Deconstructivist Architecture

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PARLER D’ARCHITECTURE...

DECONSTRUCTIVIST ARCHITECTURE Une exposition clé à l’introspection d’une discipline

Solène MATHIEU-DUMANS



ABSTRACT L’exposition Deconstructivist Architecture eut lieu au Museum of Modern Art à New York en 1988. Deux figures antagonistes de l’architecture, Philip Johnson et Mark Wigley, en étaient les curateurs. Il semblerait que cette exposition, de taille pourtant modeste, fut un évènement décisif dans les changements de direction pris par la discipline à la fin du 20ème siècle. L’exposition, présentant 10 projets provenant de 7 architectes, dura 10 semaines. Bien que très court en durée et très réduit en taille, l’évènement entraîna de nombreuses polémiques vis-à-vis de ce qu’il proclamait. Le contenu en fut bien évidemment écarté, l’attention étant portée sur la dénonciation globale de ce qui semblait y être déclaré. Ces polémiques furent accentuées par la figure de Johnson en tant que curateur principal, et l’aspect formel qu’il avait choisi de mettre en exergue dans sa dernière exposition d’architecture. La presse s’empressa donc d’y porter un intérêt démesuré. Le phénomène s’inscrit dans une époque de changements particuliers, où l’on remet en question le rôle de l’architecture dans la société et les commodités auxquelles cette dernière nécessite de répondre. Les débats à propos de l’exposition reflètent la pluralité et la remise en question des positions historiques de l’architecture à l’époque. De plus, les médias et l’émergence de l’ère de la digitalisation élargirent le contexte culturel dans lequel elle s’inscrivit. On assiste à cet instant à une expansion de la communication dans le champ de l’architecture. L’exposition Deconstructivist Architecture est aujourd’hui souvent perçue comme l’évènement qui mit fin au mouvement postmoderniste. Cependant, au-delà de la fin plausible d’un mouvement et de la naissance d’un autre, une réévaluation du contexte large de ce phénomène ne nous permettraitil pas de saisir ses influences sur les perturbations subies par l’architecture à la fin du siècle dernier ?


Travail de fin d’étude réalisé sous la direction de Eric Van Essche, en vue de l’obtention de la deuxième année du grade de Master en architecture de la Faculté d’Architecture La Cambre-Horta de l’Université Libre de Bruxelles, durant l’année scolaire 2016-2017




CONTENU

INTRODUCTION

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DÉCONSTRUCTION AU MOMA

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Une historiographie contemporaine Genèse de l’exposition Limitation de styles & paradoxes Une paternité disputée

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ÉVÈNEMENTS & AUTEURS COLLATÉRAUX

35

Aaron Betsky & « Violated Perfection » Mark Wigley & les possibilités déconstructives de l’architecture Peter Eisenman : le curateur dans l’ombre Symposium à la Tate Gallery

37 40 45 50

CONTEXTE

55

Philip Johnson & le MoMA Le retour du constructivisme Philosophie linguistique & architecture Entre modernisme & post-modernisme

57 61 65 71

CONSÉQUENCES

77

Un Mouvement éphémère Introspection de l’architecture Canonisation des architectes stars La mort de la théorie ?

79 83 88 91

CONCLUSION

99

Bibliographie

105

Iconographie

114

Index des citations

Remerciements

118 129 7



INTRODUCTION



INTRODUCTION

« L’historiographie des expositions d’architectures est à la mode », observe Pierre Chabard dans un article pour les Cahiers du Musée National d’Art Moderne en date de 2014. En effet, on commence depuis peu à les envisager « comme un matériau de recherche, de questionnement critique, d’introspection autoréflexive (...) »1. Dès lors, si l’on souhaite se situer au sein de la rapidité des transformations de notre époque, et comprendre à quoi doit répondre notre discipline aujourd’hui, il semble essentiel d’embrasser l’inflation de la communication dans le champ de l’architecture. Le déconstructivisme en architecture est très souvent associé à des architectes théoriciens de par leur présence à l’exposition au Museum of Modern Art de New York en 1988. Pourtant, l’exposition Deconstructivist Architecture, malgré l’impact immédiat et démesuré qu’elle eut sur la presse de l’époque, était plutôt modeste. Elle prit place au MoMA du 23 juin au 30 août 1988, et se tenait dans 3 galeries de tailles relativement réduites. La première salle était dédiée à une sélection de travaux provenant du constructivisme russe. Parmi d’autres, El Lissitzky, Kazimir Malevich, Vladimir Tatlin, Liubov Popova et Alexander Rodchenko y étaient exposés. Ces travaux, sélectionnés par Philip Johnson dans la collection du musée, étaient censés introduire les projets d’architecture présents dans les deux autres pièces. Les projets d’architecture choisis avaient été produits entre 1978 et 1987. On y trouvait dans l’ordre chronologique Familian House, Santa Monica, de Frank Gehry (1978), le Parc de la Villette, Paris, de Bernard Tschumi (1982), The Peak, Hong Kong, de Zaha Hadid (1982), Apartment Building and Observation Tower, Rotterdam, de Rem Koolhaas (1982) Rooftop Remodeling, Vienne (1982), Skyline, Hamburg (1985), et Apartment Building, Vienne (1986) de Coop Himmelblau, City Edge, Berlin, de Libeskind (1987), Biocenter for the University of Frankfurt, Francfort, par Peter Eisenman (1987), et enfin Gehry House, Santa Monica, de Frank Gehry (1988). Toutefois, les polémiques autour de l’exposition n’étaient certainement pas basées sur le contenu sélectionné. Au contraire, l’attention des critiques et des médias était largement portée sur le message que l’exposition semblait transmettre. Philip Johnson, figure importante de l’architecture du 1 : Chabard, P. « Entre collection et médiation : Stratégies institutionnelles autour de l’architecture au début des années 1980 », dans Cahiers du Musée National d’Art Moderne, n° 129, automne 2014, p.63

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INTRODUCTION

20e siècle, décidait par le biais de cet évènement de sa dernière proclamation sur l’architecture. Cette dernière, qu’il souhaitait avant tout connecter au style du constructivisme russe, apparut principalement formelle et vide de tout sens théorique. À l’approche des années 1990, et dans le contexte déterminant des années 1980, cette proclamation ne fit qu’intensifier la charge des critiques négatives émises à son propos. Comprendre l’exposition Deconstructivist Architecture historiquement à une époque où la communication est devenue l’objet principal de la discipline semble être une méthode adéquate à la compréhension de notre nouvelle génération. Le présent travail portera donc principalement sur l’analyse du contexte à la fois réduit et large de cet évènement particulier. Il entend constituer une « historiographie du passé récent », focalisée sur l’envergure de l’exposition Deconstructivist Architecture. Compte tenu de son importance minime, le contenu de l’exposition, c’est-à-dire le ‘style’ exposé ainsi que les projets sélectionnés, sera préférablement écarté de l’analyse faisant l’objet de la recherche. Cet essai désire, dans les limites du possible, restructurer la documentation liée à l’évènement pour tenter d’en saisir l’importance dans les transformations récentes du champ de la théorie de l’architecture. En effet, tandis que de nombreux écrits étudient l’architecture de la fin du 20e siècle par le biais de l’analyse des théories linguistiques appliquées à cette dernière, il semblerait que le rôle de cette exposition au MoMA dans le tournant de l’histoire de l’architecture n’ait pas été particulièrement analysé et soit aujourd’hui largement mésestimé. Pourtant, en évaluant la responsabilité de différents acteurs plus ou moins influant sur cet évènement, ainsi que les messages diffus qu’ils ont émis, nous éluciderons probablement ce qui est arrivé à l’architecture au cours de cette fin de siècle. Grâce au temps aujourd’hui écoulé depuis l’exposition, l’analyse des éléments et acteurs principaux lui ayant donné naissance, la compréhension de leurs motivations, une étude du contexte social duquel est provenu l’avènement de l’exposition, ainsi que les conséquences qu’elle eut sur la discipline architecturale nous permettront d’évaluer l’incidence d’un phénomène réduit sur le devenir de l’architecture. Les ouvrages sur la théorie de l’architecture de la fin du 20e siècle évoquant cette exposition ne l’identifient jamais comme un élément majeur dans le tournant de la théorie de l’architecture des années 1990. Elle est souvent liée à la mort du postmodernisme, et à la proclamation d’un nouveau mouvement déconstructiviste qui ne perdura que le temps de son succès. Cependant, il semblerait que le déconstructivisme en architecture ne devrait pas être perçu comme un mouvement, le fétichisme et la tendance de ce dernier n’ayant duré 12


INTRODUCTION

que très peu de temps, mais il devrait être compris comme la déconstruction des commodités, de la théorie et des institutions de la discipline architecturale. Dès lors que l’on entend la déconstruction dans ce contexte précis, il semble primordial d’effectuer une analyse des enjeux et contrecoups de l’exposition Deconstructivist Architecture ayant eu lieu en 1988. C’est pourquoi le présent mémoire portera sur une étude de cette exposition dans son contexte historique, de manière à comprendre si elle eut en effet un aspect déterminant sur le cours évolutif de l’architecture. Si oui, quels messages délivrés par l’exposition auraient pu changer le destin de l’architecture, et vers quels nouveaux types de préoccupations s’est-elle dirigée ? Comment ces déclarations ont-elles vu le jour ? Qui en étaient les principaux auteurs, bien que parfois écartés du succès qu’elle eut engendré ? Dans quel contexte global était-elle inscrite ? Et pour finir, quelles ont été ses répercussions, explicites et implicites, sur le champ de la théorie architecturale ? Dans un premier temps, l’analyse portera sur les différents éléments ayant donné naissance à l’exposition Deconstructivist Architecture. Nous tenterons donc d’établir un remaniement de la documentation disponible à propos de cette histoire récente de l’architecture. Nous montrerons en quelles circonstances elle eut un fort impact sur la presse, qu’elle soit spécialisée dans la critique d’architecture ou non, ce qui mettra en exergue les paradoxes dus aux différentes interprétations de l’évènement. Puis, nous tenterons de peindre le tableau de la genèse de Deconstructivist Architecture, en introduisant ses deux curateurs et leurs intentions vis-à-vis d’une telle mise en scène. Nous comprendrons comment elle a émergé d’un contexte postmoderne et à quel titre les curateurs eurent la possibilité de la mettre en œuvre dans une institution telle que le Museum of Modern Art de New York. Par la suite, il sera nécessaire de mettre le point sur les paradoxes conditionnés par le manque de certitude des curateurs sur ce qu’ils aspiraient à révéler. En effet, la confusion entre le choix du terme déconstructivisme et la déclaration formelle de ces derniers sur la relation entre les projets exposés et le style visuel du constructivisme russe fut manifestement le point de mire de toutes les polémiques qui en découlèrent. Pour finir, nous mettrons en évidence que, malgré le statut de curateurs de Philip Johnson et Mark Wigley, ils n’en étaient probablement pas les instigateurs. La deuxième partie traitera donc des différentes influences qui ont plausiblement mené à la mise en œuvre de l’exposition Deconstructivist Architecture, bien que ces dernières ne furent pas toujours créditées. Tout d’abord, nous observerons que l’ouvrage Violated Perfection, édité par Aaron Betsky en 1990, serait en fait la théorisation d’un concept d’exposition projeté en 1984 par Paul 13


INTRODUCTION

Florian et Stephen Wierzbowski, à l’Université d’Illinois à Chicago. Ce projet, portant sur l’évolution de l’architecture face aux nouvelles technologies, aurait été à la base de ce que fut finalement l’exposition organisée par Philip Johnson. En effet, ces derniers n’ayant pas obtenu les fonds nécessaires à la mise en œuvre de l’exposition, ils firent appel à Aaron Betsky, qui proposa le projet à Johnson et s’empressa d’en faire l’objet de sa prochaine publication. De même, nous analyserons l’impact manqué d’un curateur tel que Mark Wigley qui, bien que doctorant spécialisé dans l’application de la théorie déconstructive à l’architecture, nia totalement la relation de l’exposition nommée Deconstructivist Architecture à la philosophie linguistique de Jacques Derrida à propos de laquelle il avait déjà publié plusieurs ouvrages. De plus, nous tenterons de saisir l’importance d’une figure comme Peter Eisenman dans l’exposition, ancien directeur de l’Institute for Architecture and Urban Studies de New York et fervent complice de Philip Johnson depuis alors plusieurs années. Il semblerait que ce dernier ait eu plus d’implications dans le montage de l’exposition qu’on ne l’a laissé croire. Finalement, nous vérifierons l’influence d’un symposium qui fut mis en place par Andreas C. Papadakis, éditeur de la revue Architectural Design depuis 1975, à la Tate Gallery à Londres quelques mois avant l’exposition au MoMA. Le symposium portait sur le thème de la déconstruction appliquée à l’art et à l’architecture, et il est intéressant d’observer dans quelles circonstances Papadakis l’a mise en œuvre d’une manière très dissimilaire à celle de Johnson. La troisième partie dressera le tableau d’un contexte plus large et significatif dans l’apparition d’un phénomène tel que celui qui fut créé par l’exposition Deconstructivist Architecture. Nous traiterons tout d’abord de l’image d’une figure comme Philip Johnson, en retraçant brièvement son histoire dans le domaine de l’architecture et les changements d’opinions flagrants qu’il effectua au cours de sa vie. Dès lors, nous introduirons Johnson dans le cadre du MoMA, où il semblerait qu’il ait forgé la majorité de sa notoriété. Nous éluciderons alors la perspicacité du personnage et les raisons de cette dernière déclaration au MoMA. Ensuite, le cadre de notre étude s’élargira à un domaine social et politique et nous tenterons de saisir pourquoi dans les années 1970 et 1980 l’art et l’architecture ont semblé exhumer un intérêt mouvementé pour le constructivisme russe des années 1920, style auquel Johnson souhaite se référer lors de l’exposition. De la même manière, dans le but d’éclaircir l’environnement dans lequel l’exposition a vu le jour, nous expliquerons l’évolution de la philosophie linguistique appliquée à l’architecture et plus particulièrement l’intérêt grandissant, depuis l’apparition du postmodernisme, dans la capacité communicative d’un bâtiment pour enfin appréhender l’attention portée à la déconstruction dans les années précédant 14


INTRODUCTION

l’exposition. Nous conclurons ce chapitre par l’étude du lien possible entre le déconstructivisme, le postmodernisme, et le modernisme, débat qui à l’époque fut prépondérant dans les propos tenus vis-à-vis de l’exposition. Enfin, nous exposerons les répercutions de Deconstructivist Architecture sur la discipline architecturale en cette fin de siècle. Nous observerons tout d’abord le paradoxe d’un évènement qui eut à l’époque un impact immédiat indéniable, mais qui par la suite fut très rapidement oublié. Il semblerait en effet que le monde de l’architecture ait eu besoin de s’exprimer et profita de l’évènement pour se questionner sur le passé, le présent et le futur de l’architecture pour, par la suite, étouffer l’évènement et n’y faire que très peu allusion. Nous observerons donc en quoi cette exposition fut nécessaire à l’introspection d’une architecture qui se transforme rapidement et qui proclame de nouveaux styles à la fréquence de l’accélération du temps. En effet, il semblerait que les années 1980 et 1990 furent à l’image d’une discipline qui se questionne sur son rôle et son destin dans un monde qui change avec l’apparition de nouveaux moyens de communication. De plus, nous comprendrons que l’émergence de ce que l’on connaît aujourd’hui comme la figure de la starchitecte coïncide avec cette intensification de la communication, et peut-être également avec l’exposition Deconstructivist Architecture, la plupart des architectes stars que nous connaissons aujourd’hui ayant été exposés par Philip Johnson en 1988. Évidemment, tout cela eut des conséquences indéniables sur le devenir de la discipline architecturale, et particulièrement sur ce que l’on identifiait alors comme la théorie critique de l’architecture. Nous étudierons les transformations subies par cette dernière à la fin du 20e siècle, de nombreux théoriciens ayant eux-mêmes déclaré sa mort à l’approche des années 2000.

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Ce n’est pas une coïncidence si l’exposition Deconstructivist Architecture prit place à ce moment précis de l’histoire et aux États-Unis. En effet, elle s’inscrivait dans le contexte particulier dessiné par la fin des années 1960 et l’instauration du mouvement postmoderniste dans la théorie et la pratique architecturale. Plus précisément, elle était la déclaration d’une réaction présumée négative face à ce phénomène. Partant du postulat qu’elle allait y mettre un terme, elle essaya de se définir face à la pluralité des messages qui lui furent apposés. L’application du terme déconstructiviste à son titre, malgré l’aspect formel du message que désiraient transmettre les curateurs, ne fit qu’intensifier les paradoxes menant aux diverses polémiques qu’elle engendra. Comprendre et analyser la manière dont cet évènement a vu le jour, ainsi que ce que les différents acteurs l’ayant mise en place souhaitaient lui faire dire semble donc être un point de départ nécessaire à l’étude de ses incidences.

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CHAPITRE I :

DÉCONSTRUCTION AU MOMA



DÉCONSTRUCTION AU MOMA

I. UNE HISTORIOGRAPHIE CONTEMPORAINE Le présent travail entend constituer une « historiographie d’un passé récent » centrée sur une exposition d’architecture ayant eu lieu au Museum of Modern Art à New York en 1988. Contrairement à ce qu’aurait pu être l’objet de la recherche, cette dernière ne souhaite pas s’attarder sur une analyse du contenu de l’exposition. Cet essai a pour but de remanier la documentation liée à un phénomène, lui-même causé par un évènement, et d’en disséquer les potentielles conséquences dans le domaine de la théorie de l’architecture. Dans sa biographie sur Philip Johnson, Franz Schulze écrit à propos de l’exposition que « les motivations et la théorie étaient tant ancrées au cœur de l’exposition que l’attention du public sur le travail exposé en fut distraite aux marges de la conscience. »1. Dès lors, le présent mémoire ne présentera pas un inventaire des sept architectes ou des projets qui furent exposés à cette occasion, mais effectuera l’analyse d’un évènement culturel appartenant à un passé proche de l’histoire de l’architecture. Le mémoire se concentre donc sur la façon dont une exposition, conception culturelle au sein de l’architecture, pourrait être un outil important dans la compréhension contextuelle d’un tournant de la discipline architecturale. C’est pourquoi, pour en connaître le fonctionnement, l’essai aspire à un examen du contexte, à la fois large et précis, du matériel ainsi que des influences dissemblables jointes à l’évènement. Il semblerait que le rayonnement de cette exposition pourtant modeste puisse avoir été engendré par la présence d’une multitude d’opinions divergentes autour de sa raison d’être, sa technique de conception à l’instar de ses intentions. La révélation des différentes forces et dynamiques présentes autour de cet évènement culturel nous permettra d’en saisir les influences. De plus, nous analyserons sa réception immédiate par le public et les médias, l’objet de l’étude ayant eu un impact large et instantané dans un domaine sortant même parfois du cadre de l’architecture. Dans un article sur l’exposition, Tina Di Carlo décrit cette dernière comme ayant eu « (...) cinq fois plus de retombées médiatiques (...) que n’importe quelle autre des cinq expositions de la série Hines »2. L’exposition sera donc documentée non 1 : Schulze, F. Philip Johnson : Life and Work, 1e Ed. New York: Knopf, 1994, p. 396 __ * (les citations en français marquées d’une * sont des traductions personnelles reprises en version originale dans l’Index des citations) 2 : Di Carlo, T. « L’exposition ‘Deconstructivist Architecture’ (# 1489) et le Museum of Modern Art » dans Cahiers du Musée National d’Art Moderne, n° 129, automne 2014, p.82

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DÉCONSTRUCTION AU MOMA pas par son contenu précis, mais par l’environnement qui se créa autour d’elle. En effet, une étude de celui-ci nous mènera à l’intellection espérée du rôle qu’ont joué l’exposition et l’institution culturelle qu’est le MoMA dans le tournant architectural des 30 dernières années. “ ‘Deconstructivist Architecture’ canonised seven starchitects alongside one academic. Yet the show’s importance arguably lay in its exhibitionist quality – both what it produced in the media via the turmoil it created and the value or values produced therein. Content became a by-product. For all the critiques of form and style that were canonised and attached to the deconstructivist exhibition, and to the ideological positions of the museum and Johnson, the covert strategies and tactics were politically staged via the media.”3 L’importance attribuée à cette exposition fut en partie due aux au bourdonnement des voix critiques l’ayant attendue avec impatience. Toutefois, elle peut également être octroyée à l’invention, ou l’officialisation d’un terme jusqu’alors inconnu : l’architecture déconstructiviste. En effet, les polémiques ont été tout d’abord causées par ce terme. Tandis que certains intervenants se sont montrés conscients de l’aspect mystique de l’exposition montée par Philip Johnson, d’autres ont pris cette formalisation d’un nouveau style et mouvement comme une réalité affirmée par un tel musée. En rétrospective, il semble que l’exposition n’ait pas eu pour but de constituer un style dominant ou un mouvement. Cependant, la transposition d’un terme philosophique à l’architecture n’a fait que réveiller l’esprit critique des orateurs. Pourtant, il est étonnant de voir que le nom donné à l’exposition n’était pas fixé dès lors qu’elle fut d’abord baptisée Violated Perfection, puis Neo-Constructivism, avant de finalement prendre le titre de Deconstructivist Architecture. Dans un article du New York Times daté du 26 juin 1988, Paul Golberger écrit : “ ‘Deconstructivism’ has been the talk of the architecture world for the last season, the latest trend to excite an increasingly fashion-conscious architectural public. To speak the word now is to think less about the architecture itself than about the peculiar nature of architectural culture now – of late, the word ‘deconstructivism’ has tended to call to mind ‘trend’ and ‘publicity’ more than any specific building.”4 Par ailleurs, dès le vernissage de l’exposition, James Wines suggère que « comme l’exposition au MoMA a inclus des professionnels de réussites considérables ayant des idées en commun, il aurait été plus approprié de nommer 3 : ID. « Exhibitionism as Inquiry? », dans OASE, n° 88, 2012, p.41 4 : Goldberger, P. « Architecture view ; Theories as the Building Blocks for a New Style » dans New York Times, 26 juin 1988

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DÉCONSTRUCTION AU MOMA cet évènement ‘néo-Constructivisme’ ou ‘architectes travaillant dans le courant de la tradition constructiviste’. »5. Des débats prennent donc place autour du titre choisi par les curateurs. Si les termes déconstruction, déconstructionisme, déconstructioniste, et déconstructive étaient déjà présents dans la théorie de l’architecture depuis le milieu des années 1980, le mot déconstructivisme n’existait pas avant l’annonce de l’exposition au MoMA. Comme le Style International, le déconstructivisme pouvait exprimer les positions théoriques établies par, entre autres, Jacques Derrida en philosophie et Mark Wigley, Peter Eisenman, Bernard Tschumi et Jeffrey Kipnis en architecture. Parmi eux, Wigley et Derrida semblent être les plus à même de clarifier le discours déconstructif appliqué à l’architecture. Lors d’une discussion avec Christopher Norris à propos de la déconstruction, Derrida énonce une règle : « à chaque fois que la Déconstruction parle au travers d’une seule voix, c’est faux, ce n’est plus de la Déconstruction. »6. La Jacques Derrida en conversation avec création de ce terme ne serait-elle alors pas Christopher Norris, mars 1988 l’objet de la stratégie mise en place par cette exposition ? La réaction de Charles Jencks ne se fit évidemment pas attendre : « il y a un large fossé à creuser entre un Déconstructiviste et un Déconstructioniste. »7. Il semblerait que le but ultime de cet évènement ait donc été d’engager un débat dans le domaine de la théorie critique. L’ambivalence du terme, l’hétérogénéité des exégèses apportées par les curateurs de l’exposition, elles-mêmes accentuées par les sources diverses ayant donné racine à l’évènement, permettent de saisir la tactique mise en place pour inciter à la discussion. Vingt-trois ans plus tard, lors d’un entretien rétrospectif sur l’exposition, Wigley nous confie : “ It was controversial [the reaction to the show]. It was meant to be supercontroversial.”8

5 : Wines, J. « The Slippery Floor » dans Papadakis A., C. Cooke et A. E. Benjamin. Deconstruction: Omnibus Volume, Academy Editions, 1989, p.135 __ * 6 : Derrida, J. « Jacques Derrida in Discussion with Christopher Norris » dans Papadakis A., C. Cooke et A. E. Benjamin. Deconstruction: Omnibus Volume, Academy Editions, 1989, p.75 __ * 7 : Jencks, C. « Peter Eisenman, An Architectural Design Interview by Charles Jencks » dans Architectural Design, Profile 72, ‘Deconstruction in Architecture’, vol.58, n° 3/4, 1988, p.58 __ * 8 : Wigley, M. et M. C. Pedersen. « Deconstructivism ; The Kamikaze Mission », dans Metropolis 30, n° 9, 2011

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DÉCONSTRUCTION AU MOMA

II. GENÈSE DE L’EXPOSITION L’exposition Deconstructivist Architecture prend part dans une lignée d’expositions architecturales mises en place au MoMA entre 1932 et 1988. Le but de ces expositions était de se concentrer sur une pensée conceptuelle illustrant l’actualité de la construction de la pensée architecturale. À chaque fois, elles se basaient également sur la démonstration de l’existence d’un style par la mise en exergue d’un caractère graphique et visuel qui lui soit propre. La première, Modern Architecture : International Exhibition, plus tard baptisée International Style prit place en 1932. Henry Russell Hitchcock et Philip Johnson en étaient les curateurs. Conformément à son incroyable succès, elle indiqua la marche à suivre pour les expositions à venir. Elle fut suivie de Machine Art en 1934, d’une exposition sur Le Corbusier en 1935, de plusieurs expositions à propos de Mies Van Der Rohe, puis de Committee of Architects for the Study of the Environment en 1969, qui fut le point de départ de la création des New York Five, ainsi que de The Architecture of the École des Modern Architecture: International Exhibition MoMA, 1932 Beaux Arts, en 1975. Un élément important pour saisir le contexte de l’exposition faisant l’objet de cette étude est la publication en 1966 de l’ouvrage de Robert Venturi, Complexity and Contradiction in Architecture, par le MoMA. En effet, cela change radicalement la nature du design architectural représenté par l’institution. Il s’agit d’une réaction au dogme et à la simplicité du Style International. Venturi décide de changer complètement la manière de considérer la forme en architecture. Il recherche alors les possibilités d’un bâtiment à communiquer à travers la diversité de ses aspects visuels. Dès lors, il devient donc l’avocat de l’ambiguïté de la forme et des ornements en architecture, symbole du postmodernisme, terme apparu dans les années 1970 lorsque des théoriciens de l’architecture tels que Charles Jencks y apportent leur soutien. Le terme devient alors petit à petit associé à un style visuel particulier, se référant à des modèles historiques pour parvenir à communiquer avec son public. On commence à comprendre qu’il s’agit d’une réaction à l’encontre du mouvement 22


DÉCONSTRUCTION AU MOMA moderne. Finalement, les éléments d’un bâtiment doivent être reconnaissables, dessinés sur base de notre culture et de notre histoire. Au sein du MoMA, le mouvement postmoderne est donc très estimé. Non seulement c’est le musée qui publia l’ouvrage de Robert Venturi, ce dernier ayant une grande influence sur la pensée critique de l’architecture, mais c’est aussi au sein de l’institut que les choses changèrent et s’éloignèrent de la conception d’exposition sur les avant-gardes pour se rapprocher de The Architecture of the Ecole des Beaux Arts MoMA, 1975 celles qui lançaient un regard en arrière sur les précédents historiques jusqu’alors oubliés. Dans le courant de l’apparition de ces pensées historicistes, notons l’importance de l’exposition The Architecture of the École des Beaux Arts, mise en place en 1975. En effet, l’Académie française ayant toujours eu pour tradition de promouvoir l’architecture classique, le fait que le MoMA se tourne vers une exposition purement historique indique alors la forme historiciste que prennent les années 1970 et 1980. C’est au début des années 1980 que Gerald D.Hines9, dans le cadre d’un ‘cadeau d’entreprise’, décide de sponsoriser une série de cinq expositions d’architecture au MoMA. En effet, dans une publication du MoMA du 18 septembre 1984, il est noté : « Gerald D. Hines Interest, the national development company that has gained widespread recognition for its architecturally distinguished buildings, will sponsor a series of five architecture exhibitions at New York’s Museum of Modern Art (...) The exhibitions will focus on current developments in modern architecture and will take place at approximately one-year intervals. The series is the first of its kind at any museum in the United States to be supported by a corporate gift, and will include the publication of catalogues to accompany the exhibitions as well as lectures and symposia. Work by the Spanish architect Ricardo Bofill and the London-based architect Leon Krier will be shown in the inaugural exhibition, scheduled for next June. »10. Deconstructivist Architecture fut la troisième exposition de cette série, précédée d’une exposition portant sur le travail de Mario Botta, et suivie de Emilio Ambasz et Steven Holl, puis, pour clôturer, d’une introduction au travail de Tadao Ando.

