UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES Laboratoire d’Ethique Médicale et Médecine Légale Directeur : Professeur Christian HERVÉ
MASTER 2 SANTE ANNÉE UNIVERSITAIRE 2009-2010
LA PRISE EN CHARGE DES PERSONNES EN SOUFFRANCE AU TRAVAIL
Stage effectué à la consultation « Souffrance et Travail » du CASH de Nanterre sous la direction de Marie PEZE.
Présenté et soutenu par Mélanie GENEST
Le
Directeur du mémoire : Madame Marie PEZE
De sincères remerciements...
A Marie Pezé, ma directrice de stage et de mémoire, pour son accueil au sein de sa consultation, son étayage, sa bienveillance et sa disponibilité. Au Docteur Johnny Adeline, médecin de la douleur, pour m’avoir accueillie lors de ses consultations et ainsi fait découvrir le formidable travail qu’il effectue avec ses patients. A Daniela Schwendener, médiatrice, pour le temps qu’elle m’a généreusement accordé. Et bien sûr à tous les patients rencontrés, sans lesquels ce mémoire n’aurait pu exister.
Sommaire 1. Introduction ............................................................................................ 2 2. Revue de littérature ..................................................................................5 2.1
La psychopathologie du travail ................................................................................. 5
2.1.1
Historique des approches en psychopathologie du travail................................. 5
2.1.2
Les pathologies de surcharge ...............................................................................7
2.1.2.1
Surcharge du fonctionnement psychologique ...............................................7
2.1.2.2
Surcharge du fonctionnement organique ..................................................... 9
2.1.2.3
Surcharge du fonctionnement pulsionnel ...................................................10
2.2
Les nouvelles formes d’organisation du travail .......................................................12
2.3
Les choix éthiques des entreprises...........................................................................15
2.4
Cadre légal ................................................................................................................ 17
2.4.1
La notion de harcèlement .................................................................................. 17
2.4.2
L’obligation de sécurité de résultat de l’employeur et la faute inexcusable......18
2.4.3
La question du suicide........................................................................................19
3. Cas clinique : Mme B............................................................................... 21 3.1
Eléments d’anamnèse...............................................................................................21
3.2
Parcours professionnel............................................................................................ 22
3.3
Chronologie de la dégradation de la situation de travail........................................ 23
3.4
Identification du tableau spécifique de névrose traumatique................................ 26
4. Discussion : les différents acteurs de soins et de prise en charge ........... 28 4.1
Les acteurs au sein de l’entreprise .......................................................................... 28
4.2
Les acteurs en dehors de l’entreprise.......................................................................31
4.2.1 Les acteurs médicaux.............................................................................................31 4.2.2 Autres acteurs susceptibles d’intervenir.............................................................. 33 4.3
Une alternative : la médiation................................................................................. 35
Conclusion...................................................................................................37 Bibliographie .............................................................................................. 39
1
1. Introduction
En cette année de Master 2 « Prise en charge des victimes et des auteurs d’agression », j’ai eu la chance d’effectuer mon stage à la Consultation « Souffrance et Travail » du Centre d’accueil et de soins hospitaliers de Nanterre, sous la direction de Marie PEZE, psychologue clinicienne à l’origine de la création de la consultation en 1997. Cette consultation a lieu deux jours par semaine à la policlinique et reçoit des salariés présentant des pathologies liées au travail. Ceux-ci peuvent y être adressés, sur demande écrite, par leur médecin du travail en vue d’un examen complémentaire, ou encore par leur médecin généraliste ou un médecin inspecteur du travail, et de nombreux patients y sont bien entendu reçus dans le cadre d’une prise en charge psychothérapique. Durant ces six mois de stage (de novembre 2009 à avril 2010, une journée par semaine), j’ai pu participer aux entretiens de Marie PEZE, aux consultations du médecin de la douleur à la policlinique ainsi qu’aux entretiens réalisés par la médiatrice tenant une permanence « Souffrance et Travail » au Centre Municipal de Santé de Gennevilliers. La détresse des personnes rencontrées au cours des entretiens m’a rapidement fait prendre conscience de l’ampleur des répercussions sur la santé, physique et psychique, des situations de souffrance au travail. Celles-ci touchent tous les secteurs d’activité, toutes les professions, tous les niveaux hiérarchiques, les hommes, les femmes, les jeunes, les plus expérimentés, et sont malheureusement de plus en plus nombreuses. Les quelques chiffres repris dans le rapport final de la Commission de réflexion sur la souffrance au travail de 2009 ou ceux fournis par le ministère du travail en 2007 parlent d’eux-mêmes :
53% des salariés éprouvent du stress au travail1.
Deux millions de salariés subissent du harcèlement moral et des maltraitances, 500000 sont victimes de harcèlement sexuel2.
Sur 5 ans, on a constaté plus de 1000 tentatives de suicide sur les lieux de travail en France dont 47% ont été suivies de décès3.
24% des hommes et 37% des femmes souffrent de troubles psychologiques liés à leur travail4.
1
Sondage Opinionway pour 20 minutes/ En ligne pour l’emploi, octobre 2009. Source : Ministère du travail. 3 Source : Ministère du travail. 4 Source : InVS (Institut de Veille Sanitaire) 2
2
13% des salariés disent « travailler d’une façon qui heurte leur conscience professionnelle »5.
700 000 accidents du travail par an donnent lieu à un arrêt de travail6.
En 2005, il y a eu 760 000 accidents du travail en France : deux personnes par jour meurent dans des accidents du travail7.
En 2007, les troubles musculo-squelettiques représentaient 7,4 millions de journées de travail perdues, et leur nombre s’accroît d’environ 18% par an depuis dix ans8.
80% des maladies professionnelles ne seraient pas reconnues comme telles9. Ces données alarmantes mettent en évidence la nécessité d’actions de prévention sur
les risques psycho-sociaux, de soins et de prise en charge des personnes en situation de souffrance au travail. Concernant leur prise en charge, j’ai très vite pu constater lors de mon stage que celle-ci se devait d’être globale et pluridisciplinaire afin d’être la plus efficace possible. En effet, les pathologies de ces patients se situant à l’interface de la structure organisationnelle de chacun, de l’organisation professionnelle et des choix éthiques des entreprises, il est impossible d’en négliger tel ou tel aspect, ce qui implique une prise en charge spécifique. Et c’est cette prise en charge spécifique des personnes en souffrance au travail qui sera le sujet de mon mémoire. La souffrance au travail a été définie par l’Agence nationale d’amélioration des conditions
de
travail
(ANACT)
en
2005
comme
« une
dépression
réactionnelle
professionnelle en lien avec les contraintes organisationnelles et sociales de l’entreprise, souvent déclenché en réaction à des comportements identifiables de collègues ou de supérieurs hiérarchiques ; la conviction que le niveau atteint de dégradation ne peut plus évoluer positivement marque l’entrée dans la souffrance ». Il s'agira donc ici de s'intéresser à la nature de cette souffrance, à ses causes et origines afin de mieux la traiter, idéalement la prévenir, et surtout intervenir de la façon la plus appropriée possible auprès des personnes concernées pour les aider à sortir de cet état. L'intervention visant à s'occuper de leur problématique sera envisagée sous l'angle de la pluridisciplinarité. Par définition, cette dernière consiste à aborder un objet d'étude selon les différents points de vue de plusieurs disciplines, l'objectif étant d'utiliser leur complémentarité pour la résolution d'un problème. Le problème dont il est question ici a pour point d’ancrage le travail, cette condition essentielle du bonheur qui peut s’avérer source de malheur dans bien des cas. 5
Source : InVS Source : CNAMTS (Caisse Nationale de l’Assurance Maladie des Travailleurs Salariés) 7 Source : Ministère du travail. 8 Source : CNAMTS 9 Rapport Eurogip sur les maladies professionnelles, 2008. 6
3
Etant donné les multiples disciplines intervenant dans le champ de la problématique de ce mémoire (psychologie, psychopathologie du travail, droit, éthique, organisation du travail...), il apparaît nécessaire d’en évoquer les éléments concernés et de mettre en évidence leur implication afin de cerner et comprendre les situations de souffrance au travail d’une part, et permettre de déterminer une prise en charge spécifique des personnes qui les vivent d’autre part. Cette approche pluridisciplinaire sera ensuite illustrée par un cas rencontré au cours de mon stage. Enfin, la démarche de prise en charge en réseau pluridisciplinaire sera concrètement exposée via la présentation des divers acteurs susceptibles d’y participer.
4
2. Revue de littérature 2.1 Psychopathologie du travail 2.1.1 Historique et évolution des approches en psychopathologie du travail La psychopathologie du travail trouve ses racines dans la psychiatrie du travail, qui s’est développée dès l’après-guerre jusqu’aux années 1960. Deux écoles se sont distinguées durant cette période : l’école de Louis Le Guillant ainsi que celle de Paul Sivadon et Claude Veil. Dans la première, le travail est considéré comme pathogène en soi et seule une faible place est accordée au rapport subjectif au travail. Par ailleurs, les avancées de la psychopathologie du travail ne peuvent servir qu’à informer l’action sociale et politique sur les conditions de travail, et non à contribuer à mener des actions de prévention. Dans la seconde école apparaît la dimension de prévention. Pour Paul Sivadon, qui fut le premier à utiliser le terme de « psychopathologie du travail », le travail ne devient pathogène que si les exigences de la tâche dépassent les capacités de l’individu. Son approche reste centrée sur les caractéristiques individuelles du travailleur, aux dépens de l’analyse du travail. Ainsi, les démarches de prévention qu’il propose s’appuient sur la notion d’adaptation/désadaptation de la personne aux caractéristiques de la situation professionnelle. Claude Veil, lui, donne une place à la question de l’organisation du travail. Il distingue l’organisation du travail des conditions de travail et en dévoile le rôle pathogène pour la santé mentale. Dans son approche, le travail est pensé dans sa bivalence de souffrance et de créativité, et le rapport au travail est tout d’abord posé comme rapport à autrui (rapports de service, rapports de domination, rapports affectifs). A la fin des années 1960, quelques concepts psychanalytiques sont introduits en psychiatrie du travail par des médecins et psychiatres tels que A. Missenard, R. Gelly, J. Ochonisky,
ou
encore
P.
