Solidarité 3 2014

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Numéro 3, août 2014

Point fort L’exploitation dans le monde Brésil Retour sur le Mondial

Le magazine de


2 éDITORIAL Chère lectrice, cher lecteur, Ne nous voilons pas la face! Pour certaines personnes, la mondia­lisation reste un gros mot et la cause de tout ce qui va mal sur notre planète. Pourtant, même celles et ceux qui le pen­ sent profitent de nos aéroports internationaux et des multiples facettes du tourisme, de possibilités de consommation variées et de produits importés à bas prix, ainsi que de l’accès avantageux et quasi permanent à l’information et à la technique de com­ munication que cela suppose. Tout cela fait aussi partie de la mondialisation.

Trop souvent, le respect de l’être humain et de l’environnement ne suit pas. Et même si davantage d›entreprises s’engagent pour un développement durable et assument leurs responsabi­ lités sociales, pas uniquement pour des raisons de marketing mais aussi par discernement et sens de l’éthique, il y a toujours dans le monde une multitude de personnes morales et physiques qui rabaissent sans scrupules, et par pure cupidité, d’autres personnes – en les exploitant de manière abjecte.

Solidar Suisse milite en faveur d'une société civile forte, ainsi que pour des Et nous, en Suisse, nous trouvons, pour structures démocratiques protégeant les la plupart, du côté des gagnants. Alors ci­toyen-ne-s et garantissant une stabilité que la mondialisation offre de nouvelles institutionnelle. chances aux personnes bien formées, Esther Maurer une majorité de nos emplois non quali­ Directrice de Solidar Suisse Avec votre soutien, nous luttons pour un fiés disparaît, car les sites de production travail décent couvrant les besoins vitaux, de nombre de grandes entreprises sont délocalisés vers des pays à bas salaires. Les marchandises, la afin que la mondialisation ne soit pas synonyme de pauvreté dans le Sud, mais d’opportunité de nouveau départ. main-d’œuvre et le capital sont mobiles. Esther Maurer

Revue de presse

srf 1 25.05.2014 Blatter tacle les vendeurs de rue Le point commun entre Zinédine Zidane et Sepp Blatter? Ils ont tous les deux commis de très vilai­ nes fautes sur leurs adversaires. Un coup de boule devenu légendaire pour le premier et un tacle assassin, les deux pieds en avant, sur un vendeur de rue brésilien, pour le président de la FIFA. C’est en tout cas le point de vue de l’ONG Solidar Suisse, dans une vidéo mise en ligne hier. L’ONG dénonce les contrats d’exclusivité de la FIFA avec des grandes marques de sport, de sodas et de bières. Ils priveront près de 100 000 vendeurs de rue de gagne-pain durant la compétition.

29.05.2014 Une ONG suisse proteste contre la FIFA Afin de dénoncer la décision de la FIFA d’interdire aux vendeurs de rue d’écouler leurs produits aux abords des stades, Solidar Suisse a lancé une campagne. La FIFA a réagi contre ces critiques. Elle a annoncé un «dispositif d’accré­ditation» en faveur des vendeurs de rue. Selon elle, jusqu’à 3000 vendeurs de­vraient prendre part à ce programme. Ils ne pourront toutefois vendre que des produits autori­ sés et sponsorisés. Pour Solidar, ces mesures «symboliques» ne suffisent pas. Environ 100 000 ven­ deurs de rue restent bannis du Mondial. Source: ATS – Agence télégraphique suisse.

03.06.2014 Brésil: peur sur le Mondial? Le Mondial est-il menacé? A 10 jours du coup d’envoi, les infrastructures brési­ liennes font peur: stades inachevés, transports publics chaotiques et télé­ communications défectueuses. A cela s’ajoute une colère populaire et des ma­ nifestations pour dénoncer les milliards dépensés pour la compétition. Est-il décent d’organiser le Mondial dans un pays où les inégalités sont si criantes? Débat demain soir avec notamment Mathias Reynard (conseiller national PS), Alexandre Mariéthoz (porte-parole de Solidar Suisse), Philippe Leuba (conseil­ ler d’Etat VD) et Michel Zen-Ruffinen (ancien secrétaire général de la FIFA).


3 POINT FORT Conditions de travail dans une économie mondialisée

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Délocalisation de la production: produits bon marché au Nord, exploitation dans le Sud

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El Salvador: dans les zones de libre-échange, la lutte syndicale peut aboutir à un licenciement

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Chine: les intoxications au benzène sont fréquentes. Et les victimes ne sont pas indemnisées. 10 POINT DE VUE Eddie Cottle, du syndicat international IBB, sur le rôle des entreprises de construction chinoises en Afrique 13 ACTUALITÉ Comment un Brésilien fou de foot a vécu le dernier Mondial Campagne réussie de Solidar contre les tacles de la FIFA

POINT FORT

Bas salaires, horaires démentiels, graves périls pour la santé: les ouvriers et ouvrières du Sud paient le prix fort pour nos produits bon marché.

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14 POINT DE VUE

Les investissements chinois en Afrique contribuent à l’essor économique et à l’exploitation des travailleuses et des travailleurs.

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CHRONIQUE 11

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CONCOURS 16 BRÈVES 12+17

PORTRAIT Burkina Faso: Germaine Ouedraogo aide les paysan-ne-s à participer à la vie publique 18

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PORTRAIT

Au Burkina Faso, Germaine Ouedraogo apprend le français à des adultes. Elle les rend ainsi plus autonomes.

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ACTUALITÉ

Solidar part en campagne contre les tacles de la FIFA lors du Mondial. Au Brésil, un passionné de foot ne reconnaît plus son pays.

IMPRESSUM Editeur: Solidar Suisse, Quellenstrasse 31, Postfach 2228, 8031 Zürich Tél. 021 601 21 61, E-mail: contact@solidar.ch, www.solidar.ch CP 10-14739-9 Lausanne. Membre du réseau européen Solidar Rédaction: Katja Schurter (rédactrice responsable), Rosanna Clarelli, Eva Geel, Alexandre Mariéthoz, Cyrill Rogger

Layout: Binkert Partner, www.binkertpartner.ch / Spinas Civil Voices Traduction: Carol Le Courtois, Interserv SA Lausanne, Jean-François Zurbriggen Correction: Jeannine Horni, Carol Le Courtois Impression et expédition: Unionsdruckerei/subito AG, Platz 8, 8201 Schaffhausen Paraît quatre fois par an. Tirage 37 000 ex.

Le prix de l’abonnement est compris dans la cotisation (membres individuels 50.– par an minimum, organisations 250.– minimum). Imprimé sur papier recyclé et respectueux de l’environnement. Page de titre: Ouvrière dans une fabrique de tabac au Mozambique. Photo: Jürg Gasser. Dernière page: Signez la pétition pour interdire un produit cancérigène en Chine! Photo: Ming Pao.


