En couverture : Jeune chiot Cursinu âgé d’environ 6 mois (cliché C. Breton-Costa).
Éditorial
NOS REMERCIEMENTS À la Collectivité Territoriale de Corse,
au Centre Régional de Documentation Pédagogique de Corse,
à Christophe, Gérard, Armand, Toussaint, Colomba, Sébastien, Karma, Pacha, Darwin, Microbe, Wanda ainsi que tous les autres habitants de Lunghignano.
gisants, chien de chasse enluminé forçant le cerf, chien méchant, Lassy chien fidèle, chien errant, chien héros : la diversité des chiens égale celle des hommes, comme si nous avions forgé cette espèce à notre image. Et pourtant, le chien ne se retrouve que dans nos expressions négatives : temps de chien, chienne de vie, mal de chien… la seule positive ne l’est qu’en apparence : “fidèle comme un chien”. La fidélité serait-elle devenue une vertu si mal venue ? Ingrate nature humaine ! Si, en Corse comme dans beaucoup de campagnes, le chien est encore un travailleur, l’évolution de nos sociétés a tendance à en faire un “inutile”, un agrément sans nécessité. Pourtant, à Lunghignano comme ailleurs (8 millions de chiens pour 64 millions d’habitants en France), il semble y avoir toujours autant de chiens. On est alors en droit de se demander qui dépend véritablement de l’autre et si, quelque soit l’époque, nous sommes capables de vivre sans nos chiens. Alors, n’ayons pas peur de le dire, les hommes aiment les chiens, et moi, j’aime le mien ! novembre 2007-janvier 2008
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C
’est au comte de Buffon – et à son sens de la formule éternelle – que l’on doit ces deux célèbres adages concernant le cheval et le chien, faisant de l’un “la plus belle conquête de l’homme” et de l’autre “son meilleur ami”. S’il l’avait su, il aurait même pu dire “son plus vieil ami”. Un ami d’enfance en vérité ! Car, bien avant la vache ou le cheval, celui qui partage notre intimité depuis des millénaires, celui qui nous précède dans les broussailles, celui qui nous suit à la promenade, c’est le chien. Suiveur, oui, mais pourtant autonome. Alors, quoi de plus naturel que le chien ait fréquenté les hommes si tôt dans leur histoire, à l’époque où, nomades, ils battaient la campagne à la recherche de leur pitance… qu’en deux mots, ils menaient une vraie vie de chien (sans jugement de valeur) ! Il a donc bien mérité d’échapper au statut de “conquête” pour gagner celui d’“ami”. On ne reprochera donc pas à Buffon, pour une fois, cette façon très XVIIIe de tout définir par rapport à lui, enfin à l’homme, car le lien qui unit le chien et l’homme est sans équivalent, si bien qu’il est difficile de définir le premier sans évoquer le second. Chiens de chasse, chien-parure des élégantes en Panhard, chien endormi aux pieds des
par Cécile BRETON-COSTA
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Stantari est édité par Kyrnos Publications Association loi 1901 - SIRET : 449 685 569 00013 BP 64 - 20 538 Porto-Vecchio CEDEX Directrice de publication : Élyane Nivaggioni Rédactrice en chef : Cécile Breton redaction@stantari.net / Tél. : 06 14 72 25 94 Secrétariat de rédaction : Jean-Michel Jager - jean-michel.jager@orange.fr Abonnements : Colomba Cherpin colomba@grand-chien.fr / Tél. : 06 66 70 56 82 Conseil éditorial : Raphaël Lahlou - raphael-lahlou@hotmail.fr Communication-Promotion Laurent-Jacques Costa lj.costa@wanadoo.fr / Tél. : 06 85 65 28 01 Site internet : www.stantari.net Stantari est publié sous le haut patronage du président de l’Assemblée de Corse : Camille de Rocca Serra Comité de parrainage : Présidence : Prince Charles Napoléon Georges Charpak, prix Nobel de physique et physicien au CERN ; Élisabeth Dubois-Violette directrice de l’Institut scientifique de Cargèse ; Emmanuel Le Roy Ladurie, professeur honoraire au Collège de France et membre de l’Institut ; Paul Nebbia, conservateur du Musée de Préhistoire de la Corse ; André Santini, secrétaire d’Etat auprès du ministre du Budget, des Comptes publics et de la Fonction publique, chargé de la Fonction publique. Conseil scientifique : Présidence : Yves Coppens, Professeur au Collège de France Joseph Cesari, conservateur régional de l’Archéologie ; Marc Cheylan, maître de conférence à l’université de Montpellier ; Laurent-Jacques Costa, docteur en préhistoire ; Michel Delaugerre, chargé de mission au Conservatoire du Littoral, Gilles Faggio, Amis du Parc naturel régional de Corse ; Jacques Gamisans, président du Comité scientifique du projet “Flore de Corse” ; Alain Gauthier, professeur agrégé des sciences de la Terre ; Hervé Guyot, Office pour les insectes et leur environnement ; Roger Miniconi, docteur en océanographie et expert en biologie marine ; Jean-Claude Ottaviani, conservateur du Musée d’Aléria ; Marie-Madeleine Ottaviani-Spella, maître de conférences à l’université de Corse ; Guilhan Paradis, maître de conférence honoraire à l’université de Corse ; Jean-Claude Thibault, chargé de recherche au PNRC, Jean-Denis Vigne, directeur de recherche au CNRS ; Michel Claude Weiss, professeur à l’université de Corse ; Michel Vergé-Franceschi, professeur à l’université de Tours.
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Création graphique/maquette : Les éditions du Grand Chien (Porto-Vecchio) cecile.breton@grand-chien.fr / 06 14 72 25 94 Diffusion MLP Imprimé par l’IPPAC/Imprimerie de Champagne Zone industrielle - Les Franchises - 52 200 Langres Stantari est imprimé sur papier 100 % recyclé
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Trimestriel n° 11 - novembre 2007-janvier 2008 Dépôt légal à parution Commission paritaire 1110 K 87311. ISSN 1774-8615 © Kyrnos publications
Sommaire Nature & Culture | Natura è Cultura 8
Du loup au Cursinu : l’histoire du chien domestique ...................................... par M. Pionnier
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Gorgones ........................................................................................ par F. Pichot
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Rosés des prés, rosés des villes : les agarics .................................................................................. par J. Alesandri
33
Le legs Sisco : un siècle de vie artistique corse (1829-1933)
.................................................................................... par A. Jurquet & S. Gregori
39
Hercule Mucchielli : un trajet cinématographique (1923-1975)
........................................................................................................... par R. Lahlou
Rubriques 45
Verticale | Vista virticale Carte blanche à Dominique Tison
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Des animaux et des hommes | Animali è omi La mer et l’animal (2e volet). Des animaux à éviter : les animaux fantastiques .............................................. par M. Vergé-Franceschi
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L’espace d’un temps | Spazii d’un tempu Le climat de l’olivier .................................. par J.-P. Giorgetti & J. Alesandri
63
Chronique des côtes et du large | Cronache d’isti mari Les poissons “électriques” de Corse .............................. par R. Miniconi
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Portrait d’oiseau | Ritrattu d’acellu Le pic épeiche ......................................................................... par P. Moneglia
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Sur l’étagère du libraire ..................................... par R. Lahlou & L.-J. Costa “En revues”......................................................................... par C. Breton-Costa
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À lire… à voir | Da leghje… da vede
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Nature&Culture Natura è Cultura novembre 2007-janvier 2008
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Dans les villages de Corse, les chiens n’ont pas perdu la place qu’ils ont toujours eue. Ici, les chiens de Lunghignano en Balagne (et leurs maîtres) posent pour Stantari. De gauche à droite et de haut en bas : Christophe et Karma, Gérard et Pacha, Armand et Darwin, Toussaint et Galette, Colomba et Microbe et, au premier plan, Sébastien et Wanda.
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par Maud Pionnier
Le chien, animal fidèle et dévoué par excellence, cohabite avec les hommes depuis des millénaires. Au cours du temps, l’homme a appris à l’utiliser, à s’en occuper, à le sélectionner… Toujours, il a su garder cette image emblématique à l’origine de l’immense diversité que connaît l’espèce actuellement. Quand a commencé cette longue histoire canine et pour quelles raisons ? Et comment a-t-elle pu aboutir à tant de races parmi lesquelles figure le Cursinu… ?
Du loup au C ursinu :
l’histoire du chien domestique
Aujourd’hui, il existe plus de quatre cents races de chiens domestiques dans le monde dont plus de trois cents reconnues officiellement par la FCI (Fédération Cynologique Internationale). Chacune possède ses propres caractéristiques et sa propre apparence. On le constate au quotidien, à l’image du Cursinu – race standardisée par la SCC (Société Centrale Canine) depuis 2003 – qui présente ses caractères physiques et intellectuels distincts. Cette disparité des formes se retrouve également au niveau du squelette, où les os (et notamment le crâne) se révèlent être de bons indicateurs de l’hétérogénéité qui existe chez les chiens.
Crâne provenant du site de Eliseeivici (Russie) et daté à 13 905 ans avant notre ère.
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Et pourtant un ancêtre unique ! Cependant, malgré cette multiplication de morphologies et d’apparences, l’ensemble des races actuelles de chiens ne constitue qu’une seule et même espèce, Canis familiaris, et tous les individus peuvent se croiser entre eux et donner une descendance fertile. Ainsi, il existe un unique ancêtre commun à tous ces chiens, à cet immense groupe qu’ils représentent aujourd’hui. Des études récentes en génétique, menées sur des races actuelles de chiens domestiques mais également sur des canidés sauvages tels le loup (Canis lupus), le chacal (Canis aureus) et le coyote (Canis latrans) ont montré que le loup était l’individu sauvage dont le génotype (c’est-à-dire l’ensemble de l’information portée par le génome) se rapprochait le plus de celui des chiens actuels. C’est ainsi novembre 2007-janvier 2008
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Maud Pionnier est doctorante en paléogénétique et en archéozoologie (École normale supérieure de Lyon/ Museum d’histoire naturelle de Paris)
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Le chien domestique
Cliché L.J. Costa
Le naturaliste français George Cuvier (1769-1832) témoigna de son fort attachement à son lévrier en conservant le squelette monté de l’animal, aujourd’hui encore présent dans les collections du Museum national d’histoire naturelle de Paris
qu’il a été démontré sans équivoque que le loup constituait l’ancêtre sauvage du chien. Comment, alors, à partir d’un animal si imposant et avec cette aptitude à la prédation qu’on lui connaît, a-t-on pu obtenir le “meilleur ami de l’homme” ?
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Le chien : premier animal domestiqué par les chasseurs-cueilleurs
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La domestication du chien est un sujet passionnant à étudier, mais également très complexe à percer. En effet, sa compréhension est directement liée au passé et à l’Histoire, et dépend donc des archives que le temps et les hommes ont accepté de laisser. Les premières preuves directes de la domestication remontent à la Préhistoire et plus particulièrement au Tardiglaciaire, qui s’étend environ de -19 000 à -10 000 avant notre ère. Plusieurs sites archéologiques en Europe et au novembre 2007-janvier 2008
Proche-Orient ont permis de mettre au jour des éléments squelettiques attribués au chien. En effet, une conséquence dominante de la domestication est la réduction de la taille (et donc, de manière intrinsèque, des os) et, notamment chez le chien, de la partie crânienne, avec un raccourcissement du palais mais également de ce que l’on nomme la crête sagittale, partie saillante sur le dessus du crâne (très prononcée chez le loup). Ce sont ces légères modifications que l’on peut déceler dans les restes anciens du Tardiglaciaire. Par exemple, un crâne découvert en Russie et daté à -13 905 ans avant notre ère, est, d’après ses caractéristiques et ses mensurations, celui d’un chien de type husky actuel, mais légèrement plus massif. De la même façon, on a trouvé en Espagne un humérus daté à -17 000 ans dont la taille, trop petite pour appartenir à un loup, renvoie directement à un chien.
Crâne de chien retrouvé à Châtenay (Seine-et-Marne), Néolithique moyen Cliché M. Pionnier
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Le chien domestique
Comparaison de crânes de chiens domestiques actuels. De gauche à droite : lévrier de type barzoï, berger allemand, bull-dog et pékinois (crânes issus des collections d’anatomie comparée du Museum national d’histoire naturelle, Paris).
Mais qu’est-ce qui a bien pu pousser les hommes de l’époque à vouloir s’approprier le loup ? Cet animal, si on en croit les divers témoignages laissés dans certains sites (notamment certaines peintures rupestres), devait avoir un fort statut emblématique et symbolique. Il est difficile de déterminer quelles pensées ont pu traverser l’esprit des populations humaines d’il y a 15 000 ans. Quel élément déclencheur a pu les décider à s’approprier des individus sauvages dans le but de les utiliser ? Dans le cas du loup, plusieurs hypothèses
peuvent être envisagées. Des hommes ont pu délibérément récupérer des louveteaux dans le but de les apprivoiser. Des loups ont pu, de leur propre chef, se rapprocher de groupes humains dans le but opportuniste de récupérer les restes alimentaires non consommables par l’homme… À l’époque, les hommes vivent encore du produit de la chasse et des cueillettes effectuées lors de leur migration ; cette économie, fortement liée à un mode de vie nomade, est à l’origine de l’appellation “chasseurs-cueilleurs” qui désigne les
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La grande sociabilité naturelle du chien a sans doute beaucoup facilité sa domestication.
