« le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale » Comment un nouveau paradigme en GRH peut amener un Risque Psycho-Sociétal pour les salariés
Master 2 Gestion des Ressources Humaines Spécialisaté Relations de Travail, Négociations, Organisation Promotion 2009- 2011
Mémoire préparé sous la direction de Frédéric BORNAREL
Benoit PALISSON
1 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
Introduction :......................................................................................... 6 L’orientation et la gestion de parcours en question...................................... 6 Choix du thème d’étude : ....................................................................................................... 6 Le symbole de la boussole ................................................................................................... 10
Partie 1 : ..................................................................................................... 13 «le salarié acteur de son employabilité » ............................................ 13 1. 2. 3. 3.1 3.2 3.3 4. 4.1 5. 5.1 5.2
Problématique de mon étude .................................................................................. 13 Ma posture épistémologique .................................................................................. 16 Les 4 modèles de l’Oriention ................................................................................. 24 Institutionnalisation ................................................................................................ 26 Vers une orientation éducative :............................................................................. 27 La pratique du bilan................................................................................................ 31 L’évolution économique et le nouveau paradigme de la gestion de parcours........ 32 « Individu acteur…. » jusqu’à la loi de 2009 ......................................................... 37 Mon contexte professionnel jusqu’en février 2011................................................ 40 Historique du C.I.F., FONGECIF et de la mission de conseil au salarié ............... 42 Mon questionnement .............................................................................................. 44
Partie 2 : ..................................................................................................... 47 La piste G.P.E.C. « Une évidence en GRH, un concept à la mode et après ? » ........................................................................................................................ 47 1. 2. 3.1 3.2 3.3 3. 4. 4.1 4.2
Le contexte ............................................................................................................. 47 GPEC comme modèle : quels résultats ? ............................................................... 49 La GPEC un modèle et des outils aux résultats en demi-teinte .............................. 49 Un bilan possible...................................................................................................... 51 Limites en gestion de parcours individuel............................................................... 53 La GPEC au sein de PME comme outil de sécurisation de parcours..................... 55 Deux cadres d’observations ................................................................................... 58 Les ateliers projets de l’AGEFOS PME................................................................. 58 La proposition de prestation « Bilan d’Etape Professionnel » ............................... 62
Partie 3 : ..................................................................................................... 68 Les effets d’une injonction paradoxale.......................................................... 68 1. Retour sur les obstacles à la gestion de parcours ............................................................ 68 1.1 la société économique ............................................................................................ 68 1.2 Conséquences sur le public salarié......................................................................... 72 1.3 Conséquences sociologiques .................................................................................. 73 2. Injonction paradoxale et RPS................................................................................. 74 3. Le cas particulier du FONGECIF Lorraine............................................................ 79 4. Constats possibles .................................................................................................. 82
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5.
Double contrainte et pathologie sociale ................................................................. 86 La double contrainte............................................................................................... 88 Des Symptômes vers l’identification d’une pathologie ......................................... 93 Les « pathologies sociales » possibles ................................................................... 95 6. Les RPS : définition de l’ARACT.......................................................................... 97 Les RPS sociétaux liés à la double contrainte du nouveau paradigme RH « salarié acteur.. » ............................................................................................................................................ 100 5.1 5.2 5.3
Conclusion ....................................................................................................... 103 1. 1.2. 1.3 2.
Les conséquences de l’injonction paradoxale: deux Niveaux de lecture ............. 103 Conséquence de cette injonction paradoxale sur mon identité professionnelle .. 104 La GRH au niveau local : la GTEC comme réponse à l’injonction ? ................. 105 Une réponse de technicien en attendant mieux............................................ 108
Bibliographie ................................................................................................... 113
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« Alice – Pourriez-vous m’indiquer s’il vous plait, quelle direction je dois prendre ? Lapin – Cela dépend dans une large mesure de là où vous voulez aller. » Lewis Caroll
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Remerciements Il est de convenance de remercier les personnes ayant pu prendre part dans la rédaction d’un ouvrage. Mais les remerciements qui vont suivre me sont apparus plus que nécessaires. Il m’aurais semblé injuste d’oublier de citer les personnes sans qui cet écrit n’aurait pas pu se réaliser. Je me dois en effet de remercier : Laurence, qui encore une fois a compris l’importance que revêtait pour mois ces deux années de formation, et qui a accepté mes nombreuses absences, Frédéric BORNAREL qui a su me guider dans la direction de recherche qui me convenait, Cécile qui a accepté de me servir de garde fou dans ma réflexion, Mes « collègues » de formation qui ont su maintenir leur motivation et leur bonne humeur durant deux années, m’interdisant ainsi de baisser les bras, Et enfin DEEZER qui a accompagné mes longues heures d’écriture et de lecture en solitaire.
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Introduction : L’orientation et la gestion de parcours en question Choix du thème d’étude : Orientation en question Lorsque j’anime une session de formation de 3 jours sur l’orientation,
comme
intervenant extérieur, sur une licence professionnelle1, je m’attache particulièrement à sensibiliser les stagiaires (qui sont en grande partie des professionnels2) sur la complexité de ce domaine. Autrement dit, je cherche à les aider, à appréhender les difficultés qu’il y a à aider les personnes à s’orienter dans un contexte où les déterminants sont très nombreux. En effet, j’ai alors en face de moi un groupe d’une trentaine de personnes, constitué de quelques étudiants en formation initiale, mais surtout de professionnels de l’accompagnement et/ou du conseil en orientation (des demandeurs d’emploi et des salariés). Leur points communs sont alors de vouloir travailler dans le secteur de la formation : comme formateur, responsable formation, mais souvent conseiller emploi-formation,…Leur
motivation
pour
entrer
en
formation
étant
alors
différentes : pour certains, c’est être mieux armé pour retrouver un emploi, pour d’autres, c’est se professionnaliser dans leur activité et enfin, pour les derniers, c’est tout simplement se reconvertir. En tant que professionnel de l’orientation, (et dans ce contexte également enseignant) j’adopte une posture d’expert. Aussi, dans cette posture, il m’apparaît alors très 1
Licence sciences d l’éducation « métiers de la formation, de l’accompagnement et insertion professionnelle / Université Nancy 2 2 intervenant dans le champs de l’orientation et l’accompagnement vers l’insertion professionnelle : conseiller emploi, conseiller insertion,…
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important que ces stagiaires (qui sont également des professionnels) comprennent que l’orientation touche un domaine social où de nombreux facteurs entrent en ligne de compte, des facteurs qu’ aucun professionnel ne peut maîtriser, ni même entièrement connaître et pourtant, il doit faire avec. En effet, il s’agit d’admettre qu’un conseiller en orientation ne peut tout connaître (l’ensemble des métiers, l’ensemble de l’offre de formation,…) ni tout prendre en compte (l’historique de la personne qu’il conseiller, sa psychologie,…). Aussi, pour devenir un « bon professionnel » il s’agit d’en prendre conscience, de l’admettre et donc de s’appuyer d’abord et avant tout sur des techniques et non des connaissances empiriques. C’est pour moi le sens de la formation sur laquelle j’interviens et plus particulièrement du module que j’anime. Le conseiller devient « expert » lorsqu’il prend conscience que son « expertise » ne réside pas dans la connaissance mais dans le savoir-faire.
En effet, plusieurs pôles tournent autour du sujet de l’orientation d’une personne : -
la personne elle-même : son contexte, sa personnalité, son niveau scolaire, sa situation personnelles,…et à travers cela sa motivation,
-
le contexte économique : le lieu géographique d’habitation, les spécificités du bassin d’emploi, le niveau de dynamisme de ce bassin d’emploi,
-
le contexte politique : les dispositifs d’aides sur le bassin,…,
-
l’offre de formation existante : les organismes présents, les niveaux proposés, les prix, la durée,…,
-
etc ...
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Zone de rencontre que le conseiller doit faire apparaître Offre de formation
Contexte
La Personne (avec ses attentes, ses besoins, son niveau, son parcours, ses contraintes,…)
Économique (offre d‘emploi, métiers existant, niveau de Contexte Politique et rémunération…)
juridique (dispositifs emploiformation, budgets,…)
Schéma pouvant illustrer la place du conseiller et les pôles intervenant dans
le domaine de
l’orientation.
Aussi, je débute souvent le module de trois jours par un exercice3 permettant tout de suite aux stagiaires de confronter leur représentation de ce qu’est « l’orientation ». Apparaissent alors tout de suite des représentations très diverses et parfois opposées. En effet, il est souvent arrivé que certains parle de « choix », de « boussole », de « chemin », mais plus souvent d’« obligation », de « peur », de « crainte », de « conseil », d’ « interrogation »,… 3
exercice de mise en situation issue des techniques « A.D.V.P. ». Cf. annexe 1
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Lors du débriefing de cet exercice, il apparaît clairement que tous ont une expérience très différente de l’orientation. Pour répondre à cet exercice, ils ne font pas, ou très peu, appel à leur vécu professionnel (pour ceux qui exercent dans le domaine) mais beaucoup plus à leur vécu personnel de l’orientation : comme leur orientation scolaire, ou un bilan de compétence qu’ils ont effectué, une rencontre, ou encore un entretien avec un conseiller (Pôle emploi, ou FONGECIF,…). J’explique ce choix de faire appel à des souvenirs personnels (plus que professionnel) par le fait que ces derniers sont plus prégnants et donc plus faciles à mobiliser pour eux. Nous verrons plus tard pourquoi ces souvenir d’orientation sont plus souvent marquant pour les personnes lorsque nous nous attarderons sur la notion de « capacité de projection » et d’ autonomie en orientation puisqu’il est plus facile de se souvenir de période chargée d’affect. Ce que l’on peut en déduire immédiatement, c’est que leur orientation a été souvent difficile, voir hasardeuse (positivement ou non) ; aussi ils ne peuvent pas en donner une définition. Il est pour eux très difficile d’en définir le contour. L’orientation est devenue un mot sans réelle signification qui renvoie autant à des dispositifs, que des concepts, des fonctions, … Tous savent donner une définition de l’orientation. Pour tous, ce terme renvoi à quelque chose de signifiant pour eux, mais aucun ne parle vraiment de la même chose. Tant le sujet est complexe et fait appel au vécu et contexte de chacun. Cela fait maintenant quatre années que j’interviens sur cette formation et que j’anime ce module ; j’ai fait ce constat depuis ma première intervention. Toutefois, je n’ai jamais su quoi faire de ce constat (si ce n’est en définir une approche pédagogique). Mais aujourd’hui, je sais que ce constat est important pour m’engager dans la démarche de recherche que représente ce présent
mémoire et surtout pour
circonscrire mon sujet d’étude. C’est la diversité de réalités du domaine de l’orientation venant de ces professionnels (ou futurs professionnels) de l’orientation sur ce champ même d’étude, qui m’a intrigué. Mais avant tout, ce sont les souvenirs
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majoritairement négatifs que ces personnes ont de leur orientation personnelle qui m’a poussé à prendre ce point d’entrée dans mon étude.
En effet, ces derniers mois, j’ai souhaité envisager une étude d’un sujet que mon « intuition » me conseillait de prendre car l’évocation seule du terme m’attirait : la GPEC territoriale. Mais, ce sujet me semble aussi prometteur que vaste. J’ai donc décidé d’explorer ce thème mais uniquement pour mieux cerner mon
sujet : la
gestion de parcours professionnel et l’orientation des adultes en activité. Et avant toute chose, j’avais envie et besoin de circonscrire mon étude sur ce qui me touchait (m’affectait) et me gênait dans mon quotidien professionnel sans que je puisse l’appréhender. Car quelque chose ne fonctionnait pas bien « au royaume » du conseil au FONGECIF Lorraine.
Le symbole de la boussole
Souvent le symbole de la boussole, est utilisée par les stagiaires que j’ai en formation , pour représenter l’orientation en général et l’orientation professionnelle (en formation continue) en particulier. Même si ce symbole est à mon avis trop souvent usité (car il suppose qu’il existe « la bonne » direction à prendre en orientation), je souhaite m’y attarder car il a le mérite de montrer que l’on est loin de posséder un tel outil dans le conseil à l’orientation professionnelle et la gestion de parcours. C’est d’ailleurs l’absence d’un tel outil de navigation qui rend la gestion de parcours professionnel très difficile ; et c’est cette absence qui a donné le point de départ de mon étude.
En effet, une boussole permet à un personne de s’orienter dans une situation d’orientation géographique.
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Une boussole est un instrument de navigation constitué d’une aiguille magnétisée qui s’aligne sur le champ magnétique de la Terre. Elle indique ainsi le nord magnétique, […] Une boussole fournit une direction de référence connue qui aide à la navigation. Les points cardinaux sont (dans le sens des aiguilles d’une montre) : Nord, Est, Sud, et Ouest. Une boussole peut être utilisée conjointement à une horloge pour fournir une estimation de sa navigation. Définition du site Wikipédia Aussi, un boussole est très utile en orientation-géographie car elle donne un point de référence, un cap, une ligne directrice. Ce qui est d’autant plus utile si l’on sait où l’on veut aller. Or, dans l’orientation professionnelle ou la gestion de parcours, la plupart du temps, la personne qui veut s’orienter n’a ni le point de référence, ni le lieu précis où elle veut aller. Aussi, le travail d’orientation auquel chacun d’entre nous doit se confronter durant sa vie (scolaire puis professionnelle) nourri parfois des craintes et d’ hésitations.
La citation extraite d’Alice au Pays des merveilles illustre parfaitement ce propos :
« Alice – Pourriez-vous m’indiquer s’il vous plait, quelle direction je dois prendre ? Lapin – Cela dépend dans une large mesure de là où vous voulez aller. » Lewis Caroll
Toute la question est là : où veut-on et peut-on aller ? Il est difficile de le savoir ; c’est pourquoi la personne a tendance à procéder de deux manières pour son orientation : -
soit elle laisse le hasard faire le travail (avec parfois la saisie d’opportunités),
-
soit elle prend comme boussole un ami, ses parents, un professeur, son entreprise, un conseiller,… et dans ce cas se laisse guider.
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Il est assez rare que la personne soit pleinement actrice de son orientation en étant parfaitement au clair avec : -
Ce qu’elle peut faire,
-
Ce qui serait intéressant de faire pour elle,
-
Comment faire pour parvenir à son objectif (en supposant qu’elle ait un objectif précis ?)
Comme nous le verrons plus tard, aujourd’hui, et d’autant plus depuis la réforme de la formation (« formation tout au long de la vie »), l’individu doit devenir acteur de sa gestion de parcours professionnel. Le professionnel du conseil que j’étais alors se posait donc de nombreuses questions face à cette nouvelle donne : -
Comme le salarié en général (et celui que je rencontre en particulier) peut-il devenir acteur de son orientation ?
-
Le peut-il et si « oui » à quelle condition ?
Face au transfert définitivement achevé de la responsabilité du maintien de l’employabiltié de l’entreprise vers le salarié lui-même, les acteurs du système emploi-formation (et le salarié en premier lieu) se trouvent dans un nouveau paradigme en Gestion des Ressources Humaines. Aussi, -
Comment le professionnel que je suis doit-il adapté sa pratique ?
-
Quelle conséquences ce changement de système et de valeur risque-t-il d’avoir sur le salarié lui-même (à effet immédiat) et sur le système socio-économique (dans les années à venir) ?
C’est donc pour tenter de répondre à ce questionnement et en déterminer des pistes de réponses, j’ai chois de me pencher sur ces questions.
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Partie 1 : «le salarié acteur de son employabilité » 1. Problématique de mon étude Lorsque j’ai débuté et suivi la plus grande partie de mon cursus en Master R.T.N.O. j’étais conseiller emploi-formation pour un OPACIF4 : le FONGECIF Lorraine. C’est dans ce cadre de travail que je me suis interrogé sur ma mission et mon activité professionnelle. Une interrogation qui devait porter autant sur ma pratique que sur les déterminants s’y rapportant : législation, contexte économique, organisation de ma structure, … A la recherche d’une seule problématique, j’ai donc du écarter un grand nombre de sujets qui pouvaient motiver un travail de mémoire. Mais tous tournaient autour de l’orientation professionnelle pour les raisons que j’ai exposé précédemment. Au final, c’est une interrogation générale au sein du service conseil de mon établissement, une interrogation (ou une inquiétude) partagée par mes collègues, qui a emporté mon adhésion rapide pour une problématique particulière. En effet, ils semblaient à tous que de plus en plus de salariés avaient des réactions, des comportements agressifs ou du moins vindicatifs en entretien et au téléphone. Il semblait claire pour tous que cet état de fait était dû à un contexte économique difficile et à une baisse du budget du FONGECIF entraînant, de fait, une augmentation du nombre de refus de financement. Toutefois, il m’est apparu que cette explication était insuffisante. En effet, elle pouvait expliquer que plus de personnes soient déçues (de plus que plus de salariés ayant des refus de financement de leur projet) mais pas que leur comportement changent à ce point. Une
4
Organisme Paritaire Agréé pour la gestion du Congé Individuel de Formation
13 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
augmentation en nombre est compréhensible dans cette situation mais pas une montée en charge de l’affectivité. Les salariés refusés étaient de plus en plus en souffrance, cette souffrance se transformait de plus en plus souvent en comportement singulier : grand découragement, revendication forte, colère, et parfois : violence verbale envers le système, mon institution, ou moi-même en tant que conseiller. Je ne pouvais identifier cette souffrance et encore moins la comprendre. C’est pourquoi j’ai précisé ma réflexion, ma problématique autour de cette souffrance. Après 12 années d’expérience dans le conseil à l’orientation (dans deux emplois différents), je sais depuis longtemps que l’orientation et la gestion de parcours professionnel est une pratique difficile (pour un individu lambda) ; et ce ci d’autant plus pour un individu seul qui n’est pas formé et habitué à cela. Aussi mon métier de conseiller et mon emploi au FONGECIF Lorraine m’a longtemps passionné car le métier (lié à cet emploi) pouvait rendre moins difficile cette gestion pour les salariés. C’est en cela que mon poste avait du sens au quotidien et ceci malgré les multiples difficultés et changements connus durant les 6 années passées dans cette structure. Mon identité professionnelle était forte grâce à cette foi que je pensais inébranlable dans l’utilité de mon intervention auprès des salariés rencontrés. Aussi, je ne m’attendais vraiment pas à ce que mon travail de réflexion puisse entamer cette foi au point de m’aider à changer de métier (même si le changement d’emploi était déjà envisagé). En effet, les difficultés, les obstacles rencontrés par les salariés semblent être devenus tels qu’ils acceptent de plus en plus difficilement le refus de financement du FONGECIF. Les salariés mettent de plus en plus d’attentes dans leur construction de projet (on peut parler souvent de « projet de vie », ou de « projet vital » pour leur équilibre économique). Les efforts demandés semblent tels, que reporter leur projet est insupportable voir inenvisageable. Un nombre croissant de personnes rencontrées
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déposent une demande de financement après que j’ai pu leur dire que les chances de succès étaient quasiment inexistantes et que les risques étaient trop importants pour eux. Les réactions lors du refus devenant de plus en plus excessives : ressentiment, colère ou grand découragement. Alors, comment en est-on arrivé là ? Etait-ce dû à ma pratique professionnelle de conseil (et de celle de mes collègues), à mon travail en lui-même, (via ma structure et son mode d’organisation), au système emploi-formation ? Que me fallait-il interroger ? Ce questionnement m’a rapidement amené à revenir sur deux notions clés : la notion de « compétences » et celle d’«employabilité ». Puis, j’ai exploré le glissement (opéré ces trois dernières décennies) de la responsabilité du maintien en compétences des individus. D’abord incombant à l’Etat (alors dit « Etat providence ») elle est passée à l’entreprise (vis à vis de ses salariés dans le cadre d’abord des Entreprises dites « Paternalistes » puis via l’apparition du concept de GPEC) et enfin aujourd’hui vers le salarié lui-même. Etant conseiller emploi-formation auprès du public salarié, j’étais au cœur de l’action pour mesurer l’impact de cette gestion personnelle du salarié. Je me suis alors interrogé sur les raisons ayant amené ce glissement. Puis, c’est assez naturellement que j’ai alors souhaité éprouver la réalité des moyens mis à disposition des salariés pour parvenir à cette gestion autonome de leur parcours professionnel, du maintien de leur employabilité : Quels moyens financiers ? Quels outils ? Quels moyens pédagogiques ? Quels dispositifs ?… Il m’a alors été difficile d’admettre que ces moyens étaient très insuffisant et parfois tenant plus du discours que d’une réalité effective. J’ai alors du mettre en doute cette réalité. C’est donc naturellement que j’ai pu faire le lien entre ce manque flagrant de moyens et les difficultés du salarié à gérer l’ingérable.
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Mais c’est au travers des écrits de BATESON que j’au pu tenter de comprendre les attitudes des salariés que j’avais constaté. J’ai ainsi pu comprendre que ces attitudes psychologiques parfois étonnantes (car hors normes) étaient liées à une situation de « double contrainte ». Une situation étudiée et disséquée dans le cadre de l’étude de la schizophrénie. J’ai ainsi pu mettre en rapport une souffrance vécue par les salariés à des symptômes rencontrés par des individus en situation de double contrainte. J’ai alors compris que ces symptômes étaient lié à une mise en situation de souffrance qui mettait les salariés concernés face à Risque Psycho-Social. Autrement dit : la violence symbolique du discours social poussant le salarié à gérer son employabilité en cherchant à utiliser des moyens « non-présent » (ou insuffisant) mettait ces derniers face à une injonction paradoxale de type « double contrainte » amenant ainsi le salarié dans une situation de stress et de souffrance faisant naître un nouveau Risque Psycho-Social. Le terme de Risque Psycho-Social devenant « Social » non pas parce qu’il peut être partagé par un collectif dans une même situation de travail (même emploi ou même entreprise) mais par un collectif très large (les salariés) pouvant partager une même situation socio-économique. Le risque pouvant alors devenir Sociétal et non plus seulement social, puisqu’il renvoi également à un risque pour le système social (celui de l’emploi-formation).
2. Ma posture épistémologique Ma problématique, et cette injonction sociale indirecte mais forte pour le salarié (que je me risquerais plus tard à qualifier de violence symbolique), a déterminé la posture épistémologique de mon travail d’étude.