4 Aucune protection contre les vapeurs toxiques: une réalité quotidienne dans les petits ateliers au Pakistan.

Travail globalisé Les pays industrialisés ont massivement délocalisé leur production dans des pays en développement. Les ouvriers et ouvrières y travaillent, le plus souvent pour des multinationales, dans des conditions inhumaines: salaires de misère, semaine de 70 heures, graves périls pour la santé. La plupart d’entre eux n’ont ni contrat, ni couverture sociale. Plongée dans cet enfer, au Salvador, en Chine et dans plu­sieurs pays africains. Photo: Usman Ghani


POINT FORT

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6 CONTRE LA PAUVRETÉ, UN TRAVAIL DÉCENT Depuis environ 30 ans, les entreprises délocalisent leur production. Le Nord profite ainsi de produits bon marché. Au détriment des salarié-e-s du Sud. Texte: Felix Gnehm. Photos: Jürg Gasser, Désirée Good, Usman Ghani

En 1980, j’avais sept ans. Pour mon an­ niversaire, j’ai demandé une tenue de mon club de football fétiche: les Young Boys. A l’époque, les vêtements devaient être fabriqués en Europe, car la moitié de la main-d’œuvre industrielle mondiale se répartissait entre l’Europe, l’Amérique du Nord et le Japon. A présent, c’est mon fils de sept ans qui est fan de foot. Avant la Coupe du monde, il nous a demandé le maillot de l’équipe d’Allemagne et nous avons volontiers exaucé son vœu. Bien entendu, son cadeau provenait d’un pays du Sud, d’Indonésie en l’occurrence. J’ai demandé à la vendeuse si le magasin proposait aussi des articles portant un label bio, équitable ou excluant le travail des enfants. A son regard aussi surpris qu’interrogatif, j’ai compris que les condi­ tions dans lesquelles un T-shirt était pro­ duit lui importaient peu. Je me suis donc empressé de payer et de partir.

Délocalisation et précarité Que s’est-il donc passé en trois décen­ nies? A une vitesse inouïe, la production industrielle a été délocalisée des pays in­ dustrialisés prospères vers les pays en développement. Aujourd’hui, 80% des salarié-e-s de l’industrie travaillent dans les pays à bas revenus et dans des con­ ditions très précaires. Il suffit de penser au Rana Plaza, au Ban­ gladesh. Construit à peu de frais, le bâti­ ment s’est effondré en 2013, ensevelis­ sant plus d’un millier d’ouvriers et d’ouvrières du textile sous ses décomb­ res. Cette catastrophe, causée par la cupidité humaine, a fait la une des jour­ naux même dans notre pays. En effet, les consommateurs et consommatrices com­ prennent, peu à peu, que les produits bon marché vont de pair avec des salaires de misère et des conditions de travail inhumaines.

Hit-parade de l’horreur La palette des problèmes est vaste: ab­ sence de normes du travail, non-respect de la liberté d’association, conditions de travail dangereuses, malsaines, voire mortelles, travail des enfants, harcèle­ ment sexuel, etc. Dans son indice des droits dans le monde, qui analyse la situ­ ation des travailleurs et des travailleuses sur toute la planète, la Confédération syndicale internationale (CSI) a récem­ ment attiré l’attention sur les revers de la mondialisation. Le bilan est éloquent: dans 35 pays, des salarié-e-s ont été arrêtés ou jetés en prison pour avoir osé revendiquer des droits démocratiques, des salaires décents, la sécurité au tra­ vail et la sécurité de l’emploi. Dans neuf pays, l’assassinat et les déplacements forcés ont figuré dans la panoplie utilisée pour intimider la main-d’œuvre. Dans 53 pays, les salarié-e-s ont été soit licenciés,


POINT FORT 7 Au Mozambique, en Bolivie ou au Pakistan, les conditions de travail sont des plus précaires dans l’industrie mondialisée.

soit suspendus, pour avoir voulu négocier de meilleures conditions de travail. Enfin, dans 87 pays, les lois et les pratiques excluent certains groupes d’employé-e-s du droit de grève. A l’inverse, les entreprises jouissent d’un pouvoir sans pareil. Le chiffre d’affaires d’IBM, de Sony ou de General Motors, par exemple, dépasse les résultats éco­ nomiques des pays de taille moyenne. Ces sociétés sont, dès lors, en mesure de modifier le cadre général à leur propre avantage. En l’absence de dispositions légales protégeant la main-d’œuvre, les viola­tions des normes du travail prennent des proportions graves, comme l’illustre l’indice du CSI. Ce constat contredit d’ailleurs nettement les louanges que la Banque mondiale tresse, dans son ré­ cent rapport Doing Business, à des «paradis de l’investissement» comme la Malaisie, les Philippines ou le Cambodge. Lutte pour un travail décent Solidar Suisse s’engage pour un travail décent, car c’est le meilleur moyen pour sortir de la pauvreté et de l’exploitation. Nous nous fondons en cela sur la défini­ tion de l’Organisation internationale du travail (OIT): «Le travail décent signifie l’accès des femmes et des hommes à un travail productif, dans des conditions de liberté, d’égalité, de sécurité et de dignité

humaine. Il suppose des possibilités de l’environnement. Dans ce sens, il incom­ travail productif qui fournissent un reve­ be aux pouvoirs publics de soumettre nu juste, il implique la sécurité sur le lieu leurs achats à certaines règles. Nos cam­ de travail et la protection sociale des tra­ pagnes les y encouragent depuis des années. vailleurs et de leurs familles.» Pour atteindre cet objectif, Solidar colla­ Dans les initiatives regroupant plusieurs bore avec diverses organisations: mou­ acteurs, ce sont les ONG qui placent la vements sociaux, syndicats, coopérati­ barre le plus haut. Des directeurs gé­ ves, organisations non gouverne­ Les gens commencent à mentales (ONG) locales, mais aussi comprendre que bon marché avec les patrons et rime avec conditions de travail leurs associations. inhumaines. Des entreprises suisses qui appli­ quent des normes exigeantes, dont Swi­ néraux visionnaires ont toutefois compris tcher, Remei SA, Hess Nature et work­ que, loin de vouloir nuire aux entreprises, fashion.com, prouvent d’ailleurs qu’il est elles visent plutôt à partager les respon­ possible de fonctionner autrement. Les sabilités et à construire un avenir dura­ initiatives de groupes à intérêts multiples ble. Il n’est d’ailleurs pas rare que constituent aussi une solution. Syndicats, l’émulation entre entreprises et ONG ONG et groupements locaux collaborent fasse avancer les choses. alors pour définir des codes de conduite Mon rêve à moi, c’est de pouvoir un jour et des plans d’action destinés à améliorer acheter, partout, des ballons et des chaussures de foot, ainsi que des mail­ les conditions de travail. lots, qui auront été produits par des ou­ vriers et des ouvrières traités décem­ ONG et patrons visionnaires Représentant la société civile, Solidar ment: salaire suffisant pour vivre, sécurité Suisse demande non seulement le res­ au travail, horaires décents et absence pect de normes minimales, mais aussi la de pollution. mise en place d’une économie soucieuse des droits de la personne humaine et de


8 POINT FORT

«VOUS DEVEZ PRODUIRE! PRODUIRE!» Au Salvador, les multinationales sises dans les zones franches emploient surtout des femmes. Les conditions de travail y sont très précaires. Se syndiquer, c’est risquer le licenciement. Texte et photos: Raquel Cañas. Dessin: Alecus.

