DOSSIER
Même en temps de crise et de restrictions financières, les choix opérés pour le montage du budget témoignent d’une volonté politique claire. Impôts, déficit budgétaire, PIB, financement de la protection sociale ou des Services publics… Le SE-Unsa essaie d’éclairer un débat laissé aux seuls économistes qui comme l’écrivait Keynes «sont présentement au volant de notre société, alors qu’ils devraient être sur la banquette arrière»…
L€s d€ssous du budg€t d€ l’€tat
U © Olivier Dirson
UN BUDGET, C’EST AVANT TOUT DES CHOIX DE RECETTES, pour l’essentiel assises sur l’impôt, et de dépenses pour assurer l’administration de l’État. La Déclaration des droits de l’Homme, préambule de la Constitution, précise : «Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée». La crise financière et économique est souvent le prétexte de la restriction du champ de l’activité de l’État et de la réduction de l’intervention publique par le resserrement des budgets. Le vote du budget est l’un des fondements de la démocratie car c’est ainsi que s’exercent le pouvoir et la souveraineté du peuple. C’est en déterminant ses besoins que le peuple va choisir la société dans laquelle il souhaite vivre, c’est par la démocratie que se construit cette orientation de la politique économique.
Notre pays voit les inégalités s’accroître. Le taux de pauvreté augmente. En 2009, 10,1% des actifs sont pauvres(*) soit une augmentation de 0,6 point en un an.
À l’opposé 1% gagnent plus de 97 000€ et 1 sur 10 000 plus de 1 030 000€. L’Insee vient de publier une note sur la redistribution dans notre pays. Elle dit notamment «Les prestations sociales et les prélèvements réduisent les inégalités de revenus dans la population» mais aussi «L’impôt sur le revenu est en 2010 à la fois moins progressif et d’un montant relativement plus faible qu’en 1990».
Ces constats, partagés par l’Unsa, conduisent à revendiquer la défense du Service public au service de tous et plus particulièrement des plus fragiles. Parallèlement, l’impôt doit être un outil de redistribution, progressif qui pourrait viser à limiter les écarts de revenus (4000 personnes ont aujourd’hui un revenu supérieur à 100 fois le Smic(*) !). Sur ces bases, l’Unsa fait le choix de soumettre les revenus du travail et du capital au même barème, soit un prélèvement de 11,5 milliards d’euros sur les revenus du capital. On ne peut davantage ignorer la question centrale de l’emploi qui nécessite une relance ciblée de l’économie et ne pas de s’arc-bouter sur la défense politicienne des restes de la loi Tépa (travail, emploi, pouvoir d’achat). On le mesure, les choix ne sont pas neutres. Guy Barbier (*) Voir lexique page 17.
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BUDGET 2012
Quels équilibres ? À quel prix ? «Tous impôts confondus, leses ir classes popula ce paient en Fran5% entre 40% et 4 ois, d’impôts par m les classes 45% moyennes de 1% à 50%, et les x appartenant auon ir trés aisés... env 30%»
En 2012, la boussole budgétaire ne changera pas de cap, réduire la voilure publique quitte à en payer le prix de la cohésion sociale. Les recettes Le Projet de loi de finance 2012 est construit sur une base de recettes nettes de 288,8 milliards. Sur ce total, l’impôt sur le revenu ne représente que 20% des rentrées fiscales. La TVA, avec 47% de l’ensemble, est de très loin le produit le plus important du budget. Notre fiscalité est donc marquée par une part importante de la fiscalité indirecte (TVA, TIPP) et une faiblesse des impôts directs (impôt sur le revenu, impôt sur les sociétés). Ce déséquilibre est encore accru par la part importante des remboursements et dégrèvements (dont les niches fiscales) sur les impôts directs. Les choix budgétaires 2012, tout comme le
Répartitions des recettes nettes de l’État (LFi 2011)
«La France est quasiment un paradis fisc al» Thomas Pikett y
plan Fillon, accroissent la part des taxes payées par tous indépendamment du revenu, au détriment de la part des impôts directs plus progressifs. Deux exemples : • L’augmentation de la TVA de 5,5 à 7% devrait procurer 1,8 milliards de recettes supplémentaires. Elle touche des domaines aussi variés que les transports, les travaux, les livres… et impacte donc tout le monde. Elle rapporte 3 fois plus que l’augmentation de la taxation des dividendes. • La taxation des hauts revenus (au-delà de 250 000€ par an) devrait rapporter 410 millions. Mais la réforme de l’ISF(*), en juin dernier, avait allégé la fiscalité des plus riches de 1,8 milliard. Au final, le choix du gouvernement prive le budget de l’État de 1,4 milliard de recettes. Pour l’Unsa, si la TVA est la plus importante recette fiscale de l’État, elle est d’autant plus injuste qu’elle touche l’ensemble des consommateurs qu’ils soient imposables ou pas. Il est nécessaire de prélever sur la richesse car elle est un critère de la capacité contributive de chacun. À cet égard, le SEUnsa est favorable à la création d’une tranche supplémentaire d’imposition pour les très hauts revenus.
