La Terre crue - Un matériau traditionnel et d'avenir

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Références page de garde : La maison pour tous de Four, Isère, 2018 (à gauche) Immeubles à Biganos, Dumont Legrand Architectes, phase étude (à droite)


LA TERRE CRUE

UN MATERIAU TRADITIONNEL ET D’AVENIR

Mémoire de licence Année 2019-2020 Etudiante : HERQUE Sophie Encadrant : MEYER Julien Domaine : Architecture Ingénierie Environnement



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AVANT-PROPOS

Le choix de ce sujet de mémoire est dû aux influences qui ont marquées mon parcours depuis le début de mes études en école d’architecture. La terre crue comme matériau de construction est un sujet qui a éveillé ma curiosité dès la première année de licence. C’est la raison pour laquelle j’ai décidé d’expérimenter ce matériau dès mes tout premiers projets. Arrivée en début de troisième et dernière année de licence, ma curiosité reste entière. Mon idée de la terre crue en tant que matériau de construction durable estelle réaliste ? Ou ne s’agit-il que d’une illusion utopiste de jeune étudiant due au greenwashing et à l’effet de mode qu’elle semble connaître actuellement ? Ce mémoire constitue alors pour moi l’opportunité de me pencher profondément sur le sujet, de manière à me créer et à communiquer, ce qui sera je l’espère une vision objective du potentiel de la terre crue en architecture aujourd’hui.


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SOMMAIRE

Introduction ..................................................................... page 6 I

La terre crue traditionnelle .......................................... page 10 I.1 La terre comme matériau primitif 1.a L’image d’un matériau Antique 1.b L’image d’un matériau pauvre I.2 La terre, un matériau traditionnel en France 2.a La richesse d’un patrimoine français 2.b L’architecture vernaculaire au service de son environnement

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La terre crue tombée en désuétude............................ page 30 II.1 La période moderne et l’idée de progrès 1.a Faire face à la reconstruction 1.b Faire face à un changement de paradigme II.2 La prise de conscience écologique 2.a La naissance des questions environnementales 2.b Les acteurs au service de la terre crue


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La terre au service de l’architecture de demain ....... page 50 III.1 Un retour timide du matériau 1.a La perception du matériau aujourd’hui 1.b Ses vertus et limites III.2 Les limites à imposer pour l’avenir 2.a Utopie ou réponse aux problèmes contemporains ? 2.b Accepter la sobriété Conclusion ......................................................................... page 72 Bibliographie .................................................................... page 76 Annexes .............................................................................. page 80


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INTRODUCTION

La question de la transition écologique est une problématique primordiale à l’heure actuelle. Souvent mise de côté par les acteurs de la société, soit par intérêt, soit par renoncement face à la complexité des solutions à mettre en place, la transition écologique n’est pour l’instant, en France, qu’un terme qui semble être un objectif, mais qui inquiète. Cette inquiétude est justifiée. Les dernières projections du GIEC (Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) concernant le réchauffement climatique sont que la température de surface du globe pourrait croître de 1,1 à 6,4°C supplémentaires d’ici la fin du XXIème siècle. Les différences entre projections résultent des différents scénarios d’émissions futures. Il est vrai qu’un réchauffement du climat est inévitable et naturel, mais l’accélération frénétique de ce réchauffement est liée à notre mode de vie contemporain et nous mettra face à de grandes difficultés d’adaptation. D’après les statistiques, le secteur du bâtiment, résidentiel et tertiaire confondu, représenterait à lui seul environ 24% des émissions de CO2 en France. Ces chiffres ne prennent en compte que les émissions produites durant le cycle de vie de ces bâtiments et non les énergies grises, qui sont produites à la construction et à la déconstruction. Le secteur du bâtiment représente alors un


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champ d’action considérable pour une évolution vers une société en transition écologique. Aujourd’hui, on sait qu’on ne peut pas continuer à vivre dans un système linéaire où l’on extrait, produit, et détruit sans perspective d’avenir de la matière. Un système d’économie circulaire devient alors un enjeu important du XXIème siècle. Nos connaissances en termes de techniques constructives pourraient déjà nous permettre des améliorations. Cependant, certains secteurs encore ignorés par le plus grand nombre, tel que la filière terre, pourraient également apporter des réponses à certaines problématiques de l’architecture de demain. Plus d’un tier des habitants de la planète vivent dans des habitations en terre, il s’agit souvent d’un matériau traditionnel, imprégné dans la culture régionale. Malgré cette très forte présence, aujourd’hui la simple évocation d’une architecture contemporaine en terre crue en France étonne toujours. Comment expliquer ce paradoxe ? Qu’est ce qui a provoqué la mauvaise image que subit le matériau terre crue aujourd’hui ? Les réponses à ces questions s’expliquent par son histoire et la variation de sa popularité auprès des bâtisseurs et du public. Je vais donc appuyer mes recherches sur l’évolution de la perception que l’on a eu de ce matériau au cours des siècles jusqu’à son regain de popularité aujourd’hui. Ce travail se veut alors être un regard porté sur l’utilisation de la terre crue pour l’architecture contemporaine en ciblant la problématique suivante : Comment l’évolution de la perception de la terre crue va-t-elle mener à son réemploi pour l’architecture de demain en France ? Pour mon mémoire j’ai choisi de traiter le sujet de la terre crue, en me limitant géographiquement à la France, excepté pour quelques explications historiques.


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Il s’agira dans un premier temps, de mettre en lumière la richesse du patrimoine historique que présente le matériau terre crue, en évoquant les constructions des toutes premières civilisations humaines, jusqu’à l’architecture vernaculaire et rurale française d’avant-guerre. Dans un second temps, il faudra expliquer comment tout ce patrimoine est tombé dans la désuétude avec tout le savoir-faire qu’il impliquait, au court de la période moderne et du développement des matériaux industriels. Enfin, dans une troisième partie, il sera temps de mettre en relief le retour du matériau terre crue sur le devant de la scène architecturale, pour la mise en œuvre de l’architecture d’aujourd’hui et de demain.


Introduction

Photographie : Markus Bühler, Rason Martin Rauch Lehm Ton Erde

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I. LA TERRE CRUE TRADITIONNELLE


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I. LA TERRE CRUE TRADITIONNELLE

En effet la terre est dans de nombreuses régions du monde un matériau traditionnel. La raison pour laquelle il est fortement utilisée est simple, il s’agit d’un matériau disponible et facile d’accès, ce qui a amené les bâtisseurs à en faire usage dès les premières constructions de l’Homme. Dans un premier temps il sera alors question de revenir sur les débuts de l’histoire de l’utilisation de la terre crue pour la réalisation de constructions, qu’il s’agisse d’habitats primitifs ou de monuments. Cela permettra d’expliquer l’image de « matériau primitif » que la terre peut avoir aujourd’hui et de démêler certains préjugés.


I. La terre crue traditionnelle

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I.1 La terre comme matériau primitif Le matériau terre souffre aujourd’hui d’une image plutôt négative, primitive ou même pauvre. Mais attention, il est important de souligner que le mot primitif malgré ses connotations négative renvoi par définition à l’origine des choses. Ce n’est qu’un second sens du mot qui évoque la construction rudimentaire et peu élaborée. Nous allons donc expliquer dans cette partie, que le matériau terre est un matériau primitif dans le sens où il vient de l’origine de la construction. Il s’agira d’expliquer que « primitif » n’est pas toujours « rudimentaire ».

I.1.a L’image d’un matériau Antique « L’hégémonie du monde industrialisé a été responsable pendant des décennies du complexe d’infériorité des cultures de la construction en terre crue. Aujourd’hui, ce matériau de construction le plus répandu sur la planète est étiqueté comme ‘alternatif’ ou pire ‘primitif’. » - Ronald Rael (RAEL Ronald, Earth architecture, p.15) Deux recherches conduites récemment dans le cadre du DSA Architecture de terre confirment cette perception négative de la terre crue. Un sondage a été réalisé en 2015, sur un échantillon de 145 personnes, dont 85 % des personnes déclarent avoir déjà entendu parler de l’utilisation de la terre crue dans le bâtiment. A travers ce sondage on peut constater que la construction en


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terre crue est pour l’imaginaire collectif soit liée au milieu rural et au passé, soit en relation à des cultures éloignées associées au concept de pauvreté.1 On peut alors se demander sur quoi cet imaginaire collectif s’est construit. Il faudra alors expliquer en quoi la terre a été utilisée de façon primitive, puis expliquer son évolution au cours de l’histoire. Il faudra alors faire quelques détours géographiques, pour nous recentrer ensuite sur la France. Ces différentes explications historiques nous aideront à démêler le vrai du faux des préjugés qui touchent la terre crue. Partout dans le monde, l’Homme a été confronté à la nécessité de ne bâtir qu’avec ses seules ressources naturelles, disponibles localement, au premier plan desquels, figurait très souvent la terre crue. Ce fut le cas des premières civilisations en Mésopotamie, les premiers logements en terre crue sont apparus il y a près de 10 000 ans. Les recherches archéologiques ont alors montré que les architectures en terre crues se sont développées tout autour du monde : dans les plaines du Tigre et de l’Euphrate en Mésopotamie, mais aussi en Egypte le long du Nil, en Chine sur les plateaux dominants le fleuve Jaune, ou encore au Pérou sur le littoral de l’océan Pacifique. Les sols fertiles et argileux qui ont été propices à la révolution agricole du Néolithique, ont aussi fourni le premier matériau de construction solide et durable utilisé par l’humanité. Il a s’agit de l’un des principaux vecteurs du développement des villes. La ville de Qatna, au nord de Damas, en Syrie, s’est développée pendant la première moitié du IIème millénaire avant notre ère. Elle laisse encore percevoir des murs de briques crues appareillés avec une grande précision, qui n’ont alors plus grand-chose de primitif malgré leur grand âge.² Cependant il n’apparait qu’un site de vestige 1. BAJOLET Sylvain, Terre et bois , 2018, p.26 2. DETHIER Jean, Habiter la terre, 2019, p.70


I.1 La terre comme matériau primitif

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archéologique, tout le contraire d’une architecture contemporaine aux yeux du public, apparait alors l’aspect primitif rudimentaire, alors que le savoir-faire immense dans cette cité renvoi plutôt à un primitif de l’origine de la pensée constructive.

Photographie : Markus Bühler, Rason Martin Rauch Lehm Ton Erde


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I.1.b L’image d’un matériau pauvre L’Homme a donc été amené à bâtir avec les seules ressources naturelles disponibles localement. Quoi de plus local que la terre se trouvant sous nos pieds ? Si la terre était fortement utilisée dans la construction auparavant, c’est donc simplement car il s’agissait d’un matériau disponible et local. Sans s’en apercevoir, les acteurs de la construction de l’époque répondaient alors à certaines des problématiques de construction durable d’aujourd’hui. En effet, historiquement les matériaux de construction étaient cherchés au plus près du chantier. De là, ont résulté des techniques locales adaptées à leur site. Le manque de compétences technicotechnologique et de savoir-faire varié amène lui aussi parfois à faire au plus simple et au plus évident. Aujourd’hui, on bénéficie encore de la présence de témoignages historiques exceptionnels, tel que la ville ancienne de Shibam, au Yémen. Ce témoignage apparaît comme un chef d’œuvre d’urbanisme et d’habitat écologique. Avec son tissu urbain très compact et ses immeubles allant jusqu’à sept niveaux entièrement en terre crue. La cité offre un exemple saisissant d’habitats durables en terre crue toujours habités. Cependant cette cité célèbre entre autres, amène le public à mettre l’image de la terre crue en relation avec des cultures éloignées et un climat exotique.

