NEUTRE ET BÉTON
Sophie Vaugarny
NEUTRE ET BÉTON
Neutre et Béton Sophie Vaugarny Mémoire réalisé pour l’obtention du D.N.S.E.P. Design grade Master École supérieure des beaux-arts d’Angers Octobre 2013
Avant - propos
DÉSIR Alors que je dois choisir un sujet de recherche pour l’écriture de mon mémoire, deux axes me viennent à l’esprit. D’un côté, un thème, le neutre ; de l’autre, une matière, le béton. Fallait-il en choisir un seul ? Peut-être. Le fait est que je veux, je suis designer, parler des deux. Le béton, le neutre ; le neutre, le béton ; ni l’un, ni l’autre ne prend l’avantage. Parler des deux sans qu’il n’y ait un premier et un deuxième, est un désir que je vous soumets aujourd’hui. Le neutre. Le béton. Un Béton. Un Neutre. Un désir.
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RENCONTRES Ma première approche du neutre s’est faite il y a deux ans à travers un projet1 d’espace définissant le neutre comme « l’absence, la forme disponible, la matière à l’état de possible ». J’ai travaillé sur un lieu de passage souterrain existant pour piétons et cyclistes. Au-delà de sa non-fonction - c’est simplement un lieu de traversées - c’est aussi sa matière, son esthétique qui m’ont amenées à voir ce lieu comme espace neutre, à l’état de possible. Je l’ai alors transposé en lieu d’expérimentation. Ce projet était proposé sous la forme d’une maquette, elle-même en béton. C’est en commençant à explorer ce matériau qui a l’air de nous entourer depuis toujours que se révèle une matière, pouvant prendre toute forme, et qui me fascine. Helvetica ou la maison sans fenêtre, 2e semestre 20102011, Pascal Riffaud. 1
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Sommaire 11 17 19
Avant-propos Préambule Propos liminaire
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LE BÉTON ET LE NEUTRE Ce Béton, un Neutre ? Cette Gare Ce Monolithe
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TEXTES INTERMÉDIAIRES Dexter Portrait de moi, par moi-même
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LE DESIGN ET LE NEUTRE Bon Design Design industriel Degré d’intervention
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Y A-T-IL UNE ESTHÉTIQUE DU NEUTRE ?
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ANNEXES Le Neutre est-il reposant ? Le caractère destructeur Le beau béton Murmurer Sans présence We did it ! Do it yourself
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Bibliographie
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Remerciements
Préambule
DÉFINITIONS1 Bétonner v. – déb. XIXe ; bétonné adj. 1665 ; de béton. 1/ V. tr. Construire avec du béton. Fig. Rendre solide, inattaquable. Bétonner un dossier, une argumentation. 2/ v.intr. (1951) au football, jouer la défense à outrance. Béton n.m. – betun « mortier » v. 1165 ; lat. bitumen « bitume » / Matériau de construction formé d’un mortier et de pierres concassées (gravier). Le béton a la propriété de durcir dans l’eau. Un pont, un immeuble en béton. Béton précontraint. Béton cellulaire. Béton coloré. > granito. Béton armé, coulé autour d’une armature métallique (> coffrage, coulage). « Des casemates dressent leurs tiges de fer attendant le béton » (Aragon). – Le béton : les constructions massives qui envahissent les zones urbanisées. – Par métaph. Un alibi en béton, solide. Adjt fam. Une excuse béton. – Fig. sport Faire, jouer le béton : bétonner. Toutes les définitions proviennent du dictionnaire Le Nouveau Petit Robert (dans sa version grand format). 1996. 1
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Neutraliser v.tr. – 1606 ; v.intr. « rester neutre » 1564 ; du lat. neutralis / Rendre neutre. 1/ polit. Assurer à (un État, un territoire, une ville) la qualité de neutre. 2/ (1776) chim. Neutraliser un acide par une base. – phys. Force qui neutralise une force antagoniste. – Annuler, amortir l’effet de (une autre couleur). Par le mélange, le rouge neutralise le vert, en donnant du gris. – ling. L’opposition entre consonnes sourdes et sonores se neutralise à la finale absolue en allemand. 3/ (1792) cour. Empêcher d’agir, par une action contraire qui tend à annuler les efforts ou les effets ; rendre inoffensif > annihiler, compenser, contrebalancer, désamorcer. […]. Neutraliser l’adversaire. Neutraliser un forcené. > maîtriser. […]. Se neutraliser : se compenser, se faire équilibre. Neutre adj. et n. – v. 1370 ; lat. neuter « ni l’un ni l’autre » 1/ (fin XIVe) Qui est dans l’état de neutralité. État, pays neutre. Par ext. Qui n’appartient à aucun des belligérants, à aucune des parties adverses ; qu’on décide de maintenir en dehors des hostilités. Navire, ressortissant, territoire neutre. – N. m. pl. Les neutres : les nations neutres. 2/ (v. 1550) Qui s’abstient de prendre parti, de s’engager d’un côté ou de l’autre. > Impartial, objectif. Rester neutre dans un débat. […] 3/ (v. 1420) ling. Qui appartient à une catégorie grammaticale où ne se manifeste pas le contenu mâle/ femelle, la forme masculin/féminin. […]. 4/ (1743) chim. Qui n’est ni acide, ni basique ; dont le pH est égal à 7. […]. 5/ Couleur, teinte neutre, indécise, sans éclat. 6/ zool. Se dit des insectes dont les organes sexuels sont atrophiés et qui protègent ou approvisionnent la communauté (par ex. fourmis-soldats, fourmis-ouvrières). 7/ Qui est dépourvu de passion, d’originalité ; qui reste froid, détaché, objectif. […]. Contr. Bélligérant, ennemi, hostile. 2. Cru, éclatant, vif.
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Propos liminaire
Nous voyons, après lecture de ces définitions, que nous sommes face à un comportement d’une part et une matière d’autre part. Voici donc une présentation plus précise des termes : le béton et le neutre. La matière : le béton. Il se définit par sa constitution, par ses ingrédients : le mortier (ciment et sable) et le gravier. Tellement solide qu’il est utilisé comme expression. Il se transforme, non seulement en immeuble mais également en figure du langage ! Un adjectif. Pour le comprendre, voyons de quelle manière le béton fut inventé et utilisé.
Inventé par les romains1 qui utilisent des chaux bien cuites ainsi que des sables ou pouzzolanes pures (cendres volcaniques de la région de Pouzzoles2), ce premier béton permet aux constructions romaines de perdurer MOROG, Denis. Le beau béton. Paris : les éditions du moniteur. 1981. p. 8. 2 CIM BÉTON. Les constituants des bétons et des mortiers. Paris : Collection technique CIM béton. 2005. p. 10. 1
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dans le temps : « avec ces premiers éléments ils ne pouvaient manquer de faire du béton excellent »1. Au Xe siècle et encore plus au XIIIe siècle, le béton est principalement utilisé dans les massifs ou dans les fondations. Les grandes constructions étaient faites en pierres. Le matériau, dont nous allons traiter durant cet écrit, « réapparaît » grâce à l’architecture moderne sous la forme du béton armé. Il s’agit d’une armature de fer noyé dans la matière, qui permet une meilleure cohésion de l’ensemble, de meilleures performances, ainsi que de nouvelles utilisations. Pour l’anecdote, le béton armé fut inventé par un jardinier rocailleur au château de Versailles : Joseph Monnier. C’est en 1847 que l’homme décide de remplacer les caisses de bois des orangers par des bacs en ciment armé qu’il fit construire. Une autre histoire circule. Celle d’un égyptien qui à force de poteries cassées aurait eu l’idée de rajouter du grillage pour une meilleure solidité de ses productions. Dans les années qui suivirent, un premier immeuble en béton est exécuté dans des coffrages par François Coignet2 à Saint Denis en 18523. L’une des utilisations novatrices du béton armé dans l’architecture le fut par Auguste Perret, architecte, qui emploie ce matériau dans la construction domestique, notamment rue Franklin à Paris en 1903. Il utilisera d’abord le béton de la même manière qu’on utilisait le bois dans la construction et le recouvrira parfois de céramique. Mais c’est alors rue de Ponthieu, toujours à Paris, qu’en 1906, Auguste Perret réalise le Garage Ponthieu où des éléments de béton restent apparents. Le béton brut devient alors petit à petit grâce à cet architecte, esthétiquement acceptable4. VIOLLET-LE-DUC, Eugène. Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle. Paris : B.Bance. 1858. 2 COIGNET, François. 1814-1858. Industriel français, pionnier du béton armé et de la préfabrication. 3 http://www.infociments.fr/betons/historique 4 BANHAM, Reyner. Théorie et design à l’ère industrielle [1960], introd. Frédéric Migayrou, trad. C.Bécant. Orléans : HYX, collection Restitutions. 2009. p. 64. 1
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C’est pourtant en 1861 que François Coignet pense la préfabrication ; il écrit ainsi « ce procédé est à la construction ce que l’imprimerie est à l’écriture ». Il fait partie de ceux qui ont initié la préfabrication et c’est suite aux nombreuses destructions dues à la deuxième guerre mondiale que la préfabrication commence à évoluer. En effet, l’heure de la reconstruction arrive, il faut faire vite et économique. La préfabrication, c’est la réalisation d’éléments en béton armé de la forme la plus simple et la plus finie possible pour éviter toute retouche permettant le montage en série de logements économiques. A partir de 1955, l’industrialisation de la préfabrication mélange deux principes de constructions. Tout d’abord, le coffrage in situ qui consiste à élever deux parois qui servent de moules, à y introduire de la ferraille organisée tel un grillage (appelé treillis), et d’y couler du béton amené par camion toupie ou parfois fabriqué sur place grâce à une centrale à béton. Ce principe est utilisé pour des parois verticales et horizontales (murs et planchers). Le deuxième procédé est celui de la fabrication en usine. C’est la même technique, celle du coffrage, mais de manière sérielle. Les parois sont alors amenées sur le lieu de la construction et montées grâce à des engins lourds. Ces méthodes permettent de construire rapidement et en grande quantité. L’application du béton en tant que structure a permis de nouvelles portées, d’avoir de grandes ouvertures et de réaliser le plan dit « libre » et son système poteau-poutre. Cette organisation permet de ne plus avoir de murs porteurs décidant des coupures entre les espaces intérieurs, mais d’avoir un plan ouvert, seulement ponctué de poteaux permettant d’embrasser l’ensemble de l’espace et de le diviser de la manière dont on a le désir. La structure poteau-poutre est aussi utilisée avec l’acier. C’est ce système qui sera utilisé par de nombreux architectes modernes. Aujourd’hui, l’utilisation du béton en tant que structure n’a pas véritablement évoluée. Outre la possibilité d’ajout d’agrégats et de composants chimiques qui permettent par exemple un temps de séchage plus court ou au contraire plus long, d’avoir un béton dit auto-plaçant qui ira dans les moindres recoins du moule permettant de remédier en partie au défaut du béton, si l’on considère ses reliefs imprévus comme des défauts. Il y a aussi de nou-
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veaux moules appelés matrices qui donnent un aspect particulier de pierre ou de bois – ce qui renvoie au coffrage dit traditionnel c’est-à-dire en bois – qui sont aujourd’hui en plastique et s’appliquent partout. Finalement, utilisé en construction, en architecture, en produit, le béton est arrivé dans nos intérieurs et est présent partout brut ou recouvert. Il est extrêmement solide, durable dans le temps et peut prendre la forme que l’on désire dès lors que le coffrage, le moule, est constructible. C’est aussi un des aspects de ce matériau qui est toujours un peu magique : le décoffrage. Tout le séchage se fait à l’aveugle. Nous pouvons voir le résultat une fois que le matériau est sec, c’est alors que ce liquide que l’on peut « cuisiner » chez nous, passe à l’état solide et se révèle à nous tel un joyau nu que nous sortons de la terre. Il est le négatif, l’empreinte, du coffrage. C’est sa simplicité de fabrication, son esthétique pure, sa multiplicité d’utilisations et de formes qui nous fascinent ici. Pour autant que vient faire le neutre dans cette affaire ? D’un premier aspect, le neutre apparaît comme étant non pas inutile mais plutôt comme quelque chose « qui ne se positionne pas ». Quand nous parlons de neutre, nous évoquons l’adjectif. En effet, quelque chose ou quelqu’un de neutre serait, à priori, sans avis, sans plus, sans moins, presque sans intérêt, plat, gris. Le neutre n’est ni bien ni mauvais. Il apparaît même parfois comme banal.
C’est tout ce que nous ne montrerons pas ici.
Suite à la rencontre du neutre par le biais d’un projet d’espace, nous approchons le neutre à travers le langage. La principale référence au neutre pour cet écrit est le cours que donne Roland Barthes au Collège de France du 18 février au 3 juin 1978 : « Le Neutre »1, avec majuscule. Durant ces treize semaines, le professeur et théoricien français présente, de manière aléatoire, ce qu’il appelle des figures du Neutre, principalement autour du langage. BARTHES, Roland. Le Neutre : Cours au Collège de France (1977-1978), Texte établi, annoté et présenté par Thomas Clerc. Tours : Traces écrites. SEUIL IMEC. 2002. 1
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En effet, le Neutre renvoie à différents champs : politique, grammaire, botanique, zoologie, physique, chimie mais au travers du cours de Roland Barthes c’est le Neutre dans la traversée de la langue, le discours, le geste, l’acte, le corps etc. et nous ajouterons à cela la matière, l’architecture et le design. L’auteur définit le Neutre ou un Neutre comme l’élément déjouant le paradigme. C’est-à-dire ce qui annule l’opposition de sens en faisant intervenir un troisième sens. C’est ce troisième sens qui est neutre, ou plutôt qui est un Neutre, celui qui défait le conflit. En effet, nous marchons toujours de manière à opposer les choses, les éléments, alors que nous pourrions trouver ce qui annule ces oppositions. Pour ce faire, il a promené le mot « Neutre » le long de ses lectures. Puisque le Neutre est en état de variation, il n’est pas défini ou il se définirait par un ensemble de définitions déjouant des oppositions. Ce qui renvoie au cours de Roland Barthes : il étale des Neutres. Le Silence, la Fatigue et la Couleur en font partie et y sont développés. Peut-on ainsi dire que quelque chose qui renvoie à plusieurs sens serait Neutre ? De par sa définition non arrêtée et sa multiplicité de définitions. Ici, le terme Neutre et par extension les termes « neutralité » et « neutralisation », seront déplacés ou révélés parmi des situations, des constructions ou objets. « Déjouer le paradigme » est une activité ardente, brûlante. »1 Il est vrai qu’à travers les recherches, l’impression de révélation est parfois survenue suite aux comparaisons – notez bien comparaisons et non pas oppositions – que nous allons effectuer. Comparaisons et analyses de situations qui pourront amener au rapprochement des figures que présente Roland Barthes. Elles sont au nombre de vingt-trois mais ici, nous ne parlerons pas de toutes, seulement de celles qui « apparaissent », qui pourront être mises en parallèle avec certains de nos exemples. Prenons la définition du Neutre comme quoi il est une pluralité de sens qui fait qu’il ne peut être classé et comparons-la au béton qui peut prendre toutes les formes. Alors le béton est une figure du neutre, il est un Neutre. 1
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BARTHES, Roland, op. cit. p.32.
Nous rajouterons une dernière chose à propos de Roland Barthes. Outre ses explications et l’ensemble de son cours qui ont été primordiaux ici, c’est aussi sa présentation qui nous est importante. En effet, le sémiologue et intellectuel explique que s’il veut parler du Neutre, c’est simplement « un désir qu’il a ». C’est un peu parfois comme le choix d’un sujet de mémoire : je veux parler du béton et du neutre; je ne sais pas pourquoi mais c’est une envie, un désir. A travers un corpus d’objets –textes, images, architectures, œuvres en général– nous tenterons de répondre aux questions suivantes : comment le Neutre et le béton interagissent-ils ? Sous quelles formes le béton devient un Neutre ? Comment le Neutre intervient-il dans le design ? Et y a-t-il une figure, ou plutôt une esthétique précise du Neutre ? Si oui, le béton fait-il partie de cette esthétique ? De Jean Baudrillard à Paul Virilio en passant par Nicolas Moulin et Rothko, nous allons développer des exemples où le Neutre se révèle. De manière non exhaustive, nous présenterons le béton sous des formes et fonctions en expliquant pourquoi elles sont Neutres, puis, nous irons dans le domaine du design. Entre ces parties, intervient un corpus intermédiaire de deux textes permettant de compléter le caractère du Neutre qui parlent du comportement Neutre. Même si lorsque nous traitons du béton et du design la notion de neutre est compréhensible, il était indispensable d’en parler au sein du comportement pouvant faire écho avec certains exemples d’architectures ou d’objets.
