LES SECRETS DE LA SĂRETĂ DE LâĂTAT
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Couvertureâ: Studio Lannoo Mise en pageâ: Karakters © Editions Lannoo nv, Tielt, 2015 et Lars BovĂ© D/2015/45/314 â ISBN 978 94 014 2590 2 â NUR 740 Tous droits rĂ©servĂ©s. Aucun Ă©lĂ©ment de cette publication ne peut ĂȘtre reproduit, introduit dans une banque de donnĂ©es ni publiĂ© sous quelque forme que ce soit, soit Ă©lectronique, soit mĂ©canique ou de toute autre maniĂšre, sans lâaccord Ă©crit prĂ©alable de lâĂ©diteur.
table des matiĂšres Une adresse secrĂšte 9 Du secret au mystĂšre 15 Fiefs et chasse gardĂ©e 24 Patriote 30 Quel gĂąchisâ! 35 LâHistoire cachĂ©e 45 Dossier # 1. MI5
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Consanguinité 60 VIP 68 Taupes 76 Informateur 80 Dossier # 2. La toute premiÚre écoute téléphonique
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Silence, on Ă©coute 89 Cibleâ: un politicien 103 Le ministre 113 Base de donnĂ©es (1) 119 Top secret 124 Cibleâ: parti politique 131 ReprĂ©sailles 136 Armes 146 Persona non grata 150 Dossier # 3. EU Confidential Aide diplomatique Au-delĂ de la frontiĂšre
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Le Club 170 Espion sous contrat 179 Yoga 190 NSA 200 Screening 208 Base de données (2) 217 Chien de garde 222 Diable 234 Alerte terroriste 243 Dossier # 4. Caricature de Mohammed
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Services secrets 261 Monseigneur 268 Lâancien patron 276 Le nouveau patron 292 Ni confirmer, ni dĂ©mentir 319 Ăpilogue 329 Lexique de la SĂ»retĂ© de lâĂtat
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Un appel entrant dâun numĂ©ro masquĂ©. «âBonjour, BovĂ© Ă lâappareil.â» «âMonsieur BovĂ©â?â» «âLui-mĂȘme.â» «âVous ne me connaissez pas.â» «âJe pense avoir une petite idĂ©e de qui vous ĂȘtes, au son de votre voixââŠâ» «âNon, nous ne nous sommes pas parlĂ©.â» «âOK. Bien compris.â» «âIl y a des choses sur la SĂ»retĂ© de lâĂtat que vous devez savoir.â» «âLa SĂ»retĂ© de lâĂtatâ?â» «âElle a des taupes, des informateurs au sein de tous les opĂ©rateurs tĂ©lĂ©com de Belgique.â» «âDes taupesâ? Des informateursâ?â» «âOui, ils violent le secret professionnel. Ă lâinsu de tous.â» «âVoulez-vous dire que la SĂ»retĂ© de lâĂtat obtient des donnĂ©es illĂ©gales des entreprises de tĂ©lĂ©comâ?â» «âOui. Et elle le fait depuis des annĂ©esâ: numĂ©ros de tĂ©lĂ©phone privĂ©s, donnĂ©es des appelants, communications Ă©lectroniques, adresses Internet. Elle a accĂšs Ă tout, sans contrĂŽle.â» «âQui sont ces taupesâ?â» «âPersonne ne contrĂŽle les informateurs. Câest leur Ă©chappatoire.â» «âDepuis quandâ?â» «âDepuis des lustres, le bon vieux temps. Je ne vous en dirai pas plus. Je ne vous ai pas parlĂ©.â» «âMaisâ⊠Sâil vous plaĂźt, dites-moiââŠâ» Il avait dĂ©jĂ raccrochĂ©.