Moscowitz.
Ainsi,
à
titre
d’exemple,
la
question
de
l’adaptation/désadaptation de la personne est repensée sous l’angle de la dynamique psychoaffective de l’investissement professionnel à partir des concepts de narcissisme, de relation d’objet, de conflit intrapsychique et de sublimation. Puis, des travaux de psychanalyse groupale sont également utilisés dans des entretiens collectifs visant à analyser les mouvements transférentiels et les fantasmes inconscients à l’œuvre dans le rapport au travail. Mais ces démarches aboutiront à des impasses, ne réussissant pas à « surmonter les 5
obstacles méthodologiques et théoriques liés à l’importation des concepts d’une discipline dans un champ qui n’est pas le sien et à l’effacement du travail concret derrière la notion abstraite de sa fonction intrapsychique »10. C’est finalement dans les années 1980 que Christophe Dejours et les chercheurs de l’AOCIP (Association pour l’Ouverture du Champ d’Investigation Psychopathologique) vont refonder la psychopathologie du travail, grâce à l’héritage des acquis et impasses de la psychiatrie du travail, mais surtout grâce à une autre façon d’aborder la question du rapport subjectif au travail. Ils vont en effet s’interroger sur « l’énigme de la normalité » plutôt que de rester focalisés sur les troubles mentaux liés à la dimension pathogène du travail, et s’intéresser aux mécanismes défensifs mis en œuvre par les travailleurs pour préserver leur équilibre psychique et maintenir leur engagement dans le travail malgré les contraintes organisationnelles
11 .
L’objet de la recherche en psychopathologie du travail est alors
redéfini : il s’agit désormais de l’étude de la souffrance au travail. Puis, en 1993, la « psychopathologie du travail » est abandonnée pour l’appellation de « psychodynamique du travail », celle-ci ne s’intéressant plus seulement à la souffrance mais aussi au plaisir dans le travail. La clinique de terrain va ensuite les amener à proposer des concepts et une méthodologie spécifiques à la psychodynamique du travail, cette nouvelle discipline clinique se servant des apports de l’ergonomie pour définir le travail comme « la mobilisation coordonnée des hommes et des femmes face à ce qui n’est pas prévu par la prescription, face à ce qui n’est pas donné par l’organisation du travail » 12. Cet écart entre le travail prescrit, théorique et le travail réel, entre la tâche et l’activité, constitue « un espace pour le déploiement de l’initiative, de l’ingéniosité, dans le but d’atteindre les objectifs fixés »13. Mais c’est aussi dans la différence entre travail prescrit et travail réel que la souffrance au travail trouve son origine car c’est une « différence structurelle au point qu’il n’est pas de travail qui ne comporte à son origine une déception »14. L’impasse ne peut être alors faite ici sur les deux concepts fondamentaux en psychodynamique du travail que sont le travailler et la reconnaissance. Pour C. Dejours, le 10 Guiho-‐Bailly, M.-‐P., & Guillet, D. (2005). Psychopathologie et psychodynamique du travail. EMC Toxicologie-‐ Pathologie professionnelle 2, 98-‐110. 11
Dejours, C., & Abdoucheli, E. (1990). Itinéraire théorique en psychopathologie du travail. Prévenir, 20, 127-‐ 149. 12 Davezies, P. (1993). Eléments de psychodynamique du travail. Education Permanente, 116, 23-‐46. 13 Guiho-‐Bailly, M.-‐P., & Guillet, D. (2005). Psychopathologie et psychodynamique du travail. EMC Toxicologie-‐ Pathologie professionnelle 2, 98-‐110. 14 Extrait de l’intervention de Philippe Davezies (De l’épreuve à l’expérience du travail. Identités et différences) au colloque GRAPH-‐HCL du 28 juin 1991 : « Le défi des identités professionnelles à l’hôpital. Etre soi avec les autres ».
6
travailler est l’engagement de la personnalité pour faire face aux contraintes de la tâche. Plus encore, c’est cette expérience subjective constituante qui naît de la mobilisation de la personnalité toute entière dans la confrontation au réel du travail et qui participe du processus identitaire d’accomplissement de soi dans le champ social15. La reconnaissance, rétribution symbolique attendue par le sujet, porte sur le faire. Elle implique un jugement sur le travail réalisé : jugement d’utilité, généralement délivré par la hiérarchie, l’élève, le patient ou le client et portant sur les buts du travail, son utilité sociale, économique ou technique, et jugement de beauté, énoncé par les pairs sur les normes et valeurs du métier ainsi que sur la singularité, l’originalité du travail.
2.1.2 Les pathologies de surcharge Les pathologies liées aux nouvelles formes d’organisation du travail sont spécifiques et désormais classifiées comme pathologies de surcharge16. On distingue la surcharge du fonctionnement psychologique, mental, cognitif, qui entraîne des tableaux précis de décompensations psychiques, la surcharge du fonctionnement pulsionnel, qui entraîne des décompensations comportementales, et la surcharge du fonctionnement organique, entraînant des pathologies physiques précises sur des fonctions organiques précises.
2.1.2.1
Surcharge du fonctionnement psychologique
La forme clinique prise par l’éventuelle décompensation psychique provoquée par une situation de travail pathogène dépend de la structure de la personnalité acquise avant cette situation puisque cette décompensation est une rencontre entre une organisation psychique individuelle spécifique et une organisation du travail spécifique. Ainsi, la surcharge du fonctionnement psychologique peut aussi bien déboucher sur des formes cliniques mineures, discrètes, que sur des formes bien plus graves. Par formes cliniques mineures, il faut entendre par exemple l’anxiété larvée, la chronicisation du sentiment d’ennui, de lassitude, de repli sur soi ou d’insatisfaction, les troubles de la concentration, de la logique ou de la mémoire. Lorsqu’il est question de formes plus importantes, il peut s’agir de pathologies telles que l’état de stress post-traumatique, la 15
Dejours, C. (1998). « Travailler » n’est pas déroger. Travailler, 1, 5-‐12. Pezé, M. (2008). Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés. Journal de la consultation « Souffrance et Travail ». Paris : Pearson Education France. 16
7
névrose traumatique, l’état d’épuisement professionnel (burn out), ou encore, la paranoïa situationnelle, des épisodes délirants (à thème de persécution, de complot, de préjudice subi…), des troubles de l’humeur. Etant donné la fréquence et la gravité de certains de ces troubles, notamment le burn out et la névrose traumatique, il semble nécessaire de s’attarder ici sur leur description. Pour Freudenberger (1974), l’état d’épuisement professionnel ou burn out est « un état causé par l’utilisation excessive de son énergie, de ses ressources, qui provoque un sentiment d’avoir échoué, d’être épuisé ou encore d’être exténué ». Après lui, de multiples études à ce sujet mettent en évidence le fait qu’il s’agit d’un syndrome à trois dimensions : l’épuisement émotionnel (sentiment de fatigue), la déshumanisation de la relation interpersonnelle (désinvestissement
du
relationnel
personnalisé)
et
la
dégradation
du
sentiment
d’accomplissement personnel. On parle d’ailleurs d’une triade pathognomonique, celle-ci ne renvoyant pas «à des symptômes observables, mais aux tentatives faites par les sujets de rendre compte de leur vécu, là où les symptômes véritables sont en réalité infiniment polymorphes, en lien avec la personnalité»17. Les signes cliniques du burn out, quant à eux, ne sont pas spécifiques de ce syndrome. Ils peuvent être physiques (lassitude, fatigue, céphalées, douleurs généralisées, troubles digestifs, du sommeil, du comportement alimentaire, infections virales à répétition), comportementaux (irritabilité, accès de colère, sensibilité accrue aux frustrations, labilité émotionnelle, méfiance, rigidité, cynisme, toute puissance, activisme stérile ou absentéisme croissant, prises de risques, négligences, perte de rigueur, repli sur soi, isolement, recours addictifs), ou encore psycho-affectifs (vécu d’usure, d’échec, d’impuissance, de perte de maîtrise sur son travail, de vieillissement prématuré, de répétition, d’assèchement affectif et émotionnel, de solitude, fatigabilité majeure et acharnement dans le travail, troubles cognitifs). On rencontre également des tableaux de névrose traumatique spécifiques aux personnes en situation de souffrance au travail. Ici, ce sont les injonctions paradoxales brimades, humiliations et autres vexations régulières, répétées et subies quotidiennement, qui ont valeur de traumatisme. Ces microévènements traumatiques cumulatifs font effraction au travers du « pare-excitations », ce système défensif du Moi vis-à-vis des excitations violentes, et pénètrent au sein du psychisme du sujet, où ils vont résider tels « un corps étranger interne »18. Le témoin de cette effraction psychique est le syndrome de répétition, qui, selon Louis Crocq, est pathognomonique de la névrose traumatique. Les manifestations 17
Guiho-‐Bailly, M.-‐P., & Guillet, D. (2005). Psychopathologie et psychodynamique du travail. EMC Toxicologie-‐ Pathologie professionnelle 2, 98-‐110. 18 Freud, S. (1920). Au-‐delà du principe de plaisir. In Essais de psychanalyse (pp 42-‐115). Paris : Petite Bibliothèque Payot., 1981.
8
cliniques de ce syndrome, pouvant survenir spontanément ou être déclenchées par un stimulus rappelant le traumatisme (bruit, image, odeur, mimique d’une personne…), sont la reviviscence hallucinatoire19, la reviviscence par illusion20, le souvenir forcé21, la rumination mentale22, le vécu comme si l’évènement allait se reproduire23, l’agir comme si l’évènement se reproduisait
24
et le cauchemar de répétition25
26.
La névrose traumatique se caractérise
par son début, sans période de latence, dans les suites immédiates de l’accident de travail ou de la situation de travail faisant office de traumatisme, et survient dans toutes les situations où le sujet vit une menace, réelle ou ressentie, contre son intégrité physique ou psychique. Elle associe un syndrome de répétition traumatique et des symptômes non spécifiques, notamment d’allure dépressive.
