Mémoire de fin d'étude R. Simounet Soukaina GHARBI

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SOUKAINA GHARBI- MEMOIRE DE MASTER SEMINAIRE L’ART DU PROJET DIRECTEUR DU MEMOIRE : ESTELLE THIBAULT DATE DE SOUTENANCE : 24-01-2018

ILOT N°1 BASILIQUE : Un entre-deux architecturé

Ecole nationale d’architecture de Paris-Belleville



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SOUKAINA GHARBI- MEMOIRE DE MASTER SEMINAIRE L’ART DU PROJET DIRECTEUR DU MEMOIRE : ESTELLE THIBAULT DATE DE SOUTENANCE : 24-01-2018

ILOT N°1 BASILIQUE : Un entre-deux architecturé SOUKAINA GHARBI- MEMOIRE DE MASTER

Ecole nationale d’architecture de Paris-Belleville 2017-2018


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REMERCIEMENTS Je souhaite avant tout remercier mes professeurs du séminaire « l’art du projet » pour le temps qu’ils ont consacré à me fournir une méthodologie indispensable à la fabrication d’un travail de mémoire : Malik Chebahi, Estelle Thibaud, Guy Lambert. Julien Bastoen, Julien Correia. Je remercie tout particulièrement Alison Gorell le Pennec, mon encadrante de mémoire, qui, par son exigence et par la qualité de son enseignement, m’a apporté les outils méthodologiques et rédactionnels nécessaires. Son suivi et la pertinence de ses conseils et le temps qu’elle a consacré à la relecture de mon travail ont représenté une aide considérable dans l’élaboration de ce de mémoire. Je remercie la directrice du centre d’archive national du monde du travail et la l ‘épouse de Feu Roland Simounet de m’avoir autorisé l’accès aux archives de Roland Simounet et j’adresse par la même occasion mes remerciements à l’équipe du centre pour m’avoir accompagné lors de la consultation des archives du fond consacré à l’architecte. Je suis également reconnaissante envers les habitants de l’ilot Basilique de m’avoir ouvert leur porte d’immeuble puis d’appartement, pour leur gentillesse et leur curiosité vis à vis de ce mémoire. Chacun de ces échanges m’a aidé à faire avancer mon analyse. Enfin, je remercie mes proches pour leur soutien et leur encouragement permanents, ainsi que Christian Raguenes, mon kinésithérapeute, qui m’a permis au fil de ce semestre de retrouver l’usage de ma main.


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AVANT PROPOS

J’ai choisi l’îlot 1 de la ZAC Basilique de Saint-Denis comme objet d’étude suite à ma première visite sur les lieux en 2012. Quand j’étais sur place, j’ai eu une impression de « déjà vu », ou plus précisément de « déjà vécu ». Ayant grandi au Maroc jusqu’à l’âge de 18 ans, cet ensemble me rappelait la casbah et la médina de certaines villes d’Afrique du Nord. Tout comme les villes de mon enfance et de mon adolescence, l’opération a un aspect labyrinthique qui surprend le visiteur. Seuls les habitants semblent maîtriser les lieux. J’ai retrouvé cette réalisation de Roland Simounet pendant mes études en école d’architecture à Paris Belleville. Cette fois-ci, j’avais déjà certaines connaissances sur l’architecture moderne. Par conséquent, c’était avec un regard plus avisé que je retrouvais les logements de Roland Simounet. L’architecte avait réussi à recréer une ville dans la ville fermée à l’extérieur mais ouverte à l’intérieur. Cette architecture favorisait le contact entre les usagers tout en garantissant, par des procédés subtils, l’intimité nécessaire aux habitants. Roland Simounet disait : « Il faut qu’inconsciemment les gens se rendent compte qu’on ne s’est pas moqué d’eux, qu’on leur a donné une chose consistante. Et à ce côté généreux, je crois que les gens réagissent bien »1. Cette phrase prend tout son sens dès que l’on découvre le lieu. Le travail de détail ne passe pas inaperçu et témoigne du soin que Roland Simounet apporte à chaque partie de ses bâtiments. Chaque espace est traité au cas par cas. Dans un entretien qu’il a bien voulu m’accorder, un habitant de l'îlot Basilique me disait qu’aucun des appartements n’était semblable à l’autre. Bien que les plans des habitations révèlent que plusieurs appartements sont identiques, l'organisation mise en place par l'architecte donne la possibilité d'aménager chaque logement de diverses façons. Les habitants sont libres de s'approprier le lieu qu'ils occupent. Un autre élément qui m’avait interpelé et que j’avais analysé dans le cadre de mon rapport d’étude fut celui du cadrage2. On remarque dans les espaces communs que l’architecte a voulu porter l’attention tantôt sur la géométrie des bâtiments tantôt 1 ELEB-HARLE, Nicole. Quand la rénovation se pare d'îlots : Saint-Denis Basilique, espace 2 GHARBI, Soukaina, Cadrage de la quintessence, Rapport d’étude de Licence. Paris : Ecole nationale d’architecture de Paris Belleville, juin 2015, 28 p.


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sur la nature et le ciel. Cela passe par l’utilisation soit de cadres ouverts dans les lieux fermés soit de fenêtres vitrées dans des lieux ouverts. Roland Simounet nous donne à découvrir sa conception de l'espace. On remarque également qu’il a voulu orienter notre regard à travers des ouvertures (certaines par exemple se trouvent au niveau des chevilles et obligent le visiteur à se baisser). Cette maîtrise de la construction permet d'orienter le passant qui éprouve un certain plaisir à découvrir tous les tableaux que l'architecte a réalisé dans cet ensemble. C’est à la fin de ce travail effectué en licence que j’ai pris conscience que le cadrage n’est qu’un élément parmi d’autres participant à l’établissement de frontières visuelles subtiles (qu’elles soient physiques ou juste suggérées). Ces frontières conditionnent le parcours, ainsi que les sensations que l’on ressent au cours de notre visite. Ces transitions qui constituent un point positif dans l’architecture du bâtiment viennent enrichir les espaces communs. Elles servent de guide et surprennent le visiteur à chaque moment. C’est pour cette raison que j’ai commencé à m’intéresser à cette succession d’éléments qui constituent l’espace collectif et fabriquent un entre deux, du logement à son prolongement en loggia et coursives, jusqu’aux emmarchements conduisant à la Basilique Saint-Denis.


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SOMMAIRE

REMERCIEMENTS……………..…………………………………………………………. 6 AVANT PROPOS………….……………………….…………………………………….... . 8 INTRODUCTION………………………………………………………………………..... 12 BIOGRAPHIE ROLAND SIMOUNET…………..…………………………………….... 19 CHRONOLOGIE DU PROJET ……...……………………………………………….......21 I-Frontières poreuses : de l'aménagement de l'espace public à celui de l'espace privé……………………………………………………………………...24 1.1. La mise en place d'un cadre d'intervention favorable…………………………..26 -

Présentation des différentes étapes qui ont conduit au lancement de la ZAC ………………….………………….26 Présentation des caractéristiques du plan d'aménagement ………………….………………….…….…..30 Roland Simounet dans l’opération de la ZAC…………….….32

1.2. De l'espace public aux espaces privés : la création par Roland Simounet d'un îlot poreux……………………………………………..…38

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La situation juridique à l’échelle de la ZAC………………….38 Confrontation public / privé à l’intérieur de l’îlot de Roland Simounet……………………………………………..41

1.3. L'élaboration d'un espace à soi sans être chez soi : l'îlot transformé en un labyrinthe aux chemins multiples …………………...45 II.

Labyrinthe aux chemins multiples…………………………...45 …Vers l’intime………………………………………………46 Espaces prolongés, espaces réinventés : une architecture fermée à l'extérieur et ouverte à l'intérieur……………………………………..50

2.1. Face à face et dos à dos : de l'îlot contextualisé à la ville fortifiée …………..…..52 -

Face à face historique………………………………………...52 Dos à dos : une ville fortifiée ………………………………..56

2.1 Des espaces « en plus » : frontières diffuses entre dehors et dedans………..…...58

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Que sont ces espaces « en plus » ? …………………………...58 Voir sans être vu……………………………………………...63 « Prolongement du logis » …………………………………...65

2.2 Des procédés issus de l'architecture méditerranéenne………………..………….66


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CIAM Alger…………………………………………………..66 Mémoire algérienne ………………………………………….69

III-vers le ciel : une relation à l’extérieur maitrisée…………………..……………….74 3.1-l’îlot et son environnement: entre rapport d’échelle et rapport au ciel …………………………………………………........75 - Lignes d’horizon artificielles, panorama urbain ……………75 - La bonne orientation………………………………………...77 3.2- « Tiers lieux » et ascension …………………..…………………………………….81 -

Belvédères et escaliers………………………………………81 Les terrasses collectives……………………………………..85 Les coursives et leurs escaliers ……………………………..86

3.3 Le cadrage chez Roland Simounet ………………………………………………....88

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La lumière séquence………………………………………...88 Un parcours rythmé par des cadrages particuliers………….90 Le logement et ses baies……………………………………..93

CONCLUSION..………………..…………………………………………………………...97 BIBLIOGRAPHIE..………………..……………………………………………...……….100 ANNEXE 1 ..……………………….……………………………………………………….108 ANNEXE 2 ..…….………………………………………………………………………….113 ANNEXE 3 ..…………….………………………………………………………………….117 ANNEXE 4 ..…………………………………………………….………………………….119


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INTRODUCTION

A proximité immédiate de la basilique Saint-Denis et de la maison de la légion d’honneur au Sud, l’ensemble de logements sociaux réalisé par Roland Simounet s’inscrit dans une grande opération de rénovation du quartier de la basilique jugé insalubre3. Une zone d’aménagement concerté (ZAC) est créée à partir de 1976. Elle comporte au total dix îlots réalisés par treize architectes4 différents. L’ilot 1 est attribué à Roland Simounet qui réalise son projet entre 1980 et 1985. Il s’agit de la deuxième tranche de l’opération. Dans l’œuvre de l’architecte, la rénovation de l’îlot 1 survient après la livraison des logements Les Bords du Lac à Evry en 1975 et arrive simultanément avec la rénovation du musée Picasso qui commence en 1976 à Paris ainsi que le musée de préhistoire d’île de France à Nemours en 1979. Nous sommes à la fin d’une carrière prospère de l’architecte qui dès 1977 gagne le grand prix national d’architecture et la grande médaille d’honneur de l’académie de l’architecture en 1982 pendant qu’il réalise l’ilot basilique. Il reçoit l’équerre d’argent en 1985 pour le musée Picasso. Ces nombreux prix témoignent de sa reconnaissance dans le monde de l’architecture durant sa période parisienne. Avant de construire en France, Roland Simounet connut une période algérienne durant laquelle il poursuivit des recherches passionnées sur le model méditerranéen. Avant que l’îlot Basilique ne soit construit, l’élaboration du projet a pris un certain temps. Plusieurs plans d’aménagement se sont succédés pendant près de vingt ans. Dès 1935, la commune de Saint Denis a mis en place un plan d’aménagement et d’extension selon le projet d’extension du département de la Seine. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la révision du plan d’aménagement était une nécessité politique et devait subir des changements. André Lurçat est désigné comme urbaniste conseil de la ville de Saint-Denis dès 1954. Il a plusieurs idées en tête. Selon lui, les rues ont vocation à être élargies. Les îlots situés entre la rue de Strasbourg et le 3 ELEB-HARLE, Nicole. Quand la rénovation se pare d'îlots, op.cit., 118 p. 4 Roland Simounet (îlot 1) ; Bernard Paurd, Serge Lana, Serge Magnien (îlot 2) ; Jacques Bardet (îlot 3) ; Maria et Jean Deroche (îlot 4) ; Olivier Girard (îlot 5) ; Georges Maurios (îlot 6) ; Guy Naizot (îlot 7) ; Renée Gailhoustet (îlot 8) ; Francias Gaussel (îlot 9) ; Henri Gaudin (îlot 10).


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boulevard Felix Faure sont inscrits en zone d’habitats collectifs: ils sont par conséquent à un plan masse. Il souhaite également mettre en place des équipements et des écoles. Le périmètre insalubre constitue la priorité. Dans cette perspective, on réalise une étude qui, à travers la mise au point d’un inventaire général, révèle l’état du bâti. Un périmètre de rénovation est ensuite mis en place. Le tracé viaire est modifié, et, dans une approche hygiéniste, un réalignement, notamment pour la rue de Strasbourg, est envisagé. André Lurçat veut libérer les terrains les plus proches et entend créer des perspectives nouvelles. Le projet de réaménagement est alors délaissé au profit de celui de la résorption de l’habitat insalubre. Les architectes Serge Lana et Serge Magnien prennent la relève en 1976. Ils sont chargés de relancer la rénovation. L’opération, motivée par l’arrivée de l’arrêt de métro « basilique » à la même date, devient un laboratoire d’expérimentation. Afin d’obtenir les subventions nécessaires à la réalisation du projet, les acteurs du projet se verront proposer la création d’une ZAC. Le périmètre choisi se situe entre le boulevard Felix Faure au Nord, la rue Pierre Dupont à l’Ouest, la rue Edouard Vaillant à l’Est, et le parc de la maison de la légion d’honneur avec la place de la basilique Saint Denis au Sud. Occupant une place centrale, ce périmètre a un programme qui comprend à la fois des logements et des bureaux. L’enjeu principal de l’opération est, en raison de la situation géographique du secteur d’intervention, de fluidifier l’activité du centre. Il s’agit de recomposer l’espace public en réalisant les projets dans une perspective d’ouverture. On insiste par conséquent sur l’importance de créer un passage de l’espace public à l’espace privé à l’intérieur des dix ilots. Parmi les projets qui sont mis au point, Roland Simounet soigne tout particulièrement les relations entre le dedans et le dehors. Il crée ainsi des espaces intermédiaires qui occupent une place importante. Parmi les intentions de l’architecte, il y a la volonté de guider et d’accompagner l’habitant de la rue au logement. La notion d’espace intermédiaire est floue et difficile à déterminer. En effet, les nombreux ouvrages sur ce thème dévoilent que la terminologie d’ « espace intermédiaire » se décline selon une série de plusieurs termes. On parle souvent d’espace de transition, ou alors d’entre deux, de « semi-public », ou, si l’on suit la


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Charte d’Athènes, de « prolongement du logis ». Il est difficile de définir clairement cette notion qui n’apparaît que très récemment. Celle ci se manifeste aussi sous différentes formes. Nous la retrouvons aussi bien dans le domaine foncier et juridique dans lequel le cadastre vient marquer une limite entre espace privé et espace public, que dans le domaine architectural où l’on présente l’espace intermédiaire comme une articulation graduelle reliant la rue au logement. Pourtant, cette succession d’espaces dans l’îlot de Roland Simounet parait clairement identifiable grâce à des procédés architecturaux imaginés par l’architecte. Ces éléments d’architecture, telles que les loggias ou les coursives, constituent cet entre deux. Il sont des éléments transitions entre le dedans et le dehors. Une fois la construction de l’ilot achevée en 1985, le maître d’ouvrage Jean Lelievre, directeur du logement dionysien 5 , salue le soin apporté par Roland Simounet à cet entre deux. Jean Lelievre affirme « Outre les mérites de s’inscrire et de participer dans le nouveau paysage de la Basilique et de son quartier rénové, de présenter un caractère esthétique qui, je crois, lui assurera une certaine pérennité… l’architecture de R. Simounet a aussi l’immense avantage à mes yeux de maître d’ouvrage de ne pas sacrifier les espaces de vie et de contact : les logements et les parties communes »6. Par quels moyens Roland Simounet parvient-il à fabriquer des espaces intermédiaires architecturés ? Comment réussit-il à rendre identifiable dans son architecture cette notion impalpable et floue ? Se familiariser avec le concept d’« espace intermédiaire » implique

un

important travail bibliographique. Parmi les nombreux ouvrages disponibles, celui de Christian Moley, architecte et docteur en anthropologie sociale, retient tout particulièrement notre attention. Christian Moley, dans son livre Les abords du chez soi en quête d’espaces intermédiaires,7 nous éclaire sur les enjeux que recouvrent cette notion d’espace intermédiaire. Il tente tout d’abord de définir ce qu’est l’espace intermédiaire en interrogeant sa généalogie, son histoire et son étymologie. On remarque qu’au fil des années cette notion se redéfinit en fonction des phénomènes 5 Le Logement Dionysien (Société d’économie mixte) est le commanditaire de l’opération Saint-Denis Basilique. 6 MASSÉ, Georges, « Face à face gothique ». Techniques et architecture, n°351, décembre-janvier 1983-1984, p. 62-71. 7 MOLEY, Chrisitan. Les abords du chez-soi en quête d’espaces intermédiaires, Paris, Editions de la Villette, 2006, 256 p.


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sociologiques. Par exemple, le logement ouvrier présente selon lui une dualité entre une ouverture à la lumière et une recherche d’intimité qui n’enfermerait pas l’habitant et privilégierait les rencontres entre les usagers. Cette série d’antagonismes rend cette notion assez floue. Il va s’intéresser tout au long de son ouvrage à l’histoire de cette notion et à son évolution. Il finira par expliquer le décalage entre le logement collectif de masse qui tronque l’entre deux au service d’un confort personnel et la doctrine de prolongement du logement. Ce mémoire doit aussi beaucoup aux travaux de l’architecte Nicole Eleb-Harle, qui, dans son ouvrage Quand la rénovation se pare d’îlôts,8 associe analyse sociologique et analyse architecturale pour étudier la ZAC Basilique. En s’intéressant à toute l’opération, elle donne au lecteur une vision d’ensemble de l’intervention. La notion d’espace intermédiaire apparaît très souvent dans son ouvrage. Elle insiste sur l’inversion du rapport Public / Privé, à travers l’ouverture des bâtiment. Elle compare plusieurs îlots de l’opération, en interrogeant leurs habitants et en enquêtant sur les conséquences de ces habitats intermédiaires sur les liens sociaux entre les habitants. D’autres publications s’intéressent à l’œuvre de Roland Simounet, notamment dans des articles de revues. Par exemple, George Massé, dans les pages de Technique et Architecture, écrit un article intitulé « Le face à face gothique »9. Il présente une analyse du projet en se focalisant sur la proximité entre les logements de l’architecture et la basilique Saint-Denis. Pour lui, la réalisation de Roland Simounet fait face à l’architecture gothique de l’édifice religieux. Dans son article, Georges Massé ne manque pas de faire un bilan de la réception du bâtiment de Simounet Par ses contemporains tout en établissant quelques critiques à l’égard de son architecture. Dans son article titré titré « Saint-Denis, Basilique, 20 ans d’architecture urbaine », Pascal Dutertre fait quant à lui le bilan de l’ensemble de l’opération. Il présente les étapes des différents plans d’aménagements depuis les années cinquante jusqu’aux années 1990, avant de s'intéresser à l’espace public au sein de l’opération10. Georges Massé portera par moments une critique subjective pendant Pascal Dutertre présentera sa critique comme un état des lieux. 8 ELEB-HARLE, Nicole. Quand la rénovation se pare d'îlots, op. cit. 9 MASSÉ, Georges. « Face à face gothique », op. cit. 10 DUTERTRE, Pascal. « Saint-Denis Basilique, 20 ans d’architecture urbaine » Moniteur Architecture AMC, n°66, novembre 1995, p. 30-33.