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En effet, le fait que le salarié doivent devenir acteur de son parcours professionnel est devenu un discours commun. Repris sans cesse, il est entré dans ce que l’on peut qualifier de l’ordre de l’ «opinion» ; puis c’est devenu une loi organique qui s’impose aujourd’hui pleinement à tous les acteurs des Ressources humaines et plus largement dans le système économique de l’emploi-formation. Ceci a tel point que les réflexions menées par les acteurs, les professionnels du secteurs restent encore du niveau de l’opérationnel, et relèvent avant tout de la simple posture pédagogique. Les professionnels du conseil, de l’accompagnement, prônent la posture éducative comme seule efficiente pour conseiller l’individu. Ils défendent l’idée que l’individu doit être acteur (voire « auteur ») de son parcours pour que celui-ci puisse se réaliser, et même réussir. Il s’agit pour s’en convaincre de se replonger dans les échanges qui ont encore lieu sur ce sujet5. Loin de moi l’idée de rejeter cette posture, bien au contraire6, mais je souhaite ici amener la réflexion ailleurs. En effet, le débat n’a plus lieu d’être : l’individu DOIT être acteur. Les pédagogues le disent (et j’y reviendrai), le monde économique le dit et le législateur vient de le «graver» dans le marbre en 20097. Puisque c’est la GRH qui est donnée comme détentrice des clés, des outils, des dispositifs à mobiliser pour rendre le salarié acteur et responsable son employabilité ; ma réflexion s’est donc orientée vers l’étude de cette nouvelle «vérité». Il me fallait en vérifier la réalité et en étudier l’efficience par une approche en science de gestion ; et plus spécifiquement en gestion des ressources humaines.
5
Université d’Hiver de la formation professionnelle/ Atelier « l’individu acteur : mythe ou réalité » animé par B. BERTOLI du FUP et FONGECIF Bretagne 6 Je défends cette posture pédagogique lors de mes interventions auprès de futurs conseillers. 7
LOI n° 2009-1437 du 24 novembre 2009 relative à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie (JO du 25 novembre 2009) qui reprend pour partie les termes de l’ANI du 7 janvier 2009.
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Il s’agit donc pour moi de débuter mon étude par une études de la GPEC, , la formation professionnelle continue, l’orientation et/ou mobilité professionnelle,…
Le paradigme : constructivisme Mon encrage professionnel pouvait m’offrir deux postures épistémologiques intéressantes en sciences de gestion : l’interprétativisme et le constructivisme. Le positivisme n’a pas été retenu car je n’avais que peu pas accès à des données quantitatives comme des statistiques (et pas du tout sur un questionnement sociologique), qui m’auraient permis d’avoir des données empiriques sur mon sujet d’étude. A cela, s’ajoute surtout le fait que ma problématique n’est pas de réfuter ou de simplement vérifier une « réalité » mais bien de chercher à analyser un contexte de travail et un système qui a été construit ces dernières années : le système emploiformation en France. Je ne recherche donc pas une vérité absolue régie par des lois naturelles dans un monde déterminé mais je cherche, au contraire, à étudier un système (un monde) qui se construit à partir de finalités multiples des différents acteurs socio-économiques. J’ai donc du choisir entre deux paradigmes m’offrant une méthode de recherche et un posture me permettant d’éprouver scientifiquement ma problématique. Aussi, à partir de ma condition de simple observateur (un technicien dans un système macro-économique) armé de mes connaissances techniques mais adoptant une posture de chercheur : -
Devais-je chercher à comprendre le système pour interpréter les motivations des acteurs ?
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-
Où devais-je aller plus loin en construisant, dans une recherche-action, afin de proposer (et préconiser) mais aussi d’être dans le faire ? Cela supposant de construire un projet au sein de ma structure employeur de l’époque.
Le choix de ma posture a largement dépendu de ma direction de l’époque qui n’avait pas commandé mon étude et n’avait pas émis le souhait d’utiliser mon travail de recherche comme support à la construction d’un projet de structure. Or, il me semblait que ce n’était qu’à cette condition que la posture constructiviste pouvait se justifier. Dans le cas contraire, je devais rester dans une posture d’observateur. Toutefois, la posture constructiviste m’est apparu la seule pouvant prendre en compte les objets (de mon étude) relevant de pratique sociales et conduisant le chercheur à ne pas prendre « pour argent comptant » le discours social qui les accompagne ; mais à les mettre en objet de recherche. Ceci permettant de faire la différence entre « concept social » et « concept scientifique » (BARBIER 2000) comme nous le verrons plus tard avec le concept de GPEC et celui de « salarié acteur de son parcours». Cette posture est cohérente avec le but de mon étude qui est le développement d’un modèle compréhensif proposable aux acteurs sociaux de mon champ d’intervention (dont moi-même comme professionnel) en vue de revisiter les situations d’exercice de notre action auprès des salariés. Le produit de mon étude, de ma recherche, n’est pas à visée prescriptive mais elle a pour ambition simple de donner une grille de lecture nouvelle de nos pratiques. Des pratiques qui s’inscrivent dans un contexte socioéconomique particulier avec des déterminants forts. Par conséquent, je me suis appuyé sur des entretiens exploratoires, d’observation de réunion d’informations (auprès de salariés mais aussi de directeurs de PME et DRH), , un fond documentaire issu de mon activité professionnelle (articles, sites Internet,…)
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et de témoignages de salariés8 (sous forme de verbatim recueillis lors de mes nombreux entretiens issus de mon activité professionnelle). Cette méthode m’a permis de garder une objectivité scientifique qui se traduit pour les scientifiques modernes : « me méfier de moi-même » (de ma subjectivité), des jugements, des analyses rapides, et de l’opinion,. J’ai ainsi prôné une démarche rationnelle pour opposer la vérité à l’opinion et la raison aux préjugés. En résumé, j’ai chercher à prendre de la distance avec ce qui est de l’ordre du préjugé : les miens mais aussi ceux issus de mon secteur professionnel. Si mon ancienne direction devait influencer le choix de ma posture épistémologique de mon travail d’étude, il n’en demeure pas moins que je ne pouvais pas seulement chercher « Comment » le système en est arrivé à cette « Vérité ». Je souhaitais chercher à savoir également « Pourquoi », pour quelle finalité , et vérifier si cette Vérité en était une. Mais aurai-je l’envie et les moyens de construire une autre « Vérité » ? Cela paraissait très ambitieux pour un simple technicien qui s’interroge sur son environnement professionnel. Il m’a semblé donc plus judicieux de reposer mon étude sur le paradigme constructiviste afin de me permettre de comprendre en ne m’interdisant pas d’agir sur mon environnement. Par conséquent, dans cette posture de recherche en sciences de gestion, ma problématique pouvait être formulée ainsi : « Est-ce que le système emploi-formation, basé sur l’individu acteur de son parcours professionnel est vrai ? » C’est à dire, au sens de William JAMES9 : « Est vrai ce qui fonctionne ».
8
Chaque entretien de conseil est effectué à partir d’un scénario d’entretien (joint en annexe2) et fait l’objet d’un compte-rendu. Chaque année c’est en moyenne 600 entretiens qui sont réalisés par un conseiller. 9 ème William James , psychologue et philosophe américain du 19 , école du pragmatisme
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Quelques verbatim illustrant leur réflexion et leur motivation pour suivre une formation :
Verbatim de salariés d’entreprises de taille relativement importante (plus de 200 salariés)
« Mon entreprise a déjà utilisé le chômage partiel et je sens bien qu’elle a des difficultés. On nous dit que ça va mais on sens bien que ça va mal. C’est pour cela que je souhaite changer de métier en me formant car je n’ai pas de métier entre les mains et si je me retrouve au chômage… »
« J’ai peur de me retrouver sur le carreau car l’entreprise connaît une baisse d’activité et elle va sûrement fermer des sites. On nous dit que « non » ou que ce n’est pas prévu pour le moment, mais on est pas fou : lorsque des machines sont démontées et envoyées en Pologne… Je préfère prendre les devants et changer de métier avant que ce ne soit trop tard ».
« Je suis cadre et je sais que l’entreprise n’a plus d’avenir et donc moi non plus car je n’ai aucun diplôme dans mon domaine d’activité. Je sais que je vais avoir des difficultés à retrouver le même type de poste ailleurs. Je souhaite me préparer avant un PSE possible. »
Verbatim de salariés de petites entreprises
« mon entreprise va mal : on est au chômage partiel, on n’est pas sur que ça va reprendre. Mon employeur m’envoie vers vous pour que je me forme en attendant la reprise»
21 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
« Je veux assurer mon employabilité par ce que je sais que mon entreprise risque de cesser son activité d’ici un à deux ans. C’est pourquoi je veux me former et acquérir un niveau d’étude supérieur,… »
La méthodologie retenue Après avoir pu cerner ma problématique, je me suis questionné sur la méthode à employer pour ma recherche. Bien entendu, la posture épistémologique m’éclairait mais il me restait à déterminer si j’allais mener des entretiens exploratoires suivis ensuite d’entretiens de recherche (de type semi-directif). Allai-je utiliser l’outil questionnaire afin d’aller recueillir de façon exhaustives, des informations auprès des salariés ?
Avais-je le droit d’utiliser les informations contenues dans la base de
donnée du FONGECIF ? Et comment utiliser les informations contenues dans cette base de donnée (dont la conception ne permet pas d’extraire les informations dont j’allais avoir besoin) ? Au final, plusieurs réponses à ces questions ont été trouvé par mes lectures et les opportunités. En effet, il m’est apparu que les entretiens exploratoires avaient déjà été menés par mes échanges avec de nombreux acteurs en liens avec ma problématique, étant donné que cette dernière était au cœur de mon activité professionnelle depuis 12 ans. J’ai alors débuté la rédaction d’un guide d’entretien (après avoir précisé à la fois ma problématique et mon cadre théorique) et j’ai alors compris que ce guide allait être presque identique à mon « scénario d’entretien10 » qui est la base de ma conduite d’entretien de conseil au FONGECIF. J’ai alors pris conscience (avec l’aide de mon guidant) que les entretiens de recherche avaient déjà été menés tout au long de mes 6 années passées au FONGECIF (ce qui représente plus de 3 000 entretiens qui font tous l’objet d’un compte-rendu détaillés). J’ai donc préférés me replonger dans cette masse d’entretiens, en me focalisant ensuite sur les
10
CF. annexe « scénario d’entretien de conseil »
22 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
entretiens portant sur les salariés ayant connu particulièrement la situation au cœur de ma problématique. J’ai ensuite décidé d’exploiter la base de donnée du FONGECIF puisque les informations retenues n’étaient pas nominatives et que l’aide d’un informaticien m’a permis de réaliser des requêtes (extractions) précises ; me permettant alors d’avoir des informations recoupées et en nombre important (sur 5 000 dossiers).
Pour finir, c’est l’opportunité qui m’a conduit à utiliser deux théâtres d’observation en rapport direct avec mon sujet. En effet, j’ai cru que le hasard m’avait amené à participer à des ateliers AGEFOS et à animer des réunions en direction de DRH (pour mon activité indépendante) ; mais il m’apparaît aujourd’hui évident que le hasard n’a rien à y voir. En effet, c’est bien mon intérêt pour le sujet, mon questionnement déjà débuté sur ma problématique actuelle, qui m’ont conduit à participer et animer ces actions. Il m’était alors naturel d’utiliser ces observations, les constats en partie débuté, pour étayer ma réflexion.
Cette méthodologie, basée avant tout sur l’expérience et l’observation, a des avantages et des limites. Les limites sont celles du niveau d’objectivité scientifique et le risque de ne pas obtenir des données plus « neuves » et débarrassées entièrement d’affectivité. Mais je crois que j’ai compensé cette limite, ce risque, grâce à trois précautions : -
la consultation avec mes collègues et surtout avec mon tuteur de terrain
-
ma pratique quotidienne de la conduite d’entretiens de type Rogérien11 dans le cadre d’aide à l’explicitation des besoins et attentes. Ceci via les techniques :
11
Carl ROGERS (1902-1987), psychologue humaniste américain. qui a principalement oeuvré dans le champ de la psychologie clinique. Son Approche Centrée sur la Personne a mis l'accent sur la qualité de la relation entre le thérapeute et le patient (écoute empathique, authenticité et non-jugement). C'est ce qu'il a appelé La non directivité.
23 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
de recherche d’un posture empathique, l’écoute active (questions ouvertes, fermées,
miroirs,
entonnoirs,
projectives,
directes,
indirectes…) ,
la
formulation (écho, reflet, inversée, synthèse) ; l’ adaptation de son registre de communication,… -
le fait d’avoir recouper mes données par trois méthodes différentes (base de données, entretiens semi-directifs et observations) utilisées dans des contextes très différents et surtout sans arrière-pensée démonstratives (car je n’avais réellement aucune pré-réponse à ma problématique).
Aussi, ma méthodologie me semble être restée dans le cadre d’une recherche de type scientifique tout en bénéficiant d’apports empiriques solides permettant une recherche –action que j’affectionne particulièrement.
3. Les 4 modèles de l’Orientation12 Connaître les modèles de l’orientation pour mesurer le changement de paradigme. Pour tenter de comprendre comment le système emploi-formation en est venu à prôner l’autonomie en orientation dans un premier temps, puis, à la responsabilité portée par l’individu à maintenir son employabilité, il est utile de connaître les principaux modèles de l’orientation. Pour connaître les principaux modèles sur lesquels repose la pratique de l’orientation, il faut rappeler que le problème de l’orientation des jeunes (ou de l’enfant) est ancestral (déjà présent à l’antiquité). Il varie selon le type de société (castes ou classes) et donc souvent au fil de l’histoire. Déjà abordé par les philosophes grecs comme Platon (parlant de transmission de génération en génération des
12
4 modèles issus du travail de Thèse : « l’entretien d’orientation dans l’accompagnement des demandeurs d’emploi : une activité clinique et multiréférentielle » / Christian SAUTER.
24 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
fonctions de la cité idéale : soldat, prêtre, décideur), puis par les philosophes humanistes de la renaissance. Pour Pascal : «La chose la plus importante à toute la vie, c’est le choix d’un métier. Le hasard en dispose. La coutume fait les maçons, les soldats, les couvreurs…A force d’ouïr louer en l’enfance des métiers, et mépriser tous les autres, on choisi; […] et la force de la coutume est si grande que des pays entiers sont tous des maçons, d’autres des soldats. Sans doute que la nature n’est pas si uniforme. » C’est donc la philosophie qui pose en premier la question de l’orientation comme pouvant être un thème de social à mettre en recherche. Il s’agit alors de s’interroger sur le fait que la « coutume » n’est peut-être pas la seule et meilleure façon de décider de l’avenir de chacun.
Au début XXè siècle, Il n’y a pas de volonté politique claire mais on trouve un développement progressif construit à partir de 3 préoccupations et découvertes : -
La préoccupation de la formation professionnelle des jeunes issus de l’école primaire devenue obligatoire : les écoles d’apprentissage sont créées en 1911 par des branches professionnelles du bâtiment. Leur but est d’attirer de la main d’œuvre en faisant « naître chez l’enfant le choix d’une profession ». L’orientation professionnelle apparaît comme le lien nécessaire entre scolarité obligatoire et formation professionnelle à la recherche d’un main d’œuvre qui fait défaut aux entreprises.
-
La question du placement des jeunes dans le monde du travail : il s’agit alors plus d’informer les jeunes sur les métiers que de les former (comme précédemment via l’apprentissage). On informe les jeunes sur les différents métiers mais aussi sur les aptitudes nécessaires à leur exercice. L’orientation Professionnelle est alors, à ses débuts, un outil destiné à discerner les inaptitudes des jeunes pour l’exercice de certains métiers et à informer sur les autres. Cette information est destinée aux « classes laborieuses ». En effet, ’objectif est d’établir la convenance ou la non convenance entre les caractéristiques
25 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
individuelles
et
les
exigences
professionnelles.
L’orientation
vise
alors
l’adaptation de l’ouvrier à son poste de travail. -
Le développement d’une psychologie appliquée : la psychologie est donc utilisée au secours de la société. Au début du 20ème siècle, la psychologie se tourne vers les questions pratiques et sociales, et notamment, vers la question des aptitudes des enfants relativement aux métiers qu’ils se destinent d’exercer. Le psychologue BINET cherche à « aider à la solution de la question ouvrière […] en diminuant le nombre de sujets mal adaptés, qui deviennent des déclassés, des malheureux ou des insurgés ». En effet, un ouvrier qui a été mis à la « bonne place », c’est à dire dans le bon métier, avec les tâches qui lui conviennent , aura moins de chance d’être malheureux, malade, ou de se révolter.
Arrive en suite la 1ère guerre mondiale, durant laquelle vont se mettre en place des laboratoires pour sélectionner : aviateurs, officiers,… 1920 -1928 : les premiers congrès et conférences sur l’orientation. Des services d’orientation se mettent en place en France sous l’impulsion des Chambres de métiers d’Alsace-Lorraine et de Gironde.
3.1
Institutionnalisation
C’est en 1922 qu’un décret confère une existence légale à l’orientation en France. Le but annoncé est de faciliter le placement des jeunes dans le commerce et dans l’industrie via des tests d’aptitudes physiques, morales et intellectuelles. En 1928, est créé l’INOP (Institut national d’Orientation Professionnelle) pour favoriser la mise au point de tests. L’orientation professionnelle existe alors institutionnellement et elle a pour mission de mesurer les aptitudes des élèves et de les orienter vers les filières d’études et métiers qui sont bons pour eux. On parle à cette époque « d’orienteur » (et pas de conseiller d’orientation).
26 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
La conception qualifiée d’ « adéquationniste » ou de « diagnostic-pronostic » sera celle promue et répandue jusque dans les années 1960. A. LEONT (psychologue) illustre la pratique de ce modèle en 1957 : « On m’apprit dans les années 50 la bonne façon d’analyser les aptitudes et la personnalité des enfants. Le discours qu’il fallait tenir se trouvait codifié : « bonjour petit, comment t’appelles-tu ? » chaque erreur de mot, voire de ponctuation était une offense à la rigueur scientifique. Le chronomètre en mains, le regard ,neutre, la face impavide mais pourtant accueillante, le psychologue mesurait, comparait, mettait l’individu en courbes et en profils… Les traits marquant de son intelligence ou de sa personnalité pouvaient alors être classés dans des catégories élaborées en mélangeant
subtilement
la
science
et
la
morale»
(citation reprise par DANVERS 198813)
On le voit ici, la pratique d’orientation est une pratique qui se veut « scientifique » (toutefois au sens positiviste) qui ne laisse que peu de place au besoin de l’individu, mais qui est influencé par « la morale » donc par la subjectivité de la société. Ce qui se traduit par : « Je mets en équation l’orientation pour mieux placer l’enfant là où il est bon qu’il aille pour le bien de la société ».
3.2
Vers une orientation éducative :
Une démarche encore née dans la milieu scolaire On constate d’abord un
développement progressif à partir des années 60. Ce
développement débute par l’ « orientation scolaire »
dans le choix d’une filière
d’études) puis par « l’orientation professionnelle » (choix d’un métier) / [PIERON. 13
Danvers F, (1988). Le conseil en orientation en France. Issy les Moulieaux, Edition EAP (page 121-122)
27 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
1963]. C’est dans cette période que le terme « d’orientation » est interrogé : on parle plus « d’aide à l’orientation » . Car doit-on orienter ou aider à s’orienter ? [FOULQUIE 1971]. On parle moins d’orientation pour répondre au besoin de main d’œuvre qualifiée pour le pays ; mais plus de recherche d’aptitude en intégrant l’élève dans la démarche : il joue enfin un rôle. Mais on reste toujours dans une orientation de type « adéquationniste » beaucoup axée sur les tests psychologiques.
Puis, c’est l’influence du contexte socio-économique qui favorise le changement de pratique. En effet, plusieurs déterminant sociaux amènent des changements d’approche puis l’apparition de nouvelles pratiques. Tout d’abord, le système socioéconomique doit prendre en compte l’allongement constaté de la durée des études, et le nombre de plus en plus importants de métiers. Dans le contexte des années 70 80 il faut faire face à une augmentation toujours constante des métiers, un explosion du nombre de filières, de qualifications différentes, et une inflation des diplômes. Par conséquent apparaissent de grandes incertitudes sur l’évolution des métiers. C’est ainsi qu’arrive la promulgation de la loi de 1971 sur « l’éducation permanente » (première loi sur ce qui deviendra la « formation continue » puis la « formation tout au long de la vie ». A cette loi, s’ajoute la création du CEREQ (Centre d’Étude et de Recherche sur les Qualifications et les Emplois) qui informe l’ONISEP (Office National d’Information sur les Études et les Professions). Les premiers changements importants de pratique apparaissent alors. En effet, face à ses nouveaux déterminants sociaux il faut changer de pratique. Aussi, pour ne pas s’attarder sur un historique trop détaillé et trop long, on peut noter les points primordiaux suivants : -
Les tests sont moins utilisés ; la conduite d’entretien de conseil devient un outil réel.
28 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
-
On veut maintenant aider le jeune à faire un choix éclairé : recherche de « choix professionnels » à partir de la recherche des besoins des jeunes.
-
Le professionnel de l’orientation cherche à former le jeune dans la manière de faire ses choix.
-
On développe des outils d’aide à l’orientation (entretien Rogerien, méthode ADVP14,…) qui sont tournés vers l’individu, ses attentes…issue de la psychologie. On privilégie le dialogue et l’accompagnement.
-
L’institution scolaire favorise l’accompagnement des jeunes tout au long de leur scolarité pour leur offrir la possibilité d’anticiper leur insertion professionnelle (par un choix d’orientation précoce)
En conclusion, il faut retenir que la mission d’orientation devient éducative. L’orientation scolaire prépare sur une durée longue au choix d’une profession auquel elle sensibilise les élèves de plus en plus tôt. Ceux-ci deviennent plus actifs dans leur démarche pour clarifier leurs goûts et leurs aptitudes.
