Eno, la chasse aux rastacs - extrait

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Eno La chasse aux rastacs Extrait

Roman jeunesse, Ă partir de 9 ans.

SĂŠbastien Bailly

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Chapitre 1 La pièce tournait verticalement sur son axe, rapidement, en soulevant un petit nuage de poussière. Clarisse était fière de son lancer. Prise entre le pouce et l'index, la pièce avait commencé sa rotation à la vitesse idéale. La jeune fille avait d'abord posé sa question, et dans quelques secondes elle saurait. Déjà sa pièce en bois ralentissait, vacillait sur sa tranche. Puis la face souriante du oui s'offrit à son regard. Clarisse avait sa réponse. Elle irait voir Eno, et lui demanderait s’il acceptait de l'accompagner. Clarisse avait 10 ans, comme Eno. Et elle était aussi blonde qu'Eno était brun. Ses yeux bleus tiraient sur le mauve. Le lendemain, elle devait amener au marché trois paniers de pains frais, les vendre, et revenir chez elle auprès de ses parents, Plus d'information sur ce projet : http://fr.ulule.com/eno-la-chasse-aux-rastacs/


qui tenaient la boulangerie du quartier. Les vêtements de Clarisse, souvent, étaient recouverts de farine, et les garçons s'amusaient des miettes qu'on trouvait parfois dans ses cheveux. Eno Bildiger était à l'autre bout de la rue. Il grattait l'écorce d'un morceau de bois avec une pierre en rêvant d'en faire un arc, ou une canne. Ils étaient presque voisins, fréquentaient depuis toujours les mêmes trottoirs, les mêmes cours, les mêmes jardins. Ils n'avaient jamais connu le monde l'un sans l'autre. Nés à quelques semaines d'intervalle, ils avaient grandi côte à côte, riant des mêmes ricochets, s'amusant des mêmes ombres projetées sur le sol, sautant dans les mêmes flaques d'eau. Comme un frère et une sœur. Et c'était la fin du dernier été de leur route commune. C'en était fini de l'école. Ils savaient lire, compter, et ils allaient maintenant chacun apprendre leur métier. Clarisse avec sa mère allait faire du pain, Eno suivrait son père à la chasse aux rastacs. Ils se verraient parfois, sûrement. Mais les mèches brunes rebelles d'Eno allaient s'éloigner de plus en plus souvent du champ de vision de Clarisse. Ils allaient avoir 11 ans. Ils n'étaient plus tout à fait des enfants. - Eno ! Les grands yeux verts d'Eno se tournèrent vers Plus d'information sur ce projet : http://fr.ulule.com/eno-la-chasse-aux-rastacs/


Clarisse. Elle l'appelait, comme toujours, de loin. Elle voulait lui parler. Il s'approcha. - Oui ? - Tu peux venir avec moi, demain, au marché de Diamland ? Le lendemain, Eno n'avait rien prévu de particulier. C'était dimanche. Le dernier jour avant de partir avec son père à la chasse pour la première fois. Alors, oui, il pouvait accompagner Clarisse. Trois fois oui, même, car il n'avait jamais franchi le mur, il n'était jamais rentré dans Diamland. Comme tous les enfants de son âge, il s'en était approché, il avait parcouru le bord du lac, il avait regardé au loin le Palais... Mais entrer dans Diamland, un jour de marché, ça ne se refusait pas. Il porterait le troisième panier. Le mur était à deux rues à peine. Mais il fallait une bonne raison pour franchir la porte de Diamland. On ne passait pas d'un quartier à l'autre facilement. De là-bas, Eno connaissait les légendes. Il saurait demain de ses propres yeux si les façades des plus belles maisons étaient serties de pierres précieuses, les bords des trottoirs de marbres dorés à l'or fin... C'était le quartier le plus riche de la ville. L'antichambre du pouvoir. Avec la rue centrale qui donnait accès au pont qui conduisait, au-dessus du lac, jusqu'à l'île du Palais. Plus d'information sur ce projet : http://fr.ulule.com/eno-la-chasse-aux-rastacs/


- Eno ? -… - Eno ? Clarisse avait l'habitude des rêveries de son camarade. Il était bien là, mais suffisamment absent pour ne plus rien entendre, plongé dans ses pensées. - Eno Bildiger ? - … Quoi ? - Rendez-vous à 6 heures, devant la boulangerie. On doit s'installer à 7 heures au plus tard, pour vendre les pains. - Je serai là. Il était l'heure de rentrer. Chacun chez soi.

