âme française. Qu'est-ce que l'Amérique Latine? U n continent de plus de vingt millions de kilomètres carrés, en regard de l'Europe qui en a exactement la moitié; en regard de la France qui, avec ses 536.408 kilomètres est deux fois plus petite que la Colombie, le Pérou et la Bolivie. Ce continent est habité par 70 millions d'habitants environ et réparti en dix-sept républiques, qui ont pour elles l'espace et nous demandent de les aider à g a g n e r du temps. L e s esprits éminents de l'Amérique L a t i n e qui ont la claire vision de l'avenir de ces nations, non moins préoccupées de développement matériel que de fidélité à un idéal politique sentent combien l'heure est décisive pour elles. L e monde étant divisé pour longtemps en deux camps irréconciliables, elles seront amenées peu à peu à opter entre le principe germanique qui consiste à subordonner les hommes à l'administration des choses, et le principe libéral des nations européennes d'Occident qui consiste à subordonner les choses à la dignité des hommes. Certains peuples se sont abandonnés à la Venvaltung allemande parce qu'ils l'ont trouvée rémunératrice ; mais elle n'a pas eu des inconvénients que pour les Turcs. Partout où elle s'exerce c'est une véritable dépossession, lente mais certaine du pouvoir des hommes sur les choses, et, par suite, un véritable asservissement. A u x admirateurs de l'organisation allemande on peut conseiller la lecture de deux livres. L ' u n , en allemand, est intitulé : « Handbuch des Deutschtnm im Ausland ». C'est le manuel de l'établissement clés A l l e m a n d s dans tous les p a y s du m o n d e ; cent pages sont consacrées à l'Amérique Latine. L'autre, en italien : « La Germania alla conquista delV Italia » est l'histoire de la main-mise allemande sur
l a presse e t l e s r e l a t i o n s entre l a f r a n c e e t l'amerique latine
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l'Italie, dans toutes les sources de la production et de la richesse nationale par le moyen de la Banque commerciale de Milan. Il f a u t méditer ces deux documents pour savoir comment on peut devenir ou redevenir colon, colon à tenure dans les temps modernes et dans son propre p a y s . A mesure que les origines et les causes de la grande guerre se clarifieront dans les esprits, et que les conséquences politiques, économiques, sociales et morales apparaîtront plus formidables au monde, notre but se précisera, et la formule des relations futures de la France et de l'Amérique L a t i n e se dégagera. Pour faire des réalités acquises de ces magnifiques possibilités entrevues, le concours de la presse est indispensable. Pour la préparer à jouer ce rôle, il f a u t se conformer aux lois de la naissance et du développement de toutes choses. E n cette matière, comme en quelques autres, il f a u t voir organiquement et loin pour voir juste. HENRI
MOYSSET.
Les relations intellectuelles d'ordre juridique entre l'Amérique Latine et la France
I. La dette de reconnaissance des juristes français envers les juristes de l'Amérique Latine. — II. Les affinités juridiques entre la France et l'Amérique Latine. — I I I . L'entr'aide juridique de la France et de l'Amérique Latine. — IV. Les moyens d'intensifier tles relations intellectuelles juridiques entre la France et l'Amérique Latine.
a question d o n t on a bien v o u l u me confier
L
l'examen
présente
bien peu d'importance à côté de celles qui ont d é j à été traitées
d e v a n t vous. Il ne f a u t p a s c e p e n d a n t f a i r e fi des relations intellectuelles qui unissent certains peuples, encore moins laisser de côté les affinités d'ordre j u r i d i q u e qui existent entre eux. Ces liens, quoique moins importants en apparence que ceux de l'ordre économique, tout i m p o n d é r a b l e s qu'ils soient, ont c e p e n d a n t une force, d i f f i c i l e à mesurer, sans doute, mais incontestable. Je v o u d r a i s montrer qu'à ce point de vue l ' A m é r i q u e L a t i n e et la F r a n c e ont
depuis
longtemps
entretenu,
et
voudront
certainement
conserver et d é v e l o p p e r les relations les p l u s étroites.
LA DETTE
DE RECONNAISSANCE ENVERS
DES JURISTES
LES JURISTES
FRANÇAIS
DE L'AMÉRIQUE
LATINE
V o u s me permettrez d'en trouver une première m a n i f e s t a t i o n , et je puis a j o u t e r la meilleure des preuves, d a n s l ' a t t i t u d e prise par les juristes de l ' A m é r i q u e L a t i n e en présence d u conflit déchaîné p a r l a s a u v a g e agression de l ' A l l e m a g n e . E t cela m'est une occasion, que j e saisis
avec
empressement,
de
les
remercier
au
nom
des
juristes
f r a n ç a i s , d'acquitter envers e u x une dette de reconnaissance. D è s que le m o n d e épouvanté a eu l a révélation des f a i t s a b o m i nables, des crimes sans précédents, d o n t se sont rendus
coupables,
systématiquement, en a p p l i c a t i o n de desseins longuement prémédités, les c h e f s
des
armées
a l l e m a n d e s et
ces
armées
elles-mêmes,
sans
doute il y a eu un peu partout des protestations et des révoltes d e
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l a première semaine de i/amÉrique latine a lyon
conscience. Peut-être n'y en a-t-il p a s eu assez ! M a i s ce que j e puis dire, en tout cas, c'est que celles des juristes, qui d e v a i e n t être les premières et les p l u s véhémentes de toutes, ont été m u l t i p l e s , réitérées, dans l'Amérique Latine. P a r t o u t où les juristes de l ' A m é r i q u e L a t i n e ont pu "faire entendre leur v o i x , d a n s les chaires des Facultés juridiques, diques,
dans
leurs Congrès
de Droit,
juridiques,
d a n s les
dans
Sociétés
leurs Revues
juri-
les juristes latino-américains ont dénoncé les crimes contre le
D r o i t et contre
la
civilisation,
d o n t se sont rendus
c o u p a b l e s nos
ennemis, j e d e v r a i s dire les ennemis du genre humain. Ces m a n i f e s t a t i o n s qui sont pour nous des marques de s y m p a t h i e si précieuses et qui nous v o n t au cœur, j e ne les connais p a s toutes, et j e prie ceux que j e ne nommerai pas, p a r m i les amis d e la F r a n c e et d u droit, de m'en excuser. M a i s j e v o u d r a i s en mettre quelquesunes sous vos y e u x , en insistant sur leur portée. C'est d ' a b o r d , à la F a c u l t é des Sciences j u r i d i q u e s et sociales de R i o de Janeiro, le professeur S a V i a n n a qui consacre sa leçon inaug u r a l e d u 6 avril 1915 à l ' e x a m e n de cette question : Qui a la conflagration
européenne?
n'hésite p a s à dénoncer
au
provoqué
— leçon d a n s l a q u e l l e M . S a V i a n n a (1) monde
comme
son
bourreau
l'Empire
a l l e m a n d et son chef « G u i l l a u m e , le criminel, le m a u d i t ». • C'est
l'ambassadeur
extraordinaire
du
Brésil
en
République
A r g e n t i n e et membre de la C o u r permanente de la H a y e , le sénateur R u y B a r b o s a , le D é m o s t h è n e de l ' A m é r i q u e L a t i n e , qui dans sa conférence à la F a c u l t é de D r o i t de B u e n o s - A y r e s , d'août 1916,
lance
contre les « n o u v e a u x b a r b a r e s » l ' a n a t h è m e le o l u s é l o q u e n t q u i s o i t peut-être j a m a i s sorti de la bouche d'un h o m m e (2). E t ce ne sont p a s seulement des hommes, des i n d i v i d u s , qui ont élevé la v o i x en notre f a v e u r et pour l a d é f e n s e d e notre cause, ce sont aussi des collectivités, des associations de juristes, éminemment représentatives du D r o i t , qui se sont j o i n t e s à eux. C'est américain
de Droit
international,
l'Institut
où l ' A m é r i q u e L a t i n e tient une si
g r a n d e place, où elle a e n v o y é l'élite de ses hommes d ' E t a t et de ses juristes, qui p e n d a n t que son frère aîné d ' E u r o p e se taisait, n'a p a s craint, lui, de donner à l a cause que nous d é f e n d o n s son précieux et é c l a t a n t a p p u i , en d é c i d a n t d ' a b o r d que le f r a n ç a i s serait la l a n g u e
(1) Sa Vianna, professeur à la Faculté des Sciences juridiques et sociales de Rio de Janeiro : Qui a provoqué la conflagration européenne ? Leçon inaugurale du cours de droit international public, du 6 avril 1915. Rio de Janeiro, 1915. (2) Problèmes de droit international. Conférence faite à la Faculté de Droit de Buenos-Ayres, par l'ambassadeur extraordinaire du Brésil, M. Ruy Barbosa. (Traduction inédite).
nos r e l a t i o n s
d'ordre
juridique
avec
l'amerique
o f f i c i e l l e de ses C o n g r è s ( i ) , et en a d o p t a n t droits
des nations,
heureuse
des
latine
253
cette Déclaration
des
véritable t r o u v a i l l e du D r o i t p u b l i c , transposition
Déclarations
américaine
et
française
des
droits
de
l'homme de l a fin du dix-huitième siècle, et surtout c o n d a m n a t i o n cing l a n t e des v i o l a t i o n s de la neutralité de la B e l g i q u e et du L u x e m bourg. C'est ainsi que l'Institut
américain
de Droit
international
a inau-
g u r é sa première session de 1 9 1 5 - 1 9 1 6 , se haussant d u premier coup au r a n g de g r a n d j u g e international des crimes commis p a r les A l l e mands. Il a f a i t plus encore, et. à ces m a n i f e s t a t i o n s simplement implicites de ses s y m p a t h i e s il n'a p a s craint
de j o i n d r e , sous l a
plume
d'un de ses rapporteurs et par celle de son secrétaire, l a c o n d a m n a tion expresse des doctrines et des pratiques a l l e m a n d e s de guerre. M. Rodrigo
Octavio,
au nom de l a commission
de l'ordre du
j o u r , s'exprima ainsi d a n s un p a s s a g e qui f u t salué
d'applaudisse-
ments unanimes : « Q u a n d ,
d a n s une heure
tragique
de
l'Histoire
d ' E u r o p e , l'Institut m o n d i a l de D r o i t international, l a r g e m e n t composé de b e l l i g é r a n t s , se tait, c'est à l'Institut américain,
formé
neutres, de f a i r e , au nom des neutres, entendre la v o i x
du
de
Droit,
peut-être sans le prestique que lui donneront plus t a r d l ' â g e et l'expérience, mais avec toute l'autorité que d é j à lui prêtent les inspirations de la science et de l a conscience j u r i d i q u e universelle ». Q u a n t à M . A l e j a n d r o A l v a r e z , le très distingué
jurisconsulte
chilien et secrétaire de l'Institut, il n'a p a s craint non plus d'écrire d a n s le III e v o l u m e des T r a v a u x de l'Institut d a n s sa session de 19151916, les lignes suivantes : <c L ' A m é r i q u e , depuis l'ouverture des hostilités, n'a p a s caché des s y m p a t h i e s marquées pour les groupes de bell i g é r a n t s qu'elle estime donner le p l u s de g a r a n t i e s de p a i x f u t u r e et le plus d'assurances que le Droit
et non la force, sera l'unique f a c t e u r
des relations entre E t a t s ». A v a i s - j e tort de dire que les juristes f r a n ç a i s ' a v a i e n t une dette de reconnaissance à acquitter envers les juristes de l ' A m é r i q u e V o u s m'en voudriez
Latine?
avec raison si j e ne comprenais pas, d a n s
mes remerciements, M . le président
de L a
Barra,
d o n t vous
avez
a p p l a u d i hier la magnifique harangue"! E t q u a n d j ' a u r a i dit que, à l'heure actuelle, un de nos jeunes c o l l è g u e s , d é j à internationaliste éminent, M . A . de L a p r a d e l l e , parcourt l ' A m é r i q u e L a t i n e , recueillant p a r t o u t où il v a porter la bonne parole f r a n ç a i s e , c'est-à-dire la p a r o l e du D r o i t et de l'humanité, les
(1) De Lapradelle : La voix du droit en Amérique et la guerre (Revue et parlementaire, n ° du 10 m a r s 1916, p. 335).
politique
2
~]6
l a première semaine de I/amérique l a t i n e a l y o n
plus chaleureux applaudissements, recevant l'accueil le plus flatteur des Sociétés juridiques, économiques, historiques, des Universités, des F a c u l t é s de droit, des Pouvoirs publics eux-mêmes, vous ne serez pas étonnés que je veuille ajouter à la reconnaissance du juriste celle du d o y e n de la F a c u l t é de D r o i t de Paris, honorée ainsi dans un de ses représentants.
LES AFFINITÉS
JURIDIQUES ENTRE
LA FRANCE
ET
L'AMÉRIQUE
LATINE
Quelles sont donc, actuellement, les raisons p r o f o n d e s de ces sympathies, de ce que vous me permettrez d'appeler la fraternité juridiquedes p a y s latins? Je les trouve dans l'admirable discours que l'éminent président de la Chambre des députés, M. Deschanel, prononçait récemment à la séance solennelle des cinq A c a d é m i e s . « Ce qui nous sépare de l ' A l l e m a g n e , disait M. P a u l Deschanel, c'est la passion du Droit. » E h bien, j e dirai à mon tour : « Ce qui nous unit tous, L a t i n s d ' E u r o p e , L a t i n s des B a l k a n s , L a t i n s d'Amérique, c'est la passion du Droit! » E t c'est parce que la F r a n c e combat, comme elle l'a toujours f a i t , pour le Droit, pour le D r o i t éternel, pour le D r o i t des humbles, pour le Droit des petites nations, qu'elle a les sympathies des Républiques de l'Amérique L a t i n e , grandes et petites, comme elle a les sympathies de tous ceux qui pensent, de tous ceux qui réfléchissent, de tous ceux qui sentent ! Est-il possible, en effet, de ne pas s'indigner, q u a n d on voit des écrivains, militaires, philosophes, historiens, juristes proclamer froidement que seule la force compte sur cette terre? E s t - i l possible surtout qu'en présence de ces doctrines de bête féroce, l'âme des juristes ne soit pas déchirée plus cruellement encore que toute autre? Comment pourraient-ils, eux qui ont voué leur vie au Droit, qui en sont les serviteurs passionnés, eux qui ont toujours cru, enseigné, comme le dit si éloquemment R u y Barbosa, que la « force est criminelle dès qu'elle n'est plus au service du D r o i t », comment pourraient-ils ne pas subir une révolte de tout leur être"? Comment pourraient-ils laisser « crucifier — c'est encore le g r a n d R u y Barbosa qui le dit — l'humanuité? » Mais si tous les juristes dignes de ce nom, si tous les fervents du D r o i t ne peuvent que rejeter avec horreur des doctrines contre lesquelles proteste l'histoire du monde civilisé, et s'unir pour les com-
nos
relations
d'ordre
juridique
avec
l'amerique
latine
255
battre, je voudrais montrer que les affinités qui existent entre eux sont encore plus étroites entre les juristes de race, de sang, de traditions latines! E n cela, je n'exprime pas une opinion nouvelle, inspirée par les besoins de notre cause. Je ne fais que répéter ce que j'ai toujours pensé, ce que je disais en 1910 au premier Congrès international des Sciences administratives tenu à Bruxelles à l'occasion de l'Exposition universelle et internationale. Chargé de prendre la parole à la séance d ' i n a u g u r a t i o n , au nom des d é l é g u é s français et des d é l é g u é s des p a y s latins, et après avoir fait l'éloge de la Belgique « petite, disais-je, par le territoire, si grande par l'expansion commerciale, industrielle, par l'initiative... » (que ne faudrait-il pas ajouter à cette louange aujourd'hui!) je m'exprimais ainsi : « Les pays latins, les héritiers de la grande Rome antique, de l'éducatrice juridique du monde civilisé, se ressemblent par bien des points : langue, culture, civilisation sont les mêmes chez eux. E t surtout ils ont, à un degré qui leur fait une place à part, le sentiment et le goût de la Liberté (1)... ». V o i l à ce que je disais des pays latins dans une fête de la paix. L a guerre actuelle montre que je ne me trompais pas, puisqu'elle a fait éclater, spécialement chez les nations latino-américaines, les sympathies les plus ardentes pour une cause qui est surtout la cause de la grande nation latine, la cause de la France. N'est-ce pas d'ailleurs la sainte liberté qui nous a fait secouer tous les jougs en 1789? N'est-ce pas elle qui a fait des nations latino-américaines ce qu'elles sont? N'est-ce pas elle qui les a appelées à la vie? Oui, Droit et liberté, voilà les liens mystérieux, mais puissants, qui nous unissent. C'est cette idée que je voudrais analyser devant vous. L e s peuples latins ont d'abord une forme de pensée juridique commune. E t c'est leur première affinité dans l'ordre d'idées où ie me place; j'entends par là que chez eux la pensée juridique s'exprime de la même manière, se manifeste dans certaines combinaisons d'idées, dans une discipline du raisonnement, dans une logique à peu près semblables. Sans doute, et j'y reviendrai tout à l'heure, ils ont aussi le sentiment profond de la justice, de l'équité (c'est le f o n d de la pensée juridique), mais l'idée dans laquelle ces sentiments se concrètent et se cristallisent, en quelque sorte, prend une forme très particulière, qui leur est propre. Prenez nos grands jurisconsultes,
ti^l
er SB r u x ee l l e s , K 1910. d<rnîZZi (Comptes
C7grèJ rendus
dont vous me permettrez de
int mti0Tl des rséances
des
Sciences
du Congrès,
administrap. 15.)
2
~]6
la première
semaine de I / a m é r i q u e l a t i n e
a
lyon
taire les noms, comparez-les aux grands jurisconsultes de l'Amérique Latine : à Andrés Bello, le célèbre juriste chilien; à Calvo, le prof o n d internationaliste argentin; à Tixeira de Freitas, au pied de la statue duquel, à Rio de Janeiro, la Faculté de Droit de Paris faisait dernièrement déposer une palme; aux Péruviens Pacheco et C a l d e r o n ; à l'auteur du Code civil de la République orientale de l ' U r u g u a y , Tristan N a r v a j a ; à R o d r i g o Octavio, à A l e j a n d r o Alvarez, à Sa Vianna, à tant d'autres que .je voudrais citer, et vous constaterez qu'ils parlent tous la même langue, la langue classique du Droit. A y a n t même pensée, ils l'expriment de même. Ces belles langues sonores : le français, l'espagnol, l'italien, le portugais, le roumain, sont en même temps des langues claires, limpides. O n n'y trouve pas de ces formes abstraites, ésotériques et obscures, dans lesquelles se complaît la pensée allemande, qui craint en quelque sorte le grand jour, et dénature le Droit en le réduisant à la plus ennuyeuse des métaphysiques. Prenons-y garde — et ici je m'adresse à tous les juristes latins — repoussons avec la dernière énergie cette autre invasion non moins redoutable : celle de la pensée juridique allemande et de son jargon abstrait et obscur. Nous subirions, en ne restant pas nous-mêmes, une intoxication aussi dangereuse que celle qu'amènent les gaz asphyxiants des « Barbares savants » ; n'abandonnons pas ce précieux héritage de la Rome antique : une langue juridique claire, qui correspond aux desiderata les plus essentiels du Droit, qui sont la netteté et la précision ! Mais ce n'est pas seulement par la similitude dans l'expression de la pensée juridique que les Latins se ressemblent, c'est aussi par un caractère, qui touche de très près à ce dernier, par le goût de la codification. L e s pays de l'Amérique Latine sont, comme la France, des pays à tendances codificatrices. Pourquoi? Par la raison que je viens de développer, parce qu'ils ont la passion de la clarté. U n Code qui n'est pas clair ne mérite pas le nom de Code. E t c'est pour cela que je refuse ce beau titre au Code civil allemand, à ce Code que les A l l e mands ont fait après avoir, par la bouche de leurs plus grands jurisconsultes, combattu, dénigré l'idée même de codification, parce que c'était une idée française, mais qu'ils ont f a i t à leur manière, obscur, abstrait, plutôt œuvre de doctrine que Code véritable, ne pouvant pas rendre, par conséquent, les services qu'on attend d'une codification. Aussi, je ne crains pas beaucoup la concurrence qu'il prétend faire à l'œuvre admirable du Premier Consul, à ce Code civil, qui a presque fait le tour du monde, qui, en tout cas, a f a i t le tour de l'Amérique Latine, et auquel, "lorsque nous en avons célébré le cente-
nos r e l a t i o n s d ' o r d r e j u r i d i q u e
avec l'amerique latine
257
naire, en 1804, des jurisconsultes de tous les p a y s , Italiens, B e l g e s , Egyptiens,
Hollandais,
Roumains,
Russes,
même A l l e m a n d s , sont
venus rendre h o m m a g e (1). A u s s i me permettrez-vous de hausser les épaules q u a n d j e lis sous l a p l u m e d'un E s p a g n o l , et d a n s une R e v u e argentine, d'ailleurs, la Revista
argentina
de Ciencias
politicas,
excellente
que « le m o d è l e
r o m a n o - f r a n ç a i s suivi p a r le p r o j e t ( e s p a g n o l ) de 1851 et par le C o d e actuellement
en
vigueur
(en
Espagne)
de 1889,
hizo
su
camino,
comme m é t h o d e et comme contenu... » (2). Q u e les jurisconsultes
Espagnols
pensent
ainsi ( j e doute
fort
d'ailleurs qu'ils soient en général de cet avis), c'est leur a f f a i r e ! M a i s , ce que j e sais bien, c'est que les jurisconsultes l a t i n o - A m é r i c a i n s ne p a r t a g e n t p a s cette opinion. E t j ' a i g r a n d plaisir à citer encore mon éminent ami, M . jandro
Alvarez,
Ale-
qui d a n s un de ses premiers et meilleurs livres
a
écrit : « L a simplicité du C o d e civil f r a n ç a i s , son é l é g a n c e , sa mét h o d e , son esprit systématique ont séduit la p l u p a r t des législateurs de
l'Amérique
du
S u d , qui en ont accepté
les bases et
les
prin-
cipes... » (3), et qui n'hésite pas, d a n s un de ses autres o u v r a g e s (4), à conseiller a u x E t a t s l a t i n o - A m é r i c a i n s de f a i r e l'unification de leur l é g i s l a t i o n civile sur cette base. B e l l o , qui n'a p a s seulement été un g r a n d internationaliste,
un
des premiers v u l g a r i s a t e u r s du D r o i t international, qui est aussi l'auteur du C o d e civil chilien de 1851, lequel a servi de m o d è l e à tous les C o d e s civils l a t i n o - A m é r i c a i n s , a suivi de très près, en e f f e t , le C o d e civil f r a n ç a i s . . . E t ce serait une véritable f o l i e , q u a n d plus d'un demi-siècle d'interprétation et d ' a p p l i c a t i o n ont créé une doctrine et une
jurispru-
dence inspirées p a r ses principes, de l ' a b a n d o n n e r . L e s L a t i n o - A m é r i c a i n s , comme les F r a n ç a i s , aiment l a finesse, la précision, la clarté. I l s ne les trouveront pas d a n s l'œuvre prétentieuse et embrumée de nos ennemis. V o u s excuserez cette digression peut-être un peu l o n g u e , mais que j ' a i crue nécessaire. Il était utile de rappeler que le peuple, qui est si fier m a i n t e n a n t de ses C o d e s , a été l'ennemi acharné de la codifica(1) Le Code civil, 1804-1904. Livre du Centenaire, publié par la Société d'Etudes Législatives, t. II, 3e partie. Le Code civil à l'étmnger, p. 587-875 (articles de Crome, Ivahler, Millier, Van Eiervlict, Hanssens, Armiiiyon, Chironi, Govaï, Ruppert, baron de Rolland, Asser, Dissesca, Alfred Martin). (2) Revista argentina de ciencias politicas, numéro d'avril 1915, p. 34 (article de M. Mouton y Ocampo : La Reforma del codigo civil espaiiol). (3) Alejandro Alvarez, Une nouvelle conception des études juridiques et de la codification du droit civil. Paris 1904, p. 56 (Chap. vr, Influence de la codification française sur la législation des pays français et américains). (4) Alejandro Alvarez, La grande guerre européenne et la neutralité du Chili, Paris, 1915, p. 66 (Le Latino-Américanisme, ses caractères). 9
2~]6l a
semaine de I/amérique l a t i n e
première
a
lyon
tion, et de mettre en g a r d e les p a y s de l ' A m é r i q u e L a t i n e contre des imitations d o n t ils pourraient avoir à pâtir plus t a r d , car elles seraient contraires à leur esprit, à leur génie, a u x conditions essentielles de l a pensée latine. E t cela m ' o b l i g e à insister encore sur cette question si importante de l a codification, pour montrer combien l'idée f r a n ç a i s e a imprégné l a pensée latino-américaine. C'est qu'en e f f e t , p a r suite de cette tendance à la codification, les E t a t s latino-américains, nous d é p a s s a n t , sont à la veille de codifier leur droit international, alors que des jurisconsultes E u r o p é e n s ,
de
g r a n d e s associations scientifiques internationales, s'y sont essayés sans y réussir. Il me paraît certain que l ' A m é r i q u e L a t i n e , qui a pris l'avance, y arrivera a v a n t l ' E u r o p e , de sorte qu'après avoir imité l ' E u r o p e , elle lui f o u r n i r a à son tour un m o d è l e de législation internationale, législation bien nécessaire, indispensable au l e n d e m a i n de la guerre, et qui amènera, comme toute codification, une a p p l i c a t i o n plus certaine, p l u s précise et p l u s complète,
espérons-le,
des g r a n d s principes qui
ont été jusqu'ici le p a i n quotidien des peuples civilisés. V o i l à bien des affinités. M a i s j e n'ai encore e x a m i n é que celles qui sont de surface. J'ai hâte d'arriver à celles qui reposent sur les principes eux-mêmes. O r , ici, la pensée j u r i d i q u e f r a n ç a i s e rencontre la pensée j u r i d i q u e latino-américaine
et v a de conserve
avec elle. C e sont d e u x
sœurs
j u m e l l e s , de ressemblance p a r f a i t e . N'est-ce pas vous, en e f f e t , L a t i n o - A m é r i c a i n s , qui, à l'insolente prétention a l l e m a n d e que les petits E t a t s n'ont même p a s droit à l'existence, « parce qu'ils n'ont p a s la f o r c e » ( i ) , avez r é p o n d u , à l'Institut
américain
de
droit
international, en
affirmant
le
droit
des
nations, petites et g r a n d e s , non seulement à l'existence, mais à l'indépendance,
à
l'égalité,
à
la
souveraineté,
au
respect
des
autres
E t a t s (2)?
(1) Treitschke (Politik), dont la formule « Der Staat ist macht », qui revient sans cesse sous sa plume, a pour conséquence nécessaire qu'un Etat faible ne peut pas etre qualifié d'Etat. (2) Nous croyons devoir reproduire dans son entier cette superbe et courageuse Déclaration des droits des nations, qui restera l'éternel honneur de l'Institut'américain de Droit international, et « datera non seulement dans son histoire, mais dans celle du droit des gens universel ». Attendu que la loi nationale des Etats civilisés reconnaît et protège le droit à la vie, le droit a la liberté, le droit à la poursuite du bonheur, ajouté'par la déclaration d'indépendance des Etats-Unis, le droit à l'égalité légale le droit à la propriété . enfin, la libre jouissance de tous ces droits' ; Attendu que ces droits fondamentaux, ainsi universellement reconnus, créent un devoir de la part des peuples de toutes les nations de les observer : Attendu que, conformément à la philosophie politique de la déclaration d'indépendance des Etats-Unis et à la pratique universelle des Républiques américaines
nos
relations
d'ordre
juridique
avec
l'amErique
latine
259
E t sur le D r o i t lui-même, sur le D r o i t éternel, seul créateur de l'ordre d a n s l'humanité, n'avons-nous p a s entendu votre g r a n d
ora-
teur, votre g r a n d juriste R u y B a r b o s a , dans sa magnifique h a r a n g u e , qu'on ne louera j a m a i s assez, qui est comme le cri de
l'humanité
blessée, flétrir, marquer au f e r rouge les doctrines « qui nient le droit,
les nations ou gouvernements sont regardés comme des créations du peuple, tirant leurs pouvoirs légitimes du consentement des gouvernés, et sont établis parmi les hommes pour leur procurer la sûreté et le bonheur et leur assurer la jouissance de leurs droits fondamentaux ; Attendu que la nation est une personne morale ou juridique, création de la loi et subordonnée à la loi comme la personne naturelle dans la société politique ; Attendu que nous considérons que ces droits fondamentaux peuvent être transposés dans les termes du droit international et appliqués aux rapports des membres de la société des nations l'un avec l'autre, exactement de la même manière qu'ils sont appliqués dans les rapports des citoyens ou des sujets des Etats qui forment la société des nations ; Attendu que ces droits fondamentaux de jurisprudence nationale, notamment le droit à la vie, le droit à la liberté, le droit à la poursuite du bonheur, le droit à l'égalité devant la loi, le droit de propriété et le droit à l'observation de tons ces droits, sont, quand ils sont transposés dans les termes du droit international, le droit de la nation à l'existence, le droit d'indépendance et de liberté de se développer sans limitation ni contrôle des autres nations, le droit d'égalité sous la loi et devant la loi, le droit au territoire dans des frontières déterminées et à l'exclusivité de la juridiction dans ce territoire et le droit à l'observation de ces droits fondamentaux ; E n conséquence, l'Institut américain de Droit international, dans sa première session tenue à Washington, Etats-Unis d'Amérique, le 6 janvier 1916, adopte les six articles suivants, avec le commentaire qui suit, pour être connus comme sa Déclaration des droits et devoirs des nations. Déclaration des droits et devoirs des nations I. — Toute nation a le droit d'exister, de protéger et de conserver son existence, mais ce droit 11'iinplique pas le pouvoir et 11e justifie pas le fait, par un Etat, de commettre, pour se protéger lui-même ou conserver son existence, des actes injustes contre des Etats innocents qui 11e lui font aucun mal. II. — Toute nation a le droit d'indépendance, en ce sens qu'elle a Je droit à la poursuite du bonheur et qu'elle est libre de se développer sans immixtion ni suprématie d'autres Etats, pourvu qu'en agissant ainsi elle ne commette ni intervention, ni violation des justes droits des autres Etats. l i t . — Toute nation est, en droit et devant le droit, l'égale de tout autre Etat qui compose la société des nations, et tous les Etats ont le droit de réclamer et, conformément à la Déclaration d'indépendance des Etats-Unis, de prendre, parmi lés puissances du globe, la situation séparée et égale à laquelle les lois naturelles et divines lui donnent droit. IV. —• Toute nation a le droit de posséder un territoire dans des limites déterminées, et d'exercer une juridiction exclusive sur ce territoire, en même temps que sur toutes les personnes étrangères qui s'y trouvent. V. — Toute nation a le droit, en vertu de la loi des nations, de voir chacun de ces droits essentiels respecté et Drotégé par tontes les autres nations, car le droit et le devoir sont corrélatifs et, où il y a droit pour l'un, il v a devoir pour tous. VI. — De droit international est, à la fois, national et international, national en ce sens qu'il est la loi du pays et s'applique comme tel à la décision des questions qui mettent en jeu ses principes, international dans le sens qu'il est la loi de la société des nations et qu'il s'applique à tontes questions entre les membres de la société des nations qui mettent en jeu ses principes. On nous permettra de citer deux articles de la Déclaration du droit des gens, proposée par Grégoire à la Convention nationale en 1795. — L'article/2 proclame le droit des petites nations : « Des peuples sont respectivement indépendants et souverains, quels que soient le nombre d'individus qui les composent et l'étendue du territoire qu'ils occupent ». — Quant à l'article 21, il s'exprime ainsi : « Les traités entre les peuples sont sacrés et inviolables. » La doctrine française de 1795 est la même que la doctrine américaine de 1916.
2
~]6
la première
semaine de
I/amérique
latine
a
lyon
bannissent la justice, éliminent la vérité, b a f o u e n t l a morale, proscrivent l'honneur, crucifient l ' h u m a n i t é . . . » ( i ) . E s t - c e que ce ne sont p a s là des affinités, p l u s que des affinités, des parentés véritables? L a i s s e z - m o i , messieurs, et bien que mes d é v e l o p p e m e n t s revêtent, p a r la f o r c e des choses, un caractère un peu technique, insister sur ce dernier point. Il est de toute première importance. C e ne sont pas seulement des questions de droit international que soulèvent les pratiques a l l e m a n d e s d a n s la guerre actuelle et les doctrines de leurs publicistes, c'est la notion même du D r o i t , la question de l'existence même du D r o i t , qui sont en jeu ! N o u s avons vu, en e f f e t , se
déchaîner une autre invasion, l'inva-
sion de théories juridiques, qui, d a n s d a n s toutes
le
Nouveau
les parties de l ' E u r o p e , que n'intimide
Monde, pas
comme
l'insolence
a l l e m a n d e , ont stupéfié, épouvanté, i n d i g n é tous c e u x qui savent ce qu'est le D r o i t ' C'est d ' a b o r d cette cynique a f f i r m a t i o n que la force crée le droit, que le droit n'est qu'une t r a n s f o r m a t i o n de la force, que celui qui est le p l u s f o r t a le droit pour lui, doctrine des assassins et des voleurs, que les A l l e m a n d s professaient d é j à a v a n t la guerre, car e l l e a pour p r i n c i p a l théoricien un de leurs plus g r a n d s jurisconsultes, I h e r i n g (2). A cet o d i e u x b l a s p h è m e , R u y B a r b o s a (3) a r é p o n d u que « la force est criminelle q u a n d elle n'est pas au service d u D r o i t ». E t cette réponse suffit. N i un F r a n ç a i s , ni un L a t i n o - A m é r i c a i n ne peuvent non admettre ce prétendu « droit de nécessité»
(4)
plus
d o n t serait seul j u g e
l ' E t a t qui l'invoque, et qui ne laisse aucune place à la sécurité, but essentiel de l'ordre j u r i d i q u e . Il ne suffit p a s de résumer une idée f a u s s e d a n s une f o r m u l e , p r o c é d é cher a u x A l l e m a n d s , pour en f a i r e une idée juste. E t même lorsqu'on nous dira Not
Kennt
Kein
Gebot,
nous ne nous laisserons
p a s imposer, nous jurisconsultes latins, une sentence aussi odieuse. L e temps des révélations, des idées qu'il f a u t accepter les y e u x fermés est passé. L ' A l l e m a g n e ne le f e r a pas revivre. E t nous n'admettrons pas d a v a n t a g e cette insolente n é g a t i o n d u
(1) Problèmes de Droit international. Conférence faite à la Faculté de Droit de Buenos-Ayres par l'ambassadeur extraordinaire du Brésil, M. Ruy Barbosa (traduction inédite.) (2) Ihering, traduction Meulenaere, Esprit du droit romain, c. 108 et suiv., 610 e: suiv... « Il n'est point de droit qui, n'ait procédé de la force... et dont les origines 11e se perdent dans le bas-fond obscur de la force physique... » Et, plus bas : « Aujourd'hui même, nous voyons encore créer le droit... lorsque l'épée du conquérant fait crouler un Etat vermoulu et taille des lois au peuple vaincu... » (3) Ruy Barbosa, op. cit. (4) Kollier, Not Kennt Kein Gebot.
nos
relations
d'ordre
juridique
avec
l'amerique
latine
273
caractère o b l i g a t o i r e des contrats et des traités, qui a enlevé pour toujours, d a n s la f o r m u l e flétrissante qu'elle a revêtue, toute autorité à l a science j u r i d i q u e et à la politique a l l e m a n d e s
(i),
Si les traités, si les contrats sont des c h i f f o n s de papier, toute base m a n q u e a u x relations des hommes et a u x relations des E t a t s . Je suis ici d a n s une g r a n d e v i l l e commerçante, j e v o u d r a i s bien qu'on me dise comment le commerce serait possible sans le respect sacré des contrats. Il n'en est p a s autrement des relations des E t a t s . L e traité y a f a i t des progrès constants, il y a pris des d é v e l o p p e m e n t s et des extensions t o u j o u r s nouvelles. E t r a n g e moment pour venir en nier l a nature o b l i g a t o i r e ! E n f i n , couronnant le tout, nous rencontrons une a f f i r m a t i o n p l u s odieuse encore d a n s cet amoncellement de monstruosités j u r i d i q u e s et morales, c'est la t r a n s f o r m a t i o n d u m a l en bien, opérée par ces doctrines empoisonnées. Il f a u t , disent ces n o u v e a u x
docteurs
d'un D r o i t
international
jusqu'à présent inconnu, ou tout au moins disparu depuis des milliers d'années, que la guerre soit atroce, que tout soit permis, que le terrorisme le plus a f f r e u x é p o u v a n t e les p o p u l a t i o n s . C'est un très g r a n d bien, parce que l'adversaire d e m a n d e r a ainsi l a p a i x plus tôt et que l a guerre sera plus courte
(2).
L e s A l l e m a n d s peuvent se rendre compte combien leur raisonnement était juste et, au lieu d'amener r a p i d e m e n t la p a i x , s'ils ne l'ont ainsi retardée et rendue peut-être i m p o s s i b l e ! M a i s , c'est en elle-même que cette doctrine doit être dénoncée au m o n d e comme la p l u s impie que ces théoriciens du m a l aient i m a g i n é e . E t nul ne l'a m i e u x flétrie que R u y B a r b o s a , dont il est impossible d e lire la conférence sur ce point sans être remué jusqu'au
f o n d des
entrailles ! A v a i s - j e raison de dire que nous pensions de même, jurisconsultes latins, sur les parties f o n d a m e n t a l e s de la science du D r o i t ? E s t - c e qu'on trouverait chez aucun de nos jurisconsultes,
même chez
ceux
d o n t l a p a r a d o x e est l'arme f a v o r i t e , des monstruosités pareilles?
(1) Treitschke, Politik, t. I, p. 37-3S : t Un Etat ne peut pas engager sa volonté envers un autre Etat pour l'avenir », p. 102. — « Bans tous les traités, quels qu'ils soient, l'Etat se réserve d'apprécier l'étendue de ses obligations contractuelles... >. Sir E . Goschen, télégramme envoyé le 8 août 1914 à Sir Edward Grey et relatant le mot du chancelier Bethmann Hollweg : « Juste pour un chiffon de papier, la Grande-Bretagne allait faire la guerre à une nation à elle apparentée. » (Livre bleu anglais, p. 136). (2) Discours du député Erzberger, leader du parti du Centre allemand : « La guerre doit être un instrument dur et rude. Elle doit être aussi impitovable que possible. C'est là d'ailleurs un principe de plus grande humanité. Si l'on trouvait le moyen d'anéantir Londres tout entier, ce serait plus humain que de laisser saigner un seul Allemand sur le champ de bataille, attendu qu'un moven aussi radical amènerait une prompte paix... C'est pourquoi l'Allemagne est "autorisée à. user de tous les moyens de guerre existants pour abattre son adversaire... »
2 ~]6
la
première
semaine de
I/amÉrique
latine
a
lyon
M a i s mes c o l l è g u e s des F a c u l t é s de D r o i t et des Sciences sociales de l ' A m é r i q u e L a t i n e me permettront
de leur dénoncer encore
théories moins connues, m a i s non moins odieuses. C'est théorie
allemande
de l'Etat,
des
d'abord la
qui est non p a s seulement une
menace
pour toutes les petites R é p u b l i q u e s , m a i s qui est leur c o n d a m n a t i o n immédiate. Je ne v e u x p a s seulement f a i r e a l l u s i o n à l a théorie des historiens, des stratèges qui r e f u s e n t a u x petits E t a t s le droit à l'existence parce qu'ils n'ont p a s l a force^ Il est une théorie moins connue, qui a été i m a g i n é e p a r les juristes a l l e m a n d s , après 1870, et qui mène sournoisement à la d i s p a r i t i o n des petits E t a t s . C'est la théorie des E t a t s sans souveraineté (1). D e p u i s notre g r a n d
B o d i n , depuis le seizième siècle, c'était un
principe reconnu, a d m i s p a r tous, que la souveraineté est un attribut essentiel de l ' E t a t . S a n s souveraineté, sans i n d é p e n d a n c e absolue visà-vis de tout autre E t a t , s a u f les restrictions a u x q u e l l e s on consent par des traités, on n'est pas un E t a t . O n est une province, une colonie, une commune, m a i s p a s un E t a t . E h b i e n ! les juristes, j e d e v r a i s dire les sophistes a l l e m a n d s ont c h a n g é cela. N e
suffisait-il p a s
d'ailleurs que ce
d'origine f r a n ç a i s e pour qu'ils jetassent
sur elle
fût
une
doctrine
leur b a v e
empoi-
sonnée ? Ils ont dit : U n E t a t n'a pas besoin d ' a v o i r la souveraineté pour continuer d'être un E t a t . Il
s u f f i t qu'il
ait
le
droit
de
com-
m a n d e r sur son territoire. P o u r q u o i ce c h a n g e m e n t de doctrine? D ' a b o r d , pour f a i r e accepter à la B a v i è r e , à l a S a x e , au W u r t e m b e r g , à tous les membres d e l ' E m p i r e , leur situation désormais subordonnée.
O n leur « dore la
p i l u l e ». O n les flatte d a n s leur o r g u e i l . O n leur dit : D e quoi vous plaignez-vous? Mais
vous
continuez à être
des
E t a t s ! V o u s l'êtes
tellement que vous pourrez continuer à e n v o y e r des a m b a s s a d e u r s en p a y s étranger ! Il est vrai que tout le suc de la f o n c t i o n d i p l o m a t i q u e sera pour l ' a m b a s s a d e u r de l ' E m p i r e et que les ministres des E t a t s membres n'auront qu'un titre nu, un e m p l o i sans attributions. M a i s la f o r m e subsistera. C e l a ne suffit-il p a s ? M a i s vous me permettrez de voir d a n s la doctrine a l l e m a n d e un dessein p l u s m a c h i a v é l i q u e encore et d o n t la guerre actuelle nous a dévoilé la portée. L e s A l l e m a n d s , à maintes reprises, ont e x p o s é leurs p r o j e t s de réorganisation de l ' E u r o p e . Ils f a i s a i e n t m i e u x encore hier, ils créaient le f a n t ô m e
d'Etat
polonais. E h
et
principe, ne f
^
'
^
S
des.'<£>¿St£
b i e n ! voici' encore une
développe dans son Droit 62 d T ï S
nos
relations
d'Ordre
juridique
avec
l'amerique
latine
263
a p p l i c a t i o n possible de leur théorie de l ' E t a t sans souveraineté. Il n'y aura qu'un E t a t a y a n t l a souveraineté d a n s le centre et le n o r d d e l'Europe.