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Le chien domestique
activités des premiers hommes modernes. Or il est clair que ces premiers “loups apprivoisés” se sont rapidement révélés de précieux compagnons dans les parties de vénerie… ce qui a conduit l’homme à garder ce nouvel ami et à mettre à profit ses aptitudes. Le néolithique et la “familiarisation” du chien…
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À la fin du Tardiglaciaire, le réchauffement climatique est à l’origine d’une nouvelle époque, l’Holocène (qui commence vers -10 000 avant notre ère et perdure encore de nos jours). Il y a 9 000 ans, dans la région que l’on appelle le “Croissant fertile”, au Proche-Orient, commence alors le Néolithique, longue période préhistorique marquée par des faits majeurs et notamment la domestication de nouvelles espèces : les bovinés, les caprinés et les porcs. Les hommes passent alors du statut de chasseurs-cueilleurs à celui d’agriculteurs-éleveurs, et leur mode de vie se caractérise par la sédentarisation des populations. La néolithisation va alors progressivement gagner le reste du monde. Dans les îles de Méditerranée occidentale (Corse et Sardaigne), comme sur le continent (France et Italie), elle est attestée dès le VIe millénaire av. J.-C. À cette époque, la présence du chien devient plus fréquente dans les sites archéologiques du monde entier. En France, elle est surtout marquée au Néolithique moyen (autour de 4 500 avant notre ère) : de grandes séries de chiens sont retrouvées dans le Sud (vallée du Rhône) et dans le Jura (sites de Châlain et de Clairvaux). Plus ponctuellement, des chiens sont déterrés en contexte sépulcral (inhumés aux côtés des hommes). Certains sites archéologiques, à défaut de présenter des restes squelettiques canins,
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Rhyton attique à boire en forme de tête de chien, attribué au peintre de Brygos (Ve siècle av. J.-C., Musée d’Aléria).
présentent également des traces directes de leur présence : des marques de rognage et de “mâchouillage” sur les ossements d’animaux consommés à l’époque. En ce qui concerne les îles de la Méditerranée, la présence du chien est connue dès le Néolithique ancien (5500 av. J.-C.). En Corse, comme sur le continent, on trouve des témoins indirects assez anciens, comme des traces de crocs sur des os dans des poubelles d’habitats. Les restes osseux les plus anciens sont datés au IVe millénaire avant J.-C., dans le site de Scaffa Piana, près de Saint-Florent, où quatre métapodes d’un même jeune individu ont été trouvés. Au IIIe millénaire, en plein Néolithique final, le chien devient bien représenté dans les couches archéologiques, notamment sur le site de Terrina (Aléria). Il semble donc qu’à cette période, le chien soit installé de façon définitive dans les campements humains ; son utilité peut être alors directement liée à la sédentarisation et à l’apparition des troupeaux de bovins ou de caprins… et donc à la volonté d’avoir, pour le bétail, un gardien de jour comme de nuit. De plus, on a pu mettre en évidence, sur certains sites, des traces de découpe sur des restes de chiens, ce qui laisse croire à une consommation de l’animal. Est-ce dans le cas de dîners rituels ou avons-nous affaire à de véritables élevages canins dans un but alimentaire ? La question reste en suspens. On peut d’ailleurs noter que la cynophagie est une pratique encore courante de nos jours dans certains pays. En Sardaigne, la plus ancienne occurrence du chien est datée aux environs de 5 000 av. J.-C. par la découverte d’un crâne
Chien de chasse grec, période archaïque (environ 520 av. J.-C.) Musée de l’Acropole. novembre 2007-janvier 2008
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Ce chien de berger rencontré au hasard d’une promenade dans les montagnes sardes illustre parfaitement les critères du morphotype lupoïde.
presque complet sur le site de Cuccuru is Arrius (Oristano). Ce crâne, trouvé parmi des déchets culinaires, porte d’indiscutables traces de feu et l’on peut envisager l’hypothèse d’une consommation de l’animal. Les périodes historiques : vers une première raciation des chiens On peut décrire chez les chiens trois morphotypes, c’està-dire trois types morphologiques, au niveau de l’individu entier et d’éléments squelettiques comme le crâne. Ainsi distingue-t-on : - le morphotype lupoïde, où, comme son nom l’indique, la forme est très proche de celle du loup, avec des individus hauts sur pattes et élancés. La tête a la forme d’une pyramide horizontale, les oreilles sont dressées, le museau allongé, allant en s’amenuisant, les lèvres courtes et serrées. Les chiens de berger, comme le berger allemand, sont un bon exemple
Ces nombreux critères de différenciation ont permis de mettre en évidence l’apparition des différents types – prémices des futures races – au cours de l’Histoire : on les retrouve dans l’iconographie ou dans les statuettes archéologiques. Le morphotype lupoïde est généralement associé aux morphologies primitives du Paléolithique et du Néolithique tels qu’on a pu les décrire précédemment. On le retrouve également dans des scènes de ruralité, notamment à travers des représentations dans des tapisseries et des enluminures du Moyen Âge ; il est employé à la conduite des troupeaux. Les premières formes du morphotype graïoïde sont soupçonnées très tôt dans l’histoire, comme en atteste une peinture rupestre du site de Tassili n’Ajjer datée entre le Ve et le IIIe millénaire av. J.-C.
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Cliché M. Pionnier
de morphotypes lupoïdes. Le Cursinu appartient également à ce groupe ; - le morphotype graïoïde, typique des lévriers, présente une tête en cône allongé, un crâne étroit, un museau long et effilé, le nez saillant surplombant la bouche, les oreilles couchées en arrière ou droites. Il est surtout très reconnaissable à la silhouette élancée, aux reins arqués et au ventre très retroussé ; - le morphotype molossoïde : la tête est alors massive et plutôt cuboïde, le museau court et puissant, les oreilles tombantes, les lèvres épaisses et couvrantes. Le corps est massif avec une peau épaisse et plutôt lâche. On peut citer les dogues comme représentants de ce morphotype.
Pacha, le lévrier barzoï : parfait représentant du morphotype graïoïde. novembre 2007-janvier 2008
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La génétique au service des clubs canins
La forme devient beaucoup plus commune en Égypte à partir de 2 400 av. J.-C : de nombreux bas-reliefs et peintures murales attestent de sa présence. Le morphotype est ensuite retrouvé dans les cités romaines à partir du IVe siècle (mosaïques, marbres). Plus tardivement, on le trouve dans certaines peintures mongoles et turkmènes et, à partir du Moyen Âge, il fait son apparition dans l’art français. Le morphotype molossoïde émerge dans le nord de l’Afrique et se répand ensuite dans tout le Procheorient à partir du IIIe millénaire avant J.-C. Très tôt, on le voit faire partie de scènes de chasse impressionnantes. Il est connu en Europe beaucoup plus tardivement, avec de nombreuses peintures italiennes qui le mettent en scène. Ce sont donc ces morphotypes ancestraux régionaux qui se sont perpétués au cours de ces périodes. C’est ensuite une différentiation fonctionnelle de plus en plus poussée qui a conduit à l’émergence de nouveaux morphotypes comme les chiens nains de compagnie, les chiens courants, bassets, terriers… Mais tous ces chiens historiques ne sont pas pour autant les ancêtres directs des chiens actuels. Ils témoignent cependant sans aucun doute d’un courant de pensée qui s’est installé il y a des millénaires, visant à obtenir des individus aux traits caractéristiques, suivant l’utilisation que les hommes leur destinaient. Au cours du temps, des morphologies se sont donc affinées, directement liées aux aptitudes et à l’emploi des chiens.
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À partir du XIXe siècle : l’officialisation des races actuelles
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C’est pendant le siècle de la Révolution industrielle que va naître réellement la volonté de décrire des races types et de conserver ainsi des caractères propres à chacune. En effet, au XIXe siècle, la population de chiens connaît une novembre 2007-janvier 2008
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Depuis quelques années, des scientifiques mettent en place une base de données sur l’ADN des différentes races de chiens afin d’évaluer la diversité de ces races canines, de savoir s’il existe une signature génétique pour chaque race, mais aussi pour compléter le pedigree de chiens dont la généalogie comporte des informations floues. Ces études ont aussi pour but d’améliorer le suivi des chiens et de prévenir certaines dérives génétiques, notamment lorsque les lignées de chiens ne sont pas suffisamment diversifiées.
expansion numérique. Il est devenu un animal commun. La cynophilie apparaît réellement à cette époque ; c’est le début des croisements officiels et reconnus afin d’obtenir des morphotypes précis qui correspondent à une volonté de rassembler des races (alors surtout régionales) sous une seule et même dénomination, comme c’est le cas du berger allemand dont les fondements de la race sont établis en 1897 par Von Stephanitz. Des morphologies connues depuis longtemps et sélectionnées pour leur aptitude à tel ou tel usage vont se voir attribuer un nom, puis un standard. Chaque race est décrite de façon précise, depuis la pointe des oreilles jusqu’au bout des pattes. Elle se voit allouée d’un pelage type et d’une aptitude reconnue et prouvée. Une notion nouvelle apparaît, celle de reproducteur. Le but nouveau étant de maintenir la définition standardisée de la race, des reproducteurs sont sélectionnés car présentant les éléments de cette définition. Ils deviennent alors les parents de nombreuses portées, avec toujours le but d’obtenir le standard parfait c’est-à-dire répondant sur tous les plans aux critères définis. L’histoire du Cursinu s’inscrit dans cette chronologie. En effet, l’existence d’un chien corse est attestée par de nombreux écrits depuis le XVIe siècle, au moins. Sa polyvalence d’utilisation est forte, car il peut aussi bien être représenté comme chien de berger, gardant les troupeaux, que comme compagnon de chasse. Du fait de l’insularité, il a pu se développer jusqu’à la fin du XXe siècle. Après un léger déclin de la race, il recommence à être apprécié, notamment pour la chasse, à partir des années quatre-vingt. Sa reconnaissance est tardive car c’est seulement en 2003 que la Société Centrale Canine a établi les standards de la race U Cursinu. • P • FRANCQ E., 2007, Les Origines des races européennes de chiens de Berger, thèse de doctorat, École nationale vétérinaire d’Alfort. • LICARI S., 2006, “Éléments d’émergence des principaux types de chiens à la lumière de témoignages iconographiques” In Le Chien : domestication, raciation, utilisations dans l’histoire, Ethnozootechnie, n° 78, p. 47-66 • LIGNEREUX Y., 2006, “Des origines du chien” in Le Chien : domestication, raciation, utilisations dans l’histoire, Ethnozootechnie, n° 78, p. 11-28. • VIGNE J.-D.,1983, Les mammifères terrestres non volants du post-glaciaire de Corse et leurs rapports avec l’Homme : étude paléoethnozoologique fondée sur les ossements. Thèse de doctorat. Université Pierre et Marie Curie. • VIGNE J.-D., 2004, Les débuts de l’élevage, Éditions Le Pommier.
Belle chienne Cursinu (type de l’élevage de Frassigna) appartenant à Jean-louis Guidoni de Calenzana.
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À la recherche du chien corse : le Cursinu
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Interview de Jean-François Andréozzi, président du “Club Cursinu” et de Pierre Benedetti, juge qualifié et formateur de la Société centrale canine. D’après les propos recueillis par Laurent-Jacques Costa
Qu’est-ce qu’un pedigree ? Sur le pedigree figure les informations concernant la généalogie du chien sur trois ou quatre générations (c’està-dire jusqu’à 14 ascendants). Les pedigrees, qui existent depuis une centaine d’années, sont un outil de sélection dont l’objectif est d’améliorer les races domestiques dans leur morphotype. Ils peuvent aussi comporter des informations précises sur les qualités (champion de travail par exemple) ou les défauts (tares génétiques comme la dysplasie des hanches) de ces ascendants.
En juin 2007 se tenait à Moltifao la première nationale d’élevage de la race Cursinu. C’est au cours de cette manifestation officielle que l’on reconnaît, par les récompenses obtenues, les sujets les plus représentatifs de la race. Cette réunion fut aussi, pour Stantari, l’occasion d’en savoir plus sur ce chien et sur le travail qui a abouti, en 2003, à la reconnaissance officielle de cette race. Quelles sont les caractéristiques de ce chien corse ? Comment obtient-on l’officialisation d’une race canine ? Quels sont les enjeux d’une telle démarche ? Autant de questions que nous avons cherché à approfondir grâce aux témoignages de Jean-Francois Andréozzi, président du club Cursinu, et de Pierre Benedetti, juge qualifié de la Société centrale canine et éleveur de Cursinu.
toujours été là, se reproduisant entre eux au fil des générations. Certes, il ne s’agissait pas d’une race reconnue, identifiée comme telle par le monde de la cynophilie, mais c’était une race considérée comme locale, à l’instar des cochons ou des chèvres.
Devenir une race officielle
À la suite de cette étude, Jean-Dominique Rossi et JeanFrançois Andréozzi initièrent un large débat sur le chien corse et rencontrèrent une dizaine de personnes intéressées par ce “patrimoine vivant” et prêtes à s’investir pour sa reconnaissance. L’association pour la sauvegarde du chien corse venait de naître. Son objectif majeur étant la reconnaissance officielle de la race par les instances du Ministère de l’Agriculture.