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LE BÉTON ET LE NEUTRE
CE BÉTON, UN NEUTRE ?
Nous allons voir ici, à travers plusieurs exemples comment le béton a-t-il été et est utilisé pour neutraliser, mettre fin à un conflit, déjouer une opposition. Il est possible de voir à travers la comparaison de deux sortes d’édifices, comment une construction peut avoir une importance dans la neutralisation d’un moment. Nous avons choisis de décrire l’esthétisme et le rôle des bâtiments administratifs et des bunkers. Les uns ayant décidé de la construction des autres. Bâtiments administratifs et politiques
Les bâtiments administratifs ou politiques sont des lieux importants où sont prises les plus grandes décisions. Voyons quelles images ils renvoient. Tout d’abord le Palais Bourbon à Paris. Plus couramment appelé l’Assemblée Nationale, c’est une construc-
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Pouvoir
Débat
Temps suspendu
Extérieur Intérieur
tion classique de la première moitié du XVIIIe siècle1 qui est composée de multiples détails tels les moulures et bas reliefs. A l’extérieur, ce que l’on retient de ce monument, c’est son fronton. Imposant motif sculpté par Cortot entre 1838 et 1841, il représente la France, la Force et la Justice. Ce relief est soutenu par des colonnes. Cette façade est tellement forte que c’est une des premières images que l’on a lorsque l’on pense à l’Assemblée Nationale. Une façade ordonnée et compréhensible, une image de puissance, de pouvoir, de confiance. Cette image est importante. Même si tous les bâtiments administratifs, car ils n’abritent pas tous l’activité de légiférer par exemple, ne sont pas de cette envergure, ils restent des lieux primordiaux, investis par leurs fonctions. Ils doivent montrer que c’est le lieu de confiance, le lieu idéal pour que les hommes qui y sont réunis fassent les bons choix. Au sein de l’Assemblée Nationale, chaque député représente un ensemble de personnes, un certain nombre de députés représente un parti politique et les députés ensemble sont les représentants des citoyens français. Aussi, chacun a son opinion et c’est pourquoi il y a débat. Le fait de les rassembler dans un même lieu où leur rencontre est dirigée par une seule personne, neutralise d’une certaine manière leurs différences. Ils ont chacun leur conflit partisan à l’extérieur du lieu qui se discute à l’intérieur. Car lorsque tout le monde est réuni, ils ont comme mission de faire un choix, un seul. Ce choix est effectué à l’intérieur et dure un certain moment. En fait, l’Assemblée Nationale est un endroit où le temps est suspendu lorsque les députés y sont. Il suspend le temps non pas parce qu’il n’y a plus de conflit à ce moment, mais parce qu’il est le lieu des débats et qu’ils ne sont pas ailleurs. Lors des rassemblements, c’est seulement au Palais Bourbon que les députés se disputent, le temps des conflits est suspendu à l’extérieur du monument. Et lorsque les députés ressortent, le lieu est vidé de conflits, une décision a été prise. L’esthétique des façades est ordonnée et donne l’impression d’une certaine droiture qui serait peut-être la même à l’intérieur. L’épaisseur des murs ne permet pas que l’on se rend compte de l’intérieur mais lorsque les caméras http://www.assemblee-nationale.fr/histoire/palais-bourbon. asp 1
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Homogénéité
Horizontalité Verticalité
passent les portes et diffusent les temps de paroles, nous voyons l’agitation et parfois le désordre qui règnent dans les zones de discussions. L’esthétique du lieu devient alors primordiale pour neutraliser l’image des conflits entre politiciens que renvoient les médias. L’homogénéité, l’ordre et la propreté des façades et jardins – surtout les jardins à la française – dispersent les tensions, tout comme les sourires des personnalités sortant de ces lieux. Est-ce que l’ensemble des détails extérieurs montre les différences intérieures ? Ou sont-ce les détails qui créent un motif renvoyant à une homogénéité rassurante ? Un autre lieu qui, d’après Jean Baudrillard, serait presque un jardin à la française : La Défense, « bouquet de buildings avec un ruban autour »1. Quartier d’affaires de Paris, d’un Grand Paris, dont la construction a débuté dans les années 1960, cette place est principalement constituée de béton. L’arche de La Défense, monument représentant du lieu, est alignée à l’axe historique de la capitale (Palais du Louvre, avenue des Champs Élysées, Arc de triomphe). Les hautes tours qui encerclent la dalle, espace horizontal central quasi désertique par moment, devaient rivaliser avec les buildings américains, mais leur disposition leur fait perdre cet aspect de verticalité impressionnante où les buildings se côtoient dans le ciel, comme à New York. Ici, ils entourent simplement un vide, lieu de dispersion et de rassemblement, carrefour permettant l’accès à tous types d’édifices, pouvant accueillir actions et événements. Ils sont prolongés de bâtiments plus petits, créant un dégradé de hauteurs jusqu’au centre de Paris. Autres édifices où les reliefs ne sont pas fantaisies ou sculptures, ils sont stratégiques.
Bunkers
Durant la deuxième guerre mondiale, des bunkers sont construits par les allemands le long de la côte Atlantique européenne visant à repousser l’ennemi venant de la mer. L’ensemble de ces édifices donne un nouveau nom, comme si un nouveau lieu avait été construit : le Mur de l’Atlantique2. BAUDRILLARD, Jean. Amérique. Paris : Le livre de poche, 2012. p. 22. 2 VIRILIO, Paul. Bunker Archéologie. Paris : Les éditions du demi-cercle. 1994. 1
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« (…) casemates des plages sont le complément des abris anti-aériens des villes, les bases sous-marines ne sont que le pendant des bases souterraines de l’industrie. L’espace est enfin homogénéisé, la guerre absolue est devenue réalité, le monolithe est son monument. » Paul Virilio1. En effet, les constructions des abris se sont multipliées avant et durant cette guerre résultant de l’évolution de la poudre à canon et de l’aéronautique2. Les lieux de défenses doivent résister aux explosions venant du ciel et c’est le béton qui est préconisé pour répondre à cette contrainte. L’image du fort de Verdun restant dans les esprits suite à sa forte résistance après les combats de 1916, des fortifications seront construites entre les deux guerres de la Méditerranée à la Lorraine. Elles sont peu visibles en surface mais forment un véritable labyrinthe souterrain.
Changement de contexte
Bunkers. C’est Fritz Todt3, ingénieur du génie civil, figure importante du régime nazi, qui est chargé de rénover et construire la plupart des lieux de défense et d’attaque de l’armée allemande. La mission débutera en 1941 par le renforcement des ports et constructions des bases sous-marines comme celle de St Nazaire. Lieu que l’on peut visiter aujourd’hui pour se rendre compte de l’épaisseur des murs, planchers et toits (jusqu’à 5m ou 8m selon les sources4). Lorsqu’un bunker est construit, tout le lieu l’entourant change de contexte. Ça n’est plus une plage, un lieu d’observation, de loisirs, c’est un lieu en attente d’un conflit physique. De la même manière que l’objet débarque dans VIRILIO, Paul, op. cit. p. 40. [Exposition. Montréal, Centre canadien d’architecture. 2011]. Architecture en uniforme : projeter et construire pour la Seconde guerre mondiale. Dir. Jean-Louis Cohen. Montréal : Centre canadien d’architecture. 2011. p.221. 3 http://www.musee-grand-bunker.com/fritztodt.asp 4 8m sur le site http://www.grand-blockhaus.com/ et 5m dans Architecture en uniforme 1 2
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Arme invisible
Anthropomorphique
le désert des chimpanzés1 et déclenche un nouveau comportement. Le bunker est un étranger fait d’une matière défiant la nature tout en essayant de se fondre à elle. Ces blocs de béton armé laissent le béton brut qui est parfois travaillé de manière à se confondre à la texture de son environnement. Ce sont ces effets de matière et l’enfouissement partiel qui font des bunkers une arme invisible. Les blockhaus comportent des éléments standardisés préfabriqués qui permettent, selon leur montage, d’avoir des ouvrages différents. Une seule entrée - qui est également la sortie autour de laquelle sont disposés des éléments anthropomorphiques comme l’épaule qui est l’arrondi du bloc. Autre partie, rappelant d’autres édifices : le fronton. Ici aussi il s’agit d’un relief au dessus de l’entrée mais il est de forme rectangulaire et ressemble à des marches vues de dessus. Certains des bunkers portent même des noms de femmes gravées dans le béton. Ce cul-de-sac laisse peu de place aux soldats en posture à l’intérieur. Assez d’espace pour respirer, mais pas assez pour s’y sentir bien. C’est un peu comme une coque de protection avec les arrondis et les ouvertures. Ce pourrait être, comme par méprise, le casque d’un homme géant d’où sortent les feux d’un canon. L’artillerie y est légère mais la fonction première de ces constructions est bien de défendre les soldats allemands et leurs nouveaux territoires, de l’arrivée éventuelle des Alliés, dans le cas qui nous occupe. Si les hommes qui sont à l’intérieur n’arrivent pas à abattre tout ennemi approchant à temps, ils mourront à l’intérieur du lieu qui deviendra leur tombe. Le blockhaus est ambigu : il est là pour être lieu d’attaque et lieu de protection et devient lieu sans issue autre que la mort. D’ailleurs, les ouvrages de défense seront les monuments funéraires du rêve allemand2. C’est pourquoi les blocs de béton brut peuvent effrayer et faire resurgir de mauvais souvenirs.
KUBRICK, Stanley. 2001 : l’odyssée de l’espace. D’après l’œuvre d’Arthur C.Clarke. Metro-Goldwyn-Meyer. ÉtatsUnis : 1968. 2 VIRILIO, Paul, op. cit. p. 29. 1
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Lorsque ce matériau n’est pas apparent sur les façades des bâtiments c’est peut être parce qu’il renvoie à l’image des bunkers : lieux de bataille et de destruction.
Verre
Dans nos lieux privés, grâce à l’opacité du béton nous sommes cachés de l’extérieur. Il est idéal pour abriter un lieu privé. Nous pouvons mettre nos objets d’intérieurs en avant sans qu’ils interfèrent avec l’extérieur. C’est ainsi que nous laissons notre trace. En plus de recouvrir le béton de peinture et tapisserie, nous l’agrémentons d’objets. Nous personnalisons le béton pour qu’il nous ressemble. Les avantages structurels du béton et de l’acier, permettent, nous l’avons dit, d’avoir un plan libre. C’est-à-dire de réduire les murs porteurs intérieurs à des poteaux. Le plan libre, c’est ce qu’a utilisé Le Corbusier. Entre autre, pour le projet de groupe de maisons en série sur ossature Dominos. Les murs et cloisons deviennent alors un remplissage léger. Outre la création de « l’état d’esprit d’habiter des maisons en séries »1, ces constructions permettent d’avoir des fenêtres faisant le tour de la maison. Les façades n’ont plus de rôle structurel, ce qui permet de remplacer le béton par le verre. Elles sont appelées murs-rideaux. C’est ainsi que l’architecture de verre fait son apparition. Le béton est le matériau idéal pour cette nouvelle architecture. Même si à première vue, le béton est l’opposé du verre, il est en fait son meilleur ami. En 1914, Paul Scheerbart2 fait l’éloge de l’architecture de verre mais durant tout son propos il met aussi en avant les avantages du béton. Le seul défaut du béton est d’être opaque. Il souhaite remplacer l’habitation de béton pour renouveler la civilisation, qu’elle ne se développe plus dans le caractère clos de l’architecture de l’époque, en apportant au maximum la lumière naturelle dans nos intérieurs3.
LE CORBUSIER. Vers une architecture [1923]. Paris : Arthaud. 1977. p. 190. 2 SCHEERBART, Paul. L’Architecture de verre [1914], trad. P.Galissaire. Précédé de « La sobriété ”barbare” de Paul Scheerbart » de Daniel Payot. Strasbourg : Circé. 1995. 3 Ibid. p. 29. 1
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Paul Scheerbart, cité par Walter Benjamin1, parle du verre comme élément ne pouvant garder trace à cause de sa transparence - nous ne parlons pas de traces de doigts sur le matériau. Une maison entièrement faite de verre laissera apparaître ses au paysage et à la vue de tous mais ne permettra pas un accrochage personnel aux murs. Le verre est l’ennemi de la figuration2, il ne permet pas de fixer les espaces. L’auteur met au côté de Paul Scheerbart : Adolf Loos, Le Corbusier et le Bauhaus. L’architecture de verre serait la libération de l’humanité, sa survie, si elle sait accepter sa « pauvreté avérée », si elle peut se détacher de « la passion des images de soi et des marques d’une puissance désormais dérisoire »3. L’architecture de verre serait le renouvellement de l’homme. C’est la volonté de Paul Scheerbart. Il veut, à travers son écrit, convaincre ses lecteurs d’une habitation qui aurait comme principal but d’accueillir une lumière animée, filtrée et teintée selon le désir de chacun.
Recouvert
Le béton peut rappeler un moment de conflit des plus violents mais voudrait aussi l’oublier, pourtant ne seraitce pas le verre le matériau correspondant au négatif de l’après-guerre ? En effet, si la guerre amène toujours à une destruction du territoire, l’homme se retrouve alors face à ce désert désolant de débris. Face à tout, puisque plus rien ne structure le paysage. Il a une image à 360° de sa pauvreté. Lorsque l’on se retrouve à l’intérieur d’un espace, entouré de verre, nous voyons tout ce qu’il y a dehors, et ce dehors nous voit. Nous pouvons voir à quoi ressemble le monde. Le verre serait-t-il plus que le béton, symboliquement, le matériau de notre pauvreté humaine ? Le fait est que le béton peut avoir différents aspects : le brut et ce que nous appellerons le recouvert. Le recouvert renverrait plutôt au bâtiment administratif pour essayer d’avoir une esthétique clinquante tel que réussissaient à le faire les architectes du XVIIIe siècle. Les façades peuvent être vêtues de bardage BENJAMIN, Walter. « Expérience et pauvreté » [1933], trad. M. de Gandillac, P.Rusch et R.Rochlits, in Œuvres II. Paris : Folio essais. 2002. 2 PAYOT, Daniel, « La sobriété ”barbare” de Paul Scheerbart », in SCHEERBART, Paul. L’Architecture de verre, trad. P.Galissaire. Strasbourg : Circé. 1995. p. 23. 3 Ibid. p. 24. 1
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Brut Camouflage
Classes sociales
bois, d’enduit de toutes les couleurs, de céramiques ou même de verdure. Les édifices ont alors une image différente. Le béton brut, est utilisé pour les bunkers pour ses caractéristiques économiques et techniques, destinés à être usés par les bombardements. Le seul intérêt à les recouvrir était de les camoufler lorsqu’ils n’étaient pas assez confondus avec le sol1. Certaines constructions de protection dans les villes étaient destinées à être repeintes après la guerre. De cette manière, le matériau sur-utilisé lors des conflits ne devait plus être apparent. Le béton brut serait alors image des lieux de bataille et le recouvert, peut-être, des lieux de décisions. Pouvoir combattre physiquement et pouvoir de décider. Le brut serait-il alors l’image négative qui référerait toujours à un horrible moment d’attente, de saleté puis de combat ? Couvrir un matériau, le recouvrir ou le plaquer, est d’après Jean Baudrillard une « éthique de la protection »2 destiné aux classes moyennes alors que laisser un matériau naturel serait un symbole de sincérité et concernerait les classes plus privilégiées. Le traitement des surfaces se transforme en fonction sociale. De la même manière que l’habitat sûr, solide, bétonné est un modèle bourgeois, il devient habitat des classes inférieures lorsque ses habitants peuvent accéder à l’habitat éphémère, démontable. En effet, les classes privilégiées se doivent de faire correspondre leur goût à l’actualité des modèles pour conserver leur distinction sociale. Par ailleurs, elles sont les seules à pouvoir se permettre de dépenser leur budget dans l’éphémère.3 Sont-ce les classes sociales qui donnent un symbole aux matériaux, architectures et objets ? Ou sont-ce les matériaux, architectures et objets qui indiquent la classe sociale des utilisateurs ou leur classe sociale aux utilisateurs ? Finalement, même si bâtiments administratifs et bunkers n’ont à priori rien à voir, ils neutralisent tous les deux un conflit. Le bâtiment administratif ou politique annule Architecture en uniforme : projeter et construire pour la Seconde guerre mondiale. Op. cit. p. 227. 2 BAUDRILLARD, Jean, Pour une critique de l’économie politique du signe. Op. cit. p. 30. 3 Ibid. p. 40. 1
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Suspension du temps
Sommeil
le conflit, l’opposition. D’une part par son image ordonnée, et d’autre part par sa suspension du temps et sa fonction qui est d’oublier les oppositions pour faire place à une solution - il essaye, durant un moment de suspendre l’image des politiciens agités, montés les uns contre les autres. Les bunkers eux, sont là pour, littéralement, neutraliser l’ennemi. Mais aujourd’hui, lorsque l’on se promène sur la plage atlantique et que l’on découvre un bunker, nous sommes dans une situation tout à fait étrange. Nous étions là tranquillement à profiter du soleil et du paysage dans un esprit reposé ou sportif, et d’un coup nous nous retrouvons face à une partie de notre histoire la plus violente et en même temps victorieuse. Le temps se suspend juste le moment d’être entre ces deux états, l’un plus positif que l’autre - mais vous imaginez-vous sur une de ces casemates en train de crier victoire sur les allemands ? C’est cette suspension sélective du temps dont Roland Barthes parle lorsqu’il évoque le Sommeil comme Neutre « son corps vieillit mais sa mémoire ne vieillit pas »1. Aujourd’hui les bâtiments vieillissent tous mais nous rappellent toujours ce passé qui leur donne toute leur identité. Lors du Réveil Neutre, il y a un instant où on ne sait plus rien, on est bien et on se rend compte à quel point on est mieux quand on dort que lors du réveil. Ce temps suspendu du réveil nous renvoie au temps du rêve qui est pour Roland Barthes un « non-lieu » qu’il compare avec la prise de drogue dont le but est, comme le rêve, de « plonger ses pensées dans un long sommeil »2, ce qui renvoie à l’immortalité – adjectif convenant au bunker. Obligatoirement, l’expression de « non-lieu » fait bien sûr, penser au livre éponyme de Marc Augé3 qui décrit un non-lieu comme un espace renvoyant l’homme à d’autres lieux, le plus souvent lieu de passage, de départ ou d’arrivée : les aéroports, les gares, les autoroutes. Parfois, nous raconte Marc Augé, le seul lien qui réside entre l’homme et ces différents espaces est le billet… de train, d’avion ou la carte bancaire. Décrivons dès à présent une gare.