Ce
sera
l'Allemagne-Autriche-Hongrie
(que
je
suppose
unies). L a H o l l a n d e , la B e l g i q u e , le D a n e m a r k , la S u è d e , la N o r v è g e continueront sans doute à être des E t a t s ; mais ce seront des E t a t s sans souveraineté, des E t a t s membres de l ' E t a t a l l e m a n d , des E t a t s d a n s sa d é p e n d a n c e , a u x q u e l s
l'Empire
allemand
aura le droit
de com-
m a n d e r sur les points essentiels. E s t - c e que les juristes
des petites R é p u b l i q u e s
de
l'Amérique
L a t i n e v o u d r o n t accepter ces doctrines? M a i s il en est d'autres que, g r a n d e s et petites, elles repousseront avec mépris, comme les repousseront tous les peuples qui ont, comme j e le disais à B r u x e l l e s en
1910, « le sentiment et le g o û t
de
la
liberté ». L e même théoricien d u droit p u b l i c a l l e m a n d , L a b a n d , v a j u s q u ' à dénier le caractère de droits à la f o i s a u x droits libertés
individuelles.
Par
des raisonnements
-politiques
misérables,
et a u x
par
des
sophismes i n d i g n e s d'un jurisconsulte, et qu'il serait trop l o n g d'exposer et de r é f u t e r ici,
il cherche à prouver
que cette conception p a r
l a q u e l l e s'inaugure le droit nouveau, le droit du m o n d e moderne : les citoyens a p p e l é s à participer à la direction de la chose p u b l i q u e , l'ind i v i d u doué de libertés i n d i v i d u e l l e s que l ' E t a t doit respecter, est complètement erronée et sans base j u r i d i q u e (1). P o u r les droits politiques en particulier, il n'a p a s assez de sarcasmes et de lourdes plaisanteries. I l s ne sont que les reflets d u droit supérieur de l ' E t a t , d o n t quelques r a y o n s v o n t éclairer la misérable créature humaine ! Oui
donc,
parmi
les
Latins,
pourra
accepter
des
théories
pareilles? M a i s si nous ne p o u v o n s p a s , en vertu d'un droit qui nous est propre, que nous ne tenons que de nous-même, participer à l'organisation et au
f o n c t i o n n e m e n t de la chose
publique,
s'il
nous
est
interdit d ' a v o i r aucune liberté civile, de f a i r e nous-même notre deslinée, si nous ne p o u v o n s p a s dire à l ' E t a t qui veut nous dicter notre conduite d a n s les plus minutieux d é t a i l s : « Ote-toi de mon soleil », m a i s nous ne sommes plus des hommes, nous ne sommes qu'un troupeau qu'on mène où l'on veut, et souvent à l'abattoir ! V o i l à l'atmosphère empoisonnée d a n s laquelle vivent les juristes a l l e m a n d s , juristes domestiqués,
d'ailleurs, et qui créent a u t a n t
(1) L a b a n d . Le droit public de l'Empire
de
allemand, t. I, p. 2.19 (pour le r e f u s
de la qualité de droits aux libertés individuelles que l'ancienne science allemande d?oftsAPOLITITUES)NT
*
FONDANIENTAUX).
et P- 495 (pour l a n é g a t i o n
des
2
~]6
LA PREMIÈRE SEMAINE DE I/AMÉRIQUE LATINE A LYON
doctrines nouvelles qu'en d e m a n d e n t leurs c h e f s , pour les besoins d e l a p l u s g r a n d e " A l l e m a g n e , juristes qui n'ont p a s
la qualité
sans
l a q u e l l e un h o m m e de science ne mérite p a s ce beau nom : l'indépend a n c e , qui ne permet pas de recevoir
des directions,
d'aussi
haut
qu'elles puissent venir.
L ENTRAIDE
JURIDIQUE
DE
LA
FRANCE
ET
DE
L AMÉRIQUE
LATINE
Je crois vous avoir démontré que, juristes et peuples latins, nous ne p o u v o n s p a s vivre d a n s le b o u i l l o n de culture d e la science jurid i q u e a l l e m a n d e . Je crois avoir démontré que nos a f f i n i t é s l i n g u i s tiques et j u r i d i q u e s sont telles que nous sommes a p p e l é s f a t a l e m e n t , parce que nous nous comprenons, que nous nous aimons, à nous r a p procher. D e l à découle un devoir impérieux auquel nous ne d e v o n s nous soustraire. C e devoir c'est
Y entraide
juridique
que nous
pas nous
d e v o n s les uns a u x autres, c'est l a compénétration p a r l ' é c h a n g e de nos doctrines et d e nos lois. D a n s sa belle conférence d'hier, M . le président de l a B a r r a nous montrait, dans un très beau l a n g a g e , combien les lettres f r a n ç a i s e s avaient de pénétration d a n s les p a y s de l ' A m é r i q u e L a t i n e . L e droit f r a n ç a i s , les théories j u r i d i q u e s f r a n ç a i s e s n'en ont p a s moins. N o u s vous a v o n s donné notre D é c l a r a t i o n des droits de l'homme, que
je
retrouve
dans
les
dix-neuf
Constitutions
de
vos
Répu-
bliques (1), nos C o d e s , et surtout notre C o d e civil d o n t une révision, nécessaire d'ailleurs, f e r a bientôt a p p a r a î t r e qu'il n'a p a s vieilli, qu'il ne peut p a s vieillir, et qu'il peut lutter victorieusement contre toutes les imitations ou c o n t r e f a ç o n s qui en ont été tentées. N o u s vous a v o n s donné aussi quelques g r a n d e s lois, et en p a r ticulier, j e me borne à cette citation, la loi sur l a propriété littéraire, d o n t la F r a n c e a été l'initiatrice, et d o n t des F r a n ç a i s bien connus ont été les promoteurs en A r g e n t i n e , en particulier, il n'y a p a s bien longtemps. M a i s j'estime que vous pouvez, vous aussi, et de p l u s en p l u s , nous f o u r n i r des enseignements. V o s p a y s , comme le nôtre, et c'est ce qui
fait
leur
grandeur,
cherchent à organiser l a liberté. L o r s q u ' o n l a nie ailleurs, nous répon-
( 0 On trouvera le texte complet des Constitutions de l'Amérique latine dans B r e c u e , ' í P u b h e P a r Carranza sous ce titre : Diqesto constitucional Ame-
ricano, Buenos-Aires,
1910, 2 vol. in-8.
NOS RELATIONS D'ORDRE JURIDIQUE AVEC L'AMERIQUE
LATINE
277
dons en la pratiquant, en en faisant la base de notre vie sociale, politique, civile. C'est une tâche difficile, dans laquelle chaque p a y s apporte sa contribution souvent très particulière, très influencée par des traditions, par des tempéraments ethniques différents. L a France, que vous me permettrez d'appeler la g r a n d e initiatrice, a eu la noble ambition, il y a plus de cent ans, d'organiser la liberté, non seulement pour elle, mais pour tous les peuples. C'était un g r a n d dessein, qu'il est facile de railler, mais qui démontre au moins le haut idéal qui est le sien, puisqu'elle songeait au bonheur de tous, et qui d'ailleurs a produit des résultats incontestables. N'est-ce pas depuis qu'elle a transformé en formules précises et claires les Déclarations des droits qui figuraient dans la Constitution des E t a t s - U n i s et, v i n g t ans après, les règles du régime parlementaire, qui s'est constitué en Angleterre, que ces D é c l a rations et ce régime ont commencé leur tour du monde? Mais les peuples qui veulent vivre sous le régime de la liberté, qui veulent mériter ce beau nom de peuples libres, voient des problèmes nouveaux se poser constamment devant eux. Comme le disait notre g r a n d R o y e r C o l l a r d : « L e régime constitutionnel n'est pas une tente dressée pour le sommeil ! » E h bien, reconnaissons-le, il n'est pas de trop de l'effort de tous ces peuples pour en trouver la solution. A u c u n n'en a le secret ni l'apanage. Ces expériences démocratiques qui se f o n t chez chacun d'eux peuvent et doivent servir aux autres, à condition que les solutions trouvées s'adaptent au milieu nouveau où elles sont transportées. L e s p a y s de l'Amérique L a t i n e ont sur les vieux p a y s de l'Europe, et en particulier sur la France, un avantage bien souvent signalé. Ils sont des peuples n e u f s et ne sont pas gênés par des traditions comme les peuples du V i e u x Monde. Ce n'est pas pour rien qu'on vous appelle le Nouveau M o n d e ! E h bien, je crois qu'il y aurait grand intérêt pour nous à nous tenir au courant de vos tentatives. N'aunons-nous rien à emprunter à cette institution public mexicain si curieuse de X'Aviparo ( i ) ?
du
Droit
L a République Argentine a f a i t , le 10 février 1912, une loi sur les élections nationales qui ne compte pas moins de 501 articles (2). N o u s y trouverions peut-être, nous y trouverions sûrement, devrais-je dire, des emprunts à faire. Pendant que nous nous épuisions en discussions, en discours savants ou passionnés, pour trouver le meilleur système
Faculté^de^Droit'^dfparif ^ V A m ^ a r o à m o u c o u r s d e (2) Annuaire de législation étrangère, 1912, p. 8S7.
Dro!t
Public général à la
2
~]6
LA PREMIÈRE SEMAINE DE I/AMÉRIQUE LATINE A LYON
de représentation proportionnelle,
les A r g e n t i n s
ont très
sagement
a d o p t é le système peut-être le p l u s i m p a r f a i t , mais en tout cas le p l u s simple, et qui constitue t o u j o u r s un p r o g r è s sur la brutalité d u système m a j o r i t a i r e , le système du vote limité.
Il y aura profit à suivre
l'expérience. »
Je trouve,
au P é r o u ,
une loi plus récente encore, du 17 j a n -
vier 1912, sur la r é f o r m e électorale de 1912 (1), créant une j u n t e électorale n a t i o n a l e , d o n t
le but essentiel
est d'assurer l a sincérité de
l'élection. N e croyez-vous p a s que ce problème se pose partout et que nous p o u v o n s peut-être trouver d a n s l a loi péruvienne quelque bonne i n d i c a t i o n à prendre? D a n s le droit privé, il y a des dispositions intéressantes d a n s la législation
de
la
propriété
foncière, d a n s
la
législation
hypothé-
caire. N o s lois sur les mines, à la veille de la révision
de notre
loi
de 1810, pourraient nous servir aussi, car le s u j e t a chez vous une importance c a p i t a l e et votre l é g i s l a t i o n est neuve (2). E t ce que nous devrions vous emprunter surtout, c'est cette merveilleuse o r g a n i s a t i o n
f a m i l i a l e , due sans
doute
d a n s une
certaine
mesure à une excellente l é g i s l a t i o n , o r g a n i s a t i o n qui f a i t l ' a d m i r a t i o n de tous ceux qui vont visiter vos p a y s . C'est cette conciliation de la vie de plaisirs et de continuelles distractions de la jeune fille avec ses devoirs d'épouse et de mère q u a n d elle a f o n d é son f o y e r , c'est ce culte de l ' e n f a n t , c'est l'acceptation avec joie de nombreuses maternités, c'est cette union intime des d e u x é p o u x jusqu'à la m o r t ! M a i s ceci n'est p a s seulement une question de l é g i s l a t i o n , c'est une question d e mœurs. Il est bon cle les étudier. Des bons e x e m p l e s sont t o u j o u r s utiles à connaître. Je ne v e u x p a s insister p l u s l o n g t e m p s sur ces échanges d'idées j u r i d i q u e s et p o l i t i q u e s entre les p a y s latins, bien qu'il me f û t f a c i l e d'en m u l t i p l i e r
les e x e m p l e s . J'en
ai
assez d i t pour prouver, il
semble, que des peuples qui ont la même pensée pensée politique
aussi, le même
juridique,
me
1a. même
idéal en somme, ne peuvent p a s rester
sans relations suivies et, j e dirai plus, sans les organiser.
(i) Annuaire
de législation
étrangère,
1913.
(3) Je dois au Consulat général de la République orientale de l'Uruguay communication d'un projet de ley de minería, dû à M. Acevedo, professeur d'Economie politique à l'Université de Montevideo, dont les soixante articles forment une excellente base d'étude. Ua Faculté de Droit de Montevideo est une des plus anciennes du Nouveau Monde. Elle a plus d'un demi-siècle d'existence.
NOS
LES
RELATIONS
D'ORDRE
MOYENS LES
JURIDIQUE
AVEC
L'AMERIQUE
LATINE
267
D'INTENSIFIER RELATIONS
INTELLECTUELLES
ENTRE
LA
JURIDIQUES
FRANCE
ET
L'AMÉRIQUE
LATINE
E t j'arrive ainsi à ce qui pourrait être a p p e l é la -partie pratique de m a communication. Oui,
il f a u t organiser nos relations
intellectuelles
juridiques,
comme toutes les autres. M a i s comment? Il y a d ' a b o r d les m o y e n s que j'appellerai les moyens moyens
libres,
privés,
c'est-à-dire ceux où n'interviennent pas les
les
pouvoirs
publics. Il ne f a u t pas les n é g l i g e r , car ils ont plus de souplesse que ceux où on est o b l i g é de f a i r e appel a u x organismes a d m i n i s t r a t i f s . V o i c i , par e x e m p l e , les g r a n d e s Sociétés
juridiques.
d a n s chaque p a y s . E l l e s ' discutent les questions
Il en existe
de législation, de
jurisprudence. E l l e s organisent des congrès. Pourquoi les sociétés juridiques françaises n'auraient-elles pas des liens plus étroits avec les sociétés latino-américaines similaires que ceux qui résultent de la qualité de membre de la société et de la cotisation p a y é e tous les ans? Te prends la plus ancienne de nos sociétés juridiques, cette Société législation
comparée
de
dont l a renommée est m o n d i a l e qui a été imitée,
mais non égalée, à Berlin, à L o n d r e s , à B r u x e l l e s , et qui se propose de f a i r e connaître, par des traductions accompagnées
de
commen-
taires, par des analyses aussi complètes que possible, les lois votées dans tous les E t a t s du monde. Ce qui a f a i t son succès, on me permettra de le dire en passant, c'est l'instrument merveilleux de transmission qu'est l a l a n g u e
française, connue
des juristes
du
monde
entier. E h bien, pourquoi ne s'établirait-il pas des relations suivies entre elle et les sociétés juridiques des p a y s
latino-américains? N e
pourraient-elles pas se communiquer leurs sujets de discussion? Pourquoi même ne songerait-on pas à organiser des discussions sur les mêmes sujets? Je ne v e u x pas cesser de parler de la Société comparée
de
législation
sans dire quelle part importante ont prise et prennent encore
à ses t r a v a u x les juristes de l'Amérique L a t i n e . S o u v e n t , les notices sur les sessions législatives, les traductions des lois, quelquefois, sont f a i t e s par des juristes latino-américains. E n f i n , détail de pure statistique qui montrera combien la Société appréciée dans l'Amérique
L a t i n e : sur
de
législation
comparée
les 350 membres
est
étrangers
qu'elle comprend, 80 environ, soit le quart, appartiennent à l ' A m é rique L a t i n e . Je v o u d r a i s
aussi que nos diverses sociétés s'entendissent
organiser des Congres.
pour
O n n'imagine pas les services que rendent aux
savants les congrès internationaux, où se rencontrent les spécialistes
2
~]6
LA P R E M I È R E SEMAINE DE
I/AMÉRIQUE
LATINE A LYON
du monde entier. Ce ne sont pas seulement les communications qui y sont faites et qui, souvent, apportent sur telles ou telles questions des xenseignements plus précis, plus complets que ceux qu'on trouve dans les livres, dans les articles de revues, à raison des explications et des discussions qu'elles provoquent; mais ce sont aussi les conversations entre membres du congrès qui éclairent souvent des lueurs les plus vives telle institution étrangère. Pourquoi des congrès ne seraient-ils pas organisés par nos diverses sociétés juridiques, congrès qui seraient des sortes de Constituantes dans lesquelles seraient traitées en commun, résolues par des juristes a y a n t la même formation et l a même mentalité juridique, les grandes questions du Droit public et privé ? Sur ce point, les juristes de l'Amérique L a t i n e nous ont singulièrement devancés. Leurs Congres panamèricains ont d é j à beaucoup t r a v a i l l é ; ils ont de nobles ambitions d'unification législative auxquelles nous ne pouvons qu'applaudir. Peut-être pourrions-nous, à ce point de vue, prendre modèle sur eux. A côté des sociétés juridiques et de leurs rapports, il ne f a u t pas oublier les Revues juridiques, politiques, économiques publiées dans chacun de nos pays. Il serait bon que leurs collaborateurs ne fussent pas pris uniquement dans le p a y s où la revue est publiée. Q u a n d j'ai créé la Revue du Droit public et de la Science politique en France et à l'Etranger, en 1894, j e l'avais conçue comme un organe de rapprochement entre les juristes du monde entier sur les questions figurant à son programme. J'y faisais analyser les revues juridiques et politiques de tous les p a y s par un écrivain du pays, et c'était un auteur du p a y s aussi qui nous apprenait dans une chronique spéciale les g r a n d s problèmes politico-législatifs qui s'y étaient agités. Je me bornerai à citer un seul nom de collaborateur latinoaméricain connu et réputé au Chili, celui de M. V a l e n t i n Letelier, qui a été, pendant plusieurs années, mon correspondant. Je voudrais que cette forme de collaboration se généralisât, que des écrivains français écrivissent dans vos revues juridiques et politiques et des écrivains latino-américains dans les nôtres. L a République Argentine a, depuis 1910, une Revista argentina de ciencias politicas où elle f a i t collaborer, non seulement des écrivains latino-américains, mais des auteurs des E t a t s - U n i s et d ' E s pagne. Je ne sais si elle a sollicité la collaboration d'écrivains français. E l l e n'y serait pas inutile, ne serait-ce que pour donner la réplique à certains articles particulièrement tendancieux. J e f a i s enfin appel aussi aux éditeurs, aux nôtres, dont certains ont depuis longtemps une situation si importante dans l'Amérique
NOS RELATIONS
D'ORDRE
JURIDIQUE
AVEC
L'AMERIQUE
LATINE
L a t i n e ; et à ceux de vos pays. Qu'ils établissent entre eux des relations qui ne soient plus intermittents, mais qui aient ce caractère de permanence qui, seul, produit des effets sérieux et durables. Mais je compte surtout, pour développer nos relations juridiques intellectuelles, sur les professeurs de nos Facultés de droit respectives et sur nos étudiants. D a n s la grande famille juridique qui comprend tous les professionnels du D r o i t : magistrats, avocats, professeurs, ces derniers occupent, au moins au regard de l'objet que nous envisageons, une place tout à fait à part. C e u x qui enseignent le Droit, ceux qui enseignent les sciences auxiliaires du Droit, dont le nombre et l'importance s'accroît chaque jour et qui font des juristes plus complets que ne l'étaient les anciens, mieux outillés au point de vue de l'histoire et des connaissances économiques et sociales, peuvent être les vrais missionnaires dont nous avons besoin pour arriver au but que nous poursuivons. T o u s les Latins, ceux de l'Amérique comme ceux d'Europe, aiment la parole toujours claire, souvent savante, élôquente quelquefois de ceux que l'habitude de l'enseignement a forcés à discipliner leur pensée, à l'ordonner, à lui donner le relief qui est nécessaire pour pénétrer les jeunes intelligences auxquelles ils s'adressent.. Argute loqui, parole toujours vraie, marque distinctive de notre race! Utilisons-la. Envoyons des professeurs de nos Facultés dans les vôtres, envoyez-nous-en chez nous. Ce ne sera pas une nouveauté. . N'est-ce pas un de nqs économistes les plus réputés, CourcelleSeneuil, qui a créé au Chili l'enseignement de l'Economie politique et qui a fait des élèves si nombreux et si fidèles, que son nom est prononcé avec respect et son autorité invoquée encore dans les discussions des assemblées politiques, comme me l'assurait quelqu'un qui connaît bien son pays, M. V i l d o s o l a ? N'avons-nous pas vu Pradier-Fodéré fonder au Pérou la Faculté de Droit de L i m a ? E t , plus près de nous, ne tend-il pas à s'établir un véritable va-etvient de professeurs français et latino-américains dans nos Facultés de Droit ?
*
M. Juan Carlos Cruz, professeur à l'Université de BuenosAyres, exposait, en 1911, à la Faculté de Droit de Paris, la Formation constitutionnelle de la République Argentine, dans une série de leçons qui ont eu le plus vif succès, comme celles de M. R o d r i g o Octavio, professeur à l'Université de R i o de Janeiro, en 1913, sur le Droit international privé dans la législation brésilienne, d'où est sorti un excellent livre que l'auteur a bien voulu dédier au doyen de la Faculté de Droit de Paris. j
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i
6
Un
LA PREMIÈRE SEMAINE DE L/AMÉRIQUE LATINE A LYON
de mes p l u s éminents c o l l è g u e s , M . D u g u i t , r e m p l a ç a n t le
professeur hors de pair que nous pleurons encore, M . R .
Saleilles,
a l l a i t lui-même, en 1 9 1 1 , f a i r e à la F a c u l t é de D r o i t et des Sciences sociales de B u e n o s - A y r e s des leçons appréciées sur les tions générales
du Droit privé depuis
le Code
Transforma-
Napoléon.
C e n'est p a s tout. J'ai la promesse de d e u x autres L a t i n o - A m é r i cains de marque, d o n t j ' a i d é j à bien des f o i s cité les noms, M . le président de L a B a r r a , que nous a p p l a u d i s s i o n s hier, et M .
Alejandro
A l v a r e z , le g r a n d juriste chilien, de venir exposer, à la F a c u l t é de D r o i t de P a r i s , aussitôt la guerre finie, cette question d u D r o i t intern a t i o n a l américain sur laquelle les jurisconsultes latino-américains ne sont pas, eux-mêmes, d'accord et qui a une si g r a n d e importance pratique. A g r é é s tous d e u x p a r la F a c u l t é de D r o i t et p a r l ' U n i v e r s i t é de Paris, nous les attendons avec impatience, car ils sont tous d e u x des amis de la F r a n c e et du D r o i t . Cette pratique de l'échange des professeurs, j e puis bien dire que j'en ai été un des premiers promoteurs.
Je
la
recommandais
au
C o n g r è s d ' E n s e i g n e m e n t supérieur de P a r i s , en 1900 ( 1 ) ; j'en montrais les b i e n f a i t s . M a i s cet é c h a n g e
de valeurs
intellectuelles
inappré-
ciables, l'expérience nous a appris qu'il ne f a u t le pratiquer qu'avec des amis. C'est donc une raison de plus pour que nous en m u l t i p l i i o n s les a p p l i c a t i o n s avec l ' A m é r i q u e L a t i n e . Je me permettrai d ' a j o u t e r qu'il serait à désirer que des
fonda-
tions permanentes, comme il en existe d é j à entre l ' U n i v e r s i t é de P a r i s et certaines Universités
de l ' A m é r i q u e du N o r d
pussent se réaliser
aussi entre les U n i v e r s i t é s latino-américaines et les nôtres. N o u s irions régulièrement enseigner chez vous, vous viendriez, de votre côté, en F r a n c e . Il y aurait là un enseignement régulier et permanent. Malheureusement, pour réaliser cet é c h a n g e d o n t on peut attendre tant de bien, il f a u t de l ' a r g e n t ! E t pour trouver cet a r g e n t il ne f a u t p a s compter seulement sur l ' E t a t , ni même sur les Universités. L ' E t a t et les Universités, v o n t être, en F r a n c e tout au moins, assez pauvres p e n d a n t de l o n g u e s années. M a i s les municipalités des villes d ' U n i versités,
les
Chambres
de
commerce,
les
particuliers
eux-mêmes
devraient venir en a i d e a u x pouvoirs publics. L e s villes, le commerce' p l u s qu'il ne le croit peut-être, sont intéressés à ce d é v e l o p p e m e n t de . a vie inter-universitaire latino-américaine et f r a n ç a i s e . Ils n'auront j a m a i s f a i t un meilleur emploi de leur argent.
4» 30
S f
au 4W
ço?
I n ™ ^ L n « t * * » '
tenu â Paris
et d i s c u s s i o n s . P a r i s , i 9 g o( P n 1i1 1l e it rI v f d te tl a ' i W 8 P r é p a r a t o i r e s , c o m m u n i c a t i o n s P . 18 à 3o). ' ' Préface, et r a p p o r t d e M . G. Blondel,
NOS
RELATIONS
D'ORDRE
JURIDIQUE
AVEC
L'AMERIQUE
LATINE
271
J'ajoute tout de suite, à cet échangé si souhaitable de professeurs, l'échange non moins désirable des étudiants. J'ai f a i t relever, par le service du secrétariat de la F a c u l t é de Droit de Paris, le nombre des étudiants latino-américains qui suivent nos cours, soit comme auditeurs libres, mais immatriculés, soit comme étudiants, candidats aux examens au même titre que les étudiants français. A v a n t la guerre, la F a c u l t é de Droit de Paris arrivait presque au chiffre annuel de 900 étudiants étrangers. L e s étudiants latino-américains ne figurent dans ce total que pouf 15 à 20 étudiants. C'est une proportion beaucoup trop faible. Il est vrai que les étudiants français doivent être encore bien moins nombreux dans les Universités latino-américaines. D e cette différence il est inutile de dire longuement les raisons. L a vieille U n i versité de Paris sera encore longtemps, mais pas toujours, certainement, une grand'mère qu'on va visiter mais qui ne rend que trop rarement les visites. Prenant donc le f a i t tel qu'il est, je dis qu'il f a u t attirer plus d'étudiants latino-américains dans les Facultés de Droit françaises qu'il n'y en a à l'heure actuelle. P a r quels moyens? D ' a b o r d , en faisant connaître urbi et orbi que les Facultés de Droit françaises ne sont pas seulement des E c o l e s professionnelles donnant l'enseignement traditionnel qui conduit aux carrières nobles de l'ordre judiciaire, le barreau et la magistrature, et qui n'y peuvent conduire qu'en France et que des Français, cela va sans dire, mais qu'elles sont devenues aussi, bien que leur titre ne le dise pas, de Hautes Ecoles de Sciences politiques et économiques, que l'histoire du Droit public et privé, histoire générale et histoires particulières, que l'Economie politique, les Sciences politiques, les Sciences sociales y sont largement représentées. E t , dès lors, les étudiants étrangers ne s'y trouvent pas dépaysés, puisqu'un g r a n d n'ombre de leurs enseignements peuvent servir à leur éducation générale aussi bien qu'à celle des jeunes Français. L a législation civile comparée, les institutions juridiques et politiques des Romains enseignées sous le point de vue de leur développement historique, le Droit international public, l'histoire des traités, le Droit international privé, l'histoire générale du Droit public et privé, le Droit public général, le Droit civil et a p p r o f o n d i et comparé, la législation commerciale comparée, la législation pénale comparée, le Droit constitutionnel comparé, formant le plus riche f o n d s d'enseignements juridiques généraux qu'il y ait dans une Faculté de Droit, à l'heure actuelle. L e sait-on assez dans l'Amérique L a t i n e ? E t , quand on songe que nos Facultés de Droit ont un nombre plus considérable encore de chaires d'Economie politique et de Science
2
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LA PREMIÈRE SEMAINE DE
I/AMÉRIQUE
LATINE A LYON
sociale, qu'on enseigne chez elles l'histoire des doctrines économiques, l'Economie politique générale, la Science financière, la législation et l'économie industrielles, la législation et l'économie rurales, la législation et l'économie coloniales, l'économie sociale, la statistique, on se rend compte aisément que, si nos Facultés ne peuvent naturellement pas préparer aux professions de judicature de tous les pays, elles sont cependant assez richement dotées en enseignements de Science juridique et de Science économique, largement et scientifiquement conçus, pour pouvoir offrir*à ceux qui veulent ce complément désormais indispensables des études professionnelles, qui f a i t le g r a n d juriste, toutes les facilités pour l'acquérir. E n particulier, il f a u t que l'Université de Paris redevienne, après la guerre, ce qu'elle était au M o y e n - A g e : la g r a n d e éducatrice du monde civilisé, j'ai cette ambition pour elle. Ecoutez ce que dit Boccace dans son Décaméron, de l'Université de Paris du quatorzième siècle : <( Il advint qu'en ces temps un jeune homme nommé Rinieri, gentilhomme de Florence, après avoir longuement étudié à Paris, comme le font bon nombre de gens, non pour vendre ensuite la Science par le menu, mais four savoir la raison des choses et leurs causes, ce qui sied excellemment à un gentilhomme... » Oui, nous avons la prétention d'enseigner encore « la raison des choses et leurs causes », c'est-â-dire, si j e comprends bien le g r a n d conteur italien qui était en même temps un très savant érudit, de ne pas nous attacher servilement et par ordre à un point de vue étroitement national, de chercher la vérité désintéressée, celle qui ne subit pas de directions, celle qui peut servir à tous. E t c'est pour cela que nous convions les étudiants latino-américams à venir chez nous pour compléter leurs études par un contact assez prolongé avec nos maîtres et avec leurs méthodes. Ils n'auront que l'embarras du choix, car nous pouvons leur offrir des Facultés de très grandes villes (Paris, L y o n , B o r d e a u x , Toulouse) et des Facultés de moins grandes villes (Rennes, Poitiers, Montpellier, N a n c y , Caen, etc.), des villes ensoleillées comme A l g e r , Montpellier, Aix-en-Provence, et des villes de brouillard, je n'ai pas besoin de les nommer. Partout, ils trouveront l'accueil le plus empressé, celui qu'on doit à des amis. D e s -patronages s'organiseront pour les recevoir, les guider, les soutenir de leur réconfort moral. Ils en ont un à Paris, d é j à constitué et que dirige un homme admirable de dévouement à là cause latino-américaine, M. Martinenche, le secrétaire général du Groupement des Universités et Grandes Ecoles de France pour les
NOS RELATIONS
D'ORDRE
relations avec V'Amérique fondateurs.
JURIDIQUE
Latine,
AVEC
L'AMERIQUE
LATINE
273
dont je m'honore d'avoir été un des
S'il f a u t des bourses d'études, je ne doute pas que ces p a y s de l'Amérique Latine, si riches, ne soient en état d'en créer. Nous sommes prêts aussi à admettre un large système à!équivalences entre les diplômes et les grades obtenus dans vos Universités et les nôtres. Pourquoi ne le ferions-nous pas? J'ai sous les y e u x l'ensemble des programmes de la F a c u l t é de Droit et des Sciences sociales de Buenos-Ayres. Ils ne diffèrent pas des nôtres. Ils renferment même des enseignements que nous ne possédons pas encore (philosophie du Droit, sociologie, introduction à l'étude du Droit). E t que vos pays, surtout, ne craignent pas l'envahissement des doctrines françaises, l'étouffement des sentiments nationaux par leur diffusion. L e propre de la science juridique française, au contraire, comme de la science française en général, c'est d'avoir ce large sentiment d'humanité qui exclut tout égoïsme et toute tendance à l'hégémonie. Notre science n'est pas la servante humiliée d'une politique quelconque. E t nous n'avons ni l'orgueil, ni la brutalité, ni la gloutonnerie, ni la grossièreté de ceux qui ont appelé quelquefois vos petites Républiques « les Républiques loqueteuses », ne comprenant pas que des p a y s neufs ont besoin de capitaux étrangers qui doivent les servir et non les absorber. E t , pour terminer cette communication, laissez-moi me citer encore. Ecrivant, en 1915, pour la participation de la France à l'Exposition de San Francisco, une petite notice sur la contribution de la France à l'élaboration des sciences juridiques et politiques, patrimoine commun des peuples civilisés, je disais : « Quelle que soit l'importance de la part qu'ont prise à l'élaboration du Droit, à la formation des doctrines politiques et juridiques, la législation française, la jurisprudence française, la science juridique et politique françaises, depuis les temps les plus reculés jusqu'à la période la plus moderne, m le peuple français, ni les écrivains politiques français, ' ni les juristes français ne" revendiquent pour eux seuls le monopole des idées qui ont pu servir, ici et là, la cause de la vérité, de la justice, du respect du Droit, qui ont pu pousser, soit à l'amélioration du sort de la créature humaine et au relèvement de sa dignité, but suprême de la civilisation, soit au perfectionnement des institutions politiques qui y touchent de si près. Nous avons suivi notre voie, tracé quelquefois la voie à d'autres, mais sans avoir jamais donné pour fin à notre action un profit quelconque. Nous avons aussi emprunté à d'autres. « A cette œuvre de perfectionnement indéfini, nous estimons que toutes les nations doivent concourir en se prêtant un mutuel appui, et,
LA PREMIÈRE; SEMAINE DE L'AMÉRIQUE LATINE A LYON
274
quelque g r a n d e que soit la p a r t de l a F r a n c e , nous n'entendons revendiquer aucune p r é d o m i n a n c e .
Nous
d e v o n s rendre justice à chacun,
a u x petits peuples comme a u x g r a n d s . p a r sa l é g i s l a t i o n , qui
l'humanité
est
Q u e ce soit tel ou tel p e u p l e ,
telle ou telle n a t i o n a l i t é , redevable
de
ses
par
ses penseurs,
progrès,
nous
nous
à en
réjouissons, même lorsque ce p e u p l e ,
cette n a t i o n a l i t é ne sont p a s la
F r a n c e . U n e hégémonie intellectuelle
ou morale serait aussi odieuse
qu'une hégémonie matérielle d a n s le concert des nations,
qui
doit
rester libre pour être f é c o n d » ( i ) . C e que j e disais a u x A m é r i c a i n s a n g l o - s a x o n s d a n s cette brochure destinée
à l'Exposition
cisco, j e le dis
universelle et internationale
aujourd'hui
aux
Américains
latins.
de
San
En
Fran-
venant en
F r a n c e étudier le D r o i t , ils a p p r e n d r o n t en même t e m p s la raison de l'aimer et de le servir, comme le f o n t , en ce moment même, les g l o rieux étudiants de nos F a c u l t é s de D r o i t , qui arrosent de leur s a n g , pour la d é f e n d r e , la terre f r a n ç a i s e , patrie de la raison, de la justice et de la liberté. F.
(;) F . L a r n a u d e , Les sciences juridiques
et politiques,
LARNAUDE.
dans la Science
française,
Paris 1915, t. II, p. 369, et p. 57 du tirage à part, paru à la librairie Larousse.
Les relations médicales entre l'Amérique Latine et la France PROPAGATION
DE
LA
SCIENCE
FRANÇAISE
PAR
LES
LIVRES
es événements actuels ont puissamment contribué à resserrer les liens qui unissent les savants et les médecins d'origine latine. C'est que la lutte acharnée qui se poursuit depuis plus de deux ans met en présence deux civilisations opposées : l'une des deux doit, sinon disparaître, au moins subir une éclipse. N o u s formons, les uns et les autres, habitants de l'Europe occidentale et habitants de l'Amérique du S u d , un groupement ethnique qui ne pourra j a m a i s se plier à la discipline intellectuelle de l ' A l l e m a g n e , qui ne pourra j a m a i s , sans perdre sa personnalité, c'est-à-dire sa raison d'être, accepter la civilisation allemande, s'inféoder à ses méthodes, s'assimiler ses idées et ses doctrines. V o i l à pourquoi la pénétration des p a y s latins par la science allem a n d e n'a j a m a i s été que superficielle : au moindre choc, nous avons secoué le j o u g qu'on tentait de nous imposer. V o i l à pourquoi les relations scientifiques et médicales entre la F r a n c e et l'Amérique du S u d sont restées si étroites : c'est que nous avons même origine, même aspiration, même pensée, nous avons la même indépendance d'idées, le même culte de la clarté et de la lumière. L'union de la France et de l'Amérique du S u d est assurée par l'échange de nos livres et de nos publications scientifiques : nos ouvrages ont toujours obtenu dans l'Amérique L a t i n e un très g r a n d succès et sont assurés d'une vente considérable. U n éditeur me disait que, P a n s mis à part, nos livres comptent plus de lecteurs, nos journ a u x et nos revues plus d'abonnés dans l'Amérique du S u d que dans toute la France. Je trouve une confirmation de la diffusion de notre scientifique
dans
le dernier numéro des Annales
F a c u l t é de médecine de Montevideo
littérature
publiées
par
la
Plusieurs médecins ont légué
leur bibliothèque à la F a c u l t é de médecine. O n nous donne la liste des ouvrages reçus. Ils sont au nombre de 392 : il y en a 296 français, 80 anglais, espagnols ou italiens, 16 allemands. Encore est-il que pas un ouvrage a l l e m a n d n'est dans sa langue originelle. L a science a l l e m a n d e ne se p r o p a g e que par les traductions, — liennes et surtout traductions françaises.
traductions ita-
2 ~]6
la
première
semaine de i / a m é r i q u e
latine
a
lyon
L ' A l l e m a g n e , s'étant heurtée à une difficulté de pénétration qui lui semblait insurmontable, avait conçu un projet extrêmement habile. A u moment où la guerre allait éclater, plusieurs maisons d'éditions scientifiques allemandes et autrichiennes devaient soutenir et commanditer une librairie qui se serait ouverte à Paris. O n aurait f a i t traduire en français les ouvrages
allemands,
et ceux-ci,
portant
la
marque d'une firme parisienne, auraient été dispersés dans le Nouveau Monde. Ils auraient vanté la science allemande, ils auraient prôné les produits pharmaceutiques allemands, et, comme il ne f a u t pas oublier les malades riches qui viennent demander aux stations thermales de l'Europe un soulagement à leurs m a u x , ils auraient conté les bienf a i t s des eaux minérales austro-allemandes. Ce projet, s'il avait été exécuté, aurait-il réussi? Je ne le crois pas. Sans doute, les Américains du S u d lisent assez difficilement l'allemand. Mais, s'ils donnent
la préférence à nos livres, ce n'est
pas
parce qu'ils sont écrits en français, c'est parce qu'ils sont conçus, pensés et exécutés par des hommes de race latine. C'est là, à mon sens, le point capital. O n a le tort de vouloir opposer l'œuvre littéraire à l'œuvre scientifique. L'œuvre littéraire, dit-on, est essentiellement personnelle, elle vit par l'expression des idées et des sentiments; l'œuvre scientifique est constituée par la découverte des phénomènes naturels. L e littérateur extériorise ce qu'il ressent ; le savant intériorise ce qu'il observe. Mais la science n'est pas un simple recueil de faits. C'est un édifice. Chaque f a i t ou chaque découverte ne constitue qu'une pierre du monument. L e savant doit classer, ordonner, mettre à leur place les divers matériaux; il doit les polir, les orner, les ciseler. E n un mot, il doit faire œuvre d'artiste. Il y a un art scientifique comme il y a un art littéraire, et c'est par l à que les écrivains d'origine latine sont incomparables. Ils possèdent au plus haut degré les deux qualités maîtresses qui assurent le succès d'une œuvre : la justice et la clarté. Je puis le proclamer hautement, sans crainte d'être démenti : nous nous sommes toujours efforcés d'accueillir les f a i t s nouveaux et les découvertes, sans jamais tenir compte de leur origine. Nous avons toujours rendu justice à la science allemande et lui avons f a i t une large place dans nos traités didactiques. L e s A l l e m a n d s n'agissent pas de même : ils ignorent ou feignent d'ignorer les travaux français ; s'ils les citent, c'est simplement à l'index bibliographique. Cette façon d'agir est extrêmement habile : ils prouvent
ainsi qu'ils connaissent
nos
recherches ; mais, par le silence systématique dont ils les entourent, ils indiquent clairement qu'ils ne les j u g e n t pas dignes d'une mention ou d'une analyse.
les relations
medicales entre l'amérique latine
et la france
277
N o s ouvrages, étant plus équitables, méprisant le dénigrement ou le silence systématique, ont le mérite d'être plus exacts et plus comp l e t s ; et ils ont encore l'avantage d'être plus clairs. L a clarté de l'esprit est l'apanage des races latines : elle jaillit de notre ancienne culture littéraire et se répand sur les sujets les plus obscurs. Bien des savants allemands ont avoué que leurs idées ou leurs hypothèses, exposées par un écrivain français, devenaient simples, faciles et lucides. C'est la sensation que Gœthe lui-même éprouvait, en lisant la traduction de son Faust par Gérard de Nerval. « E n allemand, disaitil, je ne peux plus lire F a u s t . Mais, dans cette traduction française, chaque trait reprend sa fraîcheur et me f r a p p e , comme s'il était tout nouveau pour moi. » Je sais bien que certains savants germains nous reprochent la clarté de nos descriptions et de nos hypothèses. Q u a n d on lit un ouvrage obscur et difficile, on f a i t un effort pour le comprendre, et le travail imposé à l'esprit est, disent-ils, un excellent exercice pour la mémoire; il force l'attention et fixe le souvenir. Peut-être ce travail d'assimilation est-il nécessaire à certains esprits; mais les hommes d e race latine le jugeront, je pense, bien superflu et bien inutile.
IMPORTATION
INSUFFISANTE DES
PUBLICATIONS
SUD-AMÉRICAINES
Si nous envoyons beaucoup d'ouvrages, livres, revues, j o u r n a u x , dans l'Amérique du S u d , nous en recevons beaucoup moins. D e u x Universités seulement, celles de Buenos-Ayres et de R i o de Janeiro, f o n t avec Paris un échange de thèses. L e Brésil, l'Argentine, l ' U r u g u a y , C u b a nous envoient régulièrement les publications officielles de leurs Universités. Nous recevons encore, mais assez irrégulièrement, quelques ouvrages du Mexique, du P a r a g u a y , de la Bolivie, ainsi que de Caracas et de Montevideo. Il y aurait lieu, j e crois, de rechercher le moyen d'augmenter l'importation des publications sud-américaines et d'organiser sur une p l u s large base le service des échanges. Il f a u d r a i t surtout faire appel à l'initiative personnelle. Editeurs et auteurs y trouveraient également leur intérêt. Nous gagnerions beaucoup à mieux connaître et à suivre de plus près l'évolution scientifique de l'Amérique Latine. L ' E x p o s i tion de L y o n , qui s'ouvrit à la veille de la guerre, en j u i l l e t 1914, a eu le g r a n d mérite de mettre sous les y e u x des visiteurs des documents intéressant la médecine. O n y a vu les nombreuses plantes médicinales qui sont une des richesses du Nouveau Monde et dont l'étude systématique, poursuivie à l'aide des méthodes que la science moderne met à notre disposition, pourrait avoir en thérapeutique
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l a première
semaine de i / a m É r i q u e l a t i n e
a
lyon
d'importantes applications. O n a pu aussi se rendre compte des dispositions prises contre la propagation des maladies contagieuses. L'organisation de l'hygiène, dans certaines contrées sud-américaines, fait la gloire de la civilisation moderne. Ces résultats ne sont pas' assez connus en France. Ceux qui voudront en prendre une idée pourront consulter le beau volume édité par le Bureau Parisien des Informations Brésiliennes : La campagne sanitaire du Brésil, de Théophile Torres.
