Une collection d’ouvrages diffusée en kiosques à partir du 23 janvier
0123
histoire & civilisations
P
our qui prétend à l’intelligence du monde actuel, à plus forte raison pour qui prétend y insérer une action, c’est une tâche “payante” que de savoir discerner, sur la carte du monde, les civilisations aujourd’hui en place, en fixer les limites, en déterminerles centres et périphéries, les provinces et l’air qu’on y respire, les “formes” particulières et générales qui vivent et s’y associent.» Lorsque Fernand Braudel, à la fin des années 1950, écrit son article sur l’histoire des civilisations dans l’Encyclopédie française,il trace la feuillederoute intellectuelle de l’honnête homme d’aujourd’hui. En effet, depuis l’ouvrage de Samuel Huntington Le Choc des civilisations (Odile Jacob, 1997, traduction française) jusqu’à celui de Jared Diamond Effondrement. Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie (Gallimard,2006, traductionfrançaise),la question des civilisations est revenue au centre de nos curiosités. Qu’est-ce qui fait qu’une civilisation se forme, se développe, se fissure, s’effondre? L’étude de l’histoire des premières sociétés et de l’émergence des ensembles occidentaux, asiatiques ou du Moyen-Orient peut nous aider à y voir clair face à ces interrogations. La collection d’ouvrages réalisés par l’équipe d’historiens rassemblés par le NationalGeographic que Le Monde propose aujourd’hui à ses lecteurs représente une mine d’informations pour qui s’intéresse à ces sujets et veut y voir clair dans la cartographie des blocs actuelle. La mondialisation aussi a une histoire et une préhistoire. Les deux sont fascinantes. p
Bas-relief à l’entrée de la tombe de Sethi II représentant le dieu Râ, à Louxor, en Egypte. S. VANNINI/LEEMAGE
Didier Pourquery
Cahier du « Monde » N˚ 21466 daté Jeudi 23 janvier 2014 - Ne peut être vendu séparément
En partenariat avec
II
0123
histoire & civilisations
Jeudi 23 janvier 2014
Jacques Le Goff. DR
Allée antique bordée de sphinx entre les temples de Louxor (au fond) et de Karnak. SERGE SIBERT/COSMOS
«La beauté, la justice, l’ordre… Voilà sur quoi sont bâties les civilisations» entretien
Pourl’historien médiévisteJacques Le Goff, la culture privilégiel’idée d’utilité, de sécuritéet de richesse, contrairementà la civilisation, pour qui le spirituel et l’esthétiqueont bien plus de valeur
H
istorien médiéviste de renommée internationale, auteur d’une œuvre monumentale, Jacques Le Goff a publié Le Moyen Age et l’Argent (Perrin, 2010), A la recherche du temps sacré, Jacques de Voragine et la Légende dorée (Perrin, 2011), Le Moyen Age expliqué en images (Seuil, 2013) et, plus récemment, le 9 janvier, Faut-il vraiment découper l’histoire en tranches? (Seuil, 224p., 18 ¤). Pourquoi parrainer la collection « Histoire & civilisations» ? Cette collection me paraît répondre à une exigence essentielle de l’édition dans le domaine de l’histoire : mettre à la disposition d’un grand nombre de lecteurs une somme de connaissances qui, sans relever de l’érudition, est nécessaire à l’éducation de l’honnête homme d’aujourd’hui. Cela me semble d’autant plus important que, dans certains pays dont la France fait partie, l’histoire est aujourd’hui en recul dans l’enseignement. Il s’agit là d’une erreurinquiétante,car l’histoireest individuellement et collectivement nécessaire à la compréhension du monde et à notre rôle dans son fonctionnement. Y compris l’histoire ancienne et médiévale? Il faut redonner de l’importance et de l’influence à la connaissance du passé antique et médiéval: notre existence vit d’héritages et ces héritagesne sontpas un simple retour nostalgiquesur le passé.Ils sontet doiventêtre un tremplinpour l’avenir.Dans ce cadre, cettepart donnée à la longue durée est capitale. Il me semble d’ailleurs que, dans la période à venir, il serait important que nous ayons des spécialistes de ce que l’on appelle aujourd’hui la préhistoire, dont je pense que, grâce en particulier à l’archéologie, on devrait découvrir de nouveaux témoignagesqui permettrontde mieux répondre à la question : « D’où venons-nous? » Les historiens peuvent apporter principalementdeux choses.La première,c’estla connaissance des héritages. Si je ne crois pas qu’il y ait un sens de l’Histoire, malgré tout, l’histoire vit en partie d’héritages que nous devons connaîtrepour apprendreà en profiteret savoirlesutiliser. D’autre part, la connaissance de l’Histoire et l’esprit historique nous forment à mieux nous servir de ce qui constitueune donnéefondamentale de notre existence individuelle et collective: le temps. Le monde et nous-mêmes,
