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Interview du Prof. Nicolas de Tribolet

Interview / Département romand de neurochirurgie

«C’est l’une des faiblesses du fédéralisme suisse, qui touche aussi le système de santé.»

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En 1995, à l’initiative du Prof. Nicolas de Tribolet* et de son homologue genevois le Prof. Jean Berney, un rapprochement entre le Service de neurochirurgie du CHUV et celui des HUG a été opéré, ayant abouti deux ans plus tard à la création du Département romand de neurochirurgie. Retour sur les origines d’un projet qui a permis de créer de nouvelles activités et d’améliorer la pratique clinique de certaines sous-spécialités de médecine hautement spécialisée.

Prof. de Tribolet, quelles sont les origines du rapprochement entre les services de neurochirurgie du CHUV et des HUG?

En 1994, mon collègue genevois Jean Berney, proche de la retraite, et moi-même, à Lausanne, étions arrivés à la conclusion que la masse critique des patient·e·s dans chacun de nos services ne permettait pas d’offrir une pratique clinique à la hauteur. Il y a en réalité, au-delà de la rationalisation administrative et financière, plusieurs arguments favorables à ce genre de rapprochement dans la médecine hautement spécialisée chirurgicale, et plus particulièrement en neurochirurgie: 1) la masse critique des opérations nécessaire pour la qualité des soins aux malades, qui implique le·la chirurgien·ne mais aussi toute l’équipe médicale et technique; 2) l’enseignement pour former des chirurgien·ne·s; 3) la recherche clinique, qui engendre également une meilleure visibilité académique.

Quelles ont été les étapes clés de la mise en œuvre de ce projet?

En 1993, l’Association Vaud-Genève a été créée par les deux gouvernements cantonaux afin d’encourager le rapprochement entre les deux hôpitaux universitaires romands. La solution finalement adoptée en 1995 a été un service unique, que je devais diriger, mais réparti sur les deux sites. Cela nous a permis d’obtenir les fonds nécessaires de la part de l’Association Vaud-Genève pour développer de nouvelles compétences en Suisse romande. Dans ce contexte, j’ai fait venir un professeur invité et spécialiste en chirurgie de l’épilepsie, le Prof. Jean-Guy Villemure, de l’Institut de neurologie de Montréal. Il est reparti à la fin de son contrat d’un an, puis nous l’avons rappelé; c’est à ce moment-là que lui a été confiée la direction du service à Lausanne, car la charge administrative pour diriger un service sur deux sites était trop lourde. En 1997, un département romand de la neurochirurgie a finalement été créé avec deux services et deux chefs.

Y a-t-il eu des freins à la création du Département romand de neurochirurgie?

La volonté ou la résistance des uns et des autres, que cela soit en politique ou au sein des deux facultés et des deux hôpitaux, a joué un rôle important. Il y avait notamment des médecins qui avaient tout simplement peur de perdre leur place. J’ai aussi rencontré certains obstacles organisationnels concernant notamment la mise sur pied de conférences communes entre les deux sites.

Et quelles ont été ses plus-values?

Nous avons réussi, avec le Prof. Villemure, à créer de nouvelles sous-spécialités, comme la chirurgie de l’épilepsie et la stimulation cérébrale profonde, qui n’existaient pas en Suisse romande jusqu’alors. Dès lors, la chirurgie de l’épilepsie était traitée uniquement à Genève et celle de Parkinson à Lausanne. Nous avons, par exemple, réussi à monter à Genève un programme d’évaluation préchirurgicale de l’épilepsie, qui a abouti jusqu’à aujourd’hui à des publications de grande valeur. Nous avons également complété les installations à Lausanne, en particulier pour l’électroencéphalographie. En outre, nos performances dans des disciplines existantes comme la neurochirurgie pédiatrique se sont améliorées, car nous avions enfin atteint la masse critique nécessaire. Nous avons, de manière plus générale, réussi à doubler le nombre d’opérations pour les

spécialités de médecine hautement spécialisée et avons augmenté notre productivité académique.

Pensez-vous que le contexte général de l’époque était peu favorable à ce type de regroupement entre Genève et Lausanne?

A l’époque, dans tous les cas, nous avons bien vu que le rapprochement entre Vaud et Genève était compliqué. Le projet beaucoup plus large du Réseau hospitalier universitaire de Suisse occidentale (RHUSO) a été enterré avec le vote négatif des Genevois (voir p. 5). Cela s’avère complexe de faire fonctionner un département unique impliquant deux hôpitaux concurrents avec des cultures et des administrations différentes, ainsi que deux facultés d’universités et deux systèmes de santé cantonaux distincts. C’est l’une des faiblesses du fédéralisme suisse, qui touche aussi le système de santé. Il y a une résistance féroce à la centralisation des compétences.

Avez-vous des exemples de bonnes pratiques dans ce domaine?

La littérature a montré que, pour qu’un service de neurochirurgie fonctionne correctement, la masse critique est atteinte avec une population idéale de deux millions d’habitants et d’au minimum un million. C’est exactement ce qui se passe en neurochirurgie en Suède, qui compte quatre centres universitaires au sein d’un bassin respectif de deux millions d’habitants et deux autres centres dans un bassin de population d’un million de personnes. Or, en Suisse, nous avons douze centres de neurochirurgie pour le même nombre d’habitants.

Quels conseils donneriez-vous à des confrères intéressés par ce genre d’initiatives en médecine de pointe?

L’une des solutions serait de fusionner les deux facultés de médecine et une partie du système de santé entre les deux cantons. Au final, pour que ce genre d’initiatives puisse perdurer, il faut un cadre administratif, politique et institutionnel favorable. Cela implique notamment que les politiques au plus haut niveau mettent en place des structures et des règles qui seront strictement suivies. ■

PROPOS RECUEILLIS PAR AURÉLIE MOERI MICHIELIN

* Professeur honoraire des facultés de médecine des Universités de Genève et Lausanne, ancien chef du Département romand de neurochirurgie.

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