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Pour l’École

DOSSIER

L’École publique laïque et gratuite que l’on croyait définitivement installée est aujourd’hui menacée par des choix budgétaires et idéologiques. C’est pourquoi le SE-Unsa est, avec plus de 40 organisations, à l’initiative de l’Appel national pour l’École publique. Son succès nous donne la responsabilité de poursuivre et d’amplifier cet engagement.

publique

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ole Fête de l’Éc publique, 010 le 19 juin 2

L’ENSEIGNANT : Vous venez de signer l’appel national pour l’École publique, pourquoi ? HENRI PENA-RUIZ : Il est extrêmement paradoxal de voir, qu’en même temps que le plan «espoir-banlieues» du gouvernement ouvre 50 classes dans l’enseignement privé, on supprime encore 16 000 postes dans l’enseignement public. L’argent public qui provient des contribuables de toutes convictions, athées, croyants ou agnostiques, est encore affecté à une école privée religieuse alors que l’École publique est privée des moyens qui lui permettent de s’élever à une certaine qualité d’encadrement. C’est ce terrible paradoxe qu’il faut souligner et rappeler la validité d’un principe fondamental : l’argent public pour la seule École publique. Il faut le rappeler parce que trop de forces, y compris des forces dites progressistes, ont abandonné ce combat et consacré la loi Debré(1) de décembre 1959. Face à cela, il faut rappeler que les vertus de l’École publique sont essentielles ; elle accueille tous les enfants sans discrimination d’origine. Ce qui •••

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••• aujourd’hui pose problème, c’est qu’on prive

Quelles sont, selon vous, les principales menaces qui pèsent sur l’École publique ? H. P-R. : Tout d’abord, il y a le développement de ce qu’on appelle communément la «marchandisation de toute chose», qui repose sur un énorme contresens lorsqu’il s’agit d’instruction et d’Éducation. L’argent public L’instruction, par pour la seule laquelle l’enfant devenu élève devient École publique maître de son jugement, jouit de la pléni- tude de la culture et de l’autonomie de jugement qui fera de lui un citoyen libre, un homme responsable affranchi de toute tutelle, n’est pas une simple prestation, elle n’est pas «vendable». Or l’idéologie ultra libérale de privatisation de l’ensemble des Services publics s’attaque

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Syndicat des

L’INTERVIEWÉ

l’École publique des moyens qui lui permettent d’être une école d’excellence au service de tous les enfants du peuple et parallèlement on fait les beaux jours de l’école privée sur la base de la déshérence relative des moyens de l’École publique. C’est dans cet esprit là que j’ai signé cet «Appel pour l’École publique».

enseignants - Unsa • www.se-unsa.org

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ENRI PENA-RUIZ

est un professeur et essayiste français. Agrégé de philosophie, il est professeur de chaire supérieure en khâgne classique au lycée Fénelon, et maître de conférence à l’Institut d’études politiques de Paris. Défendant les valeurs de solidarité, il est devenu un spécialiste des questions de laïcité qu’il pose comme fondement de l’universalité. C'est à ce titre qu’il a été en 2003, l’un des vingt sages de la commission sur la laïcité présidée par Bernard Stasi.

aujourd’hui à l’École et veut faire de la «prestation», comme on dit, d’instruction et d’Éducation, une chose qui pourra être l’objet du marché. Or on sait très bien que dès lors que l’instruction et l’Éducation seront l’objet d’un traitement commercial, on aggravera l’inégalité. Lorsque Condorcet, dans ses mémoires sur l’instruction publique, en invente le concept, il a un but : faire en sorte que l’instruction qui prépare la citoyenneté éclairée et la liberté de tous les êtres humains soit dispensée à tous indépendamment des inégalités, des conditions de fortune et de culture qui existent dans la société civile. À cette défense intransigeante de l’École publique, il faut assortir une politique sociale de l’enfance, de lutte contre toutes les inégalités sociales. Justice sociale et défense de l’École publique sont deux piliers fondamentaux et indissociables et si aujourd’hui, l’heure est grave, c’est parce qu’il y a par ailleurs une atteinte à la laïcité, une atteinte à cette indépendance de l’École par rapport à toute puissance, qu’elle soit d’ordre religieux ou économique. Il faut aujourd’hui réaffirmer le principe de laïcité et il faudrait enfin que ceux qui ont vocation à défendre la laïcité la défendent,