9 : Gerald D. Hines est le fondateur et directeur de Hines, entreprise immobilière privée fondée en 1957. 10 : The Museum of Modern Art. « Gerald D.Hines Interests Development Company Sponsors Architecture Series at the Museum of Modern Art » dans MoMA Press Archives, 18 septembre 1984, p.1

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DÉCONSTRUCTION AU MOMA Lorsque D.Hines proposa sa série d’expositions en 1984, Philip Johnson avait déjà 78 ans. De par son succès en tant que directeur du département d’architecture et de design du MoMA, ainsi qu’en tant que curateur et quelques fois architecte, Johnson semblait être le candidat idéal pour l’exposition. Schulze explique que « même s’il n’y a jamais eu de clair accord sur le mérite de Philip dans le domaine de l’architecture dans les années 1980, il serait juste d’affirmer qu’il arriva à la fin de la décennie plus connu que jamais (...) »11. Dans un article pour le New York Times daté de peu après l’ouverture de l’exposition, Paul Goldberger dresse même le tableau d’un « Philip Johnson, qui est le plus grand seigneur de l’architecture des dernières 50 années (...) »12. Son implication dans l’exposition Deconstructivist Architecture est alors à l’image de l’héritage théorique qu’il portait en lui, mais aussi de l’architecture qu’il concevait et promouvait. Tandis que les premières intentions architecturales de Johnson adhéraient au dogme du Style International, il semblerait qu’au cours des années 1950 ses idées changèrent de direction et s’orientèrent vers la tendance postmoderniste, lorsqu’il commença à introduire dans ses bâtiments des références déguisées aux modèles historiques. À ce moment, on le voit donc s’éloigner des pensées de son idole et mentor, Mies Van Der Rohe. C’est là qu’il commence à apprécier un « éclectisme basé sur l’histoire »13. En 1954, il donne une conférence qualifiée d’informelle à des étudiants de Harvard qu’il nomme The Seven Crutches of Modern Architecture. Franz Schulze caractérise cette dernière comme une attaque contre tout ce que l’architecture moderne symbolisait lors de l’exposition en 1932. En effet, dans ce discours, il constitue un panel Philip Johnson en conférence à Harvard, des sept ‘étançons’ soutenant l’architecture 1954 moderne : l’histoire, le beau dessin, l’utilité, le confort, la rentabilité, le service au client, et la structure. À plusieurs moments, cette conférence nous donne des indices sur le changement de direction de Johnson. Par exemple, notons que son explication du point sur la structure présage son futur enthousiasme pour l’exposition Deconstructivist Architecture, qui mettra l’accent sur les tectoniques structurelles de l’avant-garde russe que les curateurs soulignent par ces « diagonales chevauchant des barres rectangulaires ou trapézoïdales » 14 dans le catalogue de l’exposition : 11 : Schulze, F. Philip Johnson: Life and Work, 1st Ed. New York: Knopf, 1994, p. 371 __ * 12 : Goldberger, Paul. « Architecture view ; Theories as the Building Blocks for a New Style » dans New York Times, 26 juin 1988 __ * 13 : Schulze, F. Op. cit., p. 251 __ * 14 : Johnson, P., et M. Wigley. Deconstructivist Architecture. Museum of Modern Art, New York, 1988, p.7 __ *

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DÉCONSTRUCTION AU MOMA “ Structure is a very dangerous thing to cling to. You can be led to believe that clear structure clearly expressed will end up being architecture by itself. You say ‘I don’t have to design anymore. All I have to do is make a clean structural order.’ I have believed this off and on myself. It’s a very nice crutch, you see, because, after all, you can’t mess up a building too badly if the bays are all equal and all the windows the same size.”15

Johnson en couverture de Time 1979

Le 8 janvier 1979, un an après la construction du bâtiment AT&T, Johnson fait la couverture du magazine Time, une maquette de ce dernier dans les mains, en tant que figure du mouvement postmoderniste en architecture. Dans l’article qui lui est dédié, Robert Hughes le nomme comme pilier de la tendance apparue dans les années 1960. En effet, il affirme que « le partenaire le plus proche du postmodernisme est, en fait, le leader des architectes américains de sa génération : Philip Cortelyou Johnson. »16. Cet article pourrait être perçu comme le point culminant de la célébrité de Johnson, ainsi que la légitimation du postmodernisme dans la construction de gratte-ciels. En 1989, Mary McLeod écrit :

“ With amazing rapidity, postmodernism became ‘the’ new corporate style, after Philip Johnson’s notorious Chippendale top for AT&T instantly convinced patrons of its marketability and prestige value.”17 C’est alors qu’en 1985 Johnson fut introduit à Gerald D.Hines, qui lui demanda de construire un autre gratte-ciel post-moderne pour son entreprise immobilière à Houston, juste après le succès du bâtiment AT&T en 1984. 18 Tandis que le mouvement postmoderniste prenait de plus en plus d’ampleur jusqu’au début des années 1980, un autre mouvement se formait en parallèle, un mouvement qui refusait de se baser sur des références historiques et qui souhaitait prolonger ce que les modernistes avaient entrepris. En 1984, Paul Florian et Stephen Wierzbowski développent à l’université de Chicago la prémisse d’une exposition qui expliquerait le potentiel de cette nouvelle tendance architecturale. Ils avaient nommé l’exposition Violated Perfection : the Meaning of the Architectural Fragment. Cependant, ils ne trouvèrent 15 : Johnson, P. « The Seven Crutches of Modern Architecture », dans Perspecta, vol. 3, 1955, p.43 16 : Hughes, R. « U.S. Architects doing their Own Thing », dans Time, 8 janvier 1979 __ * 17 : McLeod, M. « Architecture and Politics in the Reagan Era: From Postmodernism to Deconstructivism. » dans Assemblage, n° 8, 1989, p.29 18 : Schulze, F. Philip Johnson: Life and Work, 1st Ed. New York: Knopf, 1994, pp. 228-317

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pas les fonds pour mettre en place leur projet. Ils se tournèrent alors vers Aaron Betsky, architecte travaillant pour Frank Gehry, et lui demandèrent de proposer le projet à d’autres institutions, telles que le MoMA.

AT&T Building, New York, 1978

Lorsque Johnson entend parler de l’exposition, il souhaite alors instinctivement la mettre en œuvre. C’est pour lui une opportunité de se distinguer de l’image de curateur qu’il a gardé depuis International Style en 1932. De plus, il soutient à cette époque qu’il existe une controverse et une complexité souvent contradictoire dans la théorie de l’architecture. Dans l’introduction du catalogue de l’exposition, il soutient qu’« en art comme en architecture, il y a beaucoup de tendances — contradictoires — dans notre génération aux transformations rapides. »19. L’exposition paraît donc être la bonne occasion pour l’architecte de justifier ses propres changements de direction en énonçant la disparité des styles présents en architecture.

19 : Johnson, P., & M. Wigley. Deconstructivist Architecture. Museum of Modern Art, New York, 1988, p.8 __ *

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III. LIMITATION DE STYLES & PARADOXES Dans le courant des années 1980, on assiste à un retour des intérêts intellectuels et artistiques vers l’avant-garde russe des années 1920. En effet, de nombreuses expositions faisant un retour sur cette période sont mises en place dans les institutions d’art à cette époque. Entre autres, le MoMA met en œuvre Constructivism in Poland : 1923-1936 en 1976, puis Russia : The Avant-Garde en 1979, le musée Guggenheim expose Art of the Avant-Garde in Russia : Selections from the Georges Costakis Collection en 1981, et après Deconstructivist Architecture en 1990, le MoMA montre Architectural Drawings of the Russian Avant-Garde en 1990. Comme nous l’avons déjà relevé, le catalogue de l’exposition rédigé par Philip Johnson et Mark Wigley est une tentative claire d’établir un lien entre le constructivisme russe (avec des œuvres de Malevich ou Tatlin par exemple) et les projets des jeunes architectes exposés. C’est d’ailleurs cette association purement stylistique et visuelle, souvent qualifiée d’ambiguë et sans fondement, qui est à la base de toutes les polémiques engendrées par l’exposition, ces dernières également accentuées par l’utilisation du terme déconstructivisme. En effet, lors de la rédaction du catalogue, Johnson et Wigley ne cessent d’insister sur cette relation stylistique impliquée par des ‘connexions visuelles’ entre les deux mouvements. Johnson insinue même que les architectes eux-mêmes ne sont pas réellement conscients de leurs inspirations : “Since no forms come out of nowhere, but are inevitably related to previous forms, it is perhaps not strange that the new forms of deconstructivist architecture hark back to Russian Constructivism of the second and third decades of this century. I am fascinated by these formal similarities (...) to the Russian movement (...) Some of these similarities are unknown to the younger architects themselves, let alone premeditated.” 20 Pourtant, il semblerait que Charles Jencks ne soit pas tout à fait d’accord avec les actes ‘inconscients’ de ces jeunes architectes : « L’esthétique néo-constructiviste identifie le travail de Gehry avec celui de designers tels que Rem Koolhaas, 20 : Johnson, P., & M. Wigley. Deconstructivist Architecture. Museum of Modern Art, New York, 1988, p.7

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DÉCONSTRUCTION AU MOMA Arquitectonica, Zaha Hadid et Bernard Tschumi en une ‘école’ clairement identifiable. Tandis que Gehry tend à faire revivre les débuts du constructivisme (...), Koolhaas et Hadid se penchent vers la fin du constructivisme (le travail de Leonidov), et Tschumi vers le plus mûr des pratiquants de ce style — Chernikhov »21. Il n’est par ailleurs pas le seul à affirmer l’existence d’une influence constructiviste sur les architectes présents à l’exposition. En effet, dans le numéro de Architectural Design consacré à la déconstruction en architecture, Catherine Cooke explique que « Rem Koolhaas, par exemple, a voyagé en Union soviétique pour voir les dessins et peintures de Ivan Leonidov, en chair et en os et en quantité, lorsque très peu de son travail avait déjà été publié. »22, de même que « Zaha Hadid, élève de Rem Koolhaas, (...) qui envisage aussi le rôle fondamental de l’exercice universitaire des ‘arkhitektoniki’ tridimensionnels de Malevich »23. De plus, Christina Lodder, dans son ouvrage Russian Constructivism publié en 1983, soutient que ce serait avoir mal saisi le mouvement avant-gardiste que de penser qu’il consistait seulement en des valeurs esthétiques : “In Western literature Constructivism has been portrayed as a movement primarily concerned with aesthetics (...) In reality it was something much wider: an approach to working with materials, within a certain conception of their potential as active participants in the process of social and political transformation.”24 Le catalogue de l’exposition dévoile alors le manque de fondements théoriques de l’exposition mise en œuvre. Philip Johnson soutient l’idée que la relation est purement stylistique et visuelle lorsqu’il dit : « Take the most obvious formal themerepeated by everyone of the artists: the diagonal overlapping of rectangular or trapezoidal bars »25, tandis que Wigley affirme que la présente tendance consiste en une architecture qui évoque une tension provenant de l’avant-garde russe, elle-même située à l’intérieure de projets ayant la peau de l’architecture moderne. Pour lui, c’est une Vue sur la première salle de l’exposition forme de modernisme qui se trouve donc Deconstructivist Architecture, MoMA, 1988 être irritée par cette tension constructiviste 21 : Jencks, C. « Deconstruction: The Pleasures of Absence » dans Papadakis, A., C. Cooke et A.E. Benjamin, Deconstruction, Omnibus Volume, Academy Editions, 1989, p.20 __ * 22 : Cooke, C. « Russian Precursors » dans Papadakis, A., C. Cooke et B. E. Andrew, Deconstruction, Omnibus Volume, Academy Editions, 1989, p.18 __ * 23 : Loc. cit. __ * 24 : Lodder, C. Russian Constructivism, New Haven London, Yale University Press, 1985, p.1 25 : Johnson, P., et M. Wigley. Op. cit., p.7

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DÉCONSTRUCTION AU MOMA qui la déforme de l’intérieur : « Each of the projects in this exhibition explores the relationship between the instability of the early Russian avant-garde and the stability of high modernisation. »26. L’exposition est divisée en trois salles. Une première salle, incontournable pour accéder aux projets d’architecture, est vouée à la mise en scène d’œuvres provenant de l’avant-garde russe. Le visiteur est donc forcé à traverser un historique des suggestions artistiques du mouvement constructiviste. Des connexions visuelles sont étudiées pour sans cesse lui rappeler la connexion que l’on tente de faire entre les deux types d’œuvres. Dans la première salle, on trouve également les deux photographies présentées par Johnson dans l’introduction du catalogue. Tout d’abord, une image du Self-aligning ball bearing de 1929 que Johnson avait inclus dans l’exposition Self-aligning Ball bearing, Machine Art en 1934, juxtaposée avec une photo d’une 1929 maison vétuste et abandonnée datant du 19e siècle. Johnson explique alors que chacune de ces images est belle pour une raison qui lui est propre : l’image du roulement à billes eut du succès dans les années 1930, pour sa pureté, sa perfection, sa singularité et ses lignes précises, tandis que la maison aurait plus de pertinence vis-à-vis d’un public des années 1980, pour son imperfection et son ambiguïté. Il faut croire que Johnson essayait par le biais de ces images de légitimer Spring house, Nevada, 1960s la disparité de l’architecture dérangée, imparfaite et choquante exposée dans les salles suivantes. Il parle alors de contrastes et écrit : « Le contraste est entre la perfection et la perfection violée. »27. Dès lors, le fait qu’il ait choisi de placer ces deux images dans la même salle que les œuvres constructivistes semble accentuer le manque de lucidité et de clarté des intentions exprimées dans la mise en place de l’exposition. Étrangement, Mark Wigley insiste aussi sur cette relation entre l’architecture déconstructiviste et l’avant-garde russe, tout en niant totalement l’existence d’un fondement théorique de l’exposition. En effet, il nie le rapport avec le structuralisme 26 : Ibid., p.16 27 : Ibid., p.8 __ *

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DÉCONSTRUCTION AU MOMA ou le poststructuralisme linguistique, bien qu’il ait lui-même écrit une thèse à propos du poststructuralisme et de la déconstruction dans la philosophie linguistique de Jacques Derrida. Pourtant, le contexte intellectuel paraît clair. L’exposition se nomme Deconstructivist Architecture, les postmodernistes expriment un désir d’exploiter la capacité communicative des bâtiments, les architectes contemporains tels que Venturi, Eisenman, Jencks ou Tschumi ne cessent alors de parler d’architecture avec des termes provenant de la philosophie linguistique, et pour finir Derrida vient d’entamer une collaboration sur un projet d’architecture avec deux des architectes exposés : Bernard Tschumi et Peter Eisenman pour le Parc de la Villette à Paris. En outre, toutes ces coïncidences ne semblent pas atteindre les deux curateurs qui, pour on ne sait quelle raison, préfèrent alors lier l’architecture exposée au constructivisme russe, et ce seulement pour des raisons de styles graphiques et visuels.

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IV. UNE PATERNITÉ DISPUTÉE Nombreuses ont été et sont encore les rumeurs à propos du ‘vol’ ou de l’emprunt du titre et du concept de l’exposition par Philip Johnson. Comme nous l’avons déjà relevé, l’idée de l’exposition serait apparue au sein de l’université d’Illinois à Chicago, dans un projet mis en œuvre par Paul Florian et Stephen Wierzbowski. Certains soutiennent même que Aaron Betsky était également à l’origine du projet, tandis que d’autres expliquent que ce dernier fut impliqué dans l’affaire seulement lorsque Florian et Wierzbowski, n’ayant pas obtenu les fonds suffisants, l’auraient incité à proposer leur projet à des institutions muséales. Notons par exemple que James Wines suggère qu’« il y eut des rumeurs à propos d’une exposition planifiée par plusieurs architectes à l’université — Paul Florian, Stephen Wierzbowski et Aaron Betsky — qui devait parler du nouveau phénomène »28. Dans un article de ID Magazine publié en septembre 1988, Robert Janjigian exprime son mécontentement face au fait que Johnson ait « suivi la mode » en s’étant approprié l’idée de quelques « architectes avec des noms moins proéminents » que le sien et qui voulaient organiser une exposition d’architectes « qui ne fassent pas partie du courant postmoderne » 29. De son côté, James Wines, déçu de ne pas avoir été invité à exposer les travaux de son agence SITE, explique que « Johnson et Eisenman ont simplement volé l’idée de l’exposition ‘Violated Perfection’ et l’ont renommée ‘Deconstructivist Architecture’ »30. Cependant, le titre de l’exposition ayant été changé pour Deconstructivist Architecture, et le concept de Florian et Wierzbowski n’étant clairement représenté que dans le livre publié en 1990 par Aaron Betsky, Johnson ne semblait pas avoir la mauvaise conscience d’un individu ayant ‘volé’ une idée. Tandis que l’exposition a souvent été définie comme avant-gardiste, donnant naissance à un nouveau mouvement de l’architecture et légitimisant le terme de déconstructivisme, en 1988 il s’agissait d’une exposition historique, qui avait pour but de résumer les débats théoriques de la dernière décennie, ayant pris place à la fois à l’intérieur des musées et des écoles d’architecture aux États-Unis et en Europe. Bien 28 : Wines, J. « The Slippery Floor » dans Papadakis A., C. Cooke et B. E. Andrew. Deconstruction: Omnibus Volume, Academy Editions, 1989, p.136 __ * 29 : Janjigian, R. « Deconstructive Architecture », dans ID Magazine, septembre/octobre 1988 30 : Wines, J. Op. cit., p.136 __ *

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DÉCONSTRUCTION AU MOMA que l’exposition fut perçue comme un phénomène new-yorkais, il s’agissait, dans la lignée du temps et des évènements, de l’exportation des débats centrés à Londres, particulièrement à la Architectural Association, où l’on assistait à une convergence des pensées sous la direction de Alvin Boyarsky. En effet, dans la préface du catalogue de l’exposition, Philip Johnson fait allusion à l’école comme cœur fondateur de la pensée qu’il souhaite exposer : “Special acknowledgment must go to Alvin Boyarsky and the Architectural Association of London, who acted as the key patron of most of the seven architects in their formative years. The A.A. has been the fertile soil from which many a new idea in architecture has sprouted.”31 Dans ce regroupement théorique de pensées pourtant géographiquement déconnectées, il faut également saisir l’importance de l’IAUS (Institute for Architecture and Urban Studies), fondé en 1967 par Peter Eisenman et Arthur Drexler. Dans une interview de Peter Eisenman par Alvin Boyarsky le 20 janvier 1975 à propos de la fondation de l’IAUS, Eisenman explique : « Tout a commencé quand je suis venu pour la première fois en Angleterre en 1960 (...) J’ai réalisé que l’architecture était un mode de vie à l’époque, pas seulement pour les architectes, mais aussi pour un public plus large, qui s’intéressait de manière générale à l’architecture (...) En rentrant d’Angleterre, j’ai été à Princeton pour enseigner. (...) Je soutenais l’idée que l’on devait construire une sorte d’hybride, peut-être très semblable au modèle de la AA (...) où l’on pourrait emmener des étudiants dans un climat où il y aurait une situation de la pratique en cours de même qu’une situation de la théorie, où ils pourraient comprendre la relation avec la théorie, et dans leur travail théorique voir une relation avec la pratique. Celles-ci étaient les intentions de base de l’Institut. »32. Si le climat de la pensée théorique en architecture à l’époque a été un élément important face à la direction prise par l’exposition Deconstructivist Architecture, la AA et l’IAUS, y sont certainement pour beaucoup. En parlant de la tendance ‘déconstructiviste’ en relation avec le postmodernisme, Mary Mc Leod explique que : « (...) cette seconde tendance a été explicitement internationale depuis le début, avec l’Architectural Association à Londres et l’Institute for Architecture and Urban Studies à New York, tous deux des centres d’échanges internationaux, les plus larges liaisons communes. »33. Par ailleurs, Aaron Betsky soutient également cette image des deux institutions comme investigatrices de la forme critique de la théorie en architecture : 31 : Johnson, P., et M. Wigley. Deconstructivist Architecture. Museum of Modern Art, New York, 1988, p.9 32 : Eisenman, P., et al. Supercritical: Peter Eisenman & Rem Koolhaas, vol. 1, Architectural Association, London, 2010, pp. 84-85 __ * 33 : McLeod, M. « Architecture and Politics in the Reagan Era: From Postmodernism to Deconstructivism. » dans Assemblage, n° 8, 1989, p.44 __*

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DÉCONSTRUCTION AU MOMA “More than anything else, the A.A. and the I.A.U.S. validated the investigation of architectural issues as a form of criticism. They developed an integration of historical research with architectural form, a visionary projection of architectural possibilities, and an analytical deconstruction of existing reality – proposing oppositional architectural strategies. Four figures investigated these issues so extensively that they became gurus of late modernism: Rem Koolhaas, Bernard Tschumi, Daniel Libeskind, and James Wines.”34 L’Institute for Architecture and Urban Studies ferme ses portes en 1982. À ce moment, un lien s’est créé entre Peter Eisenman et Philip Johnson en raison de l’implication informelle de ce dernier dans le financement des publications et expositions de l’institut35. Pour certains, l’exposition Deconstructivist Architecture consistait en une tentative de faire revivre l’institut fraîchement disparu. Par exemple, James Wines explique : “Unfortunately, the MoMA exhibition was not about content, debate and criticism. It was about politics. Its greatest virtue was that it displayed the work of some exceptionally talented professionals, whatever their philosophies and the show’s dubious premises. Otherwise, it was a belated attempt to resurrect the moribund agendas of the defunct Institute for Architecture and Urban Studies and to revive Modernism (this time in Constructivist guises) for its final round.”36 En résumé, il n’est pas simple de définir les éléments ayant mené à un évènement tel que l’exposition Deconstructivist Architecture. Cependant, nous pouvons exprimer une à une les implications de chacun, et comprendre cet évènement comme un phénomène provenant d’un contexte global et international plutôt que d’en esquisser la responsabilité ou la paternité d’un acteur par rapport à un autre. Le but du travail étant de démontrer que l’environnement de l’époque était propice à ce genre d’évènement, nous ne souhaitons pas attribuer une quelconque imputabilité à une personne en particulier, mais plutôt dresser le tableau de ce moment particulier dans l’histoire récente de l’architecture.

34 : Betsky, A. Violated Perfection, New York: Rizzoli, 1990, p.62 35 : cf. infra, Peter Eisenman : le curateur dans l’ombre 36 : Wines, J. Op. cit., p.138

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Il est indéniable que Paul Florian, Stephen Wierzbowski, Aaron Betsky et Mark Wigley, ont participé dans des mesures variées à la conception de l’exposition au MoMA. Chacun d’entre ces jeunes architectes aspirait au succès certain de son éventuelle collaboration avec Philip Johnson. Bien que Florian et Wierzbowski furent visiblement à l’origine de l’exposition de par leur proposition nommée Violated Perfection, ces derniers furent très rapidement exclus du montage de l’exposition au MoMA. De son côté, Aaron Betsky fut le contact entre Philip Johnson et Violated Perfection, lui-même écrivant un ouvrage sur le sujet qui sera publié en 1990. Le livre entend énoncer les formes discursives d’une architecture guidée par les nouvelles technologies, une approche de la déconstruction qui semble plus complexe que celle que Johnson réduit à sa relation aux formes du constructivisme russe dans l’exposition. Mark Wigley, cocurateur de Philip Johnson, est introduit à ce dernier par le biais de Peter Eisenman, acolyte de Johnson depuis leur collaboration à l’Institute for Architecture and Urban Studies à New York. Wigley, ayant écrit une thèse à propos de Derrida, et étant sur le point de publier un livre sur le sujet, ne fait aucune allusion au philosophe dans le catalogue de l’exposition. Cette paternité disputée, et la disparité des pensées de chacun des acteurs, officiels ou non, de cette exposition, semblent avoir mené le public à de nombreuses confusions vis-à-vis de l’héritage de l’évènement.

