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PRESENTATION GENERALE DE L’ECOLE DE PALO-ALTO Petit historique de ... deux écoles dans un même lieu L’école de Palo-Alto est une dénomination générique un peu trompeuse pour désigner un ensemble de chercheurs ayant travaillé ensemble dans la petite ville de Palo-Alto prés de Sanfransisco. Trompeuse, elle l’est pour deux raisons : d’une part, il n’y a jamais eu d’école proprement dite. Le terme désigne des chercheurs ayant eu des affinités de travail communes : la thérapie clinique et les théories de la communication inter-individuelle. D’autre part, il n’y a pas eu un mais deux regroupements de chercheurs : Bateson et Jackson dans un premier temps, Watzlawick et quelques autres dans un second temps. Ces deux temps correspondent à deux moments consécutifs et bien spécifiques du développement des recherches. Le premier temps est celui des fondateurs : Bateson, le plus connu encore aujourd’hui, sera le premier à adapter l’approche systémique à l’étude des relations humaines, en s’aidant de son imprégnation du terrain qui lui vient de ses travaux antérieurs d’ethnologue. Les théories systémiques serviront à modéliser des types d’interactions sociales dans des contextes culturels bien spécifiques, tandis que l’introduction de notions issues du champ de la cybernétique, comme celles de feed-back (principe de rétroaction) ou de système homéostatique, permettait de poser les bases d’une théorie générale de la communication (on peut avoir une bonne idée de ses théories sur les phénomènes de feed-back en se référant à son ouvrage de référence, La cérémonie du Naven). Cette approche neuve avait aussi pour mérite de changer l’angle classique des causalités successives ; dans un système, c est toute la structure de l’organisation qui est dynamique et qui participe des évolutions dans le temps : vers l’homéostasie dans le meilleur des cas ou au contraire vers l’emballement progressif du système. C’est seulement à la fin des années quarante que Bateson rejoindra l’hôpital de la Veterans Administration à Palo-Alto et que, s’entourant d’un petit nombre de jeunes chercheurs parmi lesquels on trouve des personnalités aussi fortes qu’un Weackland, le premier groupe de Palo-Alto se constitue. En 1953 le clinicien Jackson le rejoint et deviendra par la suite l’expérimentateur souvent génial des thèses Batesoniennes, posant ainsi les bases d’une nouvelle forme de thérapie dans les problèmes liés notamment à la schizophrénie de jeunes enfants. Pour la première fois, l’individu n’est plus considéré comme le seul dépositaire de ‘’sa maladie. En fait, il n’est plus que le signe d’un dysfonctionnement du cadre général, du groupe d’individus avec qui il est quotidiennement en interaction et


qui constitue son système affectif. Ces nouvelles approches vont non seulement révolutionner la thérapie clinique mais aussi fournir des arguments théoriques solides à tous ceux, nombreux aux Etats-Unis, qui remettent en question, soit l’influence de la psychiatrie traditionnelle sous influence behavioriste, soit l’hégémonie de la théorisation psychanalytique dans le champ de la psychologie. Une autre notion, fondamentale en psychologie de la communication sera approfondie en 1956 sous le nom de double-bind (ou double contrainte), et se révélera d’une grande efficacité quant à son application thérapeutique. Le deuxième temps est celui de la rencontre avec Watzlawick. C’est peu après la création du Mental Research Institute (MRI) par Jackson que Watzlawick se joint au groupe. Watzlawick, c’est avant tout un individu doté d’une grande capacité théorique (il est docteur en philosophie et diplômé de psychanalyse), et qui va peu à peu se démarquer du premier groupe de travail. Sa capacité de synthèse, ses connaissances en philosophie du langage et en logique lui permettront de théoriser de manière originale les données issues de la pratique thérapeutique. Ainsi, il procède le plus souvent par des exemples atypiques ou imaginaires, ce qui lui permet de pousser les théories à leurs limites, à contrario d’un Bateson qui a toujours enraciné sa recherche dans les organisations réelles, soit en tant qu’ethnologue, soit en tant que théoricien - thérapeute. Watzlawick lui, tourne et retourne les exemples jusqu’à avoir une vision d’ensemble, synthétique, des notions utilisées, quitte à faire quelques entorses à certaines règles d’homogénéité du discours. C’est encore cette originalité, assortie d’un réel humour, qui fait toute la célébrité actuelle de ce chercheur. Avec le MRI, c’est une autre aventure qui commence, à laquelle se joindront très vite d’autres noms, plus ou moins illustres : Weakland, Fisch, Hall, etc... Dans la réalité, les deux groupes de Palo-Alto cohabitèrent et partagèrent un certain nombre de travaux jusqu’à la mort du fondateur : le 4 juillet 1980 disparaît Gregory Bateson, et avec son départ l’école de Palo-Alto passera de l’expérience vécue à une reconnaissance parfois mystérieuse, tant il est vrai que le nom de la ville restera souvent plus connu que les théories qui avaient pris corps grâce aux talents cumulés de quelques chercheurs inventifs. Palo-Alto et la nouvelle communication L’on s’imagine le plus souvent que Palo-Alto est synonyme d’expérimentations empiriques et de théorisations subtilement déduites de ces expériences. En fait, la pratique thérapeutique s’est toujours appuyée sur une vision d’ensemble, théorisée, de la communication inter-individuelle. De ce côté de l’atlantique, il est de bon ton de réduire Palo-Alto à un regroupement de post cybernéticiens qui appliqueraient les schémas les plus réducteurs à des phénomènes complexe.