L’aventure du Cursinu a débuté en 1984, lorsque, sous la direction de Paul Franceschi, le Parc naturel régional de Corse a lancé une étude sur le chien corse. Le but de cette étude était de déterminer si ce chien était encore une réalité, c’est-à-dire s’il existait encore une population de ces chiens ruraux à l’allure spécifique que l’on peut voir accompagnant les bergers sur des photos ou des gravures anciennes. Cette première étude confirma la présence de chiens qui, dans l’esprit de leurs propriétaires, étaient des chiens corses, c’est-à-dire des chiens d’aspect particulier, qui semblaient avoir
Parallèlement à cette démarche l’association, soutenue par le Parc naturel régional de Corse, initia en 1989 une nouvelle étude visant cette fois-ci à recenser les chiens dont la morphologie pouvait correspondre à celle du chien corse. Ce recensement se déroula tout d’abord dans la haute vallée du Taravo. Il permit de confirmer l’existence d’un grand nombre de chiens suffisamment proches du type originel pour que l’on envisage la définition d’un standard. À l’époque, ces chiens ne s’appelaient pas encore Cursini et vivaient auprès des bergers et de certains chasseurs. C’est donc auprès de ceux-ci que l’association a travaillé, mesurant, pesant, photographiant des centaines de chiens dans presque tous les villages de Corse, jusqu’à réunir 500 individus ayant entre eux des caractéristiques morphologiques proches. C’est en effet le nombre minimum de chiens nécessaire pour pouvoir déposer un dossier auprès de la Société centrale canine. Deux thèses vétérinaires ont été consacrées à ce chien corse : celle de Mlle Rigaud suivie, plus tard, par celle de M. Guerrini. Ces travaux sont venus étayer cette démarche patrimoniale de données scientifiques. En 2003, l’aventure a connu sa consécration avec la reconnaissance officielle de la race Cursinu.
Examen de la denture lors de la séance de confirmation.
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Caractéristiques morphologiques du Cursinu
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À l’instar de la majorité des chiens, le Cursinu est avant tout défini par la morphologie de sa tête. Celle-ci est de forme pyramidale, le Cursinu étant un chien de type lupoïde, c’est-à-dire proche du loup. Le crâne est plat, sa longueur et sa largeur sont égales et correspondent aussi à la longeur du chanfrein (museau) et des oreilles. Celles-ci sont attachées au niveau de la ligne de l’œil, ou très légèrement au-dessus. Les lèvres sont minces, la babine supérieure ne devant pas recouvrir la babine inférieure. L’œil est en amande et doit être d’une teinte équivalente à la robe. Enfin, la face présente souvent un masque foncé. Le poil est avant tout
La tête et l’expression d’Ama d’Altare sont très caractéristiques du Cursinu.
Cliché F. Bertozzi
Ci-dessous : Véloce d’Altare, gagnant de la 1re exposition nationale élevage de la race à Moltifau le 24 juin 2007. Propriétaire : Pierre Paul Mignoni.
Aptitudes comportementales du Cursinu Le Cursinu est un chien très polyvalent. Il était autrefois utilisé à différentes tâches : à la garde du troupeau, à la surveillance de la bergerie ou à la chasse. C’est cette polyvalence qui en a déterminé la morphologie et le caractère. D’une manière générale, le Cursinu
est un chien indépendant, plutôt méfiant avec les inconnus mais peu agressif envers l’Homme. Par son mental, il est généralement moins adapté au travail de défense ou de conduite d’un troupeau. Si, aujourd’hui, certaines lignées sont quasi-uniquement sélectionnées pour la chasse, le Cursinu ne sera cependant jamais un chien courant. Bien entendu, le Cursinu peut être dressé à remplir toutes sortes de fonctions (l’agility, le pistage…) mais cette spécialisation risquerait de transformer le type initial en développant certaines aptitudes au détriment d’autres. Ceci pourrait entraîner des modifications comportementales et morphologiques : par exemple, un chien exclusivement employé à la chasse aura tendance à s’alléger et à s’allonger afin d’augmenter ses performances dans cette fonction. La préservation du Cursinu passe donc par le respect de sa polyvalence : l’avenir de la race est désormais entre les mains des éleveurs et des propriétaires qui s’engageront dans la voie de la sélection officielle. novembre 2007-janvier 2008
Stantari #11
Il existe aujourd’hui une certaine variabilité dans la race Cursinu, les chiens n’étant pas encore très homogènes. Cette hétérogénéité est due aux infusions d’autres races et au manque de sélection. Au début, trop peu de chiens correspondaient au standard : il a donc fallu, dans un premier temps, élargir les critères et accepter un grand nombre d’individus afin d’éviter de démarrer avec trop peu de lignées. C’est aujourd’hui aux éleveurs de corriger cette variabilité de caractères en s’appliquant à ne pas sélectionner pour l’accouplement des individus présentant les mêmes écarts par rapport au standard défini. C’est ainsi que la race évoluera vers une plus grande homogénéisation de ses lignées et que les chiens se rapprocheront alors, au fil du temps, du morphotype recherché.
Cliché P. Benedetti
caractérisé par sa texture, il doit être rugueux quand il est court, jamais soyeux lorsqu’il est long (deux variétés), mais jamais ras ni griffoné. Le Cursinu possède une culotte assez marquée sur la face externe de ses membres postérieurs. Le fouet (la queue) est assez court, plutôt épais, et l’on recherche préférentiellement un port relevé ou enroulé sur le dos. Enfin, la couleur n’est pas le critère le plus déterminant puisqu’il existe différentes robes, généralement bringée, elle peut être sable, fauve ou noire. Sur les robes claires, le masque est obligatoire.
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Tombant recouvert principalement de Paramuricea clavata (gorgone violette) avec quelques Eunicella cavolinii (gorgone orange). novembre 2007-janvier 2008
ClichÊ É. Volto
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Gorgones
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par Franck Pichot
Considérées tantôt comme des animaux, tantôt comme des plantes, elles ont longtemps enrichi les “cabinets de curiosités” avant de trouver leur véritable place au sein du règne animal. Mais les gorgones sont plus qu’une simple curiosité pour plongeurs ou pour savants, elles sont des organismes complexes et fragiles dont dépendent de nombreuses autres espèces.
Franck Pichot est professeur certifié en sciences de la vie et de la Terre au collège de Porto-Vecchio. Il est titulaire du DESS “écosystèmes méditerranéens” de l’université de Corse.
sentées : il s’agit de la gorgone violette (Paramuricea clavata : Risso, 1826), la gorgone orange (Eunicella cavolinii : Koch, 1887) et la gorgone blanche (Eunicella singularis : Esper, 1971). Ces dernières années, des cas de mortalité massive touchant de manière sélective certains éléments de la faune du coralligène* ont été observés. Parmi les plus spectaculaires il y a ceux affectant les Octocoralliaires et plus précisément les trois principales gorgones citées plus haut. Ces dernières représentent les espèces typiques du coralligène de paroi de par leurs grandes formes dressées qui en sont les éléments les plus remarquables. De par leur développement, elles offrent un support à de nombreux êtres vivants. novembre 2007-janvier 2008
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Depuis quelques années, les activités subaquatiques constituent une attraction touristique complémentaire de plus en plus importante pour les côtes méditerranéennes. Tous les espaces protégés sont également en proie à un engouement croissant chez les plongeurs. L’importance des gorgones au sein des sites de plongée n’est plus à prouver : leur présence est synonyme de valeur ajoutée lors d’une immersion. En effet, de part leurs tailles et leurs couleurs elles embellissent les fonds rocheux des zones peu éclairées telles que les tombants. L’ordre des gorgoniaires auxquels elles appartiennent compte 21 espèces en Méditerranée. Parmi ces espèces, trois d’entre elles sont beaucoup plus repré-
Cliché F. Pichot
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Gorgones orange.
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Gorgones
Cliché F. Pichot
La gorgone est un excellent terrain de chasse pour la limace de mer (Hypselodoris elegans).
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Au même titre que les méduses et les coraux, les gorgones appartiennent au phylum* des Cnidaires. Ce phylum est caractérisé par la présence de cellules urticantes nommées nématocytes ou cnidocytes (cf. Stantari n° 9 : Méduses, beautés redoutables, p. 13). Au niveau anatomique, les gorgones possèdent un squelette interne. Elles font partie des métazoaires diploblastiques, c’est-à-dire qu’elles sont constituées de deux feuillets de cellules séparées par une substance amorphe appelée mésoglée. C’est au niveau du feuillet externe ou ectoderme que se trouvent les nématocytes. Les nématocytes sont pourvus d’un prolongement excitable, le cnidocil, qui, au contact d’un corps étranger, va provoquer la sortie d’un filament urticant contenu dans une capsule pleine d’un liquide toxique. Grâce à ce dispositif, les polypes* des gorgones sont capables d’assurer leur nutrition et leur défense. Le feuillet interne ou endoderme est en relation avec un pharynx en forme de tube, qui occupe une grande partie de la cavité gastrique. Les polypes d’une même colonie sont réunis par un tissu charnu appelé choenenchyme. Il est formé par une mésoglée épaisse perforée par des tubes gastriques qui mettent en relation les cavités gastriques des différents polypes. Le novembre 2007-janvier 2008
Coupe schématique des polypes.
Document F. Pichot/Infographie Grand Chien éds.
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Anatomie des gorgones
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choenenchyme est recouvert par une couche épidermique qui fait le lien entre les différents polypes d’une même colonie. Seule la partie supérieure des polypes sort de ce choenenchyme. Chasse et partage Les Octocoralliaires, sous-classe à laquelle appartiennent les gorgones, sont des organismes coloniaux dont les polypes possèdent huit tentacules entièrement rétractables disposés autour de la bouche. Les colonies se développent à partir d’un polype initial qui va ensuite bourgeonner pour former une multitude de polypes tous reliés les uns aux autres, ce qui permet une répartition de la nourriture entre les différents polypes d’une même colonie. C’est grâce à ce réseau dense de polypes, et donc de tentacules, que les gorgones piègent les particules nutritives. Les polypes sont des prédateurs qui se nourrissent de petites proies amenées par les courants. Ces proies sont composées de micro-organismes du zooplancton (plancton animal) et du phytoplancton (plancton végétal), de particules inertes, de matière organique dissoute ainsi que de mucus. En ce qui concerne la capture du zooplancton, des études ont montré que les gorgones ne pouvaient capturer que des proies vagiles*, du fait qu’elles ne présentent qu’un faible nombre de cellules urticantes au niveau des tentacules.
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L’étude des contenus stomacaux montre que le zooplancton représente une grande partie du régime alimentaire de P. clavata. En effet, la présence de larves nauplii (larve de Crustacés), d’œufs de copépodes (Crustacés) et d’autres organismes de petite taille (100 à 200 µm) ayant une faible mobilité représente 78 % de la nourriture ingérée. Le nombre de proies capturées au sein de la colonie varie énormément en fonction de la position du polype : on estime qu’un polype situé à l’extrémité d’une colonie capture deux fois plus de proies qu’un polype situé à la base de la même colonie. Grâce au réseau de tubes gastriques mettant en relation les différentes cavités gastriques, la nourriture ingérée par les polypes
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Détail des polypes de la gorgone orange.
Cliché F. Pichot
Gros plan des polypes de la gorgone violette.
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Gorgones
Une gorgone orange (Eunicella cavolinii).
Clichés F. Pichot
Jeune individu de gorgone violette (Paramuricea clavata).
situés aux extrémités peut être facilement redistribuée aux autres polypes de la colonie. Le nombre de proies capturées par les gorgones suggère que ces dernières jouent un rôle fondamental en ce qui concerne le transfert de nourriture et donc d’énergie du plancton vers le benthos*. La nécessité de filtrer d’énormes quantités d’eau de mer afin de s’alimenter fait que les gorgones se développent généralement en deux dimensions (hauteur, largeur) de façon à être perpendiculaires au sens du courant dominant. Des espèces particulièrement vulnérables aux changements brutaux Les gorgones sont des espèces gonochoriques, ce qui signifie que les sexes sont séparés et que les individus ne changent pas de sexe au cours de leur existence. Pour que la reproduction
puisse se réaliser au même moment entre individus mâles et femelles, il existe un phénomène de synchronisation coïncidant avec une augmentation de la température de l’eau et avec les phases lunaires. Les œufs fécondés adhèrent à la surface extérieure des colonies femelles grâce à un manteau muqueux sécrété par la colonie. Le développement de l’embryon se fait donc au contact et sous la protection de la colonie femelle. La maturation finale de la larve planula se fait entre les polypes de la colonie, lieu où se trouvent les cellules urticantes. Au mois de juin ou juillet, elles vont émettre dans le milieu de petites larves planctoniques ciliées appelées planula. Ces larves ont une mobilité limitée et sont essentiellement soumises à l’action des courants pour leur dispersion. Après une phase mobile très courte, elles vont tomber sur le fond et se fixer sur un substrat dur. Elles donneront naissance à un polype primaire qui, en bourgeonnant, donnera une colonie
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Document F. Pichot/Infographie Grand Chien éds.
Cycle du développement de la gorgone violette (Paramuricea clavata).