UTILITÉ. AVEC
LES
D'ACCROITRE ÉTUDIANTS
LES ET
RELATIONS LES
MÉDECINS
LATINO-AMÉRICAINS
L e s étudiants sud-américains inscrits à la Faculté de médecine de Paris sont peu nombreux : il n'y en a que 60 ou 70. Ces chiffres ne donnent pas du tout une idée exacte de la réalité. Ce ne sont pas, en effet, les étudiants qui fréquentent nos Universités, ce sont les docteurs en médecine. L e s Sud-Américains trouvent dans leur pays une excellente éducation médicale. Ils n'ont pas grand intérêt à faire leurs études et à prendre leurs grades dans nos Facultés. U n e fois reçus docteurs, ils viennent en France, pour compléter leur instruction. Ils y restent un certain temps, afin de s'initier à notre genre de vie et à notre civilisation; ils suivent nos cours, fréquentent nos cliniques; ils vont étudier dans nos bibliothèques, visitent nos musées et nos laboratoires; mais ils ne se font pas immatriculer à la Faculté. Ils ne figurent pas sur les relevés officiels. Ce qui est encore plus regrettable, c'est que nous ne les connaissons pas ou nous les connaissons peu. J'ai été enchanté, hier soir en arrivant à L y o n , de pouvoir causer avec plusieurs confrères sud-américains, qui me font l'honneur d'assister régulièrement à mon cours; sans la Semaine de l'Amérique Latine qui nous a rapprochés, nous n'aurions probablement jamais échangé deux paroles. Je regrette vivement que nous n'ayons pas plus de relations avec les médecins étrangers qui viennent en France. Je serais, pour ma part, fort heureux de m'entretenir avec eux, de connaître leurs impressions, de leur fournir les explications qui leur sembleraient utiles, et, en même temps, je les interrogerais sur leurs études, sur la situation scientifique de leur pays. Nous tirerions, les uns et les autres, le plus grand profit de ces conversations et de ces échanges de vues. Peut-être y aurait-il lieu d'organiser un groupement qui réunirait les médecins et les étudiants venus de l'Amérique Latine. L e s membres du corps enseignant français seraient, j'en suis persuadé,
les
relations medicales entre l'amérique latine e t l a france
279
f o r t heureux d'y adhérer et d'entrer en relations avec des confrères auxquels nous unissent les liens d'une origine commune et d'une estime réciproque. Il f a u d r a i t aussi donner à nos visiteurs un souvenir de leur passage à la F a c u l t é de médecine : j e ne dis pas un diplôme, mais un parchemin qui leur rappellerait le séjour qu'ils ont f a i t parmi nous. Cette petite réforme serait grosse de conséquences. E l l e me paraît urgente à l'heure actuelle, car nous avons le devoir de donner à nos confrères, médecins et étudiants sud-américains, un témoignage de notre gratitude pour les services qu'ils nous rendent. T a n d i s qu'ils fréquentaient notre F a c u l t é , participaient à nos travaux, profitaient des nombreuses distractions que leur offre notre capitale, ils ont, comme nous, été secoués par le souffle de la tempête que déchaînait la volonté de l ' A l l e m a g n e . A l o r s , d'un même élan, ils se sont répandus dans nos hôpitaux militaires et dans nos ambulances, et, depuis le commencement de la guerre, ils se consacrent avec un dévouement inlassable au traitement de nos blessés. A ceux qui étaient d é j à en France sont venus s'en joindre d'autres qui ont quitté leur pays, ont abandonné leurs occupations, ont oublié leurs intérêts, pour s'enrôler sous la bannière de notre C r o i x - R o u g e . Je serai votre interprète en adressant aux médecins et étudiants sud-américains, qui nous ont apporté avec tant d'abnégation et de zèle le concours de leur science et de leur dévouement, le témoignage public de notre éternelle reconnaissance.
SUPÉRIORITÉ
DE
LA
MÉTHODE
FRANÇAISE D'ENSEIGNEMENT
CLINIQUE
Ce qui attire surtout les étrangers, c'est notre enseignement clinique. L e s médecins français ont toujours excellé dans l'art d'examiner les malades. Toutes les descriptions médicales qui ont permis de creer la nosographie moderne ont été édifiées au cours du siècle dernier par les savants français. C'est que, contrairement à ce qui a lieu dans d'autres pays, nos étudiants sont toujours en contact avec les malades. Dès leur entrée à la Faculté, ils sont astreints au stage hospitalier. Ceux qui désirent profiter des immenses matériaux d'études qu'ils peuvent trouver dans les hôpitaux, préparent le concours de l'internat. L'institution
de l'internat, vieille aujourd'hui de
connue et appréciée
dans
le monde
entier.
114 ans,
est
C'est la pépinière
des
véritables cliniciens. L'internat des hôpitaux accueille, sans distinction de nationalité, tous ceux qui réussissent au cours d'entrée, extrê-
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~]6
la première
semaine de I / a m é r i q u e l a t i n e a
lyon
mement difficile. Nous sommes fiers de compter, parmi nos collègues d'internat, un g r a n d nombre de savants et de médecins étrangers qui, retournés dans leur p a y s d'origine, restent toujours en relations avec nous et propagent par toute la terre les idées, les doctrines et les méthodes françaises. Il y a actuellement, dans l'Amérique du S u d , seize anciens internes des hôpitaux de Paris : trois au Brésil, trois dans l'Argentine, trois dans l ' U r u g u a y , trois à Cuba, deux au Mexique, un à Puerto Rico et un au Nicaragua. A la liste des vivants, permettezmoi d'ajouter le nom de mon camarade d'internat, mort en pleine activité scientifique, le professeur A l b a r r a n . N é à Cuba, il fit ses études médicales en F r a n c e ; après avoir été interne des hôpitaux, le premier de la promotion, il devint successivement chirurgien des hôpitaux, agrégé de la F a c u l t é de médecine, professeur titulaire de la clinique des maladies urinaires, où il succéda à son maître Guyon. Nous avons, les uns et les autres, le droit d'être fiers de cet hispano-américain, qui f u t une des gloires de la F a c u l t é de Paris.
AMÉLIORATIONS
APPORTÉES
AUX
LABORATOIRES
Nos laboratoires étaient jusqu'à présent moins bien installés que nos cliniques ; mais la réorganisation des études médicales nous a permis d'y apporter de nombreuses améliorations. L e nouveau régime d'études, mis en vigueur depuis quatre ans, a f a i t voter de larges crédits. Nous avons pu renouveler notre matériel et le mettre à la hauteur des exigences modernes. Nous avons perfectionné notre outillage, augmenté notre personnel, et quand, après la guerre, le travail reprendra dans nos Facultés, nous pourrons offrir aux étrangers qui voudront poursuivre des recherches dans nos laboratoires toutes les ressources nécessaires. Je n'ai pas besoin d'ajouter que nous les accueillerons avec la plus grande cordialité, nous mettant à leur disposition pour leur fournir les indications utiles et leur indiquer, s'ils le désirent, des sujets de recherches personnelles. U n g r a n d nombre de médecins sud-américains ont pu apprécier notre organisation scientifique en suivant les cours de l'Institut de médecine coloniale. F o n d é en 1902, l'Institut de médecine coloniale dépend de la F a c u l t é de médecine à Paris. L e s cours commencent dans la première semaine d'octobre et se terminent à la fin de décembre. T o u s les jours, de neuf heures du matin à six heures du soir, les élèves doivent assister à des leçons théoriques ou prendre part à des manipulations pratiques. O n leur enseigne la parasitologie, la bactériologie, les m a l a d i e s et l'hygiène des p a y s chauds, la législation sanitaire inter-
les relations
medicales entre l'amérique latine et l a france
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nationale. Ce travail intensif donne d'excellents résultats, et les e x a mens qui terminent l'enseignement sont, dans l'ensemble, f o r t satisfaisants. D e 1902 à 1913, l'Institut de médecine coloniale, compte 224 élèves. Sur ce nombre 72, soit 32 0/0, sont originaires de l'Amérique du S u d . Ce sont des docteurs en médecine, attirés par l a réputation de l'enseignement que nous donnons et par la valeur du diplôme qui est conféré. V o i c i comment se répartissent, d'après leur nationalité, les 72 élèves sud-américains. Equateur, u n ; Puerto-Rico, u n ; Brésil, d e u x ; Costa-Rica, d e u x ; République dominicaine, d e u x ; N i c a r a g u a , d e u x ; Pérou, d e u x ; Mexique, trois; Guatemala, quatre; P a r a g u a y , quatre; H a ï t i , c i n q ; S a l v a d o r , c i n q ; Venezuela, douze; Colombie, vingt-sept. A u x examens terminaux, les élèves sud-américains obtiennent souvent les meilleures notes et occupent p a r f o i s la première place. L e premier de la promotion, en 1902, venait de la C o l o m b i e ; en 1903, d e G u a t é m a l a ; en 1904, de P o r t o - R i c o ; en 1906, du B r é s i l ; en 1912, d e S a l v a d o r . Ainsi, sur douze motions, cinq fois la première place f u t occupée par des médecins B . d-américains, qui, malgré la difficulté pour les étrangers de suivre notre enseignement et de répondre à nos questions d'examen, se sont f a i t classer avant leurs condisciples français. Pour maintenir les relations entre les professeurs et les anciens élèves de notre Institut, on a f o n d é une Société de médecine coloniale, dont les uns et les autres f o n t tous partie. Il y a quelques années, on a créé à Paris une Société de pathologie exotique, qui se réunit dans les locaux de l'Institut Pasteur et compte, parmi ses membres correspondants, plusieurs savants sudaméricains. V o i l à encore des institutions qui servent de trait d'union entre les médecins d'origine latine, dispersés dans les diverses régions du globe.
ÉCHANGE
DE
PROFESSEURS
Pour rendre plus intimes et plus fécondes les relations scientifiques entre la France et l'Amérique du S u d , il f a u d r a i t établir un échange de professeurs, il f a u d r a i t étendre à l'Amérique du S u d et appliquer a u x Facultés de médecine ce que les Facultés des lettres f o n t d é j à avec l'Amérique du N o r d . Je sais bien qu'on se heurtera à une difficulté. L e s Français ont des d é f a u t s , entre autres celui d'être f o r t casaniers : nous nous déplaçons difficilement. L e s Américains du S u d qui sont venus en E u r o p e sont innombrables; combien peu de Français ont traversé l ' A t l a n t i q u e ! N o u s hésitons à quitter notre demeure,
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la
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semaine de I / a m é r i q u e l a t i n e
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lyon
à abandonner notre pays, même pendant quelques mois, à plus forte raison si l'on nous demande un séjour prolongé ou définitif. Il y a quelques années, une Université sud-américaine offrait de nommer un jeune savant français professeur d'histologie. L a place était avantageuse; le laboratoire aurait été bien installé, dans une ville extrêmement salubre. Nous avons cherché et nous n'avons trouvé personne. Je suis persuadé qu'après la guerre on s'expatriera plus facilement. D é j à , nous avons obtenu un résultat important : un agrégé fort distingué de la F a c u l t é de Paris, M. Brumpt, est allé enseigner la parasitologie à Sâo-Paulo. Son exemple sera facilement suivi. Mais il ne f a u d r a i t pas simplement envoyer, de temps en temps, en A m é rique un professeur français.. Il f a u d r a i t négocier une entente entre les Universités françaises et sud-américaines et organiser un service régulier d'échange. Ce système aurait un double avantage : le professeur qui séjourne à l'étranger exporte les connaissances scientifiques qu'il a acquises; mais, en même temps qu'il enseigne, il s'instruit. M a l g r é la diffusion des f a i t s et des i d é e s . l a science reste régionale. E n allant dans un p a y s lointain, on trouve l'occasion de s'im -r à des méthodes et à des idées originales. Plus la distance est g r a n d e et la civisilisation différente, plus l'impression produite est forte et utile. L a nouveauté est la plus puissante des suggestions; c'est en changeant de milieu qu'on quitte le chemin battu de la routine et qu'on découvre des voies inexplorées. E n rendant plus étroite et plus fréquente la collaboration entre la France et l'Amérique du S u d , on aboutira certainement à des résultats d'une haute portée pratique. J'en ai pour preuve l'histoire de la lutte contre la fièvre jaune et le venin des serpents. U n modeste officier de santé de la Guadeloupe, Daniel de Beauperthuis, f u t le premier qui soupçonna le rôle des moustiques dans la transmission de la fièvre jaune. Son idée f u t reprise, développée, mise en pleine lumière par Carlos F i n l a y , de la H a v a n e , mon éminent confrère de l'Académie de médecine de Paris. Puis vinrent les travaux de la Commission américaine qui comprenait des savants des deux Amériques. C'est alors qu'une mission française, constituée par Marchoux, Salimbini et Simond, se rendit au Brésil. E l l e y séjourna quatre ans et démontra d'une façon définitive le rôle du stegomia dans la transmission de la maladie. O n possédait ainsi des notions exactes sur l'étiologie de la fièvre jaune. O n en pouvait déduire des indications précises pour la prop h y l a x i e . Il n'y avait qu'à accomplir l'œuvre pratique, œuvre immense, hérissée de difficultés, et dont vint à bout le g r a n d savant brésilien O s w a l d o Cruz. L e s dépenses furent considérables : il f a l l u t abattre des maisons, transformer des quartiers, rénover l'hygiène; mais les
les relations
medicales entre l'amérique
latine
et la france
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résultats furent merveilleux. L a fièvre jaune causait à Rio de Janeiro de 1.000 à 1.200 décès par an. E n 1903, on commença la lutte et, dès 1904, la mortalité était tombée à 88. E n 1908, il n'y avait que 4 décès. Depuis 1909, il n'y en a plus. V o i l à ce qu'a pu faire un homme à qui une f o i scientifique inébranlable avait donné l'énergie d'imposer ses convictions et le courage d'assumer les responsabilités. Aujourd'hui, un magnifique Institut, qui porte le nom d ' O s w a l d o Cruz, est largement ouvert aux savants, dont les travaux sont insérés dans une belle publication. L e texte est sur deux colonnes : l'une en portugais, l'autre en allemand. Mais rassurez-vous : depuis deux- ans, un changement a été introduit, une substitution s'est faite : l'allemand a cédé la place au français. Cette petite modification apportée à une publication scientifique en dit long sur l'évolution qui s'est accomplie au Brésil et sur le renouveau de sympathie que nous valent les événements actuels. L a France a été aussi la collaboratrice de l'Amérique du Sud dans la lutte contre les serpents venimeux. Phisalix et Bertrand établirent que l'on peut immuniser les animaux contre le venin des ophidiens et qu'après cette vaccination le sérum possède des vertus curatives. L a question f u t reprise et mise au point par Calmette. Pendant longtemps, le monde entier f u t tributaire de l'Institut de Lille. C'est alors que fut fondé, dans la province de Sâo-Paulo, l'Institut de Butantan, dont la direction a été confiée à un savant éminent, V i t a l Brazil. L'Institut comprend deux parties : l'une, où l'on peut étudier dans les meilleures conditions la vie et les mœurs des serpents; l'autre, où l'on prépare les différents sérums thérapeutiques.
PROGRÈS
DUS
A
LA
SCIENCE
SUD-AMÉRICAINE
Il me sera permis de regretter que les savants de l'Amérique Latine ne publient pas plus souvent leurs recherches dans les revues et les journaux de France. Si M. Houssaye a relaté dans la Presse médicale les importants résultats qu'il a obtenus en étudiant l'hypophyse, c'est que je connaissais ses travaux et que j'avais sollicité de lui un article. Croyez bien que nous accueillerons avec reconnaissance les publications de l'Amérique du Sud. Croyez bien que nous aurions été heureux d'insérer dans les journaux scientifiques de notre pays, les travaux de Chagas sur les trypanosomes, de Crawell et de Herrera V e g a s sur l'echinococcose, de Mendes et de Dessy sur la vaccination contre le gonocoque, de Pena sur la sérothérapie antitétanique, de Ciskeros sur la fulguration et l'électro-coagulation. Mais je m'arrête, car je serais entraîné à vous exposer les progrès que nous devons à la science sud-américaine, et cette séance n'y
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la
première
semaine de i / a m É r i q u e
latine
a
lyon
suffirait pas. J'ai tenu seulement à rappeler quelques t r a v a u x , à citer quelques noms choisis un peu au hasard. J'ai tenu à montrer
avec
quel intérêt nous suivons l'évolution scientifique dans les régions sudaméricaines et quel a v a n t a g e nous aurions à les mieux connaître. L ' e x p o s i t i o n de L y o n a eu l ' a v a n t a g e de faire suivre sur des diagrammes et de montrer sur des maquettes l'organisation de l'hygiène d a n s l'Amérique du S u d . O n est f r a p p é d'admiration en v o y a n t les dispositions si simples qui ont été adoptées pour secourir les accidentés de la rue. U n homme tombe, on presse le bouton d'une sonnette électrique (et on a installé à chaque coin de rue un avertisseur); quelques minutes se. sont à peine écoulées, une voiture spéciale arrive, amenant un médecin et des aides. L a voiture est aménagée pour que les soins nécessaires soient donnés aussitôt : le traitement commence en cours de route et s'achève bientôt dans une clinique ou dans un hôpital. Q u e l l e leçon nous pouvons prendre, quels exemples nous pourrions imiter ! L ' A m é r i q u e du S u d a donné la démonstration la plus p a r f a i t e d e ce qu'on peut obtenir en a p p l i q u a n t à l'hygiène et à la p r o p h y laxie les découvertes de la science expérimentale. L e s m a l a d i e s infectieuses et parasitaires ravageaient le N o u v e a u - M o n d e .
Aujourd'hui,
grâce a u x mesures qui ont été prises, la fièvre j a u n e est vaincue, la peste disparaît, le paludisme s'éteint, les serpents venimeux cessent d'être redoutables. E t , tandis
qu'en
Amérique
la
science
moderne
trouve le moyen de lutter efficacement contre les m a l a d i e s , de diminuer l a morbidité et la mortalité, en E u r o p e la barbarie antique semble renaître pour détruire les villes, décimer les populations, emmener en e s c l a v a g e les vieillards, les e n f a n t s et les femmes... V o i l à ce que f a i t ici la civilisation germaine, voilà ce qu'a réalisé là-bas la civilisation latine !
HENRI R O G E R .
La Librairie Française en Amérique Latine
OBJET
DU
RAPPORT
K près les lumineux exposés de M M . Marius et A r y L e b l o n d , de M. J \ le Professeur Martinenche et de M. H. Moysset sur les relations intellectuelles entre la France et l'Amérique Latine, je m'abstiendrai de traiter de la mission « spirituelle » du livre, de son action, de son influence sur la formation et l'orientation de la pensée collective. Je demeurerai sur le terrain purement économique et m'en tiendrai à l'organisation technique du commerce de la librairie française avec l'Amérique du Sud : ce qu'il est et ce qu'il devrait être. SITUATION
ACTUELLE
DE
LA
LIBRAIRIE EN
AMÉRIQUE
LATINE
O n a beaucoup parlé d'une crise de la librairie française. Il se peut que cette crise existe quelque part, dans plusieurs pays d'Europe, mais je ne crois pas que l'on puisse émettre pour nos relations avec l'Amérique Latine un diagnostic ainsi pessimiste. Notre situation est loin d'être aussi précaire que certains veulent le dire. L'étude précise et exacte des statistiques de l'importation des livres dans les divers E t a t s de l'Amérique Latine est matériellement impossible. L e s documents officiels classent cette importation sous une rubrique identique et unique : Livres imprimés, musique, cartes géographiques. Il est de toute évidence que les chiffres accusés par ce chapitre des statistiques douanières n'ont que des rapports fort approximatifs avec l'importance réelle des livres proprement dits introduits sur le continent sud-américain. J'entends par « livres proprement dits » ceux-là seuls qui sont le produit d'une manifestation, d'une pensée créatrice et didactique, tels les romans, les œuvres d'enseignement techniques, philosophiques ou littéraires, les études sociales ou économiques, les ouvrages critiques ou monographiques d'art, les textes classiques et leurs analyses, etc... Mais j'exclus ces livres qui, tout en étant des « livres imprimés », ne sont en réalité que des publications spéculatives ou d'affaires qui, pour répondre aux fins auxquelles elles sont destinées, affectent 1« plus souvent l'apparence d'une œuvre d'art ou d'enseignement.
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LA P R E M I È R E SEMAINE DE L/AMÉRIQUE LATINE A LYON
Aucune
statistique
o f f i c i e l l e ne
peut
exercer
à
ce
sujet
une
d é m a r c a t i o n précise. C'est pourquoi il convient de n'accorder à leurs chiffres qu'une valeur documentaire très relative. C a r , quelle que soit au premier aspect l'importance des chiffres de certains de nos concurrents, c o m p a r a t i v e m e n t a u x nôtres, il ne f a u t p a s oublier que les A l l e m a n d s et les A n g l a i s a y a n t poussé l'ingéniosité et l'utilisation de la publicité à d e s points extrêmes, une proportion assez élevée de leur i m p o r t a t i o n doit être affectée à ces o u v r a g e s que j ' e x c l u s des « livres proprement dits ». D ' a u t r e part, les envois p a r poste et p a r colis p o s t a u x
de nos
éditeurs et de nos libraires, les achats de livres f a i t s en F r a n c e p a r des A m é r i c a i n s de p a s s a g e et emportés p a r e u x d a n s leurs b a g a g e s , atteignent des sommes très considérables qui échappent à toute statistique. Voici
donc,
malgré
ces réserves, l'importation c o m p a r a t i v e
de
notre librairie et des principales librairies concurrentes d a n s quelquesuns des E t a t s sud-américains.
Moyenne comparative des 5 dernières années (Valeur en R. ARGENTINE
France Allemagne Italie Es-pagne
Fr. ........
950.000 880.000 746.000 1,850.000
francs) BRÉSIL
CHILI
URUGUAY
2.858.000 706.000 400.000 1.650.000
305.000 610.000 80.000 450.000
605.000 306.000 54.000 280.000
Il résulte d'un e x a m e n sommaire de ce t a b l e a u : d ' a b o r d , que nous sommes loin d'être en piètre posture d a n s le commerce extérieur de la librairie; ensuite, que nos concurrents les plus d a n g e r e u x en A m é r i q u e L a t i n e sont ceùx qui vendent des livres écrits d a n s la l a n g u e nation a l e des p a y s a u x q u e l s ils sont destinés; enfin que, pour aussi o r g a nisée que puisse être la concurrence a l l e m a n d e , elle n'est p a s à ce point inébranlable que nous ne puissions espérer l ' é g a l e r ou la s u p p l a n t e r . D a n s les E t a t s de l ' A m é r i q u e de l a n g u e e s p a g n o l e : l ' A r g e n t i n e , la B o l i v i e , la C o l o m b i e , le C h i l i , C u b a , l ' E q u a t e u r , l ' H o n d u r a s , M e x i q u e , le N i c a r a g u a , P a n a m a , le P a r a g u a y , le Pérou,
le
Salvador,
l ' U r u g u a y , le V e n e z u e l a , c'est l ' E s p a g n e qui importe la m a j e u r e partie des livres. S o n chiffre g l o b a l dépasse pour l ' A r g e n t i n e 5 m i l l i o n s de f r a n c s ; pour des p a y s de moindre importance, il atteint presque 4 millions, alors que pour le Brésil, p a y s de l a n g u e p o r t u g a i s e , son c h i f f r e est tellement infime qu'il n ' a p p a r a î t même p a s d a n s les statistiques sommaires.
LA LIBRAIRIE; FRANÇAISE EN AMERIQUE LATINE
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A u Brésil, c'est le P o r t u g a l qui constitue sinon la plus
forte
importation, tout au moins la plus caractéristique. E l l e se maintient à peu près égale dans une moyenne constante de deux millions et audessus. SUPÉRIORITÉ
DE
LA
LIBRAIRIE
FRANÇAISE
L a France arrive bien en toute première ligne, mais il y a lieu de tenir compte que, dans la formation de son chiffré, entrent vraisemblablement pour la plus forte partie les opérations de plusieurs importantes maisons parisiennes a y a n t de fortes succursales à R i o de Janeiro et spécialisées dans l'édition en langue portugaise d'ouvrages classiques, artistiques et de vulgarisation. D e cette observation il résulte que la meilleure f a ç o n de faire un gros chiffre d'affaires en librairie c'est de répandre des livres écrits ou traduits dans les langues nationales. L a supériorité de nos auteurs est incontestée et incontestable. L e s Universités de B o g o t a , de R i o , de Buenos-Ayres préfèrent à tout autre l'enseignement de nos maîtres. N o s ouvrages de médecine, de droit, d'économie politique font autorité, mais c'est une erreur f o n d a mentale et dangereuse «de croire que, parce que nos auteurs sont supérieurs, ils sont de ce f a i t même perceptibles à ceux qui n'ont de notre langue qu'une connaissance p a r f o i s rudimentaire. NÉCÉSSITÊ
DES
TRADUCTIONS EN
ESPAGNOL
ET
EN
PORTUGAIS
C'est un de nos d é f a u t s capitaux que de supposer que partout on parle et l'on comprend aisément le français. Certes, le diplomate, le chargé de mission, le professeur qui arrive à L e i p z i g ou Pétrograd et qui y est attendu, trouve à la gare des gens qui le reçoivent en français, qui l'accompagnent dans ses visites chez des personnalités très cultivées qui, par conséquent, parlent le f r a n ç a i s ; mais ce n'est pas là le public. L e public comprend et parle surtout une langue : la
sienne.
Or, la librairie — heureusement pour elle, — s'adresse au g r a n d public et non pas à l'élite exclusivement, sans quoi ses tirages à cent mille exemplaires deviendraient de bien rares exceptions. A u j o u r d ' h u i , l'élite n'est pas une sélection contemplative de la race. E l l e est, bien au contraire, éminemment productive. L ' e f f o r t dans la documentation, dans la nutrition de la pensée d o i t être réduit à son minimum de tension. Il le sera d'autant plus que l'étude à faire se présentera d a n s ' l e mode le plus familier et le plus courant : la langue native.
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LA PREMIÈRE SEMAINE DE
I/AMÉRIQUE
LATINE A LYON
L ' a v o c a t , le juriconsulte argentin ou brésilien qui préparera un o u v i a g e ou un discours, préférera rechercher sa documentation dans un texte espagnol ou portugais, plutôt qu'arc-bouter toute sa science du français sur l'œuvre d'un de nos maîtres, éminente sans doute, mais écrite dans ce français d é j à si ésotérique de la science juridique. U n éditeur, spécialiste des publications de jurisprudence, me disait ces jours derniers qu'il vendait depuis plusieurs années un nombre respectable d'un assez gros ouvrage de droit dans l'Amérique du S u d . U n jour, il céda à une maison italienne le droit de traduction et, depuis ce jour, il ne vend plus un seul exemplaire de son édition française. Ce f a i t démontre que l'acheteur éventuel de cet ouvrage, devant les difficultés que lui imposerait sa lecture en français, préfère le lire dans le texte italien, langue qui se rapproche beaucoup plus que la nôtre de l'espagnol. Il y a donc tout intérêt pour nos éditeurs à faire des traductions en espagnol et en portugais. Certes, l'enseignement du français est presque partout obligatoire en Amérique L a t i n e , mais cet enseignement n'est pas à tel point poussé, ni h â t i f , qu'il permette de donner aux élèves de l'enseignement primaire, secondaire et universitaire le texte français. C'est donc, suivant le cas, l ' E s p a g n e ou le Portugal qui fournissent, et ensuite l ' A l l e m a g n e . L e s maisons allemandes n'hésitent pas à éditer tous les ouvrages d'enseignement simultanément en plusieurs langues.
ACTION
DE
L'ALLEMAGNE
C'est ainsi que dans des écoles de Buenos-Ayres, de S â o - P a u l o , de Bahia, j'ai vu des éditions des Brockhauss-Schulhausgaben, de la Rengersche B u c h h a n d l u n g , de Speemann, de T h é o d o r e Weicher, mais avec le talent de pénétration et de dissimulation où ils sont passés maîtres, ces ouvrages édités et imprimés à L e i z i g sont vendus sous la marque d'une maison de Buenos-Ayres ou de R i o avantageusement connue sur la place et y jouissant d'une notoriété d'autant plus considérable que cette façon de procéder et l'appui de la toute puissante centralisation libraire de L e i p z i g en f o n t une véritable puissance locale. A Buenos-Ayres, nous voyons au premier r a n g des librairies exerçant en quelque sorte le monopole des fournitures scolaires, des maisons allemandes américanisées, telles Jacob Peuser, K r a f t , Gunche, W i b e c k y T u r t l .
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LA LIBRAIRIE FRANÇAISE EN AMERIQUE LATINE
INCONVÉNIENT
DE
LA
CESSION
DU
DROIT
DE
TRADUCTION
S'il importe que nos éditeurs publient leurs ouvrages en langue espagnole, je crois aussi qu'ils ont tout intérêt à le faire eux-mêmes, plutôt qu'à céder, comme beaucoup l'ont f a i t jusqu'à ce jour, le droit de traduction à une maison espagnole ou américaine. Ce qui m'a été dit dernièrement au sujet d'un volume de jurisprudence cédé à une maison italienne peut être appliqué indistinctement à tous les livres en général. Faire soi-même l'édition de la traduction, c'est conserver la propriété de l'ouvrage et sauvegarder à la fois les intérêts de l'éditeur et ceux de l'auteur. Il ne f a i t aucun doute que si nos grandes librairies vendent d é j à un assez grand nombre de livres de littérature, d'histoire universelle, de géographie, de science dans les institutions américaines, le jour où elles produiront ces textes en espagnol elles en vendront mille fois plus. Mais, si l'éditeur a cédé le droit de traduction au lieu de l'éditer lui-même, il verra les bénéfices progressifs de cette vente lui échapper et enrichir non seulement un concurrent, mais encore un p a y s étranger. L a traduction de n'importe quel ouvrage du français à l'espagnol ou au portugais rte présente aucune des difficultés matérielles que présenterait une traduction en russe ou en une l a n g u e orientale. L e s langues sud-américaines sont des langues latines écrites en caractères identiques aux nôtres, avec seulement quelques différences dans les accents toniques. Il est évidemment certaines branches de l'enseignement pour lesquelles la simple traduction de nos classiques serait insuffisante, telles : l'histoire, la géographie et la littérature autochtone pour lesquelles il f a u t accorder une certaine prédominance aux contingences locales.
UTILITÉ
DES
TRADUCTIONS PAR
DES
AUTEURS
SU D-AMÉRICAIN
S
Mais là encore, notre librairie ne doit pas se désintéresser de la chose. E l l e trouvera dans le corps enseignant sud-américain des auteurs de valeur qui lui prépareront des textes dont le succès sera assuré par avance, parce qu'ils profiteront de l'autorité locale de l'auteur et de sa situation dans le corps même de l'enseignement qui Utilisera et préconisera son œuvre. E l l e les trouvera même avec d'autant plus de facilité et de libéralité que jusqu'ici le nombre des ouvrages d'instruction est extrêmement réduit et que l'industrie du livre est encore embryonnaire en Amérique du Sud. 10
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LA PREMIÈRE SEMAINE DE I/AMÉRIQUE LATINE A LYON
L e s prix de revient y sont excessivement élevés par suite de la difficulté de recruter une main-d'œuvre professionnelle, en raison de la cherté du papier et du cartonnage et aussi parce que la vente se restreint à une seule nation, quelquefois peu peuplée. C e s t ainsi qu'une Histoire de l'Amérique du Sud éditée à BuenosAyres aura bien peu de chance d'être vendue au Chili et au Pérou, alors que la même, éditée à Paris, pourra être vendue indistinctement dans toute l'Amérique du Sud. L e commerce est en effet plus facile entre la France et les républiques sud-américaines que pour ces républiques entre elles.
L'ADAPTATION
AUX
PROGRAMMES
U n de nos principaux éditeurs d'ouvrages d'enseignement m'a présenté une objection qui a sa valeur : « Nos livres cl'enseignement des divers Etats sud-américains?
sont-ils »
adaptables
au pro gramme
L a réponse à cette objection est des plus faciles. On ne sait pas assez en France que la création de la plupart des Universités sud-américaines, que la fondation des collèges nationaux, que la confection de leurs programmes est l'œuvre de nos compatriotes. Ce f u t une des particularités de l'Amérique Latine de solliciter à toutes les époques de son histoire le concours de l'intellectualité européenne pour mettre à exécution les initiatives nationales. L e Coup d ' E t a t du 2 décembre 1851 ayant ordonné'des poursuites contre tous ceux qui professaient des idées libérales, une pléiade de professeurs émigra de France vers l'Amérique. L e plus fameux d'entre ces Français f u t Amédée Jacques qui, comme philosophe et penseur, remarquable par la hardiesse de ses vues, l'élévation, la netteté et le libéralisme de ,ses idées, a laissé un grand nom en Argentine. Ancien élève de l'Ecole Normale, après avoir professé la philosophie dans différents collèges, il f o n d a avec Jules Simon une revue intitulée : La Liberté cle Pensée, et collabora avec Saisset au dictionnaire des sciences philosophiques. O b l i g é d'émigrer, il arriva à Montevideo où il obtint une chaire à l'Université. Puis, il fut appelé à Buenos-Ayres où il présida à la fondation du Collège National et à la confection de ses programmes. Il f u t ainsi l'organisateur de l'enseignement secondaire en Argentine et lui donna une forme très française.
LA LIBRAIRIE; FRANÇAISE
EN AMERIQUE
LATINE
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E n U r u g u a y , le C o l l è g e National f u t également f o n d é par un professeur français, A l b e r t Laroque, sur des bases qui n'ont pas varié jusqu'à ce jour. A la tête des diverses Universités, dans les principales chaires nous retrouvons toujours des noms français : A l e x i s Peyret, E u g è n e Perrot, R a o u l L e g o u l t , Charles Quentin, G a i l l a r d , Pasquier, et aujourd'hui encore cette pléiade d'instituteurs se perpétue en des professeurs moins connus, plus modestes, mais non moins érudits qui conservent dans leur enseignement la saine tradition cueillie dans les amphithéâtres des Universités françaises, et qui puisent dans nos livres, à la science de nos maîtres, l'aliment de leurs leçons quotidiennes. A u Brésil, dans le courant du dix-huitième siècle, Joachim Lebreton, membre de l'Institut, Nicolas T a r m a y , Marc Ferrez, J.-B. Debret, Simon Pradier, G r a n j e a n de M o n t i g n y , créent l'Académie de R i o et l'Ecole des B e a u x - A r t s , cependant que l'ingénieur Gorceix f o n d e l'Ecole des Mines. Presque partout l'emploi des livres officiels n'est imposé que pour l'enseignement de la lecture. E n général, on considère qu'il est bon que le livre d'enseignement conserve l'harmonie nécessaire avec les programmes, sans se soumettre toutefois strictement à leur texte, car il n'est pas rationnel de considérer les programmes comme des questionnaires dont les demandes se s u c c é d e r a i e n t infailliblement d'après un seul ordre possible et dont les réponses ne pourraient être faites que dans un sens unique. D'après une pratique qui est devenue presque générale, on engage même les élèves, et particulièrement ceux des classes supérieures à consulter d'autres livres en dehors du livre officiel fixé ; on leur évite ainsi un apprentissage machinal f o n d é uniquement sur la mémoire, en provoquant chez eux l'émulation salutaire et en les habituant à l'investigation personnelle. E n général, on détermine au moyen de concours, et d'accord avec les prescriptions de la loi et des règlements, les livres assez nombreux parmi lesquels les professeurs pourront faire une sélection. Donc, en résumé, le livre classique peut et doit trouver un débouché très large en Amérique du S u d , et il est à peu près certain qu'à de très rares exceptions, aucun éditeur ne trouvera d'obstruction à cette expansion dans les programmes de l'enseignement. Mais ces données et ces efforts à faire constituent en quelque sorte la partie intellectuelle de l'ensemble des opérations économiques de l'industrie de la librairie. L e s exigences commerciales, en dehors desquelles il n ' e s t de salut, sont plus impératives.
point
2i6
LES
LA PREMIÈRE SEMAINE DE L/AMÉRIQUE LATINE A LYON
LIVRES
.4
VENDRE ET
EN
AMÉRIQUE
LATINE
L'ORGANISATION
DE
LEUR
PUBLICITÉ
L e commerce du livre est sans doute le commerce de l'intelligence, mais c'est un commerce comme tous les autres, soumis aux fluctuations des époques, de la mode, du snobisme et aussi aux exigences des procédés économiques en général. Il ne suffit pas qu'un livre soit bon pour qu'il se vende. Il f a u t d'abord que le public acheteur sache que ce livre existe, qu'il est bon et qu'il puisse le trouver. Si la librairie française n'importe pas en Amérique du S u d
plus
qu'elle n'y exporte, c'est qu'elle ne f a i t rien pour cela. E t si elle ne f a i t rien, c'est qu'en l'état actuel de son organisation elle ne peut faire davantage. En
l'espèce,
l'action
individuelle,
à
moins
moyens extrêmement puissants, est un effort perdu.
de
disposer
de
Or, si quelques-
unes de nos maisons d'édition sont de véritables puissances, il n'en est pas ainsi de la majorité. Pour que la librairie française maintienne sa. situation et l'améliore, il ne suffit pas que quelques maisons fassent des affaires en
Amé-
rique du S u d : il f a u t que toutes puissent en faire, que toutes soient en situation d'en faire. L a cause essentielle de la stagnation de notre commerce d'exportation de la librairie provient de diverses causes
au premier r a n g
desquelles il f a u t placer le d é f a u t presque absolu de publicité et la méconnaissance réciproque de l'éditeur et de sa clientèle. La
publicité est indispensable,
elle est l'âme de
la
librairie;
mais ce serait une erreur de croire qu'elle peut être faite uniformément pour tous les genres et pour tous les pays. Il y a autant de publicités différentes qu'il est d'ouvrages
dif-
férents. E n matière de romans et d'œuvres purement littéraires,
l'Amé-
rique est plus rétrospective qu'actuelle. A u f u r et à mesure qu'il se perfectionne dans la connaissance de la langue française, le lettré a tendance
à acheter des
d'œuvres complètes notoires : les séries Flaubert,
collections
Balzac,
Daudet,
E m i l e Z o l a , etc. Pour les auteurs à succès encore vivants, il y a donc intérêt à exposer à la vente la série de leurs œuvres complètes lorsque des circonstances les mettent particulièrement en vedette. O n a constaté
LA LIBRAIRIE; FRANÇAISE
EN AMERIQUE LATINE
293
une augmentation considérable de la vente des œuvres d ' E m i l e Z o l a au moment où des agitations politiques attirèrent sur lui l'attention ; de même pour les œuvres d ' A n a t o l e France et de Ferrero,
lorsqu'ils
firent leurs célèbres tournées de conférences. Il peut en être de même aujourd'hui
pour celles de
Paul
A d a m , qui se trouve
du mouvement intellectuel américain latin en France,
à la de
tête
Romain
R o l l a n d qui vient d'obtenir le prix Nobel, de d'Annunzio, apôtre de l'irrédentisme italien. L e s éditeurs qui possèdent en leurs rayons les œuvres d'auteurs d é j à notoires ou mis en relief par les événements feront mieux d'en pousser la vente en l'aidant d'une publicité discrète adaptée aux circonstances plutôt que d'éparpiller dans les multiples étalages d'Amérique de nombreuses nouveautés qui risquent fort de devenir d'onéreux « bouillons ». Ce qui ne veut pas dire qu'il f a i l l e renoncer complètement à l a vente des œuvres nouvelles en Amérique L a t i n e et attendre, pour y faire connaître un auteur, qu'il ait atteint une notoriété définitive. Mais il est prudent de ne lancer ces envois que lorsque le lecteur français l'aura passé au crible de son jugement. E t surtout, il convient de se méfier de certain genre de prétendu parisianisme, dont pas mal de nos hommes de lettres et surtout de nos femmes de lettres abusèrent singulièrement quelques années avant la guerre. Pour les publications érudites, les ouvrages techniques et d'enseignement, le catalogue s'impose. Pour être bien compris, ce catalogue devrait être composé de deux manières et à deux usages, l'un pour le public, l'autre pour le libraire détaillant. L ' u n et l'autre doivent être publiés dans la langue du pays, indiquer les prix en monnaie locale. Celui qui est destiné au public doit être aussi clair et aussi concis que possible. Je conseillerais la classification dans l'ordre analytique : histoire, philosophie, p é d a g o g i e , sciences sociales et politiques, littérature, etc., etc., avec, à la fin, un index récapitulatif par noms d'auteurs. Ce catalogue devra indiquer aussi le prix broché et relié. L e lecteur américain donne une préférence marquée à l'ouvrage relié, alors que nous, nous avons une certaine tendance à acheter le livre broché et à le faire relier ensuite conformément à l'harmonie particulière de notre bibliothèque. Il n'est nullement nécessaire qu'il ait les dimensions d'un volume, il vaut mieux qu'il soit, au contraire, léger et envoyé plus fréquemment à des adresses sélectionnées. E n Amérique du S u d et surtout dans les villes éloignées des
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~]6
L A
PREMIÈRE SEMAINE DE
I/AMÉRIQUE
LATINE A LYON
grands centres de l'activité commerciale, on apporte une grande attention à tout ce que l'on reçoit par la poste et plus encore lorsque l'envoi arrive d'Europe. Là-bas, le catalogue sera lu et classé, et, suivant le soin qui aura été apporté à l'établissement du répertoire d'adresses, je ne crois pas exagéré d'affirmer que près de 30 0/0 entraîneront une commande. Quant au catalogue du libraire détaillant, nous touchons ici à l'un des défauts fondamentaux de l'organisation de la librairie française. Il n'existe pas de bibliographie française, ou plutôt il en existe trop. Chaque maison d'édition veut faire la sienne et a la juste prétention de la considérer comme la meilleure de toutes; mais comme tous les libraires détaillants ne peuvent pas posséder toutes ces bibliographies et que chacune d'elle est forcément incomplète, autant dire qu'il n'en existe pas. L'arme du maintien et d e j ' a v e n i r de notre librairie, c'est précisément la bibliographie. Il ne faut pas qu'elle soit l'œuvre d'un commerçant qui s'en servira pour sa publicité personnelle,, mais bien celle d'une institution indépendante, désintéressée, investie d'une autorité et agissant dans l'intérêt de la collectivité. Il faut qu'elle soit constamment tenue à jour. U n petit opuscule périodique, dans le- genre de celui qui paraît actuellement et qui porte le titre de Bibliographie française, est évidemment suffisant pour cette constante mise à jour, mais pour qu'il ait l'utilité qu'il n'a pas encore, il faudrait qu'il f û t édité en plusieurs langues et adressé gratuitement à tous les libraires détaillants. Certes, la création de cette immense bibliographie et la diffusion de son supplément périodique entraîneraient une dépense considérable; mais, supportée par une organisation centrale avec le concours de tous les éditeurs — et aucun ne s'y refuserait — cette dépense serait mesquine comparativement aux bénéfices réalisés. E n somme, ce qui fait la supériorité incontestable de l'exportation allemande, c'est la grande diffusion de ses catalogues. E d i t é simultanément en quatre ou huit langues, de façon à ne faire qu'un seul tirage, le même bulletin touche tous les clients éventuels. Enfin, il importerait aussi que par une convention de la. librairie de chacun des pays alliés, chaque nation possédât une bibliographie complète des œuvres publiées en Angleterre, en Belgique, en Italie, etc. Cela faciliterait singulièrement les recherches et ne pourrait qu'augmenter le chiffre global des affaires. L e jour où l'organisation française sera en mesure de renseigner
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le public non pas sur les livres édités à Moscou ou à New-York, mais simplement à Montpellier ou à Tours, elle aura fait un énorme progrès. Jusqu'à ce jour, le seul moyen de documentation utilisé en France est le dépôt légal ; chacun sait qu'il est notoirement insuffisant. Il est enfin une sorte de publicité que l'on peut classer parmi les meilleures, c'est l'article bibliographique. E n France, à quelques rares exceptions limitées à des études signées paraissant dans de grandes revues, dans deux ou trois journaux, on est prévenu contre la rubrique bibliographique. O n sait qu'elle est fournie par l'auteur et l'éditeur sous la forme d'un -prière d'insérer, et que c'est une simple annonce à peine déguisée. Il n'en est pas de même en Amérique où les journaux ne sont pas limités comme les nôtres à quatre ou six pages. L a plupart paraissent sur douze, seize, dix-huit et vingt-quatre pages, quelquefois davantage. L e journal américain est une sorte de revue quotidienne. L a rubrique « bibliographie » n'y a cependant jamais été traitée comme il convient, tout simplement parce qu'il n'existe pas de maisons d'éditions nationales intéressées et que les éditeurs de l'étranger n'ont rien fait pour la susciter et l'encourager. L a Naciôn, de Buenos-Ayres, avait confié, il y a quelques années, à un de ses meilleurs rédacteurs, Anibal Latino, un feuilleton critique; mais ce feuilleton, n'étant alimenté que par les trop rares productions locales, disparut bientôt faute de sujet. Il ne fait aucun doute, j'en ai reçu l'affirmation de plusieurs d'entre eux, que les directeurs de journaux sud-américains sont tous disposés à organiser de pareilles rubriques, à la condition qu'on leur en fournisse les éléments. Mais encore faut-il s'entendre. Plusieurs éditeurs parisiens auxquels j'exposais ce projet me répondirent que cela coûterait horriblement cher. C'est une profonde erreur. D'abord, cette publicité étant la plus efficace, il est juste qu'elle soit payée; mais il serait facile à un groupe d'éditeurs de s'assurer la rubrique pour un nombre de numéros déterminés dans l'année; il l'obtiendrait à des conditions tellement avantageuses, que la dépense répartie entre eux serait infime. Ce genre de publicité est le plus sûr, le lecteur de cette rubrique appartenant en général à une classe sérieuse, intéressée par le mouvement intellectuel et scientifique, et par conséquent la plus susceptible d'acheter l'ouvrage qui lui est recommandé.