Photographie : Jean-Luc PETIT, Shibam, Manhattan of desert in Yemen, 1994


I.1 La terre comme matériau primitif

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Dans l’Antiquité, la terre crue était utilisée autant pour l’habitat que pour la construction de monuments. On peut citer l’exemple de la porte d’Ishtar à Babylone, une magnifique architecture monumentale à l’ornementation en céramique émaillée dissimulant la masse de la fortification de terre crue.3 Avec le temps et selon les régions du monde, pour la construction de monuments la terre crue sera laissée de côté au profit de matériaux considérés comme plus nobles. Ainsi, la terre crue sera d’avantage utilisée dans la construction d’habitat et ce type de construction laisse moins de traces. En parallèle, en ce qui concerne la question de l’image primitive de la terre, c’est l’image des habitats de terre crue encore réalisés dans certains pays comme au Mali4 qui vient à l’esprit du public. Ce sont alors ces différentes images, toutes confondues et dont les connaissances sont rarement maitrisées du grand public, qui contribuent à créer l’image floue et « primitive » de la terre crue dans l’imaginaire collectif. 3 4

Illustration : Porte d’Ishtar à Babylone, dessin de Maurice Bardin 3. DETHIER Jean, Habiter la terre, 2019, p.76 4. Ibid, p.201


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Les techniques constructives ont évolué avec l’Homme. A l’Antiquité, comme nous avons pu le voir, la terre crue était très largement utilisée et certaines régions du monde, contrairement à la nôtre, ne s’en sont jamais séparées. Ces visions du passé extrêmement lointain où extrêmement lointaine géographiquement parlant, amènent la vision collective de la terre crue à une image « primitive » floue et incomprise ainsi qu’à un caractère rudimentaire. Il s’agira alors maintenant, de recentrer notre vision à l’échelle de l’architecture vernaculaire en France, pour éclairer d’autres aspects de cet imaginaire collectif complexe et varié.


I. La terre crue traditionnelle

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I.2 La terre, un matériau traditionnel en France L’utilisation courante de la terre crue ne s’est pas limitée à la période de l’antiquité, sont utilisation a perduré à travers les siècles et notamment et France à travers l’architecture vernaculaire de plusieurs régions. Une fois encore, l’explication de cette forte utilisation se fait par sa disponibilité, sa localité et la facilité avec laquelle on peut y accéder. I.2.a La richesse d’un patrimoine français Partout sur la surface de la terre, l’Homme a appris à se servir de la terre pour élever des murs. Les techniques employées, bien que légèrement différentes selon les pays, sont toujours assez similaires. C’est ce que l’on peut constater à l’échelle de l’architecture vernaculaire française. Dans un premier temps il est impératif de donner une définition à ce mot : vernaculaire. C’est un type d’architecture communément répandu dans un pays, un territoire ou une aire donnée à une époque donnée. L’architecture vernaculaire, c’est une architecture sans architectes, mais qui recèle d’une intelligence constructive et d’adaptation remarquable à son environnement. C’est une architecture qui s’appuie essentiellement sur les nécessités locales et sur les matériaux de construction disponibles dans la communauté. On l’appelle souvent architecture traditionnelle, bien que les termes ne soient pas tout à fait synonymiques, elle tend à évoluer au fil du temps pour réfléchir le contexte culturel, économique, technologique et historique dans lequel elle se trouve.


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En France, l’architecture vernaculaire est très diversifiée et le patrimoine d’architecture en terre crue est très riche. La France est l’un des rares pays où existent des ouvrages d’architecture édifiés selon les quatre principales techniques de construction en terre : le pisé, l’adobe, la bauge, le torchis. Bien que la terre crue ait été mise en œuvre dans de nombreuses villes, comme Lyon, Rennes, Albi ou encore Troyes, la majorité de ce patrimoine national est constitué d’habitations rurales et de bâtiments agricoles. Ce phénomène pourrait bien s’expliquer par la présence et la disponibilité de larges étendues de terre dans le monde rural. Les techniques de mise en œuvre varient selon les régions. A l’ouest, en Bretagne, on trouve la plus forte concentration de fermes bâties en bauge. Le recours au torchis est très courant dans la partie nord de la France, allant de la Normandie à l’Alsace. La brique d’adobe a été surtout employée dans le sud-ouest, en particulier dans la région d’Albi. Et enfin le Pisé, était très courant dans la Bresse et surtout dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, principalement autour de Lyon et Grenoble.

Illusration : Hubert Guillaud, Carte de répartition des quatres principales techniques de construction traditionnelle en terre crue en Europe de l’Ouest. Source : DETHIER Jean, Habiter la terre, p.27 En orange : le pisé, en rouge : l’adobe, en bleu : la bauge, en vert : le torchis


I.2 La terre, un matériau traditionnel en France

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Carte postale : Ferme Solognote, Loire et Chaire, construction en torchis

Photographie : La maison café Perrin au Petit-Bilieu, construction en pisé, Isère. Source : site internet de la commune de Bilieu


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I.2.b L’architecture vernaculaire au service de son environnement Les quatre principales techniques de mise en œuvre de la terre crue : L’adobe, la bauge, le pisé et le torchis

L’ADOBE

Cette technique consiste à créer des briques de terre crue façonnées à la main ou moulées, puis séchée au soleil. Elles sont ensuite utilisées comme éléments de maçonnerie. L’adobe permet une grande liberté d’expression architecturale, car c’est une technique basée sur la maçonnerie de petits éléments. Cependant, le temps de fabrication et de séchage des briques est non négligeable.

Illusration : Pauline Sémon, création et mise en œuvre des briques d’adobe


I.2 La terre, un matériau traditionnel en France

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LA BAUGE

Cette technique consiste à construire des murs monolithiques par empilement de boules de terre. Les murs de bauge sont très robustes et peuvent être porteurs. Le principal inconvénient de cette technique est sa mise en œuvre très lente. Les boules de terre sont façonnées sur place puis lancées au maçon pour qu’il les empile. Esthétiquement, la bauge peut permettre un travail de façonnage en façade qui présente un aspect visuel et tactile très particulier.

Illusration : Pauline Sémon, mise en œuvre traditionnelle de la bauge


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LE PISE

Cette technique permet de construire des murs monolithiques massifs comme pour la bauge. Ces murs peuvent être porteur. La mise en œuvre du pisé est lente, la terre est versée dans un coffrage en bois, puis compactée manuellement. Les murs se montent couches par couches en déplaçant le coffrage. Le pisé permet l’utilisation de terre moins fine que les autres techniques, elle peut contenir des cailloux. Le pisé a un aspect esthétique qui lui est propre, il laisse apparaître les strates de terre de différentes couleurs qui correspondent aux couches de coffrages.

Illusration : Pauline Sémon, mise en œuvre traditionnelle du pisé


I.2 La terre, un matériau traditionnel en France

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LE TORCHIS

Le torchis est une technique de remplissage d’une structure porteuse, généralement en bois, par projection de la terre. C’est une méthode rapide qui combine une structure facile à monter et un remplissage facile à poser.

Illusration : Pauline Sémon, mise en œuvre traditionnelle du torchis


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Comme nous l’avons évoqué précédemment, l’architecture vernaculaire recèle d’une intelligence constructive et d’adaptation remarquable à son environnement, car elle s’appuie essentiellement sur les nécessités locales et sur les matériaux de construction disponibles. En France, on constate que les techniques de mise en œuvre sont différentes en fonction des régions. Il est alors légitime de se demander comment s’est dessiné le tableau de répartition des techniques d’architecture en terre crue en France et pourquoi il s’est développé de cette manière. Ce phénomène est principalement dû aux différents types de sol que l’on trouve sur le territoire français. Nous pouvons remarquer que le patrimoine en brique de terre crue, par exemple, s’inscrit sur les sols de nature argileuse. En revanche, le patrimoine en pisé prend place sur les terres sableuses, qui sont aussi utilisées dans le Nord de la France pour le torchis. La bauge et le torchis utilisent pour la plupart des terres limoneuses.5 Dans le cas où l’utilisation de la terre crue comme matériau de construction est justifiée, il faudra alors choisir la technique à mettre en œuvre en fonction du site. Les facteurs principaux à entrer en compte sont, comme expliqué précédemment : la nature de la terre que l’on trouve à proximité, mais aussi les propriétés climatiques et météorologiques du site. En effet, avant d’être stockée dans des pièces chauffées, les briques d’adobe était séchées au soleil. Il est donc évident que l’architecture en adobe se soit davantage développée dans le sudouest. Tandis que le torchis, facile à enduire et donc à protéger, se développe plus au nord, sous des conditions météorologiques plus continentales.

5. BAJOLET Sylvain, Terre et bois , 2018, p.102


I.2 La terre, un matériau traditionnel en France

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Illusration : Carte des techniques majoritaires de terre crue par régions de France (source : CRAterre, Construire en terre, 1983, p.12)


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I. La terre crue traditionnelle

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L’architecture vernaculaire est très liée à son contexte. Elle répond sans en avoir l’intention à bon nombre des problèmes de transition écologique que l’on rencontre aujourd’hui. Si elle inspire à l’heure actuelle de nombreux architectes à la recherche de construction durable, il est temps de se demander ce qui a mis un terme à cette période de construction qui semblait avoir trouvé une stabilité. Pourquoi et comment ces techniques aussi rependues et utilisées durant des siècles, sont-elles tombées en désuétude ?



II. LA TERRE CRUE TOMBÉE EN DÉSUÉTUDE


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II. LA TERRE CRUE TOMBÉE EN DÉSUÉTUDE

Le patrimoine français en terre crue, bien qu’existant, datant pour certaines œuvres de plusieurs siècles, immortalisé sur les cartes postales et encore habité, est tombé dans l’oubli. On peut alors se demander quels ont été les facteurs qui ont mené à cet oubli progressif. La période moderne, tournant de l’histoire, en a également été un pour celle de la terre crue qui entre dans une période d’amnésie. En effet, son utilisation va tendre à disparaître à la suite des guerres qui impliqueront une perte de savoir-faire et face à l’envie de progrès et d’innovation.


II. La terre crue tombée en désuétude

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II.1 La période moderne et l’idée de progrès Les guerres mondiales ont joué un rôle dans l’entrée de la terre crue dans sa période de quarantaine, en particulier la seconde. Elles ont mené à une perte de la main d’œuvre et ainsi du savoir‑faire, mais ont également imposé une reconstruction massive pour laquelle la terre n’était pas un matériau adéquat.