nous évoluons, nous changeons et ces mutations, c’est l’histoire qui les constitue. L’histoire en tant que matière de connaissance est ce qui permet de mettre en perspective les mutations en œuvre à l’heure actuelle. Qu’est-ce qui distingue une civilisation d’une culture ? La civilisation repose sur la recherche et l’expression d’une valeur supérieure, contrairement à la culture qui se résume à un ensemble de coutumes et de comportements. La culture est terrestre quand la civilisation est transcendante. La beauté, la justice, l’ordre… Voilà sur quoi sont bâties les civilisations. Prenez le travail de la terre, la culture va produire de l’utile, du riz, là où la civilisation engendrera de la beauté, en créant des jardins. En Extrême-Orient, les différences entre les civilisations chinoise et japonaise s’expriment dans la structure de leurs jardins. Le jardin chinois aime le désordre et le secret, tandis que le jardin japonais est très ordonné et octroie une place importante à l’eau. On devine leurs influences religieuses et spirituelles, bien qu’ils exposent deux rapports très différents au religieux, avec d’un côté une religion du mystère, le taoïsme chinois, et de l’autre une religion de la lumière, le shintoïsme japonais. Mais pour prendre un exemple plus proche de nous, il existe une opposition forte entre le jardin à l’anglaise et le jardin à la française, le premier est fouillis, c’est un lieu romantique, propice à la rêverie, tandis que le second est très construit et structuré, c’est un jardin cartésien, érigé sur le terrain de la rationalité. La culture privilégie l’idée d’utilité, de sécurité et de richesse, contrairement à la civilisation, pour qui le spirituel et l’esthétique ont bien plus de valeur. Comment les civilisations naissent-elles ? Les civilisations sont humaines, ce sont donc les êtres humains ou les institutions qui en favorisent l’éclosion. Mais se pose la question du lieu : où naissent-elles? La ville est pour moi, sans conteste, le grand foyer de la civilisation. Quant aux personnes, on peut lier la naissance de la civilisation à la volonté de puissance des individus, c’est l’appel et la contrainte qui entourent les puissants qui créent autour d’eux ce désir de rehausser leur prestige et renforcerleur domination.C’estla volontédespharaons de survivre à la mort par le souvenir qui a donné les pyramides. Les religions sont les plus
grands producteurs de civilisations. Pensez au rôle des temples dans les diverses civilisations, chez les Aztèques, les Incas, les Mayas, comme en Occident, où l’église, qui a très tôt remplacé letemple,a étéun élément essentieldu passage dela civilisationantiqueà la civilisation médiévale, chrétienne et moderne. C’est l’ambition et la recherche de valeurs supérieures qui transforment une culture en civilisation. « Nous autres civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. » Comment doit-on comprendre cette phrase de Paul Valéry, écrite en 1919 ? C’est avant tout une réaction au désastre et aux destructions de la guerre de 14-18. Il y a derrièrecesmots l’idéeque lesmonuments,lesinstitutions et les villes peuvent subir des destructions matérielles qui emportent aussi leurs valeurs. Ce ne sont que des hypothèses, mais il est possible que certaines civilisations très anciennes de l’Amérique précolombienne ou de l’Afrique aient pu disparaître par fait de guerre. Mais dans un deuxième temps, Paul Valéry identifie civilisation et corps humain, l’idée de mort brutale et désastreuse est remplacée par celle d’extinction, de mort lente. Les civilisationspourraientdisparaîtreparce qu’elles ne parviennent plus à maintenir une natalité capable de prolonger l’humanité qui la porte, ou de produire les biens de consommation suffisant pour perdurer. En effet, les civilisationsviventsurune terreoù leur existencephysique n’est pas complètement à l’abri de destructions. Diriez-vous comme Marx qu’à chaque technique correspond une organisation sociale, et que le moulin, par exemple, symbolise la société féodale ? Il y a du vrai dans cette phrase de Marx et on peut dire que la pensée moderne, même si elle s’est éloignée d’une application systématique et restreignantede la penséede Marx, a été marquéepar saconceptiondel’importancedel’économie et de l’histoire. Toutefois, je pense qu’une création, une disparition ou une mutation de civilisation demande du temps. Il faut lier l’histoire et le développement des civilisations au déroulement du temps. Une civilisation met du temps à se créer, à évoluer, à mourir, à se transformer ou à transmettre des héritages.Dans l’histoireet la réflexion sur lescivilisations, l’idée d’héritage est fondamentale. Une civilisation est souvent faite de couches