La réalité est tout autre, à la fois plus modeste et plus ambitieuse. Du côté de l’ambition, il y a le projet, bien avant la période de l’école de Palo-Alto, de se servir des théories systémiques de Bertalanffy dans le contexte bien spécifique de l’étude des relations humaines. Ce point de départ est presque une révolution dans l’approche des phénomènes de communication dans la mesure où il substitue à une démarche analytique (la perspective traditionnelle des sciences) une démarche globale, complexe et dynamique (toutes les interactions en un temps donné, dans un espace donné, constituent la trame de cette dynamique). Ainsi pose t-on de nouveaux axiomes : • Dans un système, ce qui vit, c’est un réseau de communication dont tous les noeuds sont en interaction les uns avec les autres (on ne peut pas ne pas communiquer selon la formule de Watzlawick). • Ces interactions se produisent selon des modalités bien spécifiques et tendent globalement à l’équilibre général du système (homéostase) ou au déséquilibre de celui-ci (déséquilibre qui n’est en fait qu’une forme d’homéostase considérée comme anormale). • Toute interaction produit des effets de rétroaction (feed-back). Le rôle de la rétroaction négative est de réduire l ‘écart de ce qui sort par rapport à une norme fixée ou déviation - d’où l’épithète de négative - tandis que, dans le cas de la rétroaction positive la même information agit comme une mesure de l’amplification de la déviation de ce qui sort (Watzlawick). • Chacun des noeuds de l’interaction possède un champ spécifique qui établit les limites de son identité culturelle et symbolique (Hall) tandis que toute situation de communication correspond à un cadre, un point de vue particulier de la relation qui doit être construite mutuellement selon les mêmes modalités ou règles ; Si deux cadres se chevauchent, ne correspondent pas, il y a ce que l’on appelle des paradoxes ou des contradictions (pouvant générer des effets de double-bind) que la thérapie ou la vie quotidienne peuvent éliminer en recadrant les réalités divergentes. Les ajustements et réajustements des réalités, l’importance accordée à l’analyse des jeux de langage, tout ceci est très éloigné d’une conception strictement cybernéticienne ou héritée des seules lois de la thermodynamique. Du côté de la modestie, il y a l’aspect pragmatique de la méthodologie de recherche : tous les axiomes, postulats et théories recoupent sans cesse des situations thérapeutiques, permettant d’établir des propositions descriptives (selon un terme wittgensteinien) fiables et efficaces. Le but affiché n’est pas de valider la théorie par le biais d’outils de rhétorique argumentative : ce qui montre que la théorie est vraie, c’est qu’elle est applicable, c’est à dire qu’elle permet le