En 2004, un rapport (du Haut Conseil de l’Évaluation de l’École) montre du doigt l’orientation pour ses graves dysfonctionnements : -
Des filières de formations inadaptées sont toujours proposées,
-
Des filières de formations sont ouvertes alors que la nécessité n’est pas avérée. (nécessité pour l’outil productif),
-
On demande aux jeunes d’élaborer un projet alors qu’ils sont nombreux à ne pas être en capacité de le faire,
-
Les conseillers d’ Orientation Psychologues insistent sur les capacités individuelles des élèves et en oublient la recherche du choix et la prise en compte des déterminants sociaux : conséquence les inégalités sociales persistent.
14
« Activation du Développement Vocationel et Personnel »/ Méthode pédagogique visant à favoriser la prise de conscience de la personne concernant ses besoins, attentes, et aspirations personnelles.
29 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
Par cette remise en question, la démarche d’aide en orientation et donc le travail du C.O.P15. est devenu très difficile car il se doit maintenant de prendre en compte : les déterminants sociaux, et surtout un contexte économique en forte tension, tout en recherchant à laisser la liberté de choix des jeunes. En effet, l’orientation éducative, via la recherche de l’autonomie de l’élève, n’a-t-elle pas une limite importante ? En effet, donner plus d’autonomie aux élèves, n’est-ce pas risquer qu’ils se dirigent dans des filières qui leur seront défavorables professionnellement ?
Alors pourquoi rester dans une pratique d’orientation éducative tournée vers l’autonomie ? Les modifications du monde du travail sont aujourd’hui constantes : disparitions et apparitions de qualifications et de compétences, intensification des mobilités professionnelle et géographique, etc. Dans un tel contexte, l’autonomie vise à préparer les élèves à assumer ces exigences de mobilité et de requalification. L’autonomie acquise par les jeunes lors de leur orientation scolaire leur permet d’être autonome dans leur vie professionnelle segmenté. L’autonomie acquise en orientation scolaire, et donc plus tard professionnelle, peut devenir un outil très utile dans la lutte contre le chômage. Mais nous aurons l’occasion plus loin de reparler de l’utilité de cette apprentissage de l’autonomie pour la gestion de parcours.
Sans oublier que la recherche de l’autonomie en orientation ne vise pas uniquement à faciliter le fonctionnement du système productif : elle vise aussi à transformer l’individu en une personne sociale capable de contester, de se faire son propre avis et donc de faire ses propres choix. On sort donc bien ici de l’approche adaptative de l’orientation pour entrer dans une approche sociale tournée vers l’individu et non
15
Conseiller d’Orientation Psychologue (conseiller en orientation à destination des scolaires)
30 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
plus vers le système productif. Ce qui, en soi, peut être un choix autant politique que socio-économique.
3.3
La pratique du bilan
La pratique de Bilan de compétences est issue de la pratique de l’orientation des adultes. Les pratiques d’orientation des adultes ont globalement suivi une évolution identique à celle des jeunes : Ce fut d’abord des pratiques d’expertise : amélioration des situations de travail, aide au recrutement, prévention des risques (vérification des aptitudes des salariés) via le développement de tests d’aptitudes et de tests psychotechniques. Puis les pratiques d’expertise ont peu à peu cédé la place à une orientation éducative tournée vers la personne (ses centres d’intérêts, ses valeurs : prise en compte de sa motivation par la construction d’un projet). Puis, cette pratique éducative a du se confronter à un contexte social et économique difficile dans les années 70 puis 80. La loi de 71 sur la formation continue (dont le volet sur la promotion sociale) est peu à peu oubliée dans l’esprit pour se concentrer sur la recherche de solutions à la crise de l’emploi. Les bouleversements socio-économiques (modifications des métiers, modernisation, délocalisations, mondialisation, …) ont complexifié le monde du travail et obligé les personnes à s’orienter dans un contexte de plus en plus opaque et difficile à comprendre, sans avoir appris préalablement à s’orienter. C’est pour répondre à cette difficulté qu’a été créé le Bilan via d’abord la création des Centres Institutionnels de Bilans de Compétences (CIBC) en 1986 puis enfin à la loi de 1991 institutionnalisant le Bilan de compétences. Le BC est devenu la forme la plus répandue de l’orientation des adultes.
31 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
En résumé, il est possible de présenter les 4 modèles d’orientation qui permettent de déterminer le mode d’orientation utilisé : autrement dit dans quel paradigme d’orientation on se trouve. • Placement : « Toi tu vas là ! » : place attribuée à quelqu’un selon certains critères. La personne placée n’a pas accès à ces critères. • Adéquation / Appariement : On détermine le profil de l’individu, on détermine le profil du métier : comparaison et mise en adéquation. • Émergence de projet : C’est l’apparition du projet et de la recherche de la motivation. On accompagne la personne pour l’aider à identifier le désir profond qu’elle a. Quand le désir est identifié, on l’aide dans la réalisation de son projet. • Éducatif / Autonomie : C’est l’apparition de l’accompagnement pour l’émergence d’un projet mais comme prétexte à l’apprentissage de la démarche d’orientation (réutilisable par la personne à différents moments clés de sa vie professionnelle).
4. L’évolution économique et le nouveau paradigme de la
gestion de parcours Un contexte socio-économique en mouvement rapide, la notion de compétences, une lecture devenue difficile. On l’a vu, l’orientation a connu des changements rapides sur une courte période historique ; ceci jusqu’à voir l’émergence d’une orientation éducative. Mais aujourd’hui, le discours social (le sens commun) présente la pratique de l’orientation éducative comme une pratique réelle et efficiente. Ceci à tel point que la société prône aujourd’hui la gestion de parcours par l’individu lui-même. Puisque cette pratique éducative a si bien fonctionné, il est naturel de penser que l’individu est en
32 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
capacité à gérer lui même sa vie professionnelle et a porter la responsabilité de son employabilité. C’est dans l’évolution du monde du travail et l’apparition de la notion de compétence, qu’il faut chercher les raisons et l’origine, du nouveau paradigme de l’individu « acteur de son parcours professionnel et de son employabilité ». En effet, c’est l’accroissement de la concurrence faite aux entreprises et dans la recherche constante de gains de compétitivité que se trouve le creuset de la notion de compétences : maux et mot devenu capital en GRH.
Tout d’abord, il faut noter que l’économie s’est tertiarisée (et ceci encore plus en Lorraine, une région qui a dû faire sa mue industrielle). De plus, l’ économie de production est devenue mondiale, la création de produits nouveaux s’est accélérée. Ce qui s’est traduit par le changement suivant : l’économie axée sur la recherche d’évolution en accord avec la capacité de production, est devenue une économie de service au client. Par capacité, il faut comprendre capacité technique mais aussi satisfaction et capacité du salarié. Or nous sommes passé à une économie de « client ». C’est à dire que les organisations cherchent avant tout à répondre aux exigences sans cesses mouvantes du client. Les considérations et besoins de celui qui produit (le salarié) ne sont plus une priorité. La conséquence immédiate étant qu’il a été exigé une flexibilité accrue de ce même salarié. Nous sommes alors entré dans une économie de service au client qui a exigé une recherche croissante de flexibilité (de la capacité de production) et de montée en compétences (augmentation mais également
adaptation).
A cette « tertiarisation » de l’économie, il faut ajouter l’internationalisation et l’apparition de la compétitivité. La mondialisation a amené une concurrence accrue, entre les pays ; ce qui a multiplié la concurrence entre les entreprises et par voie de conséquence entre les salariés de tous les pays. C’est le début de la délocalisation où
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une entreprise française met en concurrence les salariés français et ceux à l’autre bout de la terre. En 1999, le Bureau International du Travail a affirmé : « le niveau de compétence et la qualité de la main-d'œuvre feront de plus en plus la différence dans la course aux débouchés sur un marché mondialisé ». Aujourd’hui, qualité, réactivité et innovation sont trois mots primordiaux en entreprise pour se démarquer des concurrents.
C’est pourquoi la compétitivité des entreprises et donc des salariés est clairement liée à la somme des compétences détenues. Il est d’ailleurs intéressant de noter que le mot « compétence » et « compétitivité » ont la même racine. La compétence est devenue pour l’entreprise, un outil de gestion bien plus adapté que ne l’étaient les savoirs et les métiers. Cet outil facilite la mesure et l’adaptation.
Le troisième point important à prendre en considération pour expliquer l’apparition puis la monté en puissance de la notion de compétence, est l’instabilité des situations et des contextes de travail pour le salarié. En effet, les avancées technologiques sont constantes et croissent de façon presque exponentielle. Le maître-mot des entreprises est devenue l’innovation et l’adaptation. Aussi le salarié voit ses connaissances, ses savoir-faire devenir rapidement obsolètes. Il n’est plus suffisant d’avoir appris un métier, il convient de posséder des savoir-faire à adapter constamment à un contexte d’activité mouvant et toujours spécifique. C’est pourquoi nous parlons aujourd’hui de compétences au sens : « La compétence est la prise d’initiative et de responsabilité de l’individu sur des situations professionnelles auxquelles il est confronté. » (Philippe ZARIFIAN). Bien d’autres définitions sont possibles. Le débat fait rage en sciences de l’éducation pour définir cette notion. Or, mon interrogation ne se situe pas sur ce terrain que je trouve assez vain. En effet, les travaux de recherche sur la notion de compétences peuvent être très utiles mais uniquement pour affiner le concept et ainsi faciliter
34 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
encore plus son utilisation comme outil de gestion de ressources humaines. Ceci peut être très utile mais dans un autre contexte que celui de mon étude présente. Aussi, je ne citerai que ces deux autres définitions universitaires pour les compléter par une définition plus terre à terre donnée par le principal syndicat patronal. Guy LE BOTERF définit la compétence comme un savoir-agir : « savoir mobiliser, combiner et transposer des ressources individuelles et collectives dans une situation professionnelle donnée en vue d’enjeux. » Cette définition permet de préciser que le savoir-faire devient une compétences lorsque l’individu peut la mettre en œuvre dans une situation particulière en s’adaptant à celle-ci. La définition de Françoise RAYNAL16 : « Ensemble des comportements potentiels qui permettent à un individu d’exercer efficacement une activité considérée généralement comme complèxe. La compétence est liée à un métier, à une profession, à un statut, à une situation professionnelle ; à ce titre, elle englobe des savoirs, savoir-faire et savoir-être. ». Ici la définition nous précise que la compétences n’est pas uniquement liée à un métier mais tout autant à une situation professionnelle, à un emploi,… même si je suis moins enthousiaste sur la notion de savoir-être comme entrant dans la compétence.17
Pour le C.N.P.F.18, lors des journées internationales de la formation en 1998 : « la compétence professionnelle est une combinaison de connaissances, savoir-faire, expériences et comportements, s’exerçant dans un contexte précis. Elle se constate lors de sa mise en œuvre en situation professionnelle à partir de laquelle elle est validée. C’est donc à l’entreprise qu’il appartient de la repérer, de l’évaluer, de la valider et de la faire évoluer ».
16
Pédagogie : dictionnaire des concepts clés / F. RAYNAL et A. RIEUNIER le « savoir-être » renvoyant plus à des savoirs sociaux acquis par son éducation et son contexte de vie. L’accoupler à la « compétence » peut être judicieux dans bien des cas, mais c’est prendre le risque de mélanger « comportement » et « compétence » lorsqu’il s’agit d’évaluer (ce qui est courant en management). 18 Conseil National du Patronat Français (ancien MEDEF) 17
35 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
Selon cette définition, c’est à l’entreprise de faire évoluer les compétences, non pas au salarié. Pourtant, la réforme sur la formation professionnelle de 2004, renforcée par celle de 2009, a pour objectif de rendre l’individu acteur de son parcours professionnel ; ceci en s’appuyant indirectement sur la notion récente d’ « employabilité ». Cette notion illustre à mon sens le glissement du « salarié acteur » de son parcours à « salarié responsable » de son parcours. D’un glissement sémantique, on est passé à un changement de paradigme En effet, en GRH puis dans le cadre plus précis de la GPEC19, le « salarié acteur » signifiait que les attentes des salariés de l’entreprise devaient être également pris en compte dans le cadre d’une GPEC. Ce n’était pas encore une injonction faite à ce dernier à se prendre en main. Suite au développement de la notion de compétences et de son utilisation comme véritable outil de GRH, la compétences est devenue la clé de voûte de la GPEC : « La gestion des ressources humaines se décline alors dans le langage des compétences : de l’acquisition de compétences (recrutement), à leur cession (licenciement), en passant par leur développement (formation). » (P. GILBERT)20
Puis, c’est l’arrivée récente de la notion d’employabilité sous sa forme « insertion professionnelle ». C’est à dire la « capacité d’insertion professionnelle d’un individu, déterminée par l’interaction entre ses caractéristiques et compétences personnelles, d’une part, et le marché du travail, d’autre part ». (GAZIER, 2003)
Aussi, c’est la réforme de la formation (2004 puis 2009) qui a achevé le glissement de la responsabilités de l’entreprise sur le maintien en compétences de ses salariés, vers une responsabilité individuelle du salarié lui-même. Car, dans le même temps, s’est démocratisé l’utilisation du modèle de la G.P.E.C. Ce modèle de gestion des ressources humaines ayant pour objectif de permettre aux
19 20
Gestion Prévisionnelle des Emplois et des Compétences « la gestion prévisionnelle des ressources humaines », Patrick Gilbert, repères (p 70-71)
36 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
entreprises d’anticiper les besoins futurs en compétences, de rapprocher ainsi ses besoins actuels et futurs en adaptant l’offre disponible. Ce modèle de gestion reposant sur le principe que l’entreprise gère ainsi ses besoins en compétences, il paraît naturel de penser que c’est également à elle de maintenir le niveau en compétences de ses salariés. Alors comment cela est-il possible si la responsabilité en incombe aux salariés eux-même ? La réponse la plus évidente à cette question est donc que la responsabilité du maintien en compétences est partagée. La logique veut donc que l’entreprise participe à cet effort , notamment par la démocratisation et le développement de la GPEC dans la plupart des entreprises, et que le salariés puissent mobiliser des aptitudes et des moyens (notamment financiers) pour y participer. Ces moyens étant largement déclinés dans la réforme de 2009 sur la formation continue rebaptisée « formation tout au long de la vie ». Mais qu’en est-il réellement ? La GPEC permet-elle cette gestion des compétences individuelle des salariés ? La réforme de 2009 (après celle de 2004) est-elle suffisante pour permettre aux salariés de prendre en main son parcours ?
4.1
« Individu acteur…. » jusqu’à la loi de 2009
Un discours très présent, une évidence qui s’impose à tous.
•
La loi de 2004 sur la formation professionnelle
La loi du 4 mai 2004 instaure le principe de la « formation tout au long de la vie » : la formation professionnelle continue : « Long Life Learning ». Cette loi rénove la formation professionnelle. Nous verrons dans cette partie que certains dispositifs de cette loi visent à sécuriser les parcours professionnels des salariés ; grâce à cette loi, on voit apparaître des nouveaux dispositifs :
37 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
-
La mise en place du Droit Individuel à la Formation,
-
La création de la période de professionnalisation,
-
Le développement de la négociation salarié/employeur : le salarié devient acteur de son parcours professionnel via l’entretien professionnel,
-
L’augmentation des moyens financiers consacrés par les entreprises à la formation continue,
-
La mise en place d’un passeport formation pour accompagner les salariés tout au long de leur carrière,
-
L'affirmation du droit à la formation professionnelle tout au long de la vie,
-
Donner au salarié plus d'initiative dans l'élaboration de son parcours de formation professionnelle,
-
Donner une plus grande visibilité sur les besoins en formation.
La formation professionnelle peut avoir 3 objectifs : -
Faciliter l’adaptation à l’évolution des techniques et des conditions de travail,
-
Maintenir ou améliorer la qualification professionnelle,
-
Favoriser la promotion sociale et professionnelle.
•
La loi de 2009 sur la formation professionnelle
Le 25 novembre 2009, la loi relative à l’orientation et à la formation professionnelle a été publiée au J.O. Portabilité du DIF, création d’un fond de sécurisation des parcours professionnels, simplification du plan de formation sont ainsi entérinés. Cette loi a été présenté comme plus juste et plus efficace, comme le souhaitait le gouvernement. Placée sous le signe de la crise économique, elle avait pour ambition de mieux orienter les financements vers les publics les plus fragilisés, dans la lignée de l’ANI (Accord National Interprofessionnel) du 7 janvier 2009 négocié par les partenaires sociaux. En témoignent la création d’un fond dédié à la formation des
38 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
salariés faiblement qualifiés et des demandeurs d’emploi ou l’évolution du DIF (qui devient mobilisable entre deux contrats de travail). Alors quelles nouveautés ? -
Les financements (fonds de sécurisation des parcours, fonds mutualisés) Pour les entreprises, il n’y a pas de nouvelle cotisation, ni de hausse des taux dus au titre de la formation professionnelle, exclus dans cette période difficile. Pour former davantage de salariés peu qualifiés, issus de PME mais aussi (et c’est une première) les demandeurs d’emploi, ce sont les OPCA21, qui ont vu leur système de collecte et de répartition des fonds sensiblement modifiés.
-
Les dispositifs qui évoluent (DIF, CIF, plan de formation...) Portabilité du DIF, simplification du plan de formation, ouverture du CIF à la formation hors temps de travail, entretien professionnel obligatoire pour les seniors et élargissement du contrat de professionnalisation sont les principales évolutions apportées par la loi.
-
Les nouvelles mesures (préparation opérationnelle à l’emploi, bilan d’étape professionnel…). Rien de révolutionnaire dans les nouveaux dispositifs, si ce n’est la préparation opérationnelle à l’emploi qui doit permettre de former des demandeurs d’emploi en vue de leur intégration dans l’entreprise.
-
Loi sur la formation professionnelle : ce qui change pour les Opca Ce sont sans doute les organismes collecteurs qui subissent le plus de changements. Outre leur contribution au FPSPP22 et le changement de leur système de collecte en faveur des PME, la loi oblige les Opca à se regrouper (15
21 22
au
lieu
de
100)
comme
souhaité
par
le
gouvernement.
Organisme Paritaire Collecteur Agréé Fonds de Sécurisation des Parcours Professionnels né de la réforme 2009 (ancien COPACIF et F.U.P.)
39 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
-
Les
autres
mesures
(droit
à
l'information
et
à
l'orientation,...)
On voit apparaître un droit à l’information et à l’orientation (qui peine à se traduire opérationnellement) et se décider le transfert des conseillers d’orientation de l’AFPA vers Pôle emploi (dont l’intégration semble avoir guère de rapport avec l’orientation).
5. Mon contexte professionnel jusqu’en février 2011 L’évolution de l’orientation en France et ce jusqu’aux récentes réformes législatives, a été marqué par l’apparition de la notion de compétences et le développement de concept tel que la GPEC. Ces évolutions ont amené l’apparition du principe incontesté de : « individu acteur de son parcours professionnel », « salarié acteur de son employabilité »,… Ce principe semble intéressant et suivi d’une réalité de terrain grâce à l’émergence de nouveaux dispositifs législatif et outil de GRH. Toutefois, mon exercice professionnel m’a amené à douter de la réalité de ce principe, et de l’efficacité des dispositifs mis en avant. J’ai tenu le poste de conseiller mobilité professionnelle au FONGECIF Lorraine durant plus de 6 années23. J’ai pu y découvrir les enjeux divers et variés qui peuvent amené un salarié à vouloir changer d’emploi, et souvent de métier. : -
conflit avec son employeur,
-
envie d’évolution : salariale ou pour gagner en responsabilité,
-
envie de donner un nouveau sens à sa vie professionnelle,
-
par obligation : emploi en danger voir métier « en voie de disparition »,
-
…
23
Après avoir tenu un poste de conseiller en insertion professionnelle dutrant 6 autres années auprès de public en difficultés sociales et professionnelles
40 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
Mais c’est véritablement en 2009 et 2010, avec une région Lorraine profondément touchée par la crise économique, que le conseiller que je suis a pris conscience pleinement du fait que les salariés étaient souvent démunis face à leur volonté d’anticiper, de gérer au mieux une phase professionnelle s’annonçant difficile.
J’ai alors été spectateur privilégié de la grande volonté de la part de ces salariés de se prendre en main, de gérer leur parcours en anticipant
tout en étant dans une
démarche de réflexion souvent anarchique, hasardeuse voir risquée. Ces derniers tombant souvent dans les mêmes écueils que dans toute démarche d’orientation, avec le facteur aggravant de l’urgence et la peur du chômage. A ces facteurs s’ajoutent, souvent, l’absence de connaissances et de transparence de la situation réelle de leur entreprise ou de leur secteur d’activité.
Cette période a poussée un nombre croissant de salariés à se mobiliser pour anticiper une éventuellement transition professionnelle, pour tenter de gérer leur parcours professionnel. Plus que jamais, ils tentaient de répondre aux « recommandations » faites depuis quelques années (par les pouvoirs publics, les médias, et le législateur) de devenir acteur de leur carrière, et ainsi participer pleinement à la sécurisation de leur parcours professionnel.
La mobilisation, l’appétence des salariés pour ce travail d’anticipation, était bien présente (comme le préconisait tous les acteurs du secteur emploi-formation) et pourtant il a été souvent extrêmement difficile de conseiller ces mêmes salariés. Et il a été encore plus difficile de répondre financièrement à leur demande de formation. L’année 2009 –2010 a été marquante pour le FONGECIF Lorraine puisque le taux d’acceptation de financement des demandes a fortement chuté : passant d’une moyenne supérieur à 65 % à moins de 50 % (parfois inférieur à 40%). Ceci s’explique principalement par une baisse de budget importante ayant deux causes :
41 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
-
une ponction de 13 % du budget par l’Etat (via un nouvel organisme : le Fonds Paritaire de Sécurisation des Parcours Professionnels),
-
la crise a provoqué des licenciements, mise en chômage partiel…ce qui a diminué la masse salariale présente en entreprise. Or, c’est cette même masse salariale qui fixe le montant de cotisation des entreprises auprès du FONGECIF.
5.1
Historique du C.I.F., FONGECIF et de la mission de conseil au salarié
C’est en 1983 que les FONGECIF24 (Fonds de Gestion du Congé Individuel de Formation) sont créés pour collecter les contributions (pour la formation continue) des entreprises. Puis en 1991, les missions de gestion s’étendent au Congé Bilan de compétences et au CIF-CDD ; et encore plus tard au congé VAE25. Mais pour comprendre mon activité et mon environnement d’exercice professionnel au sein du FONGECIF il faut aller jusqu’à l’année 1999 ; en effet, à cette date les FONGECIF
développent
la
mission
de
conseil
auprès
des
salariés.
