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FORGE DES MONTAGNES

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Dans son atelier biscornu accroché Aux Chapelles, Stéphane Thomat forge ses couteaux, comme on forge un homme. Le regard perdu dans les reliefs de La Plagne, libre comme l’air, il vit à sa manière, entre inspiration hasardeuse et charbons ardents, chaud devant !

PAR MAGALI BUY

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Stéphane Thomat

© Cécile Bouchaye

"L’artisanat, l’humain et l’art de

vivre, Stéphane représente tout ça à la fois. Ses couteaux ont vraiment une âme, quelque chose de différent…”,

lance Maxime Meilleur, chef triplement étoilé de La Bouitte à Saint-Martin-deBelleville en Savoie. De quoi aiguiser notre curiosité… C’est en forgeant qu’on devient forge-ron, dit le diction. A 45 ans, les coups d’épée dans l’eau, il a donné. Stéphane sait aujourd’hui ce qu’il veut. Battre le fer, là, en pleine nature, marteler et griffer à l’envi, tailler son métier sur mesure et jouir de la vie. Et c’est depuis sa forge, à quelques lacets de Bourg-Saint-Maurice, qu’il m’accueille, le visage encore griffonné à la suie.

BRASA la forge des

ETATS DE L’ÂME

Et il entame direct. Il ne peut pas dire d’où lui vient cette passion, elle transpire depuis toujours. “J’ai été très proche de l’univers médiéval fantastique quand j’étais gamin. Conan le Barbare, les dragons, les jeux de rôles... La forge y est au centre, le lieu où on fabrique les armes aussi. C’était emblématique pour moi et ça l’est toujours.” Alors Stéphane bricole très tôt, un peu comme tous les intrépides. Il se confond dans un imaginaire qu’il chérit, mais n’en oublie pas le pragmatique pour autant. Il s’oriente dans la com’ et la trentaine pointant, quitte Toulouse, sa ville natale, pour s’installer en 2009, aux Chapelles, en Savoie. “Ici, c’est la maison de mes grands-parents où je passais tous mes étés. Je ne me suis pas foulé en fait, je suis venu vivre sur mon lieu de vacances ! J’y ai des souvenirs forts, des grands moments de bonheur…” Et si les montagnes réchauffent son quotidien désormais savoyard, quelque chose lui manque. “A mon arrivée, je me suis occupé de la communication digitale de La Plagne, mais je ne m’épanouissais pas. A cette époque, je faisais déjà des couteaux pour la famille, pour des amis, à mes heures perdues, et puis je me suis dit que tout ce temps passé devant l’écran, pourquoi ne pas le passer à forger, dans un atelier.” Son lieu de vie s’y prête, alors feu !

AU CHARBON !

Il prend alors un congé sabbatique de 11 mois pour trancher dans le vif du sujet et tente le tout pour le tout : “J’avais déjà fait une formation diplômante sur la forge médiévale, pour appréhender les bases, sa conduite et l’utilisation du charbon. J’ai appris à faire des pointes courtes - pour les clous -, des pointes longues, torsades, carreaux d’arbalète, pour finir avec un petit couteau celtique (une lame dont l’acier se prolonge pour former le manche). Mais en dehors de ça, j’ai tout appris tout seul, en forgeant…” Comme quoi… les dictons ont du bon. Enclume, forge et coup de marteau et go, go, go.

ESPRIT BIEN FORGÉ

Stéphane achète son matériel petit à petit, se familiarise avec le travail du bois pour ses manches et du cuir pour les lanières. Il forge encore et encore et

© Cécile Bouchaye

inonde les marchés artisanaux. “J’ai fait mon stock et je suis allé partout, tester mon produit. J’avais 11 mois pour me décider, et ça a marché ! ”. La communication digitale peut accrocher son tablier, la Forge des Montagnes est née. Il vend alors ses couteaux, dagues et lames en tous genres par bouche à oreille et dans quelques boutiques du coin. Le forgeron trouve ainsi son équilibre entre un imaginaire fantastique qu’il martèle sur l’enclume et la liberté de s’évader en pleine nature dès que ça lui chante. Et c’est en 2018 que la vie lui sert un joli cadeau, quand sa route croise celle du chef Maxime Meilleur : “ j’étais passé livrer une boutique et il était là, un de mes couteaux entre les mains. Il a demandé au commerçant à me rencontrer… Ça tombait plutôt bien ! J’étais là… Il a aimé mon travail et voulait des couteaux de table pour son restaurant. Je ne savais même pas qui il était, et je lui ai répondu que de toute façon, je ne faisais pas de série ! Mais il a tellement insisté qu’il a fini par éveiller mon esprit créatif. Alors on s’est mis à travailler sur le sujet à la condition de me laisser honorer les commandes en cours, j’en avais bien pour deux ans ! Aujourd’hui, sur les 80 pièces commandées, il en reste 30 à livrer… J’ai mis un an à développer le prototype, pas moins de 9 essais avant d’arriver au bon ! Maxime et René Meilleur ont une grande culture de l’objet local traditionnel et on partage cette passion. Leur couteau a beaucoup de détails et porte leur griffe…”

© Cécile Bouchaye

LAME D’UN GUERRIER

Et si Stéphane y passe beaucoup de temps et d’énergie, le plaisir se lit sur son visage. Avec son côté brut, nature et un peu écorché vif qu’il cache sous son bonnet de laine, le forgeron s’éclate à prendre le contre-pied des finitions industrielles et très lissées et c’est sûrement ce qui donne autant de consistance à ses lames. Et même si sa patte est indéniable, la différence est là : “au niveau de la forme, de la taille, on voit tout de suite que c’est un travail artisanal et je crois que c’est ce qui a plu à Maxime. Pour moi, le luxe ne se mesure pas à l’argent, mais à cette liberté de vivre comme on veut, face aux montagnes, un luxe nature, une inspiration insatiable. Ce qu’on trouve à la Forge des Montagnes, on ne le trouve pas partout... ”

+ d’infos : laforgedesmontagne.com

Le mot du chef Maxime Meilleur

“Dès notre première rencontre, on a parlé de sur mesure, de pièces uniques. Je voulais un couteau savoyard haute couture, il n’avait jamais fait ça, alors on a travaillé ensemble. Ces couteaux racontent toute notre vie. Il y a la griffe de la Croix de Savoie, des incisions qui représentent la montagne et ses 3 vallées, le pied, évocateur de la patte de chamois et le bois bien spécifique, issu de charpente de fumoir en chêne vert, symbole de notre métier de cuisinier. Quand vous croisez le chemin de personnes comme ça, qui ont la passion et l’exigence du travail bien fait, c’est vertueux. Et nous, ambassadeurs, on se doit de mettre en valeur ces artisans. Au final, c’est un vrai plaisir d’apporter notre territoire unique sur table !”

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