La Pointe Allard; une terre promise au cœur des Cantons de l'Est du XIXe siècle

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Yolande Allard

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De cette terre promise, en apparence isolée de tout circuit économique, Louis tire d’importantes ressources agricoles et forestières destinées à l’exportation. Chemin faisant, il entre en conflit avec ses concurrents et ses clients, qui ne tardent pas à apprendre de quel bois il se chauffe. Si ses tentatives d’entente à l’amiable ne trouvent pas d’écho, il s’en remet aux tribunaux pour obtenir justice. L’une des poursuites se termine à la Cour du Banc de la Reine, soit la plus haute instance judiciaire du Québec à l’époque. C’est grâce au support constant et à l’expertise de scieur développée par son fils aîné, Télesphore, que Louis peut faire progresser son commerce de bois. Homme de société et de naturel conciliant, Télesphore aime vivre au cœur de l’action. Vers 1907, il confie la gestion de la ferme de la Longue Pointe à son fils Pancrace, et déménage à L’Avenir où il s’emploie, entre autres, à la promotion, puis à la direction, de la caisse populaire et de la compagnie de téléphone. Le récit biographique de ces deux hommes s’appuie sur des informations tirées de divers centres d’archives publiques et sur des anecdotes confiées à l’auteure par les « survivants » de la Pointe Allard.

Originaire de Drummondville, Yolande Allard est titulaire d’une maîtrise en histoire décernée par l’université Bishop’s (Lennoxville). L’objet de son mémoire était la présence du Saumon atlantique dans la rivière Saint-François au XIXe siècle. Depuis, elle a collaboré à diverses études et publications sur l’histoire de Drummondville.

La Pointe Allard une terre promise au cœur des Cantons de l’Est du XIXe siècle

1866… Avec femme et enfants, Louis Allard (34 ans) quitte sa ferme exiguë de Baie-du-Febvre pour s’établir à la Longue Pointe du canton de Wickham, sur un domaine exploité par des Anglophones d’origine américaine depuis près d’un demi-siècle.


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Yolande Allard

Éditions Histoire Québec Collection Société d’histoire de Drummondville


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Couverture Toile :

Maurice Richard (1946- ) Artiste-peintre et politicien Bécancour, Québec, Canada Beauté ancestrale Huile sur toile, 16 sur 20 pouces, automne 2001 Collection madame Yolande Allard

Photographie :

C 1895 – Louis Allard (65 ans) et sa femme Olive Côté (60 ans) quelque 30 ans après avoir quitté la seigneurie de Baie-du-Febvre pour s’établir dans la Longue Pointe du canton de Wickham, familièrement appelée « Pointe Allard ». Quatorze enfants sont nés du mariage d’Olive et de Louis.

Conception graphique :

Tattoo Communication

Éditions Histoire Québec Collection Société d’histoire de Drummondville © Yolande Allard - (819) 475-9546 yolande.allard@dr.cgocable.qc.ca Tous droits réservés Imprimé au Canada Dépôt légal 4e trimestre 2003 Bibliothèque nationale du Québec Bibliothèque nationale du Canada ISBN 2-89586-010-6


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À mes filles, Caroline et Julie, héritières de l’énergie déployée par l’ancêtre Louis Allard et son épouse Olive pour réussir leur projet de vie.


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Table des matières Préface Remerciements Notes

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Introduction

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Chapitre premier En quête d’une terre d’avenir

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Chapitre 2 La Longue Pointe de Wickham : un espace amérindien défriché par des Anglophones

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Chapitre 3 31 e L’environnement de la Longue Pointe au XIX siècle Chapitre 4 Louis Allard, entrepreneur

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Chapitre 5 Louis Allard, revendicateur

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Chapitre 6 La vie familiale des Allard

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Chapitre 7 La progéniture d’Olive et de Louis Allard

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Chapitre 8 Les origines de Louis Allard

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Annexe 1 Fléau de sauterelles et tempête de grêle

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Annexe 2 Album souvenir des enfants de Célinie et de Télesphore Allard

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CABINET DU LIEUTENANT-GOUVERNEUR QUÉBEC

Louis Allard, votre aïeul… Jusqu’à 1866, j’ai remonté le fil du temps J’ai retrouvé avec fierté ma Longue Pointe de terre Que berçait doucement la rivière Saint-François En compagnie d’Olive et de mes onze enfants Nous y avons pris racine, y avons meublé les années De la terre, j’ai tiré mon pécule Du bois, du foin, en abondance, furent livrés tout autour J’ai trimé dur, j’ai bâti une noble maison Sur cette terre d’avenir que j’ai tant aimée Mes enfants ont étudié, continué et rayonné un peu partout Car ils avaient du caractère Et ni l’action ni les distances ne savaient les effrayer Voilà qu’aujourd’hui, Yolande ouvre la boîte de mes souvenirs Pour raconter à son père Rolland comme à tous mes descendants Ce que fut la vie de la famille Allard Sur cette terre promise au Cœur des Cantons de l’Est Que ces trésors d’autrefois vous révèlent L’importance de l’hier et les beautés de l’aujourd’hui Mais surtout, qu’ils vous permettent de croire fermement en demain Car la Vie est une éternelle aventure où se rédige la plus belle des Histoires Celle qui est nôtre, celle qui s’écrit à l’encre de nos jours

Lise Thibault Lieutenant-gouverneur du Québec 7


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Remerciements Ce projet d’écrire un récit biographique sur mon ancêtre Louis Allard m’habite depuis de nombreuses années, mais il a véritablement débuté à l’automne 2000. De nombreuses personnes y ont généreusement contribué et j’aimerais ici en remercier quelques-unes. D’abord, mon père Rolland, âgé de 94 ans, de qui j’ai hérité la passion pour l’histoire, la petite et la grande. Il m’a accompagnée dans diverses visites sur le terrain, beau temps mauvais temps, et s’est prêté de bonne grâce à plusieurs entrevues au pied levé. Mon mari, André Paquin, qui n’a pas ménagé ses encouragements, surtout pendant les bas. Mon frère Louis, qui a réalisé un plan de localisation des bâtiments de la ferme de la Longue Pointe avec la minutie qu’on lui connaît. Mon ami Benoit Paré, dont le regard porté sur ces pages a été des plus utiles. Je tiens à souligner la collaboration du professeur Yvan Rousseau de l’Université du Québec à Trois-Rivières, du professeur Derek Booth de l’Université Bishop’s et du professeur Jack Little de l’Université Simon Fraser. Les centres d’archives publiques et privées se sont révélés fort précieux. Je salue l’assistance attentive de Yves Martin et de Murielle Coutu des Archives nationales du Québec (centre de Trois-Rivières), de Francis Leblond de la Fédération des Caisses populaires Desjardins, de Guy Bélanger de la Société historique Alphonse-Desjardins, de Solange Tardif du Palais de justice d’Arthabaska, de Michel Leblanc du Centre documentaire Côme-Saint-Germain, de Denis Fréchette et de Marie Pelletier du Séminaire de Nicolet, de Chantale Isabelle de la municipalité de Saint-Nicéphore, de Martin Boisvert, conservateur des archives de la Commission scolaire de Wickham-Est, de Chantal Landry du Centre hospitalier Robert-Giffard et de madame Croxen de Bell. Toutes les portes où j’ai frappé se sont ouvertes. Merci à Aline Allard-Arel, AnneMarie Allard-Lavertu, Guy Allard, Geneviève Boisvert, Gisèle Allard-Brousseau, JeanLouis Allard, Jeanne-d’Arc Allard-Murril, Louise Allard-Gagné, Mariette Allard-Cusson, Paul Allard, Rita Allard-Leclerc, Camille Boisvert, Fernande CayerMarchand, Noëlla Cayer-Côté, Réginald Chénard, Annette Cloutier-Lemire, Monique Cloutier, Andrée Côté-Carson, Louis-Marie Côté, Paul Côté, Jean-Baptiste Crépeau, Micheline Dumont, Yolande Holzl, Jim Hosking, Barry Husk, Lorraine Lacharité, Rose-Marie Leblanc, Monique Marcotte-McDonald, Jacqueline Millette, Denise Proulx, Marie-Paule Rajotte-La Brèque, Madeleine Renaud-Letarte, Marie Renaud, Maurice Richard, Ferdinand Smith. Y. A. 9


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Notes 1. Bien que le système métrique soit officiellement en usage au Québec, nous avons choisi d’exprimer les mesures selon le système impérial. Pour le bénéfice des lecteurs, nous incluons la table d’équivalences métriques tirée du Grand dictionnaire terminologique, publié par l’Office québécois de la langue française (http://www.granddictionnaire.com) : 1 mille équivaut à 1,61 kilomètre 1 arpent (mesure de surface) équivaut à 0,85 acre ou 0,34 hectare 1 arpent (mesure de longueur) équivaut à 58,47 mètres 1 pied équivaut à 30,48 centimètres 1 pouce équivaut à 2,54 centimètres 1 livre équivaut à 489,5 grammes 2. Dans les tableaux, l’abréviation AD signifie « absence de données ». 3. Dans les citations, aucune correction grammaticale ou orthographique n’a été effectuée. 4. Les références sont rédigées selon le protocole en vigueur à la Faculté des Arts de l’Université de Sherbrooke en 1985.

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Coll. Ferdinand Allard

1946 – Vue aérienne de l’extrémité de la Pointe Allard alors que la rivière Saint-François fait un virage à 140o décrivant ainsi une longue pointe, aussi appelée « bec de canard ».


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Introduction

« Quand on cultivait à Pointe, on n’avait en masse pour nourrir le troupeau toute l'année de cinq arpents carrés de foin, à peu près la largeur de la rivière. Dans ce temps là, on avait au moins 36 vaches à lait, des taures, des veaux, des chevaux, des moutons… On mettait deux hommes à chaque bout du champ pour dire au gars assis sur le moulin la place où il avait passé. Y avait pas de différence entre le foin debout et celui fauché. On avait même pas à le mettre en ondins. À Pointe, on a jamais eu besoin de ça un râteau. Tout ce qu’on avait à faire, on accrochait le chargeur sur le rack à foin tiré par deux chevaux qui s’en allaient juste au petit pas, car deux bonnes jeunesses sur le voyage fournissaient quasiment pas à placer le foin1. » Une anecdote parmi tant d’autres racontées par l’oncle Archibald Allard, né à la Longue Pointe en 1891. Son immense fierté pour la ferme familiale, couplée à une verve peu commune, a fait naître et grandir chez les descendants de la Pointe Allard un fort sentiment d’appartenance, qu’Archibald appelait « sentiment national ». Nous en savions bien peu, cependant, sur ces hommes et sur ces femmes qui ont foulé cette terre d’abondance il y a 150 ans, leurs origines, leur labeur quotidien, leur vie familiale et sociale, et ce, dans un environnement retiré. Nous avons d’abord consulté les livres d’histoire locale, les recensements, les registres d’état civil, les archives municipales et scolaires, et les actes

notariés conservés au Bureau d’enregistrement. À la lumière des informations recueillies, nous avons pu établir que l’ancêtre des Allard de la Longue Pointe, prénommé Louis, a émigré avec femme et enfants à la fin de l’hiver 1866. Issu d’une famille terrienne de Baie-du-Febvre, Louis possédait déjà un pécule suffisamment important pour acheter la plus belle ferme de tout le canton de Wickham (dont fait partie la Longue Pointe), défrichée et exploitée depuis près d’un demi-siècle par des Anglophones d’origine américaine. Lors de son décès, survenu en janvier 1902, Louis laisse dans le deuil son épouse Olive et onze enfants instruits en quête, à leur tour, d’un environnement propice à l’épanouissement de 13


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leurs talents. Un fils médecin pratique déjà dans le Vermont, quatre enfants partiront sous peu pour les terres à blé du Dakota, cinq autres s’adonnent à l’agriculture ou à des métiers connexes dans la région et, enfin, une fille institutrice prend le voile. Une histoire ponctuée de naissances, de mariages, de deuils et de départs vers les États-Unis, semblable à celles de centaines d’immigrants francophones des Cantons de l’Est du XIXe siècle. Jusqu’au jour où nous découvrons, dans les archives du Palais de justice d’Arthabaska, trois poursuites judiciaires intentées par Louis, dont l’une se termine à la Cour du Banc de la Reine, soit la plus haute instance judiciaire du Québec à l’époque. Cette nouvelle source d’information nous a révélé la nature et l’ampleur des activités commerciales dirigées par Louis ainsi que son caractère revendicateur. En effet, de la forêt et de la terre de la Longue Pointe, en apparence isolées de tout circuit économique, Louis tire d’importantes ressources destinées à l’exportation. Par milliers, des billes de pin et d’épinette sont jetées dans la rivière Saint-François au printemps pour atteindre les mégascieries en bordure du fleuve, alors que les planches et les madriers sciés à son moulin sont transportés au chemin de fer qui s’avance jusqu’à L’Avenir. De même, des tonnes de foin pressé sont acheminées vers les grandes villes canadiennes et américaines. 14

Chemin faisant, Louis entre en conflit avec ses concurrents et ses clients, qui ne tardent pas à apprendre de quel bois il se chauffe. Si ses tentatives d’entente à l’amiable ne trouvent pas d’écho, il s’adresse à ses contradicteurs par l’intermédiaire de l’avocat Eugène Crépeau. Ce dernier le convainc à trois reprises d’aller devant les tribunaux pour obtenir un règlement équitable. Louis gagne tous ses procès, mais au prix de combien de tracas, d’argent et d’énergie, puisqu’il doit parcourir 35 milles, au pas de cheval, pour se rendre au cabinet de son avocat situé à Arthabaska ou pour assister aux procès qui se déroulent dans le même lieu. Dans la conduite de ses affaires, Louis fait également preuve d’une grande volonté d’action et de ténacité pour surmonter les obstacles. Il multiplie les voyages jusqu’à L’Avenir (8,5 milles), Richmond (16 milles) ou Drummondville (12 milles) pour conclure un marché, rencontrer des soustraitants, acheter et prendre livraison d’équipement… Il connaît un succès financier certain. Mais il n’est pas du genre séraphin ; il faut, pour lui, que cet argent soit employé : ou il fructifie dans quelque négoce ou il est dépensé pour le bien-être des siens, ce qui se traduit, entre autres, par la construction d’une résidence familiale bourgeoise et l’accès à des études supérieures pour tous ses enfants.


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C’est grâce au support constant et à l’expertise de scieur de son fils aîné, Télesphore, que Louis peut faire progresser son commerce du bois. C’est d’ailleurs Télesphore qui prend la relève de la ferme familiale après le décès de son père. Homme de société et de naturel conciliant, Télesphore aime vivre au cœur de l’action. Dès qu’il peut confier la gestion de la ferme de la Longue Pointe à son fils Pancrace, il déménage à L’Avenir où il s’emploie activement à la promotion de services modernes. Aussi le retrouvet-on au nombre des fondateurs, puis à la direction, de la Caisse populaire et de la compagnie de téléphone.

Le récit biographique sur le fils Télesphore de même que ceux de ses frères et sœurs sont enrichis de nombreux témoignages livrés en 2001 et 2002 par leurs petits-enfants (tous âgés de plus de 70 ans). Avec enthousiasme et transparence, ils ont accepté de répondre à nos questions et d’ouvrir leurs albums souvenirs truffés de photographies évocatrices du plus beau profil des gens que nous tentions de décrire ; deux nouvelles sources d’information qui ont contribué à humaniser les événements et le quotidien de quelques membres de la famille, dont le grand-père Télesphore et sa douce Célinie. 15


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Le présent ouvrage sur les Allard de la Longue Pointe est divisé en huit chapitres. Le premier explique la motivation qui a poussé l’aïeul Louis et son épouse Olive à s’éloigner de la voie commerciale du Saint-Laurent pour s’établir dans le lointain canton de Wickham. Le chapitre deux décrit l’environnement économique de la Longue Pointe durant la deuxième moitié du XIXe siècle, en particulier les espoirs et les déceptions suscités par le South Eastern Railway. Le chapitre trois présente les gens qui ont foulé le sol de la Longue Pointe bien avant les Allard, soit des Abénaquis itinérants et des colons défricheurs d’origine américaine du nom de Reed et de Barlow. Le chapitre quatre se penche sur les activités commerciales auxquelles Louis se consacre, soit la culture extensive du foin et l’exploitation forestière. Le chapitre cinq porte sur le personnage Louis Allard, ambitieux, énergique et assuré de son droit. Le chapitre six s’intéresse à la vie familiale des Allard dans leur résidence bourgeoise, l’éducation à l’école de rang et le rôle vital d’Olive, la fidèle gardienne du foyer. Le chapitre sept se veut le récit biographique de Télesphore, auquel nous avons joint de

brèves informations sur dix de ses frères et sœurs afin de sauvegarder le peu d’informations que nous avons pu recueillir sur chacun d’eux. Le chapitre huit rappelle l’arrivée en NouvelleFrance, en 1666, du patriarche François Allard, suivi de sa future épouse Jeanne Languille en 1673. Pour terminer le chapitre, nous déclinons les quatre générations qui séparent François de son arrière-arrièrearrière-petit-fils Louis. Enfin, en annexes, nous avons inséré deux faits de désastres naturels qui ont frappé la région de L’Avenir, soit un fléau de sauterelles et une tempête de grêle tels que décrits par le notaire-historien Saint-Amant. Les dernières pages réunissent les plus belles photographies recueillies au cours des entrevues sur la vie d’Aloysius, Julia, Pancrace, Archibald, Hortense, Béatrice et Stéphanette, tous enfants de Télesphore Allard et de Célinie Proulx. Ce livre est le fruit de plusieurs mois de recherche et d’entrevues. L’auteure espère qu’il contribuera à sauvegarder la mémoire des habitants de la Longue Pointe du canton de Wickham, connue aussi sous le nom de « Pointe Allard ».

Une anecdote entendue par Louis-Rolland Allard, à l’été 1950, alors qu’Archibald Allard visitait son neveu Rolland à sa résidence d’été située en bordure de la Saint-François, sur la rive opposée à celle de la grand’maison.

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En quête d’une terre d’avenir

Au milieu du XIXe siècle, Louis Allard (21 ans) et Olive Côté (17 ans) convolent en justes noces à Baie-duFebvre, un village arrosé par le fleuve Saint-Laurent, à quelque six milles à l’est de l’embouchure de la rivière Saint-François. Le jeune couple voit peu d’avenir dans l’agriculture en raison de la faible superficie de terre arable dont il dispose et de la rareté des terres à acheter pour agrandir leur domaine, comme c’est le cas, d’ailleurs, pour l’ensemble des seigneuries découpées dans la vallée du Saint-Laurent. De fait, de 1784 à 1844, la population canadienne-française du Bas-Canada a augmenté de 400 %, alors que la superficie des terres occupées n’a crû

que de 275 %1. Afin de remédier à ce problème de surpeuplement, les fermes familiales ont été subdivisées. C’est ainsi qu’à l’occasion de son mariage, Louis a reçu de son père PaulJoseph un lopin de 1 1/2 arpent de front sur 9 arpents, sur lequel il a construit une maison, une grange et une étable. Sur trois autres lots, isolés les uns des autres, Louis sème le blé et l’avoine. Louis et Olive envisagent d’émigrer dans les Cantons de l’Est, où plusieurs parents et amis ont pris racine, surtout depuis 1850, alors que le clergé catholique prend l’initiative de fonder des paroisses. C’est dans le canton de Wickham qu’on les retrouvera au printemps de 1866.

Maison de ferme située dans le rang Petit-Bois, à Baie-du-Febvre. Louis Allard reçoit cette ferme de son père Joseph, à l’occasion de son mariage célébré en juillet 1852. Jean-Baptiste Caya s’en porte acquéreur en 1866, alors que Louis émigre avec sa famille à la Longue Pointe du canton de Wickham.

Coll. Albina Courchesne

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Louis et Olive émigrent à la Longue Pointe

Sans tarder, Louis se départit de sa ferme située à Baie-du-Febvre ainsi que des trois terres en culture, totalisant à elles quatre environ 120 arpents. Ces ventes lui rapportent 1450 $ et le libèrent d’une redevance à vie rattachée à une des terres2. Les transactions lui rapportent en moyenne 12 $ l’arpent, alors qu’on avait établi à 16 $ l’arpent la valeur au comptant de la terre à Baie-du-Febvre lors du recensement agraire de 18613. L’écart entre le prix du marché et le prix vendu est peut être attribuable au fait que 90 arpents ont été vendus à Jean-Baptiste Côté, le père de son épouse Olive4.

En 1865, Louis apprend la mise en vente de la ferme Barlow située dans le canton de Wickham, plus précisément dans la Longue Pointe que décrit la rivière Saint-François lorsqu’elle quitte le canton de Durham. La valeur marchande de la ferme et son potentiel forestier au carrefour d’un réseau routier et fluvial suscitent des perspectives alléchantes de commerce. La Longue Pointe s’étend sur 1400 arpents, dont une partie particulièrement fertile en raison des dépôts apportés par les crues printanières. La partie boisée recèle les plus belles espèces de chêne, de pin, d’érable et de Aux héritiers Barlow Louis Allard hêtre. La ferme Barlow occupe 375 paie 3500 $ pour la ferme de la Longue Pointe sur laquelle s’élèvent arpents, dont 235 déboisés.

Carte établie par Yolande Allard en avril 2003

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une maison, une grange, des étables et autres bâtisses5. Le marché, à raison de 9 $ l’arpent, semble équitable pour les deux parties, puisque la valeur moyenne du fonds de terre, excluant l’équipement agricole et le bétail, est de 9 $ à 14 $ l’arpent dans les cantons prospères tels que Durham, et elle monte à 20 $ et plus dans les cantons de très riche agriculture comme Stanstead. Les superficies des propriétés transigées entre individus sont rarement inférieures à 120 arpents et leur prix varie en fonction de la nature des sols, des améliorations apportées à la propriété et aux bâtiments ainsi que de l’état de développement du canton6.

« Olive, ramasse les petits, on part! » À la fin de l’hiver 1866, Louis, Olive et leurs cinq enfants (Olive, 11 ans, Télesphore, 9 ans, Louise, 7 ans, Omer, 5 ans, Georges, 1 1/2 an) quit-

tent le village de Baie-du-Febvre en direction de la Longue Pointe. Ils laissent derrière eux la petite maison à pignon lambrissée de planches blanchies à la chaux et de nombreux parents à portée de voix. Ici les terres sont étroites et longues, et les maisons si proches les unes des autres qu’on n’a qu’à cligner de l’œil et les voisins accourent. Cette proximité a développé la grande sociabilité des Canadiens français des seigneuries. On se visite souvent, et joyeusement! Pas moins de 35 milles séparent Baiedu-Febvre de leur nouvelle demeure. Au terme du voyage en traîneau, alors qu’ils traversent la rivière Saint-François encore gelée, leur regard embrasse les grandes prairies couvertes de neige et la maison construite par les Barlow 35 ans plus tôt à demi cachée par des arbustes et des arbres. Un seul voisin à l’horizon, soit la famille de Leonard Manseault, avec qui ils lutteront pour obtenir une école à proximité.

Références chapitre 1 1

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J. Lamarre, Les Canadiens-français du Michigan – Leur contribution dans le développement de la vallée de la Saginaw et de la péninsule de Keweenaw 1840-1914, Québec, Septentrion, 2000, p. 15-16. Bureau d’enregistrement de Saint-François-du-Lac (BESFL), A-XVII-17-11060, A-XVI-365-10934, A-XVI-177-10495. Recensement du Canada 1861, tableau 12 – Bas-Canada, rapport du recensement agraire pour 1861. BESFL, A-XVI-177-10495. Bureau d’enregistrement de Drummondville, B-8281. J.-P. Kesteman et al., Histoire des Cantons de l’Est, Québec, P.U.L., Éditions de l’IQRC, 1998, p. 237.

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Les voies de communication desservant le bas Saint-François au XIXe siècle Carte établie par Yolande Allard, en août 2001, à l’aide des deux sources suivantes : 1. Une carte des Cantons de l’Est réalisée en 1833 par la British Land Co, in The Eastern Townships A Pictorial Record, Montreal, DEV-SCO publ., 1962. 2. Un article de Jules Martel, intitulé « La route de la Saint-François, embranchements vers Nicolet », in Les Cahiers nicolétains, vol. 1, no 2, Société d’histoire régionale de Nicolet, juin 1979, pp. 5-13.


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Les voies de communication du Bas-Saint-François

À l’ouverture du canton de Wickham, la rivière Saint-François est la seule voie de pénétration. Malheureusement, la navigation y est contrariée par de nombreux obstacles. De la limite sud du canton jusqu’à l’embouchure, Bouchette signale trois endroits où des chutes obligent à décharger les radeaux ou les barques, à portager et à recharger les marchandises, sans compter les rapides et les zones de courant très lent1. De nombreux bacs, dont un ancré à la Longue Pointe, facilitent les échanges entre les deux rives, bien que les hautes eaux du printemps et de l’automne rendent leur traversée dangereuse. En hiver, la rivière gelée permet néanmoins le déplacement en raquettes ou en traîneau. Le recours limité à la navigation rend plus aigu le besoin de bonnes routes de pénétration. On trace d’abord des sentiers qui traversent de vastes étendues inhabitées, souvent couvertes de marais. Quand la terre est gelée, avant les neiges abondantes, on abat les arbres les plus gênants que l’on place côte à côte et perpendiculaire au tracé du chemin. C’est un chemin de « corderoy ». L’obligation d’ouvrir ces chemins, de les réparer et de les entretenir est dévolue, mais sans grand succès, aux concessionnaires, pour la plupart non résidents. L’Acte des municipalités et des chemins, sanctionné en 1855, transfère aux municipalités la responsabilité de construire et d’entretenir les chemins publics. L’amélioration ne tarde pas à se faire sentir2. Sur la rive ouest de la Saint-François, on termine, en 1830, la construction du chemin des Commissaires qui relie le fleuve Saint-Laurent aux États de la Nouvelle-Angleterre. On commence cette année-là le service postal sur une base régulière. Sur la rive est de la Saint-François, trois chemins ayant pour origine Baie-du-Febvre (Saint-Antoine), Nicolet et Saint-Grégoire, se rejoignent vis-à-vis de la Longue Pointe de Wickham pour ne former qu’une seule route jusqu’à Richmond.

1 2

J. Bouchette, Topographical Description of Lower Canada, London, W. Faden, 1815. M. Milot, « Le système routier », Recueil historique, article 15. Drummondville, Institut des Études socio-économiques du Centre-du-Québec, 1989, p. 4.

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Coll. Musée McCord, MP-1974.133.12

La drave sur la rivière Saint-François à la fin du XIXe siècle. Au printemps, sitôt les glaces disparues, Louis Allard (voir p. 47) et d’autres entrepreneurs forestiers lancent dans la rivière les billes de pin et de pruche, familièrement appelées « pitounes », coupées durant l’hiver précédent. Pour prévenir les embâcles, ils font appel à des draveurs agiles et habiles à manier la gaffe, cette perche en bois d’une douzaine de pieds de longueur terminée par une pointe en fer servant à pousser les billes et par un crochet pour les tirer.


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La Longue Pointe de Wickham — un espace amérindien défriché par des Anglophones

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Amérindiens à l’affût d’un relais stratégique et giboyeux et colons en quête d’une terre généreuse et facile d’accès se sont succédé sur l’immense plaine boisée identifiée par l’arpenteur général Bouchette comme la Longue Pointe du canton de Wickham. À l’exception des Barlow qui vendent leur ferme à Louis Allard en 1866, Abénaquis et défricheurs ont laissé peu de traces de leur passage. Leur contribution à l’histoire de la Longue Pointe mérite, cependant, de s’y attarder.

signifie « pays qui est à l’est », sont originaires des vallées de la Merrimack et de la Connecticut, dans les limites approximatives du Vermont et du New Hampshire actuels2. Harcelés par les colons américains qui convoitent leurs riches territoires et considérés comme sympathisants des Français, les Abénaquis sont contraints de se réfugier plus au nord. En 1682, le gouverneur Frontenac leur octroie le droit de chasse et de pêche sur tout le bassin drainé par la rivière SaintFrançois, soit du fleuve Saint-Laurent à la frontière du Vermont. Les Les Amérindiens de l’époque autorités coloniales s’assurent ainsi historique d’un bassin de guides, de pagayeurs et parfois de guerriers d’appoint pour des À l’arrivée des Européens en expéditions punitives sur les établisseAmérique, le sud du Québec est ments anglais de la Nouvelleoccupé par les Iroquois. En 1610, Angleterre3. Champlain attaque le fort érigé par les Mohawks sur le site de la future ville Un village permanent, du nom de de Sorel. La défaite amérindienne a Odanak, prend peu à peu forme à six pour effet de limiter les incursions milles de l’embouchure de la Saintmohawks dans les Cantons de l’Est1 et François. En 1711, Odanak regroupe de permettre aux Abénaquis de quelque 1300 membres de la tribu des fréquenter à nouveau la région. Abénaquis. La population déclinera sans cesse en raison, notamment, des Les Abénaquis, dont le nom tire son épidémies et des raids meurtriers. Elle origine du vocable WÔBANAKI qui se situe aux alentours de 400 en 1805. 23


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Les Abénaquis dans la région de L’Avenir

Quand la Longue Pointe avait un nom amérindien

Au début du XIXe siècle, les autorités coloniales concèdent à 17 familles abénaquises pas moins de 10 000 arpents dans le canton de Durham aux conditions de s’y établir, de les cultiver et de ne jamais pouvoir les vendre ou louer4. Deux villages naissent de cette concession, dont le plus important est situé à L’Avenir, à l’intersection du 2e Rang et de la route Boisvert. Il y a près de chaque maison un petit potager surtout consacré à la culture du maïs5. Peu attirés par l’agriculture, les Abénaquis déclinent rapidement. Le recensement de 1831 indique la présence de 49 fermiers et chasseurs Abénaquis dans le canton de Durham, alors que celui de 1851 en dénombre 26 seulement. Quelques citoyens de L’Avenir ont signalé la présence, au début du XXe siècle, de deux Métisses dénommées Catherine et Mary-Ann Lawless. Leur père, John Lawless, était d’origine irlandaise, alors que leur mère, Ann, dont on ne connaît que le prénom, était inscrite à titre d’indienne au recensement de 18716. Pour assurer leur subsistance, Catherine et Mary-Ann concoctaient des médicaments à partir d’herbe et d’écorce, et fabriquaient des paniers de foin d’odeur et d’autres, plus forts, avec des éclats de frêne7.

Si la plupart des Abénaquis émigrent au nord du Saint-Laurent afin de maintenir leur mode de vie traditionnel, ils n’en continuent pas moins de circuler sur la rivière Saint-François pour pêcher et chasser, mais aussi pour se rendre aux États-Unis, chaque été, y vendre les paniers en vannerie de frêne fabriqués pendant l’hiver8. Sur le parcours, ils construisent des cabanes de place en place, que chacun répare à son tour. Un des relais les plus fréquentés se trouve à l’extrémité de la Longue Pointe ; les Abénaquis s’y reposent avant de poursuivre leur randonnée ou d’entreprendre le portage vers la rivière Nicolet qui coule à moins de quatre milles au nord-est. Ils désignent l’endroit par KWANAHOMOIK, qui signifie « là où la rivière fait une longue pointe »9.

La petite prisonnière Le récit d’une mésaventure transmise depuis plusieurs générations chez les Allard rapporte qu’un jour l’aïeul Louis et son épouse Olive voient venir, seule, une fillette éplorée. Son cou et ses vêtements sont maculés de sang. Après lui avoir prodigué les soins d’usage, ils la questionnent sur sa blessure et sur sa famille, pour apprendre que l’enfant a été enlevée à ses parents de race blanche et que ses


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ravisseurs amérindiens ont l’habitude de lui clouer l’oreille à une souche lorsqu’ils s’éloignent pour chasser ou pêcher afin qu’elle ne puisse leur échapper. Ce jour-là, après leur départ, l’enfant s’est endormie ou évanouie et, dans sa chute, s’est déchiré le lobe. Libérée de sa souche, elle a pris la fuite en suivant le bord de la rivière, un parcours dans la boue ou sur le galet de près de deux milles qui l’a menée jusqu’à la grand’maison. Adoptée par Louis et Olive, la fillette aurait fini ses jours avec eux20.

Holland (Massachusetts), Stanstead et Sherbrooke où elle parvient à la rivière Saint-François qu’elle descend en canot12. Comme plusieurs autres familles américaines qui s’installent dans les Cantons de l’Est au début du XIXe siècle, les Reed espèrent y trouver des terres de pâturage devenues très rares en Nouvelle-Angleterre ainsi que des sols légers, fertiles et bien drainés qui conviennent aux techniques agricoles qu’ils ont mises au point dans un environnement essentiellement semblable.

Dans son histoire de Saint-Françoisdu-Lac, Mgr Charland rapporte que, jusqu’à la Conquête (1760), les Abénaquis ramenaient fréquemment des prisonniers, surtout des enfants, lors de leurs expéditions contre les villages de la Nouvelle-Angleterre. Le but de ces captures était d’obtenir de fortes rançons. Du village d’Odanak les prisonniers étaient conduits à Montréal et vendus à des Canadiens11. La péripétie de la petite prisonnière recueillie par Louis et Olive se serait passée un siècle plus tard, soit vers 1870.

Selon le notaire Saint-Amant, Reed devient propriétaire d’une des premières vaches à paître dans les Cantons de l’Est. C’est une petite vache canadienne acquise à Saint-François-duLac d’un chef abénaquis, et qu’il va chercher à pied en l’absence de routes carrossables. Le retour se fait de même, tantôt sur la rive de la Saint-François, tantôt à travers la forêt. Reed, portant sur ses épaules le veau de sa petite vache, bat la marche et partage la traite avec son protégé. Avec le lait de cette vache, Mary fabrique une livre de beurre par jour vendue à Drummondville pour deux shillings13.

Reed, le SQUATTER

En l’absence d’un dépôt de contrats d’achat et de vente au nom de Webber Reed au Bureau d’enregistrement de Drummond, on peut supposer que les Reed sont des squatters, c’est-à-dire qu’ils occupent illégalement les terres de la Longue Pointe. Quoiqu’il en soit,

Vers 1812, Webber Reed, originaire du Massachusetts, s’établit à la Longue Pointe de Wickham avec sa femme Mary Gee et ses trois enfants. La famille Reed parcourt les cantons de

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leur séjour est de courte durée, les Reed préférant s’installer en permanence à une quinzaine de kilomètres en amont de la rivière Saint-François et devenir les premiers défricheurs du village d’Ulverton peu après 181414. Ils abandonnent la maison de bois rond et quelques pierres tombales, dont celle de Benjamin Reed (père de Webber), mort de la petite vérole contractée des Amérindiens15. Le cimetière privé Reed sera connu ultérieurement sous le nom de cimetière Barlow.

Aucun document ne permet de localiser la maison Lindsay à la Longue Pointe. Il est fort peu probable que Lindsay l’ait lui-même habitée compte tenu de ses nombreuses occupations à Québec. Lindsay est avant tout un spéculateur qui souhaite lotir sa concession et l’offrir, avec grand bénéfice, à des immigrants désireux de s’installer dans la région19.

Lindsay, le spéculateur

Établi en 1803, le canton de Wickham est au nombre de la centaine de cantons formant la région des Cantons de l’Est. Les cantons sont généralement de forme carrée de 10 milles de côté, excepté ceux adjacents à une rivière navigable, tel le canton de Wickham, qui a 9 milles de front et 12 de profondeur. L’arpenteur général du Canada, Joseph Bouchette, qui visite le canton de Wickham avant 1815, note que « le township a l’avantage d’être traversé en front par la belle rivière de St. François, qui par ses détours arrose complètement les meilleures terres ». Bouchette se montre moins enthousiaste pour le reste du canton qu’il décrit en ces termes : « l’intérieur et le fond de ce terrain sont si marécageux, et si couverts de cèdres, de pruches blanches, et de sapinettes, qu’ils sont peu susceptibles de culture »20.