La multinationale AVX/Kyocera fabrique des composants électroniques dans la zone franche de San Bartolo. Sise aux Etats-Unis, la société approvisionne des marques connues, comme Motorola, Nokia ou Robert Bosch, dont les produits sont également en vente en Suisse. Carolina Sagastume, 44 ans, est chargée de vérifier le bon fonctionnement des condensateurs. «Je travaille plus de huit heures par jour, avec une seule pause d’une demi-heure. En travaillant 44 heu­ res par semaine, je touche 250 dollars par mois. Les heures supplémentaires sont payées un dollar.» Carolina travaille depuis 23 ans pour l’entreprise qui s’est établie au Salvador en 1977 et n’a cessé de s’agrandir depuis: «Quand j’ai commencé, la maquiladora comptait un seul bâti­ ment. Aujourd’hui, il y en a sept, expliquet-elle. Les employé-e-s n’ont cependant pas profité de ce succès économique.» Leonor Delgado travaille depuis 19 ans chez AVX/Kyocera pour un salaire de 250 dollars, dont elle consacre 1,50 dol­ lar par jour pour les transports et le repas de midi. «L’ancienneté ne joue aucun rôle. Une personne qui a commencé ici il y a un mois gagne autant qu’une ouvrière qui a 30 ans d’expérience.»

Leonor compte parmi les femmes qui ont fondé en 2007 le syndicat SITRAVX (Syndicato de las trabajadoras de AVX), afin de lutter contre cette injustice et d’autres encore. «La seule chose que l’on nous a dite, c’est ‹Pensez à produire! Vous devez produire!›»

rendent compte des conditions de travail; aucune in­ stance officielle ne vérifie le respect des normes du travail. Employant 81 000 personnes, le plus souvent non qualifiées, les maquiladoras constituent un facteur économique de poids et l’unique chance d’emploi pour nombre de femmes. Le Salvador ayant conclu plusieurs accords de libreéchange depuis le début du millénaire, sa production destinée à l’exportation, surtout dans le textile, a quadruplé. Le

Syndicat interdit En 2011, le Ministère du travail a abrogé l’autorisation accordée à SITRAVX. Sa décision a suscité de telles réactions qu’il l’a révoquée à la fin de l’année. AVX a interjeté un recours et, en 2013, un arrêt judiciaire a ordonné la disso­ lution de SITRAVAX, sous «Les conduites sont prétexte que le syndicat ne comptait pas assez de mem­ corrodées… qu’en est-il bres. Le juge compétent dans notre propre corps?» étant le père de l’avocat d’AVX, on peut supposer que la justice a été manipulée. Ce fut un secteur textile représente 44% des ex­ coup terrible pour les quelque 2000 portations nationales. employé-e-s – surtout des femmes. Dans les zones franches du Salvador, les Chaleur sidérante syndicats sont mal vus. Caméras et gar­ Melvin López, 30 ans, travaille depuis des armés exercent une étroite surveil­ neuf ans pour AVX et œuvre au sein du lance sur les lieux. Nul ne peut entrer ou syndicat, afin d’améliorer les conditions sortir sans s’identifier et sans disposer de de travail dans l’usine. Parmi les principa­ l’autorisation d’une des sociétés de la les revendications, il évoque les hausses place. Seuls les récits des salarié-e-s salariales, car le salaire actuel ne suffit


POINT FORT 9 Marielos de Léon et Melvin López veulent améliorer les conditions de travail. Malgré les menaces de licenciement, Marielos poursuit la lutte.

pas pour couvrir les besoins de base. Selon une étude, il devrait en effet avoisi­ ner 580 dollars. L’entreprise devrait par ailleurs se doter d’une crèche. Aux yeux du syndicaliste, les mauvaises conditions de travail sont dues à la volonté de faire des économies: «Comme il faut toujours réduire les coûts, un minimum de person­ nel doit produire un maximum. Je travail­ le dans l’atelier où les condensateurs sont durcis. L’opération se fait dans des fours et il fait très chaud. Comme il faut utiliser au mieux la place disponible, nous n’avons pourtant guère d’espace et la cli­ matisation ne suffit pas pour rafraîchir l’air. C’est surtout en fin de journée que c’est pénible, car les moteurs des machi­ nes dégagent aussi de la chaleur.» Tracasseries incessantes Comme les chefs d’atelier touchent un bonus lorsqu’ils parviennent à réduire les coûts et à atteindre les objectifs de pro­ duction, ils poussent les ouvrières et les ouvriers à bout: «Le syndicat a au moins obtenu qu’ils ne nous insultent plus. Mais si nous ne faisons pas ce qu’ils veulent, ils s’arrangent pour que nous perdions notre emploi», raconte Melvin López. En 2007, Marielos de Léon a ainsi été li­ cenciée après 15 ans de service pour

avoir participé à la fondation du syndicat SITRAVX. «Nous nous sommes regrou­ pés, car la protection de la santé fait défaut chez AVX, explique-t-elle. Comme nous respirons divers produits chimiques, utilisés pour laver les composants élec­ troniques, plusieurs collègues sont morts d’un cancer. Mais les maladies diagnosti­ quées ne sont pas reconnues comme professionnelles. Dans l’entreprise, nom­ bre de conduites et d’appareils présen­ tent des traces de corrosion et nous nous demandons ce qu’il en est dans notre corps. Nous voulons que l’entreprise mette à notre disposition des moyens de protection appropriés, tels des gants, des masques et des protège-ouïe.» La syndicaliste critique le fait que l’entreprise n’investit que dans ses infra­ structures, mais pas dans les salaires ni dans la protection des travailleurs et des travailleuses. «La société se porte on ne peut mieux. Elle alimente un vaste mar­ ché très rentable, est solvable et active dans le monde entier, s’indigne Marielos de Léon, qui n’est pas près de baisser les bras. Nous avons contesté la dissolution de SITRAVX en 2013. Nous poursuivons nos activités et revendiquons le droit des travailleuses et des travailleurs de s’organiser.»

* Une maquiladora, parfois abrégée maquila, désigne une usine en Amérique centrale qui produit des mar­ chandises destinées à l’exportation à partir de compo­ sants importés, tout en bénéficiant d’une exonération d’impôts et de coûts salariaux minimaux.

