MANIOC.orq Bibliothèque Schoelcher Conseil général de la Martinique
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LA
FAMILLE NOIRE,
OU LA
T R A I T E
E T
L ' E S C L A V A G E ,
Par Mme Sophie Doin. Traitez les hommes de la même manière que vous voudriez qu'ils vous traitassent. St.Luc VI, 31.
PARIS,
SERVICE , Libraire, rue de l'Oratoire,n°6. J E A N N I N , Libraire, rue Vivienne,n°8. PAPINOT
, Libraire, rue du Coq,n°1.
A. SAUTELET et Cie, Libraire, place de la Bourse.
1825. MANIOC.org Bibliothèque Schoelcher
Conseil général de la Martinique
sagesse et son désir de satisfaire tou
a pris toutes les précautions que lu
animé d'un esprit de paix et de cor
charte pour se convaincre que ce n il n'eût pas cédé à la perfidie de quelques
traîné par un sentiment d'affection pour ucieux, pris confiance dans les rapporta
exécutif, et en réglant les formes à
d'unt
fixant des bornes aux deux pouvo
empêcher
empiétemens
autres, imbéciles, et s'il eût su démêler
l'autre.
les
la courtisans corrompus, de combinaisons et d'intrigues,
les
avaient été envoyés aux Etats-généraux, sentans des baillages, et avec des pouvoirs
LA
FAMILLE NOIRE.
DE
L'IMPRIMEKIE
DE
J.
SMITH
Rue M o n t m o r e n c y , n째 16.
,
Mon Dieu protège mon Mon Dieu veille sur les destinés d'Haiti.
père
LA
FAMILLE
NOIRE, ou
LA T R A I T E E T L ' E S C L A V A G E ,
Par
Mme
Sophie
Doin.
Traitez les hommes de la même manière que vous voudriez vous-mêmes qu'ils vous traitassent. Sr.-Luc, vi. 31.
PARIS. HENRY SERVIER , RUE
DE
L'ORATOIRE ,
1825.
LIBRAIRE N°
6.
PRÉFACE.
CE livre n'est pas u n roman, c'est l'histoire scrupuleusement fidèle des crimes qu'ont entraînés avec e u x , dès leur origine , et que perpétuent
de nos jours la traite et l'esclavage des noirs. Il faudrait avoir une imagination bien épouvantable pour s'être plu à inventer une seule des horreurs qui feront frémir à la lecture de cet ouvrage ; n o n , la vérité seule y r è g n e , les notes en feront
foi; présentons dans nos récits le mal lorsqu'il est trop vrai qu'il existe ; montrons-le pour corriger les hommes , pour les rendre meilleurs et plus heureux ; mais si nons voulons
vj créer,
ne créons
q u e le b e a u ,
ne
créons q u e le b i e n . R e n d r e p o p u l a i r e la c o n n a i s s a n c e des
malheurs
inouis
qui,
depuis
plusieurs siècles, pèsent sur les m a l heureux
Africains,
c'est
avancer
l ' a u r o r e d e l e u r r é g é n é r a t i o n s u r la t e r r e ; c ' e s t e n p o r t a n t d a n s t o u s les r a n g s l ' h o r r e u r p o u r la traite q u i les arrache à leur patrie, clavage
dans
et p o u r l'es-
l e q u e l ils
gémissent
aux colonies, qu'on rendra vraiment efficace l ' i n d i g n a t i o n q u i d o i t
sou-
lever t o u t être pensant c o n t r e
cet
usage h o m i c i d e . Bien des gens croient s i n c è r e m e n t q u e des nègres esclaves s o n t indispensables à l'existence des colons;
d'autres
moque
d'eux
pensent qu'on
quand
on
leur
se dit
q u e les n o i r s s o n t c o n f o r m é s c o m m e les b l a n c s ,
et d o i v e n t par c o n s é -
vij quent être traités en h o m m e s . Dans nos sociétés frivoles, bien peu d'individus ont réfléchi que l'infâme trafic des n o i r s , et la puissance oppressive qu'on s'arroge sur e u x , sont en contradiction directe avec les préceptes sacrés de notre religion, avec les p r i n c i p e s d u d r o i t n a t u r e l , qu'ils
offensent D i e u , et outragent l'humanité ; il est nécessaire de les éclairer tous : tel a été le b u t de mes efforts ; aucun ouvrage encore n'a fait connaître , à la masse de la n a t i o n , la véritable position des nègres; je le fais i c i , j'ouvre une n o b l e carrière ; d'autres, je l'espère , y marcheront après moi avec plus de talent, mais jamais avec plus de zèle. J'ai fait peser sur une seule famille de nègres une faible partie des maux qui accablent les nègres en général
viij depuis l'horrible invention de la traite. Les indifiérens, classe trop nombreuse, peuvent eux-mêmes lire ce petit livre comme on lit une n o u velle. Sous cette forme légère, la vérité percera dans toutes les classes; et les larmes versées sur des héros imaginaires , exciteront peut-être les accens énergiques qui viendront mettre u n terme à des souffrances t r o p réelles, les cris vengeurs qui plaideront avec succès la sainte cause de l'humanité.
Introduction
HUMANITÉ, Religion , Justice ! Vous dont le nom sacré, prononcé chaque jour par des milliers de voix, s'élève, comme un concert céleste, comme un pur encens, jusqu'aux voûtes brillantes du
palais de l ' E t e r n e l ; p o u r q u o i , t o u -
jours a d o r é e s par
les bouches et tou-
jours méconnues par les coeurs ; toujours honorées par les paroles et toujours outragées parles actions; pourquoi, dans chaque âge du monde, les hommes qui 1
2 se disent sans cesse inspirés par v o u s , et pleins des vertus sublimes dont vous êtes la source et le principe,
ont-ils
profané votre culte, ont-ils ensanglante vos autels ? Ils se disaient justes, religieux, humains; et bientôt pourtant, pour obéir à leurs passions, la guerre secoua sur l'univers ses torches funéraires ; la vengeance, les haines de partis, le despotisme
des croyances, remplirent
le
monde d'épouvante et d'horreur. P a r tout l'étendard sanglant de l'intolérance fut déployé, partout des flots de sang coulèrent sous la hache du fanatisme, sous le poignard de la superstition. Ils se disaient justes, religieux, bumains, et l'humanité frémit, la justice se couvrit d'un voile funèbre, et la douce et tendre Religion, indignée, éleva vers
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le Dieu vengeur ses yeux remplis de larmes ! Il n'est point d'erreurs, il n'est point de crimes que n'ait enuintésl'imagination de l'homme en délire. Le divin Législateur, l'immortel Sauveur du m o n d e , méconnu,
outragé par l'homme cou-
pable, lui laissa, clans sa bonté céleste , dans sa clémence suprême, les préceptes qui devaient le rendre et meilleur et plus heureux. Mais , combien les chrétiens se montrèrent peu dignes de ce beau titre de chrétiens ! Combien d e fois, ingrats envers le Christ,
ils oublièrent ses bien-
faits , ils désobéirent à ses lois, ils fermèrent les yeux au rayon éclatant d'une lumière divine qui brille dans toutes les paroles du Rédempteur. Au milieu de ce chaos immense de
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fureurs et d'extravagances, de crimes et de folies, quand l'esprit passe alternativement de l'étonnement à l'horreur, de l'indignation au mépris, de l'épouvante à la pitié, on se demande pourquoi, dans une longue suite de siècles,leshommes qui devaient naturellement s'aimer et se prêter des secours fraternels, se maltraitèrent et se détruisirent avec constance , avec acharnement. Cependant la morale si douce et si pure du christianisme, cette morale protectrice d'une égalité raisonnable, présage d'une sage indépendance, cette vive
aurore
de l i b e r t é , devait adou-
cir les coeurs , c h a n g e r les moeurs des peuples. Les préjugés l'emportèrent sur elle. L'esclavage et tous ses abus, toutes ses cruautés , toutes ses injustices ; l'esclavage, ennemi déclaré de la loi
5 de Jésus-Christ, fit peser sur le monde ses chaînes odieuses; l'Eternel avait créé des hommes, et il vit la terre couverte d'esclaves; le Dieu paternel, pour p r e mier bienfait, donna à ses enfans la liberté ,
et l'homme
inventa
l'escla-
vage ( 1 ) . Mais p e u
à p e u l e s t é n è b r e s s e s o n t dis-
sipées , la lumière bienfaisante pénètre de toutes parts ; partout l'intolérance et l'esclavage sont regardés comme deux monstres qu'il faut étouffer à jamais. Puisse, jusqu'à leurs noms, s'oublier dans les siècles ! C'est aux plages africaines que nous allons porter nos regards : c'est là que se montrent encore à découvert,
dans
toute leur antique barbarie, le despotisme et la cupidité, la superstition et l'hypocrisie; c'est là qu'un acte d'une
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cruauté
inouïe
porte
au plus haut
degré la dégradation et la honte de l'espèce humaine. Après la découverte du NouveauMonde , (2) après l'établissement des colonies, les Européens, avides de r i chesses, bravèrent les dangers que leur présentaient des pays sous l'influence d'un ciel toujours brûlant ; ils s'y établirent; e t , voulant tirer de l e u r s n o u velles patries tous les avantages qu'ils attendaient impatiemment des terres immenses qu'ils avaient conquises, ils prirent, avec une ardeur furieuse, l'inconcevable résolution d'adapter à leurs propriétés des m a c h i n e s d o n t rien ne saurait interrompre les travaux ni ralentir les mouvemens rapides; qui supporteraient, p o u r l'avantage des colons ou propriétaires, la chaleur dévorante etl'excessive
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fatigue que les colons convenaient ne pouvoir être supportées par aucun être humain; et ces machines étaient des h o m m e s , mais des hommes noirs ! Or ce qui fut mis en usage dès ce moment pour se procurer ces hommes n o i r s , libres comme les blancs e t , comme e u x , rois de la nature , pour les réduire au misérable état de machines pensantes et sentantes, mais ne pensant que pour se plaindre, et ne sentant que pour souffrir ; ce qui se pratique encore de nos jours, à la honte de notre âge de l u mière ; ce qui fut a u t o r i s é p a r des rois
pendant des siècles ;
c e qui Commence
seulement à être défendu par les puissances européennes, mais ce que des brigands, qui. voudraient usurper le nom d'hommes, ne tremblent pas de faire encore , au mépris de toutes les lois di-
8 vines et humaines : voilà ce qu'il importe de faire connaître à toute la terre ; voilà sur quel crime il est nécessaire d'éveiller l'attention de tous les amis de l'humanité ; voilà ce qui doit émouvoir jusqu'à l'égoïste qui passe sa vie dans les plaisirs du monde et l'insouciance du sort de ses frères. Depuis de trop longues années le sang innocent coule : des milliers de martyrs entourent le trône de l'Eternel, ils le supplient pour leurs malheureux f r è r e s . . . . Mais, que dis-je? ils n'ont pas besoin de supplier le Dieu juste et bon ; il a maudi les barbares auteurs du plus grand forfait qui ait jamais teint de sang les fastes du monde ; il maudira ceux que le crime le plus atroce ne fera pas frémir. Et ce sont des chrétiens qui mirent en honneur cet usage funeste 1 ce
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sont les disciples, les enfans du Christ, qui le suivent encore ! Jésus - Christ dit : Aime ton prochain comme toimême , ne fais pas aux. autres ce que tu ne ne voudrais pas qu'on te fìt; et des chrétiens abordent aux côtes de l'Africain paisible, c'est de leur prochain qu'ils s ' a p p r o c h e n t . L e s n o i r s , simples
et bons, sensibles et compatissans, les noirs, enfans de la n a t u r e , entourent sans crainte, sans défiance, les ennemis qu'ils voudraient aimer, qu'ils voudraient secourir. Des idolâtres suivent le p r é cepte de Jésus-Christ : ils donnent leurs fruits , ils p a r t a g e n t l e u r s provisions, ils offrent
l'hospitalité. Des chrétiens
acceptent t o u t , et c'est pour abuser de tout, pour ensanglanter tout. Ils font pénétrer dans des âmes pures et innocens
tous les poisons de l'avarice , de 1*
10 la cupidité, de la haine, de la vengeance, toutes les passions enfin qui les dominent eux-mêmes.Ils enseignent au nègre sobre et laborieux les excès de l'ivresse, les perfides douceurs de l'oisiveté, les joies apparentes que procurent la richesse, le luxe, la mollesse et la volupté; ils c o r rompent son coeur pour le laisser sans défense , ils le séduisent pour l'égorger ! Bientôt, par leurs i n d i g n e s s o i n s , t o u s
les liens sont rompus dans ce pays, naguère l'asile de l'innocence et de tous les sentimens de la nature dans leur pureté native. Plus de parens, plus d'amis, plus de liens de famille, plus d'unions sympathiques! de l'or, des pierreries, de brillantes bagatelles, voilà ce qui enivre le malheureux Africain : voilà ce qu'il apprit à connaître au prix de son sang et de sa liberté. P o u r obtenir ces poisons
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séducteurs, le père vend son fils, le frère livre sa soeur, l'ami dénonce son ami, et l'insensé est le lendemain c o n duit l u i - m ê m e à ses b o u r r e a u x par un p è r e , par un frère, par un ami. Tous les piéges sont tendus par l'Européen avide. Sur ce pays infortuné il déchaîne toutes les furies. I c i , c'est u n é t a t a u q u e l il
prodigue des secours pour triompher d'un état voisin dont lui-même fomenta les troubles, excita la haine, conduisit la vengeance. Pour prix de son feint empressement les dépouilles du vaincu sont à lui, c'est-à-dire les esclaves, les p r i s o n n i e r s , l e u r s f e m m e s , l e u r s enfans.
Il charge L'habitant riche et industrieux d'un message ou d'une opération commerciale; et, pendant que celui-ci fait sa tournée lointaine, l'Européen garde en ôtage toute la famille du voyageur.
12 Mais des piéges sont tendus au malheureux enfant de l'Afrique ; il est attaqué au sein des contrées qu'il parcourt ; pris, blessé, chargé de chaînes, on l'emmène esclave et pour toujours loin du ciel de sa patrie ; on fait peser sur son coeur un double supplice ; on l'accable
d'une
double perte ; le voilà pour jamais privé de sa l i b e r t é , et il emporte dans des climats détestés l'horrible c e r t i t u d e de l'esclavage et des souffrances de la famille chérie qui l'attend, qui l'appelle et qui ne doit plus le revoir. Féconds en expédiens cruels, infatigables pour se procurer des victimes humaines , les traficans d'Europe se joignent aux furieux dont ils ont troublé la raison, dont ils, partagent, dont ils exaltent la fureur; au milieu de la nuit, ils tombent comme la foudre, ils surpren-
13 nent un village, ils incendient les p r o priétés, ils détruisent les habitations. Par eux le désordre est au comble, le sang coule à grands flots, les vieillards sont égorgés; les h o m m e s , que le désespoir anime, succombent sous les coups r e doublés de leurs féroces et trop nombreux
ennemis.
Les jeunes
gens,
les
filles, les enfans, tous ceux que leur âge ou leur vigueur font paraître dignes des regards de la cupidité, sont enlevés malgré leur résistance; e t , accablés par les mauvais traitemens de leurs persécuteurs , sont forcés de marcher devant eux comme u n m i s é r a b l e troupeau. Les malheureux balancent encore à préférer la mort au supplice qui les menace : bientôt ils ne balanceront plus !... mais hélas ! cette dernière ressource leur sera soigneusement arrachée (3).
14 D'autres sont parvenus à s'échapper, ils ont gagné les forêts ; mais les esprits infernaux
sauront les y poursuivre.
Chassés comme desbêtes fauves,laflèche meurtrière les atteindra de toutes parts, et ils n'auront que le choix de recevoir la mort ou de se r e n d r e pour mourir (4). Le petit nombre de ceux que l'adresse ou la force n'ont pu réduire , seront bientôt livrés à leurs b o u r r e a u x par la superstition que l'avarice exalte avec adresse. Accusés de sorcellerie et d'un pouvoir s u r n a t u r e l , ils expieront leur prétendue puissance par leur éternel esclavage , celui de leurs enfans , de leur famille, des objets cheirs à leur c œ u r , à moins que cette puissance m ê m e ne leur permette d'avaler impunément un poison d'un effet trop certain. Quelle épouvantable effronterie (5) ! Eh! quel fruit doi-
15 vent tirer de tant de m e u r t r e s , d'infa mies et de cruautés les Européens insa tiables? Vont-ils de ces milliers de bras tirer des milliers de trésors ? —Non : l'ex périence a victorieusement prouvé que des bras libres , des agriculteurs intelligens, une industrie perfectionnée , des i n s t r u m e n s b i e n a d a p t é s à la c u l t u r e du
s o l , doivent produire et produiraient mille et mille fois plus d'abondance et de richesses pour les colons que ces vic times entassées, que ces créatures épui sées par tous les maux que la barbarie hu maine a créés pour l'homme infortuné(6). Mais quand il s e r a i t v r a i , ce d o n t l'évi
dence, nous venons de le dire, démontre la fausseté; quand il serait vrai que les avantages résultant du commerce homi cide appelé traite des noirs fussent con sidérables, je demanderai comment il
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est possible de se familiariser avec cette idée, que des chrétiens peuvent et doivent s'enrichir par le meurtre , le vol , le rapt et le pillage, au mépris des commandemens de Dieu, de la loi naturelle gravée dans tous les c œ u r s , des fondemens de notre foi, de la Bible, au m é pris surtout de l'Evangile, la loi nouvelle , la loi bien-aimée de Jésus-Christ et le code des chrétiens. Cependant, ainsi qu'au moment de réaliser leur projet impie de construire la tour de Babel, q u i , en les élevant jusqu'aux cieux, devait leur donner les moyens de braver de plus près l'Eternel, les h o m m e s insensés virent leur esprit se troubler et leurs langues se confondre, ainsi, dans l'excès de leur c r u a u t é , les Européens ne songeant qu'à resserrer le frein de la t e r r e u r , qui seul leur répond
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desmalheureux qu'ils enchaînent comme des bêtes féroces, oublient leur intérêt m ê m e , qui devrait au moins les engager à ménager les êtres qu'ils veulent faire servir à leur cupidité. Il arrive de là que de leurs esclaves les trois quarts périssent, les uns de mort v i o lente , qu'ils préfèrent à leurs tourmens (7); les autres des suites des m a u vais traitemens qu'ils souffrent
sans
cesse ; d'autres de l'excès de la fatigue ou de l'excès de la douleur. Ainsi, pour tirer de l'utilité d'un homme n o i r , des chrétiens en sacrifient q u a t r e ; p o u r se servir des b r a s d'un seul, des chrétiens en assassinent trois. Quelle proportion! quel calcul inoui ! Décrire les maux que souffrent ces infortunés depuis leur enlèvement jusqu'au moment où ils vont souffrir plus
18 encore sur le navire appelé négrier, qui doit les conduire à leur triste destination, séparés pour toujours de la famille que le Dieu bienfaisant leur a donnée pour embellir leur pélerinage sur
la terre ;
faire comprendre leur situation , lorsqu'ayant perdu ces êtres chéris , que des hommes viennent de leur ravir sans autre droit que celui de la force, ils se voient à jamais esclaves de ces hommes, leurs semblables et leurs frères, sous le prétexte bizarre qu'ils sont noirs et que ces maîtres cruels sont blancs; les présenter à la pensée du lecteur, chargés de fardeaux et de chaînes, conduits tout sanglans, accablés de c o u p s , mourant enfin de fatigue et de chaleur, et privés même du pouvoir d'appeler sur leurs bourreaux les vengeances du ciel (8) ! Décrire ces effroyables souffrances, ces
19 souffrances inconcevables amoncelées sur la tête des hommes par des hommes, par des chrétiens, est un devoir sacré, mais un devoir qui déchire l'âme , qui fait succéder les idées d'étonnement, d'horreur, de malédiction et d'épouvante avec tant de rapidité, que la p l u m e t r e m b l a n t e a p e i n e à présenter
autre chose qu'un chaos de crimes et de douleur ! Peindre aussi les innombrables forfaits qui sont la suite naturelle de ces premiers crimes, lorsqu'esclaves dans les colonies, les malheureux noirs ne peuv e n t m e t t r e a u m o n d e que des esclaves
comme eux ; lorsque leurs maîtres s'arrogent même un pouvoir absolu sur une postérité qui n'appartient pas encore à la t e r r e ;
l o r s q u e , sans espoir et
sans consolation , les nègres se voient
20 chaque jour ravir par le caprice d'un intendant, le seul lien qui leur faisait supporter l'existence, la compagne de leurs souffrances , le soutien de leurs chaînes (9) ! lorsque des affronts sanglans ne peuvent jamais pour eux o b tenir de justice, et sont étouffés dans de nouveaux affronts, noyés dans de nouvelles l a r m e s , oubliés dans les flots de leur sang répandu ! Les peindre tous, les peindre comme on les sent, comme ils existent, ces for faits odieux, c'est une tâche cruelle, mais nécessaire, qu'on doit toujours craindre de ne remplir qu'imparfaitement, mais qu'on doit t e n t e r de toutes ses forces. Ah! sur des milliers d'abus,
sur des
crimes sans n o m b r e , en signaler quel ques-uns à l'indignation du m o n d e , sera toujours un bienfait pour les
noirs;
21 ce sera pour eux une aurore de pitié, une aurore de justice, une aurore de liberté. Haïti s'est régénérée par l'excès du mal. Européens ! n'attendez pas qu'un mal plus grand encore ne régénère vos colonies retrempées dans votre propre sang! L a l i b e r t é m a r c h e dans l ' o m b r e , dans l'ombre des cachots, et sous l'appareil des supplices. T ô t ou tard elle brisera ses entraves, elle écrasera ses ennemis , semblable aux rayons purs du soleil qui se montre éclatant après des nuits d'orages ( 1 0 ) . J'ai
lu
d e s pages
étincelantes de
beautés, pleines d'une mâle éloquence : des pages qui respiraient l'indignation trop long-temps comprimée, l'indignation qui s'exhale avec une noble énergie. Ces pages sont écrites par un noir; par un
22 noir, maintenant habitant distingué d'une patrie de noirs ; par un noir, q u i , fier des progrès de sa patrie , des succès brillans qu'elle obtient dans les sciences les plus abstraites, dans les arts les plus ingénieux , vient plaider avec véhémence la cause de ses frères encore captifs, vient demander au monde raison d'anciens et trop sanglans o u t r a g e s , vient enfin, l'âme déchirée, mettre au jour les pièces d'un horrible p r o c è s , dont Dieu seul pourra juger les parties. A cet appel à l'humanité, cruelle
évidence, à cette
à cette désolante
réalité, qui pourrait chercher des excuses, qui p o u r r a i t refuser des larmes? Ah ! qu'il a dû souffrir celui qui les a senties ces émotions poignantes, celui qui les a tracées ces lignes de sang ! Puissent le sentiment qui répond au
23 sien, les vœux qui accompagnent ses v œ u x , la douleur qui comprend sa douleur, adoucir ses blessures, soutenir son courage, augmenter son espoir ! Que nos voix, embrassant une sainte cause, deviennent, pour tant de milliers de victimes, comme la voix des archanges, f o r m a n t de m é l o d i e u x c o n certs ! que ces voix éclatantes portent dans tout l'univers la malédiction du Créateur sur tous ceux qui favoriseront ce commerce de chair humaine ; qu'elles instruisent enfin les peuples trop longtemps aveuglés sur tant de barbarie. Dormez , noirs i n n o c e n s ; dormez , agneaux résignés à la m o r t ; que cette terre brûlante devienne pour vous un Ht plus d o u x ; que le sommeil repose vos membres affaiblis ; qu'il vous porte des songes consolateurs, qu'il vous montre,
24 dans u n prochain avenir, l'affranchissem e n t et le repos. Les blancs se sont plaints a m è r e m e n t des horribles représailles commises par les n o i r s , lors des massacres de SaintDomingue. J'ai vu des témoins de ces désastres sanglans; j'ai lu les plaintes non moins amères des noirs insurgés. O u i , des horreurs furent commises par e u x , leurs vengeances furent souvent atroces ; mais qui leur donna l'exemple de ces cruautés qui font frémir la n a t u r e ? Qui leur enseigna ces traitemens barbares qui révoltent les coeurs les plus indifférens au spectacle des souffrances humaines? Q u i , pendant quatre siècles, essaya tour à tour sur eux des supplices variés avec u n génie infernal avec u n e inconcevable férocité ? Qui ? Les blancs.