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CHAPITRE II :

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ÉVÈNEMENTS & AUTEURS COLLATÉRAUX

I. TECHNOLOGIES & ARCHITECTURE : AARON BETSKY & « VIOLATED PERFECTION » Les avis sur l’implication de Aaron Betsky dans l’exposition Deconstructivist Architecture diffèrent fortement. Certains s’accorderaient à dire que ce dernier aurait volé l’idée de l’exposition Violated Perfection pour la faire sienne. En effet, Florian et Wierzbowski, n’ayant pas été capables d’obtenir des fonds suffisants pour mettre en place leur propre exposition à l’université d’Illinois à Chicago, firent appel à Aaron Betsky, jeune architecte du bureau de Frank Gehry, et lui demandèrent de proposer l’exposition à d’autres institutions, le MoMA en faisant partie.1 Premièrement, Betsky prit la décision de publier un livre intitulé Violated Perfection, avant même de proposer l’exposition. Celui-ci fut en effet accepté par les éditions Rizzoli Press, qui le publièrent par la suite en 1990. Ensuite, il proposa l’idée de l’exposition à Philip Johnson, qui s’empressa d’y voir un grand potentiel et le fait que l’idée avait été émise en premier lieu par Florian et Wierzbowski fut très vite oubliée. En effet, c’est seulement à la fin de la préface du catalogue de l’exposition, lorsque Johnson remercie Aaron Betsky pour la publication de son livre sur le thème de l’exposition, qu’il cite Paul Florian et Stephen Wierzbowski comme étant à l’origine du titre du livre : “I must thank (...) Aaron Betsky, who called my attention to the telling phrase ‘violated perfection’ – originating from the title of an exhibition proposed by the team of Paul Florian and Stephen Wierzborski for the University of Illinois.”2 Pourtant, il semblerait que l’idée originale de Violated Perfection fut considérablement transformée au profit de Deconstructivist Architecture. Tout d’abord, l’exposition proposée par les deux professeurs de l’université de Chicago portait le nom de Violated Perfection : The Meaning of the Architectural Fragment, et devait porter sur le conflit entre l’historicité et la technologie. Ce qui différencie donc l’exposition mise en place au MoMA du concept original est majoritairement le fait que la technologie, composant central de ce dernier, fut abandonnée pour la relation formelle implicite des projets exposés au constructivisme russe. Dans le livre de Aaron Betsky, la technologie reste un facteur central de l’idée mise en avant. Bien 1 : Kraft, S. Dekonstruktivismus in der Architektur ? : Eine Analyse der Ausstellung ‘Deconstructivist Architecture’ im New Yorker Museum of Modern Art 1988, transcript Verlag, 2015, p.27-28 2 : Johnson, P., & M. Wigley. Deconstructivist Architecture. Museum of Modern Art, New York, 1988, p.9

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ÉVÈNEMENTS & AUTEURS COLLATÉRAUX qu’il n’explique pas exactement ce qu’il sous-entend par ‘technologie’, il regroupe une sélection d’architectes qui, à son sens, utilisent la technologie pour concevoir une architecture qui répond à l’air du temps : “Our landscape is one of technology: its satyr are robots. We must learn to inhabit this scene. A growing number of young designers are moving into the realm of the modern world. They are investigating the possibility of an architecture of empowerment, an appropriation of technology. This architecture will be a critical artifacting allowing us to break open the absent world and place us in a mapped and mirrored construction we identify as our world. Their constructions cannot be pure heterotopias, because such places cannot be stable objects. Instead, these designers plot strategies, deconstruct realities, and make.”3 Les chapitres du livre dressent le tableau de l’apport de la technologie au travail des architectes. Dans le chapitre intitulé « Four Godfathers »4, contrairement à ce qui est expliqué dans le catalogue de l’exposition, on voit apparaître des architectes qui, comme Venturi, font partie du mouvement postmoderniste en architecture. Johnson et Wigley, eux, voient l’exposition Deconstructivist Architecture comme une mise à mort de ce mouvement5. Pourtant, Betsky émet une hypothèse sur les pères fondateurs de cette nouvelle forme technomorphique de l’architecture : Venturi, Eisenman, Hejduk et Gehry. Il explique que « Robert Venturi a fait valoir un nouveau genre de design, reconnaissant la communication électronique comme la base du dernier cycle Building as sign, de production et de consommation (...) »6. Venturi & Scott Brown,1970 Tandis que la technologie est à la base de l’ouvrage de Betsky, la théorie linguistique de la déconstruction pourrait faire partie des éléments fondateurs de sa pensée. En effet, bien que toujours en relation à la technologie, lorsque Betsky énumère les quatre parrains de l’architecture qu’il décrit, il les regroupe de par leur intérêt commun dans la nature communicative des bâtiments : “They propose that architecture as an activity can best be understood as process, communication, staging, or crafting, as an activity allowing the self to 3 : Betsky, A. Violated Perfection, New York: Rizzoli, 1990, p.33 4 : Ibid, p.37 5 : Wigley, M., et M. C. Pederson, « Deconstructivim: The Kamikaze Mission. », dans Metropolis 30, n° 9, 2011 6 : Betsky, A. Op. cit., p.37 __ *

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ÉVÈNEMENTS & AUTEURS COLLATÉRAUX be constituted in the remaking of the world.” 7 Toutefois, il paraît étrange que l’ouvrage, ayant été publié deux ans après l’exposition, ne fasse aucune allusion à la déconstruction appliquée à l’architecture. Pourtant, en 1988, les termes ‘deconstructionism’, ‘deconstructionist’, ‘deconstructive’, et ‘deconstructivism’ étaient tous très en vogue. En avril 1988, Paul Goldberger rédige un article pour le New York Times, sans faire allusion à l’exposition. Il déclare que, contrairement aux postmodernistes « les architectes de la génération actuelle ont peu d’intérêt dans la réutilisation de formes historiques ; pour eux, ceci est l’ancien modèle orthodoxe, tout comme le modernisme l’était pour Venturi et ses confrères »8. Il exprime également l’ennui qu’entraînerait une architecture qui ne change pas de style, mais indique qu’à son sens, l’architecture change trop vite, et que bien que le changement attire son attention, il ne pense pas qu’elle puisse survivre longtemps à ses transformations : “These younger architects have returned to modernism, not to reproduce its forms literally, but to take them apart and put them back together again in ways that are very much their own. Known frequently as deconstructivists, they celebrate discountinuity and incompleteness in their work.”9 Violated Perfection dépeint le tableau de tous les architectes présents à l’exposition Deconstructivist Architecture. Cependant, bien que Betsky remercie Philip Johnson au début de l’ouvrage, il ne fait pas allusion à l’exposition. Le titre du livre exprime précisément le concept promu. Aaron Betsky crée le large paysage versatile des architectes qui, d’après lui, violent la perfection en explorant des formes structurelles perturbées. Il tente de construire une linéarité historique dans les évènements et mouvements de la discipline qui auraient pu mener à ce tournant de l’architecture en passant par De Stijl, et par le constructivisme russe. Néanmoins, à la différence de l’exposition Deconstructivist Architecture, il ne donne pas tant d’importance à ce dernier. Bien que suscitant un intérêt certain, l’ouvrage semble quelque peu corrompu par la volonté de l’auteur de se démarquer des évènements qui l’entourent. En effet, il ne fait aucune référence au déconstructivisme ni à l’exposition. Il semblerait qu’il essaie en fait d’attirer le mérite d’une idée qui n’était pas la sienne à la base en publiant un ouvrage traitant du sujet de l’exposition, mais en y soustrayant tous les éléments les plus importants. De plus, le vaste échantillon d’architecture dont il traite dans le livre peut paraître légèrement confus. Il semble tenter de tout regrouper pour créer un fil conducteur différent de celui énoncé par les autres protagonistes du concept, et ce parfois de manière assez maladroite. 7 : Ibid, 1990, p.54 8 : Goldberger, P. « Inventive Solutions : Architecture: Cycles of Invention », New York Times, 10 avril 1988 __ * 9 : Loc. cit.

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II. POST-STRUCTURALISME :

MARK WIGLEY & LES POSSIBILITÉS DECONSTRUCTIVES DE L’ARCHITECTURE « The mission was obvious: to kill postmodernism. It was never said. It never had to be said. It was simply a group of people talking about new experiments, new ideas, and the need to discuss them. If that’s what the discussion was, all of the so-called debates about postmodernism would become immediately uninteresting.” 10 En 1987, Mark Wigley, architecte néo-zélandais âgé de 29 ans, venait de déposer sa thèse, Jacques Derrida and Architecture : The Deconstructive Possibilities of Architectural Discourse à l’Université de Auckland. Un an plus tard, il fut amené à être le curateur associé de Philip Johnson pour l’exposition Deconstructivist Architecture, ayant pour plus grande responsabilité la rédaction du catalogue de l’exposition. Dans une interview de 2011 à propos de l’exposition, Mark Wigley décrit cette dernière comme une tentative de mettre fin au postmodernisme. Il explique que Philip Johnson et lui-même souhaitaient rediriger le débat architectural, non pas en attaquant directement le mouvement postmoderniste, mais en proposant une conversation qui pourrait paraître plus intéressante. Par la suite, il exprime sa position contre la création Mark Wigley, de ce qu’il appelle un -isme. En effet, pour co-curateur de l’exposition lui, Deconstructivist Architecture était une attaque contre le isme fondé à nouveau par le mouvement postmoderniste. De la même manière, il exprime l’aspect négatif du terme modernisme, qu’il considère comme un terme super-négatif de par le regroupement qu’il fait d’expérimentations variées en une même école, un style, une approche préconçue, un isme. En 1985, il venait de finir sa dissertation sur Jacques Derrida. Cependant, dans le catalogue de l’exposition, il explique que les projets d’architecture choisis ne découlent en aucun cas de la théorie déconstructive du langage mise en place par le philosophe. Pour lui, la déconstruction n’est pas la démolition ou la dissimulation. La déconstruction 10 : Wigley, M., et M. C. Pederson, « Deconstructivim: The Kamikaze Mission. » dans Metropolis 30, n ° 9, 2011

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ÉVÈNEMENTS & AUTEURS COLLATÉRAUX gagne toutes ses qualités en défiant les lois de l’harmonie, de l’unité et de la stabilité. Elle propose une vision différente de la structure : les défauts doivent faire partie de la structure. “It is the ability to disturb our thinking about form that makes these projects deconstructive. It is not that they derive from the mode of contemporary philosophy known as ‘deconstruction’ ».11 À la manière de Philip Johnson, il parle également du fait que pour arriver à cela, les architectes exposés emploient les stratégies formelles développées par les constructivistes russes. En effet, c’est à partir du constructivisme russe que l’on a commencé à douter de la pensée traditionnelle de l’architecture. La similarité, pour Wigley, se trouve dans le fait que l’avant-garde russe était la première menace face aux règles de compositions classiques que nous connaissions. En somme, des formes ‘pures’ furent utilisées pour créer des compositions ‘impures’. Il exprime aussi le fait que cette exposition n’est ni une projection dans le futur ni la commémoration historiciste du passé. Elle tente simplement de « rentrer sous la peau de la tradition, et d’irriter cette dernière de l’intérieur »12. C’est là que se trouve, à son avis, le contraste avec ce que l’on nomme l’architecture post-moderne, mouvement qui faisait un travail historiciste en se référant aux symboles du passé pour passer outre les théories modernistes. “The deconstructive architect puts the pure forms of the architectural tradition on the couch and identifies the symptoms of a repressed impurity. The impurity is drawn to the surface by a combination of gentle coaxing and violent torture: the form is interrogated.”13 D’après Wigley, les projets exposés sont des projets où l’architecture évoque une tension provenant de l’avant-garde russe, elle-même située à l’intérieur de projets ayant la peau de l’architecture moderne. Le modernisme se trouve donc irrité par cette tension constructiviste qui le déforme de l’intérieur. Cependant, il insiste à nouveau sur le fait qu’il ne s’agit pas là d’un mouvement d’architecture, qu’il ne s’agit pas du déconstructivisme, mais d’architecture déconstructiviste. Les projets doivent donc être considérés en dehors de leur contexte théorique. Ils doivent être analysés d’un point de vue strictement formel parce que, selon lui, « la condition formelle d’un objet porte en elle toute sa force idéologique »14.

11 : 12 : 13 : 14 :

Johnson, P., et M. Wigley. Deconstructivist Architecture. Museum of Modern Art, New York, 1988, p.10 Ibid, p.18 __ * Ibid, p.11 Ibid, p.19 __ *

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ÉVÈNEMENTS & AUTEURS COLLATÉRAUX On retrouve ici encore tout le paradoxe lié au terme choisi pour le titre de l’exposition. De plus, pour poursuivre sa première dissertation sur Jacques Derrida en 1985, Mark Wigley publie en 1993 un livre intitulé The Architecture of Deconstruction : Derrida’s Haunt. Bien qu’il nia complètement le lien entre le philosophe et l’exposition dans le catalogue de cette dernière, le court délai entre l’exposition et la publication de l’ouvrage entraîne l’établissement d’une corrélation implicite entre l’architecture exposée et le post-structuralisme sujet aux écrits de l’auteur/ curateur. “The term is kind of a clumsy combination of constructivist and deconstruction.”15 Dans De la Grammatologie, Derrida, père de la déconstruction et du mouvement post-structuraliste que celle-ci a entraîné dans la philosophie linguistique, explique que les symboles visuels que l’on associe au langage ont un pouvoir de communication plus élevé que le mot lui-même16. Par cette théorie, son but est de démontrer que les structures binaires du langage associées à la philosophie occidentale (blanc/ noir, bien/mauvais, homme/femme) perturbent notre compréhension du langage, et compromettent la démocratie sociale à cause de leur hiérarchie implicite. C’est là qu’apparaît le terme de déconstruction : déconstruire ces binarités pourraient « révéler l’absence d’un transcendent signifié »17. Cela pourrait alors détruire le concept du signe. Le signe n’aurait plus de signification définie, le signe serait ouvert à toutes manipulations. Tout au long de son ouvrage, Mark Wigley essaie de démontrer que « l’architecture est la représentation matérielle de l’idée abstraite de la déconstruction »18. Il émet un lien qu’il qualifie de certain entre la philosophie et l’architecture, et le démontre par le biais de la présence perpétuelle de la notion de structure dans la philosophie. “The history of philosophy is therefore that of a series of substitutions for structure. Every reference to structure, no matter how oblique, is a reference to an edifice erected on, and marked by, the ground, an edifice from which the ground cannot be removed.”19

15 : Wigley, M., et M. C. Pederson, Op. cit. 16 : Derrida, J. De la Grammatologie. Paris : Les Editions de Minuit, 1967 17 : Tucker,T. D. Derridada: Duchamp as Readymade Deconstruction. Lanham, MD: Lexington Books, 2009, p.26 __ * 18 : Wigley, M. The Architecture of Deconstruction: Derrida’s Haunt. MIT Press, 1995, p.2 __ * 19 : Ibid, p.10

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Couverture de l’ouvrage de Wigley, 1995

La raison pour laquelle Mark Wigley nie la relation entre la théorie linguistique et l’exposition au MoMA reste donc un mystère. Pourtant, il semble évident qu’il existe un rapport clair entre les deux. En 1997, lorsque Charles Jencks dresse un tableau des théories et manifestes de l’architecture contemporaine, il y place Mark Wigley et l’Architecture Deconstructiviste dans son dernier chapitre intitulé New Modernism, parmi les théories, entre autres, de tous les architectes présents lors de l’exposition20. De plus, bien que le curateur assistant démentit toute corrélation entre Derrida et la mise en place de l’exposition, les explications présentes dans le catalogue dont il fut le rédacteur ne cessent de se rapporter aux idées qu’il décrit dans son ouvrage de 1993 :

“This is an architecture of disruption, dislocation, deflection, deviation, and distortion, rather than one of demolition, dismantling, decay, decomposition, or disintegration. It deplaces structure instead of destroying it (...) This produces a feeling of unease, of disquiet, because it challenges the sense of stable, coherent identity that we associate with pure form.”21 Cette explication provenant du catalogue de l’exposition semble parfaitement coïncider avec l’idée qu’il exprime plus tard d’un « discours déconstructif qui localise le défaut fatal dans un édifice et cause son écroulement (...) une forme d’analyse qui démantèle ou démolit les structures, une déconstruction de construction (...) »22. Évidemment, il ne s’agit pas de la structure du bâtiment lui-même, mais de la structure même de l’architecture et de ses institutions. Le but étant de mettre fin au postmodernisme, et à l’existence de mouvements (ce qu’il appelle -isme), qui, à son sens, empêchaient la discipline d’avancer et dont le MoMA était en quelque sorte responsable, de par le succès de l’exposition Internation Style en 1932 et la publication de Complexity and Contradiction in Architecture23 en 1966. De plus, lorsque Wigley interprète la déconstruction linguistique de Derrida comme « non pas seulement la transformation de la condition matérielle de l’objet architectural, ni la source d’une forme particulière d’architecture, mais 20 : Jencks, C. et K. Kropf. Theories and manifestoes of contemporary architecture. 1e edition, Chichester: WileyAcademy, 1997, pp.291-292 21 : Johnson, P., et M. Wigley. Deconstructivist Architecture. Museum of Modern Art, New York, 1988, p.17 22 : Wigley, M. The Architecture of Deconstruction: Derrida’s Haunt. MIT Press, 1995, p.36 __ * 23 : Venturi, R. et Museum of Modern Art (New York, N.Y.). Complexity and Contradiction in Architecture. 1e ed. New York: Museum of Modern Art, 1977.

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ÉVÈNEMENTS & AUTEURS COLLATÉRAUX une interrogation sur le discours permanent du rôle de l’architecture »24, il semble évident que cela s’apparente aux pensées théoriques de bon nombre d’architectes présents lors de l’exposition. “Architecture is not a means to an end. Architecture does not have a function. Architecture is not palliative. It is the bone in the meat of the city. Architecture gains strength from surrounding desolation. And this architecture brings the message: Everything you like is bad. Everything that work is bad. Whatever has to be accepted is good.”25 La polémique au sujet du lien entre Derrida et l’exposition au MoMA en 1988 fut certainement accentuée par la présence de Mark Wigley et de ses intérêts préexistants pour le philosophe. De plus, l’exposition d’architectes tels que Bernard Tschumi ou Peter Eisenman, pionniers de la mise en pratique de la philosophie dans l’architecture, et entretenant une relation avec Jacques Derrida lui-même, n’a indubitablement pas du estomper la confusion déjà omniprésente. Peut-être que Philip Johnson, tenant à accentuer pour sa part la relation avec le constructivisme russe, refusa que Mark Wigley mette l’accent sur le lien avec la théorie linguistique. Cependant, la relation entre la théorie linguistique post-structuraliste de Derrida et l’exposition Deconstructivist Architecture nous apparaît aujourd’hui évidente.

24 : Wigley, M. Op. cit., p.30 __ * 25 : Gruenberg, O., R. Hahn et D. Knecht. The Power of the City. Verlag der Georg Büchner Buchhandlung (Darmstadt), 1988, p.75

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III. PETER EISENMAN : LE CURATEUR DANS L’OMBRE Dans une interview datée de mai 1989, Peter Eisenman, alors âgé de 57 ans, entend avoir été à l’origine de l’acceptation de l’idée de Wierzbowski et Florian par Philip Johnson. Lorsque Charles Jencks lui demande si Violated Perfection vient de lui, il rétorque : « Oui, mais le musée n’a pas accepté ce nom ni celui de ‘Déconstruction’. Le nom original, ‘Violated Perfection’ n’était pas nécessairement le mien, cependant j’ai introduit deux de mes étudiants à Chicago à ces idées. Wierzbowski et Florian suivaient un atelier sur la Déconstruction avec moi. Ils eurent l’idée d’une exposition et le projet a été dévié par Aaron Betsky de Yale, celui qui travaillait pour Frank Gehry, et qui l’a transformé en une exposition de jeunes architectes. Il approcha Philip qui me demanda alors ce que j’en pensais. J’ai dit que je ne pensais pas que ce soit une si bonne idée de s’impliquer avec Betsky, comme je ne pensais pas qu’il savait ce qu’il faisait. Je n’aurais pas dû m’impliquer moi-même, mais j’ai donné à Philip une liste de onze noms, incluant John Hejduk, Morphosis et beaucoup d’autres qui ne furent finalement pas choisis. Pour finir, Philip et Wigley ont pris les choses en main et ont changé le nom en ‘Deconstructivism’, ce qui, si vous parlez de Déconstruction, est réellement un nom déconstructif, car il est fourbe et glissant. Vous pourriez, bien sûr, le défendre pour son aspect glissant. Naturellement, personne n’aime se faire appeler un ‘artiste Decon’, et je n’ai jamais utilisé ce terme. »26. De même, dans une interview de Architectural Design datant de quelques mois avant l’exposition, il soutient avoir proposé une liste de onze architectes à exposer, pour lesquels il se serait « (...) battu, bien que certains furent perdus en route »27. De plus, dans son article critique décrivant l’exposition, James Wines affirme qu’« ayant effectué un petit nettoyage des participants ‘nonformalistes’, Johnson et Eisenman ont simplement volé l’idée de l’exposition ‘Violated Perfection’ et l’ont renommée ‘Deconstructivist Architecture’. »28. En bref, nombreux sont les intervenants tenant à prétendre que Eisenman eut un rôle prépondérant dans le montage de l’exposition, hypothèse accentuée par la relation intime qu’entretenait ce dernier avec Philip Johnson. 26 : Eisenman, P. « Dialogues with Peter Eisenman » (mai 1989) dans Jencks, Charles. The New Moderns: from Late to Neo-Modernism, Academy Editions, 1990, p.222 __ * 27 : ID. « Peter Eisenman, An Architectural Design Interview by Charles Jencks », dans Architectural Design 58, n° 3/4, 1988, p.58 __ * 28 : Wines, J. « The Slippery Floor » dans Papadakis, A., C. Cooke et A.E. Benjamin. Deconstruction, Omnibus Volume, Academy Editions, 1989, p.136 __ *

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ÉVÈNEMENTS & AUTEURS COLLATÉRAUX En 1967, Arthur Drexler, alors directeur du département de l’Architecture et du Design au MoMA, avait mis en place une exposition dénommée The New City and Urban Renewal, où l’implication de Peter Eisenman les mena à entamer une relation d’amitié proche. C’est alors qu’au terme de l’exposition, ils décidèrent de créer ensemble un organisme qui « encouragerait le nombre et la qualité des échanges intellectuels entre professionnels, étudiants, et autres amis de l’architecture contemporaine. »29. La naissance de l’IAUS (Institude for Architecture and Urban Studies) prit donc place à l’automne 1967. À cette époque, Johnson, cupide à l’idée que l’architecture et la théorie ne fassent qu’un, ne manqua pas de s’introduire dans le nouvel institut. En effet, il ne lui fallut que 3 ans avant de commencer à s’impliquer très clairement dans les activités de ce dernier. Eisenman, fondateur et directeur de l’institut, ne connaissait alors que très peu Johnson. Cependant, « Eisenman, était un compulsif et ambitieux promoteur de ce nouvel institut à la même image que Philip était un candidat adéquat pour son intérêt et son soutient envers ce dernier. »30 Dans le courant de 1970, il paraîtrait qu’il y eut plusieurs mésententes entre Drexler et Eisenman, ce qui entraîna la distanciation du premier vis-à-vis de l’institut au profit de l’implication croissante du deuxième. En 1972, l’IAUS était complètement identifié à Peter Eisenman. “Meanwhile, he [Eisenman] and Philip grew ever closer together in the inner councils. Philip anted up all the money Eisenman hoped he would, using his own powers of persuasion to talk to Gerald Hines, the ultimate businessman, into contributing, too.”31 Comme relevé par Franz Schulze dans sa biographie sur Philip Johnson, celui-ci offrait son support pour les activités de l’IAUS, et particulièrement pour les publications de l’institut, pour lesquelles il écrivait même occasionnellement des articles. La plus importante de ces publications était Oppositions, éditée par Eisenman lui-même. Schulze décrit la conception de cette dernière comme suit : “In the absence of the dead heroes of the past, whose authority had served as a model of judgment and conduct among other architects, it was more vital than ever to establish and promote ‘images’, and no better medium to that end existed than published criticism. Where cultural press is, there reputations are shaped, and nowhere else; there is power.”32 29 : 30 : 31 : 32 :

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Schulze, F. Philip Johnson: Life and Work, 1st Ed. New York: Knopf, 1994, p. 330 __ * Ibid,. pp. 330-331 __ * Ibid., p. 331 Loc. cit.