Zones franches au Salvador Le Salvador compte 16 zones franches, qui réunissent 200 entreprises étrangères exonérées de l’impôt et em­ ployant une main-d’œuvre bon marché. Environ 70% d’entre elles sont des usi­ nes de textile, les 30% restants se répartissant entre les secteurs suivants: électronique, plastique, papier, chimie, agro-industrie et centres d’appel. Avec un appui financier de Solidar Suisse, FUNDASPAD (Fundación Salvadoreña para la Democracia y el Desarrollo So­ cial) propose formation continue et as­ sistance juridique aux syndicalistes, comme ceux de SITRAVX, afin de les aider à regrouper les salarié-e-s en vue d’améliorer les conditions de travail. www.solidar.ch/el-salvador-listedes-projets.html


10 POINT FORT

QUAND LE TRAVAIL TUE Yi Yiting souffre d’une leucémie, suite à une intoxication au benzène. Il continue de lutter pour obtenir une indemnisation. Texte: Swati Jangle. Photo: Jason Chan Au moment d’intégrer son poste, Yi Yiting a été assailli par la puanteur qui allait marquer ses journées de travail. Un mé­ lange insupportable de diluants et de peintures qui, combiné à la fumée et aux poussières des travaux de soudage, allait rendre chacune de ses respirations éprouvante. «Mais personne ne nous avait jamais parlé des risques pour la santé liés à notre activité», se rappelle Yi Yiting. Il a commencé à travailler en 2003 à Xiamen, comme machiniste pour China International Marine Containers (CIMC). Deux ans plus tard, du sang coulait dans sa bouche et des taches bleues appa­ raissaient sur sa peau. Une leucémie lui a été diagnostiquée. Yi Yiting n’a plus ja­ mais été en mesure de travailler. Il avait alors tout juste 25 ans. Un leurre total Lorsque Yi Yiting a pris conscience que sa maladie pouvait être liée à son travail, il a demandé un diagnostic au service compétent. Labour Action China (LAC), une organisation partenaire de Solidar, engagée depuis une décennie contre les

Votre don compte Votre contribution de 60 francs permet à l’organisation partenaire de Solidar, Labour Action China, de conseiller une ouvrière tombée malade afin qu’elle obtienne le droit d’être soignée. www.solidar.ch/chine

intoxications au benzène (voir page 20), l’a soutenu dans ses démarches. Car la leucémie de Yi Yiting est provoquée par le benzène, un solvant. Par le passé, le benzène était utilisé dans de nombreux secteurs d’activité, comme solvant et dé­ tergent; dans l’intervalle l’Europe et les Etats-Unis l’ont remplacé par des subs­ tances moins toxiques. Mais il reste très répandu dans l’Empire du Milieu. LAC s’engage donc pour interdire le benzène en Chine. Yi Yiting ne travaillait certes pas luimême avec des peintures et des sol­ vants, mais son poste était à proximité immédiate de l’installation de peinture. Il n’y avait pas de paroi de séparation, ni de système d’aération, dans la halle de l’usine. Il a vécu une seule inspection of­ ficielle durant la période de deux ans où il a occupé ce poste. «La visite avait été préalablement annoncée et le manage­ ment l’avait préparée en conséquence: lors du contrôle, il n’y avait pas de pro­ duits chimiques toxiques dans la halle et, au lieu des 140 containers produits nor­ malement chaque jour, seuls 30 sortaient de l’usine.» On a ainsi fait croire aux auto­ rités que les dispositions du droit du tra­ vail étaient respectées. Lutte pour un dédommagement Une fois sa leucémie diagnostiquée, Yi King a dû lutter durant 22 longs mois avant la confirmation officielle que sa maladie était due à ses anciennes condi­ tions de travail. Il a alors découvert que

CIMC avait soudoyé le service sanitaire compétent afin d’éviter que sa maladie soit reconnue comme professionnelle. Car cette reconnaissance est absolu­ ment nécessaire pour que Yi Yiting ait droit à un traitement et puisse exiger un dédommagement. LAC le soutient, tant financièrement que sur le fond, dans sa lutte pour des indem­ nités. C’est impératif, car un tel combat exige beaucoup de force et d’énergie. Une énergie que Yi Yiting n’a pas tou­ jours: il a dû se soumettre à 28 chimio­ thérapies et, entre-temps, les médica­ ments n’ont plus d’effet sur lui. Il apporte néanmoins son soutien à d’autres per­ sonnes aussi tombées malades à cause de leur travail, afin qu’elles obtiennent reconnaissance et dédommagement. Au grand dam des autorités chinoises. En mai dernier, elles ne l’ont pas laissé partir à Genève, où il voulait s’exprimer, dans le cadre d’une audition du comité des droits économiques, sociaux et cul­ turels de l’ONU, sur la situation du travail en Chine. Ce n’était pas une première: Yi Yiting subit de continuels harcèlements et pressions. Victimes invisibles Yi Yiting a enregistré 200 cas de travail­ leuses et travailleurs souffrant d’une in­ toxication au benzène. Des statistiques officielles sur les maladies dues à ce composé ne sont pas disponibles. Suki Chung, directrice de LAC: «Cinq millions d’ouvriers et ouvrières sont quotidienne­


CHRONIQUE

THEMA 11

Yi Yiting fait partie des centaines de milliers de victimes d'une intoxication au benzol.

An der WM sollen Strassenhändle­ rInnen ihre Waren rund um die Stadien nicht verkaufen dürfen.

Hans-Jürg Fehr Président de Solidar Suisse

Changer la donne

Familles détruites Dans la plupart des cas, cette maladie du travail porte un coup terrible aux familles. Yi Yiting n’a, soudainement, plus été en mesure de travailler; il a en outre reçu la facture astrono­ «Les ouvriers et ouvrières mique de ses traitements. Sa ignorent ce qu’est le famille a dû s’endetter. Pour pouvoir l’assister, sa femme a benzène et sa toxicité.» abandonné son emploi. «Ma mère s’est fait beaucoup de sont pas conscients des dangers. Ils souci après le diagnostic de ma maladie ignorent ce qu’est le benzène et les et a contracté une affection cardiaque», risques sanitaires qu’il fait encourir. Nom­ raconte Yi Yiting. «Mais nous n’avions bre d’employé-e-s concernés viennent pas d’argent pour la faire soigner dans des campagnes et sont très peu instruits. un hôpital. Elle est décédée moins d’un Lorsqu’ils tombent malades, ils ne pen­ mois plus tard.» La leucémie de Yi Yiting sent absolument pas à mettre leur travail a détruit les moyens d’existence de toute en cause. Seules quelques personnes se sa famille. Mais il n’a pas perdu son éner­ font diagnostiquer. Les autres restent in­ gie vitale pour autant. De victime, il est visibles – et n’ont droit ni à un traitement devenu militant. ni à une indemnisation.» ment exposés à des produits chimiques dans la province de Guangdong, le pou­ mon industriel de la Chine. Le problème tient au fait que la plupart d’entre eux ne