2.1.2.2 Surcharge du fonctionnement organique Les fonctions organiques touchées par les décompensations somatiques sont principalement la motricité, la fonction cardio-vasculaire et les fonctions propres à la féminité. La dégradation des conditions de travail, notamment les cadences imposées à l’exécution de tâches répétitives ayant perdu leur sens pour le sujet, peuvent entraîner des troubles musculo-squelettiques (TMS). Les TMS sont des pathologies multifactorielles pour lesquelles le stress est aujourd’hui reconnu comme l’un des facteurs en cause. Ce sont des affections péri-articulaires qui concernent les tissus mous situés autour des articulations (tendons, nerfs, muscles…) et provoquent des troubles fonctionnels très douloureux et chroniques. Les symptômes les plus courants sont des douleurs aux mains (syndrome du 19 La reviviscence hallucinatoire s’impose subitement au sujet comme une hallucination visuelle. Elle reproduit très précisément la scène de l’évènement traumatique, si bien que le sujet y adhère complètement. Pendant un instant, il croit y être et revit l’évènement « avec tout l’éprouvé de détresse qui avait marqué son expérience de la scène inaugurale ». Cette hallucination visuelle peut aussi être accompagnée d’hallucinations auditive, olfactive, sensitive, et/ou gustative. 20 Dans la reviviscence par illusion, le sujet hallucine la scène de l’évènement traumatique ou son (ses) agresseur(s) à partir d’un lieu ou d’une silhouette qu’il a réellement perçus. 21 Le souvenir forcé correspond à l’idée de l’évènement traumatique surgissant à l’esprit du sujet, sans image ni son. 22 La rumination mentale porte sur l’évènement traumatique, ses causes, ses conséquences, ....Ce sont surtout des interrogations incessantes qui s’imposent à l’esprit du sujet, et des lamentations répétées. 23 Dans le vécu comme si l’évènement allait se reproduire, la victime a subitement l’impression, sans aucun contexte de reviviscence visuelle, « d’être replongée au sein de l’évènement, et éprouve la même détresse ». 24 L’agir comme si l’évènement se reproduisait consiste en un « agir élémentaire » (réaction de sursaut ou de recroquevillement), ou un « agir plus complexe », tel que la fuite procursive, la fugue ou l’errance, le récit répétitif ou les mises en scène itératives. 25 Le cauchemar de répétition fait revivre intensément l’évènement traumatique à la victime. 26 Crocq, L. (2003). Clinique de la névrose traumatique. (p. 54). Le journal des psychologues, 211, 53-‐58.
9
canal carpien), aux poignets, aux épaules et aux coudes, celles-ci résultant d’atteintes articulaires telles que les tendinites, l’arthrose ou les déformations. Le « karoshi » ou mort subite au travail chez un sujet jeune (25-35 ans) est l’exemple type de décompensation somatique qui touche la fonction cardio-vasculaire. Mis en évidence au Japon où il est reconnu comme maladie professionnelle depuis 1987, le « karoshi » désigne la mort par surmenage au travail, celle-ci survenant subitement par accident vasculaire cérébral ou infarctus du myocarde massif. Des études japonaises et américaines ont permis de retenir plusieurs facteurs pour expliquer cette ultime évolution d’un stress d’origine professionnelle : l’existence d’une instabilité électrique du myocarde, un rythme de travail considérable (plus de soixante-dix heures par semaine, heures supplémentaires…), un changement brutal d’objectifs dans les quarante-huit heures précédent l’accident, une charge de travail accrue et brutale ainsi que des ennuis au travail imprévus dans les vingt-quatre heures précédentes, un évènement à charge psychique forte, proche de l’épisode d’arythmie, peu de temps avant, et une vie quotidienne vécue comme un fardeau soit sur fond de dépression, soit dans une situation décrite comme sans issue. Enfin, la surcharge du fonctionnement organique peut déboucher sur des affections de gravité croissante touchant uniquement les femmes. Il s’agit d’atteintes de la sphère gynécologique telles que les aménorrhées, les hémorragies, les métrorragies, les cancers du col de l’utérus, des ovaires, du sein, etc.
2.1.2.3 Surcharge du fonctionnement pulsionnel Ce type de surcharge va déboucher sur des décompensations comportementales, c’està-dire des accès de violence dirigés contre soi, autrui ou contre les matériels (suicides, homicides, viols, coups et blessures, dégradation et sabotage des outils de travail…), mais aussi sur des dérives éthiques, telles que l’adhésion aux pratiques de harcèlement moral contre les subordonnées, la banalisation du mal fait à autrui. « Les incidents violents trouvent souvent leur origine dans les incohérences et les contradictions de l’organisation du travail »27. Dans les grandes entreprises, ces actes surgissent en général au moment des réorganisations, lorsque les salariés apprennent la suppression de leur poste ou de leur 27
Pezé, M. (2008). Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés. Journal de la consultation « Souffrance et Travail ». Paris : Pearson Education France.
10
secteur d’activité par exemple, et qu’il leur est proposé une reconversion niant leur identité professionnelle. Le passage à l’acte auto-agressif a lieu lorsque le sujet, investi dans son travail, ne le maîtrise plus ou n’y trouve plus de sens et ressent un vécu d’isolement insoutenable, dans un système sans repères ni appuis. Cet acte parfois « dédicacé » peut avoir des significations différentes et ainsi exprimer la haine de l’autre, le mépris de soi ou encore l’inanité du monde.
11
2.2 Les nouvelles formes d’organisation du travail Le taylorisme ayant fini par montrer ses limites à plusieurs niveaux (décomposition extrême des tâches, chasse aux temps morts, travail pénible et abrutissant, absence de reconnaissance sociale, manque de perspectives professionnelles, perte de productivité…), on assiste dans les années 1980 à la transformation de l’organisation du travail. Le modèle tayloriste est alors remplacé par un modèle venant du Japon, le « toyotisme », qui vise les « cinq zéros » (zéro défaut, zéro délai, zéro panne, zéro stock, zéro papier) et où il faut donc produire bien, du premier coup, en quantité et en qualité la production nécessaire, sans faire d’erreurs. On attend ici que chacun s’implique dans le projet de l’entreprise, notamment à travers les cercles de qualité (ou groupes de progrès), petits groupes se réunissant régulièrement et dans lesquels on demande aux salariés de réfléchir ensemble sur les problèmes de la production et la façon d’y remédier. Cette transformation va progressivement conduire à une individualisation du travail. Les salariés sont donc appelés à réfléchir davantage, à s’impliquer personnellement dans la réussite du projet de l’entreprise, à faire preuve d’autonomie et de responsabilité, ce qui, tout en répondant a priori à la demande sociale, présente cependant le risque « d’imputer au seul salarié la responsabilité de sa propre réussite, et avec elle la pression qui l’accompagne. L’organisation nouvelle centre sur l’individu la mesure du travail au détriment de toute approche collective»28. En plus de la qualité, l’efficacité et l’excellence demandées aux salariés, ils doivent aussi faire preuve de flexibilité fonctionnelle. On exige ainsi d’eux d’être polyvalents afin qu’ils soient en mesure d’occuper des postes différents au sein d’un même service ou d’une même entreprise. Ce travail flexible engendre de l’incertitude chez les travailleurs, qui se voient confiés des activités différentes au jour le jour, sans savoir ce qui les attend le lendemain. Une autre manifestation de l’évolution des conditions de travail est l’intensification et la densification du travail. Renforcées par l’application de la loi des 35 heures, elles touchent tous les secteurs et tous les niveaux hiérarchiques. Elles se caractérisent par un changement du rapport au temps, précisément une extrême compression du temps
l’activité est placée
sous le signe de l’urgence. Ces changements ont entraîné la disparition des pauses et temps 28
Rapport final de la « Commission de réflexion sur la souffrance au travail ». (2009).
12
collectifs qui permettaient aux salariés de « récupérer », d’apprécier le travail accompli, mais aussi de renforcer le tissu social et construire le vivre ensemble29. La solidarité et le vivre ensemble sont davantage mis à mal par un autre aspect des nouvelles formes d’organisation du travail. Il s’agit de l’évaluation individualisée des performances, celle-ci se faisant à l’aide de critères de plus en plus abstraits et purement quantitatifs voire comptables au lieu d’être qualitatifs, entraînant inévitablement chez les personnes une perturbation dans leur rapport au travail. De plus, elle conduit à une mise en concurrence généralisée (entre travailleurs ou services d’une même entreprise, entre filiales, etc.) qui peut amener des conduites déloyales entre collègues, instaurant ainsi un climat de méfiance entre eux à l’origine de sentiments de solitude et d’isolement. Un autre changement dans l’organisation du travail concerne l’objectif de la qualité totale, avec lequel on assiste à un accroissement inatteignable des objectifs générant infractions, fraudes et tricheries. « Les fraudes sont d’autant plus nombreuses et graves que les objectifs affichés sont plus arrogants »30. Devant l’impossibilité d’atteindre un résultat satisfaisant, de plus en plus de travailleurs sont en effet amenés à exécuter des ordres ou réaliser des actes qu’ils réprouvent, les mettant ainsi en position contradictoire avec leur propre éthique professionnelle. On parle alors de souffrance éthique, délétère pour la santé mentale car elle confronte le sujet à une mauvaise image de lui-même, où il trahit les autres (sentiment de culpabilité à l’égard d’autrui) mais où il se trahit d’abord lui-même (sentiment de honte vis-à-vis de l’idéal de soi). L’arrivée des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) a également modifié l’organisation du travail, celles-ci ayant eu un impact majeur sur les façons de travailler en transformant radicalement l’environnement de travail. Malgré leurs multiples intérêts et les avantages non négligeables qu’elles ont pu apporter, ces innovations technologiques ont aussi des effets pervers, sans doute en raison des usages non appropriés ou non maîtrisés qui en sont faits. Elles sont effectivement utilisées comme technique de contrôle du rythme de travail, constituent une nouvelle source de stress, limitent les échanges verbaux, diminuent la spontanéité et la réactivité…. « Le dosage entre l’oral et l’écrit, la proximité et la distance, le formel et l’informel, n’est plus maîtrisé »31. Elles ont de surcroît une incidence sur la robotisation qui correspond au processus de remplacement des 29
Rapport final de la « Commission de réflexion sur la souffrance au travail ». (2009). Dejours, C. (2003). L’évaluation du travail à l’épreuve du réel : Critique des fondements de l’évaluation. Paris : INRA. 31 Rapport final de la « Commission de réflexion sur la souffrance au travail ». (2009). 30
13
travailleurs par des machines, source de plusieurs effets négatifs bien entendu32. Par ailleurs, on assiste avec ces NTIC à un entrecroisement, voire une confusion entre le temps de la vie privée et le temps de la vie professionnelle, qui ne peut être que néfaste pour le sujet. Ainsi, alors même que la durée du travail a diminué, force est de constater qu’il est de plus en plus présent dans la vie personnelle puisqu’il est devenu possible d’effectuer une grande part de son travail à distance et d’être constamment en contact avec son employeur ou ses clients. Et inversement, il est aujourd’hui plus aisé de s’occuper de sa vie privée pendant les temps de travail. L’apparition de la peur est une conséquence majeure de ces nouvelles formes d’organisation du travail. Du fait de la précarisation croissante que connaît le monde du travail (sous-traitance, intérim, contrats de travail atypiques,…), les travailleurs vivent constamment dans la crainte du licenciement et finissent parfois par accepter l’inacceptable. « Grâce à trente ans de chômage de masse, la peur de perdre son emploi a engendré des postures de soumission et des conduites de domination propices à l’adhésion aux idéologies organisationnelles »33.