Une adresse secrĂšte Câest un jour de semaine banal au centre dâAnvers. La circulation est intense. DerriĂšre moi, des dizaines de voitures se fraient un chemin dans le trafic. Insouciants, les cyclistes et piĂ©tons filent vers leurs occupations. Ils ignorent ce qui se trame derriĂšre les murs de la maison de maĂźtre de cette artĂšre renommĂ©e dâAnversâ: le Lei. Je suis le seul Ă regarder, fascinĂ©, la façade blanche, Ă la peinture Ă©caillĂ©e. Câest ici que commence mon enquĂȘte sur les secrets de la SĂ»retĂ© de lâĂtat, le service dâĂtat le plus mystĂ©rieux du pays, une institution qui ne tolĂšre aucun intrus. La SĂ»retĂ© de lâĂtat est le service de renseignement le plus ancien du monde, aprĂšs celui du Vatican. Le bĂątiment entier semble Ă©rigĂ© pour passer inaperçu. Rien nâattire le regard des passants. Aucune camĂ©ra de surveillance visible, tout au plus un vieux boĂźtier dâune alarme de sĂ©curitĂ©. Le numĂ©ro de la maison est bien indiquĂ© mais, Ă cĂŽtĂ© des deux sonnettes, aucun nom des occupants. Personne ne sait qui y habite. Un commerçant est Ă©tonnĂ© quand je lui parle de ses voisins un peu plus loinâ: «âLa SĂ»retĂ© de lâĂtatâ? Eh bien, dites doncâ⊠Jamais, je ne mâen serais doutĂ©.â» Un avocat, qui travaille non loin de lĂ , en sait un peu plus. «âIl y a effectivement des rumeurs qui disent que la SĂ»retĂ© de lâĂtat travaille lĂ . Mais je nâen suis pas sĂ»r. Nous nâavons aucun contact avec les gens dâĂ cĂŽtĂ©. Je sais quâil vaut mieux ne pas vous garer devant leur porte dâentrĂ©e, sans quoi votre voiture sera amenĂ©e Ă la fourriĂšre dans la demi-heure. Je nâai pas encore tentĂ© lâexpĂ©rience. Peut-ĂȘtre devriez-vous essayerâ?â» Il sourit. , numĂ©ro . VoilĂ donc lâune des adresses seÂcrĂštes de la SĂ»retĂ© de lâĂtatâ? Je scrute les quatorze grandes fenĂȘtres de la façade, en espĂ©rant pouvoir voir ce qui se passe Ă lâintĂ©rieur. UNE ADRESSE SECRĂTE
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Les vitres du bas sont sablĂ©es et les chĂąssis hauts, bleus, empĂȘchent toute tentative de jeter un coup dâĆil indiscret. Ă peine suis-je devant la grande porte bleue quâelle sâouvre tout dâun coup. Mâaurait-on dĂ©jĂ repĂ©rĂ©â? Un homme avec une longue barbe noire sort. Je recule et je fais demi-tour. Mâont-ils surprisâ? Je jette un Ćil discret par-dessus mon Ă©paule, mais son regard ne semble pas rivĂ© sur moi. Dans le hall, derriĂšre la grande porte dâentrĂ©e bleue, je vois de hauts murs roses. Dâun mouvement fluide, une voiture rentre dans la cour. La porte se referme directement aprĂšs son passage. Tout est Ă nouveau calme. Et si je sonnaisâ? Quâest-ce que je risqueâ? Je tente ma chance Ă la sonnette du dessus. «âAlloâ?â». Une dame rĂ©pond aussitĂŽt. «âSuis-je bien au bureau anversois de la SĂ»retĂ© de lâĂtatâ?â» «âQui ĂȘtes-vous, Monsieurâ?â» «âJe suis journaliste. Je rĂ©alise un portrait de la SĂ»retĂ© de lâĂtat. Câest bien le bureau de la SĂ»retĂ© de lâĂtat, nâest-ce pasâ?â» Silence. «âVous avez rendez-vousâ?â» «âNon, je venais jeter un Ćil. Je rĂ©alise un portrait de la SĂ»retĂ© de lâĂtat.â» «âNous ne pouvons pas vous aider, Monsieur.â» Elle raccroche. Je nâen saurai pas plus. Je retourne bredouille dans ma voiture. Je sens des regards dans mon dos. Le lendemain, je suis Ă la rĂ©daction. La rĂ©daction dâun journal quotidien est une ruche bruyante. Je suis calĂ© dans mon fauteuil, je me balance en arriĂšre, profitant de la vue prenante sur les toits de Bruxelles, lorsque, Ă 14âhâ57 prĂ©cises, mon GSM sonne. Un numĂ©ro masquĂ©. «âAllo, BovĂ© Ă lâappareil.â» «âCâest Geoffrey de la SĂ»retĂ© de lâĂtat.â» «âOh, bonjour.â»