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La symbiose : avantages et inconvénients Une symbiose correspond à la vie en association de deux individus n’appartenant pas à la même espèce. E. singularis vit en symbiose avec des algues unicellulaires appartenant au genre Symbiodinium, communément appelées zooxanthelles. Ces algues photosynthétiques sont localisées à l’intérieur des cellules de l’animal hôte. Il s’agit donc d’une endosymbiose de type mutualiste (elle offre un avantage aux deux parties). En effet, les algues vont fabriquer de la matière organique (essentiellement du glucose) à partir d’éléments minéraux, d’eau et de gaz carbonique en utilisant la lumière. Elles vont également permettre la précipitation du carbonate de calcium utilisé pour la construction du squelette de la gorgone. Une partie de la matière organique élaborée, appelée photosynthétat, est utilisée par la gorgone pour sa propre croissance. La photosynthèse s’accompagne également d’un dégagement de dioxygène que l’hôte utilisera pour sa respiration. En contrepartie, l’hôte offrira un abri et une protection aux cellules végétales qui se trouvent à l’intérieur de ses cellules. Il leur fournira des composés azotés, des phosphates et du dioxyde de carbone issus de son métabolisme* ou transportés par l’hôte depuis l’eau de mer environnante. Lorsqu’elles sont exposées à la lumière, les algues génèrent une grande quantité de dioxygène, quantité supérieure à celle consommée par l’hôte et par le symbiote. Le dioxygène en forte quantité est dommageable pour les tissus vivants, ce phénomène est connu sous le terme d’hyperoxie. Au cours de l’évolution, les organismes se sont adaptés et des mécanismes de défense antioxydante ont été élaborés. Cependant, dans des conditions de stress, comme c’est le cas lors d’un réchauffement anormal de l’eau, ces défenses deviennent inefficaces et un phénomène de rupture de symbiose se met en place. Connu sous le terme de blanchissement, ce phénomène affecte de la même façon les récifs coralliens en milieu tropical.
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La gorgone blanche (Eunicella singularis).
on estime qu’elle est de 2,7 cm/an environ chez P. clavata ; de 1 à 2 cm/an en moyenne chez E. cavolinii, et de 1 à 5 cm/ an en moyenne chez E. singularis. Des études réalisées chez P. clavata montrent que le renouvellement d’une colonie se fait en 7,5 années. Ceci implique le fait que les populations ayant subi une mortalité massive mettront beaucoup de temps pour se rétablir. Les gorgones face au réchauffement La biodiversité sur Terre est particulièrement affectée par les activités de l’homme. Parmi les activités perturbatrices pour l’environnement, il y a notamment celles liées au réchauffement climatique lui-même sous l’influence des rejets de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Le milieu marin n’est pas épargné par le réchauffement climatique. Au cours des temps géologiques, il a déjà traversé différentes crises climatiques qui ont contribué à modifier de manière irréversible la composition des écosystèmes. Ces modifications de grande ampleur ont été de formidables moteurs pour l’évolution car elles se sont souvent exercées sur des laps de temps très importants, ce qui a permis l’adaptation ou le déplacement des populations. Depuis quelque temps, les modifications climatiques se produisent à des vitesses beaucoup plus importantes et elles affectent de ce fait toute la diversité biologique. Alors que certaines espèces auront la possibilité de s’adapter à ces changements, d’autres seront beaucoup plus vulnérables. C’est notamment le cas pour les espèces vivant fixées sur un substrat (espèces sessiles) comme les gorgones, qui présentent alors des nécroses*. Au cours des cent dernières années, on a observé une augmentation moyenne de la température de la Méditerranée de 0,3 à 0,7 °C. Ce réchauffement est aujourd’hui une cause importante de mortalité chez les animaux marins sessiles et novembre 2007-janvier 2008
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de quelques millimètres. Au fur et à mesure des générations, cette colonie continuera sa croissance. Des études réalisées chez P. clavata ont montré que la dispersion des larves se fait dans un espace limité car le temps de suspension n’est que de quelques minutes : ceci explique donc que les colonies de P. clavata soient de type agrégatif. La reproduction asexuée est estimée comme étant négligeable chez cette espèce et on estime que la maintenance des populations est essentiellement basée sur la reproduction de type sexué. Chez cette espèce, la fabrication des ovules dure 18 mois et elle aboutit à la libération d’environ 13 œufs par polype. La maturation des gonades* mâles est plus courte, elle ne dure que 6 à 7 mois. Au sein du coralligène*, les gorgones sont ramifiées en forme d’éventail. La croissance des gorgones est relativement lente :
Cliché É. Volto
Gorgones
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Gorgones
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Le barbier, (Anthias Anthias) un poisson qui partage le même biotope que la gorgone et auquel elle sert de refuge.
Des poussières africaines à l’origine
filtreurs. La mortalité des gorgones appartenant à l’espèce E. singularis dans la région de Banyuls-sur-mer avait déjà fait l’objet d’une étude réalisée par S. Weinberg en 1975. Il observait une forte mortalité lorsque la température était trop élevée (au-dessus de 24 °C) : cette espèce présente la particularité de posséder dans ses cellules des algues symbiotiques qui seraient expulsées lors d’un réchauffement trop important des eaux. De la même façon, les travaux que j’ai réalisés au sein du parc marin des Bouches de Bonifacio en 1998 ont montré une mortalité importante chez P. clavata au cours de périodes d’anomalies thermiques importantes. De tels phénomènes de mortalité massive affectant cette espèce ont également été observés à Portofino (Italie), dans le détroit de Messine (Italie), en mer Tyrrhénienne ainsi que dans les eaux du parc national de Port-Cros. Cette élévation de température serait favorable à la formation de substances amorphes, floculantes* et agrégatives connues sous le nom d’algues mucilagineuses. J’ai pu observer la présence d’un tel voile mucilagineux sur les colonies de P. clavata dans les Bouches de Bonifacio. L’analyse de ce voile a permis d’identifier des algues appartenant à Début de nécrose sur une gorgone violette méditerranéenne.
des nécroses* des gorgones des Caraïbes On a découvert que les nuages abritent une foule de microorganismes tels que des bactéries, des algues, des virus et des champignons qui se déplacent sur des milliers de kilomètres dans d’immenses nuages de sable depuis le Sahara jusqu’aux Caraïbes. Ceci permet donc à des dizaines d’espèces de bactéries et de champignons pathogènes d’endommager les récifs coralliens et les gorgones. Dale Griffin, microbiologiste pour le United States Geological Survey, croit que la mortalité des gorgones est le résultat du transport de micro-organismes depuis un autre continent. “Quand des tempêtes de sable arrivent au-dessus de la Floride et des Caraïbes, il y a de 3 à 10 fois plus de micro-organismes qui flottent dans l’air : des virus, des bactéries et des champignons.”
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Dans les îles Vierges, au cœur des Caraïbes, une écologiste du nom de Ginger Garrison a confirmé cette hypothèse. Au fond des eaux limpides, les gorgones se nécrosent. Elle a isolé dans ces organismes malades un champignon bien particulier. C’est un champignon de sol, introuvable dans les Caraïbes mais présent en Afrique. Seule explication possible : ce champignon a effectivement voyagé du désert africain jusqu’aux îles Vierges.
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En Afrique, des centaines de tonnes de sable du désert du Sahara sont emprisonnées dans d’énormes nuages. De plus en plus fréquentes, les tempêtes de sable permettent le transport de quantités astronomiques ces micro-organismes qui, en une semaine, traversent l’Atlantique et retombent dans les Caraïbes.
Gorgones
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Cliché É. Volto
Gorgonocéphale (Astrospartus mediterraneus) : cet animal de la famille des étoiles de mer se sert d’une gorgone violette comme support pour mieux filtrer le plancton dont il se nourrit.
quatre groupes : Microcoleus lyngbaceus (Cyanophycées) ; Tribonema marimum (Chrysophycées) ; Acinetospora crinita (Phaeophycées) et Lophocladia lallemandii (Rhodophycées). Ce voile mucilagineux correspondrait à un phénomène naturel – connu depuis le xviiie siècle – qui surviendrait
au cours de la période estivale. Les organismes érigés tels P. clavata souffrent énormément de la présence de ce voile mucilagineux lorsque celle-ci dure trop longtemps. En effet, ce dernier semble empêcher le déploiement des polypes, et par conséquent l’alimentation de la colonie. 4
Pour en savoir plus
• Weinberg S., 1975, Écologie des Octocoralliaires communs du substrat dur dans la région de Banyuls-sur-Mer, Essai d’une méthode, Bijdragen Dierk, 45 (1), p. 50-70.
Lexique > Benthos : ensemble des organismes aquatiques vivant à proximité ou sur le fond des mers et océans. > Coralligène : écosystème majeur de Méditerranée, au-delà de 3040 mètres de profondeur. > Floculante : matière constituée par une longue molécule qui emprisonne de très petites particules en suspension et forme ainsi des flocons volumineux qui se déposent par sédimentation. > Gonade : organe produisant les cellules reproductrices. > Métabolisme : il regroupe l’ensemble des phénomènes de dégradation et de synthèse des molécules organiques. > Nécrose : c’est la forme principale de mort cellulaire. > Phylum : deuxième niveau de la classification classique des espèces vivantes. novembre 2007-janvier 2008
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• Cerrano C., Bavestrello G., Bianchi C. N., CattaneoVietti R., Bava S., Morganti C., Morri C., Picco P., Sara G., Schiapparelli S., Siccardi A. & Sponga F., 2000, “A catastrophic mass-mortality episode of gorgonians and other organisms in the Ligurian Sea (North-western Mediterranean), summer 1999”, Ecology letters, 3, p. 284-293. • Coma i Bau R., 1994, “Evaluación del balance energético de dos especies de cnidarios bentónicos marinos”, Tesis Doctoral de Biología, Universidad de Barcelona. • Mariscal R. N. & Bigger C. H., 1977, “Possible ecolog ical significance of octocoral epithelial ultrastructure”, Proceedings Third international Coral Reef Symposium, 1, p. 127-134. • Sartoretto S. & Pergent-Martini C., 1995, Contribution à l’inventaire des macro-invertébrés des substrats durs dans la zone d’étude du Parc Marin International des Bouches de Bonifacio, Rapport de l’Office de l’Environnement de la Corse et E. Q. E. L., p. 1-43 + 40 p. d’annexes.
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Rosés des prés, des bois ou des villes :
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Agaricus xanthoderma : l’agaric jaunissant.
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par Jean Alesandri
Sauvages ou cultivés, rosés des prés, des villes ou des bois, les agarics constituent le genre sans doute le plus emblématique et le plus consommé des champignons. Mais attention aux faux amis…
les agarics
Jean Alesandri est président de la Fédération des Associations mycologiques méditerranéennes et de la Société mycologique d’Ajaccio
Prataroli en Corse-du-Sud, prataghjoli en Haute-Corse, psalliotes, boules de neige, champignons de Paris, rosés des prés… Ces différents noms d’usage désignent, sans distinction, les diverses espèces d’un même genre : le genre Agaricus (du grec agarikon, champignon). Ce genre appartient à la famille des Agaricaceae, ordre des agaricales. Toutes les espèces, soit environ une centaine, présentent un air de famille. Le chapeau, généralement arrondi chez les exemplaires jeunes, s’étale avec l’âge pour devenir convexe aplati. Il est sec, d’un blanc immaculé à beige ou brun clair, parfois gris. Souvent lisse, il peut être aussi couvert d’écailles ou de petites squames lui donnant un aspect fibrilleux. Ces squames sont toujours colorées ; la couleur dominante étant le brun, brun-roux à brun doré. Certaines espèces présentent des squames grises. Le revêtement du chapeau est facilement séparable ; un agaric “s’épluche”. Sous le chapeau, les lames ! Libres, c’est-à-dire ne se rattachant pas au pied, de couleur rose très pâle d’abord, puis rosée et, avec l’âge, brune pour finir, sur le tard, franchement noire “aile de corbeau”. À ce stade, un agaric n’est plus consommable. Les spores sont brun-pourpre noirâtre. Chez les jeunes exemplaires, les lames ne sont pas visibles car masquées par le chapeau non encore étalé et un voile partiel blanc. Il y a, à ce moment, un risque sérieux de confusion avec l’amanite phalloïde jeune. Une manipulation simple permet de l’éviter. Si, à la coupe longitudinale, des lames teintées, roses, apparaissent, il s’agit novembre 2007-janvier 2008
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Les agarics
bien d’un agaric. Si elles sont blanches ou peu colorées, le risque de se trouver en présence d’une espèce toxique, voire mortelle, est élevé et la plus grande prudence s’impose. Il faut alors appliquer le principe de précaution et rejeter sans état d’âme l’exemplaire douteux. Le pied, fibreux, est blanc ou blanchâtre, parfois teinté de brunâtre. Il se sépare facilement du chapeau, et est toujours orné d’un anneau blanc, simple ou double, qui quelquefois disparaît car fragile. Il n’y a pas de volve à sa base, mais chez quelques espèces, on observe un pied bulbeux. Enfin, la chair, assez ferme, blanche, est le plus souvent immuable à la coupe, mais elle peut être jaunissante ou rougissante, caractère utilisé pour la systématique. Sa saveur est généralement douce, de même que son odeur, agréable, fongique et, parfois, caractéristique d’anis, d’amande amère ou d’encre d’imprimerie. Si le nom vulgaire des agarics est “rosé des prés”, il convient de rappeler qu’il existe aussi des “rosés des villes” et nombre de “rosés des bois”. Rosés des villes
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L’un des “rosés des villes”, connu sous le vocable de “champignon de Paris” ou “champignon de couche” est sans doute l’agaric le plus rencontré : en surface, exposé sur les marchés ou dans les grandes surfaces, mais aussi en sous-
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Agaricus bitorquis : la psalliote des trottoirs.