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Il a également fallu, pour ce travail de mémoire, consulter des sources d’archives des Archives nationales du monde du travail situées à Roubaix11. Ce centre dispose d’un fonds consacré à Roland Simounet. Étant limitée par le temps, il fallait identifier des documents utiles qui donneraient des éléments de réponse à la problématique parcourant ce travail de mémoire. Nous avons décidé de nous intéresser aux croquis de Roland Simounet qui questionnent les histoires de seuil, tant au niveau de l’espace collectif qu’au niveau de l’espace privé à travers un jeu sur des demi niveaux. Ces archives présentent également des données intéressantes sur l’opération et les conditions du projet, à savoir les contraintes imposées par le site et par le commanditaire. Grâce à ces informations, nous pouvons davantage contextualiser le projet. Certains plans-masses, retraçant la chronologie de l’îlot, sont aussi intéressants à relever12. De plus, la consultation de plans originaux a donné un nouvel éclairage à notre travail. L’accès au fonds Simounet m’a également permis d’avoir accès à une iconographie inédite et considérable Nous pensons notamment aux photographies qui donnent à voir les lieux avant et après l’intervention. Je me suis également rendue dans un autre centre pour avoir accès à certains documents qui pourraient m'aider dans mon travail de recherche : il s'agit des archives de la municipalité de Saint-Denis. Elles m’ont permis de mieux comprendre le site dans sa globalité. Afin de me familiariser un peu plus avec la pensée de Roland Simounet, ses entretiens parus pour la plupart dans des revues ont été d'une grande utilité. On pense notamment à ses Dialogues pour l’invention

réalisés avec Richard Klein13. Ces

entretiens nous informent sur les intentions de l’architecte à propos de l’édifice. Le discours de Roland Simounet dans ses propres livres nous éclaire également sur sa vision de l’architecture et nous donne de précieuses informations sur sa vie et son parcours14. A plusieurs reprises, il revient sur sa période algérienne. Grâce à ces

11 Installées depuis 1993 au cœur de Roubaix dans l'ancienne filature Motte-Bossut, fleuron de l'industrie textile du XIXe siècle, les Archives nationales du monde du travail (ANMT) dépendent du ministère de la Culture et de la communication. 12 Il s’agit des plans d’aménagement de la ville de Saint-Denis depuis 1935. 13 SIMOUNET, Roland et KLEIN, Richard. Dialogues sur l'invention, Paris, Le Moniteur, coll. Questions d'architecture, 2005, 172 p. 14 SIMOUNET, Roland et MAISONSEUL, Jean. Traces écrites. Domens, Pézenas, 1997, 92 p.


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témoignages, nous comprenons mieux certains aspects du projet de l'îlot 1. Nous y reviendrons tout au long de notre développement. L'îlot Basilique étant à proximité de Paris, nous avons pu nous rendre sur place à plusieurs reprises. Ce mémoire, par conséquent, a conduit à un long travail de terrain. Nous avons passé plusieurs heures au sein de l’îlot : cette facilité d'accès nous a permis, en plus d'avoir un rapport direct au bâtiment et de connaître cet ensemble dans les détails. Cela nous a également permis de rencontrer des habitants15. L’un d’entre eux, notamment, nous a permis de visiter son logement et nous a parlé du rapport qu’il entretenait avec son environnement. Le présent mémoire envisage d’étudier les différents procédés mis en place par Roland Simounet pour élaborer les espaces intermédiaires. Dans cette perspective, nous proposons une analyse associant travail documentaire et travail de relevé sur place. Nous avons effectué des études de cas et dresser un inventaire précis des procédés mis en place au service des espaces intermédiaires. Il nous paraît également intéressant de traiter ces éléments de manière graduelle en proposant une analyse allant de l’échelle de la ville jusqu'à celle du logement. Nous proposons de décomposer l’îlot, en accordant une attention particulière à trois parties différentes qui le composent : le sol, le bâtiment et le ciel. La principale difficulté rencontrée est celle d’une abondance d’informations quant à la notion d’ « espace intermédiaire ». Une sélection d’informations exclusivement architecturales ainsi qu’une répartition en thèmes d’étude m’ont aidé à faire face à cette difficulté. Les nombreuses documentations sur l’œuvre de Roland Simounet ont aussi représenté un certaine contrainte : nous souhaitions mettre au point une analyse scientifique et personnelle qui ne soit pas une étude sociologique (contrairement aux travaux réalisés précédemment). Dans cette optique, nous avons décidé d’effectuer un travail de terrain qui s’intéresse à la dimension urbaine et architecturale du projet. La taille de l’îlot rendait difficile un relevé complet du site. La répétition de certains éléments permettait tout de même d’analyser l’opération de logements. Nous avons 15 Entretien retranscrit en annexe p.113


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été confronté à un autre problème sur place : certaines parties de l’îlot étaient fermées – nous devions compter sur la compréhension des habitants (ce qui fut souvent le ca). Ce mémoire se divise en trois parties. La première partie s’intéresse aux frontières poreuses sur le plan de l’aménagement, entre la ZAC et l’îlot Simounet. Il s’agit d’étudier l’œuvre de Simounet à travers son rapport au site et au sol. En seconde partie, nous verrons comment, par la création de prolongements entre les différents espaces, Roland Simounet parvient à réinventer deux notions apparemment opposées : le dehors et le dedans. Nous verrons quel est son rapport avec le voisinage proche et comment sont opérés différents prolongements dans l’espace. Dans La troisième partie, l’analyse sera axée sur l’ouverture de l’îlot vers l’extérieur et sur son déploiement vers le ciel. Cette partie s’interrogerai aussi sur les moyens que Roland Simounet met au point pour à le maîtriser.


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BIOGRAPHIE ROLAND SIMOUNET

Photographie Roland Simounet (source : Perenom)

1927: Naissance à Guyotville en Algerie. 1947: Études d’architectures à l’école d’architecture d’Alger puis aux Beaux-Arts de Paris.

1951: Devient membre du Congrès international d’architecture moderne (CIAM) et entreprend une enquête sur le bidonville de Mahiedine à Alger.

1953: Présentation de cette enquête au CIAM dont le thème était “Charte de l’habitat”.

1954: Devient conseiller technique pour l’habitat à l’Agence du plan pour la ville d’Alger.

1955-1958: Construction de nombreux logements de transit et cités d’urgence (cf: 200 logements à Djenan el-Hasan (Algérie) mélange de construction traditionnelle et moderne à inspiration corbuséenne).

1956: Fondation du Comité pour une trêve civile en Algérie. 1961: Rencontre avec Le Corbusier et Jean Prouvé.


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1962: Mission au Venezuela pour proposer des plans de resorption de barrios (bidonvilles), travail au Burkina Faso et à Madagascar.

1963: Retour à Paris, début de la réalisation de la résidence universitaire de Madagascar à Tananarive, de plusieurs écoles et lycées au Sahara, et de la résidence de l’ambassade de France à Alger.

1964: Ouvre un cabinet d’architecture appelé « Cabinet Simounet »,1969-1971: Réalisation de logements en Corse qui font sa renomée.

1970-1973: Conversion du palais abbatial de Saint-Germain- des-Prés (Paris) en locaux universitaires.

1973-1980: Réalisation de logements à Cergy, de l’école d’architecture de Grenoble, du musée de la Préhistoire d’Île-de- France, du musée d’Art moderne du Nord à Villeneuve.

1977: reçoit le Grand prix national d’architecture. 1978-1979: membre du de l’Académie de France à Rome. 1976-1985: Réalisation du musée Picasso à Paris. 1982: Reçoit la Grande médaille d'honneur de l'Académie d'architecture pour l'ensemble de ses travaux.

1985: Reçoit l’équerre d'argent 1985 pour le musée Picasso. 1984-1995: étude pour la restructuration du carrefour Pleyel à Saint-Denis, pour le musée Rodin à Paris, pour le centre culturel de Bélem à Lisbonne, pour l’École des beaux-arts de la ville de Paris, pour le fort Saint-Jean à Marseille; et réalisation d’un ensemble de logements à Paris, de logements sociaux à Saint-Denis, et de l’École nationale supérieure de danse de Marseille.

10 février 1996: Mort à Paris.


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FRONTIÈRES POREUSES: DE L'AMÉNAGEMENT DE L'ESPACE PUBLIC À CELUI DE L'ESPACE PRIVÉ

Figure 1 Passage du moulin Choiseul (le mail) (Photographie, Source : Soukaina Gharbi)


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I.

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Frontières poreuses : de l'aménagement de l'espace public à celui de l'espace privé

1.1. La mise en place d'un cadre d'intervention favorable Présentation des différentes étapes qui ont conduit au lancement de la ZAC L’îlot Simounet correspond à l’îlot 1 de la ZAC Basilique. Il est construit selon le plan d’aménagement de la ville de Saint Denis qui est mis au point le 6 mai 1953. Deux plans d’aménagement majeurs vont se succéder. Ces plans d’aménagements issus d’une part d’une volonté de faire disparaître l’insalubrité dans le quartier de la basilique à Saint-Denis, et d’autre part de celle de relier le centre ancien au nouveau projet dans la perspective de valoriser le quartier historique et de donner une place considérable aux espaces publics. La transformation du centre ancien de Saint Denis en un tissu insalubre s’est faite en plusieurs siècles. La ville de Saint-Denis a connu. Ces mutations ont mené à un abandon progressif du centre ancien de la ville, Par conséquent, un parcellaire hétérogène et ghettoïsé s’est formé. Le processus d’évolution urbaine commence dès le XIe siècle. Après la création au XIe siècle d’un réseau viaire ayant une forme concentrique, la ville médiévale est fortifiée à cause de la guerre de Cent Ans. L’ouverture du canal Saint-Denis en 1824 ainsi que l’arrivée des chemins de fers en 1844 favorisent l’installation d’industries. Le rempart est rendu obsolète à cause de l’édification de trois forts qui servent à englober Saint-Denis dans le système défensif de Paris 16 . En 1840, les loges de la foire sont remplacées par quatre halles métalliques. La ville de Saint Denis devient une ville industrielle. Elle continue de se développer en périphérie tandis que le centre ancien est peu à peu abandonné. On y trouve un parcellaire découpé, un ensemble architectural (sur le plan esthétique et programmatique) hétérogène, un surpeuplement des logements, qui le plus souvent sont constitués de moins de trois pièces 17 . L’insalubrité des habitations est 16 Saint Denis, une ville au moyen âge [en ligne]. Disponible sur : www.saint-denis.culture.fr (Consulté le 10/11/2017). 17 CEDRIC David in BLANC-CHALEARD Marie-Claude et BERTHET, Jean-Louis et BRAVACCINI (dir.). Saint Denis , îlot Basilique. La résorption de l’habitat insalubre : retour sur une politique publique, 1970-1984. La Défense : Comité d’histoire, 2015 (Pour Mémoire, Hors série), p. 31-51.


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officiellement déclarée par la préfecture de la Seine-Saint-Denis en 1943. Il faut attendre dix ans avant que la rénovation du quartier ne soit engagée. L’après guerre est une période qui se prête à la construction de logements collectifs neufs. Auguste Gillot, le maitre communiste de Saint Denis fait appel à l’architecte André Lurçat et le désigne comme urbaniste conseil de la ville. André Lurçat conçoit le premier plan d’aménagement et fixe le périmètre de rénovation. Une première étude sur l’habitat insalubre est menée et un recensement est mis en place afin d’avoir des précisions sur l’état du bâti. Le plan d’ensemble d’André Lurçat est l’équivalent du PAZ (plan d’aménagement de zone) – (fig.2) il s’agit d’un plan qui délimite à la fois les zones constructibles, les affectations et les gabarits. Le logement est la préoccupation première de ce plan. On y voit une séparation nette entre logements et équipements. L’architecte et urbaniste conseil de Saint-Denis envisage de remodeler le tracé viaire entre la rue Albert-Walter au Nord et la rue Félix Faure afin d’élargir les rues. Il s’en suit la création de cinq ilots. On assiste au réalignement de la rue de Strasbourg qui devra abriter commerces en rez-de-chaussée ainsi que des entrées de parking. Concernant la zone située à proximité de la maison de la Légion d’honneur, deux îlots de petite dimensions sont tracés par Lurçat, une percée divisant l’ilot est dirigée vers la façade Nord de basilique et son jardin. Afin de respecter l’entre deux des monuments historiques, Il est question de construire trois bâtiments dont l’entrée se fait à l’aide de passages semi-privatifs (fig.3). Il s’agit de s’écarter le plus possible de la basilique Saint Denis. Dans cette optique, Lurçat libère les terrains les plus proches et adapte la hauteur des bâtiments selon leur proximité avec la basilique. Ces contraintes sont imposées par la direction des monuments historiques. Le plan masse est accepté par la préfecture de la Seine en 1961 : le périmètre définitif de la rénovation est fixé. Les jalons sont posés dès ces années : Lurçat veut aérer le centre sans nuire à son activité ni au gabarit ancien de ses rues. Ce premier projet de réaménagement principalement consacré au le logement est mis en suspend entre 1961 et 1967 (la préoccupation concernant la résorption de l’habitat insalubre nuit à l’avancement du projet de réaménagement). En juin 1967, la municipalité comprend que rien ou très peu n’a été fait. Durant une réunion, les architectes André Lurçat, Serge Lana et Serge Magnien sont chargés


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Figure 2 Plan Lurçat 1958 (source: Rénovation urbaine: Saint-Denis, le secteur basilique, AMC, n °43, nov 1977, p5978)

Figure 2/2 Projet de rénovation d’André Lurçat pour l’îlot Basilique, juin 1960, (source: Fonds Lurçat - IFA)

Figure 3 Plan détail d'André Lurçat, 1960, Saint-Denis, Rénovation de l'îlot Basilique (source: Eleb-Harle Nicole, Quand la rénovation se pare d'îlots, p.14)


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Figure 4 Plan Lana Magnien 1970 (source: Rénovation urbaine: Saint-Denis, le secteur basilique, AMC,n°43, nov 1977, p59-78)

Figure 5 Esquisse de plan masse, Dossier ZAC, décembre 1970, S. Lana et S.Magnien (Plan masse, source: Eléb-Harle Nicole, Quand la rénovation se pare d'îlots, p. 16.)


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d’élaborer un nouveau plan (fig.5) qui devra privilégier les connexions entre le centre ancien animé et le nouveau quartier. Il s’agit également de maintenir les deux axes commerçants. Ce plan devra contenir un centre commercial avec parkings. Ces réalisations auront pour but d’ouvrir le centre-ville 18. Le périmètre de rénovation est élargi par rapport à celui mis au point par Lurçat et s’étend au-delà de la rue Albert Walter. On décide de s’éloigner de la basilique et de renouveler le patrimoine immobilier. On ne pense pas encore à réaliser des logements. Deux principes sont importants: une simplification du dessin au sol en réalisant deux grands ilots séparés par la rue Walter, et la réalisation d’une dalle recouvrant l’ensemble du périmètre19. L’arrivée du métro en 1976 entraîne la mutation du secteur. Ce nouveau plan a donc pour vocation première de transformer le centre en zone commerciale attractive laissant en second plan le projet de logement. Présentation des caractéristiques du plan d'aménagement En mars 1970, un dossier est déposé devant le ministère pour la demande d’une subvention. C’est à ce moment que la création d’une ZAC est conseillée. C’est Dans ce contexte que, en 1975, la municipalité fait appel à la SODEDAT, un aménageur public, afin d ‘accompagner le projet20. Dès lors, une partie des sols est libérée et une évaluation de l’insalubrité est effectuée. On constate que le secteur abandonné depuis quelques années s’est ghettoïsé à cause de l’absence d’aménagement et d’un abandon progressif. Cela entraîne une révision du plan masse en association avec les monuments historiques. En réalisant cette ZAC, on revient à l’idée de construire des logements et d’effectuer des déviations dans le réseau viaire qui permettraient de prendre des distances avec la Basilique. Ce n’est qu’en 1976, à la veille de l’ouverture de la station de métro Basilique, qu’est déposé le dossier de réalisation21. Une liste d’architectes est demandée par la commission des abords (fig.6). Serge Lana et Bernard Paurd sont les premiers à se lancer dans un îlot test. Dès lors, 18 ELEB-HARLE, Nicole. Quand la rénovation se pare d'îlots, op.cit., p. 15. 19 NOVIANT Patrice, « Rénovation urbaine: Saint-Denis, le secteur basilique », AMC, n°43, novembre 1977, p. 59-78. 20 ELEB-HARLE, Nicole. Quand la rénovation se pare d'îlots , op. cit., p. 17. 21 Archives du monde du travail, fonds Roland Simounet : 199701710091.


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Figure 6 Situation des îlots par tranche et par numéro (Schéma source: Soukaina Gharbi)

1 –Roland Simounet 1ère tranche (1980-1982) et 2ème tranche (1983-1985) 2-Bernard Paurd 1ère tranche (1980) et 2ème tranche (1981) + Serge Lana et Serge Magnien 3-Jacques Bardet (1988-1992) 4-Maria et Jean Deroche : (1987-1988) 5-Olivier Girard : (1987-1988) 6-Georgres Maurios (1988-1989) 7-Guy Naizot (1988-1990) 8-Renée Gailhoustet (1981) 9-Francis Gaussel (1984-1986) 10-Henri Gaudin (1988)-1992


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on considère comme essentielle une coordination entre tous les îlots pour éviter l’effet « patchwork ». Ce sont les architectes Guy Naizot et Eva Samuel, qui se sont occupés de l’aménagement de la nouvelle station de métro Basilique, qui sont à la charge de cette coordination. Ils doivent établir un protocole. Finalement, après concertation, on décide que la basilique fasse partie intégrante du centre. On cherche à s’inspirer du centre ancien en envisageant de réaliser une arcature dans le projet. La rue Jean Jaurès, en effet, est une ancienne rue à arcade. Différentes percées visuelles vont également être établies vers la basilique. Le monument, par ailleurs, n’est plus considéré comme le point central de la ville. Le métro vient constituer un nouveau centre d’une ville ouverte sur la périphérie. L’arrivée de cette station annule les projets souterrains et de plateforme qui auraient été réalisés d’après ce qui avait été mis au point quelques années plus tôt, dans le cadre de la construction du centre commercial. Plutôt qu’un grand centre commercial, on prévoit une rue commerçante de 40000 m2 de boutiques22. Cependant, les îlots devront disposer de parkings allant du R-2 au rez-de-chaussée. La présence des voitures au cœur de la ZAC reste considérable. Certains parkings sont mutualisés ou alors privatisés. La surface en parkings représente les deux tiers de la surface de la ZAC. Roland Simounet dans l’opération de la ZAC Roland Simounet commence à s’occuper de l’îlot qui lui est réservé en même temps que Bernard Paurd, Serge Lana et Serge Magien, qui s’occupent d’un autre ensemble. L’ilot Simounet est constitué de deux ensembles construits successivement. La première tranche (1980-1982) se situe aux abords du parc de la Légion d’honneur, la seconde (1983-1985) concerne la partie plus proche de la Basilique Saint Denis. Pendant la conception, différentes contraintes sont imposées à l’architecte. Ces contraintes vont être considérées par l’architecte comme des éléments sur lesquels il peut s’appuyer afin d’élaborer son projet. Dans un premier temps, il s’agit de contrainte d’ordre historique et patrimoniale. La situation urbaine de l’îlot en fait un ensemble privilégié en raison sa proximité avec deux édifices classés : la maison de la Légion d’honneur avec son parc au Sud et la basilique Saint-Denis. Le retrait du côté du mur du jardin de la maison de la Légion d’honneur est imposé afin de créer une 22 BABE, Christophe, CURUTCHET, Julie, GHERIBI, Bechir, JALU, Lina, KISCHENAMA, Anaëlle, LIANG, Shaolan, PEROT, Paul, POUJOL, Chloé, PRIMO, Bérénice, REPIQUET, Philippine, SZWARC, Anaïs, TALISSE, Sandra. Une architecture militante la ZAC basilique, tout un patrimoine. Présentation diapositive, Paris : ENSAPB - DSA Architecture et Patrimoine, 2015, 58 p.