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UNE ADRESSE SECRĂTE
Geoffrey a un boulot complĂ©mentaire Ă la SĂ»retĂ© de lâĂtat en tant que personne de contact pour la presse. La SĂ»retĂ© de lâĂtat nâa pas de porte-parole et encore moins un service de communication. «âHier, vous vous ĂȘtes rendu Ă notre agence locale dâAnversâ?â» «âEuh, oui.â» Comment diable savent-ils que câĂ©tait moiâ? Je nâai mĂȘme pas eu le temps de donner mon nom. «âNormalement, cela ne se fait pas.â» «âIl me semblait intĂ©ressant de visiter aussi vos adresses secrĂštes. Dâautant que je rĂ©alise un portrait de votre serviceââŠâ» Cela fait des mois que je demande Ă Geoffrey de mâaider. Je lui ai dĂ©jĂ envoyĂ© une bonne dizaine dâe-mails. Je lâai appelĂ© pres que autant de fois. En vain, jusquâĂ ce jour. Pourquoi la SĂ»retĂ© de lâĂtat ne dĂ©voile-t-elle pas en partie ce quâelle faitâ? Dans une dĂ©mocratie, les citoyens devraient pouvoir savoir ce que fabrique leur service de renseignement, tant que cela ne met pas en pĂ©ril les opĂ©rations en cours, les dossiers, les sources ou des vies en jeu. Chaque e-mail ou coup de fil Ă©tait suivi dâune rĂ©ponse polie que «âle service y rĂ©flĂ©chiraitâ». Parfois, jâeus lâimpression quâils allaient le faire, mais force Ă©tait de constater que je nâavais eu, par la suite, aucun signe effectif de collaboration. «âJe ne veux pas me montrer antipathique, mais vous devez savoir que parler Ă nos Ă©quipes Ă Anvers nâest pas possible. Ils ont Ă©tĂ© Ă©tonnĂ©s de votre visite, cela les a inquiĂ©tĂ©s mĂȘme. MĂȘme sâil ne sâagissait que de âjeter un coup dâĆilâ. Ils nâont jamais connu ça. Moi-mĂȘme, je nâai jamais pu visiter lâune de nos agences en provinces. Ces bĂątiments sont interdits au public. Pour y travailler, il faut obligatoirement avoir une habilitation de sĂ©curitĂ©.â» «âPourrions-nous enfin nous voirâ?â» Je profite de lâoccasion pour obtenir ce rendez-vous tant attendu. «âOui. Cela devrait ĂȘtre jouable le mois prochain. Je vous rappelle.â» UNE ADRESSE SECRĂTE
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Un mois plus tard, toujours pas le moindre signe de vie, mais ce nâest pas grave. La nervositĂ© suscitĂ©e par ma visite Ă la maison de maĂźtre Ă Anvers nâa fait quâattiser plus encore ma curiositĂ©. Personne dâautre nâaurait sonnĂ© Ă la porte dâentrĂ©eâ? Personne dâautre ne connaĂźtrait cette adresseâ? Il nâen faut pas plus pour rĂ©veiller le journaliste dâinvestigation en moi. Je poursuis mon enquĂȘte. Outre cette adresse Ă Anvers, la SĂ»retĂ© de lâĂtat disposerait, dans dâautres provinces, de 6 autres adresses secrĂštes, ainsi que dâun bureau confidentiel Ă lâaĂ©roport de Bruxelles national, situĂ© Ă Zaventem. Jâadresse un e-mail au porte-parole de la RĂ©gie des BĂątiments, lâorganisme dâĂtat qui gĂšre lâensemble des bureaux de lâĂtat belge. JâespĂšre quâil pourra mâĂ©clairer. Mais il ne peut rien communiquer sur la SĂ»retĂ© de lâĂtat, pas mĂȘme officieusement. Sa rĂ©ponse ne mâĂ©tonne pas. Les politiciens non plus nâobtiennent pas dâinformation sur ces bureaux secrets. En 2012, Mieke Vogels, la parlementaire Ă©colo (Groen) demanda Ă obtenir la liste de lâensemble des bureaux gĂ©rĂ©s par la RĂ©gie des BĂątiments Ă Anvers. On lui a fourni une liste dĂ©taillĂ©e, Ă une adresse prĂšsâ: âLe bĂątiment occupĂ© par la SĂ»retĂ© de lâĂtat ne peut pas, pour des raisons de sĂ©curitĂ©, figurer sur cette liste.