Lors d’une deuxième visite du canton de Wickham, vers 1830, Bouchette constate la présence d’une maison à la Longue Pointe, sur une grande ferme exploitée par William Lindsay16. Ce dernier s’était fait concéder, entre 1802 et 1822, quelque 12 000 arpents dans le canton de Wickham, dont les 1400 arpents de la Longue Pointe17. C’est une pratique courante à l’époque de l’ouverture des Cantons de l’Est de concéder d’immenses étendues du domaine de la Couronne à des marchands amis du pouvoir et à des hauts fonctionnaires. Notre Lindsay est à la fois marchand et haut fonctionnaire, puisque tout en continuant de tenir son commerce de marchandises sèches et de boissons alcoolisées à Québec, il assume la charge de juge de paix et celle de greffier de l’Assemblée législative18. 26

Un canton colonisé par des miliciens


Le canton de Wickham est d’abord colonisé par des miliciens et des officiers d’origine britannique qui ont servi durant la guerre de 1812. Selon leur rang dans l’armée, ils reçoivent gratuitement une concession de 120 à 240 arpents, assortie d’aide alimentaire et matérielle pour la première année21. Un grand nombre d’entre eux abandonnent leur terre pour s’implanter plus au sud, dans des cantons jugés plus favorables à l’agriculture. Les autorités anglaises doivent donc ouvrir plus large la région à l’installation de colons venant des seigneuries avoisinantes, si bien que la prépondérance anglo-saxonne s’amenuise graduellement au profit des Canadiens français qui formeront plus de 50 % de la population du canton de Wickham dès 186022.

Barlow, le sergent-fermier Durant les années 1820, de nombreux efforts sont déployés pour relier les îlots de peuplement de nos cantons. Une route, ébauchée entre SaintFrançois-du-Lac et Sherbrooke, est à peine passable en été. Les immigrants qui l’empruntent portent leurs provisions sur leur dos ; les mieux nantis emportent un attelage de bœufs et une vache. Si le convoi doit traverser une rivière, la famille utilise un bac ou un canot alors que les animaux suivent à la nage.

Coll. Yolande Allard

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Plusieurs archéologues, professionnels et amateurs, ont témoigné de l’abondance d’artéfacts laissés par des Amérindiens à l’extrémité de la Longue Pointe, là où la rivière Saint-François assume un virage de 160o avant de poursuivre sa course en direction nord-ouest. Sur la photo prise le 9 octobre 2001, Guy Allard (à droite) exhibe une des nombreuses roches de silex identifiées sur le site par Jim Hosking, de Sherbrooke. La cassure du silex, à arêtes tranchantes, est tout désignée pour la fabrication de pointe de flèche, de lame de couteau et de grattoir. Selon Hosking, qui a consacré 50 ans de ses loisirs à la recherche d’artéfacts amérindiens dans les Cantons de l’Est, les pierres de silex qui jonchent le sol à l’extrémité de la Longue Pointe ont été transportées là par les Amérindiens.

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Parmi ces colons opiniâtres et courageux, mentionnons les Barlow qui s’installent à la Longue Pointe vers 1822. Bien que d’origine américaine, Curtis Barlow a servi au sein des forces canadiennes et britanniques qui s’opposaient à l’envahissement des Américains de 1812 à 1814. À la fin du conflit, il est promu sergent du 2e bataillon de la Milice d’Élite et Incorporée (Select and Embodied Militia). Il est démobilisé en 1825 seulement, soit quelques années après son arrivée à la Longue Pointe avec son épouse, née Charlott Wales, et leurs cinq enfants23.

gle et maïs. La pomme de terre, qui occupe une part importante de la terre en culture, est destinée à l’alimentation humaine et à celle des porcs. La récolte de foin, cependant, est minimale, soit 20 minots contre 100 d’avoine. La culture appréciable de plantes destinées à l’alimentation animale révèle d’emblée l’importance accordée par les Barlow à l’élevage des bovins (34), des chevaux (9), des ovins (20) et des porcs (27)25. De plus, une maison plus confortable remplacera sous peu la maison de pionnier. Les bras ne manquent pas à la tâche. Le recensement de 1831 révèle la présence de neuf enfants ; d’autres naîtront encore, dont les jumeaux Julia et James, qui mettent un terme aux grossesses de Charlott en 1839. L’importance de l’exploitation requiert, malgré tout, de la maind’œuvre salariée régulière et saisonnière lors de la fenaison et de la moisson.

Les Barlow exploitent d’abord les 180 arpents de terre acquis de William B. Cotman, un homme d’affaires et fonctionnaire de Québec. Deux ans plus tard, ils achètent de John Taplin, un cultivateur du canton de Wickham, une terre adjacente à leur domaine, dont une portion située en bordure de la rivière Saint-François est déjà affectée au cimetière Reed24. Les défunts Barlow et Reed seront inhumés côte à côte. 1861 - des rendements exceptionnels 1831 - une exploitation agricole tournée vers l’élevage Moins de 10 ans après leur arrivée à la Longue Pointe, soit en 1831, les Barlow récoltent la gamme complète des céréales qu’il est d’usage de semer au Bas-Canada : blé, avoine, orge, sei28

Au début des années 1860, le capital investi dans la ferme Barlow s’élève à plus de 3000 $, alors que la moyenne par ferme au Bas-Canada est d’un peu moins de 2000 $26. Le nombre de bêtes à cornes, de chevaux et de porcs est inférieur à celui recensé 30 ans plus tôt, mais le nombre d’ovins a presque


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doublé. En effet, ouverts aux innovations, les Barlow ont introduit l’élevage de vaches laitières deux décennies avant le grand tournant vers l’agriculture laitière des années 1880. Ainsi déclarent-ils la production de 800 livres de beurre en 1861. Côté cultures, le recensement de 1861 indique moins de blé et de pommes de terre qu’en 1831, mais quatre fois plus d’avoine. De plus, on a introduit la culture du trèfle et des légumes (carottes, navets, fèves) pour enrichir la diète des animaux d’élevage jusquelà composée d’avoine et de foin27. Autres sources de revenus, l’érablière, de laquelle on a tiré 1000 livres de sucre, et les moutons, dont la généreuse tonsure a donné 150 livres de laine en partie transformées en étoffe foulée et en flanelle28.

L’absence de relève Les beaux jours des Barlow à la Longue Pointe s’achèvent avec le décès de Charlott survenu en novembre 1861. Selon les divers registres consultés, elle aura donné naissance à 14 enfants en moins de 25 ans29. Voilà qui contredit le mythe selon lequel les « Anglais » (entendons-là les protestants) avaient peu d’enfants. Son époux, Curtis, meurt en février 1863, à l’âge de 69 ans. Les biens de la succession sont partagés entre les six filles Barlow, prénommées Suzan, Laurett, Julia, Charlott, Lavinia et Mary, et leurs descendants30. La ferme de la Longue Pointe passe aux mains de Louis Allard en janvier 1866, soit trois ans après le décès de Curtis Barlow. Les nombreux héritiers concernés par la vente de la ferme familiale, dont certains sont mineurs, alourdissent indûment les procédures. D’ailleurs, Louis obtient les titres de propriété en 1881 seulement, au terme d’une saga qui aura duré 15 ans!

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Références chapitre 2 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13

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J.-P. Kesteman et al., Histoire des Cantons de l’Est, Québec, PUL, Éditions de l’IQRC, 1998, p. 65. Ibid., p. 62. Y. Allard et al. La Route des Abénaquis, Société d’histoire de Drummondville, 1982. Statuts du Canada, vol. 14, p. 687. J.-C. Saint-Amant, Un Coin des Cantons de l’Est, Drummondville, La Parole ltée, 1932, p. 64. Recensements du Canada 1831, 1851, 1871. Registres de l’église anglicane St. George (Drummondville). L’Avenir Hier... Aujourd’hui, Saint-Stanislas, Éditions Souvenance inc., 1986, p. 85. J.-P. Kesteman, op. cit., p. 75. Y. Allard, op. cit. Rolland Allard, entrevue de janvier 1985. T.-M. Charland, Histoire de Saint-François-du-Lac, Ottawa, Collège Dominicain, 1942, p. 99-100. J.-C. Saint-Amant, op. cit., p. 110-111. Ibid., p. 111-112. Selon J. A. Haxby, dans La Monnaie royale canadienne et notre système monétaire (1986), la monnaie utilisée dans le Bas-Canada, jusqu’en 1857, était divisée en livres, shillings et pence. J. Fraser, « Ulverton », The Tread of Pioneers Annals of Richmond County and vicinity, vol. 1, Richmond, Richmond County Historical Society, 1966, p. 180-186. J.-C. Saint-Amant, op. cit., p. 111. J. Bouchette, Topographical Dictionary of the Province of Lower Canada, 1832. William Lindsay a reçu environ 12 000 arpents sur les 80 000 concédés dans le canton de Wickham, soit 15 % de la superficie. Source : List of lands granted by the Crown, in the province of Quebec from 1763 to 31st December 1890, Quebec, C.-F. Langlois, 1891, p. 423-429. Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6, Québec, PUL, 1987, p. 440-441. J.-P. Kesteman, op. cit., p. 90. J. Bouchette, Topographical Description of Lower Canada, London, W. Faden, 1815. J.-P. Kesteman et al., op. cit., p. 91-92. Recensement du Canada 1861, canton de Wickham, population totale : 856 ; d’origine française : 495, soit 58 %. ANQ (Québec), base de données miliciens 2.xl, sous la rubrique « Demande de terres faite par les miliciens avant 1830 ». Bureau d’enregistrement de Drummondville (BED), vol. 1, actes 102 et 103. On trouve des inscriptions des Barlow de la Longue Pointe dans les registres de l’église méthodiste de Melbourne, de l’église anglicane St. George de Drummondville ainsi que de l’église anglicane de Kingsey. Recensement du Canada 1831. J.-P. Kesteman, op. cit., p. 136-139. Ibid., p. 286. Ibid., p. 295. Recensement du Canada 1861. Registres de l’église anglicane St. George (Drummondville). Ibid. et divers actes notariés à l’occasion de la vente de la ferme Barlow à Louis Allard. En 1863, Suzan est mariée à George Magar, et Laurett, à William Elwin, tous deux cultivateurs du canton de Durham ; Julia est mariée à John Combs, et Lavinia, à William Burbank, tous deux cultivateurs du canton de Shipton ; Charlott et son mari George McEwen habitent Ottawa. Mary Barlow a laissé dans le deuil un fils et deux filles nés d’un premier lit avec François Blanchard, un marchand du canton de Kingsey, et un fils né d’un mariage subséquent à un dénommé Chagnon.


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L’environnement de la Longue Pointe au XIXe siècle

La ferme acquise par Louis Allard à la Longue Pointe s’insère dans les limites municipale et scolaire de la municipalité du canton de Wickham-Est, dont le chef-lieu est l’agglomération de Wheatland. L’histoire des habitants de la Longue Pointe est donc intimement liée au développement de cette municipalité, mais également à celui du village de L’Avenir où ils se rendent régulièrement pour remplir leurs devoirs religieux. Penchons-nous sur le profil démographique de ces deux agglomérations, également distantes de la résidence de la Longue Pointe, ainsi que sur leur développement économique.

Wickham-Est La municipalité du canton de Wickham-Est est née du fractionnement de l’immense canton de Wickham en 1866. La première réunion du conseil a lieu le 14 janvier 1867 à Wheatland, un noyau commercial et institutionnel formé en bordure du chemin des Commissaires

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(Route 143), à l’angle de la route Caya. L’hôtel de ville en brique a été construit par Casimir Gagnon, en bordure de la ferme d’Edward McCabe, qui a offert le terrain gratuitement à la municipalité1. Wheatland s’éteindra progressivement au profit du Watkins Mill Village, baptisé ultérieurement du nom de Saint-Nicéphore2. En 1871, la population de WickhamEst est déjà majoritairement d’origine française et catholique. La courbe de ces deux caractéristiques demeure ascendante, puisqu’au recensement de 1901, les Francophones représentent 87 % de la population, et les catholiques, 97 %. La souche irlandaise, qui forme à peine plus de 20 % de la population en 1871, s’éteint rapidement. Elle ne représente que 6 % des effectifs totaux au début du XXe siècle. Sur le plan confessionnel, les habitants de Wickham-Est sont desservis par la mission de SaintPierre-de-Wickham de 1831 à 1848. Après cette date, ils doivent se rendre à L’Avenir ou à Drummondville pour leur pratique religieuse.

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1871-1901 - Caractéristiques de la population de WICKHAM-EST

Population totale D’origine française D’origine irlandaise Catholique

1871 515 65 % 21 % 88 %

1881 435 71 % 20 % 90 %

1891 499 79 % AD 92 %

1901 468 87 % 6% 97 %

Source : Recensements du Canada 1871, 1881, 1891, 1901.

L’Avenir Bien que beaucoup plus populeuse, L’Avenir présente des similitudes avec Wickham-Est en ce qui concerne la composition ethnique et la religion pratiquée par ses habitants. En effet, la population d’origine française et catholique y est déjà majoritaire en 1871, et la courbe demeure ascendante tout au long de son histoire. Au recensement de 1901, les Francophones représentent 73 % de la population, et les catholiques, 81 %. Il y a plus d’Irlandais à L’Avenir qu’à WickhamEst, mais dans les deux cas, ils ne seront

plus qu’un vague souvenir bien avant 1950. Dans l’historiographie intitulée Un coin des Cantons de l’Est, le notaire Saint-Amant raconte plusieurs échauffourées entre Canadiens français et Irlandais des cantons de Wickham et de Durham : « Les Canadiens-français avaient généralement le dessus. Car ils comptaient alors dans leurs rangs un certain nombre d’hommes d’une force peu commune et d’une agilité extraordinaire. [...] En ce temps-là, d’ailleurs, le droit du plus fort était incontesté. [...] On réglait à coup de poings des questions à embarrasser les meilleures têtes de juges3. »

1871-1901 - Caractéristiques de la population de L’AVENIR Population totale D’origine française D’origine irlandaise Catholique

1871 1716 57 % 34 % 71 %

Source : Recensements du Canada 1871, 1881, 1891, 1901.

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1881 1440 59 % 30 % 76 %

1891 1252 71 % AD 82 %

1901 1202 73 % 19 % 81 %


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Les premiers bâtiments communautaires de L’Avenir remontent en 1853 alors qu’on commence la construction de l’église et du presbytère qui accueilleront le premier curé résident en 1862. Le bureau de poste ouvre en 1853. C’est la période où la petite collectivité subit l’influence déterminante de Jean-Baptiste-Éric Dorion, un promoteur actif de l’établissement de compatriotes sur le sol des Cantons de l’Est. C’est Dorion qui donne au village le nom de L’Avenir, en mémoire d’un journal qu’il a publié à Montréal de 1847 à 1852. Dorion fonde, à L’Avenir, un second hebdomadaire, Le Défricheur, dans lequel il s’affiche contre la confédération, et valorise la vie frugale et austère des ancêtres. Le bottin commercial de 1871 nous permet de photographier l’activité économique de L’Avenir alors que la population locale atteint un sommet inégalé par la suite, soit 1716 personnes. Des marchands, des professionnels et des artisans se sont regroupés autour du clocher pour répondre aux besoins de tous ordres des producteurs de céréales et de foin ainsi que des entrepreneurs forestiers de la région. Ils forment une agglomération de quelque 250 personnes desservie, sur une base quotidienne, par le stage de Richmond. En direction opposée, c’est le chemin de fer qui les relie à Drummondville.

Dans une large mesure, le village de L’Avenir est autosuffisant, avec son conseil municipal, son école, ses deux é g l i s e s (catholique et anglicane), ses deux magasins généraux, son hôtel, son bureau de poste, sa scierie, son huissier, son médecin et ses deux notaires. Les artisans et les hommes de métier sont nombreux : quatre cordonniers, deux forgerons, deux selliers, un charron, un voiturier et un tonnelier. Le flux migratoire des années 1850 et 1860 explique la Source : Quebec Directory, 1871, p.245. forte représentativité des métiers liés à la construction : un architecte, un maçon, un fabricant de fenêtres et quatre menuisiers. Enfin, deux modistes se disputent la clientèle des belles dames de la paroisse4. 33


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Une saignée démographique Après avoir été une terre d’immigration dans les années 1850 et 1860, Wickham-Est et L’Avenir deviennent, de façon structurelle et constante, des régions d’émigration. En effet, Wickham-Est perd 9 % et L’Avenir 30 % de leur population entre 1871 et 1911. Saint-Amant s’explique ainsi la dépression chronique dont a souffert l’ensemble du canton de Durham : « Le bois de commerce et l’écorce de pruche étaient une belle source de revenus, mais peut être plus apparents que réels, car on perdit à ce commerce le goût de l’agriculture, on négligea les terres. » Et le bon notaire de conclure : « Quand on n’eut que les produits de la terre pour vivre, il était pour quelques-uns trop tard, ils ne pouvaient éviter la ruine5. »

Grandeur et misères d’un chemin de fer Aux raisons évoquées par le notaire Saint-Amant pour expliquer le départ de nombreuses familles de L’Avenir et de Wickham-Est il serait juste d’ajouter l’absence d’un chemin de fer intégré aux grands réseaux nordaméricains pour exporter les surplus agricoles et le bois coupé dans les forêts privées. En fait, une « petite ligne » traverse les deux municipalités de 1871 à 1894, sans jamais cependant offrir un service régulier. 34

L’histoire du chemin de fer de L’Avenir remonte à l’été de 1868, alors que les députés de Drummond-Arthabaska au fédéral (E.-J. Hemming) et au provincial (L.-A. Sénécal) patronnent le projet de relier le centre du Québec aux grands centres industriels de la Nouvelle-Angleterre. Quelques mois plus tôt, à Clifton (État de New York), ils ont pu observer la résistance et la solidité des rails de bois (plutôt que de fer) affectés au transport du minerai. Ils reviennent convaincus de la faisabilité d’un chemin à rails de bois beaucoup plus économique à construire et bien adapté aux besoins locaux6. C’est Hemming qui plaide la cause du projet auprès des conseils municipaux et des industriels des comtés de Drummond, Arthabaska et Richelieu. Ses arguments sont convaincants, puisque les corporations municipales se livrent une concurrence féroce pour attirer le chemin à rails de bois sur leur territoire. La municipalité de Wickham-Est s’engage à acheter des actions dans la compagnie Richelieu, Drummond and Arthabaska Counties Railway (RD&AC) pour une valeur de 10 000 $ à condition que la voie projetée entre Sorel et Drummondville soit prolongée jusqu’à la ligne du Grand Trunk Railway (GTR). De plus, on réclame la construction d’une gare à Wheatland. De son côté, le conseil municipal de L’Avenir autorise un prêt de 6000 $ au RD&AC à condition qu’il traverse son territoire8.


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Source : Jocelyn Fournier, panneau Souvenance no 20 intitulĂŠ Les chemins de fer, Drummondville, 1990.


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Des rails de bois d’érable Le mode de construction d’un chemin à rails de bois est fort simple. On remplace les rails de fer par des rails en bois d’érable de 14 pieds de long, 7 pouces de haut sur 4 pouces de large. Les rails reposent sur des traverses plus épaisses et plus larges que celles que l’on voit aujourd’hui. Sur la surface de chaque traverse, deux entailles sont pratiquées d’environ 4 pouces de profondeur pour y incruster les rails. Cependant, comme les rails de bois ne peuvent pas tellement plier ni être courbés, les descentes, les montées et les courbes de la voie doivent être réduites au minimum. La largeur du chemin est de 4 pieds 8 1/2 pouces, soit la même que celle adoptée sur le territoire américain, afin de pouvoir se brancher à son immense réseau ferroviaire. Sur ces rails de bois, les locomotives circulent à une vitesse d’environ 12 milles à l’heure. Le coût de construction est estimé à 5000 $ le mille, incluant l’achat du matériel roulant9. À l’automne 1871, la construction de la voie est terminée de Sorel à Drummondville, une distance de 36 milles, et jusqu’à L’Avenir, 12 milles plus loin. On désigne familièrement le tronçon Drummondville-L’Avenir sous le nom de « petite ligne ». Le RD&AC commence le transport des marchandises et des passagers, sans 36

toutefois remplir son engagement de se connecter à d’autres voies ferrées du sud du Québec10. Seul le port de Sorel peut assurer une liaison avec les marchés de Montréal et de Québec durant la belle saison. Un journaliste, présent lors du voyage inaugural du chemin à rails de bois, raconte avec enthousiasme son expérience dans l’édition du 21 septembre 1871 de L’Opinion publique : « [...] Il n’y a naturellement que l’expérience qui puisse confirmer le mérite des choses nouvelles ; mais nous pouvons dire que ce système de lisses en bois nous a paru fonctionner admirablement. Nous avons parcouru quelques milles à raison de 30 milles à l’heure, et nous n’avons pas le moindre doute que les convois sur un chemin de ce genre peuvent adopter, pour le service des passagers, un temps régulier de 22 et même 25 milles à l’heure. Le roulage y est bien plus doux que sur des charrières en fer, il n’y a presque point de secousses et que peu de bruit. [...] Les travaux ont été commencés simultanément sur deux sections de la ligne. L’une part d’Yamaska et se termine à Saint-Guillaume, à peu près 20 milles ; l’autre part de L’Avenir et sera bientôt à Saint-Guillaume. [...] La ligne traversera probablement le Grand-Tronc et ira au chemin de fer de Massawipi, en sorte qu’elle deviendra une artère principale d’importance11. »


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Le malheur s’abat sur la « petite ligne »

roues des engins glissaient sur place et le train restait stationnaire ». Pour remettre le convoi en marche, selon le témoin Joyal, « il fallait faire vapeur arrière, reculer un bout, puis lancer le char, en avant, à toute vitesse, pour pouvoir avancer un nouveau bout, et recommencer cette manœuvre indéfiniment »14.

À l’automne de 1872, le RD&AC passe aux mains de nouveaux financiers et prend le nom de South Eastern Railway (SER). Le projet d’atteindre la ligne du GTR via L’Avenir est révisé. C’est Acton Vale qui sera le point de jonction. Cette décision politique jette une douche froide sur les espoirs des usagers de L’Avenir et de Des lisses de bois aux rails de fer Wickham-Est d’avoir accès à la ligne transnationale. Le remplacement des rails s’amorce en septembre 1875 ; les rails de fer sont Un malheur en attire un autre, dit le opérationnels entre Sorel et proverbe. Le 4 juin 1873, un pont de Drummondville en novembre de la la « petite ligne » s’effondre en raison même année. En ce qui concerne l’emd’une terrible explosion qui détruit de branchement de Drummondville à fond en comble le moulin à scie de Jos L’Avenir, les travaux débutent en 1882 Boisvert adjacent audit pont12. Trois seulement. Les rails de fer achetés en années s’écoulent, et le SER n’a tou- Angleterre sont déposés sur des trajours pas reconstruit le pont13. verses neuves15. C’est Louis Allard qui doit fournir les 25 000 traverses nécesJamais deux sans trois, dira un autre saires pour couvrir les 12 milles de proverbe. Les usagers font le dur voie. Il s’agit cette fois de pièces de 6 constat de la vulnérabilité des rails de pouces sur 6 pouces, longues de 8 bois. En plus de s’user rapidement, ils pieds16. Le SER prend livraison d’une sont destinés à se tordre et à s’écraser partie seulement des 25 000 traverirrémédiablement. Aussi, cette instal- ses, soit le nombre nécessaire pour lation qui devait durer cinq à six ans couvrir la distance Drummondvillesans nécessiter de réparation occupe Wheatland. Les travaux de réfection déjà plusieurs cheminots pour rem- ne se poursuivront pas au-delà de placer les rails ou les tourner. S’ajoute Wheatland en raison de la faillite, en à cela le casse-tête du surplace des con- 1883, du SER et de son président vois ainsi décrit par le docteur L.-W. Bradley Barlow. Joyal d’Yamaska : « [...] du moment qu’il pleuvait, qu’il y avait de la rosée, En 1891, le Canadian Pacific Railway ou une gelée blanche sur les lisses, les (CPR), actionnaire majoritaire du SER, 37


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cherche un moyen de se débarrasser de sa ligne Drummondville-Sorel jugée non rentable. Le prétexte lui en est fourni lorsque le pont enjambant la rivière Yamaska (entre Sorel et SaintGuillaume) s’écroule en avril. Le CPR décline les subventions gouvernementales offertes pour la reconstruction du pont et résiste à toutes revendications pour conserver le reste de la voie entre Saint-Guillaume et L’Avenir. On retire les rails en 189417.

Louis Allard, conseiller municipal de Wickham-Est En janvier 1882, Louis est élu conseiller de Wickham-Est sur la proposition d’Olivier Caya, proposition appuyée par Francis La Haie18. Comme nous l’avons vu plus tôt, c’est l’année de la remise en service du chemin de fer reliant L’Avenir à Drummondville, qui a connu de nombreux ratés depuis son inauguration à l’automne 1871. Louis est plus dépendant que jamais de la régularité et de l’efficacité du rail pour l’exportation du bois d’œuvre qu’il produit à sa scierie de la Longue Pointe depuis l’automne précédent. En boghei, beau temps mauvais temps, il parcourt près de 6 milles pour assister aux réunions du conseil. C’est Edward McCabe qui remplit les fonctions de maire. À leurs côtés siègent, à un moment ou l’autre, Cyprien Côté, William Griffith, George Ball, John Doyle, Robert 38

Skillen, Adolphe Caya et William Mitchell. L’anglais est la langue utilisée lors des réunions du conseil et pour la rédaction des comptes-rendus et des règlements. La coexistence des Anglophones et des Francophones paraît harmonieuse à ce chapitre. Ce qui étonne, cependant, c’est la prépondérance des élus anglophones alors que plus de 70 % de la population est d’origine canadiennefrançaise. Dans le livre intitulé Histoire des Cantons de l’Est, l’historien Kesteman se penche sur le partage inégal du pouvoir municipal : « Même lorsque ceux-ci [les Anglophones] sont devenus minoritaires en nombre, ils l’emportent souvent par l’importance de la valeur de leurs propriétés foncières et par le contrôle économique qu’ils exercent19. » D’ailleurs, c’est en 1897 seulement qu’un conseiller nouvellement élu dans Wickham-Est prononce le serment d’office en français, et on devra attendre 1902 pour un procès-verbal rédigé uniquement en français20.

Un chemin de fer cul-de-sac Les questions le plus souvent débattues lors des rencontres du conseil concernent la construction et la gestion des routes et des ponts ainsi que la taxation afférente. L’année 1883 apporte un lot supplémentaire


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Les superficies de Wickham-Est et Wickham-Ouest sont sensiblement les mêmes. Cependant, alors qu’on procède à la division du canton de Wickham, en 1861, la population de Wickham-Est est le double de celle de Wickham-Ouest. Carte établie par Yolande Allard, en août 2003, à partir d’une carte publiée in Electoral Atlas of Dominion of Canada, en 1895.

de tracas relatifs au chemin de fer. À la séance de février, sur proposition de Louis Allard, le conseil retient les services du cabinet d’avocats Laurier et Lavergne afin de défendre les intérêts de la municipalité dans les conflits qui l’opposent au SER. D’un côté, le SER force la municipalité à respecter ses engagements financiers ; de l’autre, Wickham-Est réclame le prolongement de la voie jusqu’au réseau du GTR, à Richmond, comme stipulé dans la résolution d’engagement. De plus, les rails de fer ont remplacé les lisses de bois sur le tronçon s’étendant de Drummondville à Wheatland

seulement, laissant à l’abandon les trois milles de voie en direction de L’Avenir21. L’année 1883 se termine par la faillite du SER, qui passe sous le contrôle du CPR. À la fin de son mandat de trois ans, soit en janvier 1885, Louis se retire du conseil. C’est Edward Demanche qui prend son siège. Louis garde, cependant, un intérêt certain dans la politique municipale. À l’élection de janvier 1901, il tente de déloger les McCabe en proposant l’élection de Cléophas Ball. Les McCabe ripostent en opposant la candidature d’Olivier 39


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Caya à celle du fils aîné de Louis, Télesphore. Louis fait alors marche arrière en retirant sa proposition. John McCabe et Télesphore Allard sont déclarés élus.

D’autres espoirs déçus

Railway Co. Cette compagnie est réorganisée en 1912. Une nouvelle charte est accordée à la St. Francis Valley Railway Co (SFVR) pour la construction d’une ligne entre Saint-Françoisdu-Lac et Stanstead. Ottawa et Québec votent des subsides en argent et en terres à l’intention de la SFVR alors que L’Avenir et Wickham-Est s’engagent à payer le coût des terrains expropriés dans les limites de leur territoire. L’Avenir bonifie même son offre par un apport en argent de 1500 $. Puis tout rentre dans le silence23.

En 1905, le conseil municipal de L’Avenir adresse une demande à la compagnie de chemin de fer Orford Mountain afin de prolonger sa ligne à l’intérieur des limites de L’Avenir. L’emprise de la voie abandonnée pourrait être utilisée pour atteindre Drummondville et s’intégrer au réseau En résumé, comme c’est le cas pour la de l’Intercolonial Railway. Le projet ne plupart des petits chemins de fer, le connaît pas de suite22. SER souffre d’un déficit chronique d’exploitation. Il est soumis aux flucEn 1908, le projet de chemin de fer tuations de marché du bois et du foin, refait surface. Il s’agit d’une voie sans pouvoir compter sur la producreliant Drummondville à Melbourne. tion industrielle d’une ville d’imporLes assemblées se multiplient. tance. Les services demeurent donc L’Avenir, Wickham-Est et Ulverton rudimentaires, l’horaire, irrégulier, rivalisent de zèle. Finalement, un acte l’entretien, insuffisant. L’aventure ferde la Législature de Québec constitue roviaire a laissé un goût amer aux habien corporation L’Avenir & Melbourne tants de L’Avenir et de Wickham-Est.

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Références chapitre 3 1

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16 17 18 19 20 21 22 23

Archives de la municipalité du canton de Wickham-Est (AMCW-E), registre des procès-verbaux des séances du conseil municipal, 11 mai 1868. Saint-Nicéphore 1916-1991, Sherbrooke, Éditions Louis Bilodeau & Fils ltée, 1990, p. 71. J.-C. Saint-Amant, Un Coin des Cantons de l’Est, Drummondville, La Parole ltée, 1932, p. 131-133 et 246-250. Quebec Directory, 1871, p. 245. J.-C. Saint-Amant, op. cit., p. 255. M. Hamelin, Les premières années du parlementarisme québécois (1867-1878), Québec, PUL, 1974, p. 101. Saint-Nicéphore 1916-1991, op. cit., p. 87. J.-C. Saint-Amant, op. cit., p. 235. M. Hamelin, op. cit., p. 102. R.R. Brown, « Chemin à lisses de bois », Le Terroir, vol. 16, no 4, septembre 1934, p. 8-12. D. Booth, Railway of Southern Quebec, vol. 1, Toronto, Railfare Enterprises Ltd, 1982, p. 65. L’Opinion publique, « Le chemin de fer de Sorel et Drummondville », 21 septembre 1871, p. 461-462. Le Messager de Sorel, juin 1873. J.-P. Bélanger, Histoire de Drummondville, Société d’histoire de Drummondville, Hors-série no 1, 1997, p. 98. Ibid., p. 100. M. Milot, Brève histoire du service ferroviaire du CP Rail à Drummondville, 15 mars 1998. J.-P. Bélanger, op. cit., p. 102. La Minerve, 4 septembre 1882. Les traverses sont indifféremment en bois de pruche, de frêne, d’épinette rouge ou de cèdre. M. Milot, op. cit. J.-P. Bélanger, op. cit., p. 102. AMCW-E, séance du 9 janvier 1882. Histoire des Cantons de l’Est, Éditions de l’IQRC, 1998, p. 437. Saint-Nicéphore 1916-1991, op. cit., p. 74. J.-P. Bélanger, op. cit., p. 102. La Minerve, 4 septembre 1882. D. Booth, op. cit., vol. 2, p. 81. J.-C. Saint-Amant, op. cit., p. 503-504. L’Avenir 1862-1987 Hier… Aujourd’hui, St-Stanislas, Éditions Souvenance inc., 1986, p. 88. Archives de la municipalité du canton de Wickham-Est, règlement no 99, 29 décembre 1913.

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Louis Allard, entrepreneur

La famille Allard occupe une place à part dans le portrait public de L’Avenir et de Wickham-Est au XIXe siècle. La ferme qu’elle exploite à la Longue Pointe affiche des rendements supérieurs à la moyenne alors que ses chantiers donnent du travail à plusieurs hommes de la région à temps plein ou sur une base saisonnière. Un homme en particulier est au devant de la scène : Louis Allard, le patriarche, né en 1831 sur une fermette de la seigneurie de Baie-duFebvre, décédé à l’aube du XXe siècle sur un domaine agricole et forestier du canton de Wickham, qui a généreusement livré les dividendes recherchés.

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appelés « ripousses » ; l’une d’entre elles aurait rebondi violemment et emporté une partie du nez de Louis alors qu’il ébranchait l’arbre étendu au sol. Louis est issu d’une famille d’agriculteurs dont nous avons peu d’informations, sinon qu’il est le huitième d’une famille de 11 enfants, dont la mère, Josephte, meurt alors que Louis n’a que huit ans. À l’occasion de son mariage avec Olive Côté, en 1852, Louis reçoit de son père Paul-Joseph trois lots de terre ainsi qu’une ferme située à Baie-du-Febvre sur laquelle naîtront les six premiers enfants du couple. Une donation aussi généreuse suggère une certaine aisance financière chez Joseph Allard.

« Bailloche », fils de Paul-Joseph Deux sœurs de Louis habitent à French Village (Saint-Félix-de-Kingsey) : Louis porte le surnom de l’aînée de la famille, Julie, mariée à « Bailloche1 ». Pour certains, c’est son Joseph Proulx, ainsi que Sophie, mapatois, pour d’autres, l’appellation est riée à Louis Benoit, cultivateur, à qui attribuable à un nez passablement Louis emprunte des sommes imporamoché. L’accident serait survenu tantes à quelques reprises2. Un frère alors que Louis abattait un arbre. aîné de Louis, prénommé Michel, Pendant sa chute, l’arbre aurait fait demeure quelques mois à L’Avenir ployer bon nombre d’arbrisseaux avant d’émigrer avec sa deuxième 43


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femme et ses enfants dans le South Dakota. Habite également à L’Avenir un cousin, Thomas Allard, dont nous parlerons plus loin en raison des houleuses relations d’affaires qui compromettront à jamais leur affiliation. Louis fréquente l’école de rang suffisamment longtemps pour apprendre à lire, à écrire et à compter. De plus, il est bilingue. Mais avant tout, il a la « bosse » des affaires. Il flaire rapidement les bonnes occasions dans le commerce du bois et déménage femme et enfants dans les Cantons de l’Est pour s’approcher de sources d’approvisionnement encore vierges et abondantes. Dès son arrivée à la Longue Pointe, il ouvre quelques chantiers de résineux acheminés par la drave vers les scieries en bordure du fleuve, parallèlement à la culture extensive du foin expédié par chemin de fer, à compter de 1871, vers les grandes villes.

Étude pédologique de la Longue Pointe du canton de Wickham Légende :

M

FSl

FS

Loan sableux (fortement acide) de Milby : topographie unie, élévation de quelques pieds au-dessus du niveau de la rivière, drainage imparfait, végétation forestière très décimée. Les sols sont productifs et aptes à une culture très diversifiée. Sable limoneux (très fortement acide) de Saint-François : topographie planche ou en terrasses faiblement bombées, drainage très bon. La forêt primitive consistait surtout en des essences à feuilles caduques : érable à sucre, hêtre, merisier, noyer. D’après les anciens, les sables de la série de Saint-François donnaient de belles récoltes de blé. Sable grossier de Saint-François : même que FSl, sauf qu’ils sont peu fertiles et très susceptibles à la sécheresse.

Source : L. Choinière, Étude pédologique du comté de Drummond, Ministère de l’Agriculture et de la Colonisation du Québec, bulletin technique no 7, 1960, p. 89 à 139.


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La fièvre du foin

Une ferme généreuse

Alors que les Barlow s’étaient engagés dans la production laitière, Louis Allard réoriente la vocation de la ferme de la Longue Pointe vers la production céréalière et fourragère. Il triple la superficie consacrée à l’avoine, moins exigeante pour le sol que le blé, et quadruple la production de foin.

Le menu des Allard se trouve amélioré par les 500 livres de sucre tirées de l’érablière, les 25 livres de miel extraites de deux ruches ainsi que les poires, prunes et autres fruits cueillis dans le verger qui s’étend sur plus d’un demi-arpent.

Cette augmentation de la surface cultivée en avoine et en foin semble aller dans le sens de la transformation de l’agriculture de la Longue Pointe vers l’élevage ; il n’en est rien, car le foin est destiné à la vente. La preuve en est que le nombre de bêtes à cornes diminue du tiers entre 1861 et 1871, de même pour les moutons et les porcs3. Durant de nombreuses décennies, Louis et un grand nombre d’agriculteurs des cantons de Wickham et Durham vivent la fièvre du foin. Les statistiques de 1911 nous révèlent que cette plante fourragère accapare 58 % des terres cultivées à Wickham-Est, et 69 % à L’Avenir4. Pressés en balles d’un poids ordinaire (20-25 livres) permettant à un homme de les charger assez facilement sur les wagons de chemin de fer, les surplus de foin sont expédiés vers les villes et les chantiers pour nourrir les chevaux. On apprécie cette culture sans complication qui assure, qui plus est, un apport d’argent « sonnant » très rare à l’époque.