2
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DE
LA PREMIÈRE SEMAINE DE I/AMÉRIQUE LATINE A LYON
L'ORGANISATION
DE
LA
VENTE
L a publicité n'est pas tout. E l l e est sans doute l ' a d j u v a n t essentiel de la vente, mais encore faut-il que cette vente soit organisée aussi sur des bases rationnelles. L a vente la plus fréquente de la librairie est faite par le moyen du commissionnaire. E l l e est déplorable ! L a vente la plus intéressante, celle qu'il importe de développer, de pousser à l'extrême, c'est la vente directe. Il ne f a u t pas perdre de vue cependant que le commerce de la librairie est d'une nature quelque peu spéciale, dans son système de vente.
,
L e crédit y est de règle, puisque la plupart des ouvrages nouveaux, et même bien des ouvrages de f o n d , sont envoyés en condition et p a y a b l e s dans des délais qui atteignent et dépassent une année. L a vente souffrirait d'une suppression ou simplement d'une modification de ce mode de procédé. • D'autre part, tous les éditeurs ne disposent pas de capitaux illimités, et l'on conçoit aisément qu'ils ne peuvent laisser leur marchandise à l'abandon, sans savoir s'ils en auront jamais le paiement ou le retour. Il ne f a u t pas s'attendre non plus à ce que les libraires américains achètent ferme des livres dont le placement pourrait être aléatoire. U n e solution peut être facilement trouvée dans la création, d a n s chaque capitale d ' E t a t sud-américain, d'un représentant dépositaire d'un groupement central des éditeurs. Ce représentant, accrédité auprès de tous les détaillants, recevrait leur commande ferme qu'il centraliserait et passerait ensuite aux éditeurs respectifs. Il recevrait de chaque maison d'édition les envois hebdomadaires ou mensuels d e nouveautés dont il ferait la répartition. L e nombre des livres remis à condition pourrait être considérablement réduit, étant donné que le détaillant aurait toujours la ressource de se réapprovisionner sur place auprès du dépositaire général. L e s frais d'envois et de retour, les emballages, seraient moindres aussi, parce qu'ils seraient g l o b a u x et répartis ensuite suivant l'importance des commandes individuelles. D e plus, cet agent collectif surveillerait avec attention la situation financière de la clientèle et serait toiijours sur place pour intervenir le cas échéant.
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EN AMERIQUE
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E n somme, il jouerait un rôle d'intermédiaire sans doute, mais au lieu d'être l'instrument nuisible, isolant le vendeur de l'acheteur, lui, au contraire, constituerait entre eux un lien. Intéressé sur le chiffre des affaires, appointé par la collectivité dont il gérerait les dépôts, sa situation devrait être de suffisante importance, de façon à lui donner une autorité et une notoriété sur le marché local. Il veillerait à la distribution des budgets de publicité. Mieux qu'un voyageur de passage, se trouvant en rapport étroit avec les institutions, les universités, les collèges, etc., il pourrait collaborer à la confection des listes d'ouvrages officiels prévus par les programmes et y faire admettre ceux de ses commettants. Lors de la publication des budgets nationaux ou municipaux pour les achats de bibliothèques, il pourrait faire accorder un taux plus avantageux aux fournitures françaises qui, jusqu'à ce jour, n'ont figuré que dans la proportion de 1/20 comparativement aux fournitures allemandes. Enfin, il pourrait organiser ce que jusqu'à ce jour nos éditeurs ont hésité à faire à distance et qui est pourtant une source considérable de revenus : la vente par mensualité. Il existe en Amérique du Sud une classe fort nombreuse de travailleurs qui ne disposent pas de ressources suffisantes pour acheter des ouvrages de prix très élevés, mais qui peuvent facilement prélever sur le montant de leurs émoluments mensuels des sommes de quelque importance. E t , même pour ceux qui possèdent, l'achat par mensualité a toujours un attrait. D'ailleurs, ce système, la venta a plazos (vente à tempérament) est ancré dans les mœurs américaines; on y achète tout ainsi, les terrains, les immeubles, les titres ; à plus forte raison les livres. E n 1913, une maison espagnole de Barcelone « L a Editorial Espanola » lança à grands renforts de réclame une encyclopédie payable en 30' mensualités ; en moins de trois mois, elle avait réuni trois cent mille souscripteurs. Enfin, cette organisation locale, sorte de succursale de l'organisation centrale, faciliterait, seconderait et stimulerait la création de nouvelles librairies françaises dans les centres où nous n'en n'avons pas encore. Car il ne saurait faire de doute pour personne que la diffusion de notre librairie dépend du plus grand nombre de nos détaillants nationaux.
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LA
L'ACTION
P R E M I È R E SEMAINE DE I / A M É R I Q U E LATINE A LYON
DE
NOS
NATIONAUX
Il n'existe que relativement peu de librairies françaises en A m é rique du S u d . O n en connaît d e u x ou trois au Brésil, trois ou quatre en A r g e n t i n e et une au Pérou. E n revanche, il y existe un nombre considérable de d é t a i l l a n t s a l l e m a n d s , a n g l a i s , italiens ou e s p a g n o l s . L e s libraires de nationalité étrangère ou i n d i g è n e vendent évidemment le livre f r a n ç a i s , mais il est incontestable qu'ils ont moins d'intérêt à les recommander que le livre de leur p a y s . U n a g e n t o f f i c i e u x du Ministère des A f f a i r e s E t r a n g è r e s a dressé dernièrement une statistique de l'importation des livres au C h i l i pend a n t les trois dernières années qui ont précédé l a guerre. L a p a r t correspondante a u x p a y s exportateurs européens se présente comme suit : FRANCE
96.358 82.265 101.780
1911 1912 i9 ! 3
ANGLETERRE
ALLLMAGNE
120.236 77-4°7 346.246
235.394 177.270 201.420
Il existe à S a n t i a g o du C h i l i quatre librairies a n g l a i s e s et d e u x a l l e m a n d e s ; V a l p a r a í s o et Concepción ont des librairies a n g l a i s e s et a l l e m a n d e s en nombre à peu près é g a l ; d a n s la région du N o r d , il n'y a que des librairies anglaises. D ' o ù cette prédominance du livre a n g l a i s que nous ne constatons d a n s aucun autre E t a t . C o m m e pour toutes les branches d u commerce, et d a n s la librairie particulièrement, le livre suit ses n a t i o n a u x . Il n'est p a s de commerce où l'influence du vendeur- sur l'ensemble des acheteurs -soit aussi effective. A ce point de vue, nous aurions tout intérêt à former un personnel. Il est à noter que m a l g r é l'insuffisance numérique certaine de nos résidents à l'étranger après la guerre, le commerce de la librairie pourrait c e p e n d a n t espérer un relèvement de son e f f e c t i f . D a n s la librairie de d é t a i l , ce n'est point comme d a n s une usine ou un m a g a s i n de nouveautés ; il n'est pas nécessaire d'avoir un g r a n d nombre de vendeurs, il n'est même p a s nécessaire que tous les vendeurs soient f r a n ç a i s ; il suffit que la maison soit f r a n ç a i s e et que son propriétaire ou directeur,
f r a n ç a i s lui-même, soit à la hauteur
de
sa
tâche. Si nous voulons avoir en A m é r i q u e L a t i n e des vendeurs susceptibles de pousser nos livres et de nous maintenir d a n s une situation prépondérante,
il
faut
que nous
formions
un
personnel
de
telle
la librairie; française
en
amerique
latine
manière qu'il soit capable de renseigner un acheteur égaré par réclame ou détourné par l'insistance d'une concurrence active.
311
la
L'enseignement technique moderne apprend aux commerçants à connaître les marchandises, afin qu'ils ne soient pas les distributeurs mécaniques de marques dont ils ignorent la valeur. Il est naturel que l'on donne une éducation partielle à ceux qui f o n t commerce de iivres. Ils améliorent ainsi leurs affaires, et comme la vente de l'imprimé, véhicule de la pensée humaine, aura toujours et malgré tout un caractère un peu différent de la vente du calicot ou du porc salé, les libraires formés dans les cours d'une école professionnelle auront vraiment le droit de se dire, comme le souhaite M. R e y , président du S y n d i c a t des libraires, « non seulement des commerçants, mais des collaborateurs modestes de l'auteur et de l'éditeur ». Ce personnel peut être immédiatement recruté parmi celui de nos grandes maisons d'édition, qui ne sont pas sans posséder des commis très familiarisés avec le métier et ayant une connaissance suffisante de l'espagnol. U n e seule maison bien dirigée et bien achalandée dans chaque grande ville ferait faire à notre exportation de livres un bond considérable en un temps relativement court. D'autant plus qu'il ne s'agit pas toujours de créer. L e même informateur que je citais plus haut signale que la librairie du Chili la mieux assortie en livres français appartenait à un Portugais. E l l e se trouve fermée depuis quelques mois. Ce serait là une occasion f a v o rable pour un libraire français qui, tout en créant une maison française, profiterait d'un courant d'affaires et d'une clientèle habituée. Des librairies pourraient être ouvertes avec succès à Bahia, où une université très intellectuelle recherche avidement la culture française; à S â o - P a u l o , à Rio-Grande-do-Sul,. à M o n t e v i d e o , qui possède une élite remarquable où nos lettres sont en g r a n d honneur, à Rosario, à T u c u m a n , à Santiago,' à L a P a z , à Callao, à B o g o t a . LES
SYMPATHIES
FRANÇAISES
E n somme, si l'on a jeté des hauts cris sur les difficultés de l'exploitation française en Amérique, si ces plaintes sont en bien des cas justifiées, il n'en est pas de même pour la librairie. Il ne f a i t aucun doute que c'est la culture française qui est la plus appréciée, la seule appréciée même, en Amérique du S u d . E t il ne f a u t pas perdre de vue non plus que nous avons à faire à des L a t i n s et que cette affinité exerce une influence prépondérante dans ce commerce qui est celui de l'intelligence et de la pensée. T o u s ces peuples manifestent à l'égard de nos lettres une sym-
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la
première
semaine de i / a m é r i q u e
latine
a
lyon
pathie sans d é f a i l l a n c e offrant ainsi à l'éditeur le plus vaste champ d'exploitation qui se puisse imaginer, à la condition de s'adapter aux circonstances et de se plier aux exigences économiques. L'orientation impulsive du goût du public ne suffit point cependant à une augmentation corrélative des affaires dans tous les ordres de la production. Il est des ouvrages, les
classiques, les techniques, les scienti-
fiques qui doivent, pour être admis, être présentés d'une tout autre manière que sous l'effet de l'enthousiasme. L e s livres que l'on recommandera-dans les universités, ceux que l'on a d j o i n d r a aux programmes scolaires, ceux que les institutions libres achèteront à leurs élèves, ceux qui seront compris dans les assortiments des bibliothèques, ceux-là dépendent de la volonté et aussi de la sympathie d'un administrateur, d'un fonctionnaire, d'une personnalité officielle ou officieuse faisant autorité. Parmi ces hommes, nous jouissons d'une sympathie sans égale. A u Brésil, le D r Peixoto, directeur général de l'Enseignement, est un francophile éminent, une des personnalités plus dévouées à la cause française. E n Argentine, le distingué savant et bibliophile P a u l Groussac, qui dirige la Bibliothèque Nationale et qui est le guide éclairé et écouté dans toutes les questions de l'enseignement, est un « g r a n d Français », comme l'appelle M. Clémenceau; son fils aîné occupa, sous la présidence Saenz Pena, le sous-secrétariat d ' E t a t à l'Instruction publique. A u Chili, A l b e r t o Mackenna dirige le goût comme la pensée de son p a y s ; il est imbu de notre culture, de nos idées ; c'est un francophile, fidèle membre de notre comité France-Amérique, qui ne demande qu'à favoriser par tous les moyens en son pouvoir la pénétration des idées françaises par le livre français. E n Colombie, M. Corrédor L a Torre, auteur de livres remarquables de sociologie écrits en français, aimant la France à l'égal d e sa patrie, s'efforce par une lutte de tous les instants, par la plume, par la parole et par sa diplomatie insinuante, à développer l'expansion de notre culture. C'est Juan Liscano, professeur de sciences à Caracas ; c'est, à Montevideo, Enrique R o d o , considéré comme un des maîtres de la langue espagnole dans toute l'Amérique du S u d ; c'est, à R i o de Janeiro, le professeur de la F a c u l t é de Droit Sa V i a n n a ; c'est R u y - B a r b o s a , c'est Manuel Lainez, c'est enfin toute l'Amérique de la pensée qui nous est sympathique et qui ne demande qu'à accueillir nos ouvrages.
la
librairie
française
en
amérique
latine
301
O r ces penseurs, cette élite de la plume et du verbe avaient besoin d'un aliment constant; il leur f a l l a i t des ouvrages à consulter sur toutes les matières et nous n'allions pas les leur offrir. C'est pour cela que l'esprit d'entreprise et de ténacité allemande faisait des conquêtes et s'apprêtait, en s'insinuant dans les intelligences, à régner seul un jour. E t cela commençait d é j à à se faire sentir. O n courait le risque de trouver certains p a y s plus intimement liés à l ' A l l e m a g n e par l'endosmose morale, sociale et institutionnelle que par les liens politiques. Il a f a l l u le grand soubresaut, les crimes, les violations, les brutalités avérées de la soldatesque pour provoquer la salutaire réaction. D e cette réaction, il f a u t que nous sachions profiter sans perdre un seul instant. L'avenir appartient à celui qui saura non seulement inventer et produire les œuvres de la science et de la littérature, mais plus encore à celui qui saura les répandre. GEORGES
LAFOND.
Le rôle de la Diplomatie française dans la reconnaissance par l'Espagne de l'Indépendance des Républiques Sud-Américaines DE
1505 A I7Q2 'est en 1505, sur cette terre française aussi héroïque que la terre espagnole, et dans la ville de Saint-Dié, que quelques savants
moines lorrains donnèrent au nouveau continent le nom de celui qui, d'après les premiers renseignements reçus, passait pour l'avoir découvert. Plusieurs années après, en 1578, Catherine de Médicis eut l'idée de fonder au nord du Mexique, sur un sol occupé aujourd'hui par les E t a t s U n i s et le C a n a d a , un royaume qu'elle appela la Nouvelle-France. Ce projet disparut avec le favori de la reine, le marquis de la Roche-Kelgomarch, englouti dans les eaux avec le navire qui le conduisait en Amérique. L e même sort adverse échut à un autre projet de Catherine, celui de prendre en 1581 possession du Brésil, institué par elle vice-royauté, et confié à son cousin Philippe Strozzi, dont les vaisseaux furent rencontrés et d é f a i t s par ceux de l ' E s p a g n e dans les eaux des Açores, où ils disparurent en 15S2. Ils faisaient route vers la terre que des marins bretons avaient découverte avant Americo Vespucci et Cabrai. N'oublions pas, d'autre part, que ce sont des n a v i g a teurs normands qui amenèrent en France, en 1503, le premier homme américain venu en Europe. T a n d i s que la reine se préoccupait d'importer la civilisation française au Nouveau Monde, les A l l e m a n d s avaient d é j à commis, dans ma patrie, le Venezuela, le premier acte de cannibalisme en Amérique, en 1530. Cet acte horrible f u t l'œuvre de l ' A l l e m a n d Alfinger : comme les hommes qui l'accompagnaient et qui étaient tous ses compatriotes se trouvaient sans vivres, ils tuèrent et mangèrent quelques pauvres hommes indiens qu'ils conduisaient pour les vendre comme esclaves après leur avoir pris tout leur or, leurs perles, leurs femmes et leurs terres. D e u x siècles plus tard, les premiers Américains qui eurent l'idée de se séparer de la couronne d ' E s p a g n e tournèrent leurs y e u x vers la France. Parmi eux, laissez-moi vous rappeler le Vénézuélien Miranda, qui servit comme général français en 1792 et fit entrer son nom dans
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l'histoire militaire de la France, à la manière de ces Français illustres qui font partie des annales militaires d'Amérique, tels que L a F a y e t t e , Liniers et Boussingault. D'autre part, l'avènement du monde hispano-américain à la vie souveraine des peuples libres, nous le devons principalement à la France. N'est-ce pas elle d'abord qui ouvrit nos esprits à la liberté? L e retentissement de sa révolution ne se fit pas sentir seulement dans les classes cultivées, mais aussi parmi les esclaves nègres, qui, en se communiquant les nouvelles des événements de Paris, ouvraient leurs cœurs à l'espoir d'obtenir, eux aussi, ce droit à l'égalité qu'ils obtinrent, en effet, plus tard.
NAPOLÉON
/or
D'autre part, c'est Napoléon I er qui, au congrès de Bayonne, dans la Charte qu'il octroya à l ' E s p a g n e , nous donna, pour la première fois, au cours de l'histoire d ' E s p a g n e et d'Amérique, des droits constitutionnels. Voici l'occasion de fixer un point historique mal interprété jusqu'à présent, faute d'examen critique. L'article 87 de la Constitution de B a y o n n e dit : Les royaumes et provinces espagnoles d'Amérique et d'Asie jouiront des mêmes droits que la métropole. Ceci se passait en 1808. L a Junta Centrale espagnole de résistance à l'hégémonie impériale française prit à Séville, le 22 janvier 1809, un décret par lequel les colonies américaines formaient, dès ce jour, partie intégrante de la monarchie espagnole et nous envoya en même temps une proclamation nous disant qu'à partir de ce moment nous étions élevés à la dignité d'hommes libres et que nous n'étions plus des esclaves. C'est cette initiative de l'Empereur, nous en avons la preuve dans les papiers du Foreign Office, qui décida la chancellerie de L o n d r e s à demander à la Junta Centrale espagnole de promulguer le décret que nous venons de citer, pour éviter que les Amériques reconnaissantes à l'Empereur ne se déclarassent en faveur de la dynastie française régnante en Espagne. II arriva aussi, et c'est chose à retenir, que le droit constitutionnel hispano-américain naquit alors en France, parce que la constitution d ' E s p a g n e f u t également celle d'Amérique, a y a n t été sanctionnée par ses députés. C'est peut-être pour cet acte qui n'avait pas d'antécédent dans l'histoire de l ' E s p a g n e et de ses colonies, que d'après un document inédit conservé parmi les papiers de l ' E s p a g n e , les députés de Buenos-Ayres et de Montevideo proclamèrent Napoléon le libérateur de l'Amérique. C'était la première fois qu'un titre aussi glorieux était décerné à un grand homme par des Américains.
le
rôle
de l a
diplomatie
française
305
Les relations entre l'Empereur et son frère le monarque d'Espagne furent dans la suite peu cordiales, quant aux affaires d ' A m é rique, car Napoléon, dans sa lutte contre l'Angleterre, voulait offrir ¡'indépendance aux Américains, en échange de l'ouverture de ses marchés à la France, ce que T a l l e y r a n d demanda au prince de la P a i x en 1807 ; mais le roi Joseph, inspiré par ses conseillers espagnols, voulait conserver pour sa couronne cet immense empire, alors que Napoléon désirait le donner à Vhumanité. C'est pourquoi l'Empereur ne le consulta même pas au sujet de sa décision, présentée au Corps L é g i s l a t i f en décembre 1809, d'offrir l'indépendance aux colonies espagnoles en Amérique. L e général Miranda, oubliant ses désaccords avec l'Empereur, lui offrit sa coopération et celle de ses amis, pour appuyer dans l'Amérique du S u d la nouvelle politique de la France. Nous ne connaissons pas la réponse de Napoléon, ni le texte de la lettre de Miranda, qui ne se trouvent dans les papiers ni de l'un ni de l'autre. M i r a n d a publia sa lettre pour la répandre en Amérique, mais on n'en trouve aucun exemplaire dans les archives : seule la correspondance portugaise nous en parle.
LA
RÉVOLUTION
AMÉRICAINE
Nous ne croyons pas que cette politique américaine de la France ait eu une influence radicale sur la révolution américaine de 1810, car c'est un f a i t positif qu'elle eut lieu à la suite des victoires françaises en -Andalousie, considérées en Amérique comme la défaite finale de la résistance espagnole à la nouvelle dynastie. Nous devons convenir, bien que ce ne soit qu'une simple supposition appuyée sur la logique, que la déclaration de l'Empereur au Corps L é g i s l a t i f et la lettre de Miranda durent faire comprendre aux Américains que l'heure était venue de rompre avec le Gouvernement caduc de la métropole. D'autre part, les G r e n a d i e n s Z e a et Sanchez de T e j a d a , députés de Guatemala et de B o g o t a à la Chambre de Bayonne, avaient présenté, dans des discours qu'on exhume maintenant des archives françaises, le programme révolutionnaire que les conseils municipaux de BuenosA y r e s et de Caracas proposèrent en 1810. L e Venezuela déclara son indépendance en 1 8 1 1 ; et comme la chancellerie de Caracas annonçait ce g r a n d événement à celle de Paris, l'Empereur entama des négociations avec la chancellerie de W a s h i n g t o n pour s'accorder sur la reconnaissance diplomatique du nouvel E t a t . Mais, subitement, ici en Europe, de tristes événements détournèrent de l'Amérique l'attention du monde. Si Napoléon avait triomphé à Leipzig, nous serions nés plus tôt à la vie indépendante.
318
la
première
semaine de I , ' a m é r i q u e l a t i n e
a
lyon
L e s nouveaux gouvernants de France n'envisagèrent pas avec indifférence la question américaine, et le duc de Richelieu vint à notre aide, cherchant pour la chancellerie de M a d r i d un moyen digne de nous accorder l'indépendance que nous sollicitions obstinément. Mais il n'obtint rien. L e roi F e r d i n a n d V I I se refusait absolument à écouter les conseils d'amitié de la France. Envoyez
vos -princes régner dans vos colojiies
américaines,
Richelieu à F e r d i n a n d V I I , et vous aurez résolu le problème
disait colonial.
L e roi espagnol répondait qu'il récupérerait son empire colonial en Amérique comme Louis X V I I I avait récupéré son trône, c'est-à-dire qu'il s'abandonnait à la merci des événements! LES
EFFORTS
DE
LA
FRANCE
Ce f u t le premier effort de la France en faveur de la reconnaissance de notre indépendance par l ' E s p a g n e : sa médiation en 1818 dans ce g r a n d conflit hispano-américain tendait à une réconciliation amiable des deux adversaires, car on fit observer aux colonies, avec une g r a n d e franchise et une non moindre exactitude au point de vue du sain jugement politique, qu'un état de transition devait exister entre l'absolutisme espagnol, qui avait pesé sur l'Amérique pendant trois siècles et la République démocratique que proclamaient les indépendants : cet état ne pouvait être autre que la monarchie constitutionnelle. L e second effort f u t f a i t par le vicomte de Montmorency-Laval qui, ayant servi l'ambassade de France à M a d r i d , connaissait bien la question américaine. Son programme était celui de Richelieu et il a p p u y a i t son initiative sur le f a i t que les E t a t s - U n i s avaient reconnu l'indépendance des nouveaux E t a t s en mars 1822, f a i t qui motiva la résolution de C a n n i n g d'ouvrir les ports d'Angleterre aux nouveaux pavillons. Mais le diplomate français ne put rien obtenir, le roi d ' E s p a g n e a y a n t répété son refus. Montmorency-Laval intervint ensuite au congrès de Vérone où il affirma de nouveau là politique française de médiation amiable entre l ' E s p a g n e et ses colonies' insurgées ; mais rappelé à Paris, il laissa les pleins pouvoirs que la France lui avait donnés au vicomte de Chateaubriand, ambassadeur à Londres, qui, au nom de son gouvernement, proposa au congrès la constitution des nouveaux E t a t s en monarchies constitutionnelles, déclarant, en même temps, que le Gouvernement français désirait, avec la même ardeur que celui de S. M. Britannique, Vadoption des mesures nécessaires potir rendre au continent américain là paix et la prospérité. C'était le troisième effort.
le
LE
CONGRÈS
rôle
ET
LA
de l a
diplomatie
QUESTION
française
307
AMÉRICAINE
L e prince de Metternich, ministre plénipotentiaire d'Autriche, répondit que S a Majesté l'Empereur ne reconnaîtrait jamais l'indépendance des provinces espagnoles en Amérique, tant que S a Majesté Catholique ne renoncerait pas librement et formellement aux droits souverains qu'elle exerçait sur ses colonies. C'était comme si, uni à la Prusse, il eût élevé une barrière infranchissable entre l ' E s p a g n e et l'Amérique, car Sa Majesté Catholique n'eût jamais voulu renoncer à ses droits. L e comte de H a r d e n b e r g , ministre plénipotentiaire de Prusse, déclara, au nom de son souverain, que S a M a j e s t é éprouvait une grande répugnance à l'égard de toute dérogation au principe de justice et de conservatisme qui constituait la base de la Sainte A l l i a n c e . N'en serait-ce pas une que de reconnaître des Gouvernements qui ne devaient leur existence qu'à la révolte? L ' A n g l e t e r r e croyait le contraire, c'est-à-dire que les nouveaux gouvernements formés en Amérique n'étaient pas le résultat de la révolte, mais d'une g r a n d e révolution nationale de caractère continental. L e Congrès ne décida rien sur la question américaine, se bornant à donner m a n d a t à la France d'intervenir par les armés en E s p a g n e , ainsi que l'avait sollicité le souverain espagnol, pour sauver sa couronne.
UN
NOUVEL
EFFORT
DE
CHATEAUBRIAND
Chateaubriand, qui remplaçait Montmorency-Laval aux A f f a i r e s Etrangères, tentant un quatrième effort, commença une action à M a d r i d , pour persuader le roi de la nécessité d'arriver à un accord avec ses colonies américaines; cette négociation n'aboutit à rien, malgré la menace croissante que formulait Canning, de reconnaître les nouveaux E t a t s sans le consentement de la chancellerie de M a d r i d . F e r d i n a n d V I I se refusait à admettre le principe même de la f o n d a tion de monarchies espagnoles en Amérique, préférant voir couronner Bolivar ou San Martin que des princes de sa maison.
LE
ROLE
DE
L'ANGLETERRE
C a n n i n g résolut alors d'envoyer en Amérique, en décembre 1S22, un corps consulaire britannique à simple titre de mesure commerciale, se réservant le droit d'y accréditer plus tard un corps diplomatique. Mais ce ne f u t qu'en octobre 1823 que l'Angleterre envoya des consuls et des missions diplomatiques, en Colombie, à Buenos-Ayres et au
308
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première
semaine de I,'amÉrique l a t i n e
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lyon
Mexique, pour y étudier la situation sociale, économique, politique et militaire, et préparer des rapports appelés à servir de base à la décision de S a Majesté Britannique pour reconnaître l'existence politique des dits E t a t s . C a n n i n g reçut ces papiers à la fin de l'année 1824 et le IER janvier 1825, il signa la reconnaissance de la Colombie, de Buenos-Ayres et du Mexique ; l'Angleterre avait d é j à conclu des traités de commerce avec ces p a y s . Cet acte diplomatique
f u t communiqué aux chancelleries euro-
péennes, tout particulièrement à celles de la Sainte A l l i a n c e . L a nouvelle f u t reçue avec une grande surprise, car C a n n i n g avait agi en effet en dictateur diplomatique. LES
COURS
GERMANIQUES
La situation devenait grave et compliquée en Europe, et si l'attitude de la chancellerie française, inspirée par le baron de 'Damas, n'avait pas été pacifique et prudente, la guerre, dont l'Autriche était l'instigatrice, aurait été inévitable. Mais la France, la vaincue d'hier, avait vite récupéré par les armes et l'intelligence son autorité d'autrefois et était devenue la régulatrice de la politiqiie continentale, obligeant tous les peuples à l'écouter avec respect. E l l e étoùffa le cri de désespoir de l ' E s p a g n e , en lui conseillant d'être prudente dans ce moment difficile de son existence. P a r une l a p i d e action diplomatique, elle empêcha qu'on écoutât à M a d r i d Metternich qui essayait de faire entrer l ' E s p a g n e en conflit avec l ' A n gleterre, après avoir f a i t connaître à C a n n i n g toute son indignation. L'empereur François partagea l'indignation du prince-chancelier, et en fit part sans détours à l'ambassadeur britannique, Sir Henry Wellesley, et la répéta en plein cercle diplomatique dans un bal du P a l a i s Royal. A Berlin, où la nouvelle f u t accueillie avec la même contrariété, le comte de Bernstorff ne se servit pas du mot indignation
qu'avaient
employé l'empereur et le chancelier autrichien, mais, dans une conversation avec le chargé d'affaires de France, il exprima néanmoins le même sentiment en disant qu'z7 était nécessaire gleterre
t expression
de son mécontentement.
de faire, sentir à
l'An-
Nous savons qu'il tint
parole. Mais la colère des deux cours germaniques se calma quand Metternich et Bernstorff reçurent communication officielle de l'attitude conciliatrice de la France et de l'appui que lui prêtait le puissant empereur de Russie.
le
CINQUIÈME
rôle
EFFORT
de l a
DE
LA
diplomatie
française
321
FRANCE
L a politique américaine adoptée par la France dans cette circonstance amena Paris et Londres à s'entendre pour exercer une action commune à M a d r i d afin d'obtenir la reconnaissance par l'Espagne de l'indépendance des nouveaux E t a t s . C'était le cinquième effort de la France. L e moment était venu pour elle de se séparer de l ' E s p a g n e , envers laquelle elle avait accompli tous ses devoirs jusqu'à la fin : devoir dynastique, en essayant de sauver le principe monarchique et légitimiste ; devoir d'amie et d'alliée loyale, en occupant la place que lui marquaient ses intérêts commerciaux en Amérique. C'est dans cet esprit que la chancellerie française annonça à la chancellerie espagnole que du moment que des agents étrangers allaient pénétrer dans les nouveaux E t a t s , il était utile pour ceux de la France d'y entrer également,, le gouvernement du roi désirant concilier les services qu'il voulait continuer de prêter à l ' E s p a g n e avec les intérêts commerciaux des sujets français. U n e fois la communication faite, on nomma à Buenos-Ayres, à B o g o t a , à Santiago, à L i m a et au Mexique des agents du commerce français, qui plus tard furent élevés au grade de consuls-généraux. L e s pavillons des nouveaux E t a t s furent admis dans les ports français au f u r et à mesure que les agents envoyés étaient reçus dans les capitales auprès desquelles ils étaient accrédités ; ceux de l'Argentine et de la Colombie furent les premiers à flotter, glorieux, dans les eaux de la Gironde. L e s efforts de la France et de l'Angleterre à M a d r i d furent infructueux, car à chaque insinuation des alliés, le Souverain espag n o l répondait qu'il se laissait aller à la merci des événements, sans se rendre compte que chaque jour qui passait Véloignait davantage de l'Amérique.
DE
1830 A 1836 T e l l e était la situation quand survint la révolution de juillet, qui
donna le trône au duc d'Orléans. L e nouveau roi admit en principe l'indépendance des nouveaux E t a t s américains. T o u t e f o i s , il ne voulait reconnaître définitivement chacun de Ges E t a t s que d'après les garanties qu'ils donneraient par des traités. C'était le procédé adopté par l'Angleterre en 1824. L e premier traité signé f u t le franco-mexicain, en 1831, et le deuxième le franco-vénézuélien, en 1833. D'autre part, le roi de France voulait offrir de nouveau à l ' E s p a g n e la média-
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première
semaine de I , ' a m É r i q u e l a t i n e
a
lyon
tion de son gouvernement pour tenter une fois de plus la réconciliation de la mère-patrie avec ses filles d'Amérique. M a l g r é cette bonne intention, on ne fit rien auprès de
Ferdi-
nand V I I , qui mourut en septembre 1833, ni auprès du Gouvernement de la reine Isabelle II pendant les premiers mois du nouveau règne ; la grave situation intérieure de l ' E s p a g n e à cette époque ne se prêtait pas à la discussion d'une question si délicate. Il arriva toutefois qu'en janvier 1834, à l'arrivé au pouvoir des libéraux modérés, l ' E s p a g n e elle-même sollicita la médiation de la France auprès des nouveaux E t a t s pour aboutir à une réconciliation. L e secrétaire d ' E t a t Martínez de la R o s a et le marquis de las A m a rillas déclarèrent à l'ambassadeur de France à M a d r i d , le comte de R a y n e v a l , qu'un acte de reconnaissance formel n'était pas nécessaire, et que la signature d'un armistice à longue échéance suffisait, comme l'avaient proposé Bolivar, la France et l'Angleterre, en 1826, et comme l'avait f a i t d'ailleurs l ' E s p a g n e quand il s'était a g i de reconnaître l'indépendance des P a y s - B a s et du P o r t u g a l . Comme on entamait ces négociations, arrivèrent presque simultanément à M a d r i d , une mission vénézuélienne et une autre mexicaine, pour négocier la reconnaissance; toutes les deux obtinrent l'appui des ambassades de France et d'Angleterre, selon les instructions du duc de B r o g l i e et du duc de W e l l i n g t o n . L ' E s p a g n e accepta une conversation avec les diplomates américains, et, en octobre 1836, la reine régente du royaume rapporta à la Chambre le sujet de cette conversation; en novembre, le nouveau secrétaire d ' E t a t , M. C a l a t r a v a , sollicita des Chambres l'autorisation d'entamer des négociations avec les gouvernements des anciennes colonies espagnoles en Amérique et de reconnaître leur indépendance. L'autorisation f u t accordée; et le 28 décembre 1836, l ' E s p a g n e signait avec le Mexique un traité de reconnaissance, d'oubli et d'amnistie générale, approuvé par la Chambre..
RÉSULTAT
HEUREUX
DE
LA MÉDIATION
FRANÇAISE
L e deuxième traité de reconnaissance f u t le traité hispano-équatorien, en 1840; et en 1845 furent signés les traités
hispano-uru-
g u a y e n , hispano-chilien et hispano-vénézuélien. L e s négociations de 1835 avec le Venezuela, qui échouèrent pour des raisons qu'il serait trop long de rappeler aujourd'hui, se renouvelèrent en 1844, sous la présidence du général Soublette. Leur résultat heureux était dû en grande partie à la médiation amicale de la France, médiation sollicitée par le Gouvernement vénézuélien, dont la diplomatie s'appuyait
le
rôle
de l a
diplomatie
française
3 1 1
sur Paris, suivant les indications de la doctrine de B o l i v a r et que notre président Soublette mettait en pratique. Ces épisodes de l'histoire diplomatique franco-hispano-américaine nous reviennent sympathiquement à la mémoire en ces heures mélancoliques de la grande crise nationale de la France. V o u s savez tous comment nous autres, qu'on veut bien appeler les intellectuels, nous recourons aux journaux, à la tribune et au livre pour affirmer de nouveau notre gratitude pour cette terre libérale et héroïque. Mais n'oublions pas que beaucoup de nos hommes de guerre, tous dans la fleur de la jeunesse, sont accourus sur les champs de bataille, dès le premier jour du conflit, pour défendre la grande cause de l'humanité. Quelques-uns sont morts glorieusement en chargeant l'ennemi. Laissezmoi vous rappeler parmi eux le Colombien Bengœchea, l'Equatorien Seminario, le Péruvien Garcia Calderon. Il en reste d'autres qui soutiennent dans les tranchées françaises l'honneur des armes de notre Amérique. CARLOS A .
VILLANUEVA.
Le Brésil à la fin de 1916
APERÇU
GÉNÉRAL f
e Brésil est un des plus vastes E t a t s du monde ; par sa superficie
L
(environ huit millions et demi de kilomètres carrés), il est égal
aux trois quarts de l'Europe, à seize fois la France ; il s'étend sur l'un et l'autre hémisphère, de part et d'autre de l'Amazone, qui dessine sur son territoire une sorte d'équateur liquide ; son littoral sur l'Atlantique compte plus de 7.000 kilomètres, avec de longs espaces difficilement accessibles, mais par endroits des anses profondes, où la science moderne
a
construit
déjà
plusieurs
ports
dotés
d'un .excellent
Outillage. A u Brésil appartient, avec le cap S â o Roque, le point du continent sud-américain le plus rapproché de l ' A f r i q u e : cinq jours de navigation par les courriers rapides séparent l'archipel du C a p V e r t de Pernambouc; dès maintenant, par des services qu'il serait
possible
d'accélérer, Lisbonne est à dix jours de R i o de Janeiro, à douze jours des ports du Brésil méridional. L a traversée, sur une mer soumise au régime des alizés, est une des plus faciles des océans. D'autre part, le Brésil confine par ses frontières de terre à toutes les républiques sud-américaines, sauf le Chili et' l ' E q u a t e u r , et aux Guyanes anglaise, hollandaise et française : la nature l'a donc marqué pour être un p a y s de relations à la fois par terre et par mer. LES
RÉGIONS
NATURELLES
L a partie de beaucoup la plus étendue de son territoire appartient au climat t r o p i c a l ; c'est celle qui correspond au domaine hydrographique de l'Amazone, géant des fleuves du monde, dont les petits affluents sont de la taille de notre Loire. L à , dans les sous-bois de la selva, riche en caoutchouc, sur les dos de terrains découverts, la température se tient toute l'année au-dessus de 2 5 L e s celles
conditions sont
de toutes les régions tropicales humides de notre
planete,
Cochinchine, C o n g o , etc. ; contrairement à ce que l'on a dit quelquefois, il ne règne au Brésil aucune m a l a d i e spéciale; la fièvre jaune, affection j a d i s redoutée des vallées et des côtes basses, a presque complètement disparu ; on n'en observe plus, et fort rarement, que des cas sporadiques.
314
LA PREMIÈRE SEMAINE DE I,'AMÉRIQUE LATINE A LYON
U n e deuxième zone, que l'on peut appeler subtropicale, couvre les bassins supérieurs des affluents de droite de l'Amazone, du S â o Francisco et s'insinue le long de l'Atlantique sur une bande littorale plus ou moins large, jusqu'au-dessous du port de S a n t o s ; sa partie côtière f u t la première atteinte au seizième siècle par les Portugais, qui la colonisèrent comme d'autres nations firent les Antilles : cultures coloniales, surtout canne à sucre et main-d'œuvre d'esclaves importés d ' A f r i q u e . . C h a u d e encore, la température y est moins constamment humide qu'en A m a z o n i e ; le thermomètre y tombe à 18 0 ou même B a h i a , chef-lieu du Brésil portugais jusqu'au milieu du dix-huitième siècle, était le port et la capitale tout indiqués de cette région naturelle. Cette vaste contrée est généralement salubre, sauf dans quelques coins encaissés des vallées, où l'air ne circule pas ; dans l'intérieur, la forêt éclaircie n'est plus qu'une brousse (sertâo), mais par plaques subsistent de larges boisements touffus, où se pressent les essences les plus diverses; les campos découverts du Goya.z, du Matto Grosso, sont une carrière indéfinie pour l'élevage. L à des gisements miniers, très variés, furent mis en exploitation depuis le dix-huitième siècle : l'or et le diamant valurent alors son nom à la province, aujourd'hui E t a t , de Minas Geraes ; c'est maintenant à des métaux plus communs que l'on s'attaque; la prospection méthodique est à peine commencée, et d é j à des montagnes entières de fer, au titre de 80 p. 100 ont été signalées. L'ancienne et pittoresque cité portugaise d'Ouro-Preto, que le damier semi-urbain de B e l l o Horizonte remplace aujourd'hui comme capitale de l ' E t a t , a g a r d é l'Ecole des Mines du Brésil, centre réputé de haute technique et de science, nous pouvons ajouter de science franco-brésilienne. U n e troisième zone est celle du climat tempéré-chaud, comparable à celui du littoral méditerranéen de Sicile et d ' A f r i q u e . Ici, la latitude est compensée par l'altitude : à S â o - P a u l o , juste sous le tropique du Capricorne, mais à 800 mètres au-dessus du niveau de la mer, on note, à peu près comme à Palerme et A l g e r , 16 à 19 o de moyenne annuelle; sur les collines mamelonnées qui encadrent cette grande ville, le visiteur de France est surpris de retrouver, parmi des haies et des bouquets d'arbres à fruits, des aspects familiers de Normandie ou de Bretagne. Mais si, descendant une vallée fluviale, il cesse de baigner dans l'atmosphère plus légère des hauteurs, il reconnaît bien vite, à la moiteur du p a y s a g e , que le climat du Tropique l'a ressaisi. Sur les plateaux, c'est-à-dire sur des millions et des millions d'hectares, l'Européen vit et travaille aussi commodément que sous son ciel natal ; peu de p a y s au monde se prêtent mieux à l'immigration.