ÉVÈNEMENTS & AUTEURS COLLATÉRAUX La relation entre Johnson et Eisenman s’avérait donc être très fructueuse, « (...) ils [Eisenman et Johnson] étaient en parfaite adéquation. Chacun d’eux était conduit par une ambition personnelle qui s’avérait être bien plus facilement accessible si l’autre restait un ami plutôt que devenait un ennemi. De plus, ils étaient charmés par la compagnie de l’autre, prompts mentalement et aussi passionnés d’architecture que de ragots architecturaux, ils comméraient l’un avec l’autre joyeusement et inlassablement (...) »33. En 1982, Eisenman quitte son poste de directeur de l’IAUS, mais cela ne met pas de terme à son amitié avec Philip Johnson, dont il est le premier invité aux dîners, prenant place dès la fin des années 1970 jusqu’au début des années 1990 au Century Club de New York, un club dédié aux organisations sociales privées. Ces dîners ‘intellectuels’, bien que très peu documentés, semblent Robert Stern, Philip Johnson & Peter Eisenman avoir regroupé de nombreux acteurs de la 1991 théorie critique, toujours invités par Philip Johnson : « Ceux qui les voyaient comme la formation d’un snobisme intellectuel et d’une autopromotion sociale n’étaient bien sûr jamais invités. Certainement, les rencontres étaient plus qu’intellectuellement profitables à leurs participants, qui grâce à leur contact les uns avec les autres étaient à portée de la plus désirable des clientèles du monde. »34. Notons également que Peter Eisenman fut l’un des rares architectes exposés ayant eu un lien réel avec Jacques Derrida lui-même. Dès lors, l’impact important du rôle de Eisenman dans l’exposition Deconstructivist Architecture fut certainement amplifié par le fait que ses théories architecturales l’avaient mené à devenir l’icône de la déconstruction en architecture, et ce bien avant l’exposition. Selon Charles Jencks, « le mouvement a été particulièrement développé par Peter Eisenman comme une théorie et une pratique de la négativité (non-classique, dé-composition, dé-centrer, dis-continuité) »35. Pour lui, « en environ 1978, il devint un Deconstructioniste et au même moment commença une psychanalyse ; deux évènements qui se sont sans doute renforcés l’un l’autre et ont renforcé son propre scepticisme. »36. Dans sa biographie sur l’architecte, Stefano Corbo exprime les difficultés de Einseman à garder sa pratique opérationnelle dans le courant des années 1980. Selon l’auteur, « en 1986, Bernard Tschumi invita Peter Eisenman et Jacques Derrida à collaborer 33 : Ibid, p. 374 __ * 34 : Ibid, p. 375 __ * 35 : Jencks, C. « Deconstruction: The Pleasure of Absence », dans Architectural Design 58, n° 3/4, 1988, p.17 __ * 36 : Ibid, p.26 __ *

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ÉVÈNEMENTS & AUTEURS COLLATÉRAUX sur un projet pour un des parcs le long de la ‘promenade cinématographique’ dans le Parc de la Villette de Paris. Tschumi avait lui-même convaincu Derrida d’accepter l’invitation de Eisenman, qui était alors excité à l’idée de partager et d’échanger des idées avec le philosophe français. »37. Finalement, il semblerait que cette collaboration entre Eisenman et Derrida ne fut pas très fertile, compte tenu du rejet de l’offre interprétative du philosophe par l’architecte. Corbo explique que « l’architecte semble avoir reçu les recommandations de Derrida, mais les a alors réinterprétées radicalement : en traduisant, transposant, transformant et déformant les textes, Eisenman a réécrit la contribution de Derrida en matière de structures architecturales. »38. Les deux individus ont alors échangé des lettres, expliquant en quoi ils étaient déçus de leur collaboration. Ces lettres ont été publiées par Eisenman, outré par les questions et remarques de Derrida, dans un numéro de Assemblage : “I publish this letter with yours because I think that every architect should witness philosophy against the wall, should have to answer, for themselves, some of your questions. (...) I wonder in passing if the fact of your questions points to problems that architecture poses for something that is now named deconstruction and for the ‘you’ that may now have become the aura of Jacques Derrida.”39 Bien que la collaboration entre le philosophe et l’architecte put paraître compliquée, il va de soi que Eisenman, portant en lui l’image de l’architecte initiateur de la déconstruction en architecture, ne pouvait qu’avoir un rôle important dans la mise en place de l’exposition. Aussi, sa relation intime avec Philip Johnson ne fit qu’amplifier les doutes de ses confrères sur l’ampleur de son John Taylor Deconstructs the Architect of the Hour, implication auprès de ce dernier au MoMA. New York Magazine, octobre 1988 C’est pourquoi Schulze, dans son chapitre sur l’exposition, soutient que « dans le cas de l’exposition Deconstructivist Architecture, la voix chuchotant à l’oreille de Johnson, plus exactement déclamant, appartenait à Peter Eisenman. »40.

37 : Corbo, S. From Formalism to Weak Form: The Architecture and Philosophy of Peter Eisenman. 1e Ed. Routledge, Farnham Surrey, England ; Burlington, 2014, p.57 __ * 38 : Ibid, p.61 __ * 39 : Eisenman, P. « Post/El Cards: A Reply to Jacques Derrida », dans Assemblage, n° 12, août 1990, p.15 40 : Schulze, F. Philip Johnson: Life and Work, 1st Ed. New York: Knopf, 1994, pp. 398 __ *

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ÉVÈNEMENTS & AUTEURS COLLATÉRAUX “With Eisenman’s interest in linguistic relationships in architecture and his awareness of the popularity of French literary criticism and philosophy, he could identify in this new wave both an interesting revision of Modernism and a conveniently esoteric connection to Derrida. Also, Eisenman’s earlier description of his work as ‘structuralist’ could, with a slight twist of linguistic license, be converted to ‘deconstructivist’. There were enough formal similarities in his architecture to that of such colleagues as Frank Gehry and Coop Himmelblau to make a creditable case for his inclusion in a show featuring pioneers of the new fragmentation, the new Constructivism-cum-Deconstructivism.”41

41 : Wines, J. « The Slippery Floor » dans Papadakis, A., C. Cook et A. E. Benjamin. Deconstruction: Omnibus Volume, Academy Editions, 1989, p.136

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ALTERNATIVES & ÉVÈNEMENTS COLLATÉRAUX

IV. SYMPOSIUM À LA TATE GALLERY Un autre évènement considérable dans la compréhension du contexte disparate de l’exposition Deconstructivist Architecture fut le symposium organisé par Andreas C. Papadakis42 à la Tate Gallery à Londres durant le mois de mars 1988, soit environ 3 mois avant l’exposition faisant l’objet de cette étude. Mallgrave, dans son ouvrage retraçant la théorie de l’architecture depuis 1968, prétend que « des deux évènements, le premier [symposium à la Tate Gallery] était le plus ambitieux intellectuellement, bien qu’il fut presque certainement planifié en vue de l’exposition à venir à New York. »43. Papadakis avait invité Jacques Derrida à prendre part à la discussion, mais ce dernier ne se présenta pas au symposium et l’on ne put l’entendre que grâce à une interview enregistrée. Le symposium se déroula comme suit : il s’étala sur une journée, la matinée étant consacrée à la déconstruction en architecture tandis que la discussion de l’après-midi était vouée à l’art. Charles Jencks était le modérateur de la matinée. Peter Eisenman, Bernard Tschumi, Zaha Hadid et Mark Wigley prirent la parole les uns après les autres pour expliquer ce qu’ils pensaient être leur relation à la théorie de la déconstruction. “Tschumi and Eisenman are among seven architects whose work is to be exhibited at the Museum of Modern Art in New York this summer under the heading of Deconstruction or Deconstructivism (there is some mystery and controversy about the exact title), an event awaited with keen interest and the audible sharpening of knives in the architectural fraternity. The Tate Symposium was in some sense a preliminary skirmish in the controversy this show is bound to provoke.”44 Dans son compte rendu du symposium, David Lodge relate qu’ «  une des questions récurrentes des débats de la journée était de savoir si, oui ou non, la 42 : Andreas Constantine Papadakis (1938-2008) était un académicien anglais, figure principale dans le domaine de la publication architecturale. De 1968 à 1990, il était l’éditeur de Academy Editions, et publia en 1977 l’ouvrage The Language of Post-Modern Architecture de Charles Jencks, édité pas moins de 6 fois avant 1990. En 1975, il racheta le magazine Architectural Design, à l’époque en faillite et publia en 1989 un ouvrage dédié au thème de la déconstruction en architecture et en philosophie, Deconstruction : Omnibus Volume. 43 : Mallgrave, H. F. et C. Contandriopoulos. Architectural Theory: 1968 to the Present. 1st Ed. Malden, MA: WileyBlackwell, 2011, p.154 __ * 44 : Lodge, D. « Deconstruction: A Review of the Tate Symposium » dans Papadakis, A., C. Cook et A. E. Benjamin. Deconstruction: Omnibus Volume, Academy Editions, 1989, p.88

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ALTERNATIVES & ÉVÈNEMENTS COLLATÉRAUX déconstruction faisait partie du même mouvement que le postmodernisme. »45, puis il ajoute que « la vision de Jencks semblait être que tant que l’architecture déconstructiviste pouvait être distinguée du postmodernisme, ce n’était probablement pas de l’architecture, mais une sorte de blague esthétique. »46. Le fait que Jencks soit le modérateur de ce litige, en tant que louangeur de l’ambivalence entre les deux mouvements, ne fit qu’aggraver la mésentente entre les invités. En effet, quatre ans auparavant, dans What is Postmodernism ?, ce dernier avait inclus dans le mouvement qu’il mentionnait des architectes tels que Gehry, Koolhaas et Eisenman tandis qu’il en avait exclu d’autres tels que Tschumi ou Hadid. Peu avant le symposium, dans le numéro spécial de Architectural Design dédié à la déconstruction, Charles Jencks avait finalement décidé que tous ces architectes étaient en fait des « Late-Modernists »47, et qu’ils n’appartenaient donc ni au modernisme ni au postmodernisme. Jencks commença son introduction par un texte appelé Deconstruction : the Sound of One’s Mind Laughing. Lorsque Eisenman prit la parole, il le congédia brusquement : « J’ai de l’affection pour Charles, mais c’en est assez. La prochaine fois pourrions-nous avoir un introducteur qui sache de quoi il parle ? »48. Lorsque Mark Wigley prend la parole, il explique que l’évènement à venir au MoMA n’a rien à voir avec la philosophie linguistique de Derrida. Une fois de plus, il met en exergue le paradoxe qui sera présent dans le catalogue de la future exposition. En fait, il semblerait que Wigley fut absolument insatisfait du symposium de la Tate Gallery. Dans un article de Omnibus Volume, qu’il écrit dans la journée après le symposium il explique : “We have constantly experienced [this morning] references to a non-existent show, a show fabricated here in London, a show which has different players in it than the Museum of Modern Art show in New York. It’s a show which apparently should have included a whole lot of other people, a show apparently about a movement, a show indeed with a title that I hadn’t heard before – DeconstructivISM – a show that is a style, a show that has some reference to some ideas, some old ideas about a new spirit, seems to me to be a show that cannot be distinguished from what I’d known of and tried to forgive as PostModernism. It’s a show concerned primarily with a banal sense of fragmentation and explosion, a show, above all, about traditional artists. It seemed to me that what I was seeing was a sugary sweet English marhmallow.”49 45 : Ibid, p.89 __ * 46 : Loc. cit. __ * 47 : Jencks, C. « Deconstruction: The Pleasure of Absence » dans Architectural Design 58, n° 3/4, 1988, p.17 48 : Lodge, D. « Deconstruction: A Review of the Tate Symposium » dans Papadakis, A., C. Cook et A. E. Benjamin. Deconstruction: Omnibus Volume, Academy Editions, 1989, p.89 __ * 49 : Wigley, M. « Deconstructivist Architecture » dans Papadakis, Andreas, C. Catherine et A. E. Benjamin. Deconstruction: Omnibus Volume, Academy Editions, 1989, p.132

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ALTERNATIVES & ÉVÈNEMENTS COLLATÉRAUX Il paraît clair dans la documentation sur ce symposium que l’évènement à venir au MoMA serait la clé de la compréhension des différends du moment. Nous pourrions même nous questionner sur la raison d’être de ce symposium : aurait-il été mis en place simplement en vue de l’exposition au MoMA ? Probablement que oui, il s’agissait d’une introduction européenne à l’évènement qui allait suivre ; une sorte de mise en commun des théories divergentes à propos de la déconstruction en architecture et en art. Ainsi, David Lodge exprime, à propos de l’exposition au MoMA, que « ce qui fait de cette exposition une exposition potentiellement importante est le fait qu’elle ait été ‘lancée’ et coorganisée par Philip Johnson, le doyen des architectes américains. »50, ce à quoi il greffe aussi : « lorsqu’il était un jeune homme, en 1932 pour être précis, Johnson coorganisa une autre exposition au MoMA appelée ‘The International Style’, (...) et qui changea très vite le visage du monde moderne. À la fin des années 1970, Johnson était spectaculairement converti au PostModernisme (...) et maintenant il semble qu’il mette son énorme pouvoir derrière un groupe d’architectes auparavant considérés comme des marginaux excentriques. Est-il concevable que la Déconstruction puisse devenir le nouveau Style International ? »51. Dès lors, les spéculations sur les intérêts de Johnson dans la curation de cette exposition n’en finissaient plus, et il apparaît que tout le monde attendait impatiemment l’évènement, afin de se faire une opinion tranchée de ce dernier.

50 : Lodge, D. Op. cit., p.90 __ * 51 : Loc. cit. __ *

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L’analyse du contexte large et significatif dans lequel s’est dessinée l’apparition du phénomène engendré par l’exposition est nécessaire à la compréhension de ses impacts sur la discipline architecturale. Dès lors, saisir le rôle crucial joué par une figure telle que Philip Johnson dans la curation de Deconstructivist Architecture en 1988 semble indispensable. En effet, l’exposition fut la dernière occasion pour Johnson, ayant forgé sa notoriété au MoMA suite à l’exposition de 1932, de promouvoir un nouveau mouvement. De plus, sa manière de présenter les projets exposés reflète un retour de l’art et de l’architecture vers l’héritage du constructivisme russe des années 1920. Aux vues des limitations de styles soumises par les curateurs, ainsi que du titre de l’exposition, saisir le sens de certaines philosophies linguistiques et leur manière d’avoir été appliquée à l’architecture au cours du 20e siècle est également un point majeur de l’investigation menée par le présent travail. Le déconstructivisme, s’il l’on entend le terme comme un ‘mouvement’, appartenait-il au postmodernisme, ou revenait-il aux valeurs du modernisme ? Bien que la question semble aujourd’hui quelque peu secondaire, elle était omniprésente dans les critiques de l’époque.

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CHAPITREÂ III :

CONTEXTE



CONTEXTE

I. PHILIP JOHNSON & LE MOMA Philip Johnson, architecte américain, était âgé de 26 ans lorsqu’il obtint son premier succès en 1932 grâce à l’exposition Modern Architecture : International Exhibition, en tant que cocurateur de Henry-Russell Hitchcock. Fraîchement diplômé de philosophie à Harvard, il effectua plusieurs voyages en Europe entre 1927 et 1930. Il partait à la rencontre de l’architecture gothique, et se joint à Henry-Russell Hitchcock, historien de l’architecture qui se concentrait alors sur une importation du travail de Le Corbusier, Walter Gropius et d’autres architectes modernistes aux États-Unis. Lors d’un de ses voyages, il rencontra Mies Van Der Rohe et se considéra pour quelque temps comme son disciple, entretenant avec ce dernier une relation à la fois de collaboration et de compétition. En 1930, Johnson rejoint le département de l’architecture du MoMA, sous la direction de Alfred Barr. C’est alors qu’il décida, avec Hitchcock, d’organiser une exposition sur l’architecture moderne au MoMA. Cette dernière fut considérée comme le point de départ de l’intérêt de l’architecture américaine pour le modernisme. Lorsque le régime nazi força des architectes tels que Marcel Breuer ou Mies Van Der Rohe à quitter l’Allemagne, Johnson les aida à venir travailler aux États-Unis. En 1936, il quitta le musée pour une expérience en journalisme et politique. Il se mit soudain à supporter des éditions populistes et parfois antisémites telles que le journal Social Justice. Il fut alors accusé à plusieurs reprises d’une admiration pour Hitler et le régime nazi, ayant assisté à de nombreuses reprises au Reichsparteitag à Nuremberg, et ayant publié pour Social Justice cinq articles relativisant la guerre menée par Hitler.1 Dans sa biographie sur Johnson en 1994, Schulze défend : « (...) il n’a jamais vraiment été une menace politique pour qui que ce soit, encore moins un homme d’action efficace de la bonne politique ou de la politique diabolique. »2. En 1941, Johnson se défait enfin de ses attractions politiques et retourne à Harvard pour étudier l’architecture sous la direction de Walter Gropius. Une fois diplômé, il construit sa première maison, toujours très influencée par le style moderniste de Mies Van Der Rohe. Il effectue ensuite un service militaire puis retourne au MoMA en 1946, où il reprend un poste de curateur et écrivain. En 1949, il conçoit la Glass House, qui deviendra une icône de l’architecture moderne. Il s’associe aussi à Mies 1 : Pour plus d’informations au sujet de l’implication politique de Johnson, voir Schulze, F. Philip Johnson : Life and Work, 1e Ed., New York: Knopf, 1994, pp. 132-146 2 : Schulze, F. Philip Johnson: Life and Work, 1e Ed., New York: Knopf, 1994, p. 144

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CONTEXTE Van Der Rohe pour les dessins de l’intérieur du Seagram Building à New York en 1959. Il continue alors de concevoir une multitude de bâtiments remarquables tels que le Munson-Williams-Proctor Arts Institute en 1960, le New York State Pavilion pour la New York World’s Fair de 1964-65, ainsi que la Sculpture Garden en 1953 et l’extension du Museum of Modern Art en 1964. Durant cette période, Philip Johnson, Glass House, il fut plusieurs fois accusé de ne faire que 1949 ‘copier’ la belle architecture de son temps. Pourtant, c’est en 1967, lorsqu’il commença une collaboration avec John Burgee3, qu’il entama la période la plus productive de sa carrière, incluant la construction du bâtiment Crystal Cathedral à Los Angeles en 1980, et Pittsburgh Plate Glass Headquarters en 1984. Peu de temps après avoir construit avec Burgee le bâtiment AT&T, aujourd’hui encore emblème du postmodernisme, il gagne le Four seasons restaurant, Seagram Building, 1959 Pritzker Prize en 1979. Il entretient alors une sorte d’admiration pour le mouvement postmoderne pendant une petite dizaine d’années, suivant de très près les règles énoncées par Robert Venturi dans son livre fraîchement publié par le MoMA. Pourtant, en 1988, lorsqu’il met en place l’exposition Deconstructivist Architecture, il fait ressentir un clair rejet de ce dernier mouvement qu’il a tant appliqué dans la conception de ses bâtiments... Alors âgé de 82 ans, refusant de se résigner à la fin de sa carrière, il change de direction et promeut une dernière fois un nouveau style d’architecture qui répond à l’air du temps. Le 24 juillet 1988, Sam Hall Kaplan publie un article dans le Los Angeles Times, où il soutient que « maintenant qu’il a tracé son chemin jusqu’à une position d’icône de l’architecture, Johnson a décidé qu’il allait promouvoir le déconstructivisme, qui, bizarrement, est un rejet des fioritures et de l’historicisme institué par le postmodernisme qu’il prônait encore si récemment. »4. En effet, le public se souvient aujourd’hui de Philip Johnson en tant que précepteur de l’architecture moderne aux États-Unis, puis bâtisseur du postmodernisme, et enfin promoteur de ce que l’on connaît comme l’architecture déconstructiviste. Ainsi, Martin Filler écrit en 1994 : “Johnson’s carefully cultivated image as the perpetual enfant terrible of his conservative profession has been based both on his legendary role as co-curator 3 : John Burgee est l’architecte américain associé de Philip Johnson de 1967 à 1991 dans l’entreprise Johnson/ Burgee Architects 4 : Kaplan, S. H. « Architecture as Sculptural Objects » dans Los Angeles Times, 24 juillet 1988 __ *

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CONTEXTE of the Museum of Modern Art’s epochal ‘Modern Architecture : International Style Exhibition’ of 1932, which had a revolutionizing effect on American architecture (...) and his support of a new generation of avant-garde architects from the 1970s onward.”5 Il existe plusieurs facteurs ayant été à l’origine du succès instantané de l’exposition Deconstructivist Architecture. Tout d’abord, comme nous venons de le voir, la mémoire collective se souvenait de l’exposition International Style comme ayant été à la base de la canonisation du mouvement moderne aux ÉtatsUnis. La pensée de Philip Johnson lui-même ayant basculé de nombreuses fois au cours de sa carrière, le public s’attendait à la proclamation d’un nouveau mouvement, et ce avec impatience. De plus, les acrobaties effectuées par Johnson vis-à-vis de la sélection des architectes exposés en ont intrigué plus d’un, la presse n’ayant pas omis de faire des pronostics sur ceux qui seraient ou non exposés. À cela s’ajoutèrent évidemment les scandales liés à l’identité du père fondateur de l’exposition, et aux rumeurs sur le vol d’une idée qu’aurait pu commettre Pittsburgh Plate Glass Headquarters, Johnson. Lors d’une rétrospective sur l’exposition en Johnson & Burgee, 1984 2011, Mark Wigley admet : “Since Johnson’s 1932 show repackaged modern architecture into a style, there was every reason for the audience to think the same thing was happening here, but the specific projects chosen and the way they were framed were meant to make that difficult, a poison pill.”6 De son côté, dans un article datant de mai 1988, Martin Filler analyse la situation à la fois en regard de la carrière controversée de Johnson, et également vis-à-vis de la provenance de l’idée de l’exposition : “The exhibition had aroused great anticipation, not only because of its symmetrical relation to the landmark event that began Johnson’s career, but also because of the controversy surrounding the genesis of the new show (...) Johnson stole the concept for the show from them. Johnson maintains the idea was as much ‘in the air’ as the architecture itself.”7 5 : Filler, M. « Prince of the City » dans The New York Review of Books, 22 décembre 1994 6 : Wigley, M., et M. C. Pederson, « Deconstructivim : The Kamikaze Mission. » Metropolis 30, n°9, 2011 7 : Filler, M. Op. cit.

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CONTEXTE De manière générale, l’exposition a été perçue par de nombreux critiques comme l’ultime proclamation d’un nouveau mouvement par Johnson. Bien qu’il soit clairement explicité dans le catalogue de l’exposition qu’il ne s’agisse pas là de la découverte ou de la mise en commun de travaux pouvant être considérés comme un tout ou ce que l’on appellerait communément mouvement, les changements de direction de la pensée de Johnson vis-à-vis de l’architecture tout au long de sa carrière entraînèrent à une multitude de questionnements sur le sujet. Dans sa critique de l’exposition, James Wines le dénonce alors : « Johnson, pour sa part, avait besoin d’une raison pour parachever sa carrière en tant qu’arbitre du goût et du style. »8. De plus, dans un article pour OASE datant de 2012, Tina Di Carlo écrit que « la pratique curatoriale de Johnson fut aussi perturbatrice que ce qu’il prétendait être perturbateur dans la forme déconstructiviste. »9. Notons également que, intentionnelle ou non, l’influence des médias dans le phénomène entraîné par l’exposition ne peut être niée. Elle poursuit alors en expliquant : “Content became a by-product. For all the critique of form and style that were canonised and attached to the deconstructivist exhibition, and to the ideological positions of the museum and Johnson, the covert strategies and tactics were politically staged via the media.”10

8 : Wines, J. « The Slippery Floor » dans Papadakis A., C. Cooke et A. E. Benjamin. Deconstruction: Omnibus Volume, Academy Editions, 1989, p.136 __ * 9 : Di Carlo, T. « Exhibitionism as Inquiry? » dans OASE 88, 2012, p.38 __ * 10 : Ibid. p.41

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CONTEXTE

II. LE RETOUR DU CONSTRUCTIVISME La crise économique des années 1970 mena à un ralentissement relatif dans le domaine de la construction, ce qui incita les pratiquants de l’architecture à se tourner vers un intérêt pour des projets plus théoriques. Ces projets non destinés à être construits constituaient alors une réaction aux multiples conflits sociaux présents dans le monde : « mouvement, soulèvements violents, affrontements partisans, l’époque après 1970 annonçait des changements mémorables, incluant l’effondrement du bloc soviétique, une mobilité du capital aussi rapide que l’éclair, et une énorme migration de personnes fuyant la guerre et les contraintes économiques. »11. Ces problèmes menèrent en effet à de nombreux débats, revenant au conflit entre le communisme et le capitalisme. Ce n’est donc pas un hasard si à ce moment-là le MoMA commença à s’interroger sur l’importance des travaux provenant de l’avant-garde russe Revolution: Russian Avant-Garde 1912-1930, dans un moment tel que celui-ci. En effet, de MoMA, 1979 nombreuses expositions furent alors mises en œuvre : Constructivism in Poland: 1923-1936 en 1976, puis Revolution : Russian AvantGarde, 1912-1930 en 1979, etc12. Ce sont les observations sociales impliquées par ce mouvement qui redevinrent en vogue à cette époque où la guerre froide et la guerre du Vietnam interrogeaient le rôle social de chacun. Il existerait donc une corrélation entre le constructivisme russe et la nouvelle tendance déconstructiviste, basée sur ces conflits sociaux. Avec le changement de direction des institutions architecturales et des architectes eux-mêmes vers des projets théoriques, Franz Schulze définit l’architecture des années 1970 comme étant « devenue non seulement une arène d’arguments, mais surtout une sorte de Babylone, où tous les nouveaux journaux et critiques s’efforçaient de rivaliser avec les autres grâce à leur littérature abstruse et où la prétention intellectuelle menaçait 11 : Ghirardo, D. Architecture after Modernism. World of Art, New York, NY: Thames and Hudson, 1996, p.41 __ * 12 : cf. supra, p.27

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CONTEXTE de remplacer la devise de la profession qu’était la construction. »13. Dans son ouvrage Violated Perfection, Aaron Betsky décrit ce phénomène comme étant le résultat des bouleversements sociaux et de la récession économique. Il explique que le travail produit devient tout à fait radical, en particulier dans l’architecture très théorique provenant de la AA London à la fin des années 1970 et au début des années 1980, qui avait par ailleurs un lien précis avec certains des architectes déconstructivistes exposés par Philip Johnson. De plus, Betsky se réfère aussi à la relation de la AA à la révolution russe en soutenant que l’enseignement de Peter Cook, Rem Koolhaas ou Bernard Tschumi « coïncidait avec la redécouverte des travaux les plus radicaux produits après la révolution russe. Le travail de Chernikov, par exemple, est devenu un antidote historiquement validé du high-tech, particulièrement convaincant par sa nature irréalisable. »14. Comme nous l’avons relevé, le constructivisme russe faisait un retour dans le monde artistique et intellectuel américain. Philip Johnson et Mark Wigley se sont donc contentés de manifester la présence d’un style visuel proche de celui du constructivisme russe, ce qui coïncidait avec les attitudes de certains vis-à-vis des travaux avant-gardistes. Néanmoins, il existait déjà avant l’exposition des tentatives de compréhension de ces travaux de manière plus utile et significative. Par exemple, dans son livre Russian Constructivism publié en 1985, Christina Lodder tente de remettre en contexte les artistes du mouvement constructiviste face la politique en vigueur en Russie dans les années 1920. Elle situe donc ceux-ci dans la période postrévolutionnaire de la Russie et décortique leur programme utopique. Pourtant, dans le catalogue de l’exposition Deconstructivist Architecture, Wigley et Johnson réduisent les travaux constructivistes de l’avant-garde russe à « une menace face aux règles de composition classique » où des « formes pures » sont utilisées pour créer des « compositions impures »15. Wigley restreint donc l’apport que l’avantgarde russe aurait pu avoir sur l’exposition. Cependant, il aurait certainement été souhaitable que la relation à un mouvement si puissant ne soit pas simplement de l’ordre d’un style graphique. Christina Lodder énonce le mouvement comme tel : “Russian constructivism posited an entirely new relationship between the artist, his work and society. This radical reassessment of artistic activity was a direct response to the experience of the Russian Revolution of 1917 and of the ensuing Civil War.”16

13 : 14 : 15 : 16 :

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Schulze, F. Philip Johnson: Life and Work, 1st ed., New York: Knopf, 1994, p.330 __ * Betsky, A. Violated Perfection, New York: Rizzoli, 1990, p.61 __ * Johnson, P., et M. Wigley. Deconstructivist Architecture. Museum of Modern Art, New York, 1988, p.11 __ * Lodder, C. Russian Constructivism. New Haven London, Yale University Press, 1985, p.1


CONTEXTE Elle suggère également, comme relevé précédemment, que le monde occidental voit le constructivisme comme un mouvement purement esthétique et elle explique que « c’était en réalité quelque chose de beaucoup plus large : une approche du travail des matériaux, dans une conception particulière de leur potentiel en tant que participant actif au processus de transformation sociale Tatlin, Counter-relief: metal bars, sheet & timber, et politique. »17. De plus, Johnson et Wigley 1914 n’étaient pas les premiers à tracer une connexion entre le constructivisme russe et la tendance déconstructiviste de la fin des années 1970. En effet, le numéro de Architectural Design de 1988, consacré à la notion de déconstruction en architecture et publié avant l’ouverture de l’exposition au MoMA, contient un article de Catherine Cook intitulé « The Lessons of the Russian Avant-Garde ». Dans celui-ci, l’auteure évalue Vue sur le projet du Parc de la Vilette de Tschumi, Deconstructivist Architecture, MoMA, 1988 les stratégies constructivistes en relation au déconstructivisme, en allant considérablement plus loin que de simples similarités visuelles. Elle met donc tout d’abord en avant l’aspect conceptuel des travaux provenant des artistes russes desquels nombre d’architectes déconstructivistes se sont inspirés. Par la suite, elle critique Rem Koolhaas et Zaha Hadid, tous deux proclamant une connaissance intellectuelle du mouvement constructiviste, en soutenant qu’à son sens, ils n’ont pas réellement saisi le message de la position théorique des artistes au-delà de leur inspiration esthétique.18 Elle prend alors comme exemple le fait que ces deux architectes déclarent leur relation à l’artiste Leonidov, simplement de par la présence d’un style visuel commun, et explique : “Indeed Leonidov achieved his notoriety in the later 1920s for deviation from the central theoretical positions of Constructivism, not his adherence to them. In the wake of a wave of ‘Leonidovism’, his group had to fight more vehemently than ever for the principle that Constructivism was ‘not a style but a method’.”19

17 : Loc. cit. __ * 18 : Cook, C. « Lessons of the Russian Avant Garde » dans Architectural Design 58, n°3/4, 1988, p.13 19 : Ibid., p.13

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CONTEXTE Le fait que le titre de l’exposition ait été changé plusieurs fois avant de devenir Deconstructivist Architecture, n’en dit pas moins sur la réduction de l’importance de la relation entre le constructivisme russe et le déconstructivisme. En effet, James Wines suggère que « (...) il aurait été plus approprié de nommer l’évènement ‘néoconstructivisme’ ou ‘architectes travaillant dans la tradition constructiviste’. »20. En novembre 1987, l’exposition était d’abord appelée Constructivism/Deconstructivism, puis elle fut changée une première fois pour Deconstructivist Architecture : Violated Perfection, oubliant la connotation constructiviste et incorporant le titre du projet de Florian et Wierzbowski. Le dernier titre, Deconstructivist Architecture, ne fait plus réellement allusion au constructivisme russe ou à son intérêt social, ni à l’importance des technologies mise en avant dans le projet des professeurs de Chicago et dans le livre de Betsky. Pourtant, le catalogue entier reste dédié à une explication des liens formels entre le déconstructivisme et l’avant-garde russe, propos suscitant également de nombreux débats et intensifiant la confusion intellectuelle et théorique autour de l’exposition.