L’apparition et le développement de la mission de conseil au sein des FONGECIF Si la première mission est l’instruction des dossiers et le financement des demandes de CIF, de bilans de compétences et de congés pour la VAE, les FONGECIF remplissent également, depuis 1999, une mission d’information et de conseil auprès des salariés. Cette mission a été lancé sou l’impulsion du COPACIF (ancien organisme coordonnant et mutualisant les FONGECIF) via une directive émanant de ses services : « la décision 19 ».
24 25
cf. annexe 3 « historique des FONGECIF » Validation des Acquis d’ Expérience
42 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
Ainsi, chaque salarié peut recevoir gratuitement un conseil sur son projet professionnel et des informations sur les métiers, les dispositifs et les formations. Le développement de cette activité, initiée dès 1997, s’est affirmée en 1999 par l’inscription officielle de l’orientation professionnelle dans les missions des Fongecif. Cette décision « très politique » devait répondre à plusieurs objectifs. Tout d’abord, le projet de réforme du système institutionnel de formation continue, en germe à l’époque, suscitait de l’inquiétude. Quel sort allait être fait au CIF ? En se positionnant comme un acteur du conseil et de l’orientation professionnelle, le COPACIF voyait là une manière d’affirmer son utilité et sa spécificité. En effet, les grandes orientations de la réforme de l’époque étaient de « permettre à chaque salarié d’être acteur de sa formation » et de se responsabiliser dans la construction
de
son
parcours
professionnel.
Dans
ce
cadre,
l’orientation
professionnelle devenait une dimension stratégique de la « formation tout au long de la vie ». Mais ensuite, outre la dimension sociale de ce motif, un second motif a encouragé le développement de cette fonction de conseil : l’organisation d’un « filtrage » des demandes de CIF en amont, par un service de conseil et d’orientation soucieux de présenter des dossiers conformes aux priorités de financement du FONGECIF. Cela assure en effet une meilleure efficacité du dispositif (moins de demandes examinées et rejetées), des formations davantage ciblées sur les métiers en tension dans la région (des métiers où il existe une pénurie de main-d’œuvre comme l’hôtellerie-restauration, par exemple), voire des formations plus courtes et, donc, moins coûteuses.
43 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
5.2
Mon questionnement
«Alors comment aider le salarié Lorraine à gérer son employabilité » dans le cadre de la mission de conseil en mobilité ?
J’ai souhaité profiter de l’occasion qui m’était donné pour travailler sur l’étude des aides à la gestion de parcours pour et par les salariés Lorrains. En effet mon apprentissage actuel en GRH, ma situation d’emploi (au cœur de l’écoute de la demande et des besoins des salariés) et le travail de mémoire, m’offre enfin la possibilité de me pencher sur un sujet qui me passionne et dont l’importance semble croissante depuis la crise.
Mon travail de Conseiller en Mobilité Professionnelle m’a toujours poussé à analyser ma pratique mais aujourd’hui c’est mon contexte d’exercice, ( c’est à dire : les déterminants de mon environnement) et particulièrement l’étude des outils au service des salariés, qui m’interrogent. En effet, je constate quotidiennement, et cela est encore plus marqué en période de crise actuelle, (comme le souligne de nombreux professionnels) que le conseil au salarié est très utile. Il a réellement sa place dans l’environnement économique mais son identité, sa pratique professionnelle (technique et déontologie), les compétences nécessaires, son lieu d’exercice, le pilotage,… tout reste à définir.
Mon contexte d’exercice et d’observation est très particulier car j’ai exercé d’abord et avant tout une fonction de conseil pour salarié voulant partir en C.I.F. Ce qui entraîne trois importantes limites qui ne permettent pas aujourd’hui à un conseiller FONGECIF d’offrir réellement un conseil en gestion de parcours.
Tout d’abord, parce que les salariés dans leur majorité ne connaissent pas le C.I.F, le FONGECIF et encore moins le service de conseil. Par conséquent il est possible d’en
44 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
déduire que ces même salariés n’ont pas accès au conseil. Et en second lieu, les salariés qui sollicitent le FONGECIF, le font à un moment précis de leur parcours, alors que leur décision de changement est souvent déjà prise voir engagée.
A cela s’ajoute un dernier point : la structure employeur finance l’activité conseil sur ses fonds propres (ceux du C.I.F.), sans avoir un financement quelconque en externe. Elle rend donc un service gratuit aux salariés sans en avoir l’obligation. Cet « altruisme » rend la mission très limitée en volume (peu de salariés peuvent être conseillés au regard du nombre de salariés26) et fragile notamment dans un contexte de perte de budget27. Il n’est pas à exclure que cette mission de conseil au salarié disparaisse ou se transforme en simple service d’information, sans accompagnement ou même d’aide à la réflexion en gestion de parcours.
C’est pourquoi, je souhaite aujourd’hui explorer les possibilités, les pistes de réflexions pouvant faciliter la gestion de parcours au service des salariés en région Lorraine. Lorsque l’on parle de gestion de parcours, gestion d’employabilité,…Il s’agit de gestion mais aussi de prévision et donc de savoir quelles compétences le système productif aura besoin demain et également comment les acquérir. Etant aujourd’hui étudiant en GRH, mais aussi intervenant en conseil formation et analyse de pratique (auprès de salariés et en entreprise), c’est naturellement par le prisme de la GPEC que j’ai décidé de débuter ma réflexion.
Et mon nouveau poste de « chargé de mission R.H. territoriales » m’amène à développer la réflexion des actions locales vers des réponses de types G.T.E.C28. Ma récente participation à un séminaire parisien autour d’échanges de pratiques semble
26
cf annexe 7 : « rapport d’activité » du conseil au FONGECIF Lorraine (p 4 – 8) la création du F.P.S.P.P. et la ponction de 13 % du budget, et la baisse de cotisation liée au 0.20 % de la masse salariale des entreprise de plus 20 salariés 28 Gestion territoriale des Emplois et des Compétences 27
45 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
me prouver que cette nouvelle approche des questions d’orientation, par le prisme du concept GPEC-GTEC, est une approche qui a du sens dans le contexte socioéconomique actuel.
C’est pourquoi la partie suivante de mon étude porte sur la GPEC et son rapport avec mon questionnement. Elle va nous permettre ensuite de comprendre comment l’injonction « salarié acteur de son parcours » à vu le jour et étudier la pertinence de celle-ci pour la réussite du projet « du maintien de l’employabilité ».
46 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
Partie 2 : La piste G.P.E.C. « Une évidence en GRH, un concept à la mode et après ? » « De la GPEC outil de gestion RH, à la gestion de carrière puis à la gestion de parcours professionnel. » La « Gestion Prévisionnelle des Emplois et des Compétences » est encore aujourd’hui de la responsabilité de l’entreprise. Elle a pour objectif premier le maintien de la performance de l’entreprise ; mais les accords de branches
lui ont rapidement
demandé d’être également un outil de gestion de crise et/ou de reconversion de salariés, voir de bassin d’emploi (cf : Loi Borloo-Larcher). L’intérêt de cet outil comme maintien de la performance de l’entreprise n’a été que peu remis en question29 dans la pratique (par les acteurs en Ressources Humaines), et à ce titre doit rester de la responsabilité de l’entreprise, il en est tout autre concernant son utilité comme outil de gestion de transition, de mutation, et de reconversion au service des salariés et/ou des territoires. Alors comment cet outil pourrait être utilisé par d’autres acteurs de l’emploiformation ? Qui doit en avoir la responsabilité ? Quels dispositifs existants pourraient être sollicités pour son fonctionnement ? Le salarié peut-il s’en saisir ?
1.
Le contexte
L’outil GPEC a été utilisé par les entreprises, et pour les entreprises via les services RH, afin d’optimiser les ressources humaines (au service de la stratégie de l’entreprise). L’ambiguïté de la loi, puis les accords de branches ont longtemps agrémenté la confusion entre cet outil de gestion et les Plans Sociaux (puis les 29
GILBERT Patrick. La gestion prévisionnelle des ressources humaines , Repères La découverte, Paris, 2006 (p7071)
47 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
« Plans de Sauvegarde de l’Emploi »). En conséquence, cet outil est devenu dans l’inconscient collectif (et notamment pour les organisations syndicales, comme pour beaucoup d’entreprises) synonyme d’outil de gestion « à chaud » de crises. Aussi, cet outil de gestion RH d’entreprise qui pouvait être utile également pour les salariés et les bassins d’emploi, a perdu de sa force. Sa mise en place est toujours de la responsabilité de l’entreprise, mais elle se limite souvent à cette seule obligation légale en cas de PSE30. C’est pourquoi il est effectivement utilisé comme outil de reclassement « à chaud » en situation de crise. En effet, l’entreprise qui pourrait anticiper, c'est-à-dire préparer la reconversion de ses salariés, (et ou du territoire) ne le fait pas par peur de déclencher un phénomène de panique et de devoir alors gérer des mouvements sociaux précoces. Ceci est d’autant plus vrai dans un contexte de crise où chaque annonce de PSE peu provoquer des mouvements de grèves très durs. A ce frein important issu des pratiques du passé et d’une loi défaillante, s’ajoute un autre frein important : la GPEC n’est pas obligatoire pour les entreprises de moins 300 salariés. Et la GPEC pour les PME-PMI n’est pas supportable sans un soutien logistique et financier. Mais nous reviendrons sur ce dernier point dans la cadre de mes observations.
30
P.S.E. : Plan de Sauvegarde de l’Emploi (cf : loi de modernisation sociale)
48 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
2.
GPEC comme modèle : quels résultats ?
3.1 La GPEC un modèle et des outils aux résultats en demi-teinte Si la GPEC est devenue un concept incontournable lorsque l’on parle de GRH, il convient toutefois de bien vérifier son efficacité voir son efficience. En effet, ce concept de GRH est pratiquement passé dans le langage courant (au moins en GRH) il est souvent utilisé comme une hypostase31 tout en devenant du même coup un terme souvent vide de sens pour cause de son usage trop fréquent et souvent mal àpropos. En effet, il est aujourd’hui difficile d’échapper à des conférences, des formations, des réflexions en GRH sans que le sujet ne soit évoqué comme étant une réponse aux besoins d’organisation, de gestion des RH. A tel point que le concept est souvent vide de contenu. J’ai parfois l’impression que le concept et les modèles de la GPEC n’en sont plus et sont devenus pour les professionnels de la GRH, une valeur fondamentale en un modèle plus proche de la foi ou de la simple croyance. Les définitions sont nombreuses et les représentations des acteurs du système emploi-formation semblent l’être également. Le terme est utilisé comme un « mot valise » : il ne recouvre que rarement le véritable concept. C’est pourquoi j’ai décidé de partir d’une seule définition qui me parait suffisamment simple et qui permet également de mieux cerner les atouts du concept mais à la lumière de ses carences et échecs.
31
une Substance fondamentale (de la GRH) regroupant des principes premiers, des réalités fondamentales, relevant de la métaphysique ou de la théologie.
49 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
Définition retenue : Après avoir parcouru quelques ouvrages traitant largement de la GPEC, je me suis arrêté sur la définition puis la présentation suivante donné par Anne DIETRICH. En effet, cet auteur, par son explication et sa définition, semble avoir réussi le tour de force de synthétiser la plupart des définitions que j’ai pu découvrir (si j’écarte les plus obscures et les plus solennelles). Pour cet auteur, la GPEC vise à maîtriser les évolutions de l’emploi et des compétences et pour y parvenir elle cherche avant tout à anticiper. Elle cherche à répondre à trois types de questions : quels seront demain, les besoins en effectifs ? Quels seront les besoins en compétences de demain ? Quels seront les moyens à mettre en œuvre pour réduire les écarts entre besoins et ressources sur les plans quantitatifs et qualitatifs ? Pour parvenir à répondre à ces questions et établir un plan d’action, voici les phases clés de la GPEC32 : « les phases de la GPEC »: -
un diagnostic de l’existant (bilan quantitatif et qualitatif des effectifs et des ressources),
-
une anticipation des besoins à venir (en effectifs et en compétences),
-
la comparaison entre les ressources actuelles et ce qu’elle seront demain (nombre de départs à la retraite, âge, niveau de qualification), les besoins à venir, et la mesure des écarts entre besoin et ressources,
-
32
la mise en œuvre de plans d’action collectifs et individuels »
DIETRICH Anne, Le management des compétences, Vuibert, Paris, 2008 (p28)
50 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
Schéma de RAOULT Nicole.33
On retrouve donc les deux aspects essentiels et qui m’ont amené à m’interroger sur les résultats obtenus par ce concept et son éventuelle utilité pour la gestion de parcours professionnel. A savoir : -
l’aspect outil de gestion composé de procédures et méthodes afin de faire un diagnostic de l’existant et mesurer les écarts avec les besoins,
-
l’aspect projectif : anticipation et analyse pour déterminer une stratégie RH.
Et j’ajouterai un dernier aspect à ne pas oublier lorsque l’on veut étudier l’efficience et les freins à la GPEC : l’aspect obligation législative qui a joué un rôle déterminant quant à son mode d’utilisation par les entreprises. Or il faut prendre en compte ces trois aspects pour comprendre le bilan qui est fait par P. GILBERT, et qui peut remettre en question ce concept pour certains aspects. Je m’en tiendrais donc à cette définition pour ne pas me perdre dans une étude longue et hasardeuse d’un modèle sur lequel on a beaucoup écrit.
3.2 Un bilan possible « Ce n’est pas parce que l’on va plus vite et dans une plus grande incertitude, qu’il faut des phares qui éclairent plus loin. » (Gaston BERGER34) 33
la gestion prévisionnelle et préventive des emplois et des compétences en milieu hospitalier , L’Hartman, Paris, 1991 (p 285)
51 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
Pour faire un rapide bilan de la GPEC en GRH, je m’appuierai sur l’ouvrage de Patrick GILBERT « La gestion prévisionnelle des ressources humaines ». L’apparition de la GPEC a permis à la GRH de donner une plus grande cohérence avec la stratégie d’entreprise via une meilleure relation avec les différents champs de la RH. Ceci notamment par le renforcement de la notion de « compétence » et de son utilisation comme outil ou axe principal de gestion (notamment par l’usage de référentiels). Ce modèle de gestion a notamment permis, voir poussé les services RH à travailler sur la prospective afin de maintenir les « compétences » clés de l’entreprise en les identifiant au préalable puis en analysant et recherchant celles de demain. C’est véritablement la partie prospective qui a été recherchée au départ par les services RH afin d’anticiper les mutations économiques. Les RH se sont emparées de ce concept, ont multiplié les outils et cherchent encore à les améliorer mais malgré cela les résultats semblent peu satisfaisants au regard des attentes. En effet, il est difficile de mettre en œuvre une GPEC : d’une part parce que la GPEC nécessite un travail d’analyse, de prise de recul et recueil d’informations sur son marché, sur l’environnement économique et social et ceci dans un contexte ou ces derniers deviennent très mouvant et de moins en moins prévisibles. D’autre part il existe une difficulté insurmontable : les services RH ne sont que rarement associés (voir pas informés) à la définition de la stratégie de l’entreprise. Aussi la GPEC devient un outil de gestion classique mais rarement un outil de prévision et d’anticipation.
34
Philosophe français (1896-1960)
52 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
Anne DIETRICH parle également de GC (Gestion des Compétences) plus que de GPEC35 car depuis les années 90, l’entreprise utilise la GPEC comme simple outil de gestion non plus des emplois mais uniquement des compétences (souvent collectives) sans chercher à partir de prévisions de changement (des emplois). C’est en partie ce qui explique que la GPEC soit d’abord et avant tout associée aux PSE comme outil de gestion à chaud. Ce mode d’utilisation de la GPEC ayant été renforcé également par les hésitations du législateur suite à la loi Borloo-Larcher qui a laissé penser que tout PSE devait faire l’objet d’une négociation sur une GPEC au préalable. Les accords GPEC signés en amont (à froid) ne sont souvent que des accords de méthode et pas un système de gestion prospectives.
3.3 Limites en gestion de parcours individuel
La limite principale à la gestion de parcours pour les salariés A ces limites et difficultés de mise en œuvre, il faut ajouter un dernier point qui m’intéresse particulièrement dans mon travail de recherche. En effet, la GPEC reste peu mise en place dans les entreprises : seules 15% d’entres elles, et surtout seulement 9 % des entreprises composées de 10 à 19 salariés (contre 42% pour les entreprise de plus de 1 000)36. Aussi, on peut dire que la GPEC ne bénéficie pas aux salariés des PME et PMI et autres structures de petites tailles. Au-delà des chiffres et conclusions avancées dans l’ouvrage de P. GILBERT, j’ai pu faire le même constat à plusieurs reprises et dans différents cadres. Tout d’abord
35
DIETRICH Anne, Le Management des compétences, Edition Vuibert, Paris, 2008 GILBERT Patrick. La gestion prévisionnelle des ressources humaines , Repères La découverte, Paris, 2006 (p109-110) 36
53 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
dans mon activité de conseiller mobilité au FONGECIF Lorraine. En effet, lors de mes échanges nombreux en entretien avec les salariés (souhaitant anticiper), j’ai pu comprendre que la GPEC n’était pas mis en place dans leurs entreprises et que les salariés n’avaient aucune vision prospectives sur leur emploi, leur métier et même que rarement sur la santé réelle de leur entreprise (et encore moins sur la stratégie). Lors de mes interventions auprès de salariés et dirigeant d’entreprises adhérentes à l’AGEFOS PME 37, il est apparu clairement que cela n’était pas mis en place, c’est d’ailleurs ce constat fait préalablement par cet OCPA38 qui a abouti à la proposition de prestation pour pallier à ce manque (pour aider à la gestion de parcours des salariés de leurs adhérents-entreprises). Et pour finir, c’est également le constat fait par l’association URIOPSS39, qui a pour mission d’accompagner les associations dans le cadre de leur développement (réforme de la tarification, Internet...et GRH) et qui a jusqu’ici échoué dan sa volonté de promouvoir la mis en place de la GPEC auprès de ses structures adhérentes. C’est également ce constat qui a provoqué ma proposition d’intervention sur le « Bilan d’Etape Professionnel » auprès de ces mêmes adhérents. Au regard de ce bilan il apparaît clairement que ce concept (et ses outils) ne peut être une réponse à la nécessité de gestion de parcours nécessaire aux salariés qui souhaitent anticiper, gérer leur parcours, leur employabilité,…comme semble l’exiger le discours actuel : « devenez acteur de votre parcours professionnel ». De plus, et comme le souligne en conclusion de son ouvrage P. GILBERT, les entreprises ne mettent pas en place la GPEC afin de ne pas s’encombrer d’une activité de prévisions hasardeuses et parfois coûteuse. Elles lui préfèrent une gestion 37
Lors des Ateliers Projets issus du dispositif « sécuri’pass » / Cf. le paragraphe « deux cadres d’observation » p.54 Organisme Paritaire Collecteur Agréé : organisme habilité à collecter les cotisations employeur relevant du financement de la formation professionnelle continue concernant principalement le « plan de formation » et la « professionnalisation ».
38
39
URIOPSS Lorraine : Union Régionale Interfédérale des Organismes Privés Sanitaires & Sociaux
54 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
flexible de ses ressources humaines : à défaut de prévenir elles préfèrent pouvoir guérir rapidement. Ce qui amène en conclusion que la GPEC est encore peu utilisée, de moins en moins pour la gestion de carrière et/ou de parcours, et que à cela s’ajoute à un accroissement la flexibilité ; donc de la précarité des salariés. Par conséquent, la gestion de parcours individuels devient de plus en plus nécessaire et la GPEC, l’outil de moins en moins adapté pour cela.
3.
La GPEC au sein de PME comme outil de sécurisation de parcours
Observations de terrain On l’a vu précédemment, le concept GPEC et les outils pouvant en être déclinés, peuvent être autant au service de la gestion de l’entreprise, qu’au service de la gestion de parcours pour les salariés, mais sous certaines conditions rarement réunies. En effet, cela suppose que l’entreprise partage cet outil avec ses salariés et qu’elle ne soit pas uniquement dans une logique de gestion à chaud des moments de crise ou d’ajustement de masse salariale. Dans le cas contraire la GPEC n’est plus un concept de gestion mais un outil de l’arsenal juridique au service de la « sauvegarde de compétitivité40 » et d’ajustement structurel permettant la mise en place d’un P.S.E. La GPEC peut être très utile en gestion de parcours si l’entreprise partage l’outil, si elle souhaite prendre en compte le devenir de ses salariés, si elle souhaite participer au maintien de l’employabilité de ces derniers. On trouve ce type de gestion au sein
40
terme juridique issue de la jurisprudence qui s’oppose à la notion de sauvegarde de l’activité de l’entreprise
55 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
de grandes entreprises qui ont les moyens, les compétences,…en interne pour mettre en place une GPEC réelle, en dehors d’un contexte de crise et/ou de restructuration. Aussi, il convient de se poser deux questions importantes afin de savoir si la gestion de parcours professionnel peut-être réalisée avec l’aide d’outils GPEC : -
les outils GPEC sont ils utilisés au sein des PME et PMI ?
-
est-ce que les outils GPEC sont « partagés » et peuvent être utilisés par les salariés ?
En effet, ces deux questions s’imposent aujourd’hui à mon questionnement général sur les possibilités réelles offertes aux salariés pour gérer leur employabilité. Lors de mes entretiens de conseil auprès des salariés, je suis en présence de personnes souhaitant fortement gérer leur parcours (et ne plus le subir). Or, l’espace de parole qui leur est offert lors de cet entretien de conseil est souvent le seul « outil » mis à leur disposition. J’ai donc souhaité savoir si cet absence d’outils, de conseil,…était récurrent pour les salariés ou ne concernait que quelques uns. J’ai alors posé deux hypothèses en ayant le sentiment très fort (issu de mes nombreux échanges avec les salariés reçus) que les salariés étaient souvent seuls mais surtout démunis face à leur volonté de gérer leur parcours et leur employabilité. Et qu’ils étaient demandeur d’aide, de conseils. J’ai supposé alors deux points : -
Peu d’entreprises et structures employeurs (et d’autant plus les petites et moyennes entreprises) mettent en place et utilisent les outils GPEC dont le premier d’entre eux : « l’entretien professionnel 41».
