PAULA SCHER passe aux choses sĂŠrieuses
Conférence de Paula Scher à TED Mai 2008 www.ted.com
PAULA Paula Scher revient sur sa vie dans le design (elle a fait de nombreuses couvertures d’albums, des livres, le logo de Citibank…) en nous précisant le moment où elle a réellement commencé à s’amuser. À voir sont les magiques croquis et images de sa légendaire carrière.
-4-
SCHER -5-
Mon travail, c’est du jeu. Et moi, je joue en même temps que je crée. J’ai même vérifié dans le dictionnaire, pour en être sûre, et la définition du verbe jouer que l’on donne en premier, c’était : « se livrer à une activité ou une entreprise enfantine » et la deuxième était : « engager de l’argent dans un jeu de hasard ». Et je sais bien que je fais les deux lorsque je crée. Je suis à la fois enfant et joueur invétéré.
JE(U) JOUE
En parlant aux designers, à mon avis, si vous ne faites pas pareil, il doit y avoir quelque chose qui ne va pas du tout dans la structure ou la situation dans laquelle vous vous trouvez. Mais c’était le côté sérieux de la chose qui m’a vraiment frappée et j’avais du mal à le comprendre, avant de m’être rappelée d’une certain dissertation. Et s’en est une que j’ai lue il y a 30 ans. Ecrite par Russel Baker, qui écrivait alors la rubrique « Observer » (l’Observateur) dans le New York Times. C’est un humoriste merveilleux. Et je vais vous lire cette dissertation, ou bien, un extrait parce qu’elle m’a vraiment atteint. Voici une lettre de conseil amical. « Soyez sérieux, dit-elle. Ce que cela veut dire, bien sûr, c’est soyez solennel. Être solennel, c’est facile. Être sérieux c’est difficile. Les enfants commencent presque toujours par être sérieux, c’est pourquoi on les trouve toujours si amusants lorsqu’on les compare aux adultes. Les adultes, généralement, sont solennels. En politique, les candidats sérieux sont rares et comme Adlai Stevenson (deux fois opposant démocrate au solennel Eisenhower), sont facilement submergés par quelqu’un de solennel.
-7-
C’est parce qu’il est difficile pour la majorité des gens d’estimer le sérieux, qui est une chose rare. Pour eux, il est plus agréable d’avaliser un comportement solennel, qui leur semble bien plus normal. Poker est sérieux. Washington D.C. est solennel. New York est sérieux. Aller aux conférences instructives qui vous disent quoique ce soit sur l’avenir, c’est solennel. Marcher longtemps tout seul en élaborant un plan infaillible pour dévaliser Tiffany’s, c’est sérieux. » Maintenant, si j’applique au design ces définitions du solennel et du sérieux que nous offre Russel Baker, ça ne dit pas nécessairement grand chose sur la qualité. Design solennel c’est souvent un design considérable et très efficace. En plus, le design solennel est convenable et destiné à un certain public. C’est bien ce que les designers bon-intentionnés et tous leurs clients s’efforcent à atteindre. Design sérieux, jeu sérieux, c’est bien autre chose. Déjà, cela arrive souvent spontanément, intuitivement, accidentellement ou incidement. Cela peut sortir de l’innocence, de l’arrogance, ou de l’égoïsme, et même parfois de la négligence. Mais le plus souvent, le sérieux est atteint grâce à tous ces éléments un peu fous dans le comportement humain qui n’ont pas vraiment de sens.
-8-
Le design sérieux est imparfait. Il est plein de ce genre de concepts artistiques dont les nouveautés créatives sont toujours accompagnées. Le design sérieux est aussi, souvent, plutôt un échec du point de vue solennel. C’est parce que l’art du jeu sérieux s’interesse à l’invention, le changement, et la rébellion, et non pas à la perfection. La perfection intervient seulement dans le jeu solennel.