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Plan du parcellaire ancien des îlots 1 et 2

Plan ZAC (décembre 1975) sur fond de parcellaire ancien

Plan de détail de Lurçat (1960) sur fond de parcellaire ancien

Plan de composition générale ( mars 1976) sur fond de parcellaire ancien

Figure 7 Plans masses sur cadastre ancien (document reproduit numériquement ; Source : Eleb-Harle Monique, Quand la rénovation se pare d’îlots p. 24).


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promenade publique aménagée sur les traces d’anciennes douves (fig.10). Le projet s’effectue en deux tranches sur lesquelles deux opérations viennent se « greffer par accident » 23 : le bâtiment du moulin, situé au centre de l’ensemble mais qui s’est écroulé en cours de chantier, et l’immeuble du marbrier qui ne peut être conservé à cause de la vente de son terrain. Pour ces deux édifices préexistants et reconstruits, Roland Simounet a changé de modénature, de matériau et de couleur, afin de rythmer la partie Nord de la rue de Strasbourg. La seconde contrainte a à voir avec le nouveau plan d’aménagement qui souhaite conserver le tracé de la voirie existante. Les empreintes au sol d’un tissu urbain ancien guident la planification de l’îlot Simounet, à proximité immédiate avec le centre ville, ainsi nous remarquons dans l’îlot actuel que le tracé viaire vient se superposer avec de « vieux chemins », et que les passages et mails présents dans le projet viennent s’installer dans des anciens tracés viaires ou fluviaux. Il décide par conséquent de reprendre des cotes préétablies par le passé. Pour Roland Simounet, c’est notamment un travail de mémoire et de préservation de promenades qui ont pu être faites dans le passé. Il entend garder pour les habitants des parcours et des habitudes qui ont pu exister avant la tabula rasa24. L’îlot Simounet participe également à une séquence urbaine bordée d’arcades de part et d’autres de la rue de Strasbourg. Il constitue un prolongement dans la ville en suivant les tracés anciens. La voirie ancienne constitue un point de repère pour le projet de Roland Simounet qui prend en considération la dimension historique du lieu. Plusieurs plans-masses de l’îlot se succèdent (fig.7 et 8). La première proposition témoigne d ‘une densité considérable. Elle est rejetée car le coordinateur Guy Naizot impose un alignement à la rue de Strasbourg 25 (fig.9). La solution définitive est beaucoup plus adaptée au parcellaire existant. Elle suit le schéma de la voirie ancienne à l’intérieur de la parcelle. Par exemple, l’impasse Choiseul existait avant même la construction des logements.

23 Roland SIMOUNET qui commente une diapositive. R SIMOUNET Innovation in Social Housing France D1 1 Title 01 Durée: 35: 54. AA School of Architecture, disponible sur : https://www.youtube.com/watch?v=XnTw6kubXfE (consulté le 19/12/2017) 24 ELEB-HARLE, Nicole. Quand la rénovation se pare d'îlots, op. cit., p. 75. 25 Ibid., p. 32.


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Figure 8 Alignement sur la rue de Strasbourg (document d'archive, Source : centre nationale d'archives du monde du travail Fond: Roland Simounet, cote: 1997 017 101031, Roubaix).

Figure 9 Alignement sur la rue de Strasbourg (document d'archive, Source : centre nationale d'archives du monde du travail Fond: Roland Simounet, cote: 1997 017 101031, Roubaix).

Figure 10 Limite du mur de lĂŠgion d'honneur (document d'archive, Source : centre nationale d'archives Fond: Roland Simounet, cote: 1997 017 10119 , Roubaix).

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L’architecte va alors chercher d’autres « points d’ancrage » qui pourraient à travers le relief (fig.2), lui servir de référence pour son édifice. Selon lui : L’architecture n’est jamais isolée, elle se prolonge dans le sol, elle accompagne d’autres bâtiments. Il faut résoudre la question du contact du bâtiment avec le sol (…) si vous avez une colline, vierge, superbe, comme celle que j’avais à Tanarive, et que vous osez construire dessus, il faut le faire avec beaucoup de respect. Vous devez intervenir avec beaucoup de politesse, en respectant la 26 topographie et en essayant de vous couler dedans.

Roland Simounet affectionne cette approche territoriale qu’il a déjà mis en pratique dans certains projets en Algérie (pour les logements de Djennan el Hassan notamment). En France, à la différence de son pays natal et de ses sols indomptables, Roland Simounet est confronté à des sites souvent plats et dont il doit trouver lui même le relief. En milieu urbain, l’identification d’une topographie est d’autant moins évidente. Dans une approche qui s’apparenterait à celle de l’archéologue, il cherche les références gothiques qui se trouvent sur les lieux. Il se réfère à ces vestiges historiques pour mettre au point son projet: « on ne voyait pas le sol et j’ai essayé de trouver un relief là dessous. J’ai reconstitué un plan topographique avec des courbes de niveaux car, malgré les apparences, c’est un terrain qui n’est pas plat »27. Il remarque des équivalences entre le niveau de la parcelle et celui du parvis de la basilique Saint-Denis : « La cote 33,30 à l’angle sud-ouest du terrain était aussi celle du parvis de la basilique »28 (fig.12).

Figure 11 Topographie du terrain (document d'archive, Source : centre nationale d'archives Fond: Roland Simounet, cote: 1997 017 10119, Roubaix).

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26 SIMOUNET, Roland « Entretien avec Virginie Picon-Lefebvre ». Roland Simounet à l’œuvre (19511996). Techniques et architecture, n°451, décembre 2000 – janvier 2001, p 43. 27 SIMOUNET, Roland et KLEIN, Richard. Dialogues sur l'invention. Op. cit., p 83. 28 Ibidem.


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Figure 12 Etudes ĂŠquivalences topographiques (Croquis de Roland Simounet, source: Klein Richard: Dialogues sur l'invention p. 86-87)


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1.2. De l'espace public aux espaces privés : la création par Roland Simounet d'un îlot poreux La situation juridique à l’échelle de la ZAC L’objectif de la nouvelle ZAC est d’établir une continuité entre le tissu commercial, celui historique et celui plus récent. Il s’agit de fluidifier et rendre plus attractif le centre-ville. Cela passe par une politique du « tout public »29 et du « tout piéton »30. A l’échelle de la ZAC, le coordinateur Guy Naizot souhaite harmoniser l’espace public qui doit occuper une place toute aussi importante que les bâtiments. Pour lui, l’espace public ne doit pas être issu aléatoirement de la forme des immeubles construits, mais il doit être un projet à part entière. De ce fait, les rues et les places suivent une logique qui leur est propre31. En 1976, Eva Samuel effectue un « plan des emprises publiques »32 (fig.13). Une structure publique légère et non définie est créée dans le périmètre voué à la reconstruction. Cela contraste avec les espaces adjacents à la basilique Saint-Denis au statut public. En 1980, un autre plan est dressé par Eva Samuel et Guy Naizot. Il sert de référence pour la construction de l’espace public à l’intérieur de la ZAC. Ce plan n’est plus axé sur les alentours du monument religieux. Il s’organise à présent principalement autour de la place du Caquet (fig.15) qui est considérée comme un nouveau lieu important. Par conséquent, le métro devient le nouveau centre et met la basilique en second plan. Cependant, la place du Caquet renvoie à l’église car elle a un rapport de proportion avec la taille de la nef centrale de la basilique : en effet, la largueur de cette place est quasiment la même que celle de la nef de l’église sauf que la place est deux fois plus longue33. L’axe principal de la ZAC reste celui qui du boulevard Felix Faure au Nord, passe par la place du Caquet, et rejoint le parvis de la basilique Saint-Denis. L’axe de circulation automobile le plus fréquenté est celui qui se situe sur le boulevard Felix Faure. D’autres artères en intérieur d’îlots sont accessibles par les automobilistes. Cependant, les zones piétonnes (fig.14) prévues se développent davantage que celles 29 BABE, Christophe, CURUTCHE…etc, Une architecture militante la ZAC basilique, tout un patrimoine, op.cit. 30 Ibid. 31 DUTERTRE, Pascal. « Saint-Denis Basilique, 20 ans d’architecture urbaine », op.cit., p 32. 32 SAMUEL EVA, «Plan des emprises publiques» dans le PAZ, Archives Eva Samuel, plan grand format 1976. 33 DUTERTRE, op. cit., p. 33.


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réservées aux voitures. Les axes intérieurs privilégient la circulation pédestre qui devra se répartir entre galeries, passages et coursives. Une politique commune de l’îlot ouvert est mise en place et une alternance entre passages couverts et blocs est appliquée à l’ensemble de l’opération.

Figure 13 Plan des emprises publiques dans la PAZ 1976 (source: Archives Eva Samuel)


Figure 14 ZAC "tout piéton" (Schéma, source: Soukaina Gharbi)

Figure 15 Places et passages dans la ZAC (schéma, source: Soukaina Gharbi)

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Le découpage en îlots permet de définir une ambiance urbaine et aide aussi à constituer un espace public à l’intérieur de la ZAC. L’objectif est de rendre la ZAC perméable et poreuse. L’ilot ouvert permet sa traversée. Il permet un rapport plus évident entre la rue et l’ilot. En gardant une échelle urbaine dans les ilots, on trouve plus aisée la communication avec les commerces etc. Cette confrontation entre l’îlot et la rue est aussi celle du public et du privé : soigner le passage entre ces deux secteurs devient une nécessité. Une hiérarchie de statuts se met en place. Il est nécessaire de créer un statut intermédiaire entre les cœurs d’ilots et les rues crées par la ZAC. L’entre deux est à la fois un enjeu architectural et urbanistique dans l’opération de la ZAC Basilique.

Confrontation public / privé à l’intérieur de l’îlot de Roland Simounet Roland Simounet dit : « Les espaces publics, c’est la grande voirie, le commerce, mais dès qu’on entre à l’intérieur de l’îlot, c’est un espace que le public peut emprunter mais qui est déjà un peu commun »34. Quand il s’occupe de son projet pour l’îlot 1, l’architecte, voit là la nécessité d’articuler échelle du logement et échelles urbaines du centre-ville. Une hiérarchie est mise en place entre l’espace public périphérique, l’espaces semi public et les parties privatives. Dans cette perspective, quatre portes urbaines donnent accès à l’ilot et sont situées sur la rue de Strasbourg. Elles sont toutes piétonnes et de statut public : une en sous-sol qui donnent sur les parkings, deux sont situées aux extrémités Est et Ouest de l’îlot, la quatrième se trouve dans l’axe du mail35. On distingue les entrées collectives sur rues et les entrées par passages situés en rez-de-chaussée et qui sont de statut publics (soit des ouvertures complètes sur rue, soit des porches sur rue). Les logements situés en rez-de-chaussée en périphérie d’îlot sont accessibles directement

34 ELEB-HARLE, Nicole. Quand la rénovation se pare d'îlots , op.cit.., p. 50. 35 Ibid., p. 26.


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depuis le jardin36. L’accès au moulin et à l’immeuble du marbrier se fait par des halls distincts et particuliers37. De plus, le projet présente trois rues intérieures de statut public identifiable. L’espace public et le plus évident est l’impasse Choiseul. Cette impasse représente le mail. Elle est en relation directe avec la rue de Strasbourg et débouche sur la clôture du jardin de la maison de la Légion d’honneur qui est ouvert exceptionnellement au public certains jours de la semaine. Ce mail est l’entre deux des deux parties de l’îlot. Il est couvert par un dallage en béton. A mesure que nous nous approchons du mur du jardin de la maison de la Légion d’honneur, nous remarquons une transition au niveau du dallage. La réalisation d’un dallage à un moment donné d’un pavage en pierre suggère dors et déjà le jardin, d’autant plus que la végétation voit le jour entre les mailles des petits pavés en pierres. Malgré le statut quasiment public du mail, certains éléments, comme les parcs de jeu pour enfant ou les terrasses privatives plantées donnent une impression d’intimité. Le second espace public du projet est une promenade : Il s’agit du chemin de Croult. Ce chemin est la conséquence d’une contrainte imposée au projet : le retrait des logements du mur du parc de la Légion d’honneur est imposé. C’est un entre deux approprié par la nature. Il permet de faire le tour de l’îlot par l’arrière. Ce chemin est libre d’accès. Ce lieu, pourtant public, provoque chez le visiteur, comme l’impasse Choiseul, un sentiment d’intimité.. Il ne semble appartenir ni à l’ilot ni au jardin de la maison de la Légion d’honneur. Le troisième espace public est le passage Saint Michel Du Degré. Il s’agit d’une percée qui donne sur la basilique. Elle dispose d’un statut juridique public. A cet endroit, le travail au sol est réglé avec minutie. Roland Simounet joue sur un niveau de sol surélevé qui permet d’accéder à ses bâtiments de la deuxième tranche. La différence de niveau entre la rue et le sol de la deuxième partie constitue un seuil. A mesure que nous montons la douzaine de marches qui mène aux logements, la ligne

36 ELEB-HARLE, Nicole. Quand la rénovation se pare d'îlots, op.cit.p. 69. 37Ibid., p. 68.


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Figure 16 Passage Saint-Michel-du-DegrĂŠs, percĂŠe sur la Basilque (Photographie, Source : Soukaina Gharbi)


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d’horizon n’existe plus. Cela nous plonge dans l’intériorité de l’îlot où les statuts juridiques s’entremêlent. Lorsqu’on s’engage davantage à l’intérieur de l’îlot, la tension entre le statut public et le statut privé s’intensifie. Roland Simounet choisit de mettre en place en rez-de-chaussée des espaces communs de transition qui accompagnent les habitants jusqu’à l’intérieur de l’opération : les cours et les escaliers. Les cours s’opposent avec l’activité proliférant du centre-ville. Elles se caractérisent par un calme qui tranche avec l’ambiance extérieure. Elles constituent un seuil non seulement physique, mais également sonore et lumineux. En effet, on passe d’un espace étendu, le mail, à un espace clos et encadré. Elles sont bordées généralement par au moins un segment de coursives. Selon les endroits, le traitement de sol peut être différent. Il s’agit de gazon ou de dallage : Ils invitent respectivement soit à se reposer et se promener, soit a s’arrêter, jouer ou s’asseoir. La taille des lieux transforme ces espaces en des lieux de réunion pour les résidents. C’est pour cette raison notamment qu’elles instaurent un esprit de communauté. Les cours de la première tranche sont pour la plupart fermées c’est-à-dire bordées par des façades. Ces façades se composent de loggia en vis-à-vis ainsi que de coursives et de fenêtres. Ces cours ont une superficie supérieure aux cours de la seconde tranche et s’ouvrent par moment sur la rue ou sur le passage Saint-Michel-du-Degré38. Par conséquent, elles invitent le visiteur à entrer dans l’îlot Quant à la distribution collective, on la retrouve dès l’entrée dans l’ilot, elle est prolongement avec la ville. Le circuit est ramifié dans le but de faire cohabiter l’habitat collectif avec le principe de maison individuelle39. Lorsqu’on entre par la rue de Strasbourg, nous arrivons directement sur un escalier et un ascenseur qui nous mènent à des coursives desservies de l’intérieur par des escaliers hélicoïdaux. Roland Simounet caractérise le mail par la création d’un escalier pyramidal. Deux escaliers au maximum desservent les coursives40. La distribution en boucle de Roland Simounet permet soit d’accéder à l’îlot par une cage d’escalier classique dont l’accès se fait directement depuis la rue, soit par une cage d’escalier belvédère qui distribue les coursives. Certains logements disposent parfois d’un accès direct au moyen d’un 38 ELEB-HARLE, 39

Ibid., p. 67. 40 Ibid., p. 29.

Nicole. Quand la rénovation se pare d'îlots, op.cit., p. 29.


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escalier individuel. Les logements concernés par cette configuration sont situés en rez-de-chaussée. 1.3.L'élaboration d'un espace à soi sans être chez soi : l'îlot transformé en un labyrinthe aux chemins multiples

Bien que l’îlot Simounet soit structuré par des rues intérieures publiques, on se perd facilement dans ses cheminements. La sinuosité du parcours que l’architecte a voulu instaurer est une manière de s’approprier l’espace intermédiaire entre la rue et le logement. Du labyrinthe aux chemins multiples… L’îlot Simounet se présente pour le visiteur comme un labyrinthe aux multiples combinaisons de parcours. Un état des lieux montre que Roland Simounet met en place une série d’ « obstacles » physiques ou visuels entre l’espace intérieur des logements. L’effet labyrinthique est également encouragé par la ressemblance entre les différents bâtiments. Les cours se ressemblent fortement et leur géométrie rectangulaire bordée de coursives tente de nous faire perdre tout repères. Quand nous empruntons les coursives, nous pouvons être conduits (sans que nous ne nous en apercevions) vers des endroits improbables. Cette logique labyrinthique crée des flux dispersés. Dans la majeure partie des cas, le parcours diffère selon la personne qui l’effectue. Par exemple, pour les résidents de l’îlot, les promenades de découverte du début sont progressivement remplacées par des parcours plus efficaces et fonctionnels au quotidien. Plusieurs possibilités s’offrent à l’habitant. Elles dépendent de la situation de son logement à l’intérieur de l’îlot : un habitant disposant d’un appartement dont l’entrée se situe sur la rue de Strasbourg se rend au cœur de l’îlot. Si l’on observe les mouvements entre le parc, le centre et l’îlot, il est remarqué que très peu de passants s’engagent dans cette zone. Pour les personnes habitant au cœur de l’îlot, le parcours devient plus sinueux. C’est pour cette raison que l’on cherche des raccourcis qui mèneraient directement au logement. Pour les visiteurs et les enfants, le parcours est différent. Un invité par exemple s’aventurer dans l’îlot en ignorant le chemin exact à emprunter. Les impressions de déjà vu se multiplient dans


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l’esprit du visiteur qui a le sentiment de tourner en rond dans l’îlot. En effet, presqu’aucune signalétique n’est réalisée pour situer tel ou tel appartement. Les chemins sont indiqués par voie orale selon des éléments de repère anecdotiques. Quant aux enfants ou aux adolescents, ce sont eux qui génèrent le plus de mouvements. Les adultes qui résident dans l’îlot n’ont visité les lieux le plus souvent qu’une seule fois – ils ne cherchent pas à découvrir davantage l’endroit, tandis que pour la population plus jeune, l’îlot devient un terrain de jeu où il pourrait aisément se cacher, jouer, s’aventurer, se retrouver avec ses amis41. …Vers l’intime « Il disait, comme Castroriadis, qu’il faut “entrer dans le labyrinthe“, il aimait les niches et les recoins qu’un habitant pourra s’approprier. Il aimait les fondations qui sont cachées et dictent le plan. » 42 Le labyrinthe de Roland Simounet est un procédé qui permet de maîtriser le parcours de l’habitant ou de la personne qui s’engage dans l’îlot. Il a également pour objectif de brouiller la perception du lieu afin d’offrir une intimité à des logements d’usage collectif. C’est une manière de se sentir chez soi hors de chez soi. Au sein de l’îlot, en effet, les habitants fabriquent leurs propres repères tant il y a de similitudes. Seuls les connaisseurs savent s’y retrouver. Le fait d’avoir un chemin privilégié témoigne du rapport intime que met au point l’habitant avec cet entre deux séparant son logement de la rue. Cela a des avantages comme des inconvénients : du côté des avantages, cette situation offre une variation de chemins possibles et une possibilité de changement d’itinéraire à tout moment sans tomber dans l’ennui d’une routine. Du côté des inconvénients, cette multitude de parcours entraîne l’isolement d’endroits résiduels - ce qui générerait un sentiment d’insécurité. cet aspect labyrinthique de l’îlot permet par ailleurs à Roland Simounet de créer un espace, que contrairement aux passants et à la plupart des usagers, il maitrise. La notion d’espace-temps est fortement exploitée dans son projet. Il témoigne de la maîtrise par l’architecte, du temps consacré à chaque parcours. Il y a là la volonté 41 ELEB-HARLE, 42

Nicole. Quand la rénovation se pare d'îlots, op.cit, p. 73. KLEIN RICHARD. Roland Simounet à l’œuvre, op.cit., 168 p.