oude dons de valeurs, de traditionsqui s’inscrivent dans le temps. Les hommes sont toujours des héritiers. Il y a une notion dont on a largement abusé, c’est celle de « révolution ». Dans l’histoire de l’humanité, elles sont très rares, et hormis les révolutions française et bolchévique, je vois peu de changements aussi globaux et brutaux. Et commeFrançoisFuret, jepense que larévolution française a duré tout le XIXe siècle. La mise à feu date bien de la fin du XVIIIe siècle, mais toutes les ondes qui ont détruit le passé et fait naître une nouvelle société ont mis longtemps à produire leurs effets. De même, ce n’est pas du jour au lendemain que la révolution bolchévique a modifié l’espace russe et une partie de l’Europe de l’Est et de l’Asie. Existe-t-il une dynamique des civilisations, comme Fernand Braudel (1902-1985) disait qu’il y avait une dynamique du capitalisme? La dynamique des civilisations a plusieurs sources. L’une d’elles est le besoin naturel. Le besoind’alimentationpeutengendrerune civilisation dans laquelle un aliment ou une forme de cuisine prend une valeur extrêmement importante, comme le riz ou le maïs. Mais la dynamique des civilisations repose également surla nécessité de communiquer.Parmiles instruments essentiels des civilisations, on trouve les routes terrestres et navales. Pour la civilisation portugaise, la route maritime a été un pilier, par exemple. Bienentendu, les besoins intellectuels et spirituels ont aussi joué un rôle fondamental. L’école a par exemple été un instrument considérable dans l’histoire des civilisations, en dispersant un savoir qui a permis et permet le maintien d’une civilisation vivante, et qui transmet également des héritages et prépare les évolutions. Le savoir didactique est au premier rang des dons civilisateurs de la Grèce antique, depuis l’école du pédagogue de village jusqu’à celle de Socrate et des grands philosophes d’Athènes. Et aujourd’hui, ce que l’on appelle « la recherche » participe de cet enrichissement de la civilisation, d’une civilisation technologique et scientifique. La civilisation médiévale a entretenu un rapport ambigu au corps, corps tantôt renié, caché et dévalorisé, tantôt glorifié comme celui du Christ. Existe-il des tensions dynamiques à l’intérieur de l’Histoire et des civilisations?
0123
histoire & civilisations
Jeudi 23 janvier 2014
III
«Nous sommes entrés dans une nouvelle période de l’Histoire, dont l’instrument principal est l’ordinateur. Je crois que nous avons pour la première fois un outil qui pourra tisser une civilisation numérique» Jacques Le Goff
Tête de femme portant une coiffure haute ou « polos », en albâtre. Art sumérien, vers 2 400 av. J.-C., trouvé à Mari, temple d’Ishtar, en Mésopotamie. AKG IMAGES/ERICH LESSING
Procession de Mèdes et de Perses, Ve siècle avant J.-C. Détail du bas-relief d’un escalier menant au tripylon de Persépolis, en Iran. COLL. DAGLI ORTI/WERNER FORMAN ARCHIVE
Oui, mais elles sont de diverses natures. La pensée chinoise nourrit une tension entre deux pôles, le ying et le yang, alors que la civilisation occidentale, elle, repose sur une tension fondamentale entre le bien et le mal. Pour les Occidentaux, cela semble aller de soi, alors que c’est une construction de l’Histoire qui a pensé que tout le territoire de la pensée et de l’action évoluait entre deux domaines opposés, en lutte quasi constante. Personnellement, j’essaye de tendre vers un terrain neutre, mais je me suis rapidement aperçu qu’on ne demeure pas longtemps dans cette neutralité. J’aurais davantage tendance à considérer qu’il existe un certain nombre d’entre-deux qui entrent tantôt dans le domaine du bien, tantôt dans celui du mal. Et cette diversité des positions me semble être plus proche de la réalité et davantage gage de paix. Il y a danslescivilisationsunglobalismequi permettrait de faire son portrait et une diversité qui s’exprimerait dans un film. Peut-on