Comme dans la plupart des fermes de la région, on transforme la laine des moutons en étoffe foulée et en flanelle. De plus, on cultive le lin et le chanvre5 dont le rendement est si généreux que Louis emploie deux jeunes femmes pour tisser de la toile dite « du pays » dans laquelle on taille des draps, des torchons à vaisselle, des serviettes de même que les vêtements d’été de chacun des membres de la famille.

BATTEUSE MÉCANIQUE aussi appelée « égreneuse à vent », formée d’une forte caisse horizontale en bois de pin dans laquelle glisse un pilon de tôle. La machine est reliée par une chaîne sans fin à un moulin à vent. Placée sous la caisse de la batteuse, une plate-forme de bois perforée de trous de mèche retient la paille et laisse tomber le grain. Source : G. Lemieux, La vie paysanne 1860-1900, Ottawa, Ed. Prise de Parole Inc., 1982, p. 126.

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Muni de mancherons permettant à deux hommes de le déplacer, le CRIBLE ou TARARE utilisé au milieu du XIXe siècle comprenait deux parties essentielles : l’éventail produisant un fort courant d’air et un cadre dont le mouvement saccadé permettait à des tamis de débarrasser le grain des débris de paille. La manivelle tournée par le vanneur actionnait à la fois l’éventail et le cadre. Source : G. Lemieux, La vie paysanne 1860-1900, Ottawa, Éd. Prise de Parole inc., 1982, p. 121.

FAUCHEUSE MÉCANISÉE de la fin du XIXe siècle constituée de deux roues de métal dont le pourtour est strié de lames pour une meilleure force de traction. Les roues, en tournant à la surface du sol, actionnent une sorte de vilebrequin qui assure le va-et-vient d’un bras. Ce bras entraîne, d’un mouvement très rapide, une faux à dents triangulaires. Comme le mouvement de la faux doit être très rapide, les roues motrices doivent fonctionner à une certaine vitesse. Si les chevaux ralentissent ou hésitent à avancer, la faucheuse est aussitôt bloquée par les tiges de foin que la faux n’a pas la force de couper. Source : G. Lemieux, La vie paysanne 1860-1900, Ottawa, Éd. Prise de Parole inc., 1982, p. 104.

PRESSE À FOIN MANUELLE : cage à claire-voie munie à sa base de deux rouleaux synchronisés autour desquels, au moyen d’une manivelle, on enroulait des câbles. Une fois la cage remplie de foin, on plaçait un panneau que les câbles tiraient vers le bas, réduisant ainsi la masse de foin à une « galette » assez épaisse. Dès qu’on ne pouvait plus ajouter de foin dans la caisse, on liait la masse de foin au moyen de cordes et de broche spéciale. Un côté de la cage s’ouvrait et laissait tomber la balle. Le foin pressé en balles était plus facile à peser et à transporter par chemin de fer. Source : G. Lemieux, La vie paysanne 1860-1900, Ottawa, Éd. Prise de Parole inc., 1982, p. 110.


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Il n’y a plus de bœufs de labour à la Longue Pointe en 1871, et le nombre de chevaux a diminué de moitié au cours de la dernière décennie en raison de la mécanisation de la ferme. En effet, le hangar à machinerie se remplit d’instruments de plus en plus mécanisés. La faucheuse acquise par Louis permet d’abattre une prairie de foin en une demi-journée, alors que dix ans plus tôt il abattait la même quantité de foin en une semaine, à la faux manuelle. Avec la faucheuse, Louis s’est procuré un grand râteau, une batteuse et un crible6.

Louis Allard, entrepreneur forestier Dès son arrivée à la Longue Pointe, Louis ambitionne de mettre en place une économie conjuguant, en alternance, le travail de la terre en saison chaude et celui de la forêt en hiver. L’exploitation du boisé encore intact lui fait espérer des bénéfices mirobolants, tant les essences présentes sont recherchées et de taille gigantesque. On raconte que certains arbres étaient abattus à mi-hauteur faute d’avoir des godendards assez longs pour les couper au niveau de la souche7. Louis peut donc compter sur une source d’approvisionnement en bois remarquable, mais aussi sur des moyens économiques d’expédition

vers les marchés de consommation, soit la drave et le chemin de fer.

La drave En effet, Louis bénéficie de la proximité de la rivière Saint-François sur laquelle il peut faire flotter ses billes jusqu’à l’embouchure. Cependant, la drave entraîne son lot de difficultés. Selon l’auteur d’un rapport d’enquête effectuée dans le cours de la SaintFrançois, en 1875, « lorsque le bois arrive aux estacades8, ceux qui l’ont mis en flotte ne peuvent jamais parvenir à retrouver leur part exacte parce que chacun en prend autant qu’il lui plaît ». Et l’enquêteur d’ajouter : « Les derniers venus sont obligés de prouver la quantité qu’ils ont mise à l’eau afin d’établir ce qu’ils doivent prendre aux estacades9. » Il va de soi qu’un tel imbroglio engendre des disputes qui dégénèrent en procès basés sur les assertions contradictoires des différents entrepreneurs. Pour éviter ces conflits, Québec sanctionne, en décembre 1876, « l’Acte pour régler le flottage du bois sur la partie non navigable de la rivière Saint-François ». Dorénavant, un officier, désigné sous le nom de « syndic », assumera la gestion de la drave. Son rôle consiste à inspecter et mesurer le bois soumis par les entrepreneurs forestiers et leur indiquer le moment précis où ils peuvent le lancer dans la 47


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rivière. De plus, le syndic surveille la descente du bois jusqu’à l’estacade ancrée en amont des Pierreville Steam Mills (PSM), où les billes sont hissées sur la rive, cordées et mesurées. Le syndic constate alors la perte de bois éprouvée durant la drave (12 % à 15 %) et la répartit entre les divers entrepreneurs10.

sionnement connues, soit trois terres acquises dans les 5e et 6e rangs du canton de Simpson14 et la forêt du « bec du canard » appartenant à William Wadleigh15. Il est difficile, cependant, d’évaluer l’importance de cette deuxième source d’approvisionnement en raison d’ententes signées sous seing privé ou de vive voix.

Louis utilise, à l’occasion, un moyen de transport « moderne », soit le prolongement jusqu’à L’Avenir de la voie ferrée qui relie Sorel à Drummondville. Ainsi, à moins de 6 milles des chantiers de la Longue Pointe, s’avance le SER en service depuis l’automne 1871 comme nous l’avons vu plus tôt11.

Au printemps, des milliers de billes de pin et d’épinette blanche et rouge sont lancées dans la rivière alors que l’eau n’est pas trop haute, le bois ne se perdant pas ainsi dans les fonds inondés ni sur les rives. Des draveurs dirigent les billes flottantes vers l’embouchure de la Saint-François en se tenant debout sur elles, pour se déplacer avec elles et prévenir les embâcles. C’est un travail dangereux qui oblige les hommes à passer de nombreuses heures en équilibre, sans compter les quelques bains forcés dans l’eau glacée. À destination, les billes sont hissées jusqu’aux PSM, qui les transforment en planches ou en madriers, ou bien sont attachées les unes aux autres pour former des radeaux qui glissent sur le fleuve en direction de Québec. Les radeaux sont conduits à l’aide de rames et de voiles par des draveurs qui y installent un campement le temps de la descente16.

Le pin et l’épinette Louis amorce ses activités forestières dans une période favorable, puisque, de 1867 à 1874, les exportations canadiennes vers les États-Unis augmentent de 30 % en raison de la reconstruction résidentielle qui suit la guerre de Sécession et de l’expansion du réseau ferroviaire américain12. Qui plus est, jusque dans les années 1880, les expéditions vers la GrandeBretagne sont supérieures à celles destinées aux États-Unis13. Mis à part la coupe du bois sur son domaine de la Longue Pointe, Louis s’assure d’autres sources d’approvi48


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La pruche Les bûcherons de Louis abattent également du bois de pruche en abondance. L’arbre proprement dit est recherché pour la fabrication de dormants de chemin de fer, alors que de son écorce on extrait le tanin utilisé pour tanner les peaux. En 1882, alors qu’on répare la « petite ligne », Louis obtient le contrat de fourniture de tous les dormants sur lesquels on étend les nouvelles lisses de fer. Pas moins de 25 000 dormants sont nécessaires pour couvrir les 10 milles reliant Drummondville à L’Avenir. En raison de la courte échéance qui lui est imposée pour la livraison, Louis fait appel à divers sous-traitants de la région et rassemble la pruche, le frêne, l’épinette rouge et le cèdre requis pour la fabrication des dormants dans les délais prescrits17.

Une scierie à la Longue Pointe, pourquoi pas? Jusqu’au début des années 1880, Louis fait uniquement le commerce des billes de bois qu’il vend à de grandes scieries. Ces exploitations résistent mal à l’effondrement, en 1874, des marchés du bois américains et canadiens ; les prix chutent alors jusqu’à 50 %18. Les PSM n’échappe pas au marasme et rejoint, en 1878, les rangs des multiples faillites19.

L’économie canadienne se redresse au début des années 1880 grâce, pour une bonne part, à la Politique nationale du gouvernement Macdonald qui favorise le développement industriel. Les villes croissent rapidement, la demande de bois d’œuvre du même coup. C’est dans ce contexte que Louis met sur pied sa propre scierie, en 1881, sur un terrain adjacent à la grand’maison de la Longue Pointe. D’avril à octobre, on y transforme les billes en planches et en madriers. Les billes sont tirées de l’eau par un système de poulies et de cordes qui les hissent sur une rampe vers le premier étage du moulin où elles sont coupées dans le sens de la longueur. Les planches et les madriers sont ensuite mis à sécher, en pile, en attendant d’être transportés au chemin de fer. Le type de scie utilisé à la Longue Pointe n’est pas connu. On sait cependant que l’énergie est tirée de la vapeur et que, pour fins de taxation, les installations sont évaluées à 800 $20. La scierie de la Longue Pointe sera en activité jusqu’en 1892. À cette date, Louis cède ses droits de drave sur la rivière Saint-François à Henri Vassal qui exploite, depuis 1878, une scierie à Drummondville sur le site de l’actuel parc Sainte-Thérèse. Vassal possède alors des milliers d’arpents de terre en amont de sa scierie, en particulier dans les cantons de Simpson et de Wickham, dont 640 arpents de forêt s’étendant à l’extrémité de la Longue Pointe21. 49


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Un succès financier? Il est difficile d’évaluer les profits générés par la scierie de la Longue Pointe au cours de ses 12 années d’existence. Il appert cependant qu’entre 1885 et 1891, les activités tournent au ralenti. La preuve en est que Louis réclame et obtient de la municipalité et de la Commission scolaire une diminution significative de la valeur du moulin au cours de cette période. Autre indice révélateur, les livres de comptes de la municipalité accusent de longs retards de la part de Louis pour le paiement des taxes de 1884 à 1887 inclusivement. Toute une série de facteurs ont influé sur la rentabilité de la scierie de la Longue Pointe, notamment la crise commerciale de 1884-1885 qui fait tomber fort bas le prix du bois22 et l’abolition, en 1891, des droits d’exportation sur les billes envoyées aux États-Unis. Les Américains détenteurs de ressources forestières au Canada peuvent dorénavant envoyer directement aux États-Unis des billes entières pour y être sciées. De plus, Louis doit absorber de nombreuses mauvaises créances, telles celles de la scierie Bernard & Gadbois, de Saint-Germain, qui s’élèvent à 2500 $ en 188723. Enfin, il y a l’irrégularité du service du chemin de fer DrummondvilleL’Avenir démantelé en 1893.

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Louis envisage donc de déplacer ses activités à proximité d’un autre chemin de fer, soit le GTR qui s’arrête à la gare de South Durham. Il frappe donc à la porte de la veuve McGee pour bâcler une entente.

La scierie de dame McGee En avril 1893, Louis Allard achète de dame McGee (née Adeline Watts) sa part d’un moulin à moudre et à scier qu’elle détient en copropriété avec un dénommé John Mc Dougall24. La scierie est située à l’angle du chemin McGiveney et du 10e Rang du canton de Durham, soit à environ un mille de la gare de South Durham, une gare très achalandée, puisque le GTR, qui s’y arrête tous les jours, assure la liaison entre Montréal et Portland (Maine) depuis plus de 40 ans25. À l’automne 1893, son fils Télesphore loue la part de Mc Dougall dans ledit moulin pour une durée de six mois, soit jusqu’à la fin du printemps 1894. Il est convenu que Télesphore paie 10 ¢ pour chaque toise de bardeau scié et remette à Mc Dougall 20 % des différentes essences de bois débitées en planches ou en madriers. La quotepart passera à 25 % si la production dépasse 155 000 pieds. Enfin, Télesphore doit payer les gages d’un gardien durant la nuit. Il renouvelle le bail en 1894 et en 1898 à des conditions similaires aux précédentes26.


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Parallèlement à ce copartenariat avec son fils Télesphore, Louis s’associe à son gendre Henry Painchaud pour exploiter, à compter de 1894, une « manufacture de bois de sciage » à French Village27. Le projet est de courte durée, puisque les installations sont vendues à J.A. Baril & Frères d’Arthabaska en octobre 189628.

Ainsi prennent fin les implications de Louis Allard dans le commerce et l’industrie du bois. Il a consacré 25 années à la recherche de contrats et à l’embauche d’ouvriers compétents pour la coupe, le transport et le sciage du bois. Maintenant âgé de 65 ans, il retrouve la quiétude de sa ferme de la Longue Pointe cultivée par ses fils Émile et Adhémar.

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Bailloche n’apparaît dans aucun des dictionnaires consultés. Cependant, le Dictionnaire de la langue québécoise de Léandre Bergeron contient le mot « mailloche », qui signifie une protubérance ou un mognon. Bureau d’enregistrement de Drummondville (BED), B-15808 et B-18659. Recensements du Canada 1861 et 1871. Recensement du Canada 1911. Lin : plante à partir de laquelle on obtient le lin à fibre cellulosique. Chanvre : plante herbacée annuelle de la famille des urticacées dont les fibres contenues dans la tige sont utilisées dans l’industrie textile. Source : OLF, Grand dictionnaire terminologique. Recensement du Canada 1871. Rolland Allard, entrevue du 9 avril 2001. Estacade : barrage constitué d’une série de flotteurs réunis par un câble (ou une chaîne), qui retient les billes lors du flottage. En anglais : boom. A. Gamelin, La Compagnie des moulins à vapeur de Pierreville 1866-1906, Drummondville, Société historique du Centre-du-Québec, vol. 15, 1983, p. 41. Ibid., p. 41, 42 et 74. D. Booth, Railway of Southern Quebec, vol. 1, Toronto, Railfare Enterprises Ltd, 1982, p. 65. A. Gosselin, « L’évolution économique du Québec 1867-1896 » Économie québécoise, Montréal, P.U.Q., 1969, p. 109. www.thecanadianencyclopedia.com/index.cfm BED, A-1-547 et B-18236. Ibid., B-29642. R. Hardy et al, Forêt et société en Mauricie, Montréal, Éditions Boréal Express, 1984, p. 107. Cause no 39, archives judiciaires de la Cour supérieure d’Arthabaska déposées aux ANQ (Trois-Rivières). ANQ (Trois-Rivières), greffe J.-E. Girouard, minute 342. A. Gosselin, op. cit., p. 112. A. Gamelin, op. cit., p. VIII. Rôles d’évaluation de la municipalité scolaire de Wickham-Est entre 1877 et 1894, et de la municipalité du canton de Wickham-Est de 1879 à 1894. BED, registre des propriétaires lors de la révision du cadastre du canton de Wickham en 1895. J. Lamarre, Les Canadiens-français du Michigan – Leur contribution dans le développement de la vallée de la Saginaw et de la péninsule de Keweenaw 1840-1914, Québec, Septentrion, 2000, p. 59-60. BED, B-24363. Palais de justice d’Arthabaska, greffe J.-C. Saint-Amant, minute 1284. D. Booth, op. cit., p. 136. Greffe J.-C. Saint-Amant, op. cit., minutes 1370, 1524a) et 1675. BED, registre des sociétés, no 270. Greffe J.-C. Saint-Amant, op. cit., minute 1812.

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Coll. Gisèle Allard-Brousseau

Louis Allard (1831-1902), agriculteur et entrepreneur forestier à la Longue Pointe du canton de Wickham à compter de 1866. Un regard encaissé sous des sourcils tourmentés, un tronc puissant, des mains larges, un nez amoché qui lui a valu le surnom de « Bailloche », autant d’indices de sa grande vitalité et de la combativité avec lesquelles il affronte les obstacles se dressant sur sa route.


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Louis Allard, revendicateur

L’ascendance de Louis au sein de sa communauté se traduit par son élection au sein du conseil municipal et à la table des commissaires d’école, mais aussi par son rôle de médiateur dans les conflits de tout genre. Un exemple cocasse : Raphaël Côté (voiturier) et Narcisse Côté (charretier), qui désignent Louis Allard et Moïse Gagnon pour établir le salaire à payer à un « plumeur » d’écorce de pruche. C’est qu’au XIXe siècle, l’écorce de pruche est recherchée pour sa haute teneur en tanin utilisé pour le tannage des peaux. L’écorce s’enlève facilement au printemps alors que la sève est abondante, sans abattre l’arbre. Louis établit à 14 $ par mois un salaire équitable pour déshabiller les pruches, alors que Moïse suggère 26 $. On fait alors appel à un troisième arbitre, soit Félix Proulx, lequel approuve le montant fixé par Louis. L’arbitrage a lieu en 1885, après trois printemps durant lesquels Cléophas Côté (fils de Raphaël) lève la précieuse écorce pour le compte de Narcisse, qui la livrait au marchand John Mooney de Windsor Mills1.

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Des titres clairs au prix de 15 ans de tribulations Louis fait preuve de ténacité lorsqu’il veut obtenir justice. Dès son arrivée à la Longue Pointe, l’occasion lui est donnée de montrer de quel bois il se chauffe. Nous avons vu plus tôt que Louis achète la ferme de la Longue Pointe le 8 février 1866. Les Barlow lui cèdent, moyennant la somme de 3500 $, dont 900 $ payés comptant, quatre lots de terre contigus totalisant 375 arpents sur lesquels s’élèvent une maison et les bâtiments d’usage2. En mai de la même année, un agent de la succession Lindsay avise Louis que le lot 7 (un des quatre lots achetés) qu’il s’apprête à semer ne lui appartient pas. Louis s’adresse à deux reprises à George Magar3, le fondé de pouvoir de la succession Barlow, pour clarifier la situation du lot 7 en plus de réclamer une quittance de FrançoisRosario Chagnon (petit-fils de Curtis Barlow) qui serait en droit d’exiger une part indivise de la propriété.

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En septembre 1866, en présence du notaire Gladu, la succession Barlow consent à ce que Louis Allard « garde en mains la balance qu’il leur doit sur le prix de vente, sans leur en payer l’intérêt » jusqu’à l’obtention des titres de propriété réclamés et de la quittance de François-Rosario4. En mai 1868, les héritiers Barlow reçoivent enfin le lot 7 du 2e Rang (55 arpents) du Comité des Terres du Gouvernement du Québec. Ils négligent, cependant, de le transférer à Louis, comme promis deux ans plus tôt. C’est Louis qui revient à la charge 11 ans plus tard, soit en juillet 1879. Accompagné du notaire L.-H. Bellerose, il se présente à la résidence de Magar avec, en main, des pièces d’or et des billets du Dominion pour bien signifier sa détermination à régler cette affaire5. Près de deux ans s’écouleront encore avant que la succession Barlow ne lui délivre la quittance de François-Rosario Chagnon (devenu télégraphiste en Californie)6 ainsi que les titres de propriété du lot 7. En mars 1881, Louis leur verse 2050 $ en paiement final de la ferme de la Longue Pointe7.

présente chez un cultivateur du 7e Rang du canton de Durham, dénommé H.-I. Faucher. Le conflit remonte au mois de novembre précédent alors que Faucher fait encan de meubles, de fourrage et d’effets de toutes sortes. Louis soumet la plus haute enchère, soit 10,50 $ la tonne, pour du foin déclaré de première qualité par l’encanteur, quelques échantillons ayant été montrés aux acheteurs potentiels. Pour acquitter son dû, il signe un billet à Faucher, payable dans un an, à un taux d’intérêt de 8 %.

En décembre, Louis envoie à deux reprises ses engagés Mastine et Proulx pour prendre livraison du foin acheté à l’encan. Les voitures reviennent vides les deux fois, car les charretiers jugent impropre le foin proposé par Faucher. Louis se rend en personne vérifier la qualité du foin, accompagné du notaire Saint-Amant qui rédige, surle-champ, une mise en demeure de livrer du foin de bonne qualité dans les huit jours ou d’appliquer un crédit de 52,50 $ sur ledit billet signé lors de l’encan. En cas de refus de Faucher de se rendre à l’une ou l’autre proposition, Louis réclamera 10 $ pour les Protêt à l’adresse de frais de déplacement de deux attelages H.-I. Faucher à deux occasions8. Malheureusement, le dénouement de ce conflit ne nous Un autre exemple de l’obstination de est pas connu. Louis à faire reconnaître ses droits se passe en janvier 1886 alors qu’il se

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Louis ne craint pas les procès

nombreuses années. Entre autres, c’est Thomas qui est le maître d’œuvre de la résidence de Louis construite en 1876 à la Longue Pointe. De son côté, Louis se porte caution pour Thomas lorsque ce dernier se voit confier la construction d’édifices publics.

Si Louis n’hésite pas à faire appel aux hommes de loi, il ne craint pas non plus de se retrouver devant les tribunaux pour obtenir justice. Il s’engage, d’ailleurs, dans trois poursuites judiciaires en cinq ans, dont une le mènera jusqu’à la Cour du Banc de la Les relations se tendent entre les Reine, la plus haute instance judiciaire cousins, en juin 1877, alors que Louis du Québec à l’époque. réclame à Thomas le paiement de factures remontant à 1875, qui s’élèvent Dans la première poursuite, qui à 565 $. Elles font référence à du bois débute en 1877, Louis s’en prend à son que Louis a obtenu pour Thomas, sur cousin Thomas Allard qui nie lui son propre crédit, aux Pierreville Steam devoir la somme de 565 $. En 1881, Mills (PSM)10. Thomas nie cette dette ses récriminations s’adressent, cette de 565 $. Pour percevoir son dû, Louis fois, aux propriétaires de la s’en remet à son avocat Eugène Compagnie Tourville, lesquels ont Crépeau. Une poursuite judiciaire empiété sur sa terre à bois du canton s’engage. En première instance, la de Simpson. Enfin, en 1882, il Cour supérieure d’Arthabaska conréclame, des marchands montréalais damne Thomas à payer les 565 $ McLean & Davidson, le paiement réclamés par Louis. d’une partie des 25 000 dormants de chemin de fer qu’il a livrés dans les Thomas retient alors les services de l’avocat Ernest Pacaud, qui dépose une limites de Drummondville. opposition à jugement et un compte de 768 $, cette fois dû par Louis à Thomas11. De plus, ce dernier conteste Poursuite contre Thomas devant la Cour sa responsabilité conAllard (1877-1879) cernant les livraisons de bois d’œuvre Cette poursuite intentée par Louis faites par les PSM. Il se dit simpleAllard contre Thomas Allard surprend ment « intermédiaire » entre Louis et à plus d’un égard. D’abord, parce que des clients potentiels12. Pour corroLouis et Thomas sont cousins : leurs borer ses dires, il dépose des lettres pères sont mariés aux deux sœurs soi-disant signées par Louis l’enJanelle9. D’autre part, Louis (com- joignant de lui trouver des acheteurs. merçant de bois) et Thomas (archi- Sa fille, Célinia, témoigne de tecte) sont liés en affaires depuis de démarches faites par Louis auprès de 55


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1878 : Fausse lettre déposée à la Cour supérieure d’Arthabaska par Thomas Allrad aux fins d’incriminer son cousin Louis Allard.


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son père à l’effet de lui sauver du bois Poursuite contre la Compagnie « en danger » aux PSM13. Tourville (1881-1883) De son côté, Louis assigne devant la Cour divers témoins, dont Henri Vassal, gérant des PSM, qui confirme la version de Louis selon laquelle le bois était acheté par Thomas et porté au compte de Louis14. Un commerçant de Saint-Athanase rapporte que Thomas avait placé 60 000 pieds de bois d’œuvre dans sa cour en lui demandant de le vendre pour lui15. François Janelle (cousin de Louis et de Thomas) rapporte une conversation où Louis avait dit à Thomas : « Vends le cher tant que tu pourras, c’est ton affaire, pourvu que tu me rembourses le prix qu’il me coûte aux Moulins16. »

À l’hiver 1881, Louis remplit un contrat d’approvisionnement en billes de pin et d’épinette, signé avec un dénommé Ross. Ce dernier exploite une scierie à Saint-Nicolas, un village situé en bordure du Saint-Laurent, à moins de 6 milles en amont du port de Québec. Louis fait alors chantier sur des terres à bois achetées dans le 5e Rang du canton de Simpson (Saint-Lucien)19. Les pins et les épinettes, aussitôt abattus, sont ébranchés et écimés à la hache. Les troncs, sciés en longueur de 13 1/2 pieds, sont halés par des chevaux jusqu’à la rivière SaintFrançois, en un point abrupt connu sous le nom de « la montagne des chênes ». C’est là que le contremaître de Ross20 sélectionne les billes répondant aux normes du contrat, alors que les résidus et le bois franc sont transportés à la scierie que Louis exploite de l’autre côté de la rivière, près de la grand’maison.

En juin 1878, dix mois après le début des procédures, la Cour rend le jugement suivant : le compte de Louis au montant de 565 $ est confirmé alors que le compte de Thomas au montant de 768 $ est rejeté pour absence de preuves suffisantes. Thomas est donc responsable de la dette contractée envers Louis, des frais engagés par ce dernier pour le poursuivre devant les tribunaux ainsi que des frais judiciaires17. Au moment de la débâcle, les employés de Ross balancent dans la rivière SaintThomas étant insolvable au moment François les billes sélectionnées qui de la condamnation, comme tout au dévalent pêle-mêle jusqu’au fleuve, long de sa carrière d’ailleurs, c’est la soit une distance d’environ 30 milles. paroisse Saint-François-du-Lac qui Là, elles sont assemblées en cages ou paie Louis, en août 1880, en acquitte- radeaux et descendent le Saint-Laurent ment d’honoraires dus à Thomas pour jusqu’à Saint-Nicolas (distance de 100 milles)21. la construction d’un couvent18.

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Louis n’est pas seul à faire chantier dans Simpson. La Compagnie Tourville22, qui exploite une mégascierie à l’embouchure de la rivière Saint-François, a confié à des jobbers23 la coupe de résineux sur le lot 23, voisin du lot 22 appartenant à Louis. Les jobbers de la Compagnie Tourville, se méprenant sur la ligne de division des lots 22 et 23, coupent allègrement sur la terre de Louis les plus beaux spécimens de pin et d’épinette24. Louis intime à la Compagnie Tourville de cesser la coupe de bois dans la partie litigieuse jusqu’à ce qu’une ligne officielle ait été tirée. Et d’ajouter : « Si vous bûchez encore, je prendrai mon bois sur la jetée. » Louis laisse

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Carte établie par Yolande Allard en octobre 2002

ainsi entendre qu’il se remboursera du bois coupé sur son lot à même les billes déjà rendues sur la jetée, prêtes à être balancées dans la Saint-François. De plus, il leur rappelle son souci d’équité dans une lettre écrite par son fils Télesphore en son nom : « Je ne veux pas prendre de bois chez-vous et je ne veux pas que vous en preniez chez-moi25. » Les deux parties conviennent de faire appel à un arpenteur amateur, du nom de Michel Boisvert, pour localiser la frontière entre leurs lots respectifs. Boisvert trace alors une ligne décrivant une courbe d’environ 145 pieds à l’avantage de la Compagnie Tourville26. Louis proteste et obtient


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que le travail soit repris par l’arpen- Quatre mois plus tard, soit en juillet teur agréé Dorion. 1882, la Cour de révision donne cette fois raison à Louis invoquant, entre La nouvelle ligne tirée par Dorion autres, la mauvaise foi de la donne raison à Louis ; les jobbers de la Compagnie Tourville qui a laissé la Compagnie Tourville ont bel et bien coupe de bois se poursuivre alors qu’on fait chantier sur son lot. Il est donc en tentait de tracer une limite officielle droit de réclamer la somme de 170 $, entre les deux lots. La Compagnie soit la valeur, une fois rendues sur la Tourville est condamnée à verser à jetée, des 89 billes d’épinette et des 125 Louis la somme de 176 $, soit 82 $ billes de pin coupées sur son lot par pour la valeur du bois coupé, 64 $ inadvertance27. Louis exige, en plus, pour les frais de coupe et de transport une indemnité de 75 $ pour le bois du bois jusqu’à la jetée et 30 $ pour le franc qu’il aurait scié à son moulin, ce bois laissé sur place qui aurait pu être qui lui sera impossible de faire vu les scié au moulin de Louis31. abattis et les embarras de toutes sortes que les hommes de la Compagnie Tourville ont laissés sur le terrain28. La Compagnie Tourville nie les abattis et les embarras mais consent à remettre à Louis les billes d’épinette et de pin à condition qu’il paie la maind’œuvre pour les abattre et les transporter jusqu’à la jetée29. Mécontent de l’offre de la Compagnie Tourville, Louis s’adresse aux tribunaux pour obtenir justice. La Compagnie Tourville décide alors de recourir à une juridiction En mars 1882, la Cour supérieure supérieure, soit la Cour du Banc de la d’Arthabaska rejette la réclamation de Reine, pour casser le jugement de la Louis alléguant la bonne foi de la Cour de révision. Mais en vain. À la Compagnie Tourville évidente par veille de Noël 1883, Louis est avisé l’offre faite à Louis une fois l’erreur de que les juges Tessier et Baby ont mainligne reconnue30. Confiant de la tenu le jugement prononcé par la Cour justesse de ses droits, Louis fait appel de révision en juillet 188232. La de ce jugement. Compagnie Tourville doit donc lui verser la somme de 176 $. Après trois ans de tribulations… 59


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Poursuite contre McLean & Davidson (1882-1886) Au printemps 1882, Louis s’engage à livrer 25 000 traverses33 qui serviront à la réfection de la voie ferrée reliant Drummondville à L’Avenir. Le marché intervient avec les commerçants de bois Charles McLean (Acton Vale) et David Davidson (Montréal). Quatre mois après la signature du contrat, Louis a déjà livré 16 649 traverses d’une valeur de 2084 $, pour lesquelles il a reçu 1100 $34. De plus, il est prêt à en livrer 8700 autres avant la date d’échéance du 1er août stipulée dans le contrat. Mais voilà que le nombre de traverses livrées par Louis ne concorde pas avec celui consigné par McLean. Lorsque Louis le convoque pour un décompte officiel, il ne se présente pas au rendez-vous, ou vient à quelques jours d’intervalle sans le prévenir. Louis et le notaire Girouard de Drummondville se présentent chez McLean, à Acton Vale, pour y déposer un protêt le sommant de prendre livraison de toutes les traverses et de lui payer son dû35. La procédure ne fait bouger ni McLean ni Davidson, aussi Louis s’adresse-t-il aux tribunaux pour obtenir justice. Il choisit une fois de plus l’avocat Eugène Crépeau, d’Arthabaska, pour le défendre. Trois années s’écoulent avant que le juge Plamondon de la Cour supérieure 60


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d’Arthabaska rende un jugement intimant à McLean et Davidson de payer à Louis Allard la somme de 455 $36. Mais encore fallait-il des créanciers solvables. À Acton Vale, le huissier Chauveau apprend que McLean n’habite plus la région et, qui plus est, n’y possède ni meubles ni immeubles. À Montréal, les recherches de Chauveau sont plus fructueuses, puisqu’il retrace deux terrains appartenant à Davidson, situés respectivement sur les rues des Commissaires et Saint-Laurent. Leur vente à l’enchère rapporte 12 500 $, duquel montant on déduit des créances hypothécaires et des honoraires professionnels totalisant 12 361 $37, soit une différence de 139 $ versée à Louis Allard après quatre années de tracasserie et de multiples déplacements depuis sa résidence de la Longue Pointe pour rencontrer McLean, Davidson, les sous-traitants, son avocat, les 15 témoins assignés au procès, le juge et le huissier.

milles, dont 16 milles effectués à pas de cheval jusqu’à la gare de Richmond ; le reste du trajet s’effectue en train sur la ligne du Grand Trunk. Lorsque les routes sont carrossables et la température, clémente, Louis fait tout le voyage en boghei ; il franchit alors la rivière Saint-François sur le bac amarré juste en face de la grand’maison, et parcourt les 34 milles le séparant d’Arthabaska via Saint-Félix et Kingsey Falls. L’isolement de la Longue Pointe pèse encore plus lourd à l’étape du procès. Louis doit convoquer ses témoins (de 10 à 15) à Drummondville pour enregistrer leurs dépositions à la Cour de circuit, ou à Arthabaska pour témoigner en personne devant le juge de la Cour supérieure. Ces déplacements sont très coûteux en raison du temps « perdu dans le chemin » alors qu’il y a tant à faire à la ferme, à la scierie ou sur les chantiers.

Et comble de désillusion, après des années de tracas, d’incertitudes et de Le plus « chéti’ » arrangement délais, les poursuivis s’avèrent insolne vaut-il pas mieux que le vables ou introuvables. Ainsi l’exmeilleur procès? prime le proverbe : « D’un procès, le gagnant sort en queue de chemise, le Louis a gagné ses trois procès. Sa soif perdant tout nu. » de justice est étanchée, mais à quel prix! Il suffit de s’imaginer le périple qu’il se « tape » pour consulter son avocat Eugène Crépeau38 dont le cabinet se trouve à Arthabaska. Louis doit parcourir une distance d’environ 50 61


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Palais de justice d’Arthabaska (PJA), greffe J.-C. Saint-Amant, minute 131. Bureau d’enregistrement de Drummondville (BED), B-8281, mémorial 348. La ferme de George Magar est située dans le 2e Rang de Durham. ANQ Montréal, greffe Victor Gladu, minutes 15 et 354. ANQ Trois-Rivières, greffe L.-H.-J. Bellerose, minute 306. Ibid., greffe J.-L.-G. Manseau, minute 3039. BED, B-18373, B-182372 et B-18385. Ibid., minute 152. Paul-Joseph (père de Louis) et François-Joseph (père de Thomas) sont mariés aux deux sœurs Janelle, Josephte (mère de Louis) et Agathe-Marie (mère de Thomas). Cause no 126, archives judiciaires de la Cour supérieure d’Arthabaska (CSA) déposées aux ANQ (Trois-Rivières), sommation et déclaration du 20 septembre 1877. Ibid., opposition et jugement du 7 novembre 1877. Ibid., déposition du 11 février 1878. Ibid., déposition du 28 mai 1878. Les démarches évoquées par Célinia remontent à l’été 1876 alors que les Moulins à Vapeur doivent répondre devant la Cour supérieure de Richelieu à plusieurs réclamations de créanciers. En mars 1878, les biens des Moulins à Vapeur seront saisis par le syndic du district. Ibid., déposition du 16 mars 1878. Ibid., déposition du 20 mai 1878. Ibid., déposition du 28 mai 1878. Ibid., jugement de l’honorable M. A. Plamondon rendu le 25 juin 1878. Ibid., déposition du 20 mai 1878. BED, A-1-547. Charles McCafery, commerçant de bois de Nicolet, vend à Louis Allard les lots 21 et 22, Rang 5, tw Simpson, 235 arpents chacun, prix : 2500 $. Charles Hélie, 35 ans, cultivateur de Sainte-Angèle-de-Laval, contremaître ou culler de Ross, cause no 39, archives judiciaires de la CSA. Cour de circuit, Drummondville (CCD), octobre 1881, témoignage de Charles Hélie, 35 ans, de Sainte-Angèle-de-Laval, contremaître pour Ross, cause no 39, op. cit. En 1881, Louis Tourville s’associe à Joël Leduc pour former la Compagnie Tourville et racheter les actifs de la Compagnie des Moulins à Vapeur de Pierreville, qui avait déclaré faillite en 1878. Source : A. Gamellin, op. cit., p. 18. Jobbers : bûcherons rémunérés à la pièce, à la job. CCD, octobre 1881. Uldovic Brisson, 55 ans, de Sainte-Sophie-de-Lévrard, qui a bûché pour Tourville & Leduc, déclare que le plus beau bois se trouvait sur le lot de Louis Allard. Cause no 39, op. cit. Factum du demandeur, avril 1882, cause no 39, op. cit. CCD, octobre 1881, témoignage de William Brown, cultivateur du canton de Simpson, cause no 39, op. cit. La valeur estimée des 89 billes d’épinette est de 30 $, des 125 billes de pin, de 140 $. CCD, juin 1881, témoignage de Télesphore Allard, cause no 39, op. cit. Ibid. Jugement CSA, cause no 39, op. cit. Jugement Cour de révision (Cour supérieure du district de Québec), cause no 39, op. cit. Jugement de la Cour du Banc de la Reine, cause no 39, op. cit. Les dimensions des traverses sont de 6 po sur 6 po sur 8 pi de longueur. Louis Allard reçoit pour chacune 12 1/2 ¢ si elles sont en pruche ou en frêne, et 13 1/2 ¢ si elles sont en épinette ou en cèdre. Le paiement des traverses devait se faire au fur et à mesure des livraisons. ANQ Trois-Rivières, greffe J.-E. Girouard, minute 342. Cause no 4, archives judiciaires de la CS, Louis Allard, demandeur, McLean & Davidson, défendeurs, 1883 à 1886. Ibid. Eugène Crépeau (1843-1908), originaire de Baie-du-Febvre (comme Louis Allard), études classiques au séminaire de Nicolet, admis au Barreau en 1867. Il pratiqua sa profession à Arthabaska. Il possédait un grand sens légal, une habileté de procédurier peu commune. Il joignait à ces deux qualités maîtresses de l’avocat une énergie indomptable. Source : C.E. Mailhot. Les Bois-Francs. Impr. d’Arthabaska, 1921, p. 321-324.