32
Dagenais, L.F. (2007). La face cachée des conditions de travail : les situations d’atteinte à la santé psychologique. Cowansville : Editions Yvon Blais. 33 Pezé, M. (2008). Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés. Journal de la consultation « Souffrance et Travail ». Paris : Pearson Education France.
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2.3 Les choix éthiques des entreprises Avec les nouvelles formes d’organisation du travail, de nouvelles méthodes de gestion et de management se sont également progressivement mises en place. Il est désormais aisé de constater que les choix éthiques des employeurs quant à l’idéologie managériale utilisée dans leurs entreprises sont déterminants dans le fonctionnement interne de celle-ci. Ainsi, lorsqu’ils choisissent de ne considérer que les intérêts des actionnaires et des consommateurs (culture du « client roi »), de répondre uniquement aux exigences de compétitivité, de maximiser le rendement financier, le profit avant tout, même aux dépens des règles morales de base, les conséquences néfastes sur les salariés commencent à se manifester. Ces choix peuvent donc parfois paraître surprenants lorsque l’on sait que la façon dont est menée l’activité de management « suscite des relations et une ambiance de travail qui sont déterminantes dans la bonne marche de la production »34. De plus, en dépit du fait que l’on ne cesse de «souligner la nécessité d’une plus grande coopération de tous dans le travail, l’exigence de la performance à tout prix et la crainte du chômage peuvent amener un repli individuel qui ne va pas dans le sens de la coopération souhaitée »35. La conjecture économique et l’évolution relativement récente de l’organisation du travail ont fait apparaître des modes de management vivement contestables. Les plus marquants sont ceux que l’on peut regrouper sous le terme de « management par le stress » et « management par la peur », où, comme leurs noms l’indiquent, le stress, l’angoisse et la peur correspondent à des outils de management. Ce type de management véhicule l’idée selon laquelle les employés seraient plus efficaces et performants s’ils sentent peser sur eux une pression intense ou même s’ils ressentent de la peur. Ainsi, certains objectifs annuels de la hiérarchie tendant vers la suppression d’une partie des employés, ceux-ci se voient euxmêmes confiés des objectifs inatteignables. Ils sont soumis à des sollicitations de plus en plus croissantes, au-delà de leurs limites. On exige d’eux de faire toujours plus, cet accroissement du volume du travail s’accompagnant parallèlement d’une diminution des délais pour le réaliser.
La
gestion
des
ressources
humaines
par
objectifs à
atteindre
ou
MBO (« management by objectives ») et la gestion au mérite instituent un véritable culte de la performance, ou tout au moins une course aux résultats permanente, créant sans cesse davantage de pression chez les travailleurs.
34
Le Goff, J.-‐P. (2000). Les illusions du management. Paris : Editions La Découverte et Syros. Ibid.
35
15
Cette pression quotidienne est accrue par les contrôles permanents et l’instauration de nouveaux outils d’analyse et d’évaluation des compétences, qui créent de surcroît un climat de compétition, une mise en concurrence entre les employés. De plus, ces évaluations individuelles ne concernent souvent pas le travail lui-même mais plutôt la personne, sa rentabilité, son utilité, son mérite, et non la qualité de ce qu’elle fait. L’obligation d’être rentable et d’avoir à le démontrer constitue un dispositif de menace. Ces évaluations sont donc génératrices d’angoisse, voire de peur : peur de ne pas être à la hauteur, peur d’être réprimandé en public, peur d’être mis au placard, peur d’être remplacé, peur du licenciement... Or, comme l’a plusieurs fois relevé Jean-Pierre Le Goff (1996), « les restructurations et les rachats d’entreprises, le développement du chômage et la crainte toujours présente des suppressions d’emploi et des licenciements créent un climat à l’intérieur des entreprises qui n’est guère favorable à la « mobilisation de la ressource humaine », dont on souligne pourtant l’importance productive dans la production aujourd’hui »36. Les formes extrêmes de ce type de management s’apparentent à un véritable harcèlement institutionnel, où la dégradation des conditions de travail est clairement visée. Il peut aussi se manifester sous forme de harcèlement stratégique, dont le but est d’exclure délibérément ceux qui ne correspondent plus aux nécessités et besoins de l’entreprise ou du service. En tout état de cause, les pressions morales, le chantage et la menace instaurés comme mode de management constituent des techniques manipulatoires néfastes pour le bien-être et la santé des travailleurs.
36
Le Goff, J.-‐P. (2000). Les illusions du management. Paris : Editions La Découverte et Syros.
16
2.4 Cadre légal 2.4.1 La notion de harcèlement En matière de harcèlement au travail, seul le harcèlement sexuel était reconnu sur le plan juridique en France depuis que la loi du 2 novembre 1992 le définissait comme « les agissements d’un employeur ou d’un supérieur hiérarchique qui, abusant de l’autorité que lui confèrent ses fonctions, aura exercé des pressions sur un salarié afin d’obtenir des faveurs de nature sexuelle à son profit ou au profit d’un tiers ». Puis, suite à la publication d’ouvrages de spécialistes sur une autre forme de harcèlement au travail, notamment celui de Marie-France Hirigoyen « Le harcèlement moral, la violence perverse au quotidien » (1998) dans lequel elle définit le harcèlement moral comme « toute conduite abusive qui porte atteinte, par sa répétition ou sa systématisation, à la dignité ou à l’intégrité psychique d’une personne, mettant en péril l’emploi de celle-ci ou dégradant le climat de travail »37, la nécessité de faire entrer la notion de « harcèlement moral » dans la législation française a fini par s’imposer au législateur. Cette notion a alors été introduite dans le code du travail et le code pénal avec la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002. Depuis, l’article L. 1152-1 du Nouveau Code du travail (article L. 122-49 de l’ancien code) dispose qu’« aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ». La définition donnée par le Code pénal (article L. 222-33) est sensiblement identique et précise en plus les peines encourues par le harceleur : « un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende ». Cette loi dite de modernisation sociale a également permis d’élargir l’incrimination de harcèlement sexuel puisque le rapport d’autorité hiérarchique n’est plus nécessaire pour qu’il soit qualifié, les agissements répréhensibles pouvant désormais être le fait de toute personne dans l’entreprise (collègues, subordonnés, etc.). Jusqu’à récemment, les juges étaient restés sur la théorisation de Marie-France Hirigoyen pour qualifier le harcèlement moral, mais une jurisprudence récente a permis de mettre en évidence l’existence d’un harcèlement managérial ou institutionnel. Ainsi, dans un arrêt du 10 novembre 2009, la Chambre sociale de la Cour de cassation évoque que les méthodes de gestion mises en œuvre par un supérieur hiérarchique peuvent constituer du 37
Hirigoyen, M.-‐F. (1998). Le harcèlement moral. La violence perverse au quotidien. Paris : Editions La Découverte & Syros.
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harcèlement moral managérial : « (...) peuvent caractériser un harcèlement moral les méthodes de gestion mises en œuvre par un supérieur hiérarchique dès lors qu’elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d’entraîner une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel (...) ». Les principales dispositions législatives en matière de harcèlement concernent aussi l’obligation de prévention qui est dévolue à l’employeur. En effet, celui-ci doit prendre « toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement » moral (article L. 1152-4 du nouveau Code du travail) ou sexuel (article L. 1153-5 du nouveau Code du travail).
2.4.2 L’obligation de sécurité de résultat de l’employeur et la faute inexcusable En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l’employeur a pour obligation de prendre soin de la santé et de la sécurité de ses salariés. Cette obligation de sécurité de résultat est définie par l’article L. 4121-1 du nouveau Code du travail (article L. 230-2, I de l’ancien code), qui stipule : « L’employeur prend les mesures nécessaire pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent 1° des actions de prévention des risques professionnels ; 2° des actions d’information et de formation ; 3° la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés. L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes. » Selon l’article L. 4121-3 du Nouveau Code du travail (article L. 230-2, III alinéa 2 de l’ancien code), l’employeur se doit également d’évaluer les risques : « L’employeur, compte tenu de la nature des activités de l’établissement, évalue les risques pour la santé et la sécurité des travailleurs, y compris dans le choix des procédés de fabrication, des équipements de travail, des substances ou préparations chimiques, dans l’aménagement ou le réaménagement des lieux de travail ou des installations et dans la définition des postes de travail. A la suite de cette évaluation, l’employeur met en œuvre les actions de prévention ainsi que les méthodes de travail et de production garantissant un meilleur niveau de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs. Il intègre ces actions et ces méthodes dans l’ensemble des activités de l’établissement et à tous les niveaux de l’encadrement ». 18
Dans un arrêt rendu par la Cour de cassation en 1941, la faute inexcusable a été définie pour la première fois comme « une faute d’une gravité exceptionnelle, dérivant d’un acte ou d’une omission volontaire, de la conscience du danger que devrait en avoir son auteur, de l’absence de toute cause justificative, et se distinguant de la faute intentionnelle par le défaut de l’élément intentionnel ». Avant 2002, la faute inexcusable était exceptionnelle en jurisprudence, ce qui n’est plus le cas depuis qu’elle a été retenue dans une série d’arrêts du 22 février 2002 concernant des salariés atteints de maladies professionnelles liées à l’amiante (arrêts amiante). La Chambre sociale de la Cour de cassation a dégagé une définition beaucoup plus souple de la faute inexcusable et tous ses arrêts ont posé à la charge des employeurs une obligation de sécurité de résultat, laissant présumer que l’employeur est nécessairement fautif si le résultat n’est pas atteint. Ainsi, il commet une faute inexcusable dès lors qu’il connaissait l’existence du danger et qu’il n’a pas pris les mesures propres à en préserver le salarié. Désormais, le manquement de l’employeur à l’obligation de sécurité de résultat constitue donc une faute inexcusable. Cette jurisprudence a été confirmée dans un arrêt du 21 juin 2006, où la Chambre sociale de la Cour de Cassation a considéré que la responsabilité contractuelle de l’employeur pouvait être engagée en l’absence même de faute de sa part, en se fondant sur l’existence d’une obligation de sécurité de résultat. De plus, ce type d’obligation a vocation à s’exercer en matière de harcèlement moral : « (...) l’employeur est tenu envers ses salariés d’une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l’entreprise, notamment en matière de harcèlement moral et l’absence de faute de sa part ne peut l’exonérer de sa responsabilité (...) ».