changement, qu’elle agit comme un levier sur une situation spécifique. Mais en retour, l’appareil théorique s’affine, se complexifie et s’autonomise peu à peu jusqu’à se confronter à des cas limites ou absurdes, comme dans les écrits de Watzlawick (c’est lorsque l’on peut appliquer à une théorie des manipulations, des mises à l’épreuve successives, qu’elle prouve sa pertinence et se renforce). Les aspects parfois fragmentaires ou anecdotiques des travaux de l’école cachent ainsi de vraies trouvailles qui sont pour la plupart très largement adaptables à d’autres domaines du champ des sciences de la communication que la seule psychologie de la communication. La plus grande originalité de l’école de Palo-Alto est pourtant la moins visible : il s’agit de la conception particulière du langage utilisé dans les processus thérapeutiques. Ce langage, instrument du changement, est en quelque sorte neutre, sans essence (il n’est pas le lieu de la vérité en général ni du sens dans l’absolu) et se démarque profondément de celui utilisé dans d’autres champs de recherches. Ainsi, pour la psychanalyse, le langage est le lieu où se déploient, implicitement et explicitement, les désirs ou les frustrations (forcément sexuelles) de l’individu. Pour le behaviourisme, le langage est le lieu où s’exprime une forme particulière de la réaction de l’individu aux stimuli extérieurs, toute forme de langage devant être motivée par des besoins, nécessaires par définition et donc semblables pour tous (ainsi, personne n’échappe à la prévisibilité des patterns comportementaux) . Le langage, ou plutôt les jeux de langage de Palo-Alto permettent d’éviter les écueils du nominalisme mais aussi toute forme de solipsisme, dans la mesure où il n’y a de communication que si l’autre s’impose à moi par sa présence même (d’où l’erreur faite souvent sur le constructivisme inhérent à une telle approche, qui n’est pas une forme d’autisme au monde ou de tautisme, pour reprendre le terme de Lucien Sfez). Ce langage instrumentalisé est au coeur de la pratique thérapeutique, selon une méthode bien éprouvée : Tout d’abord il s’agit d’étudier le système dans lequel se situe le comportement pathologique (paranoïa, schizophrénie, etc...) et de déceler, s’il y a lieu, les phénomènes de double bind. Dans un second temps, on procède à la fois sous la forme de thérapie collective mettant en jeu les membres du système incriminé, et par le biais de techniques individualisées de mise en situation paradoxale. Ces mises en situation consistent à donner l’injonction au patient de se comporter selon son mode propre. Devant l’injonction, le patient se retrouve dans la situation paradoxale de celui à qui l’on dit soyez spontané (l’on crée un double-bind artificiel) ; situation paradoxale dont on ne peut échapper qu’en prenant conscience de son propre comportement (le cadre de ma réalité me devient


visible), puis en changeant ce comportement pour échapper à l’injonction (recadrage d’une autre réalité). Tout l’art méthodologique de Palo-Alto réside dans cette succession de phases et toute l’ingéniosité consiste dans l’individualisation de la méthode à chaque cas, puisqu’il s’agit avant tout de mises en situation qui ne posent aucun à priori sur les cas traités. En ce sens, la nouvelle communication est une illustration parfaite d’une pragmatique communicationnelle qui est aussi bien spécifique (l’aspect pragmatique) à l’univers intellectuel anglo-saxon. Critiques de Palo Alto La plupart des critiques sur l’école proviennent, il faut bien ]e reconnaître, d’une sorte de méconnaissance des notions utilisées, méconnaissance qui conduit un certain nombre de détracteurs à faire des amalgames entre l’école de Palo-Alto et la cybernétique (qui compose un champ bien distinct malgré les affinités) ou encore à considérer que l’aspect fragmentaire des oeuvres et leur aspect transversal dénote un manque de rigueur théorique. Néanmoins certains critiques, mieux informés, ont formulé un certain nombre de remarques dont il faut tenir compte. C’est le cas de Lucien Sfez qui, dans Critique de la communication, fait deux objections fondamentales à la démarche Palo-Altienne, objections que nous allons traiter point par point. Première objection : on ne peut pas ne pas communiquer ; selon Sfez, cette phrase de Watzlawick, cette profession de foi, correspond à une volonté implicite d’emprise (on ne peut lui échapper) du champ communicationnel sur les autres champs de recherche mais aussi sur toute forme d’activité humaine. Puisque ce champ veut contenir tous les autres, il finit par s’imposer comme un mythe moderne, une nouvelle religion laïque. En fait, cette accusation d’hégémonie discrète, si elle peut être défendue, ne peut s’appliquer au sens de la phrase de Watzlawick, sens explicité par l’auteur lui-même dans une interview accordée à Carol Wilder en 1977 : si vous [,...] admettez que tout comportement en présence d’une autre personne est communication alors il me semble que vous devez aller jusqu’à l’implication de l’axiome (la phrase citée plus haut). Watzlawick se place donc dans le seul champ spécifique des théories de la communication. Ce faisant, sa position n’est pas différente de celle du sociologue ou de l’ethnologue qui reconnaissent, à l’intérieur de leur champ, tout phénomène comme pouvant être étudié selon les outils théoriques spécifiques dont ils disposent. De plus, les cadres de l’axiome impliquent la présence de l’autre pour qu’il y ait phénomène communicationnel, ce qui exclut de ce cadre le champ des activités


ou plutôt des processus artistiques dans lesquels le créateur se retrouve seul face à des choix de production de l’oeuvre (alors même que Sfez inclut ce champ dans la sphère de domination des théories de la communication). Deuxième objection : les théories de la communication se sédimentariseraient dans les processus de feed-back, permettant de fixer la notion dans le domaine de la thermodynamique. Là encore, on peut toujours discuter des aspects mécaniste des théories incriminées, mais l’étude des pratiques de l’école oblige à admettre que c’est bien dans une utilisation particulière du langage (et une conception tout aussi particulière du langage) que s’ancrent les concepts, bien que l’influence de certaines notions issues du champ cybernétique soit incontestable.


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