citoyens de France qui ne croient pas en Dieu, mais qui croient en d’autres principes et en d’autres valeurs, sont en quelque sorte l’objet d’une discrimination. Quand le président de la République ose dire que dans l’approche du bien et du mal, l’instituteur fait moins bien que le curé ou le pasteur(2), c’est absolument scandaleux. Le prêtre a tout à fait la liberté d’enseigner une conception de la moralité, mais l’instituteur, lui, ne prétend pas formater les consciences ou les conditionner à un code moral particulier. Il prépare la liberté de jugement qui fera que chaque citoyen pourra choisir librement ses valeurs morales. Je dirais, moi, à l’inverse de notre président de la République, que l’instituteur fait admirablement le travail d’élévation de tout enfant à l’autonomie de jugement. Il faut arrêter de laisser croire qu’il n’y a de morale que religieuse : Sartre ou Camus s’insurgeraient contre cette idée, il n’est pas vrai que «si Dieu n’existe pas tout est permis» comme disait Dostoïevski, et l’École laïque n’est pas une école qui fait la guerre à la religion, ou qui privilégie l’athéisme, c’est une École qui laisse hors jeu les convictions particulières des familles, parce que son souci est de mettre en avant ce qui est commun à tous les hommes. C’est en ce sens-là que l’École publique est une école de fraternité et d’universalité. Propos recueillis par Emilie Trigo (1) Loi qui instaure un système de contrats entre l’État et les écoles privées qui le souhaitent. (2) Discours de Latran du 20 décembre 2007.

qu’ils cessent de financer, par exemple, des institutions religieuses, qu’ils cessent de porter atteinte au principe selon lequel l’argent public qui provient de tous les contribuables doit financer l’École publique qui est ouverte à tous.

Retrouvez la vidéo de cette interview sur

SYNDICAT L’AVIS DU

En quoi le respect de la laïcité est-il important dans notre modèle d’École ? H. P-R. : L’École ouverte à tous doit être de tous, et elle ne peut pas être inféodée à une confession religieuse, pas plus qu’à un humanisme athée. L’École publique est universelle et c’est la raison pour laquelle elle ne peut être que laïque. Or aujourd’hui on assiste au développement de multiples attaques contre la laïcité : le président de la République ne se prive pas pour privilégier la religion catholique et la figure religieuse de la conviction, ce qui veut dire que les

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Laurent Escure, secrétaire national.

Sans ambages, Henry Pena-Ruiz nous montre les dangers qui planent sur l’École de la République. Il nous rappelle le lien étroit qui doit exister entre la défense d’une École pour tous, fraternelle et laïque, et l’ambition de la justice sociale. Le SE-Unsa se retrouve dans ces propos et partage l’analyse selon laquelle un double mouvement est à l’œuvre : celui de la marchandisation de l’Éducation et celui de l’affaissement de l’idéal laïque de l’institution scolaire. Protéger et promouvoir notre École est donc une nécessité, alerter l’opinion sur le fait qu’elle est à la croisée des chemins est un devoir. C’est le sens de l’initiative que nous avons prise avec l’Appel national pour l’École publique.

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MOBILISATION CITOYENNE

300 000 «engagés» !

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Une campagne d’ampleur pour peser sur les choix politiques d’aujourd’hui et demain.

OBJECTIF ATTEINT ! L’Appel national pour l’École publique regroupe plus de 300 000 citoyens-militants qui ont engagé leur signature. Les parents d’élèves de la FCPE, mais aussi les jeunes syndicalistes lycéens de l’UNL et les étudiants de l’Unef se sont engagés à nos côtés pour faire de cette campagne la plus importante action de défense et de promotion du modèle de l’École de la République depuis plus de 15 ans. Ensemble, nous avons sensibilisé des milliers d’élus locaux, nous avons rencontré et associé des centaines de

300 000

milliers de citoyens. Nous interpellons, désormais, au nom de ces «militantscitoyens», ceux qui nous gouvernent, les élus, et les partis politiques pour qu’à leur tour, ils s’engagent.