â On pourrait croire que les membres du parlement Ă©lus ne se contenteraient pas de cette explication et essaieraient dâen savoir plus. Mais nonâ⊠Jâai une idĂ©e pour arriver Ă en savoir plus. Chaque annĂ©e, les parlementaires doivent approuver les documents relatifs au budget. Une piste Ă explorer. De prime abord, je ne trouve rien sur les mystĂ©rieux bureaux de la SĂ»retĂ© de lâĂtat, jusquâĂ ce que je recherche lâadresse anversoise dans les documents budgĂ©taires. Bingoâ! Certaines adresses y sont reprises, parfois sous un autre intitulĂ©, en tant que bureau du âService Public FĂ©dĂ©ral (SPF) Justiceâ: Administrationâ. Autant dire que ces adresses passent inaperçues dans la longue liste. Dans un rapport de lâexercice budgĂ©taire, jâen apprends plusâ: âGAND, relogement SĂ»retĂ© de lâĂtat Ă partir du 01/01/2011 (estimation comprenant 12
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les premiers travaux dâamĂ©nagement). Dans ce casâ: 41.1429B+C GAND, /â: Ă rĂ©silier le 31/10/2011. LIĂGE, SĂ»retĂ© de lâĂtatâ: nouveau bail Ă partir du 01/04/2011. Dans ce casâ: LIĂGE, â: Ă rĂ©silier.â Câest un travail minutieux pour reconstituer ce puzzle, mais jây arrive. Dans des documents budgĂ©taires, je rencontre dâautres adresses, comme celles dâHasseltâ: avec la mention âSPF Justiceâ: Administrationâ. Ă coup sĂ»r, une autre adresse secrĂšte de la SĂ»retĂ© de lâĂtat. Voyons voir. On dirait. Il y a un bureau avec une location annuelle de 21 879,80 euros, hors taxes et charges. Câest fou le nombre de dĂ©tails que jâarrive Ă retrouver. Je retrouve aussi lâadresse actuelle de la SĂ»retĂ© de lâĂtat Ă LiĂšge dans un autre rapportâ: . Si jâarrive Ă localiser les bureaux secrets en allant fouiller les documents figurant sur le site Internet du Parlement, alors des terroristes, des espions et dâautres obscures personnes peuvent en faire autant. Et si jâencodais ces adresses dans le moteur de recherche Googleâ? Incroyableâ! Dans un document du Service Public FĂ©dĂ©ral de la Justice qui date de janvier 2003, je retrouve toutes les adresses. Il y en a dix en tout. Inimaginable que ce genre dâinformations traĂźne ainsi sur les pages du webâ⊠S201 SĂRETĂ DE LâĂTAT ANVERS S204 SĂRETĂ DE LâĂTAT HASSELT HASSELT 3500 S410 SĂRETĂ DE LâĂTAT GAND S412 SĂRETĂ DE LâĂTAT BRUGES 8000 S517 SĂRETĂ DE LâĂTAT LIĂGE S624 SĂRETĂ DE LâĂTAT CHARLEROI CHARLEROI 6000
ANVERS 2000
GAND 9000 BRUGES LIĂGE 4000
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S625 SĂRETĂ DE LâĂTAT MONS MONS 7000 SC306 SĂRETĂ DE LâĂTAT BRUXELLES SIĂGE CENTRAL, ÂBOULEVARD DU ROI ALBERT II, 6 SG3061 SĂRETĂ DE LâĂTAT BRUXELLES GARAGE BOONDAEL, , SZ306 SĂRETĂ DE LâĂTAT ZAVENTEM AĂ©roport national, Local ZAVENTEM 1930 Câest une vieille liste, mais, entre-temps, je sais que les adresses secrĂštes dâAnvers et dâHasselt sont encore usitĂ©es. Câest incomprĂ©hensible que ces adresses que la SĂ»retĂ© de lâĂtat veut garder secrĂštes se retrouvent facilement sur Internet. Dans le rapport annuel de la SĂ»retĂ© de lâĂtat, rien ne filtre sur ces bureaux en provinces. Leur existence nâest pas Ă©voquĂ©e. Top