2.4.3 La question du suicide Une jurisprudence relativement récente évoque les problèmes de suicide sur le lieu de travail, du point de vue de l’accident du travail. Alors que le suicide et la tentative de suicide ont pendant longtemps été refusés comme accident du travail car seuls des motifs personnels étaient évoqués, on admet aujourd’hui que des considérations professionnelles peuvent y jouer un rôle. Tout d’abord, lorsqu’un suicide ou une tentative de suicide surviennent sur le lieu de travail, ils bénéficient d’une présomption d’imputabilité qui lui 19
confère la qualification juridique d’un accident de travail. Cette présomption d’imputabilité peut être renversée par l’employeur si celui-ci apporte la preuve de l’existence d’une cause étrangère au travail du salarié ou l’existence d’une faute intentionnelle du salarié. Puis, il a récemment été admis qu’un suicide ou une tentative de suicide pouvaient être reconnus en accident du travail, y compris lorsque ceux-ci se produisent en dehors des temps et lieu de travail. En effet, dans une affaire de tentative de suicide à son domicile d’un salarié en arrêt maladie pour syndrome anxio-dépressif, la seconde Chambre civile de la Cour de cassation a retenu pour la première fois, dans un arrêt du 22 février 2007, la qualification d’accident du travail : «un accident qui se produit à un moment où le salarié ne se trouve plus sous la subordination de l’employeur constitue un accident du travail dès lors que le salarié établit qu’il est survenu par le fait du travail. Tel est le cas lorsque le salarié rapporte la preuve de ce que sa tentative de suicide, à son domicile, alors qu’il était en arrêt maladie, était en lien avec ses conditions de travail ». La Cour a également retenu la faute inexcusable de l’employeur pour la première fois. Plus récemment encore, le 19 décembre 2009, dans une affaire de suicide d’un salarié travaillant au technocentre de Renault, le Tribunal des affaires de Sécurité sociale a condamné l’employeur pour « faute inexcusable à l’origine de l’accident mortel dont Monsieur X a été victime » car «(...) il avait ou aurait dû avoir conscience du risque auquel Monsieur X était exposé du fait de son activité professionnelle et qu’en recherchant, pour répondre aux difficultés rencontrées par son salarié, essentiellement des solutions en terme de mobilité professionnelle ou de délégation de compétence vers la médecine du travail, l’employeur n’a pas pris les mesures qui s’imposaient pour le protéger de celuici, tant sur le plan individuel que collectif, en l’absence de mesures appropriées pour détecter, au titre des risques psychosociaux, les facteurs de stress rencontrés par ses salariés. (...) »
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3. Cas clinique 3.1 Eléments d’anamnèse Madame B. est une jeune femme de 32 ans, mère d’une enfant de 5 ans qu’elle élève seule. L’enfant, reconnue par son père à la naissance malgré la rupture de ses parents durant la grossesse, ne le voit que rarement, quelques heures à peine le dimanche, au domicile de Madame B. L’absence de figure paternelle dans la vie de sa fille affecte de façon évidente Madame B., d’autant plus que les conflits surgissent déjà entre la fillette et la jeune femme. La petite fille exerce en effet une sorte d’emprise sur sa mère, l’empêchant d’avoir une quelconque activité en dehors de ses obligations parentales. Madame B. nous dit à ce sujet que sa fille la fait culpabiliser chaque fois qu’elle prévoit de sortir sans elle, et qu’elle se sent alors contrainte de lui céder pour éviter de nouveaux conflits qui l’épuisent. L’’adolescence et la vie de jeune adulte de Madame B. ont malheureusement été marquées par le douloureux combat de sa mère contre le cancer. C’est une période de sa vie d’autant plus éprouvante qu’elle l’a vécue sans le moindre soutien de la part de son père. De plus, elle évoque des problèmes d’alcoolisme et des idées suicidaires de celui-ci qui se sont manifestés lorsqu’elle avait seulement 17 ans. Elle le décrit aussi comme menteur, manipulateur et violent avec sa mère et, encore à ce jour, Madame B. nous dit qu’elle a « envie de le secouer » car « il dort vingt-deux heures sur vingt-quatre, ne se lève que pour aller aux toilettes et prendre ses médicaments et sort uniquement pour aller voir son psychiatre ». Sa sœur ainée représentait le seul appui familial qu’elle ait pu avoir dans cette dure épreuve. Elles ont toutes deux pris soin de leur mère du mieux qu’elles pouvaient, en oubliant de partager les difficultés qu’elles-mêmes rencontraient dans leur propre existence. A l’adolescence, Madame B. a pratiqué la gymnastique rythmique de haut niveau. Les entraînements intensifs que nécessite la pratique du sport à cette échelle ont certainement contribué au développement d’une forte personnalité qui se profilait déjà durant son enfance. Elle est même devenue animatrice dans ce sport, dès l’âge de 16 ans. Cependant, un évènement dramatique est survenu à la sortie d’un de ces entraînements
Madame B a été 21
victime de viol vers l’âge de 20 ans. En raison de l’état de santé de sa mère et du manque de soutien dans son entourage, Madame B. a préféré n’en parler à personne et a donc gardé ce lourd secret des années durant. Mais les conséquences pour sa propre santé ne furent pas des moindres puisqu’elle a vécu un épisode anorexique peu de temps après (en 2000).
3.2 Parcours professionnel Madame B., titulaire d’un BEP en comptabilité, est entrée dans la vie active vers l’âge de 16 ans. Elle a tout d’abord été animatrice en gymnastique rythmique, puis a occupé divers postes en intérim, jusqu’à l’obtention en 2003 d’un poste de gestionnaire de prélèvement dans un grand groupe industriel de construction et services associés (construction d’infrastructures de transport, de parkings, de bâtiments et grands ouvrages principalement). Son intégration et son adaptation à ce nouvel emploi se sont convenablement déroulées, si bien que son contrat a rapidement évolué vers un Contrat à Durée Indéterminée à compter du mois de septembre de la même année. Au sujet de cet emploi, Madame B. relate son vif intérêt pour l’exercice de sa fonction, notamment en ce qui concerne le contact avec la clientèle, le suivi des dossiers et les relances qu’elle est amenée à effectuer quotidiennement. Le retour de sa hiérarchie à son sujet semble également très positif d’après elle puisque ses évaluations individuelles ont toujours été satisfaisantes, y compris concernant sa productivité. De plus, les cordiales relations entretenues avec les deux collègues qui partagent son bureau, et particulièrement la relation, sur un mode maternel, avec la plus âgée de ses collègues (Madame C.), ne font que contribuer à la totale satisfaction professionnelle de Madame B.