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6 Coll. Guy Allard

La vie familiale des Allard

1945 – Pancrace Allard et sa femme Alma entourés de leurs enfants dans la cuisine de la grand’maison.

L’éducation est au centre des préoccupations de Louis et d’Olive dès leur arrivée à la Longue Pointe en 1866, puisqu’à la rentrée de septembre, ils ont quatre enfants d’âge scolaire : Olive (11 ans), Télesphore (9 ans), Louise (7 ans) et Omer (6 ans). Rappelons-le, au scolaire comme au municipal, les Allard de la Longue Pointe relèvent de Wickham-Est et non de L’Avenir, et plus précisément de l’arrondissement no 31 de la municipalité scolaire de Wickham-Est, dans lequel on projette la construction d’une première école dès le mois d’avril 1866. Moyennant un déboursé de 2 $, les commissaires achètent d’Olivier Durocher un quart d’arpent à la croisée du 2e Rang et de la route Caya. Les

travaux sont confiés à Edward Connely, qui s’engage à livrer l’école pour la rentrée de septembre 1866. Sur des fondations en pierre de 20 pieds de côté, Connely lève des murs de planches bouvetées en pin, percés de cinq fenêtres à 20 carreaux chacune et d’une porte double. Il applique sur les murs un crépi fait de chaux et de poil de bœuf. Une cheminée de brique perce en son milieu la toiture recouverte de bardeaux de cèdre. Le mobilier consiste en deux tables de 10 pieds de long sur 2 1/2 pieds de large et de quatre longs bancs2. Lors de sa visite de 1876, l’inspecteur décrit l’édifice de « passable à l’intérieur mais au dehors peu attrayant »3. 63


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On se chicane pour la localisation de l’école À peine la structure de l’école est-elle levée que sa localisation soulève un tollé de protestations parce que beaucoup trop décentrée. En effet, l’école est située à un mille des limites nord de l’arrondissement et à trois milles des limites sud. Les contribuables lésés soumettent une requête à l’effet de relocaliser l’école à l’angle du 2e Rang et de la route de la Longue Pointe. En assemblée spéciale, tenue le 25 septembre 1866, les commissaires acceptent le changement de site

à condition que les frais de déménagement de l’école soient absorbés par les propriétaires contestataires4. Parmi ces derniers, on retrouve Louis Allard et Léonard Manseault5, tous deux propriétaires d’une ferme à la Longue Pointe. Manseault est alors président de la Commission scolaire de Wickham-Est. Il va de soi que les contribuables favorables à l’emplacement initial (au coin de la route Caya) s’opposent farouchement au déménagement. Ils imposent d’abord le statu quo, puis ils demandent au surintendant de l’Instruction


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publique de se pencher sur le dossier6. Aux élections de juillet 1867, Manseault est défait. Le nouveau président, C. A. Boucher, convoque deux assemblées spéciales pour finaliser l’achat d’un terrain faisant partie de la ferme de James Cusack, située au coin du 2e Rang et du chemin de la Longue Pointe. On discute fort, et les deux clans restent sur leur position7.

Louis Allard à la tête de la municipalité scolaire Exaspéré, Boucher invite Louis Allard à joindre le Conseil des commissaires pour prendre en main la résolution du conflit. Aux élections scolaires de juillet 1868, Louis est élu commissaire, et nommé, sur proposition de Boucher, président de la municipalité scolaire de Wickham-Est. À la rencontre du mois d’août, les commissaires mandatent Louis pour « consulter un avocat sur l’affaire de l’école du 2e rang, et prendre les moyens de la faire achever au plus tôt ». On lui alloue la somme de 2 $ pour ses frais de déplacement8. Quelques semaines plus tard, Louis soumet aux commissaires un avis juridique confirmant l’autorité du surintendant de l’Instruction publique qui avait cautionné le déménagement de l’école du 2e Rang à l’angle du chemin de la Longue Pointe.

son mandat de trois ans. Il ne se présente pas aux élections de juillet 1871. Edward McCabe lui succède ; il assumera la présidence de la municipalité scolaire de Wickham-Est durant 30 ans. En 1874, McCabe reçoit une nouvelle requête pour déplacer l’école du 2e Rang9. Elle n’aura pas de suite. Louis s’implique à nouveau en politique scolaire à compter de juillet 1880. Il est élu commissaire durant deux mandats consécutifs, soit jusqu’en juillet 1886. Louis nourrit le projet d’ouvrir une école à la Longue Pointe. Dès que sa fille Ernestine obtient son diplôme d’enseignement du Bureau des examinateurs de SaintHyacinthe, il réclame la division de l’arrondissement no 3 afin d’aménager une classe dans sa résidence. On lui alloue la somme de 40 $ pour le local et le mobilier alors qu’Ernestine reçoit 40 $ d’émolument pour les quatre premiers mois d’enseignement10. Elle a 19 ans. Ses frères Émile, Arthur et Adhémar ont respectivement 13, 11 et 9 ans, alors que la benjamine, Éva, n’a que 6 ans.

En septembre 1891, les commissaires votent à nouveau une allocation à l’intention de Louis Allard et de son fils Télesphore « for enable them to educate their children at home as they are so far from the school »11. Ernestine enseigne cette fois à son frère Adhémar (13 ans), sa Louis assume la présidence de la sœur Éva (10 ans), sa nièce Julienne (8 municipalité scolaire jusqu’à la fin de ans) et son neveu Aloysius (6 ans). 65


Coll. Mariette Allard-Cusson

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C. 1942 – école du 2e Rang. « La dernière année qu’on est allé à l’école, mes parents [Alma et Pancrace Allard] ont acheté par le catalogue Eaton une bicyclette de fille, noire parce que c’était 1 $ meilleur marché. C’est Adélard Brousseau qui travaillait à La Pointe qui a monté la bicyclette. On avait 3 milles à marcher! Rita, Normand et moi [Guy], on avait déterminé 2 spots. Un de nous trois faisait le trajet à bicyclette jusqu’au premier spot (1 mille environ), il jetait la bicyclette à terre et continuait le trajet à pied. Les deux autres marchaient jusqu’à la bicyclette, un des deux la prenait pour un mille, puis la lâchait à terre et continuait le trajet à pied. Quand le troisième rejoignait la bicyclette, il l’enfourchait pour parcourir le dernier tiers du trajet. On arrivait tous ensemble à l’école. » Source : Guy Allard, entrevue du 10 avril 2001.

L’Université du 2 « L’Université du 2 », c’est ainsi qu’on a appelé, avec humour, l’école du 2e Rang qui a accueilli trois générations de Allard de la Longue Pointe. On ne peut qu’admirer le dévouement sans limite démontré par les maîtresses d’école qui s’y sont succédé. On leur confie jusqu’à une trentaine d’enfants à qui elles doivent inculquer les rudiments du catéchisme, de la lecture, de l’écriture et de l’arithmétique, un enseignement qui va de la première à la septième année. Mademoiselle 66

Letellier, entre autres, s’acquitte fort bien de sa tâche durant les années scolaires 1866-1867 et 1867-1868, puisque l’inspecteur Alexander note dans son rapport : « Justine Letellier mérite une mention toute particulière, les progrès y sont surprenants. » À la suite de sa visite du printemps 1873, il écrit : « L’école est […] bien dirigée par Sarah Bouthillette. Les progrès des élèves ont été satisfaisants. » En 1877, ses commentaires sont pessimistes cette fois : « Les enfants de cette école ont perdu beaucoup de temps par caprice. Le jour de ma


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visite, il n’y en avait que six. […] La grand’maison, Dans le canton de Wickham, l’assis- une résidence bourgeoise tance moyenne est de 57 %12. » C’est en 1876 que Louis confie à son Pour ces valeureuses institutrices, la cousin architecte, Thomas Allard, la récompense ne viendra pas de béné- construction d’une nouvelle résidence fices matériels, puisque leur salaire à la Longue Pointe. Il y a maintenant annuel est plafonné à 80 $ pour une 10 ans que Louis et Olive ont quitté période de 25 ans. En effet, de 1866 à Baie-du-Febvre avec leurs cinq 1891, diplômée ou pas, pédagogue ou enfants. Six autres sont nés par la pas, la maîtresse de l’école du 2e Rang suite, dont deux filles décédées en bas reçoit le misérable traitement de 80 $ âge. Depuis son arrivée à la Longue pour les vexations et la fatigue de dix Pointe, la famille habite la maison mois d’enseignement. Elles ne sont construite par les Barlow en 1832. pas seules à payer les frais de la mesquinerie de certains commissaires Louis et Olive aspirent à une maison et de l’insouciance des parents pour vaste et spacieuse qui reflète l’aisance l’éducation de leurs enfants, puisque financière acquise grâce au commerce dans le district de Drummond, selon du bois et à la vente des surplus agriAlexander, on paie alors entre 60 $ et coles tirés d’une terre généreuse. 80 $. D’ailleurs, ce dernier réclame à Influencés par les périodiques agriplusieurs reprises une loi qui force les coles et architecturaux, tels Rural municipalités scolaires à donner une Affairs et les publications Woodward, rémunération convenable aux Louis et Olive choisissent la maison à enseignantes. En 1872, il établit à comble français, ou « toit à la 120 $ par année le minimum que Mansart », qui permet l’ajout d’un devrait recevoir une maîtresse de l’é- étage complet pour l’aménagement de cole publique élémentaire13. plusieurs chambres tant pour leurs La contribution gouvernementale couvre à peine 10 % des dépenses d’exploitation des écoles publiques14. Le reste du budget provient de la taxation des propriétés foncières qui s’élève, en 1877, à 50 ¢ du 100 $ d’évaluation. À titre d’exemple, le propriétaire d’une ferme évaluée à 350 $ doit verser 1,75 $ par année pour le maintien des écoles15.

enfants que pour les engagés16. Thomas et Louis s’entendent pour un « carré » de maison de 34 pieds sur 38 pieds, tout en bois, dont les murs intérieurs seront recouverts de crépi et généreusement moulurés. En plus de fournir le bois d’œuvre, Louis verse 500 $ à Thomas qui s’engage, de son côté, à livrer la maison, clef en main, dans les six mois suivant l’entente. 67


Coll. Rolland Allard

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La grand’maison de la Pointe Allard, construite en 1876. La structure de la maison repose sur des fondations hautes de 6 pieds 6 pouces qui dégagent un espace très utile pour conserver les denrées et remiser le bois de chauffage. L’accès à la cave est facilité par un escalier partant de la cuisine ainsi que par une porte basse pratiquée dans le mur des fondations du côté de la rivière. Une galerie de 4 pieds de largeur court sur trois façades de la maison. Elle est coiffée d’une petite toiture inclinée qui préserve des chauds rayons du soleil, mais aussi de la pluie et de la neige. Au centre de la galerie, face à la route, un escalier conduit à la porte du dimanche. On a construit des murs très épais, en pièces sur pièces sciées avec minutie, pour éviter le plus possible les interstices dans lesquels s’infiltrent le vent et le froid. Ceux qu’on a pu éviter sont bourrés de mousse. Pour maximiser l’étanchéité des murs, on a posé de l’écorce de bouleau sur la face extérieure. Puis, c’est le parement de finition en planche à clin. Comme le froid pénètre dans la maison surtout par les ouvertures, on a installé des doubles fenêtres d’octobre à avril, lesquelles sont remplacées par des persiennes durant l’été. Au fil des ans, les alentours de la grand’maison se sont enrichis de fleurs, d’arbustes et d’arbrisseaux qui ont ajouté au cachet champêtre des lieux, tels des cosmos tout le long de la galerie pour en camoufler les dessous, des pieds d’alouette, des lilas, des cerisiers à profusion, des pruniers assez capricieux, un senellier, du pimbina et d’autres plantes arbustives dont les fruits sont transformés en confitures ou en vin.


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Le rez-de-chaussée de la grand’maison. La porte du dimanche donne sur le salon. En face de la porte, un escalier très ouvragé en cerisier noir mène à l’étage. À gauche de l’entrée, le bureau d’affaires de Louis qui sera ultérieurement utilisé comme chambre pour les visiteurs. Le salon est largement ouvert sur la cuisine qui est le cœur de la maison. En effet, c’est de la cuisine qu’on accède à la dépense, à la chambre des parents, à la cave, aux chambres des filles par un escalier de service et à la cuisine d’été reliée au corps principal de la maison par un tambour. La distance entre les planchers et les plafonds est de 10 pieds 4 pouces. Cette dimension conditionne la hauteur des ouvertures qui prennent une allure gigantesque pour suivre les proportions de l’ensemble. Ainsi, surmontées d’une imposte, les portes atteignent près de 9 pieds de hauteur.

L’étage des chambres de la grand’maison. L’étage des chambres est divisé en deux espaces distincts pour isoler les filles des garçons et des hommes engagés. Impossible de passer d’un côté à l’autre sans descendre au rezde-chaussée et se faire voir des maîtres de la maison. Par l’escalier du salon, on atteint un vaste passage donnant accès aux quatre chambres des gars. Huit ouvertures ont été pratiquées dans le toit pour faciliter la distribution des chambres. La distance entre les planchers et les plafonds est de 8 pieds 4 pouces. Plans dessinés par Yolande Allard, juin 2002.

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Au début du printemps 1876, Thomas retient les services d’un maçon de Saint-François-du-Lac, Pascal Dauplaise, qui prépare les assises de la nouvelle maison et construit les cheminées moyennant une rémunération de 103 $. Puis, c’est le travail d’un charpentier de Saint-Piede-Guire, François Janelle : pose des poutres de base, élévation de la charpente, des murs, des divisions intérieures, construction des planchers en madriers de pin et du toit. Thomas confie à Philippe Bourke la tâche de « bardoiser » la toiture, tâche qui dure six jours, à raison de 80 ¢ par jour. La planche à clin qui recouvre les murs extérieurs est blanchie à la chaux sur trois faces pour la somme de 12 $17. La symétrie reste une dominante dans cette construction : d’abord, donnant sur la route, la porte du dimanche, qui est coiffée d’une imposte et flanquée de baies vitrées. De part et d’autre de cette porte, de larges fenêtres à persienne laissent entrer la lumière en abondance. Symétrie aussi dans la distribution des petites lucarnes : en effet, le brisis avant est percé de trois lucarnes, alors que dans les brisis latéraux on n’en compte que deux pour dégager un espace suffisant aux cheminées, dont les hautes souches accentuent l’équilibre et l’harmonie de l’ensemble.

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Olive : la gardienne du foyer Un dicton parcourait les campagnes québécoises au XIXe siècle : « Tant va la femme, tant va la ferme ». À cette époque, la liste des tâches accomplies par les femmes est exhaustive. Comme le dit si bien l’historienne Micheline Dumont : « Une ferme n’est pas complète sans son potager et son indispensable caveau à légumes, sans le poulailler, le four, la cuisine d’été, les plates bandes autour de la maison, tous des lieux ou s’activaient les femmes. » À l’intérieur de la maison, les corvées sont également nombreuses selon madame Dumont : « La fumée monte de la cheminée : qui pensezvous entretient le feu? L’absence de fils électriques nous permet d’imaginer les bougies qu’il faut fabriquer, les lampes qu’il faut nettoyer et remplir, les essoreuses à manivelle, les fers et les bouillottes qui chauffent sur le tablier du poêle, les blocs de glace qu’il faut transporter, les cuisinières qu’il faut nettoyer18. » On se demande comment Olive peut accomplir toutes ces tâches tant elle est accaparée par la maternité. En effet, en 27 ans de fertilité, elle donne naissance à 14 enfants. Elle a 19 ans lorsqu’elle accouche de l’aînée, et 45 ans lorsque la benjamine, Éva, voit le jour. Les conceptions suivent les saisons et le calendrier de l’Église qui encourage les époux à l’abstinence de « l’œuvre de chair » comme pénitence pendant le


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Olive Côté (1835-1908). Olive n’a que 17 ans et 3 jours lorsqu’elle épouse Louis Allard. Une forte constitution conjuguée à des conditions matérielles supérieures à celles dont jouissent la plupart des colons favorisent la longévité d’Olive bien au-delà de l’espérance de vie fixée à 45 ans en 1901. En effet, Olive rend son âme à Dieu à l’âge vénérable de 73 ans! Elle laisse dans le deuil huit de ses 14 enfants et une trentaine de petits-enfants. Parmi ces derniers, nous avons recueilli deux témoignages : celui de Stéphanette Allard à l’effet que mémère Olive prenait un verre de vin avant chaque repas et celui de Gabrielle Phénix, très impressionnée de voir sa grand-mère passer une aiguille dans les trous de ses lobes d’oreille pour éviter qu’ils s’obstruent. Olive croyait, semble-t-il, aux effets bienfaisants des oreilles percées sur sa vue défaillante. De plus, Gabrielle aurait reçu une paire de taies d’oreiller brodées de la main de sa grand-mère, vers 1907, alors que cette dernière visitait ses enfants émigrés dans l’Ouest. Coll. Gisèle Allard-Brousseau

carême. Toutefois, si l’un des époux exige quand même les devoirs conjugaux, l’autre doit s’y plier19. Comme Olive n’a jamais donné naissance en novembre et en décembre, il y a fort à parier que le couple s’est soumis aux directives du clergé.

maux de poitrine, allant de la simple toux jusqu’à la tuberculose, et les maladies intestinales qui constituent la grande cause de mortalité infantile. Des 14 enfants qu’elle met au monde, deux (Emma et Parméla) meurent avant d’avoir atteint l’âge d’un an ; quant à Ermélina, elle dépasse à peine C’est sur les épaules d’Olive que trois ans lorsqu’elle s’éteint. repose l’état général de santé des membres de la famille et en particulier Nous avons malheureusement une celui des enfants. À la fin des années vision incomplète de l’existence 1870, elle peut compter sur des nou- d’Olive, en l’absence d’information sur veautés, tels le lait de magnésie sa vie intime, sur ses motivations, sur Phillips et l’huile de foie de morue20, ses relations... De la dernière étape de en plus des remèdes maison qu’elle sa vie, soit celle qui suit le décès de son concocte grâce aux recettes héritées de mari, nous savons qu’elle est accueillie sa mère Félicitée. Ainsi, dans sa cam- par sa fille Hélène dans les bras de pagne profonde, à des milles d’un ca- laquelle elle meurt le 6 octobre 1908. binet de médecin, doit-elle soigner les 71


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Coll. Archives du Séminaire de Nicolet, F085/P8206

C. 1890 – l’église Saint-Pierre-de-Durham (L’Avenir), démolie en 1902. Les Allard de la Longue Pointe relèvent de la paroisse Saint-Pierre-de-Durham. Que ce soit pour assister à la messe dominicale, pour recevoir les sacrements ou pour marcher au petit catéchisme, tous les membres de la famille se rendent à L’Avenir. Louis Allard assume la charge de marguillier de 1877 à 1885. Louis et Olive prennent place à l’avant de l’église, dans le premier banc, avec les aînés. Les plus jeunes enfants s’assoient devant, sur un petit banc fabriqué par Louis exprès pour eux et attaché au banc familial par des crochets de bois. À la suite de la démolition de l’église, le petit banc est installé dans la cuisine de la grand’maison. On se rappelle le claquement des crochets sur le mur lorsqu’on s’y assoyait. Source : Rita Allard-Leclerc, entrevue du 17 avril 2001.


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Références chapitre 6 1

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6 7 8 9 10 11 12 13

14 15 16 17 18

19 20

En 1870, l’arrondissement no 3 comprend les rangs 1 et 2 de la Longue Pointe, le Rang 1 du canton de Wickham ainsi que la partie du Rang 2 formée par les lots 1 à 10 incl. Archives de la municipalité scolaire de Wickham-Est (MSW-E) conservées à la Société d’histoire de Drummondville, rencontres 26 août 1867 et 16 août 1870. Ibid., 30 avril 1866. ANQ Québec, rapports du surintendant de l’Instruction publique colligés dans les Documents de la Session. Rapport de l’inspecteur Alexander, 1876. Rencontre MSW-E, op. cit., 25 septembre 1866. Léonard Manseault, marchand à Baie-du-Febvre, achète une terre de 95 acres située à la Longue Pointe au début des années 1840. Rencontres MSW-E, op. cit., 2 mars 1867, 4 mai 1867, 8 juin 1867 et 20 juillet 1867. Ibid., 25 avril 1868 et 30 juin 1868. Ibid., 20 août 1869 et 12 septembre 1869. Ibid., 10 août 1874. Ibid., 11 juillet 1887 et 5 septembre 1887. Ibid., 7 septembre 1891. Rapport de l’inspecteur Alexander, op. cit., 1868, 1873 et 1877. Rencontres MSW-E, op. cit., 1866 à 1891. Rapport de l’inspecteur Alexander, op. cit., 1877 : 80 $ à 88 $. 1872 : 60 $ à 72 $. L’inspecteur Alexander, qui habite Roxton Falls (Shefford), gagne 1000 $ par année. Son territoire est le suivant : une partie des comtés de Drummond, Bagot, Arthabaska et les écoles catholiques du comté de Richmond. L.-P. Audet, Histoire de l’enseignement au Québec, tome 2, Holt, Rinehart et Winston, 1971, p. 360. Saint-Nicéphore 1916-1991, Sherbrooke, Éditions Louis Bilodeau & Fils ltée, 1990, p. 41. M. Lessard et al., Encyclopédie de la maison québécoise, Éditions de l’Homme, 1972, p. 410. ANQ Trois-Rivières, archives de la Cour supérieure d’Arthabaska, cause no 126. M. Dumont, « Femmes dans un paysage », Revue d’études des Cantons de l’Est, no 20, CRCE, printemps 2002, p. 33. Collectif Clio, L’histoire des femmes au Québec depuis quatre siècles, Montréal, Éditions Les Quinze, 1982, p. 92. J. Bernier, La médecine au Québec, naissance et évolution d’une profession, Québec, PUL, 1989, p. 136.

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Les enfants nés du mariage de Louis Allard et d’Olive Côté

1.

Olive (1854-1899)

mariée en 1875 à

Henry Painchaud (1850-1916)

2.

Télesphore (1857-1928) marié en 1882 à

3.

Louise (1858-1927)

religieuse

4.

Omer (1860-1907)

marié en 1883 à

Alice Phillips

5.

Emma (1862-1863)

6.

Georges (1864-1926)

marié en 1899 à

Dina Jacques (1881-19??)

7.

Hélène (1866-1953)

mariée en 1899 à

Calixte Proulx (1859-1935)

8.

Ernestine (1868-1955) mariée en 1893 à

9.

Parméla (1870-1871)

Célinie Proulx (1856-1941)

Ulric Phénix (1868-19??)

10. Ermélina (1872-1875) 11. Émile (1874-1955)

marié en 1901 à

Éveline Janelle (1879-1945)

13. Adhémar (1878-1952) marié en 1900 à

Évelina Allard (1880-1900)

12. Arthur (1876-19??)

14. Éva (1881-1909)

marié en 1905 à

Olympe Chicoine (1885-19??)

mariée en 1900 à

Ernest Côté (1873-1951)


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La progéniture d’Olive et de Louis Allard

L’aînée de la famille Allard, prénommée du nom de sa mère, Olive, lui prête main-forte dans ses moments libres. Elle sera imitée par ses sœurs Louise, Hélène et Ernestine dans diverses petites besognes telles que dresser la table, préparer la soupe, laver la vaisselle, veiller sur le nouveau-né, donner le grain aux poules, épousseter et balayer. Aussi précieuse soit leur aide, Olive les libère les jours d’école, convaincue de l’importance de l’éducation. D’ailleurs, toutes les filles de la maison poursuivent leurs études au-delà de l’école de rang. En septembre, elles quittent la Longue Pointe vers les couvents de Saint-Hyacinthe et de Nicolet d’où elles reviennent pour les fêtes de Noël et de Pâques seulement. Un diplôme du Bureau des examinateurs catholiques en poche,

7

Olive, Louise, Hélène, Ernestine et Éva se consacrent à l’enseignement avant leur mariage ou l’entrée en religion, selon le cas. Télesphore, le premier enfant mâle de la famille, collabore à l’exploitation de la ferme familiale en plus de jouer un rôle stratégique dans la scierie de son père Louis. En effet, Télesphore est le scieur d’office ; nul autre frère, ni même son père, ne maîtrise l’art de scier. Ses cinq frères vont au collège ou apprennent un métier : Omer est médecin, Georges, vétérinaire, Émile, fromager, Arthur, pharmacien, et Adhémar, le benjamin, agriculteur à la Longue Pointe avant d’émigrer dans le South Dakota, puis en Californie où il pratique le métier de mécanicien.

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Olive Allard, née le 20 octobre 1854

L’aînée du couple Louis et Olive vient au monde à Baie-du-Febvre. Elle poursuit des études secondaires à Nicolet, chez les Sœurs de l’Assomption de la Sainte-Vierge. En juin 1871, le Bureau central des examinateurs catholiques lui décerne un diplôme d’enseignement élémentaire1. Le 8 février 1875, Olive, 20 ans, épouse en l’église de L’Avenir HenriAndré (dit Henry) Painchaud, 24 ans, du French Village de Kingsey. Henry est le dixième des treize enfants nés du mariage de Zoé Cyr dit Vincent et de Moïse Painchaud. Avec les Brault et les Thibodeau, les Painchaud sont les premiers colons francophones à s’implanter dans la région. Ils ont quitté leur ferme exiguë des seigneuries, en 1827, pour s’établir dans une région d’avenir pour eux et pour leurs descendants, et qui plus est dans un des villages les plus enchanteurs des Cantons de l’Est, que le notaire Saint-Amant décrit ainsi : « Placé presque au sommet de la montagne de Kingsey, comme un nid d’aigle il [French Village] domine les campagnes environnantes. Vers l’est, la vue s’étend jusqu’aux montagnes de Shipton, et l’on aperçoit même à travers les brumes celle de Ham. » Et d’ajouter : « Vers l’ouest, la plaine s’abaisse par 76

une pente douce jusqu’à la rivière Saint-François et l’on voit plus loin sortir, comme de la bouche éteinte d’un volcan, les fertiles campagnes et les hautes collines de Durham2. » La famille de Moïse Painchaud exploite une ferme voisine de celle du notaire Vincent3 à la sortie du village. C’est d’ailleurs dans la grange de Moïse Painchaud que les missionnaires disent la messe avant la construction de la chapelle provisoire qui débute en 18354. Olive « donnera » une nombreuse progéniture à son cher époux. Elle est âgée de 43 ans lorsqu’elle accouche, le 4 mars 1898, de son quatorzième enfant. Quelques mois plus tard, soit en novembre 1899, le malheur frappe dur chez les Painchaud. Olive meurt subitement, à peine un mois après avoir enterré sa fille Victoria âgée de 22 ans. On doit nommer un tuteur et un subrogé tuteur pour le règlement de la succession d’Olive, mariée en communauté de biens et décédée sans testament. Son mari, Henry, remplit la première tâche, et la seconde est confiée à Télesphore, le frère d’Olive. En juin 1901, le notaire Saint-Amant soumet la liste des avoirs du couple


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1875 – Olive Allard (20 ans) et Henry Painchaud (24 ans). Henry et Olive se marient durant l’hiver, une saison de relative inactivité pour les cultivateurs. Ils se promettent amour et fidélité devant Dieu et les hommes le dernier lundi avant le carême, période au cours de laquelle les unions nécessitent une dispense de l’évêque. La semaine précédente, Olive et Henry se sont présentés chez le notaire J.-B. Vincent pour signer leur contrat de mariage. Henry se déclare propriétaire d’une partie du lot 14 dans le 7e Rang du canton de Kingsey et du tiers des lots 16 et 17 dans le 8e Rang du même canton. Olive apporte dans le patrimoine familial une vache laitière, six brebis, un lit complet garni, une commode en bois dur, un chiffonnier, un service de table en faïence, une douzaine de couteaux, fourchettes, cuillères et cuillères à thé, un trousseau complet comprenant des hardes de corps et de lit, des chaussures, des coiffures, deux douzaines de serviettes de table en toile et un rouet. Le tout est évalué à 90 $.

estimés à 2939 $ et des dettes qui s’élèvent à 1885 $. Ainsi, chacun des 13 enfants recevra 40,56 $, soit le untreizième de la moitié du patrimoine familial au moment du décès de leur mère5. Bien qu’Henry Painchaud s’identifie comme cultivateur dans la plupart des documents officiels, il consacre beaucoup de temps à l’exploitation de sa scierie. En mars 1894, il s’associe à

Coll. Fernande Cayer-Marchand

son beau-père, Louis Allard, sous la raison sociale Allard & Painchaud « pour faire commerce comme propriétaire du moulin à scie et manufacturiers de bois de sciage à French Village, dans le township de Kingsey »6. Il décède d’ailleurs à la suite d’une chute d’une charge de planches le 29 septembre 1916. Henry était âgé de 65 ans7. Il avait épousé, quelques années auparavant, la veuve Vincent, née Flore Pratte. 77


Coll. Fernande Cayer-Marchand

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1895 – Henry Painchaud en compagnie de sa femme Olive et de sa belle-mère, ainsi que les 12 enfants nés à l’époque de la photo : Évelina, Victoria, Nestor, Julien, Rodolphe, Arthur, Aurore, Georges, Juliette, Elphège, Hector et Henri. Enfants nés du mariage d’Olive Allard et d’Henry Painchaud 1. Évelina 2. Victoria 3. Nestor 4. Julien 5. Rodolphe 6. Arthur 7. Aurore 8. Georges 9. Juliette 10. Elphège 11. Hector 12. Henri 13. Annette 14. Yvette

(1875-1959) (1877-1899) (1878-1961) (1880-1956) (1882-1955) (1883-1946) (1885-1937) (1887-1971) (1888-1939) (1890-1970) (1892-1933) (1894-1956) (1896-1978) (1898-1940)

Actif de Henry Painchaud - Juin 1901 1240 $ 499 $ 200 $ 465 $ 535 $ 2939 $

= = = = =

divers immeubles incluant animaux et instruments aratoires bois d’œuvre (bardeaux, planches, bois de charpente) parts dans fromageries et magasin U. Phénix comptes à recevoir, billets et argent liquide mobiliers et autres effets

Immeubles, tous situés dans le canton de Kingsey : 1. Ptie lot 14 du 7e Rang, 120 arpents avec bâtisses

2. Ptie lot 16 du 6e Rang, 90 arpents 3. Ptie lots 16 et 17 du 3e Rang 4. Ptie lot 11 du 6e Rang, 175 arpents avec bâtisses Ptie lot 11 du 6e Rang, 2 arpents avec moulins à scie et à bardeaux, « planneur », « arrondisseur »

Références Olive Allard 1

2 3

4 5 6 7

Archives des Srs de l’Assomption de la Sainte-Vierge, Nicolet : Olive Allard, pensionnaire de septembre 1869 à juin 1870, quart-pensionnaire de septembre 1870 à juin 1871, pensionnaire de janvier à juin 1872. J.-C. Saint-Amant, Un coin des Cantons de l’Est, Drummondville, La Parole ltée, 1932, p. 61. Y aurait-il un lien de parenté entre le notaire Vincent et Zoé Cyr dit Vincent, l’épouse de Moïse Painchaud? Y aurait-il également un lien entre la deuxième femme d’Henry qui était la veuve d’un dénommé Vincent? J.-C. Saint-Amant op. cit., p. 454. Palais de justice d’Arthabaska, greffe J.-C. Saint-Amant, no 2506. Bureau d’enregistrement de Drummondville, registre des sociétés, no 270. Entrevue téléphonique avec Monique Marcotte-McDonald, 5 juin 2003.


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Télesphore, né le 6 février 1857

Des quatorze enfants nés de l’union de Louis Allard et d’Olive Côté, Télesphore est l’aîné mâle. Sa famille déménage de Baie-du-Febvre à la Longue Pointe alors qu’il a neuf ans. Il quitte les études à la fin du cours primaire donné à l’école du 2e Rang, tout juste après avoir fait sa première communion.

Télesphore, scieur Aussi efficace dans les champs que dans la forêt, Télesphore ajoute à ses habiletés le métier de scieur. À compter de 24 ans, et durant toute sa vie active, Télesphore s’identifie avant tout comme un scieur. Il en apprend les rudiments à la scierie exploitée par son père à la Longue Pointe de 1881 à 1892.

ans, soit de 1903 à 19052. Télesphore se porte acquéreur, en février 1905, de ladite scierie, d’un moulin à bardeaux et d’un « planneur » pour la somme de 1000 $. Il s’assure de l’usage de la cour des Gagnon tant que le moulin sera sur place, et on fixe le loyer annuel à 100 $. La scierie de L’Avenir passe aux mains de Pancrace en 1917 alors que Télesphore lui transfère tous ses biens fonciers3. C’est Télesphore, cependant, qui demeure le scieur en titre jusqu’en 1926.

Télesphore, maître-toiseur Une loi provinciale oblige les entrepreneurs forestiers à faire mesurer et classer le bois d’œuvre destiné à l’exportation par un officier dûment reconnu par l’état, identifié sous le nom de maître-toiseur. Dès les années 1880, Télesphore se qualifie comme toiseur, ce qui lui confère le pouvoir de rejeter les pièces jugées défectueuses et de délivrer un certificat de conformité pour le bois expédié par son père ou tout autre entrepreneur qui requiert ses services.

Comme nous l’avons vu dans un précédent chapitre, de 1893 à 1898, Télesphore loue de John Mc Dougall une scierie située dans le 10e Rang de Durham1. Puis il se tourne vers la scierie de feu Casimir Gagnon, située à la sortie du village de L’Avenir, direction Drummondville. C’est là qu’il prépare toutes les planches et les madriers qui serviront à la construc- Télesphore utilise des poinçons pour tion de la nouvelle église de L’Avenir, marquer les différentes pièces des iniune construction qui s’étend sur trois tiales de son nom et des lettres capi79


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tales qui indiquent les qualités du bois comme suit : M, si la pièce de bois est jugée de qualité marchande ; U, si de bonne qualité et saine mais au-dessous des dimensions minimales requises pour la qualité supérieure ; S, indique le bois de seconde qualité ; T, celui de troisième qualité ; R, pour les pièces rejetées. Ces marques sont empreintes sur le bout de chaque pièce de bois inspectée4.