secret. Et pourtant, les secrets de la SĂ»retĂ© de lâĂtat sont ouvertement Ă©talĂ©s sur Internet. Maintenant que jâai pu localiser ces bureaux secrets, je veux savoir ce qui se passe derriĂšre leurs murs. Combien dâinspecteurs y travaillentâ? Que font-ilsâ? Travaillent-ils avec les agents du siĂšge central de la SĂ»retĂ© de lâĂtat Ă Bruxellesâ? OĂč se trouvent leurs informateursâ? Quâen est-il de ce coup de tĂ©lĂ©phone mystĂ©rieux sur les taupes infiltrĂ©es dans les entreprises de tĂ©lĂ©comâ? Mon enquĂȘte sur la SĂ»retĂ© de lâĂtat commençait vraimentââŠ
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Du secret au mystĂšre Les services de renseignement ont quelque chose de cool. Dans le monde entier, ils parlent Ă notre imaginaire. Ils ont inspirĂ© les auteurs tant et plus. Les rĂ©cits palpitants, les sĂ©ries TV, les livres, les jeux vidĂ©o en foisonnent. De lâespion classique qui dĂ©code, pendant la Guerre froide, les secrets des Russes Ă lâagent secret moderne, aux gadgets hypersophistiquĂ©s qui dĂ©jouent les plans des terroristes fanatiques. On aime qualifier les services de renseignement de âservices secretsâ. Chaque jour, ils traquent lâinfo que personne ne soupçonne et ils protĂšgent ces secrets au pĂ©ril de leur vie. Comment distinguer la fiction de la rĂ©alitĂ©â? Est-ce que les services de renseignement veillent vraiment sur notre sĂ©curitĂ© ou est-ce que ce sont de sombres bastions de pouvoir qui Ă©chappent Ă tout contrĂŽle, y compris des politiciensâ? Est-ce que ce sont des services secrets ou mystĂ©rieuxâ? Servent-ils la dĂ©mocratie ou se fichent-ils ouvertement et impunĂ©ment des valeurs dĂ©mocratiques en violant la protection de la vie privĂ©eâ? Nos Ă©lus â parlementaires et ministres â sont-ils sous leur empriseâ? DĂ©terminent-ils leurs cibles comme bon leur semble, en faisant fi de la prĂ©somption dâinnocenceâ? Les scandales rĂ©cents des services secrets amĂ©ricains et britanniques qui espionnaient aisĂ©ment les Ă©changes Ă©lectroniques des citoyens, entreprises et membres du gouvernement sont pour le moins inquiĂ©tants. On sâattendrait Ă ce que la SĂ»retĂ© de lâĂtat, le service de renseignement le plus ancien au monde, aprĂšs celui du Vatican, ait fait lâobjet dâenquĂȘtes au cours de son existence de prĂšs de 200 ans. Rien nâest moins vrai. Les Belges â y compris les politiciens et les journalistes â ne savent pour ainsi dire rien de la SĂ»retĂ© de lâĂtat, le nom officiel de notre service de renseignement. Les rares questions que les membres du Parlement ont posĂ©es sur la DU SECRET AU MYSTĂRE
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SĂ»retĂ© de lâEtat en disent long. Et elles sont alors souvent adressĂ©es au mauvais ministreâ⊠Le ministre de lâIntĂ©rieur nâest pas responsable de la SĂ»retĂ© de lâĂtat, mais bien le ministre de la Justice. Quand une question aboutit au bon ministre, le contenu de la question suscite lâĂ©tonnement. La plupart du temps, le ministre de la Justice doit rĂ©pondre que telle ou telle chose ne fait pas partie des compĂ©tences ou des missions de la SĂ»retĂ© de lâĂtat. Les parlementaires belges savent Ă peine ce que fait leur propre service de renseignement intĂ©rieur. Je ne dois pas mâattendre Ă beaucoup dâaide de la part des politiciens pour faire aboutir mon enquĂȘte sur les secrets de la SĂ»retĂ© de lâĂtat. Ce nâest pas trĂšs