22
3.3 Chronologie de la dégradation de la situation de travail Les affinités entre Madame C. et Madame B. n’ont manifestement cessé d’évoluer, ou au moins d’exister, jusqu’ à ce que Madame B. rencontre le père de sa fille en 2004 puis tombe enceinte de celui-ci la même année. C’est à ce moment que les relations entre les deux femmes ont commencé à se dégrader, jusqu’à basculer complètement au retour du congé maternité de Madame B., en novembre 2005. En effet, lorsque Madame B. reprend son travail, sa collègue est à son tour en congés et la jeune femme apprend que celle-ci a fait courir des ragots sur la « légèreté de ses comportements moraux » en son absence. Par ailleurs, Madame B. expose aussi un autre évènement qui est venu accélérer la détérioration des relations entre les deux femmes. Elle explique qu’ayant constaté un manque de fournitures à son retour de congé maternité, elle voulut passer une nouvelle commande auprès de son responsable mais celui-ci s’y opposa sous prétexte qu’une quantité suffisante devait encore être disponible. Cette démarche permis alors de découvrir que Madame C. aurait détourné des fournitures pour son usage personnel, et lorsque celle-ci reprit le travail, elle fut convaincue d’avoir été dénoncée par Madame B., l’amenant à adopter un changement radical de comportement envers son ancienne protégée. A ce sujet, Madame B. relate que depuis ce jour, Madame C. « n’arrête pas ses manigances ainsi que ses attaques à mon encontre », cela se traduisant par « une dévalorisation de ma personne auprès de mes autres collègues de bureau », des menaces de vengeances, des critiques sur sa moralité, ses compétences de travail (Madame C. la jugeant trop laxiste et trop bienveillante avec les clients), des critiques voire même des injures sur son physique, sa corpulence, ses tenues trop moulantes... Madame B. souffre aussi d’être regardée de haut en bas d’un air méprisant, d’être remise sans cesse en question dans son travail, jour après jour. Elle ajoute que Madame C. rapporterait tous ses faits et gestes au responsable (horaires, pauses, photocopies, façon de travailler, appels téléphoniques, etc.) « en espérant qu’ils seront préjudiciables à mon travail ». Madame B. relate également d’autres désagréments qu’elle subit quotidiennement dans ce même petit bureau, comme le fait qu’elle doive « supporter un tel décibel de cette personne, m’empêchant de m’investir et 23
de réfléchir correctement et d’apporter des réponses aux clients », ou comme travailler dans le froid : « elle ouvrait la fenêtre tout en sachant que je serais réactive et lui demanderais de fermer la fenêtre. Et cela pouvait se répéter plus d’une dizaine de fois par jour comme une guerre de tranchée ». Madame B. va subir et souffrir de ce conflit permanent pendant plus d’un an sans en parler à des personnes compétentes, décidée à se montrer forte pour conserver son emploi et ainsi être en mesure d’assumer le foyer monoparental. Cependant, ce contexte de souffrance quotidienne va l’amener presque inévitablement à décompenser peu à peu en présentant des signes d’un état de stress post-traumatique de plus en plus aigu, l’incitant alors à consulter son médecin traitant en juin 2007, qui lui prescrira antidépresseurs, anxiolytiques et somnifères. Peu de temps après, en août 2007, son autre collègue et seul soutien moral dans cette cellule de gestion où personne de la ligne hiérarchique n’intervient pour cadrer le conflit et rappeler le cadre légal du travail, est licenciée. Cet évènement crée un véritable effondrement chez Madame B. (« Je me suis sentie seule en face de cette femme qui abîmait mon image au quotidien, me surveillait sans cesse »), accentuant les signes du tableau clinique d’état de stress post-traumatique déjà bien présents. Madame B. dit avoir tenté d’ouvrir le dialogue avec Madame C. mais en vain: « ça n’a jamais marché. Le contact était rompu ». Une nouvelle année va encore s’écouler dans ces conditions de travail pathogènes, et toujours sans que la direction de l’entreprise n’intervienne. En juillet 2008, une énième altercation pousse Madame B. à rencontrer la directrice des ressources humaines (DRH) pour l’alerter sur la situation, mais celle-ci n’a fait que lui conseiller « d’être forte et de supporter sa collègue », et n’a donc pas du tout tenu compte de la loi de Modernisation Sociale sur le harcèlement moral au travail, ni de l’article L. 4121-3 du Nouveau Code du travail (article L. 230-2, III alinéa 2 de l’ancien code) qui met le chef d’établissement dans l’obligation d’assurer la sécurité et de protéger la santé physique et mentale des travailleurs de l’établissement. Cette entrevue avec la DRH, traduisant nettement l’inertie de la hiérarchie face à cette situation insupportable de maltraitance, associée à l’absence d’intervention d’un autre collègue embauché depuis le licenciement de la précédente, est vécue comme un nouvel effondrement par Madame B. et vient confirmer son sentiment d’isolement. Elle est alors, depuis cet été 2008, totalement décompensée sur un versant anxio-dépressif en plus des signes d’effraction psychique déjà présents, et sera arrêtée la première quinzaine de 24
septembre, après avoir pris ses vacances à la fin du mois d’août. Cet arrêt sera ensuite prolongé jusqu’en début octobre. Lorsqu’à son retour Madame B. s’entretient avec son responsable et apprend qu’aucune mesure n’a été prise pour que ses conditions de travail changent, ne serait-ce que par le fait de ne plus travailler dans le même bureau que Madame C., elle s’effondre à nouveau et rencontre enfin la médecin du travail. Celle-ci lui conseille de consulter son médecin traitant et l’adresse à la consultation Souffrance et Travail de la policlinique de Nanterre. Suite à cette entrevue, Madame B. va commencer à être suivie par un psychiatre et un rendez-vous à la Consultation Souffrance et Travail sera par ailleurs fixé début janvier 2009. Dans l’attente de cet entretien, Madame B., n’ayant toujours pas eu connaissance d’une quelconque volonté de sa hiérarchie de mettre un terme à la situation pathogène, fera parvenir à sa direction plusieurs renouvellements de son arrêt de travail pour maladie, celuici se prolongeant en conséquence jusqu’à fin février 2009. En réponse à ses arrêts-maladie, Madame B. reçoit du directeur de son service, courant janvier, une convocation pour un entretien préalable à licenciement prévu début février. Après réception de ce courrier, elle contacte l’Inspecteur du Travail avec qui elle obtient un rendez-vous à la fin du mois. Celui-ci est très étonné que les ressources humaines n’aient pas proposé à Madame B. une formation pour intégrer un autre service avant d’envisager si rapidement, alors qu’elle est en arrêt-maladie pour un tableau clinique lié au travail, un licenciement. Ainsi, à l’issue de cet entretien, Madame B. va demander un report de son entretien préalable à licenciement afin, d’une part, de pouvoir être accompagnée par un délégué du personnel, et d’autre part pour que l’Inspecteur du Travail ait le temps de venir réaliser une enquête sur la situation de Madame B. De plus, sur les conseils du médecin conseil, la jeune femme va également demander une prise en charge en maladie professionnelle de sa pathologie. Puis, peu de temps avant l’échéance du dernier arrêt de travail (fin février 2009), Madame B. reçoit une lettre de licenciement stipulant que « son absence se prolongeant, son remplacement définitif s’impose » et qu’en conséquence, sa hiérarchie a décidé de procéder à son licenciement « pour nécessité de remplacement ». Ayant finalement été licenciée au lieu d’être mutée sur un autre poste ou service, Madame B. a entamé une poursuite aux Prud’hommes avec un avocat pour licenciement abusif. Il apparaît alors évident que les démarches qu’elle est amenée à entreprendre dans le cadre de ce licenciement litigieux n’arrangent en rien son état, ceci impliquant la poursuite
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d’une prise en charge multiple, à la fois par une psychiatre, par le suivi rapproché de son médecin généraliste, et par une psychothérapie à la consultation Souffrance et Travail.
3.4 Identification du tableau spécifique de névrose traumatique Le premier entretien de Madame B. à la consultation Souffrance et Travail (début janvier 2009) a permis de mettre en évidence la présence d’un tableau de névrose traumatique d’une particulière gravité. Agitée de sanglots et de tremblements pendant l’heure et demie d’entretien, de nombreux symptômes spécifiques sont recensés par Marie PEZE : -
L’angoisse de cette patiente harcelée est subaiguë avec des manifestations physiques : tachycardie, tremblements, sueurs, boule œsophagienne.
-
Les crises d’angoisses sont pluriquotidiennes avec des sensations de constriction thoracique.
-
Les attaques d’angoisse surgissent spontanément, déclenchées par une perception analogique avec tel ou tel détail cardinal: bruit, couleur du mur, mimique, odeur particulière….
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Les ruminations sont constantes sur les réflexions de sa collègue et l’impossibilité de partir de son travail pour y échapper.
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Les flash-back de certaines scènes sont récurrents. Le retour en boucle des scènes traumatisantes s’impose et les lui fait revivre.
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Une anticipation anxieuse à l’idée d’aller travailler est omniprésente.
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Les troubles du sommeil résistent aux médicaments.
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Les pleurs sont constants.
L’insomnie, la fatigue et la lutte contre les crises d’angoisse ont généré : -
un repli social, affectif et sentimental majeur,
-
une altération progressive de l’état général,
-
Les atteintes cognitives sont présentes : perte de mémoire, troubles de concentration, de logique
Les atteintes psychiques ont entraîné : la perte de l’estime de soi, un sentiment de dévalorisation, de perte de ses compétences, un sentiment de culpabilité, une position
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défensive de justification, un effondrement anxio-dépressif, qui pourrait mener à un état d’angoisse paroxystique à évolution suicidaire. Les atteintes somatiques (atteinte de la sphère gynécologique avec métrorragies depuis quelques mois) sont le signe de l’atteinte des défenses immunitaires après l’effondrement des défenses psychiques. Il existe aussi un désarroi identitaire spécifique pour cette patiente subissant une situation professionnelle maltraitante sans que ses difficultés de terrain n’aient pu remonter dans la hiérarchie, être reconnues et mises en débat: altération des repères moraux, le vrai et le faux, le juste et l’injuste, le bien et le mal. Les contrariétés résultant des divers obstacles que Madame B. rencontre dans le cadre de son licenciement litigieux empêchent la jeune femme de se reconstruire correctement, si bien que fin 2009, la décompensation ne s’est toujours pas résorbée et Madame B. demeure sensible à tout aléa et ne retrouve pas la force morale et physique (signes d’anémie) de retourner sur le marché du travail. La suspension du versement de ses indemnités journalières a même entrainé une crise d’hyperventilation en consultation nécessitant l’intervention des réanimateurs de l’hôpital. L’abandon par le père de son enfant et le licenciement de son entreprise se surajoutent pour forger une image de soi terne, inapte et sans avenir.
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4. Discussion : les différents acteurs de soins et de prise en charge A travers l’exemple de Madame B., on peut constater l’importance du rôle joué par la diversité des multiples intervenants auxquels elle a dû faire appel dans le cadre de sa situation de souffrance au travail. Bien qu’ils soient déjà assez nombreux dans le cas cité, tous les acteurs de soins et de prise en charge n’ont évidemment pas été sollicités et il apparaît donc essentiel ici, pour clore ce mémoire, d’effectuer un tour d’horizon des principaux acteurs susceptibles d’apporter à ces personnes en souffrance une aide médicale, psychologique, juridique, et du côté du travail.