20 : Wines, J. « The Slippery Floor » dans Papadakis A., C. Cooke et A. E. Benjamin. Deconstruction: Omnibus Volume, Academy Editions, 1989, p.135 __ *

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CONTEXTE

III. PHILOSOPHIE LINGUISTIQUE & ARCHITECTURE C’est à partir du milieu des années 1960 que l’on voit apparaître une connexion entre la philosophie linguistique et l’architecture, à commencer par la diffusion du mouvement postmoderniste avec la publication de Complexity and Contradiction in Architecture par Robert Venturi et le MoMA en 1966. Il ne fut donc pas étonnant qu’une part considérable du public prît l’exposition Deconstructivist Architecture comme l’effervescence d’un mouvement poststructuraliste en architecture, lui-même correspondant aux directions prises par la philosophie linguistique des 20 dernières années. Pour certains, le rapport énoncé ici fut largement plus notoire que celui insinué avec le constructivisme russe. La déconstruction provenant de l’évolution de la philosophie linguistique fut donc, malgré toutes tentatives contraires des curateurs, un point substantiel de l’exposition. En effet, si Johnson ne souhaitait pas que la liaison entre les deux disciplines se profile dans l’inconscient du public, il aurait été plus judicieux de ne pas choisir d’appliquer le terme déconstructiviste au titre de l’exposition dans une telle conjoncture. Il semblerait que les curateurs aient délibérément pris la décision de ne pas valoriser le terme utilisé pour éviter de desservir l’analogie au constructivisme russe qu’ils ne cessaient de mettre en avant. Toutefois, certains architectes exposés au MoMA travaillaient dans le cadre de la théorie linguistique appliquée à l’architecture. Dans le courant des années 1970, on voit apparaître un attrait croissant des architectes pour la traduction de ce genre de théorie dans des projets d’architecture. Tout d’abord, Venturi exprime l’importance de la capacité d’un bâtiment à communiquer. De même, les New York Five, particulièrement Peter Eisenman et John Hejduk, travaillent les formes architecturales à partir de la théorie linguistique. On commence alors à parler d’espace à travers l’exploration des théories du langage. Dans l’exposition Deconstructivist Architecture, deux grandes figures de l’exploration de la sémiotique en architecture sont présentes : Peter Eisenman et Bernard Tschumi. Notons que Eisenman avait commencé par s’intéresser au structuralisme en étudiant les travaux de Noam Chomsky, tandis que Tschumi examinait les possibilités du poststructuralisme en considérant les théories de Jacques Derrida. En 1967, ce dernier publie De la Grammatologie, qui sera traduit en anglais neuf ans plus tard, soit en 1976. À la fin des années 1970, la philosophie linguistique était devenue déterminante dans la pratique de certains architectes. Il est alors difficile de croire 65


CONTEXTE que Johnson et Wigley eurent choisi le terme de déconstruction sans souhaiter que celle-ci ne joue un rôle dans la compréhension de l’exposition. Dans un article daté de 2009 sur le rôle du tournant linguistique dans l’architecture, Brando Mitrovic soutient : “Not surprisingly, such a great philosophical interest in language also affected architecture, and especially architectural theory – typically in the view, widespread among theorists in the late 20th century, that the only properties of an architectural work that matter (or even that might exist) are those which can be described in words. Everything else, it was assumed, was superficial and unworthy of consideration.”21 Le poststructuralisme de Derrida apparaît comme une réaction au structuralisme du milieu du 20e siècle. Tout d’abord, notons que dans le dictionnaire le structuralisme est défini comme le « courant de pensée des années 1960, visant à privilégier d’une part la totalité par rapport à l’individu, d’autre part la synchronicité des faits plutôt que leur évolution, et enfin les relations qui unissent ces faits plutôt que les faits eux-mêmes dans leur caractère hétérogène et anecdotique. »22. En linguistique, il est défini comme une « démarche théorique qui consiste à envisager la langue comme une structure, c’est-à-dire un ensemble d’éléments entretenant des relations formelles. »23. Le structuralisme trouve son héritage dans l’analyse linguistique des travaux de Ferdinand de Saussure. C’est en analysant les langues que ce dernier s’aperçoit qu’elles constituent un réel système de liaisons. Il soutient que tout élément doit toujours être compris grâce à l’ensemble et à sa position par rapport aux autres éléments. Les travaux de Saussure seront ensuite importés par Lévi-Strauss dans les sciences humaines et sociales et appliqués aux institutions. Si l’on considère les différentes disciplines, le structuralisme est une méthode qui tente de développer une base commune dans l’approche des sciences sociales, de l’art et de la littérature et qui permettrait de les unifier en une seule et même structure pour enrichir une recherche globale et expérimentale. Selon Richard Coyne, les théoriciens structuralistes du langage attachent une grande importance à la problématique de la relation entre le « signifiant et le signifié ».24 Ils suggèrent que trop souvent on se réfère à la « situation du signe », et que le langage consiste simplement en des signes qui se rapportent à des choses. Pour les structuralistes, la relation entre le signifiant et le signifié est toujours définie par le signe auquel on se rapporte. Ils considèrent donc que le langage ne représente pas la réalité, mais 21 : Mitrovic, B. « Architectural Formalism and the Demise of the Linguistic Turn », dans Log, n° 17, automne 2009, p.17 22 : Dictionnaire en ligne. http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/ structuralisme/74914?q=structuralisme#74063 (consulté le 16 juillet 2017) 23 : Loc. cit. 24 : Coyne, R. Derrida for Architects, 1ère Ed., Abingdon, Oxon England ; New York, NY: Routledge, 2011, p.14

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CONTEXTE la signifie. Dans ce rapport engendré par le signe, on parle encore de structure. En effet, on pense que les évènements surfaciques pourraient être expliqués par le fonctionnement caché ou implicite de leur structure. Si le structuralisme a su trouver des possibilités dans les branches des sciences humaines et sociales, c’est particulièrement dans l’évolution du marxisme qu’il connaît un essor considérable. En effet, Marx pourrait être considéré comme le père du structuralisme. Pour lui, l’action de l’homme est déterminée par son habilité à vivre, qui elle-même précède son habilité à penser. La pensée devient donc la caractéristique déterminante de l’humanité, et se conçoit à partir de la manière dont l’homme vit, cette dernière découlant de la manière dont il produit sa propre subsistance et les conditions qui agissent sur les ressources qui lui sont accessibles. Marx suppose que les structures qui supportent le processus de production changent perpétuellement, et que ces bouleversements développent des tensions entre celles-ci. Pour lui, les différents stades de l’évolution de la société peuvent donc être étudiés grâce à l’analyse de ces tensions. Le fondement de la théorie de Marx semble donc être lui-même basé sur la dichotomie de ce système d’opposition qui mènera par la suite au structuralisme. Dans la compréhension de ces systèmes de signes et leur implication en tant que symbolique d’un système social, on voit également apparaître la pratique de la sémiologie, qui ne s’arrête pas au langage, mais examine des rituels et des symboliques propres à un système particulier en brisant les oppositions binaires qui le constituent. L’application de la théorie marxiste à l’architecture est très certainement représentée par les travaux de Manfredo Tafuri. En 1976, Tafuri publie Architecture and Utopia dans lequel il présente une analyse critique de l’expérience de l’architecture moderne. Selon Nadir Lahiji, il arrive alors aux conclusions suivantes : « (...) une compréhension semi-autonome de l’architecture demande à voir l’horizon de la connaissance ouverte simultanément à l’intérieur et autour des frontières de classes sociales ; deuxièmement, que dans le capitalisme, la production architecturale est engagée dans deux types de travaux, intellectuels et abstraits. Tandis que le premier type fonctionne avec ‘l’autonomie des choix linguistiques et leur fonction historique en tant que chapitre spécifique dans l’histoire des travaux intellectuels et leur mode de réception’, l’autre ‘doit se plier à l’histoire générale des structures et relations de productions’. »25. Tafuri questionne donc le rôle de l’architecte et de l’architecture dans une société de production dirigée par l’ère capitaliste, dirigeant les pensées vers les théories marxistes et le structuralisme dans la philosophie linguistique. Diane Ghirardo soutient que « (...) Tafuri fut largement compris comme annonçant la fin de l’architecture, tout comme Arnold Schoenberg avait annoncé la fin de la tonalité, Theodor Adorno la fin de l’art, et plus tard Francis 25 : Lahiji, N. The Political Unconscious of Architecture: Re-opening Jameson’s Narrative, Routledge, 2016, p.85 __ *

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CONTEXTE Fukuyama la fin de l’histoire. »26. Il pose alors des questions fondamentales sur la relation entre l’architecture et les problèmes sociaux, se demandant si l’architecture peut réellement apporter quelque chose à la société ou si elle n’est que le reflet de cette dernière à un instant précis. Lahiji poursuit en expliquant que « Tafuri était concerné par la multiplicité des langages articulés par différentes structures de pouvoirs qui interagissent directement ou indirectement avec le processus de production architectural. »27. Il semblerait que l’objectif de Tafuri, exprimant l’état de l’architecture par le biais de la pensée structuraliste, soit que l’architecture puisse défier sa manière d’être produite et consommée. Lorsque Derrida évolue vers le poststructuralisme, avec la publication de De la Grammatologie en 1967, il tente de détruire les notions de binarités présentes dans le structuralisme, trouvant que ces oppositions privilégient le modèle d’opposition dominant/dominé de la tradition occidentale.28 Comme l’exprime Louis Martin dans un article sur les origines intellectuelles de Tschumi, « la philosophie a développé historiquement des ensembles d’oppositions binaires – homme/ nature, bien/mauvais, vérité/mensonge, etc. – qui ont été condensées dans les problèmes dialectiques du sujet et de l’objet ou, dans des termes contemporains, de l’identification et du rejet. Pour Derrida, ce système de pensée est le miroir des dialectiques métaphysiques de la présence et de l’absence. »29. La destruction des binarités dans la philosophie occidentale est indicative des crises intellectuelles qui furent engendrées par les soulèvements sociaux des années 1970. Il poursuit : « En argumentant le fait qu’il existe un abysse entre le signifiant et le signifié, Derrida voulait déconstruire la logique de la présence absolue. Déconstruire la totalité de la tradition de la philosophie occidentale engendrait de délocaliser toutes oppositions binaires, dualismes et dialectiques ayant pour thème unique la présence métaphysique. Initialement, la déconstruction serait définie comme la lecture d’une production (l’écriture) qui tenterait de révéler l’absence d’un signifié transcendantal. »30. Les théories de Saussure se basaient sur la dimension ‘parlée’ du langage, Derrida attaque alors l’idée que l’écrit ne serait qu’un double du langage parlé et propose de donner une priorité à l’écriture du langage dans un argument théorique où il prouve l’antériorité de l’écriture dans l’histoire. Un autre penseur important du mouvement poststructuraliste lié à l’architecture est Roland Barthes, qui publia 26 : Ghirardo, D. « Manfredo Tafuri and Architecture Theory in the U.S., 1970-2000 », dans Perspecta, vol. 33, Mining Autonomy, 2002 p.39 __ * 27 : Lahiji, N. Op. cit., p.87 __ * 28 : Derrida, J. De la Grammatologie, Paris : Les Editions de Minuit, 1967 29 : Martin, L. « Transpositions: On the Intellectual Origins of Tschumi’s Architectural Theory » dans Assemblage, n° 11, 1990, p.25 __ * 30 : Ibid., p.26 __ *

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CONTEXTE en 1970 Sémiologie et Urbanisme, dans un numéro de L’Architecture d’Aujourd’hui. Louis Martin suggère que Barthes, « ayant amorcé les ‘activités structuralistes’ dans de multiples domaines de production, a réalisé que la plupart des domaines, incluant l’architecture, étaient résistants aux binarités exprimées par la linguistique de Saussure. »31. Puis il ajoute : “In the end, the real problem of urban semiology was that the urban signified was never definitive. As in Lacan’s psychoanalysis, urban semiology was caught in an infinite chain of metaphors in which the signified is always a signifier in another group of signs, and vice versa. Barthes saw this chain of metaphors as a hidden dimension of the city – the erotic.”32 Barthes suggère alors que la destruction des binarités oppositionnelles de la pensée structuraliste est érotique, contrairement à ce qu’exprime Mark Wigley dans le catalogue lorsqu’il dit que « la forme est devenue contaminée. Le rêve est devenu une sorte de cauchemar. »33. Les curateurs ont donc, malgré la prédominante présence de la philosophie linguistique traduite en architecture au moment même de la mise en place de l’exposition, choisi de nier le rapport entre la déconstruction, image du poststructuralisme en philosophie, et le titre de leur exposition. Toutefois, les termes employés pour qualifier les projets exposés (violence, disjonction, perturbation, etc.), étaient des concepts centraux dans la crise sociale et intellectuelle des années 1970, cette dernière ayant mené à la pensée de la déconstruction. On retrouve à cette époque un intérêt commun pour la théorie linguistique dans les réflexions non seulement de Eisenman et de Tschumi, mais aussi dans l’élaboration des mouvements de pensée de l’IAUS et de la AA, cherchant les possibilités des théories marxistes et engendrant la nature ‘violée’ des projets des années 1970 ensuite exposés au MoMA. Cependant, Johnson et Wigley ont préféré appuyer sur la similarité visuelle et graphique des projets au constructivisme russe, et n’ont fait aucune allusion à la similarité intellectuelle des projets exposés, en relation avec l’évolution de l’application de la philosophie linguistique à l’architecture. Parmi tant d’autres ayant exprimé leur mécontentement face au paralogisme des curateurs, James Wines, lui-même proche des réflexions sur le déconstructivisme et ayant publié l’ouvrage De-Architecture un an avant l’exposition, défend : “Instead, the organisers’ massive misconception was to mistake style for archetype. In its final shape, the show became what Philip Johnson so aptly described in the press as ‘an exhibition of architects whose work uses forms 31 : Ibid., p.24 __ * 32 : Martin, L. « Transpositions: On the Intellectual Origins of Tschumi’s Architectural Theory » dans Assemblage, n° 11, 1990, p.25 33 : Johnson, P., et M. Wigley. Deconstructivist Architecture. Museum of Modern Art, New York, 1988, p.10 __ *

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CONTEXTE that look like Constructivist drawings’. What was passed off as Deconstruction was, to the contrary, extremely skillful abstractionist design based on the Constructivist form-making, shape-making and space-making.” 34

34 : Wines, J. « The Slippery Floor », dans Papadakis A., C. Cooke et A. E. Benjamin. Deconstruction: Omnibus Volume, Academy Editions, 1989, p.137

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CONTEXTE

IV. ENTRE MODERNISME & POST-MODERNISME Comme nous l’avons déjà relevé, dans le catalogue de l’exposition Deconstructivist Architecture, les curateurs mettent l’accent sur le fait qu’ils ne souhaitent pas mettre en avant un nouveau mouvement. En effet, en 2011, Wigley insiste toujours lorsqu’il dit : « L’exposition déconstructiviste était une attaque sur un -isme : le postmodernisme. »35. Lors d’une interview avec Charles Jencks, Philip Johnson confirme : « Les déconstructivistes se définissent contre le postmodernisme et tout ce qu’ils haïssent, et ce qu’il reste alors, c’est le constructivisme. »36. Cependant, en prononçant avec une telle ampleur la prétendue absence de mouvement mis en avant dans l’exposition, il semblerait que le public, et particulièrement la presse, ait saisi le message inverse. Tout d’abord, et ce de manière calculée et voulue, nombreux furent les articles qui annoncèrent la mort du postmodernisme. Tina Di Carlo explique alors les résultats de ses statistiques sur les publications de la presse lors de l’évènement : “Of the printed reviews of the exhibition, 40 percent of the articles heralded the show as the end of postmodernism and 10 percent, if not stating it overly, implied its demise. Of these, 80 percent were from the popular press.”37 Effectivement, la presse populaire prit à cœur l’évènement et les articles interprétant le sens d’une telle exposition coulèrent à flots entre le mois de juin et le mois de décembre 1988. Pour Paul Golberger, c’est « le climat créé par les idées de Venturi qui ont tourné vers un moyen plus simple, plus indulgent de voir le passé : dans les années 1980, le passé commença à être vu non plus comme une source pour le commentaire moderne, mais plus comme un bain chaud dans lequel on pouvait se vautrer. »38. Puis il poursuit en ajoutant que « le déconstructivisme est en partie une réaction contre les priorités du postmodernisme » et aussi « contre la manière 35 : Wigley, M., et M. C. Pederson, « Deconstructivim :The Kamikaze Mission. » dans Metropolis 30, n° 9, 2011 __ * 36 : Johnson, P. « Dialogues with Philip Johnson » dans Jencks, Charles. The New Moderns: from Late to NeoModernism, Academy Editions, 1990, p.159 __ * 37 : Martin, L. « Transpositions: On the Intellectual Origins of Tschumi’s Architectural Theory » dans Assemblage, n° 11, 1990, p.25 38 : Goldberger, P. « Architecture Review: 80’s Design: Wollowing in Opulence and Luxury » dans New York Times, 13 novembre 1988 __ *

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CONTEXTE stupéfiante dont le postmodernisme a coulé dans l’ordinaire en architecture. »39. L’architecture postmoderne serait-elle alors devenue « mainstream » (ordinaire) à cause de projets comme le AT&T building par Johnson ayant répondu à la commande de grandes firmes de production immobilière à des fins commerciales ? Goldberger explique alors qu’« il est difficile d’échapper au sentiment qu’une exposition telle que ‘Deconstructivist Architecture’ est une parodie de l’idéologie constructiviste opposant le brave guérillero Bolshevik Decons contre les chiens ornementés du postmodernisme capitaliste. »40. De son côté, Mary McLeod soutient également une idée sur la ‘commercialisation’ du postmodernisme. Dans Architecture and Politics in the Reagan Era, elle entend comprendre l’évolution du postmodernisme au déconstructivisme et soutient qu’au départ, « les architectes postmodernes avaient montré une indifférence marquée face aux politiques économiques et sociales. »41. À son sens, des postmodernistes tels que « Venturi, Johnson et Stanley Tigerman voyaient l’histoire comme une promesse de liberté et de changements, mais seulement sur un plan esthétique »42. Pourtant, « paradoxalement, tandis que le marché optait de plus en plus pour le « The Edifice Complex », postmodernisme, la valeur de la variété elle-même dans Avenue, 1987 devint suspecte. Beaucoup de styles et un seul passé. Au milieu des années 1880, les publicités immobilières avaient déjà désigné le postmodernisme comme un style historique en soit. »43. Les difficultés face à la compréhension de l’existence et la proclamation d’un nouveau style ou non furent amplifiées par le passé de Johnson en tant que curateur, architecte, et célébrité dans le monde de l’architecture. En effet, certains semblent dirent que Johnson fut l’homme qui choisissait quel mouvement serait le prochain en architecture, et ce pendant une bonne partie du 20e siècle. Dans le catalogue de l’exposition, Wigley ne cesse d’affirmer que ceci « n’est pas un nouveau style ; les projets ne partagent pas simplement une esthétique (...) ce que les architectes partagent est le fait que chacun construise un bâtiment troublant en exploitant le

39 : Loc. cit. __ * 40 : Wilson, W. « Debating Pros and Cons of the Deconstructivists », dans Los Angeles Times, 3 juillet 1988 __ * 41 : McLeod, M. « Architecture and Politics in the Reagan Era: From Postmodernism to Deconstructivism », dans Assemblage, n° 8, février 1989, p.30 __ * 42 : Loc. cit. __ * 43 : Ibid., p.34 __ *

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CONTEXTE potentiel caché du modernisme. »44. Il suggère alors que l’exposition « n’est pas une rhétorique du neuf », mais qu’« elle expose l’inconnu caché dans le traditionnel. »45. Les allusions au modernisme deviennent donc innombrables. Johnson aurait-il alors remis un pied dans le modernisme qui semblait jusque-là mort ? La symétrie se dessinant dans l’inconscient collectif entre l’exposition de 1932 et Deconstructivist Architecture pourrait avoir permis de telles interprétations. En effet, Johnson fut souvent considéré comme « le père du modernisme (et le beau-père fortuné du postmodernisme). »46. Il n’est alors pas étonnant que des critiques de la presse tels que Paul Goldberger écrivent ensuite que « ces jeunes architectes sont retournés au modernisme, non pas pour reproduire ses formes littéralement, mais pour les déformer et les remettre ensemble d’une manière qui soit bien plus la leur »47. De même, Mary McLeod s’exprime sur la similarité entre le déconstructivisme et le modernisme : “As a reaction to postmodernism, deconstructivism shares certain aspects with modernism. Its preference for abstract forms, its rejection of continuity and tradition, its fascination with technological imagery, its disdain for academicism, its polemical and apocalyptical rhetoric – are all reminiscent of an earlier modern epoch.”48 Bien que Mary McLeod admette la corrélation entre le déconstructivisme et le modernisme, elle tente toutefois de démontrer que le déconstructivisme pourrait être considéré comme appartenant au mouvement postmoderniste. Premièrement, elle analyse que « comme le postmodernisme, cette nouvelle tendance rejette les prémisses idéologiques fondamentales du mouvement moderne : fonctionnalisme, rationalisme structurel, et une foie en la régénération sociale. »49. De plus, comme le postmodernisme, « le déconstructivisme souligne lui aussi les propriétés formelles de l’architecture », elle ajoute également que dans ce contexte, « il est ironique que le constructivisme russe, avec ses programmes sociaux et politiques, soit considéré comme sa première source. »50. En effet, certains expriment leur incompréhension face au fait que l’influence poststructuraliste en architecture ait pu mener à un accent encore plus fort sur la forme comme fin en soi que cela ne l’était dans les prémisses du postmodernisme. McLeod appuie ensuite sur la disparition du rôle 44 : Johnson, P., et M. Wigley. Deconstructivist Architecture. Museum of Modern Art, New York, 1988, p.19 __ * 45 : Ibid., p.18 __ * 46 : Wigley, M., et M. C. Pederson, « Deconstructivim:The Kamikaze Mission. » dans Metropolis 30, n ° 9, 2011 __ * 47 : Goldberger, P. « Inventive Solutions : Architecture: Cycles of Invention. » dans New York Times, 10 avril 1988 __ * 48 : McLeod, M. « Architecture and Politics in the Reagan Era: From Postmodernism to Deconstructivism », dans Assemblage, n° 8, février 1989, p.45 49 : Loc. cit. __ * 50 : Loc. cit. __ *

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CONTEXTE social de l’architecture dans ce nouveau mouvement. Elle explique que « le rôle critique du déconstructivisme reste illusoire », car « la plupart des contributions politiques les plus progressistes de la théorie poststructuraliste ont disparu lors de son application à l’architecture. »51. Elle suggère alors : “Both postmodernism and deconstructivism can be seen as having staked out areas of cultural practice that retain some vitality in an increasingly administered and rationalized society: the postmodernists by looking to forms that predate the hegemony of bureaucratic modernization; the poststructuralists by challenging the precepts of rationality and of order itself.”52 Bien que prônant la renaissance d’un certain type de modernisme, le déconstructivisme est alors perçu comme ayant perdu le rôle social de l’architecture. De plus, même si ce dernier tente de se détacher du postmodernisme, on le remarque parfois comme faisant partie de ce mouvement, de par sa dévotion aux propriétés formelles de l’architecture. C’est pourquoi James Wines souligne également, à son sens, cette erreur de la part de Wigley en définissant la déconstruction comme étant « non pas à propos de la forme, mais de l’attitude », il écrit alors que « le raisonnement de Wigley était manifestement une pauvre tactique de camouflage pour promouvoir une version légèrement modifiée de l’esthétique moderniste pour être une dernière fois sous les feux de la rampe. »53. Deux ans après l’exposition, Charles Jencks publie un ouvrage à propos de ceux qu’il nomme les Nouveaux Modernes, où il suggère un style qui aurait « émergé comme un nouveau-né des ruines de l’International Style » et ce « en opposition avec ce qui est maintenant considéré comme vieux jeu : le postmodernisme. »54. Il les analyse comme « n’étant plus des utopistes rêvant de changer la société, mais plutôt des esthètes qui jouent avec les formes modernistes : leur message essentiel n’est pas éthique, mais stylistique »55. Notons qu’après de nombreux rejets de l’exposition organisée par Johnson, et bien que les curateurs aient longuement insisté sur le fait qu’ils ne souhaitaient pas mettre en avant un isme, ou un quelconque mouvement, Jencks se résout tout de même à parler de l’apparition d’un nouveau mouvement : “The New or Neo-Modern is closely related to what has been called ‘Deconstructivism’ (...) There’s more to it than this fashionable borrowing from philosophy, but still the ‘New’ in the label, insofar as it is unique, relates to the

51 : Ibid., p.51 __ * 52 : Ibid., p.54 53 : Wines, J. « The Slippery Floor » dans Papadakis A., C. Cooke et A. E. Benjamin. Deconstruction: Omnibus Volume, Academy Editions, 1989, p.137 __ * 54 : Jencks, C. The New Moderns: from Late to Neo-Modernism, Academy Editions, 1990, p.13 __ * 55 : Ibid., p.14 __ *

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CONTEXTE shift in Modernist doctrine brought about by Derrida and Deconstruction (...) The shift was at once ideological, stylistic and typological, and when changes occur on all three levels we may speak of a ‘new’ movement.”56

56 : Ibid., p.9

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Le domaine de la théorie de l’architecture a indubitablement subi les conséquences de transformations considérables au sein de notre société à la fin du 20e siècle. En effet, à l’approche des années 2000, nombreux ont été les théoriciens ayant annoncé la mort de la théorie de l’architecture. Dès le milieu des années 1980, on observe une introspection de l’architecture de la part de ses praticiens, ces derniers se questionnant sur le passé, le présent et le futur de leur discipline. Le rôle de l’architecture au sein d’une société en pleine mutation est alors remis en question. Ceci semble être en partie du à l’apparition d’une nouvelle ère de la digitalisation et des nouveaux moyens de communication qui y sont associés. C’est dans un monde étouffé par la communication de masse, que l’on voit se répandre un nouveau visage de l’architecte aujourd’hui connu sous le nom de starchitecte. Serait-il plausible que l’exposition Deconstructivist Architecture, ayant pris place au cœur de ces changements substantiels, ait été un évènement déterminant dans les nouvelles directions prises par la théorie de l’architecture ?