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d’allonger le trajet de l’entrée à l’intérieur de l’îlot. Les obstacles ont pour but de ralentir le mouvement afin que l’activité se concentre d’avantage sur l’intérieur de l’îlot. Grâce à ce procédé, le lien social se développe plus facilement : les personnes sont plus sujettes à des rencontres puisqu’elles passent plus de temps dans l’îlot. La sinuosité du parcours mise en place par Roland Simounet sert également à donner une impression de grandeur. Cette pratique s’étend de la cour jusqu’à l’intérieur du logement. Une fois qu’on entre dans l’îlot, nous avons la sensation d’être coupés de la ville tant le parcours est tortueux. A mesure qu’on avance, l’opération paraît plus grande qu’elle ne l’est réellement grâce au jeu de répétition. De ce fait, on se retrouve dans un microcosme qui favorise le lien social. Dans le logement, c’est l’organisation en demi-niveau qui participe à la fabrication d’un sentiment de grandeur. Roland Simounet semble maîtriser la manière dont on passe les murs de l’intérieur à l’extérieur du logement et des transitions entre les pièces qui le constituent. Il arrive à constituer des parcours au sein du logement. Il parvient à créer un logement en créant un enchainement subtile et graduel de pièces de l’entrée jusqu’aux chambres difficile d’accès. le logement est en effet composé de trois ou quatre Demi-niveaux. L’avantage de ce procédé est de rendre le passage de pièce en pièce plus aisé sans avoir à monter une volée entière d’escaliers. La communication entre les différents espaces qui gardent chacun leur autonomie est aussi un autre avantage de cette organisation. Depuis la coursive, la porte d’entrée mène à un vestibule qui fait office d’entrée. Une sorte de dressing-buanderie se trouve à proximité. Lorsqu’on monte dans le second Demi-niveau, nous sommes devant la grande pièce principale du séjour qui se situe à coté de la salle à manger. Dès que nous montons d’un demi-niveau, la cuisine et la salle de bain partagent un même niveau. Plus nous montons, plus nous nous retrouvons dans des lieux intimes. La cuisine donne sur un escalier qui mène aux deux chambres des logements (fig.30 et 31). Pour conclure, nous pourrions reprendre les propos de Georges Massé : « Roland Simounet utilise avec une grande dextérité les différences entre les deminiveaux. En effet, ceux-ci ne sont pas décalés d’un demi-étage à chaque fois, mais d’un tiers d’étage, ce qui permet tantôt d’ouvrir l’espace, tantôt de le refermer. »43

43 MASSÉ, Georges. « Face à face gothique », op.cit., p. 65.


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Figure 17 Ilot 1 Simounet, Plan du RDC (plan, reproduction numérique: Soukaina Gharbi, Source: Eleb-Harle Nicole Quand la rénovation se pare d'îlots, p. 27).


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ESPACES PROLONGÉS, ESPACES REINVENTÉS: UNE ARCHITECTURE FERMEE A L’EXTERIEUR ET OUVERTE A L’INTERIEUR

Figure 18 Axonométrie de l'îlot 1 (source: Klein Richard, Dialogues sur l'invention, p.80)


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II.

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Espaces prolongés, espaces réinventés : une architecture fermée à l'extérieur et ouverte à l'intérieur Nous progressons à présent dans l’œuvre de Roland Simounet dans ses lieux,

ses espaces, son rapport au voisinage proche. L’îlot Simounet est à la fois en dialogue avec le contexte de la ville et à la fois dans une situation d’introversion. A l’intérieur de l’îlot, l’architecte met au point des procédés architecturaux issus de l’architecture méditerranéenne au service des transitions entre intérieur et extérieur. 2.1 Face à face et dos à dos : de l'îlot contextualisé à la ville fortifiée L’îlot n°1 du fait de sa situation particulière, devient un outil projectuel pour Roland Simounet. L’architecte parvient à créer un ensemble qui, à la fois, dialogue avec le contexte urbain dans lequel il évolue et lui tourne le dos. C’est à travers des réglages minutieux qu'il parvient à effectuer un passage entre un environnement urbain et un environnement domestique44. Ce jeu entre distance et intimité favorise une convivialité dans les rapports humains et urbains tout en préservant l’îlot des nuisances extérieures. Face à face historique Le face à face s’opère surtout avec les édifices historiques bordant le projet. Ces éléments sont fixes et impossibles à déloger car ils sont classés comme patrimoine historique. Il s’agit, par conséquent, de s’adapter à ces édifices. Roland Simounet va travailler en prenant en considération simultanément l’îlot, la basilique Saint Denis, le parc de la maison de la Légion d'honneur, les deux immeubles du moulin et du marbrier. Il cherche à établir des équivalences entre ces différents éléments 45 . Dans un entretien qu’il accorde à Richard Klein intitulé la « leçon d’Alger », il explique son rapport avec la basilique Saint-Denis :

44 ELEB-HARLE, Nicole. Quand la rénovation se pare d'îlots, op.cit., p. 56. 45 Ibid., p. 35.


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Figure 19 Mur de la Légion d'honneur avant construction (Photographie, source: Christian Davillers Centre des archives du monde du travail, Fond Rolands Simounet, cote: 1997 017 PH, Roubaix)

Figure 20 Mur de la Légion d'honneur après construction, 2017 (photographie, source: Soukaina Gharbi)

Figure 21 Coupe sur l’îlot jusqu’à la basilique (Dessin Roland Simounet, source: Centre des archives du monde du travail, Fond Rolands Simounet, cote: 1997 017 PH, Roubaix)


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« Pour moi, le dialogue est très important. Il faut être poli, répondre à ce qui est alentour tout en étant présent. Face à la basilique, on se terre, on rase les murs, ou on paraît avec la politesse qui convient. C’est très fertile d’être confronté à un monument prestigieux. C’est une joie d’ajouter quelque chose à un lieu, à un site. »46 La basilique est un élément fort du paysage. On la voit à plusieurs reprises depuis l’îlot. Afin de trouver une place à côté de ces voisins prestigieux, Roland Simounet crée ce qu’il appelle « un ordre architectural »47. Il joue sur la verticalité et sur la modénature tout en intégrant des descentes d’eau qui renvoient à l’architecture gothique : « […] il se trouve que les cotes d’entre-axes des façades sont très proches de celles des travées de la nef de la basilique. Le créneau du chemin de ronde qui couronne la façade occidentale de la basilique, sous la tour, correspond presque exactement aux balcons des loggias… »48. L’îlot Simounet est également voisin de la maison de Légion d’honneur, il est en cul de sac avec le mur de clôture du parc de la Légion d’honneur (Fig 19 et 20). Le jardin du bâtiment fait partie du voisinage proche de l’îlot n°1. Roland Simounet essaye d’en tirer parti en orientant principalement son projet vers le parc. La lumière est le principal atout de cette situation : en se tournant vers le jardin, l’architecte oriente ses logements vers le Sud. D’autre part, cette position est avantageuse par rapport aux vues dont bénéficient les logements. Au lieu d’avoir droit à l’atmosphère bruyante de la rue de Strasbourg, les habitants ont un vis-à-vis composé de nature et de végétation. De plus, le parc de la Légion d’honneur fait partie des endroits de promenade privilégiés des habitants de l’îlot basilique de par sa proximité avec l’îlot et sa grande superficie. Après négociation, les aménageurs obtiennent l’autorisation d’ouvrir le parc au public à certaines saisons et certaines heures de la journée : l’ouverture du parc sur l’avenue tout l’été le rend assez accessible et notamment pour les familles ayant des enfants en bas âge49.

46 KLEIN, Richard et SIMOUNET, Roland « La leçon d’Alger », dans KLEIN, Richard. Roland Simounet à l’œuvre, op.cit., p. 17. 47 Roland SIMOUNET qui commente une diapositive. R SIMOUNET Innovation in Social Housing France, op.cit. 48 SIMOUNET, Roland et KLEIN, Richard. Dialogues sur l'invention, op.cit., p 90. 49 ELEB-HARLE, Nicole. Quand la rénovation se pare d'îlots, op.cit., p. 82.


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Figure 22 Bâtiment du moulin (Croquis de Roland Simounet, Centre national d'archive du monde du travail, Fond: Roland Simounet, cote: 1997 017 10184, Roubaix).

Deux bâtiments se sont retrouvés fortuitement dans le projet. Roland Simounet les décrit comme « deux opérations greffées par accident »50. Ce sont l’immeuble du moulin (fig.22), au centre de l’opération et qui donne sur la rue de Strasbourg, et l’immeuble du marbrier qui se retrouve à proximité du parc de la maison de la Légion d’honneur -il donne également sur la rue de Strasbourg. L’architecte affectionne tout particulièrement ces deux bâtiments et envisage de les garder. Cependant, leur état ne garantit pas leur pérennité. Par conséquent, Roland Simounet décide de les reconstruire au même emplacement. Dans son hommage Vingt deux heures vingt deux, Pascale Langrand Présente la manière dont Simounet intègre l’un des deux édifices. Elle se souvient du moment où Roland Simounet lui avait demandé de dessiner les plans du bâtiment du moulin : « 50 Roland SIMOUNET qui commente une diapositive. R SIMOUNET Innovation in Social Housing France, op.cit.


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Je trouvais le travail de l’angle du Moulin complexe, je le maîtrisais difficilement et donc je le critiquais… tout était pensé, il travaillait en même temps à la longue façade sur rue qui ne le satisfaisait pas. Je m’approchais pour le voir dessiner et il m’expliquait qu’il ne savait pas “faire une façade”. Comme je le regardais assez incrédule, il s’est mis à rire puis m’a expliqué, sérieusement, qu’il lui était très difficile de mettre au point cette longue façade lisse (qui devait être une contrainte d’urbanisme) pour l’animer sans pour autant tomber dans un formalisme qui lui déplaisait.

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Ces deux bâtiments reconstruits devaient animer la façade de la rue de Strasbourg et la sortir de sa monotonie. L’architecte arrive à ce résultat en les réalisant en brique et en changeant la peinture des façades (rose pour l’immeuble du moulin et blanc pour l’immeuble du marbrier). Les deux édifices réinterprétés par Roland Simounet s’imbriquent parfaitement dans l’ensemble du projet tout en gardant une authenticité par leur forme, leur matériau et leur couleur. Dos à dos : une ville fortifiée En décidant que son îlot tournerait le dos au contexte urbain dans lequel il évolue, Roland Simounet crée une nouvelle ville dans la ville. La mise en retrait par rapport à l’ambiance urbaine de Saint-Denis et son centre est la conséquence de deux choix de l’architecte Roland Simounet. Le premier consiste à tourner le projet vers le parc de la Légion d’honneur. Par conséquent, l’îlot tourne le dos à la rue de Strasbourg qui est la principale artère reliant l’îlot à la ville : « Tout se passe comme si Roland Simounet avait détourné son projet de cette rue ingrate pour le réorienter vers le parc. L’architecte désapprouve le parti urbain choisi par les aménageurs...» 52. Il respecte tout de même l’alignement imposé par le plan d’aménagement par respect des conventions. La rue de Strasbourg présente plusieurs défauts tels que le bruit, l’absence d’espace, une orientation vers le Nord. La vue tournée vers la nature lui permettrait de régler les problèmes liés aux vis-à-vis53. C’est pour cette raison que les logements sont pour la plupart, orientés vers le Sud (à l’exception de quelques ateliers d’artistes qui ont une vue sur la rue de Strasbourg). La façade Nord contient principalement tout ce qui peut être utile pour les logements : circulations, coursive fermée et galerie. Le second choix architectural que fait Roland Simounet pour créer 51 KLEIN, Richard. Roland Simounet à l’oeuvre, op.cit., p 72. 52 MASSÉ, Georges. « Face à face gothique », op.cit., p. 64. 53 ELEB-HARLE, Nicole.op.cit, p. 93.


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une ville dans la ville, est celui de jouer avec l’échelle volumétrique du bâtiment. L’architecte dresse une grande façade du côté de la rue de Strasbourg. Elle fait office de bouclier et de front à la ville. Marc Bédarida s’exprime à ce sujet : « Par contre, il n’aimait pas dessiner ou raisonner en termes de façades comme cela s’observe rue Strasbourg, à Saint-Denis. "Je fais des fronts" opposait-il à l’idée de façade… » 54. Roland Simounet joue ensuite sur une diminution graduelle de l’échelle et l’oriente vers l’intérieur de l’îlot (du plus haut – côté rue – au plus bas – côté cour). Ce jeu d’échelle a pour objectif à la fois de s’adapter au parc de la Légion d’honneur et de conduire vers l’ascension de la maison individuelle55. L’îlot devient une parenthèse urbaine. C’est une pause dans la ville, qui, dès que nous entrons nous mène de manière subtile au logement. Roland Simounet fait de son îlot un rempart à la ville : « Je crois à l’ancrage ; j’aime que les choses soient ancrées, enracinées et quelle se prolongent par des perrons, des emmarchements, des contreforts, des murs d’enceintes »56. Il considère que l’îlot est une ville fortifiée dotée d’enceintes. Le mur du jardin de la Légion d’honneur est un mur d’enceinte préexistant donné par le site. Il entoure l’îlot de deux cotés. Le front de façade de la rue complète la fortification. Une fois à l’intérieur de ces fortifications, nous assistons à un emboitement de la ville avec le bâtiment, qui a lui-même ses propres façades monumentales : « En 1977, la base des immeubles de l’ensemble Saint-Denis basilique prend l’aspect de contreforts, et une vue axonométrique met en exergue le crénelage modelé par les descentes d’eau » 57. Si dans cette ville dans la ville la façade des immeubles sont similaires, on observe cependant des variations à travers la distribution collective et le dessin des cours58. Intramuros, on se trouve dans une ville réinventée par Simounet. Elle se compose de rues, d’impasses, de places, d’un mail et d’un circuit ramifié qui s’appuie sur ce qui est issu du passé : « je ne crois pas qu’on puisse inventer une rue ; c’est illusoire parce que la rue a forcément une histoire… ce sont des choses qui se sont 54 KLEIN, Richard. « Roland Simounet à l’œuvre (1951-1996), op.cit., p. 115. 55 ELEB-HARLE, Nicole, op.cit., p. 115. 56 SIMOUNET, Roland et KLEIN, Richard. Dialogues sur l'invention, op.cit., p. 84. 57 THOMAS, Jérôme. « Questions de limites », dans SIMOUNET, Roland. Roland Simounet à l’œuvre, op.cit. 58 MASSÉ, Georges. « Face à face gothique », op.cit., p. 64.


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faites toutes seules. »59. En se basant sur des traces anciennes, Roland Simounet recrée la ville avec ses artères, ses passages, son mail. Il y a là une vraie organisation urbaine qui est aidée par la densité des immeubles constituant l’îlot. 2.2 Des espaces « en plus »60 : frontières diffuses entre dehors et dedans Que sont ces espaces « en plus » ? « Il y a des stades intermédiaires qui sont donnés en plus et que les usagers peuvent s’approprier, s’ils prennent conscience de l’intention ou de l’attention. »61 Les espaces « en plus » sont une expression utilisée par Roland Simounet pour désigner des espaces de prolongement et d'étirement qui régulent les modalités de voisinage. Ce sont des lieux où le contact et la communication sont privilégiés. Ils servent de liaison entre les logements et l'extérieur. Ils accompagnent les habitants dans leurs expériences collectives, soit de l’extérieur vers le logement, soit du logement vers l’extérieur. Ces espaces sont particulièrement intéressants car les habitants pourront largement se les approprier. Les continuités spéciales qu’offrent de tels lieux peuvent participer à la distribution collective des logements ou au contraire, elles peuvent être des extensions des logements depuis l’intérieur. Tout est fait pour que l’habitant ne se sente pas comme dans un grand ensemble mais plutôt dans une maison individuelle. Ces espaces participent à la fabrication d’une intimité et valorise les rapports entre le voisinage. L’intimité est renforcée par une bonne isolation, ainsi qu’une conception intérieure remarquable du logement, un partage d’espaces communs, des relations de convivialité contrôlée, notamment les relations entre voisins sans pour autant en ressentir les méfaits. Dans le projet de la Basilique, Roland Simounet met en place différents dispositifs de prolongement. Les coursives, notamment, font partie de la distribution collective de cet ensemble. Elles desservent les logements situés côte à côte. Elles servent aussi parfois de liaison entre les différents immeubles. La coursive commence dès le rez-de-chaussée et est marquée par un seuil. Chaque coursive est couverte. Le 59 SIMOUNET, Roland et KLEIN, Richard. Dialogues sur l'invention, op.cit., p. 91. 60 ELEB-HARLE, Nicole. , op.cit., p. 50. 61 Ibidem.


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jeu des demi-niveaux favorise une organisation par coursive. Selon Roland Simounet, « c’est un trottoir abrité : donc c’est une arcade, et puis c’est un peu un belvédère et puis c’est déjà une pré-entrée et c’est aussi un portique. » 62 C’est un système souple qui se tend ou se détend à souhait : il participe considérablement à la ramification du parcours dans l’îlot63. Au-delà de sa fonction de circulation, la coursive constitue un espace en soi. Cet espace peut être modulé selon les besoins des habitants. Il est possible d’y effectuer des travaux. C’est un lieu appropriable par les usagers qui parfois y organisent des communions ou des anniversaires. Ce sont des lieux faits pour voir et pour être vu et qui sont propices aux rencontres entre les habitants. On peut aussi s’installer sur la coursive, et regarder les passages des uns et des autres64. Lorsqu’un logement est au bout d’une coursive, personne ne se rend jusqu'à cet endroit : cette partie de la coursive devient un espace supplémentaire pour placer certains objets (des poussettes et des paniers par exemple)65 (fig.23-25). Les loggias sont un autre espace : « en plus ». C’est un prolongement qui lie le logement à l’extérieur. Les habitants peuvent alors être chez eux tout en étant dehors sur un sol bétonné. La loggia est considérée comme une pièce maîtresse dans le travail de Roland Simounet : c’est à la fois un élément de dessin de la façade et une espace du logement. Cette spécificité organisationnelle instaure une relation entre l’extérieur et l’ensemble du logement. Les loggias ne se contentent pas d’être : « un espace en plus », elles jouent un rôle technique dans l’écoulement de l’eau. Elles sont situées entre les contreforts face au salon et à la salle à manger, Les fenêtres des chambres donnent sur elles ; La double hauteur et l’emboitement en demi-niveau offre au logement une vue depuis les chambres qui donnent sur les loggias. L’espace de la loggia est en double hauteur et se développe dans un motif de façade vertical. En façade, le motif de la loggia se répète, les loggias sont côte à côté et bordées par des modénatures qui rappellent le style gothique. Les garde corps des loggias sont dans la continuité du mur en façade : elles se développent en creux. Etant situées plus bas que la pièce intérieure, il y a un seuil d’une marche et demi entre les deux parties du logement. C’est un seuil significatif car il fait comprendre à 62 Ibid., p. 53. 63 ELEB-HARLE, Nicole, op.cit., p. 53. 64 Ibid, p. 54. 65 Ibid, p. 61.