parler de « choc des civilisations », comme l’a fait Samuel Phillips Huntington (1927-2008) ? Il y a eudans l’Histoire des conflitsde civilisations,mais delà à les généraliser– commecela a été fait dans une œuvre dont on a énormément parlé –, je crois, comme beaucoup, que c’est une erreur. La période de la colonisation (XIXeXXe siècle) a été marquée par des chocs de civilisations, tout comme dans l’Antiquité des heurts ont existé entre les Grecs et les Perses, et auMoyen Agependant les invasions mongoles. Enrevanche,contrairementàce que l’onpense, les grandes découvertes n’ont pas joué un rôle civilisateur essentiel. Elles ont certes matérialisé une voie de communication jusqu’alors inconnue et marqué la possibilité d’innovations futures dans les pays découverts comme dans ceux qui les ont découverts et dans toutes
les régions avoisinantes, mais elles n’ont pas eu l’effet à la fois inévitable, obligatoireet considérable qu’on leur prête. Certaines découvertes ne sont pas allées plus loin qu’une rencontre, d’autres ont mis beaucoup de temps à donner leur plus profond résultat: prenez la découverte de l’Amérique, elle ne devient véritablement importante qu’à la fin du XVIIIe siècle, pendant la fondation des Etats-Unis. L’Amérique du Sud pendant le XVIe siècle a vécu exactement comme l’Europe médiévale, il a fallu attendre Bolivar pour que la découverte porte ses fruits. Selon moi, la période qui court de la fin du XVe siècle jusqu’au milieu du XVIIIe siècle est une sous-période d’un long Moyen Age, une sous-période qui a connu des nouveautés dues aux migrations alimentaires (la tomate, le maïs, etc.), mais aussi à l’expansion des métaux précieux. Pourquoi dites-vous que la ville est le creuset des civilisations? N’y a-t-il pas eu de civilisations rurales ? Je n’en vois pas beaucoup. Je dois avouer que dès qu’on parle de civilisation, on trouve la ville, même lorsqu’il s’agit de civilisations anciennes. L’Egypte ancienne, les empires et royaumes du Proche-Orient, l’Empire romain, la chrétienté, l’Amérique précolombienne, l’Extrême-Orient et l’Inde antique, partout les villes ont joué un rôle essentiel. La Grèce ancienne avait Athènes, Sparte, Corinthe… et même les civilisations de Mésopotamie étaient des civilisations de la ville. Pourquoi ? Parce que la ville offre deux choses nécessaires à la création : le nombre et la proximité. C’est pour cela que parmi les piliers de la civilisation européenne, j’ai retenu l’échelle du quartier. La ville est une association de voisins. Elle a fait naître un comportement, une institution à laquelle on n’a pas assez porté d’attention dans l’Histoire : l’artisanat. Son impor-
tance commence dès l’Antiquité. Chez les Grecs anciens et les Romains, le faber, le forgeron, est un personnage essentiel. Il fabriquait la charrue, nécessaire à l’agriculture, les fers à cheval et beaucoup d’autres outils essentiels au développement de la civilisation. Au XIe siècle, en France, deux événements presque contemporains ont bouleversé le Moyen Age : la naissance du village, avec le rassemblement des paysans dans des agglomérations qui respectaient la même structure, avec l’église et le cimetière au centre, et les premiers mouvementscommunaux qui ont marqué la prise en main de leur gouvernement par les habitats, ceux qu’on appellera les bourgeois. L’installation dans les villes des frères dominicains et franciscains, dont le métier consisteà prédiquer, a renforcé la communication. La ville est devenue plus que jamais un centre de production et a ainsi achevé de posséder tous les atouts qui lui ont permis d’être un moteur. Peut-on dire qu’il existe des civilisations « chaudes » et « froides » ? Onpeut dire qu’il existe des régions plus animées et créatrices que d’autres, dans le domaineéconomique,artistiqueou dans celuide l’enseignement. Un pays qui s’est toujours distingué dans l’Europe médiévale et qui était plus chaud que la plupart des autres de la chrétienté, c’est l’Italie, par exemple. Quels sont les marqueurs des civilisations? Il faut distinguer les marqueurs existants de ceux qui ont disparu. Ceux ressuscités par les historiens, les anthropologues et les sociologues sont très divers. Ça peut être un aliment, il y a eu en Irlande une civilisation de la pomme de terre, une grande partie de l’activité de la ville tournait autour des effets de sa culture. La civilisation est quelque chose de globalisant.