4.1 Les acteurs au sein de l’entreprise Le médecin du travail En plus des visites médicales annuelles qu’ils font passer à tous les salariés d’une entreprise, les médecins du travail ont un rôle de prévention de l’altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail, notamment en surveillant leurs conditions d’hygiène au travail, les risques de contagion et leur état de santé (article L. 4622-3 du Nouveau Code du travail). Ils doivent mener des enquêtes sur les risques et les conditions de travail et éventuellement proposer des aménagements. Le médecin du travail conseille le chef d’entreprise, les salariés, les représentants du personnel et du Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail (CHSCT), en matière d’amélioration des conditions de vie et de travail dans l’entreprise, d’adaptation des postes, techniques et rythmes de travail à la physiologie du corps humain et de protection des salariés contre les nuisances. Si une altération de la santé mentale et/ou physique d’un salarié liée aux conditions de travail est constatée, le médecin du travail doit réaliser une étude du poste et alerter les employeurs sur les risques sanitaires professionnels. Il doit également orienter le salarié en souffrance vers un spécialiste et surtout, faire cesser la situation pathogène. Pour mettre un terme à cette situation, le médecin du travail dispose de plusieurs stratégies en fonction des circonstances : l’inaptitude temporaire ou définitive au poste ou à tout poste de l’entreprise, l’adaptation de poste ou le reclassement à un autre poste, ou encore la déclaration en maladie à caractère professionnel. Le médecin du travail doit également établir un rapport annuel d’activité qui 28
sera transmis au CHSCT et dans lequel devra figurer l’éventuel accroissement des indicateurs de souffrance organisationnelle (augmentation de la fréquence et de la gravité des urgences sur les lieux de travail pour conflit aigu, violence, passage à l’acte, tentative de suicide, décompensation psychiatrique aiguë, augmentation des pathologies somatiques et psychiques). Enfin, il peut aussi établir un rapport sur les mesures à prendre pour éviter la répétition de maladie contractée en service ou d’accident du travail. Les CHSCT (Comités d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail) Les CHSCT sont des instances paritaires composées de membres de la direction et de représentants du personnel. Ils ont pour mission de contribuer à la protection de la santé et de la sécurité des salariés de l’établissement, d’analyser les risques professionnels et les conditions de travail, d’effectuer des propositions en termes de prévention des risques et d’amélioration des conditions de travail, et de faire observer les dispositions législatives et règlementaires dans ce domaine (article L. 4612-1 du Nouveau Code du travail). Le CHSCT doit procéder à des inspections au moins une fois par trimestre et peut enquêter ponctuellement suite à la demande d’expertise d’une situation par un intervenant externe car il dispose d’un pouvoir d’investigation. Il se réunit au minimum une fois par trimestre avec un ordre du jour établi conjointement avec le directeur de l’établissement ou à tout moment dès lors que deux de ses membres représentant les salariés en font une demande. Enfin, en cas de danger grave et imminent pour la personne, ils disposent d’un droit d’alerte comme le stipule l’article L. 4131-2 du Nouveau Code du travail (article L. 231-9, alinéa 1 de l’ancien code) afin que l’employeur procède immédiatement à une enquête avec le représentant du CHSCT qui a signalé le danger et prenne les dispositions nécessaires pour y remédier (article L. 4132-Nouveau Code du travail). Le Directeur des Ressources Humaines (DRH) Le DRH a pour mission d’apporter des réponses aux dysfonctionnements pouvant apparaître sur le lieu de travail. Lorsque des plaintes, des témoignages ou des écrits du personnel, du médecin du travail ou du CHSCT lui sont soumis, le DRH doit réaliser une enquête administrative afin d’établir les responsabilités. Dès l’ouverture de celle-ci, il doit en informer la ou les personnes mises en cause ainsi que le CHSCT. En fonction des résultats de l’enquête, il peut ensuite décider d’ouvrir une procédure disciplinaire, proposer un changement de service, une incidence sur l’évaluation de l’auteur des faits, des mesures de révision ou de reconstitution de la situation statutaire de la victime (évaluation, avancement...) ou même engager une procédure pénale. Une autre mission du DRH est la mise en œuvre d’actions de sensibilisation et de prévention.
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Les syndicats Les syndicats professionnels ont pour mission de veiller à la défense des droits et des intérêts matériels et moraux, tant collectifs qu’individuels, des membres du personnel (article L. 2131-1 du Nouveau Code du travail). Lorsque les représentants des organisations syndicales ont connaissance de situations à risques, ils doivent en informer le CHSCT, et s’ils constatent l’existence de procédés constituant une atteinte à la dignité et à la liberté individuelle d’un salarié, ils ont la possibilité d’interpeller l’employeur et de saisir en référé le conseil de Prud’hommes. Le délégué du personnel L’article L. 2313-2 du Nouveau Code du travail stipule qu’il doit immédiatement saisir l’employeur s’il constate « qu’il existe une atteinte aux droits des personnes, à leur santé physique et mentale ou aux libertés individuelles dans l’entreprise qui ne serait pas justifiée par la nature de la tâche à accomplir, ni proportionnée au but recherché ». Si aucune solution n’est trouvée avec l’employeur, il peut également saisir le conseil de Prud’hommes. Les salariés Ils doivent bien sûr faire preuve de responsabilité citoyenne, et sont par conséquent responsables de leur propre sécurité ainsi que de celle de leurs collègues. Responsables de l’application des consignes de sécurité édictées par l’employeur qui s’appliquent à eux, ils participent donc aussi à la politique de prévention de l’entreprise. De plus, chaque salarié dispose d’un droit d’alerte et de retrait, comme le stipule l’article L 4131-1 du Nouveau Code du travail : « le travailleur alerte immédiatement l’employeur de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que de toute défectuosité qu’il constate dans les systèmes de protection. Il peut se retirer d’une telle situation ».
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4.2 Les acteurs en dehors de l’entreprise 4.2.1 Les acteurs médicaux Le médecin généraliste Par l’écoute de son patient et, souvent, la connaissance de longue date de celui-ci, le médecin généraliste représente un soutien psychologique pour la personne en souffrance qui vient le consulter. Grâce à cette connaissance du patient, il est souvent le mieux placé pour voir la dégradation de son état de santé en fonction de celle de ses conditions de travail. Il est aussi celui qui le met à l’abri, au moins provisoirement, lorsqu’il lui prescrit un arrêt de travail. En plus des actes médicaux proprement dits (prescription médicale) et du suivi, il assume des actes administratifs (certificats notamment) importants pour préserver les intérêts du patient. Le médecin généraliste a également un devoir d’assistance morale qui consiste à contacter le médecin du travail (avec l’accord du patient) et lui faire part de la nécessité d’évoquer les difficultés de son patient à d’autres personnes ou instances. Dans l’intérêt du patient, la collaboration et la concertation avec le médecin du travail sont indispensables. Le médecin inspecteur du travail L’article L. 8123-1 du Nouveau Code du travail (article L. 612-1 de l’ancien code) stipule que « les médecins inspecteurs exercent une action permanente en vue de la protection de la santé physique et mentale des travailleurs sur leur lieu de travail et participent à la veille sanitaire au bénéfice des travailleurs (...). Les médecins inspecteurs du travail agissent en liaison aves les inspecteurs du travail, avec lesquels ils coopèrent à l’application de la réglementation relative à la santé au travail ». Les moyens dont ils disposent pour ce faire sont les mêmes pouvoirs et obligations que ceux des inspecteurs du travail, à l’exception du pouvoir de sanction (article L. 8123-2 du Nouveau Code du travail, article L. 612-2 de l’ancien code). Le médecin inspecteur du travail sert d’appui et de conseil aussi bien au patient qu’au médecin du travail et à l’inspecteur du travail. C’est un véritable soutien pour le médecin du travail lorsqu’il l’aide à adopter la stratégie la plus appropriée à la situation. Enfin, le médecin inspecteur du travail est également chargé de l’étude des risques professionnels et de leur prévention. Les praticiens des consultations de pathologies professionnelles et des consultations spécialisée « souffrance et travail » 31
Ces consultations multidisciplinaires (psychiatres, médecins du travail, juristes, psychologues, etc.) ont vu le jour dans de nombreuses régions de France. Le travail en réseau permet une prise en charge plus réactive des personnes en souffrance ainsi qu’une coopération avec les autres acteurs intervenant hors des entreprises. Ces consultations proposent des entretiens à diverses visées, telles que l’expertise psychologique ou le conseil juridique par exemple. Elles permettent d’apporter un avis extérieur complémentaire et une compréhension de ce qu’il s’est passé au salarié, le but étant de l’aider à reprendre le cours de sa vie. Elles tentent (en fonction des spécialités professionnelles présentes) de proposer une prise en charge complète, en privilégiant une approche individuelle de la personne. Si cela s’avère nécessaire, les professionnels de ces consultations peuvent également l’orienter sur des soins spécifiques et/ou approfondis. Le psychiatre et le psychologue Une prise en charge psychothérapeutique des personnes en situation de souffrance au travail est souvent nécessaire, même lorsqu’elles ne sont plus confrontées à la situation pathogène. Idéalement, ils doivent être sollicités précocement afin d’éviter une aggravation de la décompensation. Le travail effectué lors des séances porte sur la rencontre entre la structure psychique singulière et la situation de travail pathogène, sur les résonances de celle-ci dans la structure psychique du sujet. Dans tous les cas, l’intégration de la question du travail est indispensable. L’accompagnement psychologique a également son importance le temps que les démarches administratives et/ou juridiques sont en cours, ainsi qu’au moment de la rencontre avec une nouvelle situation professionnelle De plus, les psychiatres et psychologues vont être amenés à rédiger des certificats qui constitueront des pièces majeures dans le dossier de leurs patients. Le médecin conseil de la sécurité sociale Le médecin conseil de la sécurité sociale joue un rôle important dans la transformation de la maladie en accident du travail ou en maladie professionnelle lorsqu’il juge qu’elle est en lien avec l’organisation du travail. Il détermine aussi le taux d’IPP (incapacité permanente partielle) sur lequel sera basé le montant de la rente versée à la personne victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, et c’est lui qui décide de la prolongation ou non des arrêts de travail ainsi que des reprises à temps partiel thérapeutique. En outre, il est le garant d’un revenu minimum pour les personnes en arrêt longue maladie ou en invalidité. La médecine agréée
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Les médecins agréés sont des médecins généralistes ou spécialistes chargés de procéder à l’examen médical des salariés afin de donner des avis d’aptitude. Ces avis peuvent être demandés avant que la décision soit prise d’accorder au salarié un arrêt maladie ou longue maladie ou avant d’envisager une reprise du travail. Siégeant au sein d’un comité médical ou d’une commission de réforme, ils informent le médecin du travail des conclusions des commissions de réforme.