Les dépenses L’État dépense plus qu’il n’a de recettes : le budget 2012 prévoit un déficit de 70 milliards d’euros. Ce chiffre est à mettre en rapport avec la perte de recettes dues aux nombreuses niches fiscales (75 milliards). Les dépenses de l’État sont d’abord des dépenses de personnels pour assurer les missions de service publics(*). Viennent ensuite les dépenses d’intervention qui recouvrent les aides économiques et les subventions notamment
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Syndicat des
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LEXIQUE
aux collectivités locales. Le remboursement de la dette est le 3e gros chapitre de dépenses. L’investissement représente aujourd’hui une part très faible qui handicape toute relance. Là encore les choix ne sont pas neutres. • La remontée de la TVA de 5,5% à 7% a provoqué un tollé chez les restaurateurs. Mais, le passage de 19,6 à 5,5% depuis 2009 coûte au budget 2,4 milliards par an. Il coûtera encore 2,1 milliards pour une efficacité jugée très réduite par l’Insee et la Cour des comptes. Quant aux clients, chacun a pu juger de la valeur de l’engagement pris par ces professionnels… • Le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant en retraite diminue de fait les dépenses. Le PLF 2012 prévoit la suppression de 14 000 postes dans l’Éducation nationale pour une économie de 450 millions. On est très loin des dépenses faites dans la restauration et encore en dessous des effets du bouclier fiscal (500 millions cette année). En 2009, reprenant dans ses vœux les arguments des analystes économiques, Nicolas Sarkozy considérait que la France avait mieux résisté à la crise grâce à son modèle social et à la place de ses Services publics… pour mieux l’oublier aujourd’hui. Pour le SE-Unsa, chaque dépense doit être revisitée au regard de son efficacité économique et sociale. Les Services publics doivent y occuper une place essentielle.
«Le taux d’imposition sur les patrimoines supérieurs à 17 millions est passé de 1,8% à 0,5%»
«La fraude fiscale, c’est à dire les infractions commise s dans le but d’échapper à l’impôt, est estimée à plus de 50 milliards d’euros par an »
Guy Barbier
(*) Voir lexique ci-contre.
Répartitions par nature des dépenses de l’État (LFi 2011)
• BUDGET : loi approuvée par le gouvernement, adoptée par l’assemblée nationale. Il s’agit de l’ensemble des comptes décrivant les recettes et les dépenses de l’État pour une année civile. • ISF : impôt sur la fortune payé par les ménages détenant un patrimoine net imposable supérieur à 1,3 million d’euros. • JOURNÉE DE CARENCE : en cas de congé maladie, c’est le laps de temps durant lequelle le salarié n’est pas payé. • PATRIMOINE : ensemble des biens possédés, évalués au prix du marché. • PIB : produit intérieur brut, c’est l’indicateur économique utilisé pour mesurer la production dans un pays (valeur des biens et services créés - valeur des biens et services détruits ou transformés durant le processus de production). • PLAN D’AUSTÉRITÉ : politique budgétaire restrictive où les recettes fiscales augmentent et les dépenses publiques sont restreintes. • PLFSS : projet de loi de financement de la Sécurité sociale. • RÉCESSION : diminution du taux de croissance du PIB, donc ralentissement de l’activité économique. • SERVICE PUBLIC : mission générale ou prestation particulière qui est due par l’État à tous les citoyens appelés usagers. • SMIC : salaire minimum interprofessionnel de croissance, c’est le salaire horaire minimum légal en France (9,19 euros brut de l’heure). • TIPP : taxe intérieure sur les produits pétroliers utilisés comme carburant ou combustible. • TRAVAILLEUR PAUVRE : personne qui a un emploi mais qui ne dispose pas des ressources réputées suffisantes pour vivre dignement.