41
« Entretien professionnel » et non pas « entretien d’évaluation » qui lui est plus souvent mis en place. »
56 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
-
Ces entreprises et employeurs ne mettent pas en place ces outils par manque de moyens : compétences et temps disponibles.
J’ai donc fais l’hypothèse que ces employeurs pouvaient avoir la volonté d’aider leurs salariés à gérer leur parcours, qu’ils seraient intéressés pour « partager » la responsabilité du maintien de l’employabilité de leurs salariés avec ces derniers, ceci en accord avec le législateur42 et le discours social actuel. Partant de cette hypothèse, j’ai souhaité vérifier que le frein était un frein technique et de moyens et non un frein culturel et sociétal de type :« l’entreprise n’a pas a être citoyenne et n’a pas le temps de l’être ». Partir de cette hypothèse contraire me permettant d’écarter les hypothèses touchant à la sociologie et ou au cadre théorique de la R.S.E.43. Pour se faire j’ai pu utiliser l’outil de recherche de l’observation active. Deux cadres d’observation pour étudier, analyser et confronter mes hypothèses : Dans le premier cadre d’observation j’ai été un observateur-acteur en tant qu’animateur de réunions d’information à destination de salariés et employeurs. Ces réunions étant programmées par un partenaire OPCA (AGEFOS PME Lorraine) et s’inscrivant dans un dispositif dont l’ingénierie et l’organisation est issue de cet organisme. J’ai pu observer un outil de ce dispositif (« l’atelier projet ») dans le cadre de mon activité de conseiller FONGECIF, partenaire de cette action d’information.
Dans le second cadre d’observation, j’ai été observateur-acteur mais à plusieurs titres. En effet, Cette fois, c’est dans la cadre de mon activité d’indépendant que j’ai animé une réunion d’information pour présenter un dispositif de conseil auprès de responsables de structures et DRH. Il s’agissait d’un produit dont j’ai porté
42
Référence à l’obligation légale de mettre en place les « entretien professionnel » et autre « entretien de seconde partie de carrière » 43 Responsabilité Sociale des Entreprises
57 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
l’ingénierie pédagogique et partagé l’organisation avec une structure associative relais : l’ « URIOPSS Lorraine ». Ceci pour un dispositif lié au « Bilan d’Etape Professionnel ».
4.
Deux cadres d’observations
4.1 Les ateliers projets de l’AGEFOS PME De quoi s’agit-il ? Dans la cadre de mon poste de travail au sein du FONGECIF Lorraine, un partenariat a été mis en place en 2010 avec l’OPCA Interprofessionnel « AGEFOS PME Lorraine ». Cette convention (renouvelée en 2011) a pour objet de mettre à disposition de l’AGEFOS un conseiller FONGECIF pour co-animer des réunions d’information à destination de salariés d’entreprises adhérentes à l’OPCA. Les entreprises adhérentes (à l’AGEFOS PME) ont été contactées , prospectées par les conseillers AGEFOS qui leur propose une nouvelle offre de service destinée à aider leurs salariés à prendre en main leur gestion de parcours, via la connaissance des dispositifs emploi-formation ; ceci en offrant la possibilité
à leurs salariés de
mobiliser un nouvel outil : « le bilan diagnostic » et de faire plus facilement appel aux autres prévus par la réforme de la formation tout au long de la vie (D.I.F., C.I.F., V.A.E., B.C., Période de professionnalisation,…).
L’objectif annoncé est de faciliter la sécurisation des parcours professionnels des salariés. Le service construit et proposé par l’AGEGOS PME (au niveau national et décliné en Région) se nomme « Sécuri pass44 »
44
Plaquette jointe en annexe 4 « Sécuri’pass Lorraine » / AGEFOS PME
58 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
J’ai donc animé avec différents conseillers AGEFOS de la Région (sur Epinal, Gérardmer, Metz, Nancy) des réunions45 en présence d’une majorité de salariés et de quelques dirigeants de PME et DRH de structures plus importantes. J’ai donc été en présence de salariés et d’employeurs ayant la volonté de partager, voire d’offrir les possibilités à leurs salariés de gérer leur sécurisation de parcours en maintenant leur employabilité.
Descriptif du produit de conseil Présentation commerciale écrite de l’AGEFOS Lorraine : Sécuri'Pass = sécurisation des entreprises et de leurs salariés « Aujourd'hui les entreprises, et plus particulièrement les PME, sont fortement impactées par un contexte économique en plein mutation. C'est pourquoi AGEFOS PME Lorraine a décidé de les accompagner, ainsi que leurs salariés, en vue de faire face à la crise et d'anticiper la reprise. Dans ce cadre, nous souhaitons développer la formation et la professionnalisation des salariés afin que ces derniers soient les véritables acteurs de leur parcours professionnel. Pour ce faire, AGEFOS PME Lorraine développe pour les entreprises une démarche intitulée "Sécuri'Pass". L'objectif du dispositif "Sécuri'Pass" est d'accompagner les PME dans leur pérennité et la reprise, et d'accompagner les salariés dans leurs projets et parcours professionnels.
45
Descriptif de la réunion en annexe 5 « les ateliers projet professionnel » / AGEFOS PME
59 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
Trois constats se sont imposés :
Les salariés présents découvrent les dispositifs présentés : le bilan de compétences, la VAE, le CIF, le DIF,…et marquent un grand intérêt.
J’ai coutume d’interroger les salariés présents lors de ces réunions, sur leur connaissance de chaque dispositifs avant de les présenter (ou de les faire présenter par le conseiller AGEFOS) et les réponses sont très majoritairement de ce type :
« le Bilan de compétences ? Non je ne sais pas ce que c’est » « Le Bilan c’est pour évaluer son niveau scolaire ?! » « le BC permet à l’employeur de vérifier nos compétences à notre poste. »
Et très peu de salariés présent avaient fait un bilan eux-mêmes : une personne pour une centaines rencontrée. Ceci, je le rappelle, au sein d’établissements déjà intéressés par le développement de l’information auprès de leurs salariés.
Concernant le dispositif « D.I.F. » seuls quelques salariés comptables de profession, connaissaient son existence.
Et chose importante à noter : les salariés connaissent peu le C.I.F. et pas du tout le C.I.F. CDD, pourtant dispositif majeur en matière de sécurisation de parcours pour les salariés précaires. Quant à la mission d’information et de conseil du FONGECIF : elle est également inconnue des salariés rencontrés.
Un nombre important de dirigeants de PME et structures employeurs (de type associatives notamment médico-sociales) connaissent très mal les dispositifs présentés et/ou ont peur de certains.
60 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
« Le DIF c’est difficile à mettre en place et ça bouffe le budget du plan de formation… alors j’en parle pas par ce que je sais que je ne pourrai pas financer toutes les demandes. Je ne souhaite pas gérer des frustrations ou des réclamations. »
« Le CIF, c’est pour qu’un salarié s’en aille : c’est pas dans mon intérêt. Et puis ça suppose que je le remplace. »
Toutefois, certains de ces dirigeants ont déjà une démarche réelle de gestion RH et de compétences et ont mis en place les entretiens professionnels. Ces derniers sont beaucoup plus sensibles à l’intérêt du partage de l’information de l’initiative de la demande de formation, de BC ou de VAE. Ils ont l’outil de collecte d’informations, de centralisation de la demande des salariés et peuvent ainsi plus facilement procéder à une analyse de besoin en formation et/ou en qualification de leur personnel. C’est pourquoi elles ne prennent pas le besoin exprimé comme un fardeau à porter mais comme une piste d’amélioration, de développement des compétences collectives de l’entreprise comme des compétences individuelles de leurs salariés
Le nombre de réunions programmées sont peu nombreuses malgré la prospection active des conseillers AGEFOS. Il est difficile pour eux de remplir les réunions et beaucoup ont été annulées. Les raisons de ces déprogrammations venant de la difficulté de convaincre les entreprises de l’intérêt de ce dispositif « sécuri’pass » .
61 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
4.2 La proposition de prestation « Bilan d’Etape Professionnel »
Ce cadre d’observation est particulier car, contrairement aux observations lors de Réunion « Atelier Projet », les personnes présentes étaient uniquement des dirigeants et DRH. Ces réunions avaient donc pour objectif de présenter le dispositif et d’en montrer l’intérêt tant pour l’employeur que pour leurs salariés.
De quoi s’agit-il ?
Depuis plus d’un an, j’ai pris le statut de travailleur indépendant afin de pourvoir répondre à quelques demandes d’intervention comme formateur et surtout pour me donner l’occasion de proposer des actions de conseils en entreprise. C’est dans ce cadre et après avoir échangé avec un chargé de mission de l’U.R.I.O.P.S.S., que j’ai souhaité proposer une prestation nouvelle en GRH, prestation que j’ai conçue puis proposée aux structures adhérentes de cette association lors d’une réunion.
Après le lancement d’invitation via le réseau URIOPSS, deux réunions ont été programmées : Une réunion avec un seul dirigeant et une seconde (programmée plus tard) avec une quinzaine de personnes (représentants 7 structures). Etaient présentes : Dirigeants de structures, DRH d’autres,…pour des structures allant de 20 à 450 salariés.
Il est à noter que j’ai construit ce produit46 suite à l’échange avec ce chargé de mission qui me décrivait les difficultés qu’il rencontrait pour convaincre de l’utilité de la mise en place d’une GPEC au sein de ses adhérents. En effet, le réseau URIOPSS souhaitait développer les pratiques GPEC afin de faciliter les mutations auxquelles les
46
cf. document de présentation en annexe 6 « Bilan d’Etape Professionnel »
62 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
structures devaient faire face : notamment un changement législatif à venir et des contraintes budgétaires sévères. Aussi, ces changements doivent amener des bouleversements importants en termes de gestion RH et en termes de risques pour les salariés. Face à ce constat, j’ai proposé une prestation principalement destinée aux petites structures, pouvant leur permettre de lancer une démarche d’analyse de besoin en formation en partageant le diagnostic avec leurs salariés. Il s’agissait d’initier une démarche GPEC tout en facilitant l’appropriation des dispositifs pour les salariés.
Pour cela, je me suis appuyé sur le dispositif « Bilan d’Etape Professionnel » nouvellement créé par les partenaires sociaux lors de l’ANI 2008 et la loi 2009 sur la formation tout au long de la vie. En effet, ce dispositif est clairement énoncé en terme d’objectifs mais pas décliné de façon opérationnelle. J’ai donc décidé de proposer un cadre opérationnel à ce dispositif. Comme on va pouvoir le constater ci-après cet outil, construit avant de connaître l’offre de l’AGEFOS, est finalement très proche de ce dernier : tant en terme d’objectif que d’organisation pédagogique. Ces réunions ont fait suite à une campagne de communication auprès des adhérents. Les participants, intéressés par le sujet, se sont inscrits pour y participer.
Descriptif du produit de conseil Présentation commerciale que j’ai réalisé lors des réunions sur le Bilan d’Etape Professionnelle Le contexte dans lequel la prestation s’inscrit : Dans le contexte économique actuel, une des composantes essentielles de la sécurisation économique et organisationnelle des entreprises et des
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structures employeurs, réside plus que jamais dans le développement des compétences de leurs équipes. Mais c'est également un enjeu majeur pour sécuriser l'avenir professionnel des salariés. Or, Il n’est pas toujours aisé pour les managers de structures, de mettre en place une gestion anticipée de leurs ressources humaines, et encore moins une gestion anticipée des carrières et évolutions professionnelles de leurs salariés. Il est souvent difficile de parler d’une mise en place d’une GPEC en dehors de grandes entreprises ayant un service Ressources humaines à part entière. Et il est d’autant plus difficile de parler de GPEC pour des structures associatives. Les priorités sont ailleurs et les moyens et le temps nécessaires sont absents pour répondre pourtant à la fois aux enjeux de société et aux injonctions nouvelles du législateur. En effet, on demande aujourd’hui aux managers de prendre en compte et parfois de gérer : -
La seconde partie de carrière de leurs seniors (des plus de 45 ans) via l’entretien professionnel obligatoire tous les deux ans,
-
Les risques psychosociaux liés au stress ou au mal-être au travail (perte de sens, démotivation, isolement, perte de confiance,…),
-
L’évolution et/ou le maintien en compétences,
-
Les risques médicaux (de type T.M.S.),
-
La sécurisation des parcours,
-
…
Aussi, ces sujets, qui touchent autant l’entreprise que ses salariés, peuvent et doivent être partagés. En effet, il est possible de confier en partie la gestion de carrière aux salariés eux-mêmes. Cela suppose seulement que l’information et le conseil leur soient donnés afin qu’ils puissent être pleinement acteur de leur vie professionnelle et de l’anticipation de celle-ci sur les années à venir.
64 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
Afin de leur donner les informations nécessaire et un espace de réflexion et d’échanges au sein de l’entreprise (sans avoir à passer par une GPEC lourde et chronophage), pourquoi ne pas mettre en place des ateliers d’informations et un conseil individualisé? L’URIOPSS, vous propose ainsi
de mettre en place le « Bilan d’Etape
Professionnel » (ou Bilan diagnostic) à destination de votre structure et de vos salariés. C’est un dispositif original qui permet de prendre en compte cette double dimension : Besoin de gestion RH et besoin de sécurisation des parcours professionnels.
Constats Lors de cette présentation, je suis revenu rapidement sur le concept de GPEC afin de mieux introduire l’intérêt qu’il pouvait y avoir en GRH de mobiliser et d’articuler les différents outils mis à disposition par le législateur et les partenaires sociaux (Plan de Formation, DIF, période de professionnalisation,…). Ceci en m’attardant bien entendu sur l’outil « entretien professionnel ». La plupart des DRH ou Directeurs de structure m’ont rapidement objecté qu’ils n’avaient pas le temps et les moyens de procéder à ces entretiens, et qu’ils privilégiaient la réalisation des entretiens d’évaluation
(qu’ils
effectuaient
eux-même
ou
confiaient
à
leur
cadres
intermédiaires). Sans en rejeter l’intérêt, ils privilégiaient clairement la réalisation de l’indispensable à leurs yeux : à savoir la gestion au quotidien de leur structure. Je me suis donc attardé à mesurer, faire expliciter, leur mode de GRH. Il est apparu nettement que la gestion était une gestion sans recherche d’anticipation (comme cela est souvent le cas en PME) mais aussi sans recherche d’identification des compétences individuelles (seul les compétences collectives permettant la réalisation des tâches nécessaires étaient identifiées). Et, de fait, ce mode de GRH ne prenait pas (ou très peu) en compte les attentes et besoins de salariés en terme de gestion de
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parcours. On était encore bien loin de la recherche du maintien de l’employabilité des salariés. C’est pourquoi je suis revenu sur les risques d’obsolescence des compétences des salariés et notamment au regard du marché du travail, ceci dans un contexte où les structures allaient
sans doute devoir procéder à des licenciements. Là encore,
l’argument a pu toucher certains, mais le « Bilan d’Etape Professionnel » n’étant pas obligatoire (ce que la plupart des personnes présentes craignaient en venant à la présentation), les DRH en présence préféraient s’en ternir aux dispositifs légaux incontournables juridiquement. En effet, ces derniers venaient tout juste de finaliser leur « plan seniors » et digérer la réforme de 2009 ; aussi ils n’avaient pas l’envie, et les ressources (financière et en temps) pour « investir » dans un dispositif qualifié d’intéressant mais non indispensable, d’autant plus qu’en cas de licenciement certains auraient un P.S.E. à mettre en place. A cette gestion que je qualifierait de « gestion de l’urgence », s’ajoute un point important : les dispositifs de la réforme de 2009 n’étaient pas bien connus ; c’est d’ailleurs ce qui les poussaient à venir régulièrement à des séances de présentation sur les thèmes suivants : « les risques du DIF », « les nouveautés de la réforme de la formation »,…ma présentation, ne faisant pour eux, que s’inscrire dans cette typologie de prise d’information. Il était donc très difficile de convaincre des dirigeants de permettre à leur salarié d’anticiper leur parcours professionnel (de plus certainement ailleurs que dans leur structure actuelle) alors que dans le même temps eux-même n’étaient pas dans cette recherche d’anticipation pour leur établissement. Est-ce utile de préciser que je n’ai eu aucune demande d’intervention pour mettre en place le « bilan d’étape professionnel » ?
66 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
En conclusion Au regard des définitions, étude du concept GPEC, des observations réalisées,…il est alors aisé de conclure que ce modèle de gestion en ressources humaines, même agrémenté de nouveaux dispositifs depuis 2009, n’est pas le modèle qui permettrait aux salariés de gérer leur employabilité en leur permettant de devenir acteur de leur parcours (même « tout au long de leur vie »). Alors pourquoi le discours social prône ce modèle et les dispositifs légaux nouveaux, comme autant d’outils justifiant que les salariés prennent en main leur destin et leur compétences, leur confiant la responsabilité de maintenir leurs compétences en adéquation avec le marché de l’emploi ? Loin de moi l’idée et l’envie de tourner ma réflexion et mon étude sur un sujet politique. Je trouve plus intéressant à mon niveau de chercher à comprendre le comportement de certains des salariés (que j’ai reçu en entretien de conseil) face à cette injonction ; et par cela découvrir les conséquences de ce nouveau paradoxe : gérer son employabilité avec des outils ne le permettant pas.
67 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
Partie 3 : Les effets d’une injonction paradoxale
Comme on a pu le constater précédemment ; les outils et dispositifs, qui conditionnent la réussite de la gestion de parcours (pour un salarié qui veut gérer son employabilité), sont très difficiles à trouver et à mettre en œuvre. Mais si malgré tout, les salariés décident de gérer leur employabilité, si malgré tous les obstacles (manque d’informations sur les dispositifs, des capacité de projection limitées, des compétences en auto-orientation très faibles, et des informations sur les évolutions économiques difficiles a appréhender…) les salariés décident d’être acteur de leur parcours et de leur « sécurisation de parcours »,…quels résultats peuvent ils en attendre ?
1. Retour sur les obstacles à la gestion de parcours 1.1
la société économique
…permet de moins en moins au salarié de se prendre en main Du point de vue économique : Ce point a été développé précédemment, mais pour résumer, je dirai que les dispositifs mis en place par les partenaires sociaux en premier lieu (via l’A.N.I. de 2004 et 2008) puis par le législateur (Loi de 2009) n’ont pas eu les effets escomptés pour la sécurisation de parcours. En effet, comme j’ai pu le vérifier lors de mes observations, ces derniers sont peu connus voir difficilement mobilisables par le salarié. Et la situation économique actuelle a rendu encore plus difficile l’accès aux dispositifs (CIF, DIF, Plan de formation,…) puisque les budgets se réduisent de façon très importante. A cela s’ajoute que l’outil de gestion GPEC, mis en avant par
68 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
beaucoup et prôner là encore pas le législateur (loi Borloo-Larcher) a prouvé qu’il n’était pas adapté à cette sécurisation. Or cet outil de G.R.H. est encore présenté comme un modèle facilitateur pour la gestion de parcours au même titre que la gestion de compétences collective.
Du point de vue sociétal : A l’obstacle économique s’ajoute un obstacle peut-être encore plus important : l’obstacle sociétal. « Apprendre pour être autonome, sans doute mais il faut aussi être autonome pour apprendre » (B. SCWHARTZ / Moderniser sans exclure). L’approche développement de l’autonomie via la projection47
Si l’on se réfère aux travaux de Jean VASSILEF mais également de Sylvie BOURSIER, il faut convenir que pour permettre à un individu en général et à un salarié en particulier, à gérer son employabilité et donc son parcours professionnel tout au long de sa vie, il faut que ce dernier se forme à cela. Autrement dit, il faut permettre au salarié d’apprendre à passer de la « capacité d’adaptation » (réponse aux stimulations de l’environnement socio-économique) à la « capacité de projection » (autonomie, imposer sa vision, faire tout pour atteindre ses objectifs). Le salarié qui doit gérer son orientation pour anticiper les ruptures possibles de son parcours (celui que VASSILEFF appellerait l’homo-oeconomicus lambda) a un handicap très important pour réussir à se projeter ou plus précisément pour faire des projections au regard de ses réels désirs. Ce handicap est issu de son habitude à agir uniquement par réaction à son environnement, ce que VASSILEFF appelle l’adaptation, sans chercher à imposer ses envies.
47
VASSILEFF, Jean. La pédagogie du projet en formation. P51-53.
69 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
En effet, le salarié, comme toute personne de notre société, a appris à agir en fonction des contraintes de son environnement, ceci depuis son enfance et plus exactement durant toute sa scolarité. Il fait donc ceci ou cela « à cause de » et non pas « pour ». Il ne fait que développer des stratégies d’adaptation. Par conséquent, il ne peut qu’être en difficulté lorsqu’il s’agit d’être authentique envers lui-même et ne pas laisser l’environnement choisir à sa place. Il a donc appris à subir son environnement et à agir en réaction à cela.
Or, comme l’explique J. VASSILEFF, cette authenticité est la base nécessaire pour pouvoir s’écouter, percevoir ses désirs profonds mais aussi pour comprendre son environnement. Ces mêmes désirs qui permettront l’appropriation de ses choix de vie. Cette appropriation permet de ne pas laisser les autres (conseillers, employeurs, écoles, marché de l’emploi…) faire à sa place son projet, son orientation, sa recherche d’emploi… Il n’apprend pas à faire sans un tiers.
La quête de l’autonomie, passe sans doute par la transmission de savoirs permettant au salarié de passer de l’adaptation à la projection. Mais si l’ apprentissage de l’autonomie, qui doit passer par la pédagogie décrite par J. VASSILEFF, semble être une réponse intéressante et prometteuse pour permettre enfin au salarié d’avoir la capacité à prendre en main sa gestion de parcours : comment la développer ? En effet, comme toute capacité, la capacité de projection devra passer par une période d’apprentissage ; or cela doit s’acquérir lors de la scolarité ou encore lors de formation continue. Mais quelle est la place actuelle de ce type d’apprentissage ? A quel moment une pédagogie amenant à l’autonomie estelle utilisée en formation? En effet, il m’a rarement été donné l’occasion de voir une formation ou une discipline scolaire qui avait pour visée l’apprentissage de la projection pour cultiver l’authenticité et apprendre l’autonomie en orientation.