encourageant, car la SĂ»retĂ© de lâĂtat ellemĂȘme brille par son mutisme. Tout nâest que mystĂšre. Tout est âCONFIDENTIELâ, âSECRETâ ou âTRĂS SECRETâ. Combien de personnes y travaillentâ? Câest un secret. Comment ce service est-il organisĂ©â? Câest un secret. Combien dâinformateurs comptentilsâ? Câest trĂšs secret. MĂȘme le personnel de nettoyage de la SĂ»retĂ© de lâĂtat est soigneusement passĂ© au crible. Jamais ils ne peuvent dire qui est leur employeur. Lâadresse du siĂšge central de la SĂ»retĂ© de lâĂtat nâest pas un secret. Câest un bunker de verre et de bĂ©ton hautement sĂ©curisĂ© situĂ© au boulevard du Roi Albert II, au numĂ©ro 6, Ă quelques minutes de la gare de Bruxelles-Nord. Cette adresse est publique. Mais les passants longent cette façade vitrĂ©e Ă lâeffet miroir sans se douter une seconde quâil sâagit lĂ dâun bĂątiment qui nâa rien de commun. Au-dessus du tourniquet, un simple panneau indique âNorth Gate Iâ. Il est entourĂ© dâun drapeau belge et dâun drapeau europĂ©en. Câest tout. Vous nâaurez pas de mal Ă trouver le numĂ©ro de tĂ©lĂ©phone et de fax, ainsi que lâadresse e-mail de la SĂ»retĂ© de lâĂtat sur Internet. Ils sont repris sur le site du Service Public FĂ©dĂ©ral Justice. Comme jâai le numĂ©ro de tĂ©lĂ©phone de la SĂ»retĂ© de lâĂtat, je les appelle. La premiĂšre fois, personne ne dĂ©croche. Le tĂ©lĂ©phone sonne dans le vide pendant 5 minutes. Lors de mes essais sui16
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vants, mon appel est directement coupĂ©. Je ne reste pas sur un Ă©chec. Mon cinquiĂšme essai est fructueux. «âJustitie, SPF Justice, goedemiddag, bonjourâ», me rĂ©pond une agrĂ©able tĂ©lĂ©phoniste dans les deux langues. «âSuis-je bien Ă la SĂ»retĂ© de lâĂtatâ?â» «âOui, monsieurâ», dit-elle en riant. On dirait quâici les secrets cessent dâexister. Mais les citoyens lambda nâarrivent pas Ă franchir la barriĂšre de la rĂ©ceptionniste, Ă moins de dĂ©tenir une information pouvant intĂ©resser la SĂ»retĂ© de lâĂtat. Si câest le cas, vous serez peut-ĂȘtre transfĂ©rĂ©. Si pas, votre rĂ©cit sâachĂšve ici. Ce nâest pas si Ă©vident que cela, que nous tous, politiciens compris, sachions si peu dâun service dâĂtat qui sâappelle luimĂȘme SĂ»retĂ© de lâĂtat. Ce nom est de loin exagĂ©rĂ©. Bien que les dĂ©tracteurs raillent parfois lâimportance de la SĂ»retĂ© de lâĂtat, son rĂŽle nâest pas Ă sous-estimer. Sur le site web du SPF Justice, les principales missions de la SĂ»retĂ© de lâĂtat sont dĂ©finiesâ: âprotĂ©ger des valeurs et des intĂ©rĂȘts fondamentaux de lâĂtatâ: la sĂ»retĂ© intĂ©rieure et extĂ©rieure de lâĂtat, la pĂ©rennitĂ© de lâordre dĂ©mocratique et constitutionnel et la sauvegarde du potentiel scientifique ou Ă©conomique.â Excusez du peu. LâArmĂ©e belge dispose aussi dâun service de renseignementâ: le Service GĂ©nĂ©ral du Renseignement et de la SĂ©curitĂ© (SGRS). Il veille surtout sur les intĂ©rĂȘts militaires, comme la sĂ©curitĂ© des troupes belges Ă lâĂ©tranger, la lutte contre lâespionnage industriel dans le secteur militaire belge, la dĂ©fense dâinstallations militaires et la protection des plans de militaires. Elle se soucie aussi dâassurer la sĂ©curitĂ© des ressortissants belges Ă lâĂ©tranger. Mais la SĂ»retĂ© de lâĂtat est le seul service civil de renseignement et de sĂ©curitĂ© du pays qui traque sur son territoire les extrĂ©mistes, les terroristes, les espions, les organisations sectaires nuisibles, les trafiquants dâarmes chimiques et biologiques. Nous devons aussi faire confiance Ă la SĂ»retĂ© de lâĂtat pour surveiller et passer au peigne fin tous ceux qui en Belgique peuvent DU SECRET AU MYSTĂRE