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CHAPITRE IV :

CONSÉQUENCES



CONSÉQUENCES

I. UN MOUVEMENT ÉPHÉMÈRE Finalement, la démesure de l’impact médiatique de l’évènement au Museum of Modern Art entraîna, bien qu’à l’encontre de ce que les curateurs impulsaient, une forte considération du mouvement proclamé. Cependant, comme nous l’avons relevé à plusieurs occasions, certains acteurs demeuraient sceptiques à cette promulgation. En effet, celle-ci fut considérée à maintes reprises comme une ‘mode’, une ‘tendance dernier cri’. Tina Di Carlo note alors que « s’il y eut cinq fois plus de retombées médiatiques pour ‘Deconstructivist Architecture’ que pour n’importe quelle autre des cinq expositions de la série Hines, ce fut sans doute celle qui remporta le moins de succès. Ce fut la moins longue en durée, elle reçut les critiques les plus sévères à l’époque on l’a même considérée comme un échec (...) »1. Il semblerait alors que la confusion du fond théorique de l’exposition mis en exergue dans le catalogue ne fit qu’engager des polémiques spéculatives de la part du public et des critiques, et son manque de clarté empêcha ces derniers de prendre conscience de la portée du spectacle auquel ils assistaient. Notons tout d’abord l’influence d’une institution telle que le MoMA dans la naissance d’une si grande controverse. Dans son article pour Assemblage de 1989, Mary Mc Leod s’interroge : « à quel point un mouvement peut-il être subversif lorsqu’il obtient simultanément la sanction de deux des musées les plus importants de New York ? Un défi peut-il être durable lorsque les forces l’ayant promu (Philip Johnson, les dîners au Century Club, l’Université de Princeton, Max Protetch et le MoMA) ont d’étranges similarités avec celles ayant aidé à institutionnaliser ce qu’il tente de critiquer — l’architecture postmoderne ?»2. L’impact de cette exposition n’aurait certainement pas été le même si elle n’avait pas eu lieu au Museum of Modern Art. Dans un article de 2009, Sylvia Lavin qualifie le MoMA comme suit : “MoMA has long considered itself the very home of good architectural design and remains the institution of record for architecture, using its exhibits and collections to constitute itself as the standard bearer of value and importance,

1 : Di Carlo, T. « L’exposition ‘Deconstructivist Architecture’ (# 1489) et le Museum of Modern Art », dans Cahiers du Musée National d’Art Moderne, n° 129, automne 2014, p.82 2 : McLeod, M. « Architecture and Politics in the Reagan Era: From Postmodernism to Deconstructivism », dans Assemblage, n° 8, février 1989, p.53 __ *

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CONSÉQUENCES not only in the US, but for Europe as well.”3 Rappelons alors les retentissements de l’exposition International Style de 1932, point de départ de l’architecture moderne aux États-Unis, où les travaux de Le Corbusier, Mies Van Der Rohe, Walter Gropius et J.J.P. Oud étaient présentés pour la première fois. En 1988, il semblerait que le MoMA avait réussi à construire les fondations nécessaires à l’annonce d’un ultime ‘style’. De plus, comme nous l’avons déjà suggéré, la position de Johnson dans le monde de l’architecture au cours du 20e siècle ne fit qu’accentuer ces faits. Dans la préface de l’ouvrage Deconstruction : Omnibus Volume, Andreas Papadakis déclare que « peu d’idées concernant l’architecture ont créé une agitation telle que celle émise par la déconstruction dans la période relativement courte depuis qu’elle s’est généralisée et a gagné une notoriété publique. »4. On pense alors à l’accélération du temps. En effet, nombreux sont les critiques qui mettent alors l’accent sur la Couverture du catalogue de rapidité avec laquelle de nouveaux mouvements l’exposition de 1932, MoMA sont proclamés. La crédibilité quant à l’acceptation d’une telle affirmation est donc fréquemment remise en question. Mary Mc Leod observe en 1989 que « le cycle semble de plus en plus rapide, la proclamation et la consommation sont presque simultanées. »5. Il semble donc que l’histoire s’écrit de plus en plus vite, au détriment du recul nécessaire à l’approbation de ce qui appartient ou non à cette dernière. Dans Fashion in Bricks and Mortar Make Room for Conscience, article daté du 25 décembre 1988, Paul Goldberger se questionne : “Why, then, did Deconstructivism sink nearly as fast as it rose? It turned out not to be the architectural event of the year but the architectural media event of the year, hailed in slick magazines but ultimately of little relevance to the larger issues architecture must confront. Deconstructivism’s cool, abstract lines, its disquiet angles intended as a response to post-Modernism’s increasing preoccupation with lavish and highly traditional decoration, turned out to be really no more than an esthetic response.”6

3 : Lavin, S. « Kissing Architecture: Super Disciplinarity and Confounding Mediums », dans Log, n° 17, automne 2009, p.10 4 : Papadakis, A. « Foreword », dans Deconstruction : Omnibus Volume, Academy Edition, 1989, p.7 __ * 5 : McLeod, M. Op. cit., p.53 __ * 6 : Goldberger, P. « Architecture View: Fashions in Bricks and Mortar Make Room for Conscience », dans New York Times, 25 décembre 1988

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CONSÉQUENCES En bref, l’exposition est par-dessus tout perçue comme la preuve que l’architecture ne sait plus se concentrer sur des intérêts autres que les tendances esthétiques auxquelles elle aspire. Golberger poursuit donc en analysant : « L’architecture déconstructiviste était un regard différent, certainement, mais sous ses formes fraîches elle n’offrait pas de réelle alternative aux problèmes du postmodernisme. », et affirme que celle-ci n’est pas si différente du postmodernisme, car « la raison pour laquelle une multitude d’aspects du postmodernisme devenaient obsolètes n’était pas ses ornements, mais son indifférence à un monde au-delà de la mode. ». « Jusqu’à maintenant », dit-il, Couverture du catalogue de « les années 1980 ont été marquées par une richesse l’exposition de 1988, MoMA extraordinaire, et une indifférence généralisée envers un monde qui dépasse le style et la forme. »7. Ce que Philip Johnson et Mark Wigley ne souhaitent pas désigner comme un –isme, ou plus précisément comme un mouvement, est finalement perçu comme un simple désir esthétique, sans fondement théorique, omettant alors un contexte social, politique et économique pourtant important au devenir de l’architecture. Mary Mc Leod débat : “For Johnson, stylistic eclecticism meant simply aesthetic liberation: an invitation to a new art for art’s sake.”8 Aujourd’hui, l’existence ou non d’un mouvement déconstructiviste et son appartenance au postmodernisme restent non clarifiées. Dans les ouvrages reprenant les théories de l’architecture du 20e siècle, on voit souvent apparaître les théories des architectes exposés, individuellement et non regroupées sous forme d’un seul et même mouvement dénommé ‘déconstructivisme’. Pourtant, au début des années 1990, il semblerait que le mouvement déconstructiviste apparaisse déjà dans les livres reprenant l’histoire de la théorie de l’architecture. Le MoMA a légitimé le terme de déconstruction appliqué à l’architecture. La rapidité avec laquelle celui-ci fut accepté est certes étonnante, mais si cette même rapidité s’applique à l’omission de l’exposition dans la mémoire collective, nous pourrions manquer à un instant critique dans la théorie de l’architecture et ne pas saisir l’entièreté du contexte dans laquelle elle a pris un tournant inattendu. Dans une interview de Peter Eisenman pour Perspecta, en 2010, ce dernier prétend que « Decon est un terme qui fut détourné depuis le départ. L’exposition déconstructiviste au MoMA, qui a

7 : Loc. cit. __ * 8 : McLeod, M. Op. cit., p.30

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CONSÉQUENCES tué le postmodernisme, a aussi tué le déconstructivisme (...) Le déconstructivisme était mort au moment même où il était devenu un style (...) »9. Toutefois, Tina Di Carlo insiste longuement sur le fait que l’incidence de l’exposition fut démesurée vis-à-vis de sa taille restreinte. Elle note qu’« en dépit du drame ayant été rapporté par la presse, l’installation était probablement petite, sinon instrumentale. Produite ‘dans la précipitation’, l’exposition passa de lancement à achèvement en moins de 11 mois (...) »10. Comme nous l’avons constaté, l’importance du MoMA dans l’édification d’un tel phénomène ne devrait pas être négligée. Cependant, il faut également noter que la figure de Philip Johnson, anciennement cocurateur de l’exposition sur le Style International, entraîna elle aussi l’envergure attendue par l’exposition. Dans un article de Los Angeles Times de juillet 1988, Sam Hall Kaplan décrit de manière critique l’exposition fraîchement rendue publique et souligne un point de vue partagé par d’autres : “Immodestly promoting this modest exhibit is Philip Johnson, who in the past has ridden in the curl of International Style as the director of MoMA in the early 1930s, of fascism as a commentator for a right-wing journal in the late 1930s, of Modernism as a MoMA benefactor and sometimes architects in the 1950s and ’60s, and of Postmodernism, as the salesman, with design partner John Burgee, of some of the more fanciful corporate cathedrals of the last decade.”11 Il ne fait aucun doute que l’exposition fut alors perçue comme l’ultime proclamation d’un nouveau style par cet homme qui, en fin de vie, ne cessait d’affirmer que l’architecture ne pouvait être définie par un seul et même style. Il semblerait qu’il s’agisse pour lui de l’évènement permettant de légitimer les changements de direction qu’il eut pris au cours de sa vie face aux transformations de l’architecture. Grâce à cette exposition, il se donne le droit de critiquer un manque d’ouverture d’esprit de la part de ses confrères qui ont sans arrêt jugé défavorable sa capacité à détruire un ‘style’ dont il a précédemment chanté les louanges.

9 : Eisenman, P. « A conversation with Peter Eisenman », dans Perspecta 43 : TABOO, 2010, p.46 __ * 10 : Di Carlo,T. The Construction of an Exhibition within Architecture Culture: Deconstructivist Architecture, The Museum of Modern Art, 1988. (Thèse de doctorat, Oslo School of Architecture and Design, 2016), p.9 __ * 11 : Kaplan, S. H. « Architecture as Sculptural Objects », dans Los Angeles Times, 24 juillet 1988

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CONSÉQUENCES

II. INTROSPECTION DE L’ARCHITECTURE Cet évènement et ses répercussions prennent place à une époque difficile pour l’architecture, et il semblerait qu’ils en représentent parfaitement la crise que certains tentaient de surmonter. Ainsi, le texte inscrit sur le mur de l’entrée de l’exposition insole l’excès de règles subies par l’architecture depuis les années 1920 : “The subversion of pure form pushes architecture to its limits, redefining its most basic problems: structure and function. But these projects are both structurally sound and functionally efficient. They derive their force precisely from not playing in the sanctuaries of seductive drawings, obscure theory, or uninhabitable sculpture. Instead they belong to the realm of building. Each aims at the reality of built form. Some have been built, other will be built, and some will never be built. But they are all buildable, and as such constitute strategic cultural interventions that produce a certain disquiet by displacing the conservative institution of architecture.”12 L’exposition représente donc ce que l’architecture des années 1980 souhaite réfuter. Dans le catalogue de l’exposition, on constate une perpétuelle négation de la part de Wigley. En effet, dans sa description des travaux présentés, il appuie sur ce que l’exposition ‘n’est pas’, plutôt que de transmettre au public ce qu’elle ‘est’. En effet, il commence par affirmer que les projets « ne sont pas une application de la théorie déconstructive », qu’un architecte déconstructiviste « n’est pas celui qui démantèle les bâtiments »13. Il poursuit en précisant que ces derniers « n’imitent pas de manière capricieuse le vocabulaire des constructivistes russes », que la perturbation « ne résulte pas d’une violence externe »14, que « l’architecture déconstructiviste n’est pas la rhétorique du neuf », qu’elle ne « constitue pas une avant-garde », que « ces travaux ne sont pas fondamentalement différents de l’ancienne tradition »15. De plus, il ajoute que « le travail dans cette exposition n’est ni une projection dans 12 : Texte inscrit sur le mur de l’exposition 1489, archives du MoMA, tiré de Di Carlo, Tina. The Construction of an Exhibition within Architecture Culture: Deconstructivist Architecture, The Museum of Modern Art, 1988. (Thèse de doctorat, Oslo School of Architecture and Design, 2016), p.280 13 : Johnson, P., et M. Wigley. Deconstructivist Architecture. Museum of Modern Art, New York, 1988, p.11 __ * 14 : Ibid., p.16 __ * 15 : Ibid., p.18 __ *

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CONSÉQUENCES le futur ni une simple commémoration historiciste du passé »16, qu’il ne s’agit « pas d’un nouveau style »17, que cela « ne devrait pas être perçu comme un rejet de la théorie »18, que Johnson et lui-même ne promulguent pas un nouveau mouvement, que « l’architecture déconstructiviste n’est pas un -isme »19, et enfin que « la quiétude que ces bâtiments produisent n’est pas seulement perceptible : elle n’est pas une réponse personnelle aux travaux, ni même un état d’esprit. »20. Finalement, il conclut en faisant part de leur désir de combiner ces architectes pour produire un débat. Toutes ces négations nous donnent alors le sentiment d’une architecture ‘malade’, ayant peine à se dépourvoir de ses précédents. En effet, elle semble ressentir la nécessité d’une introspection, d’une sorte de psychanalyse d’elle-même de manière à se purger de son histoire récente lourde en transformations. Pour ce faire, le contenu de l’exposition n’est finalement pas si important aux yeux du public. Il s’agit d’une révolte. Dès lors, Sam Hall Kaplan décrit les travaux présentés comme « exposés sous l’étendard maladivement défini du ‘déconstructivisme’ (...) »21. En effet, greffés aux négations relevées dans la tournure des phrases de Wigley, nous observons également la négativité des termes utilisés pour tracer le portrait de l’architecture exposée. Ce Parc de la Villette, Paris, Bernard Tschumi, 1982 dernier la définit comme « contaminée », il parle d’un « cauchemar »22, il ajoute qu’elle est « impure », « torturée », « instable », « agitée »23. Puis l’angoisse s’amplifie lorsqu’il la qualifie d’architecture de « perturbation, luxation, déflexion, déviation, distorsion, déformation (...) »24. Un an plus tard, Mary McLeod tente donc d’imager ce que les architectes exposés souhaitent accomplir : “Instead of seeking cultural communication, architecture, in their view, should make explicit its purported obliteration. Fragmentation, dispersion, decentering,

16 : Loc. cit. __ * 17 : Ibid., p.19 __ * 18 : Loc. cit. __ * 19 : Loc. cit. __ * 20 : Loc. cit. __ * 21 : Kaplan, S. H. « Architecture as Sculptural Objects », dans Los Angeles Times, 24 juillet 1988 __ * 22 : Johnson, P., et M. Wigley. Deconstructivist Architecture. Museum of Modern Art, New York, 1988, p.10 __ * 23 : Ibid., p.11 __ * 24 : Ibid., p.17 __ *

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CONSÉQUENCES schizophrenia, disturbance are the new objectives; it is from these qualities that architecture is to gain its ‘critical’ edge.”25 Cependant, le problème d’une telle introspection était prévisible. À force de mettre en avant une architecture qui ‘n’est rien’ de tout ce que l’on connaît, mis à part par sa ressemblance avec les formes du constructivisme russe, on se questionne sur la place de l’héritage théorique qui s’accompagnait autrefois de notions sociales, fonctionnelles, d’usage, politiques, ou économiques, étant le miroir d’une société Rooftop remodeling, Vienne, Coop Himmelblau, 1984-88 à un instant donné. Dès lors, le critique Douglas Davis met l’accent sur une exposition qui reflète les positions formelles de Johnson lui-même. Pour lui, les travaux ont été entièrement isolés de leur contexte social ou de leur usage. Il observe que « la rédaction du catalogue par Wigley, comme l’exposition elle-même, est obsédée par les caractéristiques formelles des travaux exposés. ». Wigley « ne fait presque aucune référence à la fonction de ces bâtiments, ou à leurs usagers », écrit-il, « au-delà des lamentations occasionnelles du chaos et du désordre menaçant notre temps, à la manière de la nouvelle marque de commerce de Eisenman sur l’Apocalypse, il [Wigley] ne revendique pas un objectif plus large de l’architecture, qu’il soit social ou d’usage. »26. Notons que dans sa lettre destinée à Jacques Derrida, Eisenman présente ses travaux comme une architecture « qui considère que l’architecture pourrait écrire quelque chose d’autre que ses propres textes traditionnels à propos de la fonction, la structure, le sens, et l’esthétique. »27. Bien que ce dernier ne précise pas ce que cette autre chose pourrait être, il semble loin de croire que l’aboutissement de sa pensée devrait être exposé pour sa simple valeur esthétique et formelle. Toutefois, McLeod souligne le fait qu’« on pourrait soutenir que l’influence poststructuraliste a mené à une focalisation encore plus grande sur la forme »28. Il paraît donc étonnant, pour en revenir à la notion de déconstruction appliquée au titre de l’exposition, que le dénouement d’un tel évènement ne soit perçu que par son allure formelle. McLeod poursuit son article en mettant l’accent sur ce qu’elle nomme « hermétisme formel » et qui, à son sens, est un aspect important 25 : McLeod, M. « Architecture and Politics in the Reagan Era: From Postmodernism to Deconstructivism », dans Assemblage, n° 8, février 1989, p.43 26 : Davis, D. « Architecture: Slaving the Neo-modern Dragon », dans Art in America 77, n°1, janvier 1989, p.46 __ * 27 : Eisenman, P. « Post/El Cards: A Reply to Jacques Derrida », dans Assemblage, n° 12, août 1990, p.17 28 : McLeod, M. Op. cit., p.47 __ *

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CONSÉQUENCES de l’architecture déconstructiviste. En effet, elle considère que l’esthétisation de l’architecture déconstructiviste s’écarte des processus sociaux traditionnellement explorés par l’architecture, mais que les recherches formelles qu’elle entreprend pourraient obtenir des résonnances progressistes, tout comme celles des prémisses de l’architecture moderne. Pour elle, ces formes ne sont pas silencieuses, et dans leur héritage des notions révolutionnaires du constructivisme, possèdent « une fraîcheur et une énergie qui embrasse le présent et le futur (...) Peu importe le désespoir que ces projets risquent d’acheminer sur le plan social, ils projettent un optimisme vigoureux sur le plan artistique. »29. Cependant, reprenant le terme d’hermétisme formel elle explique : “But the implications of other aspects of deconstructivism’s formal hermeticism are more problematic. One consequence is a potential narrowing of audience. Although the general public might respond to the images’ aesthetic exuberance and technological bravura, most likely only a small cultural elite will appreciate the iconoclasm of forms, the inversions of common sense and everyday expectations.”30 Il semblerait alors évident de saisir, après analyse des critiques ayant été immédiatement publiées à propos de l’exposition, la présence de la déconstruction dans le regroupement des travaux la composant. En effet, nous avons relevé l’affirmation à maintes reprises de ce que l’architecture ne souhaite plus symboliser. L’époque rejette alors en grande partie l’enseignement qu’elle a reçu de ses prédécesseurs. Et bien que les curateurs aient proscrit l’idée de la déconstruction comme théorie à la base des travaux qu’ils exposent, il s’agissait bien là d’une volonté de déconstruire ce à quoi l’architecture du 20e siècle avait aspiré. En effet, l’évènement mis en place tente de mettre fin à l’institution même de l’architecture, en décrivant les travaux présentés comme une opposition aux notions que l’on connaît jusque là dans la discipline, comme étant le « parasite » qui souhaite troubler les valeurs stables et familières de cette dernière. La forme est alors opposée à la philosophie, le modernisme au postmodernisme, l’histoire à la théorie, et la mise en exergue de ces oppositions binaires entraînant toutes les polémiques que nous avons relevées relate finalement du processus de déconstruction. Peut-être alors que les Mies Van Der Rohe Memorial, curateurs n’avaient pas pour but de montrer la Berlin City Edge, Libeskind, 1984-88 déconstruction dans les projets d’architecture choisis, 29 : Ibid., p.48 __ * 30 : McLeod, M. « Architecture and Politics in the Reagan Era: From Postmodernism to Deconstructivism », dans Assemblage, n° 8, février 1989, p.50

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CONSÉQUENCES mais plutôt de catalyser les énergies, déchaîner les voix, déclencher le débat, et réveiller le sens critique des architectes sur leur propre sphère et sur l’institution de l’architecture. De plus, cette conséquence fut certainement facilitée par le fait qu’une opposition binaire existait déjà entre les deux curateurs : les positions philosophiques et théoriques de Wigley contre la position formelle de Johson furent à la base de ce transfert de l’architecture et de toutes les hypothèses alors émises sur la qualité de ses institutions. La question primaire sur l’appartenance du déconstructivisme au mouvement moderniste ou postmoderniste fut finalement étouffée au profit de questions plus profondes sur le devenir de la discipline.