BARTHES, Roland, op. cit. p. 69. Ibidem. 3 AUGÉ, Marc. Non-lieux : introduction à une anthropologie de la sur modernité. Paris : Ed. du Seuil, 1992. p. 48. 1 2
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« Ce temps suspendu : comme un sas, non pas peut-être entre deux mondes, mais entre deux corps. Temps qui est à la limite de la « nature », sorte de tâtonnement entre le corps immortel et le corps soucieux » Roland Barthes1.
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BARTHES, Roland, op. cit. p. 67. 38
CETTE GARE
Cette gare se trouve dans la campagne de LoireAtlantique, entre Angers et Nantes. Elle dessert un petit village situé en bord de Loire. La plupart de ses utilisateurs empruntent le même trajet de manière professionnelle, rarement pour partir en vacances.
Parpaings
Description du lieu La gare est un lieu où les voyageurs, les passagers se croisent. Ils sont là pour aller ailleurs, ils ne portent donc pas d’intérêt particulier à cet espace qui ne sera que ponctuel dans leur journée. Ils empruntent le même trajet tous les jours pour se rendre au travail ou à l’école et croisent ces autres personnes qui effectuent le même voyage. C’est un moment où tous sont susceptible de se reconnaître, de s’échanger des sourires, de se dire parfois bonjour et de discuter lorsqu’il y a des problèmes de transports. Il y a donc des relations sociales dans ces lieux. Pourtant, hormis le moment du contrôle sur le quai ou dans le train, ce sont des lieux d’anonymat. C’est là où nous rejoignons Marc Augé1, car le lieu « gare » est tout de même important puisqu’il tient un rôle de protecteur, protégeant du temps. Il est plus rassurant d’être entouré de personnes même si elles nous sont inconnues, que d’être seul au bord du quai. Mais cette gare de Loire-Atlantique change de visage. En effet, les portes et fenêtres se retrouvent obstruées par une des formes du béton : les parpaings. Toutes les entrées du lieu sont condamnées, l’espace est neutralisé. Il ne peut plus remplir sa fonction de lieu d’échange avec un système (le voyage) et de protection (les passagers se retrouvent dehors). Les voyageurs achètent leur billet grâce à des bornes situées sur le quai, sous un abris-bus (abris-train). Maintenant, lorsque les gens arrivent, ils ne se dirigent plus vers le bâtiment, ils le contournent, l’évitent, ne l’approchent même pas. Les blocs de bétons sont alignés aux murs, les façades deviennent plates, presque sans relief. Elles deviennent le lieu d’expression pour tagueurs. L’endroit se dégrade, donne l’impression que tout a été fait et qu’il faut passer à autre chose. L’édifice se transforme en boîte AUGÉ, Marc. Non-lieux : introduction à une anthropologie de la sur modernité. Paris : Ed. du Seuil, 1992. 1
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Silence Absence
vide, l’atmosphère devient glauque, respire une sourde insécurité. Silence et absence de mouvement. Les voyageurs empruntent désormais une ligne droite, la plus courte possible, de leur voiture au quai, le déplacement furtif de l’homme silencieux est ponctué par le bruit de la machine mobile qu’est le train. Cette gare devient non fonctionnelle, c’est à ce moment là que nous l’appelons « non-lieu » en référence à Roland Barthes plutôt qu’à Marc Augé. Le « non-lieu » de Roland Barthes est l’instant du Réveil Neutre. Moment d’abord sans soucis qui bascule ensuite dans la réalité car la journée débute. Insaisissable, entre le calme reposant de l’environnement et l’inquiétude de savoir ce que va devenir ce bâtiment. La condamnation d’un lieu, d’un espace public, transforme tout l’environnement. L’espace général devient une zone de no man’s land, sans fonction première outre l’arrêt du train et des voitures pour amener l’homme ailleurs. Ne surtout pas rester ici, dans ce lieu centré ponctué par un immeuble de béton crépi, rapiécé par des parpaings, marqués de mots d’autres absents. C’est le béton qui est utilisé pour murer les entrées et ne laisser entrer personne. Cette gare n’est pas le seul exemple. Cette technique est régulièrement pratiquée pour éviter à quiconque de s’introduire dans un immeuble en passe de subir des travaux importants ou d’être démoli. C’est une sorte de protection du lieu, face aux hommes aventureux ou aux squatteurs. Solide et facile à mettre en place. Résistant au feu et plus compliqué à enfoncer que le bois. Ces blocs rendent les lieux, qu’ils condamnent, silencieux. Le silence évoque l’absence de présence humaine. Est-ce pour cela que Nicolas Moulin, artiste portant un grand intérêt à l’architecture brutalisme et à l’esthétisme des régimes totalitaires, utilise l’image du béton pour Vider Paris1 ? Il s’inspire de la science-fiction et nous met face, à travers une vidéo, à un futur apocalyptique2. MOULIN, Nicolas. ViderParis. Montages numériques. 1998-2001. 2 GAITÉ LYRIQUE. Interview de Nicolas Moulin par Julien Bécourt le 9 octobre 2012. [En ligne] Disponible sur : http:// www.gaite-lyrique.net/gaitelive/nicolas-moulin-intra-terrestre-un-artiste-a-la-croisee-des-fins-du-monde (consulté le 16 avril 2013) 1
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Cet ensemble de montages montre une ville propre, construite mais vide. On y voit des rues avec des bâtiments d’époque, en pierre. Mais leurs parties basses sont entièrement lisses de béton brut qui ne laisse place à aucune entrée. Comme si elles avaient été bouchées de manière esthétique. Le fait de condamner les accès de l’intérieur des bâtiments faisant l’histoire de Paris leur donne une préciosité, une volonté de sauvegarde en empêchant quiconque d’abîmer les lieux. Dans les Quatre Hypothèses, l’auteur américain de science-fiction, Norman Spinrad1, écrit des scénarii que lui évoque Viderparis. Dans Le Grand Vert2, il imagine la capitale comme dernière ville intacte existante, exemptée de toute trace humaine. Paris aurait été érigée puis protégée par l’homme, comme si elle témoignait du passé. Il parle des entrées obstruées mais ne dit pas qu’elles le sont par le béton, simplement ses conséquences. Le béton transforme un lieu de circulation en lieu désertique. A travers le matériau, l’artiste évoque la notion d’espace isolé. Des lieux fictifs qui pourraient être réels… lorsque l’on pense à notre gare. Ce matériau aurait-il l’esthétique idéale pour imager l’absence ? Il empêche les personnes de rentrer quelque part, et donc de les faire avancer. Faire avancer les personnes pour ne pas avoir qui que ce soit en permanence. Pour autant si l’on compare le travail de Nicolas Moulin à celui d’un fameux photographe du début du XXe siècle : Eugène Atget3 (18571927), célébré ou redécouvert en particulier grâce à la photographe américaine Bérénice Abbott qui achète ses photographies en 1927 on trouve des similitudes étonnantes. Eugène Atget est célèbre pour l’idée de recollement d’un Paris, vieux, usé qu’il enregistre avant sa disparition. Grâce à la photographie des rues, et non des monuments, il immortalise ce qui est amené à disparaître. Prenons la photo de la rue Quincampoix, (Paris, 1900), où la rue est vide d’homme. Il n’y a pas de présence humaine sur cette photographie. Cela est à se demander si le lieu n’a pas déjà été déserté par ses habitants sachant que ce lieu s’effacerait ou si au contraire, le lieu est tout juste découvert et attend que quelqu’un l’habite. MOULIN, Nicolas, Viderparis, textes de Norman Spinrad, trad. R.C.Wagner. Paris : Isthme. 2005. p. 99. 2 Ibid. p. 105. 3 http://expositions.bnf.fr/atget 1
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Violence
Dans les deux œuvres, on peut parler d’une ambiance non habitée où l’homme aurait déserté comme si un événement particulier avait eu lieu. Cet événement créant une ambiance silencieuse, nous amène à penser qu’il a été malheureux, que quelque chose de dramatique s’est produit. C’est en ce sens que ce silence de béton renvoie à l’insécurité d’un lieu où la violence pourrait arriver de n’importe quel endroit, où le passage d’un T.G.V. ferait sursauter une personne plongée dans ce silence. Imaginons ces lieux au moment de la fuite de l’homme. La nouvelle est mauvaise. Il va bientôt falloir quitter la ville. Mais ils ne pourront pas emmener tous leurs biens. Il faudra en laisser dans l’habitation. Mais comment les protéger si d’autres reviennent avant nous ? Un homme s’exclame : « il faut murer les entrées ! ». Les autres adhèrent à l’idée et pensent à un matériau : le béton. Plus précisément le parpaing. Ils mettent alors en place une chaîne humaine répétée à différents endroits stratégiques pour optimiser le temps. Un premier groupe s’occupe de la fabrication de la colle : du sable, du ciment et de l’eau. Le tout dans la bétonnière. Les ingrédients se mélangent. La matière est prête. On l’amène vers les entrées, là où les parpaings ont été disposés. Aussitôt on met de la colle et on pose un parpaing, ainsi de suite jusqu’à remplir le trou. Une fois que tout est bouché, il faut partir. Ceci est une belle image d’un départ d’une ville complète. Mais c’est ce que nous imaginons si les habitants ont le temps de bétonner (rendre solide et sûr) leurs entrées. Les gens courent et souffrent, s’éloignant de la ville jusqu’à épuisement total. Cela pourrait faire partie de l’histoire mais il s’agit d’une autre image que donne Jean Baudrillard1. Celle du marathon de New York. En analysant cette course, l’auteur montre presque une absurdité à s’épuiser autant pour simplement prouver que le coureur a réussi. Il parle d’une mort par épuisement collective. Ce marathon réunit des milliers de personnes qui ont un même but : arriver. Voir autant de gens souffrir côte à côte, cela ressemble à une fin du monde. Une fin du monde peut être pas, mais un 1
BAUDRILLARD, Jean, Amérique, op. cit. p. 24. 44
Hommes et villes Empreintes
attentat oui. A Boston, en 2013, c’est lors du marathon qu’un attentat à la bombe a eu lieu. Alors que l’événement d’une course commune annule toutes les autres actions, réunit toute une ville autour de l’effort de certaines personnes, la violence réapparaît. Baudrillard parle du marathon de New York comme une prouesse sans conséquence. Mais quand cette prouesse réunit des personnes et transforme une ville où les gens se croisent en une piste de course, où les personnes s’encouragent, ça n’est pas sans conséquence. Un tel événement transforme une ville en lieu d’échange entre hommes et surtout, entre les hommes et la ville. Celle-ci devient à la fois gradins, balcons et lieux où les coureurs laissent leur pas et en sont fiers. C’est ainsi qu’ils déposent leurs empreintes. Elles disparaîtront, mais ils l’auront fait. Tout comme les finisseurs : ce sont les derniers à travailler le béton et leur passage ne sera pas visible car il a pour but de rendre le béton propre et net, sans trace du professionnel. C’est un matériau de texture. Lorsqu’un maçon construit par exemple une terrasse, après avoir placé les différents éléments qui isoleront et renforceront la matière (polystyrène et treillis), il coule le béton amené par camion toupie (à partir de deux mètres cubes) ou fabriqué à la main à l’aide d’une bétonnière. Le maçon, ou celui qui en joue le rôle lorsque tout est fait maison - rappelons que notre matière peut se faire chez soi - doit ensuite chasser l’air. Il le vibre grâce à un pervibrateur, plus couramment appelé aiguille vibrante, pour le rendre homogène. C’est alors que le gravier apparent s’enfonce et laisse place à une pâte appelée le laitier ou la laitance. C’est à partir de ce moment que la texture peut être modifiée. Le laitier est travaillé et retravaillé pour être lisse et sans relief. C’est une tâche longue et qui doit être faite lorsque le béton « tire », c’est-à-dire lorsqu’il sèche, qu’il se durcit. Le meilleur ouvrier est celui qui effectue le travail le plus propre. Si nous entrons dans un village où chaque maison a une terrasse, chacune d’entre elle n’aura pas forcément été faite par la même personne, mais toutes prolongent correctement les maisons. Les terrasses ne sont pas là pour être regardées, elles sont là pour profiter de l’espace dur qu’elles offrent et de l’environnement. C’est une mise en place longue et réfléchie, mais celui qui construit ce nouveau lieu n’a pas
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Matière rusée Stratégique Esthétique
Trace
Culture populaire
Haute culture Faire soimême
à laisser de trace ou de signature. Le béton nous entoure, il est toujours présent, il représente toutes sortes de lieux et de fonctions mais il est une des matières les plus anonymes qu’il soit. Même si l’intervention de l’homme est tant présente durant toute sa réalisation. Nous ne voyons pas la trace du maçon mais parfois celle du dernier outil qui est utilisé, sans forcément réussir à deviner sa forme. Aujourd’hui, les coffrages peuvent être associés à une matrice en plastique imitant la pierre ou le bois. La terrasse peut ainsi ressembler à une terrasse en bois, mais plus solide. C’est une sorte de camouflage de la matière, comme nous l’avons vu pour les bunkers lorsque leur texture doit être proche de leur environnement. On ne doit pas reconnaître que c’est un abri, comme on ne doit pas reconnaître que c’est du béton. Cette matière est rusée ! Elle peut prendre une infinité d’apparences. Que ce soit stratégique ou esthétique. Si une terrasse en béton doit ressembler à une terrasse en pierre, c’est bien parce que le béton n’est pas accepté par les propriétaires. Nous avons croisé chez des particuliers, une tradition plus ou moins suivie. Il s’agit de graver la date du jour où une dalle de béton a été faite (comme pour une terrasse) dans la matière. L’importance de ce geste laissant une trace est de se souvenir du moment où ces travaux ont été réalisés, de l’effort et de la patience qu’il a fallut avoir (le temps de séchage d’une dalle est théoriquement de 28 jours). Cette date permettra toujours de se rappeler du jour où le voisin, le frère, l’ami était venu nous aider. Nous ne trouvons que rarement ce genre d’exemple dans les constructions publiques. Peut-être que cette action de la culture populaire traduit la réussite d’avoir su maîtriser la matière. Son exploitation est facile et s’adapte parfaitement à la réalisation de travaux personnels. Il faut simplement quelques ingrédients et outils qui se trouvent dans tous les magasins de bricolages. Dans la haute culture, si le béton est utilisé, il sera mis en place par des professionnels, il sera le plus fini possible. Ainsi, graver dessus ne ferait que l’abîmer. Alors que chez des particuliers, c’est une preuve d’avoir « fait soi-même ». C’est ainsi que le particulier, alors propriétaire d’un nouveau béton, en prend possession : en mettant lui-même son empreinte. Comme l’étiquetage de notre nom sur un objet nous appartenant, la mise en place d’une enseigne sur un bâtiment. Et ces traces seront toujours révélées par
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la lumière. L’homme joue de ses traces avec le béton, la lumière joue et met en avant le béton. La trace de l’homme est finalement mise en avant par la lumière.