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travailler sur des informations sensibles ou dans des endroits sensibles comme des centrales nuclĂ©aires. Je regarde au Code quelles sont prĂ©cisĂ©ment les missions de la SĂ»retĂ© de lâĂtat. Son champ dâactivitĂ© est on ne peut plus largeâ: lutte contre toutes formes dâespionnage, de terrorisme et dâextrĂ©misme. La portĂ©e de ce dernier Ă©lĂ©ment est en soi trĂšs vaste. Selon la loi, âextrĂ©mismeâ signifie âles conceptions ou les visĂ©es racistes, xĂ©nophobes, anarchistes, nationalistes, autoritaires ou totalitaires, quâelles soient Ă caractĂšre politique, idĂ©ologique, confessionnel ou philosophique, contraires, en thĂ©orie ou en pratique, aux principes de la dĂ©mocratie ou des droits de lâhomme, au bon fonctionnement des institutions dĂ©mocratiques ou aux autres fondements de lâĂtat de droitâ. Suit alors lâexplication sur lâingĂ©rence, une menace assez Ă©nigmatique. Selon la loi, il sâagit de toute âtentative dâinfluencer des processus dĂ©cisionnels par des moyens illicites, trompeurs ou clandestinsâ. Une autre menace que la SĂ»retĂ© de lâĂtat doit tenir Ă lâĆil est la prolifĂ©ration. Il sâagit du commerce illĂ©gal de tout type de systĂšmes et de produits permettant de confectionner des armes nuclĂ©aires, chimiques et biologiques. La SĂ»retĂ© de lâĂtat est aussi compĂ©tente pour les âorganisations sectaires nuisiblesâ, les associations religieuses nuisibles ou qui enfreignent la loi. La police nâest pas la seule Ă avoir les âassociations criminellesâ dans le collimateur, la SĂ»retĂ© de lâĂtat doit aussi les surveiller de prĂšs. La âprotection du potentiel scientifique et Ă©conomiqueâ de la Belgique, donc de toutes les entreprises majeures et des centres de recherche, fait aussi partie de ces missions principales, tout comme la protection des chefs dâĂtat Ă©trangers, des membres du gouvernement et de leurs familles, des chefs dâĂtat belges, de nos membres du gouvernement, ainsi que de toute une sĂ©rie de âpersonnes importantesâ qui sont menacĂ©es. Les agents de la SĂ»retĂ© de lâĂtat semblent avoir plus de compĂ©tences pour mener des enquĂȘtes que leurs homologues Ă la police. Ils peuvent observer tout et tout le monde, Ă©ventuelle18
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ment aidĂ©s de moyens techniques ad hoc, et ce, tant dans des lieux publics que privĂ©s. Ils peuvent passer au peigne fin des lieux publics et privĂ©s, avec des moyens techniques Ă©ventuels, y compris chez un mĂ©decin, un avocat ou un journaliste. Ils peuvent identifier les expĂ©diteurs de courriers, les propriĂ©taires de boĂźtes postales, les abonnĂ©s de nâimporte quel appareil tĂ©lĂ©phonique, ordinateur ou moyen de communication Ă©lectronique. Ils peuvent localiser toutes sortes de donnĂ©es dâappel. Ils peuvent crĂ©er de fausses entreprises ou utiliser des noms de personnes morales fictives. Ils peuvent travailler en utilisant des identitĂ©s fictives et des fonctions factices comme couverture. Ils peuvent ouvrir du courrier et demander des donnĂ©es bancairesâ: numĂ©ros de compte, titulaires et opĂ©rations bancaires. Ils