25 Mon imagination se porte à ces scènes de désolation. J e vois un h o m m e chargé de punir un autre h o m m e , et qui, parce qu'il est b l a n c , et que le p r é t e n d u coupable est n o i r , oublie que tous d e u x ont une âme c r é é e à l'image de Dieu , que tous deux o n t u n corps également sensible à la d o u l e u r physique. J e le vois a r m é d'un fouet dont il déchire le m a l h e u r e u x n o i r , jusqu'à ce que celuici tombe à ses pieds i n a n i m é , jusqu'à ce que le sang ruisselle autour de lui. Les larmes de l'infortuné n'inspirent pas plus de pitié au b a r b a r e q u e n'en é p r o u v e le c h a s s e u r a l t é r é d u sang du cerf, à la v u e de ses pleurs touchans. J e lui vois choisir u n e autre victime ; en vain implore-t-elle la m o r t à grands c r i s , elle ne l'obtiendra qu'après d'horribles t o r tures. De tous côtés, des m e m b r e s fra-
2
26 cassés t o m b e n t , des êtres mutilés d é solent les regards. Tous les sens sont outragés, sont détruits l'un après l'autre. T o u t e s les h o r r e u r s du feu, toutes les blessures c r u e l l e s , toutes les angoisses de l'effroi, l'affreuse attente de
dou-
leurs sans
enfin
cesse renaissantes ,
toutes les maladies que peuvent enfanter tant de c r i m e s s o n t prodiguées aux noirs p a r les blancs. Celui - c i n ' o b t i n t que par la force les faveurs que l'amour seul aime à d o n n e r ; eh bien ! un châtiment h o n t e u x punira le refus obstiné de l'inn o c e n c e . D ' a u t r e s , le sourire sur les l è v r e s , p r e n n e n t place autour d'un cirque. Sans doute, q u e l q u e attrayant spectacle excite leur curiosité? ce spectacle, c'est celui d'esclaves noirs dévorés à leurs yeux par des bêtes féroces, p a r des animaux enragés ! ! ! ! ! (11)
27 La foudre gronde dans les airs; elle é c l a t e , elle r é d u i t en p o u d r e ces o p presseurs d'une r a c e h u m a i n e , ces assassins de leurs frères ! J e la suis avec un serrement de coeur de reconnaissance, je la vois t o m b e r , je lève mes regards v e r s le c i e l , je lui adresse u n r e m e r c î m e n t solennel, je m'écrie : Mon Dieu ! je ne vous maudirai p o i n t , vous avez fait justice ; et p o u r t a n t je
fais
partie de l'espèce b l a n c h e , mais je ne ferai point r e g r e t t e r au Dieu s u p r ê m e de m'avoir d o n n é une âme ! Eh bien ! cette foudre vengeresse, c'est c e t élan de l'ind i g n a t i o n , c'est ce soulèvement des vict i m e s ; il conduit à la f u r e u r , à l'égar e m e n t , au délire , mais il enfante la liberté. Blancs, ces esclaves forcenés, vous seuls avez détruit leur raison ; mais qu'aviez-vous fait de la v ô t r e ? leurs ter-
28 ribles vengeances ne furent que des éclairs, et vous vouliez faire peser sur eux d'éternels orages ! quatre siècles de malédictions s'élèvent c o n t r e v o u s , et vous parlez de représailles ! ! ! ! ! Si, quelque jour, par suite des progrès de leur civilisation , les noirs tenaient notre rang dans l e m ô n d e , et que, plongée à son t o u r d a n s les ténèbres, triste fruit de
la d é c a d e n c e des
empires , notre
espèce abrutie t o m b â t au niveau de ces nègres dont notre despotisme seul étouffe l'entendement (12) ; si, parmi ces nègres, il en était alors qui voulussent faire le c o m m e r c e des b l a n c s , combien nous nous
sentirions h e u r e u x
de
trouver
des philanthropes noirs, qui nous p r o t é geraient c o n t r e un esclavage que le ciel c o n d a m n e ; un esclavage qui ne saurait être utile, en aucun c a s , au bien-être
29 des h o m m e s ; un esclavage réprouvé par la raison, l'humanité, et qui n'a enfanté que des c r i m e s , avant ce temps peut-être inconnus aux enfers (13)! Combien n o u s le ; b é n i r i o n s , ces noirs qui se proclameraient amis des blancs ! Prenons-le donc ce b e a u titre d'amis des noirs; p r o t é g e o n s - l e s c e s n o i r s ; faisons retentir
leurs cris dans t o u t e l'Europe ; adoucissons leur sort ; éclairons-les; consolons-les ; préparons - les enfin à r e c e voir d e n o u s , et le plus promptement possible, en compensation d e tout le mal q u e nous leur a v o n s fait, le plus g r a n d d e s b i e n s , plus que la vie , la
l i b e r t é ! Alors s e u l e m e n t , en embrassant nos frères , nous p o u r r o n s p r é senter
des chrétiens
a u x autels du
Christ; mais, jusque-là, les fourbes seuls oseront soutenir qu'en arrachant d e s
30 esclaves de l'Afrique, ce sont des idolâtres qu'ils
veulent
convertir à
la
foi (14)L'histoire d'une famille noire suffira p o u r instruire pleinement t o u t l e c t e u r impartial, t o u t ami de l'humanité, pour qui la justice et la religion ne sont pas des mots vides de s e n s , des talismans qui c h a n g e n t au gré de l'intérêt. H e u r e u x l'écrivain d o n t l e s y e u x s e reposent sans cesse sur des scènes de b o n h e u r , dont la plume légère n'a que des situations t o u c h a n t e s , des pensées agréables à retracer! Satisfait d'un j o y e u x travail, sûr d'avance de faire s o u r i r e , il s é d u i t , il c o n s o l e , il e n t r a î n e , il fait jouir c o m m e il jouit l u i - m ê m e , il r e n d meilleur par l'exemple de la b o n t é , il r e n d h e u r e u x par le spectacle du b o n heur.
31
Mais celui qui n'a que des h o r r e u r s à décrire, que des crimes à faire détester, q u i , pour faire haïr les c o u p a b l e s , doit faire
apparaître
leurs victimes
avec
toutes leurs d o u l e u r s , avec toutes leurs souffrances ; qui partage l'anxiété de ces victimes pour les faire plaindre, leur i n d i g n a t i o n p o u r e x c i t e r à les v e n g e r ; a h !
celui - là souffre , mais il souffre être utile : c'est presque une vertu.
pour
LA FAMILLE NOIRE.
A.
QUELQUES
milles
d'une
côte
d'A-
frique vivait u n e famille, d o n t les q u a lités naïves a u r a i e n t assuré le b o n h e u r , si le b o n h e u r était
toujours
la r é c o m -
pense de la v e r t u . Mais hélas ! t o u t ce qui p e u t faire d é t e s t e r à l ' h o m m e son existence , t o u t ce qui p e u t
empoi-
s o n n e r ses s e n s a t i o n s , d é c h i r e r s o n â m e
et lui faire m a u d i r e le c i e l , se r é u n i t p o u r accabler cette famille i n n o c e n t e ; p o u r t a n t n'accusons pas le c i e l , il lui avait d o n n é t o u t c e qui p e u t c h a r m e r la v i e , t o u t ce qui p e u t inspirer la j o i e , faire naître l ' a m o u r , les d o u x liens d u
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sang, les plaisirs d e l'amitié, u n c h a m p , d e l ' a b o n d a n c e , u n e santé r o b u s t e , la j e u n e s s e , l'espérance....: les h o m m e s , les h o m m e s seuls détruisirent t o u t ; oui, t o u t . Ils o n t mis le désespoir o ù devait r é g n e r l'allégresse ; les convulsions d e la rage à la place d u sourire d e la r e connaissance; l'affreuse a t t e n t e du n é a n t dans des c œ u r s o u v e r t s à l'espoir d e l'éternité. E x c i t é s p a r les E u r o p é e n s , séduits p a r l'aveugle désir des richesses , entraînés par u n e basse cupidité , d e u x partis insensés v e n a i e n t d e se d é c l a r e r la g u e r r e . L ' u n sur l'autre ils f o n d e n t avec f u r i e ; les c h a u m i è r e s sont en feu ; les c h a m p s d e riz sont dévastés; il n'est plus de r e p o s , il n'est plus de salut p o u r les familles r u i n é e s et poursuivies jusque dans l e u r s forêts; enfin, les v a i n q u e u r s
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se r e t i r e n t e m m e n a n t l e u r s prisonniers qu'ils vont v e n d r e c o m m e d e viles m a r chandises, leurs prisonniers, leurs frères, leurs c o m p a t r i o t e s , l'objet d e l e u r avidité , et plus e n c o r e de celle des E u r o péens d o n t les vaisseaux sont p r ê t s à enlever leurs victimes. O m o n c h e r T a ï , c'en est d o n c fait, je ne te v e r r a i plus ! T e voilà p o u r jamais p e r d u p o u r t o n f r è r e , p o u r ta famille, p o u r ta patrie ; tes b r a s n e s'enl a c e r o n t plus a u x m i e n s ; jusqu'au-delà des m e r s , des b a r b a r e s v o n t t ' e m m e n e r e n c h a î n é ; t u n e te m ê l e r a s p l u s à n o s danses joyeuses, tes chants ne d o n n e r o n t plus le signal à nos c h a n t s . A h ! nous ne danserons plus, nous ne chanterons plus; u n silence é t e r n e l , u n silence de m o r t doit seul r é g n e r p a r m i n o u s . G a r dons n o u s , par a u c u n b r u i t , d e r é v é l e r
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n o t r e existence a u x d i e u x , ils n e se s o u v i e n n e n t de nous que p o u r n o u s e n v o y e r des m a u x , q u e p o u r n o u s charger d e souffrances ; c a c h o n s - n o u s bien à l e u r s r e g a r d s ; le j o u r n'est pas loin o ù le ne'ant n o u s sauvera de l e u r f u r e u r . O m o n f r è r e , m o n frère, si d u moins n o u s avions souffert e n s e m b l e ! Cher T a ï , lorsque t u quitteras d'indignes f e r s , lorsque t u échapperas à u n e vie de d o u leur, j'aurais d u moins choisi la t e r r e qui c o u v r i r a t o n corps m e u r t r i , je l'aurais choisie bien d o u c e , b i e n fine, bien légère
et t u es p e r d u p o u r m o i , et je
ne te v e r r a i plus ! . . . Ainsi parlait P h é n o r , et d e s larmes c o u v r a i e n t son visage amaigri, et ses mains a r r a c h a i e n t ses c h e v e u x . P u i s , croisant ses b r a s sur sa p o i t r i n e ,
avec
u n e force c o n v u l s i v e , il fixa ses y e u x
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devant lui avec l'expression de la d é m e n c e , avec l'effroi
d'un ê t r e a b r u t i
p a r l'excès d u m a l , qui n'ose c o n t e m pler la t e r r e , qui n e lui p r o m e t q u e des p e i n e s , et n e saurait rien d e m a n d e r au ciel d o n t il n e p e u t q u e nier ou m a u d i r e la puissance. Ainsi le c r i m e d e s E u r o p é e n s a, n o n s e u l e m e n t c o u v e r t c e t t e t e r r e africaine de désastres et d e m i s è r e , mais il a enlevé à la fois la paix et la religion à ses enfans infortunés ; n o n seulement l e u r p r o j e t a n n o n c é de c o n v e r t i r l'Africain i d o l â t r e n e p o u v a i t ê t r e q u e d é risoire , mais e n c o r e ils o n t a r r a c h é au n è g r e m a l h e u r e u x t o u t e consolation r e ligieuse, t o u t e i d é e d e divinités b i e n faisantes. C o m m e n t supposer u n Dieu j u s t e , o ù des i n n o c e n s sont tous les jours victimes des m é c h a n s , u n e p r o -
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tection c é l e s t e , o ù le c r i m e seul t r i o m p h e à t o u s les y e u x . P h é n o r rejoignit sa famille, son h a b i t a t i o n grossière avait été r é d u i t e en c e n d r e s ; il fallut c o n s t r u i r e à la h â t e u n e h u t t e sauvage , a b r i b i e n imparfait, mais indispensable à la p a u v r e famille. Les champs d e riz a v a i e n t été b r û l é s ; t o u t espoir d e r é c o l t e était d é t r u i t , la famine
se fit b i e n t ô t
sentir.
Phénor
r é s o l u t d'aller à plusieurs milles é c h a n g e r quelques fruits d e son i n d u s t r i e c o n t r e des provisions nécessaires à l'existence de ses p a r e n s et d e l u i - m ê m e ; il se dirigea v e r s les côtes les plus voisines d u lieu qu'ils h a b i t a i e n t .