LE BRÉSIL A LA fIN DE IÇ)l6
315
Il convient d'insister sur cette troisième zone du Brésil : pointant au nord, sur le revers intérieur de la Serra do Mar, dont la falaise s'écroule sur le littoral atlantique, elle se rétrécit d'ouest en est, à mesure qu'elle se rapproche de l ' E q u a t e u r ; elle s'étale beaucoup plus largement dans le S u d de l ' E t a t de Minas Geraes, sur l'arrière-plan de R i o de Janeiro et couvre presque entièrement les E t a t s méridionaux : Sâo-Paulo, Parana, Santa-Catharina, Rio-Grande-do-Sul ; elle s'incline à l'ouest vers les plaines du P a r a g u a y et de l ' U r u g u a y , le long desquelles le Brésil touche aux deux républiques de même nom que ces fleuves, ainsi qu'à la Bolivie et à l'Argentine. Sâo-Paulo est le plus riche des E t a t s de l'Union brésilienne; il doit l'origine de sa fortune, pour bonne part, à la culture du c a f é , qui détermine chaque année un mouvement d'affaires de plus d'un demi-milliard de francs. L a population des quatre E t a t s du S u d atteint près de six millions d'habitants, soit actuellement un peu plus du quart du total de la R é p u b l i q u e ; cependant, par leur superficie, ces E t a t s ne représentent pas plus du dixième de l'Union. L e u r évolution est d'ailleurs inégalement avancée : Santa-Catharina et P a r a n a n'ont pas ensemble un million d'habitants, alors qu'on en compte trois millions et demi dans S â o - P a u l o et un million et demi dans Rio-Grande-do-Sul. L e s immigrants européens ont beaucoup f a i t , d é j à , pour transformer le Brésil méridional : Sâo-Paulo, qui n'avait que 50.000 habitants en 1890, en possédait plus de 400.000 en 1 9 1 4 ; l ' E t a t dont il est la capitale ne produit pas seulement du c a f é , mais aussi du bétail, des céréales, des bois. Parana a donné son nom à une variété de pin araucaria, assez largement exploitée d é j à pour faire concurrence aux importations de Norvège sur les marchés de l'Argentine; il partage avec Santa-Catharina la production du maté, dont la consommation augmente rapidement. Rio-Grande-do-Sul ressemble à l ' U r u g u a y , qui le continue au sud jusqu'à l'estuaire du R i o de la P l a t a ; on y élève des chevaux et des b œ u f s , on y cultive la vigne et le b l é ; on y a récemment découvert de puissants gisements de charbon.
LES
VOIES
DE
COMMUNICATION
Ces magnifiques ressources, g a g e s de la valeur d'un p a y s pour lequel la nature s'est montrée prodigue, n'ont été que très superficiellement exploitées encore; si le Brésil,
politiquement,
touche
à
l'âge de la maturité, l'on peut dire qu'en réalisations économiques il est encore moins avancé. L e s progrès remarquables accomplis depuis le dernier quart du dix-neuvième siècle ne sont qu'une esquisse de ceux qu'il peut se promettre. L a condition en est que le p a y s apporte
316
LA PREMIÈRE SEMAINE DE I,'AMÉRIQUE LATINE A LYON
•— ce qu'il n'a pas toujours f a i t — un peu plus de circonspection dans son é l a n ; ces jeunes sociétés américaines, entraînées par la griserie de l'espace, se dispensent trop volontiers de compter avec le temps qui « respecte peu ce qu'on a f a i t sans lui ». L e s fleuves brésiliens ne sont pas des a chemins qui marchent », aussi complètement qu'on pourrait le conclure d'un coup d'œil sur la carte en embrassant seulement leurs dimensions. L e cours de l ' A m a zone offre accès aux grands paquebots de mer, bien au delà de Manaos, jusqu'en territoire péruvien, si bien que beaucoup ne s'arrêtent pas à- Para, port du d e l t a ; la navigation à vapeur, par fortes unités, est possible aussi sur les affluents de l'Amazone : Madeira, Tocantins, A r a g u a y a , par b i e f s qui dépassent 1.000 kilomètres. D e même le rio P a r a g u a y porte des bâtiments de 3.000 tonnes jusque devant Corumba, au cœur du Matto Grosso, à 3.000 kilomètres de la mer. Mais des chutes rompent la continuité d'autres lignes : celles de l'Iguassu et les Sete Quedas, sur le P a r a n a ; celles de P a u l o - A f f o n s o , sur le S â o Francisco ; celles de la. moyenne Madeira. Réserves somptueuses de houille blanche (on estime à quatre millions de chevaux celle du seul Parana), ces chutes sont des obstacles qu'il f a u t tourner; le chemin de fer dit Madeira-Mamoré (330 kilomètres), véritable canal entre deux b i e f s navigables, ouvre aujourd'hui à la Bolivie, par l'Amazone, un accès aménagé sur l'Océan. Ces -communications fluviales, que des raccords ferrés suffiront à compléter, sont excentriques à la région de peuplement du Brésil méridional; la colonisation ne saurait donc en tirer qu'un f a i b l e p a r t i ; dans la portion du Brésil où l'immigration s'est fixée, il est essentiel de construire des voies artificielles, c'est-à-dire des chemins de fer. L e réseau ferré brésilien possédait seulement 8.586 kilomètres de voies lorsque, en novembre 1889, la République prit la place de la monarchie impériale; il en comptait 27.000 à la fin de 1915, dont plus de 25.000 dans les E t a t s du S u d et du Centre-Est; le réseau le plus dense est celui de S â o - P a u l o où certaines compagnies, comme la Paulista, la M o g y a n a , le S â o - P a u l o R a i l w a y donnent des dividendes de 8 à 12 p. 100 à leurs actionnaires. U n e ligne nouvellement construite dont le dernier tronçon s'appelle « Nord-Ouest du Brésil » atteint, à 1.800 kilomètres de Santos, un port fluvial sur le P a r a g u a y ; son terminus actuel est à quelques kilomètres de la frontière bolivienne et sera l'une des stations principales d u futur transcontinental de Santos à A n t o f a g a s t a , port chilien d u Pacifique. U n e autre voie, terminée en 1914, est le g r a n d central S â o Paulo-Rio-Grande, dont les rails comblent la dernière lacune entre R i o de Janeiro et Montevideo; les voyageurs circulent désormais sur plus de 3.000 kilomètres entre ces deux villes et jusqu'à Colonia, port
LE BRÉSIL A LA fIN DE IÇ)l6
317
du P l a t a , en face de Buenos-Ayres. U n chemin de fer transversal, de l'Atlantique à la rivière P a r a g u a y , reliera prochainement le littoral brésilien à la capitale paraguayenne, Asunción. T e l l e s sont les lignes essentielles de la trame' où s'inscrivent des mailles de plus en plus serrées. LE
PEUPLEMENT
ET
L'ÉVOLUTION
POLITIQUE
L e progrès des voies ferrées a marché de pair avec celui du peuplement. E n c o u r a g é depuis une trentaine d'années, surtout par le gouvernement de l ' E t a t de S â o - P a u l o , le mouvement de l'immigration est actuellement ralenti par la guerre européenne, mais il avait, auparavant, enraciné au Brésil des millions d'individus. L ' E t a t de SâoP a u l o , à lui seul, a reçu en v i n g t ans près d'un million et demi d'immigrants d ' E u r o p e ; les arrivants de 1913, pour l'ensemble de l'Union, furent recensés au n o m b r e de 192.683; ce chiffre est tombé à 82.573 pour 1914« qui eut encore six mois normaux, et à 32.206 en 1915, année entièrement éprouvée par la guerre. L e s origines de ces arrivants sont très diverses : près de 300.OOO sont des A l l e m a n d s , dans les E t a t s du S u d ; la prospérité de cette colonie teutonne avait excité, de ce côté-ci de l'Atlantique, des ambitions qui n'allaient à rien moins qu'à amputer le Brésil d'une colonie du Deutschtum. Mais le pouvoir absorbant de la nationalité brésilienne est tel que même les plus réfractaires, les plus insolents de ces colons, ne peuvent pas résister longtemps à l'ambiance latine. Beaucoup plus nombreux que les A l l e m a n d s sont d'ailleurs les L a t i n s d'Europe, Italiens, E s p a g n o l s , P o r t u g a i s ; depuis quelques années, il vient aussi beaucoup de Slaves et de Levantins, notamment dans P a r a n a et Sâo-Paulo. A v e c les progrès, si remarquablement poursuivis par le gouvernement brésilien, de l'assainissement (drainage des villes, vaccination, lutte contre les moustiques, les serpents, etc.), l'énergie d'incorporation particulière aux races latines moule rapidement au Brésil, a m a l g a m a n t les éléments les plus dissemblables, un peuple — disons mieux, une nation. Comment cette nation s'est-elle développée et quelle est, aujourd'hui, sa situation dans le monde? Colonie portugaise depuis le début du seizième siècle, empire sous des princes de la maison portugaise de Bragance, de 1822 à 1889, le Brésil s'est constitué à cette dernière date, par une révolution pacifique, en république fédérative. L e s v i n g t « E t a t s - U n i s du Brésil », auxquels il f a u t ajouter le « territoire f é d é r a l » de R i o de Janeiro, capitale commune, étaient peuplés en 1889 de seize millions d'habitants; ils en comptent vingt-quatre millions aujourd'hui. L e b u d g e t était, à la fin de l ' E m p i r e (1889), de 378 millions de f r a n c s ; les prévisions officielles pour 1913 portaient
3 18
LA p r e m i è r e s e m a i n e d e l ' a m é r i q u e l a t i n e a LYON
sur un c h i f f r e triple ( i . 150 m i l l i o n s ) ; les t o t a u x du commerce extérieur, d a n s la même période, ont passé de 1.200 millions de f r a n c s à p l u s de 3 m i l l i a r d s . Ces
indications
générales
suffisent à j a l o n n e r
couru ; mais on ne c o m p r e n d r a i t p a s la v a l e u r
le
chemin
par-
intime et la signifi-
cation pour l'avenir de cet essor récent si l'on n ' a j o u t a i t a u x données inanimées de la statistique une connaissance p l u s personnelle,
plus
p s y c h o l o g i q u e du p e u p l e brésilien. C'est, pour les F r a n ç a i s en particulier, un sujet extrêmement a t t a c h a n t , .car la race latine du B r é s i l , m a l g r é tous les a p p o r t s
étrangers qu'elle
assimile, a b e a u c o u p
traits communs avec la n ô t r e ; elle est fière, éprise
de
d'indépendance,
impatiente de progrès social, idéaliste et poétique. L e régime impérial f u t , pour le Brésil, une heureuse transition entre la tutelle de l ' â g e c o l o n i a l et l'émancipation républicaine ; les citoyens les p l u s sincèrement attachés au régime actuel a f f i r m e n t leur intelligence
de
cette
continuité b i e n f a i s a n t e , l o r s q u ' i l s d e m a n d e n t le rapatriement au Brésil des cendres de l'empereur P e d r o I I . Comme
les
organismes
juvéniles,
en
qui
fermente
une
sève
ardente, le Brésil a traversé des crises de croissance ; il en est t o u j o u r s sorti vainqueur, r e n f o r c é pour des renaissances brillantes. E n t r e 1864 et 1870, l a guerre du P a r a g u a y , puis la f a i l l i t e de grosses banques entraînent une perturbation g é n é r a l e ; on emprunte sans précautions, le c h a n g e 's'avilit. D o n P e d r o s'institue, rôle i n g r a t et désintéressé, le v o l a n t de cette machine e m b a l l é e : tout rentre d a n s l ' o r d r e ; en 1889, le c h a n g e a dépassé le pair (1).
Pacifique à R i o ,
la révolution
de
novembre f u t suivie de désordres et même d'une guerre civile d a n s le S u d ; alors le gouvernement, à court
d'expédients, inonda
le
pays
de papier-monnaie, le c h a n g e t o m b a au-dessous de 6 pence en 1898. L e ministre des F i n a n c e s obtient enfin, à L o n d r e s , la solution libératoire d'un funding
: p e n d a n t trois ans les intérêts de la D e t t e exté-
rieure seront p a y é s en titres d'un emprunt de c o n s o l i d a t i o n ; l'amortissement de cette dette est suspendu jusqu'en 1 9 1 1 . A l o r s , grâce à des ministres de premier ordre, p a r m i lesquels la reconnaissance publique n o m m e J o a q u i n M u r t i n h o et C a m p o s S a l l e s , la convalescence est p r o m p t e : le service de l'amortissement est repris d i x - h u i t mois a v a n t l'échéance contractuelle ; le c h a n g e , en 1904, était remonté au-dessus de 12 p e n c e ; une caisse de conversion, créée en 1906, en assure la stabilité, si bien qu'il s'est maintenu jusqu'à la veille de la guerre européenne, a u x environs de 15 pence. L e s titres des valeurs brésiliennes étaient dès lors recherchés en E u r o p e ; le funding
de 1898
(1) L'unité monétaire brésilienne, le milreis, vaut au pair 27 pence, soit environ 2 if. 80.
LE BRÉSIL A LA fIN DE IÇ)l6
319
était coté au-dessus d u pair. L ' é p a r g n e f r a n ç a i s e , suivant
l'exemple
des A n g l a i s , s'intéressa largement a u x affaires d u Brésil, aussi bien a u x f o n d s publics de la F é d é r a t i o n , des E t a t s , des V i l l e s , qu'à des entreprises particulières de chemins de fer, de ports, etc... L e Brésil se j u g e a i t entré d a n s paraissaient
l'ère de
justifier
la
prospérité
les a p p e l s
définitive, et ses
répétés de crédit
qu'il
succès
adressait
à
l'étranger (1).
LA
DERNIÈRE
CRISE
ET
LE
TRAITEMENT
Il y eut alors quelques années d'entraînement général ; le G o u vernement f é d é r a l , les E t a t s , les municipalités se lançaient ment d a n s l a voie
allègre-
des g r a n d s t r a v a u x ; quelques années de
récoltes,
pensaient
publics,
auraient
de très bonne vite
amorti
f o i les inspirateurs
toutes
ces dettes.
des
Est-il
bonnes pouvoirs
permis
de
s'étonner de cette h y p e r t r o p h i e de confiance en un p a y s où les b a n a niers poussent en trois mois à la t a i l l e de nos v i e u x orangers? C e p e n d a n t la crise s'annonçait, i n é v i t a b l e ; les b u d g e t s de 1910 à 1914 se soldèrent tous en déficit. L a dette p a r tête d ' h a b i t a n t , disaient les partisans des dépenses r a p i d e s , n ' a t t e i g n a i t p a s au Brésil 400 f r . , alors qu'elle dépassait 750 f r a n c s en F r a n c e en 1914. C'est e x a c t , et la limite n'est certainement pas atteinte encore; m a i s on d o i t considérer qu'en E u r o p e le t r a v a i l des générations incorporé au sol assure au crédit des E t a t s une s o l i d i t é que les sociétés jeunes ne sauraient i m p r o v i s e r ; cette c o m p a r a i s o n n'est donc p a s rigoureusement juste. Il est bon d'observer aussi que toutes les émissions, lancées au titre du Brésil, ne présentent pas l a même valeur. L e s E t a t s jouissent, en matière
financière,
d'une
autonomie
que nombre
de
Brésiliens
même j u g e n t excessive et a n a r c h i q u e ; leurs emprunts sont g a g é s sur les droits à l ' e x p o r t a t i o n , ressource essentielle de leurs b u d g e t s , c'est-
(1) Voici, d'après le rapport du Ministère des Finances, pour 1915, la liste des emprunts extérieurs du Brésil, qui possèdent la garantie fédérale : (en livres sterling) De 1883 à 1908, sept emprunts à 4, 4 1/2 et 5 ô/o Montant total : 71.908.920 £ 1908 1908-09.... !9°9
1910 ¡910
S
%
s.% " 0/ 3 h
4 % . 4 %
4 . .000..000 100..000 .000 40..000..000 100.,000..000 1 2 . , 100. 000
256.100.000
Re-port 1911 1911 1911
4 % /o 4 .
T9R3
5
4
%
256.100.00c 60.000.000 4-500.000 2.400.000 11.000.000 334.000.000
Total général : 71.908.920 + 334.000.600 = 405.908.920
£
320
LA PREMIÈRE SEMAINE DE I,'AMÉRIQUE LATINE A LYON
à-dire sur une recette instable et dont l'assiette même peut être modifiée par des coteries locales; la chute des cours du café et du caoutchouc, dont l'exportation représentait avant la guerre 85 p. 100 de l'exportation totale du Brésil, f r a p p a dans leurs sources vives plusieurs budgets « estadoaux » ; le retentissement en était inévitable sur le budget fédéral, qui vit surtout des droits à l'importation. L e caoutchouc de Para, devant la concurrence du caoutchouc de plantation de l'Océan Indien, recula de 9 fr. 51, prix du kilogramme en 1912, à 5 fr. 56, prix en 1914; les quantités exportées fléchirent dans cet intervalle de 42.185.000 à 27.500.000 kilos; le sac de c a f é tomba de 86 fr. 35 en 1912 à 65 fr. 67 en 1914. Inégalement touchés, mais tous atteints, les divers budgets brésiliens souffraient d'une anémie consécutive à des excès de régime, qu'aggrava singulièrement l'explosion du conflit européen; la dépression monétaire et les embarras du Trésor s'accrurent du fait que les échanges internationaux se raréfiaient de plus en plus; les revenus fédéraux, alimentés à concurrence de 65 p. 100 par les douanes, baissaient à proportion. U n e vaste opération financière, réplique de celle de 1898, était à la veille de la réalisation, lorsque la guerre éclata. Les principaux débouchés du Brésil furent alors fermés, la clientèle européenne brusquement paralysée, les transports maritimes léduits à peu près à rien; en août 1914, le change fléchit à 10 pence. O n doit ajouter que, pendant les épreuves les plus pénibles, la probité financière du Gouvenement brésilien est toujours demeurée intacte; il y a là un coefficient moral de première importance pour la restauration d é j à commencée. Aussi, en 1913 encore, la maison Rothschild put-elle introduire aisément sur le marché de Londres un emprunt brésilien de 275 millions de francs. L a crise ne présentait donc aucun symptôme irrémédiable et devait être envisagée de s a n g - f r o i d ; ne nous dissimulons pas qu'elle f u t grave et qu'il conviendra d'en retenir les leçons. L e bilan des recettes accusait en 1914 une chute pour les chemins de fer de 30 à 35 p. 100, pour les ports de 20 p. 100; c'était un coup très dur pour toutes les entreprises qui doivent assurer le service de leurs engagements par des remises d'or en Europe; le Gouvernement décréta en août 1914 le moratorium, c'est-à-dire qu'il cessa de payer ses garanties d'intérêt; au mois d'octobre, il signait un contrat liquidatoire de funding. Voici comment s'exprimait le ministre fédéral des Finances dans son rapport annuel de 1915 : « L e s premiers symptômes de la crise apparurent en 1914; le niveau des dépenses commença à baisser quelque peu, les opérations de crédit devinrent impossibles à l'étranger, la déclaration de guerre précipita ces phénomènes, et nous dûmes
LE BRÉSIL A LA FIN DE I Ç l 6
321
faire un nouvel arrangement pour le paiement de la Dette extérieure consolidée. » D e son côté, M. Wenceslâu Braz, président de la République, disait dans son message aux Chambres pour l'année 1915 : <c L a profonde perturbation de notre marché producteur procède de causes diverses ; pour certaines, nous sommes responsables, car la crise du crédit provient de l'excessive ampleur de nos programmes de travaux échelonnés à de trop courts intervalles. Nous y remédierons en régularisant la vie budgétaire du Gouvernement et en poursuivant nos efforts collectifs vers l'équilibre économique. Quant aux autres éléments de la dépression — la guerre — ils échappent à l'influence de nos pouvoirs publics. » Il est impossible de ne pas apprécier la franchise, la clarté de ces déclarations. L e Brésil s'est mis à l'œuvre pour corriger les erreurs qu'il reconnaît lui-même ; sous la discipline prudente de son président, M. Wenceslâu Braz et de son actuel ministre des Finances, M. Pandio Calogeras, il s'est imposé un effort méritoire, efficace déjà, d'examen de conscience et de recueillement. L e Gouvernement réalise progressivement la restauration du budget par une énergique compression des dépenses, par une révision sévère du programme des travaux publics et des contrats de concession conclus pendant l'insoucieuse période des vaches grasses. Les plus récentes discussions des Chambres témoignent de la résolution de s'en tenir exactement aux condition du funding de 1914, c'est-à-dire de reprendre dès la fin de 1917 le paiement en espèces des intérêts de la dette publique. A cet effet, il faut créer des ressources nouvelles; d'ores et déjà, le ministre des Finances a décidé de nouveaux impôts. U n autre acte de courage politique et fiscal sera le vote d'une loi, proposée dès 1913 par le sénateur Sâ Freire, et restreignant l'autonomie financière dont plusieurs E t a t s de l'Union brésilienne ont fait un si malheureux abus; au printemps de 1916 l'important Jornal do Commercio recommandait cette réforme. LE
RELÈVEMENT
EN
COURS
Nous sommes donc en pleine période de redressement; à l'exemple du Gouvernement fédéral, plusieurs gouvernements « estadoaux » en sont venus à une économie plus sévère des deniers publics : ainsi l'Etat de Rio de Janeiro (distinct du district fédéral, qui est la zone urbaine de la capitale), sous la présidence de M. N i l o Peçanha, ou encore Espirito-Santo qui, après une défaillance, a repris le paiement de sa dette extérieure. U n e activité du meilleur aloi régnait à Sâo-Paulo, sous la présidence de M. Rodrigues A l v e s , auquel vient de succéder (1916) un très digne continuateur, M. A l t i n o Arantes. Sâo-Paulo met, de moins en moins, toutes ses chances sur un 11
322
LA PREMIÈRE SEMAINE DE I,'AMÉRIQUE LATINE A LYON
p r o d u i t unique, le c a f é ; il a pris l'initiative, l'an dernier, d'un congrès d u riz, et f a i t
venir
des colons j a p o n a i s , agriculteurs particu-
lièrement experts ; il p r o p a g e la culture d u coton et des p l a n t e s tinct o r i a l e s ; il d é v e l o p p e son industrie textile, ses teintureries v é g é t a l e s , afin de se passer des couleurs a l l e m a n d e s à l'aniline, ses brasseries, ses verreries, ses abattoirs frigorifiques. M a t t o Grosso et G o y a z , suivant Rio-Grande-do-Sul,
s'intéressent à l ' é l e v a g e p a r des méthodes
modernes de sélection et de croisement ; ce dernier E t a t met en valeur ses mines de charbon, et d é j à v e n d
du combustible
jusqu'en
Uru-
g u a y et en A r g e n t i n e . D e tous côtés, surtout d a n s les E t a t s de peuplement d u Centre et du S u d s'affirme la résolution de m i e u x a d m i n i s trer et d ' a d a p t e r p l u s exactement
l'effort de l'homme
a u x conseils
d'une nature généreuse. D é j à les premiers résultats sont acquis. O n relève actuellement des recettes b u d g é t a i r e s en progrès, une tendance du c h a n g e à se fixer autour de 12 pence. L ' a m é l i o r a t i o n des échanges a p p a r a î t p a r les derniers g r a p h i q u e s d u mouvement des ports et des chemins de f e r , qui r e g a g n e le niveau de 1913, p a r l'inscription de p r o d u i t s n o u v e a u x sur les listes de l ' e x p o r t a t i o n ; les cours du c a f é et du caoutchouc remontent. L e
t o t a l d u commerce extérieur, qui était
de 87 m i l l i o n s
de
livres sterling en 1906, s'est élevé à 138 millions en 1 9 1 2 ; il accusait d é j à une baisse en 1913 (132 millions), mais la chute f u t ensuite prof o n d e , 82 millions en 1914 (dont 57 1/2 pour les sept premiers mois), 83 millions en 1915 (1). L e s chiffres de 1916 sont sensiblement meilleurs : la somme des sept premiers mois, 51 m i l l i o n s de livres sterling, est presque celle de 1 9 1 4 pour la même période. Q u a n t a u x chemins de fer, les recettes en hausse depuis le milieu de 1915, sont presque arrivées d é j à au niveau de 1913 ; de 1914 à 1915 la p l u s - v a l u e pour la P a u l i s t a et la M o g y a n a atteint 10 p. 100. Certes, ce ne sont p a s
(1) Voici, d'après The Economist du 7 octobre 1916 et Le Brésil du 29 octobre 1916, le tableau du commerce extérieur du Brésil de 1906 à 1916 : (Importation et Exportation réunies) (en livres sterling) ANNÉE ENTIÈRE
I906 I9°7
190 8 190 9 191 0 191 1 191 2 191 3 191 4 191 5 igià
SEPT P R E M I E R S
MOIS
87.l63.52i • • • •'
94-7°4-501
••••
79.586.402 100.779.185 110.963.521 119.660.593 138.073.780 132.115.117 82.000.000 83.058.000
71.192.000 72.152.000 57.589.000 43..931.000 50.929.000
LE BRÉSIL A LA fIN DE IÇ)l6
323
encore les triomphantes revanches, mais il y a là m i e u x que des espoirs, en raison surtout du f a i t que la progression ne se ralentit pas. La
discussion
du b u d g e t
sante ; on peut dire que, m a l g r é
f é d é r a l de 1917 l'incorporation
a été
fort
de tous les
intérescomptes
s p é c i a u x , il se présente en é q u i l i b r e ; c'est un retour a u x sages principes i m p r u d e m m e n t
abandonnés
depuis
1910. L e
ministre
Pandio
C a l o g e r a s n'a p a s obtenu ce succès sans beaucoup de luttes contre des routines et des situations
acquises;
les ressources
fiscales
actuelles
suffisent à couvrir les c h a r g e s de l ' E t a t , réduites par la révision de ses contrats et la réduction de ses dépenses ( 1 ) ; il f a u t de p l u s des i m p ô t s n o u v e a u x pour reprendre en 1 9 1 7 le service en or de la D e t t e extérieure,
c'est-à-dire
d u funding
f a i r e honneur, sans p r o r o g a t i o n , à l'échéance
de 1 9 1 4 ; il est possible que la durée de la guerre ne per-
mette que p a r étapes le retour au régime des paiements n o r m a u x . Sur les sacrifices à d e m a n d e r a u x contribuables, l'accord n'est p a s comp l e t encore au moment où nous écrivons ces lignes ; on en v i e n d r a p r o b a b l e m e n t à une répartition entre les impôts de consommation (y compris les t a r i f s de chemins de fer) et les i m p ô t s d i r e c t s ; a u x économies administratives, il semble qu'elles aient été
quant
poussées
jusqu'au point au d e l à d u q u e l elles deviendraient téméraires : car le Brésil ne doit p a s a f f a i b l i r les cadres nécessaires de son progrès. U n fait
p a r f o i s peu aperçu, qu'il importe de relever ici, est la
hausse de la consommation d a n s les E t a t s
locale ; elle est particulièrement sensible
les p l u s avancés, S â o - P a u l o , R i o - G r a n d e - d o - S u l .
En
raison de la guerre, qui pèse sur les échanges extérieurs, le Brésil a d û , b e a u c o u p p l u s que p a r le passé, vivre sur lui-même, pourvoir à ses propres besoins; la f a b r i c a t i o n des vêtements et du mobilier s'est d é v e l o p p é e , pour s a t i s f a i r e a u x d e m a n d e s d'une clientèle qui devient chaque j o u r p l u s e x i g e a n t e . O n doit conclure de là qu'un c a p i t a l proprement brésilien, i n d é p e n d a n t des a p p o r t s de l'étranger, se constitue r a p i d e m e n t . Il n'est p a s d'élément meilleur pour consolider le crédit national.
fi) Voici, d'après The Economist du 7 octobre 1916, le bilan des budgets brésiliens de 1909 à 1916 : (en livres sterling) ANNÉES
RECETTES
DÉPENSES
190 9
28.3O3.OOO
191 0
34.640.000
40.587.OOO
RÇ)11
39-339-000
44.147.000
39.602.000
41.890.000
*9 I 3 J9T4 I9I5-;
42.450.000 27.565.000 28.318.000
46.237.000 42.452.000 35.228.250
1916 (évaluation). . .
30.850.000
30.850.000
'912
32.2i5.OOO
324
LES
LA PREMIÈRE SEMAINE DE I,'AMÉRIQUE LATINE A LYON
CHANCES
PROCHAINES
L e s épreuves de la guerre européenne ont certainement contribué à cet assagissement ; le problème de l'économie nationale se pose aujourd'hui en des termes différents qu'au temps — si lointain semble-t-il — où les relations entre peuples n'avaient pas été bouleversées par cette tourmente : le Brésil puisera moins facilement désormais à ses anciennes sources d'immigration; il lui f a u d r a compter d a v a n t a g e sur les p a y s slaves et levantins, sur l'Extrême-Orient de l'Asie, et moins sur de gros effectifs de travailleurs des bords de la Méditerranée; il devra donc assouplir ses transports par mer à une circulation modifiée des hommes et, par suite, des marchandises. L a collaboration européenne qui lui demeurera fidèle tiendra compte de ces nouveautés; elle ne se refusera pas à coopérer avec des éléments nord-américains; certains hommes d'affaires des E t a t s - U n i s ont récemment découvert l'Amérique L a t i n e où ils se montrent très a c t i f s ; il leur reste à mieux comprendre ces sociétés, dont l'ambiance est européenne, voire latine ; ils ne sauraient réussir longtemps tout seuls. L'exportation brésilienne, avant la guerre, reposait partiellement sur des produits tropicaux relativement chers et de petit débit, c a f é et caoutchouc; ce commerce participait encore des conditions de l'âge colonial où les p a y s d'outre-mer n'envoyaient aux métropoles que des 0 épices ». Or, les métropoles, après la lutte épuisante, demanderont par cargaisons complètes des vivres usuels, du grain, des fruits, des œ u f s , de la v i a n d e ; il leur f a u d r a aussi du bois pour leurs constructions, de la pâte à papier pour leurs imprimeries, de la laine, d u coton, des métaux. L e Brésil, après être resté longtemps indifférent à la vente des produits de consommation courante, commence à comprendre quel immense avenir s'ouvre à lui de ce chef. Matto Grosso, G o y a z , S â o - P a u l o , Rio-Grande-do-Sul, ont créé des abattoirs i n d u s triels et des entrepôts frigorifiques; le port de R i o de Janeiro achève de s'outiller complètement pour.cet objet. L e Brésil, avec ses espaces immenses, est naturellement privilégié pour la production par quantités d'articles dont le marché ne s'engorge jamais. Sans prétendre doubler les étapes, la g r a n d e république sud-américaine est sûre d'une fortune solide et progressive. L a révision en cours des contrats de travaux publics répond au double souci d'alléger les charges de l ' E t a t , et de ne plus disperser l'effort par « petits paquets », à travers tout le territoire, sans l'intensifier nulle part. A u j o u r d ' h u i , le choix est f a i t de quelques points d'appui, autour desquels la mise en valeur rayonnera de proche en proche. U n petit
LE BRÉSIL A LA fIN DE IÇ)l6
325
nombre d'entreprises, chemins de fer et ports, réclament encore des extensions; la plupart s'accommoderont mieux d'une exploitation que l'on pourrait appeler conservatoire parce que, d é g a g é e de toute mégalomanie, elle vise au meilleur rendement des organismes existants. L e s capitalistes européens trouveront désormais au Brésil des correspondants désireux de leur offrir de solides garanties de gestion. Cette perspective doit être considérée très attentivement, croyons-nous, dans les milieux d'affaires des nations de l'Entente, intéressées à régler sans plus tarder les conditions de leur politique d'aprèsguerre vis-à-vis du Brésil et aussi de toute l'Amérique I.atine.
LE
BRÉSIL
ET
LES
ALLIÉS
A n g l a i s et Français, à côté desquels on doit citer les Belges, ont été jusqu'ici les grands bailleurs de f o n d s du Brésil. L e s événements dont nous venons d'esquisser le tableau les ont p a r f o i s atteints; il leur appartient, en accord avec le Brésil lui-même, d'amender cette situation au prix de concessions réciproques qui laisseront largement ouvertes toutes les chances d'un prochain avenir. Ainsi seront résolus, dans un esprit de conciliation et de mutuelle sympathie, les litiges issus de la novation des contrats de travaux publics. L a reconstitution des entreprises dans lesquelles les nationaux des p a y s alliés ont e n g a g é des capitaux importants est une œuvre à la fois financière et politique, dont le succès s'annonce des plus féconds. L e s amis du Brésil, nombreux et sûrs de ce côté de l'Atlantique, veillent à ce que les principes d'équilibre, de respect du travail et de l'argent d'autrui, dominent dans cette réorganisation qui a pour nous toute la valeur d'un symbole. L e Brésil est digne de prendre rang en première ligne, dans le concert des nations civilisées. Il a le premier, au cours des règlements de frontière longtemps pendants avec les républiques et les colonies limitrophes, appliqué la procédure amiable d e l'arbitrage; le nom du ministres des A f f a i r e s étrangères, baron de R i o Branco, demeurera, pour cette raison, un nom de l'histoire internationale; la municipalité de R i o a f a i t preuve de tact et de sens historique, en plaçant sa g r a n d e avenue moderne sous le vocable de R i o Branco. L'année prochaine, entrera en vigueur un code civil, inspiré de la législation française, qu'a mis au point et au courant des récents progrès du Droit l'éminent juriste R u y B a r b o s a ; il consacre l'émancipation civile de la femme, la constitution du bien de f a m i l l e , la reconnaissance de la propriété scientifique et littéraire ; on estime qu'il sera le point de départ d'une refonte des administrations judiciaires, non encore unifiées, sur tout le territoire de la République brésilienne.
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LA PREMIÈRE SEMAINE DE I,'AMÉRIQUE LATINE A LYON
L a France est particulièrement aimée au Brésil ; notre langue est parlée par toute l'élite intellectuelle, nos programmes d'éducation, nos livres classiques sont populaires; notre 14 Juillet est, pour les Brésiliens, une deuxième fête nationale; un lycée franco-brésilien vient d'être inauguré à Rio (1916). L e grand journal Est ado de Sâo-Paulo consacrait, l'automne dernier, un supplément spécial au centenaire de la mission de l'Institut de France qui vint s'établir à Rio, sur une demande officielle du souverain, en 1816. L a victoire de la Marne, la résistance héroïque de Verdun ne furent nulle part saluées d'un enthousiasme plus chaleureux qu'au Brésil ; la Liga -pelos Alliados de Rio de Janeiro s'affirme, malgré les audaces et les grossièretés de la propagande germanique, une société profondément nationale. L e s puissances de l'Entente peuvent faire confiance au Brésil; elles sont en face d'une jeune nation vigoureuse, d'un gouvernement probe et courageux; en s'associant à la renaissance brésilienne, instruites par l'expérience et toujours fraternelles, elles ne se lanceront pas dans de folles aventures; elles serviront tout ensemble leurs intérêts supérieurs et la cause humaine du progrès par le travail et par le droit pour laquelle leurs soldats combattent sur les champs de guerre du vieux continent. HENRI
LORIN.
Les relations générales entre l'Amérique Latine et la France
CONSIDÉRATIONS
GÉNÉRALES
SUR
LA CIVILISATION
LATINE
Il y a quelques années, au cours d'une cérémonie officielle, en France, un homme d ' E t a t sud-américain prononçait ces paroles : (< Nous venons de la civilisation occidentale et nous sommes les héritiers des richesses accumulées sur le continent européen par des siècles de luttes, de travaux, de méditations et d'efforts. Nous venons de très loin dans l'histoire et nous porterons très haut votre civilisation dans l'avenir le plus lointain. Lorsque la lutte s'est engagée entre la culture latine et l'Islam nous étions à Poitiers et à Lépante pour repousser l'invasion belliqueuse des Arabes et des Turcs. » Si l'auteur de ces paroles vivait encore il n'hésiterait pas à ajouter : Nous étions avec vous en Belgique, sur la Marne, en Pologne, sur le Carso, partout enfin où, dans le conflit actuel, les défenseurs de la civilisation luttent contre la barbarie; nous sommes et nous serons avec vous jusqu'à la victoire du Droit contre la force brutale. E t il aurait, pour guider sa pensée, fortifier son affirmation, les manifestations les moins équivoques de ses compatriotes; il s'appuierait sur la première protestation contre la violation des conventions internationales^ les plus sacrées formulée le 8 août 1914, à une époque où, certes, l'issue de la lutte pouvait paraître incertaine, protestation formulée dans l'Amérique du Sud à la Chambre des députés du Brésil ; il obéirait au mouvement d'indignation que la presse sud-américaine a' manifesté unanimement contre les crimes des sous-marins allemands, que va dépasser en horreur le rétablissement de l'esclavage en Belgique, en France envahie, en Pologne, en Serbie, au vingtième siècle de l'ère chrétienne; il s'appuierait sur les déclarations solennelles des plus hautes personnalités politiques et intellectuelles de l'Argentine, du Brésil, du Chili, du Pérou et des autres républiques sud-américaines, car sa parole ne rencontrerait aucun contradicteur qualifié. Ne savons-nous pas, en effet, que tout ce Nouveau Monde est fils de cette civilisation latine façonnée par Rome et par le christianisme en vue du développement dans le cœur et l'intelligence de l'homme de tous les éléments nobles, bons et justes? Ne voyons-nous pas qu'il est fier de cette parenté, de ce sang qui coule dans ses veines, de cette
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LA PREMIÈRE SEMAINE DE I/AMERIQUE LATINE A LYON
pensée qui nourrit son cerveau ! Oublions-nous que depuis plus d'un siècle il a toujours tressailli jusqu'au plus p r o f o n d de son être a u x événements de notre histoire ! Ignorons-nous son ambition d'être sur le continent américain le protagoniste valeureux et glorieux de cet idéal ? Certes non. E t c'est pourquoi, dans le cataclysme qui ébranle le monde civilisé; son attitude ne nous surprend point. E l l e correspond aux affinités qui nous attirent, nous unissent, mais en même temps elle xeprésente un enseignement qu'il nous appartient de mettre en lumière afin de l'utiliser.
TACHE
DU
COMITÉ
FRANCE-AMÉRIQUE ET
LIGNES
GÉNÉRALES
V
POUR
L'AVENIR
L e Comité France-Amérique, auquel j'ai l'honneur d'appartenir, s'est précisément donné pour tâche, depuis sa fondation, d'être un f o y e r dont la lumière et la chaleur rallient toutes les bonnes volontés, les réchauffent et les soudent, un centre où les informations s'accumulant, s'ordonnent en vue des directions à suivre. E t c'est pourquoi, me conformant à son programme, je voudrais tracer ici, très rapidement, les lignes générales de notre conduite future à l'égard des Républiques sud-américaines telle que la conseille la connaissance du passé et la vision des nécessités de l'avenir. L'influence que la France s'est acquise dans ces p a y s est le résultat d'efforts séculaires, et si l'arbre se reconnaît à ses fruits, convenons que ces efforts ont été énergiques et intelligents puisqu'ils ont résisté à l'épreuve de la concurrence la plus ardente. L e secret d e leur valeur et de leur réussite tient, à mon avis, dans ce f a i t qu'ils étaient adaptés aux besoins de ces peuples, conformes à leur i d é a l , autrement dit qu'ils obéissaient à la condition suprême d'utilité prise dans son acception la plus élevée et la plus large. Ce caractère apparaît dès le seizième siècle au cours des premières explorations du Nouveau Monde et ce sont les historiens portugais eux-mêmes qui marquent le contraste entre la cupidité de leurs compatriotes, qui soulève les sauvages, et l'humanité, la libéralité des Français, compagnons de V i l l e g a i g n o n , qui attire et retient les sympathies des naturels. L e s luttes coloniales s'engagent, les monarchies espagnoles et portugaises conquièrent de vastes empires ; entre les métropoles et les colonies les conflits surgissent, l'opposition des intérêts s'aggrave, les premiers appels d'une conscience se f o n t entendre. Si l'instinct de la conservation suffit à grouper ces colons pour la défense du sol qu'ils
I
r
L E S RELATIONS GÉNÉRALES ENTRE L'AMÉRIQUE LATINE ET LA FRANCE
Î2<)
ont défriché, de la f a m i l l e qu'ils ont fondée, qui donc guidera leur faiblesse dans la voie glorieuse mais périlleuse de l'indépendance, qui dissipera les ténèbres où ils sont plongés, qui désignera un but à leurs efforts généreux? Leurs illustres descendants que l'on a entendus au cours de ces dernières années à Paris, à la Sorbonne, ou à l'occasion des fêtes grandioses qui ont commémoré le centenaire de l'indépendance de l'Argentine, du Chili, du Pérou, ou encore dans les manifestations les plus solennelles soit en Amérique, soit en Europe, ont répondu. Ils ont dit que ce sont non seulement les idées, mais les hommes de la France du dix-septième et du dix-huitième siècles qui ont préparé et réalisé cette tâche, que c'est enfin la Révolution française qui l'a couronnée. E t l'on pourra faire le tour de tous ces p a y s de langue espag n o l e ou portugaise que baignent les eaux de l'Atlantique et du Pacifique, on y découvrira partout que l'influence française a pris sa source, non seulement dans les souvenirs, mais aussi dans l'utilité du service rendu à ces jeunes Républiques, à qui nous avons apporté notre culture scientifique, philosophique, littéraire et artistique, nos institutions juridiques, notre sentiment humainement libéral, en un mot les éléments essentiels de leur vie nationale. U n siècle s'écoule : le souffle de la liberté a renversé toutes les barrières, aboli tous les privilèges, nivelé toutes les situations ; la libre concurrence est devenue la loi du monde. E l l e favorise un merveilleux essor d'initiative individuelle, elle ouvre à tous le champ illimité des connaissances humaines ; les découvertes scientifiques se succèdent avec une rapidité vertigineuse, bouleversant les rapports des peuples et des individus. L a France continue à être le phare vers lequel se tourne l'intellectualité latine; son prestige, son énergie laborieuse la maintiennent au premier rang des nations modernes; sa pensée féconde et lumineuse rayonne dans les lettres, les sciences et les arts; son énergie audacieuse enfante les plus vastes entreprises industrielles, suscite les explorations les plus hardies, poursuit les conquêtes coloniales les plus étendues, tandis que son épargne remplit les réservoirs de capit a u x où les jeunes nations viennent s'approvisionner. Mais les forces prodigieuses captées par l'homme ont élevé sa puissance à un degré si élevé, excité de tels besoins que les problèmes d e son existence se sont multipliés à l'infini; complexité f o r m i d a b l e qui impose à l'effort individuel de nouvelles conditions; la liberté a stimulé cet effort, il f a u t maintenant que la discipline l'ordonne afin de porter au maximum son rendement. E t ainsi se renouvelle la perpétuelle oscillation entre la liberté et la contrainte, dont le rythme gouverne l'humanité. L a France, attachée à son idéal de justice par l'égalité, ne saisit
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LA PREMIÈRE SEMAINE DE I,'AMÉRIQUE LATINE A LYON
pas immédiatement la nécessité impérieuse de cette évolution. N o n point, certes, qu'elle soit incapable de s'y a d a p t e r ; son histoire témoigne au contraire de la vivacité et de la souplesse de ses facultés organisatrices, et le présent atteste suffisamment, je crois, qu'à cet égard elle n'est pas déchue. Mais, la liberté sans contrainte nous semblait un bien inestimable dont la douceur dissimulait les dangers et ainsi, méconnaissant les exigences de l'heure présente, nous négligions d'y obéir. E n Amérique du S u d , comme ailleurs, cette illusion nous f u t préjudiciable, car des concurrents plus clairvoyants, mieux préparés, nous devançaient. L ' A l l e m a g n e , aidée par sa philosophie, son militarisme triomphant, l'esprit de domination de son aristocratie, la servilité de son peuple était mieux placée qu'aucune autre nation pour réaliser cette coordination des forces nationales. E l l e y réussit et offrit au monde le spectacle de succès si prodigieux que le vertige la g a g n a . Emportée par la folie de son orgueil de parvenue elle est tombée dans les plus graves aberrations et a déchaîné une catastrophe où sombrera avec sa fortune le régime d'oppression qu'elle rêvait d'imposer aux nations civilisées. Mais la leçon de cette lutte e f f r o y a b l e apparaît avec une évidence aveuglante : la discipline de' l'effort individuel, la subordination de l'intérêt privé à l'intérêt général est une question de vie ou de mort pour les peuples concurrents de la vie moderne. Ceux-ci devront donc les réaliser, non seulement pour égaler ou dépasser leurs rivaux, mais encore pour donner à leur expansion cette marque de progrès, autrement dit, ce caractère éminent d'utilité auquel je faisais allusion tout à l'heure. Notre activité dans l'Amérique du S u d , qu'elle soit intellectuelle ou économique, devra donc être pour nos clients un exemple d'ordre et de méthode, un facteur de perfectionnement et il f a u d r a de plus que cette discipline soit française, c'est-à-dire qu'elle accorde les droits de l'individu avec ceux de îa collectivité, satisfasse notre idéal de justice, élève la personnalité humaine, en un mot qu'elle réalise l'harmonie des volontés au lieu d'être, comme de l'autre côté du Rhin, un caporalisme qui absorbe et détruit les volontés au profit d'une seule, celle de l ' E t a t . Car cette discipline ennoblit à la fois le soldat et le chef et, par l'équilibre des vertus de l'obéissance et du commandement, d é f e n d ce dernier contre les égarements monstrueux dont l ' A l l e m a g n e donne au monde le spectacle abominable. E l l e est une tradition française qui prend sa source dans les profondeurs de notre histoire; elle a réalisé à l'étranger les œuvres les plus vivantes et sera d'autant plus utile aux peuples sud-américains qu'elle satisfait également leur idéal de liberté et d'humanité.