Lorsque les élites économiques ont toute latitude pour appliquer les lois du marché, elles rabotent au maximum les coûts de production. Elles paient des salaires de misère et renoncent à pré­ server l’environnement. Lorsque les élites au pouvoir régissent les peuples en faisant fi des règles démocratiques, elles recourent à l’évasion fiscale pour amasser autant d’argent que possible sur des comptes étrangers. Dans nom­ bre de pays du Sud, ces deux phé­ nomènes s’additionnent, engendrant de lourdes conséquences: pauvreté généralisée et destruction rapide de l’environnement. Face à ces vents contraires, la coopération au dévelop­ pement est vouée à l’échec. L’ONU a compris qu’il ne sera possible d’atténuer la pauvreté, d’assurer à toutes et tous un accès à l’eau potable, d’éradiquer le travail des enfants et le travail forcé, qu’en changeant radicale­ ment la donne. En élaborant l’agenda de l’après-2015, elle tente, dès lors, de concilier les objectifs du développe­ ment avec des objectifs sociaux et environnementaux. Si les patrons versent des salaires décents à leurs employé-e-s, si les Etats touchent les impôts qui leur sont dus pour investir dans la formation, la santé et les infrastructures et, enfin, si l’Etat et les milieux économiques res­ pectent les ressources naturelles, alors la coopération au développement aura le vent en poupe. L’après-2015 mise sur ce change­ ment. Reste à savoir s’il aura lieu, car il inquiète les tenant-e-s du pouvoir…


12 BRÈVES Un signal fort contre le travail forcé Le 11 juin 2014, deux documents décisifs ont été adoptés lors de la conférence annuelle de l’Organisation internationale du travail (OIT), à Genève. Pour la première fois de son histoire, l’OIT a voté une recommandation relative à l’économie informelle. Le document pré­ sente les mesures que les Etats membres peuvent prendre pour améliorer la situa­ tion professionnelle des personnes con­ cernées. Zoltan Doka, directeur adjoint de Solidar Suisse: «Nous sommes très satis­ faits de cette décision novatrice prise par l’OIT. La majorité des employé-e-s exerce

une activité en lien avec l’économie infor­ melle, par exemple comme employé-e-s de maison ou marchand-e-s de rues. Ils n’ont, pour la plupart, aucune assurance sociale et travaillent dans des conditions très précaires. La recommandation de l’OIT constitue un pas substantiel dans la bonne direction.» En outre, l’OIT a réformé la convention de 1930 relative au travail forcé, afin de l’adapter aux défis actuels. «C’est un signal fort, déclare Zoltan Doka, en vue d’abolir cette forme particulièrement inhumaine d’exploitation.» www.solidar.ch/news

Kosovo: paiements directs grâce au dialogue Le 4 avril 2014, le Ministère de l’agriculture kosovare a annoncé la mise en place d’un système de paiement direct pour les pro­ ducteurs de lait. Ils bénéficieront chaque année de subventions à hauteur de 1,5 million d’euros, afin notamment d’améliorer la qualité du lait. La réussite du dialogue dans le secteur lai­ tier, initié par Solidar en 2009, est à l’origine de ce nouveau système. Après des débuts laborieux, les efforts pour mettre d’accord les associations de laite­ ries, les producteurs de lait et le gouverne­ ment ont conduit au développement d’une

L’Afrique à Riehen Le 24 mai 2014, Solidar a présenté, à Riehen, son travail au Burkina Faso. La place de la maison paroissiale a accueilli une trentaine de stands sur un marché africain, animé et coloré, organisé par la commune. Sur son stand, Solidar Suisse a exposé des tissus colorés, des coupepapier en bois, des nappes et des mangues séchées (voir prix du jeu en page 16). De nombreuses personnes sont venues flâner et observer les stands. Certaines ont fait des achats, tandis que d’autres ont voulu en savoir plus sur nos projets.

stratégie sectorielle commune. Dans un premier temps, un contrôle de qualité a été établi. L’objectif consistant à instaurer des paiements directs est désormais atteint. www.solidar.ch/dialoguelaitier

Depuis plusieurs années, Riehen apporte un soutien financier à l’éducation pluri­ lingue au Burkina Faso. Solidar se réjouit de pouvoir présenter ses projets aux per­ sonnes qui nous soutiennent par le biais de leurs impôts.

Bolivie: le travail décent se fait rare D’après les données officielles, le taux de chômage en Bolivie est tombé sous la bar­ re des 5% au cours des dernières années. Cependant, malgré la croissance écono­ mique, les conditions de travail sont de plus en plus précaires, les écarts salariaux augmentent et les nouveaux emplois créés exigent peu de qualifications. Les petites et moyennes entreprises, en parti­ culier, cherchent constamment à réduire le coût de la main-d’œuvre grâce à la délocalisa­tion de certaines activités. Environ 80% de la population active en Bolivie travaillent de manière informelle et dans des conditions précaires. 60% tra­ vaillent même dans des conditions très précaires, c’est-à-dire sans contrat en bonne et due forme, pour un salaire déri­ soire et sans protection sociale. Rien que dans les agglomérations de La Paz/ El Alto, Cochabamba et Santa Cruz, le tra­ vail informel a augmenté de 30% au cours des 15 dernières années. Les femmes et les jeunes adultes sont particulièrement touchés par le chômage et la précarité. Solidar Suisse intervient en Bolivie en faveur de conditions de travail décentes. Notre ONG lutte aussi pour la création de nouveaux emplois garantissant un revenu suffisant pour vivre et incluant des presta­ tions sociales. www.solidar.ch/travaildigne


POINT DE VUE 13

ZOOM sur le RÔLE DE LA CHINE EN  AFRIQUE L’action de la Chine en Afrique va du soutien à la lutte anticoloniale aux pires formes d’exploitation. Texte: Eddie Cottle, responsable de la campagne de l’Internationale des tra­ vailleurs du bâtiment et du bois (IBB) Le nouveau quartier général de l’Union africaine, construit par une main-d’œuvre chinoise, domine Addis Abeba, la capitale éthiopienne. Un symbole du rôle grandis­ sant de la Chine en Afrique. Les liens entre la Chine et l’Afrique sont profonds. La Chine a en effet grandement soutenu la lutte anticoloniale et a été le premier pays à encourager la mise en place de nouveaux Etats africains. Prise d’indépendance La Chine, dont l’économie connaît une croissance rapide, fournit des ressources énergétiques fiables. L’Afrique revêt donc une importance stratégique pour la Chine. En juillet 2012, le président Hu Jintao a garanti un crédit de 20 milliards de dollars pour les investissements et les infrastructures dans les pays africains. La Chine ne soumet ses crédits à aucu­ ne condition. Cela provoque des inquié­ tudes, notamment quant à l’éventuelle fin de la dépendance des pays africains, no­ tamment vis-à-vis des crédits de la Banque mondiale et du FMI – et donc vis-à-vis de l’Europe et des Etats-Unis. Principal partenaire commercial Entre-temps, plus de 2000 entreprises publiques chinoises se sont établies en Afrique. En 2011, les échanges commer­ ciaux entre la Chine et les pays africains