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III. CANONISATION DES ARCHITECTES STARS L’intérêt de l’architecture dans les moyens de communication apparaît donc largement avec le mouvement postmoderne, lorsque l’on commence à considérer l’importance d’un bâtiment à être communicatif. L’attention alors donnée à cette valeur de l’architecture découle évidemment de l’assiduité avec laquelle la communication de masse s’installe dans la société de la fin des années 1970. On assiste dès lors à la survenance d’un nouveau public avide de connaissances architecturales, qui s’élargit grâce aux facilités communicatives entreprises par les forces médiatiques. Mary McLeod démontre en 1989 que « le modernisme avait échoué à communiquer ses valeurs à d’autres groupes que ceux constitués d’architectes professionnels », et ce contrairement à l’architecture postmoderne qui, dès lors qu’elle devient « le nouveau style des entreprises » et « commence à s’épanouir dans le boom économique des années 1980 »31, fait parler d’elle devant un public étendu au-delà des architectes et critiques de l’architecture. C’est à ce moment que l’on voit s’accroître un appétit collectif d’information à propos des nouvelles tendances de l’architecture, de ses transformations et ce particulièrement par le biais de la presse, mais aussi des expositions d’architecture alors en vogue. Dans un article daté de 2007, Michael ‘Architecture: the power and the glory’ Avenue, novembre 1987 Lewis décrit cette manifestation comme telle : “During the 1970s and 1980s, architecture became subject of intense public interest in a way it had not been before. Exhibitions of architecture began to attract crowds, and a collector’s market for architectural drawings suddenly came into being, virtually overnight. In part, this was the rise of postmodernist architecture, with its highly accessible Pop sensibility, which turned out to be quite popular after the long chilly interval of high modernism. Architects began 31 : McLeod, M. « Architecture and Politics in the Reagan Era: From Postmodernism to Deconstructivism », dans Assemblage, n° 8, février 1989, p.29 __ *

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CONSÉQUENCES to receive the same attention in mass-market publications that had not been seen since the death of Wright in 1959.”32 Une fois de plus, la figure de Philip Johnson en tant que curateur de l’exposition Deconstructivist Architecture n’a pu qu’enjouer l’impatience de la presse quant à l’exposition. En effet, lui-même ayant aspiré à une notoriété publique depuis le début de sa carrière, et étant considéré par Mary McLeod comme l’initiateur du postmodernisme en guise de nouveau style des grandes entreprises immobilières, avec la construction du célèbre Chippendale au sommet du bâtiment AT&T, la presse publique semblait désireuse de découvrir le nouvel esthétisme mis en avant par le fameux architecte. Dans son article Notes on Fame, édité en 2005, Nancy Levinson admet que « le business de la renommée et de l’architecture sont mis en perspective par l’immense importance des médias. »33. Elle explique alors que « très peu d’architectes ont réussi à dépasser les frontières de la discipline et à s’infiltrer dans une culture plus large »34 et prend en exemple Graves, Koolhaas et Gehry dans les dernières années, et Philip Johnson et Pei plusieurs années auparavant. Il paraît donc plausible que dans l’ère médiatique dont les années 1980s sont représentatives, la figure de Johnson à la tête de l’exposition permit aux architectes exposés de se distancer des limites du champ de l’architecture pour devenir ce que l’on appelle aujourd’hui des ‘starchitects’. Bien qu’il B. Tschumi, H. Swiczinsky, W. D. Prix, D. Libeskind, R. Koolhaas, Z. Hadid & M. Wigley, 1988 est probable que cet incident soit arrivé aux architectes à leur insu, la culture médiatique, couplée à la curiosité récente de l’architecture en la communication, les éleva au rang de vedettes de l’architecture. Certes, il reste indéniable que la presse n’était guère intéressée par le contenu de l’exposition, mais les noms sélectionnés par Johnson furent gravés dans les mémoires, de par le succès instantané de l’exposition et les polémiques qu’elle engendra. Tina Di Carlo déclare : “‘Deconstructivist Architecture’ lauded media attention, launching the era of the starchitect and specular and spectacular form amid an inflationary market.”35 De la même manière, Mary McLeod décrit le courant de cet évènement comme un passage crucial dans l’histoire de l’architecture où « l’image de 32 : Lewis, M. J. « The rise of the ‘starchitect’ », dans New Criterion 26, n°4, 2007, p.8 33 : Levinson, N. « Notes on Fame », dans Perspecta, vol. 37, Famous, 2005, p.22 __ * 34 : Loc. cit. __ * 35 : Di Carlo, T. « Exhibitionism as Inquiry? », dans OASE 88, 2012, p.41

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CONSÉQUENCES l’architecte se métamorphosa du militant social et puritain de l’esthétique à la star médiatique initiatrice de tendances. »36. Comme nous l’avons déjà relevé, le caractère médiatique de cette nouvelle tendance architecturale va de pair avec ce que les critiques constatent comme un manque de réalisme, et une approche formaliste de l’architecture. En effet, Franco La Cecla relève que le changement survenu après 1980 est caractérisé par des « architectes qui renoncent à participer à la manipulation disciplinaire de la société »37, et ajoute que « les architectes restent enfermés dans leur vertige ; ils savent que leur travail n’aura plus aucun effet sur la réalité, qu’il sera refusé ou transformé de façon radicale »38. À son sens, « face à cette évidence, la profession se replie sur elle-même et se livre à de purs exercices formels. »39, il s’agit d’« un pur délire qui passe pour un divertissement, un formalisme qui a perdu de vue les besoins les plus évidents, comme le retour à la connaissance du contexte, du territoire et des techniques traditionnelles de préservation des ressources. »40. Les architectes sont alors victimes du capitalisme et de l’influence des médias sur la reconnaissance de leur travail aujourd’hui. Dès lors, Nacy Levinson poursuit son article en mettant l’accent sur le fait qu’aux vues de la lenteur d’une création architecturale, une architecture qui tenterait d’être ‘à la mode’ et de ‘suivre le rythme’ serait inévitablement démodée avant même d’être conçue : “For all its visuality, then, architecture is uneasily suited to the media that generate and sustain fame. An art of felt presence and real time, a discipline that can take years to master and whose works can take years to create, architecture is a slow art. It doesn’t move at the pace of the globalized media, and it is stubbornly unresponsive to the new and the now, the au courant and the du jour – and when it does try to keep pace, to become fashionable, the results are usually dated before they are done.”41

36 : McLeod, M. Op. cit., p.38 __ * 37 : La Cecla, F. Contre l’architecture, Arléa, Paris, 2010, p.79 38 : Ibid., p.80 39 : Loc. cit. 40 : Ibid., p.85 41 : Levinson, N. « Notes on Fame », dans Perspecta, vol. 37, Famous, 2005, p.23

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IV. LA MORT DE LA THÉORIE ? Ces 30 dernières années firent preuve de lourdes transformations dans l’histoire de la théorie architecturale, et, parmi d’autres évènements, l’exposition Deconstructivist Architecture est certainement à l’image du tournant dont il fut question. Au courant des années 1960, avec la proclamation du postmodernisme comme nouvelle tendance architecturale, la théorie de l’architecture prit la forme d’une discipline à part entière, se distançant de plus en plus de sa propre pratique. Le tournant fut caractérisé par une lecture négative des commodités infligées à la pratique et l’enseignement de l’architecture. Michael K. Hays déclare que ces ‘sautes d’humeur’ « sont uniquement la formation d’une réaction contre ce que l’histoire nous a appris — une vie totalement réifiée — et qu’elles sont uniquement une requête pour quelque chose de différent, ‘l’autre côté que la théorie incarne’ »42. En reprenant les termes décrivant la théorie déconstructiviste du langage, il suggère que le phénomène est arrivé comme suit : “It was too much education and too disproportionate control, through our sheer demographics, over the distribution of cultural commodities It was the smoothness with which uncertainty, estrangement, and self-liquidation were converted into an affirmative project – a blending of bleakness with euphoria, extreme competence with resignation, and almost manic swings between exhilaration and contempt for the absolute ease which the signifier could be loosened from its signified and endlessly redistributed.”43 Une nouvelle forme de théorie apparaît alors au sein du champ architectural. Dans un article en date de 2009, Louis Martin soutient que cette dernière est apparue « juste après l’exposition Deconstructivist Architecture au Museum of Modern Art ». Il explique que « ce nouveau genre de théorie, qui n’a aucun précédent dans l’histoire architecturale, est souvent décrit comme un mode de pensée interdisciplinaire ‘à propos’ des enjeux de l’architecture », et ajoute qu’« il n’était pas seulement interdisciplinaire, caractéristique déjà présente en architecture depuis Vitruve », mais que « sa nouveauté portait sur la convergence de la déconstruction et de 42 : Hays, K. M. Architecture theory since 1968, The MIT Press, Cambridge, Mass, 1998, p.13 __ * 43 : I.D. « Architecture Theory, Media and the Question of Audience », dans Assemblage, n° 27, août 1995, p.45

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CONSÉQUENCES l’architecture corrélant avec l’invention de la ‘théorie critique de l’architecture’ pendant les années 1980 »44. Pour lui, le but d’une telle théorie n’était pas d’ériger un nouveau système, mais plutôt de « compromettre un système », enjeu manifeste d’un désir d’aller à l’encontre de ce que l’architecture était sur le point de devenir : « une institution répressive ou une métaphore archétypale de la raison »45. Dès lors, le terme ‘théorie’ ne représente pas réellement ce qui était en cours de fondement, car il s’agissait plus exactement de l’apparition d’une nouvelle forme de critique basée sur un reflet de la négativité observée au sein de la discipline. Sylvia Lavin énonce donc deux grands changements dans la production architecturale de ces 30 dernières années : “The fist was the critical turn, the incorporation into the discipline of a theoretical stance that foregrounded architecture’s conceptual structure (...) The second shift of parallel consequence was the digital revolution.”46 En effet, l’émergence de ce nouveau mode de pensée est intensifiée par l’avènement d’une nouvelle ère, celle de la digitalisation, qui va de pair avec l’intensification du caractère médiatique de l’architecture. Ainsi, Sylvia Lavin précise que « de différentes manières, le tournant critique et digital changèrent radicalement les termes avec lesquels l’architecture était définie – c’est à dire, comment elle était produite et comment elle était reçue dans le monde entier. »47. Comme nous l’avons déjà longuement relevé, au cours des quelques décennies passées, la production architecturale s’est lentement fait engloutir par une société contrôlée par les médias et axée sur le marketing. Il semblerait alors qu’il existe une corrélation entre ce caractère médiatique et l’émersion de la théorie critique. Mary McLeod déclare que « malgré l’obscurité du langage et des arguments, la théorie architecturale nourrit la machine médiatique, lui fournissant les phrases toutes faites dont elle a besoin pour décrire l’architecture. »48. De la même manière, Hays explique que « tandis que les logiques de communication étaient les premiers produits de la théorisation du signe architectural, le concept des médias (...) deviendrait l’élaboration logique de ce signe au cours des années 1980 »49. En effet, comme l’exprime clairement Bruce Thomas, « la pensée est préférable car elle peut être produite et consommée bien plus vite que la construction elle-même »50. Aujourd’hui, la structure médiatique se trouve alors au centre de la production architecturale. Dans une interview de 2009 pour Architectural Design, Denise Scott Brown met alors le point sur un des 44 : Martin, L. « Against Architecture », dans Log, n° 16, 2009, p.157 __ * 45 : Ibid., p.159 __ * 46 : Lavin, S. « Lying Fallow », dans Log, n° 29, automne 2013, p.17 47 : Ibid., p.18 __ * 48 : Mc Leod, M. « Theory and Practice », dans Assemblage, n° 41, 2000, p.51 __ * 49 : Hays, K. M. Architecture theory since 1968, The MIT Press, Cambridge, Mass, 1998, p.11 __ * 50 : Thomas, B. « Culture, Merchandise, or Just Light Entertainment? New Architecture at the Millennium », dans Journal of Architectural Education (1984 -), vol. 50, n° 4, mai 1997, p.254 __ *

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CONSÉQUENCES problèmes provenant de cette dernière instillation. Pour elle, « la capacité des systèmes de communication architecturaux d’aujourd’hui à répondre rapidement est intéressante, mais ils entraînent une grande différence pour l’architecte : les messages y sont déposés par quelqu’un d’autre, pas par l’architecte lui-même. »51. Dans le même numéro de la revue, Tschumi suggère qu’« en opposition avec les années 1970, le début du 21e siècle est caractérisé par un cycle de production et de consommation plus rapide »52, ce à quoi il ajoute que « c’est la commercialisation qui est problématique – lorsque la loi du marché commence à contrôler tous les aspects de la pensée architecturale. »53. Notons également que lors d’une interview par Perspecta en 2010, Peter Eisenman met en exergue les différents points qui, à son sens, sont aujourd’hui ‘tabou’ en architecture : “Number two is criticizing the media (...) No one wants to admit that today some architects are chosen for projects because of their media value.”54 Tout d’abord, la théorie de l’architecture est donc rendue distincte de sa pratique par son aspect interdisciplinaire. En effet, comme l’image Mario Carpo, « les architectes empruntent, adoptent adaptent ou améliorent occasionnellement les idées des autres – des idées qui à l’origine n’ont rien à voir avec l’architecture »55. Depuis toujours, la théorie architecturale est une pratique de médiation, c’est-àdire la production de connexions entre des analyses formelles ou architecturales et leur contexte social et culturel. Cependant, comme nous l’avons relevé, cet aspect de la théorie n’est pas propre aux années 1980, la théorie de l’architecture ayant toujours pris en considération les conditions contextuelles dans lesquelles elle s’inscrivait. Néanmoins, dans les années 1980, avec l’émergence de la théorie critique, on observe l’accroissement du schisme qui sépare la théorie de la pratique architecturale. En effet, Mallgrave constate que « depuis les années 1960, on suit une théorie de l’architecture poursuivant une voie de plus en plus indépendante et divergente de celle de la pratique architecturale. »56. On voit donc apparaître deux disciplines distinctes. Bruce Thomas ajoute donc à sa première remarque que : “That confusion is symptomatic of critics’ and theorists’ tendency to create a disjunction between design theory and what is actually built. This separation is 51 : Scott Brown, D. et F. Proto. « That Old Thing Called Flexibility; An Interview with Robert Venturi and Denise Scott Brown », dans Architectural Design 79: Deconstruction in Architecture: An Architectural Design Profile, n°1, 2009, p.71 __ * 52 : Tschumi, B. et M. Costanzo « Twenty Years After (Deconstructivism) An Interview with Bernard Tschumi », dans Architectural Design 79 : Deconstruction in Architecture: An Architectural Design Profile, n°1, 2009, p.26 __ * 53 : Ibid., p.27 __ * 54 : Eisenman, P. « A conversation with Peter Eisenman », dans Perspecta 43 : TABOO, 2010, p.44 55 : Carpo, M. « Architecture: Theory, Interdisciplinarity, and Methodological Eclecticism », dans Journal of the Society of Architectural Historians, vol. 64, n°4, décembre 2005, p.425 __ * 56 : Mallgrave, H. F. et D. J. Goodman. An Introduction to Architectural Theory: 1968 to the Present. 1ère Ed., Malden, MA: Wiley-Blackwell, 2011, p.563 __ *

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CONSÉQUENCES a fortuitous one for today’s media-driven culture, for it allows a choice to be made between architecture and merely thinking about architecture.”57 Évidemment, l’intensification de ce schisme entre la théorie et la pratique engendra certains problèmes concernant les champs approfondis dans l’entrecroisement des disciplines. Comme le démontre McLeod, « les tendances historicistes et poststructuralistes ont toutes deux mis l’accent sur les échecs de la rationalité instrumentale du mouvement moderne (...), mais ces deux positions ont erré dans une autre direction : dans leur abjuration de la sphère sociale et leur hypothèse que la forme reste un outil critique ou affirmatif indépendant des processus sociaux et économiques. »58. Les répercussions d’une telle pensée consistent donc en « des coûts sociaux trop élevés lorsque l’accent est mis exclusivement sur la forme. »59. Les critiques à propos de l’aspect présupposé strictement formel d’une architecture basée sur cette nouvelle forme de théorie ne cessèrent donc de fuser, ce qui incita fortement le phénomène à prendre fin. Mallgrave explique alors : “Thus it was very predictable that a kickback was inevitable, that challenges would be put forward to theory’s supposed philosophical autonomy (...) the 1990s was also caracterized by a remarkable theoretical fallback to the true and trusted notion of pragmatism.”60 Dans un article de Architectural Design daté de 2009, Christopher Hight annonce : « La mort de la théorie devrait être traitée historiquement. »61. Il soutient que « si la théorie critique fut un jour surprenante, perturbante et expérimentale — un moyen de ‘développer les intérêts’ — elle est devenue excessivement académique dans le pire des sens : omniprésente, prévisible, normative, et même moralisatrice. », elle est « obsolète dans le marché mondial. »62. C’est certainement suite à de nombreuses affirmations traitant de ce décès au cours des années 2000 que Hight certifie un tel évènement. Comme le prédit Sylvia Lavin en 1999, « la période de théorisation en architecture concernée par-dessus tout par les problèmes de signification, représentation, et critique arrive à ses fins. »63. En effet, c’est en avril 2000 que Michael K. Hays et Alicia Kennedy, éditeurs de la revue Assemblage depuis 1986, décident de mettre fin à leurs publications. Dans le dernier numéro de 57 : Thomas, B. Op. cit., p.254 58 : McLeod, M. « Architecture and Politics in the Reagan Era: From Postmodernism to Deconstructivism », dans Assemblage, n° 8, 1989, p. 55 __ * 59 : Loc. cit. __ * 60 : Mallgrave, H. F. et D. J. Goodman. Op. cit., p.563 61 : Hight, C. « Meeting the New Boss After the Death of Theory », dans Architectural Design 79: Deconstruction in Architecture: An Architectural Design Profile, n°1, 2009, p.42 __ * 62 : Loc. cit. __ * 63 : Lavin, S. « Theory into History; Or, the Will to Anthology », dans Journal of the Society of Architectural Historians, vol. 58, n°3, septembre 1999, p.498 __ *

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CONSÉQUENCES la revue, Mary McLeod écrit : “’Assemblage’ end hardly seems coincidental. An anti-intellectual current seems to be sweeping across American architecture schools. (...) A decade ago, students prided themselves on struggling through Derrida and Deleuze; now, a few buzz words suffice. There is a general sense that architecture theory has run out of gas, that the exciting venues are elsewhere: computers, new technology, and, now more important in this boom economy, building. Just as the theoretical underpinnings of postmodernism and ‘deconstructivism’ rose out of the ashes of the 1975 financial collapse, so, too, more recent theories (Deleuze, identity politics, postcolonial theory) were erected on the ruins of the building recession during the early 1990s.”64 On assiste donc à un phénomène encore jamais vu : l’annonce de la disparition de la théorie de l’architecture. Pourtant, cette dernière semble être un élément nécessaire à la compréhension de l’histoire de l’architecture. En effet, dans son dernier article pour Assemblage, Hays note que « la théorie, par ailleurs, est anachronique, souvent même de manière radicale. Elle couvre des aspects de la pratique de l’architecture qui, tandis que non utiles ou corrects pour construire ‘maintenant’, pourrait devenir une ressource pour les architectes futurs. »65. De la même manière, Mario Carpo observe que « Serlio, Palladio, et bien d’autres encore essayaient avant toute chose d’utiliser le passé pour améliorer le présent. Par conséquent, ils façonnèrent l’avenir. »66. À la fin du 20e siècle, on observe alors la prolifération de publications faisant l’anthologie de la théorie architecturale de ce dernier siècle, preuve que les critiques et théoriciens prirent peur de la dissolution de Couverture du dernier numéro de Assemblage, n° 41, 2000 mouvements de pensées riches en réflexions reflétant les transformations d’une société et de son contexte. Dans son ouvrage, publié en 1998, Architecture Theory since 1968, Hays nous procure un recueil de textes « confirmant les transformations du discours architectural sans précédent dans lesquelles la théorie remplaça la critique architecturale et rivalisa avec l’importance méthodologique de l’historiographie traditionnelle de l’architecture. »67. Cependant, bien qu’il nomma son livre theory since 1968, il semblerait que les textes choisis ne 64 : McLeod, M. « Theory and Practice », dans Assemblage, n° 41, 2000, p.51 65 : Hays, K. M. et A. Kennedy. « After All, or the End of ‘The End of ’ », dans Assemblage, n° 41, 2000, p.7 __ * 66 : Carpo, M. « Architecture: Theory, Interdisciplinarity, and Methodological Eclecticism », dans Journal of the Society of Architectural Historians, vol. 64, n°4, décembre 2005, p.426 __ * 67 : Hays, K. M. Architecture theory since 1968, The MIT Press, Cambridge, Mass, 1998, p.10 __ *

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CONSÉQUENCES soient pas réellement à composition non limitée dans le temps. En effet, l’ouvrage couvre une période qui se termine autour de 1990, et la cohésion des textes semble se dissoudre avec ceux écrits après l’exposition Deconstructivist Architecture de 1988. Il est donc probable que la théorie de l’architecture au sens de Hays et de sa revue Assemblage, prit fin avec l’évènement sur lequel porte le présent travail. Qu’en est-il alors de la théorie de l’architecture aujourd’hui ? Dans ce même article pour le dernier numéro de Assemblage, Hays suggérait que « le travail de la théorie (...) a maintenant besoin de nouveaux formats, de nouveaux styles, de nouvelles modalités, certaines plus rapides, d’autres plus lentes, certaines plus petites et plus concises, d’autres plus grandes et plus englobantes que Assemblage n’aurait jamais pu fournir. »68. Dans une interview de 2010, Rem Koolhaas soutient que « quelque chose de drastique est arrivé au cours des 30 dernières années en architecture – au fait de lire, de publier, de choisir l’esthétique de son livre, etc. »69. De nos jours, les revues d’architecture portant sur l’histoire et la théorie se font de plus en plus rares. Il semblerait que la globalisation et la consommation mondiale aient, dans le but de faciliter l’accessibilité et de démocratiser l’architecture, également eu des répercussions sur la publication architecturale, la plupart des revues actuelles prenant l’aspect de publicités immobilières, et étant largement portées sur l’image plus que sur le texte. L’ère de la digitalisation y est certainement pour quelque chose. En effet, Branko Mitrovik met l’accent sur le résultat engendré par cette révolution, où « la maîtrise de nouveaux outils pour le traitement des propriétés spatiales de l’architecture est devenu la préoccupation majeure de la profession. ». Il explique que tous ces outils sont principalement visuels. Pour lui, « la théorisation académique des décennies récentes à propos de sujets tels que le sens en architecture, l’authenticité, l’écriture et le langage, et l’absence de la présence et d’autres locutions de cette forme, ont toutes sombré dans l’oubli. »70. De plus, il démontre que les paradigmes dérivés de la théorie linguistique furent minés par l’introduction des ordinateurs et des logiciels de modélisation. Dès lors, Peter Eisenman suppose que « nous ne savons plus où aller parce que dans cette ère de la digitalisation nous ne savons plus ce qui présente un intérêt. Nous sommes des petits enfants dans un château de haute technologie, mais au lieu de frapper un autre enfant construisant un château de sable à la tête avec notre pelle, nous jouons avec des choses radioactives. »71. De son côté, Sylvia Lavin voit les choses de manière plus optimiste et suggère que l’architecture va indubitablement sortir de cette ère fastidieuse : 68 : Hays, K. M. et A. Kennedy. Op. cit., p.7 __ * 69 : Koolhaas, R. « Rem Koolhaas meets Peter Eisenman », dans Eisenman, P. et al. Supercritical: Peter Eisenman & Rem Koolhaas, vol. 1, Architectural Association, London, 2010, p.33 __ * 70 : Mitrovic, B. « Architectural Formalism and the Demise of the Linguistic Turn », dans Log, n° 17, automne 2009, p.24 __ * 71 : Eisenman, P. « A conversation with Peter Eisenman », dans Perspecta 43 : TABOO, 2010, p.46 __ *

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CONSÉQUENCES “Architecture must quietly bemoans the slowness of its practice, its hardearned expertise in patience in this case might be a virtue, since more time will allow the flatline to emerge not as a plane of boredom but as a plane of possibilities.”72

72 : Lavin, S. « Lying Fallow », dans Log, n° 29, automne 2013, p.24

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CONCLUSION



La conclusion de ce travail ne se veut pas être une synthèse de l’analyse menée, la complexité des faits exposés ne pouvant pas se résumer en quelques lignes. Cependant, elle souhaite émettre des hypothèses sur la volonté dissimulée des curateurs de pousser les théoriciens et critiques de l’architecture à se prononcer sur un état critique de l’architecture des années 1980, de manière à produire les écrits nécessaires au témoignage d’un instant déterminant sur le devenir de la discipline. En définitive, il semblerait que le déconstructivisme en architecture ne devrait pas se limiter à sa simple association aux architectes théoriciens présentés lors de l’exposition Deconstructivist Architecture. Cette exposition modeste eut un impact immédiat et d’ampleur indéniable à l’époque, mais le caractère particulier des polémiques qu’elle engendra est aujourd’hui largement mésestimé. Il est clair que Philip Johnson, ayant forgé sa notoriété au MoMA en 1932, profita de cette dernière occasion pour mettre en place la proclamation d’un dernier ‘style’ architectural prépondérant. Cependant, en saisissant la globalité du contexte dans lequel l’exposition s’inscrivait, nous avons pu prendre conscience de la complexité du phénomène qu’elle représentait. Les polémiques engendrées ont alors permis la production de nombreux écrits débattant de ce qu’avait été l’architecture du 20ème siècle et de ce qu’elle allait devenir à la fin des années 1980. Le traitement de ces informations nous a permis de comprendre que l’exposition Deconstructivist Architecture ne devrait finalement pas être assimilée à la déconstruction appliquée aux projets qu’elle exposa, mais plutôt être entendue comme la déconstruction des institutions et idéologies qui pesaient alors sur la discipline. Cette exposition et les polémiques qui l’encadrèrent attestent alors un moment clé à la compréhension des transformations subies par la discipline architecturale, et plus précisément à la réception de ses théories à la fin du 20e siècle. On y ausculte une architecture qui, mise en exergue par des projets regroupés en raison de leur style visuel présumé analogue au constructivisme russe, est perturbée et torturée par la rapidité des transformations qu’elle a endurées depuis les années 1920. Cette architecture souffre alors des questionnements autoréflexifs mentionnant son rôle et son devenir dans un monde bouleversé par le changement. Elle fait le récit d’une 101


société qui la menace par son caractère médiatique et capitaliste globalisant et ne lui accorde plus le temps de s’interroger sur ce qu’elle peut y apporter. La confusion des messages exprimés et l’aspect formel mis en avant dans l’exposition entraînent alors à une sorte d’apothéose de la théorie critique où chacun revient sur le cours du 20e siècle et essaie de saisir les faits qui ont abouti à un tel chavirement. La versatilité de Philip Johnson au cours de sa pratique de l’architecture est incontestable. Toutefois, la notoriété qu’il s’est forgée au fil du temps est une preuve de sa finesse et de son opportunisme. C’est pourquoi il semble irrationnel de croire qu’il ait choisi d’exposer des projets sous le terme du déconstructivisme sans avoir conscience de ce que cela engendrerait. Bien que Johnson prôna clairement la relation entre l’architecture exposée et le style visuel du constructivisme russe, il choisit, après de longues hésitations, de baptiser son exposition Deconstructivist Architecture. De par la présence de Mark Wigley en tant que co-curateur de l’exposition, et de l’influence de Peter Eisenman sur Johnson, celui-ci ne pouvait qu’être conscient de la signification du terme choisi. Les curateurs n’auraient-ils donc pas finalement souhaité, par le biais de l’utilisation d’un terme si révélateur, faire le point sur un instant dont les préoccupations allaient bien au-delà d’un strict aspect formel ? En constituant une « historiographie d’un passé récent », le présent travail aspire à offrir la restructuration du matériel enfanté par l’évènement pour qu’il puisse être utilisé en vue d’un questionnement introspectif de la discipline architecturale aujourd’hui. Il a toujours semblé important de comprendre les évènements passés pour saisir l’état présent, c’est pourquoi il apparaît nécessaire, dans un monde submergé par l’accélération du temps, de documenter cette histoire récente. En effet, il fut un temps où le champ de la théorie de l’architecture examinait son passé récent de manière à progresser. Aujourd’hui, il apparaît que nous vivons dans un monde totalement différent, où l’architecture doit répondre d’urgence à des préoccupations sociales, environnementales et économiques. Comme nous l’avons relevé, la mort de la théorie architecturale fut annoncée à l’approche des années 2000, mais ne s’est-elle pas tout simplement transformée ? Si oui, lui est-il encore nécessaire, comme ce fut le cas en 1988, de traiter de son propre passé ?