U n négrier
ve-
nait d e m e t t r e à l ' a n c r e . P h é n o r f r é m i t , et, par un mouvement machinal, porta la main à son c ô t é , c o m m e p o u r s'ass u r e r d'une a r m e en cas de besoin ( 1 5 ) ;
39 il n'en avait point. Il se p r o m i t d e n e plus v o y a g e r sans ce s e c o u r s , a b r é g e a le plus qu'il lui fut possible ses affaires, et se r e t i r a plein d e pensées sinistres. En v a i n , à son r e t o u r , son p è r e v o u lut-il r e m e t t r e q u e l q u e s é c u r i t é dans son â m e . J e puis , dit-il, a v o i r le c o u r a g e de s u p p o r t e r le sort qui m ' a t t e n d ; je puis m ê m e m e résigner à la m o r t , d e m e u r e r tranquille
mais
et serein l o r s q u e
l'ennemi est l à , l o r s q u e les piéges sont t e n d u s sous c h a c u n d e n o s p a s , lorsque les haines s'éveillent, l o r s q u e pas un de nous, peut-être,
ne doit e s p é r e r
de
voir les r é c o l t e s p r o c h a i n e s ; c'est ce qui m'est impossible , b i e n impossible , puisque je n e le ferais m ê m e pas p o u r vous, mon père. Puis,
a v e c v é h é m e n c e , il ajouta :
Mon p è r e , non
seulement vous avez
40
perdu un
fils,
mais avez-vous oublié
votrefrère?avez-vous oublié q u e chargé, p a r les traîtres e u r o p é e n s , d ' u n e mission dans des c o n t r é e s l o i n t a i n e s , il se vit pris et chargé d e chaînes p a r leurs c o m p l i c e s , tandis q u e sa m a l h e u r e u s e famille , d e m e u r é e en otage s u r le vaisseau des perfides, fut t r a i t é e en e s c l a v e , et t e n d i t v a i n e m e n t l e s b r a s à l'infortuné p e r d u p o u r elle ? A ce s o u v e n i r le vieillard s o u p i r a , sa t ê t e t o m b a sur sa p o i t r i n e ;
le j e u n e
h o m m e se tut. P h é n o r possédait u n c a r a c t è r e d é c i d é , b e a u c o u p d e finesse et d e perspicacité. L'état d'enfance
où
le m a l h e u r ,
les
craintes continuelles, et p a r c o n s é q u e n t le p e u d e p r o g r è s d e la plongeaient l'Afrique,
civilisation,
n e pouvait lui
p e r m e t t r e d e d e v e n i r u n homme r e m a r -
41 quable. E n E u r o p e , il e û t
développé
p e u t - ê t r e u n grand ge'nie ; en A f r i q u e , il fut u n g r a n d infortuné ; mais son esprit, b e a u c o u p plus vif q u e celui d'un grand n o m b r e d e ses f r è r e s , lui fit a p p r é c i e r plus a m è r e m e n t les injustices d u s o r t ; il sut analyser , p o u r ainsi d i r e , ses souffrances;
et son coeur, fait p o u r
con-
naître les sentimens n o b l e s , b r i s é p a r l'excès des m a u x , n e c o n n u t plus q u e la haine e t le r e s s e n t i m e n t . Mille besoins se faisaient sentir c h a q u e jour d a n s la famille de P h é n o r ; les s u b sistances m a n q u a i e n t , et les m o y e n s d e s'en p r o c u r e r étaient difficiles, et s o u vent d a n g e r e u x . P h é n o r , b i e n a r m é , la main sur son p o i g n a r d , reprit le chemin des c ô t e s ; il voulait faire e n c o r e q u e l ques é c h a n g e s , e t aviser a u x m o y e n s de se c r é e r d e nouvelles c o m m u n i c a -
42
lions a v e c les habitans qui avaient eu le b o n h e u r de se t r o u v e r h o r s des p o r t é e s de la g u e r r e . Il aurait pu engager
sa
famille à v e n i r c h e r c h e r u n asile a u x lieux o ù régnait e n c o r e
l'abondance,
mais l'horrible négrier était l à , sa v u e ne pouvait inspirer q u e d e n o i r e s idées ; u n e voix l u g u b r e semblait s'élancer d e s o n s e i n , et faire r e t e n t i r a u x oreilles d u noir : F u i s , fuis ; t r o p t ô t , hélas ! t u n e p o u r r a s plus fuir. U n r a s s e m b l e m e n t frappe t o u t à coup les y e u x de P h é n o r , il distingue des v i sages d ' E u r o p e , il tressaille et v e u t s'él o i g n e r ; u n m o u v e m e n t i n v o l o n t a i r e le r e t i e n t ; il r e p o r t e ses r e g a r d s s u r la foule a g i t é e , il n ' e n t e n d q u e des voix confuses, et p o u r t a n t son coeur bat a v e c v i o l e n c e ; il se s e n t , c o m m e malgré l u i , poussé de ce c ô t é ; il s ' a p p r o c h e ,
il
43 touche enfin à ces objets d ' é m o t i o n et de t e r r e u r . U n e n f a n t , u n garçon
de
douze a n s , a u milieu de cinq o u six. E u ropéens , r e c e v a i t d ' e u x quelques sacs de farine, q u e l q u e s objets de n o u r r i t u r e , les m e t t a i t dans les m a i n s d'un
autre
garçon , à p e u p r è s d u m ê m e â g e , et lui disait : P o r t e b i e n vîte t o u t cela à m a mère et à m o n p è r e ; dis-leur q u e je m ' e n vais avec ces b l a n c s , p o u r q u e m e s pauvres p a r e n s aient à m a n g e r ; je r e viendrai p r è s d ' e u x q u e l q u e j o u r , ces gens-là m e l'ont promis. Malheureux enfant,
s'écrie P h é n o r ,
crois-tu d o n c q u ' o n r e v i e n n e de l à - b a s ? P a u v r e insensé ! ah ! le ciel m ' e n v o i e t-il p o u r s a u v e r m o n frère, o u p o u r ê t r e témoin d u plus affreux a t t e n t a t ? T u n e veux pas q u e tes p a r e n s m e u r e n t d e faim, mais ils m o u r r o n t de d o u l e u r s'ils
44 t e p e r d e n t . I s m é n i , m o n c h e r Isméni, r e v i e n s a v e c m o i , r e v i e n s près d e ton p è r e et d e ta m è r e , r e n d s ces provisions perfides , rends-les, I s m é n i ; viens? r e t o u r n o n s ensemble ! L e m a r c h é est c o n c l u ; t o u t est fini, d i r e n t les E u r o p é e n s , en r e t e n a n t fort e m e n t l'enfant qui voulait se j e t e r dans l e s b r a s d e son f r è r e . — V o u s m'avez peutê t r e t r o m p é , dit I s m é n i , q u e les paroles d e P h é n o r avaient effrayé ;
je ne veux
plus v o u s s u i v r e , r e p r e n e z vos sacs. — N o u s n e t'avons point t r o m p é , r é p o n d i r e n t les b l a n c s , t u es v e n u
t'offrir
t o i - m ê m e , n o u s a v o n s a c c e p t é l'échange que tu n o u s proposais : t o u t est fini pour t o i , m a r c h o n s . — B a r b a r e s , s'écrie encore P h é n o r , avez-vous j u r é de n'avoir auc u n e foi a v e c les n o i r s , o u la perfidie est-elle u n e loi de vos climats ? n ' a u r e z
45
vous a u c u n e
pitié p o u r u n ê t r e
in-
nocent qui n e sait ce qu'il fait? Dans votre p a y s , l o r s q u ' u n enfant v o u s
de-
mande u n p o i s o n , vous le lui d o n n e z donc, barbares ? T o u t est fini p o u r l u i , r é p é t è r e n t avec impatience les matelots d u n é g r i e r ( car tels étaient ces gens-là, m a l h e u r e u s e m e n t p o u r P h é n o r ) ; et si tu parles e n c o r e sur ce t o n , n o u s t ' a p p r e n d r o n s à te taire, nous te d o n n e r o n s des leçons d ' u n éternel silence.—Eh bien ! e m m e n e z - m o i plutôt à sa place, puisque rien n ' a r r ê t e votre c r u a u t é . — N o u s p o u r r i o n s bien vous emmener tous d e u x . — Phénor, indigné, ébranla son poignard. U n e v o i x lointaine fit e n t e n d r e alors ces mots : P h é n o r , P h é n o r , ta m è r e ex-? p i r e ; elle t ' a p p e l l e , elle v e u t te
voir
e n c o r e . — M a m è r e , m a m è r e , ô Dieu !
46 mais m o n m a l h e u r e u x frère ; n o n , je ne puis l ' a b a n d o n n e r . P h é n o r , dit encore la m ê m e voix avec u n a c c e n t solennel, ta m è r e e x p i r a n t e t ' a t t e n d . Ma m è r e , je t ' o b é i s , dit a v e c effort et d'une voix étouffée le m a l h e u r e u x noir : A d i e u , adieu, mon frère. D é c h i r é p a r la d o u l e u r la plus poig n a n t e , a n é a n t i p a r l'excès du désespoir, P h é n o r précipite ses p a s . A u d é t o u r d'un petit b o i s , u n n è g r e se jette à son c o u . O P h é n o r ! dit c e l u i - c i , n'as-tu pas r e c o n n u la voix de l'amitié? P a r d o n n e , je t'ai t r o m p é ; mais t o n d a n g e r seul m'a inspiré d a n s cet instant affreux. J'ai t o u t v u , t o u t e n t e n d u , j'ai t r e m b l é , je m e suis é l o i g n é , je t'ai s a u v é . P h é n o r ! en r e s t a n t près de l'infortuné I s m é n i , tu ne pouvais q u e t e p e r d r e a v e c lui et causer d e u x m a l h e u r s a u lieu d'un. Mon
47
b o n a m i , ta m è r e se p o r t e b i e n ,
tes
p a r e n s e x i s t e n t , il faut vivre p o u r e u x . G é n i e d e l ' a m i t i é ! les b l a n c s seuls p e u v e n t le m é c o n n a î t r e . E u x s e u l s , absorbés par un intérêt criminel, peuvent n i e r q u e t u agisses s u r t o u t e s les p u i s sances d e l'âme d u n o i r . Cet enfant infortuné
d'un
climat e n v a h i se
comme n o u s , ému par un
sent,
sentiment
profond ; c o m m e n o u s , il p e u t se d é v o u e r p o u r s a u v e r u n ami. A h ! c o m m e n o u s , l ' a m o u r et l'amitié l'inspirent ! Il n'est plus temps d e r e t o u r n e r sur ses pas. P h é n o r le voit bien ; il adresse un
reproche,
m a i s ce r e p r o c h e est si
d o u x ! 1 s e r r e la m a i n d e celui d o n t la t e n d r e s s e l ' a b u s a , il s o u p i r e ; q u e d e r e g r e t s , q u e de c r a i n t e s d a n s ce soupir! A l l o n s , d i t - i l , allons v o i r m a
mère.
P h é n o r , près d e ses m a l h e u r e u x p a r e n s ,
48 P h é n o r , p r o d i g u e de ses soins
pour
a d o u c i r la p e r t e de son f r è r e , pressentait d e nouvelles é p r e u v e s . Il e n c o u r a geait sa famille , il la forçait d e sourire à sa v o i x , et p o u r t a n t u n frisson m o r t e l , a v a n t - c o u r e u r de nouvelles souffrances p r é c u r s e u r de m a l h e u r s p r o c h a i n s , s'était e m p a r é d e t o u t son ê t r e ; ses sens étaient t r o u b l é s , et i n t é r i e u r e m e n t t o u t e son énergie l ' a b a n d o n n a i t . Ce n o i r , c e t a m i fidèle , d o n t le s t r a t a g ê m e avait s a u v é ses jours et sa c h è r e l i b e r t é , était lié p a r u n s e n t i m e n t
ten-
d r e a v e c la j e u n e T h o r é e , sa s œ u r . Il partageait les chagrins d e la famille d e son a m i e , il partageait les justes craintes d e P h é n o r . Il v i n t t r o u v e r l e s p a r e n s d e T h o r é e : Mon p è r e ! ma m è r e ! m e s a m i s ! dit-il, fortifions a u t a n t qu'il est en n o u s les liens q u e le ciel nous per-
49 m e t de f o r m e r ; plus n o u s s e r o n s u n i s , m o i n s le m a l h e u r osera n o u s a t t e i n d r e ; le destin c r u e l r e s p e c t e r a p e u t - ê t r e n o s chaînes f o r t u n é e s ; s'il n o u s a c c a b l e , si les chaînes d e l'esclavage l ' e m p o r t e n t , n o t r e vie c o u r t e a u r a
du moins été
remplie; donnez-moi ma T h o r é e pour femme. T h o r é e lui fit u n d o u x s o u r i r e ; elle l'entoura de ses b r a s caressans. O u i , d i t - e l l e , donnez-lui T h o r é e ! P u i s s e - t u , ma
s œ u r , dit P h é n o r ,
t r o u v e r en lui u n a p p u i , et q u e l q u e j o u r un s a u v e u r ! T o u t f u t c o n c l u d e s u i t e , on fît quelq u e s a p p r ê t s ; les familles les plus p a u v r e s , les plus i n f o r t u n é e s , v e u l e n t t o u jours q u e le m o m e n t qui sanctifie
le
c h a n g e m e n t d'état de l e u r s enfans, qui fait de l e u r s filles des f e m m e s , d e leurs
50
fils des chefs d e famille, à l e u r t o u r , ait q u e l q u e a p p a r e n c e d e fête. Mais quelle fête en c e j o u r , grand D i e u ! Les pauv r e s n o i r s souriaient à des t o m b e a u x ; leurs concerts
étaient
un
bruit
de
chaînes. C e p e n d a n t des v o y a g e u r s p a r c o u r e n t la c o n t r é e h a b i t é e p a r P h é n o r . Ils a r rivent p r è s de
son toit
grossier;
ils
frappent à sa p o r t e h o s p i t a l i è r e , et cette p o r t e s ' o u v r e à l'instant p o u r eux. Ils sont blancs ces v o y a g e u r s ; leurs visages p o r t e n t n a t u r e l l e m e n t , p o u r les y e u x des noirs, u n e e m p r e i n t e e n n e m i e ; l e u r coul e u r rappelle des crimes et des m a u x sans n o m b r e , mais ils i m p l o r e n t l'hospitalité; ils s e r o n t bien r e ç u s ; ils paraissent fat i g u é s ; ils r e p o s e r o n t
e n s û r e t é leurs
t ê t e s , ils o n t souffert sans d o u t e dans ces c o n t r é e s i n c o n n u e s p o u r e u x : tous
51
les s e c o u r s , tous les soins l e u r
seront
prodigués. O procédés généreux ! âmes innocentes et p u r e s ! h u m a n i t é , qui seule d é c e lerait la n o b l e s s e d ' u n e r a c e o u t r a g é e , si t o u t e s les v e r t u s d o m e s t i q u e s , p r a t i quées p a r e l l e , n e suffisaient pas p o u r c o n f o n d r e ses c a l o m n i a t e u r s ! quelle sera votre r é c o m p e n s e ? Pauvres agneaux! vous-mêmes vous tendez votre innocente ,
vos b o u r r e a u x
gorge
s'applau-
dissent d e v o t r e i m p r u d e n t e s é c u r i t é ; l'enfer a d i c t é l e u r s o u r i r e . Le j o u r allait p a r a î t r e ; T h o r é e allait dire à son a m a n t : J e suis à toi. U n j u g e , u n c o n s t a b l e , u n e espèce d e c o m m i s saire enfin, d o n t l ' a u t o r i t é était r e c o n n u e dans l ' e n d r o i t , p é n è t r e dans la c h a u mière. I l a r r ê t e l ' é p o u x d e la j e u n e n é gresse. E n u n instant c e t infortuné est
52 a c c u s é d'un crime i m a g i n a i r e , de s o r cellerie. E n u n instant il est soumis à c e t t e é p r e u v e perfide, i n v e n t é e p a r la cupidité des b l a n c s , p o u r p e r d r e sans r e t o u r l'innocent qui n e p e u t résister a u x m o r t e l s effets d ' u n poison
subtil.
C e t t e cupidité i n f â m e , cette rage i m p i e , les E u r o p é e n s insatiables l'ont fait passer d a n s l'âme d e m a l h e u r e u x i n s e n s é s , d e n è g r e s avilis. D a n s ces c o n t r é e s , tout semble soumis a u génie d u mal. Q u e p o u r r a i e n t les l a r m e s d e l ' i n n o c e n c e , les prières du désespoir c o n t r e la soif des richesses, c o n t r e les calculs enivrans d ' u n e a m b i t i o n d é s o r d o n n é e dans
un
ê t r e qu'on a e n t i è r e m e n t privé du feu s a c r é de l'intelligence ; l o r s q u e t o u s les efforts réunis des cris déchirans des victimes e t des cris d u r e m o r d s v e n g e u r ne p e u v e n t rien sur des h o m m e s qui se
4
53
disent pleins de raison, et pénétrés des préceptes d'une religion divine? Les impies triomphent ; le poison a produit son effet accoutumé, le jeune noir est mourant. Il est criminel, il n'en peut exister aucun doute; qu'il soit donc à l'instant vendu, lui, si les exorcismes parviennent à chasser l'esprit malin de son sein déchiré, c'est-à-dire si le contre-poison peut le rendre à la vie ; et toute sa famille, père, m è r e , frère, sœur, tous ceux que leur âge rend dignes des regards des propriétaires des négriers voisins! T o u t s e p a s s e selon les ordres donnés.
Qui peut exprimer l'horrible
abatte-
ment , la sombre douleur, les mortelles palpitations qui viennent de s'emparer de l'inconsolable fille? En un jour, en une h e u r e , elle a tout perdu, tout! Pour
54 elle plus d ' e s p o i r , plus d ' a v e n i r ! U n cap r i c e d e brigands forcenés a t o u t d é truit! A m o u r , a m o u r ! s o u r c e o r d i n a i r e de joies et d e d é l i c e s , t u n'es d o n c , pour les enfans de la t e r r e africaine, q u ' u n e source
d'amertume
et d e
désespoir ?
T o i a u s s i , t o i , qui consoles de t o u t ; t o i , q u e l ' a m b i t i o n n e saurait a t t e i n d r e , et q u i , fier d e t a l i b e r t é , d e t o n souffle ind é p e n d a n t , et d e tes trésors r é p a n d u s a u h a s a r d et prodigués à t o u s , b r a v e s les chaînes d e l ' e s c l a v a g e , et t e j o u e s , a v e c a u d a c e , d e la c o l è r e des t y r a n s de la t e r r e ; t o i , qui d o n n e s le b o n h e u r au sein d e l ' a d v e r s i t é , et s è m e d e roses brillantes le lit m ê m e de la d o u l e u r , t u v e u x d o n c n ' ê t r e , p o u r le n è g r e m a l h e u r e u x , q u ' u n e t o r t u r e de plus, q u ' u n poison d é v o r a n t ! H é l a s ! le ciel, dans sa
55
b o n t é , t ' e n v o y a a u x h o m m e s , et les h o m m e s t'ont dit : A m o u r ! t u es le d o n le plus p r é c i e u x d u ciel ! mais des b a r b a r e s , a u m é p r i s des o r d r e s d u C h r i s t , et profanant le signe r é v é r é d e sa croix qu'ils a d o r a i e n t en a p p a r e n c e , o n t abord é , avides d e c r i m e s , d a n s ces climats n o u v e a u x p o u r eux ; h e u r e u x possesseurs de l'Evangile, c'est la h a i n e ,
le
mensonge et la perfidie qu'ils se sont empressés d e r é p a n d r e a u t o u r d ' e u x ; au lieu d e la p a r o l e d i v i n e , p a r o l e d e d o u c e u r et d'égalité, ils o n t s e m é les v i c e s , la c r u a u t é , le d é s e s p o i r , et ils o n t dit : N o u s faisons des c h r é t i e n s ! O blasp h ê m e frappé de la f o u d r e céleste ! seul e m e n t p o u r t o i , et p o u r t o u s les crimes que t u e n f a n t e s , D i e u , sans d o u t e , s'est n o m m é le Dieu d e s v e n g e a n c e s ! Ce n ' é tait pas assez q u e d e v o l e r des h o m m e s
56
à l e u r p a t r i e , il fallait enlever t o u t b o n h e u r à ces h o m m e s . Il l e u r restait l'am o u r ; e h b i e n ! d i r e n t les b a r b a r e s , que l ' a m o u r soit p o u r e u x u n supplice ! Les p a r e n s d e T h o r é e
sentent
ses
m a u x , et p r o d i g u e n t , sans e s p o i r , des consolations impuissantes.