70 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
Cette finalité pédagogique ne peut se retrouver que dans les dispositifs de formation utilisée en orientation de type « éducative »48. Et aujourd’hui ces dispositifs n’existent pas en tant que tel. Il est possible de voir des formateurs utiliser des méthodes d’orientation éducative, notamment via l’utilisation de la méthode A.D.V.P.49, mais cette utilisation est d’abord et avant tout issue de la posture pédagogique d’un professionnel. Et il convient d’ajouter que c’est une posture encore souvent isolée par manque de compétences mais surtout par manque de moyens (de temps pour développer cette méthode dans le cadre justement de dispositifs de plus en plus court et tournés vers l’emploi). Bien entendu il existe le dispositif « Bilan de compétences » ; un dispositif souvent mobilisable par le salarié, mais si ce dernier est un outil facilitant la prise de conscience et la projection à court terme, il n’en demeure pas moins que cet outil d’orientation n’est pas la réponse adaptée au besoin d’acquisition de l’autonomie du salarié pour les questions relatives à la gestion de ses compétences et de son parcours professionnel. En effet, le « Bilan de compétences » ne développe pas l’autonomie même s’il est un des rares outils prenant en compte d’abord les attentes de la personne (contrairement à son petit frère financé par Pôle emploi : le B.C.A.50). Il permet au salarié de s’écouter et de décrypter son contexte socio-économique souvent complexe ; mais il est condamné à refaire régulièrement ce travail en étant accompagné dans un cadre similaire. C’est d’ailleurs pourquoi on conseille souvent aux salariés de faire un bilan de compétences régulièrement (tous les 5 ans).
48
Cf. les 4 modèle d’orientation Activation du Développement Vocationel et Personnel 50 « Bilan de Compétences Approfondi » : dispositif d’orientation pour demandeur d’emploi qui a pour objectif le retour rapide en emploi (sur les métiers en tension) et qui en fait un outil d’orientation avant tout de type « adéquationniste » 49
71 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
1.2
Conséquences sur le public salarié
Après avoir explicité ci-dessus les deux obstacles principaux à la gestion de parcours et d’employabilité par le salarié lui-même, il me semble particulièrement intéressant de m’interroger sur les conséquences de ces obstacles très importants sur le public salarié que j’ai conseillé durant plus de 6 ans.
En effet, je m’interroge sur le fait que certains salariés (ceux qui prennent contact avec le FONGECIF Lorraine) qui décident de répondre à l’injonction (voir l’obligation) qui leur est faite de prendre eux-même en main la gestion de leur parcours, du maintien de leur employabilité, se retrouvent souvent dans l’impossibilité de réussir cette gestion. Ceci notamment suite à un refus d’aide de ceux-là même qui l’ont fortement incité à le faire : à savoir l’entreprise, les pouvoirs publics, le législateur, les médias,…donc : le système économique en général et le système emploi formation en particulier. Je parle ici de plusieurs obstacles dont le premier d’entre eux : le refus de financement des OPCA et notamment de l’OPACIF FONGECIF. Mais ces refus, en nombre croissant, se retrouvent également auprès de Pôle Emploi, du Conseil Régional,…donc : des autres financeurs de la formation professionnelle.
Cette situation rencontrée par de plus en plus de salariés, peut se caractériser comme une injonction paradoxale.
J’ai donc alors émis l’hypothèse que les salariés lorrains, rencontrés dans le cadre de mon activité, se trouvaient dans le cadre d’une injonction paradoxale apparenté au phénomène de la « double contrainte » décrite par les travaux de G. BATESON.
72 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
1.3
Conséquences sociologiques
Il m’intéresse de m’interroger sur les conséquences de cette situation sur les salariés : Pour cela je dois interroger les salariés que j’ai accompagnés dans leur volonté de prendre en main leur parcours et qui ont essuyé un refus de financement par les partenaires sociaux gérant les budgets de ma structure.
Dans ce cas précis, le salarié est clairement dans le cadre d’une injonction paradoxale. Et parfois, le phénomène de double contrainte se trouve présente lors de l’entretien que j’ai avec lui dès le début. En effet, il m’est demandé (et cela peut paraître judicieux) de prévenir tout de suite les salariés que leur projet a de grandes chances de ne pas être financé (ceci afin de les mettre en condition au moment du refus). Ce qui revient à dire que je leur offre mes services de conseil pour leur projet (pour les aider à construire leur projet) après leur avoir précisé qu’ils n’avaient quasiment aucune chance de pouvoir le mettre en oeuvre ; ceci dans un contexte socioéconomique (et un discours social fort) qui insiste sur le fait qu’ils doivent construire un projet. Or, ceux qui ont essuyé un refus de financement (voir plusieurs) après avoir patiemment monté leur projet, après avoir du se « découvrir » auprès de leur employeur (et parfois se mettre en danger sur leur poste de travail), mobiliser beaucoup de temps voir de leur argent, se retrouvent dans une situation plus difficile qu’avant d’avoir monté leur projet. Il se retrouve donc perdant après avoir répondu présent à l’injonction sociale. Mais le fait de ne pas répondre à cette injonction, le fait de ne pas chercher à anticiper les mutation économique, à gérer leur employabilité risquent fort également de les rendre perdant en période de crise économique.
73 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
Comme ceux à qui j’ai dû donner une fin de non recevoir dès le premier entretien.
Alors, quels risques entraînent cette situation de double contrainte ? Le risque extrême ne serait-il pas un traumatisme social se traduisant par une perte de confiance dans le système ou le rejet de ce dernier (par le repli sur soi) de la part de cet acteur-salarié ?
2. Injonction paradoxale et RPS
A partir de l’étude de la schizophrénie Dans « Vers une théorie de la schizophrénie », BATESON explique qu’ il est question d'injonctions paradoxales dans un contexte particulier qu’est le milieu familial. C’est un contexte particulier où règne une communication pathologique. Ces injonctions paradoxales visent une "victime émissaire" qui doit en quelque sorte assumer seul et sans aide le défaut de communication de tout le milieu, « en être l'incarnation ». C’est pourquoi BATESON a découvert que dans ce cadre d'étude, dans ce contexte particulier : la victime est le membre "schizophrénique" du système, et il a alors été possible de mettre en évidence la façon dont la schizophrénie, donc le dédoublement de la personnalité, est à la fois un mécanisme de défense pour faire face à un contexte d'impossibilité, et le seul moyen trouvé par l’enfant pour maintenir la cohésion du groupe (du milieu dans lequel il vit) en tentant d'assumer l'incohérence du contexte. BATESON nous explique ainsi que la schizophrénie naît dans un contexte particulier qu’est la famille. Mais je fais l’hypothèse qu’il est possible ici de transposer son exemple dans un autre contexte social : le contexte emploi-formation. Vérifions alors
74 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
que les conditions de ce nouveau contexte se retrouve au même titre que dans le cercle social familial :
-
deux acteurs : l’entreprise et la société
Le monde de l’entreprise demande aux salariés de s’impliquer dans leur entreprise, de développer leur compétences à leur poste mais dans le même temps exige que ces derniers soient autonomes et flexibles jusqu’à accepter de partir de l’entreprise notamment lors de P.S.E. Or, changer d’emploi demande souvent d’autres compétences que celles développées à leur poste ; car aujourd’hui : « compétences » est très différents de « métier ». Les compétences étant souvent moins transverses que les savoir-faire (possédés lorsque l’on exerce un métier). Comme nous l’avons vu précédemment, la compétence est un savoir en action dans un contexte particulier de travail ; aussi, changer d’emploi nécessite d’acquérir de nouvelles compétences.
Le discours des pouvoirs publics (et autres acteurs de conseil) que BOURDIEU pourrait qualifier de violence symbolique. Un discours qui s’adresse avec force aujourd’hui au salarié et qui est le suivant : « devenez acteur de votre employabilité » en cultivant vos compétences transversales pour plus facilement gérer les transitions professionnelles. Autrement dit : « Salariés : maintenez vos compétences à jour, soyez sans cesse prêts à pouvoir aller travailler dans une autre entreprise, à un autre poste, voire à changer de métier. »
la société pousse le salarié à se prendre en main Ci-dessous quelques extraits d’articles, publications ,… trouvés en quelques clics sur Internet et qui marque l’importance du discours :
75 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
« Les dispositifs et leurs modalités de mise en œuvre doivent permettre à chaque salarié d’être acteur de son évolution professionnelle et de suivre des actions de formation…. »
(Extrait du préambule de l’ANI du 7 janvier 2009)
[…] « Les avantages de la formation professionnelle pour le salarié : Un salarié acteur de son parcours professionnel , une évolution des compétences grâce aux nombreux dispositifs de formation et/ou de qualification, une reconnaissance des compétences par l’employeur, une employabilité renforcée » (Extrait du site Internet Maison de l’Emploi de Lille : rubrique « Vous êtes salarié ») […] « Pourquoi un accord GPEC ? Parce que cela répond à des besoins : …l’émergence du salarié acteur de son parcours professionnel ;… » (Extrait de la page d’accueil du document de l’ANACT « GPEC mise en œuvre de la négociation »). […] « Rendre le salarié "acteur de son parcours de vie" , tel est le cœur du dispositif sur le CIF (Congé individuel de formation) ». (Extrait de la page d’accueil du site AGECIF Association pour la Gestion des Congés Individuels de formation du personnel des industries électrique et gazière. […] « Le DIF dans la distribution alimentaire. Des salariés acteur de leur parcours professionnel »…(Extrait du magazine « trait d’Union N°191 – Juillet 2007).
76 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
« Mode d’emploi : De la définition d’un projet à sa réalisation, ce kit méthodologique vous accompagne dans la mise en œuvre d’une démarche efficiente pour rendre vos collaborateurs acteurs de leur projet professionnel… (Extrait du KIT Méthodologique « Salariés acteur »
réalisé par
l’organisme OPCALIA à destination des adhérents-employeur).
Le concept de Violence Symbolique : « Reprenant Max Weber, Bourdieu définit l’Etat comme un produit qui revendique avec succès le monopole de l’usage légitime de la violence physique et symbolique sur un territoire déterminé et sur l’ensemble de la population correspondante. Il explique la formation de l’Etat et son développement progressif par l’accumulation de différentes espèces de capitaux (symboliques, juridiques,...)51 ». […] « En absence de ce que Sartre appelait la violence inerte des mécanismes économiques et sociaux tels que ceux du marché du travail et de la violence légitime des règles de droit, il (L’Etat) est obligé de recourir ces formes douées ou euphémisées de la contrainte qui définissent la violence symbolique avec notamment toutes les ressources du paternalisme et qui peuvent associer la violence physique la plus brutalement exercée comme dans la vengeance. Ainsi les sociétés précapitalistes et protocapitalistes n’offrent pas les conditions d’une domination impersonnelle et moins encore d’une reproduction impersonnelle des rapports de domination Elles ne disposent pas de la violence cachée des mécanismes objectifs. Il suffit de laisser faire le marché du travail ou le marché scolaire. Il ensuit que la perpétuation des relations sociales repose presque exclusivement sur les habitus c’est-à-dire sur les dispositions socialement 51
BOURDIEU Pierre, Raisons Pratiques sur la théorie de l’Action , Paris, Seuil, 1994
77 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
instituées par des stratégies méthodiques, investissement éducatif qui inclinent les agents à produire le travail continu et entretien des relations sociales avec notamment le travail symbolique de construction et de reconstruction généalogiques) donc du capital social et aussi du capital symbolique de reconnaissance…52 BOURDIEU Pierre / 1994
-
une victime : Le salarié
Par le salarié il faut comprendre : salarié qui décide effectivement de répondre à l’injonction forte qui lui est faite. Ce dernier décide de devenir acteur principal de sa sécurisation de parcours : du maintien de son employabilité.
-
Un expérience répétée :
Cette expérience est plus que répétée car l’injonction de devoir et pouvoir rebondir en cas de licenciement économique, déménagement,… est présent aujourd’hui tout au long de la vie professionnelle. Aussi la double contrainte : « soyez compétent à votre poste dans votre entreprise » (de la part de l’employeur) et « soyez toujours employable et prêt à changer d’emploi, de métier,… » (de la part du système économique au niveau macro) est régulière, constante. Ce qui renforce les risques de traumatisme social. Le traumatisme devient encore plus fort pour ceux qui cherchent à trouver une solution à cette double contrainte. L’injonction paradoxale devient alors encore plus forte en terme de conséquence. Ici, le salarié reçu au FONGECIF, qui cherche à se prémunir d’un risque social de rupture, qui souhaite être acteur de son parcours et se préparer à gérer une transition professionnelle,…et qui au final n’est pas financé ou
52
BOURDIEU Pierre, Stratégies de reproduction et modes de domination. In: Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 105, décembre 1994.
78 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
s’aperçoit qu’il ne peut pas prétendre (pour cause de niveau scolaire, ou absence de financement,…) à une formation.
Dans ce cas, et si cet échec fait suite à d’autres (licenciement économique ancien, difficultés à retrouver un poste,…), le salarié peut avoir beaucoup de difficultés à « digérer » cet échec et surtout ne pas comprendre la non acceptation du financement de son projet : le refus de prise en compte de son projet. Dans ce cas, je m’interroge sur le devenir des salariés ayant essuyé un refus au FONGECIF lorraine et n’ayant pas donner suite.
3. Le cas particulier du FONGECIF Lorraine Quelques chiffres issus de la base de donnée du FONGECIF Lorraine - Période de 2007 à 2010
108 personnes ont déposé plusieurs dossiers suite à un premier refus, pour un total de 280 dossiers (sur 5 527 dossiers déposés sur les 4 années) -
5 247 salariés ont déposé une demande de CIF au FONGECIF Lorraine durant 4 ans.
Le nombre de salariés au second semestre 2010 dans les secteurs marchands53 (non agricole) étaient de 490 000.
53
Commerce, construction, industrie et intérim.
79 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
Sur 2007 et 200854 -
32 personnes ont déposé de 2 à 9 dossiers (pour un total de 86 dossiers)
pour finalement 5 acceptations au total (5 personnes satisfaites). Sur cette période deux années : 2645 personnes ont déposé un seul dossier.
-
Taux d’acceptation après un premier refus : 5,8 %
-
Taux d’acceptation global en 2007 : 64 %55
-
Taux d’acceptation global en 2008 : 53 %
Sur 2008 et 2009 -
26 personnes ont déposé de 2 à 10 dossiers (pour un total de 75 dossiers) pour finalement 7 acceptations au total
Sur cette période 2619 personnes ont déposé un seul dossier.
-
Taux d’acceptation après un premier refus : 9,4 %
-
Taux d’acceptation global en 2009 : 65 %
Sur 2009 – 2010 -
50 personnes ont déposé de 2 à 10 dossiers (pour un total de 119 dossiers) pour finalement 5 acceptations au total
54
Les périodes retenues couvrent deux années afin de faire apparaître les secondes demandes de financement pour une même personne (puisqu’il n’est permis de déposer qu’une seule demande par an) 55 Tous les taux sont calculés avec les dossiers CDI et CDD. En sachant que le taux moyen d’acceptation des dossiers CDD est de plus de 90 % (les dossiers CDD représentant près de 10% des dossiers). Ce qui améliore le taux d’acceptation global.
80 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
L’augmentation du nombre de personnes déposant plusieurs dossiers étant directement due au plus grand nombre de refus lié à la baisse des fonds (et par voix de conséquence du taux d’acceptation). Sur cette période 2600 personnes ont déposé un seul dossier.
-
Taux d’acceptation après un premier refus : 4,2 %
On le voit, l’augmentation de dépôts multiples n’augmente en rien les chance d’avoir un financement.
-
Taux d’acceptation global en 2010 : 53 %
Seulement 124 personnes ont présenté plusieurs dossiers de 2007 à 2010 Ce qui représente 281 dossiers (pour ces 124 personnes) qu’il convient de comparer aux 5 527 déposés durant cette période. Par conséquent : seulement 5% des dossier déposés durant cette période sont des dossiers faisant suite à un premier refus.
124 personnes ont déposé plusieurs dossiers sur les 1955 dossiers refusés (représentant 1674 personnes). Ce qui veut dire que seuls 17% des salariés qui ont essuyés un refus ont ensuite re-déposé un dossier .
81 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
4. Constats possibles
Premier constat Le nombre de salariés lorrains ayant potentiellement l’accès au FONGECIF et à une demande de CIF est de environ 500 000.
Or le nombre de ces derniers ayant
effectivement déposé une demande est très faible ; puisque sur 4 ans, seuls 5 527 salariés ont déposé une demande.
A cela il faut ajouter que seulement un plus de la moitié d’entre eux ont vu leur demande satisfaite. Ceci parce que le budget du FONGECIF ne permet pas de financer plus de personnes. Ce dernier point est très important comme nous le verrons en fin d’analyse de ces chiffres.
La majorité des salariés ayant essuyé un refus lors de leur première demande, ont abandonné : ils ne donnent pas suite. Il est alors possible de faire le constat suivant : lors d’un refus, le salarié préfère abandonner purement et simplement son projet.
Mais alors il est important de se questionner sur les conséquences psychologiques de cet abandon. En effet, le salarié qui dépose un dossier est un salarié qui a construit un projet, qui s’est remis en question, qui s’est projeté dans un avenir positivé,… Il y a mis un engagement certains et il est parfois mis en danger vis à vis de son employeur, de son entourage,… Aussi, un refus peut avoir des conséquences relativement grandes.
Me considérant comme un professionnel consciencieux, vis à vis de sa structure et des tâches confiées par elle, j’ai longtemps tenté d’assumer cet état de fait en
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défendant mon institution (et le système) vis à vis des salariés manifestant souvent leur frustration et leur désarroi. Je tentais de justifier les refus faits à ces salariés par un argumentaire qui me semblait alors parfaitement logique :
« le FONGECIF n’a pas le budget permettant de financer toutes les demandes, aussi il doit faire des choix. Malheureusement il a décidé de ne pas retenir votre projet. »
Mais à la lumière des réflexions menées ici il m’apparaît clairement que cet argumentaire ne peut être considéré comme logique pour les raisons citées ci-dessus. Il m’est alors devenu impossible de tenir un tel discours et de gommer les conséquences possible sur les individus rencontrés.
Ceci d’autant plus que je sais aujourd’hui que ces mêmes individus se retrouvent de fait dans une situation possible de détresse psychologique (du moins durant un temps). Il est également possible de faire un second constat important : l’obligation qui est faite au salarié de gérer une situation de double contrainte.
Second constat Face aux constats des nombreux refus, il convient d’ajouter que les réponses négatives sont motivés auprès des salariés par un courrier.
Au cours de l’année 2009, plus de 18% des refus ont fait l’objet d’un courrier expliquant que le refus était justifié par le fait qu’un autre financement (que le CIF) était plus adapté et qu’il fallait donc le mobiliser. Par conséquent il fallait que le salarié fasse appel à cet autre dispositif et donc présente son projet de formation à un autre organisme.
83 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
Or, il se trouve que dans la majorité de ces cas, aucun autre financement n’était réellement mobilisable. J’ai donc souvent dû répondre aux salariés que cela n’était en fait pas possible, quand ils appelaient pour avoir des précisions quand aux démarches à faire pour solliciter cet « autre financement »,.
Durant cette même année, près de 20 % des refus ont également été motivés par le fait que la demande provenait d’un salarié n’ayant pas travaillé assez longtemps (entre 5 et 7 ans). Le salarié56 se voyait donc répondre qu’il était trop jeune pour avoir le droit de prendre en main son parcours professionnel.
Il est ici clair que ces salariés ont exprimé un fort désarroi, voire une colère face à ce refus qui les mettaient dans une situation incompréhensible que je peux aujourd’hui qualifier d’une situation paradoxale. Ils ne faisaient alors que réagir à une double contrainte et donc à une situation inextricable : on57 leur avait conseillé de prendre en main leur avenir, gérer et surveiller leur employabilité par le recours à la formation, et après s’être mobilisé on leur expliquait qu’ils n’avaient pas à le faire : du moins pas maintenant. Ils s’apercevaient alors qu’ils étaient en faute quoi qu’ils aient décidé de faire. Ne rien faire les mettaient en faute face à l’injonction qui leur étaient faite (surtout en cas d’accident de parcours) et se mobiliser (en construisant un projet et en faisant une demande de CIF), les mettaient également en faute car ils le faisaient trop tôt (parfois à plus de 30 ans dans une société où le salarié devient un « senior » à 45 ans). Troisième constat Il concerne les salariés (en nombre très faible) qui décident de ne pas abandonner leur projet (ou leur volonté de piloter leur parcours professionnel) et qui réitèrent leur demandent au FONGECIF. 56 57
Près de 10 % de ces motivation de refus concernaient des salariés ayant plus de 28 ans le discourt de la société
84 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
En effet, il est frappant et gênant de constater que ces derniers voient leur efforts pratiquement toujours aboutir à un échec : un nouveau refus. Un refus qui peut même se réitérer de nombreuses fois. Il est alors possible de dire que dans la plus part des cas, un salarié qui a essuyé un premier refus, n’a que très peu de chance de voir un jour son projet financé.
Ce qui veut dire que : plus un salarié se mobilise, montre sa détermination, moins il a de chance de voir son projet aboutir ! Nous sommes ici dans un paradoxe total dans le cas où on place la situation à un niveau social.
Quatrième constat Pour finir, et revenir sur le budget limité du FONGECIF, il ne faut pas oublier que ce dernier ne permet de financer qu’environ un dossier sur deux déposé. Alors imaginons ce qui se passerait si la majorité des salariés lorrains relevant de cette institution, décidaient de répondre à l’injonction sociale qui leur est faite et décidait un moment ou à un autre de déposer une demande de CIF. Il est aisé de penser que le taux d’acceptation serait quasiment nul. Le paradoxe serait alors total.
Ce cas de figure n’est pas encore à craindre bien qu’il soit entendu que le Conseil d’Administration a toujours refusé de communiquer largement sur le CIF pour cette raison, preuve que cette peur existe tout de même. Aussi, dans le cas où le discours social puissant qui est tenu au salarié amenait une forte augmentation des demandes, le poids de la double contrainte s’en verrait augmenter considérablement.