II.1.a Faire face à la reconstruction En France, la construction en terre crue s’est interrompue pendant près de trente ans, à la suite de la seconde guerre mondiale. Dévasté, le pays a eu un besoin urgent de reconstruire ses équipements, ses infrastructures et de reloger en masse la population. Cette interruption de la construction en terre crue en France a généré une perte du savoir-faire et un abandon des techniques de construction et de mise en œuvre. On fait également face à une dépréciation du matériau et à des préjugés à propos du patrimoine en terre. Durant la seconde guerre mondiale, à toutes les échelles, les habitudes sont totalement laissées de côté. Les hommes en âge sont mobilisés pour se rendre sur le front, les femmes font tourner le pays, des entreprises se reconvertissent, le fonctionnement complet de la France est revu pour faire face à la guerre. A la sortie du conflit, les conséquences sont hors normes. La seconde guerre mondiale a été le conflit le plus meurtrier de l’Histoire avec plus de 60 millions de morts soit 2,5 % de la population mondiale.


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En France, le nombre de victimes est estimé à 567 600. Ces pertes humaines, au-delà d’un chiffre, sont des pertes de main d’œuvre et de savoir-faire précieux qui ne pourront plus être transmis. Du côté de la technique du pisé particulièrement, il semblerait que les charpentiers piseurs aient été mobilisés pendant la première guerre mondiale, pour la réalisation des tranchés.6 « La Révolution industrielle du XIXème siècle entamait un processus de déclin du pisé technique « traditionnel », qui sera plus tard accéléré en France avec l’extermination des charpentiers piseurs » - Hubert Guillau7 Au lendemain de la seconde guerre mondiale, le pays se retrouve face aux besoins urgents de la reconstruction. La population a besoin de se reloger, les infrastructures et équipements manquent. Seules les grandes entreprises de béton qui ont continué leur activité durant la guerre étaient capables de répondre à cette demande. Pour des questions de moyens, de rentabilité, d’hégémonie industrielle et de capacité constructive en série, d’innovation pour construire plus vite, le matériau terre, bien qu’il aurait pu être utilisé pour la reconstruction, est devenu rare en milieu urbain, puis il est tombé dans la désuétude en milieu rural. En effet le matériau terre a pour principal défaut son temps de mise en œuvre non négligeable qui ne répond alors pas au principal critère de la reconstruction : sa rapidité. Le béton étant alors déjà dans un processus industriel, n’a pas eu de mal à prendre le dessus, tout comme l’acier. Ils ont été jugés plus aptes à construire des bâtiments de grande hauteur et des opérations d’envergures dans des délais courts, comme des quartiers de grands ensembles d’habitations. L’Etat a d’ailleurs subventionné le ciment et l’acier, encourageant leur emploi dans la reconstruction.8 6. BAJOLET Sylvain, Terre et bois , 2018, p.38 7. COINTERAUX François, Les Leçons de la Terre, Cendres, 2016, p.283 8. ANTOINE Anne-Lise, CARNEVALE Elisabetta, Architectures en terre crue en France, 2016, p.43


II.1 La période moderne et l’idée de progrès

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Cependant, si le manque de rapidité était un frein entendable à l’époque, aujourd’hui la période de reconstruction est révolue et la question de « construire moins mais mieux » est à prendre d’avantage en considération.

Photographie : Chemins de grues, source : Le musée virtuel du logement social

Illustration : Sarcelles, grands ensembles 1959, source : Le musée virtuel du logement social


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II.1.b Faire face à un changement de paradigme Le pisé et le béton ont une histoire commune. Ainsi, l’un a permis le développement de l’autre et vis-versa. Mais l’histoire a voulu que le béton ait fait oublier son précurseur. Bien avant l’oubli de la terre crue, au XVIIIème siècle, François Cointeraux était considéré comme le pionnier de l’architecture en terre. Il est l’un des premiers architectes à utiliser et à revendiquer le pisé comme moyen standard de construction. Il s’autoproclamera même « professeur d’architecture rurale ». Ses ouvrages, qu’il appelait des « cahier » ont participé à la propagation et au développement du savoir-faire qu’est le pisé. Un siècle plus tard, François Coignet, inventeur du béton aggloméré, s’est inspiré des travaux de François Cointereaux, principalement pour développer les techniques de coffrage. Il a emprunté au pisé cette technicité pour ensuite l’appliquer au béton. Cet échange de technologie va permettre au béton d’accroître son utilisation dans les nouveaux projets.9 Lors de la reconstruction, le béton a été préféré à la terre pour diverses raisons. En France, en 1941, Le Corbusier conçoit ses maisons Murondins, en blocs de terre comprimée, en pisé et en rondins de bois. Mais, face à la reconstruction, la reconstitution de l’appareil industriel du bâtiment va anéantir ces perspectives nouvelles dans la plupart des pays d’Europe.

9. BAJOLET Sylvain, Terre et bois , 2018, p.22


II.1 La période moderne et l’idée de progrès

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Illustration : François Cointeraux, méthode du Lyonnais puis en dessous méthode du Bugey tirée de ses cahier de l’architecture rurale

Illustration : François Coignet, tirée de ses planches techniques, étude des techniques de coffrage


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Cette période de « quarantaine » de la terre crue dans la construction en France, correspond aux Trente Glorieuses caractérisées par la politique de reconstruction matérielle du pays. La France connait une croissance économique forte, une omniprésence de l’industrie, une expansion démographique importante et la fin de l’Empire colonial français et l’émergence de nouveaux états. Elle profite encore de la puissance qu’elle a accumulée pendant la période coloniale.10 Cette période correspond à une forte mutation des mentalités et au développement de la société de consommation. L’idée de progrès amène à donner envie de nouveauté, la terre crue est alors reléguée au statut de matériau vieillot et tombe dans la désuétude en milieu rural. De plus, le mauvais entretient de bâtiments ruraux provoque leur détérioration et contribue à donner une image négative au matériau terre, qui parait alors peu solide et inconfortable.11 Cet interlude de la construction en terre crue en France a généré une perte du savoir-faire, un abandon des techniques de construction, une dépréciation du matériau et des préjugés à propos du patrimoine en terre. En parallèle, au Moyen-Orient, en Afrique et en Amérique Latine, la production de l’architecture en terre crue ne s’arrête pas. La raison principale de cette continuité est la nécessité d’accéder à une ressource quasi « gratuite » et est également due aux programmes de développement social et de coopération internationale. Ainsi, la terre crue est dans l’imaginaire collectif, un matériau pauvre, peu solide, ancien ou encore exotique, mais pas un matériau pour l’architecture moderne.

10. ANTOINE Anne-Lise, CARNEVALE Elisabetta, Architectures en terre crue en France de 1976 à 2015, 2016, p.42 11. Ibid, p.18


II.1 La période moderne et l’idée de progrès

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Illustration : Carte postale, Grand ensemble du Haut-du-Lièvre, témoignage marquant de la politique urbaine des Trente Glorieuses à Nancy, source : URCAUE Lorraine / LHAC

Photographie : Pascal et Maria Maréchaux, quartier édifié au XXème siècle près de la ville historique de Shibâm au Yémen


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La période moderne a donc été une époque de forte innovation en termes de matériaux et de construction, ce qui a permis de répondre aux besoins de reconstruction de cette période particulière et aux envies de progrès techniques. Cependant, la prise de conscience écologique va remettre en question ces innovations et la vitesse à laquelle elles ont émergé, pour mettre en avant de nouveaux enjeux sociétaux.


II. La terre crue tombée en désuétude

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II.2 La prise de conscience écologique Le confort, l’insouciance et la sécurité qu’ont offertes les trente glorieuses en France ont été des assurances difficiles à remettre en question. Mais la crises énergétiques et écologique ne tardera pas à bouleverser les esprits et à engager une prise de conscience. C’est cette prise de conscience qui pourra permettre une réapparition de la terre crue dans les débats qui concernent la construction, en signe de contestation de l’industrialisation et de la synthétisation exacerbée. II.2.a La naissance des questions environnementales La France et le reste du monde font face à deux crises économiques lors des années soixante-dix. Un premier choc pétrolier en 1973, puis un second en 1979, annoncent une crise énergétique sans précédent. En réaction à la société de consommation et à l’industrialisation omniprésente, une prise de conscience et une critique du capitalisme de certains groupes de pensées en Occident commencent à se mettre en place dans les années cinquante. Dans les années soixante, la contre-culture américaine sera largement diffusée aux Etats-Unis et en Europe. Les questions d’éthique, de retour à l’écologie et à la nature, au pacifisme et à l’autonomie alimentaire et énergétique font surface. Ces groupes qui se forment, prônent alors un retour à l’équilibre qui, d’abord purement volontaire, est devenu un appel aux exigences de l’écosystème. En France, ce changement d’idéologie résulte d’un mouvement


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réfractaire à la politique du Général De Gaulle et est marqué par les mouvements sociaux de mai 68.12 Mais il sera aussi influencé par les mouvements menés aux Etats-Unis contre la guerre au Vietnam, le régime conservateur, la guerre froide et les tensions sociales ethniques. Les questions écologiques se développent, jusqu’à l’organisation de la conférence des Nations unies sur l’environnement et le développement, plus connue sous le nom de sommet de la Terre de Rio en 1992. Le problème de la transition écologique commence à trouver sa place dans les débats politiques, et le secteur du bâtiment apparait comme une énorme source de pollution. D’après les statistiques, aujourd’hui encore, le secteur du bâtiment résidentiel/tertiaire représenterait à lui seul environ 24% des émissions de CO2 en France. Ces chiffres ne prennent en compte que les émissions produites durant le cycle de vie de ces bâtiments et non les énergies grises qui sont produites à la construction et à la déconstruction.

12. ANTOINE Anne-Lise, CARNEVALE Elisabetta, Architectures en terre crue en France de 1976 à 2015, 2016, p.20


II.2 La prise de consience écologique

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La déconstruction est un sujet toujours plus important à prévoir étant donné l’espérance de vie toujours plus courte des bâtiments. Le secteur du bâtiment représente alors un champ d’action considérable pour une évolution vers une société en transition écologique. Si nous en sommes conscient aujourd’hui, à l’époque ce n’était pas encore une évidence. Lors de l’émergence de cette prise de conscience, dans les années 70, la philosophie de la contre-culture américaine va influencer plusieurs architectes français, comme Jean Castex ou encore Jean Dethier, qui vont ouvrir la voie à de nouvelles réflexions sur l’architecture durable. Ils prônent l’un comme l’autre un retour à la ruralité, à l’architecture vernaculaire, à la réalisation de bâtiments économes en énergie, bioclimatiques et exploitant « l’énergie solaire » et à une architecture utilisant des matériaux de réemploi ou naturels comme la terre… Ils ont compris l’importance de s’affranchir des matériaux industrialisés pour utiliser des matériaux locaux peu transformés, de développer une culture constructive contextualisée et de mettre de côté la standardisation de l’architecture.