Pourquoi parlez-vous d’une mondialisation dans le temps et dans l’espace ? Le problème, c’est celui de l’espace, de l’aire géographique et des relations qu’entretiennent les espaces des civilisations entre eux. Il faut différencier trois états essentiels : le contact, l’échange et la fusion. Le contact, c’est ce qu’il s’est passé pendant les grandes découvertes, dont l’instrument a été le bateau. L’échange a eu lieu entre les pays européens et ceux découverts, se sont créés des échanges commerciaux, mais aussi intellectuels. Et puis arrivera un moment où entre les deux pays en contact et en échange s’opérera une quasi-uniformisation. Aucune région n’a pour le moment connu cette phase, contrairement à ce que disent certains journalistes et politiciens, notamment avec leur concept d’américanisation du monde. Je crois que ce phénomène de fusion n’existe pas encore, nous sommes toujours dans une phase d’échanges, mais d’échanges inégaux. Peut-on encore parler des civilisations ou n’en reste-t-il finalement plus qu’une seule, celle du monde globalisé ? Nous sommes entrés dans une nouvelle période de l’Histoire, dont l’instrument principal est l’ordinateur. Nous faisons face à un instrument qui ne s’est pas encore répandu partout et qui ne l’a pas fait au même degré de saturation. Je crois que nous avons pour la première fois, mieux que le téléphone ou la télévision, un outil qui deviendra quasi universel et qui pourra tisser une civilisation numérique. Aujourd’hui, nous n’en sommes encore qu’au stade du contact, il faut patienter pour savoir s’il parviendra à faire naître une nouvelle civilisation. p Propos recueillis par Nicolas Truong
IV
0123
histoire & civilisations
Jeudi 23 janvier 2014
Remonter aux sources de l’histoire de l’humanité Les trentevolumesde cette collectionévénementdonnentunevision globaleet pédagogiquede cinqmillénaires, de l’Antiquitéau XXe siècle.Ils sontle fruitde trois ansde travaild’équipesmultidisciplinairesde haut niveau
L
orsqu’en 2009 l’hebdomadaire La Vie, en association avec Le Monde, publia son premier Atlas des civilisations, le projet de l’équipe rédactionnelle de ce hors-série (à succès) était d’offrir aux lecteurs des réponses à leurs questions sur les concepts de civilisation, culture, société, pour mieux comprendre le XXIe siècle. L’idée de civilisation est en effet paradoxale. Chacun estime qu’il sait intuitivement ce qu’elle recouvre – nous pensons immédiatement à l’Egypte ou à l’Occident –, mais dès que l’on se penche un peu sur ses contours exacts le terme devient glissant, fuyant. Il devient même polémique. La civilisation est-elle, comme l’écrivaient les deux sociologues Emile Durkheim et Marcel Mauss au début du XXe siècle, « une sorte de milieu moral englobant un certain nombre de nations, chaque culture nationale n’étant qu’une forme particulière du tout » ? Ou, en reprenant la définition d’Anatole France : « Ce que les hommes appellent civilisation, c’est l’état actuel des mœurs, et ce qu’ils appellent “barbarie”, ce sont les états antérieurs » ? La clé pour pénétrer dans ces problématiques et y voir clair est bien entendu, une fois encore, l’histoire.Et la collectionde30 ouvragesque lance aujourd’hui Le Monde représente une mine d’informations et d’enseignements à cet égard. Le grand historien Jacques Le Goff, « parrain » del’éditionfrançaise de cettepublication,la présente ainsi : « Remarquable par l’ampleur de sa vision, l’intérêt de son découpage combinant
Chacun estime qu’il sait intuitivement ce que recouvre l’idée de civilisation mais, dès que l’on se penche un peu sur ses contours exacts, le terme devient glissant, fuyant. Il devient même polémique époques et domaines de civilisation – la notion de civilisation indiquant le désir de définir des périodes et des formations politiques en fonction de la culture globale – la collection “Histoire et civilisations” constitue l’une des œuvres les plus ambitieuses jamais réalisées par l’excellente entreprise d’édition National Geographic. (…) Ils’agitlàd’un instrumentde savoiret d’information hors pair sur l’histoire de l’humanité. N’oubliant pas que l’histoire est faite de temps et d’espace, la collection est parsemée de chronologies, de cartes et de plans. Elle n’oublie pas non plus que l’Histoire, en plus d’être une forme d’informationexceptionnelle,est une série de problèmes et d’interconnexions.» Pour