Appropriation
Ces derniers paragraphes parlent de la relation entre l’homme et la matière. L’homme contraint la matière à construire sa ville. Il l’utilise pour marquer son identité. Il s’épuise à parcourir et à s’approprier le béton. Le maçon se sert du béton comme structure, il est le premier à intervenir sur un chantier. Il pose les bases. Après son passage les autres corps de métiers se servent de ce qu’il a fait pour effectuer leur travail, ils se servent du béton comme étant la forme la plus sûre de la construction en cours.
CE MONOLITHE
Paul Virilio a dit, en parlant de la deuxième guerre mondiale, que le monolithe en était son monument. Mais comment définir un monolithe ? D’après la définition du dictionnaire1, en parlant d’un ouvrage de grandes dimensions, c’est un seul bloc de pierre, par extension : une très grosse pierre. Les éléments qui le composent, forment un ensemble rigide, homogène, impénétrable. Après la construction des bunkers, une autre définition est donnée : le monolithe serait comme un tombeau, un cénotaphe, emblème de la permanence, peut être de l’immortalité, il enfermerait un vide infini2. Comme une coque où sa plasticité extérieure serait plus importante que sa structure. C’est un des concepts cher aux beaux arts : « le style d’abord, la structure ensuite »3. Ce sera aussi la devise employée par les architectes expressionnistes à travers des gestes spontanés cherchant une véritable expression de l’architecture. Le bunker reste une de ces images. Il exprime la protection par ses arrondis, ses épaules et sa violence par les angles et les visées vicieuses qui cachent l’homme. De plus, on devine aisément l’intérieur Le Nouveau Petit Robert (dans sa version grand format). 1996. 2 MIGAYROU, Frédéric, Bloc, monolithe fracturé. Orléans : HYX. 1996. p. 11. 3 BANHAM, Reyner. Théorie et design à l’ère industrielle [1960], introd. Frédéric Migayrou, trad. C.Bécant. Orléans : HYX, collection Restitutions. 2009. p. 72. 1
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Négatif Envers / Endroit
Riche / Pauvre Camaïeu
Ville Neutre
d’un bunker, il correspond en partie à son extérieur. Les intérieurs sont le négatif des extérieurs, et rappellent le système du coffrage. Lorsqu’il est mis en place, on sait quelle va être la forme qui apparaîtra après le démoulage. C’est une histoire de recto/verso, d’endroit/envers. L’extérieur du bunker doit se confondre, ne pas se voir, alors qu’à l’intérieur, pour une question de praticité, tout ce qui est amené à être utilisé doit être visible. Pris dans l’action, les soldats n’auront pas le temps de chercher. Un peu comme ce que peut expliquer Roland Barthes du tableau de Jérôme Bosch : Le Jardin des délices1. Dans ce triptyque où les cinq faces sont peintes, l’intérieur coloré s’oppose à l’extérieur fait d’un camaïeu gris lorsque l’ensemble est replié. La couleur représente généralement la richesse, la classe supérieure, contrairement aux gris qui rappellent la quotidienneté. Un système d’envers endroit qui rend l’envers Neutre en ce fait qu’il cache l’endroit sans attirer l’attention véritablement sur lui puisque nous nous intéressons à ce qui est caché. En ce sens, le caché serait alors le riche, coloré, et le pauvre l’apparent grisâtre. Le camaïeu de gris devient ici Neutre. Mais ce n’est pas pour autant le gris qui est Neutre, c’est le camaïeu. En effet, il permet de ne pas opposer des couleurs puisqu’il s’investit à faire apparaître les nuances présentes entre ces couleurs. Le basculement d’une couleur ou d’une intensité d’une couleur à une autre s’apaise par le dégradé, par le fin changement d’aspect. C’est ce qu’on appelle la moire2. Alors que le béton ne laisse passer ni lumière, ni son, c’est un matériau poreux, il a tendance, au fur et à mesure du temps, à changer de gris. C’est pourquoi, si nous imaginons tous les bâtiments d’une ville sans enduit ou peinture, nous serons face à un ensemble de gris. Ce qui annulerait toute mise en avant d’un immeuble par sa couleur. Serait-ce alors l’image d’une ville Neutre ? Peut-être dans son esthétique, mais son organisation ne le serait pas ! En effet, on ne peut pas rendre une ville Neutre. Le meilleur moyen serait d’en créer une. S’il y a un manque de terrain disponible, il faut commencer par détruire une ville. Car le Neutre n’est pas seulement visuel 1 2
BARTHES, Roland, op. cit. p. 81. Ibid. p. 83. 48
Faire table rase
Destruction
Créateur
ou esthétique il a aussi un fond, une signification. Le Neutre est réfléchi, il n’est pas superficiel. La destruction d’une ville amènerait un ensemble de machines. Elles frapperaient les bâtiments, les grignoteraient pour les mettre à terre et s’en débarrasser par le biais de camions qui emmèneraient les détritus on ne sait où. C’est une image violente. Même à regarder, le bruit des machines, des fracas de matière sont agressifs. Mais le fait de détruire est-il si violent que ça ? Faire table rase d’un lieu ne permettrait-il pas de créer de la nouveauté ? Walter Benjamin traduit ce fait par Le caractère destructeur 1, texte publié pour la première fois en 1931. L’auteur décrit les particularités d’un « caractère destructeur » ce qui permettrait à une personne de savoir si elle est entourée de gens ayant ce caractère. Le propos permet de montrer que cette destruction ne serait pas négative. En effet, sa motivation est due à son besoin d’air frais, de faire de la place – besoin d’un plan libre comme les architectes. A ses yeux, rien n’est durable et il efface même les traces de la destruction. Ce qui lui permet de rester jeune, il ne garde pas trace du passé. Il est l’ennemi de l’homme qui cherche le confort, celui qui a imprimé sa trace sur le monde. Mais il ne démolit pas pour l’amour des décombres mais pour l’amour des chemins qu’il traverse. Pour cela il utilise parfois une force plus noble que la brutalité mais pour témoigner de ses actions, il doit s’entourer de personnes. Le caractère destructeur n’évite que la création, il n’a pas besoin de savoir ce qu’il y aura après son passage. Contrairement à lui, le créateur cherche la solitude. Mais ils ne sont pas opposés. La destruction est peut-être la signification d’un besoin d’un renouveau, tout comme Paul Scheerbart. Pouvoir, après tout conflit, passer à autre chose, ne plus voir ce qui rappellerait les horreurs de la guerre, de la civilisation, cette honte d’avoir été si violent. C’est en effaçant des traces que l’on peut repartir à zéro. Le caractère destructeur et le créateur ne sont pas opposés. L’un permet à l’autre d’agir. Après la destruction vient la création.
BENJAMIN, Walter. « Le caractère destructeur » [1931], trad. M. de Gandillac, P.Rusch et R.Rochlits, in Œuvres II. Paris : Folio essais.2002. pp. 330 - 332. 1
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Effacement Nouveauté
Brasilia
Réunir Déraciner
L’effacement d’une ville engendre de nouvelles constructions, une nouvelle ville. Sa formation peut être très rapide. L’intensification des changements de la ville moderne a inquiété Georg Simmel1. L’arrivée incessante de nouveaux objets est inattendue et s’impose. Il n’y a pas de temps pour s’adapter à l’évolution, c’est presque instantané. Alors que la conscience de l’homme de la grande ville est stimulée par l’impression du moment, le changement rapide des impressions, la vie à la campagne a un rythme plus lent, plus régulier où les relations affectives ont plus d’importance que l’économie. Lorsqu’une personne de la ville déménage à la campagne, elle est oppressée par les relations limitées, identiques à celle de la vie dans les petites villes de l’Antiquité ou du Moyen Âge. C’est pour cela que les habitants de la grande ville, les intellects, se construisent un organe de protection contre le déracinement. C’est ainsi que Brasilia réunit ce que nous venons d’évoquer : une construction rapide et qui essaie de réunir plusieurs types d’habitants, de modes de vie, dans une même ville. Brasilia dessinée par Oscar Niemeyer était un défi : construire une ville nouvelle en devenant le centre du pays sans destruction autre que le statut de Rio de Janeiro, Brasilia devient la capitale du pays en 1960. Elle se construit dans le désert, mais pas au milieu de nulle part : elle est au centre du Brésil. Lieu choisi pour réunir deux projets : le premier est d’ordre géopolitique, le deuxième est d’ordre anthropologique. Développer le pays et rassembler les différentes classes sociales du nord-est au sud-est, respectivement, les affamés et les bourgeois2. Cette ville aurait du être un nouveau départ pour ses habitants. Elle a pour autre but, de réunir les masses sociales en les déracinant. En effet, tout le monde se retrouve dans une nouvelle habitation, un nouveau lieu où chaque bâtiment représente une positivité qui unirait tous ces cobayes de la ville censée devenir exemplaire pour toutes les autres villes. Mais le rêve d’Oscar Niemeyer et d’autres n’a que très peu duré. En effet, les objectifs géopolitiques et socio-anthropologiques ne peuvent aboutir ensemble3. Le SIMMEL, Georg, Les grandes villes et la vie de l’esprit in Philosophie de la modernité. Payot. 1988-1990. pp. 169-199. 2 FLUSSER, Vilém, Petite philosophie du design, trad. de C.Maillard. Belval : Circé. 2002. p. 91. 3 Ibid. p. 100. 1
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premier objectif donne la construction des édifices publics. Ils sont monumentaux et luxueux, ils ne correspondent pas vraiment au deuxième objectif. Celui-ci destine la ville à être un modèle pour la communauté humaine et donne une nouvelle organisation de la ville et des techniques modernes de construction d’habitations. D’un côté des maisonnettes, de l’autre des blocs. Il devrait y avoir un environnement de beauté et de justice. Or, Vilém Flusser parle de désert gris, d’une fourmilière1 rappelant New York. De plus, une nouvelle ville inattendue s’est construite à côté de Brasilia : une ville « Far-West ». Elle est crasseuse mais pleine de vie. Lorsqu’un des deux objectifs semble atteint, c’est un des résultats de l’autre qui le contredit. Mais cette ville est une œuvre d’art, peut-être la plus grande en termes de dimensions, d’objectifs et de critiques. De plus, elle a battu des records de rapidité en termes de construction. Elle s’est faite en trois ans. Alors même que des bâtiments commençaient à se construire, tous les plans n’étaient pas terminés. Le béton a permis de nouveaux exploits. Ici, si nous imaginons les bâtiments sans leur peinture, la ville, tout en béton, n’est pas Neutre. Chaque bâtiment a véritablement son identité. Que peut vraiment être une ville Neutre ?
Indistinction sociale
Unité
Comme réponse, une ville Neutre annulerait toutes les distinctions entre les bâtiments et entre les habitants, une indistinction sociale. Cette ville est utopique, c’est No Stop City, publication à épisodes entre 1969 et 1972, des radicaux italiens d’Archizoom2. C’est par son homogénéité et sa composition qu’elle permet aux habitants d’être dans un état continu de création. La ville est organisée sur une grille en trois dimensions. C’est la juxtaposition d’espaces identiques où on imagine l’habitant décider de l’aspect de son intérieur de manière libérée et personnelle. C’est cette multiplicité de possibilités qui en fait une ville Neutre. La forme de la ville est une unité, on ne parle plus d’un lieu ou d’un bâtiment qui la représenterai mais de son unité de l’ensemble. FLUSSER, Vilém, op. cit. p. 98. BRANZI, Andrea, Archizoom Associati. No stop city. Orléans : HYX, Bilingue. 2006. 1 2
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L’unité de l’ensemble est une des caractéristiques du bunker, du monolithe en général. Claude Parent et Paul Virilio en ont été très inspirés. Lorsqu’ils rencontrent un de ces monolithes basculés sur une plage, ils en reproduisent l’esthétique et inventent la théorie de la fonction oblique et la question de l’identité de la construction1. Un de leurs édifices les plus importants se trouve à Nevers, c’est l’Église Ste Bernadette (1963-1966). C’est une des premières architectures critiques de l’après guerre. « L’église est basée sur le principe de la fonction oblique : la nef est à double pente inversée tant en toiture qu’en sol et suspendue au dessus du terrain en porte-à-faux à chaque extrémité. Forme refermée, elle est en rupture avec l’environnement invertébré qu’elle repousse (HLM, pavillon de la loi Loucheur, etc.). […] en état de contraction et par le truchement de cette répulsion, elle polarise l’espace alentour autant qu’un appel. Son schéma formel est d’origine organique : imbrication de deux coques éclatées dans les trois dimensions de l’espace, sorte de cœur à deux ventricules opposés, symbole de l’expression d’une fonction supérieure à l’utilisation. Les accès sont situés aux interstices des coques et au centre de l’édifice, point bas de la nef ; ils s’impriment dans le schéma organique. » Frédéric MIGAYROU2. Extérieur Intérieur
Son extérieur est en béton brut et transcrit l’aspect du coffrage qui a été utilisé : le coffrage traditionnel qui est fait de planches de bois. Les extérieurs où les traces du bois sont horizontales représentent l’espace intérieur sacré. Là où les traces sont verticales il s’agit du non sacré3. Les traces ainsi faites ne sont pas reprises lorsque Parent et Virilio construisent des habitations. Mais ils MIGAYROU, Frédéric, op.cit. p. 75. Ibid. p. 83. 3 [Exposition. Paris, Cité de l’architecture et du patrimoine. 2010] Claude Parent : l’œuvre construite / l’œuvre graphique. Dir. Frédéric Migayrou. Orléans : HYX. 2010. p.176. 1 2
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explorent toujours la théorie de l’oblique, l’utilisation du béton et le changement de plan. Ils dessinent chaque maison comme un cas différent. Ainsi, un quartier qui serait entièrement construit de cette sorte deviendrait un territoire non Neutre de la juxtaposition d’édifices uniques. Il n’y aurait pas d’homogénéité du territoire. Les lotissements d’aujourd’hui seraient-il alors un territoire Neutre ? L’alignement de maisons identiques dans leur forme extérieure et leur organisation intérieure. Si on va chez le voisin, on saura où se trouvent les toilettes ! Mais la plupart des maisons ne sont pas construites en coffrage mais plutôt en parpaing qui est une déclinaison du béton, bloc qui peut être utilisé par tous. Il permet de construire de petits édifices. Il remplit alors une fonction structurelle de mur porteur. Mais dans une structure poteau poutre, il sert seulement à combler les vides. Il devient juste un mur, une paroi verticale constituée d’un motif multiplié s’unissant par sa matière liquide, le mortier. Contrairement aux parois coffrées, les murs en parpaing sont toujours recouverts. Dans leur état brut, ils ne sont pas encore esthétiquement acceptables. Dans tous les cas, nous pouvons dire que le parpaing est un bloc, il est une unité plastique tout comme le monolithe, tout comme le bunker. Il n’est pas clos mais sa juxtaposition et son utilisation rendent un ensemble totalement clos. Ce petit bloc de base peut être utilisé par tous. Le mur se monte, bloc par bloc en quinconce, avec des joints de mortier. Beaucoup de particuliers l’utilisent pour fermer leur jardin et se cacher des regards extérieurs. Le parpaing est toujours recouvert par de la peinture ou par un enduit. Le fait de laisser un mur en parpaing brut est mal vu et donne l’image de propriétaires non attentionnés, jusqu’à donner l’impression d’un endroit délaissé, voire pauvre. Le parpaing brut rappelle des lieux en état de construction, de déconstruction ou d’abandon – voir l’exemple de la gare murée, page 39 de ce mémoire. Dans ces lieux d’abandon, tout comme dans les magasins de bricolage, ce sont les seuls moments où ils paraissent inutiles. Mais les particuliers ne donnent pas la même image de leurs murs en parpaing entre la face extérieure (côté rue) et la face intérieure (côté jardin). Régulièrement on voit depuis la rue le mur peint ou enduit alors que derrière s’élève de la végétation. Dans ce cas, depuis le jardin, on n’aperçoit quasiment pas le béton, même recouvert. Ce sont les plan-
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Détourner
tations qui ornent les clôtures. A l’extrême, un mur pourrait très bien rester brut à l’extérieur et totalement recouvert et agrémenté à l’intérieur lorsque les propriétaires ne portent pas d’intérêt à l’image de la clôture. Paul Scheerbart, dans L’architecture de verre, parle d’architecture de clôture1. Il dit que le béton armé - il ne parle pas du parpaing - est idéal pour transformer des clôtures en promenades quand on lui ajoute un attrait artistique, c’est-à-dire quand il est recouvert. Nous avons défini le parpaing comme monolithe. Sa juxtaposition en ferait un plus grand monolithe. Cela signifierait que nos clôtures de parpaings seraient des monolithes verticaux. Tout comme le monolithe de 2001, l’odyssée de l’espace 2 , ils permettent de modifier le comportement des passants, de ne pas s’intéresser à ce qui se passe derrière, de pouvoir détourner leurs regards d’un lieu privé à un lieu public. Peut-être que leur promenade deviendrait neutre d’intérêt, car le fait de ne voir que des murs ne soulèverait pas de discussion sur la beauté de tel ou tel jardin. Cela annulerait tout débat sur l’appréciation personnelle des promeneurs. A travers ces exemples, le monolithe est-il l’exemple d’un Neutre ? De part son vide infini et son envers cachant l’endroit et sa grisaille, cette forme répond aux figures de Neutre de Roland Barthes. Lorsqu’il est vertical il paraît plus solide. Il peut changer un comportement, il agit, il a toujours un impact. La répétition d’un monolithe conserve sa neutralité si ce dernier est toujours identique. Nous l’avons vu, la juxtaposition de maisons monolithes de Claude Parent et Paul Virilio annulerait la neutralité de chacune d’entre elle car elles se mettent en conflit, il n’y aurait pas d’homogénéité effaçant les différences.