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sol, cultivé dans des champignonières, souvent d’anciennes carrières désaffectées. Il est largement répandu sur tout le territoire, et en toutes saisons. Ce dernier point est d’ailleurs l’une de ses particularités. Il s’agit d’Agaricus bisporus, forme cultivée du beaucoup plus discret Agaricus bisporus sauvage. Ce dernier est en effet assez rare, notamment en Corse. On peut l’observer ponctuellement, se développant sur les tas de fumier. Contrairement à son cousin cultivé, au chapeau blanc neige, l’Agaricus bisporus a d’abord un chapeau blanc (avec parfois un peu de brun) sur lequel apparaissent ensuite de larges squames brun roussâtre en périphérie, la marge* restant claire. À la coupe, il peut prendre une très légère teinte rougeâtre, répartie irrégulièrement. Il exhale une odeur fongique caractéristique, très agréable. Cet agaric peut apparaître aussi bien au printemps qu’à l’automne. C’est vraisemblablement à partir de cette source sauvage qu’a été réalisée la première mise en culture de ce champignon. Dans les terrains vagues, les friches industrielles, sur le bord des routes au sol compact, mais aussi entre les pavés et les bordures de trottoirs, sur l’asphalte du bord des routes, voire les pistes d’atterrissage des aéroports, apparaît le curieux Agaricus bitorquis, la psalliote des trottoirs. Son chapeau peut atteindre 12 cm de diamètre. Il est arrondi, quasiment lisse,
Cliché D. Borgarino
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Les agarics
Cliché D. Borgarino
L’agaric des jachères, Agaricus arvensis.
blanc parfois légèrement ocracé pâle, et montre une marge* enroulée. La chair est très compacte (ce champignon à la capacité de percer le bitume) à odeur marquée, mais agréable. Le pied, lui aussi très ferme, porte un anneau caractéristique ; celui-ci, en effet, placé en position médiane, à la particularité d’être épais et double. Agaricus bitorquis n’est pas fréquent sous nos cieux. Morphologiquement proche, mais rapidement indentifiable à sa mauvaise odeur, nauséeuse et rappelant le poisson peu frais, Agaricus maleolens, le bien nommé agaric malodorant, possède un anneau double. Il fréquente également les terrains compacts, bords de routes en particulier. On le rencontre rarement en Corse.
à squames brunes, la variété squamulosus. Cet agaric et sa variété sont très appréciés et ramassés dans notre île. L’agaric des jachères, Agaricus arvensis, se plaît également dans les prairies amendées. On le distingue de son cousin campestris par la forme de son chapeau, plutôt tronconique, avec des plages de couleur jaunissante, l’anneau de son pied à roue dentée bien dessinée, et surtout l’odeur anisée ou d’amande amère de sa chair. Plus petit, à chapeau fibrilleux brillant brun vineux, dépassant rarement 8 cm, se trouve çà et là Agaricus cupreobruneus, l’agaric cuivré, qui mycorhize* lui aussi avec les graminées des prés. Dans les prairies d’altitude, notamment nos pozzines, on peut quelquefois rencontrer un bel agaric, surtout s’il y a quelques
L’origine du “champignon de Paris” On attribue à Jean-Baptiste de la Quintinie, agronome de Louis XIV, les premiers essais réussis de culture d’Agaricus bisporus. Mais cette culture reste une culture de plein air, soumise aux conditions et aléas climatiques. En 1707, le botaniste Joseph Pitton de Tournefort réalise une étude scientifique de cette culture et formule pour la première fois l’hypothèse que les agarics ne seraient pas issus de la génération spontanée mais de spores. Il va permettre d’améliorer sensiblement la technique culturale.
C’est le hasard qui va être à l’origine du développement de cette culture dans les carrières souterraines. Au début du xixe siècle, un agriculteur de Passy, en région parisienne, entrepose et oublie dans une cave un tas de fumier dans lequel il avait tenté, sans succès, de cultiver des agarics. Quelques mois plus tard, il découvre que les champignons ont proliféré grâce à la température constante et à l’air frais, sans être trop humide, qui y circule. C’est de là que va se Entrée d’un champignonière traditionnelle. développer alors, autour de Paris, l’exploitation à grande échelle du “champignon de Passy” devenu “champignon de Paris” dans des “carrières à champignons”. À la fin du xixe siècle, plus de 3 000 000 de paniers sont livrés chaque année aux Halles.
Rosés des prés
La production annuelle française est, en moyenne, de 160 000 tonnes, la deuxième en Europe, derrière les Pays-Bas.
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Depuis, les techniques culturales ont été très améliorées. Aujourd’hui, les champignons sont toujours cultivés en carrières mais aussi sous serre. Celles-ci sont désormais concentrées dans le Val de Loire et la vallée du Loir. Cliché G. Lannoy
Les prairies, surtout lorsqu’elles se développent sur un sol riche et gras accueillant des troupeaux, sont le domaine de prédilection des agarics, d’où leur nom d’usage. Le plus abondant et le plus fréquent d’entre eux est sans conteste le véritable “rosé des prés”, Agaricus campestris. Il apparaît dès les premières pluies de printemps et d’automne, très rapidement, dans les prés pâturés riches en graminées avec lesquelles il mycorhize*. Il constitue souvent des “ronds de sorcières”. Son chapeau blanc, lisse ou fibrilleux, peut dépasser 10 cm de diamètre. Le pied, d’environ 5 à 7 cm, est orné d’un anneau fragile. La chair blanche, un peu rosissante à la coupe répand une odeur fongique classique. Il existe une variété
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Les agarics
Le véritable “rosé des prés” (Agaricus campestris).
son habitat particulier mais surtout du jaunissement très fort et immédiat de sa chair au moindre froissement et enfin de son odeur marquée et caractéristique de teinture d’iode.
Cliché D. Borgarino
Rosés des bois
arbres disséminés. Il doit son nom à sa taille imposante, de 15 cm en moyenne et jusqu’à 20 cm pour le diamètre de son chapeau bien hémisphérique, blanc souvent légèrement teinté de jaune : c’est l’agaric macrocarpe, Agaricus macrocarpus, à odeur faiblement anisée. Toutes ces espèces sont considérées comme comestibles, sous réserve d’être attentif aux faux amis et de les consommer avec modération. À l’inverse, tout proche de la mer, sur les arrières-plages au terrain sableux et dans les dunes littorales, se plaît l’agaric des sables, Agaricus menieri, non comestible. On l’observe rarement, mais il s’identifie assez rapidement en raison de
Les “rosés des bois” sont nombreux dans les bois. Il s’agit, bien entendu, d’espèces différentes des praticoles*, et qui mycorhizent* avec les arbres. Nous en présenterons ici quelques-unes parmi les plus fréquentes dans l’île. C’est dans les sous-bois clairs, souvent en lisière, que l’on croise régulièrement le géant du genre : Agaricus augustus, l’agaric auguste ou impérial. On le reconnaît facilement à sa taille et son port altier. Son chapeau, en effet, peut atteindre 15 et jusqu’à 20 cm de diamètre, de même que son pied. C’est le plus souvent un solitaire, poussant parfois en binôme. Le chapeau est entièrement squamuleux de roux à reflets dorés ; les lames restent longtemps très claires, de couleur crème légèrement grisâtre avant de virer au rosé puis au brun. Le pied est floconneux. La chair dégage un parfum discret mais très net d’amande amère ; elle est un peu jaunissante puis rosissante à la base du pied. Dans les taillis de feuillus, notamment chênes verts, se plaît l’agaric sanguinolent, Agaricus haemorrhoidarius, au chapeau fibrilleux et squamuleux brun pâle sur fond concolore*. Le pied, blanchâtre, rougit fortement au froissement. Mais le
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Cliché D. Borgarino
Stantari #11
Agaricus augustus, l’agaric auguste ou impérial.
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Les agarics
Nature
Son frère, quasi jumeau, se nomme Agaricus essettei. C’est l’agaric bulbeux, bien nommé car la base du pied présente un bulbe bien formé. Deux autres caractères morphologiques permettent de le distinguer de l’agaric sylvicole : ses lames sont pseudo-coralliées* et son anneau a une roue dentée nette en dessous. Cet agaric fréquente les bois de conifères ou mêlés, rarement les bois de feuillus purs.
l’agaric sanguinolent, garicus haemorrhoidarius.
Cliché D. Borgarino
Le “péril jaune” Pour clore cette brève présentation des agarics, nous attirerons l’attention sur trois espèces toxiques et fortement indigestes. La première est Agaricus xanthoderma, l’agaric jaunissant. Elle est responsable de la plupart des intoxications car confondue avec les agarics à chapeau blanc comestibles. Cet agaric est en effet blanc, du pied au chapeau. Ce dernier a cependant une forme plutôt tronconique et le pied, allongé, est bulbeux. Ce champignon se plaît dans les prés et, surtout, les lisières. Le second se nomme Agaricus praeclaresquamosus, l’agaric pintade, car les squames, fines, gris-beige terne, parfois noirâtres de son chapeau rappellent le plumage de ce volatile. Une double petite manipulation permet de reconnaître et rejeter ces deux espèces. Il faut d’abord frotter la base du pied et la marge* du chapeau. La chair vire alors instantanément au jaune chrome très vif. Pour confirmer, on humera le champignon, côté lames, en le portant à son nez, afin de reconnaître une odeur très nette et peu agréable d’encre d’imprimerie. L’intoxication est heureusement sans gravité, se manifestant par un état nauséeux, des bouffées de chaleur, maux de tête, et une sudation excessive. Cet état disparaît au bout de quelques heures. Plus sérieuse, mais sans gravité tout de même, est l’intoxication par le troisième, Agaricus romagnesii, l’agaric radicant, ainsi nommé car la base de son pied se prolonge par des filaments mycéliens formant un rhizomorphe* bien visible,
caractère le plus net est le rougissement intense de sa chair à la coupe. Sur les exemplaires très frais, on peut même voir exsuder quelques gouttes de liquide rouge sang. Proche, l’agaric des forêts, Agaricus silvaticus, peut cependant être distingué du précédent par son chapeau à squames plus larges, fauves, sur un fond pâle. Lui aussi rougit fortement, mais de façon bien moins intense que l’agaric sanguinolent. De plus, il se cantonne aux bois de conifères. Agaricus variegans, l’agaric variable, est plus terne, tant pour la couleur des squames de son chapeau que pour le rosissement de sa chair. Celle-ci dégage une odeur de caoutchouc caractéristique, ce que les mycologues appellent “odeur de scléroderme”, du champignon du même nom. Dans les bois de chênes verts ou de chênes-lièges, à basse et moyenne altitude, l’agaric porphyre, Agaricus porphyrrhizon, est une espèce thermophile. On le reconnaîtra à son chapeau à fibrilles lilacin purpurin* vif sur fond pâle et à son pied à bulbe basal jaunâtre puis orangé. Sa chair jaunit très légèrement et exhale une délicate odeur d’amande amère mêlée d’anis. Toujours sous feuillus, Agaricus silvicola, l’agaric sylvicole, au chapeau et au pied blancs légèrement teintés de jaune çà et là, embaume l’anis.
Cliché D. Borgarino
Si certaines espèces décrites dans cet article sont connues pour être naturellement toxiques ou fortement indigestes, quelques règles générales de prudence doivent être observées lors des cueillettes. On se gardera de ramasser les agarics dans les zones comme le bord des routes, les terrains à proximité des décharges et des rejets industriels ou miniers, les prés abondamment traités par herbicides, fongicides et autres pesticides. En effet, les agarics, formidables usines biochimiques, ont une grande capacité de capter et concentrer les métaux lourds tels que le cadmium, le plomb ou le mercure. Une ingestion répétée de ces métaux par consommation excessive d’agarics se révélerait fortement préjudiciable.
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L’agaric porphyre, Agaricus porphyrrhizon.
La toxicité acquise des agarics
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Natura
Les agarics
Cliché D. Borgarino
Agaricus silvicola, l’agaric sylvicole.
faisant penser à des racines (à condition d’avoir déterré le champignon avec précaution). Cet agaric ne jaunit pas. Fort heureusement, cette espèce qui affectionne prés et parcs est rarement rencontrée en Corse.
toujours l’exception confirmant la règle. Prudence donc et, en cas de doute, pharmaciens et sociétés mycologiques pourront vous renseigner utilement. 4 Remerciements à Didier Borgarino et Gilbert Lannoy pour leurs photographies.
C’est donc sur un avertissement et un conseil de prudence que s’achève cette rencontre avec nos agarics. Cela surprendra sans doute nombre de lecteurs tant ce genre a la réputation de ne regrouper que des espèces comestibles, mais les naturalistes le savent bien : dans le monde vivant, il y a
Pour en savoir plus • Borgarino D. & Hutardo C., 2004, Le guide des champignons, Edisud. • Courtecuisse R. et Duhem B., 2003, Guide des champignons de France et D’Europe, Delachaux et Niestlé. • Bon M., 2004, Champignons de France et d’Europe occidentale, Flammarion
Agaricus romagnesii, l’agaric radicant.
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Cliché D. Borgarino
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Lexique
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> Concolore : de même couleur. > Lilacin purpurin : de couleur lilas-pourpre. > Marge : bord du chapeau. > Mycorhize : symbiose entre un champignon et une plante. La mycorhize se fait essentiellement par les racines de la plante. > Praticole : affectionnant les prés. > Pseudo-coralliées : formant un corallium, c’est-à-dire une sorte de petit anneau autour du pied. > Rhizomorphe : filament mycélien aggloméré faisant penser à des racines.