réaliser cette collection, pendant plus de trois ans, une équiped’archéologues,d’historiens, de philologues, de géographes, de cartographes, de photographes, d’illustrateurs et d’éditeursa travaillé à la création de cette histoire universelle. L’entreprise a été menée sous la direction d’un comité scientifique international d’historiens de renom. On y trouve en effet de grands noms d’Oxford ou de Cambridge, Peter Burke, Sir John H. Elliott, Robin Lane Fox, mais aussi Giuseppe Sergi et Angelo D’Orsi (université de Turin), Hans Ulrich Gumbrecht (Standfordet EHESS,école deshautes étudesen sciences sociales de Paris) ou Jean-Claude Schmitt (EHESS Paris) et d’autres grands noms. Le maître mot de cette entreprise intellectuelle est bien entendu l’interdisciplinarité. Car selon les définitions classiques du terme « civilisation », celui-ci recouvre six caractéristiques: de vastes regroupements de populations (urbaines), des réalisations architecturales uniques et des styles particuliers, un langage écrit,
des systèmes d’administration territoriaux, une division du travail complexe et une répartition des populations en classes sociales. Si l’on suit cette grille, on comprend mieux que l’équipe du National Geographic ait rassemblé l’ensemble des disciplines des sciences humaines au sens le plus large. Avec au centre du panel, bien sûr, une solide équipe d’archéologues et d’historiens, puisque quand on parle de civilisation on considère que touta commencé3 000 ansavant notreère, lorsque la montée en puissance de l’agriculture a permis de dégager des excédents, des stocks et donc une certaine stabilité économique et la constitution de villages. Chacun connaît la litanie des civilisations émergentes: Mésopotamie d’abord, Egypte ensuite, la vallée de l’Indus (2 500 ans av. J.- C.), la Chine (1 500 ans av. J.- C.) et l’Amérique centrale (1 200 ans av. J.-C.). En partant de ces époques reculées – et essentielles –, les auteurs du National Geographic ont eu à cœur de présenter avec un grand souci de pédagogie tous les éléments de compréhension de l’histoire mondiale des civilisations, dans le temps, mais aussi dans l’espace. Une sorte de grille de lecture de la mondialisation. L’ensem-
ble prend aussi en compte le fait que les civilisations se définissent tantôt par des époques, par exemple« le XIXe siècle », et tantôt par des structures communes à un territoire plus ou moins grandcomme«les monarchiesabsolues» (Europe du XVIIe siècle). Donnons à nouveau pour finir la parole à Jacques Le Goff, qui conclut ainsi la présentation de cette entreprise: « Je suis très admiratifde cette collection qui, je crois, pour la première fois, donne au public cultivé l’occasion de maîtriser, depuis ses plus anciennes origines, l’ensemble de l’histoiremondialesuivantundécoupagerationnel et judicieux. Et cela d’autant plus que dans certains pays, dont la France, l’histoire est en recul dans l’enseignement. C’est une erreur inquiétante car l’histoire est individuellement et collectivement nécessaire à la compréhension du monde et à notre rôle dans son fonctionnement. L’Histoire est la réponse au titre d’un célèbre tableau de Gauguin, D’où venons-nous ? Que sommes-nous? Où allons-nous? L’histoire explique notre présent et prépare notre futur. Il n’y a pas de sens de l’histoire mais l’histoire donne un sens au temps. » p D. Py
La série comporte 30 volumes. Le prix de lancement du premier volet est à 3,99 ¤, les suivants sont vendus 9,99 ¤. – Les Premiers Pharaons (de 3200 à 1152 av. J.-C.). De l’Ancien Empire à l’invasion des Hyksôs. – L’Empire égyptien (de 1152 à 1069 av. J.-C.). Des Thoutmosides aux Ramessides : l’apogée du Nouvel Empire. – La Fin de l’Egypte antique (de 1069 à 30 av. J.-C.). De Tanis au déclin de l’Egypte ptolémaïque. – Les Civilisations mésopotamiennes (de 3500 à 539 av. J.-C.). La naissance des premières civilisations. – Royaumes et empires du Proche-Orient (de 1200 à 300 av. J.-C.). Les royaumes du Levant et les empires envahisseurs. – Les Origines de la Grèce(de 2000 au VIIe siècle av. J.-C.). Les civilisations de l’âge du bronze et la colonisation de la Méditerranée. – La Grèce classique (du VIIe au Ve siècle av. J.-C.). De la naissance de la polis à la splendeur de la démocratie athénienne. – Le Déclin d’Athènes (Ve et IVe siècle av. J.-C.). De la guerre du Péloponnèse à l’hégémonie thébaine.