« Déjà, cela arrive souvent spontanément, intuitivement, accidentellement ou incidemment. » -9-
En fait, j’ai toujours vu le métier du designer comme un escalier surréaliste. En regardant l’escalier à l’âge de vingt ans, on voit que les marches sont très hautes et très étroites, et là on fait d’immenses découvertes. Pendant la jeunesse on fait des grands bonds en avant. C’est parce qu’on ne sait rien du tout et qu’il reste beaucoup à apprendre. Tout ce que l’on fait dans cette période est alors de l’apprentissage et vous sautez rapidement de plus en plus haut. Au fur et à mesure que l’on vieillit, les marches deviennent plus basses et plus larges et l’on se déplace à un rythme plus lent en faisant moins de découvertes. On devient de plus en plus vieux et décrépit en cheminant lentement le long de cet escalier déprimant qui mène à l’oubli. En fait, je trouve que c’est très difficile d’être sérieux. Être solennel, ça fait parti de mon emploi : mais je trouve, de plus en plus, que je deviens solennelle là où je ne suis pas obligée de l’être. Et au cours de mes 35 ans d’expérience professionnelle, je crois avoir été vraiment sérieuse 4 fois.
- 10 -
Maintenant, j’aimerais vous montrer ce que j’ai fait à ces moments-là, sous des conditions très particulières. C’est génial d’être un enfant. Alors, quand j’avais un peu plus de 20 ans, je travaillais dans l’industrie de la musique, en dessinant des pochettes de disques pour CBS Records, et j’avais aucune idée à quel point ce poste était génial. Je pensais que tout le monde avait un travail de ce type. Et puis, selon ma façon de regarder le design et puis aussi le monde, tout ce qui se passait autour de moi et les choses qui se sont produites au moment où je suis entrée dans l’univers du design, c’était l’ennemi. Je détestais vraiment la police Helvetica, carrément ! Je la trouvais la plus propre, la plus ennuyeuse, la plus fasciste et, à vrai dire, la plus répressive, de toutes les polices de caractères et puis je détestais toute conception faite avec cette police là. À l’époque où je faisais mes études supérieures c’était ce genre de design là qui était en vogue. Voici une couverture de livre faite par Rudi de Harra, qui est, je l’avoue, assez jolie, mais je la détestais tout bonnement, parce qu’elle était conçue en Helvetica.
- 11 -
J’en faisais même des parodies. À mon avis, c’était, vous voyez, complétement ennuyeux. Et donc, mon but dans la vie c’était de faire des choses qui n’étaient pas faites en Helvetica. Et pour faire des choses qui n’étaient pas faites en Helvetica c’était, effectivement, assez compliqué, parce qu’on avait à chercher. Et il n’y avait pas beaucoup de livres sur l’histoire du design au début des années 70. Il n’y avait pas toute cette pléthore d’éditions de design que l’on trouve aujourd’hui. On devait aller aux magasins d’antiquités.
- 12 -
On devait aller en Europe. On était obligé de se déplacer pour trouver des trucs. Et, ce à quoi j’étais sensible c’était, vous savez, l’Art Nouveau, ou déco, ou la typographie victorienne, ou tout ce qui n’était manifestement pas de l’Helvetica. Et, je me suis enseignée moi-même cette façon de créer et cela était plus ou moins mon début et j’utilisais ces trucs d’une manière plutôt loufoque sur des pochettes de disque et dans mon design. Tout ce que je faisais c’était de rassembler ces éléments. Je mélangeais le Victorien avec le pop, et l’Art Nouveau avec quelque chose d’autre. Et je dessinais des couvertures d’album très décadentes et élaborées et ce n’était pas que je me voyais comme une post-moderniste ou une historicienne, en fait, j’étais inconsciente de ces termes-là. Je détestais Helvetica, et c’est tout. Et c’était cette passion qui m’a poussée vers un jeu du genre très sérieux, d’une sorte que je ne pourrais jamais reproduire ces jours-çi car je suis trop bien instruite. Et, il y a quelque chose de magnifique dans cette forme de jeunesse, où l’on peut se permettre de grandir et jouer et d’être vraiment un gamin pourri… et puis finir par accomplir des choses.