LES RELATIONS GENERALES ENTRE L'AMERIQUE LATINE ET LA FRANCE
33 I
D'ailleurs ils la connaissent et l'estiment déjà. Ils savent par expérience qu'elle est nécessaire à leur prospérité comme à la nôtre, mais ils savent aussi et peut-être mieux que nous, qu'elle ne peut être établie et maintenue que par des Français compétents et voilà, en deux mots, les conditions essentielles, à mon avis, de notre action à l'étranger.
CONDITIONS
DE
L'ACTION
FRANÇAISE.
Des Français... Je n'hésite pas à réclamer pour eux la direction de notre expansion morale et économique, car, s'ils en sont écartés, notre expansion ne sera pas spécifiquement française, quel que soit le titre dont on la pare, les artifices dont on la décore. Certes je ne repousse pas les collaborations, les concours étrangers, bien au contraire. Nous avons des amis nombreux et dévoués sur qui nous pouvons compter et qu'il serait injuste d'écarter, mais ils sont les premiers à demander que les affaires françaises soient administrées par des Français, car ils repoussent toute contrefaçon. E t ce n'est pas la crise de notre population aggravée par la guerre qui pourra opposer un obstacle insurmontable à l'accomplissement de cette condition si, en France, nous voulons sérieusement préparer et recruter ce personnel de chefs d'entreprises. A v e c l'expérience acquise pendant vingtcinq ans de séjour à l'étranger, j'estime que l'insuccès de nos tentatives passées à ce sujet provient avant tout de ce qu'elles ont manqué de méthode et d'esprit de suite. L a compétence est non moins nécessaire à tous ceux qui dans l'ordre politique, intellectuel et économique nourrissent l'ambition et auront l'honneur de promouvoir, soutenir et conduire notre expansion. Or, là encore les Français qui ont résidé au dehors assez longtemps pour observer et méditer vous diront que ce souci n'a pas toujours tenu le premier rang dans nos calculs et nos résolutions. Lorsqu'il s'est agi de choisir les hommes à qui incombe la lourde tâche de représenter l'activité française à l'étranger, nous avons trop souvent absorbé ce problème délicat d'un cœur léger. Nous avons commis des erreurs grossières qui ont causé de graves échecs, car la compétence morale et technique est d'autant plus nécessaire à l'homme qui s'expatrie qu'il va travailler dans un milieu inconnu où il sera isolé, réduit à ses propres ressources, c'est-à-dire plus faible que dans la métropole. Il est évident que la réalisation de ces deux conditions ne saurait être obtenue sans le concours actif et éclairé de l'opinion publique. C est elle qui en premier et dernier ressort doit faire entendre sa voix dans la conduite de notre politique extérieure. Nous avons donc le
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LA
PREMIÈRE SEMAINE DE L'AMÉRIQUE LATINE A
LYON
devoir d'instruire cette opinion, de lui parler net et ferme et rien ne saurait mieux atteindre ce but que les réunions du genre de celles à laquelle nous assistons ici. Lorsque la paix r é g n e r a de nouveau sur le monde les luttes économiques reprendront vraisemblablement, et pour l'Amérique L a t i n e en voie de développement il s'agira de savoir comment les autres peuples concourront à cet accroissement. L a France a d é j à marqué sa place et une bonne place, dans le cœur et l'intelligence de ces Latins. Nous nous en félicitons, mais cet hommage de reconnaissance au travail de nos devanciers nous impose l'obligation de les imiter par des actes : nous devons occuper solidement la place qu'ils nous ont préparée, l'élargir et du domaine moral pénétrer dans le domaine économique. Ces p a y s ont besoin d'hommes avant tout : des hommes pour peupler leurs vastes territoires, des hommes pour former des chefs, une élite. Peut-être la guerre actuelle diminuera-t-elle leur immigration. Pour ma part, je crois le contraire, car l'histoire nous apprend que les perturbations causées en Europe par les guerres et les révolutions ont généralement profité au peuplement du Nouveau Monde. J'ai la conviction que l'Europe, toute vieille qu'elle est, quelles que soient sa f a t i g u e et même son épuisement momentanés, continuera à être le réservoir d'énergie et d'expérience où l'Amérique du S u d viendra s'alimenter. L a lutte f o r m i d a b l e que nous soutenons avec nos vaillants alliés est l'épreuve suprême des énergies nationales. Or, la France qui passait pour avoir tout sacrifié aux douceurs de l'existence, à l'égoïsme individuel, a montré dès les premiers jours d'août 1914 qu'elle acceptait tous les sacrifices, se soumettait à toutes les exigences de la discipline ; elle a montré également que sa jeune démocratie avait conservé intactes les éminentes qualités de commandement que lui avaient léguées les siècles passés, à telle enseigne qu'en dépit des ressources limitées de sa population, elle a pu prêter un nombre considérable de chefs militaires et industriels à ses alliés, afin de les aider à organiser leurs forces. Ce sont là des faits pleins de promesses pour la p a i x future et je connais assez nos amis de l'Amérique du S u d pour assurer qu'ils s'en réjouissent avec nous. BARON
D'ÀNTHOUARD.
Vœux adoptés par le Congrès
I. — L e groupement des Universités de France, pour les relations avec l'Amérique L a t i n e a y a n t pu réaliser une œuvre de rapprochement dont les effets se sont d é j à f a i t heureusement sentir en dehors même du domaine purement universitaire, le Congres de l\Amérique Latine émet le vœu que des subsides importants soient mis à sa disposition pour lui permettre de donner à ses moyens d'action (échanges universitaires, bibliothèques, collection d'études américaines, bulletins, etc.), tout le développement qu'il comporte, et compte sur le Comité Parlementaire d'Action à l'Etranger pour favoriser la réalisation de ce vœu. II. — Pour mieux faire connaître en France l'Amérique Latine et resserrer ainsi les relations intellectuelles et économiques entre les Latino-Américains et les Français, le Congres émet le vœu : i ° que les cours d'études hispaniques existant actuellement en diverses Facultés des Lettres de France soient renforcés ; que des cours de portugais soient institués; que soit créé à Paris un enseignement supérieur d'histoire et de géographie politiques de l'Amérique Latine ; que l'étude des langues espagnole et portugaise soit généralisée dans l'enseignement secondaire ; 2° que des échanges de cours, tels qu'il en existe d é j à avec les E t a t s - U n i s de l'Amérique du N o r d , soient généralisés entre la France et les p a y s de l'Amérique L a t i n e ; qu'ils s'étendent aux divers ordres de l'enseignement, et aux étudiants aussi bien qu'aux professeurs; qu'ils comprennent communications de livres, de thèses et de périodiques; qu'ils soient complétés par des réunions d'intellectuels représentant- les mêmes spécialités, droit, médecine, e t c . . . ; 3° que des associations mixtes de littérateurs et d'artistes se f o n d e n t pour étudier et mettre en œuvre les moyens pratiques qui pourront. par lès idées et par l'art, établir l'union de plus en plus étroite de la France et de l'Amérique Latine. ^ III. —• Le Congres de VAmérique Latine émet le vœu qu'il soit créé une ligne de vapeurs de i r e classe à passagers partant de France, avec service détendu de France à Lisbonne et escale rapide à Lis-
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LA PREMIÈRE SEMAINE DE I,'AMÉRIQUE LATINE A LYON
bonne, à Rio de Janeiro, à Montevideo, la durée du trajet de L i s bonne à Buenos-Ayres devant être de 13 jours; que l'on supprime pour ce service seul l'escale de Dakar. Le Coiigrcs estime qu'il serait préférable de séparer le service commercial du Brésil de celui de la Piata et reconnaît d'autre part l'utilité de la création de services spéciaux : i ° pour le Brésil-Nord, Amazone-Ceara ; 2 0 pour le Brésil-Sud, c'est-à-dire partant de Rio de Janeiro et allant éventuellement jusqu'à Rio-Grande; 3 0 pour le Pacifique Sud par le canal de Panama jusqu'à Coronnel Buenaventura (Colombie) ; 4 0 pour le Pacifique Nord par le canal de Panama (ceci à réserver vu la situation du Mexique). Le Congres préconise l'extension du service commercial de la P i a t a jusqu'à Rosario, Bahia-Bianca et éventuellement Santa-Fé. Il approuve l'idée, en ce qui concerne la grande ligne à passagers, que l'exploitation hôtelière soit faite en régie, par une entreprise spécialiste d'un renom assis dans le Sud de l'Amérique. I V . — Le Congres,
après avoir examiné les conditions de l'expan-
sion commerciale française en Amérique Latine, émet le vœu que, en accord
de
vues
avec
les
spécialistes,
les
pouvoirs
publics
se
préoccupent : i° non pas seulement de faciliter et d'accroître notre commerce d'exportation par les moyens préconisés jusqu'ici (savoir : création d'une banque d'exportation, envoi de voyageurs, réforme du corps consulaire), mais aussi : 2° de favoriser selon le cas, la reconstitution ou le développement de notre commerce d'outre-mer, de banque, de distribution et d'achats. V . — Se rendant compte de la situation difficile faite au commerce français en Amérique Latine par la mobilisation, et reconnaissant la nécessité de suivre l'exemple qui nous est donné par nos alliés et nos ennemis, le Congres émet le vœu : i ° qu'on étudie la mise en sursis d'office de tous nos chefs d'entreprise sud-américaine et de leurs premiers employés reconnus indispensables pour la conservation de nos forces économiques en Amérique Latine ; 2° que ces commerçants, industriels et banquiers soient rendus à leurs affaires, mais avec l'obligation de coopérer, sous peine de rap-
VŒUX ADOPTÉS PAR LE CONGRÈS
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pel, à un plan d'organisation de nos ressources et de nos moyens d'action en Amérique L a t i n e et à une vaste enquête sur les possibilités immédiates de notre commerce extérieur. V I . — Le Congres,
persuadé que le développement de l'expan-
sion commerciale française en Amérique L a t i n e dépend de la qualité et de la préparation des hommes dont elle attirera les activités, décide de poursuivre l'étude et la réalisation de divers moyens tendant : 1° à déterminer quelle doit être la formation rationnelle des futurs c h e f s et employés de notre commerce d'exportation et d'outremer; 2° à pousser vers cet enseignement
commercial
spécialisé
des
jeunes gens intelligents. V I I . — Afin de mieux faire connaître dans l'Amérique L a t i n e la véritable figure et l'âme de la France, le Congres de l'Amérique J.atine émet le vœu qu'une édition en espagnol et une édition en portugais de l'Illustration soient créées.
\
Vœux soumis au Congrès à titre d'indication, et réservés
L e Vice-Consul d'Argentine à L y o n soumet à l'approbation de l'honorable Commission de la Semaine
de l'Amérique
Latine
un pro-
j e t destiné à resserrer les liens entre la France et les Républiques de l'Amérique Latine. Ce projet consiste à demander à tous les journaux français
la création d'une rubrique quotidienne : Nouvelles
rique Latine,
de
l'Amé-
rubrique à laquelle collaboreraient, en fournissant des
données statistiques ou des nouvelles officielles, tous les consuls de l'Amérique L a t i n e en France, et toutes les personnes s'intéressant à la question, soit que ces données ou ces nouvelles aient un caractère purement local, c'est-à-dire ne c o n c e r n e n t qu'une ville française à la fois, soit qu'elles se rapportent à la France entière.
Le Congres de l'Amérique Latine réuni à L y o n , dans le but commun aux E t a t s ci-après de l'Amérique du S u d : Pérou, Bolivie, Chili, Brésil, P a r a g u a y , U r u g u a y , République Argentine : a) d'obtenir des relations postales et des v o y a g e s réguliers plus rapides et plus fréquents avec l'Europe ; b) d'augmenter leur union avec la France, l ' E s p a g n e et l'Italie, émet le vœu : Q u 'une ligne transsaharienne, partant de K o n a k r y ou de D a k a r , permettant par la largeur de sa voie, son tracé et son profil en long de donner au matériel roulant les derniers perfectionnements, comme confort et vitesse, ramifiée pour conduire les voyageurs, les plis et les paquets postaux vers tel port d ' A f r i q u e Mineure qu'il conviendra, afin qu'ils atteignent tel port de la rive opposée, en E s p a g n e , France ou Italie (côte A d r i a t i q u e comprise) intéressé à les recevoir, soit étudiée, définie et présentée devant la prochaine réunion de la Semaine de l'Amérique Latine. M. Manuel T e j e d o r , secrétaire de la L é g a t i o n de Cuba, présente le vœu suivant : a) Que la colonne minimum des t a r i f s douaniers de France accordée aux produits de l'Amérique ;
soit
/
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LA PREMIÈRE SEMAINE DE L'AMERIQUE LATINE A LYON
b) Qu'une Chambre de Commerce américano-latine soit créée à Paris et qu'elle comporte autant de sections que de puissances représentées, avec une mise de leurs produits nationaux, des registres de leurs cultivateurs, de leurs fabricants, des importateurs et des exportateurs américains, et que cet organe reçoive fréquemment, par voie de télégrammes, les cours des principaux produits
du
dit continent ;
c) Qu'une Commission permanente ayant son siège à Paris, soit nommée pour étudier les relations commerciales entre la France et l'Amérique Latine, et vice-versa, et pour élaborer un projet d'ensemble dans lequel tous les intérêts de tous les. p a y s intéressés seraient protégés. Cette Commission pourrait être composée des personnalités les plus qualifiées en matière économique, bancaire, maritime et commerciale.
Allocutions de M. GUERNIER Président de la Omission
sud-américaine du Comité d'action parlementais à l'étranger
au début et à l'issue de la réception du Comité France-Airérique
ALLOCUTION
INAUGURALE
MESSIEURS,1
0
On m'a confié tout à l'heure une mission qui m'est extrêmement agréable : on m'a chargé de présenter les trois orateurs que vous aurez le plaisir d'entendre dans un moment. Ils vous parleront au nom des trois grandes Républiques sud-américaines. Ces Républiques qui, depuis quelque temps, se sont développées, ont été de bonnes Américaines; elles se sont désignées d'une manière facile à retenir. Vous avez appris l'alphabet, c'est par là que vous avez commencé à pénétrer la pensée. A v e c les mêmes données, vous allez commencer à pénétrer les Républiques sud-américaines. O n vous a appris à lire : A B C. Dans la politique sud-américaine, c'est la même chose. A , c'est une initiale : l'Argentine ; B , une autre initiale, celle du Brésil; C, enfin, l'initiale du Chili. Par conséquent, je vais avoir à vous présenter des orateurs qui vous parleront au nom de la République Argentine, du Brésil et au Chili. Je pense qu'avec ce petit procédé mnémotechnique en même temps que très politique, vous aurez une vue panoramique et politique de l'Amérique du Sud.
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LA
PREMIÈRE
SEMAINE DE L'AMÉRIQUE LATINE A
LYON
A u nom de la République Argentine, nous allons entendre tout à l'heure un de nos vieux amis qui est Argentin ; c'est un Argentin né dans les Landes, mais qui, après avoir appris à vivre sur la terre de France, a appris à gagner sa vie sur la terre d'Argentine. Il a tellement bien réussi dans cette opération que, parti tout jeune homme, il est devenu comme une autorité dans la presse internationale. Il est, à Paris, directeur de l'Agence de la Prensa, l'un des grands journaux de la République Argentine, et là-bas, quand on dit un grand journal, on dit quelque chose d'énorme. L a Prensa est hospitalière ; elle a de grands services de linotypie, de tirage, elle a même des appartements qu'elle offre gracieusement aux missionnaires qui viennent de France porter la bonne parole. M. Cazeaux a été l'homme qui a fait une grande œuvre de vulgarisation de presse et il est venu à Paris; on peut avoir confiance que, sous ses auspices, se continuent les belles traditions établies entre la France et la République Argentine; cette liaison est même si bien établie par lui qu'il a su amener à notre cause ceux qui, au début de la guerre, étaient d'une neutralité un peu trop incolore, et pour employer une expression que m'a apprise tout à l'heure un ami chilien, opaque; je ne savais pas qu'en français, neutralité avait ce sens-là, mais leur neutralité était opaque. C'est M. Cazeaux qui a su y apporter cette lumière. Ceci c'est la lettre A . Pour la lettre B, messieurs, vous connaissez d é j à celui qui, au nom du Brésil, a, l'autre jour, à la séance d'inauguration, apporté avec tout son cœur, avec tout son élan, avec toute sa fougue, sès sentiments d'affection pour la France, c'est M. Graça Aranha. Il a représenté avec noblesse et autorité la République du Brésil à la Conférence de L a H a y e ; il appartient au corps diplomatique international; il a une grande autorité comme écrivain; il est de ceux dont la pensée n'est pas fugitive et indifférente, et qui unissent à une intelligence très nette, une pensée et un cœur. J'en arrive à la lettre C. L e Chili est représenté par M. Carlos Silva Vildosola. Il a dirigé l'un des plus grands journaux qui répandent la pensée latine, depuis le C a p Horn jusque tout en haut, où l'on cesse de parler la langue espagnole. Son journal est l'un des plus lus de l'Amérique L a t i n e ; il forme pour ainsi dire l'immense bordure de la pensée latine que font la frontière et le rivage oriental du Pacifique. O n me permettra d'ajouter que son autorité ne s'arrête pas là. Dans toutes les villes de l'Amérique latine et même britannique, il
ANNEXES
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jouit d'un g r a n d renom et nous savons que sa parole éloquente s'est f a i t entendre à W a s h i n g t o n et en Europe occidentale. Sa personne était en vue, tellement en vue, qu'au nom de la neutralité, les A l l e mands lui ont interdit de rentrer chez lui sous peine de l'arrêter, parce qu'il a eu le courage de dire ce qu'il pensait des atrocités allemandes. C'est l'une des autorités chiliennes qui sont écoutées avec toute l'attention qui leur est due. Il f a i t là-bas, en même temps qu'en France, une admirable besogne. V o i l à les trois personnes que vous entendrez tout à l'heure; elles vous diront les sentiments qui, dans leur pays, sont nourris et développés pour la F r a n c e ; elles vous diront que dans les heures les plus graves, les plus tragiques, les plus douloureuses, leurs p a y s n'ont jamais désespéré, parce qu'ils savaient que l'espérance en la France n'était pas l'espérance en une nation, mais l'espérance en l'humanité tout entière.
ALLOCUTION
FINALE
MESSIEURS,
Nous ne pouvons nous séparer sans remercier les orateurs qui se sont f a i t entendre à cette tribune et sans rendre un public hommage à la presse de l'Amérique L a t i n e qui nous a apporté tout à l'heure un enseignement si net et si p r o f o n d ; que ce soit pour moi une occasion de remercier en même temps que les publicistes sud-américains les publicistes français, les représentants de la presse lyonnaise, les représentants de la presse parisienne, qui ont bien voulu suivre nos travaux un peu ardus, mais que, certainement, j e crois profitables. Je remercierai M . Cazeaux de tout le courage avec lequel il a dit des vérités difficiles à exprimer; mais il me permettra cependant de n'être pas tout à f a i t de son avis. Je suis sûr qu'en homme habile, il a brossé son tableau à la manière dont on procédait au commencement du dix-neuvième siècle. O n prenait du bitume, le tableau était noir, et puis après, on faisait des retouches qui donnaient. la claire lumière et précisaient les contours. M. Cazeaux a pensé que je parlerais après lui et que pardessus ce bitume je passerais un peu de clarté réconfortante pour nos compatriotes en Amérique Latine. E h ! oui, nous avons eu, h é l a s ! des heures d i f f i c i l e s ; mais tout de même — M. Cazeaux le sait bien, il a été un bon artisan de ces œuvres — nous avons dans la République Argentine des œuvres de solidarité qui honorent fortement nos compatriotes. A Buenos-Ayres, il y a l'hôpital français qui coûte chaque année plus d'un million d'entretien, et pour lequel nous ne demandons pas un centime au gouvernement de la République. M. Cazeaux a rappelé que l ' A l l e m a g n e était parvenue à s'implanter dans ce p a y s au point que le matériel de guerre, l'enseignement de guerre, étaient allemands. Il sait bien que si on est arrivé à un pareil résultat, ce n'est pas par le « fair p l a y », ce n'est pas par une
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lutte honnête ; nous savons ce qui a été f a i t pour la réception des canons allemands. Nous nous rappelons qu'aux premières épreuves, ce sont les canons français qui donnaient les meilleurs résultats; on est a r r i v é à truquer l'expérience. Ce qui nous venge, c'est l'admirable ouvrage écrit par un général argentin M. R e y n o l d s . Je relisais hier des pages admirables écrites sur l'artillerie lourde, et j'aurais voulu que bien des Français, avant la guerre, eussent pu lire ces pages écrites par un homme qui s'est f a i t le vengeur le plus éloquent des armes françaises. Nous remercions M. Graça A r a n h a qui est venu avec tout son cœur vibrant et chaud de Brésilien nous dire comment ses compatriotes comprenaient l'union avec la France, l'union qu'on ne discute pas à la manière de procureurs et de gens d'affaires, l'union qui se donne sans aucune arrière-pensée, cette union admirablement formulée dans un discours de R u y Barbosa qui a tenu à le prononcer non pas dans son p a y s , mais à côté, dans une autre République, et qui a été acclamé d'enthousiasme dans la capitale de la République Argentine. Ces jours-là, les gendres allemands devaient être dans les petits coins. Il y a, d'ailleurs, d'autres gendres, et c'est grâce à ces gendres-là que nous g a r d o n s l'influence; il y a les gendres italiens, anglais, et c'est précisément parce que ces nations dont ils étaient les fils sont aujourd'hui réunies pour défendre le Droit et la Justice que nous nous étions mis immédiatement d'accord dans toute la République Argentine. Je remercie aussi notre ami Carlos S i l v a V i l d o s o l a pour son admirable conférence. T o u t à l'heure, j'avais l'honneur et le plaisir de dîner à côté de lui et nous parlions d'un homme avec lequel nous sommes unis à la fois par de la sympathie et de la vénération; il a un nom qui s'attache à un g r a n d talent, je veux parler de L o Braïs. Il a pénétré profondément la conscience des peuples et il a trouvé dans leurs institutions l'explication de leurs caractères nationaux. Rien de plus beau n'a été écrit que ce que l'on peut lire dans ses différents ouvrages. E t en écoutant tout à l'heure M. V i l d o s o l a faire l'analyse si pénétrante de la psychologie du Chilien, je pensais à notre vénéré ami lord Bryce et je pensais que s'il y avait lord Bryce en Angleterre, il y avait V i l d o s o l a au Chili. Messieurs, je ne vous retiendrai pas plus longtemps, mais vous me permettrez, avant de vous quitter, de tirer la leçon de ce qui vient d'être dit. V o u s le voyez, chers compatriotes, nous n'avons pas une minute à perdre; demain, nous aurons à soutenir une lutte encore
beaucoup
plus rude que par le passé; nous ne devons pas rester i n a c t i f s ; nous devons nous organiser afin d'être forts contre nos concurrents.
ANNEXES
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Je me réjouis, quant à moi, du nationalisme qui s'affirme si g r a n d , si net, si fier, dans les Républiques sud-américaines. Je leur demandé de le garder pur et de le traduire toujours dans leurs institutions et dans leurs mœurs. L e s vieux jurisconsultes appelaient quelquefois les collections de Droit un miroir. E h bien ! je vous demande que vos institutions soient toujours le miroir de vous-mêmes; quand vous vous y regarderez pour vous y mirer, il f a u t que vous vous reconnaissiez. V o u s pourrez entrer en relations avec nous. Ce n'est pas l'action de la France qui altérera vos visages, pas plus que vos cœurs et vos consciences. E l l e ne craint pas le miroir de vos droits, car encore, vous ne serez que les alliés et amis de la France.
(
/
A l l o c u t i o n de M . E d o u a r d Sénateur
du Rhône,
HERRIOT
Maire de
Lyon
précédant la Conférence de M. Francisco de L A
MESDAMES,
BARRA
MESSIEURS,
A v a n t de donner la parole à l'éminent orateur, à l'homme d ' E t a t , qui veut bien ce soir vous entretenir d'un sujet qui lui est familier et qui nous sera cher, je voudrais le remercier, et vous remercier, vous qui êtes venus pendant ces quelques jours discuter au milieu de nous de sujets si importants pour l'avenir de notre p a y s et pour l'avenir de vos nations. Je voudrais m'excuser de deux faits, plus exactement de deux ordres de faits : d'abord, du temps par lequel nous vous avons accueilli. J'étais personnellement un peu honteux de voir, l'autre soir, des hommes pour qui nous aurions voulu tous les sourires du temps, toutes les splendeurs d' une belle nuit d'automne, se glisser comme des ombres à travers un brouillard qui semblait faire croire que toute la voie lactée était descendue du ciel sur la terre. Je ne sais pas ce qui s'est passé exactement, je le déclare, mais je pense que le temps lui-même, se disant qu'il ne pouvait pas rivaliser avec les climats opulents et somptueux des pays dont vous venez, a voulu vous offrir le plaisir des contrastes, et l'impression a dû vous paraître tout à fait exacte : il a dû vous paraître que c'était vraiment réussi. Mais, je vous l'assure, quand vous reviendrez, vous verrez que ce n'est pas notre temps d'habitude et que ce ne f u t là qu'un hasard exceptionnel qui a été provoqué par je ne sais quoi, peut-être en votre honneur. V o i l à de quoi je m'excuse. E t puis, je m'excuse aussi de n'avoir pas pu vous présenter peutêtre une ville aussi souriante, aussi gaie, aussi allègre que nous l'aurions voulu. J'ai d é j à eu l'honneur d'accueillir bien des Congrès dans cette ville. C'est toujours une fête que de voir venir chez nous l'élite de la politique étrangère, l'élite du talent, l'élite des cœurs, et de voir s'y joindre les hommes ici rassemblés et parmi lesquels j'ai distingué tant d'amis que j'ai à peine entrevus.
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LA
PREMIÈRE SEMAINE DE L'AMÉRIQUE LATINE A
LYON
L y o n a, en ce moment-ci, sa rude toilette de guerre, d'acier, de fer et de feu. V o u s êtes allés cet après-midi, je crois, dans une de nos usines improvisées, et vous avez pu voir que si la France n'a pas pour industrie nationale la guerre — ah ! vraiment non ! nous mettons notre honneur à penser à autre chose —• vous avez pu voir cependant que ces misérables Français, complètement perdus, dégénérés, finis, comme on vous le disait, sont quand même capables de créer quelque chose, et même d'improviser. J'imagine que cette impression aussi aura f a i t honneur à notre pays. L e s A l l e m a n d s nous représentaient à vous, nous le savons, dans des journaux de l'Amérique du S u d , comme un peuple à la fin de son cours, quelque chose comme le dernier des Mohicans ; nous étions, a u x y e u x des A l l e m a n d s , comme un des derniers peuples d'Europe. T o u t au plus, d'après eux, trois ou quatre Français pourraient un jour être conduits chez H a g e n b e c k , aux environs d ' H a m b o u r g , pour être montrés à l ' A l l e m a g n e , comme les derniers spécimens d'une race à j a m a i s disparue. Ce serait tout à f a i t du Fenimore Cooper. Mais vous avez vu qu'il y a encore un certain nombre de Franç a i s ; seulement notre V i l l e est dans son habit de bataille. Naturellement, elle a le cœur grave, elle a l'esprit sérieux; nous vivons au milieu de tant de deuils si héroïquement supportés! Il est impossible que nous ne gardions pas devant vous cette attitude dont votre amitié si fine, si sensible ne nous saura pas mauvais gré. Maintenant, je vous laisse tout à la joie d'entendre l'homme d ' E t a t que vous êtes venus applaudir. Je vous ai parlé du brouillard ; j'ai tout à l'heure laissé glisser des ombres, celles de nos souffrances courageusement supportées dans l'attente de ce que notre volonté nous f e r a obtenir ; je vous laisse maintenant sous le charme du soleil et de la lumière
Allocution de M. HEURTEAU Vice-président
du Comité
Président
de la Délégation
France-Amérique du
Comité
MESSIEURS,
A u nom du Comité France-Amérique, je remercie tout d'abord M. le Président de la Barra, M M . les représentants de l'Amérique Latine, qui nous ont fait l'honneur d'accepter notre invitation ce soir. Nous leur sommes reconnaissants de cette nouvelle preuve de la bienveillance et de la sympathie qu'ils nous ont toujours témoignées. Je remercie également les organisateurs de cette Semaine de l'Amérique Latine et pn particulier M. le Président de la Commission sud-américaine du Comité parlementaire d'action à l'étranger, d'avoir bien voulu, en réservant cette journée au Comité France-Amérique, l'associer à leur action. E n conviant, de nombreuses personnalité! latino-américaines et françaises à étudier en commun les moyens de maintenir et de développer les relations entres les peuples latins des deux côtés de l'Atlantique, en faisant appel aux personnes les plus compétentes pour exposer ce que sont et ce que peuvent devenir ces relations dans tous les champs d'activité économique et intellectuelle, les organisateurs de ce Congrès ont apporté une précieuse contribution à l'œuvre de propagande que, depuis plusieurs années, le Comité France-Amérique s'est de son côté donné pour tâche d'accomplir. Pour développer les relations, et pour accroître les sympathies entre^ les nations américaines et la France, notre Comité a toujours pensé qu'il suffirait de leur apprendre à se mieux connaître. A cet égard, pour ceux qui, trompés par de fausses apparences, auraient pu ignorer ce qu'est véritablement la France, et quelle est sa valeur morale, pouvait-il être un meilleur enseignement que le spectacle que la France donne au monde depuis plus de deux années, le spectacle de la froide résolution avec laquelle la nation tout entière s'est dressée contre la brutale agression de l'envahisseur, de l'héroïsme de ses soldats, de la valeur et de la ténacité de leurs chefs, de la force d'âme du pays tout entier et de son union patriotique? E t , pour ce qui est 12
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LA
PREMIÈRE SEMAINE DE L'AMÉRIQUE LATINE A
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de sa valeur industrielle, l'immense 1 effort qui a été effectué pour développer ou pour créer de toutes pièces les industries qui pourvoient aux besoins de la défense nationale — effort dont nos hôtes étrangers peuvent observer dans cette région lyonnaise de magnifiques exemples — n'a-t-il pas montré qu'en f a i t de science, d'énergie, d'esprit d'intiative et d'organisation, nos industriels n'ont rien à envier à personne? L a France a ainsi donné sa mesure et le monde a appris à la connaître. N o s amis sud-Amencains nous connaissaient depuis longtemps ; nous savions quels étaient leurs sentiments de sympathie à notre égard. Ils nous les ont exprimés au cours dès cette semaine avec une chaleur qui nous a profondément touchés et dont nous les remercions. A vrai dire nous n'en avons pas été surpris, car la cause pour laquelle nous luttons étant celle de la civilisation latine, est une cause qui nous est commune avec eux. E n la d é f e n d a n t , nous défendons une partie de notre patrimoine commun. Messieurs, ces sympathies sont le g a g e du développement des relations de plus en plus étroites, de plus en plus intimes, entre la France et l'Amérique Latine. C'est à quoi nous continuerons à travailler avec confiance, avec nos amis sud-Américains ; et c'est dans ce sentiment que je lève mon verre en l'honneur de M. le Président de la Barra, de M M . les représentants de l'Amérique Latine,, de M M . les organisateurs de cette belle manifestation franco-sud-américaine.
Communication de M. Edouard MOREL Vice-président
de la Chambre
de Commerce de
Lyon
O n m'a demandé de marquer la présence, parmi vous, de la Chambre de Commerce, de vous témoigner l'intérêt que ce Corps, représentant le commerce et l'industrie de notre ville, prend à vos travaux, aux beaux pays que vous représentez, qui sont de grands débouchés pour nous et qui peuvent, qui doivent en être de beaucoup plus grands encore, car, pour votre continent, l'avenir ne fait que commencer. L'Amérique Latine a toujours été attirée par ce phare éblouissant qu'est Paris dans le monde. C'est là que vos compatriotes venaient chercher le repos, une atmosphère de culture, de raffinement, de littérature et d'art. T o u t ce qui est élégant, tout ce qui représente le luxe et le goût, tout cela, vous veniez le demander à Paris, qui vous accueillait avec plaisir, car il sentait les affinités de race qui nous lient. V o u s lui apportiez, en même temps, la clientèle de l'Amérique Latine, clientèle précieuse, susceptible d'infini développement, et ce développement doit être un des soucis, un des buts des groupements comme le vôtre, comme il doit l'être pour tous ceux qui représentent le commerce et l'industrie en France. Je n'hésite pas à dire que notre chiffre d'affaires avec les Etats du Sud de l'Amérique est susceptible d'être, non pas doublé, mais quintuplé, décuplé. O h ! je vois bien les difficultés de la route. Il y en a deux principales : d'abord, la concurrence allemande, dont l'action, en Amérique, n'est qu'interrompue par la guerre et qui réapparaîtra, persistante, méthodique, personnelle, favorisée par le pullulement des A l l e mands qui s'établissent en Amérique, qui la colonisent sur certains points, tandis que nous, Français de population plus clairsemée et combien elle sera plus clairsemée encore après la guerre ! — nous nous contentons trop, je le sais, de créer, de produire des articles de goût, d'un travail fini et consciencieux, attendant ensuite que le client
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LA PREMIÈRE SEMAINE DE I,'AMÉRIQUE LATINE A LYON
vienne nous les demander, n'ajoutant pas assez l'important facteur d e la vulgarisation à celui de la production. L'autre danger consiste dans l'effort spécial de conquête du débouché Sud-Américain que font les E t a t s - U n i s du N o r d , dans ce moment précis où l'Europe est forcée, par la guerre, de leur céder la place. Il y a longtemps que les E t a t s - U n i s visent les débouchés de l'Amérique du S u d : ces débouchés sont, disent-ils, leur propriété légitime par une application de la doctrine de Monroe, et les Américains du S u d n'ont pas le droit d'aller dépenser en Europe l'argent que eux, Américains du N o r d , leur envoient pour payer le c a f é , le cacao, le caoutchouc et toutes les denrées qu'ils achètent dans le Sud. U n violent effort est donc f a i t , actuellement, pour tourner vers l'Amérique du N o r d ce courant d'argent qui coule aujourd'hui de l'Amérique du S u d comme payement des produits élégants de l'industrie française. Pour parer à ces dangers, nous avons besoin de votre concours, de votre sympathie, de votre indulgence, pendant notre période de désorganisation actuelle. Conservez-nous votre préférence, même si nous n'avons pas le temps et les hommes pour la solliciter comme nous voudrions le faire. Faites-nous crédit pendant cette crise : nous ne l'oublierons pas, et nous vous conserverons, de notre côté, notre sympathie fraternelle, et le moment viendra où la fleur de nos produits ira de nouveau chez vous.
Communication Président du Comité
de
M.
de la Section
de Vidée
DELOUCHE du
Française
Brésil à
VEtranger
au sujet de la création à Paris d'une École d'exportation et importation pour l'Amérique
Latine
Je profite de l'occasion qui nous met en présence de toutes les bonnes volontés dont l'effort tehd à l'expansion française dans l'Amérique du Sud pour vous entretenir d'un projet qui figure en première ligne au programme de notre groupement de la Section du Brésil à l'Idée Française. Il s'agit de la création à Paris d'une Ecole supérieure d'exportation-importation latino-américaine, devant répondre à toutes les exigences de l'importation telle qu'il nous faut l'envisager dans l'avenir. Nous travaillons à la mise à exécution de ce projet. Notre tâche est la suivante : prendre des jeunes gens d é j à initiés aux pratiques commerciales par leur séjour dans des magasins d'exportation, les envoyer, pour leur faire suivre des cours, aux Ecoles d'exportation, où seront enseignées la comptabilité pratique, les langues, la géographie économique, les opérations d'exportation, etc., enfin leur enseigner les éléments pratiques qui leur permettront de devenir des chefs actifs et éclairés. U n e commission est d é j à formée et a son programme presque arrêté; et son Vice-Président se fera un plaisir et un devoir de se tenir à la disposition des membres du Congrès qui désireraient connaître dans ses détailes le plan élaboré. — J'insisterai sur ce f a i t , qu'il n'est pas question de choisir des jeunes gens qui ont passé un examen ; mais, dans le personnel des maisons de commerce, de faire désigner par le patron le ou les meilleurs employés et leur donner cette formation supérieure indispensable, pour qu'ils soient à l'étranger, non pas de petits employés, mais les capitaines que réclame l'expansion française.
Communication de M. FAMECHON Directeur
de l'Office
National
du
Tourisme
au sujet du Tourisme
J'ai un simple mot à vous dire : je suis chargé par M. Glandaz, membre du Conseil d'Administration du T . C. F . , et par M. Fernand D a v i d , de venir parmi vous pour vous exprimer l'intérêt qu'ils portent à votre œuvre. Je vous parlerai'du tourisme, qui est peut-être l'industrie la plus importante, celle qui ramènera en France l'or que nous exportons actuellement. Sur cette question, nous avons cherché à coordonner les efforts. Nous avons d é j à réuni les Compagnies de Chemins de fer, les Compagnie de Navigation, tout ce qui est intéressant au point de vue du tourisme ; nous avons trouvé auprès des maisons de France l'accueil le plus empressé. Nous avons fait une propagande active pour attirer les étrangers en France. Nous avons cherché et sommes à la veille de réaliser les capitaux qui nous permettront d'édifier en France des hôtels modernes dans les sites merveilleux que nous avons. V o i l à l'œuvre que nous voulons accomplir et j'espère que nous trouverons auprès de vous le concours le plus complet.
Communication de Henri LORIN Professeur
à la Faculté
des Lettres
de
Bordeaux,
au sujet de son rapport « Le Brésil à la fin de 1916 » (1)
J'ai eu l'honneur de déposer hier sur la table du Congrès une brochure intitulée : Le Brésil à la fin de 1916, que j'ai rédigée spécialement pour la Semaine de l'Amérique Latine. J'apporte ainsi au Congrès, à l'appui des observations faites par plusieurs de nos confrères, la confirmation de quelques faits. Ce que j'ai écrit sur le Brésil pourrait être étendu à l'ensemble de l'Amérique L a t i n e ; sur tout ce continent, en effet, la situation objective est à peu près partout la même, en raison de la guerre, et nous devons tenir grand compte de ces pays nouveaux si largement ouverts à nos échanges et à nos sympathies. Après avoir rédigé quelques pages qui ne s'appliquent qu'au Brésil, je vais essayer d'agrandir un peu mon cadre pour me conformer au programme général tracé par le Congrès. Les Républiques de l'Amérique Latine, dans la dernière période qui a^ précédé la guerre, disons de 1908 à 1912, vivaient dans un âge d'entrain. Il suffit d'avoir passé, ne fût-ce que quelques semaines, dans ces pays, pour se sentir soi-même envahi par cette griserie de l'espace, affection psychologique essentielle de ces jeunes Sociétés ; on ne mesure pas plus son effort que ses horizons. D e là, dans les pratiques personnelles comme dans celles des gouvernements, des démarches quelquefois un peu imprudentes et démesurées. L a réaction était inévitable; elle s'annonce vers 19.12, et c'est une crise de croissance consécutive à des abus de régime. Sur ce milieu d é j à touché, la guerre est tombée. Aussi l'influence en fut-elle capitale dans l'évolution des sociétés sud-américaines. Qu'est-ce que représente, en effet, la guerre pour ces sociétés? L a raréfaction obligatoire des échanges avec les pays alliés, qui avaient quelque chose à faire de plus urgent et n'ont plus songé à assurer le développement de leurs transactions.
(1)
Voir page 313.