Déménagement à L’Avenir À compter de 1882, Télesphore exploite une ferme à la Longue Pointe, contiguë à celle de son père et léguée par ce dernier. Une vingtaine d’années plus tard, Télesphore achète la ferme familiale de son frère Adhémar qui a émigré dans le South Dakota. Sa famille déménage alors dans la grand’maison. Vers 1907, Télesphore confie l’exploitation de la ferme et de la terre à bois à son fils Pancrace et quelques hommes engagés. Avec sa femme Célinie et leurs cinq filles, il aménage dans la maison du Dr Mazurette située au cœur du village de L’Avenir5, juste en face du couvent dirigé par les Sœurs de L’Assomption. C’est donc au Couvent de L’Avenir que Béatrice, Hortense et Stéphanette suivent les cours préparatoires à l’examen d’obtention d’un diplôme d’enseignement élémentaire. 80

Le docteur Mazurette, retiré à Montréal au moment de la transaction, laisse sur place tout son mobilier ainsi qu’une grande quantité de médicaments soigneusement rangés dans une armoire de son bureau. Croyant bien faire, Télesphore jette tous les comprimés et les sirops dans une fosse creusée juste derrière la maison. Mal lui en fit, car l’eau de son puits et des puits voisins est contaminée et impropre à la consommation durant de nombreuses années en raison des médicaments en dissolution6. C’est la joie pour les femmes de la maison de quitter leur campagne « profonde » et de vivre au rythme des activités que génère un village pourvu de toutes les institutions recherchées par des jeunes gens. Cependant, durant les périodes de sciage ou de travaux intensifs dans les champs, les filles doivent se « sacrifier » à tour de rôle pour faire la cuisine aux hommes engagés, et ce, jusqu’à ce que Pancrace se marie en 1919. « C’était une petite crise tous les dimanches pour la séparation, parce que c’était plus ennuyant à La Pointe. Des fois, c’était maman qui y allait avec une fille »7, se rappelle Stéphanette, la cadette de la famille. Télesphore apprécie également la vie « urbaine ». Ainsi, lorsque sa scierie n’est pas en activité, il voisine abondamment. Il joue aux cartes avec les uns, aux dames sur le perron d’autres voisins, recevant par le fait même de


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nombreuses confidences et prodiguant des conseils à ceux qui lui en demandent8. Il connaît bien les affaires municipales à la suite de son implication de 15 ans au sein du conseil de Wickham-Est. De plus, ses concitoyens de L’Avenir l’éliront à trois reprises à compter de janvier 19229. Son expertise des affaires scolaires est aussi impressionnante, puisqu’il a siégé au conseil des commissaires d’école de Wickham-Est pendant une dizaine d’années, dont quatre à titre de président. Outre son entregent et ses compétences, on reconnaît à Télesphore sa détermination à mener à terme les projets auxquels il adhère. On ne s’étonne donc pas de le voir à la tête d’organismes déterminants pour l’avancement de son milieu, telles une compagnie de téléphone et une caisse populaire.

La Compagnie du téléphone de L’Avenir (1913-1962) Les premiers appels téléphoniques interurbains placés par les résidents de L’Avenir remontent à 1895 alors que la Compagnie de téléphone Bell du Canada (Bell) construit une ligne de 15 milles entre Saint-Germain et L’Avenir. La direction du central téléphonique de L’Avenir est confiée à P.D. Proulx. C’est Hélène Allard qui le remplace en juin 189710. Elle est âgée

de 31 ans. Elle quitte son poste à l’été 1899, car elle convole en justes noces avec Calixte Proulx. À compter de 1899, le central de L’Avenir n’offre plus que le service interurbain11. Un appel de L’Avenir à Montréal coûte 50 ¢ aux abonnés et 75 ¢ aux non-abonnés. Après quelques années de négociations infructueuses avec Bell pour obtenir un service téléphonique local, Télesphore élabore le projet de fonder une compagnie financée entièrement par les gens du milieu. En février 1913, il enregistre une société à fonds sociaux qui prend le nom de Compagnie du Téléphone de L’Avenir (CTL’A). Les premiers investisseurs ont pour nom : Élisée Gravel (curé), Joseph Garon (médecin), Joseph Beaulac, F.-X. Tremblay, Nazaire Lainé, Zacharie Lemire, Ernest Boisvert, L. Dionne, Arthur Simoneau, E. Lecomte, E. LeBel, Napoléon Proulx, Eugène Lemire et J.-C. Saint-Amant (notaire)12. Les parts sont limitées à 50 $, mais le capital-action peut être augmenté par le vote des deux tiers du capital versé. Télesphore est désigné président de la CTL’A dès la première rencontre des administrateurs, une responsabilité qu’il assume durant 13 ans, soit jusqu’en août 1926. En moins de cinq années d’activité, 215 boîtes téléphoniques sont installées sur plus de 300 milles de lignes en fil simple galvanisé13. Le réseau couvre 81


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les paroisses de L’Avenir, WickhamOuest et Wickham-Est jusqu’à la Longue Pointe, Saint-Germain, une partie de Saint-Guillaume et South Durham. Comme plusieurs abonnés partagent une même ligne, on attribue à chacun un signal distinct. À titre d’exemple, chez Pancrace Allard, à la Longue Pointe, on répond à deux grands coups14. La location annuelle d’une boîte en chêne munie d’un récepteur, d’un cornet et de deux cloches chromées s’élève à 10 $15.

du 6e Rang, en descendant vers le nord-ouest, jusqu’au central de Drummondville où se fait le branchement avec Bell18.

La première liste d’abonnés desservis par la CTL’A est publiée en août 1948 dans l’annuaire de Drummondville. On y retrouve les noms de 160 abonnés issus majoritairement de L’Avenir, South Durham et Danby, et quelquesuns de Wickham-Ouest, Ulverton et Sainte-Jeanne-d’Arc19. La CTL’A exploite le central de L’Avenir jusqu’à Les téléphonistes effectuent les rac- ce qu’elle soit achetée par Bell le 30 cordements 24 heures sur 24 au cen- novembre 196220. tral installé à L’Avenir. La nuit, c’est une cloche branchée à des piles qui réveille la téléphoniste de service16. La Caisse populaire de L’Avenir Jusqu’à l’introduction des centraux automatiques, à L’Avenir comme C’est monsieur Alphonse Desjardins ailleurs en Amérique, ce sont des en personne qui préside à la fondation femmes plutôt que des hommes qui de la Caisse populaire de L’Avenir, le assument la tâche de téléphoniste. 17 septembre 1911. C’est la 65e caisse Parce que la voix féminine est mieux fondée depuis le 6 décembre 1900 adaptée au téléphone? Parce que les alors qu’il mettait sur pied la toute femmes sont plus patientes, plus disci- première, soit celle de Lévis. Dans le plinées, plus douces que les hommes? district de Drummond, seule la caisse La vérité est plus crue : les femmes de Saint-Félix-de-Kingsey (fondée en coûtent moins cher, car, la plupart du juin 1911) précède celle de L’Avenir. temps, elles travaillent en attendant À Drummondville, le curé Tétreau réussit à mettre sur pied la première de se marier17. caisse en octobre 1919 seulement ; elle Le 31 août 1926, les actionnaires de la portera le nom de Caisse populaire CTL’A vendent à un groupe d’hommes Saint-Frédéric. d’affaires et de cultivateurs de SaintGermain, au coût de 4000 $, la por- Comme c’est le cas dans presque tion du réseau dépendant du central de toutes les fondations, monsieur Saint-Germain, soit depuis le lot 12 Desjardins arrive à L’Avenir la veille 82


Coll. Archives du Séminaire de Nicolet, F039/G13/59

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Chantier de construction de l’église de L’Avenir. Les affaires religieuses ne laissent pas Télesphore Allard indifférent, puisqu’il est à la tête (président) des trois syndics responsables de la construction de l’église de L’Avenir qui se poursuit de 1903 à 1905. La charpente d’acier est recouverte de granit taillé. Une sacristie, d’une superficie de 40 pieds sur 30 pieds, s’ajoute au corps principal de l’édifice qui mesure 136 pieds sur 50 pieds.

du jour mémorable, soit le samedi 16 septembre 1911. Avec le curé Élisée Gravel, il fixe l’ordre du jour pour le lendemain et discute des thèmes du sermon. Le dimanche 17, après la grand’messe, il tient une assemblée au cours de laquelle il présente les principaux points de son projet. Quelques heures plus tard, il enchaîne avec une deuxième assemblée pour, cette fois, expliquer en détails le fonctionnement, les statuts et les règlements d’une caisse. Après quoi, monsieur

Desjardins prend le nom des premiers sociétaires (ils seront au nombre de 63) et procède à l’élection des officiers21. Le premier conseil d’administration se recrute parmi les notables de la place, soit le curé Élisée Gravel, le docteur Joseph Garon, le voiturier Moïse Cloutier, le cultivateur Aimé Boisvert et le scieur Télesphore Allard. À la proposition de ce dernier, le curé Gravel est élu président et gérant, ce qui comble d’aise monsieur Desjardins 83


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qui refuse catégoriquement de fonder une caisse si l’appui du curé ne lui est pas acquis. D’ailleurs, de 1900 à 1920, 126 curés sur les 171 caisses existantes occupent un poste dans le conseil d’administration ou à la gérance22.

1911-1919 : Élisée Gravel, gérant Originaire de Saint-Denis-surRichelieu, Élisée Gravel a 36 ans lorsque l’évêque de Nicolet le nomme à sa première cure, soit celle de L’Avenir, le 1er octobre 1900. Il a beaucoup voyagé avant d’atterrir à L’Avenir. D’abord, des études théologiques à Rome, de 1886 à 1891, où il est ordonné prêtre, puis missionnaire dans l’Ouest canadien de 1893 à 190023. Au moment de la fondation de la Caisse populaire, le curé Gravel a la charge de quelque 1000 âmes, dont une soixantaine sont d’origine irlandaise. Pour ces derniers, il chante une messe dominicale en anglais. Presque tous ses paroissiens s’adonnent à l’agriculture dont la production est axée davantage sur la culture que sur l’élevage. Leurs revenus sont modestes, l’outillage rudimentaire. La création d’une coopérative d’épargne et de crédit s’avère le meilleur moyen d’améliorer leur sort en leur permettant d’acquérir de nouveaux instruments agricoles, en les éduquant à 84

l’épargne et, surtout, en forgeant entre eux une nouvelle solidarité24. À titre de secrétaire-gérant, le curé Gravel s’acquitte bien de sa tâche tout au long de son mandat qui s’étire, contre son gré, sur plus de sept années. À quelques reprises, il rappelle aux administrateurs le décret de Pie X interdisant aux prêtres d’assumer les charges dans des mouvements laïques, nommément les caisses populaires. Bien que l’interdiction soit levée en 1913, la directive du pape se résume par le mot prudentia25. Malgré quelques tentatives d’initier d’autres candidats à la tâche de gérant, Élisée Gravel assume encore la fonction de gérant lorsqu’il est nommé à la cure de Warwick en avril 191926.

Une note parfaite pour le curé Gravel? Sous la direction du curé Gravel, la Caisse populaire de L’Avenir prend véritablement son envol. Le nombre de sociétaires passe de 146 en 1915 à 177 en 1919, soit une croissance annuelle moyenne de 4,2 %. Quant à l’actif, il s’est multiplié par 2,6 en l’espace de quatre ans pour atteindre 15 761 $ en 1919, ce qui représente une progression annuelle moyenne de 33 %. Cette croissance est attribuable en grande partie à l’augmentation rapide de l’épargne dont la valeur se chiffre à 9740 $ en 1919. Selon


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Statistiques sur la Caisse populaire de L’Avenir 1915-1922 Année Gérant 1915

É. Gravel

Nombre de sociétaires 146

Épargne 3898 $

Total des prêts 12 073 $

Actif 6000 $

Bénéfices nets 276 $

1917

É. Gravel

168

9113 $

11 837 $

12 593 $

416 $

1919

Gravel/Allard

177

9740 $

26 588 $

15 761 $

664 $

1921

T. Allard

AD

9521 $

32 397 $

17 959 $

951 $

1922

T. Allard

158

9182 $

33 632 $

19 485 $

1119 $

Source : Revue Desjardins, avril 1948. Annuaires statistiques du Québec, 1916, 1918, 1920.

l’historien du Mouvement Desjardins, Pierre Poulin, la guerre a favorisé l’épargne : « En 1917 et 1918, le Québec profite notamment d’une très forte demande de produits agricoles sur les marchés européens. Celle-ci entraîne une hausse sensible des prix qui stimule la production et provoque une augmentation du revenu des agriculteurs qui sont ainsi mieux à même d’épargner27. » Les minutiers du conseil d’administration, de la commission de crédit et du conseil de surveillance de la CPL’A indiquent des rencontres régulières de leurs membres respectifs durant les huit années de gérance du curé Gravel. Enfin, aux mérites de ce dernier s’ajoute celui de se conformer à la loi des syndicats coopératifs sanctionnée en 1915 ; en effet, à chaque fin d’exercice, de 1915 à 1919, le curé-gérant fait parvenir un rapport détaillé des

opérations de la Caisse au secrétaire de la province de Québec28. Cependant, en ce qui concerne le crédit accordé aux sociétaires, le curé Gravel et la commission de crédit affichent un laxisme certain, entre autres les nombreux prêts consentis à des administrateurs de la Caisse alors que la loi des syndicats coopératifs l’interdit formellement29. De même, le retard chronique à rembourser les prêts dénoncé par le conseil de surveillance en 1916 : « Nous désirons attirer l’attention des sociétaires en général et en particulier des membres de la Commission de crédit du fait que plusieurs membres de la Caisse ont emprunté des fonds de la Caisse depuis le commencement et n’ont encore remboursé; il nous paraîtrait désirable que les membres soient priés de payer le montant qu’ils doivent à la Caisse au plus tôt30. » 85


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1919-1926 : Télesphore Allard, gérant Le choix du remplaçant du curé démissionnaire s’arrête d’abord sur Aimé Boisvert qui s’est initié à la tâche durant quelques mois en 1916. Monsieur Boisvert accepte la direction de la Caisse populaire le 15 avril 1919, mais quatre jours plus tard, soit le 19, le conseil d’administration se réunit à nouveau pour « décharger » Aimé de la gérance et nommer à sa place Télesphore Allard31. Télesphore est âgé de 62 ans lorsqu’il entre en poste. Il est scieur de son métier depuis près de 40 ans. Il a quitté sa ferme de la Longue Pointe il y a 12 ans pour habiter au cœur du village de L’Avenir et poursuivre son métier au moulin acquis de la succession Gagnon. Comme nous l’avons vu plus tôt, il est un membre fondateur de la Caisse ; il est d’ailleurs vice-président du conseil d’administration depuis cinq ans lorsqu’il en prend la direction32. Pour tenir la comptabilité de la Caisse et préparer les rapports, Télesphore peut compter sur une collaboratrice dévouée et instruite en la personne de sa fille Béatrice, âgée de 25 ans.

s’établir dans ses propres locaux. Elle doit se loger gratuitement. Jusque-là, le curé Gravel avait prêté son presbytère. À compter d’avril 1919, c’est dans la maison du gérant Télesphore Allard qu’on transporte les livres de comptes, les minutiers et la petite caisse. On utilise une pièce du rez-dechaussée, où le docteur Mazurette recevait jadis ses patients, pour réunir les administrateurs et recevoir, en semaine et le dimanche, les sociétaires venus déposer ou emprunter. Le bureau est meublé, entre autres, d’une armoire, d’un roll desk et d’une chaise pivotante laissés sur place par le bon docteur33.

Pour éviter que les fonds de la Caisse demeurent improductifs, on recommande au gérant de les déposer à la succursale de la banque Provinciale ou de la banque Hochelaga. Une partie (environ 200 $) est conservée sur place pour pouvoir satisfaire en tout temps les demandes de retrait des déposants34. Télesphore place cet argent dans une boîte de fer blanc ovale qu’il glisse sous son lit la nuit. Un jour d’hiver de 1921, il constate avec stupéfaction que la porte arrière de la maison a été forcée ; le cambrioleur a mis tant de pression que les ciseaux placés en diagonale pour Le local de la Caisse retenir la porte ont « crochi »… sans céder cependant35. Mis au courant de Bien que fondée depuis maintenant l’incident, les administrateurs de la huit ans, la Caisse n’a pas encore Caisse autorisent une dépense de 140 $ enregistré des bénéfices suffisants pour pour l’achat d’un coffre-fort36. 86


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L’accident à la scierie

du gérant et [que] sa signature ait la même valeur et autorité que la propre signature À quelques semaines d’intervalle du du gérant. À compter de septembre de cambriolage raté, Télesphore est vic- la même année, il est également résolu time d’un accident qui le laisse handi- de payer le gérant 150 $ par année38. capé et souffrant pendant très longtemps. Alors qu’il scie une pruche, une longue écharde effilée aux 1921 à 1924 : les années noires extrémités s’enfile entre les deux os de en agriculture son avant-bras, de la main au coude. Il tente de l’arracher, mais sans succès, et De 1919 à 1926, les administrateurs personne autour de lui ne s’en sent de la Caisse reconduisent chaque année capable. Pas même dame Charles Télesphore dans son poste de gérant. Boisvert qui habite à peu de distance Les données comptables indiquent un du moulin. À la vue de la blessure, dynamisme certain de la Caisse durant elle s’évanouit. Télesphore quitte alors ses trois premières années de direcla maison en pestant « Batinse, ça en tion : l’actif croît de 24 %, les bénéfait une façon de m’aider! » et marche fices nets, de 69 % ; une performance courageusement le mille qui le sépare d’autant plus remarquable que c’est le du village pour recevoir les premiers marasme dans l’agriculture au début soins. On ne réussit pas, cependant, à des années 1920. L’historien Yvan lui retirer l’écharde en entier. Pour Rousseau résume ainsi la situation : éliminer les corps étrangers, Béatrice « En 1920 et 1921, les prix agricoles applique des emplâtres à base s’effondrent brusquement. La fin des d’onguent Canet sur la plaie qui sup- hostilités [guerre 1914-1918] puis les pure de nombreux mois avant de se politiques tarifaires protectionnistes mises en place par les États-Unis refermer37. allaient entraîner une baisse dramaAfin de lui permettre de poursuivre tique de la demande pour les denrées légalement sa tâche de gérant de la que les agriculteurs s’étaient mis à Caisse malgré son handicap, les produire abondamment. » Et de conadministrateurs votent la résolution clure : « L’impact de la crise des prix suivante le 7 mai 1921 : Vu l’impossi- agricoles fait chuter la valeur globale bilité dans laquelle se trouve le gérant de des opérations des caisses de 28 % signer son nom par suite d’un accident, que entre 1921 et 192439. » Plusieurs culmademoiselle Béatrice Allard, sa fille qui tivateurs ne peuvent remplir leurs remplit pour lui temporairement les fonc- obligations. Les familles sont forcées tions de gérante, soit autorisée à signer tous d’abandonner leur terre. La population chèques et documents requérant la signature de L’Avenir diminue de près de 20 % 87


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au cours des années 1920, pour même de Sherbrooke, de Saintdescendre au-dessous de la barre de Hyacinthe et d’autres régions du mille habitants40. Québec. Ses paroissiens le voient partir le lundi, sa petite valise noire à la main, pour prendre le train à la gare, La mystérieuse vérification et revenir le jeudi ou le vendredi après de 1926 une harassante semaine. Ses contemporains reconnaissent ses talents d’adIl nous a été impossible de connaître ministrateur, mais le décrivent comme l’origine de la tourmente de 1926 qui ayant un caractère exécrable, peu mène à la démission de Télesphore de respectueux des personnes, avec un son poste de gérant. C’est un épisode goût prononcé pour la boisson42. qu’on ne peut passer sous silence, cependant, tant les conséquences sur Annette Cloutier, petite-fille de l’avenir de Télesphore et de sa famille Télesphore, habite chez ses grandsparents au moment de l’inspection par sont dramatiques. le curé Poisson. Elle a 14 ans. Elle se Le scandale éclate le 28 juin 1926 rappelle le ton autoritaire et humiliant alors que les administrateurs récla- qu’il emploie pour demander des ment de toute urgence un examen des explications à Béatrice qui se réfugie livres comptables de la Caisse par l’in- dans sa chambre dès qu’il la libère. Le specteur attitré de l’Union régionale soir, il se retire au presbytère où il lève de Trois-Rivières (URTR), Joseph- le coude, ce qui contribue, selon Edmond Poisson41. Ce dernier est Annette, à prolonger indûment le avant tout le curé de Pointe-du-Lac, travail de vérification43. une paroisse rurale située en bordure du lac Saint-Pierre, à 10 milles à Le 20 juillet 1926, le curé Poisson l’ouest de Trois-Rivières. En 1913, il transmet son rapport aux administrafonde la Caisse populaire Pointe-du- teurs de la Caisse qui convoquent une Lac où il exerce la fonction de prési- assemblée générale extraordinaire dent et celle de gérant durant plus de tenue le 1er août, au sous-sol de la 30 ans. En plus de sa charge de curé sacristie, à laquelle assistent 23 sociéde paroisse et de président-gérant de la taires seulement. Une première propoCaisse, il accepte, en 1920, la fonction sition est formulée par le notaire J.-C. d’inspecteur des caisses affiliées à Saint-Amant (membre de la commisl’URTR. Certaines années, notre curé sion de crédit), proposition appuyée visite plus d’une cinquantaine de par Charles Boisvert (membre de la caisses dans les diocèses de Trois- commission de crédit), pour que le Rivières, de Nicolet, de Joliette, et rapport de l’auditeur Poisson soit 88


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accepté. La résolution est adoptée par toriens du Mouvement Desjardins et l’ensemble des sociétaires présents. de l’Université du Québec à TroisRivières, des documents de prime Le notaire Saint-Amant enchaîne avec importance manquent à l’appel, soit une deuxième proposition, appuyée les résultats financiers de la Caisse de par Charles Boisvert, à l’effet que « la 1923 à 1926 et le rapport manuscrit balance dudit déficit de 397,95 $ soit du vérificateur Poisson. Ce dernier prise dans le fond de réserve et remise avait le mérite de visiter les caisses à Télesphore Allard ». En amende- gratuitement, mais la vérification était ment, Henri Proulx (membre du con- accomplie de façon rudimentaire : seil de surveillance), appuyé par aucun rapport rédigé, seuls des Siméon Boisvert (président du conseil comptes-rendus présentés verbalede surveillance), propose « que la ba- ment et sur une base plus ou moins lance dudit déficit ne soit pas remise à régulière devant le conseil d’adminisTélesphore Allard ». tration de l’URTR45. On passe alors à la votation. Pour l’amendement : Henri Proulx, Siméon Boisvert, Pierre Boisvert, Émery Boisvert, Henri Boisvert, J.-P. Laprade, P. Peloquin, Ed. Boisvert, L.-O. Dionne, Eugène Ball. Contre l’amendement : J.-C. Saint-Amant, Charles Boisvert, Uldéric Manseau, Nap. Charpentier, Albert Fontaine, Archibald Allard, Aloysius Allard, Arthur Simoneau, Edmond Cloutier, Alphonse Manseau, Arthur Roy, Moïse Raiche. Résultats : 10 pour l’amendement, 12 contre l’amendement. La motion principale étant adoptée, la balance dudit déficit sera donc comblée par le fonds de réserve44.

Par contre, deux sources d’information « officielles » apportent un certain éclairage sur les motifs de la vérification : d’une part, les registres de rencontres du conseil d’administration de la Caisse qui, comme nous l’avons vu plus tôt, révèlent l’existence certaine d’un déficit et mettent en relief l’opposition entre les membres de la commission de crédit et les membres du conseil de surveillance ; d’autre part, le greffe du notaire Saint-Amant où sont conservés divers actes assez éclairants, passés dans les semaines qui ont suivi la vérification par le curé Poisson.

Des spéculations Les informations disponibles

Faute d’un dossier complet, on ne peut se livrer, malheureusement, qu’à des Malgré une recherche minutieuse et spéculations relativement à la responune collaboration remarquable des his- sabilité de Télesphore dans cette 89


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affaire. Premièrement, l’absence de comptes-rendus de la commission de crédit et du conseil de surveillance s’explique par l’une des trois hypothèses suivantes :

tard, la Caisse est encore pénalisée par des retards dans le recouvrement des prêts échus, entre autres les prêts consentis par Télesphore à un membre de sa famille depuis cinq ans et à un cultivateur depuis sept ans, pour lesquels a) Les membres se réunissent, mais les emprunteurs n’ont fait aucune ne consignent pas leurs décisions par remise de capital et d’intérêts49. écrit ; b) Les comptes-rendus sont con- Télesphore mérite le bénéfice du doute servés dans des registres à part ; c) Télesphore conduit la Caisse en autocrate, c’est-à-dire qu’il a une très grande latitude et l’administre comme si c’était sa propre affaire46.

Deuxièmement, le fait que Télesphore a commencé à rembourser de ses propres deniers une partie du déficit (qu’on décide d’ailleurs de lui rembourser à même le fonds de réserve) nous renseigne sur le fait qu’il avait sans doute agit de son propre chef, outrepassant les pouvoirs du conseil d’administration ou de la commission de crédit47. Troisièmement, l’opposition des membres du conseil de surveillance de puiser dans le fonds de réserve pour rembourser Télesphore nous rappelle l’avertissement, donné en 1916, par ledit conseil à l’effet « que plusieurs membres de la Caisse ont emprunté des fonds de la Caisse depuis le commencement et n’ont encore remboursé »48. D’ailleurs, dix ans plus 90

À la lumière de ces informations, on est tenté de conclure que Télesphore a dirigé la Caisse en autocrate et, de surcroît, s’est montré négligent dans sa responsabilité de presser les emprunteurs à honorer les paiements dus à la Caisse. À sa décharge, cependant, il faut se rappeler les difficultés économiques qui assaillent les agriculteurs-sociétaires de la Caisse au début des années 1920. Par sa nature empathique, Télesphore ne peut brusquer les sociétaires délinquants. Il choisit plutôt d’attendre des jours meilleurs pour exiger le paiement des emprunts. De plus, Télesphore pâtit dans sa chair et dans son cœur. Il ne s’est jamais remis de la blessure à son avant-bras droit. Sans aucun répit, sa main tremblote50. S’ajoutent à cela les nombreux deuils qu’il doit surmonter : cinq de ses petits-enfants, en plus de sa fille Julia qui décède après avoir donné naissance à son dixième enfant51.


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Enfin, il y a les qualifications sommaires de Télesphore, qui a fréquenté l’école de rang uniquement. On l’a désigné au poste de gérant de la Caisse en raison de sa loyauté et de son dévouement plutôt que pour ses compétences et l’expérience nécessaires à l’exercice de la fonction. L’apprentissage du métier se fait sur le tas. Sur ses épaules repose la responsabilité des entrées aux livres, des transactions avec les sociétaires, du placement des fonds, de la rédaction des rapports et de la correspondance. Télesphore doit être à la fois gestionnaire, comptable, secrétaire, caissier et organisateur52!

tention de l’élite cléricale et politique du Québec. Mastaï Ferretti, le vrai nom du pape Pie IX, est probablement à l’origine du nom choisi par les religieuses pour identifier le nouveau pavillon54.

Interdit de janvier 1927 à mai 1928

Le diagnostic inscrit au dossier d’admission de Télesphore se lit comme suit : syndrome dépressif, évolution démentielle. Son état de santé ne cesse de se dégrader par la suite ; il ne reconnaît plus sa femme ni ses enfants, il les dit tous morts. Son décès, survenu 16 mois après son arrivée à Mastaï, est attribué à une maladie cardio-rénale doublée d’une pneumonie caséeuse57. Télesphore est âgé de 71 ans. Son corps est rapatrié à Richmond en train, puis à L’Avenir dans un corbillard hippomobile appartenant à son gendre Edmond Cloutier. C’est dans l’hôtel tenu par son fils Aloysius sur la rue Principale de L’Avenir qu’on a aménagé une chambre mortuaire aux murs couverts de draps noirs58. À la porte de l’hôtel, on a suspendu un crêpe noir

Coupable ou pas du déficit enregistré par la Caisse sous sa direction, Télesphore est atteint dans son honneur et dans son intégrité. Sa santé mentale se détériore rapidement. Son discours et ses déplacements sont empreints de paranoïa. Il séjourne tour à tour chez ses enfants qui soupçonnent chez lui des idées suicidaires53. À peine six mois se sont écoulés depuis la vérification par le curé Poisson que Télesphore est placé à l’hôpital SaintMichel-Archange de Beauport, dirigé par les Sœurs de la Charité. Sa petitefille Annette croit se rappeler qu’il était hospitalisé au pavillon Mastaï, une aile de l’institution ouverte à l’in-

À l’époque de l’internement de Télesphore, l’hôpital Saint-MichelArchange accueille 1723 patients des deux sexes confiés aux soins de 4 médecins internes et 12 externes55. La pharmacopée comprend le somnifène, le sulfonal, les bromures, la paraldéhyde, les premiers anticonvulsivants contre l’épilepsie et des vitamines du groupe B. L’électrochoc sera utilisé à partir de 1938 seulement56.

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Coll. Gisèle Allard-Brousseau

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1882 – Célinie Proulx (26 ans) et Télesphore Allard (25 ans), chaussé d’élégantes bottes Congress qu’il affectionnera toute sa vie. Au travail, on raconte que « Télesphore était brusque, il fallait que ça marche », ce qui a contribué à l’amputation de plusieurs doigts alors qu’il pratiquait son métier de scieur. À la fin de sa vie, il ne lui restait que cinq doigts sur dix.

pour informer les passants du deuil prénommées Julienne et Julia, repose qui afflige la famille. enfin Télesphore. Sa famille éplorée trouve sa consolation dans cette parole Le défunt Télesphore est placé dans un qu’elle fait écrire sur la carte morcercueil couvert d’une vitre59 que les tuaire : « C’est pour habiter le séjour de visiteurs aspergent abondamment la paix et du bonheur que j’ai quitté d’eau bénite avec une branche de cette vallée de larmes et d’angoisses. » sapin. Les chapelets et les invocations s’enchaînent, jour et nuit. Ils sont légion à venir témoigner leur sympa- Célinie, la douce épouse thie à Célinie vêtue et coiffée de noir, de Télesphore tout comme ses filles et ses bellesfilles. Les hommes de la famille por- Née le premier jour de l’an 1856, à tent un brassard de crêpe noir, et sur Nicolet, Célinie émigre à L’Avenir leur chapeau, on a épinglé un losange, avec sa famille en 1864, soit deux ans également de crêpe noir60. plus tôt que son futur mari, Télesphore Allard. C’est la quatrième Le curé Ephrem Lemire célèbre la des neuf enfants de Félix Proulx et messe des funérailles, puis accompa- Marie-Desneiges Brassard. La ferme gne le cortège funèbre jusqu’au familiale s’étend depuis le chemin du cimetière paroissial pour bénir la fosse 2e Rang jusqu’à la rivière Saintdans laquelle on dépose le cercueil. François, soit une superficie de 250 Dans cette terre consacrée, et en com- arpents auxquelles s’ajoutent les pagnie de ses parents, de trois sœurs grands pâturages de l’île Proulx, aussi décédées en bas âge et de ses filles connue sous le nom de Île Annance. 92


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Le style architectural de la résidence des Proulx s’apparente à celui de la grand’maison de la Longue Pointe, soit un grand carré surmonté d’un toit à la Mansart, aussi appelé combles français. Célinie est âgée de 26 ans lorsqu’elle épouse Télesphore le 18 septembre 1882. Elle a reçu de ses père et mère une dot substantielle, constituée d’un lit garni (25 $), d’un « set » de vaisselle (13 $), de hardes et linge de corps (100 $), de trois brebis (15 $), d’une vache (25 $) et d’un mobilier de chambre (35 $)61. Les nouveaux mariés cohabitent avec les parents de Télesphore à la grand’maison avant d’aménager dans leur propre résidence construite un peu plus bas sur la

rivière. C’est là que naîtront les neuf enfants du couple. Durant l’hospitalisation de Télesphore à Saint-Michel-Archange, Célinie habite à Richmond avec ses filles Hortense et Stéphanette, qui sont à l’emploi du prestigieux magasin Roméo Marcotte. Après le décès de Télesphore, survenu en mai 1928, Célinie emménage à Drummondville, dans un vaste édifice de la rue Lindsay, connu sous le nom d’édifice Comett. À l’étage, on retrouve des loyers d’habitation, alors que le rez-dechaussée est réservé à des commerces, dont celui d’André Renaud, qui a épousé la cadette de la famille, Stéphanette, en juillet 192962.

C. 1940 – Célinie Proulx, veuve de Télesphore Allard. Épouse discrète, mère vigoureuse et gaie, grand-mère généreuse et douce : autant d’épithètes reprises par les enfants et petitsenfants de Célinie. Aussi sportive à ses heures, elle patine sur la rivière et s’y baigne l’été venu jusqu’à un âge avancé. On se rappelle ses talents culinaires développés à l’école ménagère de Nicolet, en particulier ses tartes aux pommes et le bon pain de ménage qu’elle dore à perfection dans le four construit tout près de la grand’maison. À ses petits-enfants elle sert des « beurrées » faites de tranches épaisses de pain, trempées dans la crème d’un côté, couvertes de sucre d’érable de l’autre. Coll. Monique Cloutier

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Coll. Mariette Allard-Cusson

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1938 – Célinie (82 ans) et son frère Léandre Proulx (87 ans), qui s’est impliqué au sein de la chorale de la cathédrale de Sherbrooke au-delà de 60 ans.

Éventuellement, sous le même toit, cohabiteront Stéphanette et André, Célinie (mère de Stéphanette), Julienne (fille déficiente de Célinie), Béatrice (fille de Célinie impliquée dans le commerce de lingerie pour dames), des nièces, des chambreurs, des dîneurs… En plus des huit enfants que Stéphanette mettra au monde en moins de dix ans. L’argent est rare, aussi on ne peut négliger aucune source de revenus, si minime soit-elle, pour traverser cette crise impitoyable des années 1930. Durant les dix dernières années de sa vie, Célinie consacre ses énergies aux travaux ménagers pour soulager sa fille Stéphanette et aux pratiques religieuses, soit la messe quotidienne

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et autres offices célébrés à l’église Saint-Frédéric immédiatement voisine de l’édifice Comett. Sa vue assombrie par des cataractes, elle s’y fait conduire par ses petits enfants une à deux fois par jour. Elle meurt des suites d’une inflammation de poumon, dans les bras de Stéphanette, le 26 mai 194163. Elle avait atteint l’âge vénérable de 85 ans, 4 mois, 26 jours. Célinie laisse dans le deuil sept de ses neuf enfants et 31 petits-enfants qui la portent au cimetière de L’Avenir pour y rejoindre son époux Télesphore, décédé treize ans plus tôt. Sa carte mortuaire la décrit comme « bonne, aimable, indulgente envers tous, d’un dévouement qui ne connut point de bornes ».


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Contrairement aux autres femmes Allard inscrites sur le monument funéraire familial, Célinie se voit priver de son prénom. « Mme. T. ALLARD », y lit-on. Elle restera aussi discrète dans la mort que durant sa vie.

Coll. Yolande Allard

2001 – Cimetière de L’Avenir.

Références Télésphore Allard 1 2 3 4

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Palais de justice d’Arthabaska (PJA), greffe J.-C. Saint-Amant, nos 1370, 1524a) et 1675. Gisèle Allard-Brousseau, entrevue du 2 octobre 2001. Bureau d’enregistrement de Drummondville (BED), B-68-52336. Documents parlementaires, session de 1936, rapports des départements, p. 100-111. ANQ (Trois-Rivières), greffe J.-L.-G. Manseau, acte de vente du 2 décembre 1887. BED, B-5768. Rolland Allard, entrevue du 9 avril 2001. Stéphanette Allard-Renaud, entrevue de janvier 1985. Entrevues : Monique Cloutier le 11 avril 2001 et Rolland Allard le 9 avril 2001. Minutiers de la municipalité de L’Avenir entre 1922 et 1926. L’Avenir (Québec), Services historiques de Bell, 1985, p. 4. Ibid., p. 5. BED, registre des sociétés, no 509. Annuaire statistique de la province de Québec, 1914. Guy Allard, entrevue du 10 avril 2001. L’Avenir Hier… Aujourd’hui, Saint-Stanislas, Éditions Souvenance inc., 1986, p. 90. Monique Cloutier, entrevue du 11 avril 2001. J.-G. Rens, L’empire invisible, Histoire des communications au Canada de 1846 à 1956, Sainte-Foy, Presses de l’Université du Québec, 1993, p. 247. PJA, greffe J.-C. Saint-Amant, no 9347. Drummondville St-Hyacinthe Sorel et le territoire environnant, Bell Telephone Co., août 1948, p. 39-40. L’Avenir (Québec), op. cit., p. 5. Y. Roby, Les caisses populaires, Alphonse Desjardins, 1900-1920, Lévis, FCPD, 1975, p. 112. Ibid., p. 113. M. Fleurant, Le clergé du diocèse de Nicolet 1885-1994, Séminaire de Nicolet, 1994, p. 244. F. De Lagrave, Pointe-du-Lac 1738-1988, Éditions du 250e anniversaire Pointe-du-Lac, 1988, p. 466. Ibid., p. 465. M. Fleurant, op. cit., p. 244. P. Poulin, Histoire du Mouvement Desjardins, tome 1, Québec, SHAD, 1990, p. 177. Annuaires statistiques de la province de Québec, 1916 à 1920. Y. Rousseau, professeur à l’UQTR, courriel 9 août 2002. Caisse populaire de L’Avenir (CPL’A), minutiers de la commission de crédit, 1912 à 1919. CPL’A, minutiers du conseil de surveillance, 20 octobre 1916.