Illustration : La terre, un matériau recyclable, source : Anger & Fontaine, 2009


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II.2.b Les acteurs au service de la terre crue Le début des années quatre-vingt voit naître des structures pédagogiques autour de la terre. Ces structures restent isolées en France, mais annoncent le retour de la Recherche et du développement sur le territoire français. Dans les années 1970, un groupe d’étudiants de l’école d’architecture de Grenoble commence à militer pour la mise en valeur du matériau terre crue. Ils publient un premier ouvrage sur le sujet en 197913 qui permettra de commencer la recherche sur ce matériau. Grâce aux convictions écologiques de ce groupe, le CRAterre, Centre de Recherche et d’Application en terre, voit le jour au sein de l’école de Grenoble. Le Plan-Construction a soutenu à partir de 1976, les actions et les recherches des membres qui ont fondé en 198214 le Centre de Recherche et d’Application terre (CRAterre), premier laboratoire du genre au monde. Cet organisme a comme priorité de récolter un maximum de connaissances sur le patrimoine en terre, de diffuser ses connaissances. Il cherche à développer, avec des partenaires, des modes de construction pour conserver les monuments existants, réhabiliter et concevoir une architecture contemporaine. Il est rattaché à l’Ecole d’Architecture de Grenoble où il a développé un programme d’enseignement supérieur sur l’architecture en terre, reconnu par le Ministère de la Culture. Il forme donc à la construction en terre une vingtaine de personnes au niveau master et reforme ainsi une chaîne de diffusion du savoir-faire lié à la terre crue. Avec le temps, le CRAterre s’est agrandi pour atteindre aujourd’hui une trentaine de personnes de nationalités diverses et une forte pluridisciplinarité. 13. FILALI MALTOUF Soukaïna, ElémenTerre, 2018, p.64 14. « CRAterre », [en ligne], disponible sur :< http://craterre.org/>


II.2 La prise de consience écologique

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Ses membres sont du domaine de l’architecture, de l’anthropologie, de la sociologie, de l’ingénierie, de l’archéologie... Il agit d’abord à l’échelle de la région, mais face à une demande croissante internationale, son activité s’est beaucoup développée en Afrique, en Asie et en Amérique Latine. Grâce à la ville de Grenoble et au CRAterre, la France fait partie des pays pilotes dans le mouvement de revalorisation de la terre crue. Dans un second temps, c’est un projet qui va naître de l’association des différents acteurs au service de la terre. Il s’agit du projet «amàco». Amàco est un projet de centre de ressources pédagogiques dédié aux sciences de la matière pour la construction durable. Il vise à valoriser les matières brutes et peu transformées comme le sable, la terre, l’eau, le bois ou les fibres végétales afin d’encourager une construction en adéquation avec son territoire. Le projet est porté par quatre partenaires : Les Grands Ateliers, l’ENSA Grenoble, l’ESPCI ParisTech et l’INSA Lyon.


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Dans la présentation du projet on peut lire : « Enclavé dans une société en accélération permanente, l’Homme tend à s’éloigner de son environnement et se retrouve dépossédé de l’expérience qu’il fait du monde. Par la pratique d’une pédagogie alliant le corps, les émotions et la pensée, amàco vise à changer notre rapport au monde à travers l’appréhension et la compréhension des matières qui le constituent. Une invitation à redécouvrir le génie de la simplicité ». Cette citation montre bien le changement de vision que cherchent à diffuser les acteurs du projet. Concrètement, le projet amàco a quatre objectifs : la formation dans l’enseignement supérieur et professionnel, la recherche autour des matières et des matériaux, l’application de son savoir-faire au cœur de projets de construction et la diffusion au plus grand nombre, à travers des ouvrages, des expositions ou encore des vidéos. Il s’agit donc d’un média important pour la diffusion du savoir-faire sur la terre crue qui refait son apparition et pour la sensibilisation des professionnels et du grand public.

Photographie : amàco, formation à la réalisation de briques d’adobe


II.2 La prise de consience écologique

Photographie : amàco, stage ouvrier

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II. La terre crue tombée en désuétude

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Ces prises de conscience des nouveaux enjeux de la construction serviront de support aux architectes qui aujourd’hui vont tenter de remettre la terre crue au goût du jour pour s’en servir comme un matériau écologique. Cependant, le retour du matériau n’est pas aisé et les acteurs qui tentent de le prôner se retrouve souvent face à des difficultés malgré la nécessité de trouver des alternatives écologiques.



III. LA TERRE AU SERVICE DE L’ARCHITECTURE DE DEMAIN


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III. LA TERRE AU SERVICE DE L’ARCHITECTURE DE DEMAIN

Ces dernières années on a pu reconnaître un certain phénomène de mode autour de la terre crue et plus particulièrement autour de la technique du pisé. Pour l’émergence d’une architecture écoresponsable, il est primordial que ce matériau ne se cantonne pas au phénomène de mode dont il semble bénéficier. Mais pour que la terre rejoigne la palette des matériaux disponible et utilisable par les architectes, elle devra surmonter quelques difficultés.


III. La terreau service de l’architecture de demain

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III.1 Un retour timide du matériau Pour faire accepter la terre crue, il semblerait que l’image d’un matériaux avant-gardiste et innovant soit préférable et plus facile à admettre qu’un simple retour à des techniques anciennes. Depuis 40 ans, l’image de la terre crue oscille entre technique ancestrale et technique expérimentale. Il n’a jamais eu le statut de matériau conventionnel pour la construction. Est-ce que son développement est limité en raison du lobbying d’autres filières ou bien est-il simplement mal-aimé, car mal cerné ? III.1.a La perception du matériau aujourd’hui Le regain d’intérêt des professionnels de la construction, des auto-constructeurs et des Institutions pour le matériau terre crue est croissant, tout comme la volonté de réduire l’empreinte écologique du secteur du Bâtiment. La ressource en matière est, pour l’instant, largement disponible, l’attention des acteurs est grandissante, bien que ce marché soit encore une niche en 2020. Tous les facteurs sont là pour que la terre crue soit un matériau d’avenir. Pourquoi le secteur d’activité se cantonne-t-il à l’échelle de niche ? Il semblerait que les freins sont tels que bâtir en terre aujourd’hui reste un secteur réservé à quelques passionnés. Comme principaux freins on peut alors citer le lobby des cimentiers et grands industriels, l’absence de suivis des pouvoirs publics ou encore la règlementation. De plus, les architectes qui exercent aujourd’hui


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n’ont pas été formés à la mise en œuvre et à la conception de projets en terre crue. Des formations existent par le biais du projet amàco, mais la sensibilisation reste insuffisante et pour beaucoup la terre crue est vue comme un phénomène de mode. L’apparition de référentiels serait la meilleure sensibilisation possible. Cette voie est en bonne marche, puisque des architectes de renommée internationale se sont essayés à des techniques de mise en œuvre de la terre crue, comme Renzo Piano, Herzog et De Meuron, Wang Shu, David Chipperfield ou Diener und Diener. A l’échelle de la France, des projets sont en cours, comme celui de Philippe Madec pour le Pôle culturel de Cornebarrieu, déjà livré, ou celui de Renzo Piano pour un bâtiment œnologique dans le sud de la France ou celui de Norman Foster pour le Musée de la Romanité à Narbonne.15 La naissance de ces nouveaux référentiels pourraient alors faire évoluer la perception de la terre crue au niveau national, faire évoluer les règlementations et ouvrir de nouvelles portes au matériau.

Photographie : Pôle culturel Aria, Cornebarrieu, Philippe Madec, 2017 15. Annexes p.82-89


III.1 Un retour timide du matériau

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Du côté du public, moins sensibilisé, la terre crue reste encore tout ce qu’il y a de plus mal cerné. En tant que lecteur du grand public, même avec de la volonté, il n’est pas évident d’avoir accès à l’information sur la terre crue, car celle-ci est succincte et évasive. Les ouvrages sont soit très techniques, soit très vagues. Dans les bibliothèques et librairies, les ouvrages sur le sujet sont disponibles sur commande, mais rarement sur place. Sur internet, de nombreux articles sont intéressants mais il faut savoir où les chercher. Avec des sources de sensibilisation si éparses, il n’est pas étonnant que dans l’imaginaire collectif la terre crue oscille encore entre une image de matériau pauvre, d’habitat précaire ou au mieux d’architecture rurale. L’architecture de terre crue, méconnue et mal-aimée, subit alors une image peu esthétique de la terre comme un château de gadoue ou un habitat troglodyte sous forme de grotte. Pour ceux qui sont légèrement renseignés sur les nouvelles réalisations, cette architecture reste néanmoins souvent un « mode de construire pour les hippies ». C’est en effet ce qui est ressortit d’un sondage réalisé en 2015 dans le cadre du DSA Architecture de terre sur un échantillon de 145 personnes, dont 85 % des personnes déclarent avoir déjà entendu parler de l’utilisation de la terre crue dans le bâtiment.16 Les plus intéressés par le domaine de l’architecture contemporaine citeront peut être les architectes Rick Joy et Martin Rauch dont quelques réalisations sont très publiées.17 Dans la plupart des cas, même si le patrimoine en terre crue en France est très riche, l’image qu’il véhicule est altérée par le fréquent mauvais entretien des bâtiments, qui engendre leur dégradation et donne au matériau une image peu résistante et peu durable, au contraire de ce qu’il est. 16. ANTOINE Anne-Lise, CARNEVALE Elisabetta, Architectures en terre crue en France de 1976 à 2015, 2016, p.11 17. Annexes p.95-99


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Photographie : Tucson Mountain House, Rick Joy, Tucson, Arizona, 2001


III.1 Un retour timide du matériau

Photographie : Maison Rauch, Martin Rauch, Schlins, Autriche, 2005

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III.1.b Les vertus et limites de la terre crue Donner une image de matériau « nouveau » à la terre, permet d’exposer ses capacités techniques en tant que réponse évidente aux problèmes actuels, plutôt que de prôner un retour en arrière. On constate en particulier comme capacités naturelles de la terre crue la régulation de l’humidité intérieure, sa durabilité, sa pondération phonique et son cycle de vie vertueux en tant que matériau. Mais ce n’est pas tout, elle affiche un très faible bilan en carbone (environ 4 fois moins que le béton armé) et elle est totalement réutilisable comme matière première si elle n’est pas stabilisée. Elle est saine à 100% et sans COV (Composés Organiques Volatiles considérés comme la 1ère source de pollution des espaces habités). Elle est perspirante et opère comme un régulateur hygrométrique naturel. De plus, elle possède une forte inertie, garantie d’une bonne régulation de la température intérieure. Elle peut servir sous plusieurs formes, elle peut être utilisée en parement ou en remplissage, en association avec d’autres matériaux, pour bénéficier des qualités de chacun. Elle est synonyme de croissance verte, d’emplois et de métiers locaux valorisants car ils sont porteurs de sens. Construire avec les terres locales, c’est « renaturer » la ville et rééquilibrer sa matière naturelle face à l’artificialisation croissante de notre milieu de vie.18 Une réutilisation de la terre crue pour certains types de programme semble alors être une réponse aux principales questions en ce qui concerne la durabilité du secteur du bâtiment. Elle présente autant d’avantages en termes structurel qu’en terme de santé dans le bâtiment et que de vertu écologique grâce à la mise en œuvre de circuits courts et d’économie circulaire.