Les combats et les prouesses des premiers pharaons
L
a naissance de l’Egypte pharaonique fut un processus long et complexe. Les experts divisent son histoire en périodes caractérisées par l’existence, ou non, d’un pouvoir politique centralisé tout le long de la vallée du Nil, depuis les côtes du delta jusqu’à l’île Eléphantine à Assouan. Au cours des premiers siècles de son existence, l’Egypte créa une architecture monumentale et produisit un art original. Ce développement n’avait pourtant rien d’inéluctable. Vers la fin du IVe millénaire, plusieurs royautés précoces apparurent dans la vallée du Nil, entre la Méditerranée et le nord du Soudan. L’intégration de ces espaces très divers et de leurs populations variées, tantôt par la force, tantôt par la négociation, s’étala sur plusieurs siècles.
E D E RC H
La consolidation du pouvoir pharaonique connut des phases de centralisation et des périodes de division. Les inscriptions des protagonistes de ces événements ainsi que les premiers textes littéraires connus en fixent le souvenir. De même, les fouilles archéologiques nous révèlent un monde peu connu jusqu’à très récemment, à commencer par les sites urbains, les ports ou les régions lointaines parcourues par les agents du roi en quête de produits de luxe. Le premier tome de la collection « Histoire et civilisation» commence par un bref aperçu de la préhistoire, avant de se concentrer sur les cultures néolithiques qui aboutiront à l’apparition d’un Etat et des dynasties thinites, les deux premières à gouverner l’Egypte. Ensuite, il
E R I O N U T R B S I N LE
A M LA
L’H
Les huit premiers volumes
JDUELAUNDI AU VENDR
s’intéresse à l’Ancien Empire (IIIe à VIe dynastie), l’époque des grandes pyramides de pierre, période au cours de laquelle furent érigés des monuments colossaux, comme la pyramide à degrés de Saqqara ou les tombeaux du plateau de Gizeh.
Rois de Thèbes Pour des raisons obscures, l’Etat centralisé disparut à la fin de la VIe dynastie. L’Egypte entra alors dans une période connue sous le nom de première période intermédiaire (VIIIe-XIe dynasties), au cours de laquelle les dirigeants des différentes provinces concentrèrent une puissance considérable. Parmi ces grands seigneurs, c’est une lignée de rois de Thèbes qui instaura un gouvernement unique sur tout le territoire, pour constituer ce
que les historiens appelèrent le Moyen Empire (XIe et XIIe dynasties), dont les pharaons furent enterrés dans de grandes pyramides en pierre. La littérature se développa au cours de cette période. Cependant, la stabilité politique vacilla au cours de la deuxième période intermédiaire (de la XIIIe à la XVIIe dynastie), alors que les Proche-Orientaux qui, pendant des années, s’étaient installés dans le delta, dominaient la moitié de la vallée du Nil. Les affrontements des rois hyksos et des princes thébains viennent clôturer ce premier panorama historique de l’Egypte ancienne. p « Les Premiers Pharaons » en kiosques jeudi 23 janvier au prix de 3,99 euros.
N LECTIO L O C A IONS UVEZ L RETRO E&CIVILISAT MARCHE R A HISTOI ’ÉMISSION L AN LEBRUN DANS L STOIRE DE JE I DE L’H en partenariat avec
H 30 À 14 H 3 1 E EDI D
J6c8LKI83K6¾J6
LA VOIX EST LIBRE