- 13 -
À la fin des années 70, d’ailleurs, ces trucs devenaient connues. Je veux dire, on pouvait voir ces pochettes partout dans le monde, et elles ont commencé à gagner des prix, et les gens les connaissaient. Et d’un coup j’étais post-moderne et voilà le début de ma carrière dans mes propres affaires. Et d’abord j’en étais couverte de louanges, puis critiquée, mais, toujours est-il que j’étais devenue solennelle. Je n’ai plus fait d’oeuvre que je considère sérieuse pendant les 14 années suivantes. J’ai passé une partie majeure des années 80 à être plutôt solennelle, en travaillant dans le style que l’on attendait de moi car ça c’était moi, et ma vie n’était qu’une série de transformations : de sérieux à solennel de rebattu à mort, et puis redécouvert de nouveau. Donc, voilà la deuxième raison pour laquelle j’ai fait du jeux sérieux.
- 14 -
-5-
« Et il y a quelque chose de magnifique dans cette forme de jeunesse, où l’on peut se permettre de grandir et jouer… et puis finir par accomplir des choses. »
Il y a un film de Paul Newman que j’adore qui s’appelle « Le Verdict ». Je ne sais pas combien d’entre vous l’ont vu, mais c’est une beauté. Et dans le film, il joue un avocat crève-la-faim, qui est devenu chasseur d’ambulances. Et il entreprend en fait, on lui donne à traiter un procès de faute professionnelle une affaire pas trop difficile, et au beau milieu de ses efforts à négocier l’affaire, il commence à sentir de l’empathie pour son client, et à s’identifier à lui, puis il retrouve sa moralité et ses principes, et au fin de compte, gagne son cas. Et tout désespéré, au milieu du film, où il n’a pas l’air de pouvoir s’en sortir et il a vraiment besoin de ce cas, tellement besoin de réussir avec cette affaire, il y a un plan de Paul Newman seul, dans son bureau. Il dit : « Celle-çi est bien l’affaire de toutes les affaires. Il n’y en a pas d’autres ». Et dans ce moment, plein de désir et de concentration, il peut gagner. Et c’est un merveilleux état pour créer du jeu sérieux. Ce moment, je l’ai vécu en 1994 quand j’ai rencontré un directeur de théâtre qui s’appelait George Wolf, et qui voulait que je conçoive une identité pour le New York Shakespeare Festival, connu à l’époque, et qui par la suite est devenu le Public Theater. Et je m’absorbais dans ce projet comme jamais auparavant.
- 17 -
Voilà ce à quoi ressemblait une publicité pour le théâtre à l’époque. C’était ce que l’on voyait dans les journaux et le New York Times. Alors, ça représente une sorte de commentaire sur l’époque. En fait, le Public Theater avait des publicités bien meilleur que cela. Ils n’avaient ni logo, ni identité, mais ils avaient ces posters très marquants peints par Paul Davis. Et George Wolf avait remplacé un autre directeur et il voulait changer le théâtre, en le rendant un endroit urbain et exubérant où tous serait la bienvenue. Donc, portée par mon amour de la typographie, et je me suis totalement plongée dans ce travail. Et ce qui le rendait différent c’était son ampleur, sa totalité, c’était que je devenais vraiment la voix, la voix visuelle, de l’endroit d’une manière jamais experimentée auparavant, où chaque aspect ,la publicité la plus petite, le ticket, quoique ce soit, était dessinée par moi. Il n’y avait pas de format. Il n’y avait pas de département interne pour collaborer aux choses. Pendant trois ans, je faisais tout chaque morceau de papier, tout ce qui était en ligne littéralement tout ce que le théâtre faisait.