SCHEERBART, Paul, op.cit. p. 94 KUBRICK, Stanley. 2001: l’odyssée de l’espace. D’après l’œuvre d’Arthur C.Clarke. Metro-Goldwyn-Meyer. ÉtatsUnis : 1968. 1 2
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INTERMÈDE NEUTRE ET COMPORTEMENT
DEXTER1. LA FATIGUE. Nous le voyons, depuis le début de cet écrit, le béton et le Neutre interviennent ensemble régulièrement dans une ambiance de violence. Le béton est utilisé durant la 2de Guerre Mondiale principalement comme matière à construire des lieux de défense et de violence. Ces lieux doivent parfois être neutres dans la nature pour se confondre à elle (camouflage) et ont aussi pour objectif de neutraliser l’ennemi. Ce sont les bunkers, violents dans leurs contextes, leurs utilisations d’une part qui, l’espace neutralisé donnant un sentiment d’insécurité, de risques de violence, d’autre part. Dans les deux cas nous assistons à un changement d’état. Lorsqu’un bunker est fini d’être construit, tout le lieu l’entourant change de contexte. Nous ne sommes plus sur une plage, un lieu d’observation de la mer, c’est un lieu en attente d’un conflit physique. Et après leur utilisation, le paysage devient vide. Tout est à reconstruire. Dans le texte de Walter Benjamin déjà cité2, cette destruction est nécessaire pour faire table rase et prendre l’air. Ce caractère destructeur, nous le retrouvons dans le personnage d’une série américaine récente, Dexter, qui se penche sur un profil possible de serial killer au profil psychologique complexe. En effet, ce tueur en série - donc violent - essaie de stopper les meurtriers tel un justicier. Comment réussit-il à déjouer les soupçons qui pourraient se porter sur lui ? Il utilise des figures de Neutre. Présentation. Dexter Morgan est un américain d’une trentaine d’année. Il travaille pour la police de Miami en tant qu’expert des analyses sanguines. Il analyse les projections de sang sur les scènes de crime et leurs ADN au laboratoire. Il est passionné par son travail et reconnu comme tel. Un travail dont quasiment personne ne souhaite faire même si les résultats sont toujours pertinents pour les enquêtes. Grâce à son poste dans la police, il connaît les enquêtes en cours et les tueurs présents dans sa ville. Il s’intéresse tout particulièrement aux tueurs en série. MANOS, James Jr, Dexter. États-Unis : Showtime. 2006. BENJAMIN, Walter. « Le caractère destructeur » [1931], in Œuvres II, op. cit. pp. 330 – 332. 1 2
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Après sa propre enquête, il connaît (avant tout le monde) l’identité du meurtrier. C’est alors qu’il se prépare et agit la nuit. Après avoir traqué le tueur en série, il le trouve, l’endort. Il devient sa proie. La proie « tueuse en série » se réveille. L’endroit est calme. Elle connaît cette pièce mais les sols, murs et plafonds sont recouverts d’un film plastique transparent. Tout comme son corps qui en est prisonnier allongé sur une table. Elle aperçoit alors des photos. Ce sont ses victimes. Et là, debout, se tient un homme inconnu, Dexter. A ses côtés, Dexter détient ses armes préférées : des armes blanches. Il utilise toujours les mêmes. C’est alors qu’il s’exprime. Comme à son habitude, il tient un discours moralisateur. Il est tel un justicier qui n’a pas besoin de masque puisqu’il sait que sa proie va mourir. Il la tue d’un coup sec. C’est alors que le sang se propage dans le film plastique. La proie est morte. Il faut maintenant l’évacuer. Rien de tel qu’un beau couteau pour découper le corps. Tout est entouré de ce film plastique puis mis dans des sacs noirs. Un trajet en voiture pour se rendre au port, mettre les sacs dans le bateau et partir au large. A son endroit habituel, il largue l’ensemble des preuves. Sauf une. Cette goutte de sang prélevée au réveil de la proie. Cette goutte qui rejoindra les autres dans la boîte en bois cachée dans la ventilation de son appartement avant d’aller dormir un peu. C’est ainsi qu’est sa véritable nature : c’est un homme violent, qui tue seulement les coupables. Lorsque l’on regarde la série, le générique tient une importance particulière car il présente l’homme dans ses gestes quotidiens du matin.
Description du générique de la série :
Dexter se lève, se rase, se coupe, du sang coule. Il découpe sa viande, la fait cuire, la mange, de même avec son œuf puis fait son café. Il presse une orange, utilise du fil dentaire, fait ses lacets, enfile son tee-shirt et sourit en partant travailler.
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Ce sont ces actes d’une grande banalité qui vus d’un certain angle créé toute l’ambiguïté du personnage entre ses journées d’un trentenaire travaillant comme analyste de sang pour la police et ses actes de barbaries la nuit. L’orange pressée projette beaucoup de jus, la viande est découpée violemment, le fil dentaire et les lacets sont tenus d’une main ferme, etc. Chaque geste est précis et nous sentons que ces gestes ne servent pas qu’au quotidien de l’homme souriant après avoir donné l’impression d’étouffement lorsqu’il met son teeshirt, nous sentons toute la tension et la double personnalité du personnage et toute la série montre comment il fait pour ne pas attirer l’attention en journée alors qu’il est entouré de l’autorité de l’État. Ce sont ces répétitions qui donnent un côté banal de ses actes, qui à force de regarder la série paraîtraient presque normaux. Le spectateur a envie qu’il trouve le coupable et l’assassine. Un nouveau héros, sorte d’homme violent dont l’agressivité est utile.
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PORTRAIT DE MOI, PAR MOI-MÊME1. LE SILENCE. Blanchot, L’Entretien infini : « Kafka désirait savoir à quel moment et combien de fois, lorsque huit personnes sont en conversation, il convient de prendre la parole si l’on ne veut pas passer pour silencieux. » 2 Le Neutre va ainsi déjouer le silence comme signe car être silencieux renvoi à différentes idées. En effet mon « silence » n’est pas vu comme « silence » : il peut porter à croire que je suis réservée, positive ou négative avec ce qui est dit. C’est pourquoi le Neutre déjoue le silence, pour ne pas être pris pour ce qu’il n’est peut être pas. Lors de discussions à plusieurs pour un sujet que je connais ou non, mon manque d’intervention pourrait être synonyme d’un manque de posture vis-à-vis du sujet ou à un manque de confiance pour exprimer mes idées. Manque d’intervention ne signifie pas non intervention. Une petite phrase, un mot par ci par là pour montrer que je suis présente, que je suis la conversation. L’acquiescement de la tête est aussi un geste très important dans ce genre de moment ; vous savez le hochement de la tête disant « oui c’est vrai ça » ou dans l’autre sens avec la moue de la bouche en plus « hum, je ne suis pas tout à fait du même avis » etc. En effet, avec ces interventions minimes, je montre que je suis là, que je ne m’ennuie pas. Et toute cette gestuelle et ces petites interventions me permettent d’être dans un temps d’observation. Mon silence m’aide à écouter attentivement les idées, les propos, les avis des uns et des autres. C’est ainsi que je me rends parfois compte du non-intérêt des phrases (ou des gestes) de certains et qui me conforte dans ma position d’observatrice. Chacune des personnes qui s’exprime, pense donner une information utile ou qui intéressera tous les autres, et plus, pense parfois réussir à convaincre l’auditoire. L’intervention est une tentative de créer un rebondissement ou un changement, ce qui peut même mener à une véritable dispute. De la même manière qu’un archiEn référence au texte Portrait de Lao-Tzeu par lui-même in BARTHES, Roland. op. cit. p. 30. 2 BARTHES, Roland, op. cit. p. 55. 1
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tecte pense, en construisant un immeuble particulier sur un lieu précis, pouvoir agir sur la ville et ses habitants. Les ambiances de disputes ont toujours été pour moi insupportable. Je n’ai pas été une enfant battue, ni grandie dans une famille se disputant à tout bout de champ, mais les peu de fois où mes parents ont élevé la voix entre eux, sur moi, mon frère ou ma sœur ont été des moments détestables. J’ai mis beaucoup de temps à réussir à rester dans une pièce lorsque des personnes sont dans une discussion plutôt tendue. J’ai toujours tenté de fuir ce moment. Dès que des personnes que je connais commencent à ne pas être d’accord et à le faire entendre, j’essaye régulièrement d’apaiser l’ambiance générale par une touche d’humour. Cela peut mener aux rires et faire passer la pilule pour arriver sur un autre sujet. Parfois, ça ne marche pas et vient le moment où les personnes se retournent, elles paraissent entièrement d’accord dans ce moment là, pour me demander : « et toi t’en penses quoi ? ». Elles me demandent ainsi de me positionner, de donner un avis mettant en avant l’une ou l’autre. Si je me place d’un côté il y a deux conséquences possibles : d’abord, l’autre admet son tort, la discussion est close et tout se termine bien. Autre possibilité, le débat est plus vif, l’attente envers moi est d’autant plus grande, la prise de position déclenche le départ d’une des personnes. Comme je ne sais pas laquelle des situations est la plus probable, je réalise alors une synthèse de la discussion avec les pours et les contres de chacun. Bref, je neutralise mon silence par la parole pour déjouer le conflit, je ne me positionne pas, je nuance les propositions. Vous l’aurez compris, le serial killer de tueurs en séries ne dort pas beaucoup. Cette fatigue qu’il accumule est un avantage pour lui. En effet cela le rend neutre et créateur. La fatigue est une lassitude, la lassitude donne envie de nouveau : la fatigue est créatrice. C’est sa fatigue et son silence en société qui déjoue l’opposition entre justicier-tueur et gendre idéal. 1
Comparons cette fatigue avec celle de Barthes1. BARTHES, Roland, op. cit. p. 42. 62
Fatigo : faire crever, français : être crevé. - Vous voyez bien qu’il y a similitude avec Dexter ! - Dexter sait ce qu’il fait en journée, il n’attire pas l’attention sur lui mais sur son travail, il s’exprime peu, donne peu son avis, sauf lorsque ça l’arrange. Il se rend inintéressant pour les autres, ainsi, personne ne se pose de question sur lui. Il montre ce qu’il n’est pas vraiment, son envers. Il est Neutre ! Son envers-verso cache son endroit-recto, ce qu’il est et ce qu’il défend réellement. Blanchot, L’entretien infini 1: « il semble que, si fatigué que vous soyez, vous n’en accomplissiez pas moins votre tâche, exactement comme il faut. On dirait que non seulement la fatigue ne gêne pas le travail, mais que le travail exige cela, être fatigué sans mesure. » Il aurait pu le dire à Dexter ! La fatigue est métaphysique, elle agit sur le corps. Ainsi, lorsqu’une personne est fatiguée, elle s’exprime moins qu’à son habitude. Que ce soit les expressions de discours ou corporelles. De plus, la demande de position dans la société est fatigante, « où vous situez vous par rapport à ? ». Répondre est fatigant. Devoir se positionner à tout bout de champ comme s’il fallait donner son avis sur tout pour être accepter par tous partout. C’est alors que le silence s’installe.
1
La fatigue est créatrice, le designer est il quelqu’un de fatigué ? De violent ? Use t-il de la ruse, tout comme Dexter ? Joue t-il avec le silence pour être accepté de tous ? Est-il le héros de l’utilisateur d’objets ?
BARTHES, Roland, op. cit. p. 47.
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LE NEUTRE ET LE DESIGN
Le béton a permis de nouvelles structures, de nouvelles apparences, de nouvelles techniques. Il est aujourd’hui utilisé par les architectes intérieurs et par les designers, surtout ceux qui utilisent des matériaux de type minéral comme le marbre ou le béton, qui essaient de s’affranchir du plastique et peut être de l’industrie ellemême. Comme par exemple Thomas de Lussac avec le marbre et Matali Crasset, directrice artistique de Concrete by LCDA (Light Concrete Design Art)1, société leader en France du secteur du mobilier contemporain et agencement d’intérieur en béton fibré. Ils explorent le matériau à travers une série de meubles et objets, montrent le béton dans ses dimensions matérielles et symboliques. Alors que d’autres objets sont fabriqués en béton et ses nombreuses déclinaisons, de nouvelles manières de travailler la matière et de nouvelles techniques apparaissent. Nous pensons à la Mold Lamp de Michel Charlot (2007), à la chaise de plage de Willy Guhl (1954) ou plus récemment au Stitching Concrete de Florian Schmid (2011). Les designers permettent de tester cette matière. Mais « étaler » 1
http://www.concrete-beton.com
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les différents designers qui utilisent le béton aujourd’hui ne nous intéresse pas. Interrogeons nous sur la présence de Neutre dans le domaine du design ou comment ce Neutre se révèle dans certaines situations. Vilèm Flusser1 décrit le mot design comme ayant une signification internationale. Il donne les traductions du substantif et du verbe. Cela donne différents termes comme projet, dessein, intention, mauvaise intention, conspiration, forme, configuration ou en tant que verbe simuler, esquisser, procéder de façon stratégique. Et selon son étymologie le verbe veut dire « dé-signer » quelque chose. C’est-à-dire lui ôter son signe. Quelque chose de design ne signifierait rien. Du moins, ne signifierait pas une seule chose. De plus le mot design annule le conflit entre la science et les arts, il les réunit. Si un Neutre ne peut être défini, il peut donc envoyer à divers sens ; si un Neutre annule une opposition, alors le mot design serait un Neutre. Mais dans quelles conditions le design est-il ou renvoie t-il au Neutre ? Alors que beaucoup d’objets « désignés » portent en eux des empreintes, des symboles, comment faire en sorte qu’ils ne soient pas aussi chargés ? Qui en est responsable ? Tout ceci est lié à la ruse. Le fait de donner forme à une matière fait croire que cette matière correspond à cette forme, le design est le fait de tromper la nature par le biais de la technique. Mais nous allons voir que ce n’est pas seulement une question de forme ou de matière mais aussi de création, de responsabilité, de choix et de relation.