représentent 166 milliards de dollars et font de la Chine le principal partenaire commercial du continent africain. Il s’agit là d’un pas de géant puisqu’en 1999, ces échanges représentaient moins de deux milliards de dollars. Combinés à des in­ vestissements massifs, ils ont directe­ ment contribué à l’essor économique sans précédent de l’Afrique. Les entreprises chinoises publiques et privées s’imposent dans les secteurs de la construction et de l’infrastructure, aux dépens des entreprises européennes et sud-africaines. Il n’est pas rare que les offres des entreprises chinoises soient inférieures de 75% à celles des entrepri­ ses occidentales. Les ingénieur-e-s chinois perçoivent 130 dollars par mois, soit un sixième des salaires versés à leurs homologues angolais employés par des entreprises de construction euro­ péennes. En 2009, la part de marché des entreprises chinoises dans le secteur de la construction africain était supérieure de 36,6% à celle de la France, de l’Italie et des Etats-Unis réunis. Un tableau très contrasté L’aspect positif de l'engagement écono­ mique de la Chine en Afrique se voit op­ poser une grande critique: la Chine se comporterait comme une puissance co­ loniale. L’absence de normes de travail,

notamment, est critiquée: contrats écrits inexistants, prestations sociales et sa­ laires inférieurs au minimum légal. Mal­gré les difficultés, les syndicats afri­ cains du bâtiment ont réussi à négocier des conventions collectives et à recruter des employé-e-s sur les chantiers de multinationales chinoises. Ainsi, début 2013, le syndicat ghanéen du secteur du bâtiment a conclu huit conventions col­ lectives avec différentes entreprises chi­ noises; l'année précédente, en Ouganda, le syndicat idoine a recruté 200 femmes et 1600 hommes dans des filiales chinoises. La situation n’est pas identique dans tous les pays: en Tanza­ nie, les en­ treprises chinoises portent atteinte à la liberté d’organisation et au droit du travail, alors qu’en Namibie et en Zambie, les syndicats peuvent recruter des membres et conclure des conven­ tions collectives. Dans ces deux pays, les activités syndicales sont soutenues par Solidar Suisse. Les syndicats africains du secteur du bâtiment ont, avec un certain succès, re­ cruté des employé-e-s et entamé des négociations avec les entreprises de construction chinoises. Il reste cepen­ dant beaucoup à faire afin que toutes les entreprises chinoises respectent les droits syndicaux et du travail. www.bwint.org


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A Recife, des fans de foot passent devant Rivaldo Barboza (45 ans), mendiant depuis 10 ans. Photo réalisée par de jeunes Brésiliens: www.solidar.ch/ photosimpressions

COMME SI LE MONDIAL N’AVAIT PAS LIEU Comment un Brésilien, passionné de football et formant des jeunes à la communication sociale, a-t-il vécu le Mondial dans son pays? Texte: Jessé Barbosa, Comradio. Photo: Carmerindo João Je me laisse gagner, moi aussi, par l’euphorie que suscite le Mondial. Mais ici, dans la région semi-aride du Piauí, dans le Nordeste du Brésil, les standards que la FIFA a exigés pour ses stades sont délirants. Partout, je vois des hôpi­ taux mal équipés, un système éducatif défaillant à tous les niveaux, quasiment aucune offre culturelle et des quartiers d'habitation entiers privés d’électricité et d’eau potable. Cette réalité n'a rien à voir avec le Brésil montré à la télévision durant la Coupe du monde. C'est comme si ce Mondial n’avait pas lieu ici. Un autre Brésil Le football provoque des émotions et peut rapprocher les cultures. Le peuple brésilien aime le football. Et la facette po­ sitive de ce sport, c'est de réunir les êtres humains et de procurer de la joie. Mais maintenant, alors que notre pays accueille le Mondial, il est encore plus évident que nous vivons ici dans un autre Brésil, proche et pourtant si éloigné du Brésil prospère. La pauvreté que nous

vivons dans notre région est le fait de l'être humain. Elle résulte de décisions de politiques animés par la cupidité. La pauvreté dans laquelle la population bré­ silienne est forcée de vivre – absence de services de base, prix exorbitant de l’eau – ne devrait pas exister. C’est frappant quand nous voyons le Brésil du Mondial. Hommes «riches» Nous aurions les moyens de lutter contre la misère. Nous vivons dans une région chaude, peu arrosée et produisant peu de céréales. Mais on peut résoudre ces problèmes en stockant adéquatement

l'eau, en cultivant des variétés de céré­ ales adaptées et en pratiquant un éleva­ ge d'animaux supportant le climat. On peut vivre ici: les hommes sont «riches», ils ont une culture solidement enracinée et vivante. Le Mondial les met en joie, mais ils se posent des questions: si le Brésil est capable de remplir les exigen­ ces de la Fifa, pourquoi n'avons-nous pas d’hôpitaux et d’écoles qui fonctionnent, avec un corps enseignant bien formé? Et pourquoi n’avons-nous pas de sécurité, d’accès à l'eau, à la terre et à l’électricité? Tout cela serait possible – si la volonté politique ne faisait pas défaut.

Comradio Dans l'Etat fédéral du Piauí, Jessé Barbosa dirige le projet «Jeunes journalistes de radio en région semi-aride» de l'institut Comradio Brasil – une initiative épaulée par l’ONG suisse Brücke • Le pont. La formation proposée doit permettre aux partici­ pant-e-s d'aborder des sujets en rapport avec leur cadre de vie et d’en débattre, contribuant ainsi au développement socio-économique de la région. Solidar colla­ bore ponctuellement avec Brücke • Le pont. www.bruecke-lepont.ch


ACTUALITÉ 15

HUÉES CONTRE LA FIFA Plus de 15 000 personnes ont participé à la campagne de Solidar contre les tacles de la Fifa au Brésil. Nous maintenons la pression. Texte: Eva Geel. Photos: Sabine Rock et Kampaweb Les fautes brutales se suivent. Et, finale­ ment, le président de la Fifa, Sepp Blatter, tacle si fort un vendeur de rue que sa marchandise vole dans tous les sens. C’est avec ce clip que Solidar a protesté contre les dérapages de la Fifa au Brésil. Car les préparatifs du dernier Mondial ont été marqués par des expul­ sions forcées et des atteintes aux droits humains. La Fifa a notamment interdit aux vendeurs de rue toute présence aux abords des stades, afin que les sponsors du Mondial, comme Budweiser et Adidas, puissent écouler leurs produits en toute quiétude. En revanche, les vendeurs de rue ont été expulsés, parfois très violem­ ment, de leurs stands. Protestations massives Peu avant le Mondial, Solidar Suisse a donc exhorté, une fois encore, la Fifa à lever cette interdiction. Notre campagne

La vidéo de Solidar a montré le tacle terrible de la Fifa (en haut). 2000 huées, en partie enregistrées sur la Paradeplatz (à gauche), ont traduit l'exaspération des gens.