Phénor
se
sent agité d ' h o r r i b l e s frémissemens. Il r e g a r d e s a s œ u r , il r e g a r d e a u t o u r d e l u i , il n e voit q u e s o u f f r a n c e s , q u e r e g r e t s , q u e t e r r e u r s . Des l a r m e s et des sanglots, voilà t o u t c e qui se r é p è t e d a n s c e c e r c l e d'infortunés. P h é n o r j e t t e u n r e g a r d sur les blancs qu'il a r e ç u s d a n s sa c a b a n e ; il est surpris d e v o i r leurs y e u x s e c s , leur expression indifférente et p r e s q u e farouche. Il c r o i t m ê m e r e m a r q u e r u n signe fait p a r e u x a u x satellites d u pouvoir q u i sont v e n u s s ' e m p a r e r d u n o i r e m p o i s o n n é , et q u i déjà r é c l a m e n t
57
les p a r e n s d e la v i c t i m e . E s t - c e u n e err e u r ? est-ce un mystère ? Q u e les préjugés o n t d e f o r c e , qu'ils sont d a n g e r e u x p o u r le b i e n - ê t r e , p o u r la v e r t u d e s h o m m e s ! Ces b l a n c s , q u e l q u e soit l e u r e n d u r c i s s e m e n t , q u e l q u e b a r b a r e q u e soit leur
profession , q u e l s q u e soient enfin
leurs projets c r i m i n e l s , n ' a u r a i e n t
pu
d e m e u r e r insensibles à la m o i t i é
des
d o u l e u r s d o n t ils ont é t é les t é m o i n s , si ces d o u l e u r s a v a i e n t frappé d e s b l a n c s . Ils n ' a u r a i e n t p u c o n t e m p l e r d e sang froid les angoisses d e l ' i n n o c e n t e T h o r é e ; les l a r m e s q u e l e supplice d ' u n a m a n t c h é r i a r r a c h a i t à c e t t e fille
déchirée
d ' h o r r e u r et d ' a m o u r , si T h o r é e e û t été b l a n c h e . N o n , n o n , il n'existe p o i n t de m o n s t r e s q u i puissent r e s t e r , d e sang froid, p r é s e n s à d e pareils spectacles ; 3*
58 mais les préjugés r e n d e n t t r o p souvent les h o m m e s plus affreux q u e des m o n s tres. L e c r i m e était loin e n c o r e d ' ê t r e s a tisfait. Les p a r e n s de T h o r é e c h e r c h a i e n t le r e p o s s u r l e u r c o u c h e ; P h é n o r , seul s o u t i e n d e ces m a l h e u r e u x , était e n course lointaine,
les é t r a n g e r s r e p o -
saient-ils? N o n . Ils o n t p é n é t r é p r è s de la j e u n e fille; f a t i g u é s d e d o u l e u r , ses y e u x v i e n n e n t d e s ' a p p e s a n t i r ; elle sommeille, mais elle s o u p i r e , mais elle p l e u r e e n c o r e ! Les b l a n c s b r a v e n t l'hospitalité, ils étouffent la r e c o n n a i s s a n c e , u n voile est j e t é p a r e u x s u r la p a u v r e négresse ; sa b o u c h e est c o m p r i m é e , a u c u n e l u m i è r e n e saurait f r a p p e r s e s y e u x ; e l l e se réveille
ô q u e l r é v e i l ! un h o r -
rible supplice, p r é l u d e d e supplices n o u v e a u x ! Les b a r b a r e s p r é c i p i t e n t l e u r s pas
59 et vont d é p o s e r l e u r p r o i e s u r u n v a i s seau p e r f i d e , h a b i t u é à r e c e l e r des v i c times ; ils se félicitent d ' a v o i r r a v i e n c o r e u n e v i e r g e i n n o c e n t e à la m a l h e u r e u s e Afrique. D e c r u e l s , d e p r o f o n d s gémissemens sont l a s e u l e v e n g e a n c e des p a r e n s d e l'infortunée. Sa m è r e
b a r b a r e s ! est-
il d o n c d e u x souffrances, d e u x a m o u r s m a t e r n e l s ? Ces entrailles
noires
que
v o u s d é c h i r e z sans a u c u n e p i t i é , n ' o n t elles pas, c o m m e celles d e v o s m è r e s , t r e s sailli mille fois'de t e n d r e s s e et d ' a n x i é t é ? Et v o u s v e n e z l e u r a r r a c h e r
l'espoir
d e s j o u r s d e l ' a v e n i r , l e fruit d e t a n t d e s e c o n d e s d e sollicitude et d ' a m o u r ! V o u s n ' a v e z d o n c jamais a i m é vos m è r e s , v o u s n ' a i m e r e z d o n c jamais v o s enfans? A h ! puissent ces enfans v i c t i m e s
des
h o m m e s , p o u r s u i v i s p a r l'injustice
ou
60 engloutis d a n s les o n d e s , v o u s faire sentir à l e u r t o u r les d o u l e u r s q u e vous prodiguez. Et v o u s , m è r e s , v o u s que d e s climats plus h e u r e u x v i r e n t n a î t r e , m a i s q u e le m ê m e D i e u d o u a d e s e n t i m e n t et d e v i e , é c o u t e z v o s soeurs qui souffrent et gémissent : c e s o n t v o s fils qui o u t r a g e n t des m è r e s , q u i se plaisent à les assassiner. Ah ! q u e v o s v o i x s'élèvent contre eux avec les n ô t r e s , et que votre malédiction imprime , jusque d a n s l ' a u t r e v i e , sur le front d e ces ê t r e s d é n a t u r é s , u n trait v e n g e u r , u n trait ensanglanté ! Phénor revint cette nuit m ê m e ; malh e u r , m a l h e u r s u r n o u s , dit-il a v e c u n s o m b r e désespoir ! Il
contempla
les
l a r m e s d e ses p a r e n s : O Dieu ! s'écriat-il, o ù es-tu d o n c ? et q u ' a v o n s - n o u s fait qui t'offense? Ces h o m m e s se n o m m e n t
61 c h r é t i e n s , je le sais ; ils v e u l e n t q u e n o u s t ' a d o r i o n s c o m m e e u x ; ils disent q u e le Christ est le D i e u parfait, q u e ses lois s o n t d i v i n e s ; ils disent qu'ils les s u i v e n t ces l o i s ; j e les i g n o r e , m o i , mais elles o r d o n n e n t d o n c le m e u r t r e , elles p r o t è g e n t d o n c t o u s l e s c r i m e s ? ô D i e u ! si t u existes, r e p l o n g e - m o i d a n s le n é a n t , c'est le seul destin d ' u n n o i r , c'est sa seule c r o y a n c e , s o n seul d é s i r , t o u t son e s p o i r ; c e u x qui se disent tes enfans m e font h o r r e u r . L'homme d é t e r m i n é , l'homme cour a g e u x n e cesse d e l u t t e r c o n t r e le s o r t q u ' à la d e r n i è r e e x t r é m i t é : P h é n o r était c e t h o m m e . P e r s u a d é q u e sa soeur ser a i t e m b a r q u é e s u r u n b â t i m e n t faisant la t r a i t e , il se r e n d i t à la c ô t e . L e h a s a r d le s e r v i r a i t , p e u t - ê t r e p o u r r a i t - i l la sauv e r , la v e r r a i t - i l a u moins e n c o r e u n e
62 fois? q u e n e d o n n e r a i t - i l point p o u r soulager ses peines ! L a délicatesse est p a r t o u t fille d e
l'ami
souffrances p o u r soulager celles d e l'objet qu'il a i m e . L a n a t u r e r e n d i t le coeur h u m a i n susceptible d ' é p r o u v e r t o u s les n o b l e s , t o u s les d o u x s e n t i m e n s . Les préjugés et les passions sociales o n t seuls étouffé c e p u r instinct d e la n a t u r e . Plusieurs bâtimens étaient à l'ancre. L e j o u r c o m m e n ç a i t à p a r a î t r e , mais le t e m p s était s o m b r e . T o u t à c o u p le signal d u d é p a r t est d o n n é sur l'un des n a v i r e s . P h é n o r l'aperçoit ; il c o u r t , il s ' a p p r o c h e ; son c œ u r b a t a v e c v i o l e n c e , d e s cris se font e n t e n d r e , des m e n a c e s e t d e s c o u p s l e u r r é p o n d e n t aussitôt. U n e j e u n e fille p a r a î t sur le tillac, elle s'élance d a n s la m e r , c'est T h o r é e ! c'est la p a u v r e T h o -
63 rée ! P h é n o r pousse u n c r i , mais sa soeur a été aussitôt saisie par u n m a t e l o t ; elle est jetée sur le vaisseau, et de v i g o u r e u x coups de fouet lui r e n d e n t impitoyablem e n t la c e r t i t u d e de son h o r r i b l e existence. P h é n o r a t o u t v u ; il ne p e u t q u e jeter des cris p e r ç a n s , t e n d r e les b r a s à sa m a l h e u r e u s e amie q u e le navire
em-
p o r t e loin d e l u i , et a c c u s e r le ciel qui A
p e r m e t tant d'outrages. E t r e que j'ignore, s'écrie-t-il, génie puissant, maître de l'univ e r s , ne la v e n g e r a s - t u pas, n e s a u v e r a s tu pas l ' i n n o c e n c e , n ' é c o u t e r a s - t u
ja-
m a i s nos p l a i n t e s ! P h é n o r suit des y e u x le vaisseau, au loin les ondes mugissent, le ciel s ' o b s c u r c i t , le t o n n e r r e g r o n d e , le b â t i m e n t fuit a v e c r a p i d i t é ; n ' i m p o r t e , l'orage va l'atteindre. P e u t - ê t r e elle va p é r i r , d i t le nègre en f r é m i s s a n t . P u i s ,
64
après u n m o m e n t de s i l e n c e , il r e p r e n d avec u n e s o r t e d'enthousiasme et de délire : O m a c h è r e T h o r é e ! la m o r t est mille fois préférable à l'esclavage qui t ' a t t e n d ! O toi, que je n e connais p a s , que m a raison, q u e m o n m a l h e u r rejette, il en est t e m p s , p r o u v e - m o i qu'il est u n Dieu v e n g e u r ! S'il est u n e d e m e u r e a u dessus de n o u s , si des anges l'habitent, s'il existe de b i e n h e u r e u x
immortels,
q u e l'innocente T h o r é e p r e n n e
place
A
a u milieu d ' e u x ! E t r e inconnu, e x a u c e m a p r i è r e , sauve-la de la v i e , tends-lui les b r a s , ô tends-lui les b r a s ! A peine P h é n o r achevait ces m o t s , q u ' u n e nuit profonde c o u v r i t la t e r r e ; mais à la l u e u r d'un éclair p r o l o n g é , le noir a p e r ç u t le vaisseau p r ê t à s'engloutir dans l'immense a b î m e . Soit c r a i n t e , soit i m p r u d e n c e , soit c u p i d i t é , le capitaine
65
négrier avait t r o p précipité son départ; maintenant poussé p a r u n v e n t furieux, le b â t i m e n t ne pouvait plus résister a u x vagues et attendait t o u t d u h a s a r d , maît r e de son salut. T r o i s fois la foudre le frappa, trois fois le ciel en feu le fit a p paraître e n c o r e a u x
yeux de Phénor
é p o u v a n t é ; enfin e n t i è r e m e n t e m b r a s é , il disparut
Génie bienfaisant, s'écria
P h é n o r en se précipitant à g e n o u x , t u m'as e n t e n d u ! et t o i , ange d u ciel, s œ u r c h é r i e , é c o u t e - m o i de t o n séjour de gloire ; protège t o n m a l h e u r e u x frère et la famille qui te p l e u r e ! fais que la m a i n puissante qui s'ouvrit p o u r toi nous appelle, et q u e , b i e n t ô t r é u n i s , nous oubliions, s'il est possible, qu'il existe des blancs. Il d i t , et resta long-temps prosterné dans la poussière.
66
L ' i m p é t u e u x t o r r e n t qui brise ses ent r a v e s n ' e n l è v e pas seulement les riches moissons d u village; il entraîne les v i gnes, d é r a c i n e les a r b r e s , i n o n d e les campagnes, et d é t r u i t m ê m e les c h a u mières. P a r t o u t il p o r t e la t e r r e u r , il frappe des milliers d ' ê t r e s , et sème tous les m a u x à la fois. Ainsi l ' E u r o p é e n d é moralisé p a r l ' h a b i t u d e , exalté p a r la réussite, n'a honte d ' a u c u n stratagème p o u r faire t o m b e r en sa puissance des esclaves n o u v e a u x . Ainsi le n o i r , e n proie à toutes les c r a i n t e s , en b u t t e à tous les piéges, voit t o m b e r a u t o u r d e lui tous les objets de sa t e n d r e s s e , voit b r i s e r tous les liens qui l'attachent à la société, et attend lui-même, à c h a q u e h e u r e de son existence, le c o u p qui doit le frapper. P e u d e mois s'étaient é c o u l é s ,
et
67 P h é n o r , d e v e n u l'unique consolation de ses p a r e n s , consacrait tous ses instans à veiller à la s û r e t é de ces êtres chéris. Mais q u e peut la p r u d e n c e d'un seul h o m m e c o n t r e des milliers d ' e n n e m i s ? r e t a r d e r le m o m e n t de sa p e r t e , et voilà tout. U n e n u i t , u n e fumée épaisse s'élève dans les a i r s ; son o d e u r réveille P h é n o r toujours p r o m p t à fuir le sommeil a u quel il ne se livre q u e r a r e m e n t , et qui ne b a n n i t jamais ses inquiétudes.
Un
bruit confus frappe son oreille ; il sort : déjà les c h a u m i è r e s s o n t e n t o u r é e s
par
d e s h o m m e s en a r m e s ; déjà les mots d e pillage, d ' a t t a q u e , de c o m b a t , le m o t , l'horrible
m o t d'esclavage
sont p r o -
noncés et le font frémir. Nous sommes p e r d u s , dit-il en se frappant le front
68
a v e c r a g e ; nos e n n e m i s , p e u t - ê t r e nos voisins, sont l à ; ils v i e n n e n t en force, excités par les blancs , p a r les blancs auj o u r d ' h u i leurs alliés, et demain leurs maîtres. C'en est fait!
ô mon père!
puissé-je vous c o u v r i r de m o n c o r p s ! ô ma m è r e ! p u i s s é - j e , a u p r i x de la m i e n n e , s a u v e r v o t r e v i e ! q u e dis-je? Ah! que je sois esclave s'il le f a u t , et q u e v o u s soyez libres ! Les voilà ! les voilà! a h ! voilà le n é a n t ; n o n , il n'est point de dieux p o u r nous. Bientôt, à la clarté sinistre d'un e m b r a s e m e n t g é n é r a l , les m a l h e u r e u x habitans distinguent l e u r s amis expirans sous le 1er, leurs parens m u t i l é s , leurs frères chargés de c h a î n e s . P h é n o r , d o n t le c o u r a g e sans espoir est toujours u n a u d a c i e u x h é r o ï s m e , presse c o n t r e son
69 sein sa m è r e c h a n c e l a n t e , et d é t o u r n e en m ê m e temps de t o u t son p o u v o i r les coups qui m e n a c e n t le vieillard qui lui d o n n a la vie. Mais l'heure de la m o r t a sonné p o u r
ce p a u v r e p è r e ; il est
f r a p p é , il n'est plus. P h é n o r , e n t o u r é de t o u t e s parts , fait un effort v i o l e n t , s'ouvre u n passage, e t , sa m è r e dans les b r a s , s'élance dans un bois voisin. L'instinct de la conservation d o n n e , chez les a n i m a u x , le courage et la sollicitude a u x m è r e s ; mais les petits, si bien défendus p a r e l l e s , l e s a b a n d o n n e n t p r e s q u e t o u j o u r s dès qu'ils peuvent se passer de leurs soins; dès-lors, ils ne les connaissent m ê m e plus. I c i ,
c'est
une m è r e â g é e , faible, infirme, qui ne peut plus ê t r e p o u r lui qu'un objet d e fatigues et d ' i n q u i é t u d e s , qu'un fils d é -
70
fend avec intrépidité. A h ! d i r e z - v o u s , c'est que ce fils est u n h o m m e . Blancs, b l a n c s , q u e ce m o t ne frappe pas seulem e n t v o t r e o r e i l l e , qu'il p é n è t r e vos â m e s ! O u i , ce n o i r est u n h o m m e ; en quoi d o n c vous est-il inférieur? Les fugitifs sont poursuivis dans le bois. J u s q u ' a u j o u r P h é n o r p e u t y cac h e r sa m è r e ; jusqu'au j o u r il s'y défend avec adresse. Enfin chassé à coups de flèches c o m m e u n e b ê t e fauve, et v o y a n t ces flèches m e u r t r i è r e s , ces flèches e m poisonnées t o m b e r par centaines a u t o u r de ce sein qui le p o r t a , il s'écrie : A r rêtez, arrêtez, cruels, écoutez-moi ? Je m e r e n d s , je suis j e u n e , je suis fort, je puis vous servir d e mille m a n i è r e s ; p r e nez-moi, accablez-moi de travail,
de
fatigues, de peines de toute espèce, mais épargnez ma m è r e ! Regardez-la cette
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pauvre m è r e , c e t t e p a u v r e vieille femme brisée p a r les t o u r m e n s et la d o u l e u r ! Contemplez ses m e m b r e s palpitans, ses chairs m e u r t r i e s , ce corps d e s s é c h é , bientôt elle n e sera plus ; ô
laissez-la
m o u r i r libre ! je v o u s servirai
pour
d e u x ; elle n e serait p o u r v o u s q u ' u n fardeau inutile, v o t r e intérêt c o m m e le cri de la pitié parle p o u r elle, qu'elle soit libre! m o i , je m e r e n d s à v o u s . Ainsi le b o n , l e r e s p e c t a b l e P h é n o r est e m m e n é c o m m e u n misérable esclave. Ainsi la piété filiale, la b r a v o u r e , la Vertu, l'héroïsme et l'intrépidité h o n o r é s chez tous les peuples de l ' E u r o p e , r é compensés dans t o u t e s les classes de la société, et respectés m ê m e s o u v e n t par nos v o l e u r s de grand c h e m i n , n'obtiennent en Afrique q u e des chaînes! qui d o n c la détruisit cette vénération natu-
72 relie ? qui le profana c e culte s a c r é ? Les E u r o p é e n s , les b l a n c s . L ' h o r r i b l e destinée d u
malheureux
n o i r était b i e n loin e n c o r e d ' ê t r e accomplie ; l'objet d e ses d o u l o u r e u s e s angoisses, c e t t e m è r e i n f o r t u n é e , il la vit t r a î n e r , sans r e s p e c t p o u r son age n i p o u r les p r i è r e s d e son v e r t u e u x fils, à la suite d e la c a r a v a n e ; il la vit c h a r g é e d e pesans f a r d e a u x , s u c c o m b e r à la fin sous le poids d e tant d e
souffrances
r é i t é r é e s . Il vit des h o m m e s impitoyables r a p p e l e r , p a r des c o u p s , la triste c r é a t u r e à la vie ! Ce fut p a r des cris a i g u s , p a r des a c c e n s d é c h i r a n s , qu'il exhala sa plainte a m è r e , qu'il fit p a r l e r son juste désespoir. Les cris des forcenés et leurs odieuses violences étouffèrent sa voix... Enfin,
a r r i v é p r è s d ' u n e habitation
i s o l é e , il supplia e n c o r e u n e fois ses
73
b o u r r e a u x d'avoir pitié d e sa m è r e et de la laisser près de la m a s u r e . Soit q u e ces h o m m e s farouches fussent e n n u y é s de ses plaintes, soit qu'ils crussent en effet pouvoir e n c o r e t i r e r parti de la f e m m e dont la taille était h a u t e et peut-être avant a g e u s e ; s o i t qu'ils fussent pressés dans leur m a r c h e p a r les blancs qui les e s c o r taient et qui voulaient a r r i v e r p r o m p t e m e n t a u x côtes où l e u r s b â t i m e n s de c o m m e r c e p o u r la traite les a t t e n d a i e n t , ils ne r é p o n d i r e n t q u e p a r u n c o u p violent d o n n é à cette m a l h e u r e u s e p o u r la faire m a r c h e r . P h é n o r , n e p o u v a n t résister à s o n i n d i g n a t i o n , s'élança p o u r la venger. Dans le m ê m e m o m e n t u n e j e u n e fille, qui se m o n t r a i t sur la p o r t e de la c h a u m i è r e , frappée d u m o u v e m e n t de P h é n o r et de l'objet de son vif i n t é r ê t , s'écria : O D i e u ! c'était ainsi qu'était m a 4
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mère : maîtres, maîtres,
je suis j e u n e ,
m o i , j ' a i quinze a n s , je puis t o u t supp o r t e r ; laissez cette p a u v r e vieille ici et p r e n e z Néala. O m o u v e m e n t électrique ! expression q u i r e m u e l'âme ! t u vins alors t ' e m p a r e r d u n o i r ! O p a u v r e n o i r ! tes y e u x , jusqu'à ce m o m e n t b r û l a n s et desséchés, f i x è r e n t Néala et se r e m p l i r e n t des h u m e s de la reconnaissance ! Les m a r c h a n d s s'approchèrent de la j e u n e fille; ils virent qu'elle était seule; Allons, v i e n s , dirent-ils b r u s q u e m e n t . Ils s'en saisirent, l ' a t t a c h è r e n t c o m m e les a u t r e s , et c h a r g è r e n t de m ê m e sa tête et ses é p a u l e s ( 1 8 ) .