1
Dé-signer
Ruse
FLUSSER, Vilém, op. cit. p. 7. 68
BON DESIGN
Il est vrai que la fabrication d’un objet est un métier comme un autre, c’est celui d’artisan. Dans ce domaine, l’objet est acheté pour sa fonction, son utilisation, pas parce qu’il a été fait par tel ou tel artisan. En effet, les objets peuvent référer directement à leur auteur par un signe particulier, une forme, une couleur, un style. C’est ce qui arrive le plus souvent à un objet créé par un designer. Si l’objet vendu représente la marque qui le commande et le commercialise ou même si par sa forme il ne représentera pas forcément la marque, il le fera par son étiquetage qui montre sa provenance ! Cette provenance peut ou non, devenir l’identité du créateur. Dans tous les cas, un objet peut représenter un style, être une de ses identités, un de ses symboles. Ce style aura pour but de plaire à un certain nombre de personnes car c’est ce qu’elles possèdent qui les représentent : du vêtement à la maison en passant par les meubles, électroménagers et voitures. Jasper Morrison est un designer industriel dont les objets sont simples et efficaces. En 1991, il publie un texte sur la non-importance de la forme1. Il développe la notion de style en parlant du designer comme celui qui en créerait un, mais en dénonçant l’importance donnée à l’apparence physique d’un objet. Il essaie de mettre en second plan le style et plus en avant la sensibilité de l’objet, sa subjectivité. La forme pourrait alors venir d’une idée, d’une fonction ou d’un sentiment. Même le fait de reprendre une forme existante ne serait pas du vol si c’est innovant. Bruno Munari, designer, plasticien, peintre et sculpteur milanais, compare un objet avec une feuille de figuier. Si elle est belle ce n’est pas grâce à sa beauté, à son style, mais « parce qu’elle est naturelle, née de sa fonction avec sa forme exacte »2. Le designer doit être objectif et aider l’objet à se former vis-à-vis de sa fonction. L’auteur dénonce la contradiction qui est la suivante : « un designer avec un style personnel réfléchi »3. Ceci ne serait pas possible car le designer est l’artiste de notre époque qui renoue le contact entre l’art et MORRISON, Jasper. “The unimportance of form”. in Ottagono n. 100, mai, 1991. 2 MUNARI, Bruno. L’art du design [1966], trad. A.Favre. Paris : Pyramyd. 2012. p. 24. 3 Ibid. p. 32. 1
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Style
Subjectivité
le grand public, et son unique préoccupation est de réussir, selon les paramètres de l’objet, à trouver la solution, la finalité de l’objet, même si sa forme n’est pas définitive car les techniques et les matériaux évoluent. De son côté, Dieter Rams, designer industriel principalement reconnu comme ayant travaillé durant une trentaine d’années pour Braun, écrit les 10 principes du bon design1 au début des années 1980 : Un bon design est innovant Un bon design rend un produit utile Un bon design est esthétique Un bon design rend un produit compréhensible Un bon design est discret Un bon design est honnête Un bon design est durable Un bon design est complet jusqu’au dernier détail Un bon design est respectueux de l’environnement Un bon design est aussi peu que possible design Ces principes du bon design mettent en avant l’esthétique et l’utilité du produit mais aussi son caractère. Lorsqu’il parle d’un design discret, Dieter Rams fait référence à une certaine sobriété et neutralité de l’objet. Ceci ayant pour but de laisser l’utilisateur s’exprimer autour de l’objet. En effet si un objet est entouré, encerclé d’autres objets, s’il est suffisamment autonome, il ressortira toujours parmi d’autres. Même pris dans un désordre, dans un mélange total, il sera visible. Certains objets de l’industrie sont destinés à être réunis, assemblés. C’est cet ensemble qui créé un objet autonome. Mais lorsque l’un de ces composants se retrouve seul, certaines personnes savent s’en servir et lui redonner une certaine autonomie ou responsabilité. Ce sont ces rebuts de l’industrie réutilisés que Jeremy Edwards2 cherche durant son reportage photo de 1997 à 1999. Ce designer parcourt l’Europe pour mettre en avant des créations faites pour être juste utiles. Ce sont des personnes lambda qui assemblent des objets trouvés par nécessité. Table, banc, anse, blocporte. C’est ainsi que Jeremy Edwards les nomme : par https://www.vitsoe.com/gb/about/good-design EDWARDS, Jeremy, Objets Anonymes. Texte de Raymond Guidot. Paris : Jean-Michel Place. 2000. 1 2
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leur fonction. « Un bon design rend un produit compréhensible », il doit exprimer l’utilisation de façon intuitive. Ici, c’est le cas. Mais ces objets ne sont pas tous esthétiques et ils ne sont pas tous destinés à être durable. En effet, ces objets insolites nés du « hasard et [de] la nécessité » vont droit au but sans surplus. Ces inventions instinctives restent tant que l’on en a besoin. Mais les pièces qui les composent font parties d’un bon design durable puisque elles sont réutilisées même après avoir été reniées de leur utilisation première. Ce sont des objets discrets qui permettent de laisser place à l’expression de l’utilisateur. Le designer change leur statut d’objet anonyme ponctuant les rues, tout en faisant ressortir leur originalité en objet, presque dits, de design en les mettant en avant dans une édition. Ils sont baptisés par leur fonction et par leur année de découverte. Comme peuvent le faire certains designers. Mais comme ils n’ont pas d’auteur, ce sont peut être eux les véritables objets « dé-signés » ! Ils s’imposent par l’évidence de leur fonction pas par leur provenance. Si un objet est positionné seul dans une pièce, c’est alors qu’il donne toute la signification de l’espace. Il en sera le seul signe. Sa nouvelle notoriété pourrait le mettre sur un piédestal voire dans un musée. Cela rappelle l’objet unique, celui qui a une grande valeur marchande, mais ceci est un autre design. Mais si l’objet respecte les dix principes de Rams, il ne devrait pas envoyer d’autres signes que son utilisation. Certes il sera beau, mais sans surplus. Moins, mais mieux, c’est le dernier principe : « revenons à la pureté, revenons à la simplicité ! ». L’objet doit laisser l’expression possible autour de lui, ça n’est pas une œuvre d’art. Il est autonome mais doit aussi laisser son autonomie à l’utilisateur.
DESIGN INDUSTRIEL
Dans le design industriel pour qu’un objet puisse s’adapter à l’espace de chacun il lui faut montrer peu de présence tout en ayant sa propre personnalité. L’objet doit renvoyer à différents sens et environnements pour s’adapter à tous les environnements. Cette pluralité d’images donne naissance à un Neutre.
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Fonction
Autonomie Utilisateur
Après la rencontre d’un designer et de son travail, je connaissais une station météo qu’il venait de designer. Elle est d’une forme cylindrique, assez simple qui peut s’adapter à tous les intérieurs. Lors d’un reportage du 13 avril 2013 durant les informations d’une chaîne de télévision, le journaliste présentait des objets avec applications. Ces nouveaux objets reçoivent des informations venant de l’utilisateur (une balance) ou de l’extérieur (station météo) et transmettent les informations par une application sur le Smartphone des utilisateurs. Lorsque j’ai vu la station apparaître à la télévision je me suis dit « c’est la station que le designer a dessiné ! », moi je le sais et je suis assez fière de l’auteur d’avoir un objet connu. Certaines personnes doivent aussi savoir que c’est lui qui l’a créé mais au fond, le journaliste ne le cite pas. Et il n’y a pas écrit le nom du designer sur la station, il n’y a pas d’indices qui seraient la signature de l’auteur. C’est ainsi que l’objet sera intéressant pour les utilisateurs. Ils achèteront la station pour sa fonction, non pas pour son auteur. Les objets sont pensés, dessinés, mais l’auteur n’est pas toujours mentionné. C’est ainsi que le designer est au service de l’habitat, au service de la société. Il doit créer des objets s’adaptant à n’importe quel contexte pour atteindre le plus de personnes possible, créer un objet qui va se vendre dans notre société de consommation, c’est l’objectivité. Le designer serait le producteur d’un dessin dont le dessein est reproductible1.
Auteur
Objectivité
Un représentant d’une marque pourrait dire à un designer : Dessines un produit – remarquez l’utilisation du mot produit - qui renverra directement à notre marque et se vendra super bien sur le marché. Il faut que ça plaise à tout le monde ! Mais surtout, surtout ne signes pas, ne montres pas que c’est toi qui l’as fait. Effaces toi, il ne faut voir que la marque. Est-ce en ce sens qu’un designer est Neutre, en s’effaçant ? Prenons l’exemple d’une marque et de son designer, Apple et Jonathan Ive. Jonathan Ive est devenu designer DESPOND-BARRÉ, Arlette. Agir sur le monde in Le Design : essais sur des théories et des pratiques / sous la direction de Brigitte Flamand. Paris : Institut français de la mode : Regard. 2006. pp. 68-73. 1
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pour Apple à partir de 1992. Il y aurait d’ailleurs retranscrit les principes de Dieter Rams. C’est pourquoi certaines similitudes existent entre des produits d’Apple et de Braun à l’époque de Rams, c’est-à-dire début des années 1960 à la fin des années 1990. Avec son équipe, ils deviennent les principaux acteurs de l’esthétique de la marque dessinant ses produits les plus célèbres. C’est alors que chaque produit devient reconnaissable : blanc immaculé, toujours les même arrondis, la même simplicité, l’efficacité du produit, le logo mais aussi le fait de pouvoir connecter les produits. Lorsqu’on ne sait pas que c’est ce designer qui est à l’origine du design, on pense tout de suite à la marque et au créateur de la marque, Steve Jobbs. C’est lui qui a rendu célèbre Apple, Jonathan Ive étant un de ses discrets outils. C’est dans ce cas que l’on se rend compte de l’importance de la publicité pour rendre une marque connue. Il en est de même pour les opticiens. Une publicité d’une marque de lunettes ne montre pas les designers mais bien le créateur de la marque. C’est lui qui vend les formes et couleurs des objets, ou bien ce sont des célébrités. Bien sûr ce cas n’a pas l’aura de la marque Apple, mais il reprend un de ses systèmes. En tout cas aujourd’hui, si Apple fait appel à un autre designer il faut que ce dernier respecte la charte graphique qui a été instauré. A vrai dire, il ne peut que faiblement intervenir, alors que BMW, par exemple, joue justement de la signature d’artistes pour vendre les séries spéciales de la marque, comme beaucoup d’autres constructeurs automobiles. Nous pensons aux interventions de Jeff Koons (2010) ou Andy Warhol (1979) sur les voitures sportives. C’est une action qui est présente depuis longtemps chez BMW, peut-être était-ce pour faire oublier le passé de la marque lors de la deuxième guerre mondiale, le travail forcé. Autre exemple plus récent, la marque Free a fait appel à un designer français : Philippe Starck pour dessiner sa box. Du moins pour la signer. Le nom du designer qui est déjà une marque serait un indice de bonne qualité. Cela servirait-il à Free pour relancer son marché et gagner les cœurs des adeptes d’un certain design français, celui de Starck ? Ou rendre accessible une de ses créations ? Qui vend qui ? Lequel se sert de l’autre ? Est-ce la marque qui met en avant le travail d’un artiste et en quelque sorte réactive son marché ? Ou est-ce l’artiste qui donne une nouvelle impulsion à la marque et lui ouvre des portes
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Marque
sur d’autres publics, plus adeptes de la peinture que de la voiture ? Peut-être est-ce seulement l’association de deux références étant en vogue sur le marché, qui montre que tout va bien. Par ailleurs, il est intéressant de souligner le fait qu’une marque de lunette privilégiera une star populaire pour promouvoir ses nouveautés alors qu’un opérateur téléphonique choisira un designer. Celui-ci ne serait peut-être pas encore vu comme un « héros » populaire…. Est-ce le métier ou la personne mise en avant qui veut ça ? Lors d’un entretien, Ruedi Baur évoque les « conséquences sur la société et à qui s’adresse la proposition » comme secondaire, alors que la priorité serait la « satisfaction du client »1. Le design serait surmédiatisé, soumis aux « stratégies d’une société de consommation »2 . C’est une remise en cause qui pose des questions sur la relation du design et du marketing. Nous rendons ici compte de l’importance de la proximité des deux domaines. Lorsque les produits sont à l’image de leur marque ou de leur auteur, Jasper Morrison parle d’un caractère pédigrée3. Il développe cette notion en précisant que les objets n’ayant pas de parenté particulière sont plus appréciés que ceux qui révèlent l’égo du designer. Il rejoint un des principes de Dieter Rams : de ne pas influer sur l’environnement de chacun autrement que par son utilité. C’est ainsi que le designer doit se camoufler, tel un bunker. Serait-il alors en état de conflit constant ? Plutôt en état de ruse. En plus de créer un objet pouvant aller chez tout le monde, il doit savoir s’adapter à l’environnement de chaque marque pour laquelle il travaille. Il doit être malin pour que l’on reconnaisse la marque, mais pas le designer – sauf si il compte s’inscrire dans le système du vedettariat. Il ne doit pas se laisser dépasser par sa volonté d’être reconnu. On peut ainsi renvoyer cette image à une citation de Hugh Casson, archi-
Caractère pédigrée
Utilité Camouflage
Le Design : essais sur des théories et des pratiques / sous la direction de Brigitte Flamand. Paris : Institut français de la mode : Regard. 2006. pp. 325-330. Entretien résultant de réflexions écrites de Ruedi Baur suivies d’échanges avec Brigitte Flamand. 2 Ibid. p. 326. 3 MORRISON, Jasper. “Immaculate Conception - Objects without Author”. in Ottagono n. 118, 1996. 1
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tecte durant la deuxième guerre mondiale, lors de l’essor du camouflage où les artistes et architectes en sont les maîtres. Il critique : « Certains concepteurs ont mis au point un style si personnel que ceux qui sont familiers avec lui reconnaissent à une distance modérée un objet camouflé par X ou Y. Peutêtre amusant esthétiquement, mais c’est sans doute du mauvais camouflage » 1. Cela signifie que si un designer est reconnaissable via un objet qu’il a dessiné, il serait un mauvais designer. Nous sommes dans le contexte du design industriel où l’objectif ne serait pas de mettre en avant le designer mais seulement l’objet. Si un designer travaille pour deux marques concurrentes sur deux objets ayant la même fonction, il ne doit faire référence qu’aux marques, pas à lui. Reconnaître qu’un objet commun au sein de la maison est signé par tel designer, annule toute neutralité de l’objet. Il n’est plus là pour la maison mais là pour montrer une référence, renvoyer ailleurs que l’intérieur. C’est alors que l’objet peut devenir signe d’une appartenance sociale. En effet, il sera toujours utile dans son utilisation. Si un objet est utilisé quotidiennement perdra t-il de sa valeur de part son usure ? Ou en gagnera t-il ? Car il montre qu’il est réellement fonctionnel, voire indispensable. C’est cette présence qui désigne l’être et le rang social du détenteur. L’objet doit travailler pour ne plus être le signe de prestige2. Alors que lorsque nous achetons un produit chez un artisan, un produit unique, il n’inspire pas forcément à une appartenance quelconque en tout cas pas celle que « l’objet design » unique fait référence. Celui-ci est au contraire de l’objet utile. Il n’est que la présence d’un achat souvent onéreux montrant que le propriétaire connaît ce monde, s’y intéresse, peut être en sauvegarde une partie mais en tout cas, le montre dans une certaine appartenance sociale et une préciosité. Au XIXe siècle, il existe une opposition entre la machine et l’artisan, l’artisan étant dans la construction de l’unique et l’industrie dans la production en série. Cette Architecture en uniforme : projeter et construire pour la Seconde guerre mondiale, op. cit. p. 204. 2 BAUDRILLARD, Jean. Pour une critique de l’économie politique du signe, op. cit. p. 11. 1
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L’objet doit travailler
production fait du fabricant une figure anonyme. Même aujourd’hui, lorsque nous achetons n’importe quel objet industriel car nous en avons besoin, on ne se demande pas qui l’a dessiné ou quelle entreprise l’a fabriqué. On ne connaît que la marque et l’usage. Le fait qu’une machine produise presque à l’infini le même objet lui donne un côté quasi banal de par sa multiplicité et sa présence quotidienne. Il devient anonyme. C’est avec l’école du Bauhaus, que l’industrie et la création ont pu être confrontées, mélangées. Même au travers de sept phases de changement de cette école en quatorze ans et au travers de la guerre, elle a réuni la science et l’artistique. Elle devient un véritable modèle pour les écoles d’art. Sa nouvelle dénomination après son renouveau à Dessau, est « école supérieure de conception de formes »1. Les principes du Bauhaus ont été retranscrits par Max Bill (1908-1994, élève du Bauhaus, puis principalement architecte), dans une nouvelle école à Ulm dont il est un des fondateurs. Il en prit la direction durant cinq ans, puis renonce à son poste suite à des désaccords avec ses collègues. Il est cependant l’auteur du magnifique bâtiment en béton qu’est l’école. L’école continua à exister une dizaine d’années en gardant la formation polyvalente mais adaptée aux exigences des techniques et sciences nouvelles2. Fonctionnalité et modernité : peut-être est-ce un des rapports les plus évident entre le béton et le design… Le béton a permis d’accéder à une nouvelle architecture, une architecture moderne avec le plan libre et le verre. Le design, lui, a permis de remplir les fonctionnalités d’un objet de son utilisation la plus évidente à une esthétique donnant envie d’utiliser l’objet. Le béton a des responsabilités de structures, il donne des fonctions à des bâtiments et des objets. Il fait qu’un immeuble sera utilisable dans sa totalité. Ne pas perdre de place, aller au plus haut, au plus solide. Et cette matière donne une esthétique que nous avons évoquée dans ce mémoire. Le design a lui aussi ses responsabilités. Ce domaine livre des objets à la population. Il a aussi le devoir d’innover pour avancer. Le designer aurait-il le rôle du maçon ? Appliquer correctement une matière pour
Fonctionnalité et modernité Béton et design
RICHARD, Lionel. Comprendre le Bauhaus. ESBA TALM Angers, mars 2013. 2 RICHARD, Lionel. Encyclopédie du Bauhaus. Paris : A. Somogy. 1985. p. 130. 1
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pouvoir avancer tout en ayant une certaine discrétion pour ne pas avoir plus d’importance que les objets eux-mêmes ?