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LA PREMIÈRE SEMAINE DE I,'AMÉRIQUE LATINE A LYON
Ici donc, une interruption. D u côté des E m p i r e s centraux : non seulement interruption des échanges, mais paralysie générale de tous les organes que les A l l e m a n d s avaient installés dans ces p a y s de l'Amémérique Latine. O n s'était habitué à compter sur l ' A l l e m a g n e pour une foule de choses : pour enlever le fret, pour faire la banque. T o u t à coup, cela a m a n q u é ; plus de fret allemand, plus de banques allemandes. Il y a eu parfois des substitutions de neutres, mais qui n'ont pu qu'atténuer l'impression d'ensemble. UN ASSISTANT : Partout où il y a des banques allemandes
au
Brésil, elles travaillent actuellement. M. HENRI LORIN : N'empêche que les échanges économiques ont été particulièrement difficiles pour l'Amérique du S u d , du f a i t de la guerre, qui a ralenti les relations avec les A l l i é s et les relations avec l ' A l l e m a g n e . Il f a u t ajouter que si les A l l e m a n d s ont des difficultés de commerce, ils ont laissé, contraints ou bénévoles, la plupart de leurs mobilisables là-bas ; malgré tous les obstacles, ces citoyens allemands, très soutenus par leurs consuls, préparent l'après-guerre. Mais c'est un point que je signale seulement ici en passant. Depuis que la crise, a g g r a v é e par la déclaration de guerre, a pesé sur l'Amérique du Sud, des nouveautés intéressantes sont apparues là-bas. L e s Sud-Américains, gens fort intelligents, se sont pris à réfléchir; ils ont compris qu'ils s'étaient trop abandonnés à leur propre entraînement et aux pernicieuses influences d'autrui : je veux parler de l ' A l l e m a g n e . Ils sont en train de se ressaisir, et l'on assiste en ce moment, depuis 1913, à un f a i t politique et psychologique intéressant dans l'Amérique du Sud. Ces Société, un peu emballées, sont entrées dans une période de recueillement, de restauration et de redressement; il f a u t leur savoir gré d'avoir compris ce qui avait été leurs erreurs et leurs exagérations, et de revenir très loyalement, très fermement là-dessus. V o u s savez que le Gouvernement argentin est dirigé depuis quelques mois par un nouveau Président, M. I r i g o y e n ; celui-ci, qui se flatte de n'appartenir à aucun parti, a déclaré qu'il ferait une politique de clarté, d'économie et de prévoyance. Partout a retenti cet appel à l'ordre, à la réflexion. Il y a évidemment en Argentine, comme ailleurs, des discussions de partis ; mais on observe une bonne volonté nationale pour modifier les anciennes méthodes gouvernementales. L e Brésil aussi a un nouveau Président depuis peu de temps, et un nouveau Ministre des Finances. E h bien, si vous lisez les messages du Président au Congrès, si vous lisez le rapport annuel du Ministre des Finances, vous serez frappés de voir que le Brésil, de son côté, réfléchit et s'avance à pas
plus mesurés dans la voie du progrès. Il
annexes
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revise certains contrats et crée de nouveaux impôts, il consolide ses emprunts et donne à ses prêteurs des garanties supplémentaires. O n pourrait faire la même observation en ce qui concerne le Chili. D a n s l ' U r u g u a y , changement analogue. L e nouveau Président, M. Vieira, a consacré le 14 Juillet comme fête nationale. L à aussi, on pense à gérer 'les finances d'une manière nouvelle, avec des formules plus adaptées aux nécessités journalières du pays. Je ne parle pas du Mexique, en raison des troubles politiques et de sa situation tout à f a i t particulière. Les ressources de ce p a y s sont a d m i r a b l e s ; dès le jour où l'ordre y serait rétabli, il n'est pas douteux qu'il reprendrait vite sa marche vers un progrès brillant. Symptômes de relèvement et de redressement, tout cela se présente dans l'ensemble de l'Amérique Latine. Ces gens maintenant, se disent : « Avons-nous f a i t pendant la p a i x tout ce que nous devions pour grandir par nous-mêmes? » Ils agiront en conséquence. A u Brésil, par exemple, l ' E t a t de Saint-Paul ne vit plus seulement de la culture du c a f é . Il a organisé des Congrès du coton et d u riz. (Rappelons-nous que ceux qui ont introduit la culture du riz dans l ' E t a t de Saint-Paul sont des trappistes français). D'autres cultures et l'élevage se développent également dans l ' E t a t de Saint-Paul. V o i l à des nouveautés très intéressantes, soit pour la consommation locale, soit pour l'exportation. Messieurs, veuillez en effet remarquer qu'après la guerre, ces p a y s latins de l'Amérique ne pourront se contenter d'exporter ce qu'on appelait autrefois les denrées coloniales ou « épices », le cacao, le gingembre, le poivre, etc., ou encore le caoutchouc, qui est aussi une sorte de produit rare, d'épice pour l'industrie. Ce que l'on demandera surtout dans l'Europe f a t i guée, ce sont des produite communs, et cela comporte en Amérique des solutions pour l'agriculture et les transports.. Il f a u d r a exporter des grains, de la laine, des cuirs; tout cela l'Amérique peut nous l'envoyer, nous le fournir, et elle commence à s'aviser des chances qui s'offrent à elle du f a i t de la guerre. Excusez-moi de m'en tenir ainsi à une vue très générale sur l'Amérique L a t i n e en face de l'Europe en guerre à la fin de 1916. Nous, les A l l i é s , devons envisager cette situation et son développement dans une période prochaine. Nous souhaitons ici un rapprochement à la fois intellectuel et économique. Il importe, pour qu'il y ait là plus qu'un vœu platonique, que nous asseyions nos délibérations sur des f a i t s précis. Je me suis efforcé de vous apporter quelques-uns de ces f a i t s ici. ^ L e s Sud-Américains ont quelque vité, du fait que l ' A l l e m a g n e ne peut leur apporter ce qu'elle leur apportait comme nous en Europe, que partout
chose à changer dans leur actiplus et, j'espère, ne pourra plus auparavant. Ils se sont aperçus, l'association avec l ' A l l e m a g n e r
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LA PREMIÈRE SEMAINE DE I,'AMÉRIQUE LATINE A LYON
n'est pas autre chose qu'une faiblesse, une concession au moindre e f f o r t ; on ne s'associe avec les A l l e m a n d s que quand on ne veut pas travailler plus qu'eux; mais la substitution de leur effort est mortelle pour l'organisme qui la tolères elle conduit, par une congestion temporaire, à la paralysie générale. C e l a , aujourd'hui, nous ne le voulons plus. Comme les Sud-Américains ont senti le danger et comme nous l'avons senti nous-mêmes, il y a là, Messieurs, ainsi que le disait M . le D o y e n L a r n a u d e , une question capitale à traiter, et c'est une raison de plus pour que les Sud-Américains et nous, nous nous rapprochions. Nous sommes les uns et les autres à un moment de recueillement et d'examen de conscience. C'est à ces moments-là que les alluvions superficielles des relations éphémères sont entraînées par le torrent des flots rénovateurs. Lorsqu'il touche le tuf résistant, le Coq de Chantecler lance vers le ciel son chant de victoire. A l l o n s au f o n d , nous aussi, et c'est dans ce domaine intime de la pensée que les âmes françaises et les âmes latino-américaines retrouvent leurs origines communes. E n ces heures de deuil pour beaucoup et de réflexion pour tous, venons les uns aux autres, Latino-Américains et Français, nous efforçant de penser ensemble, afin de retrouver les sources d'où procèdent notre mentalité, notre civilisation. A u j o u r d ' h u i , l'esprit reprend ses droits et nous sommes d'accord pour vouloir, nos cousins d'Amérique et nous, qu'il l'emporte sur le matérialisme de la kultur.
Lettre adressée par M. PICARD Directeur
du Crédit et des
à M.
Foncier
-provinces
de
Buenos-Ayres
Argentines
Georges C A H E N , au sujet du Commerce
d'exportation
Paris, 22 novembre
1916.
CHER MONSIEUR,
Vous me demandez de vous donner mon avis impartial et désintéressé sur les mesures à prendre pour réaliser en France le crédit à long terme au commerce d'exportation, qui a été le principal élément, avant la guerre, du succès écrasant des exportateurs allemands. Permettez-moi de vous signaler tout d'abord une lettre sur cette question, parue dans l'Economiste Français du 25 décembre 1915. L'auteur de cette lettre, signée « U n Russe », expose, d'une manière facile à comprendre, le schéma des moyens employés par les banques allemandes pour escompter aux exportateurs allemands du papier à long terme, avec des capitaux français ou anglais.
« « « ÎI <••
Voici quelques extraits de cette lettre : « ... Sans parler des conditions purement locales qui ont favorisé le développement de l'industrie allemande, il faut constater le fait indiscutable que le commerce d'exportation allemand n'a réussi à prendre une expansion aussi importante que grâce aux conditions avantageuses auxquelles il écoulait ses produits, tant au point de vue de la modicité des prix qu'à celui des facilités du crédit.
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« L'acheteur est toujours et partout enclin à acquérir ce dont il a besoin aux conditions les plus avantageuses pour lui et, jusqu'à présent, les Allemands ont toujours su, c'est un fait avéré, vendre à meilleur compte et accorder un crédit de plus longue durée que tous leurs concurrents.
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(( ... A u point de vue financier, l ' A l l e m a g n e n'a jamais été consi« dérée comme un p a y s riche — il n'y a que la France et l'Angleterre « qui .soient réellement riches en capitaux ; — tout consiste, dès lors, « dans le système bancaire. V o y o n s donc comment les banques alle• ( .mandes travaillent pour fournir les sommes énormes nécessaires au i! commerce d'exportation. A u x dires des gens de métier, les grandes (( banques allemandes telles que : Deutsche B a n k , Disconto-Gesell« s c h a f t , B a n k fiir H a n d e l und Industrie, et autres, ont dans leurs « portefeuilles des actions de presque toutes les banques importantes, <> ce qui leur permet de jouir auprès de celles-ci du crédit le plus » large.
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« Or, voici comment elles opèrent : « Schultze, de K œ n i g s b e r g , par exemple, vend à I v a n o f f , de K i e w , des marchandises pour 10.000 roubles et reçoit de lui cinq lettres de change, chacune de 2.000 roubles, à échéances de trois, six, neuf, douze, et quinze mois respectivement; ledit Schultz les présente à la Disconto-Gesellschaft, qui les accepte et lui donne les 10.000 roubles (avec escompte naturellement); la DiscontoGesellschaft, de son côté, tire immédiatement une traite de 10.000 roubles (ou contre-valeur) à trois mois sur un établissement de crédit de Paris. Arrive la première échéance des lettres de change Ivanoff : 2.000 roubles sont versés à la D i s c o n t o - G e s e l l s c h a f t ; celle-ci acquitte sa traite à l'établissement parisien et en tire une nouvelle de 8 .000 roubles à trois mois sur la maison Rotschild, à Londres ou sur toute autre banque, et ainsi de suite jusqu'à complet amortissement des dettes Ivanoff.
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« Par ces virements, le crédit à l o n g terme accordé par la banque allemande au commerçant exportateur se transforme en crédit bancaire international à courte échéance, et la banque allemande encaisse les bénéfices sur la différence entre l'intérêt que lui paie le commerçant et celui qu'elle paie aux banques étrangères.
« V o i l à le secret des banques allemandes pour arriver, sans trop e de risques {car leur service d'information est très bien organise), à « contenter tout le monde presque sans bourse délier. <( Signé : UN RUSSE. » L a question à résoudre est de savoir comment on pourrait amener les banques Françaises à faire bénéficier les exportateurs français des avantages qui ont donné si longtemps une incontestable supériodité au commerce d'exportation
allemand.
Ne pourrait-on pas, en
France aussi bien qu'en A l l e m a g n e , transformer du crédit à
long
terme accordé aux exportateurs en crédit bancaire à courte échéance?
/
ANNEXES
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C'est, vous l'avez vu plus haut, en grande partie avec nos capit a u x que les banques allemandes réalisaient ces opérations avant la guerre. Ces capitaux français, qui ont f a i t confiance aux banques allemandes, ne pourraient-ils pas servir tout aussi bien à escompter les acceptations à trois mois d'une ou plusieurs banques françaises, lesquelles pourraient ainsi faire du crédit à long terme aux exportateurs français? A mon avis, cela peut être réalisé sans grande difficulté. C'est purement et simplement une question d'organisation et de confiance. Si l'on se borne à faire appel au bon vouloir de nos banquiers, sans changer l'organisation actuelle, on niobtiendra jamais que des résultats partiels. Nos banquiers feront du crédit à long terme, comme ils le faisaient par le passé, à titre exceptionnel et seulement aux maisons d'exportation de premier ordre; ils n'escompteront pas couramment du papier à six mois. Mais, si le Gouvernement le leur demandait, peut-être consentiraient-ils à concourir, avec toutes les Chambres de Commerce Françaises, à la f o n d a t i o n d'une Banque d ' E x p o r t a t i o n ou d'une Banque d'Outre-Mer, peu importe le nom, dont ils escompteraient les tirages et les acceptations à trois mois, à concurrence d'une certaine somme. Cette Banque organiserait un service spécial pour l'Amérique du S u d , un autre pour l'Amérique Centrale, un autre pour le Japon et la Chine, un autre pour nos colonies d'Orient et un autre encore pour nos colonies d ' A f r i q u e . L e chef et le sous-chef de chacun de ces services iraient alternativement tous les trois ans, au début même tous les deux ans, parcourir les p a y s dont ils seraient chargés, ils y visiteraient les industriels et les commerçants, les agents et représentants des maisons françaises, les consuls et agents diplomatiques français, les Chambres de Commerce; ils noueraient des relations solides et durables, organiseraient une documentation, des moyens d'informations sûrs. U n e fois rentrés en France, ils se tiendraient le plus possible en contact avec nos exportateurs, pour les faire profiter des renseignements acquis et obtenir d'eux toutes les informations qu'ils voudraient bien fournir à leur tour. Il va sans dire que cette Banque créerait des agences à l'étranger au f u r et à mesure que l'extension de ses opérations dans tel ou tel p a y s le comporterait. U n e semblable organisation permettrait à la Banque en question d'escompter à nos exportateurs du papier à six mois et de faire toutes sortes d'autres combinaisons avec le maximum de sécurité. E l l e donnerait rapidement à cette Banque un bon crédit qui lui permettrait de se faire escompter, à son tour, des tirages et des acceptations à trois mois avec des facilités de plus en plus grandes. Nous pourrions ainsi, aussi bien, sinon mieux, que les banques
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allemandes, transformer du crédit commercial à l o n g terme en crédit bancaire à courte échéance. N o s commerçants, nos industriels et aussi les particuliers sauraient enfin où s'adresser pour avoir des informations sûres, qu'ils paieraient volontiers, sans marchander. Il est entendu que les pouvoirs publics donneront les ordres les plus sévères à nos agents diplomatiques, à nos consuls, à nos compagnies de n a v i g a t i o n , pour que les représentants des banques et des négociants français trouvent partout l'appui, le concours le plus large et le plus dévoué. Car nous n'aurons pas tout f a i t , quand nous aurons organisé le crédit à long terme. Nos compagnies de navigation, nos agents diplomatiques et consulaires pourront aider beaucoup à nos succès futurs, s'ils veulent bien se pénétrer de leur véritable mission. Nos compagnies de navigation notamment sont trop souvent administrées par des hommes qui aiment leur fauteuil et qui craignent les voyages. Or, c'est seulement en v o y a g e a n t sur leurs bateaux que les administrateurs des compagnies de navigation pourraient rédiger des règlements, des instructions dont leur personnel, depuis le commandant jusqu'aux plus humbles serviteurs, auraient grand besoin de se pénétrer. E t c'est en v o y a g e a n t sur leurs bateaux qu'ils verraient comment leurs règles sont observées. Mais j'aborde là des questions sur lesquelles vous ne m'avez pas consulté. . Veuillez agréer, cher monsieur, l'expression de mes sentiments les. meilleurs.
»
Extraits de divers débats, commentaires et interventions
C O M M E R C E . — Après la lecture du rapport de M. Petitjean, M. LINDHEIMER (exportateur au Venezuela) f a i t remarquer que, selon lui, le rapporteur a bien mentionné les faits, à la base de la situation présente, mais n'a pas assez indiqué, toutefois, l'importance de deux questions : d'une part, recrutement difficile du personnel commercial, à cause de la natalité insuffisante en France, et d'autre part, manque d'organisation de la marine marchande française, mal qu'il ne f a u t pas se borner à signaler mais dont il convient, en étudiant, de trouver le remède. A M. Lindheimer succède M. MANHHEIM, Président de la Chambre des négociants-commissionnaires qui s'exprime en ces termes : c< M. Petitjean a fait un tableau véridique de notre vie d'exportation. J'ai un peu protesté quand vous avez pris pour exemple la République Argentine parce qu'elle a abandonné les paiements à 90 jours. L'argent vient plutôt par les mains françaises qu'allemandes. U n e grosse question, qui nous préoccupe vivement pour l'exportation, est celle du personnel; car si nous voulons créer, il nous f a u d r a du personnel. Or, dans notre pays, on n'avait pas en banque le personnel qu'il conviendrait d'envoyer à l'étranger. O n ne peut pas, en effet, envoyer des jeunes gens ou des hommes faits, des directeurs de succursales qui ne connaissent que leur métier, mais pas du tout le pays. Nous avons des exemples de banques d'exportation françaises où l'on a envoyé des hommes habiles, mais qui arrivaient dans le pays sans le connaître. Peu à peu, ces banques ont disparu. « Si les Allemands et les A n g l a i s ont réussi, c'est qu'ils ont commencé petitement, et ont grandi. Les employés ont grandi en même temps et ils ont eu de très gros appointements, car il faut payer très cher. « Il y avait aussi au Brésil des banques françaises ; elles ont disparu l'une après l'autre. Encore une fois, il faut surtout que le personnel, là-bas, soit bien payé. « L a vie en Amérique est très chère et on ne paie pas assez cher dans notre pays. Je crois que si nos discussions aboutissent à la créa-
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tion d'une banque d'exportation, il f a u d r a que nous- réfléchissions beaucoup à la formation d'un cadre. A p r è s les événements actuels, les idées dans notre patrie auront changé et on trouvera certainement des gens d'action qui voudront aller créer quelque chose dans les différents p a y s d'Amérique. Il f a u d r a aussi que le personnel connaisse le p a y s , il f a u d r a qu'on l'aide, mais il ne f a u d r a pas aller trop vite, et nous devrons surtout nous préoccuper, une fois la guerre terminée, de fournir à notre industrie les moyens de nous donner beaucoup de produits à exporter, car je suis sûr que nous aurons les éléments nécessaires pour vendre la marchandise. <( Quant à la question bancaire, je crois qu'en ce qui concerne le crédit, les banques changeront leur f a ç o n de voir, car, très sûrement, les banques françaises n'ont pas dit leur dernier mot. (( Mais, si nous voulons créer quelque chose pour l'exportation, il f a u d r a former partout un personnel qui grandira et connaîtra le pays. N o u s avons des nationaux établis un peu partout et dont les affaires sont prospères ; on commencera à ouvrir des bureaux chez eux ; ils seront l'embryon de la banque, qui grandira petit à petit. C'est ainsi que nous réussirons, étant donné que nous n'avons pas le personnel approprié pour les besoins immédiats après la guerre, car il 's'agit de connaître surtout le p a y s et non le métier de banque. » A p r è s avoir remercié M. Manheim d'avoir apporté à la Commission sa compétence et son autorité, M. le Président Guernier donne la parole à M. A l e x a n d r e REY qui communique son désir de voir dispenser du service militaire les Français habitant l'étranger, et y occupant une situation dans le commerce ou l'industrie.
MARINE. —
M. RONDET-SAINT, venant d'achever la lecture de
son rapport, répond à un congressiste, au sujet de la nationalité du personnel : « Contrairement à ce qui existait lorsque j'étais en Amérique du S u d , le personnel est partout français. L e seul agent qui ne soit pas français est la maison Doré, qui jouit cependant d'une très belle situation morale et représente dans le monde commercial extérieur français un élément tout à f a i t bon. « L a situation de la maison d'Orey et C J est particulière; elle a été réglée il y a peu de temps à son avantage au point de vue de la nationalité. L e s circonstances ont f a i t de ses représentants les agents officiels' d'une ligne officielle française. Ce sont des personnes très dévouées aux intérêts français, très honorables, et si une exception devait être faite elle pourrait l'être en leur faveur.
ANNEXES
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« Il est tout à f a i t nécessaire que certaines divergences, très fâcheuses et poussées jusqu'à la brutalité dans les procédés, prennent fin dans l'armement, pour assurer le triomphe complet de notre action maritime. » Sur des interruptions de M M . Lindheimer et Cahen, touchant à l'organisation de caractère international, dite « Conférence », M. RONDET-SAINT r e p r e n d :
« A u point de vue de l'armement lointain, la réforme de la législation s'impose, elle est compatible avec le maintien de l'inscription maritime. « Pour en revenir à l'Amérique, si nous pouvons arriver à avoir : « 1 0 l'exploitation hôtelière donnée en régie à des firmes choisies ; « 2° l'horaire en jours et dates d'arrivée et non en n œ u d s ; « 3 0 le recrutement aidé par le recrutement des indigènes, question spéciale à déterminer, alors ce service de passagers pourrait arriver à combattre et à vaincre l ' A l l e m a n d et les autres étrangers, mêmes les plus puissants. <( Nous ne pouvons pas empêcher des personnes de s'entendre au point de vue de la répartition des zones d'influence et de la fixation des tarifs. A u point de vue de la Conférence, nous avons un vœu à émettre, en ce sens qu'elle a eu, p a r f o i s , un inconvénient grave, celui de priver notre pavillon de certaines zones d'influence où il aurait pu agir. E l l e a eu pour effet de nous chasser de la côte Sud-Ouest de l'Amérique. . « D a n s la partie de la Conférence relative aux zones d'influence, le pavillon français s'était effacé devant le Royal Mail. » UN CONGRESSISTE : (( L e s Compagnies de navigation prétendent que c'est grâce à la Conférence, qui n'est qu'une Internationale maritime, qu'elles pourront lutter contre l'avilissement des prix, et nous autres, les chargeurs, les consommateurs, qui nous d é f e n d r a contre leur renchérissement? » M. RONDET-SAINT : « Laissez-moi maintenant vous dire un mot des tramps, car devant d'autres besoins, le tramps peut désengorger les marchés. Je vais vous citer un éxemple typique et intéressant. Je dois vous dire d'abord que j'estime que lorsqu'un p a y s produit en très g r a n d e quantité un produit déterminé, il a un intérêt direct à être son transporteur. Il y a à cette assertion un f a i t tout à f a i t intéressant et typique. Savez-vous quelle est la flotte la plus puissante, la plus riche et qui •gagne le plus d'argent : c'est l ' U n i t e d Fruit C ° . Savezvous qui l'a faite? L a banane. Cette société a un capital de 985 millions de francs. U n voilier revenait de la Jamaïque à la NouvelleOrléans sans fret, un lot de bananes attendait preneur sur le quai de
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K i n g s t o w n . L e voilier les a transportées, les a bien vendues à la Nouvelle-Orléans, et le commerce de la banane s'est étendu. L ' U n i t e d Fruit C ° a 89 navires, sur un type uniforme amélioré, montés par des équipages internationaux; les logements comportent 70 secondes-premières. Cette C o m p a g n i e est la plus puissante et la plus riche du monde. V o i c i un exemple f r a p p a n t de la matière première créant le mouvement maritime. .« E n Amérique du S u d , il y a un armement dont je n'ai pas parlé, c'est la maison Borde, qui s'est spécialisée dans un fret déterminé et y a affecté un matériel déterminé qui est un des plus beaux du monde. E l l e est très prospère, mais sans importance sur le trafic général, parce qu'elle n'a f a i t aucun compartiment. » M. LLNDHEIMER : « C'est un des exemples les plus tristes qui existent au monde. L a France a dépensé des milliards pour sa marine marchande et il se trouve que la maison Borde a comme trafic unique de transporter des nitrates qui ne viennent pas en France, mais qui vont à H a m b o u r g . Ce transport, la France le paie, et la C o m p a g n i e Borde, grâce aux primes qu'elle reçoit de la France, arrive à transporter des nitrates qui ont servi à faire des e x p l o s i f s pour le compte du roi de Prusse. Les e x p l o s i f s , les engrais qui ont enrichi la Prusse ont été transportés sur des bateaux français que nous primons, et pendant ce temps-là, la France p a y a i t au fret étranger un million par jour. Quel est donc votre système, puisque vous parlez de la maison Borde? Je dois vous dire que si des stocks aussi considérables de nitrate ont été accumulés à H a m b o u r g depuis tant d'années, c'est tout ce qu'il y a de plus triste. Je me trouvais un jour à H a m b o u r g , au moment où les Parlementaires français avaient f a i t la loi accordant cette prime. Des nitratiens, qui déjeunaient dans le même restaurant que moi, disaient : « Si l'on n'était pas ingrat aujourd'hui on devrait illuminer. » M. GUERNIER : « L e devoir de ceux qui veulent juger une loi française c'est de la juger dans son ensemble. C'est le droit absolu de tout citoyen de discuter la façon dont une loi a été conçue. C'est parce que nous sommes un p a y s de libre discussion que nous nous honorons d'être en république. Pour juger une loi, il serait profondément injuste de l'apprécier seulement. V o u s avez dit tout à l'heure, mon cher collègue, qu'on a donné des milliards sur la prime à la compensation de la marine. Jamais. V o u s n'arrivez pas à 400 millions. Permettezmoi de vous dire que je sais à quoi m'en tenir en ce qui concerne les chiffres de la prime à la compensation d'armement. Depuis 1905 nous portons au b u d g e t 40 millions. E n dix ans cela f a i t 400 millions, mais pas des milliards. Les subventions correspondent aux grandes entreprises soumises au régime postal. C'est une politique qui
annexes
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se justifie par la discussion, c'est une politique mondiale, régionale, locale. Nous n'avons pas versé des milliards. A la Commission de la marine marchande on n'est pas partisan de la compensation d'armement, mais enfin elle n'impose pas au p a y s la charge formidable dont vous avez parlé. <( Je me permets, parce que c'est une grande résolution dans la mentalité des armateurs, je me permets de féliciter ici le Directeur de la L i g u e Maritime lorsqu'il a dit que la question de l'inscription maritime n'avait pratiquement rien à voir avec le développement ou les entraves au développement de la marine marchande. C'est une erreur et c'est même, j e le dirai, une occlusion intellectuelle que de n'avoir p a s voulu se rendre compte de ce qu'était l'inscription maritime dans notre pays. E l l e a deux phases : l'une qui meurt, c'est sa phase militaire ; mais sa phase sociale est le progrès au point de vue de la retraite. A l o r s que dans aucune autre profession on n'avait conçu la retraite des travailleurs sous la forme des demi-soldes et, en ce qui concerne les accidents du travail, tandis que la loi de 1898 est aujourd'hui encore très imparfaite, puisqu'elle ne vise que le traumatisme professionnel sans englober les maladies professionnelles, notre loi est une loi qui englobe les deux cas. « Il y a quelque chose encore qui est une erreur : c'est de continuer les vieux principes du C o d e maritime, qui met à la charge des armateurs l'entretien des malades pendant six mois. Il y a un problème beaucoup plus g r a n d que je vais mettre en lumière tout de suite, c'est celui de l'Acte de N a v i g a t i o n , qui est une très belle œuvre de la Révolution française, inspiré des idées de la Grande-Bretagne qui, avant Elisabeth, n'était qu'un p a y s purement intérieur, qui n'avait pas de marine et qui s'est développé par les premiers principes posés sous E l i s a b e t h , en réservant aux marins britanniques une situation particulière sur leurs vaisseaux. L a marine s'est transformée. D a n s la marine du passé il n'y avait que des marins de pont, qui étaient toujours des marins nationaux. <c L a machine est venue avec les conditions de santé imposées a u x hommes. Nous avons vu descendre des étrangers dans notre navire, ne fût-ce que pour traverser la mer Rouge. L e s Compagnies de navigation ont trompé et dupé le p a y s parce que les hommes qu'elles étaient autorisées à mettre à bord de leurs bateaux, des gens de la mer R o u g e , elles ne les ont pas gardés seulement durant la traversée, mais elles les ont emmenés à Marseille, oubliant de les descendre et les reconduisant jusqu'en Chine. É n discutant une bonne fois ces questions nous triompherons du mal. Te comprends très bien que nos hommes ne sont pas f a i t s pour descendre dans la machine dans les p a y s tropicaux. C'est le mérite des Assemblées comme la nôtre
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d'examiner les mesures énergiques qu'il f a u t appliquer. Il f a l l a i t mettre au point certaines questions. Je m'excuse en face de ceux que mes devoirs m'ont obligé à contredire, mais ils ne verront dans mes paroles que le sentiment patriotique qui nous unit. » M . L l N D H E I M E R : (( E t le transport des engrais et e x p l o s i f s au profit de l ' A l l e m a g n e ? » M. G U E R N I E R : t( U n e loi est une responsabilité des gouvernements et non pas des législateurs. Nous pourrions discuter à perte de vue. Il f a u d r a i t amener aussi la discussion de la captation de l'azote par le rayonnement électrique. Laissez-moi vous dire que les e x p l o s i f s allemands n'ont pas été f a i t s uniquement par les nitrates transportés par la C o m p a g n i e à laquelle vous faites allusion, ils ont été utilisés surtout au point de vue agricole, et quand la guerre est venue il n'y avait pas que le stock de la maison Borde, il y avait beaucoup d'autres stocks et, m a l g r é cela, l ' A l l e m a g n e s'est trouvée à court dès septembre 1914. C'est pourquoi elle a dû faire appel aux professeurs d'Universités pour parer au manque de matières premières. L e s lois de la marine marchande n'ont rien à voir avec la D é f e n s e nationale et c'est une assurance que je suis heureux de vous donner. » M. L l N D H E I M E R : <( N'estimez-vous pas qu'il serait préférable, au lieu de transporter des nitrates, de faire plus de charbonniers et de les primer d a v a n t a g e ? A u lieu de payer 360 ou 400 millions par an aux Compagnies de navigation étrangères, ne devrait-on pas favoriser ce genre de bateaux? » M. M A N H E I M : « Il serait préférable que nous attendions ici les Compagnies de navigation qui pourront sans doute nous répondre. A ce moment nous pourrons travailler utilement en ce qui concerne tel ou tel type de bateaux, quoique nous ne puissions pas entrer dans le détail de cette industrie. Il f a u t rester dans les lignes générales. » M . LlNDHEIMER : « N o u s p o u r r i o n s d é j à f o r m u l e r q u e l q u e s et arriver à une entente.
vœux
»
M. S C H W I C H : (( M. Rondet-Saint nous a parlé au point de vue maritime et marin, il a dit que nous devrions chercher à avoir des bateaux rendant des services analogues à ceux des A n g l a i s et des H o l l a n d a i s . Mais la H o l l a n d e a ses colonies à 20.000 kilom. de distance et l'Angleterre a sa colonie la plus proche six fois plus loin que l'Algérie. Il a parlé de la rapidité à donner aux services maritimes entre B o r d e a u x et l'Amérique, mais on pourrait diminuer le temps par la construction du transsaharien. Que ce soit le transsaharien central, ce lien avec les républiques sud-américaines augmenterait beaucoup notre influence en Méditerranée et dans le monde. L a rapidité du v o y a g e permettrait d'économiser six à sept heures sur le parcours de Buenos-Ayres. N e pourrait-on émettre un vœu en ce sens? »
ANNEXES
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M. GUERNIER : « L e s vœux qui seraient formulés maintenant ne seraient que provisoires puisque M M . D a l P i a z et Pérouse ne sont pas encore ici ; il vaut donc mieux attendre leur venue. » M. RONDET-SAINT : « J'ai encore un mot à dire : J'ai parlé de la maison Borde incidemment. Nous sommes arrivés à la question de la prime. Cette question est discutable, c'est un autre domaine. cc Lorsque je parle des tramps, je m'inspire des principes de la législation anglaise qui en a été la génératrice. L e commerce métropolitain français peut, à ce point de vue, faire un certain mea cul-fa. Si on l'avait institué en France aussi bien pour le transit sud-américain que pour le transit colonial, ce marché, au lieu de se transporter à l'étranger, soit resté en France. « L a forêt équatoriale contient des essences multiples et, à un certain moment donné, on a trouvé dans cette forêt l'okumé. Les premiers transports de cette essence sont venus au Havre. L e s réceptionnaires, au lieu de voir là un trafic possible, ne s'en sont pas préoccupés, et ont laissé courir des frais de m a g a s i n a g e ; l'okumé s'est vendu en perte, et les producteurs ont cessé de le charger sur des bateaux français. Ils ont chargé les tramps qui sont allés à H a m b o u r g et Liverpool. D'un seul port, comme C a p - L o p p e z , on a exporté en 1914, 700.000 tonnes d'okûmé. Si nous créons le trumping, nous n'en tirerons partie qu'à la condition de créer chez nous des marchés correspondants. « Si nous voulons avoir une marine véritablement prospère, comme je vous l'ai indiqué en ce qui concerne les transports de luxe, il f a u t avoir chez nous des moyens adéquats, sinon notre effort sera inutile. « D a n s l'Amazone nous n'avons aucune communication directe. <( Depuis la guerre, les bateaux vont à Liverpool et de là viennent jusqu'au Havre, ce qui f a i t double fret. « L e s difficultés sont devenues énormes, nous devons vendre notre marchandise en Angleterre, nous ne pouvons plus l'importer en France. N e conviendrait-il pas que les Compagnies prennent de la charge à Cayenne et Para, du caoutchouc par exemple pour le H a v r e et B o r d e a u x ; cela pourrait se faire. Il y avait à Cayenne un paquebot qui a été envoyé à M a d a g a s c a r , alors que les marchandises attendaient aux Antilles. O n lui a donné des b œ u f s vivants à transporter à Marseille, ceux-ci y sont arrivés crevés pour la plupart. Je suis de .votre avis et suis heureux de l'occasion que vous me donnez d'en parler. L a Compagnie Transatlantique a f a i t construire un très beau navire, l'Aniille, qui a été mis sur la ligne de Cayenne. Si l'on se servait de. lui pour faire la Guyane et le nord du Brésil, cela irait bien.
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<( E n ce moment, lorsqu'il s'agit de trafic, d'organisation de transports et d'armement de navires, on se heurte à de telles difficultés de toute nature que toutes les règles sont bouleversées. « Il y a à l'heure actuelle, dans l'armement, une situation qui touche à des intérêts privés considérables. E l l e touche à des f a i t s récents; elle va depuis l'exploitation étative des Messageries jusqu'à l'exploitation demi-étative des Chargeurs, et aboutit à l'exploitation libre. E n ce moment une sorte de tassement se produit dans la doctrine, et on sera obligé de séparer les services étatistes et l'exploitation commerciale qui est exclusive de l'intervention étatiste. « Si la crise qu'a subie l'armement a été aggravée, c'est parce que la délimitation entre ces services d'ordre impérial et ces services d'ordre purement commercial n'a pas été nettement faite. « Lorsqu'on discute la question de l'armement, d'abord les lignes d'exploitation commerciale.
nous
avons
<( Si nous envisageons le transport du c a f é , c'est une exploitation purement commerciale, étant donné qu'il y aura la concurrence que nous recherchons, le p a s s a g e r , la première condition exigée est de savoir quand le bateau partira et quand il arrivera. <( T o u t ce qu'on peut faire c'est, avec une documentation complète, un échange d'idées entre économistes maritimes et les intéressés directs, d'arriver à faire un programme simple. A l'heure actuelle, nous ne pouvons trouver que des moyens de fortune. » A p r è s l'audition de M M . D a l Piaz, Pérouse et Hubert Giraud, la parole est donnée aux orateurs inscrits. M. MANHEIM, président de la Chambre des négociants-commissionnaires, expose tout d'abord les vœux qui avaient été préparés lors du rapport de M. Rondet-Saint, mais dont la lecture avait été ajournée jusqu'à l'arrivée des représentants des Compagnies de N a v i g a t i o n . M. MANHEIM, après avoir f a i t remarquer qu'il est le porte-parole des négociants-commissionnaires pour l'Amérique L a t i n e présents au Congrès, préconise diverses mesures touchant le service de voyageurs, le service commercial, l'exploitation hôtelière et le personnel, démontre pour les voyageurs la nécessité de la création d'un service rapide (durée du trajet 13 jours) avec suppression de l'escale de D a k a r ; il réclame, comme M. R o n d e t - S a i n t , la régularisation des v o y a g e s par horaires et non par nœuds. M. Manheim explique en outre que deux suggestions lui ont été faites, l'une demandant à ce que Santos et R i o de Janeiro soient alternativement desservis, l'autre demandant qu'à Montevideo, le bateau accoste à quai. M. le Président GUERNIER f a i t observer alors que, s'il y a des questions pendantes, on pourra toujours en rechercher la solution après le Congrès, s'il y a lieu.
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« Car nous sommes ici, dit-il, des gens de bonne volonté, qui échangeons des idées, au cours de cette Conférence, et comme on y a songé, il ne f a u d r a pas attendre la prochaine Semaine de l'Amérique Latine pour nous rencontrer. Il existera une délégation permanente, qui est d'ailleurs trouvée, puisqu'au Comité Parlementaire d'Action à l'étranger, nous avons prié quelques hautes personnalités de former une Commission. Très volontiers, nous leur demanderons de venir discuter avec nous. » M . P É R O U S E déclare qu'à la lecture, ce premier vœu, dans l'ensemble, correspond bien aux idées générales de la Compagnie SudAtlantique, mais qu'il ne peut se porter garant qu'il n'y a là rien à discuter. Doit-on donner à ces navires une subvention postale ou les laisser en liberté?
M. GUERNIER : « L a question de régime, c'est au Parlement à la trancher. Vous êtes en présence de négociants exportateurs et d'intérêts nombreux qui demandent s'il est possible de leur donner satisfaction. » M. HUBERT-GIRAUD (des Transports Maritimes) : <c II y a des choses dans ce vœu qui me semblent très raisonnables : la suppression de la vitesse en nœuds comme la suppression de l'escale de D a k a r pour les paquebots rapides. Je fais simplement des réserves sur ce que l'étude de ces questions pourra amener. » M. VLCENTE LAPIDO : « U n e question que j'ai d é j à signalée, c'est que, depuis que la Compagnie Sud-Atlantique a fait voyager les paquebots Lutetia et Gallia, elle a toujours fait escale à Montevideo, qui est un port des mieux aménagés, et toutes les Compagnies de l'Europe qui ont fait de grands voyages au loin, ont fait accoster leurs bateaux à nos quais. Je suis ici à peu près le seul U r u g u a y e n . Nous avons été un peu isolés et, d'autant plus que l ' U r u g u a y a fait preuve, dès le début, des sentiments les plus francophiles, ce serait nous porter atteinte que de nous oublier. Nous voulons voir le pavillon français à nos quais. M. Georges Hersent vous a dit que nous avions dépensé 79 millions pour faire un port. Il f a u t y amener des bateaux. » M. MANHEIM : (( Nous donnerons satisfaction à M. Vicente L a p i d o . )> M. GUERNIER : « Nous ne représentons pas la souveraineté, puisque nous ne sommes pas élus par le corps électoral. Nous ne représentons pas non plus des intérêts collectifs, puisque nous ne sommes pas mandatés. Nous devons simplement échanger des vues, aussi loyales, aussi complètes que possible. Les congressistes émettent ici des idées personnelles, qui, au lieu d'être formulées dans un article de
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LA PREMIÈRE SEMAINE DE I,'AMÉRIQUE LATINE A LYON
revue, sont écoutées par des oreilles attentives et des, gens désireux de bien faire. « Pour le Service Commercial continue M. MANHEIM, le Congrès a reconnu qu'il serait préférable de scinder le Service Commercial de la P i a t a et d'en faire deux. <( Il serait utile de créer un service spécial : a) pour le BrésilNord-Amazone ; b) pour le Brésil-Sud-Rio de Janeiro; c) pour le Pacifique-Sud, par le canal de Panama, jusqu'à Coronel ; cl) pour le Pacifique Nord. « Il faudrait étendre le service commercial de la Piata jusqu'à Rosario, Bahia-Bianca et éventuellement Santa-Fé. « D'abord, en ce qui concerne a) le Brésil-Nord... » M. C. L É V Y interrompant M. Manheim :
(( Dans la Province de Para et de l'Amazone, on n'a jamais vu le pavillon français. U n e Compagnie de Navigation française a fait le service pendant environ un mois et a disparu ensuite. Je parle au nom de l'Amérique Latine, de la province du Para et de l'Amazone. V o u s n'ignorez pas que c'est la région du caoutchouc, représentée par l'Amazone et le Para. L'importance de ce trafic est immense. 40.000 tonnes sont transportées annuellement en Europe. Nous n'avons j'avais vu le pavillon français, je le répète, à part quelques petits vapeurs qui partaient du Havre directement pour l'Amazone. Je demande que les Sociétés de navigation étudient spécialement cette question pour l'Amazone et le Para. Il existe une ligne qui va à la Guyane. Cette même Compagnie pourrait faire la navigation de la Guyane, Para, Manaos, et retour par les Antilles. E l l e aurait le fret pour l'aller et prendrait le caoutchouc, le cacao et les produits du p a y s pour l'Europe. (c Je soumets ces idées, autant au point de vue français qu'au point de vue brésilien, et j'émets le vœu qu'on prenne en considération les desiderata du commerce français comme ceux des Américains du Sud ; au surplus, je me mets à la disposition de n'importe quelle Compagnie. Nous sommes deux ou trois maisons françaises qui exploitons tout le caoutchouc. E n ce moment, le caoutchouc qui vient de là-bas va directement de Manaos à Liverpool. De Liverpool, nous sommes obligés de payer un nouveau fret pour L e Havre ; donc le commerce du caoutchouc en France supporte une majoration de 10 0/0, et cependant, il travaille actuellement pour la Défense Nationale. » M. CARLOS SILVA-VILDOSOLA intervient alors : « Je ne connais pas beaucoup les choses de la navigation, mais, pour le Chili, le pavillon français est un mythe. Nous ne le connaissons pas dans nos ports. Nous avons vu quelques voiliers, qui deviennent de plus en plus rares. Il y a trente ans, plusieurs maisons françaises étaient très con-
ANNEXES
379
nues, mais tout cela a disparu très rapidement. Nous avons notre marine marchande chilienne ; nous sommes en train de faire un port à Valparaíso. Notre marine a souffert beaucoup de la concurrence des A l l e m a n d s et des A n g l a i s . Jusqu'à présent nous n'avons pas eu de bons ports, mais le port de Valparaíso, qui se fait actuellement, sera très bon et nous dépensons 3 millions de livres sterling pour le faire. Il y a quelque temps, un accord existait entre les Compagnies anglaises et allemandes, contre la marine chilienne. Notre pavillon a dû se retirer et n'aller que jusqu'à Panama, au lieu de San-Francisco. Il faut se rappeler que le Canal de Panama est ouvert et que, s'il souffre de quelques interruptions, elles sont de plus en plus rares; mais le Canal est une voie américaine. L a marine marchande espagnole prend en ce moment un grand essor grâce à la guerre. Quelques jours avant la guerre, j'ai eu l'honneur d'avoir un entretien avec le roi d'Espagne, et le roi, qui est un homme très intelligent et très patriote, m'a dit : « Nous changeons en ce moment de politique ; nous allons faire une ligne de navigation pour l'Amérique du Sud, et si le Parlement ne veut pas s'en charger, moi je m'en charge. Aussitôt que le Canal de Panama sera ouvert, nous aurons deux lignes espagnoles ; l'une passera par le Canal de Panama pour descendre la côte du Pacifique et rentrer en Europe par le Pacifique et le détroit de Magellan, et l'autre par l'Atlantique et Magellan. « A v a n t la guerre nous ne connaissions pas les bateaux espagnols ; les Sud-Américains ne voyageaient pas dans ces bateaux. Il y avait les bateaux allemands et anglais, et surtout la ligne allemande qui, durant ces dernières années, avait pris toute la clientèle de luxe. Actuellement, les Chiliens commencent à s'habituer à voyager dans les bateaux espagnols ; ils les connaissent maintenant et les prennent parce qu'ils n'y affrontent pas les dangers des sous-marins. Pour les hommes de commerce qui savent ce que c'est que de créer une habitude, ce changement est très sérieux. Il est très difficile de changer les habitudes des clients. Il faut tenir compte des faits et penser aux obstacles quand on veut les vaincre. » M. GUERNIER : « Personne ne demandant plus la parole sur ce point, je prie M. Manheim de continuer. » M. MANHEIM : « Passons maintenant au b) Brésil-Sud : Rio de Janeiro jusqu'à Rio-Grande. « c) Pacifique-Sud, par le canal de Panama, jusqu'à Coronel et à un port de la Bolivie où il serait intéressant d'aller... <t d) Pacifique-Nord : Question à réserver, étant donnée la situation actuelle du Mexique. « E n ce qui concerne Y Exploitation Hôtelière, nous approuvons l'idée de l'exploitation hôtelière faite en régie, par une entre-
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LA PREMIÈRE SEMAINE DE I,'AMÉRIQUE LATINE A LYON
prise de spécialistes et de solide renom établie dans le Sud-Aménque. (( Quant au Personnel le grand essor que nous désirons donner à notre marine marchande pose évidemment le problème du personnel de la navigation. Nous désirons que ce personnel soit de préférence de nationalité française; mais, craignant les effets de la guerre, nous pensons être amenés à faire appel aux indigènes soumis à notre protectorat Il y aurait lieu de procéder à la revision de l'ancien Acte de Navigation de 1793, de façon à donner à notre navigation la possibilité de recruter le personnel nécessaire, en tenant compte de ce qui existe d é j à chez nos alliés les A n g l a i s et chez les Hollandais. » M, GUERNIER : « Ceci est très grave. Comme je l'ai indiqué, je suis convaincu qu'une étude minutieuse, indispensable pour l'avenir de notre marine, permettra de mettre les choses au point; mais, laissezmoi vous le dire, nous ne les mettrons au point que d'accord avec les intéressés, c'est-à-dire les armateurs et ceux qu'ils emploient. Il ne faut pas que cette revision prenne les apparences d'une mesure de coercition. Nous avons des divisions et des classifications à faire, j'en suis convaincu. L e s intéressés finiront par comprendre ce qui est leur véritable intérêt, surtout en ce qui concerne les soutiers. » M. DE CHAMBON, directeur de la Revue Parlementaire, demande alors la parole. Il insiste sur l'utilité de la création d'une ligne directe de navigation entre le Brésil-Nord et la France : « L a Compagnie Française qui desservirait l'Amazone trouverait une rémunération immédiate, non seulement par le transport du caoutchouc qui peut être évaluée à 400 tonnes mensuellement, mais aussi par les autres produits du nord du Brésil, notamment les bois du Para. Les frets de retour vers le Brésil seraient largement assurés par l'exportation française. » A M. de Chambon succède M. ANTONIO CICERO, délégué du Bureau de Renseignements du Brésil à Paris, qui présente quelques observations sur le besoin de services de navigation différents pour le nord et pour le sud du Brésil. Il montre l'importance de l'escale de Santos pour la ligne postale Bordeaux-Rio-Buenos-Ayres ; appuie la création d'une ligne auxiliaire mixte desservant les ports de Fernambuco, Bahia, Rio et Santos; suggère une revision complète des tarifs des frets. U n e plus grande expansion du commerce français avec l'extrême nord, le nord-est et le sud du Brésil, compensera les frais pour l'établissement de nouvelles lignes de navigation, qui permettront, en outre, un échange plus intensif des produits brésiliens et français. Il y a des produits expédiés par les ports brésiliens qui ne trouvent pas encore en France les débouchés qui devraient leur être ouverts. Naturellement, la création de banques françaises au Brésil, facilitant
annexes
le crédit à l o n g terme, complétera
l'initiative que l'on a t t e n d
des
armateurs f r a n ç a i s . P u i s M . LUCIEN L É V Y , vice-président de la « Section du Brésil de l'Idée F r a n ç a i s e à l ' E t r a n g e r
», f a i t remarquer l'importance
de
l'escale de S a n t o s , au B r é s i l , pour les lignes de n a v i g a t i o n r a p i d e , non seulement à cause de l'important mouvement commercial entre l ' E t a t de S â o - P a u l o et la F r a n c e , mais aussi du nombre considérable de passagers qui f o n t u s a g e de ce port ( i ) . RELATIONS
INTELLECTUELLES.