18. « Cycle Terre », [en ligne], disponible sur : <https://www.cycle-terre.eu/>


III.1 Un retour timide du matériau

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Illustration : Le cycle du matériau terre crue, source : « Cycle Terre », [en ligne], disponible sur : <https://www.cycle-terre.eu/>


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Si la terre crue présente autant d’avantages, il faut alors expliquer quels sont les principaux freins à l’emploi de la terre crue pour les projets d’architecture en France. Le premier frein à évoquer est techniquo-règlementaire, la filière terre en France a encore besoin de se doter de référentiels techniques, notamment pour gagner en compétitivité et en crédibilité. Cette absence de référentiel règlementaire pèse sur les projets menés, alors que paradoxalement, la terre crue est un matériau on ne peut plus traditionnel. Ce manque, s’illustre par l’absence de réglementation, de normes, de « règles de l’art ». Mais aussi par l’absence de méthode de calcul pour la construction, de calculs de structure, sismiques ou encore hygrothermiques. Un frein règlementaire supplémentaire est la non-prise en compte des propriétés du matériau dans la réglementation thermique en vigueur. Aujourd’hui, les seuls textes normatifs sur lesquels les professionnels peuvent s’appuyer pour construire en terre crue sont : La règle professionnelle Enduit sur support terre crue et non sur les autres types de support (2012), l’Eurocode 6 pour la méthode de calcul des ouvrages en maçonnerie armé et non armé non spécifique à la terre crue (1996), les textes de Normes étrangères comme les règles professionnelles allemandes sur la construction en terre crue traduites en français (2013), le Traité de construction en terre (1ère édition en 1989). 19 Le deuxième frein est économique. Les coûts de réalisation sont pour l’instant plus importants que pour le secteur conventionnel car le besoin de main d’œuvre est plus important. Il y a aussi des problèmes pour chiffrer le lot terre, car il n’y a pas encore de référentiel de prix. Ce contexte accroît les difficultés pour construire un ouvrage en terre et l’assurer, notamment dans le cas du marché public. Ce qui engendre régulièrement des plus-values à terme sur l’enveloppe globale budgétaire du projet. À cela, il 19. ANTOINE Anne-Lise, CARNEVALE Elisabetta, Architectures en terre crue en France de 1976 à 2015, 2016, p.71


III.1 Un retour timide du matériau

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faut encore ajouter l’image générale négative de la terre crue en France, l’absence de capitalisation du savoir et le nombre limité d’artisans. Selon l’architecte Amélie Le Paih20, spécialiste dans la rénovation de bâtiments en terre crue, le plus gros frein à l’architecture de terre crue en France est la question de la confiance. Le manque de confiance étant dut à l’absence de normes et au manque de référentiels.

Photographie : Markus Bühler, Rason Martin Rauch Lehm Ton Erde 20. Annexes p.84


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Donner une image positive et attractive de la terre crue comme matériau de construction est un véritable enjeu pour la création d’une architecture durable car il s’agit d’un matériau présentant de grandes qualités techniques et environnementales et dont les freins pourraient être très vite oubliés avec la création de normes officielles et de référentiels.


III. La terreau service de l’architecture de demain

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III.2 Les limites à imposer pour l’avenir Si la terre crue est présentée comme un matériau novateur et écologique, face au « greenwashing » qui pullule aujourd’hui dans les techniques d’information et de communication, il est légitime de s’interroger. Le greenwashing, aussi nommé écoblanchiment, est un procédé de marketing utilisé dans le but de se donner une image de responsabilité écologique trompeuse. Le matériau terre crue est il réellement une réponse concrète à certaines des questions environnementales contemporaines, ou est-ce l’utopie irréaliste d’une poignée de chercheurs idéalistes ? C’est la question finale de ce mémoire à laquelle il faudra répondre dans la mesure du possible avec du recul et le plus d’impartialité possible, en évoquant la question de l’approvisionnement et de la transformation. Mais également en exposant les possibilités qu’elle offre aux architectes en matière de liberté de création et d’expression. III.2.a Utopie ou réponse aux problèmes contemporains ? La première question à aborder est celle de l’approvisionnement et des carrières. La terre utilisable pour la construction est la terre minérale.21 La terre végétale et est trop riche en matière organique, la présence de matière organique n’offrirait pas un matériau suffisamment solide et favoriserait le développement de végétaux. Il faut alors chercher en-dessous de cette couche de terre végétal pour atteindre une terre minérale. La terre que l’on utilise en construction est composée d’éléments 21. FILALI MALTOUF Soukaïna, ElémenTerre, 2018, p.48


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minéraux qui sont caractérisés par leur taille. On a donc du plus gros au plus fin : les cailloux, les graviers, les sables, les silts ou limons et enfin les argiles.22 La terre végétale est aujourd’hui marchandable, tandis que la couche de terre qui peut servir à la construction est vue comme un déchet. La question de l’approvisionnement est une problématique primordiale, car c’est en partie ce qui définit la vertu de la démarche de choisir la terre crue. Alors où et comment s’approvisionnent les entreprises et les auto-constructeurs en terre de construction ? Quelles sont les pratiques ? Y a-t-il un réseau local ou national d’approvisionnement en terre ? A l’heure actuelle, il n’existe pas de sites d’approvisionnement organisés comme pour les filières ciment ou bois. La source d’approvisionnement est le plus souvent définie pendant le processus de conception, selon l’éthique de la maîtrise d’ouvrage et de la maîtrise d’œuvre, selon la localisation du projet, la technique de mise en œuvre choisie et selon les options disponibles à proximité. La terre de construction peut alors provenir du site même du projet quand la terre est propice à la technique. Elle pourrait aussi très bien venir d’un autre bâtiment en terre crue démoli ou en ruine, dans ce cas on pratiquerait le réemploi de matériau non stabilisé. Elle peut aussi provenir des remblais du terrassier local ou bien de chantiers avoisinants. Ces différentes démarches sont pratiques, économiques et révélatrices d’une volonté de positionnement environnemental. Enfin, la terre peut provenir de fournisseurs de matériaux en terre ou de carrières locales ou de découvertes. Les sites de gisements de terre de construction peuvent fournir des volumes de terre conséquents pour la construction. Cependant elles n’ont autorisation qu’à des volumes bien définis qu’elles peuvent extraire à l’année. Elles doivent rendre des comptes aux autorités publiques concernées des quantités extraites et de 22. Interview de l’expert du materiau terre Romain Anger par Amàco


III.2 Les limites à imposer pour l’avenir

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l’évolution de l’exploitation.23 « 19 projets sur 30, soit quasiment deux tiers des bâtiments, ont été réalisés avec de la terre provenant de carrière, dont 3 réalisés en partie avec de la terre du site. Les carrières d’approvisionnement se situaient dans un rayon de 30 km maximum. Trois projets sur 30 ont été conçus avec des matériaux terre provenant de fournisseurs localisés à plus de 200 km. Les huit projets restants ont été réalisés avec la terre du site. Cette première analyse chiffrée, menée seulement sur un échantillon d’ouvrages, trace une tendance majoritaire pour une production locale en circuit court. »24 La question de l’approvisionnement est cruciale pour une utilisation généralisée de la terre crue dans la construction. Si le réemploi d’une ressource pour l’instant considérée comme un déchet de chantier ou de carrière est vertueux, des carrières dédiées à l’extraction de la terre de construction le seraient beaucoup moins. L’architecture de terre ne peut pas et ne doit pas être considérée comme une solution miraculeuse ou passe partout. Nos sociétés ont déjà trop souffert des promesses du « tout charbon », du « tout pétrole », du « tout électrique » puis du « tout nucléaire » pour ne pas adopter une nouvelle fois un schématismes inadaptés à la réalité. Un quelconque « tout terre » serait tout aussi absurde qu’un « tout béton » car toutes les terres ne sont pas adaptées à la construction, de la même manière que tout les sables ne sont pas adaptés à la construction en béton. Ainsi, si la terre crue est utilisée sans méfiance, stabilisée et non locale, elle risquerait de ne pas être pus vertueuse qu’un simple béton et connaître le même destin que son alter ego.

23. ANTOINE Anne-Lise, CARNEVALE Elisabetta, Architectures en terre crue en France de 1976 à 2015, 2016, p.102 24. Ibid, p.101 selon les 30 projets étudiés pendant leur tour de France


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Les terres mobilisées pour la construction ne répondent pas forcément aux critères techniques imposés par le choix de mise en œuvre. En effet, pour la technique du pisé, la terre doit être sablonneuse, si la terre locale ne l’est pas assez, du sable devra être ajouté. Parfois il faudra aussi faire usage de stabilisants. Cependant l’utilisation de stabilisants altère fortement les vertus écologiques du matériau. On dénombre plus d’une centaine de produits pouvant être utilisés comme stabilisant dans la construction en terre, qu’ils soient ajoutés dans la masse ou dans l’enduit. Les méthodes les plus pratiquées sont celles de : la densification par compression, l’ajout de fibres au mélange, l’addition de ciment ou de chaux à la terre ou encore le mélange de la terre avec du bitume. Les stabilisants permettent d’adapter la terre disponible au projet. Pour la réalisation d’une architecture durable, il serait préférable d’adapter le projet à la terre disponible qui présente déjà de nombreuses propriétés intéressantes à l’état naturel, pour éviter sa transformation. Pour pallier les inconvénients concernant le temps de mise en œuvre et le coût que cela engendre, des acteurs tentent de trouver des alternatives plus industrialisées. La terre coulée serait donc un dérivé envisageable du pisé, technique très coûteuse. La technique de la terre coulée ou béton d’argile vise aujourd’hui à améliorer la compétitivité des murs en terre crue en réduisant leur temps de construction. Elle se retrouve au sein d’un débat actuel : entre vertu et compétitivité. La terre coulée a pour avantage de permettre un transfert technologique de la filière béton traditionnelle. Sorte d’effet miroir de la transmission de savoir qui s’est faite de la terre crue au béton à l’époque de François Coignet évoquée plus tôt. La terre coulée est moins chère que le pisé, mais reste tout de même à coût nettement supérieure à celui du béton. L’ajout de stabilisants quant à lui, altère considérablement les vertus du matériau terre que nous avons évoquée précédemment. La terre coulée nécessite


III.2 Les limites à imposer pour l’avenir

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l’ajout de ciment de manière à permettre le décoffrage mais aussi de stabilisants chimiques qui vont disperser les molécules argileuses pour doubler les résistances mécaniques. Avec ces deux éléments, le béton d’argile n’est pas beaucoup plus vertueux qu’un béton traditionnel. La recherche est encore en cours pour tenter de décoffrer le béton d’argile sans apport de ciment et pour remplacer les dispersants synthétiques par une molécule naturelle qui pourrait jouer le même rôle.25 Quel sera le visage de la construction en terre crue dans les prochaines décennies ? Cela dépendra de la volonté des maîtres d’œuvre et d’ouvrage à adapter leurs projets au matériau plutôt que l’inverse et des progrès technologiques à venir. Les industriels du BTP se penchent sur la stabilisation de la terre et la commercialisation de produits normés. Le fournisseur de matériau terre crue vendéen Argilus a déposé un brevet mondial sur un béton d’argile révolutionnaire, le HP2A, qui permettrait de construire sans ciment et sans sables marins. L’intérêt du matériau terre crue en tant que matériau biosourcé dépendra alors à l’avenir de l’avancée de la recherche, des nouvelles normes et de l’éthique des acteurs de la construction. Mais une utilisation durable de la terre crue est tout à fait envisageable dans la production d’architecture contemporaine.