Mais au g r a n d é t o n n e m e n t , a u g r a n d chagrin de N é a l a , ils c o n t i n u è r e n t d'ent r a î n e r a v e c eux la vieille négresse. Néala remplit l'air d ' e x c l a m a t i o n s touchantes ;
75
elle fut b a t t u e r u d e m e n t , u n frisson mortel s'empara d e P h é n o r . Enfin la p a u v r e négresse arrive a u t e r m e de ses f o r c e s , elle t o m b e . C e t t e fois, rien n e put la faire r e l e v e r : T u e z m o i , dit elle. On v o u l u t l'effrayer,
on
voulut la c o n t r a i n d r e e n c o r e , mais i n u tilement: Tuez-moi, répéta-t-elle,
et
elle ferma les y e u x . Alors o n délibéra ; au b o u t d e quelques m i n u t e s , u n c o u p violent lui fracassa la t ê t e , o n la d é pouilla; P h é n o r s'évanouit (19). Il n'est pas besoin de dire q u e les traitemens les plus b a r b a r e s
furent
em-
ployés p o u r le r a p p e l e r à lui et le forcer de se r e l e v e r : T u e z - m o i , leur dit-il à son t o u r , delivrez-moi de m e s m a u x , je n e m e r e l è v e r a i p l u s , je v e u x suivre m a m è r e . On le traita plus cruellement e n -
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core ; tout m e u r t r i , il r é p é t a : J e v e u x suivre m a m è r e . La colère des c o n d u c t e u r s n e connut plus de b o r n e s , les plus horribles s u p plices n e l e u r c o û t a i e n t r i e n , le c o u r a g e d u m a r t y r ne pouvait les é b r a n l e r ; il ne t o u c h a i t q u e le ciel, q u e les anges qui lui tendaient les b r a s . La résolution de P h é n o r paraissait i r r é v o c a b l e ,
lorsque
la v o i x la plus t e n d r e fit e n t e n d r e ces m o t s p r è s de lui : O P h é n o r ! vis p o u r m o i , vis p o u r N é a l a ; Néala s'est d o n n é e p o u r ta m è r e . Le n o i r tressaille, un n o u v e a u jour semble briller p o u r l u i , u n e nouvelle v i e le p é n è t r e , ses y e u x fixent N é a l a ; faible, ensanglanté, il s e l è v e ,
regarde
le ciel, et m a r c h e en silence. O véritable éclair s y m p a t h i q u e , lien
77
puissant formé p a r l ' a m o u r et le malh e u r ! tu es la r o s é e bienfaisante qui r a fraîchit la plante desséchée p a r des r a y o n s b r û l a n s , m a l t r a i t é e p a r l ' o r a g e , écrasée sous les pieds des c h e v a u x f o u g u e u x . Voilà le fatal n é g r i e r ! voilà ce b â t i m e n t d ' i n v e n t i o n h u m a i n e , o ù des h o m mes sont mutilés p a r des c h r é t i e n s , a u point d e n e p o u v o i r posséder le peu d e place qu'ils o c c u p e r o n t u n j o u r dans l e u r cercueil. Dans ce cercueil, ces chrétiens n e sentiront r i e n , et ils é p u i s e n t , dans t o u t e la force de la v i e , t o u t e s les f a c u l tés sensitives de ces h o m m e s qui s o n t h o m m e s c o m m e eux. Dans ce lieu d e misère
et d'infamie,
dans ce lieu de
supplices dignes de l'enfer, l'entière privation d e m o u v e m e n s d o n n e a u x m e m b r e s de ces m a l h e u r e u x les c o n t r a c t i o n s les plus d o u l o u r e u s e s ,
tandis q u e
le
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m a n q u e absolu d'air p r o d u i t p o u r e u x les infections pestilentielles , les é v a n o u i s s e m e n s , les suffocations, les flux de sang, les a p o p l e x i e s , e t t o u t e s les c o n v u l sions d e la d o u l e u r et d e la rage (20). E n y e n t r a n t , P h é n o r frémit et s'indigne, mais c'est s u r t o u t p o u r Néala. Lorsqu'il e u t b i e n c o n t e m p l é t o u t e l ' h o r r e u r d e l e u r p o s i t i o n , il c h e r c h a s'il n'existait pas u n m o y e n d e m e t t r e u n t e r m e à t a n t J e m a u x . Il r e g a r d a d e t o u s c ô t é s ;
e t , profitant d'un m o m e n t o ù la c h a î n e était r o m p u e , il se saisit d ' u n c o u t e a u posé s u r u n tas d e c o r d a g e s e t s'élança sur Néala d a n s l'intention d e lui d o n n e r la m o r t e t d e se la d o n n e r après. O n lui a r r a c h a son a r m e , mais o n n e p u t l ' e m p ê c h e r d ' e n l e v e r Néala dans ses b r a s : C r é a t u r e c h é r i e , s'écria-t-il,
malheu-
reuse négresse, n e pourrons-nous du
79 moins m o u r i r e n s e m b l e ! Ils furent b i e n t ô t s é p a r é s ; mais l e u r s
exclamations
étaient si v i v e s , l e u r s m o u v e m e n s si d é s e s p é r é s , l e u r s exaltations si d é l i r a n t e s , q u ' o n r e g a r d a l e u r seule v u e c o m m e t r o p d a n g e r e u s e p o u r le r e s t e d e l ' é q u i p a g e . A p r è s a v o i r é t é entassés p e n d a n t
plusieurs h e u r e s a v e c l e u r s c o m p a g n o n s d ' e s c l a v a g e , ils f u r e n t tirés d e l e u r p r i son p o u r r e c e v o i r la p u n i t i o n q u e l e u r prétendue audace devait leur attirer de la p a r t d e ces b o u r r e a u x . U n m o m e n t ils c r u r e n t q u ' o n allait les j e t e r à la m e r ; déjà ils r e m e r c i a i e n t le ciel e t s'adressaient u n r e g a r d qu'ils p e n saient ê t r e le d e r n i e r , l o r s q u e , oserai-je le d i r e ? p o u r r a - t - o n l ' é c o u t e r sans frém i r ? lorsqu'ils se v i r e n t r e n f e r m é s dans un tonneau (21); o u i , dans u n tonneau ! S o y e z - y d o n c e n s e m b l e , lui dit u n des
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E u r o p é e n s , avec u n e ironie infernale. Là ; ne r e c e v a n t d'air que de d e u x h e u r e s en d e u x h e u r e s au plus, c'est-à-dire seulement ce qu'il en fallait p o u r ne pas exhaler le dernier s o u p i r , ils restèrent en p r o i e à des angoisses inimaginables p e n d a n t u n e grande partie de la t r a v e r s é e ; enfin, privés de s e n t i m e n t , ils fur e n t jetés à fond de cale jusqu'au t e r m e d u v o y a g e , et, p e n d a n t ce t e m p s , s u r le tillac , les m a t e l o t s , h e u r e u x de contempler u n ciel p u r , faisaient e n t e n d r e des chants d ' a m o u r ! Les cris des victimes ne les i n t e r r o m p e n t point; ils c h a n t e n t , et le vaisseau, légèrement b e r c é par u n souffle bienfaisant, rase l'onde tranquille, et vogue avec rapidité v e r s la t e r r e d e douleur. V o u s t o u s , qui m e lisez avec é t o n n e m e n t ; v o u s , qui niez ce que j'avance ;
81
v o u s , indifférens, qui n'éprouvez à ce récit que d u dégoût; et v o u s , que dans vos climats l'injustice r é v o l t e , qui m a u dissez l'esclavage et combattez sans cesse les p r é j u g é s , en prêchant la religion et la tolérance , songez que les nègres ont c o m m e vous u n e â m e que le crime soul è v e , qui s'indigne c o n t r e l'injustice , et r e d o u t e des f e r s ,
et que ce sont ces
nègres que l'on accable
de tant
de
m a u x à la fois ! Ouvrez les y e u x , v o u s , qui jusqu'à ce m o m e n t avez pensé que les noirs d'Afrique n'étaient arrachés du sein de leur m è r e - p a t r i e que p o u r ê t r e c o n vertis à n o t r e religion divine ; qu'ils n'étaient m e n é s dans les colonies que p o u r l a b o u r e r la t e r r e , c o m m e nos paysans,
et r e c e v o i r u n e n o u r r i t u r e
nécessaire à leur existence,
et 4*
plus
82 a b o n d a n t e que celle qu'ils trouvaient dans leurs climats; qu'ils ne sont punis là que c o m m e des enfans q u ' o n doit châtier u n peu s é v è r e m e n t p o u r corriger leurs inclinations vicieuses : n o n , non. ils
Ils y sont conduits en m a r t y r s ,
n'y mangent
que
ce
qu'il
faut
p o u r ne pas m o u r i r ; épuisés de fatigues
et
de
tortures,
n e n t insensés et
ils y
devien-
f u r i e u x , et ne sup-
p o r t e n t la vie que lorsqu'ils n'ont pu parvenir à se d o n n e r la m o r t ; enfin, ils refuseront toujours le ciel tant qu'ils v e r r o n t ce ciel habité par leurs b o u r r e a u x . J e sais qu'on m e citera des e s claves qui s e sont sacrifiés p o u r leurs maîtres , les ont suivis dans leur exil, les ont nourris du fruit de leurs t r a v a u x ; mais de qui fait-on ici l'éloge ? est-ce des blancs ? je veux croire aussi que d ' a u -
83 tres nègres n e se sont jamais plaints de leur c o n d i t i o n ; c e u x - c i
sans
doute
étaient nés esclaves, et ne pouvaient juger p a r c o m p a r a i s o n ; pouvaient - ils raisonner en h o m m e s doués d'intellig e n c e , puisque dès leur naissance ils étaient abrutis ? je n e dis pas n o n plus qu'il n'existe pas un seul maître humain ; sans d o u t e , il en est sur ces t e r r e s b r û lantes ; mais faut-il propager la p e s t e , parce qu'on t r o u v e quelques individus qu'elle ne doit jamais atteindre ? Il est de ces tableaux (22) affligeans p o u r l'homme qui croit à sa n o b l e origine, à sa plus noble destinée; par e x e m ple, ces fanatiques, qui, dans leur affreux zèle, brûlaient en E u r o p e les protestans, p a r c e que les dogmes de ceux-ci diffé— raient un peu des leurs, et qui e n t r e t e n a i e n t , p r o t é g e a i e n t , en Afrique, le
84 v o l , le r a p t , la violence et l'assassinat d e tant d e leurs frères noirs q u e par suite de ces odieux m o y e n s ils p e n saient convertir ; ils croyaient f e r m e m e n t à l ' â m e , ils croyaient fermement à D i e u , mais ne le connaissaient p a s , ces exagérés dans leur
foi, qui faisaient
d'une religion de paix
une
religion
cruelle.Des matérialistes et des athées auraient-ils été plus b a r b a r e s ? L e fanatisme détruit la raison et outrage l'humanité. Quelques gens pensaient autrefois que les noirs n e p e u v e n t avoir u n e âme et n e sont point des h o m m e s c o m m e nous, parce que leurs c h e v e u x , leurs l è v r e s , leur n e z , diffèrent u n peu de c e u x des blancs ; en faisant la traite ces gens-là n e songeaient qu'à l e u r intérêt personnel. P o u r eux la religion n'était q u ' u n h e u r e u x p r é t e x t e , c'était le plus souvent
85 ou des hypocrites ou
des incrédules.
Ceux q u i , m a i n t e n a n t , font le m ê m e trafic sont aussi des hommes sans h o n n e u r et sans foi (23); P h é n o r et N é a l a , vendus au m ê m e planteur, voient devant e u x de nouvelles peines, mais ils sont ensemble ; c'est b e a u c o u p , c'est assez p o u r supp o r t e r bien des m a u x . Le travail des esclaves est très-dur aux colonies ; l'excessive chaleur du climat, le temps considérable consacré aux t r a v a u x , le peu de repos a c c o r d é a u x noirs, et l'état misérable de leur n o u r r i t u r e , r e n d e n t leur fatigue
ex-
t r ê m e , et souvent intolérable. Les m a u x qn'ils ont soufferts lors de leur c a p t u r e , ceux plus affreux, p e u t - ê t r e , dont o n les accable sur les n é g r i e r s , le changement de climat et les peines qu'ils ont à supporter, dès leur arrivée à la c o -
86 lonie, ont altéré déjà leur s a n t é , ont diminué leur force et leur vigueur. J e ne parlerai pas des chagrins de l ' â m e , et p o u r t a n t on doit penser que leur influence est aussi grande sur des êtres noirs que sur des blancs. Chaque j o u r l e u r désespoir
s'aug-
m e n t e , ainsi que leur faiblesse physique ; u n e fièvre brûlante les consume , ou le découragement et la l a n g u e u r les minent ; aussi la plupart
de
ces
malheureux
sont-ils e n t i è r e m e n t usés bien avant la vieillesse, et meurent-ils d'épuisement, lorsqu'ils n e s u c c o m b e n t point aux t r a i temens b a r b a r e s d o n t ils sont accablés; l'esclavage
seul
est
cause
de
tant
d'abus qui r é v o l t e n t la n a t u r e . Si ces noirs étaient l i b r e s , ils travailleraient m i e u x , et plus long-temps; si on les considérait c o m m e o u v r i e r s ,
journa-
liers , domestiques enfin , ils se feraient
87
payer selon l'ouvrage
qu'ils
seraient
capables de faire, et ils en feraient le plus possible, afin de gagner davantage ; mais ils soigneraient leur santé , se r e poseraient lorsqu'ils en sentiraient le b e s o i n ; ils auraient des jours d'entière l i b e r t é , jours p e n d a n t lesquels ils ne travailleraient q u e p o u r e u x . Alors ils s'occuperaient de leur famille, et s'attacheraient à la t e r r e qui verrait naître leurs enfans; ils soigneraient aussi leur n o u r r i t u r e , la varieraient suivant leurs besoins et
leurs goûts ; ils ne
tiraient plus cet horrible
besoin
sende
la faim , et m a n g e r a i e n t , au m o i n s , de quoi alimenter ces sueurs qui n e c o u leraient plus p o u r des maîtres b a r b a r e s . Alors les noirs seraient bien plus utiles a u x blancs, puisqu'ils vivraient plus longt e m p s ; alors enfin ils seraient hommes-,
88 et n e souffriraient plus. Si les blancs pensaient tous c e l a , s'ils se rendaient justice ,
ils donneraient
peu à
peu
la liberté a u x noirs des colonies, les instruiraient et s'en serviraient comme je viens de le dire ; bien e n t e n d u qu'alors ils laisseraient ceux d'Afrique t r a n quilles chez eux , et qu'ils r e c o n n a î traient en m ê m e temps qu'ils n'ont nullem e n t l e droit de les y aller p r e n d r e . De ce m o m e n t aussi les ministres du Saint-Evangile porteraient seuls leur d o u c e mission dans ces climats; ils éclaireraient, ils c o n s o l e r a i e n t , ils annonceraient la vie é t e r n e l l e , en r e n d a n t h e u r e u s e la vie t e m p o r e l l e , et les nègres ne r e c u l e r a i e n t plus épouvantés devant le divin christ i a n i s m e , ils ne le regarderaient plus c o m m e la religion de leurs b o u r r e a u x ; ils sauraient que le Christ abolit l'escla-
89 v a g e , et les nègres ne se feraient plus musulmans (24). P h é n o r et N é a l a ,
enfans libres de
l'Afrique, avaient peine à s'habituer à leur situation cruelle ; lorsque l'un souffrait , l'autre lui p r o d i g u a i t s e s s o i n s et ses
caresses ;
mais
lorsque
Phénor
voyait Néala r e c e v o i r un coup de fouet p a r c e que ses y e u x avaient u n m o m e n t quitté son travail pour regarder ami,
son
ou que Néala voyait un violent
coup de b â t o n d o n n é sur la tête d e P h é n o r , faire r e t o m b e r cette tête qu'il n'avait soulevée q u ' u n instant, ils frémissaient les m a l h e u r e u x ! Oh ! c o m b i e n de fois, avant la fin de l e u r c a r r i è r e , ils devaient e n c o r e frémir î U n spectacle affreux étonna bientôt P h é n o r : à combien d ' h o r r e u r s et d'extravagances la n a t u r e abrutie peut-elle
90
se p o r t e r ? Blancs , v o u s avez r e n d u les noirs méchans et insensés, et vous les punissez, par des coups, de v o t r e crime. U n esclave s'était échappé ; cinquante esclaves, ses amis et ses f r è r e s , des c o u t e a u x à la m a i n , le poursuivaient en poussant des cris d'une joie féroce : ils avaient o r d r e de le r a m e n e r m o r t ou vif. Les m a l h e u r e u x ! ils ne songeaient p a s que c'était c o n t r e e u x - m ê m e s qu'ils aiguisaient le f e r ; qu'en punissant un nègre d'avoir fui l'esclavage, c'était leur p r o p r e indépendance
qu'ils anéantis-
saient ; les m a l h e u r e u x ! mais le c o u r tisan qui se c o u r b e d e v a n t u n pouvoir sanguinaire , le peuple qui rit en voyant les échafauds c o u v e r t s d e s m a r t y r s de la l i b e r t é , ne font-ils pas la m ê m e c h o s e ? L e hasard voulut que le fugitif passât près d'un taillis o ù P h é n o r était en em-
91 buscade ; un instant il se c r u t perdu ; mais P h é n o r sentit b a t t r e son c œ u r à l'aspect d u sang de son f r è r e ; il lui jeta son c o u t e a u : T i e n s , dit-il, s'il se p e u t , qu'il te sauve ! Le p a u v r e noir disparut : quelle fut sa destinée ? S a n s d o u t e , u n e a u t r e m o r t . O n o i r s ! elle seule est v o t r e ,
refuge. Mais la vengeance d u maître n e laissa pas en paix cette action naturelle et juste dans un n è g r e ; P h é n o r r e ç u t u n e p u n i tion
exemplaire. Après d e
sanglans
coups d e f o u e t , on lui mit a u x pieds un lourd boulet avec lequel il fut obligé d e travailler malgré ses souffrances (25). Cependant P h é n o r m a l h e u r e u x , t r o u va des consolations à ses m a u x , u n adoucissement à ses peines. vint recueillir ses plaies ,
ses larmes ,
L'amour cicatriser
et c o u v r i r , d u moins ,
92 de fleurs
les épines qui le déchiraient
sans cesse. N é a l a , dit-il à celle qu'il aim a i t , Néala , sois à m o i ; q u ' u n e même c h a u m i è r e , construite par mes mains, devienne n o t r e abri t u t é l a i r e ; qu'elle devienne le témoin de nos caresses consolatrices et le b e r c e a u de nos enfans ; Néala, sois à m o i , et m ê m e au milieu des t o r t u r e s je sentirai que la vie m e doit toujours ê t r e c h è r e . Néala répondit : P h é n o r , je suis à toi. Sentiment
indicible
source inépuisable de
de
bonheur !
délices ! puis-
sance régénératrice, r é p a r a t e u r des plus cruels
t o u r m e n s ! avec toi tous les
m a u x s'oublient, et tous les b i e n s , sans t o i , semblent d e s m a u x ! T u é t e n d s part o u t ton e m p i r e , et ton empire est un bienfait constant. Il fallait u n miracle pour a r r a c h e r au fils de l'Afrique
la
93 pensée d e ses peines p r é s e n t e s , de ses supplices passés, et des longues douleurs d'un avenir sans espoir ! et ce miracle tu l'opéras. Un b a u m e consolateur d e s cendit avec toi d u ciel; il e n d o r m i t toutes les facultés d e l ' â m e d u pauvre n o i r , h o r s celle d'aimer.