- 18 -
Et c’était mon projet unique, même si j’avais d’autres jobs, je vivais et respirais pour ce travail d’une manière que je n’ai vécue pour aucun client depuis. Cela m’avait permis de vraiment m’exprimer et grandir. Et je pense qu’on sait quand on va vous donner cette position, et que c’est rare, mais quand on l’obtient, et quand on a une telle occasion, c’est le moment du jeu sérieux. Ces choses, je les ai faites et je les fais toujours aujourd’hui. Je travaille toujours pour le Public Theater. Je suis dans leur conseil d’administration, et j’y suis toujours engagée. L’apogée du Public Theater était, je crois, en 1996, deux ans après que j’ai accompli le design, qui était la campagne « Bring in ‘da Noise, Bring in ‘da Funk » (« Ramenez l’bruit, ramenez l’funk ») qui était partout dans la ville de New York. Mais quelque chose lui était arrivé, c’était que c’est devenu très populaire. Ce qui est un coup fatal pour une chose sérieuse parce que ça la rend solennelle. Et ce qui se passa concernait l’identité, c’était que la ville de New York, d’une certaine manière, a dévoré mon identité parce que les gens ont commencé à la copier.
- 19 -
Et alors Chicago est sorti, et on a employé un peu plus d’images, et l’identité du Public Theater a été complètement dévorée et soustraite, ce qui signifiait que je devais la modifier. Donc je l’ai modifiée, pour que chaque saison soit différente, et je continuais à faire ces posters, mais ils n’ont jamais eu le sérieux de la première identité parce qu’ils étaient trop individuels, et ils n’avaient pas la solidité d’une chose monotone. Aujourd’hui, et je crois depuis le Public Theater, j’ai dû créer plus d’une douzaine d’identités culturelles pour des institutions majeures, et je ne crois pas avoir jamais remis la main sur ce sérieux. Je les fais pour des institutions très importantes, très grandes de la ville de New York. Les institutions sont solennelles, et leur design l’est aussi. Celles-ci sont mieux faites que celles du Public Theater, et on y met plus d’argent, mais je crois que ce moment va et vient. La façon la plus sûre de réaliser du design sérieux, et je pense que l’on peut tous le faire, c’est d’être totalement et complètement non-qualifié pour le travail. Cela n’arrive pas très souvent, mais ça m’est arrivé en 2000, où, pour une raison ou une autre, tout un tas d’architectes différents ont commencé à me demander de concevoir l’intérieur des théâtres avec eux, en incorporant des images de l’environnement dans les bâtiments.
- 22 -
C’était la première fois que je faisais ce genre de travail. Je ne savais pas lire un plan d’architecte, Je ne savais pas de quoi ils parlaient, et vraiment je n’arrivais pas à concevoir qu’un travai, un seul travail, puisse durer quatre ans parce que j’étais habituée à l’immediateté du graphisme, et ce genre d’attention aux détails là c’était vraiment mauvais pour une personne comme moi, atteinte d’ADD (déficit de l’attention). Donc c’était dur, c’était une dure tentative, mais je suis tombée amoureuse de ce procédé d’intégrer concrètement le graphisme à l’architecture parce que je ne savais pas ce que je faisais. Je disais, « Pourquoi la signalisation ne peut-elle pas être sur le sol ? » les New Yorkais regardent leurs pieds. Et alors j’ai appris que les acteurs et actrices prennent leurs repères du sol, donc, ces sortes de systèmes signalétiques ont commencé à avoir un sens. Ils s’intégrèrent au bâtiment de manière très particulière. Ils couraient le long des coins, ils montaient les façades des immeubles, et se fondirent dans l’architecture. Voilà Symphony Space à 90th Street et Broadway, et la typographie est entrelaçée dans l’acier inoxydable et éclairée par l’arrière avec de la fibre optique. Et l’architecte, Jim Polshek, m’a, en gros, donné une toile sur laquelle je pouvais jouer à la typographie. Et c’était du jeu sérieux.
- 23 -
- 24 -
« La façon la plus sûre de réaliser du design sérieux, et je pense que l’on tous peut le faire, c’est d’être totalement et complètement non-qualifié pour le travail. »
- 25 -
Voici le musée des enfants à Pittsburgh, Pennsylvanie, entièrement fabriqué des matériaux pas chers. La typographie en relief est éclairée par derrière au néon. Des choses que je n’avais jamais faites ni même construites. Je pensais juste qu’elles seraient plutôt amusantes à faire. Le mur des donateurs, fait de Lucite. Et là, une signalisation pas chère.