4.2.2 Autres acteurs susceptibles d’intervenir L’inspecteur du travail L’inspecteur du travail a pour mission de veiller à l’application de la réglementation du travail, notamment en matière de santé et de sécurité au travail. Il a un rôle d’écoute et de conseil auprès des salariés dont il reçoit les plaintes. A la suite des plaintes dont il a connaissance, il intervient dans l’entreprise, parfois après avoir prévenu l’employeur par des lettres d’avertissement. Il peut aussi décider de faire une enquête et, selon les résultats de celle-ci, il peut établir un procès verbal, une mise en demeure ou un référé ou même formuler un signalement au procureur de la République. La commission de réforme Instituée dans chaque département, cette commission donne obligatoirement un avis en cas d’accident sur le lieu de travail, d’accident de trajet ou de maladie professionnelle. Cet avis porte sur l’imputabilité au service de l’accident ou de la maladie professionnelle, la détermination du taux d’invalidité, le bénéfice d’une allocation temporaire d’invalidité, l’inaptitude définitive à l’exercice des fonctions avec mise à la retraite pour invalidité, la reconnaissance des maladies professionnelles et la reprise à mi-temps thérapeutique après accident ou maladie professionnelle. L’Agence Nationale d’Amélioration des Conditions de Travail(ANACT) Le réseau ANACT est constitué de plusieurs ARACT (Agences Régionales d’Amélioration des Conditions de Travail) et intervient afin d’améliorer les conditions de travail et la santé en favorisant la concertation entre les organisations et les acteurs sociaux. Les ARACT ont pour objectif d’améliorer simultanément l’efficacité des organisations et les conditions de réalisation d’un travail. Pour cela, elles effectuent des diagnostics et des interventions à la demande conjointe de la direction de l’entreprise et des représentants du personnel. Leur analyse de l’organisation du travail permet ensuite une mise en discussion des modalités de prévention. De plus, le réseau ANACT travaille auprès des prescripteurs du 33
travail, des services de formation et des managers, dans le but de réduire la pression cognitive et psychologique qui s’exerce sur le salarié. Le service prévention de la CRAM (Caisse Régionale d’Assurance Maladie) Le service prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles des CRAM est un organisme régional qui, comme son nom l’indique, a pour rôle de développer et coordonner la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles. Pour remplir cette fonction, il réalise des expertises en matière d’analyse des risques professionnels et de leur prévention. Les avocats et juristes Les avocats et juristes exerçant au sein de structures spécialisées en droit du travail sont des acteurs indispensables pour les personnes en situation de conflit sur le lieu de travail et souhaitant obtenir des conseils juridiques. Leur consultation est nécessaire pour avoir connaissance de l’ensemble de ses droits et des différentes stratégies envisageables. Les avocats et juristes se chargent également d’avertir la personne de la difficulté et de la longueur des procédures, ainsi que de leurs résultats, qui peuvent s’avérer aléatoires. L’assistante sociale Dans le cadre de la prise en charge des personne en souffrance au travail, l’assistante sociale a pour rôle de les aider dans leur réflexion sur les différentes issues qui s’offrent à elles, tout en tenant compte de leur situation sociale. Elle peut aussi les assister dans leurs démarches administratives.
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4.3 Une alternative : la médiation
Dans une situation de conflits entre les salariés et leur entreprise, ou de conflits des salariés entre eux, la médiation peut parfois s’avérer un excellent moyen, si ce n’est le meilleur, pour rétablir le dialogue entre les deux parties dans un premier temps, puis de tenter un règlement amiable de ces conflits. Comme le souligne Marie-France Hirigoyen (2001) : « un procès représente une dépense considérable en frais de justice et un souci supplémentaire pour un salarié déjà mis à mal par sa situation. En ce qui concerne les entreprises, un procès est toujours une mauvaise publicité et peut entraîner une perte de confiance des clients et même des actionnaires. On doit donc envisager la médiation en se disant que, si la victime est reconnue et respectée, une solution négociée est préférable à une solution judiciaire»38. La médiation offre un cadre protégé dans lequel chaque partie va pouvoir exprimer son vécu de la situation qui pose problème, nommer ce qu’elle ressent et reproche à l’autre, discuter des caractéristiques et conséquences du conflit qui les oppose. Chacun va donc s’expliquer mais aussi écouter et essayer de comprendre et reconsidérer le point de vue de l’autre, permettant ainsi de lever les incompréhensions. C’est en cela que la médiation recrée du lien social. Même lorsqu’elle échoue, la médiation est utile car elle aura au moins permis une tentative de dialogue. Dans les cas de harcèlement, elle donne au harceleur la possibilité de s’expliquer sur son comportement et même de s’en excuser. Dans tous les cas, l’échange permet ensuite de construire des solutions au problème opposant les parties, ensemble, afin d’établir un protocole d’accord satisfaisant chacun des protagonistes. Au-delà de la gestion du conflit, la médiation a également pour objectif la réparation morale des personnes en souffrance. Ce processus coopératif est bien sûr favorisé par la personne du médiateur, qui se doit d’être neutre, bienveillant, discret, indépendant, impartial et de faire preuve d’écoute empathique. Ce dernier accompagne les parties tout au long du processus, tente de faciliter l’échange, de faire émerger des émotions ainsi que des valeurs communes chez les deux parties et cherche à « dénouer le conflit en dynamisant la participation des parties afin 38
Hirigoyen, M.-‐F. (2001). Le harcèlement moral dans la vie professionnelle. Démêler le vrai du faux. Paris : Editions La Découverte & Syros.
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qu’elles s’investissent personnellement dans la recherche des solutions »39. De plus, il peut leur soumettre des propositions susceptibles de résoudre leur différend. En tout état de cause, la médiation doit être une démarche volontaire, acceptée de plein gré par chacune des parties. Il est également nécessaire que toutes les personnes concernées soient de bonne foi, prêtes à accepter un compromis, à « se rencontrer et à sortir de leurs rôles et de leurs positions hiérarchiques respectives »40. La médiation ne peut avoir lieu sans ces conditions. Pour cette raison, elle est inenvisageable avec des pervers narcissiques, ceux-ci ne reconnaissant jamais les faits, ne se remettant jamais en question et utiliseraient plutôt la médiation à leur profit par la tentative de séduction et de manipulation du médiateur.
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Cario, R. (2005). Justice Restaurative. Principes et promesses. Paris : L’Harmattan. Hirigoyen, M.-‐F. (2001). Le harcèlement moral dans la vie professionnelle. Démêler le vrai du faux. Paris : Editions La Découverte & Syros. 40
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Conclusion
L’exposé de ce mémoire a mis en évidence la nécessité de prendre en charge les personnes en situation de souffrance au travail de manière pluridisciplinaire. De plus, face à cette véritable pathologie de la solitude, la démarche collective des professionnels issus de divers horizons s’avère indispensable pour sortir les personnes concernées de leur situation d’isolement. De ce fait, il est primordial que les différents intervenants cités précédemment agissent de concert, en étroite collaboration, afin d’employer les meilleures solutions et stratégies pour guérir ou « réparer » les conséquences de la situation pathogène. En vue d’éviter une aggravation de la situation actuelle de souffrance au travail, en France comme ailleurs, et, dans l’idéal, d’éradiquer ce phénomène, il apparaît indispensable d’agir en amont. Pour cela, la multiplication ou, à défaut, la mise en œuvre d’actions de prévention au sein des établissements semble incontournable. Ainsi, la prévention primaire, qui vise à réduire, voire éliminer les causes de souffrance au travail présentes au sein des organisations, devrait constituer une priorité. Il faudrait donc s’attacher à réduire les facteurs de risques organisationnels tels que la surcharge de travail ou l’environnement physique du travail par exemple. La prévention secondaire, qui s’attaque aux premières conséquences des situations pathogènes pour en limiter les dommages et se matérialise par des actions de sensibilisation, d’information et de formation des salariés et managers à cette problématique, devrait également être mise davantage en application. Chaque établissement devrait aussi être en mesure de repérer les différents indicateurs d’alerte pour agir en conséquence. Ces indicateurs peuvent être relevés dans le cadre des services de santé au travail (augmentation du nombre de visites, des urgences, des pathologies de surcharge, ...) ou dans le cadre général du travail (violence verbale ou destruction de matériel, acte de violence physique, tentative de suicide, plaintes pour harcèlement moral ou sexuel, augmentation du nombre d’accidents du travail ou de maladies professionnelles, ...). Des indicateurs organisationnels comme les demandes de mutation, de changement de service, le taux d’absentéisme ou de rotation du personnel par exemple peuvent également constituer des indices objectifs de souffrance au travail qui devraient donc être considérés comme des signaux d’alerte.
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En tout état de cause, une réelle prise de conscience du phénomène par chacun d’entre nous est indispensable pour que les actions de prévention (primaire, secondaire, ou tertiaire) ne cessent de se multiplier car tout le monde peut un jour être confronté, personnellement ou dans son entourage, à la souffrance au travail. Nous sommes donc tous concernés par cette triste réalité aux conséquences désastreuses pour les individus.
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Bibliographie Ouvrages : Cario, R. (2005). Justice Restaurative. Principes et promesses. Paris : L’Harmattan. Crocq, L. (2003). Clinique de la névrose traumatique. (p. 54). Le journal des psychologues, 211, 53-58. Dagenais, L.F. (2007). La face cachée des conditions de travail : les situations d’atteinte à la santé psychologique. Cowansville : Editions Yvon Blais. Davezies, P. (1993). Eléments de psychodynamique du travail. Education Permanente, 116, 23-46. Dejours, C. (2003). L’évaluation du travail à l’épreuve du réel : Critique des fondements de l’évaluation. Paris : INRA. Dejours, C. (1998). « Travailler » n’est pas déroger. Travailler, 1, 5-12. Dejours, C., & Abdoucheli, E. (1990). Itinéraire théorique en psychopathologie du travail. Prévenir, 20, 127-149. Freud, S. (1920). Au-delà du principe de plaisir. In Essais de psychanalyse (pp 42-115). Paris : Petite Bibliothèque Payot., 1981. Guiho-Bailly, M.-P., & Guillet, D. (2005). Psychopathologie et psychodynamique du travail. EMC Toxicologie-Pathologie professionnelle 2, 98-110. Hirigoyen, M.-F. (1998). Le harcèlement moral. La violence perverse au quotidien. Paris : Editions La Découverte & Syros. Hirigoyen, M.-F. (2001). Le harcèlement moral dans la vie professionnelle. Démêler le vrai du faux. Paris : Editions La Découverte & Syros.
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Le Goff, J.-P. (2000). Les illusions du management. Paris : Editions La Découverte et Syros. Lhuilier, D. (2006). Cliniques du travail. Toulouse : Editions erès. Pezé, M. (2008). Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés. Journal de la consultation « Souffrance et Travail ». Paris : Pearson Education France.
Rapport : Rapport final de la « Commission de réflexion sur la souffrance au travail ». (2009).
Site internet : www.legifrance.gouv.fr
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