Photographie : étude des types de terre, source : amàco 25. Interview de l’expert du materiau terre Romain Anger par Amàco


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III.2.b Accepter la sobriété « Il est trop tard pour le développement durable, et l’humanité doit désormais se focaliser sur le concept de résilience. » C’est ainsi que s’est exprimé Dennis Meadows, auteur du rapport Les Limites à la croissance. Ainsi, c’est à un changement de paradigme, autrement dit un changement de notre représentation du monde auquel nous devrons faire face pour imaginer une autre manière de voir le futur imminent et un autre modèle cohérent pour notre civilisation. Considérer les vertus de la construction en terre crue invite à prendre en compte l’impact du domaine de la construction sur nos environnements non seulement naturels mais aussi sociaux, économiques et culturels. Libérer l’avenir proche de ce modèle hégémonique générateur d’épuisement naturel et de rareté culturelle nous confrontera à penser, agir et construire différemment. Il faudra alors rétablir une diversité des modes de construction, compatible avec la diversité culturelle mondiale. Contrairement aux matériaux de construction industriels dominants, la terre crue est adaptable aux moyens financiers et techniques locaux. Elle permet le développement d’une culture constructive contextualisée et de mettre en avant le particularisme plutôt que la standardisation de l’architecture. Le matériau renverse les standards de production mondialisés en valorisant une large diversité d’identités culturelles. Elle permet la promotion de valeurs sociétales essentielles telles que l’autosuffisance, la coopération et l’autoconstruction. Elle contribue au développement des territoires en bénéficiant aux acteurs locaux. Cette manière de construire favorise l’échelle humaine dans la production architecturale, en offrant aux bâtisseurs la continuité d’une logique de bon sens, d’écoresponsabilité et de sobriété opposable aux architectures contemporaines marquée par un culte de l’innovation à tout prix.


III.2 Les limites à imposer pour l’avenir

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L’innovation à tout prix et l’idée de progrès par la recherche technologique a fait l’objet du discours de Husemann intitulé « Why Technology can’t save us ? » pour l’international forum on globalization teach in à New York en 2014. Dans ce discours, il évoque l’incapacité de la technologie à résoudre les problèmes environnementaux et il explique le principe de ce qu’il appelle un « techno-fix ». Il s’agirait de la manière dont, actuellement, l’Homme choisit de régler les problèmes environnementaux par des solutions toujours plus high-tech, alors que les problèmes sont eux-mêmes créés par des évolutions technologiques qui ont été apportées à un écosystème extrêmement complexe à l’équilibre fragile. Ces « techno-fix » permettent donc de traiter les symptômes à court terme, sans s’attaquer à la réelle source du problème. Concrètement, il s’agirait alors d’admettre que le futur de l’architecture n’est pas dans la création de façades cinétiques high-tech, mais dans la résilience, dans une démarche pour rompre avec la société de consommation et une volonté pour revenir à l’essentiel : l’homme et son environnement. En revanche, cette approche n’est pas un retour vers le passé. Elle est ancrée dans son temps entre savoir-faire des anciens qui a fait ses preuves et conception contemporaine pour une architecture d’aujourd’hui.


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Enfin il est important de revenir sur le fait que l’approche de la construction en terre crue n’est aucunement un retour vers le passé, mais une dynamique encrée dans son temps, contextualisée, entre savoir-faire des anciens et conception contemporaine. De cette manière, elle présente d’importantes qualités pour la création d’une architecture contemporaine, tel que sa symbolique forte, l’esthétique d’un matériau brut ou encore le confort qu’elle procure aux usagers. Tout d’abord évoquons sa symbolique. La symbolique liée à la terre est vaste : un mur en pisé peut évoquer la terre des vignes pour projet du Domaine de Trevallon par Bosc Architectes ou la Cave Wolfberger à Colmar. Mais encore le milieu naturel pour le magasin d’équipement pour la course à pied Endurance Shop à Paris, ou bien les strates des sols pour le cas de l’Institut d’Agronomie de la Méditerranée à Montpellier. De cette manière, le matériau a une réelle signification dans le projet architectural, il évoque des symboles et participe pleinement à l’image du bâtiment. La terre crue peut aussi être choisie pour son esthétique, lorsque l’on a dépassé l’image dégradante qu’elle subit. Il s’agit d’un matériau qu’on peut facilement laissé brut, aux teintes claires et chaleureuses. Le brut est devenu beau, moderne, honnête, pur et l’architecture en terre expose son matériau sans complexe, les revues d’architecture publient en pleine page des gros plans sur des murs en pisé, sur les graviers aux différentes couleurs qui se fondent dans la masse argileuse. Le pisé est pour l’instant la technique la plus en vogue dans le retour de la terre crue dans l’architecture contemporaine. Le mur de pisé fascine les architectes par sa texture, mais aussi par la lisibilité du processus de sa mise en œuvre, ainsi que par la relation que le bâtiment entretient alors avec la terre qui l’accueille, avec le sol du site, en « récréant » ses strates. Enfin, un élément primordial est le confort ressentit dans la construction et procuré par le matériau. A l’inverse de ce à quoi renvoie la terre crue dans l’imaginaire collectif, il ne s’agit pas d’un


III.2 Les limites à imposer pour l’avenir

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matériau peu solide, sale ou précaire, lorsqu’il est entretenu. Les utilisateurs qui ont pu apporter un témoignage vécu, affirment que ce matériau procure un sentiment de « cocon » chaleureux et rassurant, dut à sa texture et à sa symbolique probablement, mais aussi à ses propriétés techniques. Le matériau offre la sensation d’un environnement sain, dont l’humidité et la chaleur sont bien gérées tout comme l’acoustique.26 Il est donc important de dépasser les préjugés et la mauvaise image dont souffre le matériau terre crue aujourd’hui, pour pouvoir bénéficier des avantages de son retour en tant que matériau traditionnel dans la construction contemporaine. Je souhaiterais alors clore ce mémoire sur une citation qui m’a marqué par sa justesse : « A l’avenir il faudrait que la terre crue ne se réduise pas à la mode qu’elle semble avoir en ce moment, mais qu’elle constitue un élément admis dans la palette des matériaux dont dispose l’architecte et qu’elle sorte justement de sa niche écologique pour enrichir l’architecture contemporaine. » - Julia Wurst, interviewée par Amàco en 2016.

Photographie : source : amàco

26. ANTOINE Anne-Lise, CARNEVALE Elisabetta, Architectures en terre crue en France de 1976 à 2015, p.156


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CONCLUSION

Nous l’avons vu, la terre crue est un matériau riche en histoire. Elle a été utilisée presque partout à travers le monde et a été considérée en France comme un matériau traditionnel, nous laissant un patrimoine architectural national important. Puis la période moderne a marqué le début d’une période d’amnésie pour le matériau qui va tomber dans l’oubli au profit de matériaux industrialisés. C’est de cette période d’amnésie que la terre crue tend aujourd’hui timidement à sortir, pour servir la création d’une architecture contemporaine résiliente et durable. La construction neuve en terre crue fait face à de nombreux blocages, dont le premier est son image. Reléguée au passé et ralentie par le contexte normatif et réglementaire, la production architecturale contemporaine en terre crue reste au stade d’un marché de niche. Si l’utilisation du matériau présente encore des freins importants dans le domaine de la construction, trois facteurs clés pourraient pousser au développement de son emploi. Il s’agit en premier lieu du développement de références architecturale en France, puis de leur communication. En effet l’apparition de références encourage à la reproduction des procédés constructifs, si des projets importants sont publiés, c’est un coup de pouce pour la filière terre crue française. Enfin, le troisième facteur clé est un


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cadre normatif favorable, qui permettra d’éviter les difficultés de conception dues au manque de normes, mais ce facteur nécessite un appui législatif. Avec le développement de ces facteurs clés il s’agira de montrer qu’une production architecturale contemporaine en terre crue de qualité existe et qu’elle peut prendre une place sur le marché de la construction actuel et de demain en France. Il faudra alors dépasser les préjugés qui persistent dans l’imaginaire collectif et dans la perception du matériau par le public, en montrant qu’elle n’est pas réservée aux civilisations passées, ni aux pays en voie de développement. Il s’agira de montrer qu’au contraire, l’utilisation de la terre est source d’innovation et porteuse de changements soutenables pour l’avenir. Cependant, ce mémoire n’a pas pour but de diffuser une vision idéaliste du matériau terre, ni de mener la société vers une utilisation exclusive de la terre pour ses constructions. La terre crue ne s’avèrera pas être le matériau miraculeux qui va résoudre tous les problèmes écologiques contemporains. Ce n’est pas non plus un matériau passe-partout, il doit être utilisé à sa juste mesure et de façon pertinente, en fonction du contexte et de la situation du projet. Lorsque son utilisation est pertinente, la terre crue présente alors de grandes vertus qui contribueraient fortement au développement d’une architecture contemporaine respectueuse de son contexte. La principale démarche à entreprendre est donc de rendre à la construction en terre crue toute la noblesse qu’elle mérite en mettant en avant ses atouts techniques, esthétiques et écologiques, afin de renverser les idées préétablies. Ce mémoire de troisième année de licence n’a pas permis d’aborder toutes les perspectives d’études qu’offre le matériau terre crue, tel que sa mise en œuvre détaillée sur les chantiers actuels ou son association à d’autres matériaux structurels ou isolants. Pour la suite de mes études, j’espère pouvoir continuer à en apprendre sur


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ce matériau, pour savoir le mettre en œuvre et le promouvoir de manière juste quand j’exercerai. J’ai remarqué qu’entre 2018 et 2019 un bon nombre de mémoires étudiants ont fleuris sur le sujet de la terre crue, peut-être est-ce lié au festival Bellastock « La ville des terres » organisé en 2017. Ce genre d’évènements est très efficace comme sensibilisateur dans la vie étudiante. En attendant de mesurer les avancées, dans un futur proche, de la filière terre crue, j’espère que le matériau terre saura prendre plus de place au sein de l’enseignement pédagogique des écoles d’architecture, de manière à sensibiliser les acteurs de la construction de demain.


Conclusion

Photographie : source : amàco

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BIBLIOGRAPHIE

Mémoires.

• ANTOINE Anne-Lise, CARNEVALE Elisabetta, Architectures en terre crue en France de 1976 à 2015, éditeur : Ministère de la Culture et de la Communication Direction générale des patrimoines, 2016 • BAJOLET Sylvain, Terre et bois – La complémentarité des techniques constructives du bois et pisé dans les constructions contemporaines, éditeur : ENSA Nancy, 2018 • BERENBACH Nicolas, Construire en terre crue aujourd’hui : vers un développement local et durable, éditeur : ENSA Paris- de Seine, 2019 • BIGOU Laurine, Réhabiliter le bâti ancien en terre crue, éditeur : ENSA Paris- de Seine, 2019 • DESCHEPPER Maxime, Les chantiers participatifs en France : Rassembler par l’usage de la brique de terre crue, éditeur : ENSA Paris- de Seine, 2019 • FILALI MALTOUF Soukaïna, ElémenTerre, l’architecture en terre crue pour un développement soutenable des sociétés, éditeur : ENSA Nancy, 2018


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Ouvrages.