web. Près de 2000 personnes ont, ainsi, donné libre cours à leur colère. Nous avons transmis ces huées à l’organisation de M. Blatter, basée à Zurich. Halte aux lois spéciales! Solidar maintient le cap: nous exigeons de la Fifa qu'elle intègre enfin une clause de durabilité dans les contrats passés avec les nations organisatrices, afin qu’elles soient tenues, d’une part, de res­ pecter les droits humains et du travail et, d’autre part, de traiter décemment les marchand-e-s de rue. La Fifa ne doit, en ou­tre, plus faire adopter de lois spéciales

de protestation a bien fonctionné: près de 16 000 personnes ont soutenu cette revendication en envoyant un courriel de protestation à Sepp Blatter; la vidéo de son tacle a été visionnée 100 000 fois en quelques jours; sur Facebook et Twit­ ter, la campagne a touché un million de personnes environ. Mais les effets bénéfiques ont, malheureusement, été «La Fifa doit réagir. Faute de modestes. La Fifa a certes légèrement assoupli son quoi, un désastre humain plus interdiction: 3000 mar­ affreux frappera le Qatar.» chand-e-s de rue environ ont pu vendre leurs pro­ duits. C’est, hélas, largement insuffisant, – autorisant par exemple la vente de car 100  000 petits commerçants au bière. Joachim Merz, expert de la Fifa moins étaient touchés par l’interdiction auprès de Solidar: «La Fifa doit enfin agir initiale de la Fifa. Une raison suffisante autrement. Faute de quoi, un plus grand pour lancer une action de protestation désastre est à prévoir en 2018 en supplémentaire: Solidar a donné la pos­ Russie, puis en 2022 au Qatar.» sibilité de pousser des huées sur son site www.mondial-responsable.ch


16 CONCOURS Le jeu de Solidar 1.

2. 3. 4. 5.

6. 7.

8. 9. 10. 11. 12.

1. En Afrique du Sud, des syndicats de la construction ont pu négocier de tels contrats avec quelques entreprises chinoises. 2. Production qui, durant les 30 dernières années, a été délocalisée dans des pays en développement. 3. Une liberté syndicale essentielle, souvent bafouée par des multinationales et des Etats. 4. Syndicat qui, malgré des tentatives de criminalisation, est actif dans la zone de libre-échange de San Bartolo. 5. La Chine a soutenu ce mouvement de libération en Afrique. 6. Les ouvriers et ouvrières utilisent leur salaire pour assurer cette dernière. 7. En Chine, les travailleurs et travailleuses sont exposés – avec des conséquences fatales – à ce produit interdit depuis longtemps en Europe. 8. La Chine n’en associe aucune à ses crédits en faveur des pays africains. 9. Au Salvador, les entreprises en sont exemptées dans les zones de libre-échange. 10. Nom du village où se trouve une école, sur le Plateau central du Burkina Faso. 11. Nombre de pays où des travailleurs et travailleuses ont été enlevés et tués, afin de les empêcher de défendre leurs droits.

12. Prénom de la personne qui rédige l’éditorial du journal Solidarité. Envoyez la solution à Solidar Suisse – sur une carte postale ou par e-mail à contact@solidar.ch, sujet «jeu». Chaque réponse correcte participera au tirage au sort. 1er prix Un ouvre-lettre 2e prix Six sous-verre 3e prix Un sac Les prix sont issus du centre de formation pour femmes «Père Celestino», soutenu par Solidar Suisse au Burkina Faso. La date limite d’envoi est le 19 septembre 2014. Le nom des ga­ gnant-e-s sera publié dans Solidarité 4/2014. Le concours ne donne lieu à aucune correspondance, ni à aucun recours. Le personnel de Solidar Suisse n’a pas le droit d’y participer. La solution de l’énigme de Solidarité 2/2014 était «Fair play svp». Frédéric Radeff, de Genève, a gagné un foulard; Marlies Grob, de Männedorf, un tablier et des gants de cuisine; Raymonde Gaume, du Noirmont, un portemonnaie. Nous remercions le centre de formation «Père Celestino», soutenu par Solidar Suisse au Burkina Faso, pour les prix offerts. Merci également à tou-te-s les participant-e-s.


BRÈVES 17 Assemblée de Solidar: résolution contre Ecopop

Philippines: une aide d’urgence efficace Après le passage dévastateur du typhon Haiyan aux Philippines en novembre 2013, Solidar s’est mobilisé sur l’île de Panay (voir Solidarité 1/14). La première phase du projet a pu être achevée avant le début de la saison des pluies, vers mijuin. 2435 familles de 18 villages différents ont à nouveau un toit sur la tête, grâce à des kits de réparation comprenant de la tôle ondulée, des clous, des matériaux d’étanchéité, des câbles et des outils. Des kits de réparation ont également été distribués à six écoles et à trois dis­ pensaires de village. La population s’est naturellement empressée d’en faire bon usage. Depuis fin janvier, huit tron­ çonneuses professionnelles servent à fabriquer des matériaux de construction à partir de bois d’abattage. A ce jour, 353 familles ont pu en bénéficier. Dès le mois de mars, Solidar a fourni du bois de construction prédécoupé aux fa­ milles monoparentales, ainsi qu’aux per­ sonnes âgées et handicapées. Notre ONG a aussi mis des charpentiers quali­ fiés à leur disposition afin de construire des logements provisoires. Enfin, les cocotiers arrachés par le typhon ont servi de bois de construction. La phase suivante implique de transfor­ mer les logements provisoires en habita­ tions permanentes et de reconstruire des toilettes. En outre, Solidar forme les artisans à des méthodes de construction résistant aux tempêtes et favorise l'édification des nouvelles habitations dans des zones sûres. www.solidar.ch/philippines

La modification des statuts, l’élection du nouveau comité et une résolution contre l’initiative Ecopop étaient au cœur de l’Assemblée générale de Solidar Suisse, le 3 juin dernier. Les nouveaux statuts, approuvés à l’unanimité, prévoient une cotisation un peu plus élevée et définis­ sent plus clairement le rôle des différen­ tes commissions et fonctions. Dieter Bol­ liger, du syndicat syndicom, a été élu comme nouveau membre du comité di­ recteur. Il remplace Michael von Felten, qui a démissionné après de longues an­ nées d'engagement. Enfin, l’assemblée s’oppose clairement, via une résolution, à Ecopop (voir www.solidar.ch/news). La partie officielle a été suivie d'une conférence publique. Martin Dahinden, directeur de la DDC, souhaite renforcer l'engagement de la Suisse dans les

zones de conflit. Il plaide pour une poli­ tique de développement qui tienne da­ vantage compte des risques internatio­ naux, tels que la pénurie de ressources. Le directeur d'Alliance Sud, Peter Niggli a, quant à lui, critiqué les flux financiers internationaux qui font perdre d’énormes sommes d’argent aux pays émergents et en développement. Peter Niggli n'a pas épargné la Suisse: «Nous donnons d'une main une petite part et, de l'autre, nous reprenons une grosse part.»