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Références Télésphore Allard (suite) 31 32 33 34 35 36 37 38 39

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CPL’A, minutiers des administrateurs, 15 et 19 avril 1919. Ibid., 9 avril 1914 et 14 décembre 1918. Rolland Allard, entrevue du 9 mai 2003. CPL’A, minutiers des administrateurs, 17 septembre 1911 et 4 octobre 1919. Rolland Allard, entrevue du 20 mai 2003. CPL’A, minutiers des administrateurs, 15 mars 1921. Entrevues : Rolland Allard le 9 avril 2001, Monique Cloutier le 11 avril 2001 et Guy Allard le 10 avril 2001. CPL’A, minutiers des administrateurs, 7 mai 1921 et 5 novembre 1922. Y. Rousseau et al., Du comptoir au réseau financier. L’expérience historique du mouvement Desjardins dans la région du centre du Québec, 1909-1970, Éditions Boréal, 1995, p. 62 et 243. Recensements du Canada 1921 et 1931. CPL’A, minutiers des administrateurs, 28 juin 1926. F. De Lagrave, op. cit., p. 467, 475, 481, 482 et 485. Annette Cloutier-Lemire, entrevue du 19 mai 2001. CPL’A, minutiers des administrateurs, 1er août 1926. Y. Rousseau et al., op. cit., p. 199. Y. Rousseau, professeur à l’UQTR, courriel du 7 août 2002. Loc. cit. CPL’A, minutiers du conseil de surveillance, 20 octobre 1916. BED, B-71-54411 et B-75-575699. PJA, greffe J.-C. Saint-Amant, nos 930 et 9304. Rolland Allard, entrevue du 9 avril 2001. En 1919, Robert et Suzanne (enfants d’Aloysius) ; en 1922, Jacques (fils de Julia) et Hubert (fils d’Archibald) ; en 1925, Marthe (fille de Julia) et Julia, 37 ans (épouse d’Edmond Cloutier). Y. Rousseau et al., op. cit., p. 168, 177 et 188. Entrevues : Rita Allard-Leclerc le 17 avril 2001, Monique Cloutier le 11 avril 2001, Annette Cloutier-Lemire le 19 mai 2001 et Rolland Allard le 9 avril 2001. F. Boudreau, De l’asile à la santé mentale. Les soins psychiatriques : Histoire et Institutions, Montréal, Éditions Saint-Martin, 1984, p. 39. Documents de la session de 1930, vol. IV, Statistiques des institutions d’assistance pour l’année 1928, p. XIV. J. Lambert, Mille fenêtres, Centre hospitalier Robert-Giffard, 1995, p. 60. Service des archives cliniques, Centre Robert-Giffard, dossier 16380. Entrevues : Rita Allard-Leclerc le 17 avril 2001 et Rolland Allard le 4 décembre 2001. Rita Allard-Leclerc, entrevue du 17 avril 2001. Rolland Allard, entrevue du 25 juin 2003. BED, B-21031. Entrevues : Annette Cloutier-Lemire le 19 mai 2001, Stéphanette Allard-Renaud en janvier 1985, Rolland Allard le 9 avril 2001. Entrevues : Rita Allard-Leclerc le 17 avril 2001 et Madeleine Renaud-Letarte le 23 mai 2001.


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Louise Allard, née le 26 octobre 1858

À la fin de ses études primaires à l’école du 2e Rang, Louise fréquente le pensionnat des Sœurs de l’Assomption, à Nicolet1. À peine âgée de 16 ans, on lui confie l’école no 4 située en bordure de la rivière Saint-François, dans l’actuel secteur de l’aéroport de Drummondville. Elle enseigne plus tard à l’école no 6 située dans le 5e Rang, à peu de distance du village de Saint-Germain2. Le 20 mai 1879, alors âgée de 20 ans, elle fait son entrée au noviciat des Sœurs de la Présentation de Marie, à Saint-Hyacinthe. Elle prononce ses vœux perpétuels le 15 août 18813 sous le nom de sœur Saint-Célestin. Elle persévère dans sa vocation plus de 25 ans. Cependant, le désir germe en elle d’adhérer à un ordre plus pénitent pour expier les fautes de ses frères alcooliques4. En 1907, elle est libérée de ses vœux par la supérieure générale des Sœurs de la Présentation. Elle quitte le couvent le 21 avril5 et se dirige vers L’Avenir pour visiter sa famille.

Abbaye cistercienne de Notre-Dame-duBon-Conseil, Saint-Romuald (Québec). L’abbaye est fondée depuis moins de cinq ans lorsque Louise Allard y fait son entrée. En effet, les 12 Trappistines (nom populaire des Cisterciennes) du monastère de Bonneval (France), à qui on a confié la fondation d’un monastère au Canada, sont arrivées à Saint-Romuald en novembre 1902. Dès le printemps suivant, elles ont entrepris la construction d’un vaste monastère dont l’étage supérieur est aménagé en chapelle. À proximité du monastère, elles ont érigé une chocolaterie dont elles entendent tirer leur principal revenu. Source : Bref historique intitulé Abbaye cistercienne Notre-Dame-du-Bon-Conseil, Saint-Romuald, s.d., s.a., p. 2.

La vie à la maison de la Longue Pointe a beaucoup changé depuis le départ de Louise en 1879. Ses trois petits frères alors d’âge préscolaire (Émile, Arthur et Adhémar) et ses sœurs adolescentes 97


Coll. Yolande Allard

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2002 – Cimetière des Trappistines de Saint-Romuald. La croix fleurie, au centre, est celle de mère Marie Joseph (Louise Allard), décédée le 8 mai 1927. Louise Allard est membre de la congrégation des Sœurs de la Présentation (Saint-Hyacinthe) depuis près d’une trentaine d’années lorsqu’elle sollicite son admission au monastère des Trappistines de Saint-Romuald en 1907. Peu de temps après sa profession, Louise éprouve des difficultés dans ses relations communautaires. Au début de l’année 1917, elle échange une correspondance avec le cardinal Bégin, qui aboutit à son départ pour la communauté des Trappistines de Rogersville (Nouveau-Brunswick) le 20 février. Après un bref séjour à Rogersville, elle retourne dans le monde laïque. Le choc est grand, elle est désemparée. La prieure de Saint-Romuald s’émeut devant la souffrance ressentie par Louise. Les portes du cloître s’ouvrent à nouveau le 23 août 1918. Pendant quelque temps, on lui confie l’infirmerie, les lessives, la cordonnerie et la bibliothèque.

(Hélène et Ernestine) ont quitté le nid familial pour fonder une famille, certains se sont même expatriés aussi loin que le Dakota. La grand’maison est habitée par son frère aîné, Télesphore, sa femme Célinie et leurs huit enfants. Quant à sa mère, veuve depuis six ans, elle s’est retirée chez sa fille Hélène, mariée à Calixte Proulx de South 98

Durham. En l’église de L’Avenir, Louise assiste au mariage de son neveu Aloysius Allard avec Adéla Côté, célébré le 24 juin 1907. Louise ne tarde pas à solliciter son admission à l’abbaye des Trappistines de Saint-Romuald, située sur la rive sud du Saint-Laurent, en face de Québec.


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Pressée de grossir les rangs de sa jeune communauté et touchée des bonnes dispositions que témoigne cette aspirante, la prieure, mère Séraphine, ouvre les portes du monastère à Louise le 5 août 19076. Louise a 48 ans, un grand âge si l’on considère que les moniales, à cette époque, meurent fréquemment dans la vingtaine et la trentaine7.

Quand mère Joseph meurt, le 8 mai 1927, elle est depuis un an confinée à l’infirmerie, souffrant de rhumatismes douloureux. Vers 21 heures, une religieuse qui veille une moniale à l’agonie dans la chambre voisine s’entend appeler par mère Joseph. Elle accourt aussitôt et se hâte d’aller chercher l’infirmière. Le père aumônier est aussitôt mandé ; il lui administre les derniers sacrements. Le 19 mars 1908, Louise revêt le saint Quand le docteur Dumas arrive, il ne habit et prend le nom de mère Marie- peut que constater le décès dû à une Joseph. Pendant son noviciat, elle se crise cardiaque9. montre obéissante et pleine de bonne volonté, si bien que le 6 avril 1910, À quelques journées d’intervalle, soit elle prononce ses vœux perpétuels. le 22 mai 1927, le neveu de mère Son expérience et son initiative sont Joseph, René Côté, est ordonné prêtre mises à profit par la communauté qui au monastère cistercien de Mistassini lui confie la confection des agnus-Dei, (Lac-Saint-Jean). des scapulaires et des roses bénites vendus à l’extérieur de la maison, ce qui rapporte quelques bénéfices additionnels8.

Références Louise Allard 1 2 3

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Archives des Srs de l’Assomption, Nicolet, Louise Allard, pensionnaire de septembre 1873 à juin 1874. Minutiers de la municipalité scolaire de Wickham-Est, 1875, 1876 et 1877. Répertoire des 25 000 religieuses issues des 46 communautés consulté aux ANQ (Québec), intitulé Religieuses au Québec, vol. 1, 1992. Rita Allard-Leclerc, entrevue du 17 avril 2001. Annette Cloutier-Lemire, entrevue du 19 mai 2001. Archives des Srs de la Présentation, sœur Éliane, 6 juin 2001. Biographie intitulée Mère Joseph Allard (1858-1927), rédigée par les Trappistines de Saint-Romuald, s.d. Mère Rose-Marie, cistercienne de Saint-Romuald, entrevue du 30 avril 2001. Biographie intitulée Mère Joseph Allard, op. cit. Loc. cit.

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Omer Allard, né le 27 septembre 1860

Omer fréquente le Séminaire de Nicolet de septembre 1875 à juin 1881. Il quitte l’institution avec, en poche, un baccalauréat ès lettres1. Il nourrit le projet de devenir médecin. Il s’inscrit à l’École de médecine et de chirurgie de Montréal (EMCM), une institution fondée par des protestants en 1843, mais où les catholiques, de surcroît francophones, ont pris la prépondérance. Faute d’une négociation fructueuse avec l’Université Laval, l’EMCM s’est affiliée, en 1866,

à l’Université Victoria de Cobourg (Ontario)2. Ses diplômés sont reconnus par le Collège des médecins et chirurgiens de la province de Québec, de la province d’Ontario et dans les États-Unis3. Pour être admis à l’EMCM, Omer doit, d’une part, détenir un certificat de bonnes mœurs et, d’autre part, passer avec succès un examen devant un jury de quatre personnes nommées par le Collège des médecins et


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chirurgiens. Les matières à examen sont l’anglais, le français, le latin, la géographie, l’histoire, l’algèbre, la géométrie, les belles-lettres, et l’un des sujets suivants : le grec, la physique ou la philosophie4. Le 3 octobre 1881, Omer entreprend la première de ses deux années d’études théoriques, entrecoupées de stages pratiques à l’Hôtel-Dieu ainsi qu’à la maternité des sœurs de la Miséricorde, au terme desquelles l’EMCM lui confère le titre de docteur en médecine. Le 1er octobre 1883, Omer prend pour épouse Alice Phillips, fille de Thomas et de Marie-Louise Plamondon, de Saint-Pierre-les-Becquets. Alice, qui a fréquenté le pensionnat des Sœurs de l’Assomption de Saint-Grégoire5, enseigne à L’Avenir à l’époque de son mariage. Le contrat de mariage signé par Omer et Alice stipule le régime de séparation de biens et, en guise de testament, une clause de donation réciproque des biens que le premier mourant pourra laisser. De plus, Alice renonce au douaire coutumier6.

sur la route menant au cimetière, à quelques arpents de la Route 243. La transaction se conclut pour 300 $, dont 150 $ comptant7. Juste en face du bureau d’Omer s’élève le moulin à scie de son beau-frère Henry Painchaud.

Liste partielle des enfants nés du mariage d’Omer Allard et d’Alice Phillips 1. 2. 3. 4. 5.

Louise Ella Maurice Louis Joseph Arthur Louis Philip Louis H.M.

(1885-1885) (c. 1887-??) (1890-??) (1892-1892) (1893-??)

Le French Village regroupe quelque 1500 personnes dans les années 1880. Les deux tiers sont francophones et catholiques, les Irlandais ne formant plus que 12 % de la population8. L’absence de voie ferrée dans les limites du village freine considérablement l’exportation des surplus agricoles et forestiers. Les efforts déployés par les éléments progressistes de Kingsey pour influer sur le tracé du Grand Trunk au moment de la construction de la ligne Lévis-Richmond, Pratique à French Village en 1854, ont été annihilés par le lobbying politique du marchand William C’est au cœur du French Village de Von Del Venden, qui craignait la conKingsey qu’Omer ouvre son premier currence pour son commerce9. bureau de médecin, plus précisément dans la maison achetée de Magdeleine Martel, veuve de Jacques LeBel, située 101


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Omer Allard et Alice Phillips sont particulièrement enclins à bouger si on en juge par les nombreux déménagements effectués au cours de leur vie commune. Après Montréal et Kingsey, ils s’installent à Montpellier, capitale de l’État du Vermont. C’est là que naît, en mai 1890, leur fils prénommé Louis Joseph Arthur. La famille habite Winooski lors de la naissance de leurs fils Louis Philip en juillet 1892 et Louis H.M. en août 1893. En décembre de la même année, on retrouve les Omer Allard à Colchester, une agglomération située à moins de 6 milles au nord de Winooski. La famille s’établit définitivement à Burlington en octobre 1898.

Émigration au Vermont Le séjour d’Omer et d’Alice au French Village est de courte durée. En effet, dès le mois de décembre 1886, à peine trois ans après leur arrivée, ils vendent leur propriété au marchand John Wadleigh. Comme des milliers de leurs compatriotes, ils emboîtent le pas à l’immigration vers la NouvelleAngleterre, plus précisément dans l’État du Vermont, où les Canadiens français forment des concentrations 102

importantes à Winooski (50 %) et à Burlington (25 %)10. À Winooski, la paroisse Saint-François-Xavier est fondée depuis 1868 en raison de la présence de plus de 800 catholiques canadiens-français. Le manifeste publié par Mgr de Goësbriand dans Le Protecteur canadien illustre bien l’idéologie missionnaire de l’époque : les Canadiens français sont « appelés de Dieu à coopérer à la conversion de l’Amérique, comme leurs ancêtres furent appelés à planter la foi sur les


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Le 13 avril 1907, à l’âge de 46 ans, il décède, en l’hôpital Fanny Allen de Colchester, des suites d’une dilatation cardiaque sévère12. Il est inhumé dans le cimetière de la paroisse SaintFrançois-Xavier trois jours plus tard. Il laisse dans le deuil sa femme Alice et ses fils Louis-Arthur, Louis H.M. et C’est donc parmi ses compatriotes Maurice, qui étudie au Séminaire d’origine québécoise qu’Omer pratique Saint-Charles-Borromée de Sherbrooke la médecine une vingtaine d’années. vers 190513.

bords du Saint-Laurent. [...] Si l’on ne vole au secours de ces Émigrés, même à l’ombre de la croix, ils vont perdre la foi et déshonorer leur nation. [...] Les Canadiens ont besoin de missionnaires de leur nation, ils ont besoin d’églises séparés »11.

Références Omer Allard 1

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Les examens pour l’obtention d’un baccalauréat ès lettres avaient lieu à la fin de l’année scolaire consacrée à la Rhétorique. Source : Brochure émise par le Séminaire de Saint-Hyacinthe pour l’année scolaire 1891-1892. Montréal, E. Sénécal & Fils, 1892. R. Rumilly, Histoire de la Province de Québec, Éditions Bernard Valiquette, tome 1, p. 91. Brochure publiée par l’École de médecine et de chirurgie de Montréal, session 1882-1883, Montréal, impr. L’Étendard, 1882, p. 5. J. Bernier, La médecine au Québec, naissance et évolution d’une profession, Québec, PUL, 1989, p. 56. Archives des Srs de l’Assomption, Nicolet. Bureau d’enregistrement de Drummondville, B-22350. Ibid., B-22351. Recensements du Canada : 1881 = 1546 ; 1891 = 1536. J.-P. Bélanger, Histoire de Drummondville 1815-1850, Société d’histoire de Drummondville, Hors-série no 1, 1997, p. 79. http://www.fl.ulaval.ca/cefan/franco/my_html/francam.tlml F. Weil, Les Franco-américains 1860-1980, p. 92-94. Death certificate Omer Allard, Public Records Division State of Vermont. Archives du Séminaire de Sherbrooke : Bottin des élèves inscrits entre 1900 et 1905.

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Hélène Allard, née le 9 septembre 1866

Hélène naît quelques mois à peine après le grand déménagement de la famille à la Longue Pointe du canton de Wickham. Elle poursuit ses études au-delà de l’école de rang, probablement au Pensionnat des Sœurs de la Présentation de Marie, à SaintHyacinthe1, où sa sœur aînée, Louise, a pris le voile. Hélène y décroche un diplôme d’enseignement, puis revient habiter avec sa famille à la Longue Pointe. Elle enseigne à Kingsey2 lorsqu’elle accepte la direction, en juin 1897, du central de téléphone Bell de L’Avenir qui gère les interurbains placés par les résidents du village3. Hélène quitte son poste au central deux ans plus tard pour convoler en justes noces avec Calixte Proulx, un cultivateur du 7e Rang de L’Avenir. Calixte est le fils de Josephte Charpentier, décédée en avril 1898, et de Noël Proulx qui se « donne » à son fils Calixte quelques semaines avant les épousailles. Le patrimoine familial consiste alors en trois terres, totalisant 235 arpents4. On s’adonne à la musique chez les Proulx ; le dimanche et les jours de fête, la fille de la maison, Carinne, touche avec brio l’harmonium en accompagnement des voix5. 104

Bien que le couple se soit marié relativement âgé, Hélène (32 ans), Calixte (40 ans), six enfants naissent de leur union. Les filles, Claire, Françoise, Simone et Gilberte, affichent la grâce de leur mère. Toutes musiciennes, elles poursuivent des études supérieures à Montréal, en secrétariat et en sciences infirmières. L’une d’elles, Gilberte, épouse le réputé organiste Paul Doyon6, invité à donner des concerts en Europe, en Inde, au Japon et à Taïwan. Les garçons de la maison, Bernard et Marcel, émigrent tour à tour à Detroit (Michigan). Bernard travaille environ cinq ans sur la chaîne de production d’automobiles Ford. Il rend visite à sa famille à quelques reprises durant son séjour à Detroit, au volant d’une automobile Chrysler. Mais lorsqu’il revient définitivement au Québec, en 1932, il est propriétaire d’un véhicule à l’effigie de Ford. C’est que Ford, frappé de plein fouet par la crise, a exigé de ses employés qu’ils soient propriétaires d’un véhicule Ford pour conserver leur emploi. La directive a tout au plus retardé le licenciement de ses plus vieux employés, dont Bernard Proulx. Marcel, pour sa part, fait un bref séjour à Detroit, le temps d’un hiver seulement7. On se rappelle des frères


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Hélène fait preuve de beaucoup d’initiative pour développer le volet culturel de sa communauté. Elle enseigne le piano aux enfants de la paroisse et monte, à l’occasion, des pièces de théâtre. Pendant une dizaine d’années, elle préside le Cercle des Fermières de L’Avenir. À chaque mois, les membres du Cercle se réunissent pour discuter d’art domestique et culturel, de santé et d’alimentation et de problèmes scolaires et agricoles. Une grande exposition annuelle met en valeur les talents des fermières, leur créativité et leur bon goût9. La générosité d’Hélène est à la mesure de son énergie débordante. Elle accueille sa mère Olive, devenue veuve en janvier 1902, jusqu’à son décès survenu en octobre 1908. En de multiples occasions, elle assiste sa nièce Julia, mariée à Edmond Cloutier de L’Avenir. De santé fragile, Julia meurt

Coll. Denise Proulx

Proulx emmitouflés dans leurs manteaux de chat sauvage, la tête décoiffée, cependant, fiers de montrer leur chevelure drue et frisée8.

C. 1920 – Calixte Proulx et son épouse Hélène (au centre) reçoivent une parente. Le mariage de Calixte Proulx et d’Hélène Allard a lieu le lundi 3 juillet 1899. À l’époque, il est commun de se marier le lundi parce qu’on emploie le dimanche à préparer le festin. Le couple demande à se marier à 5 heures le matin afin de pouvoir prendre le train qui les emmènera chez le frère de Calixte, à Manchester. Le curé Milot leur répond qu’il les recevra à 6 heures. Son refus de se rendre au souhait exprimé par les futurs mariés s’explique, selon Annette Cloutier-Lemire, « par sa déception de ne pouvoir bénir un grand mariage [plus lucratif pour la fabrique], Hélène et Calixte étant bien cotés ».

Les enfants nés du mariage de Hélène Allard et de Calixte Proulx 1. 2. 3. 4. 5. 6.

Claire Françoise Simone Bernard Gilberte Marcel

(1900-1972) (1901-1970) (1903-1970) (1904-1981) m Aurette Côté (1916-1962) (1906-1971) m Paul Doyon (1903-1986) (1907-1978) m Jeannine Nottet 105


Coll. Denise Proulx

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C. 1948 – La famille Proulx réunie à la résidence de Bernard, située au cœur du village de L’Avenir. De gauche à droite : Marcel Proulx, Bibiane Cloutier, Aurette Côté-Proulx, Hélène Allard-Proulx (82 ans), Gilberte Proulx-Doyon, Bernard Proulx, Paul Doyon, Claire Proulx, Françoise Proulx, Simone Proulx et la petite Denise, fille unique d’Aurette et de Bernard.

Après le décès de Calixte, Hélène se retire l’hiver à Montréal chez ses filles. L’été, elle réintègre la ferme de L’Avenir pour y cultiver son potager et des fleurs à profusion, dont les géraniums qu’elle suspend tête-bêche dans le sous-sol durant l’hiver11. Elle décède en 1953 à l’âge de 87 ans. Elle repose dans le cimetière paroissial de L’Avenir auprès de son mari, Calixte, décédé en 1935.

Hôtel Victoria, rue Principale, L’Avenir. En 1944, l’édifice est converti en maison d’habitation par Bernard Proulx.

Coll. Gisèle Allard-Brousseau

alors qu’elle donne naissance à son dixième enfant. Les enfants Cloutier raffolent aller en visite chez tante Hélène et oncle Calixte. Des séjours réconfortants à jamais gravés dans leur mémoire. Monique en témoigne : « Quand on revenait à la maison, on avait toujours une robe neuve, des fois cousue dans du vieux, mais tante Hélène était tellement habile, on était fière de la porter10. »


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Références Hélène Allard 1

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Nous présumons le passage d’Hélène Allard au couvent de Saint-Hyacinthe en raison, d’une part, de la présence de sa sœur religieuse et, d’autre part, de l’absence d’informations à son sujet dans les archives des Srs de l’Assomption, à Nicolet. Les archives des Srs de la Présentation de Saint-Hyacinthe ont été détruites par le feu en avril 1992. Annette Cloutier-Lemire, entrevue du 19 mai 2001. Gisèle Allard-Brousseau, entrevue du 2 octobre 2001. L’Avenir (Québec), Services historiques de Bell, 1985, p. 4-5. Ibid., B-43-32381. Bureau d’enregistrement de Drummondville, B-42-31541 et 31542. Paul Doyon (1903-1986), pianiste, professeur, organiste à l’église Notre-Dame-de-Grâce de Montréal de 1922 à 1986. En 1952, il représenta les aveugles du Canada aux fêtes du centenaire de Louis Braille célébrées à Paris. Il fut également invité à Rome, en 1959, et à New Delhi, en 1969, dans le cadre de congrès mondiaux tenus par des organismes œuvrant en faveur des aveugles. Source : http://netcecite.typhlophile.com/9811/msg00154.shtml Roland Allard, entrevue du 15 juillet 2003. Rita Allard-Leclerc, entrevue du 17 avril 2001. L’Avenir Hier… Aujourd’hui, Saint-Stanislas, Éditions Souvenance inc., 1986, p. 104. Annette Cloutier-Lemire, op. cit. Monique Cloutier, entrevue du 11 avril 2001. Rita Allard-Leclerc, op. cit. Rolland Allard, entrevue du 9 avril 2001. Gisèle Allard-Brousseau, op. cit.

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Émile Allard, né le 23 juin 1874

Louis se réjouit sans doute de la naissance d’un quatrième fils, prénommé Émile, pour le seconder dans ses nombreuses tâches reliées à l’exploitation de la ferme et au commerce du bois. Émile ne déçoit pas les attentes de son père. Très tôt, tout comme son frère Adhémar, il contribue à la mise en valeur de la ferme de la Longue Pointe, alors que son frère Télesphore scie au moulin, que son frère Arthur poursuit des études classiques au Séminaire de Saint-Hyacinthe, que son frère Omer pratique la médecine aux États-Unis et que son frère Georges se « pousse » dans le South Dakota dès qu’il reçoit son diplôme de vétérinaire. En 1892, à peine âgé de 18 ans, Émile s’initie au métier de fromager dans la fabrique mise sur pied par son père Louis, en société avec son gendre Henry Painchaud et un dénommé Clovis Duguay. La fromagerie est située dans le 2e Rang, à mi-chemin entre L’Avenir et Ulverton, plus précisément à l’angle de la route Gagnon1. Les fromageries et les beurreries poussent comme des champignons à cette époque. Au Québec, leur nombre passe de 162 en 1881 à près de 2000 en 19012.

également dans le 2e Rang, cette fois à moins de cinq arpents de l’intersection de la route menant à la Longue Pointe. Le coût de la transaction, qui atteint 395 $, inclut l’édifice, la machinerie et les ustensiles. De plus, Émile s’engage à payer à Vincent Lemire un loyer annuel de 2 $ pour le terrain sur lequel s’élève la fromagerie, soit une parcelle de 150 pieds de front sur 72 pieds de profondeur3.

Émile Allard épouse Éveline Janelle Bien installé dans son métier de fromager, Émile (26 ans) se marie le 7 janvier 1901 avec Éveline Janelle, de Saint-Germain-de-Grantham, un village prospère situé à 20 milles à l’ouest de L’Avenir, une distance considérable lorsqu’on peut compter uniquement sur le cheval pour aller voir sa promise! En raison de l’isolement de la ferme de la Longue Pointe maintes fois déplorée par ses occupants, plusieurs Allard ont dû faire fi de l’adage populaire : « Mariez-vous à votre porte avec des gens de votre sorte ».

En avril 1898, Émile achète la fro- Éveline est la fille d’Athanase Janelle, magerie d’Alfred Provancher située cultivateur, et de Marie Caya. Elle a 108


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Enfants nés du mariage d’Émile Allard et d’Éveline Janelle 1. Jules (1901-1989) 2. Bérangère (1904-1990) 3. Josephat (1905-1980) 4. Lactance (1907-1907) 5. Anne-Marie (1909-??) 6. Edmond (1910-1951) 7. Paul (1913-??) 8. Marguerite (1916-1916) 9. Louise (1919-??) 10. Jeanne-d’Arc (1922-??)

m(1) 1928 m(2) 1957 m 1922 m 1939

Antoinette Pratte (19??-1936) Germaine Champagne (1913-1988) Arthur Mailhot Marie-Jeanne Lemire

m 1939

Alphonse Lavertu

m 1947

Jeannette Drainville

m 1944 m 1950

Omer Gagné Arthur Murrill

fréquenté le couvent des Sœurs de l’Assomption, situé à Saint-Célestin. Elle est enseignante au moment de son mariage avec Émile4. Le jeune couple emménage à la grand’maison de la Longue Pointe, où habitent les parents d’Émile ainsi que son frère cadet, Adhémar, devenu veuf depuis peu. Dix mois à peine après leur mariage, Éveline donne naissance à un fils prénommé Jules5. Émile travaille à la fromagerie du 2e Rang sept mois par année, ce qui lui procure des revenus annuels de 470 $. Il consacre ses temps libres à l’exploitation de la ferme et au travail en forêt. En octobre 1903, Émile loue un terrain situé sur la route McGiveney, à l’angle du 7e Rang du canton de

Durham, sur lequel il construit une fromagerie. Son beau-frère Calixte Proulx exploite une ferme contiguë à la fromagerie. À peine une année s’écoule qu’Émile vend ses installations à un cultivateur de SaintGermain, un dénommé Agnus Janelle6. C’est probablement à ce moment-là qu’Émile abandonne le métier de fromager. Il y a, d’ailleurs, peu d’intérêt pour la production laitière dans la région de L’Avenir au début du XXe siècle. Les agriculteurs préfèrent de loin la culture lucrative du foin à la mince marge de profit dégagée par le lait de fabrique. De 1871 à 1921, ils multiplient par quatre la superficie consacrée au foin pour répondre à la demande de fourrage dans les villes, dans les chantiers et aux États-Unis7. 109


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De nombreux déménagements La famille d’Émile et d’Éveline habite la région de L’Avenir lorsque naissent Bérangère en mars 1904 et Josephat en novembre 1905. Elle se retrouve momentanément à South Durham en 1907 selon le registre paroissial où sont inscrits le baptême de Lactance en avril et sa sépulture en août de la même année. Par la suite, la famille déménage à Saint-Germain-deGrantham, où naissent Anne-Marie en avril 1909, Edmond en octobre 1910 et Paul en février 1913. Aucune information ne permet de préciser le métier pratiqué alors par Émile. La famille revient par la suite à L’Avenir ; dans l’annuaire de 1915, Émile Allard est inscrit à titre de barbier. C’est d’ailleurs en l’église de L’Avenir qu’est baptisée Marguerite en mars 1916 ; on y célèbre ses funérailles en juillet de la même année. En avril 1917, dans l’espoir de préserver ses fils du service militaire, Émile retourne au métier d’agriculteur. Il loue de George Picken une ferme située dans le 11e Rang du canton de Durham, à la sortie du village fantôme de Danby. On affuble Danby de l’épithète « fantôme » parce que le village a été consumé en entier par le feu en 1888. Jamais on ne vit un incendie aussi prompt dans sa marche : en moins de deux heures, les magasins, les deux églises protestantes (anglicane et congrégationaliste), les ateliers, les 110

maisons d’habitation et leurs dépendances ne sont plus qu’un amas de cendres fumantes8. Seules quelques résidences ont été rebâties lorsque Émile vient s’établir à Danby 30 ans plus tard. L’entente signée devant le notaire J.-C. Saint-Amant par Picken et Émile concède à ce dernier l’usage de la maison, du fond de terre, des bâtiments et des instruments aratoires. Le cheptel est confié aux soins du locataire. En retour, Émile doit remettre à Picken une partie des récoltes et une partie des bénéfices tirés de la vente d’animaux et de leurs dérivés9.

Le métier de cheminot Le chemin de fer passe juste en face de la maison de Danby. Émile a tout le loisir d’envier le sort des cheminots dont le salaire est supérieur à celui d’autres travailleurs manuels en plus de jouir de la permanence d’emploi. Cependant, le travail est dur, particulièrement l’été alors qu’en plein soleil ils doivent manipuler des sections d’acier, pelleter du ballast ou enfoncer de gros crampons avec une masse de fer de dix livres. C’est un travail peu compliqué, mais qui exige une bonne résistance physique10. Émile a la stature de l’emploi en plus d’être bilingue. Il réussit à se faire embaucher, par le Grand Trunk Railway de Richmond, un centre ferroviaire de


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Coll. Louise Allard-Gagné

C. 1940 – La famille d’Émile Allard et d’Éveline Janelle. À l’avant : Louise et Jeanned’Arc. À l’arrière : Paul, Edmond, Bérangère, Anne-Marie, Jules et Josephat. En 1918, Émile entre à l’emploi du Grand Trunk Railway, à Richmond. La famille emménage alors dans une maison située en face de l’église Sainte-Bibiane, en bas de la côte. C’est là que naissent les benjamines, Louise et Jeanne d’Arc. Les deux fils aînés, Jules et Josephat, démontrent une force peu commune. Ils sont « bâtis, mais pas débordants de graisse, tout en nerfs »1. S’ils ne sont pas tapageurs, gare cependant à ceux qui voudraient les moucharder. Jules, cheminot comme son père, soutient à lui seul un bout de rail de chemin de fer alors qu’il faut deux bons hommes pour supporter l’autre extrémité2. Selon certains, c’est trois bons hommes qu’il fallait pour supporter l’autre extrémité3. Il est même arrivé à Jules de lever un rail à lui seul, de le faire pivoter d’un demi-tour et de le déposer à l’endroit requis4. Quant à Josephat, forgeron et maréchalferrant, il n’hésite pas à renverser un cheval qui s’agite pendant qu’il lui cloue des fers aux sabots. Il peut également plier du fer avec ses mains nues5. Références Rolland Allard, entrevue du 9 avril 2001. Louise Allard-Gagné, entrevue du 9 août 2002. 3 Jeanne-d’Arc Allard-Murrill, entrevue d’août 2002. 4 Rolland Allard, op.cit. 5 Louise Allard-Gagné, op.cit. 1 2


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première importance pour les voyageurs et les marchandises qui transitent entre la vallée du SaintLaurent et la Nouvelle-Angleterre.

plaie sur une jambe qui ne guérit pas malgré de multiples applications d’eau bouillie et d’onguent de zinc. Elle vit sans maudire ses souffrances physiques et morales. Elle est même joviale. Les Émile est cheminot jusqu’à l’âge de la passants s’arrêtent volontiers pour retraite. Il remplit d’abord la tâche de jaser un brin avec elle14. cantonnier, c’est-à-dire préposé à l’entretien des voies et à leur déneige- Au milieu des années 1920, des nièces ment. Puis, il est promu au poste de de L’Avenir viennent souvent visiter la magasinier dont la principale respon- famille d’Émile. Il s’agit des filles de sabilité consiste à approvisionner les Télesphore (frère d’Émile), soit équipes d’entretien. Pour Béatrice, Hortense et Stéphanette, qui atteindre les chantiers, il travaillent au magasin de Roméo actionne à bras la drai- Marcotte qui a pignon sur la rue sine, communément Principale à Richmond. Le dimanche, appelée « pompeux », à la sortie de la messe célébrée en chargée de matériaux l’église Sainte-Bibiane, elles traversent chez tante Éveline et oncle Émile pour divers11. jouer aux cartes. L’atmosphère est animée, les joueurs sont ambitieux, on Les mains du cheminot Jules Allard consigne les points pour des parties de étaient démesurément grosses. Il pourevanche15. vait insérer une pièce de 50 ¢ (1 3/16 pouce de diamètre) à l’intérieur de son anneau de mariage.

Le métier de cheminot s’est exercé de père en fils chez les Émile Allard, puisque ses fils Jules, Edmond et Paul ont également été à l’emploi des chemins de fer12.

Éveline, joviale et accueillante Éveline a un visage aimable13. Elle est contrainte à la réclusion en raison de sa forte corpulence, mais aussi d’une 112

Éveline aime cuisiner, entre autres des beignes. Un jour qu’Émile reçoit la visite de son neveu Pancrace, accompagné de sa femme Alma et de ses deux filles aînées, Rita et Gisèle, ces dernières se laissent entraîner par Jeanne-d’Arc et Louise à la « pêche aux beignes ». Montées à l’étage des chambres, les quatre fillettes, penchées au-dessus du trou pratiqué dans le plafond de la cuisine pour laisser passer la cheminée du poêle, attrapent les beignes soigneusement dissimulés sur le dessus du poêle grâce à un crochet attaché au bout d’une corde. Pour le


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bonheur des petites gourmandes, la cheminée du poêle à bois avait été retirée pour l’été16. Éveline meurt à Richmond le 7 décembre 1945 ; elle est âgée de 65 ans. Son mari, Émile, lui survit près de dix ans ; il décède le 25 novembre 1955 à l’âge de 81 ans.

Source : Conseil aux patrons de beurreries et de fromageries sur les soins à donner au lait. Bulletin no 8, Société d’industrie Laitière de la province de Québec, mai 1896. p. 11.