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l’usager que c’est un espace de prolongement et un entre deux entre la rue et le logement. La matérialité entre la loggia et l’intérieur de l’appartement n’est pas la même : le sol de la loggia est en béton brut qui rappelle la rue et donc le passage au dehors. Sa proximité avec le logement et le fait qu’il soit entouré de murs, jouent un rôle de protection vis à vis de l’extérieur. De ce fait,

Elles n’appartiennent

complétement ni à la maison ni à l’espace public. Il y a très peu de vis à vis proche mais elles sont souvent en contact avec la cour ou avec des passages publics. Moins il y a de vis-à-vis, plus l’appropriation est grande. Durant nos nombreuses visites, on constate que les loggias sont investies par des usages spécifiques à chaque habitant. Certains utilisent ces lieux comme des espaces pour manger (d’ailleurs, elles sont à peine utilisables pour y installer une petite table à manger étant donné leur largeur), d’autres l’utilisent en tant que débarras. De plus, Les garde-corps des loggias sont si épais qu’ils donnent la possibilité d’installer des pots de fleurs et des plantes parfois grimpantes. Selon les cultures, les usages différents au sein des loggias Selon les cultures, les usages différents au sein des loggias. Par exemple, dans son ouvrage Quand la rénovation se pare d’îlots, ElebHarle Nicole précise : « Des asiatiques tendent une toile légère sur toute la hauteur entre deux contreforts pour des réunions familiales dehors, mais à l’abris des regards. »66. Les entrées du logement font partie des espaces de prolongement du logis. L’entrée, dans les logements de Roland Simounet est orchestrée : elle correspond à un moment important, puisque c’est dans cet instant que l’individu pénètre dans le logement. Roland Simounet décide de créer un vestibule d’entrée. Cette pièce est indépendante du reste de l’habitation. C’est un seuil qui adoucit la frontière entre la coursive et le logement. La particularité de ce vestibule est qu’on peut accueillir sans faire rentrer. Depuis cet espace, il faut emprunter quelques marches pour accéder au demi-niveau réservé au séjour et à la cuisine.

66 ELEB-HARLE, Nicole, op.cit., p. 58.


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Figure 23 Coursive (Photographie, source: centre des archives du monde du travail, cote: 1997 017 PH, Roubaix).

Figure 25 Coursive et seuil (Photographie, source: Soukaina Gharbi).

Figure 24 Coursive et Appropriation (Photographie, source: Soukaina Gharbi).


Figure 26 Seuil de la loggia (Photographie, source: Soukaina Gharbi).

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Figure 27 Loggia et Appropriation (Photographie, source: Soukaina Gharbi).

Figure 28 Loggia et Appropriation vu de l’extÊrieur (Photographie, source: Soukaina Gharbi).


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Voir sans être vu A l’intérieur de l’îlot Basilique, les limites du « chez soi » ne sont pas seulement formées par les portes des logements, mais également par des « subterfuges » architecturaux inventés par Roland Simounet. Il s’agit de voir sans être vu. Dans cette perspective, il met en place des écrans successifs qui sont fermées à l’extérieur et ouverts à l’intérieur. Pour son premier « subterfuge », Roland Simounet réalise des décalages. L’architecte fait appel au système de baïonnettes et de décrochements afin de mettre en place des barrières visuelles et physiques (fig.29). On constate en regardant bien les plans et coupes du logement, la porte d’entrée est décalée par rapport à l’escalier. De ce fait, les passants ne peuvent pas voir (ou difficilement) l’intérieur du logement. Toujours dans la perspective de créer des décalages, Roland Simounet, pour l’entrée, applique le principe de la « Skiffa ». Dans les maisons arabes traditionnelles, la « Skiffa » représente une entrée en creux en chicane. C’est un endroit qui permet de recevoir des visiteurs sans les faire rentrer dans la maison, c’est une sorte d’antichambre qui permet de ne pas percevoir l’intérieur de la maison même en ayant la porte ouverte. L’organisation en demi-niveau reprend également, de façon verticale, le principe de la chicane. Ce dispositif entraîne une dilation de l’espace et du temps qui permet de contrôler le regard qui pénètre à l’intérieur des appartements. De plus, regard ne pénètre pas dans les logements grâce au dispositif de mise en retrait de la loggia et des entrées. Lorsqu’on se retrouve à l’intérieur d’une cour, les portes d’entrées se situant en retrait par rapport à la façade. Le logement est protégé du regard des autres par cette mise à distance. Par conséquent la façade, en raison de son épaisseur, permet de voir sans être vu. L’extérieur est vécu de l'intérieur du logement sans pour autant que l’habitant y participe, l’habitant se sent protégé dans son intérieur en gardant tout de même un œil sur ce qu’il se passe à l’extérieur : « la répétition horizontale des caches en retrait vers le haut, introduit une monumentalité qui n’est pas ressentie comme une contrainte pesant sur le logement, mais plutôt comme protection bienveillante de la vie privée contre les atteintes extérieures. » 67

67 MASSÉ, George. « Face à face gothique », op.cit., p. 64.


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Figure 29 Voir sans ĂŞtre vu, (coupes dessin Roland Simounet, source: Klein Richard, Dialogues sur l'invention p.97)

Figure 30 Plan d'un logement type (Plan, source: Archives nationales du monde du travail, cote: 1997 017 10183, Roubaix)

Figure 31 Coupe en demi niveaux des logements (coupe schĂŠmatique, source: Archives nationales du monde du travail, cote: 1997 017 10183, Roubaix)


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Second « subterfuge », des ouvertures mesurées permettent également d’apercevoir sans qu’on nous aperçoive. Au niveau des fenêtres, Roland Simounet joue les épaisseurs et les hauteurs. Il s’assure qu’un même système ne soit pas en visà-vis afin que le regard de quelqu’un venant de l’extérieur ne pénètre pas à l’intérieur. Un percement tout en longueur à côté de la porte (nappé d’un rideau en dentelle pour certains) permet de voir à l’extérieur dans la coursive sans être vu.

En ce qui

concerne les logements donnant directement sur le mail, l’oculus qui se trouve au niveau de la porte d’entrée, afin d’éviter qu’il ne dérange l’intimité des habitants, est masqué par des bacs à plantes68. « Prolongement du logis » La notion d’espace « en plus »69 est comparable à une expression des Congrès internationaux pour l’architecture moderne (CIAM)70 : « le prolongement du logis ». Dans la charte d’Athènes de 1933, on retrouve l’expression « prolongement du logis » à plusieurs reprises. Il s’agit d’une réflexion sur les extensions du logement collectif afin de renouer avec la vie en communauté. A travers la notion de « prolongement du logis », les membres du CIAM s’interrogent sur la rationalisation de l’architecture dans les logements de masse. Ils proposent un principe d’ « économie générale »71 qui vise à réduire les distances et les efforts des habitants à l’intérieur et autour du logement. Il s’agit de faciliter la vie quotidienne des habitants en mettant à leur disposions un ensemble de services collectifs. Afin que le plus grand nombre en profite, ces services sont centralisés autour d’une grande quantité de logements. Durant ce congrès, une grille va être mise en place dans le cadre de la charte d’Athènes. Peu à peu, la notion de « seuil » apparaît pendant la neuvième réunion des CIAM à Aix-en-Provence72 lorsque le 68 ELEB-HARLE, Nicole, op.cit., p. 61. 69 Ibid., p. 50. 70 Le premier CIAM se constitue en 1928 à la Sarraz en Suisse. Il est composé de 24 membres dans huit pays différents qui regroupent différents architectes modernes. C’est à Athènes en 1933, qu’a lieu le CIAM IV où la charte d’Athènes70 est finalisée. 71 SECCI, Claudio et THIBAULT, Estelle, « Espace intermédiaire. Formation de cette notion chez les architectes», dans HAUMONT, Bernard et MOREL, Alain. (dir.). La Société des voisins : partager un habitat collectif. Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2005, p. 23-35. 72 BONILLO, Jean-Lucien et PINSON, Daniel. La modernité critique : autour du CIAM 9 d'Aix-enProvence - 1953 : actes du colloque, Aix-en-Provence, Marseille: imbernon, 2006, 303 p.


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collectif Team 1073 se forme. Il y a pendant ce CIAM un duel opposant les idées de l’ancienne garde à celles de la nouvelle génération. Cette dernière dresse une « Charte de l’Habitat » et réinterprètent ainsi les entrées de la grille du CIAM. Parmi les membres du collectif Team 10, Alison et Peter Smithson vont proposer une « grille de la ré-identification urbaine » dans laquelle s’opère un remplacement des quatre fonctions « habiter », « travailler », « se récréer » et « circuler » par les notions de : « maison », « rue », « quartier », « ville ». Cette grille se fait dans le cadre du concours « Golden Lane housing » en 195274. Ces nouvelles appellations se focalisent davantage sur les lieux et leurs transitions. Il s’agit, pour cette nouvelle génération, de développer des distributions intérieures complexes avec des ascenseurs et des paliers desservant plusieurs logements à la fois. Ils fabriquent des « rues intérieures ». Peu à peu, d’autres termes vont émerger en plus du « seuil ». On parlera d’« entre deux » ou encore d’« articulation » et « de transitions »75. 2.3 Des procédés issus de l'architecture méditerranéenne CIAM Alger La participation de Roland Simounet au CIAM Alger marque un nouveau tournant dans ses premières années d’architecture. C’est après avoir passé quelques années aux Beaux-Arts, de 1949 à 1952, et ne décrochant aucun diplôme que Roland Simounet décide de retrouver sa ville natale Alger. Selon lui : « l’erreur de l’académisme des Beaux-Arts beaux était de limiter l’ordre architectural aux ordres gréco-romains – surtout romains d’ailleurs. On a usé ces ordres classiques en perdant leur archaïsme. » 76. Après ses études, il participe au neuvième congrès international pour l’architecture moderne sans pour autant adhérer à la charte de l’habitat, mise au point par le Team 10. Roland Simounet reste fidèle à la pensée corbuséenne et à son regard sur l’architecture algérienne. Il fait partie du CIAM Alger, qui est composé de proches de Le Corbusier. Il voit là « la rencontre entre les principes véhiculés par le 73 Cité de l'architecture. Team 10, 1953-1981, in Search of a Utopia of the Present (catalogue d’exposition), NAI, 2008, 368 p. 75

SECCI, Claudio et THIBAULT, Estelle, « Espace intermédiaire. Formation de cette notion chez les architects.», op.cit. 76 CHEMETOV, Paul. « De mémoire sur le plateau de Guyotville », dans KLEIN, Richard. Roland Simounet à l’oeuvre (1951-1996), op.cit, p 17.


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groupe CIAM et l’univers Magrébin » 77. Parmi ses collaborateurs, on retrouve PierreAndré Emery. Emery, a longtemps travaillé avec Le Corbusier, Jean de Maisonseul78, qui a exercé quand il était jeune chez Pierre-André Emery. A ces architectes s’ajoute Louis Miquel 79 , Richard Klein 80 , Gerald Hanning, qui ont également collaboré avec Le Corbusier. Avec ce Collectif, Roland Simounet établit une grille qui est présentée en Juillet 1953 au neuvième congrès d’Aix-en-Provence (fig.32). Cette grille est dessinée à partir d’une étude réalisée par le groupe d’Alger sur l’habitat spontané, et Roland Simounet est chargé par Jean Maisonseul de réaliser l’enquête sur le Bidonville81. Dans sa carrière d’architecte en Algérie, Roland Simounet construit plusieurs projets qui représentent les principes de l’architecture méditerranéenne. Ces projets

Figure 32 Grille du CIAM 9 sur l'analyse du bidonville Mahieddine (Photo, source: Fondation Le Corbusier)

77 KLEIN, Richard. Roland Simounet à l’oeuvre (1951-1996), op.cit., p 127. 78 Biographie page 109. 79 Biographie page 109 80 Biographie page 110 81 CHEMETOV, Paul. « De mémoire sur le plateau de Guyotville », dans Roland Simounet à l’oeuvre (1951-1996), op.cit., p 16.


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voient le jour avant la construction de l’îlot Basilique à Saint-Denis. Le plus emblématique est l’opération à Djennan el Hassan en 1956-195882. C’est l’étude du bidonville Mahieddine qui le prépare à cette expérience architecturale. Il s’agit de réaliser une « cité de transit » afin de reloger provisoirement les habitants du bidonville en attendant qu’ils aient un logement pérenne. Il associe architecture vernaculaire et architecture moderne. Elle est construite en trois phases sur les pentes de la ville. C’est, d’après son collaborateur Jean de Maisonseul. Ce projet témoigne d’une grande capacité d’adaptation au programme et au site en pente (incliné à 45 degrés), d’une attention portée au climat et d’une variété d’espaces qui deviendront une constante dans le travail de l’architecte. Bien qu’il soit difficile de le confirmer, Roland Simounet Préférerait les propositions de Le Corbusier plutôt que celles de Team 10. Pour ses projets, on remarque sur ses dessins une succession de cotes basées sur le Modulor de Le Corbusier. Il utilise cet étalon de mesure comme un outil quotidien. Le Corbusier est pour lui un maître à penser83. Il dit : « Je l’utilise d’avantage pour dimensionner les vides que les pleins, surtout quand un contact physique entre en jeu »84. La pensée sur l’architecture algérienne de Le Corbusier est un des éléments qui incite Roland Simounet à choisir Le Corbusier. Dans ses notes, Roland Simounet parle de Le Corbusier : « Le Corbusier composa les quelques pages de son petit livre, comme une fugue. Elles contiennent tout. Elles disent avec force la Casbah révélée, les manifestes toujours actuels, les « joies essentielles ». Elles disent que nous avons vécu de façon quotidienne : les paquebots et le lait de chaux de l’Esprit Nouveau, la rue corridor opposée à la ville étagée en terrasses, les portiques des patios de la maison des hommes, les viaducs du front de mer d’Alger. »85 Il indique clairement dans La leçon d’Alger que son projet de Saint-Denis suit les préceptes de l’architecture moderne dictés par la charte d’Athènes : 82 COHEN, Jean-Louis, KANOUN, Youcef et OULEBSIR, Nabila, Alger : paysage urbain et architectures, 1800-2000, cat. expo. [Paris, Palais de la Porte Dorée, 25 juin-14 septembre 2003], Besançon, Éditions de l'Imprimeur, 2003, 210-211 p. 83 KLEIN, Richard. Roland Simounet à l’oeuvre (1951-1996), op.cit., p 107. 84 PICON-LEFEBVRE, Virginie et SIMONNET, Cyrille. Les architectes et la construction. Entretiens avec Paul Chemetov, Henri Ciriani, Stanislas Fiszer, Christian Hauvette, Georges Maurios, Jean Nouvel, Gilles Perraudin, Roland Simounet. Collection : Eupalinos / A+U, 2014, 192 p. 85 SIMOUNET, Roland, Traces écrites. Pézenas, Domens, 1997, p 78-80.


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Aujourd’hui, la transparence, sauf quelques belles réussites inimitables, banalise tout. Il faut inventer ses colonnes, ses chapiteaux, ses entablements, il faut transposer les embrasures, les socles et les podiums. Les rendre à leur fonction. Recréer à partir d’un ordre existant ; il y a partout des ordres qu’il faut déceler et les transposer. J’ai souvent essayé de le faire. Je n’ai rien fait d’autre à Saint-Denis, au chevet de la basilique gothique, ce que j’ai proposé là, je ne l’aurais pas fait ailleurs. Dans cet ensemble urbain je n’ai à aucun moment, bien au contraire, trahi l’essentiel de la charte d’Athènes.

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Mémoire algérienne Roland Simounet naît en Algérie le 31 aout 1927. Sa famille y habite depuis 1830, date à laquelle son arrière-grand-père est arrivé. Dans l’hommage qu’il lui rend, Paul Chemetov nous nous fait part de quelques souvenirs que Roland Simounet lui a confié Roland Simounet lui avait parlé du lieu de son enfance, sur les terres communes limitrophes de Guyotville et de Chergas, où était installée sa famille qui s’occupait de cultiver des plantes. Il se souvient de « l’allée des gynériums avec ses grands paliers, ses marches, ses vasques, accompagnés de palmes allant jusqu’à la route. Partant de ce lieu un peu magique, nous allions toujours à pied, la marche était une discipline – à l’école au village ou à la plage. » 87. Dans ses notes, Roland Simounet ces lieux de son enfance : ces « habitats aux murs nus, formés d’enclos successif jusqu’au cœur de la maison, ouvert sur le ciel »88. Ces espaces font partie de ses principales préférences. Selon Christian Devillers, témoigne de l’importance de l’Algérie et de son architecture dans le travail de Roland Simounet: Il n y a dans son œuvre rien de répétitif, chaque projet est affronté dans sa singularité. Affronté par un corps-à-corps physique – il disait qu’il sentait le terrain comme un animal – par une captation mental où la mémoire éblouissante de l’Algérie ou celle des architectures admirées jouent un grand rôle…

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L’histoire et les références culturelles de Roland Simounet donnent un nouvel éclairage sur ces espaces intermédiaires. Etant particulièrement sensible à 86 SIMOUNET, Roland. « La leçon d’Alger » dans KLEIN Richard Roland Simounet à l’oeuvre (19511996), op.cit., p 81. 87 KLEIN, Richard. « De mémoire sur le plateau de Guyotville », op.cit., p 16. 88 SIMOUNET, Roland, Traces écrites, op.cit., p. 9. 89 DEVILERS, Christian. « L’architecture à la main » dans (Collectif), Roland Simounet à l’œuvre (1951-1996), op.cit., p. 81.


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l’architecture orientale et aux liens sociaux qu’elle produit, il associe son travail à ces lieux. La culture méditerranéenne qu’il a connue privilégie le contact et les activités collectives. Dans les communautés méditerranéennes, les femmes se réunissent souvent entre elles dans des espaces communs afin d’y organiser des travaux, tels que la lessive ou la cuisine90. L’Algérie est représentative de la vie partagée entre le dedans et le dehors. Quand il raconte ses souvenirs, Roland Simounet évoque également la notion de seuil : « Passés sous un grand olivier près du ‘‘bassin du haut’’ puis dans ‘‘la grande cour’’», on était enfin rendus au pied du « perron ». Seuil si accueillant de la maison aimée.91 ». Dès son enfance, l’architecte enjambe ces seuils et les vit. Il accordera par la suite beaucoup d’importance à cette notion et la mettra en application dans ses œuvres. La casbah d’Alger est pour Roland Simounet une autre dimension de l’architecture algérienne qu’il reprend dans son projet de l’îlot n°1. La casbah d’Alger contient pour lui les éléments fondamentaux de l’architecture moderne. L’idée de créer un labyrinthe au sein d’une enceinte dans le projet de l’îlot Basilique provient des souvenirs algérois de l’architecte : « Le labyrinthe, c’était la casbah et le jardin de son grand-père, qu’il revisitait dans ses projets » 92. Dans la casbah d’Alger on se perd, on se perd, on ne sait jamais comment en sortir. C’est cet esprit qu’on retrouve dans son architecture à Saint-Denis. Lorsqu’on déambule dans les ruelles étroites de la casbah, on suit le photographe du lieu qui nous incite à nous diriger vers les hauteurs. C’est en empruntant ces marches que l’habitant s’approche d’une ouverture vers l’extérieur. Les terrasses offrent une vue imprenable sur la mer et sur le reste de la ville. Les belvédères qu’on retrouve dans le projet de l’îlot 1 sont des répliques de ce qu’on découvre dans cette ambiance urbaine orientale (fig.33-35).