DEGRÉ D’INTERVENTION
Nous l’avons vu dans la première partie de ce mémoire, l’action du maçon est très importante dans la finition du béton. Que ce soit lorsque le coulage s’effectue sur place mais aussi en usinage. L’homme doit toujours intervenir, de manière régulière, dans la réalisation des préfabriqués. Aidé de machine, il doit ajuster les moules, tendre les fers, placer les réservations. Bien sûr il répond à la commande et ne fait qu’exercer son travail. Mais sans son engagement, le résultat ne serait pas le même. Le designer, lui, peut choisir son degré d’intervention dans la fabrication de sa création. Selon la commande ou son vouloir, il dessine simplement un objet ou bien il peut aller jusque dans les ateliers de réalisation. Cela peut être la production d’une maquette rendant compte de la forme, de la taille, ou la réalisation de prototypes. Il peut avoir différents prototypes : pour la technique, pour les dimensions, pour la couleur ou encore pour la matière. Ces derniers permettent au designer d’aller dans tous les détails du produit. Il peut ainsi tout connaître, tout contrôler. Mais lorsqu’il produit seulement une esquisse, le dessin d’un projet, alors il ne peut contrôler sa fabrication. La production industrielle permet d’avoir le même objet reproduit à l’identique. C’est dans les années 1980 que Gaetano Pesce a réalisé une des premières expérimentations de l’aléatoire dans la production industrielle. Il réussit à créer une série différenciée, terme contradictoire. En commençant par la table Sansone en 1980, il arrive à rendre chaque table unique par le biais de la matière. Il utilise la résine de polyester moulée qui se laisse aller. Les contours et les couleurs sont alors différents à chaque table. A travers ce processus, il permet de fabriquer des pièces ressemblantes mais différentes. Tout cela est possible grâce à la matière. En laissant la matière agir seule, le designer pense s’écarter de l’objet, ne pas en être totalement l’auteur. Mais est-ce réellement le cas ? En effet, il décide quand même du matériau et un minimum de la forme. En agissant ainsi, il sait qu’il va retranscrire l’idée de l’aléatoire, mais en la mettant en avant, il se met en avant. Il y a une différence
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Préfabrication
Aléatoire Série différenciée Matière
entre laisser le matériau agir et vouloir le montrer, et faire avec les défauts du matériau. A travers sa série Ne Plus Dessiner 1, Martin Szekely veut laisser place aux objets personnels sur ses productions à travers leurs fabrications. Il utilise des matériaux pouvant s’effacer derrière ce qu’ils soutiennent. C’est la finesse et l’organisation de la matière qui permettent ce procédé. La bibliothèque devrait alors disparaître une fois qu’elle sera remplie du savoir de son propriétaire – c’est peut-être ainsi qu’on laisse l’utilisateur s’exprimer autour de l’objet. En parlant de plats en verre, le designer parle de hasard contrôlé. Ce hasard serait dû au fait de laisser la matière prendre sa place et prendre le contrôle mais le moment où la pièce se forme, est choisi. Mineral Design 2 est une exposition du Lieu du Design, Paris, proposant des objets de designers réalisés en verre et/ou céramique. C’est une monstration de l’alliance de l’artisanat et des designers. En lisant le dossier de presse, on s’aperçoit de l’importance donnée au designer, comme étant quasiment le dernier espoir de renouveler cette industrie. Cette exposition ne montre pas l’intérêt de la matière pour le designer mais plutôt l’intérêt de l’association de l’industrie et des designers afin de donner de nouveaux horizons. Si la matière est capable de s’auto-suffire, le fait de revendiquer son aspect aléatoire ou libre, n’éloigne pas le designer de sa création. Il en devient la figure. Mais s’il ne le revendique pas, il s’approche peut-être de l’artisan. Le designer essaierait-il de se prendre pour un artisan ? Il laisserait son empreinte – digitale – à travers la fabrication manuelle, ou du moins, son intervention dans la fabrication. C’est une tentative à s’impliquer totalement dans sa création mais ne laisse pas ses objets anonymes. Ceux-ci conservent sa signature. Jean Baudrillard3 développe la question de la signature à travers l’art contemporain mais nous pouvons transférer ses interrogations sur les objets. [Exposition. Paris, Musée national d’art moderne-Centre de création industrielle. 2011-2012]. Martin Szekely, ne plus dessiner. Dir. Françoise Guichon, Martin Szekely, PhilippeAlain Michaud. Paris : B42. 2011. 2 http://www.lelieududesign.com/actualite/mineral-design. Exposition Le Lieu du Design, du 25 avril au 06 juillet 2013. Paris. 3 BAUDRILLARD, Jean. Pour une critique de l’économie politique du signe, op. cit. p. 114. 1
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Tout d’abord, l’objet signé lui donne une singularité, et la signature désigne l’acte de peindre ou dessiner. Mais il y a là une opposition. En effet, la signature est l’acte de designer alors que « dé - signer » est le fait d’enlever les signes. La signature est un signe parmi les signes mais il a un autre statut. Il réfère à un sujet extérieur à l’objet : l’auteur. Dans un ensemble d’objets créé par un même créateur, sa signature répétée effectue toujours un rappel de lui-même, de son absence. Elle est un signe car elle est homogène dans son sens. Elle fait partie des codes de l’objet mais un des codes que l’on n’a pas besoin de déchiffrer. « La signature introduit l’œuvre au monde différent de l’objet »1. Pouvons-nous dire que la signature introduit l’objet au monde différent qui est l’œuvre ? Oui, peut-être, mais cela ne dépend pas que de la signature. Dans tous les cas elle ne remet pas en cause le sens ou la fonctionnalité mais ajoute une valeur de différence, l’objet peut même devenir un objet culturel. C’est peut-être une des solutions pour faire partie de la culture, signer tout ses objets et attendre d’être reconnu dans le milieu. C’est une des ambiguïtés du designer, être dans la réponse de la demande de l’industrie ou vouloir s’en détacher et éventuellement être critiqué d’essayer à tout prix d’être reconnu en oubliant parfois l’acte de designer ou « dé -signer »… Même si les objets technologiques d’Apple rappellent toujours par leur esthétique autant qu’avec le logo qu’ils appartiennent à Apple, ils font partie des objets les plus anonymes. En effet, les nouveaux objets technologiques sont vendus pour leur esthétique et leur praticité mais aussi pour ce qu’ils proposent. C’est-à-dire des fonctions immatérielles : des applications. Ces applications se retrouvent aujourd’hui au sein d’objets qui nous entourent, appartenant à diverses marques. Bien entendu, les ventes se font à travers ce que chaque marque représente et ce pour quoi elle est appréciée même si les objets sont les mêmes. Les objets sont écartés de leurs créateurs mais pas de la firme à qui ils apportent de la rentabilité. BAUDRILLARD, Jean. Pour une critique de l’économie politique du signe, op. cit. p. 114. 1
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Signes
Absence
Technologique
Le designer Neutre serait-il celui qui laisse place à la matière, même si cela a l’air encore difficile ? Celui qui serait dans la création d’objets technologiques ? Ou celui qui respecterait les 10 principes du bon design de Dieter Rams ? Dans le premier cas, le designer annule la répétition, l’homogénéité de la série. Il peut être Neutre au sens de Barthes c’est-à-dire qu’il est le troisième sens qui annule l’opposition de deux autres. Il annule le conflit entre le design industriel et le design de l’unique. Celui de l’objet seul et de la série ? Si chaque objet est différent, il aura une raison d’être vendu seul, du moins, chacun aura son objet unique. Il neutralise, annule l’effet de la machine qui consiste à reproduire la même chose, mais seulement, s’il arrive à introduire ce procédé dans l’industrialisation et pas dans la fabrication artisanale. Dessiner des objets technologiques est peut être plus neutre encore car il faut à tout moment penser à la fonction. Que ce soit l’équipement sportif ou des véhicules, tout doit être fait pour être performant, pour dépasser des limites car ce sont des objets nécessaires. Ils sont attendus par ceux qui en ont véritablement besoin. Nous pensons surtout aux objets techniques médicaux. Ceux qui peuvent être les remplaçants d’une jambe pour permettre à son propriétaire de courir. Cela doit être innovant et fonctionnel. De plus, ce sont généralement des objets fabriqués par des machines. Celui qui fait du bon design à la Dieter Rams reste designer. Il peut tout concevoir donc être neutre ou non selon ses créations. Il peut se retrouver dans les deux cas précédents.
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Y A T-IL UNE ESTHÉTIQUE DU NEUTRE ?
Au fur et à mesure des exemples donnés, nous avons pu constater certains éléments qui seraient des caractéristiques du Neutre. Dans un premier temps, dans son aspect visuel, récapitulons celles qui apparaissent plusieurs fois ou qui semblent être les plus intéressantes, les plus flagrantes.
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COULEUR
Tout d’abord, la couleur. A l’inverse des aprioris, ça n’est pas le gris unique qui est la couleur Neutre. Même si par ailleurs, le gris neutre existe dans le domaine de la photographie, il ne donne pas des photos grises, il limite la quantité des couleurs. Bref, la couleur Neutre est une nuance. En effet, le fait d’être en présence d’un camaïeu de n’importe quelle couleur permet de ne pas s’arrêter sur la signification de la couleur de départ. Si un monochrome rouge est la signification de sang ou d’amour, son camaïeu permet de diversifier les sens. Ainsi, dans les peintures de Rothko, nous pouvons nous plonger corps et âmes dans la profondeur des couleurs, se laisser guider par notre imagination. Et si nous nous arrêtons sur une couleur, il suffit de regarder celles qui l’entourent pour annuler l’effet d’oppression de cette dernière. Donc, le gris peut être une couleur Neutre si il est accompagné de ses nuances. C’est ainsi qu’une ville dénudée de ses ornementations, peut devenir Neutre à travers ses nuances de bétons. La nuance est Neutre mais pour nous contredire voici un autre exemple. Lors de la première guerre mondiale, les bateaux de guerre étaient peints par les cubistes. Ils imaginèrent un système de motifs devant empêcher tout radar de reconnaître la forme générale du bâtiment. Ils créèrent la peinture dazzle. Cette forme de peinture est un système de camouflage juxtaposant des couleurs opposées. Ainsi, formes et motifs protégeaient ce qu’ils recouvraient par une sorte d’illusion. En apparence, ces deux méthodes sont opposées. Mais elles ont un objectif commun : celui de neu-
Nuance
Dazzle Camouflage
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traliser une signification, un signifiant, une couleur ou un objet. La répétition est une forme que nous avons retrouvée. Tout d’abord, elle permet une organisation homogène dans No Stop City. C’est la grille répétée qui permet à chacun d’investir les lieux comme il le souhaite. La répétition d’un même logement rend là aussi un territoire sans sens ou annulant toutes différences entre les habitants. Ce sont les lotissements. La répétition est aussi utilisée pour le camouflage. En effet il s’agit d’un motif répété censé recréer l’environnement existant jusqu’à ne plus savoir où est le vrai du faux. La répétition donne lieu à une homogénéité. Elle annule tout ce qu’elle recouvre et représente. CRÉATION FABRICATION
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Nous l’avons vu, un objet, tout comme une architecture, peut faire référence à son créateur, à sa marque, sa fonction ou à un rang social. Un objet peut donc être signé mais en faisant référence à autre chose qu’à son designer. Nous l’avons vu pour BMW où l’artiste et la marque de voiture sont main dans la main pour promouvoir leurs deux domaines, leurs productions. Cela permet de mélanger les domaines mais les objets prennent encore plus d’empreintes, d’identités. Mais lorsqu’un objet est renouvelé ou rend hommage à un autre artiste, celui-ci est-il Neutre ? C’est une histoire ambiguë entre la copie et le renouveau. Lorsque Yves Saint Laurent créé la robe Mondrian, c’est un hommage au peintre. L’objet annule le conflit de la copie puisque c’est une translation de la peinture au textile. C’est un renouveau de l’œuvre
Répétition
Mélanger les domaines Identité
par le biais d’un autre medium. Le designer a le choix de signer, ou d’aller jusqu’au bout de son objet, dans sa fabrication. Mais jusqu’à quel degré d’intervention peut-il aller pour ne pas interférer dans la présence de l’objet ? Peut-être peut-il aller jusque dans la fabrication, l’assemblage mais sans le dire ou sans faire l’objet. Il peut suggérer et transmettre ses volontés tout en laissant l’objet prendre sa propre identité. Pour cela, il doit être silencieux et ne pas promouvoir son action de façon totalitaire. C’est donc par le biais du silence lors de la création, de la phase esquisse, que le designer peut être Neutre, d’une part. C’est peut être son rôle d’être silencieux et de créer pour une industrie. Heureusement, au cours de sa carrière il peut varier les plaisirs et tenter de créer un objet pour lui, le représentant. D’autre part, c’est aussi à travers la fabrication de son produit qu’il peut être Neutre, par son degré d’intervention. Mais dans l’industrie, il ne peut intervenir réellement, ce sont les machines qui exécutent les pièces et les assemblent et la décision en amont a souvent été le lieu de discussions et de compromis. La fabrication d’un objet est divisée, répartie entre plusieurs services ou individus, il peut donc être difficile d’avoir un seul responsable du résultat de l’objet. FORME ET MATIÈRE
La matière doit avoir la même consistance, la même homogénéité. C’est le cas pour le béton, faisant ainsi sa force. Tous ses ingrédients et leur mélange, doivent être homogènes. Au moment du coulage, la matière doit
Degré d’intervention
Silence
Industrie
Responsable
Homogénéité Béton
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être placée de manière régulière et le vibrage du béton doit s’effectuer partout pour qu’il n’existe pas de faiblesse à un endroit. Mais si l’on repense aux objets qui nous entourent, c’est le plastique qui est le plus présent. Le plastique sous toutes ses formes, sur-utilisé depuis sa création, permet une multitude de demandes. Un objet plus ou moins solide, durable, élastique, lumineux, translucide, recyclable… tout comme le béton il peut prendre les formes que l’on veut dès lors que le moule peut être fabriqué. Le plastique est la matière de l’industrie. Matière brute ? Si la finition du matériau doit renvoyer à un rang social alors il ne fait pas de l’objet un Neutre. Peut-être, tout comme la couleur, les deux aspects doivent être nuancés ? L’aspect lisse permet que les dépôts et la poussière, par exemple, ne s’accrochent. Quant à l’aspect brut, il permet que l’utilisateur puisse s’approprier la matière. En effet, il peut ainsi choisir la texture qu’il désire, de laisser le béton tel quel ou de le retravailler. Alors que Jean Baudrillard associe le brut à un rang social privilégié, le brut a un rapport plus proche de son détenteur. A ce moment là, c’est plutôt son propriétaire et son environnement qui lui donnent son rang social. Quoi qu’il en soit, la matière est toujours liée à la forme. La forme décidée est imposée à la matière. Mais la forme n’apparaît pas sans matière et celle-ci contient la forme. C’est elle qui pose les limites physiques de la matière par ses lignes et ses plans. Mais que voit-on en premier ? La forme ou la matière ? Est ce
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Plastique
Lisse Brut Appropriation
que l’une des deux prend le pas sur l’autre ? Si la peinture dazzle, donnant lieu à l’illusion d’une autre forme, est la matière et le bateau sa forme (et son support), alors l’un prend le pas sur l’autre car la matière ne révèle pas la forme, elle en joue. Mais elle permet de la protéger et de la conserver. Mais quand notre environnement intérieur est entièrement en plastique, la matière n’est pas la plus importante, c’est la forme qu’elle prend et qui permet certaines utilisations. Le monolithe est-il la forme qui serait la plus Neutre ? Ce qui est intéressant avec le monolithe c’est que ce n’est en fait pas une forme. C’est la définition d’une forme. C’est-à-dire une uniformité plastique enfermant un vide infini. Sa forme n’étant pas réellement définit physiquement, elle n’est qu’une suite de caractéristiques. C’est une homogénéité extérieure et intérieure avec un rapport certain entre les deux. Il peut jouer de l’envers et de l’endroit et sa présence fait généralement débat sur ce qu’il peut représenter. Ainsi, le monolithe peut être idéal pour le neutre. UTILISATION
Une fois réalisé, le produit doit correspondre aux attentes des utilisateurs. Ce sont des attentes de l’ordre de l’esthétique mais aussi du fonctionnel. L’objet le plus durable est celui qui fonctionnera le mieux. Le plus apprécié pour son prix, celui qui sera utilisé régulièrement, le plus efficace. Il faut bien entendu ajouter à cela son image, forme et couleur. Tout ceci est normalement respecté si on suit les principes de design par Dieter Rams.