Culture
Le legs Sisco :
Stantari #11
Cliché Ph. Jambert/ Musée de Bastia
un siècle de vie artistique corse 1829-1933 Albert Gillio, Rue de Bastia, 1919. novembre 2007-janvier 2008
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par Ariane Jurquet et Sylvain Gregori
Giuseppe Sisco, au crépuscule d’une carrière extraordinaire, voulut que les fruits de sa réussite profitent à d’autres. Un acte purement humaniste qui, pendant près d’un siècle, permettra à plusieurs générations de jeunes artistes corses d’exprimer et de prouver leur talent.
Ariane Jurquet et Sylvain Gregori sont respectivement assistante qualifiée et assistant de conservation du patrimoine au Musée de Bastia.
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Cliché Ph. Jambert/Bibliothèque patrimoniale de Bastia Tommaso Prelà
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En 1830 décède à Rome l’éminent chirurgien et médecin du pape, le Dottore Giuseppe Sisco. Bastiais d’origine, il lègue l’essentiel de sa fortune à sa ville natale. Bastia hérite donc de la somme de 80 000 francs dont la gestion revient aux Pieux Établissements de la France à Rome et à Lorette. Ce legs s’inscrit dans une tradition humaniste et philanthropique typique du XiXe siècle, mais il réaffirme surtout l’attachement de Bastia à l’aire culturelle italienne, et ce malgré le processus de francisation. Le testament fixe les conditions d’utilisation de ce legs. Giuseppe Sisco stipule que cet héritage doit permettre l’entretien, à Rome, pour une durée de cinq ans, d’autant de jeunes Bastiais qu’on pourra le faire, en donnant à chacun quinze écus par mois. Ceux-ci doivent se destiner à l’étude du droit, de la médecine, de la chirurgie, de la peinture, de la sculpture ou de l’architecture, à l’exception de toute autre discipline.
Affiche présentant les dispositions du legs, 1841.
Le legs Sisco
Culture
C’est donc tout naturellement que le pape Pie VI le choisit comme son médecin personnel. Il sera ensuite attaché à la personne de Pie VII. Il se constitue aussi une clientèle privée dans la noblesse romaine et dans les ambassades. À partir de 1823, il cesse toute activité officielle mais reste le médecin de Laetitia Bonaparte et de son frère, le cardinal Fesch. Après une brillante carrière, il s’éteint à Rome en janvier 1830. Sans héritiers, il lègue à la ville de Bastia sa fortune et son importante bibliothèque. En témoignage de sa gratitude, la municipalité décide, en 1834, de faire édifier un monument en l’église Saint-Louis-des-Français dans la capitale italienne et fait réaliser buste en marbre pour la salle du conseil municipal. Enfin, en 1851, une rue de Bastia est baptisée de son nom.
La brève reconnaissance
Cliché Musée de Bastia/ collection privée
d’un art au féminin Jusqu’en 1920, le legs Sisco est ouvert aux étudiantes corses. Ainsi, deux d’entre elles partent pour Rome afin de suivre des études de peinture : Félicité de Montera (en 1903) et Marie Canquoin (en 1906). Mais, pour des raisons financières, le conseil municipal, jouant sur l’interprétation des dispositions testamentaires refusent toute nouvelle candidature féminine. Toutefois, cette exclusion n’empêche pas l’émergence et la reconnaissance de personnalités artistiques comme celle de d’Hortense de Luri-Flach, qui siège au jury des épreuves du legs dès Félicité de Montera, Autoportrait, vers 1900. 1903.
Portrait de Giuseppe Sisco, xixe siècle.
Après publication d’un avis, un concours est organisé auquel ne peuvent prétendre que de jeunes Bastiais de moins de vingt-cinq ans. Ceux qui se destinent à l’étude du droit, de la médecine ou de la chirurgie doivent maîtriser le latin et avoir suivi les classes de philosophie et de rhétorique, soit au lycée de Bastia, soit dans un lycée du continent. Ceux qui veulent étudier les beaux-arts doivent prouver leur aptitude au dessin. D’autre part, Sisco insiste sur la nécessité de toujours privilégier les plus démunis. De même, si trop de candidats présentent les qualités requises, le choix doit s’effectuer par tirage au sort. A contrario, si aucun candidat bastiais ne répond aux critères de moralité et de connaissances attendus, il est possible d’ouvrir le concours à tous les jeunes Corses résidant sur l’île ou sur le continent. Giuseppe Sisco semble avoir tout prévu. Toutefois, au fil du temps, quelques modifications s’avèrent indispensables : augmentation du montant des bourses en raison de l‘inflation, prolongation du temps d’étude pour s’adapter aux réformes novembre 2007-janvier 2008
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Issu d’une vieille famille bastiaise, Giuseppe Sisco suit des études à l’Università della Sapienza de Rome. Brillant étudiant, attiré par la pratique de la chirurgie, il acquiert l’expérience de cet art à l’Ospedale di San Spirito in Sassia. À l’âge de dixhuit ans, il en est d’ailleurs nommé “sostituto” d’anatomie et de chirurgie. Peu de temps après, il obtient la chaire d’anatomie à la Sapienza. En 1788, il se voit confier celle de médecine opératoire. Douze ans plus tard, il est nommé premier chirurgien et professeur d’anatomie à l’Ospedale di San Gallicano, avant d’accéder au poste de médecin-chef de l’Ospedale di San Giacomo in Augusta degli Incurabili. En 1815, il inaugure la chaire de clinicat chirurgical. Enfin en 1823, il intègre le collège médico-chirurgical de Rome. Il publie de nombreux traités de chirurgie qui font autorité dans l’Europe entière et contribuent à accroître sa renommée.
Cliché M.A. Turchini/ Bibliothèque patrimoniale de Bastia Tommaso Prelà
Giuseppe Sisco (Bastia, 1748 – Rome, 1830), un humaniste de son temps
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Cultura
Le legs Sisco
universitaires… Même si, en 1803,, la France ne reconnaît plus la validité des diplômes de médecine et de droit délivrés par les universités étrangères, il faut attendre 1871 pour que cette mesure soit appliquée. À partir de cette date, le legs ne forme plus que des étudiants dans les disciplines artistiques. Mais, à la fin du XiXe siècle, les jeunes gens adressent des demandes à la municipalité afin de terminer leurs études en France. Par un curieux retournement de situation, les bourses constituées par Sisco servent désormais à financer des étudiants qui préfèrent Paris à Rome. Bien d’autres suivront jusqu’en 1910,, date à laquelle
le conseil municipal décide de mettre fin aux prorogations de bourses qui lui semblent aller à l’encontre des volontés du testateur. En un siècle, de 1832 à 1933, 50 bourses ont été octroyées : 12 pour la médecine, 1 pour le droit, 22 pour la peinture, 4 pour la sculpture et 11 pour l’architecture. Répondant pleinement aux vœux de Giuseppe Sisco, le legs fonctionne comme un système méritocratique permettant la promotion sociale. Ainsi, plus de la moitié des bénéficiaires sont d’origine modeste. L’obtention de la bourse leur a permis non seulement de partir à Rome mais tout simplement de faire des études.
L’affirmation d’un “art corse”
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Cliché Ph. Jambert/Musée de Bastia
Jean-Mathieu Pekle (1868-1956) bénéficie d’une bourse du legs en 1893. À Rome, il suit des cours de sculpture à la Villa Médicis. Après un séjour à Paris, il s’installe comme sculpteur dans sa ville natale de Bastia. Il y devient rapidement un artiste reconnu et l’un des principaux animateurs de la vie culturelle locale. À l’instar de Louis Patriarche – autre sculpteur lauréat du legs –, sa production se singularise par sa dimension identitaire. En effet, la plupart de ses œuvres s’inscrivent dans le mouvement folkloriste et régionaliste de l’entre-deux-guerres ; en témoignent notamment les quatre statuettes de “Types corses” qu’il présente lors du deuxième salon des artistes corses de 1933. Ces œuvres seront également exposées au pavillon de la Corse de l’exposition internationale de 1937 avant de rejoindre les collections du musée d’ethnographie corse de Bastia, quinze ans plus tard. Jean-Mathieu Pekle,
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Types corses, vers 1933.
À leur retour en Corse, nombre d’artistes se sont attachés à transmettre leur art et leurs connaissances par l’enseignement. À Bastia, pendant soixante-dix ans environ, ils ont ainsi formé le goût artistique de plusieurs générations de jeunes Bastiais en enseignant au lycée, mais aussi à l’école municipale de dessin, à l’école de peinture créée par Albert Gillio en 1934 ou enfin à l’académie de peinture corse fondée par Hector Filippi et Fernand Cresci en 1939.. De même, les anciens pensionnaires animent la vie artistique locale. Dès le temps de leurs études, ils participent à des expositions collectives, notamment au Cyrnos Palace ou aux novembre 2007-janvier 2008
Galeries Mattei. Il ne faut pas non plus négliger leur participation à des manifestations nationales comme les salons au cours desquels certains d’entre eux exposent régulièrement. Ainsi, à travers quatre générations d’artistes, le rayonnement du legs concourt-il à l’affirmation d’un art corse. L’aventure du legs Sisco s’achève en 1933, à une époque de tension croissante entre la Corse et l’Italie. Plus aucun nouveau pensionnaire ne partira à Rome. Aujourd’hui encore, le legs Sisco figure sur les livres comptables des Pieux
Le legs Sisco
maquettes de ses projets architecturaux dans plusieurs salons parisiens des années vingt et représente la France à la Biennale Romana de 1923-1924. Installé à Bastia en 1927, il dessine de nombreux monuments et bâtiments qui se caractérisent par un style évoluant de l’Art Déco vers l’Architecture Moderne. Représentatifs de son activité en Corse, on retiendra notamment les premières tribunes de Furiani, les garages Citroën à Bastia, le clocher de l’église de Lavasina et le couvent franciscain des Capanelle. Jean Marini avait également une activité de peintre dont témoignent son amitié avec Olynthe Madrigali et Jean Canavaggio ainsi que son adhésion à la Société des Lettres et des Arts du Nord de l’Ile ; à de nombreuses reprises, il expose ses toiles à Paris et Bastia. Sa production picturale et graphique fait de lui l’un des artistes les plus modernes de l’école de peinture corse.
Jean Marini (1884 - 1956),
Issu d’un milieu populaire, Jean Marini obtient une des trois bourses du legs Sisco pour l’année 1903 afin de faire ses études d’architecture à Rome. Il achève celles-ci en 1910 et commence à travailler dans un cabinet italien. Après la Première Guerre mondiale, il s’établit à Paris. Membre de la Société de l’Art Urbain, de la Société des Artistes Décorateurs, il expose des
Cliché S. Gregori/Collection privée
Cliché S. Gregori/Collection privée
un architecte et un peintre oublié
Portrait de Jean Marini vers 1925.
Culture
Jean Marini, projet d’auditorium vers 1930.
Le legs Sisco et l’architecture : l’exemple du monument aux morts de Bastia
Carte postale du monument aux morts de Bastia, vers 1935.
Le projet initial, lancé à la fin du XIXe siècle, devait commémorer les morts de la guerre de 1870. À la veille de la Grande Guerre, Pekle et Patriarche se voient confier la composition des figures et du bas-relief. Mais ce n’est qu’en 1925 que le monument – consacré à la mémoire des morts de 1914-1918 – est édifié. Le socle jugé trop avant-gardiste ne fait pas l’unanimité. Aussi, en 1929, décide-t-on de le remplacer par une structure portante plus académique. Le monument est enfin inauguré les 5 et 6 janvier 1935, en présence du général Weygand. Il matérialise l’influence du legs sur le cadre de vie urbain des Bastiais. novembre 2007-janvier 2008
Stantari #11
Cliché Musée de Bast
ia/ Musée de Bast
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Certaines œuvres de lauréats du legs Sisco font, encore de nos jours, partie de notre paysage quotidien. Tel est, par exemple, le cas du monument aux morts de Bastia, œuvre collective de trois anciens boursiers : les sculpteurs Louis Patriarche et Jean-Mathieu Pekle ainsi que l’architecte Simon-François Fratacci.
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Cultura
Le legs Sisco
La formation de 22 peintres corses À Rome, les boursiers fréquentent diverses institutions : l’Accademia di San Luca, la Regia Accademia di belle arti et, pour nombre d’entre eux, la Villa Médicis. La formation des jeunes artistes passe en partie par la pratique de la copie d’œuvres de maîtres anciens. Celle-ci permet l’acquisition de la technique, l’étude de la composition, de l’équilibre des masses ou des couleurs. La copie fait donc partie intégrante du processus de création des artistes : elle en est le premier temps. Ainsi après s’être essayés aux maîtres anciens, les artistes peuvent envisager une production plus créative. Parallèlement, ces étudiants réalisent également des œuvres plus personnelles, saisies sur le vif. Le legs a ainsi formé 22 peintres insulaires dont les plus fameux sont notamment Louis Pellegrini (1825-1880), Charles Fortuné Guasco (1826-1869), Louis Alessi (1850-1918), Joseph de Gislain (1876-1968), Hector Filippi (1893-1965) et Albert Gillio (1892-1964).
Clichés Ph. Jambert/ Musée de Bastia
Louis Alessi, Marine d’après Joseph Vernet, vers 1875.