90 ELEB-HARLE, Nicole. Quand la rénovation se pare d'îlots, op.cit., p. 50. 91 SIMOUNET, Roland, « De mémoire sur le plateau de Guyotville », dans Traces écrites, op.cit., p.44 92 DEVILLERS, Christian, op.cit., p. 81.


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Figure 33 Le Patio de la Casbah (Plans et coupes de Patio source : André Ravereau, la casbah d’Alger p. 61-64)

Figure 34 Les terasses de la Casbah (croquis source : André Ravereau, la casbah d’Alger p. 207)


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Figure 35 Les terasses de la Casbah (Photo source : AndrÊ Ravereau, la casbah d’Alger p. 206)


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L’organisation des logements près de la basilique correspond à l’organisation de la maison arabe. Il cherche à donner aux logements de Saint-Denis les qualités qu’on trouve dans la maison traditionnelle algérienne tout en adaptant son projet au contexte climatique français, dont l’ensoleillement diffère totalement. Par exemple, les meurtrières s’amincissent entre deux descentes d’eau, les Garde-corps sont plus épais et plus hauts que les loggias afin de se protéger visuellement de l’extérieur et physiquement des intempéries93. Dans le projet de Roland Simounet, l’organisation en un plan ouvert à l’intérieur et un plan fermé à l’extérieur rappelle les enceintes qui se ferment à certaines heures dans la casbah. Quant à mise en place de cours ouvertes, cela rappelle les patios des maisons arabes : La plupart des habitations de la Casbah d’Alger remontent au XVIIIe siècle, elles témoignent d’un art de vivre très raffiné dans la simplicité. L’origine du plan fermé sur l’extérieur et ouvert sur l’intérieur avec un patio central est méditerranéenne, on y trouve trace de l’impluvium romain au-dessus de la citerne dans le couloir d’entrée en baïonnette pour couper le regard de la rue. Les maisons s’implantent en mitoyen suivant les courbes de niveaux, formant de vastes îlots desservis par des impasses étroites branchées sur une rue plus large. 94

En guise de conclusion, le projet de Roland Simounet ressemble à la casbah dans son épaisseur, et dans les rapports qu’il crée entre les habitants. L’allongement de l’espace et du temps est fait à cause de la sinuosité de ses chemins, qui nous amènent à faire des rencontres et à créer des liens. C’est une configuration qui encourage la vie collective tout en permettant de vivre sa propre existence de son côté.

93 SIMOUNET, Roland et KLEIN, Richard. Dialogues sur l'invention, op.cit., p 90. 94 SIMOUNET, Roland, Traces écrites, op.cit., p. 77.


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VERS LE CIEL: UNE RELATION A L’EXTERIEUR MAITRISEE

Figure 36 relation extérieure (photographie, source : Soukaina Gharbi)


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III-vers le ciel : une relation à l’extérieur maitrisée Nous avons vu dans les parties précédentes que Roland Simounet, pour ses logements de l’îlot n°1, prête une grande attention aux frontières qui existent entre intérieur et extérieur, et entre les habitations et l’espace environnant dans ses logements de la basilique. Le parcours apparemment sinueux qu’il met au point , cache une grande maîtrise de l’espace et de ses prolongements. Ses années passées en Algérie l’ayant fortement influencé, il adapte son architecture de Saint-Denis au modèle de la casbah d’Alger. La casbah, tout comme l’ilot, se présente telle une enceinte fermée de l’extérieur et ouverte à l’intérieur. Dans un ensemble comme dans l’autre des échappées existent à mesure qu’on progresse dans le parcours. Depuis l’intérieur de l’îlot, en effet, on atteint l’extérieur jusqu'à atteindre le ciel. L’ouverture vers le ciel apparaît dans certains cas à travers des « tiers lieux » à l’instar de terrasses ou de belvédères, et, dans d’autre cas à travers une succession de cadrages dans le parcours. 3.1-l’îlot et son environnement: entre rapport d’échelle et rapport au ciel Lignes d’horizon artificielles, panorama urbain Roland Simounet : Quand un site est ingrat ce qui est fréquent en région parisienne (…) un terrain plat, un marécage, etc, eh bien, il ne faut pas désespérer et on trouve aussi des raisons de s’attacher à un site. Dans ce cas là, on crée une silhouette. On s’appuie alors sur des éléments construits qui sont des points durs (…) Tout cela, forme des éléments de support qui aident les masses à se mettre en place et à ce moment-là, on fragmente beaucoup pour les mettre à l’échelle du reste et pou qu’elles l’absorbent. Jean Michel Hoyet : cet acte qui consiste à silhouetter un bâtiment me fait un peu penser à la notion américaine de « skyline », cette silhouette de la ville qui referme l’identité de la ville et qui est son propre paysage, et c’est un peu l’envers du paysage naturel.95

Au cours de cet échange effectué avec le journaliste Jean-Michel Hoyet, Roland Simounet évoque la notion de silhouette. L’îlot n°1 de la basilique SaintDenis correspond au « terrain plat » qu’il décrit. Dans une précédente analyse, nous avons vu la recherche topographique que mène Roland Simounet pour trouver des 95 SIMOUNET, Roland, HOYET, Michel. « Entretien avec Roland Simounet ». Techniques et architecture, n° 339, décembre 1981, p. 100.


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points d’ancrage dans le relief de son site96. C’est pour cette raison que l’architecte fabrique des lignes d’horizon artificielles qui permettent à l’îlot de s’inscrire de manière homogène dans le site sans se laisser dissoudre par ce qui l’entoure. L’îlot n°1 à Saint-Denis se trouve dans un environnement que Roland Simounet qualifierait de « fort » 97 . Le contexte dans lequel se tient l’îlot, en effet, est construit. Par conséquent, les vues sont obstruées et la ligne d’horizon naturelle est absorbée par des constructions élevées (fig. 37 et 38). Le but de l’architecte est de constituer une nouvelle ligne d’horizon qui devra être en accord avec la forte densité du centre et, avec le parc et la basilique Saint-Denis. L’architecte cherche à apporter un équilibre en jouant sur les densités, la « skyline » 98 , l’échelle et l’alignement. Il suffit de lever les yeux au ciel pour constater la silhouette que l’architecte donne à son édifice par rapport au reste de la ville : c’est un mélange entre prise de considération de l’existant et élaboration d’un parti pris architectural. La prise de possession du site peut se faire dans un endroit très construit. Je pense à SaintDenis où on a au départ un parcellaire occupé par des ruines, des taudis, des choses sans intérêt, même tristes, et à côté de cela, la basilique et quelques constructions de la Légion d’Honneur qui sont un peu éloignées, mais assez présentes pour qu’on essaie d’y répondre. Plus près, des bâtiments récents de la Légion d’Honneur qui sont pesants, auxquels il faut apporter un certain équilibre et puis le parc à la bonne orientation. Alors j’ai trouvé le dos au Nord aux constructions existantes, j’ai été relativement poli avec ces constructions voisines (…) Donc là aussi, dans un endroit très construit, avec un environnement très fort, on peut très bien s’installer avec vigueur. Je crois qu’il faut au moins cela pour résister à un environnement aussi fort ; on ne peut pas s’effacer, il faut absolument essayer de trouver une mesure, il ne faut pas du tout avoir peut de se placer au bon endroit, d’essayer de trouver la distance…99

Lorsqu’on se trouve sur la place Pierre de Montreuil, sur le parvis de l’église, bien que le monument religieux soit d’une grande hauteur, le dégagement est considérable. Dès qu’on longe la façade Nord de la basilique Saint-Denis et qu’on s’engage dans la rue de Strasbourg, le rapport au ciel est moins évident à cause de la densité et de l’étroitesse de la rue. La façade donnant sur la rue de Strasbourg constitue un front et par conséquent un obstacle visuel : il est dur d’imaginer ce qu’il se passe derrière cette façade. L’emprise du ciel par rapport à celle du bâti est moindre car la façade s’élève jusqu’au sixième étage. Sur cette rue, Roland Simounet reste dans le même alignement que les bâtiments voisins sur toute la longueur de la 96 Partie 1.1 p. 36. 97 SIMOUNET, Roland, HOYET, Michel. « Entretien avec Roland Simounet », op.cit., p. 100 98 Ibidem 99 SIMOUNET, Roland, HOYET, Michel, op.cit., p. 102


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rue de Strasbourg avec de temps en temps des ouvertures provoquées par les rues adjacentes. Au début de la rue de Strasbourg, à titre d’exemple, le passage Choiseul et l’impasse Saint-Jean constituent une respiration. Au niveau de l’impasse Choiseul, c’est l’immeuble du moulin, qui, par sa hauteur moins importante, forme une transition au niveau de la « skyline » 100 . Une fois que l’on se retrouve au niveau de l’immeuble du marbrier, le contraste est important : le bâti s’interrompt subitement pour laisser place à un horizon végétal qui s’étend jusqu’au rond-point se trouvant entre la rue de Strasbourg et l’avenue Paul Vaillant-Couturier. Ce changement de paysage et de rythme s’explique par la présence du jardin de la maison de la Légion d’honneur à ce moment du parcours. A l’intérieur de l’îlot, l’ouverture vers le ciel s’intensifie à mesure qu’on progresse vers le parc. Roland Simounet, en changeant graduellement l’échelle, permet au visiteur d’accéder à une ambiance de plus en plus intime. Plus on s’avance à l’intérieur, plus on progresse vers des bâtiments qui ressemblent à des maisons individuelles. La bonne orientation En tournant le dos à la rue de Strasbourg, Roland Simounet choisit non seulement d’éviter l’ambiance de la ville, mais aussi d’orienter son projet vers le Sud. En effet, la rue de Strasbourg présente l’inconvénient d’avoir une orientation Nord. L’orientation solaire est une donnée importante pour ce projet : l’architecture de Roland Simounet est imprégnée de son passé en Algérie. De ce fait, se tourner vers le Sud est une occasion de faire entrer le soleil dans ses projets. L’architecte, durant sa carrière, s’est souvent attaché à la mono-orientation. Il disait : « J’aime bien par exemple m’ouvrir sur un jardin, sur une face mais m’ouvrir sur les quatre faces me paraît vulnérable. Il faut se protéger… je suis très très sensible à l’orientation. Elle définit beaucoup de choses. C’est très important pour moi ; on se protège et on s’ouvre. On fait entrer le soleil, mais on protège des embruns, des vents. Donc j’aime assez m’ouvrir sur patio ouvert. »101. 100 SIMOUNET, Roland, HOYET, Michel, op.cit., p. 100. 101 Ibid., p. 102.


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S’orienter vers le Sud favorise un apport en lumière considérable. Ce n’est pas le seul point positif. En choisissant cette orientation : deux vues privilégiées s’offrent à l’îlot basilique. D’une part une vue vers la basilique et d’autre part une vue sur le parc de la Légion d’honneur. Selon Roland Simounet : « La forte modénature et le côté architecturé suivent l’orientation, le côté architecturé suivent l’orientation, le solaire, les prolongements des pièces principales » 102. Lorsqu’on emprunte le mail et qu’on se dirige vers la deuxième partie de l’îlot, nous tombons nez à nez avec le passage Saint-Michel-du-Degrés qui offre une vue sur la façade Nord de la basilique Saint-Denis. Cette percée favorise la création d’une nouvelle silhouette pour l’édifice de Roland Simounet. Constituant un arrière plan, l’abbatiale crée une homogénéité entre le bâtiment et le paysage. Lorsqu’on l’on gagne en hauteur, la basilique peut être aperçue à travers les coursives et les loggias des appartements. Un lien de crée entre l’horizontalité du ciel et la verticalité des modénatures gothiques. La vue vers le parc de la Légion d’honneur est quant à elle omniprésente dans le projet. S’orienter vers la végétation est un choix de l’architecte En suivant l’orientation du parc, l’îlot s’ouvre vers une étendue dégagée qui laisse une place considérable au ciel. La vue sur le jardin est très présente dans les parties communes quand on gagne en hauteur. Les logements qui sont situés en cul de sac avec le parc ont une vue privilégiée qui leur donne l’impression d’habiter des maisons individuelles. Cependant, le fait d’être aussi près de la végétation ne favorise pas une vue étendue et diminue l’apport en lumière dans les appartements (à cause de la proximité avec les arbres).

102 SIMOUNET, Roland, HOYET, Michel, op.cit., p. 102.


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Skyline de l’îlot à la basilique

Skyline intérieur d’îlot

Skyline cour

Skyline rue de Strabourg

Skyline vers l’intérieur Figure 37 Emprise du ciel (Schémas faits à partir de coupes faites par Roland Simounet, source : Soukaina Gharbi et coupes par Roland Simounet, centre des archives du monde du travail, Fond Roland Simounet, cote : 1997 017 10186)


Figure 38 Carte des hauteurs bâties (SchÊma , source : Soukaina Gharbi)

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3.2- « Tiers lieux »103 et ascension A l’échelle de l’îlot, Roland Simounet élabore certains espaces qui permettent aux usagers d’observer plus directement au ciel. Il s’agit des espaces intermédiaires entre la rue et le logement qu’on pourrait désigner comme des tiers-lieux. La notion de tiers-lieux est issue d’une thèse développée par le professeur de sociologie urbaine américain Ray Oldenburg dans son ouvrage publié en 1989 : The Great, Good Place. The Third Place désigne les environnements sociaux qui ne font ni parti du logement ni du lieu de travail. Dans le cas de l’îlot Basilique, il s’agit de lieux qui servent à entretenir le lien social entre les habitants. Les belvédères et escaliers Dans les bâtiments de l’îlot 1, nous retrouvons un système de terrasses et de belvédères desservis par des escaliers qui tentent de « rejoindre le ciel ». Les belvédères sont des points de contemplation et d’observation.. Le belvédère apparaît très tôt dans les dessins de Roland Simounet, au début de sa phase de conception de l’îlot de Saint-Denis. Selon lui : « Il faut imaginer les choses finies très tôt, et les voir dans leur matérialité » 104. Le belvédère qui est construit dans la deuxième partie du projet apparaît dès le début dans ses esquisses du projet. Roland Simounet, dans un entretien accordé à Richard Klein, se confie au sujet de cet élément d’architecture : « Le belvédère, un balcon dans une tour face au chevet de la basilique, a été dessiné avant même de savoir quel serait le programme. Et il a été presque exactement réalisé dans la deuxième tranche, au bout du passage Saint-Michel-du-Degré » 105 . Ce belvédère, situé entre deux façades, permet d’avoir une vue sur le parc de la maison de la Légion d’honneur et la basilique Saint-Denis106. Un autre point de contemplation important est construit au cours de la première tranche : il s’agit de l’escalier pyramidal (fig.43). Il offre une vue sur la rue de Strasbourg et sur une partie du parc de la Légion d’honneur et la basilique. Cette 103 OLDENBURG, Ray, The Great, Good Place. Etats-Unis, Ed. Da Capo Press, 1989, 384 p. 104 SIMOUNET, Roland. « Roland Simounet à l’oeuvre (1951-1996) », op.cit., p. 43. 105 SIMOUNET, Roland et KLEIN, Richard. Dialogues sur l'invention, op.cit., p. 83. 106 MASSÉ, Georges. « Face à face gothique », op.cit., p. 64.


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pièce maîtresse fabriquée par Roland Simounet se situe en face de l’immeuble du moulin et à côté du passage Saint-Michel-du-Degrés de l’autre côté du mail dans l’impasse Choiseul. L’escalier pyramidal est ponctué par de petits balcons qui offrent des vues décalées de la basilique Saint-Denis : les balcons sont superposés et donnent chacun une vue à hauteur et place différente. Les marches mènent peu à peu vers un sommet panoramique offrant une vue sur l’abbatiale et sur la ville. Au sommet, l’expérience est unique: le visiteur surplombe la ville et plusieurs couches se succèdent dans le paysage. Pour arriver à ce point de contemplation, nous devons tout d’abord, emprunter une rampe assez large en béton brut, qui nous entraîne dans un parcours circulaire en desservant les coursives avant d’accéder aux logements. Il s’en suit des escaliers carrelés marron oranger qui correspondent à des volées droites. Ces volées tournent de manière hélicoïdale allant d’une base large à des escaliers de plus en plus étroits. Une fois arrivé là haut, l’architecte met en scène son belvédère : il le met sur un piédestal de béton et apparaît comme un trône. Lorsque le visiteur se trouve six marches plus bas face au belvédère, la surprise est toujours là. Il comprend que la contemplation ne se fera qu’au sommet. Le garde-corps construit pour le belvédère est assez haut, il permet de cadrer le paysage. A mesure que le visiteur monte les marches, il découvre peu à peu le paysage. Il se retrouve dans un espace de petite superficie, entouré de murs. La seule ouverture de cet espace est celle de l’entrée. Le cloisonnement renforce l’intimité du lieu : il devient tel une chambre à ciel ouvert. Depuis l’extérieur, les belvédères (fig.43) ressemblent à des excroissances qui sortent d’un mur plat. Les belvédères, en effet, s’avancent vers la vue et le paysage. En façade, ils ressortent et sont parfaitement identifiables. La rareté de ces ponctuations en fait leur valeur. Elles deviennent des points de repères et des lieux de rendez-vous. Les belvédères, sont vitrés à certains endroits : Depuis un point d’observation extérieur, on remarque les allées et venues des uns et des autres. Parfois le visiteur marque un arrêt au niveau des petits balcons : par conséquent, l’escalier-belvédère peut être à la fois être un mode de desserte vers les coursives et à la fois être un point de contemplation. Ce parcours nous conduit vers les terrasses107. 107 ELEB-HARLE, Nicole. Quand la rénovation se pare d'îlots, op.cit., p. 54.