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CRISE DE LA DETTE
© studio 58
Rigueur à t ous les étages
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APRÈS LA RIGUEUR BUDGÉTAIRE, déjà deux plans complémentaires ont vu le jour. Point commun de toutes les décisions : faire porter l’essentiel des efforts sur les salariés et les ménages. Les principaux initiateurs de la crise sont largement épargnés…
Rigueur pour les salariés L’accélération de la mise en œuvre de la réforme des retraites alourdit l’un des dispositifs les plus durs d’Europe. Il est le seul à combiner un recul Les solutions de l’âge légal et un allongement de la durée apportées par d’activité aussi important. Il pénalise les salariés seniors dont le taux de chômage s’est pourtant le gouvernement accru de 17,2% sur un an ! font résolument La taxation, sans délai, des mutuelles de santé le contraire aura pour effet une augmentation des cotisaet accroissent les tions et, par voie de conséquence, une diminution des salaires. déséquilibres
Rigueur pour les ménages Le panier de réduction des dépenses de protection sociale impactera les plus fragiles, notamment par une désindexation de nombreuses prestations sociales et des aides au logement. C’est l’une des mesures les plus injustes du plan Fillon qui aura des effets extrêmement graves à court et moyen terme. L’augmentation de la TVA sur tous les produits (à l’exclusion de l’énergie, de l’alimentation et ainsi que des produits et services aux handicapés) va impacter la consommation qui est, en France, l’un des moteurs de la croissance.
Rigueur pour les fonctionnaires Montrés du doigt avec acharnement par la majorité présidentielle, rendus responsables
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du creusement du déficit budgétaire, les fonctionnaires trinquent à chaque fois. Les réductions d’emplois pèsent sur leurs conditions de travail. Le blocage de leurs salaires et même, pour les enseignants, de leur avancement (Cf. projet de modification sur l’évaluation enseignants et leur avancement page 4) amputent leur pouvoir d’achat. Ça ne suffit pas… on leur décomptera, désormais, un jour de carence.
En conclusion, la dette a augmenté de façon très importante ces dix dernières années du fait, principalement, selon la Cour des comptes, des baisses d’impôts. Elle indique encore : «Le poids dans le PIB(*) de l’impôt sur le revenu est plus de trois fois plus élevé en Allemagne qu’en France (9,6% contre 2,6% en 2008), du fait d’une assiette réduite en France par des déductions forfaitaires importantes et des dépenses fiscales coûteuses, et d’une baisse plus importante du taux marginal supérieur au cours de ces dernières années». Le diagnostic est donc posé. Pour autant, les solutions apportées par le gouvernement font résolument le contraire et accroissent les déséquilibres constatés. Ces plans d’austérité(*), qui se multiplient partout en Europe, vont avoir pour effet de nous amener à une récession(*) généralisée. Si l’Unsa est favorable à un assainissement des comptes publics, elle ne peut cautionner une politique qui n’ouvre aucune perspective de croissance et condamne à une augmentation du chômage. Guy Barbier (*) Voir lexique page 17.
LE PLFSS AUSSI…
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E FINANCEMENT DE NOTRE PROTECTION SOCIALE n’échappe pas aux mêmes choix politiques. La chasse
aux dépenses d’un côté, la recherche de nouvelles recettes de l’autre. Les recettes sont accrues par des prélèvements sur les malades et les salariés : • augmentation de l’assiette salariale de la CSG et du RDS © Oliv qui va se traduire par une baisse des salaires ; ier Dir son • augmentation de la taxe sur les mutuelles. On aurait pu élargir l’assiette à d’autres revenus que les salaires. Ce n’est pas ce qui est fait. Côté dépenses, restes à charge et déremboursements sont les principaux outils d’économie du gouvernement. Aujourd’hui, près du quart des dépenses de santé (42 milliards) est payé par les particuliers et leurs mutuelles. Les prix des médicaments sont plus élevés en France que partout ailleurs en Europe. La pharmacopée française renferme près de 5000 médicaments alors qu’il y en a dix fois moins dans les pays nordiques… Tout cela pèse sur les dépenses de santé sans que les gouvernements n’infléchissent leur politique. La mise en place d’une journée de carence pour les fonctionnaires est présentée comme une moindre dépense pour la Sécurité sociale… C’est une contre-vérité. L’argent restera dans le budget général de l’État et ne viendra, en aucune matière, réduire le déficit de la Sécu.
L’AVIS DU
SYNDICAT Guy Barbier, secrétaire national CE QUE LE SYNDICAT DÉFEND
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E PRODUIT INTÉRIEUR BRUT (PIB) exprimant la richesse de
notre pays atteint 2000 milliards. La croissance l’augmente mécaniquement et offre des marges de manœuvre budgétaires. Le déficit budgétaire dépasse 80% du PIB et le remboursement des emprunts pèse sur le budget de la Nation. L’État a fait le choix de se priver de recettes et de peser sur la réduction des dépenses sociales et de service public. À rebours, le SE-Unsa plaide, avec son union, pour une augmentation des recettes avec une plus grande justice fiscale. Élargissement de l’assiette de calcul à tous les revenus, suppression des niches fiscales sans utilité sociale ni économique. Le but est de relancer la croissance, donc l’emploi… et donc les recettes fiscales notamment celles liées à la consommation. Nous revendiquons un maintien de la protection sociale, facteur de répartition, à un haut niveau. m
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