Avec détermination, nous allons maintenant poursuivre ce travail de conviction, indispensable pour l’avenir de notre pays et de l’Europe. Construire une société solidaire, sociale, fraternelle passera par le renforcement et l’amélioration de notre École publique laïque et gratuite. Les Enseignants de l’Unsa resteront en première ligne de ce combat ! Laurent Escure

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L’UNL au rendez-vous de l’École publique Victor Colombani, nouveau président de l’UNL, a commencé son mandat sur les chapeaux de roues avec l’implication des lycéens sur le mouvement des retraites. Le syndicat lycéen a été un des initiateurs de l’Appel national pour l’École Publique et a beaucoup œuvré pour son succès. La forte implication de ces jeunes militants dans cette action est un signe de la bonne santé de nos idéaux. Le refus de l’affaiblissement du service public d’éducation et la défense de la laïcité ont été les moteurs de leur engagement. La maturité et la détermination des syndicalistes de l’UNL nous confirment que la valeur militante n’attend pas le nombre des années.


dates

de la laïcité en France

26 août 1789 Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen qui proclame la Liberté religieuse.

12 juillet 1790 Décret sur la Constitution civile du clergé.

1791 Constitution qui instaure la liberté de culte.

1881-1882 Les lois Jules Ferry instituent l’École publique gratuite, laïque et obligatoire.

ÏCITÉ ORIGINE DU MOT LA À l’orig ine du mot , «laïcité», un terme grec é nit laos, qui désig ne l’u d’une population, considérée comme un tout indivisible. Ce premier concept de laïcité s’applique donc aux États dans lesquels les individus ne peuvent pas être discriminés ientations de vie. en fonction de leurs or e qu’il n’existe aucune L’unité du «laos» impliqu aux hommes capable prérogative supérieure cience. Cette unité du de leur dicter leur cons x: principes fondamentau peuple repose sur deux la liberté et l’égalité.

REPÈRES

Les grandes

1905 1946 Inscription du principe de laïcité dans le préambule de la Constitution.

1958 L’article 1 de la Constitution de la Ve République indique : «La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale».

MAIN BASSE SUR L’ÉCOLE PUBLIQUE «Voilà un livre à lire absolument pour comprendre la situation scolaire et les débats éducatifs d’aujourd’hui. L’ouvrage se présente comme une enquête -presque un «thriller»- centrée sur la dénonciation d’un projet qui, malgré les apparences, n’a rien d’improvisé ni d’incohérent. La libéralisation de l’école y apparaît comme une perspective mûrie de longue date, avec des objectifs précis et des étapes qui sont en train de se dérouler sous nos yeux : appuis au développement de l’enseignement privé, mise en place de la concurrence systématique avec l’enseignement public, mécanismes subtils de privatisation de ce dernier…» - Philippe Meirieu.

La solidarité, une urgence de toujours. Ce livre fait le point sur toutes les formes de solidarité et les met en perspective dans la marche vers un monde meilleur. Il évoque l’origine juridique de la notion de solidarité, puis sa version éthique, et enfin sa version politique et sociale. Il recense les solidarités de résistance de celles et ceux qui sont victimes d’une situation injuste. Femmes, ouvriers exploités, chômeurs, immigrés sans papiers, SDF, personnes victimes de discrimination… Tous les droits d’auteur de ce livre ayant été abandonnés à Solidarité laïque dans le but de la reconstruction d’Haïti, ce n’est pas seulement un livre sur la solidarité, mais un geste solidaire en lui-même ! «La solidarité, une urgence de toujours», Henri Pena-Ruiz, éditions Rue des écoles-Maif, mars 2010.

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Loi de séparation des Églises et de l’État.

«Main basse sur l’École publique», Eddy Khaldi et Muriel Fitoussi, Paris, éditions Démopolis, septembre 2008.

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