Aussi, interrogeons-nous dès aujourd’hui, sur les conséquences psychologique de cette situation, dans un contexte de relative « faible » nombre de demande. D’abord à titre individuel, du point de vue psychologique, puis à titre collectif, d’un point de vu sociologique.
85 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
En effet, le cas du FONGECIF Lorraine n’est pas isolé, au contraire il est représentatif des autres OPACIF mais également des autres organismes financeurs (salariés comme demandeurs d’emploi). A l’heure où j’écris ces lignes, les OPCA et les OPACIF, se sont vus ponctionner 13 % de leur budget par l’Etat (via l’organe paritaire F.P.S.P.P.), la collecte de fonds a diminué du fait de la crise (puisque la cotisation est liée au poids de la masse salariale qui diminue inévitablement suite aux fermetures d’entreprises ou lors de licenciements). Pôle Emploi a de plus en plus de difficultés à acheter des places de formation ; le Conseil Régional a mis un grand coup de freins à tous ses programmes d’achat de formation,… On le voit la situation est identique ailleurs que dans mon ancienne structure.
5. Double contrainte et pathologie sociale
Comment la situation de double contrainte vécue par le salarié pourrait conduire ce dernier vers le développement d’une pathologie sociale ? D’après G. BATESON (1972), la schizophrénie peut être une pathologie issue de répétition de moment ou l’enfant a du gérer des situations de double contrainte. Le fait de devoir décrypter un discours contradictoire (qui peut prendre diverses formes) amène le sujet à ne plus parvenir à comprendre tout type de discours, y compris celui qui est dit normal à savoir « non contradictoire ».
Ainsi le sujet n’est plus en mesure de comprendre ce qui lui est demandé. Il ne parvient pas à discerner les signes sociaux, les réflexes langagiers (de types expressions) et les traduit dans leur sens littéral,…La conséquence est qu’il ne peut plus décoder tous types de discours et ne peut pas non plus se faire comprendre des autres.
86 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
Comme on a pu le voir précédemment, les salariés se retrouvent de plus en plus souvent dans une situation de double contrainte. Il est alors possible de se demander si ce dernier ne risque pas de développer un symptôme assez similaire.
Bien entendu le développement d’une pathologie de type schizophrénique nécessite que la situation de double contrainte soit récurrente (voir constante) sur de nombreuses années. Et là encore la pathologie peut ne pas se développer. Mais la situation socio-économique perdure depuis déjà quelques années et elle risque fort de perdurer encore longtemps. A cela j’ajouterai que la violence symbolique faite à l’individu est de plus en plus forte aussi l’injonction devient de plus en plus présente. Elle risque donc fortement d’être de plus en plus perçue et intégrée par la population active (salariés et demandeurs d’emploi). Dans une période de crise économique, de perte de croissance, de risques accrus de rupture dans les parcours,…il est possible de s’interroger sur la possibilité du développement d’une « pathologie sociale ».
Il est coutume d’entendre aujourd’hui qu’il est normal (dans le sens, « dans la norme ») que la nouvelle génération doit connaître de nombreux changements d’emplois voir de métiers. Cet état de fait est déjà intégré dans le collectif social. Il est donc logique de penser que la nécessité de gérer soi-même son « employabilité » connaîtra le même sort. Or, si l’on ajoute que rien n’est réellement construit pour aider les actifs à gérer cet état de fait, le risque social existe.
87 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
5.1
La double contrainte
Dans sa théorie de la double contrainte, BATESON nous explique qu’une personne (dans sa théorie il parle d’enfants) est dans une telle situation si 5 éléments sont réunis58. Nous allons donc vérifier que les salariés essuyant un refus de financement de son projet de formation peuvent se retrouver dans une telle situation. « Les éléments indispensables pour constituer une situation de double contrainte, telle que nous la concevons, sont les suivants: 1. Deux personnes ou plus. Pour les besoins de l'exposé, nous en désignerons une comme la «victime». Nous précisons également que, suivant notre hypothèse, la double contrainte n'est pas toujours imposée par la mère seule, mais aussi bien par la mère plus le père et/ou les frères et sœurs. » Dans mon contexte d’étude, les « deux personnes » sont : l’entreprise et le discours social (donc la société) qui impose au salarié à gérer son employabilité ; ceci comme nous l’avons vu précédemment. Autrement dit, l’entreprise exige de son salarié d’être performant, impliqué dans son travail et donc fidèle à son entreprise et à son contrat de travail. Il doit veiller au maintien de sa performance. D’un autre côté, ce même salarié se voit demander (par la société) de gérer son employabilité, ce qui de fait nécessite de se projeter en permanence à l’extérieur de son emploi actuel, donc de son entreprise. Il lui est alors demandé de penser à gérer ses compétences transférables et anticiper un licenciement, et/ou un mutation vers un autre emploi mais de plus en plus vers un autre métier. Il doit donc envisager en permanence un changement d’entreprise.
58 *
Conférence donnée en août 1969, au cours d'un symposium sur la double contrainte, présidé par le Dr Robert Ryder, sous les auspices de l'American Psychological Association. Conférence apportant des précisions (voir correction) à son ouvrage de référence « Vers une écologie de l’esprit »
88 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
2. « Une expérience répétée. Nous affirmons que la double contrainte est un thème récurrent dans l'expérience de la «victime». Notre hypothèse prend en considération non pas une expérience traumatique unique, mais une expérience dont la répétitivité fait que la double contrainte revient avec régularité dans la vie de la «victime». » Ce
point précis est vérifié par
mes échanges avec des salariés ayant essuyés
plusieurs refus de la part de la commission ; ceci sur plusieurs années. « Je ne comprend pas que le FONGECIF me refuse le financement alors que je suis super motivé. C’est pas pour rien que cela fait 3 ans que je fais la même demande. La première fois on m’a dit que je n’étais pas prioritaire, après que mon projet pouvait être financé autrement et aujourd’hui c’est la même réponse alors que mon patron ne veut pas financer ce projet. Qu’est-ce que je dois dire pour être financé ? » « Pourquoi le FONGECIF ne veut pas me financer ? L’année dernière il a refusé et cette année je change de projet il refuse encore. Vaudrait mieux me dire qu’il ne veut pas financer un salarié de l’entreprise X ! » « Tous les ans, on me refuse mon projet alors que j’y ai droit et que mon entreprise va mal. On m’empêche d’assurer mon avenir ; c’est pas normal. Il faut que j’attende d’être au chômage pour espérer avoir une formation ?! » On le voit ici, le salarié interprète avec de plus en plus de difficultés le refus de financement, jusqu’à en conclure (pour le dernier cité) qu’il ne doit pas chercher à maintenir son employabilité durant son activité, et qu’il doit attendre l’accident de parcours (le retour au chômage) pour se préoccuper de son employabilité. Ceci alors même que les dispositifs qu’il souhaite mobiliser sont prévus au contraire pour le faire avant.
89 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
C’est ce dernier point, la répétition, qui est au cœur même des préconisations. En effet, c’est sans doute en évitant cette répétition sur plusieurs années (voir une décennie) que la société évitera un possible « traumatisme social ». Car la répétition sur plusieurs années de ce type de situation fera qu’elle se multiplierait auprès d’un nombre croissant de salariés. Or, les chiffres analysés de la base de données du FONGECIF laissent penser que la répétition est parfois bien présente auprès de certains, et ce sur parfois près de dix années.
3. « Une injonction négative primaire ». Celle-ci peut prendre deux formes:
«Ne fais pas ceci ou je te punirai»; «Si tu ne fais pas ceci, je te punirai». » « Nous avons choisi ici un contexte d'apprentissage fondé plutôt sur l'évitement de la punition que sur la recherche de la récompense. I1 n'y a peut-être aucune raison théorique à ce choix. Nous supposons, néanmoins, que la punition peut signifier la perte de l'amour ou l'expression de la haine et de la colère, ou bien encore – et c'est là la chose plus grave – cette sorte d'abandon qui survient lorsque les parents expriment leur profonde impuissance. » (G. BATESON) Dans le contexte qui nous intéresse, il s’agit de : « Si tu ne t’impliques pas assez dans ton travail et dans ton entreprise, tu risque de perdre ton emploi » ; « Si tu ne prépare pas un éventuellement licenciement et si tu ne te prépares pas à changer d’entreprise (ou de métier) tu risque de ne plus être employable »
4. « Une injonction secondaire, qui contredit la première à un niveau plus abstrait tout en étant, comme elle, renforcée par la punition ou par certains signaux menaçant la survie. Cette injonction secondaire est plus difficile à décrire que la première pour deux raisons : d'abord, parce qu'elle est transmise à l'enfant par des moyens non verbaux. Attitudes, gestes, ton de la voix, actions significatives, implications cachées dans les commentaires verbaux, tous ces
90 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
moyens peuvent être utilisés pour véhiculer le message plus abstrait. Ensuite, parce que l'injonction secondaire peut se heurter à l'un des éléments de l'interdiction primaire. La verbalisation de l'injonction secondaire pourra ainsi revêtir une grande variété de formes, par exemple : «Ne considère pas ça comme une punition»; «Ne me ressens pas comme l'agent de la punition»; «Ne te soumets pas à mes interdictions» ; «Ne pense pas à ce que tu ne dois pas faire»; «Ne doute pas de mon amour, dont l'interdiction première est (ou n'est pas) une preuve», etc. Cette situation connaît des variantes quand la double contrainte est exercée non pas par une personne, mais par deux. Un des parents peut ainsi contredire, à un niveau plus abstrait, les injonctions de l'autre. » L’injonction secondaire peut être multiple dans le contexte du salarié. En effet, il peut s’agir du discours de différents acteurs en fonction des cas et des motifs de refus : -
« autre financement » et ciblant un financement via l’entreprise. Dans ce cas, et lorsque l’on sait que l’entreprise a refusé de financer en premier lieu, le salarié se retrouve à devoir gérer la situation suivante : il lui faut demander un financement qui lui a été refusé par son entreprise car cette dernière ne veut pas que son salarié puisse monter en compétences et partir. Le FONGECIF refuse le financement car il estime que c’est à l’entreprise de maintenir les compétences de son salarié et ainsi lui permettre de partir si nécessaire. La société impose socialement à ce même salarié de gérer le maintien de son employabilité, principalement en montant en compétences ou en les adaptant au monde productif.
-
« vous n’avez pas assez d’années de travail ». Dans ce cas la commission du FONGECIF signifie au salarié qu’il n’a pas besoin pour le moment de gérer son employabilité alors que la société lui dit le contraire et que son entreprise s’en désintéresse.
-
« votre projet est incohérent »59. Ici le salarié doit gérer la situation suivante : la société lui a demandé de gérer son employabilité et le FONGECIF lui
59
« Incohérence » est un motif réel de refus de financement qui est traduit par courrier envoyé au salarié par « la commission a décidé de financer des projets qui semblaient plus cohérents »
91 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
explique que le projet, qu’il a construit en réponse à l’injonction de la société, est mal construit. Alors même que la société ne lui a jamais permis d’apprendre à construire un projet et notamment à développer sa « capacité de projection ». 5. Une injonction négative tertiaire, qui interdit à la victime d'échapper à la situation. En principe, il ne serait peut-être pas nécessaire d'isoler cette injonction, puisque le renforcement (par la menace de punition) aux deux niveaux précédents comporte déjà une menace pour la survie et que, si la double contrainte survient durant l'enfance, la fuir est de toute évidence impossible. I1 semble néanmoins que, dans certains cas, fuir la situation soit rendu impossible par des stratagèmes qui ne sont pas entièrement négatifs : promesses d'amour fantasques, etc. Ce dernier point est bien présent selon moi et ceci d’autant plus que nous sommes dans une situation de crise économique. En effet, cette situation inscrit le salarié dans un contexte de risque accru de chômage. Par conséquent, il est lui est « impossible » d’échapper à l’injonction primaire de gestion de son employabilité, ceci sous peine d’être considéré comme le premier responsable de son éventuelle situation de chômage. « Pour finir, il convient de noter qu'il n'est plus nécessaire que ces éléments se trouvent réunis au complet lorsque la «victime», a appris à percevoir son univers sous la forme de la double contrainte. À ce stade, n'importe quel élément de la double contrainte, ou presque, suffit à provoquer panique et rage. Le modèle des injonctions contradictoires peut même être repris par des hallucinations auditives » (G. BATESON)
C’est ici qu’il est important de s’arrêter pour étudier les conséquences sociétales possibles. En effet, nous sommes dans une situation de crise, qui comme expliqué cidessus, donne l’occasion au salariés d’être confronté pleinement à une situation de double contrainte puisqu’il ne peut pas s’y soustraire.
92 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
Or, après de nombreuses années de cette situation et ceci même en période de reprise (sauf peut-être dans le cas peut probable d’une reprise très forte), le salarié aura appris à percevoir le système socio-économique de cette façon, à savoir : incohérent. Aussi, le moindre point remettra ce dernier dans une situation qu’il identifiera comme habituelle (donc dans une double contrainte). Il décodera alors la situation comme à son habitude et par conséquent la réponse de ce dernier risque d’être identique. Or, dans le cas du développement d’une pathologie sociale, la réponse des salariés risquent d’être aucunement en adéquation avec les attentes et les besoin de la société de production puisque les salariés ne seront plus en mesure d’en comprendre le sens et les codes. Le salarié sera alors en situation d’échec, d’erreur, et la société de production aura plus difficultés à trouver la main d’œuvre adapté à ses besoins.
Il convient alors de s’intéresser aux conséquences traumatiques possibles afin de mieux anticiper les conséquences sociales possibles.
5.2
Des Symptômes vers l’identification d’une pathologie
Lorsque le salarié ne comprend pas, ou pire comprend de travers, ce qui lui est transmis comme message, il est possible de parler de risque de « pathologie sociale ». J’entends par ce terme que le « salarié » reste un collectif générique désignant un ensemble social au contour mal défini. Aussi, il ne prend du sens qu’à l’échelle d’une société. Il ne me paraît donc pas judicieux de parler d’une pathologie (donc à une échelle de l’individu) comme peut le faire la psychologie.
93 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
Par contre, une étude d’un phénomène psychologique mise en exergue à cette échelle d’étude, me semble transposable à une échelle sociologique. Dans ce cas, le « salarié » devient un sujet d’étude et peut alors être considéré comme pouvant être atteint d’une pathologie, et dans le cas qui nous intéresse ici : une pathologie issue de la double contrainte. En effet, il m’a été très courant de recevoir en entretien (ou converser par téléphone) du public qui venait pour obtenir des explications suite à un refus. Il proposait alors rapidement de changer de projet professionnel. Alors que la commission lui avait répondue que son dossier n’était pas financé pour des raisons de budget insuffisant, ou qu’il pouvait faire appel à un autre financement. Le salarié ne parvenait pas à décoder, comprendre le contexte de la réponse, et à interpréter la réponse en fonction de ce contexte. Il déformait la réponse justement pour tenter de contourner la situation de double contrainte dans laquelle il se trouvait . Sa réponse devient alors totalement inadéquate. Bateson explique ce phénomène60 comme suivant : « Selon notre hypothèse, le terme «fonction de l'ego» (au sens où il est employé lorsqu'on dit que le schizophrène souffre d'une «faible fonction de l'ego») définit précisément le processus de distinction des modes de communication, ou bien à l'intérieur du «soi», ou bien entre le «soi» et les autres. Le schizophrène manifeste une faiblesse de cette fonction à trois niveaux, et ressent : - des difficultés à attribuer le bon code de communication aux messages qu'il reçoit des autres; - des difficultés à attribuer le bon mode de communication aux messages, verbaux ou non verbaux, qu'il émet lui-même; - des difficultés à attribuer le bon mode de communication à ses propres pensées, sensations et perceptions.
60
BATESON Gregory., Vers une écologie de l’esprit 2, Essais, New York, Editions du Seuil, 1972
94 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
Il convient de comparer ici le contenu du paragraphe précédent avec la façon dont von Domarus aborde la description systématique de l'expression chez le schizophrène ; il émet, notamment, l'idée que les messages (et les pensées) du schizophrène ne sont pas conformes à la structure syllogistique : au lieu des formes qui dérivent normalement du syllogisme de type Barbara, le schizophrène utilise des formes qui jouent de l'identité des prédicats comme, par exemple : Les hommes meurent L'herbe meurt Les hommes sont de l'herbe » Pour les salariés rencontrés et qui n’ont trouvé comme réponse à un refus (très mal venu pour eux) que de changer de projet, il est possible de penser qu’ils ont connu les même « faiblesses » de fonction de l’égo. Ce qui amènent ces dernier à faire ce type d’interprétation :
« Mon dossier n’a pas été financé Le FONGECIF ne finance pas les mauvais projets (ce qui est parfois dit ou véhiculé en entretien ou information collective)
Donc : Mon projet est mauvais »
5.3
Les « pathologies sociales » possibles
BATESON a montré par ses travaux que l’origine de certaines formes de schizophrénie pouvait se trouver dans une communication pervertie par des mises en situation de double contrainte chez l’enfant. Par les éléments avancés précédemment, je pense que ce raisonnement peut s’appliquer de la même manière pour certains salariés (au nombre croissant) que j’ai pu rencontrer dans le cadre de mon activité au sein du FONGECIF Lorraine. La situation paradoxale dans laquelle ces derniers se retrouvent parfois (et plus particulièrement celle de la double contrainte) est génératrice d’une pathologie
95 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
puisqu’elle influence clairement le comportement. Pour ces salariés, devoir gérer leur employabilité en prenant en main leur parcours professionnel tout en devant faire face à un système leur renvoyant un discours contradictoire (leur interdisant la mise en œuvre de leur volonté), est générateur de souffrance. En effet, l’information que le système emploi-formation leur envoie par le refus de financement (et la formulation de ce refus) s’apparente à une communication non verbale décrite par BATESON (ici le message est plus « indirect » que non verbal) qui contredit le message (verbal) que la société économique leur envoie. Le message initial de la société est d’autant plus puissant qu’il est relayé par l’Etat lui-même sous la forme de loi et de décrets (et organismes de services publics). Or, comme l’a montré BOURDIEU, seul l’Etat peut utiliser la violence comme outil légal et la « violence symbolique » pour imposer sans la force par des canaux de communication plus pernicieux ; permettant une injonction sociale indirecte mais tellement plus efficace (car amenant les acteurs sociaux à penser qu’il est naturel et idiot de le contester). Or, comme l’a formulé VARGAS (1984) dans son étude des contextes communicationnels paradoxaux sur les groupes de travail, : « la cause du problème n’est plus alors à rechercher dans un groupe de « malade » en lui-même, mais bien dans une maladie de la communication qui pervertit le rapport de ce groupe au reste de l’organisation ». Alors, si le salarié se retrouve de plus en plus dans une situation paradoxale de type « double contrainte » dans un contexte non plus restreint (comme la famille) mais à l’échelle de la société ; il convient de s’interroger sur deux points ; tout d’abord : la pathologie pouvant se développer peut-elle être sociale ? Ensuite : si « oui » quels risques pour les salariés et pour la société ? Ces deux questions me pousse maintenant à considérer mon étude sous l’éclairage des études réalisées dans le cadre de la prévention des Risques Psychosociaux.
96 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
6. Les Risques Psycho-Sociaux : définition de l’ARACT Tout d’abord, il s’agit de rappeler que « risque » ne veut pas forcément dire présence immédiate d’un danger. En effet, les risques liés à l’exposition à un danger sont connus depuis longtemps (risques de radiation, d’électrocution,…) mais depuis quelques temps le salarié connaît des risques liés à des combinaisons de facteurs techniques, organisationnels et humains (Troubles Musculo-Squelettique, et Risques Psycho-Sociaux). Ces derniers nous intéressent plus particulièrement ici car ils peuvent faire apparaître des pathologies dans un délais de temps important ; ce n’est plus l’immédiateté ou la visibilité du danger qui défini le risque mais l’organisation du travail lui-même et la perception qu’en a le salarié. Deux notions importantes pour comprendre les RPS tout d’abord « l’écart entre tâche et activité », puis « l’activité au travail » : L’écart entre la tâche et l’activité -
La tâche, « travail prescrit ». C’est l’ensemble des conditions d’exécution d’un travail donné et caractérisé par des objectifs à atteindre dans un certain temps, à l’aide d’outils, de machines, de règles plus ou moins précises, de consignes.
-
La tâche réelle correspond aux objectifs intermédiaires que le salarié se fixe pour atteindre les objectifs généraux définis par la tâche prescrite.
-
L’activité, « le travail réel ». C’est la manière dont l’opérateur procède réellement, investit son corps pour effectuer les tâches demandées. L’activité inclut de l’observable et de l’inobservable.
L’activité de travail -
L’activité physique au poste : elle peut-être dynamique ou statique, elle entraîne de la fatigue et des effets sur la santé.
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-
L’activité mentale et psychique au poste : le salarié interprète des consignes prévues, recherche et prend des informations, analyse et enfin prend des décisions (contrôle qualité, anticipation et gestion des incidents…).