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Établissements de France à Rome, mais les dévaluations successives on rendu le capital purement symbolique.
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De nos jours, quel est l’héritage du geste philanthropique de Giuseppe Sisco ? Véritable système méritocratique enracinant, à travers Bastia, l’île dans l’aire culturelle italienne, ce legs témoigne du dynamisme de la vie artistique corse. Enfin, il compose une part importante de notre patrimoine. Les collections du musée municipal de Bastia continuent de s’enrichir d’œuvres des artistes issus du legs. Grâce aux commandes publiques et privées, le travail de certains d’entre eux fait encore partie intégrante du paysage urbain bastiais : les clochers de l’église Saint-Jean-Baptiste ou l’escalier novembre 2007-janvier 2008
Joseph de Gislain, Jeune romaine, 1898.
Romieu, dessinés par Paul Augustin Viale, le monument aux morts, œuvre de Jean Mathieu Pekle, Louis Patriarche et Simon-François Fratacci, le couvent des Capanelle de Jean Marini, l’ancien hôpital de Toga d’Adolphe Peretti… La redécouverte de l’importance de ce legs a permis de faire sortir de l’anonymat et de l’oubli les personnalités artistiques les plus marquantes, démontrant par là même la richesse de notre patrimoine. 4
Les auteurs tiennent à remercier Michel-Edouard Nigaglioni, Élisabeth Cornetto, Audrey Giuliani, Christian Peri, Linda Piazza et Marc-André Turchini.
Pour en savoir plus • Jurquet A., Gregori S., Nigaglioni M.-E. & Giuliani A., 2007, Le legs Sisco, un siècle de vie artistique corse, 1829-1933, édition Centre d’études Salvatore Viale.
Culture
Collection privĂŠe
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Affiche originale de Michel Landi (pour le documentaire de 52 minutes de J-P. Mattei), 2007.
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par Raphaël Lahlou
Pendant plus de cinquante ans, Hercule Mucchielli (Ghisoni, 1903-1990) a dominé la distribution et la production cinématographique française et internationale. Selon José Giovanni, cet homme fut “un artisan de génie qui, à la tête de Valoria Films, réalisait souvent les plus gros chiffres d’affaires européens et avait une force de caractère à la hauteur de son prénom et un sens légendaire de la parole donnée”. À l’occasion de l’hommage qui a été rendu à cette figure corse par la Cinémathèque régionale dans l’été 2007, Stantari retrace son parcours.
Hercule Mucchielli, un trajet cinématographique 1923-1975
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Raphaël Lahlou est historien
Un trajet cinématographique ? Pourquoi pas ? Hercule Mucchielli le disait lui-même : “J’ai fait le trajet du PLM à l’envers : Marseille, Lyon, Paris…” C’est à dix-sept ans, en 1920, que le jeune habitant de Ghisoni quitte la Corse pour rejoindre Marseille et entrer, grâce à un soutien amical et familial, dans un petit commerce.
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Collection privée
Stantari #11
Un programme Pathé-Revue, 1923.
À l’automne de 1921, il change d’horizon et devient aidecomptable dans l’agence marseillaise de la grande firme cinématographique Pathé, l’une de celles qui domine la production française et internationale. C’est là, surtout, qu’il apprend son métier, et qu’il s’intéresse à un secteur essentiel de la maison de production : le service de la programmation. L’objectif de ce service est d’assurer la diffusion, la commande et la gestion régionale des films, de veiller à leur expédition, à leur publicité. Il a aussi pour but de cerner au mieux le profit de chaque film. Les projections de la société sont faites selon un rite précis : un documentaire géographique et pittoresque (appelé Pathé-Revue), puis un film de fiction proprement dit. Pathé est un groupe spécialisé dans la programmation des films à épisodes, dans les flamboyants ciné-romans, dans ce que les Américains appellent les serials. Parmi les grands succès de l’époque, Surcouf (1924), Les Misérables (1925) ou Michel Strogoff (1926). Signalons qu’il s’agit ici de productions françaises, mais Pathé distribue aussi les grandes productions américaines, les studios américains n’ayant pas encore, au
Hercule Mucchielli
Culture
cours des années vingt, d’agences de distribution en France. Hercule est devenu le grand responsable de la programmation cinématographique de la firme à Marseille. Après son service militaire (1923-1924), il se dirigera vers Lyon. En 1930, il devient le directeur de l’agence lyonnaise de la prestigieuse société américaine Universal. Au printemps 1931, il est appelé à la tête de l’agence marseillaise de la fastueuse maison de production hollywoodienne Metro Goldwyn Mayer. Par choix, Mucchielli intègre, fin 1935, la Société d’Exploitation et de Distribution de Films qui, créée en 1934, distribue de grands succès français et américains pour la France et l’Afrique du Nord. Il prend, dans cette société, la responsabilité des régions de Lyon, Marseille et Bordeaux. L’époque Cyrnos (1936-1948)
Collection privée
En 1936, Hercule, avec son frère François et un ami corse de Rogliano, Vincent Tulli, décide la formation d’une nouvelle société, la Cyrnos Film Distribution. La Cyrnos a pour objet “la distribution, en France et Pays du Protectorat, de films cinématographiques,
Un exemple publicitaire : l’album de luxe de presse de L’Île d’amour, 1943. Une grande star : Viviane Romance, dans Une femme dans la nuit, 1941.
Un grand succès de Cyrnos Film avec Serge Reggiani affiche du Carrefour des enfants perdus (1943/1944). On notera le sigle de la firme.
soit pour son compte, soit pour le compte d’un tiers.” L’un des associés principaux est Justin Milliard, né en 1870, le plus grand exploitant de salles de cinéma de Marseille, également solidement implanté à Toulon. C’est chez Justin Milliard, à Marseille (et spécialement à l’Alcazar) que Tino Rossi fit ses débuts. La firme a dans son organisation trois agences à Marseille, Lyon et Bordeaux. Ces antennes couvrent en réalité plus de cinquante départements métropolitains, dont la Corse. Jusqu’en 1941, la Cyrnos assurera la distribution nationale d’une soixantaine de longs métrages, français et étrangers. En particulier, elle distribuera en 1936, Pépé le Moko, chef-d’œuvre de Julien Duvivier, avec Jean Gabin, Mireille Balin, Marcel Dalio et Saturnin Fabre, Monsieur Personne, de Christian-Jaque, avec Jules Berry, et le grand succès qu’est Naples au Baiser de Feu, d’Augusto Genina, avec Tino Rossi, Michel Simon et Viviane Romance. L’un des grands triomphes de la société sera surtout, en 1938, Remontons les Champs-Élysées, brillante et fastueuse fantaisie historique de Sacha Guitry, distribuée en accord avec la SEDIF. novembre 2007-janvier 2008
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Collection privée
Collection privée
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Cultura
Hercule Mucchielli
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Hercule Mucchielli et l’affichiste René Ferrac i, Paris, 1970. novembre 2007-janvier 2008
Collection privée
Stantari #11
Collection privée
Entre deux films à l’époque de Corona : Hercule Mucchielli à Ghisoni (vers 1950).
Parmi les réalisateurs distribués par la Cyrnos, il faut relever le nom de Jean Renoir – la Cyrnos assure, en effet, sans doute en 1939-1940, la nouvelle sortie de La bête humaine, brillante adaptation de Zola tournée et distribuée en 1938 (l’un des grands rôles d’avant-guerre de Jean Gabin) –, mais aussi ceux de Maurice Tourneur, qui a fait une glorieuse carrière hollywoodienne, de Maurice Cloche, qui aura des attaches en Corse et sera le futur réalisateur du célèbre Monsieur Vincent, après-guerre. Parmi les acteurs distribués par Cyrnos, signalons Fernandel et Pierre Brasseur. De 1936 à 1939, la société connaît une belle ascension, due surtout au grand sens publicitaire de Mucchielli. La guerre de 1939-1940 déséquilibre la situation, d’abord en mobilisant deux des associés principaux d’Hercule : son frère François et Vincent Tulli. Mucchielli est père de trois enfants et son ouïe est défaillante : il bénéficie donc d’une réforme. Et surtout, il se voit obligé, pour continuer à faire vivre sa société, à se lancer pour la première fois dans la production et la co-production véritables de films. Cyrnos co-produira La duchesse de Langeais, avec Edwige Feuillère, adaptation par Jean Giraudoux du roman de Balzac, puis Une femme dans la nuit, d’après Manon Lescaut, de l’abbé Prévost, avec la grande star, la vamp de l’époque : Viviane Romance. C’est ainsi que s’achève l’année 1941 et que passe une partie de l’an 1942 1942. À mesure que la guerre s’intensifie et après l’occupation de l’ancienne zone libre, en novembre 1942, les débouchés de la distribution cinématographiques se révèlent de plus en plus limités. Une partie de sa famille travaille à ses côtés dans la société Cyrnos et agit dans la Résistance ; pour sa part, Hercule Mucchielli protège les intérêts de l’un de ses amis d’origine juive, le futur producteur Robert Dorfmann, rencontré au temps de la SEDIF. L’année 1943 est celle d’une aventure : la production du grand film “corse” de Mucchielli, L’Île d’amour. Hercule Mucchielli produit son film en espérant le tourner en Corse, mais les difficultés de la guerre l’en empêcheront. Si l’équipe est largement insulaire, du scénariste Stéphane Pizzella au réalisateur Maurice Cam (originaire de Bastia, son nom est Camugli), en passant par les acteurs : Tino Rossi, Raymond Rognoni, Raphaël Patorni, mais aussi par les techniciens et les musiciens, dont le prestigieux compositeur Henri Tomasi et Roger Lucchesi (ou Carlu Giovoni), les séquences d’extérieurs sont tournées dans la région niçoise. Lors d’un l’entretien enregistré par Jean-Pierre Mattei en 1990 1990, Hercule Mucchielli confiera : “Je n’ai pas tourné le film en Corse, mais j’aurais aimé le faire ; le sujet était très joli, c’était une histoire sentimentale, et à l’époque Dieu sait qu’on ne pensait à ce que serait l’avenir l’avenir.” Un budget très lourd est consacré à la production du film (dix-huit millions) et les retards sont nombreux. Lorsque le film sort finalement, en mai-juin 1944, il ne peut connaître le succès, d’autant que si
Hercule Mucchielli
De Corona à l’indépendance (1949-1962)
Collection privée
Sur un tournage : H. Mucchielli, Rosa Narodetski et Robert Taylor, La pampa sauvage, western (1966).
L’époque Valoria : André Mucchielli, un associé, Charlton Heston et Hercule Mucchielli lancent Les 55 jours de Pékin (1963).
Collection privée
C’est à Paris désormais que l’action de Mucchielli va se déployer. Robert Dorfmann (né en 1912, il a débuté dans le monde cinématographique en 1931 et Mucchielli et lui se connaissent depuis 1935) confie à son ami corse la direction commerciale de sa société de distribution Corona, lancée en 1945. Dorfmann dirige quant à lui la société de production Silver Films (qui fait aussi la distribution des films à l’étranger). Chez Corona, Mucchielli croira au succès de Jeux Interdits et soutiendra activement le film malgré des soucis scénaristiques et de financement. Avec Dorfmann, resté conseiller technique de Corona, et Ray Ventura, l’aventure dure dix ans, elle est jalonnée de beaux films dont Le carrosse d’or, de Jean Renoir (1953), Touchez pas au grisbi, de Jacques Becker, qui relance la carrière de Jean Gabin et lance celle de Lino Ventura. Parmi les derniers films distribués par Corona, signalons Les tricheurs, drame âprement jazzé de Marcel Carné (1958), avec Jacques Charrier, Laurent Terzieff et Jean-Paul Belmondo. Quittant Corona en 1959, tandis que Robert Dorfmann se consacre strictement à la production, Mucchielli distribue en novembre 2007-janvier 2008
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Paris attend sa libération, Marseille subit un intense bombardement qui détruit de nombreuses salles de cinéma. Il connaît une nouvelle sortie générale fin 1945. En 1973, Mucchielli essaiera de relancer le film, le fera restaurer dans des copies 16 mm. Mais le film sera un échec. Il n’en sera pas de même du Carrefour des Enfants Perdus, sorti en avril 1944. L’après-guerre, pour Hercule Mucchielli et Cyrnos amènera des changements radicaux. Le système de distribution, organisé par secteurs régionaux avant la guerre, s’est centralisé sur Paris. Les rigueurs de la reconstruction raréfient les productions françaises. Mucchielli voit sa société décliner. Cyrnos distribue des films russes tournés pendant la guerre, et aussi de beaux films de guerre anglais, dont l’émouvant et quasi documentaire Ceux qui servent en Mer,, réalisé par David Lean et le dramaturge Noël Coward. Pour rebondir, Mucchielli tente de produire un film corse, tiré d’une nouvelle historique de l’écrivain Michel Lorenzi de Bradi, mais le projet, faute de soutien, avortera. En 1948,, Hercule Mucchielli s’est retiré de Cyrnos. Une page de sa carrière est tournée, mais il n’a pas renoncé au cinéma. Cela même si une tentative de carrière d’exploitant de salle, celle rénovée du cinéma “Le Français”, à Lyon, n’est pas couronnée de succès, entre 1947 et 1950.. Avec son frère François, il réinvestit une partie de son argent dans l’achat de vignes en Corse. C’est avec Robert Dorfmann, à partir de 1949, que Muchielli va relancer sa carrière.