La FEDEVACO souffle ses 25 bougies

Afrique du Sud: victoire de l'ANC

Pour ses 25 ans, la FEDEVACO fait la fête, le samedi 13 septembre, à Morges, de 13h à minuit. La FEDEVACO emmène petits et grands à la découverte de la solidarité avec le Sud. Dès 13h00, le cirque Coquino ouvre les feux avec un spectacle interactif. Les ados sont à la fête avec la troupe de breakdance Nuncha Crew. Théâtre, mode de deuxième main, affiches BD et courtsmétrages permettent de s’en mettre plein les mirettes. Des concerts sont prévus en soirée. Le chanteur K fera notamment partager au public son univers poétique. Entrée libre. La FEDEVACO regroupe plus de 40 associations actives dans la coopération au développement, dont Solidar Suisse. www.fedevaco.ch

Début mai, pour la cinquième fois consé­ cutive depuis la fin de l'apartheid, l’African National Congress (ANC) a remporté les élections en Afrique du Sud. Et ce, malgré un taux de chômage élevé, des scandales liés à la corruption, des manifestations de la population con­ tre un service public déficient, le mas­ sacre de Marikana en août 2012 (34 mineurs tués par les forces de l'ordre), ou encore les conflits au sein de la coa­ lition gouvernementale qui ont incité plu­ sieurs syndicats à ne plus soutenir l’ANC. Les élections de 2014 étaient les pre­ mières depuis le décès de Nelson Man­ dela – et auxquelles les personnes nées après l’apartheid pouvaient participer. Hélas, seul un tiers d’entre elles s'est inscrit sur les listes électorales. Vingt ans après la chute de l’apartheid, l’Afrique du Sud est toujours confrontée à de nombreux problèmes. Reste à voir si l’ANC profitera de ce nouveau mandat pour s'en occuper avec davantage de détermination que par le passé.


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PARTICIPER À LA VIE PUBLIQUE Au Burkina Faso, Germaine Ouedraogo enseigne le français à des adultes fraîchement alphabétisés. Elle accroît ainsi leurs possibilités de se faire entendre. Texte et photo: Sandrine Rosenberger


Germaine Ouedraogo est heureuse lorsque ses cours aident les élèves à mieux se débrouiller dans la vie.

Germaine Ouedraogo, 43 ans, n’a pas l’habitude de parler d’elle-même ni de son travail. L’animatrice a néanmoins ac­ cepté de s’entretenir avec moi lors d’une pause dans ses cours. Nous nous som­ mes installées au fond de la case en paille où elle enseigne le français à des adultes. Il fait très chaud. La classe se trouve à Lemnogo, un petit village du Plateau-Central burkinabé. Les élèves sont principalement des pay­ sannes et paysans qui n’ont appris à lire et à écrire leur langue maternelle qu’une fois parvenus à l’âge adulte. Parmi les vingt personnes présentes, il n’y a qu’un homme. Pratiquement chaque femme a un enfant avec elle, dont elle s’occupe pendant la pause, à moins qu’il ne conti­ nue à dormir sur son dos.

PORTRAIT 19 «Pas de problème» terminé!» Ayant animé des cours Lorsque je l’interroge sur les principaux d’alphabétisation, elle est très bien pla­ problèmes que les gens rencontrent, cée pour apprécier les progrès de ses Germaine s’étonne: «Il n’y a pas de prob­ élèves. D’autant plus qu’elle a elle-même lème.» Au Burkina Faso, il est en effet im­ suivi l’enseignement qu’elle dispense poli et indigne d’évoquer des ennuis. Ce aujourd’hui. Pour s’acquitter de sa tâche, n’est que sur mon insistance qu’elle finit Germaine accepte de lourds sacrifices: par me parler des difficultés à accéder les trois mois que dure le cours, elle les aux services publics, com­ me la santé et la formation. «Beaucoup de services C’est l’une des raisons qui ont poussé les élèves à officiels diffusent leurs suivre les cours ALFAA informations en français.» (voir encadré) de Ger­ maine Ouedraogo. Sans savoir le français, il est en effet impossi­ passe seule à Lemnogo sans voir sa fa­ ble de se faire soigner au dispensaire ou mille, car son domicile est trop éloi­gné. d’aider ses enfants pour les devoirs sco­ Les femmes reviennent à présent en laires. Lorsque je lui demande comment classe, car la leçon suivante va commen­ son enseignement contribue à résoudre cer. «Nous n’avons hélas pas de crèche. le problème, mon interlocutrice s’anime Les femmes doivent prendre leurs en­ enfin: «Les gens se débrouillent mieux, fants avec elles et ne peuvent pas se car ils comprennent leur environnement. concentrer entièrement sur la matière à Ils peuvent ainsi participer à la vie pub­ apprendre, regrette Germaine Ouedra­ lique. Les communes et les écoles diffu­ ogo. Quand les enfants sont malades, sent beaucoup de leurs informations uni­ elles ne viennent pas du tout et n’arrivent quement en français. Les gens doi­vent plus à suivre.» Mais la pause est finie et donc maîtriser suffisamment cette Germaine retourne à sa vocation: trans­ langue pour décrire leurs symptômes (ou mettre aux gens un savoir qui les aidera ceux de leur enfant) au dispensaire, à progresser dans l’existence. comprendre les informations obtenues et suivre les recommandations reçues. En sachant le français, ils peuvent aussi vendre leurs produits sur les marchés où leur langue maternelle n’est pas parlée.» Les cours servent aussi à améliorer leurs Méthode ALFAA compétences en calcul et à leur trans­ mettre des informations sur l’hygiène, le Les cours ALFAA (Apprentissage de droit foncier et le changement climatique. la langue française à partir des acquis Et Germaine d’ajouter: «Les paysan-ne-s de l’alphabétisation en langues natio­ savent ensuite calculer précisément les nales) sont destinés à des femmes et dépenses et les recettes de leur exploita­ à des hommes de plus de 15 ans qui tion. Ils ne se font plus gruger en vendant n’ont pas fréquenté l’école, savent leurs pro­duits.» néanmoins lire et écrire leur langue maternelle et souhaitent apprendre le Eloignée de sa famille français. La méthode a été introduite Germaine Ouedraogo anime des cours au Burkina Faso en 1991 par Solidar. ALFAA depuis sept ans. Ce travail lui Actuellement, 91 centres ALFAA, re­ plaît, car il lui permet d’aider les gens à groupant plus de 2500 élèves, sont améliorer leurs conditions de vie. «Ce qui répartis dans dix régions du pays. me motive, c’est de les entendre vrai­ www.solidar.ch/burkina-faso ment parler français une fois le cours


INTERDISONS LE BENZÈNE! Même s’il est hautement toxique, cancérigène et depuis longtemps interdit en Europe, le benzène est utilisé à large échelle en Chine. Les travailleuses et travailleurs ne sont pas protégés, ou de façon inadaptée, contre ses vapeurs mortelles. Signez la pétition de notre organisation partenaire chinoise LAC pour interdire le benzène: www.solidar.ch/news


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