Références Émile Allard 1 2 3 4

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Bureau d’enregistrement de Drummondville (BED), registre des sociétés, no 238, 17 août 1904. S. Courville et al., Atlas historique du Québec – La paroisse, Sainte-Foy, PUL, 2001, p. 196-197. BED, B-35208. Louise Allard-Gagné, entrevue du 9 août 2002. Les archives des Srs de l’Assomption, conservées au siège social de Nicolet, indiquent la présence d‘Éveline Janelle au couvent de Saint-Célestin durant les années 1891-1892 et 1892-1893. Les dates et les lieux de naissance des enfants nés du mariage d‘Émile Allard et d’Éveline Janelle sont tirés d’un document intitulé Généalogie de Louis Allard, prêté à l’auteure par Jean-Louis Allard, fils de Jules Allard, en août 2002. BED, B-35349 et 37384. Jean Lamarre, Les Canadiens-français du Michigan – Leur contribution dans le développement de la vallée de la Saginaw et de la péninsule de Keweenaw 1840-1914, Québec, Septentrion, 2000, p. 36. J.-C. Saint-Amant, Un Coin des Cantons de l’Est, Drummondville, La Parole ltée, 1932, p. 485. Palais de justice d’Arthabaska, greffe J.-C. Saint-Amant, minute 6640. J. Pomerleau, Gens de métiers et d’aventures, Sainte-Foy, Éditions GID, 2001, p. 438. Draisine : wagonnet léger mû à bras, servant aux équipes d’entretien d’une voie ferrée. OLF, 1989. Anne-Marie Allard-Lavertu, entrevue d’août 2002. Loc. cit. Annette Cloutier-Lemire, entrevue du 19 mai 2001. Louise Allard-Gagné, op. cit. Anne-Marie Allard-Lavertu, op. cit. Rita Allard-Leclerc, entrevue du 17 avril 2001.

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Arthur Allard, né le 16 avril 1876

Les premiers pleurs de bébé Arthur troublent à peine le maçon Dauplaise qui prépare les assises de la grand’maison que se font construire ses parents. Il y a déjà 10 ans que la famille a déménagé à la Longue Pointe. Depuis, elle s’est agrandie, et les bénéfices tirés du commerce du bois permettent d’ériger une résidence vaste et spacieuse.

L’aisance financière de la famille se traduit également par les études supérieures dans lesquelles s’engagent plusieurs de ses enfants, dont Arthur, qui entre au Séminaire de SaintHyacinthe à l’âge de 14 ans. Avec fierté, il endosse la redingote bleue parée de nervures blanches, communément appelée « capot d’écolier1 ».

Source : Annuaire du Séminaire de Saint-Hyacinthe, année scolaire 1891-1892. Montréal, Eusèbe Sénécal & fils, 1892. p. 9-10.


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Le Séminaire accueille Arthur comme pensionnaire durant ses trois premières années d’études, soit les éléments latins, la syntaxe et la méthode. La pension s’élève à 50 $ par semestre, à laquelle s’ajoutent le coût des livres, des vêtements, le dortoir, l’infirmerie s’il y a lieu… Une partie de la facture est payée en argent, l’autre en « nature », soit de 15 à 20 cordes de bois dont la valeur marchande est estimée à 4 $ la corde. Il en coûte 24 $ pour faire parvenir les cordes de bois à Saint-Hyacinthe par chemin de fer. À compter de la Versification, le statut d’Arthur change pour celui de quartpensionnaire. Dorénavant, sa nourriture lui parviendra de l’extérieur bien qu’il demeure au Séminaire à plein temps. La pension n’est plus que de 15 $ par semestre2. C’est également à

partir de la Versification que les résultats scolaires d’Arthur se détériorent. Alors qu’il se maintenait dans la moyenne durant ses trois premières années au Séminaire, il recule au point de se retrouver dernier de classe lorsqu’il termine sa Rhétorique. Il est absent du Séminaire tout le semestre d’hiver de sa première année de philosophie3. Arthur vient vivre quelques mois à la Longue Pointe à la fin de ses études au Séminaire en 1898. Lorsque son père Louis décède, en janvier 1902, il signe le registre des sépultures. Par la suite, nous perdons sa trace. Des membres de la famille croient se rappeler qu’Arthur était pharmacien4. Nos recherches à cet effet auprès des universités Laval et McGill ainsi que du Montreal College of Pharmacy ont été vaines.

Références Arthur Allard 1 2 3

4

Annuaire du Séminaire de Saint-Hyacinthe, année scolaire 1891-1892, Montréal, E. Sénécal & Fils, 1892, p. 10. Livres de comptes du Séminaire de Saint-Hyacinthe conservés au centre d’archives du Séminaire. Registres des résultats scolaires des élèves du Séminaire de Saint-Hyacinthe conservés au centre d’archives du Séminaire. Rolland Allard, entrevue du 9 avril 2001.

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Dans l’Ouest, on peut faire de l’argent à la pelletée

De 1840 à 1930, près d’un million de Québécois et d’Acadiens partent pour les États-Unis. Si la très grande majorité d’entre eux se dirige vers les manufactures de la Nouvelle-Angleterre, certains optent plutôt pour les terres fertiles et à bon marché de l’Ouest, fuyant ainsi la réalité de misère sans pour autant renoncer définitivement à l’agriculture comme mode de vie1.

Jefferson, Union County, South Dakota

nommé ainsi en l’honneur du président Thomas Jefferson par les explorateurs Clark et Lewis, passés par là en 1804 alors qu’ils remontaient le Missouri à la recherche d’un passage vers l’ouest2. L’Union County possède les terres les plus fertiles de tout le South Dakota ; on n’y retrouve aucun marécage ou parcelles sablonneuses. Ses prairies ondulées fournissent généreusement du blé, du maïs, de l’avoine et du foin acheminés vers l’est par le Dakota Southern Railway. Par centaines, les candidats à la colonisation s’y installent à compter de 1860, dont des Canadiens français en nombre suffisamment élevé pour justifier la présence permanente d’un prêtre catholique dès 18693.

Le South Dakota est le 39e État à joindre l’Union en 1889. Il est situé entre la rivière Mississippi et les montagnes Rocheuses. Ses premiers occupants appartiennent à la nation des Sioux dont le territoire passe aux mains des Français, puis des Espagnols avant d’être acheté Les Allard qui émigrent par les Américains en 1803. à Jefferson La rivière Missouri trace la frontière occidentale de l’Union County, alors que sa limite orientale est dessinée par la rivière Big Sioux. Au centre de l’appendice qui s’avance dans les États du Nebraska et de l’Iowa se trouve le village de Jefferson,

C’est Michel Allard, le frère de Louis, qui ouvre la voie vers le South Dakota en 1870. Quatre enfants de Louis iront rejoindre leur oncle : Georges en 1894, Ernestine et Adhémar en 1904 et Éva en 1905. 117


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Coll. Catherine Allard-Choquette

De gauche à droite : Cléophée Bernard (deuxième femme de Michel Allard), Michel Allard et Olive Boisvert (première épouse de Michel Allard). En bas, la ferme de Michel Allard, située à quatre milles à l’ouest du village de Jefferson. Michel Allard est le frère de Louis Allard. C’est lui qui ouvre la voie vers le South Dakota. Entreprenant et courageux à souhait, il quitte L’Avenir en 1870 avec sa nouvelle épouse Cléophée Bernard et huit enfants nés d’un premier mariage avec Olive Boisvert. Les terres des États du Midwest américain (Indiana, Illinois, Michigan, Minnesota, Ohio, Wisconsin) n’étant plus disponibles à cette époque, Michel pousse l’expédition jusque dans le South Dakota. Il reçoit gratuitement 200 arpents de terre à condition d’exploiter sa ferme au moins cinq ans et d’être reçu citoyen américain. Malgré l’extrême sécheresse des années 1874 à 1880, malgré les feux de prairie, les inondations et les assauts répétés des sauterelles, la famille de Michel prospère et prend racine à Jefferson. Les loisirs sont consacrés à la musique tant à la maison qu’à l’église paroissiale St. Peter où Michel assume la direction du chœur de chant. Michel meurt en octobre 1896 à l’âge de 75 ans.

Références South Dakota 1 2 3

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J. Pomerleau, Gens de métiers et d’aventures, Sainte-Foy, Éditions GID, 2001, p. 168-169. D. Vaugeois, « Le fils d’un Montréalais sur le dollar américain? », Le Devoir, 27 août 2001, p. B-1. E. E. Collins, A History of Union County, SD, to 1880, Dept. of History, Univ. SD, May 1937.


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Georges Allard, né le 24 juillet 1864

Fraîchement diplômé de l’école vétérinaire de l’Université Laval, Georges prend la route de l’exil, en 1894, pour se fixer dans le village de Jefferson (South Dakota) qui regroupe à l’époque 230 personnes. Georges est le sixième des quatorze enfants de Louis Allard et d’Olive Côté. Il vient tout juste de faire ses premiers pas lorsque ses parents déménagent à la Longue Pointe de Wickham. Après ses études primaires à l’école du 2e Rang, il fréquente le Collège Saint-Nicolas1. Jusqu’à l’âge de 26 ans, Georges participe aux travaux de la ferme familiale en alternance avec l’exploitation forestière. En 1890, il s’inscrit à l’École vétérinaire française de Montréal (EVFM) fondée quatre années plus tôt. L’école, qui a pignon sur la rue Craig, enseigne les matières fondamentales comme la chimie, la physiologie, la botanique, l’anatomie, la thérapeutique et l’obstétrique, alors que la dissection se fait dans une pièce attenante à la forge. Au terme de trois années d’étude, soit en juin 1893, Georges reçoit son diplôme de vétérinaire de l’Université Laval à laquelle est affiliée l’EVFM2.

Une carrière de vétérinaire, à la fin du XIXe siècle, présente peu de perspectives alléchantes. Pauvres pour la plupart, les habitants des campagnes québécoises ont recours à des remèdes « de cheval » pour s’éviter les honoraires d’un vétérinaire. Ainsi traitentils le ballonnement des vaches en leur administrant « une pinte de gin ou une à deux pintes d’huile à lampe ainsi que du jus de citron ou du lait avec du goudron [...] ou des œufs mélangés à du goudron avec de l’ammoniac, du lard et… de la poudre à canon! »3. Sur les terres fertiles de l’Ouest, la situation est bien différente. Imaginons 200 arpents de blé bien mûr. Il faut le récolter sans retard, avant la pluie, la grêle ou le froid. Les chevaux doivent être en aussi bonne santé que possible et, qui plus est, les fermiers sont suffisamment prospères pour consulter un vétérinaire dès que les bêtes montrent des signes de maladie. Georges est sans aucun doute informé de la bonne fortune qui l’attend par son oncle Michel dont nous avons parlé plus tôt. En 1894, soit moins d’une année après l’obtention du diplôme qui lui a conféré le titre de vétérinaire, il quitte le Québec pour pratiquer sa profession à Jefferson. 119


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Sa santé défaillante l’a contraint à l’inactivité au cours des deux dernières années. Il est, de plus, presque aveugle depuis six mois. Il ne survit pas à l’intervention chirurgicale pratiquée au début de novembre pour lui apporter quelque soulagement. Il est inhumé le 11 novembre 1926 dans le Georges est hospitalisé à l’hôpital St. cimetière St. Peter de Jefferson5. Vincent à l’automne 1926. Il a 62 ans. Georges prend pour épouse, en 1899, Dina Jacques, née 18 années plus tôt de parents franco-américains. Le marié a pour sa part atteint l’âge de 35 ans. Le couple loue une maison située sur la 3e Rue à Jefferson4. Georges et Dina n’auront jamais d’enfants.

Références Georges Allard 1 2

3 4 5

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« Death claims Jefferson Veterinarian », Elk Point Leader Courrier, November 11, 1926. M. Pepin, Histoire et petites histoires des vétérinaires du Québec, Montréal, Éditions François Lubrina, 1986, p. 72 et 99. Ibid., p. 136. 1910 Census, SD, Union County, Jefferson Twp, Jefferson Village, ED423, sht 2, p. 200B. « Death claims Jefferson Veterinarian », op. cit.


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Ernestine Allard, née le 12 juin 1868

Ulric, fils de Maxime Phénix et d’Anne d’Auray Janelle, est tanneur à Saint-Hyppolite (au nord de SaintJérôme) à cette époque3. Il pratique son métier par la suite à Wotton (à l’est d’Asbestos). Puis il achète du commerçant David Morin une propriété située dans le French Village. Il débourse 400 $ pour la maison et une somme équivalente pour le mobilier, les voitures et les animaux4. En novembre 1898, il convainc huit partenaires, dont son beau-frère Henry Painchaud, de former une société pour « faire commerce général de campagne » sous la raison sociale U. Phénix & Cie. Les membres souscrivent au total 1100 $5. Trois ans plus tard, la société est dissoute. Ulric et Ernestine déménagent à Windsor Mills (Québec).

Coll. Gisèle Allard-Brousseau

Ernestine a la réputation d’être énergique et autoritaire1. Pour éprouver le caractère de leur sœur, les garçons de la maison font attendre son prétendant à la porte lorsqu’il vient la visiter2. Leurs espiègleries n’ont cependant pas raison de la passion qu’éprouve Ulric Phénix envers Ernestine. Ils se marient le 9 janvier 1893 en l’église de L’Avenir.

1893 – Ernestine Allard. Titulaire d’un diplôme d’enseignement décerné par le Bureau des examinateurs de Saint-Hyacinthe, Ernestine se voit confier la tâche d’enseigner à ses plus jeunes frères (Arthur et Adhémar) et à sa sœur (Éva) dans un local que ses parents ont aménagé à cet effet dans la grand’maison. La Commission scolaire du canton de Wickham-Est lui verse 40 $ pour le semestre d’automne 1887.

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Coll. Gisèle Allard-Brousseau

L’histoire du couple Phénix est ponctuée de problèmes financiers et d’épreuves, dont le décès, à la naissance, de trois enfants. En 1904, Ulric et Ernestine partent pour l’Ouest avec leurs deux filles, Irène, 5 ans, et Gabrielle, 2 ans. Le voyage dure quatre jours et trois nuits, sur des banquettes sans rembourrage, le train grinçant, sifflant et secouant. Ils descendent au nord de Regina (Saskatchewan), dans une région axée sur la culture du blé et traversée par les chemins de fer Canadian Northern et Grand Trunk Pacific6. Après quelques années passées en Saskatchewan, les Phénix déménagent dans le South Dakota, plus précisément

1902 – Ernestine Allard et son mari Ulric Phénix avec leurs deux fillettes, Irène (née le 13 mars 1899) et Gabrielle (née le 15 janvier 1902). En 1904, la famille émigre en Saskatchewan, dans une région axée sur la culture du blé. L’école traumatise la petite Gabrielle, qui ne parle pas un mot d’anglais, alors que l’institutrice ne parle pas un mot de français. Tous les matins, elle tente de s’esquiver de l’obligation d’aller à l’école en prétextant des maux de dos. Ce à quoi sa mère rétorque : « Vas-y, si tu es pire à midi tu reviendras. » Ernestine enrichit le programme scolaire de ses deux petites par une dictée quotidienne, de l’épellation et des leçons de catéchisme. Comme il y a très peu de catholiques dans le village d’adoption des Phénix, Ulric va chercher, une fois par mois, le missionnaire desservant Strasbourgh, qui s’installe deux ou trois jours chez les Phénix pour entendre les confessions dans une chambre convertie momentanément à cette fin. Le piano recouvert d’un rideau sert d’autel.

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dans le village de Jefferson. Ils sont locataires d’une maison située sur la rue Principale lors du recensement de 1910. Ulric travaille à l’élévateur à grain. Un collègue de travail, du nom de Charles Gill, est inscrit comme chambreur. Ulric et Ernestine ont adopté, l’année précédente, la petite Marie-Paule Côté devenue orpheline à la suite du décès de sa mère Éva (la sœur cadette d’Ernestine)7. Les Phénix reviennent finalement au Québec et s’installent d’abord à L’Avenir, dans la maison voisine de celle de Télesphore et Célinie. Puis ils

déménagent à Montréal où ils accueillent des chambreurs dont un certain Antoine Dumouchel, étudiant en médecine. Ce dernier s’amourache de Gabrielle, potelée et assez jolie. Un jour, Ernestine surprend Antoine et sa fille Gabrielle qui s’embrassent. Ernestine crie au péché et somme les amoureux de se présenter au confessionnal. De plus, Antoine doit quitter la pension. Malgré tout, les amours perdurent et les jeunes se marient en septembre 19248. Irène, l’aînée, se marie avec Louis-Philippe Carignan en 1946. Ernestine meurt à Montréal à l’âge de 87 ans.

Références Ernestine Allard 1 2 3 4 5 6 7 8

Rita Allard-Leclerc, entrevue du 17 avril 2001. Annette Cloutier-Lemire, entrevue du 19 mai 2001. Gaby Phénix-Dumouchel, entrevue de janvier 1985. Registres de la paroisse de L’Avenir, 1893. Bureau d’enregistrement de Drummondville, B-41-29825. Ibid., registre de société, no 315. Gaby Phénix-Dumouchel, op. cit. 1910 Census, op. cit., sht 3-A p. 201A. Rita Allard-Leclerc, op. cit.

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Adhémar Allard, né le 20 juillet 1878

Adhémar travaille sur la ferme paternelle lorsque ses père et mère « se donnent » à lui le 29 décembre 1899. Il hérite alors de quelque 300 arpents de terre ainsi que de la résidence familiale et son mobilier, de cinq bâtiments de ferme, d’animaux, de voitures et d’instruments aratoires. En retour, Adhémar doit prendre en charge ses parents, sa sœur Éva à qui il donnera des meubles à l’occasion de son mariage et son frère Émile, qui recevra un cheval, une voiture fine et des meubles lorsqu’il prendra épouse. Au cas où les donateurs préféreraient vivre en dehors de la maison du donataire, ce dernier devra leur payer une pension annuelle de 200 $, et ils auront la possibilité d’apporter les meubles de leur choix1. Quelques jours suivant l’acte de donation, signé devant le notaire J.-C. Saint-Amant, Adhémar prend pour épouse Évelina Allard, 20 ans, fille de Joseph Hector Allard et Edwidge Boucher domiciliés à Sherbrooke. La jeune Évelina meurt sept mois plus tard, soit le 31 juillet 1900. En janvier 1902, c’est le patriarche Louis qui décède à son tour. En juillet 1903, Émile déménage à L’Avenir pour se rapprocher de la fromagerie qu’il a construit sur le chemin McGiveney. 124

Adhémar ne voit plus d’avenir sur la ferme familiale. Il lorgne vers l’Ouest. Il rejoint, en 1904, son frère Georges et des cousins installés à Jefferson. Il revient durant les fêtes de fin d’année pour finaliser la vente de la ferme de la Longue Pointe, de préférence à son frère Télesphore qui exploite la terre voisine de la sienne. Télesphore consulte ses fils Aloysius, Pancrace et Archibald qui devront trimer dur pour maintenir la terre en bon ordre. L’aîné, Aloysius, est favorable à l’achat du vieux bien à condition qu’Adhémar leur laisse son cheval Bayard2. Le marché se conclut pour 3500 $ dont 1500 $ sont payés comptant. Télesphore assumera l’hypothèque de 800 $ due à dame Marcotte. Quant au solde de 1200 $, il servira à « l’entretien » de leur mère Olive3. Libéré de ses engagements au Québec, Adhémar retourne à Jefferson où il épouse, en 1905, Olympe Chicoine (20 ans), fille de Stanislas Chicoine et Marie Arsenia Allard. Au recensement de 1910, Adhémar exploite, avec un homme engagé, une ferme qu’il a louée dans la région de Jefferson. Deux enfants naissent de son mariage avec Olympe, mais seule Jeanne survit. En plus des tâches ménagères, Olympe enseigne la musique4.


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En 1926, Adhémar habite Pomona (Californie)5. Il meurt le 4 février 1952 au San Bernardino County Hospital à la suite d’une obstruction des artères coronaires. Il souffrait d’hypertension artérielle depuis quelques années déjà. Selon le certificat de décès, Adhémar habitait sur la 3e Avenue, à Upland, avec son épouse Bessie, lors de son admission à l’hôpital. Durant sa vie active, il avait pratiqué le métier de mécanicien d’automobile6.

Anticonformiste et loin des regards réprobateurs, Adhémar n’aurait pas hésité à changer de religion et même de conjointe7. Une autre âme à sauver pour sa sœur religieuse, Louise, qui quitte, en 1907, la communauté des Sœurs de la Présentation pour adhérer à un ordre plus pénitent, les Trappistines de Saint-Romuald. Dans l’immobilité de l’oraison, elle espère retenir la justice divine prête à frapper ses frères pécheurs.

Références Adhémar Allard 1 2 3 4 5 6 7

Bureau d’enregistrement de Drummondville (BED), B-32821. Rolland Allard, entrevue du 9 avril 2001. BED, B-82-64559. 1910 Census, SD, Union County, Civil Bend Tw, ED 426, sht 2A, p. 234A. « Death claims Jefferson Veterinarian », Elk Point Leader Courrier, November 11, 1926. Vital records, County of San Bernardino, Adhemar Henry Allard’s Certificate of Death, November 27, 2001. Entrevues : Rita Allard-Leclerc le 17 avril 2001, Annette Cloutier-Lemire le 19 mai 2001.

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Éva Allard, née le 15 mars 1881

Éva, la petite dernière des 14 enfants de Louis et d’Olive, poursuit, comme ses sœurs, ses études en vue de l’obtention d’un diplôme d’enseignement. On la retrouve, entre autres, à l’école du 2e Rang durant l’année scolaire 1898-1899 où elle reçoit 90 $ pour faire la classe à 21 enfants âgés entre 5 et 14 ans. Les commissaires lui accordent une prime de 1,50 $ pour avoir lavé l’intérieur de l’école1.

d’une toxémie, conséquences d’une grippe sévère2.

Ernest place ses enfants

La petite Germaine est adoptée par Dolphus Allard (parent éloigné) et son épouse Victoria Handfield. Victoria a donné naissance à quatre enfants depuis son mariage en 1896. Seul Wilfred a survécu ; il a 12 ans au Le 12 juillet 1900, Éva Allard (19 ans) moment où ses parents adoptent se marie à Ernest Côté (27 ans), fils Germaine3. d’Amédée et d’Hélène Fontaine demeurant à L’Avenir. Quelques mois Marie-Paule (16 mois) est prise en avant la célébration du mariage, charge par la sœur d’Éva, Ernestine, qui Amédée et Hélène « s’étaient donnés » a émigré dans l’Ouest avec son mari à leur fils Ernest. Au cours de l’année Ulric Phénix. Ses trois frères René (8 1903, Ernest se rend à Jefferson pour ans), Rivier (6 ans) et Maurice (4 ans) évaluer l’opportunité d’y émigrer avec prennent la route de l’orphelinat de sa famille. Au retour, il rétrocède à ses Nicolet (Québec), qui accueille des parents les biens légués en avril 1900. garçons âgés de 3 à 12 ans4. La famille d’Ernest et d’Éva, enrichie de deux garçons (René et Rivier), quitte L’Avenir en 1905 pour se fixer à Jefferson. C’est là que naissent Maurice (1906), Marie-Paule (1907) et Germaine (1908). Germaine est âgée de 9 jours lorsque sa mère meurt le 7 janvier 1909. Selon le rapport du Dr Burkland, Éva souffrait d’œdème pulmonaire, de dilatation du foie et 126

Les enfants nés du mariage d’Éva Allard et d’Ernest Côté 1. 2. 3. 4. 5.

René Rivier Maurice Marie-Paule Germaine

(1902-1938) (1904-??) (1906-??) (1907-??) (1908-??)


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René est le fils aîné d’Ernest Côté et de Julia Allard. En 1914, à peine âgé de 12 ans, il entre au monastère des Cisterciens de Mistassini (Lac-Saint-Jean) où il est ordonné prêtre en mai 1927. Par la suite, il subit une intervention chirurgicale majeure, probablement l’ablation des testicules. Sa condition physique ne lui permettant plus de participer aux travaux des champs, il se perfectionne dans l’art de la reliure et dans l’horlogerie. En avril 1937, René quitte le monastère avec, en main, une ex-claustration signée par l’évêque de Chicoutimi. Ce document permet à René de vivre en dehors du monastère pour une période n’excédant pas trois ans et de le réintégrer au moment de son choix. René va rejoindre son père dans le North Dakota. En passant à Drummondville, il bénit le mariage de Léo Brun et d’Yvette Allard, la fille aînée de sa tante Adéla. En septembre, René commence son ministère dans le diocèse de Fargo, un ministère qui connaît une fin tragique le soir du 27 juillet 1938 alors que le ciel déverse une pluie torrentielle. En effet, à la sortie de Rugby, le véhicule dans lequel René prend place est frappé de plein fouet par un camion-citerne. Le conducteur (un cousin ou neveu) est blessé grièvement, alors que René meurt sur le coup.

Ernest refait sa vie En octobre 1913, Ernest marie en secondes noces Sédone Côté, originaire de L’Avenir. Dans sa tendre enfance, Sédone a émigré dans l’Ouest avec ses parents. À peine âgée de 15 ans, elle épouse Alfred Doré, à Little Fargo (North Dakota). Dans la jeune vingtaine, Sédone devient veuve avec six enfants à sa charge5. Elle a 26 ans lorsqu’elle épouse Ernest. René, l’aîné des enfants placés à l’orphelinat de Nicolet, entre au

monastère des Cisterciens de Mistassini en juillet 1914. Rivier et Maurice, respectivement âgés de 11 et 10 ans, quittent l’orphelinat en janvier 1916 pour rejoindre leur père à Jefferson6. Par la suite, la famille déménage dans le North Dakota, à Willow City. Ernest y exploite une ferme céréalière7. C’est là qu’il décède en novembre 1951. Il est âgé de 78 ans. Il est inhumé auprès de son fils René dans le cimetière Notre-Dame de Willow City8. Son épouse Sédone l’y rejoindra en 1958. 127

Coll. Rolland Allard

1937 – Le père René Côté en présence de Léo Brun et d’Yvette Allard.


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Références Éva Allard 1 2

3 4 5

6 7 8 9

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Minutiers et registres de la Commission scolaire de Wickham-Est. Certificate and record of death, Eva Allard Cote, SD Department of History, Bureau of Census and Vital statistics, reg. 288. 1920 Census, SD, Union Co., Civil Bend Tw, district 247, sht 2-A. 1910 Census, ED 426, sht 5-A, pg 237A. Notes biographiques rédigées par le trappiste J.-B. Crépeau, 26 février 2001. 1930 Census, ND, Bottineau Co., Cecil Tw, Ed-8, sht 2A. 1920 Census, Ed-160, sht 74, pg 58A. Généalogie compilée par R.-J. Chenard, 24 New Hampshire Dr, apt. 9C, New Britain, CT 06052. Manifeste émis au Port de Montréal le 25 janvier 1916, no 375-37-2. 1920 Census, ND, Bottineau Co, Cecil Tw, Ed-160, sht 74, pg 58A. Ernest Cote Certificate of death, ND, Bottineau Co., state file no 339. 1930 Census, Ca, Los Angeles Co., Long Beach Tw, district 19-1118, sht 4-B.


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Les origines de Louis Allard

Les Allard de la Longue Pointe sont les descendants de François Allard, qui a émigré au Canada en 1666, et de Jeanne Languille, venue en 16711. Du mariage de François et de Jeanne sont nés huit enfants dans la région de Charlesbourg2. Certains d’entre eux se sont déplacés, dès le XVIIIe siècle, vers Saint-François-du-Lac et le village voisin de Baie-du-Febvre. Un siècle plus tard, plus précisément en 1866, Louis Allard et sa femme Olive quittaient Baie-du-Febvre en quête d’une terre d’avenir ; c’est à la Longue Pointe du canton de Wickham qu’ils se sont établis avec leurs cinq enfants. La détermination de tous ces pionniers à s’adapter à un environnement nouveau et à en tirer le meilleur parti possible est une source de fierté pour tous leurs descendants.

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ouest de Paris. La région est réputée pour la fertilité de son sol, ses vergers et ses troupeaux. La Seine coulant à moins de 8 milles de la maison paternelle, c’est en naviguant sur ses larges méandres que François atteint Le Havre en 1666. Comme des centaines de jeunes Français désireux de s’assurer une vie meilleure, il décide de tenter sa chance en terre d’Amérique. Le choix de sa destination a-t-il été influencé par les récits de Jacques Allard3, un Normand qui avait accompagné le sieur Guillaume de Caen lors d’au moins deux voyages en NouvelleFrance, soit en 1621 et en 16244? Ou par la correspondance reçue de son cousin Thomas Frérot qui s’était engagé, en 1665, auprès du gouverneur des Trois-Rivières, le sieur Pierre Boucher5?

François s’embarque, confiant de tirer son aiguille du jeu, car la main-d’œuvre est rare en Nouvelle-France. De fait, De la France à l’administration coloniale a instauré la Nouvelle-France des règles incitatives et attrayantes François Allard est originaire de pour combler le déficit en travailleurs Blacqueville, une commune de salariés. Elle oblige les capitaines de Normandie située à 90 milles au nord- navires d’amener un certain nombre 129


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Généalogie descendante par ligne directe FRANÇOIS ALLARD (1637-1726) originaire de la Normandie émigré au Canada en 1666

m 1671 à Beauport

Jeanne Anguille (1642-1711) originaire de la Touraine émigrée au Canada en 1671

8 enfants nés du mariage de François et de Jeanne dont JEAN-FRANÇOIS ALLARD (1674-1747)

m1 1698 à Beauport m2 1711 à Beauport

Ursule Tardif (1679-1711) Geneviève Dauphin (1692-1761)

12 enfants nés du mariage de Jean-François et de Geneviève dont GABRIEL ALLARD (1714-1777)

m 1748 à Baie-du-Febvre

Élisabeth Prou (1730-1773)

15 enfants nés du mariage de Gabriel et d’Élisabeth dont FRANÇOIS ALLARD (1758-??)

m 1781 à Baie-du-Febvre

Josephte Courchesne (1762-?)

12 enfants nés du mariage de François et de Josephte dont PAUL-JOSEPH ALLARD (1792-1878)

m 1813 à St-Fr-du-Lac

Josephte Janelle (1795-1839)

11 enfants nés du mariage de Paul-Joseph et de Josephte dont LOUIS ALLARD (1831-1902)

m 1852 à Baie-du-Febvre

Olive Côté (1835-1908)


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d’engagés selon la taille du bâtiment. Chefs de famille et jeunes hommes sont transportés gratuitement ; de plus, ils quittent la métropole avec un contrat et une avance en poche6. Dès son arrivée à Québec, François est recruté par dame Hardouin pour l’exploitation de sa ferme située à quinze pas de l’embouchure de la rivière Beauport. À l’expiration de son engagement de trois ans, il choisit de rester en Nouvelle-France, bien que la majorité des recrues (85 %) se hâte de regagner la mère patrie. Il se fait concéder une terre de 750 pieds de front sur 1,5 mille de profondeur, à Bourg-la-Reine, un des hameaux constitués par l’intendant Talon dans l’arrière-pays de la seigneurie de Notre-Dame-des-Anges. Pour agrandir son bien, en octobre 1670, François achète de son voisin Jean Michel une terre de 40 arpents en superficie pour la somme de 40 £7.

La course au peuplement de la Nouvelle-France Le recensement de 1666 dénombre seulement 3418 habitants en Nouvelle-France8. Les autorités civiles adoptent diverses mesures pour faire croître rapidement la population. Entre autres, en octobre 1670, les engagés dont le terme est expiré sont contraints de se marier avec une fille du pays (une denrée rare) ou une des « Filles du Roy9 ». Ces dernières sont

les protégées de Louis XIV qui s’est engagé, quelques années plus tôt, à subventionner leur recrutement, leur transport et leur établissement si non seulement elles acceptaient l’exil en Nouvelle-France, mais aussi s’engageaient à épouser un « Canadien » dès leur débarquement à Québec10. On estime que 775 jeunes filles ont répondu à l’appel du roi entre 1665 et 167211. C’est au sein d’un contingent de Filles du Roy arrivé en septembre 1671 qu’on retrouve Jeanne Languille, 29 ans, originaire de la Touraine, laquelle acceptera de lier sa destinée à celle de François Allard, 34 ans. Les épousailles ont lieu le samedi 1er novembre, juste avant la messe célébrant la Toussaint. Jeanne possède des biens estimés à 300 £ et une dot de 50 £ versée par l’intendant Talon ; un patrimoine considérable, puisque le salaire annuel d’un charpentier est de 100 £, qu’un cheval se vend entre 40 £ et 100 £, une vache, 50 £, et un mouton, 5 £12. La fécondité du couple ne tarde pas à se vérifier. En effet, dix mois à peine après la marche nuptiale, Jeanne donne naissance à un fils prénommé André. Sept autres nourrissons se succèdent dans le berceau familial, si bien qu’entre 30 ans et 45 ans, Jeanne enfantent huit fois. Malgré tout, François et Jeanne ne peuvent se prévaloir des indemnités offertes par le gouvernement colonial pour stimuler 131


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Les enfants nés du mariage de François Allard et de Jeanne Languille21 1. André (1672-1735) 2. Jean-François (1674-1747) 3. Jean (1676-1748) 4. Marie (1678-1684) 5. Georges (1680-1755) 6. Marie-Renée (1683-1746) 7. Anne (c. 1685-1758) 8. Thomas (1687-1742)

m 1695 m(1) 1698 m(2) 1711 m 1705

Marie-Anne Lemarché Ursule Tardif, Geneviève Dauphin Anne-E. Pageau

m(1) 1710 m(2) 1713 m 1703 m(1) 1714 m(2) 1720 m 1714

Marie-M. Pageau, Catherine Bédard Charles Villeneuve Pierre Boutillet, Jean Renaud dit Chaterneau Marie-Charlotte Bédard

les naissances et la nuptialité précoce. En effet, depuis l’ordonnance décrétée par l’intendant Talon en avril 1669, le trésor royal verse une pension annuelle aux familles de 10 enfants vivants et une prime aux très jeunes mariés (moins de 20 ans pour les garçons et de 16 ans pour les filles)13.

Le patrimoine foncier de François et de Jeanne Dix ans après le mariage de François et de Jeanne, 13 arpents de la ferme familiale ont été mis en valeur14. À cette époque, les époux habitent à Bourg-Royal, sur des lopins, acquis en 1672 et en 1675, de l’intendant Talon 132

et d’un dénommé André Coudret. Le patrimoine foncier s’élargit à nouveau en 1685, à la suite de l’achat de la ferme Staims de 40 arpents, également située à Bourg-Royal15. En septembre 1691, François fait l’acquisition de tous les grains, blé, pois, blé d’Inde et légumes qui se trouvent sur la terre de son voisin Jean Gachin avec le bois de corde, un cochon âgé d’un an et demi et une traîne pour la somme de 150 £16. Dans le but d’établir ses enfants, il accepte des Jésuites, en juin 1709, deux concessions, cette fois à Bourg-la-Reine, l’une de 575 pieds de front sur 1,5 mille de profondeur, et l’autre de 400 pieds sur 1,5 mille17.


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Partage et legs du patrimoine maternel

dition qu’ils le nourrissent et l’entretiennent sa vie durant. Il les prévient, du même coup, qu’ils en perdront la Jeanne Languille étant décédée en jouissance s’ils ne réussissent pas à mars 1711, ses enfants signent un s’entendre avec lui19. accord devant le notaire Duprac en juin 1715, à l’effet de céder leurs Quelques mois plus tard, François droits sur la succession de leur mère à apprend que son cousin germain René leur frère cadet Thomas. Ce dernier Frérot, décédé depuis peu, a légué tous s’oppose au partage des biens de ses ses biens aux Jésuites. Il réclame sa parents alléguant que leur père n’aura part d’héritage alléguant son lien de plus de quoi subsister. François est sang avec le défunt. Pour éviter d’end’avis contraire ; il demande au juge trer en procès avec les Jésuites, il signe de la seigneurie de trancher la ques- une entente devant notaire dans lation. Ce dernier donne raison à quelle il renonce à tous ses droits sur cet héritage moyennant une compenFrançois18. sation de 200 £20. Cinq ans plus tard, François fait don à Jean Renaud dit Chaterneau, époux de Le patriarche François Allard décède le sa fille Anne, d’une terre bâtie de 20 26 octobre 1726. Il est âgé de 89 ans. arpents, située à Bourg-Royal, à con-

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Jean-François Allard 1ère génération née en Amérique Jean-François Allard, le deuxième enfant de François et de Jeanne Languille, est né en juillet 1674. À l’âge de 24 ans, il prend pour épouse Marie-Ursule Tardif, 19 ans, originaire de Beauport. Marie-Ursule reçoit de ses parents une taure et cinq aulnes d’étamine22. De son côté, JeanFrançois obtient une taure, six assiettes d’étain, 12 cuillères, un habit de noces avec une paire de souliers français2. Le jeune couple cohabite avec les parents de la mariée, lesquels s’engagent à leur donner la valeur d’une année de nourriture, une paire de souliers français et autres effets utilitaires lorsqu’ils prendront ménage. Marie-Ursule meurt en avril 1711, moins de cinq mois après avoir donné naissance à une fille elle-même décédée trois semaines après avoir vu le jour. La jeune mère laisse derrière elle quatre enfants et un mari éplorés. Mais JeanFrançois ne se laisse pas abattre. Quatre mois plus tard, soit en août 1711, il convole en justes noces avec Geneviève Dauphin, âgée de 19 ans, également originaire de Beauport. Par contrat de mariage, il donne à Geneviève la somme de 200 £ « pour les peinnes et soins qu’elle aura à eslever les enfans mineurs du dit futur expoux quy seront nouris et entretenus au despens de la 134

dite future communeauté jusqu’à l’âge de quinze ans »24. En 1729, Jean-François et Geneviève, ainsi que les neuf enfants nés du deuxième lit, déménagent à SaintFrançois-du-Lac, un petit noyau agricole situé au sud du lac Saint-Pierre. Là, s’étendent, de part et d’autre de la rivière Saint-François, les terres fertiles de la seigneurie de SaintFrançois, propriété de la famille Crevier depuis un demi-siècle, au cœur de laquelle vivent un millier d’Abénaquis. À l’époque où la famille de JeanFrançois Allard s’installe à SaintFrançois-du-Lac, il n’y a pas d’habitations en front sur le lac Saint-Pierre, mais bien le long des différents chenaux de la rivière Saint-François. Une trentaine de censitaires paient une rente au seigneur Joseph Crevier dont le manoir ainsi que l’église paroissiale sont situés dans l’île du Fort, là même où se trouve aujourd’hui le village de Notre-Dame-dePierreville25. On ne connaît pas le lieu exact de résidence de la famille à son arrivée à SaintFrançois-du-Lac. On sait cependant qu’une terre de 575 pieds de front sur


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la rivière Saint-François sur un mille de profondeur est concédée à Jean-François Allard en 1736, située probablement sur la rive est de la rivière26.