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ICONOGRAPHIE

ICONOGRAPHIE Chapitre 1 : p. 21 : Jacques Derrida en conversation avec Christopher Norris, mars 1988 dans Papadakis, Andreas, Catherine Cooke, et Andrew E. Benjamin, Deconstruction: Omnibus Volume. Academy Editions, 1989, p.69 p.22 : Exposition Modern Architecture: International, 1932 (The Museum of Modern Art Archives, New York) [en ligne] https://www.moma.org/calendar/exhibitions/2044 (consulté le 6 juillet 2017) p.23: Exposition The architecture of the Ecole des Beaux Arts, 1975 (The Museum of Modern Art Archives, New York) [en ligne] https://www.moma.org/calendar/exhibitions/2483/installation_ images/6?locale=fr (consulté le 6 juillet 2017) p.24 : Philip Johnson en conférence à Harvard, 1954 dans Johnson, Philip. « The Seven Crutches of Modern Architecture », Perspecta, vol. 3, 1955, p. 40, photographe : Norman Ives p.25 : Johnson en couverture du magazine Time, 1979 dans Time, 8 janvier 1979, couverture p.26: AT&T Building, 1978 (Johnson/Burgee Architects), New York dans Jencks, Charles. The New Moderns: from Late to Neo-Modernism, Academy Editions, 1990, p.56 p.28 : Vue sur la première salle de l’exposition, Deconstructivist Architecture (The Museum of Modern Art Archives, New York) [en ligne] https://www.moma.org/calendar/exhibitions/1813/installation_ images/0?locale=fr (consulté le 27 mars 2017)

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ICONOGRAPHIE p.29: Self-aligning ball bearing, 1929, The Museum of Modern Art, New York dans Johnson, Philip et Mark Wigley. Deconstructivist Architecture. Museum of Modern Art, New York, 1988. p.8 p.29: Spring house, Nevada, 1860s dans Johnson, Philip et Mark Wigley. Deconstructivist Architecture. Museum of Modern Art, New York, 1988. p.8

Chapitre 2 : p.38: Building as sign, Venturi & Scott Brown dans Venturi, Robert, Denise Scott Brown, & Steven Izenour, Learning from Las Vegas, Cambridge, Mass: MIT Press, 1972, p. 17 p.40: Mark Wigley, dans Di Carlo Tina, The Construction of an Exhibition within Architecture Culture: Deconstructivist Architecture, The Museum of Modern Art, 1988. (Thèse de doctorat, Oslo School of Architecture and Design, 2016) p.11 p.43 : Couverture de l’ouvrage de Mark Wigley dans Wigley, Mark, The Architecture of Deconstruction: Derrida’s Haunt. MIT Press, 1995. p.47: Robert Stern, Philip Johnson & Peter Eisenman, 1991 dans Spy, mai 1991, p.51 p.48 : « John Taylor Deconstructs the Architect of the Hour », dans New York Magazine, octobre 1988, p.17

Chapitre 3 : p.58: Glass House, Philip Johnson, 1949 [en ligne] http://www.architectmagazine.com/technology/getting-insidephilip-johnsons-head-at-the-glass-house_o (consulté le 3 août 2017) p.58: Four seasons restaurant, Seagram Building, 1959 dans Jencks, Charles. The New Moderns: from Late to Neo-Modernism, Academy Editions, 1990, p.147 115


ICONOGRAPHIE

p.59: Pittsburgh Plate Glass, 1984 dans Jencks, Charles. The New Moderns: from Late to Neo-Modernism, Academy Editions, 1990, p.152 p.61: Exposition Revolution: Russian Avant-Garde, 1912-1930, 1975 (The Museum of Modern Art Archives, New York) [en ligne] https://www.moma.org/calendar/exhibitions/1859/installation_ images/9?locale=fr (consulté le 6 jullet 2017) p.63: vladimir tatlin counter relief metal bars sheet and timber 1914 Omnibus p.41 p.63 : Vue sur la 2ème salle : Parc de la Villette de Bernard Tschumi, Exposition Deconstructivist Architecture, 1988 (The Museum of Modern Art Archives, New York) [en ligne] https://www.moma.org/calendar/exhibitions/1813/installation_ images/0?locale=fr (consulté le 27 mars 2017) p.72: « The Edifice Complex », dans Avenue, novembre 1987 dans McLeod, Mary. « Architecture and Politics in the Reagan Era: From Postmodernism to Deconstructivism. » dans Assemblage, n° 8, 1989, p.29

Chapitre 4 : p.80 : Couverture du catalogue de Modern architecture : International exhibition, MoMA, 1932 (The Museum of Modern Art Archives, New York) [en ligne] https://www.moma.org/calendar/exhibitions/2044?locale=en (consulté le 6 juillet 2017) p.81 : Couverture du catalogue de Deconstructivist architecture, MoMA, 1988 dans Johnson, Philip et Mark Wigley. Deconstructivist Architecture. Museum of Modern Art, New York, 1988, couverture p.84: Rooftop remodeling, Vienna, 1984-88, Coop himmelblau dans Papadakis, Andreas, Catherine Cooke, et Andrew E. Benjamin, Deconstruction: Omnibus Volume. Academy Editions, 1989, p.225

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ICONOGRAPHIE

p.85 : Parc de la Vilette, Paris, Tschumi, 1982 dans Papadakis, Andreas, Catherine Cooke, et Andrew E. Benjamin, Deconstruction: Omnibus Volume. Academy Editions, 1989, p.175 p.86: ‘Never is the Center’, Mies Van Der ROhe Memorial, Berlin City Edge, Libeskind, 1987 dans Papadakis, Andreas, Catherine Cooke, et Andrew E. Benjamin, Deconstruction: Omnibus Volume. Academy Editions, 1989, p.202 p.88: « Architecture: The Power and the Glory », Avenue, novembre 1987 dans McLeod, Mary. « Architecture and Politics in the Reagan Era: From Postmodernism to Deconstructivism. » dans Assemblage, n° 8, 1989, p. 28 p.89: Bernard Tschumi, Helmut Swiczinsky, Wolf D. Prix, Daniel Libeskind, Rem Koolhaas, Zaha Hadid, Mark Wigley [en ligne] http://www.uncubemagazine.com/sixcms/detail. php?id=15927105&articleid=art-1441185293554-a9de40e6-7535-46c291f2-0a07eb065c4f#!/page26 (consulté le 7 août 2017) p.95 : Couverture de Assemblage n° 41, avril 2000

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INDEX DES CITATIONS

INDEX DES CITATIONS Chapitre 1 : 1 : “But motives and theory were so much at the heart of it that public attention to the work itself was greatly diverted to the margins of consciousness.” 5 : “Since the MOMA show included practitioners of considerable accomplishments with ideas in common, it would have been appropriate to title this event ‘neo-Constructivism’ or ‘architects working in the Constructivist tradition’.” 6 : “And you can take this as a rule: that each time Deconstruction speaks through a single voice, it’s wrong, it is not ‘Deconstruction’ any more.” 7 : CJ: “There is a big wedge you can drive between a Deconstructivist and a Deconstructionist.” 10: “While there has never been a clear consensus about the merit of Philip’s architecture overall in the 1980s, it seems fair to affirm that he arrived at the end of the decade better known than ever but no closer to the stature of a major master than he been at the beginning.” 11: “Philip Johnson, who has been architecture’s best bloodhound for half a century (...)” 13: “Take the most obvious formal theme repeated by every one of the artists: the diagonal overlapping of rectangular or trapezoidal bars.” 15: “The nearest man Post-Modernism has to a senior partner is, in fact, the leading American architect of his generation: Philip Cortelyou Johnson.” 18: “In art as well as architecture, however, there are many – and contradictory – trends in our quick-change generation.” 21: “Thus Rem Koolhaas, for example, travelled to the Soviet Union to see the drawn and painted projects of Ivan Leonidov, in the flesh and in quantity, when very little of his work had previously been exposed to public view.” 22: “Likewise Zaha Hadid, as Koolhaas’ pupil, acknowledges a direct and powerful debt. In her symposium presentation here, she has also acknowledged the seminal role of student exercises on Malevich’s three-dimensional ‘arkhitektoniki’.” 118


INDEX DES CITATIONS 26: “The contrast is between perfection and violated perfection.” 27: “There were rumors of a planned exhibition developed by several designers in academia – Paul Florian, Stephen Wierzbowski and Aaron Betsky – that was supposed to deal with this new phenomenon.” 29: “So, with a little weeding out of non-formalist participants, he and Eisenman simply stole the ‘Violated Perfection’ show idea and renamed it ‘Deconstructivist Architecture’.” 31: “These started when I first came to England in 1960 (...) I realised that architecture was a way of life in England in those days, not only for architects but for the public at large, which was generally very interested in architecture. (...) Returning from England I went to Princeton to teach. (...) And so I argued that one has to build some sort of hybrid, very similar perhaps to the model of the AA – that bring students into a climate where there was an ongoing work situation as well as an ongoing theoretical situation, where they could see a relation to theory, and in their theoretical work see a relationship to practice. That was the basic intention of the Institute.” 32: “(...) this second tendency has been explicitly international from the beginning, with the Architectural Association in London and the former Institute for Architecture and Urban Studies in New York, both international exchange centers, being the largest common bonds.”

Chapitre 2 : 6 : “He argued for a new kind of design, one aknowledging electronic communication as the basis of the latest cycle of production and consumption, and attempting to critically harness this means of control.” 8 : “(...) many of the most promising architects of the current generation have little interest in the reuse of historical form; to them, this is the old-style orthodoxy, as modernism was to Venturi and his followers.” 12 : “Rather, it attempts to get under the skin of the living tradition, irritating it from within.” 14 : “ (...) the formal condition of each object carries its full ideological force.” 18 : “Architecture is understood as a representation of deconstruction, the material representation of an abstract idea.” 22 : “In these terms, deconstructive discourse appears to locate the fatal flaw in an edifice that causes its collapse. It appears to be a form of analysis that dismantles or demolishes structures, an undoing of construction, and it is in this sense that it is most obviously architectural.” 24 : “Likewise, to translate deconstruction in architecture is not to simply transform the condition of the material architectural object. It is not the source of a particular kind of 119


INDEX DES CITATIONS architecture, but an interrogation of the ongoing discursive role of architecture.” 26 : CJ: “So ‘Violated Perfection’ comes from you? PE:Yes, but the Museum objected to this name and also ‘Deconstruction’.The original name of ‘Violated Perfection’ was not necessarily mine, but I introduced two students of mine in Chicago to these ideas. Wierzbowski and Florien had a studio on Deconstruction with me. They got the idea of an exhibition and the whole thing was deflected by Aaron Betsky from Yale, the fellow that worked for Frank Gehry, who turned it into a yound architects show. He approached Philip who asked me about it. I said that I did not think that it was such a great idea, to get involved with Betsky, as I didn’t think that he knew what he was doing. I shouldn’t have got into it myself, but I gave Philip a list of eleven names, including John Hejduk, Morphosis and a lot of people who weren’t finally chosen. Ultimately, Philip and Wigley picked the thing and changed the anme to ‘Deconstructivism’ which, if you are talking about Deconstruction, is a truly Deconstructive name because it is duplicitous and slippery. You could, of course, defend it for slipperiness. Naturally nobody likes to be called a ‘Decon artist’, and I never used to use the term.” 27: “PE: I can tell you who I think is in the show (...) Like many other people I proposed names to Philip. My original list had 11 names. I have fought for those 11 names but have lost quite a number.” 28: “So, with a little weeding out of non-formalist participants, he and Eisenman simply stole the ‘Violated Perfection’ show idea and renamed it ‘Deconstructivist Architecture’.” 29: “One of the Princeton team was Peter Eisenman, whose involvement in the show led to a close friendship with Drexler and the mutual decision to create an organization that would foster more and better intellectual exchange among practitioners, students, and lay friends of contemporary architecture.” 30: “Nevertheless, Eisenman was as compulsive and ambitious a promoter of this new institute as Philip was a likely candidate for interest in and support of it.” 33: “Even so, in crucial respects they were a perfect match. Each was driven by a personal ambition he knew was far more easily achieved if the other was kept a friend rather than made an enemy. Besides, they were charmed by each other’s company. Quick off the mental mark and as passionate about architecture as about architectural gossip, they gossiped with each other happily and indefatigably (...)” 34: “Those who regarded them as fomalizations of professional snobbissm and self-promotion were invariably those who were never invited. Surely the meetings were more than intellectually profitable to their participants, who by their contact with one another were kept within reach of some of the most desirable clientele in the world.” 35: “The movement has been most comprehensively developed by Peter Eisenman as a theory and practice of negativity (not-classical, de-composition, de-centring, dis-continuity)”

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INDEX DES CITATIONS 36: “In about 1978 he became a Deconstructionist and at the same time underwent psychoanalysis ; two events that have no doubt reinforced each other and his own dogmatic scepticism.” 37: “In 1986 Bernard Tschumi invited Peter Eisenman and Jacques Derrida to collaborate on a project for one of the gardens along the ‘promenade cinématique’ at the Parc de la Villette in Paris.Tschumi himself convinced Derrida to accept the invitation of Eisenman, who was excited about sharing and exchanging ideas with the French philosopher.” 38: “In fact, the architect seems to have received Derrida’s recommendations, but then reinterpreted them radically: by traducting, transposing, transforming and deforming the texts, Eisenmman re-wrote Derrida’s contribution in terms of architectural structures.” 40: “In the case of the Deconstructivist show, the voice whispering in his ear, more exactly declaiming, belonged to Peter Eisenman.” 45: “Whether Deconstruction is part of the same as Post-Modernism was one of the recurrent issues of the day’s debates.” 46:“Jencks’ view seemed to be that insofar as Deconstructionist architecture was distinguishable from Post-Modernism it was probably not architecture, but a kind of aesthetic joke.” 50: “What makes this show potentially so important is that it has been ‘instigated’ and coorganised by Philip Johnson, the doyen of American architects.” 51: “When he was a young man, in 1932 to be precise, Johnson co-organised another exhibition at MoMA called ‘The International Style’, which launched the work of Corbusier and the Bauhaus in America, and thus in due course changed the face of the modern world. In the late 1970s Johnson was spectacularly converted to Post-Modernism (...) and now it seems he is putting his enormous authority behind a group of architects previously thought of as marginal and eccentric. Is it conceivable that Deconstruction could become the new International Style?”

Chapitre 3: 2: “in short, he was never much of a political threat to anyone, still less an effective doer of either political good or political evil.” 3: “Having finessed his way to the position of architecture icon, Johnson now has taken it upon himself to promote deconstructivism, which, oddly, is a rejection of the frills and historicism of Postmodernism that he so recently championed.” 7: “Johnson, for his part, needed a cause to round out his career as an arbiter of taste and style.” 8: “Johnson’s curatorial practice was as disruptive as he claimed deconstructivist form to be.” 121


INDEX DES CITATIONS

10: “Movement, violent upheaval, and partisan clashes: the eras after 1970 were marked by momentous changes, including the collapse of the Soviet bloc, the lightning-quick mobility of capital, and enormous migrations of people fleeing war and economic hardship.” 11: “It had become not only an arena of argument but a near Babel, where new journals and new critics strove to outdo one another in the abstruseness of their prose and where intellectual contention threatened to replace design as the currency of the profession.” 12: “[Peter Cook, Rem Koolhaas, and Bernard Tschumi’s] teaching coincided with the rediscovery of the most radical work produced in the aftermath of the Russian revolution. The work of Chernikov, for instance, became a historically validated antidote to high tech, all the more compelling due to its unrealizable nature.” 13 : “The Russian avant-garde posed a threat to tradition by breaking the classical rules of composition (...) Pure forms were now used to produce ‘impure’, skewed, geometric compositions.” 15 : “In reality it was something much wider: an approach to working with materials, within a certain conception of their potential as active participants in the process of social and political transformation.” 18: “(...) it would have been appropriate to title this event ‘neo-Constructivism’ or ‘architects working in the Constructivist tradition’.” 24: “(...) Tafuri was widely understood to be sounding the end of architecture, just as Arnold Schoenberg had announced the end of tonality, Theodor Adorno the end of art, and Francis Fukuyama later sounded the end of history.” 27: “Philosophy had historically developed sets of binary opposites – man/nature, good/bad, truth/falsehood, etc. – that were condensed in the dialectical problem of subject and object or, in contemporary terms, of same and other. For Derrida, this system of thought mirrored the metaphysical dialectics of presence and absence.” 28: “In arguing that there exists an abyss between signifier and signified, Derrida wanted to deconstruct the logic of absolute presence. To deconstruct the whole tradition of Western philosophy meant to dislocate all binary oppositions, all dualisms and dialectics having for a unique theme the metaphysical presence. Initially, deconstruction could be defined as a reading and a production (writing) that attempted to reveal the absence of a transcendental signified.” 29: “When, in the early 1960s, Roland Barthes initiated the ‘structuralist activity’ in various fields of production, he quickly realized that most fields, including architecture, were resistant to the binary reading of Saussurian linguistics.” 31: “Form has become contaminated. The dream has become a kind of nightmare.” 33: “The deconstructivist show was an attack on an ism: postmodernism.” 122


INDEX DES CITATIONS

34: PJ: “Deconstructivists define themselves against Post-Modernists and all that they hate out there and what is left, uncontaminated, is Constructivism.” 36: “But the climate created by Venturi’s ideas soon shifted toward an easier, more indulgent way of viewing the past; by the 1980’s the past began to seem not like a source for modern comment but more like a warm bath in which we could wallow.” 38: “It is hard to escape the feeling that a show like ‘Deconstructivist Architecture’ is a refined and mannered parody of Constructivist ideology pitting brave Bolshevik guerilla Decons against ornamental Post-Modernist capitalist running dogs.” 39: “Collectively, postmodern architects have exhibited a marked indifference to economic and social policy.” 40: “Other post modernists, such as Venturi, Johnson, and Stanley Tigerman, saw history as promising freedom and change, if only on an aesthetic plane.” 41: “Paradoxically, as the market increasingly co-opted postmodernism, the value of variety itself became suspect. Many style and one past. By the mid-1980s, the real-estate ads had designated postmodernism a historical style in itself.” 42-43: “This is not a new style ; the projects do not simply share an aesthetic. What the architects share is the fact that each constructs an unsettling building by exploiting the hidden potential of modernism.” 44: “This was a sly and loaded statement coming from the father of modernism (and the wealthy stepfather of postmodernism).” 45: “These younger architects have returned to modernism, not to reproduce its forms literally, but to take them apart and put them back together again in ways that are very much their own.” 47: “Like postmodernism, this new tendency rejects the fundamental ideological premises of the modern movement: functionalism, structural rationalism, and a faith in social regeneration.” 48: “Finally, deconstructivism, too, emphasizes the formal properties of architecture. (In this regard, it is ironic that Russian constructivism, with its political and social programs, is considered the primary source.)” 49: “But outside of the formal sphere, the critical role of deconstructivism remains elusive ; indeed, many of the more progressive political contributions of poststructuralist theory have disappeared in its application to architecture.” 51: “Deconstruction is not about form but about attitude. Wigley’s rationale was obviously a poorly camouflaged tactic to promote a slightly altered version of Modernist aesthetic for one 123


INDEX DES CITATIONS more crack at the limelight.” 52: “And in architecture it has emerged fully born from the ruins of the International Style (and cognate modes) and in opposition to what it now characterises as old-hat: Post-Modernism.” 53: “The New-Moderns they say are no longer utopians who wish to change society but rather aesthetes who play with Modernist forms: their essential message is not ethical but stylistic, a new baroque elaboration of the language synthesized in the twenties.”

Chapitre 4 : 2 : “How subversive can a movement be when it gains simultaneous sanction from two major museums in New York City? How sustained can any challenge be when the forces that have promoted it (Philip Johnson, Century Club lunches, Princeton University, Max Protetch, and MoMa) have uncanny similarities to thoses that helped institutionalize what is purports to criticize – postmodern architecture?” 4 : “Few ideas in architecture have created such a stir as Deconstruction in the relatively short time since it gained currency and public prominence.” 5 : “If anything, the cycle seems ever more rapid ; proclamation and consumption are almost simultaneous.” 7 : “Deconstructivist architecture was a different look, to be sure, but underneath its fresh forms it offered no real alternative to the underlying problem of post-Modernism. (...)Until now, the 1980’s had been marked by an extraordinary richness, and by a widespread indifference to a world beyond style and form.” 9 : “MoMA’s Deconstructivist show [Deconstruct- ivist Architecture , 1988], which killed postmodernism, also killed decon (...) Decon was dead the moment it became a style.” 10 : “Produced ‘in haste’, the exhibition went from inception to completion in less than eleven months (...)” 21 : “Some of the projects exhibited under the ill-defined banner of deconstructivism (...).” 27 : “My architecture holds that architecture could write something else, something other than its own traditional texts of function, structure, meaning, and aesthetics.” 28 : “One could, in fact, readily argue that the poststructuralist influence has led to an even greater focus on form as an end in itself than was the case in the earlier postmodern experiments.” 29 : “Compared to the tired classical images of post-modernism, these neoconstructivist forms posses for the moment a freshness and energy that embrace the present and the future. (...) 124


INDEX DES CITATIONS Whatever despair these projects may ultimately convey on the social front, they project a vigorous optimism on the artistic front.” 31 : “Within amazing rapidity, postmodernism became the new corporate style, after Philip Johnson’s notorious Chippendale top for AT&T (...) Postmodernism began to flourish in the boom economy of the early 1980s.” 33 : “The immense importance of the media puts into clarifying perspective the whole business of fame and architecture.” 34 : “Very few architects have managed to move past the bounds of the field and to infiltrate the broader culture (...)” 36 : « The image of the architect shifted from social crusader and aesthetic puritan to trendsetter and media star. » 42 : « They are but a reaction formation against what history has dealt us – a totally reified life – and they are but one side of a demand for something different, ‘the other side of which is theory itself ’.” 44 : “Another species of theory appered in architectural academia 20 years or so ago, after the Museum of Modern Art’s ‘Deconstructivist Architecture’ show.This new brand of theory, which is said to have no precedent in architectural history, is often described as an interdisciplinary mode of thought ‘about’ architectural issues. (...) Yet, the novel element was not the invention of ‘theorizing’, a term that has at least the virtue of naming exactly what we are talking about. Nor was it ‘interdisciplinarity’, which is a characteristic feature of architectural literature since Vitruvius. The novelty was the convergence of deconstruction and architecture and the invention of ‘critical architectural theory’ during the 1980s.” 45 : “This kind of theory is a manifestation of the urge ‘against architecture’, at least against certain abstract conceptions of architecture as a repressive institution or as an archetypal metaphor of reason.” 46 : “The first was the critical turn, the incorporation into the discipline of a theoretical stance that foregrounded architecture’s conceptual structure (...) The second shift of parallel consequence was the digital revolution.” 47 : “In different ways, the critical and digital turns radically changed the terms through which architecture was defined – that is, how it was made and how it was received in the world at large.” 48 : “Despite the obscurity of the language and arguments, architecture theory feeds the media machine, providing it with the sound bites it needs to describe architecture. Architecture institutions are not innocent.” 49 : “One should note, too, that, while the logics of communication and type were the first 125


INDEX DES CITATIONS products of theorizing the architectural sign, the concept of media (...) would by the 1980s become the logical elaboration of that of the sign.” 50 : “As is apparently being demonstrated by the New Spirit, thinking is preferable because it can be produced and consumed far quicker and easier than building itself.” 51 :“The ability of today’s architectural communication systems to respond quickly is interesting, but it involves a big difference for the designer: the messages are put there by someone else, not the architect.” 52 : “I would say that, as opposed to the 1970s, the early 21st century is characterised by a faster cycle of production and consumption.” 53 : “Yet it is commercialism that is problematic – when market forces begin to control every aspect of architectural thinking.” 55 : “Architects occasionally borrow, adopt, adapt, or improve others’ ideas – ideas that originally had nothing to do with building.” 56 : “Since the 1960s, we have followed architectural theory pursuing an increasingly independent and often diverging path from architectural practice.” 58 : “Both the historicist and poststructuralist tendencies correctly pointed to the failures of the modern movement’s instrumental rationality, (...) but these two positions have erred in another direction: in their abjuration of all realms of the social and in their assumption that form remains either a critical or affirmative tool independent of social and economic processes.” 59 : “The formal and the social costs are too high when the focus is so exclusively on form. » 61 : “The death of theory should be treated as history.” 62 : “(...) theory is obsolete in the global marketplace.” 63 : “(...) the period of theorization in architecture concerned above all with problems of signification, representation, and criticality has come to a close.” 65 : “Theory, on the other hand, is anachronistic, often radically so. It uncovers aspects of architecture practice that, while not useful or even correct for building ‘now’, may become a resource for future architectures.” 66 : “(...) Serlio, Palladio, and many others were first and foremost trying to use the past to improve the present. As side effect, they shaped the future.” 67 : “This collection confirms the unprecedented transformation of architectural discourse in which theory displaced architectural crticism and rivaled the methodological importance of 126


INDEX DES CITATIONS traditional architectural historiography.” 68 : “The work of theory (...) now demands new formats, new styles, new modalities, some quicker, some slower, some smaller and more concise, some larger and more encompassing than ‘Assemblage’ could ever have provided.” 69 : “But you simply can’t talk about books and the similarities between you and me, or between le Corbusier and Palladio, because something quite drastic has happened in the past 30 years in architecture – to reading, publishing, to the aesthetics of books and so on.” 70 : “The point is not merely that the interests of architects have changed in favor of things visual, but that as a result of the digital revolution, mastering new tools to deal with the spatial properties of architecture has become the major preoccupation of the profession. All these tools (...) are visual. The academic theorizing of recent decades about topics such as the meaning of architecture, authenticity, writing versus speech, and the absence of presence and other such locutions, has all faded away.” 71 : “In part we don’t know where to look because in this age of computation we don’t know what is still of value. We are little kids in a high-tech sandbox, but instead of banging another kid in the head with a shovel building a sand castle, and then knocking it down, we are playing with stuff that is radioactive, let’s say.”

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REMERCIEMENTS Je souhaite adresser mes remerciements les plus sincères aux personnes m’ayant soutenue et aidée à la réalisation de ce mémoire et d’autres travaux nécessaires à la réussite de mes études. Ma tendre mère, qui s’est toujours battue pour m’offrir la chance d’étudier. Loïs, pour le partage d’une passion qui ne cesse de s’intensifier. Roxanne, une amie dont la douceur encourage à la réussite. Je remercie également mon directeur de mémoire, Eric Van Essche, de m’avoir laissée libre de m’exprimer sur un sujet qui me captivait. De plus, je remercie la faculté d’architecture La Cambre Horta de m’avoir procuré l’apprentissage et l’ouverture d’esprit qui a fait de moi qui je suis aujourd’hui.

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