Je crois que celui que je préfèrais de cette série c’était ce petit boulot à Newark, New Jersey. C’est une école d’arts du spectacle. Voici l’immeuble que, ils n’avaient pas d’argent, et ils devaient le remanier, et ils disaient : si on vous donne 100.000 dollars, qu’est ce que vous pouvez en faire ? Et j’ai fait un peu de travail sur Photoshop, et j’ai dit : bon, je crois que nous pouvons peindre ça. Et nous l’avons fait. Et c’était du jeu. Et voilà l’immeuble. Tout a été peint, de la typographie partout sur le truc fichu, y compris sur les conduits d’air conditionné.
- 27 -
J’ai embauché des types qui peignent des appartements accrochés sur les côtés des garages pour faire la peinture sur l’immeuble et ils ont adoré ça. Ils se sont mis dedans, ils ont fait le boulot incroyablement sérieusement. Régulièrement, ils escaladaient l’immeuble et m’appelaient et me disaient qu’ils devaient corriger ma typographie, que l’espacement était faux, et ils le modifiaient, et ils en ont fait des choses merveilleuses. Eux aussi étaient plutôt sérieux. C’était assez extraordinaire. Lorsque j’ai fait le siège de Bloomberg on commençait à accepter mon travail. Les gens le voulaient pour des endroits grands, chers. Et ça a commencé à le rendre solennel. Le truc de Bloomberg c’était les chiffres, et on a remplit l’espace de grands chiffres et les chiffres étaient projetées sur une LED spectaculaire que ma partenaire, Lisa Strausfeld, avait programmée. Mais ça devenait la fin du sérieux de ce jeu, et cela commença, encore une fois, à devenir solennel. Voici un projet actuel à Pittsburgh, Pennsylvanie, où je me suis retrouvée un peu maladroite. J’ai été invitée à faire le design d’un logo pour ce quartier, appelé le North Side, et je trouvais que c’était idiot pour un quartier d’avoir un logo. Je trouve ça plutôt affreux en fait. Pourquoi un quartier aurait-il un logo ?
- 28 -
Un quartier a quelque chose, un point de repère, un endroit, un restaurant. Ça n’a pas de logo. Enfin, je veux dire, qu’est-ce que ça donnerait ? Donc, je devais faire une présentation devant le conseil municipal et des électeurs du quartier, et je suis allée à Pittsburgh et j’ai dit : « Vous savez, vraiment, ce que vous avez là, sont des passages souterrains qui séparent le quartier du centre de la ville. Pourquoi ne les mettez-vous pas en valeur en faisant de ces passages des points de repère ? » Donc, j’ai commencé à faire cette présentation insensée de ces installations, potentielles, sur ces ponts des passages souterrains, et je faisais face au conseil municipal, et j’avais un peu peur, je dois l’admettre. Mais j’étais si parfaitement non-qualifiée pour ce projet, et si complètement ridicule, et j’étais terriblement inconsciente des directives que je crois qu’ils ont adhéré au projet de tout leur coeur, seulement parce qu’au départ j’étais si maladroite. Et voilà le pont qu’ils sont effectivement en train de peindre et de préparer au moment où je vous parle. Il va changer tous les six mois, et ça va devenir une installation artistique dans le quartier nord de Pittsburgh, et cela va probablement devenir un point de repère du quartier.
- 30 -
John Hockenberry vous a déjà un peu parlé de mon travail avec Citibank, c’est maintenant une relation de plus de dix ans, et je travaille encore avec eux. À vrai dire ils m’amusent et je les aime bien, et je trouve que pour une très, très, très, très, très grande corporation, ils entretiennent un graphisme très agréable. J’ai dessiné le logo de Citibank sur une serviette de table au cours du premier rendez-vous. Là, c’était le coté « jeu » du travail. Et après j’ai passé un an à aller à de longues réunions, laborieuses et ennuyeuses, à essayer de convaincre cette énorme société d’accepter le logo jusqu’aux larmes. J’ai cru que j’allais devenir folle à la fin de cette année. On a fait des présentations idiotes pour montrer comment le logo Citi avait un sens, et comment c’était en fait dérivé d’un parapluie, et on faisait des animations de ces choses-là, et on faisait des aller-retours permanents, sans fin. Et cela en a valu le coup, puisqu’ils ont acheté cette truc, et ça a eu lieu sur une si grande échelle, et c’est si reconnaissable internationalement, mais pour moi, c’était en fait une année très très déprimante. En fait, ils n’ont jamais vraiment adhéré au logo avant que Fallon le mette sur la superbe campagne « Vivez richement », et alors tout le monde l’a accepté, partout dans le monde.