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Chapitre 2 Clarisse souleva deux énormes paniers remplis de pains encore chauds. Eno, qui n'en avait qu'un, avait du mal à comprendre comment elle pouvait supporter un tel poids, et un tel volume : ces paniers étaient particulièrement encombrants. Ils avaient eu droit chacun à un morceau encore tiède quelques minutes auparavant. Mais maintenant, plus question de toucher à la marchandise. A 3 sols pièce, ils avaient pour mission de revenir toutes les miches vendues, et 300 sols en poche. D'abord, franchir la porte vers Diamland. Eno ressentait comme une légère boule à l'estomac. Entre appréhension et peur diffuse. Pendant que Clarisse discutait le passage, Eno ne pouvait décrocher ses yeux de l'épée rutilante coincée à la ceinture du garde... Il lui arrivait à peine au nombril ! Et sa veste de cuir cloutée devait pouvoir le protéger Plus d'information sur ce projet : http://fr.ulule.com/eno-la-chasse-aux-rastacs/


de bien des mauvais coups. Celui-là, mieux valait sans doute l'avoir de son côté dans une bagarre ! Clarisse avait un laisser-passer, et c'est sans souci que le garde penché sur eux, avec un large sourire, les laissa finalement franchir la limite entre les deux quartiers, posant au passage sa large main sur l'épaule d'Eno. Ils passèrent sous la herse relevée. Si le garde l'avait déjà impressionné, Eno avait la bouche grande ouverte et les yeux écarquillés en découvrant la première rue de Diamland. La terre du sol avait disparu, et il marchait maintenant sur des pierres intégralement planes, rutilantes. Les maisons étaient plus hautes, peintes de couleurs vives... Et les gens ! Ces habits, ces coiffures, ces parfums... C'était une autre vie, ici. Les étoffes étaient multicolores. C'est le rire en cascade de Clarisse qui ramena Eno à la réalité... - Eh ! Avance ! Les pains ne vont pas se vendre tous seuls ! Eno s'était arrêté, encore bouche bée, devant une vitrine remplie de fouets et de ceintures... Une sorte de paradis où il aurait bien amené son père. « Au fouet agile » indiquait la devanture. Parmi les objets exposés là, un fouet tressé, noir, long de trois Plus d'information sur ce projet : http://fr.ulule.com/eno-la-chasse-aux-rastacs/


mètres sans doute, à la poignée de chêne vernie. Un fouet de précision, une merveille dont on devinait d'un coup d'œil la puissance et l'équilibre. Il faudrait, un jour, qu'il vienne là avec lui... Mais maintenant, avancer jusqu'à la place du marché, installer les paniers, et vendre les pains. Allez ! Sur la place, le spectacle était aussi incroyable. Les marchands étaient pour la plupart déjà là. Clarisse et Eno traversèrent une partie des échoppes montées pour l'occasion, manquant de renverser des pyramides de pastèques, de s'accrocher à des porte-manteaux, de répandre sur le pavage en mosaïque bleue et verte des jarres remplies d'épices ou de citrons confit. Clarisse, avec ses deux paniers, semblait virevolter entre les obstacles en faisant voler ses cheveux blonds à chaque virage. Eno, les yeux en l'air, ou le regard accroché par un mouvement sur le côté manquait l'accident à chaque pas. - On y est, lui dit finalement Clarisse dans le brouhaha incessant. Soulagé, il posa son panier là où Clarisse lui montrait leur place, dans l'alignement, entre un marchand de pommes et un autre de légumes, choux-fleurs, navets, carottes, au cœur du marché, sur l'allée centrale. En se penchant un peu, on devinait au loin, à droite, la tour du Palais, sur l'île,

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au centre du lac, et, à gauche, la rue se poursuivait jusqu'à la Grand Porte, l'entrée d'honneur de la ville. C'était une des meilleures places, que la mère de Clarisse tenait, au moins, de la mère de sa mère. Bientôt, les premiers clients arriveraient. Chacun mettait la dernière main à la présentation de son étal. Clarisse peaufinait les pyramides de pains sur le dessus des paniers. Il fallait attirer l'œil, séduire le chaland, le convaincre de la qualité des produits. A Diamland, le client avait les moyens, mais il était aussi très difficile... Les pains de la mère de Clarisse avaient leur petite réputation, mais il fallait compter avec la concurrence. Les premières clientes se faufilaient dans les allées. Chacune semblait savoir précisément ce qu'elle voulait, chacune ayant ses habitudes chez tel ou tel marchand qui les appelaient par leur nom. Au bout de l'allée, un homme au cheval silencieux avançait, il ne pouvait venir que du Palais. La monture était immense. Il s'approcha, sans tourner la tête, jusqu'aux paniers de pain de Clarisse. Le cheval était noir, comme la cape de velours qui recouvrait l'homme des épaules jusqu'aux pieds, bordée d'un léger liseré d'argent. L'homme ne tenait les rênes de son cheval que d'une main, dans les doigts de l'autre, recouverte d'un gant de soie noire, il laissait glisser une pièce. Une pièce comme Eno n'en avait que rarement vues. Une pièce en argent. Plus d'information sur ce projet : http://fr.ulule.com/eno-la-chasse-aux-rastacs/