—
A la suite du rap-
port de M . Martinenche, M M . M a r i u s et A r y L e b l o n d , d é l é g u é s d u Sous-Secrétariat des B e a u x - A r t s , après avoir d e m a n d é à être mis en r a p p o r t avec M . Martinenche pour traiter directement la question avec lui, émettent
le désir que pour
cette
action,
si vaste et
capitale,
d ' é c h a n g e s intellectuels entre l ' A m é r i q u e L a t i n e et la F r a n c e , on établît une c o l l a b o r a t i o n organisée entre les U n i v e r s i t a i r e s et les intellectuels non universitaires, écrivains ou artistes; que l ' U n i v e r s i t é voulût bien entrer en relations nettes et suivies avec les Sociétés d'auteurs d'auteurs d r a m a t i q u e s , des Gens de L e t t r e s , etc., etc., afin de coordonner tous les efforts et de m a n i f e s t e r l'union et l'unité françaises d e v a n t nos amis étrangers. M . MARTINENCHE : « Il y
aura
là, en e f f e t , des relations
plus
étroites à établir les uns avec les autres, et une politique amicale, une initiative d'ensemble, pour lesquelles j e me tiens à votre entière disposition. « Il serait s c a n d a l e u x qu'en F r a n c e , il n'y ait aucune c o l l a b o r a tion régulière d'établie avec l ' A m é r i q u e L a t i n e . V o u s nous y invitez avec toute la chaleur qui caractérise le génie latin. » M . GUERNIER : « A v a n t de clore la discussion sur ce point j e tiens à donner quelques assurances à nos amis de l'Université. Je v e u x parler du rôle du P a r l e m e n t d a n s le d o m a i n e de l'enseignement des lang u e s vivantes. A u cours des relations avec le P a r l e m e n t britannique, il a été d é c i d é de d é v e l o p p e r d a v a n t a g e l'enseignement de l ' a n g l a i s . E n ce qui concerne l'enseignement des l a n g u e s e s p a g n o l e et p o r t u g a i s e , les crédits nécessaires seront d e m a n d é s et donnés. »
JOURNAUX
ET
REVUES. —
A p r è s que M . M o y s s e t a ter-
miné la lecture de son r a p p o r t , M . le Président Guernier prend
la
parole : (1) V o i r p a g e 335 les v œ u x a d o p t é s p a r le Congrès à la s u i t e des d é b a t s sur les r e l a t i o n s m a r i t i m e s .
382
LA PREMIÈRE SEMAINE DE I,'AMÉRIQUE LATINE A LYON
M. GUERNIER : « Je remercie M. Moysset de sa très belle C o n f é rence tout imprégnée d'une haute philosophie politique sans laquelle il n'y a pas d'hommes politiques. Ce sont ces hautes directions politiques qu'il f a l l a i t d é g a g e r , et M. Moysset l'a f a i t avec la même science qui a inspiré l'ouvrage admirable qu'il publiait avant la guerre sur la politique allemande, et qui est la plus belle réplique à l'œuvre de B u l o w . Il a traduit la pensée de ce Congrès, qui n'est pas l'œuvre d'un jour, qui n'est pas une manifestation accidentelle; mais le point de départ d'une œuvre de volonté que nous poursuivrons à travers le temps. « L a discussion est ouverte sur ce rapport. » M. DE COUBERTIN : « Je n'ai aucune objection à présenter à ce que vient de dire M. Moysset. Je vais seulement introduire, dans le sujet qu'il vient de traiter, une parenthèse, et cette parenthèse ne s'adresse qu'aux Français ; mais nous sommes ici en f a m i l l e , et j e ne me sens aucune gêne pour parler de nos affaires, malgré la présence de nos cousins américains. « M. Moysset se demandait comment on pouvait s'y prendre pour présenter au dehors la véritable figure et l'âme de la France. Il y a une question préliminaire que nous autres, Français, négligeons trop souvent : c'est de la concevoir nous-mêmes. Car, pour qu'une chose soit énoncée clairement, il f a u t qu'elle ait été conçue clairement. « Nous ne concevons plus en France, depuis longtemps, la véritable figure et l'âme de notre Nation, parce que nous avons pris la détestable habitude, sous des influences qu'il est inutile de rappeler ici, de distinguer, de couper en morceaux le passé de la France et de l'opposer en périodes qui ne peuvent pas s'accorder. Je vais chercher mon exemple dans la conférence de M. P a u l A d a m , qui a été si belle, si remarquable.. E t cependant, je me sens la liberté de l'attaquer sur un point auquel M. A d a m n'a peut-être pas porté assez d'attention, qui est la thèse historique qu'il nous a présentée. Il n'a pas cessé d'opposer la France capétienne à la France révolutionnaire et napoléonienne, dont il a le culte. Si nous voulons mettre en pratique les conseils de M. Moysset, il f a u t que cette fissure soit comblée dans nos esprits, car l'unité de la France s'étend sur vingt-cinq siècles. L a France est une et nous devons réunir dans nos esprits, dans notre respect, dans nos affections, les g r a n d s rois qui l'ont fondée et le grand Empereur qui l'a follement illustrée et aussi la grande Démocratie qui, hier encore, tâchait d'associer les souvenirs du passé et les espérances de l'avenir. A chaque instant, revient cette formule : il f a u d r a i t changer la mentalité; il f a u d r a i t changer l'éducation. « Si j e me suis permis d'intervenir, c'est que nous sommes tous les éducateurs de nos jours, de nos enfants et de nos petits-enfants;
ANNEXES
383
mais, par l'organisation des sociétés démocratiques, nous sommes aussi les éducateurs de nos concitoyens ; nous pouvons énormément en agissant les uns sur les autres pour faire que cette figure de la France, soit désormais sentie au f o n d de nos cœurs et qu'il n'y ait plus la fissure à laquelle je faisais allusion tout à l'heure. Ceci dit, je reconnais avec M. Moysset l'utilité de faire connaître notre véritable pensée aux nations étrangères. » M. LASCANO TEGUI : « Je parlerai comme Américain du Sud. J'ai lu un poème, dans lequel un esclave disait : « Je t'aime parce que tu es bon et non parce que tu es fort. » Je m'adresserai à la France comme cet esclave. E l l e nous a séduits par son idéal de bonté, de beauté, de justice. Nous préférons son idéal de civilisation à d'autres idéals. « Pour la publicité, comme dit M. Moysset, c'est l'avenir de la France ; tout appartiendra désormais à la publicité. « Il y a trois façons de
faire de la publicité : l'affiche, qui
répond à un état fétichiste; le catalogue, à un état théologique et la presse, qui répond à un état positif. L a France, lorsqu'elle a pensé à nous, n'a pas quitté l'état théologique; elle nous a traité comme des pharmaciens. L ' A m é r i q u e ne poursuit qu'un but: produire; et les A m é ricains ne lisent que les journaux, et méprisent un. peu les livres, ou tout au moins ils n'y prêtent attention que lorsque les journaux leur en ont parlé. « L a France se trouvera, au lendemain de la guerre, en f a c e d'un très grand problème; elle devra changer de politique coloniale. Ce qu'il f a u t , ce ne sont pas des colonies, mais des marchés. « Pour cela, tout d'abord, un capital français est nécessaire en Amérique Latine. E n Argentine, nous avons 11 milliards d'argent anglais, 4 milliards et demi d'argent allemand et 2 milliards d'argent français. Nous sommes une colonie anglaise ; nous payons de très gros dividendes à l'Angleterre. Ensuite, si la France doit avoir dans l'Amérique Latine un capital, elle doit y organiser aussi une publicité. L e commerce ne luttera jamais là-bas que par la publicité. « Il est indiscutable qu'on ne lit pas les brochures dans l'Amérique L a t i n e ; les journaux sont la seule chose qu'on lise, je le répète. )> M. MARTINENCHE : « Ce qui me f r a p p e , c'est la nécessité d'une politique générale américaine, et ce qui résulte des observations faites, c'est l'entière dépendance de tous les efforts. Si l'L T niversité manque à sa tâche, si elle ne produit pas les livres indispensables, si d'autre part, la presse ne l'aide pas à créer un mouvement d'opinion ; si les représentants du pouvoir législatif ne poussent pas à la roue, tous ces efforts seront des efforts de bonne volonté individuelle et il n'en résultera presque rien; il n'en résultera que ce qui peut résul-
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LA PREMIÈRE SEMAINE DE I,'AMÉRIQUE LATINE A LYON
ter d'un effort individuel. Mais une politique d'ensemble, soutenue de toutes parts, ferait bien mieux, et puisqu'il ne s'agit que de la presse, j'insisterai sur deux points : d'abord, il vaut mieux ne rien dire des gens que d'en parler avec un empressement maladroit ; ces empressements maladroits sont mauvais. D'autre part, il faudrait qu'on f î t une place à part à l'Amérique Latine. C'est un continent considérable, qui a droit à être traité comme les autres grands pays. Il f a u t faire entrer l'Amérique Latine dans le rythme universel, où elle est indispensable comme facteur essentiel parmi les groupements qui vont se fonder et s'organiser d'une manière plus cohérente. » M. HOUSSAYE (délégué à la Propagande Sud-Américaine de la Maison de la Presse) : « Je n'ajouterai que deux mots destinés à affirmer mon désir de la réalisation immédiate d'un projet de la Maison de la Presse pour mieux faire connaître l'âme et la véritable figure de la France; ce projet tend à créer sans plus tarder, des éditions espagnoles et portugaises de l'Illustration. C'est un merveilleux journal auquel nous pourrions ajouter un certain nombre de pages consacrées spécialement à l'Amérique Latine. Il a d é j à une grande diffusion dans l'Amérique Latine. Il est très lu par le public qui connaît le français; mais il faut le faire lire par toute la classe moyenne qui ne connaît pas le français. D'autre part, à l'heure actuelle, la véritable figure et 1' ame de la France sont indiquées dans l'Illustration par son tableau d'honneur. Ce projet servira grandement les intérêts de la France, mieux que n'importe quel organe nouveau qui serait créé spécialement. » M. MONTARROYOS : « Il s'agit de présenter l'âme de la France. I.es Américains Latins n'avaient la conception de l'âme de la France que par les personnes; mais ceux qui ont conçu cette France, en étudiant son passé, ont conçu une France homogène. Ils ont vu tous les grands collaborateurs de la France, sous des situations politiques diverses, contribuant à l'unité de la France. L e s Sud-Américains, qui viennent avec un grand enthousiasme en France, sont parfois cependant déçus quand ils entrent en contact avec les Français. « Comment présenter cette âme de la France? On arrivera toujours à donner une direction à un certain groupement et c'est l'esprit de ce petit groupement qui dirigera cette façon de présenter l'âme de la France. Je me demande si un groupement quelconque, organisé pour répandre l'âme de la France, ne va pas introduire ses pensées spéciales dans cette publicité et empêcher de penser autrement. E n cherchant l'organisation pratique, nous ne devons chercher qu'une organisation matérielle, sans discuter les idées, parce que nous ferions œuvre de parti. Si ces conférences veulent faire quelque chose d'utile, il faut qu'elles organisent par exemple des bibliothèques, qu'elles pré-
t
ANNEXES
385
sentent des "livres, qu'elles acceptent les travaux de différents membres de la conférence. Il f a u d r a que ces travaux, une fois étudiés, puissent être répandus et portés à l'Amérique. Ils devraient même être traduits en anglais. Il f a u t que nous touchions les E t a t s - U n i s ; mais je discuterai cette question à un autre moment. « A u point de vue de la presse, combien de fois n'est-ce pas cette information qui f a i t tort? Combien de fois ai-je lu à Paris de petites informations envoyées par des Français au Brésil, informations nuisibles aux Français et aux Brésiliens et par contre utiles aux A l l e mands? Il f a u t que les services d'informations soient surveillés avec le plus g r a n d soin. « Je suis heureux de féliciter ici l'Agence H a v a s parce qu'elle a bien dirigé cette p r o p a g a n d e . Mais, pour pénétrer dans les journaux, c'est une grosse difficulté. V o u s n'avez pas les moyens de modifier les journaux actuels. Il f a u d r a i t pouvoir organiser des journaux exclus i f s d'informations. » M.
MARTINENCHE : « S o n g e z - v o u s
à la multiplicité
des
traduc-
tions? » M.
MONTARROYOS
: « D e plus, dans la mesure où on le pourra,
il serait bon d'envoyer, non seulement des livres, mais quelques Français dans l'Amérique d u Sud. E t puis, me ralliant à M. Martinenche, j e déclarerai que la France doit avoir une politique américaine. Cette conférence ne fera rien si elle n'arrive pas à établir une doctrine commune entre les Américains et les Français. Il f a u t connaître et étudier cette doctrine. Il f a u t absolument arriver à ce résultat, car la doctrine que nous possédons n'offre qu'un aspect de l'âme de la France. » M.
GUERNIER
: <( Je remercie ceux
qui
sont intervenus d'une manière
si utile et si heureuse dans notre discussion. Qu'ils me permettent de leur assurer qu'en ce qui nous concerne, les dissensions ont disparu ; nous ne serons plus divisés
demain, ne serait-ce que pour
rendre
hommage à ceux qui ont f a i t la grandeur de l a France. « Cependant,
je ne saurais clore le débat sans faire part
à
M. Martinenche qu'avant de venir ici, je me suis entretenu avec M. le Président du Conseil; lorsque l'heure viendra, nous serons là pour demander les crédits et les défendre, et le Parlement n'oubliera certainement pas les suggestions qui furent faites ici, que j e rappellerai d'ailleurs et appuierai de toutes mes forces.
LE
BRESIL.
—
Après
»
le rapport et la
communication
de
M. Henri Lorin, M. Montarroyos demande la parole, estimant qu'il est de son devoir, comme Brésilien, de remercier M. L o r i n de l'intérêt qu'il porte au Brésil.
Mais aussi, il veut,
dit-il, mettre au
point
13
386
LA PREMIÈRE SEMAINE DE I,'AMÉRIQUE LATINE A LYON
quelques questions qui, à son avis, exposées comme elles l'ont été, pourraient donner lieu à des équivoques. T o u t d'abord, il parle de la vraie situation actuelle des banques allemandes au Brésil ; il affirme que, bien loin d'être fermées par suite de la guerre, elles fonctionnent comme auparavant, et ont même créé des succursales dans le p a y s . Il montre qu'il n'y avait d'ailleurs aucune raison pour que ces banques interrompissent leurs affaires puisqu'elles travaillent avec les capitaux brésiliens qu'elles drainent. M. Montarroyos affirme que les Brésiliens n'ont jamais recherché la collaboration allemande. Il f a i t remarquer qu'il f a u t , avant tout, faire la distinction entre les deux catégories d ' A l l e m a n d s établis au Brésil : les émigrants et les hommes d'affaires. L e s premiers y sont allés tout naturellement, dans un p a y s largement ouvert à l'immigration, au même titre que tous les autres peuples a y a n t un surplus de population. D'ailleurs, sans oublier qu'il y a, au Brésil, un -péril allemand, des émigrants allemands,
l'on exagère l'influence sociale
paysans inférieurs et routiniers ; ils sont
moins nombreux que les Italiens et les Portugais, dont en outre ils ne possèdent pas les qualités d'initiative. L e vrai péril réside surtout dans la seconde catégorie, c'est-à-clire, celle des banquiers, des commerçants et des industriels. L a place que ceux-ci ont prise au Brésil était naturellement réservée aux Français, qui, par leur négligence, ont perdu celles qu'ils y possédaient. M. Montarroyos envisage ensuite une question capitale selon lui pour
la
réalisation
des vues qui ont
présidé
à
la
création
des
« Semaines de l'Amérique L a t i n e ». « L a solidarité de l'Amérique L a t i n e avec la France doit se fonder sur une politique commune; et cette politique doit être telle qu'elle entraîne l'adhésion des E t a t s - U n i s à l'unité franco-américaine. « S'il est vrai, comme l'a dit le professeur Martinenche, que la France doive dorénavant inaugurer une politique américaine, il n'est pas moins vrai que les Républiques latino-américaines ont le devoir de pratiquer systématiquement une politique française. « Ce sont d'ailleurs les deux aspects d'une seule politique dont la source historique est la même. L e s traditions américaines se rallient, par leurs origines, aux grandes écoles philosophiques françaises du dix-huitième siècle et aux conquêtes libérales de la Révolution
de
1789. E l l e s ont inspiré le triple mouvement de l'indépendance américaine, représenté par W a s h i n g t o n , par Bolivar et par José B o n i f a c i o . L e problème organique posé au premier et au dernier, par l'émancipation des peuples anglo-américain et luso-brésilien, f u t le même : l'unité politique des éléments qui occupaient les deux régions respectives de l'Amérique. O n sait comment W a s h i n g t o n et José B o n i f a c i o
réso-
/
annexes
387
lurent, chacun à sa manière, le problème exclusivement national, qui leur f u t offert. L e problème posé à Bolivar était incomparablement plus complexe et difficile : il lui fallait assurer l'unité morale entre des groupements sociaux naturellement voués à constituer des nationalités indépendantes. C'était, toutes proportions gardées, le vieux problème occidental du Moyen A g e , le grand programme de la politique française, selon la conception de Richelieu. « Bolivar donna à ce problème la solution compatible avec son temps et le milieu américain. « T e l l e est l'origine de la doctrine de Bolivar, ainsi qu'il m'a été donné — déclare l'orateur — de désigner l'ensemble des conceptions diplomatiques et gouvernementales du Libérateur, dans une ébauche où j'ai montré que ce qu'on appelle la doctrine de Monroe n'est, en ce qu'elle a de généreux, qu'un cas particulier de la doctrine de Bolivar. « O n connaît la différence essentielle entre la règle de Monroe, avant tout nationale, et la doctrine de Bolivar, caractéristiquemcnt occidentale. Dès 1813, on se le rappelle, Bolivar proposait aux peuples américains de discuter, d'accord avec les nations européennes, en particulier la France, les questions de guerre et de p a i x ; tandis que Monroe, beaucoup plus tard, envisageant des questions territoriales, formulait un principe exclusiviste, sans cloute utile à cette époque, mais insuffisant comme règle internationale permanente. « C'est pourquoi la doctrine de Bolivar doit être le principe inspirateur de la politique continentale américaine. A u fait, elle peut se résumer par la formule : l'Amérique aux Américains, four l'Humanité, sous la -présidence spirituelle de la France ». De cette règle, M. Montarroyos tire, comme exemples d'application immédiate, les corollaires qui constituent quatre vœux par lui proposés à l'Assemblée. Il aborde en premier lieu, une question commerciale, destinée à montrer la possibilité de concilier les intérêts matériels du Brésil avec ceux de la France : la question du café. Ensuite, il formule ses conceptions du problème bancaire, puis, une question juridique; et, enfin la question de la neutralité. I er Vœu. — E t a n t donnée l'organisation défectueuse du commerce du c a f é brésilien, qui permet, par exemple, aux Etats-Unis de réexporter le c a f é d'origine brésilienne en le démarquant, il serait souhaitable que la France se constituât, dans l'intérêt franco-brésilien, en entrepôt européen de c a f é brésilien, pour régler et normaliser le commerce de ce produit, en donnant une élasticité nouvelle au crédit brésilien. Ce vœu pose les problèmes d'un port franc français et de la réorganisation de la marine marchande dans le service franco-brésilien.
388
LA PREMIÈRE SEMAINE DE I,'AMÉRIQUE LATINE A LYON
2e Vœu.
—- Organisation du crédit entre les places françaises et
brésiliennes, moyennant un système bancaire rationnel et d'accord avec les méthodes économiques libérales. L'institution
du crédit à
long
terme est une nécessité, à la condition cependant que le taux de l'intérêt soit raisonnable; le crédit à long terme prête à de graves abus et n'est souvent qu'un instrument d'esclavage, comme l'éprouvent de la part des A l l e m a n d s certaines catégories ceux du tabac
par exemple. O n a
de cultivateurs brésiliens,
trop vanté
les méthodes
alle-
mandes, mais l'on oublie que des commissionnaires français accordent, depuis longtemps, à leurs risques et périls, le crédit à long terme, à un taux acceptable, sans avoir vis-à-vis de leurs débiteurs les exigences des banquiers. L'orateur cite, comme exemple de ce qu'il avance, deux commissionnaires qui lui sont particulièrement connus et qui se trouvent dans l'Assemblée : M M . Lucien L é v y et Camille L é v y . 3e Vœu. — Révision des lois relatives à la double nationalité et à la naturalisation. Rechercher l'harmonie entre les principes du jus soli et du jus sanguinis,
en s'inspirant de la jurisprudence que l'An-
gleterre vient de reconnaître.
Nécessité d'une législation
défensive,
surtout pour les p a y s d'immigration, tels que le Brésil, législation capable d'annihiler les effets pernicieux de l'affront allemand qu'est la loi
Delbrück. M. L a r n a u d e , doyen de la F a c u l t é de Droit à Paris, se ralliant
à ce vœu de M. Montarroyos, déclare qu'un p a y s qui possède, contre l'honneur du droit juridique, une loi Delbrück, est un p a y s qu'il f a u t marquer au fer rouge. 4e Vœu. — M. Montarroyos réclame une attitude ferme, franche, décisive, de la part des latino-américains contre la fiction de la neutralité actuelle,
aussi bien militaire qu'économique.
Cette
attitude
serait une conséquence de la doctrine de Bolivar. « O n se souvient f a i t remarquer l'orateur —
—
de la mélancolie avec laquelle B o l i v a r
regretta l'abstention des nations européennes sœurs, même la France, h é l a s ! et des E t a t s - U n i s , dans les heures les plus difficiles de l'indépendance des peuples sud-américains. B o l i v a r déplora la neutralité la Sainte-Alliance.
de
O n sait pourtant quelle était alors la situation de
l'Europe. E h bien ! nous, les latino-américains, si nous voulons être les dignes héritiers de Bolivar, nous devons, en sortant d'ici, proclamer bien haut que la neutralité
des
actuel n'est qu'une forme,
ou hypocrite,
crimes germaniques.
»
timide
gouvernements
dans
de complicité
le
conflit dans
les
ANNEXES
MEDECINE."
389
M. le Professeur Roger ayant terminé son rap-
port, M. le Président GtJERNIER remercie l'orateur de l'admirable conférence qu'il a faite et des leçons qu'il a données au point de vue de l'hygiène publique. C'est grâce à la science qu'on a pu combattre et faire reculer les fléaux. « O n nous a parlé des médecins de l'Amérique Latine. Je dois rendre un pieux hommage à ceux qui sont venus se dévouer
chez
nous. Je connais des médecins qui sont venus en France, qui ont perdu leur clientèle pour venir soigner nos soldats et être auprès d'eux sur le champ de bataille. Ils ont f o n d é l'hôpital chilien, l'ambulance argentine, l'ambulance brésilienne. Je ne peux pas les citer tous. L e fils d'un g r a n d homme d ' E t a t du Brésil, M. P. de L a Blanca, soigne nos
compatriotes depuis le début de la guerre. L e Docteur Blanco,
frère du distingué Ministre de l ' U r u g u a y , est venu s'établir à l'hôpital de Biarritz ; le docteur Anchorella, lui aussi, est venu soigner nos malades. « Il f a u t remercier aussi les nobles femmes de l'Amérique du S u d qui, renonçant à leurs joies et à leur luxe, ont pris le vêtement d'infirmières et sont dans nos hôpitaux à Paris. Je remercierai surtout la femme d'un diplomate qui, au moment de la déclaration de guerre, a été, contrairement au droit des gens, retenue pendant des semaines en A l l e m a g n e où elle f u t l'objet de molestations abominables; je veux parler de M me Larreta. Libérée de ce cauchemar, elle est venue s'asseoir au chevet de nos malades et ne l'a quitté que pour rentrer en Argentine. » M. le Docteur CARULLA demande alors la parole : « J'ai à vous entretenir de deux questions. L a première a trait à la pénurie de produits français en Amérique du Sud. L ' A l l e m a g n e , elle, a envahi nos Facultés, nos hôpitaux, nos cabinets de médecins avec toutes sortes de produits. E l l e a mis dans nos mains, ainsi que dans celles des praticiens de la campagne, des moyens plus pratiques pour opérer. L e s A l l e m a n d s sont plus savants à bien des y e u x parce qu'ils se servent de l a profondeur de la science pour pénétrer l'importance des choses et c'est pour cela que je vous l'ai indiqué. M. le Professeur R o g e r a parlé des moyens de propagande si importants et si utiles, et j'aurais désiré que le Congrès émît un vœu dans le dessein de stimuler, par tous les moyens possibles, la production des ouvrages médicaux et scientifiques. A v e c cela, vous arriverez à foire du bien non seulement à la France, mais aussi au commerce et à l'industrie français. V o u s devez aussi réagir contre la tendance trop commune à confondre compétence et technicité, car dans le monde entier on recherche 1a. supériorité dans la technicité et non pas dans la compétence. « U n autre point de vue a été envisagé par M. le Professeur 13*
390
LA PREMIÈRE SEMAINE DE I,'AMÉRIQUE LATINE A LYON
Roger. C'est un point de vue purement spirituel. Nous sommes surtout des idéalistes et c'est la caractéristique de nos civilisations
améri-
caines. Notre enseignement, nos professeurs, les œuvres que nous choisissons en F r a n c e justifient ce que j'avance. (( Pensez non seulement à nous envoyer vos marchandises, mais encore les meilleurs de vos ambassadeurs intellectuels. Envoyez-nous des idéalistes. C a r nous avons besoin aussi et surtout de science platonique. » M . GUERNIER : « besoin d'idéal, nous
Tout
à
l'heure, vous
revendiquons
notre
avez part
dit : « Nous d'idéalisme.
avons
» Soyez
assurés qu'il n'y a p a s un milieu où vos paroles p o u v a i e n t avoir
un
meilleur écho que celui-ci.
(( V o u s avez dit aussi : « D a n s le monde entier, on recherche la supériorité, non pas dans la compétence, mais dans la technicité. » Je suis allé dans l'Amérique du S u d . O n m'a montré des salles d'opérations, des laboratoires, des cliniques ; il y avait partout des instruments allemands, de toutes les couleurs, de toutes les tailles. V o u s avez tous ces produits parce qu'il y a une infériorité dans notre p a y s : quand on a besoin d'outillage, il f a u t aller f r a p p e r de porte en porte pour montrer une collection. C e sont les collections qui nous manquent. Ce qui a permis aux A l l e m a n d s de vendre ainsi, c'est que lorsqu'on veut monter une collection, ils vous fournissent tout, depuis le premier outil jusqu'au dernier bout de coton. N o u s ferons désormais des collections. « C'est pourquoi je vous remercie de ce que vous avez dit. »
V Œ U X . — A p r è s la présentation par M . le Président Guernier a u x Congressistes des v œ u x tendant
au resserrement des
relations
intellectuelles et économiques entre l'Amérique L a t i n e et la France, qui sont adoptés ou réservés, M .
MONTARROYOS
d e m a n d e que le Con-
grès vote spécialement sur le vœu qu'il a d é j à émis au sujet de l a question de la Neutralité. M. GUERNIER répond : « Je vais vous proposer
d'envoyer
une
adresse à M. R u y Barbosa pour l'admirable déclaration qu'il a f a i t e à ce sujet. Nous, Français, qui sommes au Congrès, nous remercions et félicitons M. R u y Barbosa, c'est notre d r o i t ; mais par contre, nous n'avons aucunement le droit d'engager les L a t i n o - A m é r i c a i n s dans une déclaration de ce genre. Notre devoir d'hospitalité ne nous
permet
pas de mettre ceux qui nous f o n t l'honneur de venir chez nous au pied du mur.
annexes
3 9 1
u j e remercie tous les membres de ce Congrès d'avoir tant donné de preuves de leur assiduité. N o u s avons entendu maintes conférences. Nous les avons discutées. Nous avons échangé des vues. Je suis certain que, de cette semaine sortira, non pas tout de suite, mais pour l'avenir une ligne de conduite, une politique, un plan de travail et que l'union qui nous a rassemblés ici durera longtemps. J'assure tous nos amis du Sud-Amérique qui ont pris part à nos travaux que, plus encore que par le passé, la France leur sera hospitalière et que le Comité d'action parlementaire leur ouvre largement ses portes; qu'ils se disent que la maison est leur maison et que chaque fois qu'ils voudront bien venir, ils seront les bienvenus. »
m
T A B L E DES M A T I È R E S
PREMIÈRE DISCOURS
ET
PARTIE CONFÉRENCES
A l l o c u t i o n i n a u g u r a l e d e M . le S é n a t e u r HERRIOT, M a i r e d e L y o n A l l o c u t i o n d e M . le D é p u t é C h . GUERNIER D i s c o u r s d e M . E u g è n e GARZON, a n c i e n S é n a t e u r d e l ' U r u g u a y D i s c o u r s de M . G r a ç a ARANHA, a n c i e n M i n i s t r e d u B r é s i l C o n f é r e n c e d e M . le B a r o n P . DE COUBERTIN : « T r o i s siècles d ' h i s t o i r e Sud-Américaine » C o n f é r e n c e d e M . P a u l ADAM : « M i r a n d a , G é n é r a l d e la C o n v e n t i o n » C o n f é r e n c e d e M . A l e x a n d r e BERTRAND, i n g é n i e u r , I n s p e c t e u r d u G o u v e r n e m e n t C h i l i e n p o u r la p r o p a g a n d e d u s a l p ê t r e : « L e r ô l e d u S a l p ê t r e d u C h i l i d a n s la g u e r r e e t d a n s l ' a g r i c u l t u r e d u S a l p ê t r e d u Chili clans la g u e r r e et d a n s l ' a g r i c u l t u r e »_.... « L a p a r t i c i p a t i o n d e la F r a n c e a u d é v e l o p p e m e n t é c o n o m i q u e de l'Amérique Latine » « Le p r o b l è m e de l'expansion économique de la F r a n c e d a n s le i n o n d e » C o n f é r e n c e d e S o n E x c e l l e n c e M . F . - L . DE LA BARRA, a n c i e n P r é s i d e n t d e la R é p u b l i q u e M e x i c a i n e : « L a F r a n c e v u e de l ' A m é rique Latine » C o n f é r e n c e d e M . F . CAZAU.X, D i r e c t e u r des. S e r v i c e s P a r i s i e n s d e La France, d e B u e n o s - A y r e s : « L ' o p i n i o n p u b l i q u e e n A r g e n t i n e » C o n f é r e n c e d e M . G r a ç a ARANHA, M e m b r e de l ' A c a d é m i e B r é s i l i e n n e , ancien Ministre d u Brésil à L a H a y e : « L ' o p i n i o n p u b l i q u e a u Brésil » C o n f é r e n c e d e M. C a r l o s S i l v a VILDOSOI.A, a n c i e n D i r e c t e u r de_ El Mercurio, d e S a n t i a g o (Chili) : « T . ' o p i n i o n p u b l i q u e a u C h i l i »
DEUXIÈME
Pages
3 5 11 19 25 43 P>0 69 81 93 101 117 125
131
PARTIE
RAPPORTS A.
—
SECTION
X . — Questions
ÉCONOMIQUE
commerciales
Situation et A v e n i r de la F r a n c e e n A m é r i q u e L a t i n e au point de v u e é c o n o m i q u e . — R a p p o r t e u r : M . A r m a n d PETITJEAN, Délég u é à la P r o p a g a n d e p o u r l ' A m é r i q u e L a t i n e ( A f f a i r e s E t r a n gères) L e s F a i b l e s s e s de n o t r e O r g a n i s a t i o n c o m m e r c i a l e . — R a p p o r t e u r : M . G e o r g e s CAHEN, C o n s e i l l e r d u C o m m e r c e e x t e n e u r d e l a France L e C o m m e r c e f r a n ç a i s d ' A m é r i q u e L a t i n e e t la m o b i l i s a t i o n . — R a p p o r t e u r : M . A r m a n d PETITJEAN
145
1G7 175
m
2. — Questions
maritimes
1
La M a r i n e française et son rôle d a n s les relations avec l ' A m é r i q u e L a t i n e . — R a p p o r t e u r : M . M a u r i c e RONDET-SAINT, D i r e c t e u r de la L i g u e M a r i t i m e française Les relations avec le N o r d de l ' A m é r i q u e L a t i n e p a r la « C o m p a g n i e G é n é r a l e T r a n s a t l a n t i q u e ». — R a p p o r t e u r : M. D a l PLAZ, D i r e c t e u r d e la C o m p a g n i e G é n é r a l e T r a n s a t l a n t i q u e Les r e l a t i o n s a v e c le C e n t r e e t le S u d d e l ' A m é r i q u e L a t i n e p a r l e s « C h a r g e u r s R é u n i s » e t l a « v S u d - A t l a n t i q u e ». — R a p p o r t e u r : M . D . PÉROUSR, P r é s i d e n t d u C o n s e i l d ' a d m i n i s t r a t i o n d e s Chargeurs Réunis L e s r e l a t i o n s a v e c le S u d d e l ' A m é r i q u e L a t i n e p a r l a « S o c i é t é G é n é rale d e s T r a n s p o r t s M a r i t i m e s à v a p e u r ». — R a p p o r t e u r : M . HUBERT-GIRAUD, D i r e c t e u r d e l a S o c i é t é G é n é r a l e d e s T r a n s ports Maritimes 3. — Questions
SECTION
1. -
187
193
203
205 217
INTELLECTUELLE
Beaux-Arts
L a M u s i q u e e t le T h é â t r e . — N o t e d e M . A l f r e d CORTOT, D é l é g u é à la P r o p a g a n d e p o u r l e s B e a u x - A r t s Peinture, Sculpture, Arts décoratifs. — Note de MM. Marius-Ary LEBLOND, D é l é g u é s d u S o u s - S e c r é t a r i a t d e s B e a u x - A r t s . . 2. —
179
financières
L e s M é t h o d e s b a n c a i r e s en A m é r i q u e d u S u d . — R a p p o r t e u r : M . E d m o n d CLAUDE, A d m i n i s t r a t e u r d u C r é d i t F o n c i e r d u Brésil, D é l é g u é d e la S e c t i o n B r é s i l i e n n e d u C o m i t é d e l ' I d é e Française à l'étranger L e s r e l a t i o n s financières e n t r e l ' A m é r i q u e L a t i n e e t la F r a n c e . — R a p p o r t e u r : M . R a p h a ë l - G e o r g e s LÉVY, M e m b r e d e l ' I n s t i t u t , P r o fesseur à l'Ecole des Sciences Politiques
B. —
Pages
225 229
Université
O r g a n i s a t i o n et D é v e l o p p e m e n t d e s r e l a t i o n s u n i v e r s i t a i r e s . •— R a p p o r t e u r : M. E r n e s t MARTINENCHE, P r o f e s s e u r à l a S o r b o n n e . .
231
3. — P r e s s e L e r ô l e d e l a P r e s s e q u o t i d i e n n e et p é r i o d i q u e d a n s les r e l a t i o n s e n t r e la F r a n c e e t l ' A m é r i q u e L a t i n e . — R a p p o r t e u r : M . H e n r i MOYSSET, R é d a c t e u r à la Revue des Deux-Mondes 4 . — Questions
juridiques
Les relations intellectuelles d'ordre juridique entre l ' A m é r i q u e latine et la F r a n c e . — R a p p o r t e u r : M . LARNAUDE, D o y e n d e l a F a c u l t é de Droit de l'Université de P a r i s 5. — Questions
251
médicales
Les relations médicales entre l ' A m é r i q u e L a t i n e et la France. — Rapp o r t e u r : M . le D r H e n r i ROGER, p r o f e s s e u r à la F a c u l t é d e M é d e c i n e d e P a r i s , M e m b r e d e l ' A c a d é m i e de M é d e c i n e 6. — Les
237
275
livres
L a L i b r a i r i e f r a n ç a i s e en A m é r i q u e L a t i n e . — R a p p o r t e u r : M . G . LAPOND, S e c r é t a i r e d e la C h a m b r e d e C o m m e r c e A r g e n t i n e à
I
7. — Questions diplomatiques et politiques Pages L e r ô l e d e la d i p l o m a t i e f r a n ç a i s e d a n s la r e c o n n a i s s a n c e p a r l ' E s p a g n e de l'indépendance des républiques sud-américaines. — R a p p o r t e u r : M . C a r l o s A . VLLLANUEVA, a n c i e n M i n i s t r e d u Venezuela, correspondant de l'Acadétpie royale espagnole d'Histoire L e B r é s i l à l a fin d e 1916. — R a p p o r t e u r : M . H e n r i LORIN, P r o f e s s e u r à la F a c u l t é d e s L e t t r e s d e B o r d e a u x L e s r e l a t i o n s g é n é r a l e s e n t r e l ' A m é r i q u e L a t i n e e t la F r a n c e . — R a p p o r t e u r ' : M . l e B a r o n d'ANTHOUARD, a n c i e n M i n i s t r e p l é n i p o tentiaire
303 313 327
TROISIÈME P A R T I E VŒUX V œ u x a d o p t é s p a r le C o n g r è s V œ u x s o u m i s a u C o n g r è s , à t i t r e d ' i n d i c a t i o n , et r e j e t é s
335 339
ANNEXES I Allocutions
diverses
D é p u t é C h . GUERNIER (Introduction a u x conférences de MM. Cazaux, Graça A r a n h a et Carlos Silva Vildosola) M. le D é p u t é C h . GUERNIER (à l ' i s s u e d e la R é c e p t i o n d u C o m i t é France-Amérique) M . le S é n a t e u r HERRIOT ( I n t r o d u c t i o n à l a C o n f é r e n c e d e S o n E x c e l l e n c e F . - L - DE LA BARRA) , M . HEURTEAUX, D é l é g u é g é n é r a l d e l a C o m p a g n i e d e s C h e m i n s d e f e r d ' O r l é a n s , P r é s i d e n t d e la Délégation d u C o m i t é F r a n c e - A m é rique » M.
le
343 347 351 353
II Communications
faites
au
Congrès
M. MOREL, V i c e - P r é s i d e n t d e la C h a m b r e d e C o m m e r c e d e L y o n M . DELOUCHE, V i c e - P r é s i d e n t de la S e c t i o n d u Brésil d e l ' I d é e F r a n çaise à l ' E t r a n g e r M . FAMECHON, D i r e c t e u r d e l ' O f f i c e N a t i o n a l d u T o u r i s m e M . H e n r i LORIN, P r o f e s s e u r à la F a c u l t é d e s L e t t r e s d e B o r d e a u x . . . L e t t r e d e M . P i c a r d , D i r e c t e u r d u C r é d i t F o n c i e r d e B u e n o s - A y r e s et des Provinces Argentines
355 357 359 361 305
IV Extraits
de divers
débats,
commentaires
et
interventions
Commerce A u s u j e t d u r a p p o r t d e M. A . PETITJEAN. — MM. G u e r n i e r , îner, M a n h e i m , A. Rey
Lindhei369
Marine A u s u j e t d u r a p p o r t d e M. RONDET-SAINT. — MM. G u e r n i e r , R o n d e t S a i n t , L i n d h e i m e r , M a n h e i m , S c h w i c h , etc A u s u j e t d e s r a p p o r t s d e M M . DAL PIAZ, PÉROUSE e t H u b e r t GIRAUD. — MM. Guernier, Vincente Lapido, Manheim, Camille Lévy, C a r l o s S i l v a V i l d o s o l a , d e C h a m b o n , Cicero, L u c i e n L é v y , e t c .
370 376
Université A u s u j e t du r a p p o r t de M. MARTINENCIIE. — MM. G u e n i i e r et Leblond
Pages 381
Presse A u s u j e t du r a p p o r t de M. H e n r i MOYSSET. — MM. G u e n i i e r , de Coubertin, p a s c a n o Tegui, Martinenciie, Houssaye, Montarroyos Le A u s u j e t d u r a p p o r t de M. H e n r i Larnaude
3gl
Brésil LORIN. — MM.
Montarroyos
et 385
Médecine A u s u j e t d u r a p p o r t de M. le P r o f e s s e u r ROGER. — MM. G u e n i i e r et D r Carulla
389
Vœux Adresse de félicitations à M. RUY BARBOSA. — MM. Montarroyos et Guernier
Ì M P . H . D I É V A L . P L A C E DES V I C T O I R E S -
PARIS
390