EXPOSITION
MUSÉE MARMOTTAN MONET
LAISSER PARLER LES
ÉMOTIONS Le musée parisien lève le rideau sur « Le Théâtre des émotions ». Cette exposition révèle comment la colère, l’amour ou la joie... ont été représentées dans l’art depuis le Moyen Âge. Passionnant et enrichissant. PAR VANESSA ZOCCHETTI.
a tristesse, la surprise, l’extase... Voilà qui fait le sel de la vie. Et des arts ! Les émotions sont, en effet, une source infinie d’inspiration. Et cela justifie déjà l’exposition « Le Théâtre des émotions ». Cet événement est aussi l’histoire d’une rencontre. Celle des historiens Georges Vigarello et Dominique Lobstein. Le premier, spécialiste des pratiques corporelles, a dirigé une Histoire des émotions publiée en 2016, déclenchant l’envie du musée de se pencher sur ce thème. Le second, historien de l’art, s’est imposé pour illustrer cette plongée dans les colères, les passions… « Nous avons commencé à travailler sur ce projet en 2018 puis nous avons hérité du Covid. La source de pas mal d’émotions ! Cependant celle qui a dominé notre collaboration a été la joie. Notre entente a été parfaite et nos réunions s’achevaient souvent sur de franches rigolades. Ce qui ne nous a pas empêchés d’avancer très sérieusement », raconte Dominique Lobstein. Le sérieux, c’est ce qui frappera le visiteur dès son arrivée avec une Marie-Madeleine représentée de profil par un maître du XVe siècle. Son visage ne révèle aucune expression mais sa main tient un mouchoir. « Nous sommes au Moyen Âge. À cette époque, on ne sait pas représenter l’émotion. Pas une larme sur le visage de Marie-Madeleine. C’est le geste qui illustre sa tristesse », explique l’historien de l’art. Après cette découverte, le visiteur s’élance dans un parcours chronologique en 80 œuvres qui balaie la palette des émotions et les façons de les illustrer avec, comme conclusion, une installation de Christian
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Boltanski faite de boîtes métalliques, ampoules, photos. « Elle ne représente pas l’émotion mais la suscite. Elle happe le visiteur pour déclencher en lui, indignation, chagrin… », décrypte toujours Dominique Lobstein. Entre-temps, on aura vu des femmes et des hommes rire, aimer, désespérer… Et cela dans des styles très distincts. La guerre de 1914-1918 est ainsi l’occasion de découvrir les différentes manières de « montrer » le deuil. Et la gaieté ? Elle prend de l’ampleur au XVIIIe siècle, notamment dans des scènes de spectacles. Dans ce panorama, le mime a toute sa place à l’image de cette photo de Debureau en Pierrot, signée Nadar. La vanité est, elle aussi, support d’émotions, comme celle de Philippe de Champaigne où l’on voit une tulipe, un crâne et un sablier. « C’est l’une des toiles incontournables de l’exposition. Elle permet de prendre conscience en seulement trois éléments que la vie a une fin et qu’il faut profiter de chaque moment, poursuit Dominique Lobstein. Il faut aussi prendre le temps de s’arrêter sur un tableau de Claude Marie Dubufe, La Lettre de Wagram. On y voit une femme de profil en train de pleurer [photo en haut à droite]. L’explication est donnée près de sa main : une médaille de la Légion d’honneur glisse d’une lettre, l’annonce de la mort de son amant. Même nécessité de s’éloigner d’une approche binaire avec le peintre belge Antoine Wiertz, qui a peint une femme prise de folie s’apprêtant à tuer son enfant et à le manger. L’explication se trouve en bas de la toile... » Un cliffhanger qui montre combien ce théâtre des émotions s’annonce palpitant. ■