- 31 -
- 32 -
Donc à l’époque, j’avais besoin d’une sorte de contrepoids à cette folle, folle existence à assister aux réunions longues et idiotes. Et j’étais chez moi dans la campagne, et pour une raison ou une autre, j’ai commencé à peindre de très grandes cartes, laborieuses, detaillées, et compliquées, du monde entier, et en faisant la liste de tous les endroits du monde, je les épelais mal ou les plaçais au mauvais endroit, et je contrôlais alors complètement l’information, et, comme dingue, je faisais n’importe quoi avec. Au départ, ça me prenait six mois, puis je suis devenue plus rapide. Voici les États-Unis. Chacune des villes du pays s’y trouve. Et c’était accroché pendant environ 8 mois au musée Cooper-Hewitt (musée national du design), et les gens se dirigeaient vers la carte, et généralement ils faisaient remarquer une partie du plan en disant : « Oh j’y suis allé. » Et bien sûr, ce n’est pas possible, parce que c’était au mauvais endroit. Mais ce que j’aimais dans ce projet c’était que je contrôlais ma propre information idiote, et je créais ma propre palette d’information, et j’étais totalement et complètement au jeu. L’une de mes préférés c’était cette peinture de la Floride que j’ai faite en 2000 après les élections où l’on voit les résultats de l’élection rouler dans l’eau.
- 33 -
Quelqu’un est venu me rendre visite et a vu les peintures et les a recommendées à une galerie, et j’ai eu une première exposition il y a à peu près deux ans et demi, et j’ai montré ces mêmes peintures que je vous montre maintenant. Et une chose amusante s’est passée : on les ont achetées. Et vite d’ailleurs, et elles sont devenues plutôt populaires. Alors on a commencé à en faire des impressions. Voici Manhattan, une de la série. Voici une impression des États-Unis, que l’on a fait en rouge, blanc et bleu. On commençait à faire ces grandes sérigraphies, qui commençaient elles aussi à se voirent vendues. Donc, la galerie voulait que je fasse une autre exposition dans deux années, ce qui signifiait que je devais vraiment peindre ces peintures bien plus vite que je ne les avais jamais peintes. Elles commencèrent à devenir plus politiques, et j’ai choisi des endroits qui étaient dans les nouvelles ou pour lesquels je ressentais quelque chose, et je commençais à faire ces choses. Puis quelque chose d’amusant est arrivé, je me suis rendu compte que je ne jouais plus. J’étais en fait dans le paysage solennel d’une réponse à une attente pour une exposition, ce qui n’était pas conforme avec le point de départ de ce projet.
- 34 -
Donc, alors qu’elles commencent à avoir du succès, je sais comment les faire, donc je ne suis pas une néophyte, et elles ne sont plus sérieuses, elles sont devenues solennelles. Et c’est un facteur terrifiant, quand on commence quelque chose et que cela prend cette tournure, parce que cela signifie que la seule chose qu’il vous reste, c’est de faire demi-tour et de trouver quelque chose de nouveau à pousser, à inventer, quelque chose dont vous n’ayez pas le moindre idée dont vous pouvez être arrogant, et avec laquelle vous pouvez échouer, et faire l’imbécile. Parce qu’au bout du compte, c’est comme ça que l’on grandit et c’est tout ce qui compte. Donc j’avance progressivement là et je vais juste avoir à faire exploser l’escalier.
- 35 -
« Et j’étais chez moi dans la campagne, et pour une raison ou une autre, j’ai commencé à peindre de très grandes cartes. »
- 36 -
Merci beaucoup
« C’est à travers les erreurs que vous pouvez grandir. Vous devez être mauvais pour devenir bon. »