Geneviève donne naissance à trois enfants à la suite du déménagement de la famille à Saint-François-du-Lac, pour un total de 12 enfants, dont un seul décède en bas âge27.

Enfants nés du premier lit avec Marie-Ursule Tardif28 1. Jean-Baptiste (1700-1700) 2. Jean-Baptiste (1701-1701) 3. Jean-Baptiste (1702-1788) 4. Marie-Charlotte (1704-??) 5. Jacques (1706-1771) 6. Noël-Pierre (1708-1738) 7. Ursule (1710-1710)

m 1729 m(1) 1727 m(2) 1745 m 1731 m 1736

Agathe Meunier Louis Lamothe Pierre Proteau Charlotte Gaudin Catherine Meunier

Enfants nés du deuxième lit avec Geneviève Dauphin 1. Geneviève-Catherine (1712-??) m 1732 Jean-Baptiste Cantara 2. Gabriel (1714-1777) m 1748 Élisabeth Prou 3. André (1716-??) m 1749 Jeanne Despins-Giguère 4. René (1718-1736) 5. Louise (1720-??) m 1741 Joseph Couturier 6. Catherine (1722-??) m 1744 Gabriel Dany 7. Marguerite (1724-??) célibataire 8. Louis (1726-1749) 9. Angélique (1727-??) m 1749 Joseph-François Proulx 10. Suzanne (1730-1773) m 1759 Jacques Potvin 11. Joseph (1732-1733) En 1733, la petite vérole fait mourir 1800 personnes en Nouvelle-France

12. Joseph (1734-??)

m(1) 1761 m(2) 1764

Madeleine Harel Amable Potvin-Héroux

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Gabriel Allard 2e génération née en Amérique Gabriel Allard voit le jour en 1714 alors que ses parents, Jean-François et Geneviève, exploitent une ferme située à Beauport. Il a 15 ans lors du « grand déménagement » à SaintFrançois-du-Lac dont nous avons parlé plus haut. Ce premier déracinement contribue-t-il à développer son esprit d’aventure? Sans aucun doute, puisque, entre 1736 et 1752, Gabriel réalise, à titre « d’engagé », au moins huit expéditions dans la région des Grands Lacs29. Comme tant d’autres fils de cultivateurs canadiens, il trouve dans ce métier un revenu d’appoint non négligeable qu’il emploiera pour s’établir auprès des siens30. Les voyages s’effectuent de mai à octobre et s’étirent même sur toute une année lorsque les canots se rendent au-delà de Michillimakinac, situé au contact des lacs Huron et Michigan.

La traite des fourrures au-delà de la vallée du Saint-Laurent Les Français s’intéressent aux fourrures depuis le début de la colonie. Ce sont d’abord dans les divers postes de traite situés le long du Saint-Laurent que les Amérindiens échangent leurs peaux de castor contre des outils, des ustensiles, des tissus (lainage et serge) et des 136

armes31. Mais dès le milieu du XVIIe siècle, les Hurons et les Montagnais craignent de s’aventurer sur le SaintLaurent et ses tributaires surveillés par les Iroquois. Cette menace fait péricliter les grandes foires de Montréal. Il faut donc aller à la « source du castor », soit dans la région des Grands Lacs, pour s’approvisionner en fourrures32. Pour contrôler le lucratif commerce des fourrures, le gouverneur de Nouvelle-France a instauré un système par lequel nul voyageur ne peut effectuer la traite des fourrures sans son autorisation expresse et, qui plus est, seulement au lieu qui lui sera désigné. Les droits de traite sont octroyés à des marchands disposés à avancer les capitaux nécessaires à la réalisation d’expéditions risquées et coûteuses. En effet, en plus de payer les salaires, il leur faut fournir les canots, les marchandises de traite et les vivres pour une période de temps prolongée, jusqu’à huit mois parfois.

Coureurs des bois ou « engagés » Pour monter les marchandises aux postes de traite des Grands Lacs et redescendre les fourrures à Montréal,


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Enfants nés du mariage de Gabriel Allard et d’Élisabeth Prou

les marchands ont 1. Élisabeth (1749-??) m François Didier 2. Pierre (1749-1751) recours à des engagés. 3. Gabriel (1751-1751) Par contrat, ces derniers 4. Françoise (1751-??) m 1776 Paul Bussière « s’obligent à conduire 5. Marie-Marguerite (1753-1773) un canot de marchan6. Joseph (1754-??) m 1794 Catherine Lafond dises desquelles ils 7. Michel (1756-??) m 1789 Madeleine René promettent d’avoir soin 8. François (1758-??) m 1781 Josephte Courchesne du mieux qu’il leur sera 9. Anonyme (1761-1761) possible, vendre et 10. Jean-Baptiste (1762-??) traiter lesdites mar11. Gabriel (1764-1799) m(1) 1786 Thérèse Lafond, chandises au plus grand m(2) 1796 Marie-Anne Roy avantage qu’ils pour12. Marie-Josephte (1765-??) m 1787 Louis Côté ront trouver [...] et de 13. Antoine (1768-1769) 14. Pierre (1770-1770) livrer les susdit effets et 15. Joseph (1773-??) m 1794 Catherine Lafond provenu de ses marchandises ès mains dudit marchand en pour franchir la distance séparant 33 cette ville [Montréal] à leur retour » . Montréal de fort Michillimakinac, soit environ 1500 milles. Le 1er mai, les Gabriel Allard entreprend sa première voyageurs quittent Lachine en direcexpédition à titre d’engagé au prin- tion de la rivière Outaouais, qu’ils temps 1736. Il se rend au fort remontent jusqu’à l’embranchement Pontchartrain, situé à la tête du lac Érié de la rivière Mattawa. Par celle-ci, ils (le site de l’actuelle ville de Detroit), atteignent le lac Nipissing, qu’ils tral’un des deux points majeurs du réseau versent en direction de la Rivière des du commerce des fourrures en Français. Cette dernière les conduit au Nouvelle-France, le deuxième étant le nord de la baie Georgienne, dans le lac fort Michillimakinac où Gabriel se ren- Huron. En empruntant le chenal du dra à cinq occasions. Enfin, par deux Nord, ils se retrouvent enfin, vers le 8 fois, il naviguera jusqu’au lac Nipigon, juin, à Michillimakinac. En septemsoit 400 milles plus à l’ouest encore34. bre, ils prennent le même itinéraire en sens inverse pour le retour à Montréal. Pendant plus de 200 ans, 80 % des Les rudes exigences du métier fourrures rapportées à Montréal passent par la rivière Mattawa35. On ne recrute pas les « petites natures » pour ces rudes expéditions Le long du parcours, les hommes dans les pays d’en haut. Il faut doivent portager au moins 30 fois. compter un mois d’inlassables efforts Canots et marchandises sont halés 137


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jusqu’au rivage puis transportés à dos d’homme à travers les bois ou le long des rochers, jusqu’au prochain point navigable. Au petit trot, les engagés parcourent le sentier, presque pliés en deux sous deux ballots (pouvant peser jusqu’à 90 kg) soutenus par une sangle tendue autour de leurs têtes36. Les marchandises sont transbordées pour franchir les obstacles comme elles le sont aussi chaque soir avant de camper. Il faut décharger le canot pour le hisser à terre et le recharger au matin avant le départ. Peu importe la température de l’eau, les hommes procèdent au chargement et au déchargement en s’immergeant jusqu’à la taille, évitant ainsi que le fond du canot ne soit transpercé par les aspérités du lit du cours d’eau. En prime, les voyageurs endurent les piqûres des moustiques, particulièrement voraces à la fin du printemps, et brûlent sous le soleil de plomb de l’été37.

déplore leur abandon des terres qui prive ainsi l’agriculture d’une maind’œuvre utile38. Gabriel emploie le pécule amassé durant ses longues absences à acquérir une ferme de 120 arpents située à Saint-François-du-Lac39. Il fait fi de la proclamation lue quelques années consécutives dans toutes les paroisses du Saint-Laurent promettant outils, animaux et graines de semence à tout homme qui ira s’établir dans la région de Detroit40.

Bien établi, Gabriel (33 ans) épouse, le 12 février 1748, Élisabeth Prou (17 ans), originaire de Baie-du-Febvre. De cette union naissent, l’année suivante, des jumeaux prénommés Élisabeth et Pierre. Quelques mois plus tard, Gabriel s’embarque pour une expédition à Michillimakinac. C’est son sixième engagement. En 1750, il se rend jusqu’au poste du lac Nipigon, Mépris et calomnies à l’endroit puis naissent en septembre 1751 des coureurs des bois d’autres jumeaux, prénommés, cette fois, Françoise et Gabriel. La huitième Chaque année, 400 à 500 hommes et dernière expédition connue est celle obtiennent la permission de faire la de 1752 à Michillimakinac. traite des fourrures dans la région des Grands Lacs et du Haut-Mississippi. Peu de temps après avoir donné naisIl s’en trouve toutefois cinq à six fois sance à son quinzième enfant, Élizaplus qui s’y rendent sans permission. beth (43 ans) se noie dans la rivière Les coureurs des bois sont fortement Nicolet avec sa fille Marguerite âgée décriés, entre autres par le clergé qui de 20 ans. C’est le 5 août 177341. leur reproche d’abuser de l’eau-de-vie Gabriel décède le 30 avril 1777 ; il et des Indiennes, et de ne pas repose au cimetière paroissial de Saintfréquenter les sacrements. De plus, on François-du-Lac. 138


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François Allard 3e génération née en Amérique François Allard est le huitième des quinze enfants de Gabriel et d’Elisabeth Prou. Né à Baie-du-Febvre en 1758, François épouse dans la même paroisse Josephte Courchesne, fille de Louis et de Marie-Anne Chevrefils.

Sauf pour la période de 1786 à 1793, où la famille habite à Baie-du-Febvre, c’est à Saint-François-du-Lac que naissent, grandissent et se marient la plupart des 12 enfants de Gabriel et d’Elisabeth.

Enfants nés du mariage de François Allard et de Josephte Courchesne 1. Paul-Joseph (1782-??) 2. François-Xavier (1783-??) 3. Joseph (1785-??) 4. François-Joseph (1788-??) 5. Jean-Baptiste (1790-??) 6. Paul-Joseph (1792-1878) 7. Antoine (1794-??) 8. Marie-Anne (1795-??) 9. Élisabeth (1798-??) 10. Charles (1800-??) 11. Michel (1802-??) 12. Louis (??-??)

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m 1814 m 1820 m 1813 m 1825

Agathe-M. Janelle Josephte C.-Verville Josephte Janelle M.-Archange Bibeau

m 1831 m 1813

Marguerite Théroux Marguerite Précourt


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Paul-Joseph Allard 4e génération née en Amérique Paul-Joseph Allard, le cinquième des 12 enfants de François et de Josephte Courchesne, naît à Baie-du-Febvre en 1792. C’est à Saint-François-du-Lac qu’il épouse Josephte Janelle, fille d‘Antoine et de M.-Peron Poitevin.

De cette union naissent onze enfants, dont Louis (qui déménage à la Longue Pointe de Wickham en 1866) et Michel (qui achète la maison de JeanBaptiste-Éric Dorion, à L’Avenir, en 1867).

Enfants nés du mariage de Paul-Joseph Allard et de Josephte Janelle 1. Marie-Julie (1814-1890) 2. Joseph (1816-??) 3. Josette (1817-??) 4. Sophie (1819-1896) 5. Michel (1822-1886) 6. Moïse (1824-??) 7. Zoé (1828-??) 8. Louis (1831-1902) 9. Télesphore (1835-??) 10. Théophile (1835-??) 11. Flore (??-??)

m 1840

Joseph Proulx

m 1844 m 1845 m(1) 1845 m(2) 1869

Joseph Vallée Louis Benoit Olive Boisvert, Cléophée Bernard

m 1849 m 1852 m 1855

Cléophas Proulx Olive Côté Marie Gingras

m 1860

Félix Gouin

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Références chapitre 8 1

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L’information relative aux deux premières générations de Allard en terre d’Amérique, soit celles de François et de Jean-François, est en grande partie tirée du livre intitulé François Allard (1637-1726) Jeanne Languille (1642-1711), publié par Paul Allard en juin 2002. Des exemplaires de ce livre sont offerts au 9220-12, boul. du Centre-Hospitalier, Charny, G6X 1L5. Selon la Carte de sieur de Catalogne de 1709, et aussi selon Marcel Trudel, la région où habitait François était bel et bien Charlesbourg, Bourg-La-Reine, Bourg-Royal et Trait-Carré, concession appartenant à l’intendant Jean Talon qu’il avait expropriée aux Jésuites. Source : Paul Allard, 3 août 2003. Le père de François Allard se prénommait Jacques. Nous n’avons pu établir le degré exact de parenté entre François et Jacques Allard (ou Halard) provenant de Dieppe (pas très loin de Blacqueville), venu en NouvelleFrance en 1621 et en 1624. Les Œuvres de Champlain, tome 3, Montréal, Éditions du Jour, 1973, p. 1007, 1016, 1017 et 1061. P. Allard, op. cit., p. 22. J. Hamelin et al, Histoire du Québec, Éditions France Amérique, 1976, p. 149. P. Allard, op. cit., p. 37 et 175. J. Lacoursière, Histoire populaire du Québec - Des origines à 1791, tome 1, Québec, Septentrion, 1995, p. 126. Ibid., p. 127. P. Allard, op. cit., p. 42. J. Hamelin, op. cit., p. 149. P. Allard, op. cit., p. 39 et 43. Ibid., p. 33. www.grandesfamilles/allard/01.html P. Allard, op. cit., p. 68. Ibid., p. 85. Loc. cit. M. Langlois, Dictionnaire biographique des ancêtres québécois (1608-1700), tome 1, Sillery, Maison des ancêtres, 1998, p. 33. Loc. cit. Loc. cit. http://marchif.crosswinds.net/texte.html Étamine : tissu peu serré servant à filtrer et à tamiser. Souliers de cuir à grain fin, appelés aussi « souliers des dimanches ». P. Allard, op. cit., p. 117. T.-M. Charland, Histoire de Saint-François-du-Lac, Ottawa, Collège Dominicain, 1942, p. 62, 74, 81, 177 et 179. À l’origine, Saint-François-du-Lac s’étendait sur les deux côtés de la rivière Saint-François. Ce n’est qu’en 1853 que l’île du Fort et toute la rive droite de la rivière Saint-François se détachent de Saint-François-du-Lac pour devenir Saint-Thomas-de-Pierreville. Dans T. Charland, op. cit., p. 6. http://pages.infinit.net/ralavoie/gen_2_all.html http://marchef.crosswinds.net/texte Fonds de la famille Allard, par A. Allard, ANC, MG25-G1. www.civilization.ca/vmnf/popul/coureurs/montrifl.htm www.civilization.ca/vmnf/popul/coureurs/draps.htm J. Hamelin, op. cit., p. 161. www.association-gauthier.org/pages/germain/francois-tessier.html Fonds de la famille Allard, op. cit. J. Pomerleau, Gens de métiers et d’aventures, Sainte-Foy, Éditions GID, 2001, p. 72. www.civilization.ca/vmnf/popul/coureurs/portages.htm www.civilization.ca/vmnf/popul/coureurs/miseres.htm J. Hamelin, op. cit., p. 218. Rapport de l’archiviste de la province de Québec, publié en 1936-1937, énumérant tous les propriétaires de la paroisse Saint-François-du-Lac en 1765. www.francoplanete.net/tricentenaire/histfr1.htm http://pages.infinit.net/ralavoie/gen_3_all.html. Fonds de la famille Allard, op. cit. ANC, MG25-G1.


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Les cousins Allard

L’histoire de l’aïeul Louis Allard de la Longue Pointe est étroitement liée à celle de ses cousins germains, prénommés Thomas et Louis. C’est une filiation qui mérite notre attention, car les trois cousins ont fait affaires à plusieurs reprises, ensemble ou dans le même champ d’activité.

Dans plusieurs documents officiels, Thomas Allard se qualifie d’architecte. À l’époque, en l’absence de corporation professionnelle, les maçons, charpentiers et entrepreneurs pouvaient s’arroger le titre d’architecte. Ils obtenaient des contrats pour eux-mêmes ou acceptaient de travailler pour un autre entrepreneur. Les connaissances Au sujet de Thomas Allard, il épouse, acquises par expérience suffisaient à se en 1854, Adeline Pratte, de Saint- faire reconnaître comme architecte4. David-d’Yamaska. Le couple s’installe à L’Avenir peu de temps après le À compter de 1856, l’architecte et mariage. Au moins quatre enfants nais- sculpteur Thomas Allard (25 ans) sent de cette union : Célinia1, Vitaline, exécute les fausses voûtes et les fonts Évariste2 et Victor. Ce dernier fait car- baptismaux de l’église de Saintrière à Montréal comme sculpteur, François-du-Lac et certains travaux dans graveur sur bois et dessinateur, en la sacristie. Il est appelé, quelques société avec C. David3. En 1881, années plus tard, à refaire les murs des Thomas épouse, en secondes noces, longs pans de l’église et à réparer la charpente des clochers5. En 1862, on confie Josephte Vallée, originaire de Sorel. à Thomas la construction de l’église de La famille de Thomas Allard habite Saint-Jean-Baptiste-de-Roxton6 puis, en durant une trentaine d’années une 1864-1865, celle de Saint-Germain-demaison située au centre du village de Grantham7, en partenariat avec son frère L’Avenir, du côté ouest de la rue Louis Allard. Ce dernier épouse, à la fin Principale. C’est dans cette maison des travaux, Edwidge Bourgeau de que naîtront, à compter de 1911, les Saint-Germain. À noter qu’il ne s’agit enfants nés du mariage de Julia Allard pas de notre Louis Allard de la Longue Pointe, marié à Olive Côté. et d’Edmond Cloutier. 143


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D’autres édifices publics sont attribués à l’architecte Thomas Allard. En 1875, il construit le couvent de SaintFrançois-du-Lac. L’année suivante, il exécute des travaux majeurs à l’église Sainte-Brigitte-d’Iberville desquels Cléophas Dionne (de L’Avenir) et Louis Allard (de la Longue Pointe) se portent garants8.

En cette même année 1876, Louis Allard confie à son cousin Thomas la construction de sa nouvelle résidence à la Longue Pointe de style second Empire, caractérisé par le toit à la Mansart. L’entente conclue entre Thomas et Louis est la suivante : En plus de fournir le bois de charpente et le bois de finition, Louis verse 500 $ à Thomas qui prend à sa charge tous les autres matériaux ainsi que le coût de la main-d’œuvre.

Les cousins THOMAS, MICHEL et LOUIS ALLARD FRANÇOIS ALLARD

m 1781 à Baie-du-Febvre

FRANCOIS-JOSEPH ALLARD m 1814 Agathe-M. Janelle1

THOMAS4 ALLARD 1821-c.1900 m1 1854

Adelaïde Pratte m2 1881

Josephte Vallée 1 2

3

4

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LOUIS2 ALLARD 1834-1903 m 1866

Edwidge Bourgeau

Josephte Courchesne

PAUL-JOSEPH ALLARD m 1813 Josephte Janelle1

MICHEL3 ALLARD LOUIS2 ALLARD 1821-1896 m1 1845

Olive Boisvert m2 1869

Cléophée Bernard

1831-1902 m 1852

Olive Côté déménagent à la Longue Pointe en 1866

Les deux sœurs Janelle (Agathe-M. et Josephte) sont mariées aux deux frères Allard (François-J. et Paul-J.). Louis Allard (de la Longue Pointe) a pour homonyme son cousin germain marié à E. Bourgeau de Saint-Germain-de-Grantham. En 1867, Michel (le frère de Louis Allard de la Longue Pointe), achète la maison de J.-B. Éric Dorion (l’enfant terrible de L’Avenir). En 1870, Michel émigre avec sa famille à Jefferson, SD. Thomas Allard, architecte, habite à L’Avenir de 1855 à 1900. Avec son frère Louis (qui n’est pas le Louis Allard de la Longue Pointe), il construit plusieurs édifices publics du Québec, dont l’église de Saint-Germainde-Grantham.


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Références Les Cousins Allard 1 2 3

4

5

6 7 8

Archives des Srs de l’Assomption, Nicolet : Célinia Allard, pensionnaire de 1870 à 1874. Archives municipales de L’Avenir, registres d’évaluation. Bureau d’enregistrement de Drummondville (BED). B-33-23134. Dictionnaire des artistes de langue française en Amérique du Nord, Musée du Québec, Québec, PUL, p. 6. R. Gauthier, Construire une église au Québec – L’architecture religieuse avant 1939, Montréal, Éditions Libre Expression, 1994, p. 46. T. M. Charland, Histoire de Saint-François-du-Lac, Ottawa, Collège Dominicain, 1942, p. 380. Extrait de « Les chemins de la mémoire », tome 1, publication de la Commission des biens culturels du Québec, p. 57. www.mcc.gouv.qc.ca/region/17/pamu/st_francois-xavier.htm Bureau d’enregistrement de Saint-François-du-Lac, A-XIII-347-8729. J.C. Saint-Amant, Un coin des Cantons de L’Est, Drummondville, La Parole ltée, 1932, p. 440. BED, B-22-1351.

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Annexe 1


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Les habitants du canton de Wickham et de sa Longue Pointe ont subi les affres de deux désastres naturels, soit les assauts répétés des sauterelles durant les années 1860 et 1870 et la tempête de grêle de 1889. Le notaire Jean-Charles Saint-Amanti raconte le premier dans le livre intitulé Un coin des Cantons de l’Est, alors que le récit du second est demeuré dans ses archives. Nous vous livrons l’un et l’autre.

Les sauterelles2 C’est vers 1865 que commença à sévir le grand fléau de sauterelles. C’est surtout dans les premier et deuxième rang, sur une longueur de deux à trois milles, qu’il sévit le plus impitoyablement. Jamais on avait vu semblable désastre agricole. Les sauterelles, venant on ne sait d’où, firent leurs première apparition sur la terre de M.Connoly [plus tard la propriété de Moïse Fontaine]puis elles se répandirent vers le sud-est. Dès que l’herbe du printemps et les pousses de la récolte sortaient de terre, elles disparaissaient sous un nuage de sauterelles. Les champs n’étaient plus qu’une plaine aride de sable nu et léger que le vent soulevait en tourbillons de poussière, comme dans les grands déserts. Le soir, les clôtures et les bâtisses se couvraient de plusieurs pouces d’épaisseur de ces insectes bruissants qui s’attaquaient même au bois. Les feuilles des arbres étaient dévorées comme les herbes des champs et les plantes des jardins. Pendant ce règne de terreur [qui dura une quinzaine d’années], tout avait un aspect morne et triste dans cette région, comme au lendemain d’une tempête désastreuse. On eut cru à une vengeance divine, tant était grande la désolation. Ces terres n’ont jamais recouvré leur fécondité d’autrefois, et en quelques parties sont restées des dunes arides de sable mouvant. [...]

La tempête de grêle3 1er août 1889 : Date terrible dans nos annales agricoles. La journée avait été chaude, le soleil rouge comme un œil de sang, inondait les champs et séchait les derniers foins coupés des [???] de sa lumière torride. Ce calme plat, cette chaleur équatoriale présageaient la tempête, le malheur. Vers midi, apparut au sommet des montagnes, à l’horizon, un point bleuâtre et sombre comme elles. 148


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Bientôt ce point noir était une immense colonne sillonnée d’éclairs, et formée de nuages compactes qui s’entrechoquaient, se bouleversaient dans les airs comme poussés par un vent impétueux. Le calme régnait encore sur nos champs, à peine les feuilles des trembles frémissaient comme à l’approche de la tempête. On entendit d’abord un bruit sourd et lointain, un bourdonnement continu de tonnerre, un grondement d’orage. La foudre se rapprochait, les éclairs augmentaient et la colonne menaçante s’élargissait au firmament. Tout le monde contemplait cette scène grandiose, le cœur serré. On vit alors au loin les arbres se tordre violemment, quelques grosses gouttes de pluie commencèrent à tomber sur les toits, un [???] après la tempête rageait dans les vallons de L’Avenir. Le vent, la grêle, la foudre rivalisaient de fureur, partout on entendait le son argentin des vitres cassées. Ce fut vraiment terribles pendant quelques minutes qui parurent longues comme une journée. Quand la tempête ce fut éloignée, on put apprécier tous les dégâts qu’elle avait causés. Sur environ deux milles de largeur, et de l’ouest à l’est de la paroisse, tout avait été détruit. Les dommages dans la municipalité de L’Avenir seule furent évalués à environ 20 000 $4. Toutes les vitres où passa l’orage furent cassées par la grêle dont on trouva des morceaux pesant plus d’une livre et quart. Pour plusieurs habitants ce fut la misère et presque la ruine. Un appel fut fait au gouvernement qui envoya un inspecteur mais pas de secours. 20 000 $ ! Le gouvernement trouva que ses amis de L’Avenir étaient bien exigeants de se plaindre parce que la main de Dieu leur enlevait 20 000 $. Mieux valait se soumettre avec humilité et grande [???] de cœur en méditant sur la fragilité des choses humaines et l’incertitudes des secours gouvernementaux !

Références Annexe 1 1

2 3 4

Né en 1859 à Saint-Alban, comté de Portneuf, Jean-Charles Saint-Amant s’installe à L’Avenir vers 1885 où il pratique le notariat jusqu’à son décès survenu le 11 décembre 1939. J.-C. Saint-Amant, Un coin des Cantons de l’Est, Drummondville, Éditions La Parole ltée, 1932, p. 253-254. Archives du Séminaire de Nicolet, F039/B4/1, fonds J.-C. Saint-Amant. Selon le minutier des délibérations du conseil municipal, la réclamation adressée au gouvernement s’élevait précisément à 14 740,50 $.

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Annexe 2


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Coll. Rita Allard-Leclerc

Album souvenir de sept des neuf enfants nés du mariagede Télesphore Allard et de Célinie Proulx

Aloysius (1885-1949)

marié en 1907 à

Adéla Côté (1885-1963)

Julia (1887-1925)

mariée en 1910 à

Edmond Cloutier (1879-1961)

Pancrace (1889-1947)

marié en 1919 à

Alma Cayer (1887-1979)

Archibald (1891-1982)

marié(1) en 1918 à marié(2) en 1951 à

Éva Boisvert (1901-1950) Hermine Côté (1903-1980)

Hortense (1892-1972)

célibataire

institutrice, puis ménagère du curé Martin

Béatrice (1894-1983)

célibataire

institutrice, assistante à la caisse populaire, puis propriétaire de magasins à Drummondville

Stéphanette (1899-1992)

mariée en 1929 à

André Renaud (1900-1978)

Note : Nous n’avons retracé aucune photographie de Julienne, l’aînée, décédée à l’âge de 10 ans, ainsi que de son homonyme, déficiente mentale, décédée à l’âge de 76 ans.

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Coll. Rita Allard-Leclerc

Coll. Guy Allard

C. 1910 – Les trois sœurs Allard : Béatrice (16 ans), Julia (23 ans) et Hortense (18 ans).

1921 – Béatrice Allard, sa nièce Rita (fille aînée d’Alma et de Pancrace Allard) et le chien Skip.

Devant la grand’maison de la Pointe Allard, Henri Martin, prêtre, et les trois sœurs Allard, Béatrice, Hortense et Stéphanette. Au début des années 1910, Béatrice et Hortense étaient entrées chez les Sœurs du Bon-Pasteur d’Angers, à Montréal. Leur diplôme d’enseignement leur conférait le statut de sœurs de chœur, lesquelles chantaient les offices alors que les sœurs converses étaient affectées à des tâches humbles et exigeantes physiquement. En raison de problèmes de santé, Béatrice et Hortense avaient quitté la communauté à la fin du noviciat. En mars 1929, Hortense accepte l’emploi de ménagère du curé Martin qui vient d’être nommé à la cure de Saint-Lucien, alors que Béatrice est marchande à Drummondville et que Stéphanette est fiancée à André Renaud, qu’elle épousera le 1er juillet suivant. Coll. Gisèle Allard-Brousseau


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Coll. Madeleine Renaud-Letarte

Coll. Madeleine Renaud-Letarte

1929 – André Renaud et Stéphanette Allard, à l’occasion de leur mariage.

1947 – Drummondville, Stéphanette Allard et son mari André Renaud, entourés de leurs enfants, Gaston (15 ans), Jacques (17 ans), Marthe (9 ans), Gilles (8 ans), Madeleine (16 ans), Maurice (12 ans), Paul (13 ans). 154


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Coll. Rolland Allard

1918 – Éva Boisvert (17 ans) et Archibald Allard (27 ans) à l’époque de leur mariage, célébré en l’église de L’Avenir. Éva, qui a un sens inné des affaires, s’accomplit comme représentante des corsets Spirella et, plus tard, comme courtier en immeubles. Fidèle partisan du député libéral Hector Laferté, Archibald reçoit plusieurs mandats dans la région de L’Avenir à titre de cantonnier.

Coll. Gisèle Allard-Brousseau

1933 – Archibald Allard et son épouse Éva, entourés de leurs enfants : Aline (9 ans), Ferdinand (14 ans) et Augustin (12 ans).

Coll. Paul Côté

1951 – Archibald Allard (60 ans) et Hermine Côté (48 ans) à la sortie de l’église de Sainte-Angèle-de-Laval où le curé Henri Martin avait béni leur mariage. Durant la Deuxième Guerre mondiale, Hermine était membre du Corps féminin de l’Armée canadienne (CWAC) où elle avait été promue au rang de lieutenant.


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Coll. Monique Cloutier

1910 – Julia Allard et Edmond Cloutier à l’occasion de leur mariage célébré en l’église Saint-Pierre-de-Durham de L’Avenir.

C. 1940 – Edmond Cloutier, veuf de Julia Allard, entouré de ses enfants : Gérald, Lucille, Annette, Monique, Judith, Bibiane et Lionel. Coll. Gisèle Allard-Brousseau


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Coll. Mariette Allard-Cusson

Coll. Mariette Allard-Cusson

C. 1945 – Pointe Allard. Visite des cousins Bélisle de Saint-Félix-de-Kingsey. En arrière-plan, la montagne de chêne et la jetée d’où on basculait jadis les billes de bois qui descendaient la rivière jusqu’aux scieries Vassal ou Tourville.

1946 – Pique-nique à la Pointe Allard à l’occasion du passage du père Henri-Paul Dionne, o.m.i., missionnaire en terre esquimaude depuis 1935. Le père Dionne est entouré de Louis-Philippe Bissonnette, Bibiane Cloutier, Mariette Allard, Rodolphe René, Rita Allard et plusieurs amis venus entendre les péripéties de ce grand gaillard qui parcourait jusqu’à 1700 milles en traîne à chiens au cours d’un même hiver. Il disparaîtra mystérieusement dans les eaux de la Baie d’Hudson le 21 octobre 1949. Né à L’Avenir en 1905, Henri-Paul est le septième des dix-sept enfants nés du mariage d’Eugénie Belcourt et d’Oscar Dionne, cultivateur dans le 2e Rang.

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Coll. Rolland Allard

1907 – Aloysius Allard et Adéla Côté (fille d’Amédée et d’Hélène Fontaine), à l’époque de leur mariage célébré en l’église Saint-Pierre-de-Durham de L’Avenir. Aloysius a reçu de son père Télesphore une partie de la ferme de la Longue Pointe, que Télesphore avait lui-même reçu de son père Louis à l’occasion de son mariage avec Célinie Proulx en 1882.

Coll. Rolland Allard

C. 1927 – Aloysius Allard, appuyé sur sa Ford T stationnée entre son hôtel et le magasin général Dionne, situés sur la rue Principale, à L’Avenir. À ses côtés, sa femme Adéla et sa fille Pauline (7 ans).

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Coll. Rolland Allard

1913 – Rolland (fils d’Aloysius Allard), âgé de 3 ans, devant la tente des chasseurs Métayer installée sur la rive opposée à la Pointe Allard.

Coll. Gisèle Allard-Brousseau

C. 1930 – La famille d’Aloysius Allard. De gauche à droite : son beau-père Amédée Côté, sa femme Adéla, ses filles Ruth et Yvette. Devant, son fils Rolland.

Au premier plan, le magasin général d’Esdras Dionne qui loge, dans une partie du rez-de-chaussée, le central de téléphone. L’édifice voisin est un hôtel, propriété d’Aloysius Allard à la fin des années 1920.

Coll. Gisèle Allard-Brousseau

Rue Principale, L’Avenir.


Coll. Gisèle Allard-Brousseau

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1942 – Pancrace Allard et son épouse Alma entourés de leurs enfants : Normand, Jeannine, Rita, Gisèle, Mariette, Carmen et Guy.

1945 – Départ pour la messe à Saint-Lucien. Coiffé de son chapeau de loutre, Pancrace Allard jette un regard admiratif à ses filles et à leurs amies, bien endimanchées pour assister à la messe en l’église Saint-Lucien. À droite : Adélard Brousseau, le prétendant de Gisèle Allard.

Coll. Rita Allard-Leclerc

Coll. Gisèle Allard-Brousseau

1943 – Pancrace Allard assis sur un râteau tiré par Prince et Pat. 160


Yolande Allard

cover 12/1/03 10:08 AM Page 1

De cette terre promise, en apparence isolée de tout circuit économique, Louis tire d’importantes ressources agricoles et forestières destinées à l’exportation. Chemin faisant, il entre en conflit avec ses concurrents et ses clients, qui ne tardent pas à apprendre de quel bois il se chauffe. Si ses tentatives d’entente à l’amiable ne trouvent pas d’écho, il s’en remet aux tribunaux pour obtenir justice. L’une des poursuites se termine à la Cour du Banc de la Reine, soit la plus haute instance judiciaire du Québec à l’époque. C’est grâce au support constant et à l’expertise de scieur développée par son fils aîné, Télesphore, que Louis peut faire progresser son commerce de bois. Homme de société et de naturel conciliant, Télesphore aime vivre au cœur de l’action. Vers 1907, il confie la gestion de la ferme de la Longue Pointe à son fils Pancrace, et déménage à L’Avenir où il s’emploie, entre autres, à la promotion, puis à la direction, de la caisse populaire et de la compagnie de téléphone. Le récit biographique de ces deux hommes s’appuie sur des informations tirées de divers centres d’archives publiques et sur des anecdotes confiées à l’auteure par les « survivants » de la Pointe Allard.

Originaire de Drummondville, Yolande Allard est titulaire d’une maîtrise en histoire décernée par l’université Bishop’s (Lennoxville). L’objet de son mémoire était la présence du Saumon atlantique dans la rivière Saint-François au XIXe siècle. Depuis, elle a collaboré à diverses études et publications sur l’histoire de Drummondville.

La Pointe Allard une terre promise au cœur des Cantons de l’Est du XIXe siècle

1866… Avec femme et enfants, Louis Allard (34 ans) quitte sa ferme exiguë de Baie-du-Febvre pour s’établir à la Longue Pointe du canton de Wickham, sur un domaine exploité par des Anglophones d’origine américaine depuis près d’un demi-siècle.


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