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Figure 39 Croquis de belvédère (dessin, source : Richard Klein et Roland Simounet, Dialogues sur l’invention p. 85)

Figure 41 Escalier pyramidal passage Choiseul (photo, source : Soukaina Gharbi)

Figure 40 Croquis de belvédère (dessin, source : centre d’achive du monde du travail fond : Roland Simounet, cote : 1997 017 10183, Roubaix)

Figure 42 Belvédère passage Saint-Michel-du-Degrés (photo, source : Soukaina Gharbi)


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Figure 43 L’escalier pyramidal (dessin, source : centre d’achive du monde du travail fond : Roland Simounet, cote : 1997 017 10187, Roubaix)


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Les terrasses collectives Le bâtiment de Roland Simounet emprunte quelques caractéristiques de la casbah d’Alger, notamment les terrasses : « Alger, rappelons le, est la seule qui présente un parti pris aussi total de terrasses, et cette configuration de cité descendant ainsi du haut d’une colline jusqu’à la mer. »108 Dans cette ville, le linge sèche en terrasse car l’air est marin et humide - elles ont donc un rôle utilitaire. Les femmes s’y donnent rendez vous pour tendre leur linge et discuter : ces lieux se transforment en lieu de convivialité et de création de lien social entre les habitants de la casbah. Dans l’îlot Simounet, le côté utilitaire n’est pas mis au premier plan (le linge sèche dans les loggias). L’architecte construit des terrasses avant tout pour en faire des lieux de sociabilité. La terrasse est un lieu de vie, on y pratique des activités mais à d’autres heures ou d’autres saisons, car l’air et la lumière y sont abondants. Les terrasses collectives sont réparties de part et d’autre de l’îlot (fig.44) - elle sont cependant peu fréquentées par les habitants car elles sont dures à trouver et de taille variée. Les plus identifiables sont celles qui prolongent les belvédères et qui forment une impasse à la circulation. C’est parfois également à travers un cheminement qui n’est pas évident que l’on tombe dessus. Ces terrasses peuvent alors constituer des lieux de rendez-vous et peuvent s’avérer incontrôlables si elles sont situées en bout de parcours 109 . Exceptionnellement, certains logements disposent de terrasses privatives qui présentent de la végétation et de nombreuses plantes – même au niveau de la rue de Strasbourg (par exemple dans une des terrasses dans l’immeuble du marbrier110). Les coursives et leurs escaliers Roland Simounet dessine les coursives qui desservent les logements (fig. 45). Elles ont cependant d’autres fonctions : dans une coursive, on peut s’arrêter pour discuter ou aussi pour apercevoir le ciel. A partir de ce point d’observation le ciel est cadré par les façades d’immeuble qui cloisonnent l’espace. 108 RAVEREAU, André. La casbah d’Alger, et le site créa la ville. Paris : Editions Sindbad, la bibliothèque Arabe, 1989, p. 203. 109 ELEB-HARLE, Nicole. Quand la rénovation se pare d'îlots, op.cit., p. 60. 110 Ibidem.


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Figure 44 Terrasses, toitures et matérialité (Plan , source : centre d’archive du monde du travail fond : Roland Simounet, cote : 1997 017 10158, Roubaix )

Figure 45 Vue depuis la coursive (photo, source : Soukaina Gharbi)

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En étant sur quatre demi-niveaux, les logements de l’îlot 1 n’ont pas besoin d’un linéaire de coursive important. Les deux dessertes verticales ont donc un double rôle en étant des circulations verticales qui relient les cours aux coursives mais aussi des tours et sculptures urbaines qui font office de belvédères 111. Ces points de contemplation ont des vues équilibrées et orientées selon l’envie de l’architecte. Nous pouvons tout aussi bien découvrir des ouvertures qui ne montrent que le ciel, ou que des vues sur la rue dans son ensemble. C’est une manière d’accompagner le visiteur et de sélectionner des points de vue particuliers.

Figure 46 Escalier, une sculpture urbaine (photo, source : Soukaina Gharbi)

111 ELEB-HARLE, Nicole. , op.cit., p. 53.


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3.3 Le cadrage chez Simounet ouvertures vers le dehors à dosage bien réglé.

Dans le projet Basilique, l’architecte souhaite confronter le visiteur durant son parcours, de la rue au logement, à des vues précises et choisies. Ces vues entraînent un rapport avec l’extérieur qui est singulier. En opérant ces différents cadrages, Roland apprend au passant à regarder son architecture. Il s’agit du jeu ludique entre opacités et ouvertures, ombre et lumière. Le cadrage devient un outil maniable pour sublimer un lieu, circoncire un paysage ou l’organiser et ainsi animer les va et viens des visiteurs. La lumière séquence Tout d’abord, pendant la visite des lieux, nous assistons à différents changements d’ambiances. La lumière est maniée avec un dosage différent à chaque moment de la visite (fig.47). Cette alternance d’ambiances lumineuses ralentis et étire le parcours de la rue jusqu’au logement. Plusieurs facteurs entrent en jeu pour établir des séquences lumineuses différentes. Les séquences sont créées par l’alternance entre le couvert et non couvert, entre la lumière directe et indirecte, entre de grandes et de petites ouvertures, des ouvertures hautes et basses. En entrant dans un des immeubles de la seconde tranche, nous passons d’abord par une courette qui donne directement sur l’extérieur. Pour rejoindre la seconde cours qui dessert d’autres logements, il faut passer par un passage couvert assez sombre. En quittant cette petite cour de loggias, on s’engage à nouveau dans des coursives sombres rythmées par quelques ouvertures. Une tour d’escalier dessert les coursives des étages supérieurs. Cette tour est sombre mais ponctuée d’ouvertures minimes qui laissent passer une lumière. Dès qu’on arrive aux coursives du premier étage, l’apport en lumière provient de la cour assez large. A cet endroit, la lumière est diffuse. Plus on s’approche en hauteur, moins il y a d’obstacles à la lumière. Au niveau des terrasses, la lumière est abondante.


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Figure 47 sÊquences de lumière (photo, source : Soukaina Gharbi)


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Un parcours rythmé par des cadrages particuliers Lorsque le visiteur se promène à l’intérieur de l’îlot, il est confronté à des cadrages particuliers. Avant d’accéder à son appartement, nous passons par diverses étapes intermédiaires qui offrent plusieurs points de vues. Le premier cadrage qui est donné à voir au visiteur se situe en début de parcours. C’est celui qu’effectue Roland Simounet dans le passage Saint-Michel-dudegré. L’architecte prend pour objet de cadrage la basilique Saint-Denis ainsi que quelques éléments du paysage urbain proche sur l’impasse Saint-Jean. En la plaçant entre deux immeubles, Roland Simounet met la basilique en valeur. De cette manière Il se focalise sur un élément essentiel et un point de repère dans le paysage urbain de la ville de Saint-Denis. A l’intérieur des immeubles constituant l’îlot, l’expérience est toute autre : il s’agit de voir de l’intérieur vers l’extérieur. JMH : comment amène-t-on le paysage dans le bâtiment ? Comment l’architecture peut, sous certains aspects, être considérée comme un faire-valoir du paysage? RS : mon expérience dans ce domaine, c’est plutôt celle du contraste. On entre souvent par une porte assez secrète dans une succession d’espaces qui conduit à un éclatement vers l’extérieur par une partie très vitrée et on est alors étonné de voir comme les choses sont ouvertes à l’intérieur. J’ai souvent répété ce processus. J’aime bien faire une espèce de regroupement des parties vitrées en un des points privilégiés et encadrer le paysage. Au lieu d’avoir des fenêtres partout, je préfère faire de grands fronts fermés et ouvrir de grandes baies là où il faut vraiment voir, où il y a des échappées de vues (…) c’est à dire que pour une même surface vitrée par rapport au plein, je préfère de grandes baies qui s’ouvrent sur un très beau paysage que d’avoir des fenêtres un peu partout » 112

Plusieurs situations se présentent au visiteur (fig. 48-53). Par moment, lorsque deux immeubles sont côte à côte, l’architecte installe volontairement des failles qui produisent à la fois une tension et une verticalité. La vue à partir de ces failles incite à se focaliser sur une partie du tout. Le regard n’est plus dissipé par des éléments superflus. L’architecte met en scène un élément qui lui paraît important. Lorsqu’il s’agit de vues sur le mail, Simounet porte l’attention sur un seul arbre par exemple. 112 SIMOUNET, Roland, HOYET, Michel, op.cit., p. 102.


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Figure 48 cadrage sur le toit de l’église (photo, source : Soukaina Gharbi)

Figure 49 cadrage sur coursive intérieure (photo, source : Soukaina Gharbi)

Figure 50 cadrage intérieur sur le toit de l’église (photo, source : Soukaina Gharbi)


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Figure 51 cadrage intérieur (photo, source : Soukaina Gharbi)

Figure 52 cadrage intérieur sur le toit de l’église (photo, source : Soukaina Gharbi)

Figure 53 cadrage sur mail (photo, source : Soukaina Gharbi)


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Il existe d’autres types de cadrages qui se remarquent au cours du parcours. Il s’agit d’offrir une vue vers l’extérieur en effectuant des ouvertures à différents endroits d’un même mur. L’architecte procède à une sélection d’ouvertures dans un mur plein. Ainsi, il y a un mouvement dynamique entre éléments extérieurs et intérieurs. Il nous amène vers des éléments sur lequel on ne porterait pas d’attention habituellement. Au niveau des coursives, on constate une utilisation précautionneuse du cadre (fig. 54-55). En bout de coursive, le regard se prolonge quand même grâce à la mise en place d’ouvertures et de fenêtres vitrées. Roland Simounet modèle la vue et la cadre afin de sélectionner ce qui l’intéresse parmi tous les éléments du paysage. Il s’intéresse au moindre détail, jusqu'à faire des cages d’escalier avec des fentes de différentes formes afin d’établir une relation dedans dehors. Il donne par conséquent, une forme à ce qu’on peut percevoir. Certaines ouvertures ont une forme de demiellipse, d’autres sont triangulaires, tandis que certaines ont été entièrement imaginées par l’architecte. Elles peuvent être placées au niveau des yeux, au niveau des chevilles. Ces choix arbitraires de l’architecte sont une manière habile d’orienter le visiteur dans son parcours et ainsi d’orienter son regard. On remarque également un jeu sur les épaisseurs et les creux dans le travail de Roland Simounet. Grâce à l’épaisseur des façades de l’îlot, l’architecte peut aisément jouer sur cet aspect en creusant des ouvertures ou en les extrudant. Le logement et ses baies Les logements créés par Roland Simounet témoignent également de son travail de cadrage. L’utilisation de la fenêtre dans les logements sert avant tout à préserver l’intimité des pièces. Depuis l’extérieur, nous voyons qu’au dessus des portes d’appartements se trouvent les fenêtres des chambres ou de la salle de bains. Les appartements du rez-de-chaussée disposent quant à eux de portes fenêtres ainsi que de fenêtres donnant sur la cuisine. On remarque toute fois un décalage volontaire devant permettre d’augmenter l’apport en lumière des logements. Les ouvertures au niveau des chambres sont plus limitées et les ouvrants se font à la française. Une partie fixe vitrée en-dessous de l’ouvrant a subi un changement dans les logements appartenant à la deuxième tranche : elle a été


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Figure 54 cadrage triangulaire intérieur depuis l’escalier (photo, source : Soukaina Gharbi)

Figure 55 Ouverture basse depuis l’escalier (photo, source : Soukaina Gharbi)


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Figure 56 cadrage zÊnithal dans le logement (vers les chambbres) depuis l’escalier (photo, source : Soukaina Gharbi)


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remplacée par des panneaux en béton. On remarquera également que les fenêtres sont moins en retrait que pour les appartements de la première tranche, ce qui rend les appartements plus lumineux113. Une fois à l’intérieur, nous découvrons des ouvertures plus généreuses. Chaque logement dispose de deux grandes baies vitrées rattachées à deux loggias qui donnent sur le séjour et la cuisine. Les loggias sont répétées de manière systématique, le fait qu’elles soient orientées favorise un rapport direct à l’extérieur. Elles servent dans le cas de Simounet à cadrer la vue. Elles se trouvent au demi niveau supérieur du logement. Dans le cas de l’appartement visité, la vue principale était celle sur l’impasse Saint-Jean et sur la Basilique Saint-Denis. Aux étages supérieurs, au dessus de l’escalier qui mène vers les chambres, une ouverture zénithale constitue un cadrage sur le ciel (fig. 56). Lorsqu’on se trouve à un demi niveau supérieur à l’intérieur du logement, le jeu des demi-niveaux constitue un cadrage supplémentaire. Cela permet à la fois d’allonger l’espace, de donner une vue à l’étage du dessus à travers la loggia car l’espace est traversant. Cela laisse également la lumière pénétrer jusqu’au fond de l’appartement. Pour ce qui est des appartements qui ont une vue cadrée sur le parc, la densité de la végétation empêche la lumière de pénétrer généreusement dans l’appartement. Malgré cela, l’absence de vis à vis et le fait d’avoir une vue sur le mur de la maison de la Légion d’honneur leur donnent un atout majeur114. Somme toute, le cadrage est un outil très fréquemment utiliser par Roland Simounet pour faire communiquer des lieux indépendants entre eux. Ce processus participe à la transition entre l’intérieur et l’extérieur, mais aussi entre les différents espaces intermédiaires.

113 ELEB-HARLE, Nicole, op.cit.,, p. 63. 114 Ibidem.


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CONCLUSION Ce mémoire avait pour ambition première d’analyser les moyens par lesquels Roland Simounet serait parvenu à fabriquer des espaces intermédiaires architecturés dans son ensemble de logements de l’îlot n°1 de la ZAC Saint-Denis. Nous souhaitions également étudier la manière dont l’architecte réussissait à rendre identifiable dans son architecture cette notion d’espace intermédiaire qui est considérée généralement comme une notion impalpable et floue. Dans cette perspective, nous avons, dans un premier temps contextualisé l’ilot dans le temps et dans l’espace. Ce premier développement a permis de voir les relations qu’entretenait le public avec le privé : d’abord à une échelle urbaine, puis ensuite en se concentrant sur l’îllot. A l’issue de cette première Analyse, nous constatons que l’îlot, faisant parti, d’une grande structure d’aménagement, est interdépendant avec celle ci : cette situation prédétermine l’organisation de l’ilot dans sa périphérie. Roland Simounet profite des avantages qui sont issus des contraintes imposées pour construire un îlot poreux où l’on peut rentrer et s’aventurer facilement à partir de la ville mais d’où l’on sort difficilement à cause de sa dimension labyrinthique. C’est en interrogeant dans un second temps les prolongements mis en place par Roland Simounet entre l’intérieur et l’extérieur qu’on entre dans cet entre deux qu’il fabrique et met en scène pour faciliter la transition entre l’espace public et l’intime. Face à l’intangibilité (en théorie) de cet espace intermédiaire, Roland Simounet a mis des mots et des morceaux d’architecture qui sont des parties assemblées d’une organisation spatiale maîtrisée. Dans cette ville dans la ville, le visiteur est pris entre les mailles d’une intériorité affirmée. Seul Simounet sait comment en sortir. Il faut puiser dans ses souvenirs de sa vie algérienne pour connaître l’issue. L’influence méditerranéenne et de la casbah d’Alger nous aide à comprendre la complexité des espaces intermédiaires mis en place par Simounet et elle nous révèle les rapports qui existent avec l’extérieur malgré l’introversion du lieu : dans cet îlot, se déploie un mouvement d’ascension vers le ciel. Toutes ces analyses sont issues d'un travail de terrain considérable comme en témoigne la vidéo que réalisée sur place. La vidéo constitue un état des lieux séquencé en un découpage entre le sol, le corps et le ciel, de l’extérieur de l’îlot jusqu’à l’intérieur.


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A l’issue de ce mémoire nous comprenons que l’îlot Simounet présente une multitude d’espaces intermédiaires dans l’ilot Simounet. On peut se demander si les dispositifs mis au point par Roland Simounet pour relier la rue au logement sont réellement adaptés au contexte d’aujourd’hui n y aurait pas trop d’espaces intermédiaires ? Nous avons constaté au cours de nos nombreuses visites, que les situations de contacts involontaires augmentent. Par conséquent, le fait que l’espace soit collectif et non ciblé sur une tranche d’habitants partageant la même pratique entraîne des conflits au niveau sonore et visuel. On pense notamment aux enfants qui, en jouant dans les coursives, dérangent les adultes115. Nicole Eleb-Harle, dans son ouvrage Quand la rénovation se pare d'îlots, analyse le rapport de l’îlot Simounet avec ses habitants en les interrogeant avec une démarche. Elle souligne par ailleurs que la réalisation de ces espaces intermédiaires issus du modèle méditerranéens peut être remise en questions à cause des problématiques de voisinage. Le contexte n’étant pas le même d’une région à l’autre, on assiste à une situation d’exclusion qui fragilise l’aspect communautaire116. Quant aux espaces « en plus », ils ne sont pas totalement investis et donnent l’impression d’un inachèvement parce qu’on ne retrouve pas d’équipements qui conviendraient aux différentes pratiques, âges, et aux différents types d’habitants 117 . De plus, comparativement à certaines époques, les réseaux amicaux d’aujourd’hui sont dispersés. Par conséquent les habitants ne recherchent pas forcément le contact avec leurs voisins118. Dans l’îlot basilique, la confrontation des rapports internes prend le dessus sur ce qu’avais voulu Roland Simounet au départ : la protection de l’espace intime de l’extérieur. La démultiplication des espaces communs rend leur usage et leur entretien difficiles en permanence. Ce sont pout toutes ces raisons que, dans l’ilot aujourd’hui, peuvent subsister des espaces résiduels et parfois abandonnés. L’îlot Simounet mériterait donc une étude supplémentaire sur le devenir des espaces intermédiaires et sur leur appropriation en accord avec des problématiques contemporaines. Il serait également intéressant de penser à ce que pourraient être leurs éventuelles reconversions à l’avenir. 115 ELEB-HARLE, Nicole, op.cit., p. 80. 116 Ibid., p. 10. 117 Ibid., p. 82. 118 Ibid., p. 87.


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Notion d’espaces intermédiaires dans l’habitat collectif français : Articles de presse -MOLEY, Chrisitan. « Les abords du chez-soi ». Archiscopie, n° 86, mai, 2009, Paris, p 28-29. Ouvrages -ARNOLD, Françoise, Le logement collectif de la conception à la réhabilitation. Paris, Editions du Moniteur, 2005, 310 p. -BONNIN, Philippe, SEGAUD, Marion, BRUN, Jacques, DRIANT, Jean-Claude (dir.). Espaces intermédiaires. Dictionnaire de l’habitat et du logement. Paris : Armand Colin, 2003, p148. -CHOAY, Françoise. L’urbanisme, utopies et réalités. Une anthologie. Paris ; Points, Essais, 1965, 448p. -ELEB, Monique, CHATELÊT, Anne-Marie. Urbanité, sociabilité et intimité des logements d’aujourd’hui. Editions de l’epure, Paris, 1997, 352p. -ELEB, Monique. Vu de l’intérieur, Habiter un immeuble en île de France 19452010. Archibooks, Paris, 176p. -MOLEY, Chrisitan. Les abords du chez-soi en quête d’espaces intermédiaires, Paris, Editions de la Villette, 2006, 256 p. -MOLEY, Chrisitan.

L’immeuble en formation: genèse de l'habitat collectif et

avatars intermédiaires. Liège, Edition Mardaga, 1991, 200p. -MOREL, Alain. (dir). La Société des voisins. Espace intermédiaire. Formation de cette notion chez les architects. Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme / Ministère de la Culture, 2005, p. 23-35. -RAYMOND, Henri, HAUMONT, Nicole. Habitat et pratique de l’espace, Paris, Institut de sociologie urbaine, 1973, 172 p.


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Catalogue d’exposition -Cité de l'architecture. Team 10, 1953-1981, in Search of a Utopia of the Present (catalogue d’exposition), NAI, 2008, 368 p.

Tiers-Lieux: Ouvrage -OLDENBURG, Ray. The Great, Good Place. Etats-Unis, Ed. Da Capo Press, 1989, 384 p.


