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Tribune libre, Jacques Pilet

Tribune libre

La souffrance

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des vieux

Ce paysan fribourgeois octogénaire qui s’accroche à sa terre était fâché: «Mais qu’ont-ils donc à nous regarder de travers? Qu’ont-ils à avoir si peur de la mort? Elle fait partie de la vie, non?» C’est en effet inédit. Le pouvoir politico-médical, nanti de compétences autoritaires hors du commun, a désigné les vieux comme un groupe à part, dit «à risque». Pour leur bien. Pour les protéger.

JACQUES PILET

JOURNALISTE

Ma i s u n c u r ie u x retournement s’est produit. Dans la rue, on s’est mis à s’écarter d’eux, à se méfier d’eux: «Pourquoi ne restent-ils pas chez eux?» Malaise. Il est vrai aussi que la panique qui s’est emparée du monde montre combien la mort, au temps des performances médicales, est devenue scandaleuse. Une anomalie! Cela face à une pandémie qui a tué beaucoup moins que d’autres, de diverses natures, dans le passé.

AÎNÉS INÉGAUX FACE AU CONFINEMENT La plupart des «plus de 65 ans», en Suisse, ont cependant plutôt bien

vécu ces mois de confinement relatif. Presque normalement. Tout en regrettant de ne pouvoir rencontrer, pendant quelques semaines, leurs enfants et leurs petits-enfants, leurs amis. Rien de dramatique. Il en est allé tout autrement pour les pensionnaires des EMS. On n’a pas assez dit leur souffrance. Leur enfermement fut d’une rigueur totale. Solitude par rapport à l’extérieur et aussi à l’intérieur de la maison. Des soins réduits, faute de personnel. La perspective d’une mort possible, avec ou sans virus, sans les étreintes des derniers moments. Aucune échappatoire. Sinon l’ultime. Toute liberté de choix leur était refusée. Nombre de ces personnes sont pourtant en mesure de déterminer la part de risque qu’elles souhaitent assumer. Elles craignent moins la mort que les fonctionnaires de la santé. La rencontre réelle avec leurs chers est leur plus grand bonheur. Pourquoi n’a-t-on pas fait plus et plus tôt pour le rendre possible?

EMS VAUDOIS FRAPPÉS DE PLEIN FOUET Le dévouement du personnel hospitalier a été, à raison, maintes fois salué. Sur les balcons et dans les médias, qui ont diffusé une profusion d’images des hôpitaux. Il fut beaucoup moins question des petites mains dans les EMS, moins formées, moins payées encore que les infirmières, soumises à la même surcharge de travail. D’autant plus aiguë que de nombreux établissements privés ont rogné tant que possible sur les effectifs dans un souci de profit. Or, il est apparu que jusqu’à 80% des décès dus au Covid-19 ont été enregistrés dans ces établissements. Selon les cantons. Celui de Vaud s’illustrant par un taux particulièrement élevé. C’est donc dans ces maisons que la mort a frappé le plus fort. Pour maintes raisons. Au début de la crise, peu ou pas de précautions lors du va-et-vient du personnel domicilié à l’extérieur. Manque de matériel. Le virus a davantage prospéré dans ces milieux clos que dans les hôpitaux, bien mieux préparés. Pour mesurer l’ampleur de la tragédie, il conviendrait cependant de comparer la mortalité dans les EMS avant et après la pandémie. Nombreux sont les pensionnaires décédés d’autres causes, avec et pas du Covid-19. Ce qui ne relativise nullement la souffrance morale provoquée par des mesures excessives. Osons dire que trop de nos vieux ainsi reclus ont été soumis à une forme de torture mentale. Non volontaire, certes, mais réelle. ■

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