Aussi, si l’on s’en réfère à cette présentation, analyse des risques psycho-sociaux, je me risquerai ici à faire un parallèle avec le risque social lié à l’injonction paradoxale dans laquelle se trouve de plus en plus le salarié désirant maintenir son employabilité par des actions de son initiative et avec les outils (dispositifs que le système emploi-formation) à sa disposition. Ici, le « travail prescrit » est clairement l’injonction faite au salarié de gérer son parcours professionnel afin de maintenir son employabilité, ceci en utilisant la palette très large des nouveaux dispositifs mis à sa disposition à la fois par la loi de novembre 2009 et par les outils de GRH de son entreprise (la GPEC par exemple). Le travail réel, peut être défini ici par le fait que le salarié va devoir définir seul des objectifs intermédiaires pour répondre à la commande. Or ces objectifs seront définis comme il peut par le salarié (dans la limite de ses savoirs) . Ce qui se traduit le plus souvent par la construction et la mise en oeuvre de projets hasardeux (pour lui) et souvent décalés (au regard des exigences du marché). L’activité autrement dit « la tâche réelle », pour les salariés ayant connu un refus de financement du dispositif auquel il a voulu faire appel (ou n’ayant pas pu profiter des outils GRH de son entreprise) est la façon dont le salarié va s’investir demain pour mettre en œuvre le travail prescrit ; à savoir son investissement, sa motivation, sa croyance dans ce qui est demandé. Dans le cadre d’une situation de double contrainte répétée, le salarié va avoir de plus en plus de difficultés à définir des objectifs intermédiaires pour répondre à la commande ; il va donc connaître une tension nouvelle s’il veut tenter malgré tout de
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se rapprocher du travail prescrit par son environnement social. A cela, il faut ajouter que, dans le cadre de l’analyse du travail « mental » que le salarié doit effectué, ce dernier doit seul, interpréter des consignes prévues, rechercher des informations, analyser et enfin prendre des décisions afin de maintenir son employabilité. Mais qu’en est-il s’il ne parvient plus à comprendre les informations, à les analyser et qu’il a conscience de son incapacité le faire ? Ne sommes nous pas là en présence d’un risque psycho-social ? Je pense que c’est effectivement le cas, mais cette fois, non pas en situation de travail mais en situation de vie sociale au travail tout au long de sa vie professionnelle. C’est donc un risque psycho-sociétal car il touche non plus simplement à une organisation de travail mais à un système socio-économique. L’ARACT présente les RPS dans certaine organisation de travail par ce schéma :
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Dans la situation qui nous intéresse, ce schéma pourrait être peu différents :
Les RPS sociétaux liés à la double contrainte du nouveau paradigme RH « salarié acteur.. »
Les récents événements que le monde du travail a connu à la suite des suicides dans certains grands groupes, ont amené une réflexion importante sur les R.P.S. Ceci jusqu’à la définition d’indicateurs permettant de faire un diagnostic au sein d’une organisation.
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Le rapport GOLLAC61 en octobre 2009, a notamment définit un grand nombres d’indicateurs en les classant par « axe ». Mon propos n’est pas de tous les étudier, mais il me paraît en revanche intéressant de s’attarder sur l’axe 4 : « Rapports sociaux, relations au travail », et plus particulièrement sur la dimension du risque nommée « Leardership (clarté, pilotage du changement) ». En effet, ce rapport défini cette dimension de risque comme suivant : « Leadership (clarté, pilotage du changement). 33 % des salariés du secteur concurrentiel (enquête COI 2007) répondent « non » à la question « Généralement, vous explique-t-on clairement ce que vous avez à faire dans votre travail ? » (indicateur 34) ; les jeunes et les cadres évoquent plus fréquemment ce manque de clarté que les autres salariés. D’autre part, 41,7 % des salariés (enquête Conditions de travail 2005) disent recevoir « des ordres ou des indications contradictoires » (indicateur 35), notamment parmi les jeunes et les professions intermédiaires. » Ceci nous indique que les « ordres » contradictoires sont aujourd’hui reconnus comme pouvant être à l’origine de des RPS. Or, le travail d’étude décrit précédemment sur la situation de double contrainte vécu par les salariés, montre que ce dernier se trouve de plus en plus dans une situation pouvant s’approcher de celle ayant générée la pathologie de schizophrénie chez l’enfant.
61
Michel GOLLAC, (président du collège d’expertise sur le suivi statistiques des RPS au travail / Mandaté par le ministre du travail), Indicateurs provisoires des facteurs de risques psychosociaux au travail, , DARES, octobre 2009
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Par conséquent, il me paraîtrait intéressant d’étudier ce nouvel RPS en tentant de déterminer des symptômes, ceci en rapprochant d’un des 3 types de symptômes62 connus en schizophrénie : « les symptômes négatifs ». Les symptômes négatifs produisent un isolement social (repli sur soi, perte d'initiative...). Ils sont par nature invalidants, en particulier du fait de leurs conséquences sur la vie sociale. Il s'agit le plus souvent d'un repli sur soi, d'une perte d'initiative et d'une moindre implication dans des activités traditionnelles. Les capacités à communiquer, à aller vers l'autre et à prendre du plaisir sont fortement altérées. En conclusion il est possible d’envisager ce type de conséquences sur les salariés : -
risque de stratégie de « retrait » de renoncement à la volonté de gérer leur employabilité,
-
risque d’incompréhension à long terme du discours social,
-
risque de stress accru face aux crises économique et/ou chômage,
-
risque de résistance forte aux changements futurs (adaptation difficile) aux mutations économiques.
Ces conséquences se traduiraient alors pas une impossibilité faite à la société économique d’avoir des ressources humaines capables de s’ajuster aux besoins en compétences du monde productif. En effet, si l’entreprise ne gère plus l’employabilité (et le maintien en compétences des actifs), que l’individu se désengage également de cette obligation (par impossibilité de compréhension, abandon, perte de sens,…), la réponse au changement deviendra difficile, longue et risque d’être brutal : à hauteur de la résistance.
62
les symptômes positifs, négatifs et de désorganisation
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Conclusion 1. Les conséquences de l’injonction paradoxale: deux Niveaux de lecture Paul WATZLAWICK63 explique que l’on ne sort d'une boucle paradoxale (situation de double contrainte) que par un recadrage, permettant une lecture de la situation à un niveau différent. Ceci notamment parce que La double contrainte étant une situation insoluble directement, sa résolution passe par un changement de niveau ou d'échelle. Par exemple, communiquer l'absurde de la situation peut être une façon de dépasser cette situation. Dans ses écrits, cet auteur a notamment dénoncé les alternatives illusoires, sournoisement pathogènes (doubles contraintes). Il explique que réciproquement, celles-ci sont utilisables pour sortir d'un dilemme dévastateur. Exemple emprunté à Paul WATZLAWICK 64 : « patates ou pommes de terre » ? : vers 1940, ce slogan clandestin répondait à la propagande nazie intimant aux populations soumises qu’elles avaient le « choix » entre « le national-socialisme ou le chaos stalinien ». Mais alors, comment communiquer l’absurde de la situation aux salariés entrés dans cette boucle paradoxale ? Car, je comprend aujourd’hui que c’est ce que je cherchais à faire (inconsciemment) lorsque de recevais des salariés ne comprenant pas le refus de la commission du FONGECIF Lorraine. Face à cette attitude souvent « décalée » de ces derniers, je cherchais à mettre fin à la situation absurde en cherchant indirectement à la faire apparaître comme tel. Ceci afin d’aider le salarié à admettre qu’il ne devait pas chercher une explication au refus, et surtout pas vouloir donner du sens à ce dernier (et donc à la situation). 63
Membre fondateur de l’école de Palo Alto et notamment à l'origine de la thérapie familiale et de la thérapie brève. Parmi ses principaux fondateurs, on retrouve Gregory Bateson, 64 exemple cité par Philippe Boulanger et Alain Cohen dans Le Trésor des Paradoxes, Belin, 2007
103 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
Cette nouvelle approche forcée du conseil (dans ce cas précis de salariés ayant essuyé un refus) a sans aucun doute été le facteur déclencheur de mon choix d’étude. Je comprend aujourd’hui que j’ai choisi ma problématique (ou que celle-ci s’est imposée à moi) car je traversais ce qu’il peut convenir de qualifier de début de crise identitaire.
1.2. Conséquence de cette injonction paradoxale sur mon identité professionnelle De conseiller au service du salarié, ayant pour mission très belle et gratifiante d’aider le salarié, j’ai pris conscience que j’étais moi-même partie prenante de la double contrainte pouvant mettre très en difficulté les salariés que je rencontrais. Alors quelle conséquence cela a pu avoir sur mon identité professionnelle en particulier mais sur celle de mes anciens collègues en général ?
Ce n’est que très récemment que j’ai pris conscience que les conséquences étaient très importantes pour moi. En effet, je ne parvenais plus à gérer cette situation inconfortable, ce qui se traduisait pas des réactions de rejets, de résistance quant au travail prescrit. J’ai alors développé à l’extrême mes compétences au développement de marges de manœuvre me permettant de m’écarter de la consigne sans m’y opposer. Mais ce travail d’équilibriste étant devenu de plus en plus difficile, j’ai finalement saisi l’opportunité qui m’a été donné de changer d’emploi et de métier. J’ai alors pu prendre un poste en congruence à ma nouvelle identité professionnelle. Par « congruence » il faut comprendre que mon identité visée est de nouveau en accord avec mon identité biographique et mon identité intérieure au sens de C. DUBARD65 (1996) Ce qui signifie que mes identités sont en accord puisqu’elles sont 65
DUBAR, Claude. La socialisation : construction des identités sociales et professionnelles, Edition Armand Colin, 1996
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le produit d’un double compromis entre une identité pour autrui, assignée notamment par l’institution (mon employeur) et, une identité pour soi liée à ma biographie, ma trajectoire scolaire et mon identité visée (celle que je souhaite avoir). Je peux dire aujourd’hui que j’ai vécu une crise identitaire identique à celle que j’ai connu il y a 7 ans et qui m’avait déjà amené a changer d’emploi et de métier (déjà après la reprise d’études en cours d’emploi et la rédaction d’un mémoire).
J’ai alors pensé que mon intervention professionnelle devait se situer ailleurs. En effet, si le conseil en formation continue de me permettait plus d’accompagner les actifs, la GRH à un niveau local pourrait sans doute être une réponse : une nouvelle approche à explorer.
1.3 La GRH au niveau local :
la GTEC66 comme réponse à
l’injonction ?
Comment aider le salarié Lorrain à : -
continuer de s’intéresser au maintien de son employabilité,
-
avoir une appétence constante à la formation,
-
prendre conseil auprès de professionnels pour se tenir informé et être éclairé sur les possibilités et les nécessités,
-
se voir financer ses projets de formation et/ou de changement d’emploi…
Et plus largement : comment les pouvoirs publics ou acteurs sociaux économiques peuvent-ils accompagner ses salariés dans la nécessité de gérer leur sécurisation de parcours via le maintien de leur « compétences d’employabilité » ?
66
Gestion Territoriale des Emplois et des Compétences
105 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
Ceci sans risque de : -
au mieux décourager les salariés qui se mobilisaient dans ce sens,
-
au pire de briser la dynamique pour de longues années et favoriser un traumatisme sociétal.
La GTEC est-elle la nouvelle réponse ? Pour répondre à cette question, il m’a semblé rapidement intéressant de tourner ma réflexion vers le concept de GTEC. En effet, ce concept est relativement nouveau ; ou du moins « nouvellement utilisé » et sa traduction opérationnelle tient encore de l’expérimentation.. Pour mieux connaître ce nouveau concept RH j’ai décidé de m’appuyer sur deux ouvrages. Tout d’abord un article signé Hervé Dagand de l’association E.T.D.67 chargée de conseil et développement auprès des « acteurs » des territoires (élus, des techniciens des collectivités et de leurs groupements,…) avec deux volets d’action : recherche et développement (outils et méthode) mais aussi service et conseil.
GTEC : de quoi parle-t-on ? La GTEC recouvre une grande variété d’actions, mais cette diversité laisse apparaître des tendances communes, qui nous permettent d’affiner la définition de la GTEC : -
Construire un partenariat local sur l'emploi et les compétences
-
Elaborer la stratégie territoriale de l'emploi avec les acteurs de l'entreprise
-
Accompagner les entreprises dans leur gestion des ressources humaines
-
Apporter une réponse spécifique aux personnes éloignées de l'emploi
-
Encourager les coopérations inter-entreprises sur l'emploi et les compétences
67
Etd | Le centre de ressources du développement territorial / www.projetdeterritoire.com
106 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
Mais au-delà de ces termes, de cette typologie d’action, il est intéressant de creuser les pratiques réelles qui s’y rapportent aujourd’hui. Qui s’est saisi de ces sujets ? Et au-delà de « sujets » : qui a pris à bras le corps cette mission de GTEC ? Et qui en à la légitimité et la compétence ? Bien sûr, étant en poste au sein d’une maison de l’emploi, comme Chargé de mission en ressources humaines territoriales, depuis le mois de Mars 2011 , je suis au cœur de cette problématique. En effet, depuis la loi du 18 janvier 2005 (loi de programmation pour la cohésion sociale), a été créé un nouveau dispositif, les maisons de l’emploi (M.D.E.), « instruments mis à disposition des collectivités locales afin de leur permettre de remédier aux différentes carences du SPE (Service Public de l’Emploi) : -
Insuffisance des prévisions de besoins en RH au niveau des bassins d’emploi et inadaptation de l’offre de formation qui en résulte,
-
Absence de poste d’orientation unique de la politique d’emploi dans chacun des territoires
-
L’éparpillement des acteurs et l’absence de suivi individualisé des demandeurs d’emploi » (Jeannet et Schechter 2008)
Depuis cette prise de fonction (et déjà lors de mon intérêt pour le modèle), je ne compte plus les ouvrages de références, les essais, et les explicitations d’expérimentations réalisées dans le domaine de la GTEC68 (appelée aléatoirement GTEC, GPECT, ou encore GRHT). Aussi la tentation a été grande de poursuivre mon travail d’étude en postulant que mes nouvelles fonctions pourraient s’inscrire dans une action globale (à l’échelle d’un territoire) répondant en partie aux recommandations que je peux faire aujourd’hui en conclusion de ma recherche. 68
Etude d’expérimentations complété par ma participation à un forum de bonnes pratiques GTEC (Conférence Alliance Ville Emploi du 11 mai 2011)
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Mais il m’est finalement apparu que ce travail n’était pas souhaitable ; et cela pour au moins deux raisons : -
le temps dont je disposais était trop court pour engager ce qui s’apparenterait à un second mémoire avec un cadre théorique totalement différent.
-
ma pris de poste était très récente, la recherche de données empiriques auraient alors été encore difficile.
Aussi, la conclusion de mon travail de recherche est à chercher du point de vue sociologique et politique.
2. Une réponse de technicien en attendant mieux
Que nous apprend ces quelques pages ? Tout d’abord que la question d’orientation de la population et du citoyen est une question plus qu’ancienne qui a connu des évolutions constantes et de plus en plus rapides depuis l’ère industrielle et encore plus depuis les années 70. A cette question d’orientation, s’ajoute une question sociale : le citoyen doit-il s’orienter lui-même et surtout doit-il avoir la capacité à le faire ? Car cela pose la question de la pertinence de ses choix et des moyens culturels qui lui sont donnés pour parvenir à une orientation efficiente.
Mais pour l’étudiant en GRH et acteur du monde économique (et plus encore du système emploi-formation) que je suis, la question centrale (et moins philosophique) est celle-ci :
108 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
« Quelles conséquences peut avoir pour le citoyen-actif69 de devoir porter la responsabilité de son orientation dans le contexte socio-économique et législatif actuel ? ».
Comme on a pu le constater
tout au long de cette étude, la société (par
l’intermédiaire du législateur et des acteurs clés de l’économie) a décidé de confier aux salariés la responsabilité de son orientation continue. Il doit gérer son employabilité (et non pas seulement s’en préoccuper avec son entreprise) et faire les « bons choix »
sous peine de devoir assumer (moralement) son exclusion
économique.
Mais que constatons à travers le prisme de la théorie de la double contrainte ? Il est un fait admis aujourd’hui (alors que cela aurait pu paraître choquant il y a encore peu) que le salarié doit être acteur de son orientation, du maintien de son employabilité. Mais il m’est possible de dire aujourd’hui que cette injonction est une injonction paradoxale. Que cette injonction paradoxale s’apparente à une situation de double contrainte mettant le salariés dans une situation de risque traumatique. De plus, le fait d’avoir rendu la question de l’orientation comme une question transversale à toute la vie active du salarié, « a permis » à cette situation de devenir permanente ou du moins répétée. En effet, aujourd’hui on parle d’orientation continue (au même titre que la formation) et le miroir aux alouette du « droit à l’orientation » proclamé lors de la dernière réforme de la formation, ne va rien arranger.
Aujourd’hui l’orientation se réduit à de l’information que le salarié va pouvoir plus facilement trouver (via la plate-forme d’orientation dématérialisée mis en place par 69
est actif une personne étant en âge de travaillé exerçant une activité professionnelle ou étant en recherche de cette activité
109 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
l’état, la charte de certification des acteurs de l’AIO, la nouvelle organisation du conseil au sein des FONGECIF …). Au final, le salarié aura plus d’informations mais il lui manquera deux choses essentielles : -
les compétences en orientation (capacité de projection, analyse emploiformation,…)
-
l’accès plus large au financement des projets qu’il aura à construire
Par conséquent, ce dernier sera toujours dans le cadre d’une situation de double contrainte, renforcée par une injonction sociale qui se fait de plus en plus forte.
On le voit bien, les réponses politiques actuelles ne permettront pas de mettre fin à la une boucle paradoxale décrite par Paul WATZLAWICK. Au contraire elles devraient accentuer le phénomène et donc les risques de RPS. En effet, prenons l’exemple d’un salarié envoyé en formation « gestion de stress » (à l’issue de changements organisationnels souvent mal managés) et qui ne parvient toujours pas à gérer son stress à l’issue de la formation. Dans ce cas, ce dernier culpabilise et voit son stress augmenter. La formation n’ayant servie qu’à une chose : rendre le salarié responsable d’un stress qui n’était pas de son fait au départ. Aussi, dans le cas de la gestion de l’employabilité : l’injonction sociale, la mise à « disposition » de plate-formes d’information et de dispositifs de financement formation (non réellement mobilisables), provoquent un résultat identique.
Par conséquent, la piste de la GTEC comme concept de pilotage politique et économique, ne semble pas être une réponse à cette problématique. Car ce concept, cet outil de pilotage à une échelle nouvelle (celle du territoire et du développement local), peut favoriser la GRH et l’anticipation des besoins (ce qui n’est pas sans importance !) mais au même titre que la GPEC, il ne mettra pas fin à l’injonction paradoxale.
110 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
L’espoir pouvant toutefois résider dans le fait que la GTEC peut donner l’occasion à l’organe politique, de confier à nouveau à l’entreprise, une partie de la responsabilité de la gestion des compétences des salariés.
Cependant, les questions des moyens budgétaires donnant accès à la réalisation des formations, et l’accès au conseil à l’orientation, restent encore posées.
Face à la non réponse politique et économique, le conseiller doit changer de posture. Pour un conseiller FONGECIF (et de conseiller en mobilité professionnelle plus largement) il convient alors de s’interroger sur la posture qu’il conviendrait de prendre aujourd’hui dans un tel contexte. En effet, un professionnel doit pouvoir exercer en congruence avec son identité et sa fonction, en utilisant les marges de manœuvre dont il dispose. Or, on a pu le voir largement, il ne peut influer sur le manque de moyens financiers criant et sur la difficulté de conseiller de façon efficace et impartiale. Alors que doit-il faire ?
Si je n’avais pas fait le choix de changer de poste et de métier, il m’apparaît aujourd’hui clairement que j’aurais été dans l’obligation de prendre une posture professionnelle bien étrange : celle de freiner la construction de projets (de reconversion) des salariés pour les sensibiliser aux risques de se projeter. Car je le crois aujourd’hui : le conseiller doit repositionner la réflexion (son action de conseil) sur les enjeux et les déterminants du public accueilli en favorisant l’étude de la prise de risques. Mais en faisant cela, il doit souvent casser une dynamique pourtant prôner par le système et son institution :
celle de développer l’appétence à la
formation pour inciter les salariés à gérer leur employabilité.
111 « le salarié acteur de son employabilité : entre violence symbolique et injonction paradoxale »
En effet, il convient d’abord de mettre en garde le salarié sur un point essentiel : « Est-il judicieux de se projeter lorsque les chances de succès sont si faibles ? » le jeu en vaut-il vraiment la chandelle ?
Pour conclure je tiens toutefois à préciser ce point : loin de moi la volonté de montrer que la formation n’est pas un levier important de l’orientation, du maintien de l’employabilité et même d’ascenseur social : bien au contraire (et j’en ai moi-même largement profité). Non, ce que je pense aujourd’hui, c’est que les déterminants socio-économique sont tels, qu’il convient de tenter de décourager pour ne laisser « partir en projection » que les salariés qui sauront ensuite franchir les obstacles et/ou gérer sereinement les échecs. Le conseil en orientation devant devenir un conseil en gestion des risques (mesure du risque) à l’instar de la posture que prennent les conseillers en création d’entreprise qui cherchent à décourager avant d’accompagner.
Cette nouvelle approche du conseil en orientation est loin d’être celle que j’ai porté jusqu’à aujourd’hui, elle est également loin du discours officiel, de l’injonction sociale,…aussi elle est encore loin d’être celle pratiquée. Mais ne faudrait-il pas l’envisager rapidement dans l’attente de véritable changements socio-économique, afin de limiter les risques psycho-sociaux liés à cette situation de double contrainte ?
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Bibliographie
BATESON Gregory., Vers une écologie de l’esprit 2, Essais, New York, Editions du Seuil, 1972 DUBAR, Claude. La socialisation : construction des identités sociales et professionnelles, Edition Armand Colin, 1996 LOI no 2009-1437 du 24 novembre 2009 relative à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie (JO du 25 novembre 2009)
SAUTER Christian, L’entretien d’orientation dans l’accompagnement des demandeurs d’emploi : une activité clinique et multiréférentielle, Université Louis Pasteur Strasbourg 1, Thèse soutenue le 11/10/2005 DANVERS F, (1988), Le conseil en orientation en France. Issy les Moulieaux, Edition EAP (page 121-122) RAYNAL F. et RIEUNIER A., Pédagogie : dictionnaire des concepts clés GILBERT Patrick. La gestion prévisionnelle des ressources humaines , Repères La découverte, Paris, 2006 DIETRICH Anne, Le Management des compétences, Edition Vuibert, Paris, 2008 VASSILEFF, Jean. La pédagogie du projet en formation BOURDIEU Pierre, Raisons Pratiques sur la théorie de l’Action , Paris, Seuil, 1994 BOURDIEU Pierre, Stratégies de reproduction et modes de domination. In: Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 105, décembre 1994. GOLLAC Michel, Indicateurs provisoires des facteurs de risques psychosociaux au travail, DARES, octobre 2009 BOULANGER Philippe et COHEN Alain, Le Trésor des Paradoxes, Belin, 2007 la gestion prévisionnelle et préventive des emplois et des compétences en milieu hospitalier , L’Hartman, Paris, 1991 (p 285) « Guide d’action GPEC Territoriale » / ministère de l’économie de l’industrie et de l’emploi / Mai 2010
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