U n m é c h a n t est toujours à c r a i n d r e ; mais un m é c h a n t , qui peut t o u t ce qu'il veut, est un fléau d o n t rien ne saurait p r é s e r v e r . Le propriétaire de la plantation avoit c o n ç u p o u r Néala une passion b r u t a l e . Cette passion devint u n e fureur, parce qu'elle r e n c o n t r a u n e r é s i s t a n c e à laquelle le planteur n'était pas a c c o u t u m é . Néala aimait P h é n o r , et ne c r o y a i t pas qu'elle dût ê t r e traitée c o m m e une pièce de bétail d o n t on se sert au gré de son caprice. Elle résista d o n c aux caresses et a u x m e n a c e s d e son maître ;
94 elle aurait résisté de m ê m e à ses prières, mais les planteurs ne prient jamais. Voici ce que fit celui-ci : Dans u n m o m e n t o ù les t r a v a u x se trouvaient s u s p e n d u s , il fit appeler la négresse chez lui. Il la fit e n t r e r dans sa c h a m b r e , l'y enferma avec l u i , et r e nouvela l'expression de ses désirs et de sa v o l o n t é . Il t r o u v a la m ê m e résistance, il s'y a t t e n d a i t , mais il avait les moyens de la b r a v e r . I l j o i g n i t m ê m e l'ironie a u x m e n a c e s ; et lorsqu'il eut p o r t é à leur comble le désespoir et la frayeur
de
Néala, il lui dit : T u vas voir m a i n t e n a n t , misérable c r é a t u r e , ce que peut u n maître; t u c é d e r a s , malgré t o i , à m e s désirs, et ma v e n g e a n c e p u n i r a p l u s tard
tes audacieux refus. Alors, sans pitié p o u r ses cris d é c h i r a n s , il attacha l'infortunée sur son lit.... Ses cris! qui les
95 aurait é c o u t é s ? 11 n'y a point chez les tyrans d'oreilles pour les victimes. J e ne dirai pas quelles violences suivirent cette s c è n e ; on ne conçoit que t r o p à quel
excès p e u v e n t conduire la rage
unie à l'amour. P e n d a n t c e temps , que faisait le malh e u r e u x a m a n t ? d'abord il avait voulu suivre son amie. T o u t à coup on s'était jeté sur lui par les o r d r e s d'un h o m m e qu'il ne connaissait point, mais qui a p partenait au planteur. P h é n o r , obligé de céder, s'était v u attacher au t r o n c d'un a r b r e , il y avait é t é t r a i t é a v e c u n e r i gueur e x t r ê m e sans p o u v o i r connaître la cause de ce traitement qui l'indignait. Chaque cri lui attirait un coup violent ; enfin on le détacha. Il c o u r u t p o u r r e joindre sa maîtresse; il la vit qui r e v e nait de chez le planteur. Il la vit dans un
96 état affreux ; elle conservait e n c o r e les traces de ses liens cruels et des combats qu'elle avait soutenus, des combats auxquels elleavait s u c c o m b é . . . . Elle se jeta dans les bras d e P h é n o r , elle lui fit le récit fatal de tout ce qu'elle avait souffert, elle le termina par ces paroles: V a , P h é n o r , je suis toujours à t o i , rien qu'a toi ; qu'est-ce que la force, quand le coeur r e p o u s s e , q u a n d la volonté maudit ! P h é n o r v o u l u t d u moins obtenir jus-
tice de l'homme qui l'avait forcé d'aband o n n e r son amie ; il aurait d û penser que cet h o m m e était e n v o y é p a r le maître p o u r retenir ses pas et le forcer à l'ignorance d e ce qu'il projetait; qu'en cons é q u e n c e il s o u t i e n d r a i t
certainement
son complice. Mais P h é n o r ne concevait pas qu'un h o m m e pût soutenir u n e i n justice avec cet excès d'effronterie. Il
97 prit avec lui d e u x nègres, témoins de son injure, et vint avec eux près du m a î t r e . Il se plaignit; e t , a p e r c e v a n t son ennemi, non loin d u p l a n t e u r , il le désigna a v e c énergie , s'appuya du témoignage de ses d e u x c o m p a g n o n s , offrit d'en appeler e n c o r e d ' a u t r e s , et supplia son maître de lui faire r e n d r e justice et de le venger d'un traître. Le maître fit a p p r o c h e r celui-ci, r e ç u t de lui un s e r m e n t t o u t c o n traire , p r o n o n c é avec sang froid et s é c u r i t é , et le r e n v o y a absous, malgré les véhémentes réclamations de P h é n o r . Il o r d o n n a m ê m e , avec l'air d u mépris et d e l'indignation, qu'on chassât à l'instant l o i n de lui, à coups de f o u e t , les nègres qui venaient de l'offenser par des m e n songes (26). La vengeance du planteur ne s'en tint pas là; sans cesse elle poursuivait 5
et
98 Néala et son amant. Néala cherchait à l'oublier dans la cabane que P h é n o r avait élevée p o u r elle ; l à , dans les bras de celui qu'elle aimait, elle ne songeait plus qu'à lui. Il arriva d e s missionnaires près dés esclaves;
mais les esclaves ont p e r d u
en m ê m e temps la l i b e r t é , le b o n h e u r et la raison ; leur intelligence ne luit plus q u ' à peine. Peuvent-ils c o m p r e n d r e la m o r a l e s u b l i m e qui c o m m a n d e l ' a m o u r
du p r o c h a i n ,
e u x qu'on a b r e u v e
de
haine et de d o u l e u r ? peuvent-ils aimer celui qui prescrit le p a r d o n des injures, e u x à qui on ne p a r d o n n e rien ? peuventils c o m p r e n d r e enfin ce divin précepte : Ne faites pas aux autres ce que vous ne voudriez
pas qu'on vous fît, et faites-leur
tout ce que vous voudriez fait,
qui vous
fût
eux à qui on ne fit jamais que du
99 m a l , eux qu'on accable sans cesse d'outrages , d e mépris et de tourmens ? P o u r les a m e n e r un p e u à la religion on offrit de sanctifier leurs mariages. Ils sont m é c h a n s , dit P h é n o r à Néala ; leur religion doit ê t r e m é c h a n t e c o m m e e u x ,
mais ils doivent la respecter l e u r r e l i gion , ils ne doivent a u moins jamais sép a r e r ce qu'elle unit. Marions-nous d o n c à leurs autels, ce sera u n e sûreté p o u r n o t r e a m o u r . O Néala! les cruels peuvent nous r a v i r l'un à l ' a u t r e , t u le sais; ils p e u v e n t nous séparer p o u r jamais ; u n seul caprice leur suffit pour cela. O Néala! que m o r t affreuse que celle qui suivrait n o t r e séparation! Marions-nous à leurs autels , ils n'oseront plus rien c o n t r e notre amour. Les missionnaires b é n i r e n t leur union. Dès - lors ils se r e g a r d è r e n t avec moins
100 de crainte et plus de plaisir;
c a r la
crainte empoisonne les plus vives jouissances. C e s é p o u x , que la tendresse la plus p u r e a n i m a i t , e u r e n t b i e n t ô t u n nouvel ê t r e à chérir. Un enfant vint d o u b l e r leur sollicitude. Cette
créature inno-
c e n t e , il fallait veiller à c h a q u e instant sur elle, la sauver d e tous les m a u x et déjà la p r é s e r v e r d'outrages ! Chaque j o u r elle faisait n a î t r e des c r a i n t e s , cha-
q u e jour elle faisait couler des l a r m e s , mais
chaque
jour
elle
donnait des
plaisirs. Malheur à qui d é p e n d du caprice d'un d e s p o t e ! son b o n h e u r n'est jamais a s suré , u n m o t p e u t l e d é t r u i r e
et le
c h a n g e r en peines éternelles. U n bon p r i n c e fera des h e u r e u x ; mais qu'il soit seulement a b u s é , il fera des v i c t i m e s , si
101 sa volonté n'a pas de frein. On ne sait que t r o p ce q u ' o n doit c r a i n d r e d'un m é c h a n t qui peut t o u t ; il faut des lois p o u r t o u s , il faut p o u r tous l'égalité de l'Evangile, la liberté fondée sur la raison.
Les noirs e s c l a v e s d ' h o m m e s
qui
p e u v e n t t o u t ce qu'ils v e u l e n t , d é p e n dant sans cesse de leurs c a p r i c e s , de leurs passions, de leurs folies, de leurs e r r e u r s ; esclaves des propriétaires , et par suite de leurs serviteurs et des valets de leurs v a l e t s , n'ayant a u c u n r e c o u r s c o n t r e l'injustice et la c a l o m n i e , et ne p o u v a n t rien par leurs droits n a t u r e l s , ni par leur t é m o i g n a g e ; les noirs t r o u vent quelquefois sans d o u t e de b o n s maît r e s , mais q u e de fois ils sont victimes d'affreux t y r a n s , que de fois ils p e r d e n t , sans espoir de r e t o u r , t o u t ce qui fait le bien-être de la v i e , la vie-même ! On
102 l e u r enseigne p o u r t a n t
que
tous les
h o m m e s sont f r è r e s ; ils ne le croient pas, ont-ils t o r t ? C'est q u e , par le crime de leurs frères, t r o p souvent l e u r destin est semblable à celui de P h é n o r et de Néala. U n ami du planteur fît avec lui des arrangemens p o u r l'achat d e quelques esclaves. Néala lui c o n v i n t , et son fils lui fit c o n c e v o i r des espérances; il les acheta tous d e u x . P h é n o r , se voyant a r r a c h e r les êtres qui soutenaient son e x i s t e n c e , ses seuls liens de joie sur la t e r r e , fit r e t e n t i r l'air
d'effroya-
bles cris. J e n e décrirai point cette scène de désespoir. L'enfant
pleurait
a m è r e m e n t ; on l ' e n l e v a i t à s o n p è r e , mais il suivait sa m è r e , l'avenir était devant l u i , il n'avait que dix ans, il était né esclave, sa situation n'était pas c o m -
103
parable à celle des auteurs de ses jours. Les m a l h e u r e u x é p o u x ! le supplice le plus cruel les atteignait en cet instant. Le néant devant e u x e û t été un bienfait ; hélas ! les m a l h e u r e u x ! le n é a n t est leur seule e s p é r a n c e , la seule divinité qu'ils implorent ! P h é n o r embrasse les genoux de l'ac h e t e u r ; c'était son seul refuge en ce m o m e n t affreux. Ne soyez pas c o m m e ces b a r b a r e s , lui dit-il avec d é l i r e , n e nous séparez pas; achetez-moi aussi, je vous
servirai
toute ma v i e ,
c o m m e je suis f o r t ;
voyez
vous serez m o n
m a î t r e : eh bien ! malgré c e l a , je v o u s aimerai; o u i , après Néala et m o n
fils,
vous serez la divinité que j'adorerai sans cesse ! Si vous m e refusez, donnez-moi la m o r t , je la v e u x à l'instant ; ne vous éloignez pas, écoutez-moi, écoutez-moi?
104
Le
malheureux
Phénor
s'élançait
après l ' h o m m e insensible; il s'accrochait à ses v ê t e m e n s , n e voulait pas lés quitter et l'entraînait après lui. On se saisit d u nègre : J e ne v e u x pas de t o i , dit avec brutalité le maître d e Néala ; n o n , n o n , t o n air est t r o p f a r o u c h e .
Nous l'a-
d o u c i r o n s , dit avec ironie le planteur; mais vous avez raison, laissez-nous c e nègre r e b e l l e . I g n o r a n t le s o r t de sa femme et d e son fils, p e r d a n t l'espoir de se r é u n i r à e u x , quelle était désormais la destinée de P h é n o r ? u n e chaîne o d i e u s e , des supplices et l'anéantissement. Il ne p o u vait plus former q u ' u n désir, celui de m o u r i r . Q u ' e l l e doit ê t r e i n s u p p o r t a b l e l'existence de ces infortunés, puisque, n e p o u v a n t c o n c e v o i r u n e éternité qui leur p r o m e t u n e égalité de b o n h e u r avec les
105
blancs, ils préfèrent c e p e n d a n t le néant à la vie ! P h é n o r voulait m o u r i r , mais on éloignait de lui t o u t e a r m e d a n g e reuse ; e t , chaque fois q u ' o n triomphait de ses tentatives , on le maltraitait d a vantage. Le désespoir ose t o u t ; le nègre, v o y a n t qu'on lui ôtait a v e c u n e cruelle adresse tous les m o y e n s de se d é t r u i r e , pensa q u e sa seule ressource était d e forcer ses p e r s é c u t e u r s à se défaire d e lui. Qu'ils m e t u e n t , dit-il en l u i - m ê m e , ce sera le seul bienfait q u e j'aurai r e ç u d'eux. Plein de cette i d é e , il s'élance sur le m a î t r e , le saisit à la g o r g e , le r e n v e r s e par t e r r e , et l'aurait étranglé sans les prompts secours qui arrivèrent d e t o u t e s parts. Son châtiment fut t e r r i b l e , mais il v é c u t e n c o r e : T u v i v r a s , lui d i t - o n , t u vivras p o u r obéir. Enfin, à force de p e r s é v é r a n c e , t o u t e la p r u 5*
106
d e n c e des surveillans n e p u t l'empêcher d'arriver à son b u t . U n c o u t e a u brille à ses y e u x , il s'en saisit, s'en frappe à plusieurs reprises et se croit délivré de ses m a u x . Mais s'il avait réussi à se poignarder, il n'avait p u régler ses coups d e manière à se d o n n e r u n e m o r t certaine. On se précipita sur l u i , o n l'accabla d e r e p r o c h e s , d'injures et de m e n a c e s , mais on l'attacha afin qu'il ne p û t résister a u x secours que l'art allait a p p o r t e r à ses blessures. On le p a n s a , le coup n'était pas m o r t e l , le
chirurgien
promit de le guérir; alors on lui a n n o n ç a qu'il serait rigoureusement puni de sa témérité. C'est ainsi que les blancs arrac h e n t les nègres de l'Afrique p o u r les accabler de souffrances,
et
c'est d e
m ê m e p o u r les accabler de souffrances quel plus t a r d ils les a r r a c h e n t à la m o r t .
107
Cependant o n avait fait a p p r o c h e r u n missionnaire. Celui-ci e x h o r t a P h é n o r au r e p e n t i r , il lui m o n t r a l'action qu'il avait commise c o m m e un crime en h o r r e u r à Dieu. Dieu v o u s a d o n n é la v i e , lui d i t - i l , v o u s n'avez pas le droit d'en disposer. Vous l'ôter v o u s - m ê m e , c'est attirer sur v o t r e tête l'éternelle v e n g e a n c e d u Seigneur. — V o t r e Dieu pas,
n'existe
r é p o n d i t P h é n o r d'un air s o m b r e ,
o u bien il est aussi m é c h a n t que vous. P o u r q u o i craindrais-je sa punition? Ses t r a i t e m e n s peuvent-ils ê t r e plus b a r b a r e s que les v ô t r e s ? M'enlèvera-t-il u n e s e c o n d e fois m a Néala? Monstres, je n e v o u s crains p l u s , je ne crains pas v o t r e D i e u , je veux m o u r i r , je v e u x m e déliv r e r d e v o t r e v u e , b o u r r e a u x de m e s f r è r e s , b o u r r e a u x de m a Néala ! Le Dieu bienfaisant, qui lisait dans le
108
c œ u r de P h é n o r et lui pardonnait l ' e r r e u r naturelle de sa c r o y a n c e , jeta sur l'infortuné nègre u n regard de c o m p a s sion. Q u e l présent céleste il fallait p o u r a d o u c i r tant d e m a u x ! Ce présent, ce fut un ami. Merville était Français; sa grande â m e , susceptible de tous les sentimens qui font le c h a r m e de la v i e , d e tous les sentimens qui consolent l ' h u m a n i t é , était d e v e n u e plus aimante e n c o r e au milieu des révolutions successives, des c o m motions terribles qui avaient frappé ses regards. Il avait étudié les h o m m e s en h o m m e compatissant; il avait plaint leurs f a i b l e s s e s , il avait gémi sur les victimes de leurs passions. J e u n e e n c o r e , il avait c o n ç u la résolution généreuse de c o n sacrer son existence à l'amélioration d e ses semblables, au soulagement de l'hu-
109 manité. La cause des nègres opprimés avait p r o f o n d é m e n t é m u son c œ u r ; il avait vivement applaudi à la décision des Anglais qui abolissait l'odieux trafic de la traite , et
a u x sages
mesures
prises par e u x à cet égard (27) ; il espérait q u e la F r a n c e suivrait p r o m p t e m e n t ce n o b l e e x e m p l e . P o u r l u i , il désirait c o o p é r e r d e t o u t son pouvoir à l'amélior a t i o n d u sort des n o i r s , à l'extinction graduelle de l e u r esclavage, à l'abolition définitive du c o m m e r c e infâme qui les enlevait à l e u r patrie. Riche et i n d é p e n d a n t , Merville p a r courait maintenant les colonies ; il avait plaint les excès qui avaient p r é c é d é l'indépendance
de l'une des Antilles ; il
aurait voulu q u e la justice des colons prévînt c e s m ê m e s excès dans les a u t r e s colonies
et q u ' u n e v o l o n t é c o m m u n e ,
fondée sur la raison et l ' h u m a n i t é , p r o -
110
tégeât l'émancipation progressive
des
noirs, Il visitait plusieurs h a b i t a t i o n s , lorsqu'au milieu de sa course, les cris d'un nègre a r r i v e n t jusqu'à lui. Il s ' a r r ê t e , il s'approche, voit le m a l h e u r e u x P h é nor c o u v e r t de sang, a p p r e n d les circonstances qui ont a m e n é sa c a t a s t r o p h e t e r r i b l e , frémit à l'aspect de ses souffrances, apaise le tumulte qui s'accroît a u t o u r du n è g r e , et offre de l ' a c h e t e r à des c o n d i t i o n s avantageuses p o u r le planteur. Le m a r c h é se conclut, au grand é t o n n e m e n t des spectateurs qui ne conçoivent pas l'empressement l'étranger
à l'acquisition
que m e t
d'un
nègre
furieux et d a n g e r e u s e m e n t blessé. Merville fait p o r t e r P h é n o r c h e z lui; on le dépose sur u n bon lit, dans u n e c h a m b r e c o m m o d e . L ' i n f o r t u n é , à qui l'excès d u m a l enseigna la défiance, r e garde d'abord Merville c o m m e un n o u -
111 vel ennemi. Merville s'approche
dou-
cement de l u i , et lui parle avec b o n t é . P h é n o r , lui dit-il, tous les soins v o u s seront p r o d i g u é s , et rien ici n ' e n t r a v e r a la liberté de vos m o u v e m e n s . J e vous a c c o r d e m a confiance; mais p r o m e t t e z m o i de ne point a t t e n t e r à v o t r e vie ; je me fie à v o u s , mais ne m e trompez pas. Si v o u s cédez à m a p r i è r e , v o u s aurez en moi u n a m i , je m ' o c c u p e r a i d e v o t r e bonheur. U n ami! le b o n h e u r ! Ces mots ont causé à P h é n o r u n e surprise inexprimab l e . A h ! m u r m u r e - t - i l , un b l a n c peut-il ê t r e l'ami d'un n o i r ? est-il du b o n h e u r pour u n n o i r ? O h ! force du lien sympathique qui soutient la famille h u m a i n e , p r e u v e f r a p pante de l'égalité naturelle des h o m m e s et de t o u t e s les races d'hommes ! P h é n o r
112 est toujours m a l h e u r e u x , bien malheur e u x , p a r c e qu'il a b e a u c o u p souffert, parce qu'il est séparé des seuls êtres qui p e u v e n t lui faire chérir la vie ; mais la voix de Merville l'a c a l m é , lui a causé u n e émotion indéfinissable; P h é n o r déjà peut le r e g a r d e r sans h a i n e , p o u r t a n t Merville est blanc ; o h ! toutes les différ e n c e s d'espèces se confondent dans la bienveillance, dans la b o n t é ! . P h é n o r g u é r i t ; la d o u c e u r et l'humanité de Merville ont a r r ê t é les funestes effets du désespoir. U n e profonde m é lancolie s'empare du n è g r e , mais il peut v i v r e , et déjà il peut sentir les p r e m i e r s m o u v e m e n s de la reconnaissance. Le maître, sage, v o u l a i t faire p é n é t r e r d a n s son â m e quelques semences d ' i n s truction. Il se faisait suivre par lui dans ses p r o m e n a d e s ; alors il causait avec
113 lui, il excitait ses réflexions et l'énergie de sa pensée. P h é n o r , lui disait-il, r e garde ce b e a u ciel, c'est Dieu qui l'a créé;
Dieu est n o t r e p è r e à t o u s , a u x
noirs c o m m e a u x b l a n c s , il est aussi supérieur à nous tous q u e t u l'es, t o i , au petit c h e v r e a u qui vient de naître; et ces t e r r e s qui produisent tant de r i c h e s s e s , qui les a faites? c'est D i e u . — O h ! n o n , m a î t r e , n o n , ce n'est pas l u i , c'est n o u s , ce sont nos s u e u r s , notre sang, nos fatigues, à nous autres pauvres n è g r e s , qui la faisons si r i c h e cette t e r r e , qui la faisons tant produire.—Mais cette force qui vous fait résister à tant de t r a v a u x , qui v o u s l'a d o n n é e ? c'est Dieu; cette t e r r e que vous r e n d e z fertile, qui l'a d o n n é e a u x h o m m e s ? c'est Dieu. Ce soleil a d m i rable qui vous éclaire et fait fructifier v o s travaux , qui l'a c r é é ? c'est Dieu. — Oh !