Monolithe
Uniformité plastique
Envers et endroit
Esthétique Fonctionnel
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Après son achat, l’objet est utilisé. Il est stocké lorsqu’il ne sert pas. A ce moment là, il renvoie une autre image. C’est un objet en attente, il ne doit pas se faire plus voir qu’un autre. Si un objet est placé sur un meuble, de manière isolée et très visible, c’est qu’il a une valeur pour son détenteur. Si l’objet fait directement référence à son auteur, c’est alors l’objet qui fait la valeur de son détenteur. Cela signifie que l’auteur, le designer, est reconnu. Si la pièce est mise en valeur c’est qu’elle a un certain prix. Le détenteur a pu l’acheter, il a une certaine richesse qui le lui permet et en plus il s’intéresse au domaine appartenant à l’objet. Si ce dernier doit être Neutre, il ne doit en aucune façon envoyer tous ces signes. D’ailleurs, un objet dé-signé, ne doit pas avoir de signes. LE NEUTRE, UN STYLE ?
Le Neutre peut-il devenir un style ? Il l’est peut être déjà. Le béton serait-il alors le matériau par excellence pour être le digne représentant du Neutre ? Il est homogène, peut prendre la texture que l’on veut, la forme que l’on désire, et même la couleur. Alors que ce matériau est fascinant et peut prendre toutes les formes, a-t-il sa place dans l’industrie du design ? Le monolithe, du moins sa signification de vide infini, serait-il la forme du Neutre ? Si tout cela est exact, le Neutre serait un monolithe en béton représentant les nuances d’une couleur ou plutôt de sa matière, ayant diverses significations sans faire référence ni à son dessinateur ni à son fabricant. Un monolithe
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Dé-signer
camaïeu, utilisant la répétition où on ne reconnaîtra ni la marque ni le designer et bien entendu fait en béton. Il faudra aussi que son utilisation et sa fonction soit primordiales. Peut-être même qu’il devra être technologique et fabriqué en série. Mais est-ce la véritable question ? L’esthétique du Neutre se fabrique t-elle ? N’est-elle pas plus intéressante à détecter, à chercher, qu’à réaliser ? Alors que l’aspect et les questions que soulève l’esthétique, la question du comportement et du rôle du designer est tout aussi intéressante. Tout comme la relation entre le designer et l’objet Neutre.
Comportement et rôle du designer
Vouloir créer du Neutre pour le faire l’est-il vraiment ? Le designer ne le fait-il pas tous les jours en réalisant des objets qui seront produits industriellement ? Ils devront plaire au maximum de personnes pour être vendu le plus possible. Le designer met-il son travail dans les mains de la société de consommation ? En est-il dépendant ? Son travail en estil influencé ? Dans un deuxième temps, un Neutre doit annuler une opposition. Opposition entre le designer et la société de consommation ? Ou une opposition au sein de la ville ou de l’habitat ?
Opposition à annuler
Nous sommes dans ce double apport du Neutre. D’une part son esthétique, ses caractéristiques que nous venons de synthétiser, d’autre part sa fonction.
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Dans son objectif, un Neutre met fin à un conflit matériel ou immatériel. Le conflit rappelle les notions de violences, de différences. Cela peut être bruyant et l’objectif est d’intervenir dans ces conditions. Pour stopper cela, notre Neutre doit-il être plus bruyant ou plus violent que les opposants ? Nous avons vu qu’il ne faut pas qu’il se taise, cela ne serait pas utile, mais il n’est pas non plus obligé d’être plus agressif que les autres. Mais cette agressivité serait nécessaire pour être à l’origine de nouvelles créations, pour repartir à zéro.
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Agressivité
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ANNEXE
LE NEUTRE EST IL REPOSANT ? Une des images du terme neutre que l’on peut avoir est celle du repos. Un espace neutre où tout peut s’adapter. Un objet qui n’a pas de réel impact sur son environnement. Alors que nous l’avons vu, lorsque l’on neutralise un espace, tel que la gare, son environnement est transformé. Il n’a plus les mêmes fonctionnalités qu’avant. On aurait pu penser qu’un espace neutralisé tomberait dans l’oubli de part sa non-fonction ; au lieu de ça, il devient un nouvel environnement, il a un impact direct sur ce et ceux qui l’entourent. L’architecture influe sur le comportement, sur l’homme. En est-il de même pour un objet plus petit ? Un monolithe peut ainsi inspirer une nouvelle architecture créant débat et oppositions. De son côté, l’objet Neutre n’est pas celui qui fait débat où change le caractère d’un environnement, c’est tout le contraire. L’objet Neutre ne modifie pas l’espace qui l’entoure, il s’y intègre. L’objet Neutre s’intègre à son environnement et peut en modifier son caractère. Il peut faire partie de différents espaces. Il est fait de manière à être du bon design. De la même façon qu’il ne fait référence ni à son créateur ni à la marque qu’il représente. La question de savoir si un lieu, un objet ou une personne est Neutre n’est pas de tout repos. D’ailleurs, nous avons vu que le conflit et la violence revenaient souvent. Soit parce qu’un Neutre annule un conflit, et le conflit peut être son lieu de création, soit parce qu’il est source de violence, de destruction, mais toujours dans un objectif et un après positifs. 95
L’environnement m’entourant dans mon quotidien change depuis des mois. Ces actions auxquelles j’assiste tous les jours me surprennent et m’interrogent. Je décide alors de fixer ces moments par le biais de la photographie de manière instinctive ou programmée. Les photographies qui suivent, m’ont permises de mettre des images sur des textes, d’approfondir ou de simplement comprendre ce qui est dit.
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LE CARACTÈRE DESTRUCTEUR Le caractère destructeur est un texte de Walter Benjamin. Ce texte a été une grande découverte, une révélation. Alors que je constate des destructions partout, ce texte donne une autre image de la destruction et de ses auteurs, une image que je définirais de positive. Détruire pour prendre une bouffée d’air, pour faire table rase du passé pour laisser le créateur concevoir l’avenir. Les destructions que je constate se sont transformées en plans vides horizontaux accueillant aujourd’hui d’une part un parking, d’autre part un lieu en attente, peut être d’une nouvelle construction.
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«CE QUI ARRIVE»
Plus tard, je découvre qu’un autre (et sûrement beaucoup d’autres) avant moi s’intéresse aux destructions et catastrophes. Dans son ouvrage Ce qui arrive, Paul Virilio analyse les accidents et incidents dus à la nouvelle vitesse de notre civilisation. Effondrements, explosions, cyclones, inondations, incendies... L’invention de nouveaux modes de transports de plus en plus rapides amène de nouveaux accidents (la voiture, le train, l’avion).
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MURMURER
C’est cette gare qui m’a inspirée pour parler des murs murés de parpaings. Ce lieu, ainsi que ceux traités de la même manière, apporte toujours un nouveau rapport à l’espace. En effet, au lieu de traverser, on contourne. La gare est un lieu souvent bruyant, ici, elle devient silencieuse jusqu’à s’en inquiéter. Elle ne crie plus, elle murmure.
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LE BEAU BÉTON
Le livre de Denis Morog intitulé Le beau béton, m’inspira pour mettre en avant les qualités esthétiques du béton. A travers la construction d’un parking semi-enterré près de chez moi, j’ai pu suivre la construction, l’évolution de la matière. C’est le jeu entre éléments finis et en attente qui m’a intéressé. Aussi, la mise en valeur de la construction par la lumière donnant un jeu d’ombres a été une source d’inspiration pour la photographie.
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SANS PRÉSENCE
Rue vide, sans homme. C’est ce que montrent Eugène Atget et Nicolas Moulin. L’un par le biais de la photographie, l’autre par le montage. Un siècle les sépare. Comprenant ce qu’ils montrent, j’ai voulu réaliser une même photo pour m’approprier cette scène, cette sensation de rue vide mais aussi du photographe solitaire, moment de silence.
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WE DID IT ! Une chose que j’ai régulièrement remarquée dans mon entourage : « signer son béton ». En effet, dans notre culture populaire, on ne fait pas toujours appel à un professionnel du béton pour effectuer ses travaux. Le béton est une matière que nous pouvons faire chez nous avec un peu de connaissance et de bons outils, sinon on fait appel à des camions toupies pour livrer beaucoup de matière. Lorsque quelqu’un décide de faire une terrasse en béton, il peut demander de l’aide aux voisins, aux copains et à la famille pour préparer. Ensuite le béton est livré. Tout le monde s’affaire. A la fin, avant que le béton soit pris, le propriétaire peut graver la date de la construction. Cela pour se souvenir, laisser une trace et peut être dire « nous l’avons fait ». Chaque personne qui a aidé se retrouvera dans cette date et on se remémora cette journée de solidarité jusqu’à ce que la terrasse soit recouverte.
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DO IT YOURSELF
Ce cendrier que j’ai fait à partir de restes de béton, d’un bout de tasseau et d’un carton qui traînaient là, a été réalisé de manière improvisée. Cette réalisation inattendue m’a permis de révéler que le béton est un matériau que l’on peut utiliser chez soi, et qu’il n’y a pas besoin de clou ou de vis pour faire un objet. Ce Do It Yourself pourrait se décliner en plusieurs objets. Le principe ici est d’avoir une forme et une contre forme. Le carton, n’étant pas étanche, a absorbé de l’eau du béton ( laitance ) et s’est déformé. C’est pourquoi le cendrier n’a pas de limite droite. Le moule et la contre-forme n’étant pas du même matériau, l’objet a deux esthétiques. Son extérieur plus lisse, s’adapte à son environnement, permet d’être manipulé. Son intérieur plus rugueux permet l’écrasement de la cigarette.
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J’ai décidé de laisser ce cendrier à la portée de tous, à l’école. Sans dire que j’en été l’auteur, je l’ai laissé s’imposer par sa fonction. C’est un objet qui travaille. Il reste là, permet d’avoir une terrasse sans mégot, une place propre. Tout ce qui l’entoure n’est pas perturbé de sa présence. Serait-ce un objet anonyme ? Il ressort dans son environnement sans le déranger, mais en le modifiant de manière positive tout en réunissant ses occupants.
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BIBLIOGRAPHIE
Ouvrages
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Film
KUBRICK, Stanley. 2001 : l’odyssée de l’espace. D’après l’œuvre de Arthur C.Clarke. Metro-Goldwyn-Meyer. ÉtatsUnis : 1968. 156mn.
Sites internet
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GAITÉ LYRIQUE. Interview de Nicolas Moulin par Julien Bécourt le 9 octobre 2012. [En ligne] Disponible sur : http:// www.gaite-lyrique.net/gaitelive/nicolas-moulin-intra-terrestre-un-artiste-a-la-croisee-des-fins-du-monde (consulté le 16 avril 2013) INFO CIMENTS. La base documentaire de référence sur les ciments et les bétons. [En ligne] Disponible sur : http://www. infociments.fr/betons/historique (consulté le 24 mai 2013) LE LIEU DU DESIGN. Actualité du lieu sur les expositions. [En ligne] Disponible sur : http://www.lelieududesign.com/ actualite/mineral-design (consulté le 01 juin 2013) VITSOE. [En ligne] Disponible sur : http://www.vitsoe.com/ gb/about/good-design (consulté le 10 mai 2013) Série TV
MANOS, James Jr, Dexter. États-Unis : Showtime. 2006.
Conférence
RICHARD, Lionel. Comprendre le Bauhaus. ESBA TALM Angers, mars 2013.
Œuvres
CHARLOT, Michel, Mold Lamp, Lausanne, Suisse. 2007. MOULIN, Nicolas. Vider Paris. Montages numériques. 19982001. NIEMEYER, Oscar, Brasilia. Brasilia, Brésil. 1960 PARENT, Claude, VIRILIO, Paul, Église Ste Bernadette. Nevers, France. 1966 SCHMID, Florian, Stitching concrete. 2011.
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Iconographie par ordre d’apparition
Bunker, image extraite de VIRILIO, Paul. Bunker Archéologie. Paris : Les éditions du demi-cercle. 1994. p. 176. ViderParis, image extraite de MOULIN, Nicolas. Viderparis, textes de Norman Spinrad, trad. R.C.Wagner. Paris : Isthme. 2005. No Stop City, image extraite de la page : http://www.fraccentre.fr/collection/collection-art-architecture/index-des-auteurs/auteurs/projets-64.html?authID=11&ensembleID=42
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REMERCIEMENTS Je remercie tout d’abord ma directrice de mémoire, Catherine Geel, ainsi que mon Ami m’ayant permis de nombreuses approches du béton. Ensuite, ceux qui ont pris le temps de m’aider et me soutenir, Alexandre Moronnoz, Denis Brillet, mes amis, Jean-Christophe, Marinette, Jeanne et ma famille, Brigitte, Aline et Julien.
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NEUTRE ET BÉTON Direction : Catherine Geel. Équipe-option Design : Sophie Breuil, Denis Brillet, David Énon. Helvetica LT Std. Soutenance le 29 janvier 2014. Membres du jury : Présidence : Olivia Bianchi, Docteur en Philosophie de l’université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne et maître de conférences. Chargée de cours en Lettres et Arts à l’université de Paris 7 Denis Diderot. Denis Brillet, architecte DPLG, BLOCK Architectes. Professeur à l’Esba Talm. Catherine Geel, historienne, professeur des écoles nationales supérieure d’art, co-directeur Dirty Art Department, Sandberg Instituut - Master of Rietveld Academy, Amsterdam. Chargée de cours en histoire et théorie du design à l’Ecole normale supérieure de Cachan.
Édition Blurb Achevé d’imprimer en novembre 2013 Édité à 15 exemplaires © Sophie Vaugarny Esba-Angers / TALM www.angers.esba-talm.fr
Résumé
Neutre et Béton a pour but de réinterroger une notion développée par Roland Barthes dans les années soixante-dix et de redécouvrir une matière première dans le domaine de la construction. Ces deux termes sont présentés à travers des exemples tirés de l’architecture, du design mais aussi de la littérature et de la photographie. Le bunker, valorisé par Paul Virilio, le traitement de surface, étudié par Jean Baudrillard ou les fictions de Nicolas Moulin feront parties de ces exemples. Les questions se succèdent autour de cette notion présentée par le philosophe en 1977 comme étant un élément déjouant l’opposition entre deux autres. Comment représenter un Neutre ? Quel en est son esthétique ? Le béton en fait-il partie ? Nous verrons que certaines formes de Neutre existent déjà au sein de l’architecture et que le Neutre peut être un comportement que l’on retrouve chez le designer. L’objet Neutre ne se définirait alors pas seulement à travers sa fonction et son esthétisme mais aussi à travers son designer et son mode de fabrication.
Abstract
Neutral and Concrete aims to re-examine a concept developed by Roland Barthes in the seventies and rediscover a raw material in the field of construction. These two terms are presented through examples from architecture, design, but also literature and photography. The bunker, valued by Paul Virilio, surface treatment, designed by Jean Baudrillard or fictions by Nicolas Moulin will be part of these examples. Questions follow each others around the concept presented by the philosopher in 1977 as an element foiling the opposition between two others. How to represent a Neutral ? What is its aesthetic? The Concrete is a part of it? We will see that some forms of Neutral already exist within the architecture and the Neutral can be a behavior that we found in the designer. The Neutral object may be define not only through its function and its aesthetics but also through its designer and its manufacture’s method.