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POTERIE GRAND PONT
La terre EN L'AIR
Jean-Pol Bozzone
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Il m’attend au bout du chemin, non loin d’un vieux corps de ferme accroché au village de Seythenex. Enroulé dans son grand tablier, il a ce petit côté feng shui qui met tout de suite à l’aise, et ça, c’est du bol ! Une tasse de café pas lisse dans mes mains plus loin et voilà qu’il lance les festivités, entre Higelin, Brassens ou Gainsbourg qu’il entonne sans arrêt, tourner autour du pot ? Ça va pas, non !
LES PIEDS DANS LE PLAT
Alors quand je me mets à lui parler vaisselle... Banzaï ! : “Je ne suis pas fabriquant de vaisselle ! Je suis potier. Il faut comprendre mon métier pour choisir des pièces chez moi. On est dans la slow poterie, une poterie zen. C’est une poterie, sans poterie, c’est la matière, le geste, le rythme. C’est pour ça qu’on est très proches des cuisiniers. Parce qu’ils sont fascinés par l’art de la coupe. Et moi, je suis dans cette démarche. Enlever et enlever encore, pour arriver à l’essentiel. Aucune virtuosité technique, mais du ressenti, la mémoire de la main, l’amélioration par la pratique en continu.” Inspiré pour par le raku -technique d’émaillage japonais utilisé pour les bols de la cérémonie du thé- son travail est avant tout une communion entre l’homme et la nature, une médiation profonde avec les énergies, celles qui poussent, portent et guident les esprits réceptifs dans une tasse, une coupelle et même une assiette, mais sûrement pas un service entier sérigraphié !!! Hug, partage et calumet de la paix ! C’est ça ?
Certains passent du coq à l’âne, Jean-Pol Bozzone, lui, plutôt de la coupe au bol. Aucun rapport, me direz-vous et pourtant, jeux de mots et calembours s’entrechoquent gaiement dans son atelier de poteries zen. Entre pots, plats et coupelles, un vase tintinnabule façon carillon japonais, l’heure est aux confidences infusées.
PAR MAGALI BUY - PHOTOS : MARC DUFOURNET
MISE À PLAT
“Le Raku, c’est accueillir le hasard. Mais c’est aussi maîtriser les matières avec respect. Aucune ne réagit de la même façon. Il y a les terres du petit feu, celles du grand feu. Les premières restent ouvertes post cuisson et ont besoin d’une couverture vitreuse qu’on appelle l’émail, pour être étanches et utilisées dans l’alimentaire. Les autres, sont auto cérames et fermées après cuisson. On ne cuit pas une terre cuite comme on cuit une porcelaine. On ne fera jamais de fines tasse à thé dans la brique !” C’est sûr ! Mais bon, s’il y a la méthode, le reste est dans vos mains, si je comprends bien : “Pour faire de la poterie, les fondamentaux sont les mêmes. Avoir une terre homogène pour éviter les tensions, bien la préparer, la faire sécher et tirer, laisser les énergies se rééquilibrer avant la cuisson. Il faut comprendre la terre, son rythme, savoir être à l’écoute de son évolution. Avant l’heure, c’est pas l’heure. Après l’heure, c’est trop tard ! C’est du ressenti. Savoir à quel moment s’arrêter de la travailler. C’est comme un aliment en cuisine, comme du sucre, un caramel. C’est un terrain de jeu, un moyen d’expression.” A croire qu’il fait ça depuis toujours. Et pourtant.
COUP DE BOL
40 ans à Charleville-Mézières, un boulot de VRP qui l’emmène partout. Il atterrit en Rhône-Alpes il y a 22 ans, où il achète, par hasard, son premier bol raku : “Il a des émaux d’une secte Chan, à l’origine des codes du raku japonais. Pour mon boulot, je parcourais la France profonde et quand je voyais une poterie, je m’arrêtais. J’ai une culture d’amateur en quelque sorte.” En 2009, les premiers changements s’opèrent, il bosse de la maison et devient graphiste, mais l’envie de créer fait déborder le vase. Il rencontre Thierry Sivet, céramiste de renom : “On écoutait du rock et on parlait poterie, sans jamais en faire. Lui, c’est un Mozart, un surdoué. C’est un peu mon Jiminy Cricket ! C’est chez lui que j’ai fabriqué mon petit four, le grand, c’est l’ancien de son père, c’est affectif et one again... Rien de mieux que ça !” Et s’il a tant d’attache, c’est aussi parce qu’il sort d’un épisode torturé et qu’il s’en va chasser ses maux avec des pots, comme on le ferait avec des mots.
APPRENTI-SAGE
Il glane du b.a.-ba chez Marie-Noëlle
Laurent Petit et Jean-Pol Bozzone
Leppens, sculptrice, et s’enferme dans son atelier pour penser : “Tout plaquer pour devenir potier et donner le meilleur de moi-même, quel sens ça pouvait bien avoir ? Je devais comprendre qui je voulais devenir. C’est là que je me suis consacré à la cérémonie du thé, avec l’intuition que ça aiderait à nourrir ma pratique. Elle consiste à faire le meilleur thé possible, avec simplicité et équilibre, respect et humilité, un moyen de tout dire dans la matière, le geste le rythme... Et le premier maillon, c’est le potier. Donc le bol, comme le Graal, prend une valeur spirituelle absolue.” Et c’est peut être ce subliminal qui a touché Laurent Petit - chef 3 étoiles du Clos des Sens à Annecy - un lundi de juin 2016. “Il faisait un temps pourri, j’étais grippé et j’en avais marre quand j’ai vu arriver 4 zozos en anorak, complètement trempés. Je les accueille et leur présente mon raku. Il y en avait un plus curieux que les autres, il n’avait pas l’air de m’écouter et pourtant, dès qu’il posait une question, il était dedans ! Au bout de 10 minutes, j’ai vu l’enfant dans ses yeux, ça lui parlait !” Ipso facto, ils commencent à travailler ensemble : “Je suis allée chez Laurent, il a tourné un artichaut dans son jardin avec son couteau japonais pour me montrer le geste, je lui ai exposé comment faire un décor. J’ai invité toute son équipe chez moi, pour dresser les assiettes, c’est important d’entendre la démarche. On se pose la question de l’espace quand on décore aussi...”
TERRE À TERRE
Terre des Bauges, de Toscane, sable des écrins, pigments et nature power, l’ingrédient principal des pièces de Jean-Pol est avant tout sa communion avec la matière et avec la vie, le moment où il décide de faire un vase strié, une coupelle granulée, un plat alambiqué, un soliflore éraillé... Tant que c’est équilibré et que ça raconte, me direzvous ! Poterie de l’émotion, du hasard et de l’humilité, attention pas de bévue, rien ne naît de ses mains dans le superflu : “On est dans la méditation, la pleine présence. Quand on dit l’essentiel, on n’a pas besoin d’autre chose. Le reste c’est de la convention sociale.” Alors quand il sent qu’il a tout donné, il s’arrête, met un poinçon pour dire « j’admets. J’ai donné tout ce que j’avais à donner ». Inutile de tourner autour du pot...
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lapoteriedugrandpont.blogspot.com