L'homme était donc un Anscoin. Et pas n'importe lequel, seul Guillaume l'Anscoin pouvait provoquer un tel effet sur son passage. Guillaume l'Anscoin, le plus célèbre d'entre eux. Celui dont les ancêtres, disait-on, avait forgé La Pièce du Palais, la pièce du Maître. Alors qu'il n'avait semble-t-il rien regardé de la place du marché qu'il traversait, Guillaume tira insensiblement sur la bride devant les paniers de Clarisse. Son cheval s'arrêta instantanément. Le cavalier tourna la tête et ses yeux gris transpercèrent ceux d'Eno, qui baissa aussitôt le regard. - Combien pour ces pains ? - 3 sols pièce, seigneur, répondit Clarisse, la voix chevrotant à peine. - Et pour le tout ? - 300 sols, dit-elle, prenant de l'assurance. - Bien. Posons la question à ma pièce. Est-ce que je dois acheter tous ces pains ? Eno vit alors la pièce d'argent s'envoler dans les airs. Selon la face, sourire ou larmes, qui serait visible une fois la pièce immobilisée, il savait que l'issue serait différente. Sourire ? Guillaume l'Anscoin achèterait tout le stock. Larmes ? Il Plus d'information sur ce projet : http://fr.ulule.com/eno-la-chasse-aux-rastacs/


passerait son chemin. La pièce tournoyait, et retomberait bientôt dans la paume de son propriétaire. « Sourire, sourire, sourire... » Eno laissait aller cette litanie sous son crâne, comme si le simple fait de répéter ce mot pouvait influencer le résultat. La pièce tomba dans la paume droite de l'Anscoin, qui la retourna sur le dos de sa main gauche avant de la regarder. Il fronça les sourcils, jeta un regard autour de lui, secoua insensiblement la tête. Et ses yeux perçants, à nouveau, se posèrent sur Eno. Puis il fronça rapidement les sourcils, avant de sourire à nouveau. - Je prends tout. Veuillez amener vos pains à la porte du Palais, dit-il en jetant à Clarisse une bourse en cuir. Clarisse n'eut rien le temps de répondre : Guillaume l'Anscoin, déjà, avait repris sa route vers la porte de la ville. Les pains de la mère de Clarisse raviraient aujourd'hui les habitants du Palais. Le brouhaha reprit sur la place du marché au fur et à mesure que l'Anscoin s'éloignait. La marchande de légumes jura en tournant le dos : « De la chance pour la racaille... » Un vieux différend entre sa famille et celle de Clarisse traînait encore... La mère de la mère de Clarisse aurait un jour fait glisser un cageot de navets sous les pas Plus d'information sur ce projet : http://fr.ulule.com/eno-la-chasse-aux-rastacs/


d'un cheval. Accident, vengeance après que la mère de la mère de la vendeuse de légumes avait empiété sur la place réservée aux pains... personne ne savait exactement. Mais les relations étaient depuis un peu tendues. - Allez, on y va, dit Clarisse à Eno en attrapant ses deux paniers. - Tu ne trouves pas ça bizarre ?, répondit Eno en prenant le sien. - Pourquoi ? Nous avons eu de la chance, il s'est arrêté devant nous, et ensuite... « Tu dois t'en remettre à la décision de la pièce, et travailler à être prêt à toutes ses décisions ». C'était une des règles de la Confrérie. Une de celles que les enfants entendaient depuis leur plus jeune âge. Comme « tu proposes, la pièce décide », « à chaque question sa réponse », « il n'y a pas de mauvaise pièce, il n'y a que de mauvaises questions ». Eno savait tout cela depuis toujours. Mais c'était la première fois qu'il croisait une telle personnalité en chair et en os ! Un Anscoin, il connaissait celui de son quartier : un de ceux qui savaient le mieux poser les questions, un de ceux qu'on allait voir lorsque, adulte, on voulait remettre en cause, ou interpréter, la réponse de sa pièce en nickel... Et là Plus d'information sur ce projet : http://fr.ulule.com/eno-la-chasse-aux-rastacs/


ce n'était pas n'importe quel Anscoin : Guillaume, le premier d'entre eux après le Maître, un membre du Conseil, un Anscoin issu d'une lignée de légende, de ceux à qui l'on devait la stabilité et la sagesse de l'Empire. Une chance inouïe pour le fils d'un chasseur de rastac, pour la fille d'une boulangère, pas encore entrés dans leur onzième année. Ils n'avaient pas fini d'en parler. Et ils allaient s'approcher du Palais. Sans doute même ne s'en approcheraient-ils pas d'aussi près de toute leur vie.

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