114 m a î t r e , p o u r q u o i d o n c l'a-t-il fait si b r û lant? c'est d o n c p o u r faire m o u r i r les nègres? et v o u s dites qu'il est n o t r e p è r e c o m m e à v o u s ! N o n , n o n , s'il était n o t r e p è r e , il ne souffrirait pas que la vie des noirs fût un h o r r i b l e supplice, o u bien il est d o n c plus faible q u e les blancs? Mais, n o n , c'est qu'il est l e u r p è r e e t , c o m m e e u x , l'ennemi des n o i r s ; n o u s , nous n'avons pas de Dieu. — P a u v r e P h é n o r , suis-je d o n c t o n e n n e m i , m o i ? — O h ! n o n , m a î t r e , pas v o u s . — E h b i e n , Dieu est m o n p è r e , et tous les jours il m e dit de t'aimer, de t e consoler, de te r e n d r e h e u r e u x . — V r a i m e n t ? il v o u s dit c e l a ? o h ! le b o n D i e u ! — T u vois b i e n qu'il est a u s s i t o n Dieu. Mon D i e u ? r é p é t a P h é n o r avec r é flexion. Puis s'animant par degré jusqu'à ce qu'un égarement funeste se m o n t r â t
115 dans ses y e u x , et fît tressaillir tous les muscles de son visage ; il s'écria : N o n , il n'est point m o n Dieu ! S'il l'était, auraitil souffert qu'on enlevât autour de m o i , p o u r la charger de c h a î n e s , t o u t e m a famille, m e s f r è r e s , m a s o e u r ? q u ' o n massacrât m o n seul a m i , l'amant b i e n aimé de m a s œ u r ? qu'on vînt t u e r jusque dans m e s b r a s m o n père? qu'on assassinât à mes pieds m a
pauvre, ma
b o n n e m è r e ! ô t o u t e s , toutes innocentes victimes que je vois sans cesse m a r c h e r a u t o u r de m o i ! Aurait-il souffert q u ' a c cablé de t o u r m e n s affreux inventés par les blancs, p o r t é dans u n e maison m o u v a n t e , maison h o r r i b l e , p o u r y connaît r e des supplices n o u v e a u x , je
fusse
a m e n é sur cette t e r r e de fatigues et de d o u l e u r s p o u r y voir sans cesse c o u l e r m o n sang, p o u r y voir ma Néala et l'en-
116 faut de ses entrailles sans cesse outragés et ensanglantés à mes yeux, enfin arrachés de mes b r a s p o u r aller souffrir chez un a u t r e maître b a r b a r e ; tandis que le mien, sans pitié p o u r mes m a u x et m o n désespoir, augmentait e n c o r e sa cruauté et m e refusait m ê m e la m o r t ! ! ! Ah ! s'il était m o n D i e u , c o m m e il m ' a u r a i t vengé ! comme
les flammes auraient
dévoré
tous ces b l a n c s ! c o m m e mille fers plongés dans leur sein Ici la v o i x de l'infortuné
s'éteignit;
son délire était au c o m b l e , mais ses forces s'épuisaient; il t o m b a et roula sur la t e r r e . Merville s'assit près de lui ; il lui prodigua ses s o i n s , et posa la tête d u nègre sur ses genoux. L e n è g r e leva les y e u x et vit la figure de Merville mouillée de larmes. Il fit u n effort, se mit à genoux
117 devant lui ; puis avec vivacité il a p p r o che ses doigts du visage de son maître. M a î t r e , s'écria-t-il, vous pleurez ! est-il possible? Les blancs o n t d o n c aussi des larmes ! J e pleure sur t o i , m a l h e u r e u x noir, r é p o n d i t Merville a t t e n d r i jusqu'au fond de l ' â m e ; je p l e u r e sur tes m a u x passés et sur ton égarement présent. P h é n o r , n'as-tu pas v u dans ton Afrique des n è gres m é c h a n s et insensés? Ne les as-tu pas vus devenir féroces par l'excès de l'ambition ou de l ' a m o u r des richesses? n e se sont-ils pas t r o p souvent m o n t r é s tes p r o p r e s e n n e m i s ?
ne t'ont-ils pas
eux-mêmes livré a u x blancs ? n'ont-ils pas enfin mille fois servi la haine et la cupidité des blancs p a r des i n o u i e s , par d'horribles
cruautés
vengeances?
E h b i e n ! les nègres étaient tes f r è r e s ,
118 et p o u r t a n t ils n e t e ressemblaient pas. P a r m i les blancs il est aussi des scélérats qui d é s h o n o r e n t la t e r r e , tandis que d'autres blancs sont v é r i t a b l e m e n t sur cette t e r r e l'image de Dieu, par l e u r s v e r tus et l e u r bienfaisance. Dieu maudit les méchans, blancs ou noirs ; il r e c e v r a près de lui, dans une a u t r e v i e , tous les b o n s , noirs ou blancs. Il se dira a v e c joie le p è r e de c e u x - c i , tandis qu'il r e j e t t e r a les a u tres. L o r s q u e Dieu v o i t l e mal et le souffre , c'est malgré lui ; il en gémit en tendre p è r e , presque toujours il en punit les auteurs dans ce m o n d e , et sa justice les poursuivra dans l'autre ; tandis que t o i , P h é n o r , d a n s cet a u t r e m o n d e , t u t r o u veras la r é c o m p e n s e de tes souffrances et de tes vertus. Alors Dieu te t e n d r a ses b r a s secourables ; car n o t r e Dieu a dit : Venez à moi vous tous qui êtes fatigués
et
119 qui êtes chargés,
et je vous
soulagerai.
L à , P h é n o r , l à , Dieu te r é u n i r a a u x o b jets de ta t e n d r e s s e ; l à , rien n e v o u s séparera plus. Mais c'est surtout si, faisant u n effort m a g n a n i m e , t u p a r d o n n e s à tes cruels e n n e m i s , q u e t u te r e n d r a s digne du n o m d'enfant de D i e u , et d u b o n h e u r qui t'attend près de lui;
car
Dieu bénit par-dessus t o u t le p a r d o n des injures. Aimez-vous
les uns les
autres,
nous dit-il, v o u s êtes tous frères et e n fans d'un m ê m e p è r e ; faites d o n c à vos frères ce q u e vous v o u d r i e z qu'ils vous fissent, et
pardonnez-vous
mutuelle-
m e n t vos e r r e u r s si vous voulez q u ' u n j o u r je vous p a r d o n n e aussi les v ô t r e s ; P h é n o r , voilà t o u t e la religion des c h r é tiens. Le nègre était é b r a n l é malgré l u i ; l'ascendant de la vertu la plus p u r e le
120 Louchait. C e p e n d a n t il balançait la tète. N o n , m a î t r e , dit-il d o u l o u r e u s e m e n t , non , je ne puis leur p a r d o n n e r ; ils m ' o n t ravi
m a Néala : o h ! qui m e
rendra
Néala! P e u t - ê t r e m o i , lui r é p o n d i t son maît r e . E c o u t e , P h é n o r , n o u s allons v o y a ger e n s e m b l e , n o u s
parcourrons
les
colonies, n o u s c h e r c h e r o n s p a r t o u t , et avec l'aide de Dieu n o u s r e t r o u v e r o n s Néala.
- O m a î t r e , si v o t r e
Dieu
vous aide en cette occasion , il sera le m i e n , et p e u t - ê t r e a l o r s , en sa faveur, je p o u r r a i p a r d o n n e r à c e u x qui m'ont fait tant de mal. Merville ne p u t s'empêcher de sour i r e d e la naïveté d e P h é n o r . Il aurait pu d é m o n t r e r au pauvre noir qu'il était absurde et i n c o n v e n a n t de vouloir i m A
poser u n e espèce de condition à l'Etre
121 s u p r ê m e , mais il ne v o u l u t rien ajouter dans ce m o m e n t ; il savait que la p e r suasion
n e p é n è t r e q u e l e n t e m e n t et
avec d o u c e u r dans l ' â m e , et que la p e r suasion seule p e u t f o r m e r u n e religion solide. Q u ' u n véritable philanthrope est digne d ' a m o u r , de respect, de r e c o n n a i s s a n c e ! V o y a g e u r sur la t e r r e , son existence n'est m a r q u é e q u e p a r les bienfaits qu'il r é p a n d . Chaque j o u r il essuie des l a r m e s , il p o r t e ses pas p a r t o u t o ù des souffrances l'appellent; e t , lorsqu'il se r e p o s e , c'est e n c o r e en faisant des h e u r e u x . Soulager la misère d'une famille d e n è g r e s , d ' u n e famille accablée d e peines et près d e s u c c o m b e r sous le poids d'outrages
sanglans, était p o u r
Merville u n e mission h o n o r a b l e : il l'embrassait
a v e c a r d e u r . Il la regardait 6
122 c o m m e u n e n o b l e expiation faite par un blanc
à u n e r a c e t r o p long-temps
victime des blancs. 11 entreprit
avec
P h é n o r le v o y a g e q u ' i l lui avait a n n o n c é . Il e n t r e t e n a i t l'espérance d u noir et doublait ainsi ses forces d u r a n t ses longues c o u r s e s , il tâchait aussi d'améliorer ses principes et de raffermir son intelligence. P h é n o r avait b e a u c o u p d'esprit n a t u r e l . Sa c o n c e p t i o n était vive et facile ; m a i s l'esclavage
abrutirait
le plus brillant
g é n i e , les préjugés étouffent la raison ; u n voile épais couvrait u n e grande partie des facultés d u nègre ; c e p e n d a n t d'heureux
éclairs
perçaient
souvent
une
é c o r c e e n d u r c i e . Merville profitait de ces m o m e n s , e t c h e r c h a i t à d é g a g e r une
â m e p u r e des v a p e u r s malfaisantes dont le m a l h e u r et le temps l'avaient e n t o u r é e . T a n t de soins ne pouvaient d e m e u r e r
123 sans effet, c h a q u e j o u r P h é n o r apprenait à l'aimer d a v a n t a g e , à l ' é c o u t e r
avec
plus de plaisir; que n e p e u v e n t l ' a m o u r et la confiance! U n e grande partie des colonies avait été déjà p a r c o u r u e p a r les v o y a g e u r s lorsque des parages n o u v e a u x se m o n t r è r e n t à leurs y e u x . D'un c ô t é , l'esclavage accable de t o u t son poids le nègre m a l h e u r e u x ; tandis q u e , du c ô t é o p p o s é , mais à u n e distance presque égale, apparait l'heureuse Saint-Domingue.-—Voilà, dit Merville à P h é n o r , la belle république d'Haïti; naguère elle n'était q u ' u n e c o lonie peuplée d ' e s c l a v e s ,
maintenant
elle est libre et r e s p e c t é e ; mais combien de victimes o n t ensanglanté ses rivages avant qu'ait l u i , p o u r e l l e , le b e a u j o u r de la liberté ! Q u e d'excès affreux! Q u e de représailles cruelles! P h é n o r , les
124 nègres accablés sous le poids d'horribles c h a î n e s , d e chaînes q u e plusieurs siècles avaient appesanties, et d o n t la rigueur s'augmentait c h a q u e jour, t r o u v è r e n t des h é r o s au sein d e l e u r ignominie. C e s h é ros l e u r r e n d i r e n t la force, les m e n è r e n t à la gloire e t b r i s è r e n t leurs liens. Le b o n h e u r d e la réussite les plongea dans u n e ivresse qui devint b i e n t ô t d e la fér o c i t é . Rien n e p u t a r r ê t e r le t o r r e n t de l e u r s vengeances. B i e n des crimes furent alors commis p a r e u x . Ce Dieu q u e j'ad o r e , c e Dieu plein d e c l é m e n c e et d e justice, fit grâce à leurs égaremens, parce q u e sans d o u t e il pensa q u e les blancs seuls devaient ê t r e responsables d ' u n e f u r e u r q u e l e u r s c r u a u t é s a v a i e n t si long-
t e m p s n o u r r i e . Les noirs se d é c l a r è r e n t i n d é p e n d a n s , et d'une î l e , séjour d e m i sère et d e désespoir, ils se f o r m è r e n t
125
une patrie. Un homme sage préside maintenant aux destinées de cette république, protectrice tutélaire des noirs régénérés. La sagesse, les talens et le génie éclairent toutes ses volontés, et assurent la gloire et la prospérité de l'heureuse Haïti. Le temps et la persévérance ont affermi ses progrès et sa puissance ; la république n'a plus d'ennemis, ou elle méprise leurs efforts. Salut, terre de justice et de liberté , tu ne porteras plus d'esclaves ! Phénor écoutait en silence; il contemplait cette terre amie, il aurait voulu franchir la distance qui l'en séparait ; mais Néala, Néala gémissait encore, et ce n'était point sur une terre libre que Néala pouvait gémir. Phénor regarda le ciel; ses larmes coulèrent, larmes d'admiration, de crainte, de désirs!.... Merville l'avait compris.—Viens, Phé-
126 n o r , lui dit-il, n o u s t o u c h o n s p e u t - ê t r e a u b u t t a n t désiré qui doit r é c o m p e n s e r n o s peines. C'est ici q u e n o u s d e v o n s a b o r d e r ; et il lui m o n t r a la colonie o ù ils allaient c o n t i n u e r leurs r e c h e r c h e s . P h é n o r sourit avec m é l a n c o l i e , baisa la main de Merville , et le suivit. Il fallait e n c o r e t r a v e r s e r des c h a m p s peuplés de nègres enchaînés au travail, de nègres accablés de souffrances, plongés d a n s l ' a b r u t i s s e m e n t , le désespoir ou la f u r e u r ; triste spectacle q u e P h é n o r ne pouvait r e g a r d e r sans q u e ses cheveux se dressassent d e n o u v e a u sur sa tête. Il ne calmait son indignation r e naissante qu'en jetant u n r e g a r d
sur
son m a î t r e . A l o r s c e r e g a r d d e v e n a i t plus d o u x ; il t r o u v a i t u n appui, il p u i sait u n e s o r t e d'espérance dans c e t t e e x pression d e v e r t u parfaite, d e t e n d r e
127 b i e n v e i l l a n c e , et de p r o f o n d e h u m a n i t é qui brillait sur la figure d u r e s p e c t a b l e Merville. Un cri se fait e n t e n d r e , un a u t r e c r i lui r é p o n d , u n e femme s'est é l a n c é e ; P h é n o r a quitté son m a î t r e , il c o u r t , il est auprès d'elle, il la r e ç o i t dans ses b r a s . On se saisit de la négresse. Le plant e u r , a r m é d e son fouet (28), lui en d é charge des coups v i o l e n s , et la m e n a c e de plus s é v è r e s châtimens si elle résiste. C'est m o n m a r i , c'est mon p a u v r e P h é n o r , crie la négresse a v e c d é l i r e ; o h ! laissez-moi aller à lui ! Elle se d é g a g e , s'échappe e n c o r e , elle embrasse P h é n o r , le presse d e t o u t e s ses forces c o n t r e son c œ u r si long-temps a b r e u v é d ' a m e r t u m e , si long-temps d é c h i r é p a r les plus cruelles angoisses; h é l a s ! elle n e craint pas d e p a y e r c e m o m e n t de sa vie ! M a N é a l a ,
128 s'écrie P h é n o r a v e c la plus vive t e n d r e s s e , avec la plus m o r t e l l e i n q u i é t u d e , en e n t o u r a n t de ses b r a s la c r é a t u r e c h é r i e qu'il v o u d r a i t p r é s e r v e r des c o u p s qui la m e n a c e n t . O m a î t r e ! s'écrie-t-il plus d o u l o u r e u s e m e n t ,
maître, venez
à moi. Merville
avait suivi des y e u x
son
n è g r e dans sa c o u r s e , mais il n'avait pu l ' a c c o m p a g n e r a v e c la m ê m e r a p i d i t é ; p o u r t a n t il p r e s s a i t s e s p a s , il les presse
d a v a n t a g e e n c o r e lorsqu'il e n t e n d P h é n o r qui l'appelle, il a r r i v e p r è s d e l u i , il arrive trop t a r d ! Il a compris d e suite q u e P h é n o r a r e t r o u v é sa femme ; son i n t e n t i o n est d e s ' a r r a n g e r à l'instant avec le p l a n t e u r ,
d'acheter Néala
et
d e la
r é u n i r à son mari ; mais le p l a n t e u r , fur i e u x de la résistance i n a t t e n d u e de la négresse, h a b i t u é , c o m m e p r e s q u e t o u s
129 ses pareils, à c é d e r à sa v i o l e n c e , juste ou n o n , dès qu'il ne s'agit que des noirs , le p l a n t e u r , qui d'ailleurs n'a pas e n c o r e aperçu
Merville,
vient de frapper la
tête de la m a l h e u r e u s e Néala a v e c t a n t de c o l è r e , q u e l'infortunée t o m b e sans m o u v e m e n t a u x pieds d e P h é n o r ,
au
m o m e n t m ê m e où Merville arrive à son s e c o u r s . Le nègre pousse u n cri d e d o u leur et de r a g e , il se jette sur son a m a n t e , il se baigne dans le sang qui coule a u t o u r d'elle; puis a v e c un a c c e n t t e r r i b l e , il dit : Maître ! elle e s t m o r t e ! Néala est m o r t e ! Merville soulève la n é g r e s s e , il c h e r c h e à la r a n i m e r , il tâte son p o u l s , examine ses a r t è r e s , pose a v e c anxiété ses mains l'une après
l'autre s u r son
c œ u r : Elle n'est p l u s , dit-il a v e c soupir. P h é n o r , q u i ,
un
à g e n o u x devant 6*
130
son m a î t r e , les mains serrées a v e c u n e force c o n v u l s i v e , a suivi tous ses m o u v e m e n s , a consulté le m o i n d r e d e ses r e g a r d s , c o m m e s'il attendait d e lui l ' o r d r e d e vivre ou d e m o u r i r ; P h é n o r e n t e n d ces m o t s , r e g a r d e e n c o r e son m a î t r e a v e c u n e expression qui d é c h i r e l'âme d e l'homme bienfaisant ; puis se p e n c h a n t sur l e c o r p s d e N é a l a , il pose sa b o u c h e sur la b o u c h e inanimée d e sa c o m p a g n e c h é r i e , il y d é p o s e s o n d e r n i e r soupir. Le sang d e Merville se glace. Néala n'avait pas assez d e force p o u r s u p p o r t e r l'émotion q u e lui a fait é p r o u v e r la p r é sence i n e s p é r é e d e P h é n o r , jointe a u x secousses violentes q u e lui causaient les mauvais t r a i t e m e n s d o n t elle était acca
b l é e , et toutes les forces d e P h é n o r se sont brisées au spectacle des souffrances
131 d e sa f e m m e , et d e sa m o r t affreuse. T o u s d e u x o n t s u c c o m b é ; les blancs sont leurs b o u r r e a u x . B a r b a r e s ! s'écrie l'unique ami de P h é n o r , qui v o u s a d o n n é le d r o i t d e disposer ainsi de la vie de vos semblables ? N e sont-ils pas h o m m e s c o m m e v o u s , ces nègres? Ne r e d o u t e z - v o u s d o n c ni les v e n g e a n c e s du c i e l , ni l'indignation des h o m m e s ? Plus t a r d v o u s les t r o u v e r e z toutes d e u x . V o s colonies, ensanglantées p a r v o u s , s'élèveront c o n t r e v o u s ; elles v o u s r e p o u s s e r o n t a v e c h o r r e u r . A l o r s les enfans de vos esclaves v o u s p o u r s u i v r o n t sans r e l â c h e , vous é g o r g e r o n t sans pitié. V o u s n'êtes pas des h o m m e s , vous diront-ils, v o u s , qui avez m a s s a c r é tant d ' h o m m e s ! V o u s êtes d e s m o n s t r e s , v o u s êtes des b l a n c s ! Alors, victimes d e vos v i c t i m e s , v o u s appelle-
132
rez Dieu à v o t r e a i d e , et Dieu vous dira : Allez, m a u d i t s , vous avez v e r s é le sang de v o s frères !!! La v é h é m e n c e de Merville avait frappé le planteur. M o n s i e u r , lui d i t - i l , j ' a i p e u t - ê t r e a u j o u r d ' h u i mis t r o p d e vivacité dans m a c o n d u i t e ; p a r i n a d v e r t a n c e , j'ai causé la m o r t d e v o t r e n è g r e et d e m a n é g r e s s e , j ' e n suis f â c h é , j'étais loin d'y s o n g e r , je v o u s j u r e ; voici m o n a m e n d e , j e la d é p o s e e n t r e vos mains.