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ANNEXE 1 Notice Biographique Le Corbusier Charles Édouard Jeanneret-Gris est né en Octobre 1887 et mort le 27 août 1965. Le Corbusier est architecte, urbaniste, décorateur peintre et sculpteur suisse naturalisé français. Il entame d'abord une formation de graveur ciseleur puis est dirigé vers l'architecture par son professeur de dessin Charles L'Eplatennier en 1904. Au terme d'un voyage de fin d'étude en Europe, il s'installe à Paris et y fait la rencontre d'Eugène Grasset qui lui conseille l'apprentissage du dessin technique concernant l'architecture en béton armé. Ce sera donc sous l'égide de l'architecte Auguste Perret qu'il commence l'apprentissage des techniques du béton en 1920. A la même année il fonde le mutisme en tant que courant artistique. Installé à Paris depuis 1917, il participe à la fondation de l'esprit nouveau, revue d'art et d'architecture sous laquelle il adopte le surnom Le Corbusier. En 1928, il participe au congrès international d'architecture moderne. Il y présente dans la charte d'Athènes ses conceptions architecturales influencées par la vie sociale et quotidienne urbaine. Pendant l'après guerre, il réalise la cité radieuse de Marseille qu'il qualifie d'unité d'habitation. Théoricien de l'urbanisme et de la gestion de la concentration humaine, il poursuit ses publications avec le Modulor en 1950 où il y présente sa vision de l'architecture moderne. Il se rend aussi en Inde en 1957 où il y réalise de nombreux projets à Chandigarh à l'exemple de Capitole, du palais de justice ou encore du palais des assemblées. Il réalise aussi le musée d'art occidental de Tokyo, la cité radieuse de Briey, ou encore le gymnase Corbusier à titre posthume. L'œuvre architecturale de Le Corbusier regroupe 17 sites en France et à l'étranger et est classée au patrimoine mondial de l'UNESCO.


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Jean de Maisonseul Jean de Maisonseul et un urbaniste et peintre français né le 3 août 1912 à Alger et mort le 3 juin à Cuers en 1999. Il est en 1932 élève de Le Corbusier et intègre le groupe Camus Fouchet et Bénisti à l'initiative de Max-Pol Fouchet. En 1954, il est chargé du plan d'urbanisme pour la reconstruction de la ville d'Orléansville après son tremblement de terre le 5 septembre 1954. Il lance aussi un appel au sein du communauté pour la trêve de 22 janvier 1956 au côté de Camus, appel qui restera malheureusement sans suite. Son engagement politique Youssra à son incarcération le 28 Mai 1956 à la prison de Barberousse à Alger, après quoi Camus interviendra dans sa libération grâce à des publications vigoureuses dans le Monde. Jean de Maisonseul sera conservateur du Musée national des beaux-arts d'Alger de novembre 1962 à octobre 1970 et dirigera l'institut d'urbanisme de l'université d'Alger jusqu'en septembre 1975. Il rentrera ensuite en France à sa retraite où il décédera le 3 juin 1999.

Louis Miquel Louis Miquel et un architecte et urbaniste né le 22 septembre 1913 en Algérie et mort en 1987 en France à Sète. Il commence des études aux beaux-arts d'Alger à partir de 1927 et poursuit plus tard à Paris où il travaille dans les ateliers de Le Corbusier. En 1935 il monte les décors du théâtre de l'équipe à Alger sous la direction de Camus. En 1942 il rentre en France où il enquête sur le patrimoine rural des départements des Alpes-Maritimes et Alpes Haute Provence. Durant l'après-guerre il conçoit des plans de reconstruction cependant il quitte la France pour l'Afrique du Nord, déçu par l'architecture qu'il conçoit pour le ministère de la reconstruction. Pendant l'exode pied-noir il quitte l'Algérie et participe à des projets d'urbanisation à grande échelle à l'exemple de l'aménagement du quartier Pontiffroy à Metz. Il quitte Paris en 1981, date à laquelle il met fin à sa carrière.


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Richard Klein Richard Klein est architecte DPLG, docteur en histoire de l'art professeur d'histoire et d'architecture à l'École nationale supérieure d'architecture et de paysage de Lille. Il est aussi écrivain et auteur d'articles et ouvrages sur l'architecture contemporaine et son histoire parmi lesquelles: Le Corbusier - le Palais des Congrès de Strasbourg 2011, la Villa Cavrois 2005, les années ZVP architecture de la croissance 1960-73 en collaboration avec Gerrard Monnier 2002. Installé depuis 1997 à Lille, il réalise avec Benoît Grafteaux plusieurs édifices inspirés par une rigueur structurelle et de la discrétion. André Lurçat : André Lurcat est un architecte français né le 27 août 1894 à Bruyères et mort le 11 juillet 1970 à Sceaux. Il fréquente l'école des beaux-arts de Nancy en 1911 et est diplômé de l'École des Beaux-Arts de Paris en 1923. À partir de 1924 est en compagnie de son frère de peintre Jean Lurçat il construit un ensemble d'ateliers d'artistes qui font de lui l'un des architectes modernes les plus célèbres de son temps. Il est aussi cofondateur avec entre autre, le Corbusier des CIAM (congrès internationaux d'architectes modernes) En 1933 il édifie le groupe scolaire Karl Marx pour la municipalité de Villejuif. Après un séjour de trois ans jusqu'en 1939 à Moscou, il participe à la création du Front national des architectes résistants. En 1945 il se charge du plan de reconstruction de Maubeuge. Il sera aussi membre du conseil d'architecture du ministère de la reconstruction et de l'urbanisme, professeur à l'École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs de Paris et à l'École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris entre 1945 et 1947. Il sera aussi urbaniste et architecte en chef de la ville de Saint-Denis où il y construit en 1950 la cité Paul Langevin et l'unité du quartier Fabien. André Lurçat fut aussi connu pour avoir été urbaniste de plusieurs communes dans la région de Nancy.


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Eva Samuel Eva Samuel est née à Paris en 1949 et y est diplômée de l'UP6 en 1978. Elle enseigne aussi à l'université de la Havane à Cuba en 1971/72 Eva Samuel adopte une démarche architecturale alliant urbanisme et pluralité des échelles. Parmi ces principales réalisations elle collabore avec Guy Naizot en 1980 sur le centre ville de Saint Denis y déployant ainsi ses compétences en urbanisme opérationnel. Elle construit aussi l'ambassade de France à Ryad. En 1990, elle s'associe avec Patrick Sourd pour créer l'agence Eva Samuel et Patrick Sourd qui deviendra en 1995 Eva Samuel architecte et associés. Enfin, elle continue à enseigner dans plusieurs facultés et écoles d'architectures dont la Parson school of design ou encore l'école d'architecture de Grenoble. Elle est aussi depuis 2000, architecte conseil d'état. Serge Magnien Serge Magnien est un architecte et homme politique français né le 19 décembre 1929 et mort le 25 Juin 2012 à Paris. Il entre à l'école des beaux arts pour des études d'architecture et milite à l'Union de la Jeunesse républicaine de France en 1945. Il adhère aussi au parti communiste dès sa création et est nommé en 1956 secrétaire national de l'union des étudiants communistes de France. Politiquement très engagé contre la guerre d'Algérie, il sera incarcéré une première fois pour avoir rassembler et envoyer une pétition de 177 signatures de militaire de son unité pour demander un cesser de feu et pour avoir envoyer cette pétition au président de l'époque René Coty. Serge Magnien sera incarcéré une seconde fois pour avoir adresser cette fois ci une lettre à titre personnel au président de la république. A sa sortie de prison en Mai 1960, il poursuit ses études d'architectures et son engagement au sein du parti communiste français. Avec François Hess, ils fondent l'agence éponyme en 1963 où ils se destinent principalement à des réalisations sociales. Ayant par choix très peu de clients particuliers, les deux architectes ont beaucoup travaillé pour la ville de Saint-Denis. Ils y rénovèrent le


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secteur de la basilique et aménagent le musée d'art et d'histoire dans l'ancien couvent du Carmel. Serge Lana Serge Lana est un architecte et urbaniste français né à Audincourt à Dourbes, mort le 6 Août 2011 à l'âge de 84 ans. C'est d'abord un militant communiste, son père était menuisier italien ayant fui le fascisme et devenu secrétaire de section du PCF. Son père ne reviendra jamais d'Auschwitz, tandis que lui est libéré en août 1944 d'une maison de correction. Dans la même année il passe son bac à Orléans et débute ses études d'architecture à l'École spéciale de Paris en 1946. Il fonde en compagnie de Claude LeGoa ainsi que d'autres jeunes architectes communistes un cabinet d'architecture puis un bureau d'études d'urbanisme. Serge Lana modifie le paysage de communes ouvrières de la banlieue parisienne (Malakoff Bagnolet Saint-Denis) ou encore Bourges et Vierzon. Serge Lana entreprend aussi des travaux de construction sociale. Il participe aussi à l'édifice de la porte de bagnolet ou encore le bâtiment confédéral de la CGT.Il participe aussi à la construction du siège de l'INSEE.


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ANNEXE 2 : Entretien d’un habitant de l’ilot Simounet retranscrit. Age : 55 ans Sexe : masculin Logement : T4 étage 2 tranche 2 Date de l’entretien : 23/03/2017 /Comment vous sentez vous dans ce logement ? Personnellement ? je le trouve remarquable, justement par son architecture : c’est un architecte qui s’appelle Rolland Simounet que vous avez étudié peut être, qui est un grand architecte de l’école de Niemeyer, le Corbusier, enfin tout ça... en fait ce qu’il a fait c’est sur 4 niveaux. Quand vous êtes rentrés vous avez apprécié l’entrée et la buanderie, ensuite nous accédons à un premier niveau où se situe la salle de séjour, ensuite nous montons un autre niveau pour accéder à la cuisine et quand on monte là haut il y a deux chambres. /Donc cela prend toute la hauteur du bâtiment ? oui on dirait vraiment comme une petite maison /Donc les différents niveaux ce sont aussi différents niveaux d’intimité ? oui depuis l’entrée nous ne voyons pas le salon ensuite et le dernier niveau est plus intime c’est la ou sont les chambres. /vous avez quelle orientation solaire ? C’est Ouest. / ce qui fait que vous avez du soleil tard le soir, ça ne vous dérange pas ? avez vous des fenêtre de l’autre coté ? et dans la chambre ? ah ce n’est pas traversant non c’est mono orienté /Qu’est ce que vous préférez dans votre logement ? hum , c’est un ensemble, il n y a pas de lieu particulier, bon.. j’aime bien qu’il y ait différents niveaux, ce qui m’a amené à postuler pour avoir cet appartement. Evidement, c’est plusieurs niveaux, c’est plusieurs lieux donc, qui n’en font qu’un. (fond musique classique opéra) /vous habitez ici depuis combien de temps ? on est ici depuis 1985 /vous avez eu cet appartement comment ? Avez vous acheté ? Non on a pas acheté, on est locataires. C’est un ensemble de logements sociaux. Comme avant j’habitais dans le privé au début, on avait fait une demande de logement hlm qu’on a eu, ensuite comme c’était aussi des logements sociaux, on a postulé pour faire une sorte d’échange. Je vous invite d’ailleurs à aller, si vous faites


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une étude sur l’architecture du dixième, à aller voir les logements de la cité Langevin conçus par un grand architecte qui s’appelle Jean Lurçat, ou André Lurçat, son frère est peintre. Il y a un patrimoine architectural à Saint Denis qui est remarquable /Oui j’ai remarqué en venant qu’il y a tout un ensemble assez moderne avant d’arriver sur la place. Oui c’est vraiment extraordinaire, il y a la situation sociale qui fait que c’est difficile mais il ya au moins il y a un gros potentiel architectural et la structure qui est là. Vous voyez le bâtiment Niemeyer, celui en arrondi, qui est dans un état consternant, c’est là où j’ai travaillé pendant, une dizaine d’années, je le connais bien. /D’ailleurs quel est votre métier ? Moi je suis journaliste / vous parliez de l’état des bâtiment, je voyais ce hall, certains endroits sont assez dégradés : C’est une structure commune. /si vous avez un truc que vous aimez le moins dans votre logement ? (à part la cloison) J’aurais aimé une terrasse un peu plus grande, elles existent en dessous par exemple, vous avez le même type d’appartements avec des terrasses avec un mètre de plus quoi. /il n y a pas de jardin dans cet immeuble ? j’en ai vu un dans l’immeuble d’en face. La en échange j’ai une très belle vue sur l’église, on a le parc de la légion d’honneur à coté, à 50 m, jadis on y allait à pieds mais là on est obligés de faire un kilomètre pour aller le prendre à la porte de Paris, donc c’est très regrettable. /on a remarqué qu’avant il y avait toute une continuité spatiale sans démarcation, on a l’impression que les habitants ont voulu les créer. Ah ça c’est la connerie, c’est monstrueux. C’est la société qui fait ça, les gens ont voté à l’unanimité pour mettre des grilles pour des raisons de sécurité. C’est complétement con, c’est de l’architecture ouverte donc avec des coursives etc.. /c’est vrai qu’on se dit la même chose en voyant cela, on se dit : « ah bon ben c’est bête » . non mais a ca été construit dans l’esprit d’habitat populaire, collectif, donc avec des circulations... voilà. /et vous aimez ce système de coursives ? ah ben bien sur , oui oui, c’est une architecture un peu orientale. C’est ce qu’on appelle des patios, car il vient d’Alger Rolland Simounet. /Quand les gens traversent les coursives est ce que vous les entendez ?


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Oui évidement, ici par exemple il y a un terrain de foot, c’est complètement dingue, à 10 m d’un logement c’est idiot. Il y a des petites choses qui sont agaçantes bien entendu mais encore une fois ce n’est pas la structure. Ça raisonne beaucoup, combien de fois je suis sorti en pyjama pour dire aux petits camarades d’en bas de faire moins de bruit. /que pensez vous de la vie de la résidence. Est ce que vous avez un contact avec votre voisinage ? vous pensez que l’architecture qui est très ouverte a pu participer au développement de liens sociaux ? on se connaît par habitude mais nous n’avons pas de liens particulier, sauf deux trois amis ici ou là. Enfin, dont un architecte d’ailleurs. /on se dit qu’avec l’architecture très collective, parfois peut être les gens sont un peu les uns sur les autres ? ya pas de moment ou on se vraiment seul, CAD qu’il y a les coursives, y a les places, ya le mail, le passage Saint Jean, et le passage Saint Michel du Degré. Et je me disais que parfois les gens auraient besoin de plus d’intimité. Comment vous sentez vous par rapport à cela ? ah non on n’est pas serrés, maintenant parfois il y a des problèmes mais c’est rattaché à la vie.. / Autre question, quelle est la moyenne d’âge des gens vivant ici ? elle est relativement jeune, on va dire une quarantaine d’années, mais il y a aussi des jeunes couples qui ont 25, 30 .. Et pas mal d’enfants. /Est ce que vous trouvez des ressemblances avec d’autres appartements au sein de l’ilot ? il y a t il un appartement type qui est répété ? Ils ont chacun leur personnalité, ils sont tous différents. J’ai une voisine qui a sa cuisine plutôt au deuxième niveau là ou j’ai mon salon, et à l’étage il y a donc une chambre. Il y a des variantes. Mais si vous voulez, l’imbrication des appartements fait que il y a des compositions ici ou là. C’est un ensemble qui a été pensé par Simounet. /justement, en terme d’imbrication, y a des problèmes de pluie ? On voyait il y a des gouttières ... ah ca c’est autre chose, il y a des problèmes d’infiltration...Il y a le béton qui a vieilli... ca a été fait un peu à l’arrache dans les années 80, parce que ici à Saint Denis avant c’était une ville très insalubre, donc ils ont pris à l’époque, la décisions de soit on conserve et on fait un quartier ou on rase tout. C’est ce qu’ils ont fait ils ont tout rasé , il y a quelques trucs qui subsistent ici ou là. /c’est vrai que ce problème d’insalubrité est là, en sortant du RER j’ai vu une énorme pancarte où il y a écrit l’insalubrité recule. Oui elle est faible ca recule mais c’est très complique. A Saint Denis c’était une population ouvrière, avec des gens avec une conscience de classe, des revenus modestes ou correctes. C’est un peu pour cette population ouvrière que les architectures ont été conçues. Après les usines de Saint Denis ont fermées (gaz de France... ) donc il y avait du « prolo », il y avait des ouvriers. Et ces ouvriers après, on a assisté à la casse industrielle etc., les ouvriers sont partis ou sont morts, et donc une


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autre population d’origines diverses est arrivée qui elle était non seulement pauvre, voire misérable. Tout cela à cette époque était compliqué à gérer... /on remarque un problème d’accessibilité, il n y a pas d’ascenseur.. oui effectivement, pour les personnes âgées ou handicapées c’est un problème car il y a des marches partout, même dans les appartements. /pour les poubelles ca se passe comment ? c’est à dire qu’ils ont mis en place un système de cuves, des poubelles enterrées. Non seulement c’est vachement bien conçu, c’est devant la basilique, donc évidement ce sont des trucs qui s’encombrent très facilement. De fait, c’est les enfants qui sortent les poubelles et qui les mettent à côté, ils y arrivent pas ou ils ne font pas l’effort, et ça devient franchement dégueulasse. / les appartements étaient meublés ? et la cuisine ? non tout était à sa place, chaque endroit avait sa destination mais il n ‘était pas meublé, il est loué vide . /vous utilisez beaucoup votre loggia ? Non seulement quand il fait beau, après c’est un problème de temps, Les terrasses sont rarement occupées. C’est souvent des sortes de débarras. /elles sont quand même très belles et spacieuses. Peut être que le seul problème c’est que pour voir l’extérieur il fut être debout, le mur est assez haut au niveau de la terrasse. Quand on est assis on ne voit pas. En même temps on sait qu’elle est là et qu’elle ne va pas s’envoler. C’est vrai que les terrasses qui ont un m de plus sont agréables pour manger et là on est tranquilles. /c’est pas mal comme on ne voit pas, on ne nous voit pas oui oui , l’intimité de chacun est respectée, il n y a pas de vis à vis, pourtant la convivialité elle est là. On est très indépendants les uns des autres. On entend évidement les bruits de perceuses. / C’est donc vivre ensemble mais séparément ? c’est ça, moi je trouve ça très bien, c’est une conception du vivre ensemble, ou chacun a son indépendance. C’est comme une conception de l’Europe, c’est l’Europe des nations. Ce n’est pas l’uniformité quand même. Comme dirait l’autre l’ennui fabrique l’uniformité. Mais on est ensemble avec des communs et chacun vis sa vie comme il l’entend. / je pense que j’ai posé toutes les questions dont j’avais besoin je vous remercie pour votre accueil et votre temps. C’était avec plaisir et bon courage pour votre mémoire.


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ANNEXE 3 : Lettre du conservateur des bâtiments de France Source : Centre des archives du monde du travail, Fond Roland Simounet cote : 1997 017 10091

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ANNEXE 4 : dossier SODEDAT pour la rĂŠnovation de la ZAC basilique. Source : Centre des archives du monde du travail, Fond Roland Simounet cote : 1997 017 10091


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-RESUME-

L’îlot n°1 de la ZAC Saint-Denis est construit par Roland Simounet pour répondre à l’urgence d’un réaménagement urbain du centre ancien de la ville de SaintDenis. Roland Simounet s’intéresse à l’articulation entre le public et le privé, le commun et l’intime, la rue et le logement. Pas à pas dans l’ilot, de l’échelle de la ville à celle de la maison, du sol au ciel, l’architecte orchestre cet entre deux et pousse la réflexion à une étape supérieure, faisant appel à la fois à sa capacité d’adaptation au site, mais aussi à ses souvenirs d’années passées en Algérie.

Mots clés : Ilot Basilique ; ZAC Saint-Denis ; Réaménagement ; Roland Simounet ; Espaces intermédiaires ; Logement ; Casbah d’Alger ; cadrage ; Architecture Gothique ; Architecture Moderne ; Basilique Saint-Denis ; Parc de la légion d’honneur.


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