• BOLTSHAUER Roger, PISE, tradition et potentiel, éditeur : Triest Verlag Suisse, 2019 • COINTERAUX François, Les Leçons de la Terre, Cendres, 2016 • CRAterre, Béton d’Argile Environnemental 2010-2013, CRAterre édition Villefontaine, 2016 • CRAterre, Guide de bonnes pratiques des enduits en terre, CRAterre édition, 2017 • DETHIER Jean, Habiter la terre, l’art de bâtir en terre crue. Tradition, modernité et avenir, éditeur : Flammarion, 2019 • HOUBEN Hugo et GUILLAUD Hubert, CRAterre, Traité de construction en terre, édition Parenthèse, • HUSEMANN Michael, Techno-Fix. Why Technology Won’t Save Us or the Environment, éditeur: New Society Publishers, 2011

Revues.

• BERTHIER Stéphane, D’A D’Architecture, n°274, p.102107, « Maison pour tous, Four, Isère », septembre 2019 • GESLIN Félicie, Les cahiers techniques du bâtiment, « écomatériaux », n°377, p.50-53, « Construire en terre, qui l’eût cru ? », 2019 • SEMON Pauline et GAUZIN-MULLER Dominique, TERRA Award, Architecture en terre d’aujourd’hui, LES TECHNIQUES DE LA TERRE CRUE, 2016

Documentaires vidéo.

• Amàco - L’atelier matière à construire, Construire en terre crue – Pisé préfabriqué, 2016, disponible sur : < https://www. youtube.com/watch?v=1K99mrBlV04 >, (consulté dernièrement le 07.01.20)


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• Amàco - L’atelier matière à construire, Construire en terre crue – Le pisé avec le CEES de l’INRA, 2018, disponible sur : <https://www.youtube.com/watch?v=Y10QhnXUYYI >, (consulté dernièrement le 07.01.20) • Amàco - L’atelier matière à construire, Construire en terre crue – Bauge coffrée, 2017, disponible sur : <https:// w w w.yo u t u b e .c o m /watc h? v = m O 2 I c 2 m e3 w k& l i st = P L r_ Fjwu4UMLGx2GOwJuyboS0M9-Xcfy1s>, (consulté dernièrement le 07.01.20) • Amàco - L’atelier matière à construire, Construire en terre crue – terre coulée (béton d’argile), 2017, disponible sur : <https://www.youtube.com/watch?v=Pg17V3NChL0&list=PLr_ Fjwu4UMLGTanwZ-g4M8UBwKE_syFkE>, (consulté dernièrement le 07.01.20) • Amàco - L’atelier matière à construire, Construire en terre crue – briques de terre comprimée, 2018, disponible sur : <https://www.youtube.com/watch?v=4pJsckTHjV0&list=PLr_ Fjwu4UMLEvWL5Y-xq2kffp5ki5kIxA>, (consulté dernièrement le 07.01.20)

Conférences.

• BOLTSHAUER Roger, « Pisé, tradition and potential », Archizoom EPFL, Zürich, 2017, disponible sur : https://www. youtube.com/watch?v=Is2TPFgtDDM, (consulté dernièrement le 07.01.20)

Sites internet.

• « Cycle Terre », [en ligne], disponible sur : <https://www. cycle-terre.eu/> (consulté dernièrement le 04.01.20) • « CRAterre », [en ligne], disponible sur :< http://craterre. org/> (consulté dernièrement le 04.01.20)


Bibliographie

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• « Amàco », [en ligne], disponible sur :< http://www.amaco. org/> (consulté dernièrement le 04.01.20) • « Tera-terre », [en ligne], disponible sur :< https://www. tera-terre.org/terre-et-territoires/ > (consulté dernièrement le 04.01.20) • « Atelier Kara », [en ligne], disponible sur :< https://www. timurersen.com/ > (consulté dernièrement le 04.01.20)


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ANNEXES

Créations d’aujourd’hui Quelques références à travers le monde avec leurs valeurs et leurs limites. Ceci est une petite liste non exhaustive de références contemporaines inspirantes pour leur inventivité, leur respect de l’éthique ou simplement leur beauté à travers le monde. Il en existe bien d’autres, qu’elles soient déjà réalisées ou à l’état de projet, à vous de les découvrir …


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FRANCE Maison pour tous de Four, projet encadré des étudiants du master 1 AEECC de l’ENSAG, Four, en Isère, 2018 En un an, les étudiants ont travaillé en concertation étroite avec la commune de Four, dessiné le projet et construit aux côtés des artisans. Ce projet présente donc évidemment un but pédagogique qui a été d’apprendre aux étudiants à envisager le métier d’architecte comme indissociable de l’acte de construire. Il s’agit alors d’un apprentissage expérientiel. Mais c’est également un projet de démonstration. En effet il permet aux étudiants et aux professeurs d’offrir au public une référence moderne d’architecture en terre crue, référence encore relativement rare aujourd’hui en France. Le projet est construit en association terre et bois, il est constitué de murs porteurs en pisé. La terre n’a pas été stabilisée, l’unique liant est l’argile dans le but de ne pas dénaturer l’intérêt de construire en terre crue, en ajoutant de la chaux ou du ciment. Ainsi, lorsque le bâtiment sera en fin de vie la terre sera réutilisable. Les murs ont une épaisseur de 45cm, isolés par l’intérieur avec 20cm de laine de bois, un isolant perspirant, puis enfin une finition intérieure en pisé préfabriqué. Pour ce projet, l’utilisation du pisé est justifiée, car il s’agit d’une technique traditionnelle du Rhône-Alpes. Dans le département de l’Isère, on peut voir des bâtiments de plus de 150 réalisés en pisé, parfois à plusieurs niveaux et sans enduits. La terre trouvée à proximité avait les bonnes propriétés pour la construction, elle n’a pas nécessité de grandes transformations. La carrière d’où la terre a été extraite se trouve à seulement 15km du chantier. Le mélange et la granulométrie pour le pisé a été étudiée et approuvée par le laboratoire CRAterre qui travaille


Créations d’aujourd’hui

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étroitement avec le master AEECC. Enfin, pour ce projet la qualité esthétique du bâtiment n’a pas été laissée de côté au profit de sa qualité technique et environnementale. Pour Timur Ersen de l’atelier Kara, l’aspect esthétique est d’une importance primordiale car : « la construction est trop marginale pour souffrir d’une mauvaise image ». Ainsi, un soin tout particulier a été apporté à la qualité de texture, que ce soit visuel ou au touché.

Photographie : source : Cemex


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Atelier Alp, Pôle inter-entreprises, architecte : Amélie Le Paih, Saint-germain-sur-ille, 2017 Ce projet consiste en un bâtiment réalisé en bauge, qui abrite à la fois l’atelier d’architecture Alp et le bureau d’Artisan Terre Crue Ghislain Maetz. L’architecte Amélie Le Paih, créatrice de l’atelier Alp, est spécialisée dans la rénovation de bâtiments en terre crue. Elle insiste sur la difficulté de réaliser des bâtiments neufs en terre crue aujourd’hui et explique que pour la réalisation du projet du pôle inter-entreprises, la double casquette « maître d’œuvre/ maître d’ouvrage » a considérablement facilité le chantier. Selon elle, le plus gros frein à l’architecture de terre crue en France est la question de la confiance. Le manque de confiance étant dut à l’absence de norme et au manque de référentiels. Sur ce chantier, il aurait été difficile d’obtenir la confiance du client sachant que le projet se base sur la règlementation allemande pour palier à l’absence de documentation française. De nombreux bénévoles encadrés par des professionnels ont œuvré sur ce projet qui se situe à proximité d’un château classé monument historique. Ce bâtiment prend alors au sein de ce petit village, une valeur considérable.


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Photographies : source : INTERVALphoto

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Pôle culturel Aria, Cornebarrieu, Atelier Philippe Madec, 2017 Ce programme installé au cœur de la Zac Monges-Croix du Sud comprend une médiathèque de 1.170 m2 et une salle des fêtes de 1.640 m2. Construit en bois et en briques de terre comprimées, ce bâtiment atteint la performance énergétique niveau Passif. Deux programmes complémentaires, une médiathèque et une salle des fêtes, y sont associés autour d’un hall et d’une salle de conférence commune. Dans une situation singulière, à la fois contrainte et vue de haut, le projet propose une toiture comme un nouveau sol, une toiture qui donne de l’unité à l’ensemble et offre à la fois un supplément d’usage important pour la médiathèque et une vision paysagère qui intégrée le bâtiment dans son contexte de paysage inondable.

Illustration : Façade Est du projet et photographie, source : agence APM


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Groupe scolaire Miribel de Veyrins-Thuellin, agence Design & Architecture, Isère, 2009 Le projet du Groupe scolaire de MIRIBEL fait partie des 12 projets mentionnés du OFF du Développement Durable. Il met en œuvre les écomatériaux que sont le bois, la paille et la terre crue. Pour atteindre ce but, cinq communes se sont regroupées pour construire un groupe scolaire remplaçant leurs trois écoles. Cette mutualisation a permis de réaliser un projet ambitieux et exemplaire notamment d’un point de vue environnemental et énergétique.

Illustration : perspective du projet par l’agence Design & Architecture


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Institut national de recherche agronomique (INRA), agence Design & Architecture, Orléans, 2014 Destiné à accueillir la fragile collection d’échantillons de terres agricoles prélevées à travers toute l’Europe. C’est le commanditaire qui a eu l’idée de construire l’enveloppe elle-même de ce trésor de l’INRA en terre crue, constituant une protection hygrothermique et climatique optimale. Les murs en pisé de 60 cm d’épaisseur sont porteurs, ceux en extérieur sont stabilisés avec 5% de ciment, les autres ne le sont pas.

Photographie : PAUL KOZLOWSKI


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Musée archéologique de Narbonne, Norman Foster & Partners, 2020 La Narbo Via est un nouveau point de repère à l’entrée de la ville, sur un site adjacent au canal de la Robine. L’aménagement paysager renforce la connexion avec l’eau pour créer un cadre naturel tranquille. Le bâtiment comprend des galeries pour des expositions permanentes et temporaires, un centre d’éducation multimédia et une bibliothèque, ainsi que des installations de restauration et de stockage. Ces espaces sont disposés sur un seul étage aux murs de pisé avec des bureaux administratifs au niveau de la mezzanine et sont unifiés sous un toit en béton, qui fournit une masse thermique et contribue à une stratégie environnementale globale.