peuvent infiltrer nâimporte quel systĂšme informatique, Ă©ventuellement aidĂ©s de moyens techniques, de faux signaux, de fausses clĂ©s ou de fausses fonctions ou qualitĂ©s. Pour terminer, ils peuvent aussi mettre toute communication tĂ©lĂ©phonique sur Ă©coute et lâenregistrer. Il serait au bout du compte plus aisĂ© de dire ce que la SĂ»retĂ© de lâĂtat ne peut pas faireâ: Ă©liminer dĂ©libĂ©rĂ©ment des personnes ou les blesser ne fait, grosso modo, pas partie de la panoplie des possibilitĂ©s. La SĂ»retĂ© nâa donc pas une license to kill, un droit de tuer, comme James Bond. Une remarque importante Ă signaler ici est que la SĂ»retĂ© de lâĂtat nâa eu sa liste kilomĂ©trique de compĂ©tences quâen septembre 2010. Jusquâalors, la SĂ»retĂ© de lâĂtat ne pouvait que fouiner dans les banques de donnĂ©es du gouvernement, faire des filatures, soutirer des informations en racolant et embrigadant des informateurs. Du moins officiellement, ses activitĂ©s se limitaient Ă cela. Mais la vraie force du service se situe ailleursâ: la SĂ»retĂ© de lâĂtat dispose de milliers dâinformateurs rĂ©partis Ă travers tout le pays, dans des endroits stratĂ©giques, qui lui livrent des informations confidentielles. Ce âserviceâ a, gĂ©nĂ©ralement, un coĂ»t, lâinDU SECRET AU MYSTĂRE
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formateur demandant une rĂ©tribution. Ces Ă©changes sont parfois aussi illĂ©gaux, si je peux me baser sur le coup de tĂ©lĂ©phone mystĂ©rieux que jâai reçu tout au dĂ©but de mon enquĂȘte, sur ces âtaupesâ tapies dans des entreprises de tĂ©lĂ©com. Donc aussi chez Belgacom, la grande compagnie de tĂ©lĂ©communication, cotĂ©e en bourse, dans laquelle lâĂtat belge dĂ©tient des parts majoritairesâ? Câest possible. Aucune personne de lâextĂ©rieur ne contrĂŽle les informateurs de la SĂ»retĂ© de lâĂtat. «âOn en sait peu â trop peu â sur la SĂ»retĂ© de lâĂtat, surtout parmi la classe politique. Les politiciens ont une vision trĂšs superficielle sur la SĂ»retĂ© de lâĂtat. La perception quâils en ont est teintĂ©e de ce quâils ont vu dans des films hollywoodiens, alors que la SĂ»retĂ© de lâĂtat est aussi capitale que dangereuse pour la dĂ©mocratie. Il en va de mĂȘme pour les autres services de renseignement au monde. Il vaut mieux les contrĂŽler sĂ©rieusement.â» VoilĂ les mots dâun haut fonctionnaire des services de sĂ©curitĂ© belges. Il connaĂźt trĂšs bien la SĂ»retĂ© de lâĂtat. Depuis plusieurs dĂ©cennies, dans des compĂ©tences et qualitĂ©s multiples, il travaille avec la SĂ»retĂ© au plus haut niveau de dĂ©cision. Nous avons rendez-vous dans son bureau Ă Bruxelles. Ses collaborateurs ne savent pas que je suis venu ici pour discuter de la SĂ»retĂ© de lâĂtat. «âJe prĂ©fĂšre donner mon avis sans mĂ©nagement, plutĂŽt que cacher les faitsâ», dit-il. VoilĂ qui est prometteur. «âLa SĂ»retĂ© de lâĂtat vit en vase clos, dans sa tour dâivoire, loin du monde. Câest un problĂšme.â» Je lui dis que câest prĂ©cisĂ©ment pour cette raison que jâĂ©cris ce livre. «â Que voulez-vousâ ? Pendant des annĂ©es, personne nâa contrĂŽlĂ© la SĂ»retĂ© de lâĂtat. Câest maintenant le cas. Le ComitĂ© R mĂšne depuis 1993 des enquĂȘtes sur la SĂ»retĂ© de lâĂtat. Jusquâalors, elle avait le champ libre. Avec tout ce que cela gĂ©nĂšre comme problĂšmes et incidents. Ces problĂšmes sont encore prĂ©20
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