En
finissant
ces paroles singulières,
le p l a n t e u r tira d e sa poche d e u x pièces d ' o r , qu'il offrit à Merville (29). A c e sang f r o i d , à c e t t e
réparation
b i z a r r e , Merville n e r é p o n d i t q u e p a r u n m o u v e m e n t d e m é p r i s p r o f o n d . Les
gémissemens d'un j e u n e n è g r e o n t frappé son oreille; il se r e t o u r n e , voit un garçon de d o u z e ans à peu p r è s , qui s'est j e t é
133 sur le corps d e N é a l a , qui appelle sa m è r e , qui d e m a n d e , qui supplie q u ' o n lui r e n d e sa m è r e . N e serait - ce pas l e u r fils ? d e m a n d e Merville
aussitôt.
C'est celui d e la n é g r e s s e , lui r é p o n d on. Viens , p a u v r e e n f a n t , dit-il alors avec
attendrissement
en lui
tendant
les b r a s ; viens, p a u v r e o r p h e l i n , je t e servirai d e p è r e , je veillerai sur tes j o u r s , j ' a s s u r e r a i t o n b o n h e u r . O u i , je j u r e d e n e te q u i t t e r q u e l o r s q u e , sur u n e t e r r e l i b r e , dans u n e h e u r e u s e p a trie de n o i r s , sous un ciel o ù tes y e u x n e seront plus frappés sans cesse des m a u x q u ' e n d u r e n t tes f r è r e s , et d u s p e c tacle d e
la puissance oppressive
des
b o u r r e a u x d e ta f a m i l l e , j ' a u r a i v u c o m m e n c e r p o u r toi de glorieuses destinées, Viens dans mes b r a s , viens a v e c m o i , mon fils, quittons p o u r jamais ces plages
134
d ' h o r r e u r et d ' e s c l a v a g e ;
viens, mon
fils. Merville v o u l u t a c h e t e r le j e u n e noir à l'instant. Il est u n e conscience qui parle plus h a u t q u e l ' i n t é r ê t ,
qui l ' e m p o r t e
sur le p o u v o i r s u p r ê m e . L e p l a n t e u r sentait v i v e m e n t m a l g r é lui t o u t le poids de l'indignation d ' u n h o n n ê t e h o m m e . Il pouvait la b r a v e r , il est v r a i , mais il n ' é tait pas en son p o u v o i r d e r e p o u s s e r l a s o u f f r a n c e i n t é r i e u r e q u ' e l l e lui Causait.
Il consentit v o l o n t i e r s à c é d e r le petit n o i r , et n'en d e m a n d a q u ' u n prix m o déré. Merville alors prit l'enfant p a r la m a i n et l'emmena d e suite h o r s d e la plantat i o n , en l ' a p p e l a n t t o u j o u r s s o n fils, a u
grand é t o n n e m e n t d e t o u s c e u x qui l'environnaient. Désormais le séjour des colonies n e
135 pouvait plus o f f r i r a Merville q u ' u n a s p e c t d é p l o r a b l e ; suivi de son pupille, il se r e n d i t p r o m p t e m e n t à S a i n t - D o m i n gue. L à , c o m m e n ç a p o u r lui l ' a c c o m plissement du s e r m e n t qu'il avait fait au j e u n e n o i r , d e p r o t é g e r ses destins à v e n i r . T o u s les soins d'un t e n d r e p è r e , t o u t e la sollicitude d'un a m i , lui furent prodigués par Merville. Les t r é s o r s d e l'éducation la plus suivie , la plus disting u é e , furent versés a u t o u r de l'enfant de l'Afrique. Son intelligence les comprit et sut en profiter. P e u à p e u ses facultés s'étendirent, les préjugés qu'il avait sucés avec le lait de l'esclavage disparurent d e v a n t la clarté p u r e d e la raison. Au b o u t d e q u e l q u e s a n n é e s , Merville e u t le b o n h e u r d e voir son fils adoptif h o n o r e r sa nouvelle patrie p a r ses t a l e n s , l'illustrer p a r son é l o q u e n c e , e t , d a n s
136 des écrits pleins d'énergie et d e v é rité , éclairer le m o n d e et consoler ses frères affligés. Satisfait d'avoir d o n n é à la r é p u b l i q u e u n citoyen u t i l e , e t d ' a v o i r fait c o n n a î t r e à son pupille t o u t le b o n h e u r q u e p r o c u r e la l i b e r t é , M e r ville pensa q u e sa t â c h e était remplie. Le vif désir d e r e v o i r son pays se fit sentir à son c œ u r ; p e r s u a d é qu'il p o u r rait y ê t r e utile à la cause qu'il a v a i t embrassée , il n e b a l a n ç a p a s . Mon fils, dit-il à son j e u n e a m i , la voix d e m a patrie s'est fait e n t e n d r e , elle m ' a p p e l l e , je vais te q u i t t e r . Au sein d e c e t t e belle patrie je défendrai les droits des n o i r s . J e m e joindrai à tant d ' h o m m e s r e s p e c tables qui p o u r s u i v e n t d e l e u r i n d i g n a tion un c o m m e r c e i n f â m e , un criminel esclavage. T o i , m o n fils, suis ta n o b l e c a r r i è r e , h o n o r e toujours la r é p u b l i q u e
137 qui t ' a d o p t a , et la r a c e d o n t tu es n é , par tes v e r t u s , tes t a l e n s , ta sagesse; sois h e u r e u x ! m e s plus t e n d r e s v œ u x te suivront pas à p a s , et t ' e n v i r o n n e r o n t sans cesse. P r ê t à m o n t e r sur le vaisseau qui al-
lait l'éloigner p o u r t o u j o u r s de la belle H a ï t i , Merville pressa t e n d r e m e n t le n è g r e sur son c œ u r . Long-temps t o u s d e u x se t i n r e n t embrassés. Enfin Merville est sur le v a i s s e a u ; l'orphelin se p r o s t e r n e d a n s la p o u s s i è r e , il t e n d les b r a s à l'ami qui lui o u v r e e n c o r e les siens.Le b â t i m e n t s'ébranle; par u n m o u v e m e n t s p o n t a n é t o u s d e u x élèvent leurs y e u x et l e u r s mains v e r s le ciel. Le s o leil resplendissant frappe alors en m ê m e temps d e ses r a y o n s u n blanc et un noir, tandis q u e les prières réunies de ce b l a n c et de ce noir sont accueillies de l'Eter-
138 n e l , c o m m e la plus agréable offrande. Mon Dieu ! s'écrie le noir, protégez m o n p è r e ! Mon Dieu ! dit Merville, r é p a n d e z v o s b é n é d i c t i o n s sur cet ê t r e r é g é n é r é ! Veillez sur ses destins et sur les d e s t i n s d'Haïti ! et t o i , Haïti! ô q u e ta splendeur n e soit pas u n brillant m é t é o r e , mais u n p h a r e i m m o r t e l d e salut et de l i b e r t é (3o) ! ! !
FIN.
N O T E S .
( I ) P . 5. Et l'homme inventa l'esclavage. L'amour de la liberté, les nobles i d é e s , tous les sentimens naturels à l ' h o m m e , semblent s'être réveillés partout. L'Amérique du Nord voit chaque jour s'augmenter sa gloire, sa s p l e n deur, sa puissance. Ses institutions font déjà l'admiration du monde et assurent sa prospérité intérieure. Tout en elle porte un caractère de grandeur et de b e a u t é , t o u t , son indépendance, son patriotisme, sa politique, sa reconnaissance. Les états de l'Amérique du S u d , électrisés par son noble e x e m p l e , s'élancent de toutes parts vers une sage liberté. La Grèce, berceau des sciences et des a r t s , berceau de la sagesse et de l'héroïsme, la Grèce, lasse d'un joug h o n t e u x , se régénère, et enfante des héros dignes de ceux qui l'illustrèrent aux beaux jours de sa gloire. Le monde entier rejette les préjugés et l'esclavage , oserions-nous encore en laisser accabler les nègres ?
140
(2) P. 6. La honte de l'espèce humaine. L e crime de la traite fut la suite d'autres crimes. Lorsque les Européens se furent emparés des colonies, leur ivresse devint t e l l e , qu'ils massacrèrent impitoyablement tous les malheureux insulaires. Alors ne pouvant tirer parti par e u x m ê m e s du sol riche qu'ils avaient c o n q u i s , manquant de bras pour cultiver les terres c o n sidérables dont la possession les e n i v r a i t , mais dont ils avaient peine à supporter l'excessive chaleur, ils allèrent à la chasse des h o m m e s ; et profitant de l'état d'enfance des nègres, ils se les approprièrent c o m m e esclaves, c'est-à-dire qu'ils volèrent à l'Afrique ses malheureux enfans.
(3) P. 13. Cette dernière ressource leur sera soigneusement arrachée. On punit rigoureusement les esclaves qui veulent se tuer. Tous les faits extraordinaires qu'on lira dans cet ouvrage sont de la plus grande authenticité. T o u s les traits affreux qui feront frémir l e s lecteurs sensibles sont de la plus exacte, de la p l u s
scrupuleuse
vérité. E n vain
quelques individus de mauvaise foi voudraient les révoquer en d o u t e , ou les faire passer pour d'horribles fictions. Loin de nous la méprisable facilité d'effrayer l'imagination par des crimes
141 imaginaires : ce talent, nous nous empressons de l'abandonner à beaucoup de nos faiseurs de romans ; selon n o u s , il outrage Ja nature. Cet ouvrage est une histoire impartiale bien plutôt qu'un roman. Toutes les circonstances qu'on y trouvera développées dans le cadre d'une nou-
velle, sont historiques, sont appuyées sur les preuves les plus certaines, sont constatées par les ouvrages les plus recommandables. On peut, pour s'en convaincre, lire toutes les brochures publiées sur ce sujet par la Societé de la morale chrétienne, notamment le Cri des Africains, et les comptes rendus de livres du même genre dans la Revue encyclopédique. C'est avec un zèle ardent, mais c'est avec un scrupule religieux que nous nous sommes conformés à ces documens authentiques. (A) P . 1A. Ou de se rendre pour
mourir.
Consultez également les ouvrages
ci-dessus
nommés.
(5) P. 14 Quelle épouvantable effronterie ! Suivez les mêmes indications; lisez particu-
lièrement le Cri des Africains, brochure du plus haut intérêt, écrite avec simplicité, avec la plus ardente humanité, la plus touchante philanthropie. Elle vous fera frémir.
142
(6) P. 15. Pour l'homme infortuné Si vous voulez vous instruire pleinement , suivez les travaux du Comité de la traite, fondé au sein de la Société de la morale chrétienne ; suivez ceux des sociétés correspondantes a n -
glaises, sur le même sujet; lisez le rapport éminemment remarquable de M. Buxton au parlement anglais, rapport relatif à l'abolition de l'esclavage aux colonies ; lisez enfin tout ce qu'a publié l'Angleterre, nation admirable, il faut en convenir, dès qu'il s'agit de sacrifices généreux, d'associations philantrhopiques.
(7) P. 17. A leurs tourmens. L a mort la plus affreuse paraît aux nègres préférable à leur situation cruelle , leur état est pour eux le pire des m a u x , aussi la plus active surveillance ne triomphe-t-elle pas toujours de leurs projets de se détruire.
(8) P. 1. Les vengean ces du ciel. Les conducteurs de caravane sont la plupart du temps si barbares, que non seulement ils chargent les esclaves de c h a î n e s et de p e s a n s f a r d e a u x , mais
souvent encore ils tyrannisent leurs mouvemens au point de rabaisser leurs têtes à coups de bâton, lorsqu'ils voient ces têtes se tourner d'un côté ou d'un autre. Lisez
le Cri des Africains.
143 (9) P. 20. Le soutien de leurs chaînes. Que de raisons peuvent les priver de leurs femmes, de leurs familles? Que d'événemens peuvent ainsi changer leurs destinées? les ventes d'esclaves, les changemens de maîtres, les caprices, etc... puisque leurs mariages ne sont reconnus par aucune loi, par conséquent ne sont aucunement respectés.
(10) P. 21. Après des nuits d'orages. Les excès récens commis à la Martinique ne devraient-ils pas faire craindre pour elle un pareil sort, faire pressentir de nouvelles c o m m o tions ? ne devraient-ils pas rendre plus humains et plus sages? Mais non, on croit enchaîner tout par la fureur. Il vient pourtant un moment où elle se brise devant une fureur plus grande.
(11) P. 26. Par des animaux enragés!!! Lisez l'histoire de la catastrophe de Saint-Dom i n g u e , ouvrage admirable d'un noir, publié par M. B. de Cressé, Paris, 1820.
(12) P. 28. Etouffe l'entendement. E t-il possible qu'il existe de nos jours des gens qui mettent les nègres au niveau des singes! Ce n'est pourtant que trop vrai. Regardez les colons qui amènent avec eux des nègres en Europe; ne dirait-on pas que ce sont des bêles
144 curieuses qu'ils ont à leur suite ? Remarquez la manière indécente dont les femmes créoles se conduisent devant leurs nègres; ces dames assurément ne leur font pas l'honneur de les croire h o m m e s , ou du moins hommes comme les blancs.
(13) P. 29. Que de crimes avant ce temps peutêtre inconnus aux enfers. Imitation du vers de Racine : Et des crimes peut-être inconnus aux enfers !
( 1 4 ) P. 30. Qu'ils veulent convertir à la foi. Ceux qui se seront bien pénétrés des vérités que nous avançons i c i , ceux qui se rendront à l ' é v i d e n c e , seront bien c o n v a i n c u s que jusqu'à ce jour la c o n v e r s i o n des nègres ne pouvait être qu'un prétexte , ou qu'une absurdité.
( 1 5 ) P. 38. En cas de besoin. Dès qu'un négrier se montre à l'ancre, les nègres ne sortent plus qu'armés.
(16) P. A6. Adieu , adieu mon frère. Le culte des nègres pour leurs parens, particulièrement pour leurs m è r e s , est on ne peut plus touchant.
(17) P. 53. Si les exorcismes. L'hypocrisie mèdes.
les mêle adroitement aux r e -
145
(18) P. 74. Et ses épaules. Les vols de nègres enlevés par surprise sont très-fréquens; consultez les ouvrages que nous avons indiqués.
(19) P. 7 5 . Phénor s'évanouit. Lisez le cri des Africains, vous y verrez de semblables h o r r e u r s ; je le r é p è t e , c e t ouvrage est authentique.
(20) P. 78. De la douleur et de la rage. Allez aux sources que nous indiquons, vous aurez des détails sur ces affreux négriers.
(21) P. 79. Dans un tonneau. Sur des bâtimens pris faisant la traite, on a trouvé des victimes humaines entassées
dans
des tonneaux. Consultez.
(22) P. 83. Il est de ces tableaux, etc. Hélas! que d'horreurs enfantées sans cesse par des préjugés ou des calculs odieux! De nos jours, des chrétiens veulent voir planter l'étendard de Mahomet où flottent les bannières du Christ ! Ni ces milliers de victimes qui m e u rent en embrassant la croix, ni ces f e m m e s , ces enfans, ces vieillards qui font sauter la forteresse qui les renferme plutôt que de se rendre, rien ne touche leur rage impie! Quoi ! pas un
146 état de l'Europe chrétienne n'ira secourir des frères? Des chrétiens se joindront-ils à des Turcs ? Aideront-ils à massacrer des chrétiens ? Verront-ils de sang-froid exterminer tous leurs frères ? mettront-ils la Grèce chrétienne en cendre? Feront-ils triompher l'étendard du croissant? Histoire ! quelle page de s a n g , q u e l l e marque d'infamie!!!
(23) P. 85. Sans honneur et sans foi. S'il faut donner encore d'autres preuves physiques a l'appui de l'horreur naturelle qu'inspire à tant d'égards cet infâme trafic, nous e n gagerons à lire l'ouvrage du docteur Dupan relatif à la fièvre jaune. On y verra comment la nature outragée se venge des crimes des hommes en répandant sur eux les poisons que leur ignorante cupidité concentra elle-même dans leur sein.
(2A) P. 89. Les nègres ne se feraient plus musulmans. Quelle honte pour les chrétiens! Ils portent la désolation en Afrique, et les musulmans y portent et y voient fleurir leur religion. Consultez.
(25) P. 9 1 . Malgré scs souffrances. Il n'y a aucune exagération dans ces détails
147 de supplices, nous sommes loin encore de les citer tous. Recherchez les travaux du comité de la traite formée par la Société de la morale chrétienne.
(26) P. 97. Par des mensonges. Le témoignage d'un seul blanc l'emporte en justice contre celui de p l u s i e u r s noirs. Lisez l'introduction au rapport de M. Buxton, ci-dessus cité, par M. C . Coquerel.
(27) P. 109. A cet égard. C'est en vain qu'on voudrait suspecter la bonne foi des Anglais dans leurs poursuites contre ceux qui font encore la traite. Efforçonsnous plutôt d'imiter à cet égard leur franchise et leur juste sévérité.
(28) P . 127. Arme de son fouet. Ne croirait-on pas voirie maître d'une meute?
(29) P. 132. Deux pièces d'or qu'il offrit à Merville. Historique. Voyez le rapport de M. Buxton.
(30) P. 138. De salut et de liberté ! Honneur au roi chrétien qui vient solennellement de reconnaître ton indépendance ,
148 Haïti! avec ton nom immortel, son nom traversera les siècles; a i n s i , en peu d'années, deux Bourbons ont illustré deux règnes; l ' u n , en donnant à la France la constitution, qui assure ses droits sacrés, et sur laquelle repose tout son espoir ; l'autre, en sanctifiant par sa justice la régénération d'une race d'hommes si long-temps outragée. Puisse sa main protectrice s'étendre également sur les nègres qui souffrent encore !
FIN
DES
NOTES.
parcequeleurs>^(,tiuija
se
dornaient
a
dans un esprit de
c'est-à-
l'Etat. Mais à peine les représentans furent introduits
dire la monarchie, et la division des trois ordres de
le maintien des formes du gouvernement;
Ils avaient recommandé spécialement
public, et ils faisaient l'éloge de la sagesse de
leurs auteurs.
bien
Ces cahiers avaient été rédigés
dont ils étaient porteurs.
exposer aux Etats généraux le contenu des cahiers
spéciaux,
ne s'en
trop accroîtr
étaient dans
futefficacement tous a pc
ordres fûsser
Il
ensuite qu'o
égal à celui
ON TROUVE CHEZ LES MÊMES LIBRAIRES :
ADRESSE AUX HÂTIONS DE L'Europe, sur le
fr.
commerce homicide appelé Traite des Noirs, publiée par la Société des Amis, communément nommés Quakers, etc. trad. de l'anglais, -br. in-8°. . . .
c.
25
FAITS RELATIFS à la Traite des Noirs, suivis de détails sur la colonie de Sierra - Leone, publiés par un comité nommé par la Société religieuse des Amis, pour concourir à l'abolition complète de la Traite des Noirs, br. in-8°
Co
QUELQUES OBSERVATIONS sur la Traite des
Noirs. Signé :
Josiah
Forster
Et toutes les brochures relatives à la Traite, mentionnées dans cet ouvrage.
JOURNAL DE JEAN MIGAULT , ou Malheurs
d'une famille protestante du Poitou, à l'époque de la révocation de l'édit de Nantes, d'après un manuscrit récemment trouvé entre les mains d'un des descendans de l'auteur, in-12. ATTILIUS, on l'Héroïsme de la piété filiale, par E. T. C. H. Pelletier, in-18
1
80
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