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Pas de prairies plus belles
L’herbe profite de la rosée et du brouillard
Les minuscules gouttelettes dans l’air peuvent préserver les pâturages et prairies de la sécheresse. Texte Florian Wüstholz
Dans notre imaginaire, brouillard et automne vont de pair. Pourtant, ces brumes mystérieuses sont particulièrement importantes en été. En effet, lorsque les champs sont secs, chaque gouttelette vaut de l’or. L’influence du brouillard et de la rosée sur les prairies n’a pourtant jamais vraiment été étudiée en Suisse. «Jusqu’à présent, la recherche sur ce thème se concentrait surtout sur les régions sèches du globe», explique Andreas Riedl.
Lors de son doctorat à l’ETH Zurich, le chercheur avait découvert que même sans pluie, on pouvait obtenir en moyenne 140 millilitres d’eau par mètre carré par nuit. «Cela semble peu», remarque-t-il, parce que même une légère averse suffit pour que les nuages en déversent bien plus. «Mais ces petites quantités ont aussi une incidence notable pour les plantes en raison de la fréquence souvent élevée des épisodes de brouillard et de rosée.» A cela s’ajoute le fait que les minuscules gouttes de brouillard et de rosée humectent toute la surface des feuilles qui peuvent ainsi les absorber particulièrement bien. Dans une station de mesure du canton de Zoug, Andreas Riedl a pu observer 127 événements de ce type en une année. Et nettement plus souvent de la rosée. C’est donc surtout celle-ci qui apporte de l’eau.
Prairies dans le brouillard des Alpes fribourgeoises: une idylle qui profite aussi aux plantes quand elles absorbent l’eau. Photo: Anne Gabriel-Jürgens/13PHOTO
Les prairies alpines souffrent particulièrement Ces micro-apports réguliers devraient être de plus en plus déterminants en Suisse. Car le réchauffement climatique accroît la probabilité de longues périodes de sécheresse. Elles peuvent être fatales pour les prairies et les pâturages et ont de sérieuses conséquences sur le secteur agricole. Les trois quarts des surfaces utilisées pour l’agriculture en Suisse sont des surfaces herbagères. Selon Agroscope, les pertes de rendement résultant des sécheresses de grande ampleur – comme celles de 2003, 2006, 2015, 2018 ou encore de cette année – peuvent atteindre jusqu’à 40%. En outre, les prairies ne fournissent pas seulement du fourrage, elles sont aussi de hauts lieux de la biodiversité. Les prairies sèches peuvent par exemple compter jusqu’à 100 espèces de plantes par are.
La rosée pourrait assurer la survie des surfaces herbagères durant la saison chaude. «Elle présente l’avantage de se former aussi en été et pendant les périodes de sécheresse», explique Andreas Riedl. L’air chaud peut en effet emmagasiner une grande quantité d’eau, qui se condense sur les plantes lors des nuits claires et fraîches et assure l’humidité. En outre, du brouillard peut se former même pendant les étés secs.
Les herbages suisses souffrent particulièrement de l’influence du réchauffement climatique dans les régions alpines d’altitude – où sont situées un tiers des prairies. Des recherches de l’Université de Bâle ont montré que les prairies alpines ont besoin de beaucoup plus de temps pour se remettre du stress dû à la sécheresse: la période de végétation y est déjà courte et l’ensemencement des herbes y est plus difficile.
Des expériences à l’air libre ont permis à Andreas Riedl de mieux saisir le comportement particulier des gouttelettes d’eau: «Nous avons par exemple découvert que le microclimat est beaucoup plus important que d’autres facteurs tels que l’altitude.» En effet, outre une humidité de l’air trop faible, l’ennemi naturel de la rosée et du brouillard est le vent. Or, dans les régions de montagne, les prairies et pâturages se trouvent souvent sur des versants très exposés.
Afin de pouvoir mesurer le plus précisément possible les minuscules quantités d’eau, Andreas Riedl a d’ailleurs dû développer lui-même les instruments nécessaires: trois grands morceaux de prairie mis dans des sortes de pots de fleurs géants ont été placés sur une balance à haute précision. Les pesées ont été effectuées en huit endroits différents, à des altitudes entre 393 et 1978 mètres. L’évaporation allégeait les pots, alors que la rosée et le brouillard les alourdissaient. Ce qui a donc permis de mesurer la quantité d’eau absorbée. Des capteurs supplémentaires ont détecté la présence ou l’absence de brouillard. Les scientifiques ont ainsi pu déterminer de quelles infimes précipitations provenait l’eau.
Florian Wüstholz est journaliste scientifique à Bâle.