Illustration : Maquette finale du projet par l’agence Norman Foster & Partners


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Quartier au bord du fleuve à Ivry-sur-Seine, promoteur Quartus, architectes Lipsky + Rollet et Joly & Loiret, projet pour la décennie à venir Aux portes de Paris, à Ivry-sur-Seine, un projet de quartier est né pour revaloriser non seulement une friche industrielle de 6 hectares, mais également une partie des terres extraites du soussol urbain pour les chantiers tels que le creusement des tunnels du futur métro Grand Paris Express. Cette précieuse ressource locale, jusqu’ici traitée comme un déchet sera transformée en éléments de pisé préfabriqués. Ce quartier à vocation polyvalente regroupera 350 logements, dont 40% de logements sociaux, 150 studios pour étudiants et chercheurs, 20 000 m² de bureaux et locaux productifs, un hôtel, des espaces dédiés à l’agriculture urbaine ainsi qu’un centre d’art photographique.

Illustration : perspective du projet par l’agence Joly & Loiret


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Projet non réalisé d’une tour d’habitation de 15 étages à Paris, architectes Joly & Loiret, 2015 Participation à un concours international en 2015, pour la réalisation d’une tour de logements en terre crue et restructuration de l’ancienne gare Masséna en marché couvert. Seule la couverture était imaginée en terre crue, la structure aurait été en béton. « Les immeubles en terre se font rares. Voire inexistants comme à Paris par exemple. Le béton, plus résistant et nécessitant moins de main-d’œuvre, lui a été peu à peu préféré. Mais en 2016, la terre a de nouveau une carte à jouer. « Parce que la matière est là, à nos pieds, parce que la terre a une empreinte carbone quatre fois moindre que le béton, et parce que nous avons emmagasiné une connaissance scientifique de la terre très importante » - PaulEmmanuel Loiret.

Illustration : perspective du projet par l’agence Joly & Loiret


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Terres de Versailles, Joly & Loiret, projet phase étude L’agence Joly & Loiret conçoit un quartier et un projet humaniste nommé Terres de Versailles entre le site du Château et de SaintCyr l’Ecole. Près de la moitié de la surface ne sera pas construite et donnera lieu à un quartier aéré, végétalisé et contemporain répondant aux enjeux environnementaux et sociétaux actuels. Ce projet humaniste et ce quartier écologique sera un démonstrateur national et international pour faire de Versailles une ville avec un bel équilibre entre la ville et la nature. Dans le prolongement historique du château, ce projet contiendra sept lieux dont un jardin lacustre à la pointe nord du projet, une place boisée avec ses commerces, des bosquets de maisons habitées, un hôtel au cœur d’un jardin nourricier.

Illustration : perspective du projet par l’agence Joly & Loiret


Créations d’aujourd’hui - France

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Immeubles en terre crue à Biganos, Dumont Legrand Architectes, projet phase étude Le projet de Biganos est un projet ambitieux : construire un projet en terre à grande échelle. Il s’agit de la construction de 96 logements en terre à Biganos. Le quartier se composerait de 10 maisons individuelles, d’une résidence sociale et d’un ensemble de logements collectifs. L’écriture architecturale s’inscrit en corrélation avec un tissu environnant contrasté et le style local de la région du bassin d’Arcachon.

Illustration : perspective du projet par l’agence Dumont Legrand


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ESPAGNE Piscine municipale de Toro, Zamora, agence Vier Architectos, 2010 Pour ce projet d’équipement public, le pisé est stabilisé avec 4% de ciment blanc et 2% de chaux, il compose des murs porteurs enduits d’adjuvants fongicides et hydrofuges protégeant des risques de l’environnement aquatique. La construction mobilise donc une quantité d’adjuvants synthétiques notable du à la nécessité du programme en milieu aquatique. Esthétiquement, le jeu entre les lits horizontaux du pisé et les lignes obliques de lumière venant de la toiture et leur reflet sur l’eau offrent une scénographie très sophistiquée.

Photographie : source : Archdaily


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AUTRICHE Maison Rauch, Schlins, Autriche, 2005 Martin Rauch est un entrepreneur pour la construction en pisé. Il a une formation de céramiste et commence à déployer ses talents dans le domaine de la terre crue en 1999, lorsqu’il fonde, en Autriche, dans son village natal de Schlins, l’entreprise de construction Lehm Ton Erde. Il a été sollicité par Herzog & De Meuron en Suisse pour l’entrepôt de Ricola qu’il édifie en 2014 à Bâle. Il est d’une modestie et d’une discrétion conforme aux traditions du monde rural auquel il reste enraciné et a édifié sa propre maison. Outre son savoir-faire exceptionnel de bâtisseur en pisé, Rauch témoigne d’une éthique intransigeante : il proscrit tout ajout de matériau industriel comme le ciment à la terre crue qu’il sait valoriser au mieux.

Photographie : source : Cyberarchi


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Imprimerie Gugler à Pielach, architectes : Ablinger & Vedral, Rauch, 2000 Pour cette réalisation, les murs de pisé porteurs sont associés à une charpente bois. A l’habitude de Martin Rauch, le pisé n’est pas stabilisé et conserve donc ses vertus écologiques.

Photographie : source : lehmtonerde.at


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SUISSE Entrepôt Ricola, Herzog & de Meuron, Rauch, Bâle, 2014 La Maison des plantes de Ricola est un projet des architectes Herzog & De Meuron (Pritzker Price 2001). C’est un édifice de 110 mètres de long par 30 mètres de large et 11 mètres de haut. La structure porteuse est en poteaux-poutres en béton armé préfabriqués. La façade en pisé est autoporteuse. Le projet aurait surement pu se faire en pisé porteur mais l’échelle de ce bâtiment était déjà une étape exceptionnelle en Europe pour la construction en terre crue. Pour ce chantier d’ampleur exceptionnelle, Martin Rauch a dû adapter ses méthodes de construction afin de tenir les délais et les budgets.

Photographie : source : Iwan Baan


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Plazza Pintgia, transformation d’une étable en maison, architectes Gujan et Pally, Rauch, Almens, Suisse, 2013 La maison sur la place Pintgia à Almens est exemplaire du point de vue des critères environnementaux classiques. Elle est autonome en énergie et, à l’exception des dispositifs techniques, ses matériaux de construction sont « 100% écologique ». Cependant, elle est avant tout une habitation agréable, chaleureuse et lumineuse. Pour ce projet, le remarquable travail de la terre est à nouveau dû à Martin Rauch.

Photographie : source : lehmtonerde.at


Créations d’aujourd’hui

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ETATS-UNIS Tucson Mountain House, Rick Joy, Tucson, Arizona, 2001 Dans une vallée isolée protégée par des crêtes, un objet architectural singulier émerge de la terre et cohabite parmi la faune et la flore luxuriantes du désert de Sonora. Ce bijou architectural est dû à l’architecte américain Rick Joy. Rick Joy est l’un des six architectes à avoir été élevé au rang de pionnier de l’architecture en terre crue par le jury du Terra Award en 2016. Il utilise pour ses constructions le pisé stabilisé au ciment et la tôle d’acier brute, ce qui confère à ses constructions un aspect massif accentué par son design. Toutefois, les grandes surfaces vitrées et la qualité des finitions apporte une fluidité et une grande clarté aux espaces intérieurs de ses projets. Contrairement à Martin Rauch, il ne cherche pas à utiliser la terre sans adjuvants synthétiques.

Photographie : source : Studio Rick Joy


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AUSTRALIE Maisons pour des bergers, Pilbara, AustralieOccidentale, Luigi Rosselli, 2014 Les rassembleurs de troupeaux de la région du Pilbara bénéficient aujourd’hui d’un lieu de villégiature très justement adapté à son contexte. Sous le climat subtropical, le rafraîchissement naturel demande une masse thermique apportée ici par le sable, la toiture végétale et la façade en terre. Il s’agit d’un groupe compact de 12 logements adossés à une dune. La toiture végétale vient rejoindre les murs porteurs en pisé stabilisé qui ondulent au cœur d’un paysage rural jusque-là encore vierge. La façade principale de 230 mètres de long ondule pour accentuer l’individualisation des logements.

Photographie : source : le moniteur


Créations d’aujourd’hui

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CANADA Nk’Mip Desert Cultural Centrer, architectes DIALOG, Osoyoos, Canada, 2005 Si cette maçonnerie monumentale en pisé a bénéficié d’une diffusion médiatique internationale, c’est parce qu’elle a été la première à exhiber la polychromie des strates horizontales. Mais cette réalisation a d’emblée suscité une polémique culturelle, éthique et technique en raison de la forte stabilisation au ciment et de l’utilisation de pigments pour assurer des couleurs artificielles.

Photographie : source : Archdaily


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Maison individuelle, Toronto

architecte

Terrell

Wong,

L’entreprise de Terrell, Stone’s Throw Design Inc., se spécialise dans la conception résidentielle à basse énergie. En mettant l’accent sur la science du bâtiment, l’entreprise crée des conceptions utilisant des matériaux et des techniques de pointe. En 2011, ils ont achevé la première maison en pisé en Ontario.

Photographie : source : Terrell Wong photography


Créations d’aujourd’hui

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CHILI Maison individuelle, Marcelo Cortes, 2005 L’œuvre de Marcelo Cortes s’inscrit dans la continuité des constructions parasismiques traditionnelles d’Amérique latine de torchis et d’adobe. Il a su se réapproprier la technique de torchis traditionnelle terre et bois en utilisant la terre crue en remplissage de structures métalliques, en faisant un procédé semi industriel.

Photographie : source : marcelocortes.cl


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COLOMBIE Cité-jardin COTA, Bogotá, architectes J.P Urbina et M. Sanchez Ce quartier, une cité-jardin moderne, comptabilise 196 maisons en 2020. Les unités sont construites en blocs de terre comprimés stabilisés par 7% de ciment. Il s’agit d’un produit semiindustrialisé lancé par Dario Angulo, formé au CRAterre en France. Le développement de cette brique a permis de changer l’image de la terre ces 25 dernières années en Colombie.

Photographie : source : association Negawatt.org


Créations d’aujourd’hui

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EQUATEUR Maison de vacances, agence Rama Estudio, Lasso, 2019 Inspiré des savoirs-faires traditionnels locaux et des matériaux naturels disponibles sur place enrichissant le répertoire du mouvement progressiste parfois appelé « vernaculaire contemporain ». Cette luxueuse demeure privilégie la simplicité dans un écrin de pisé dialoguant avec le bois du planché et de la charpente.

Photographie : source : Inhabitat


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BANGLADESH METI Handmade School, Anna Heringer, Rudrapur, 2006 Une grande partie de la tradition de la construction vernaculaire du Bangladesh utilise la terre et le bambou comme matériau de construction. Cependant, les techniques de construction sont sujettes aux erreurs et de nombreux bâtiments manquent de fondations et de moyens de protection contre l’humidité. En 2007, Anna Heringer achève la METI school à Dinajpur. Sa structure est une association de terre crue et de bambou. Les architectes ont dialogué avec les habitants pour mieux connaître leur culture et leurs aspirations, ils ont tiré profit des matériaux locaux, ils ont amélioré les méthodes de construction traditionnelles, pour créer une architecture simple et lumineuse, réponse « durable » aux besoins d’une communauté qui sait l’importance de l’école.

Photographie : Kurt Hoerbst


Créations d’aujourd’hui

Photographie : Kurt Hoerbst

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La terre crue - Un matériau traditionnel et d’avenir

Sophie HERQUÉ


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