Culture
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Collection privée
Collection privée
pour plusieurs de ses films. De même, les équipes techniques corses seront importantes pour les films coproduits ou distribués par Valoria. Ainsi l’affichiste René Ferracci (19271982), originaire de la région porto-vecchiaise et auteur d’une quarantaine d’affiches de films pour la firme, soit la moitié du catalogue de celle-ci, entre 1962 et 1975. Ajoutons Michel Landi, la script-girl Lucile Costa (1918-2001) qui fut “l’œil” efficace des plateaux de José Giovanni ou d’Henri Verneuil. Tournage de Deux hommes dans la ville : Alain Delon, Distribuant les plus grands succès de la comédie française, Jean Gabin, José Giovanni et la scripte Lucile Costa (1973). comme La Cuisine au Beurre, Le corniaud et La Grande Vadrouille, Valoria a alors un catalogue varié. Le groupe indépendant La princesse de Clèves, de Jean Delannoy, Plein promeut aussi des sujets plus difficiles : ainsi, l’Occupation soleil, avec Alain Delon. En 1961, enfin, Le Cid, de l’Américain avec Le vieil homme et l’enfant (1967), avec Michel Simon, Anthony Mann, avec Charlton Heston et Sophia Loren, ou le monde étrange de Belle de Jour, d’après le roman de monument du film épique aux batailles magistrales. Ce film J. Kessel, avec Catherine Deneuve. Des films politiques, plus provoque une rencontre capitale, celle du producteur Samuel atypiques dans le catalogue, sont partiellement financés, Bronston. produits ou distribués par Mucchielli, ainsi L’assassinat de Trotsky, de Joseph Losey, L’épopée Valoria en 1972 et, à partir de 1968, (1962-1975) trois films de Costa-Gavras : Z, L’aveu et L’état de siège, ou Samuel Bronston (né en encore Le secret, de Robert Bessarabie en 1908, mort Enrico. Les difficultés générales en Espagne en 1994) est un du secteur de la distribution et personnage particulièrement de la production française dans original. Ce neveu de Léon les années soixante-dix, certaines Trotsky était, comme le raconte mésententes et des échecs, Mucchielli “russe, roumain et juif. assumés avec panache, amènent Toute sa famille était en France. la chute de Valoria et le retrait Il avait deux frères médecins, ils d’Hercule Mucchielli en 1975. Un exemple de l’éclectisme de Valoria, cinq films programmés en 1969. étaient tous de grands artistes, de Malgré le très beau Ludwig, le grands pianistes. Il avait des sœurs, crépuscule des dieux, de Luchino dont l’une était soprano”. L’une des sœurs de Bronston, Rosa Visconti, en 1973, Valoria connaît et subit une crise qu’elle Noradetzski, va devenir une amie, puis une collaboratrice et ne surmontera pas. Elle cesse ses activités en 1975. Reste un associée d’Hercule. Après le veuvage de ce dernier, elle sera sa superbe patrimoine cinématographique. 4 seconde épouse. Mucchielli, entouré de sa famille et de divers soutiens, crée enfin, à cinquante-neuf ans, sa propre société, bientôt doublée d’un satellite dont il prend le contrôle, La rédaction de Stantari tient à remercier M. Jean-Pierre Mattei de Cinétel. Valoria et Cinétel sont installées au 18-20 place de la sa totale disponibilité pour évoquer Hercule Mucchielli et ouvrir Madeleine à Paris. Valoria distribue les films et les coproduit ses archives iconographiques. Jean-Pierre Mattei, Jean-Marie Poli ou produit en France. À partir de 1967, Cinétel s’emploie à et Viviane Gottardi avaient interviewé en octobre 1990 Hercule la distribution et aux coproductions à l’étranger. On envisage Mucchielli à Ghisoni, quelques mois avant sa mort. Cet entretien aussi de créer une chaîne de cinémas, mais le projet avorte. enregistré mériterait d’être publié. Jean-Pierre Mattei et Nicolas Mucchielli (petit-fils du producteur) ont réalisé et présenté en Si Hercule Mucchielli ne produit plus de films liés à la Corse juillet 2007 un important documentaire sur Hercule Mucchielli. (sinon un documentaire, La Corse vue du ciel, au début des années soixante-dix, dont les images finales sont celles des monts de Ghisoni), il s’enthousiasme pour La loi du survivant, Pour en savoir plus la première réalisation filmée en Corse, de José Giovanni. C’est après avoir vu ce film que Mucchielli s’engagera dans la • Giovanni J., 2002, Mes grandes gueules, Mémoires, Fayard. production du Rapace, formidable film d’aventures avec Lino • Le cinéma d’Hercule Mucchielli de 1923 à 1975, 2007, Cinémathèque de Corse & éditions Alain Piazzola. Ventura, tourné au Mexique. Mucchielli soutiendra Giovanni
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La rubrique photo
Le cargo Pascal Paoli quitte le port de Bastia.
à Dominique Tison
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Cliché D. Tison
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merveillé depuis toujours par l’envoûtement que peuvent procurer les mystères du ciel, fasciné par le caractère hostile mais souvent majestueux des éléments que dame Nature déploie, je cultive une véritable ferveur pour la météorologie, ferveur qui naquit naturellement dès ma plus tendre enfance. J’allie désormais cette grande passion à celle de la photographie.
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Les ruines du fort de Vizzavona sous la neige, 26 janvier 2007.
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Ambiance nuageuse sur Erbalunga, novembre 2006.
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L’orage frôle Bastia avant de gagner l’Italie, juin 2007.
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ClichĂŠ D. Tison
Nuage de vent sur le Vieux port, 1er mars 2007.
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Jour de libecciu sur Bastia, ao没t 2006.
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Le col de Vizzavona sous la neige, janvier 2007
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Retrouvez les photos de Dominique Tison sur : www.libecciu.cc
Des animaux et des hommes
La mer et l’animal (2 volet) e
Des animaux à éviter : les animaux fantastiques par Michel Vergé-Franceschi Michel Vergé-Franceschi est professeur des Universités, université de Tours et UMS d’histoire et d’archéologie maritime (CNRS/musée national de la Marine/ Paris IV-Sorbonne).
Mélusine, gravure du xve siècle.
ciel, tels les albatros, âmes réincarnées et errantes des capitaines maudits ou naufragés. Animaux du ciel et de la mer, tels les poissons volants qui vivent dans l’eau mais aussi juste au-dessus d’elle, ou la Serre, animal mythique pourvu de grandes ailes, qui s’élève des profondeurs de la mer pour poursuivre les bateaux et
s’emparer des marins. Dans l’imaginaire des hommes, les créatures qui peuplent les mers sont de trois sortes : les animaux qui relèvent du pur surnaturel (les tritons, hydres, serpents de mer, sirènes…), les animaux réels mais auxquels l’homme prête des légendes fabuleuses (les baleines, pieuvres et dauphins) et enfin les animaux réels, familiers ou interdits, à qui l’on a donné une valeur symbolique ou auxquels on a associé des superstitions véhiculées par des générations de marins. Les sirènes Présentes dans les mythologies, elles occupent une place privilégiée dans notre imaginaire. Figures fatales de l’éternel féminin, elles ont quitté le monde des dieux pour s’associer au monde de la mer. Filles de Melpomène, la muse du novembre 2007-janvier 2008
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A
u Moyen Âge, la mer se fit bestiaire : la chronique islandaise de 1215 décrit des bêtes monstrueuses qui sont en réalité des phoques, lamantins et dugong. En France, apparut la “seraine”, en Écosse “white Lady” (la Dame blanche) reprise plus tard en pays allemand (die weisse Frau), nix en Allemagne, neck en Hollande (ou merminne), et mermaid en Angleterre. La mer médiévale devint alors un curieux mélange où se côtoyèrent en un monde paranormal animaux fantaisistes et animaux à peu près réels : monstres du fond des eaux, serpents de mer, baleines énormes, pieuvres ou hydres à six ou sept têtes et aux tentacules immenses, ainsi que d’autres animaux gigantesques, presque toujours effrayants et dangereux (hormis les dauphins). Animaux des profondeurs marines, animaux des ténèbres ou du
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Animali è omi chant et de la tragédie, et d’Achéloos (fils d’Océanos et de Téthys), génies de la séduction, de la mort et de la musique funèbre, les sirènes sont représentées d’abord, sur les tombes égyptiennes, avec une tête et des pieds de femme mais avec un corps et des ailes d’oiseau, puis, plus tardivement, sous forme de poisson, avec une tête et une poitrine de femme qui émergent d’une rutilante queue d’écailles, comme chez Rubens (Le Débarquement de Marie de Médicis à Marseille, au Louvre), ou deux queues pour la mélusine. La queue de poisson symbolise une sorte de serpent et fait d’elle un véritable démon femelle. Femme oiseau, la sirène symbolisait les âmes des morts au moment de leur séparation d’avec le corps, mais leur souvenir lointain échappe à la symbolique de la mer. Selon Ovide, elles auraient obtenu ces ailes afin de partir à la recherche de Perséphone enlevée par Hadès. Nombreuses dans l’Odyssée, les sirènes tirent leur nom du grec seirazein qui signifie “attacher avec une corde”, d’où l’emploi qu’en fit Homère qui joue sur le mot, la sirène attachant l’homme d’une part, par la mélodie de sa voix, et l’obligeant, d’autre part, à s’attacher
au mât de son navire, comme Ulysse, afin de ne point plonger. Pourtant, dans l’Odyssée, Homère ne dit pas qu’il s’agit de femmes poissons à la longue chevelure d’or ; les sirènes d’Homère qui, d’une voix captivante héritée de leur mère, accompagnées d’une lyre ou d’une double flûte, chantent afin de charmer les marins privés de femmes, de les attirer sur les écueils et de les dévorer, ne sont pas physiquement définies. Elles vivent, selon Homère “en une île au rivage tout blanchi d’ossements humains”, non loin de Charybde et Scylla, mais elles sont créatures vulnérables puisqu’un ancien oracle leur a prédit un jour qu’elles n’existeraient que tant qu’elles réussiraient à charmer les navigateurs et qu’elles périraient le jour où l’un d’eux leur résisterait. Or, Orphée, qui accompagnait les Argonautes, fut le premier à leur résister grâce à la supériorité de sa lyre. Et les sirènes se seraient suicidées “en se jetant à la mer” après cet échec… preuve qu’elles n’étaient point alors des femmes poissons ! Comme on l’a dit, du temps d’Homère elles contraignirent Ulysse à faire boucher avec de la cire les oreilles de ses compagnons et à se faire attacher au mât
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Jeux de Naïades par Arnold Böklin (détail, 1886).
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de son navire, sur les conseils de Circé. Ulysse put ainsi passer et les sirènes, aussi dépitées que lors du passage des Argonautes, se suicidèrent (à nouveau !) “en se jetant à la mer”. Certaines furent toutefois transformées en rochers, après ce deuxième échec, et l’une d’elle, Parthénopé, vint donner naissance à Naples, la cité parthénopéenne, patrie du chant. Néanmoins, les sirènes continuèrent à hanter les rêves, dont celui de Dante, dans le dix-neuvième chant du Purgatoire. Nombre d’artistes antiques représentèrent les sirènes sur des vases ou des amphores (épisode d’Ulysse et des sirènes sur une amphore du British Museum) et, au cours de l’Antiquité, elles constituèrent un thème fréquent de sculpture : ivoire de l’Artémision d’Éphèse, relief de frise du monument de Xanthos à Londres (où elles s’identifient avec les Harpies), statue du Dipylon à Athènes et, à l’époque hellénistique, sarcophage de la tombe de Calliste au Latran. Mais, peu à peu, la sirène oiseau de jadis évolua en sirène poisson. Ainsi, en pleine Renaissance, le Vénitien Sébastien Cabot (v.1476-1557)
– qui participa aux exvieille grand-mère le lui péditions de son père sur avait prédit : “Nous autres, les côtes de l’Amérique nous vivons quelquefois du Nord –, dans ses trois cents ans ; puis, cessant Instructions nautiques d’exister, nous nous trans(1522) destinées aux formons en écume, car au capitaines désirant faire fond de la mer ne se trouroute vers la Chine, revent point de tombes pour commande de “bien se recevoir les corps inanimés. défier des artifices de cerNotre âme n’est pas imtaines créatures qui, avec mortelle ; avec la mort tout des têtes d’homme et des est fini”. Drame de la vie, queues de poisson, nagent de la mer, de l’amour et armées de flèches et d’arcs de la mort, comme celui dans les fjords et les baies et de la petite Ondine de vivent de chair humaine”. Giraudoux, définitiveSymbole de passion ment séparée elle aussi charnelle et de désir sexde son prince charmant : uel, la sirène est en réalité “Ondine et moi partons un monstre anthropochacun de notre bord pour phage comme nombre l’éternité, ironise le chevade monstres marins qui lier Hans. À bâbord le népréfigurent Les dents de la ant, à tribord l’oubli”. Mer, mais Andersen lui donnera une toute autre Les pieuvres place : “Depuis plusieurs années, le roi de la mer Les céphalopodes était veuf, et sa vieille mère étaient bien connus dirigeait sa maison. C’était dans l’Antiquité et une femme spirituelle mais leur aspect étrange ne si fière de son rang qu’elle pouvait que troubler portait douze huîtres à sa Le calmar brandissait la victime comme une plume, illustration d’Alphone de les hommes. Certes, les Neuville (1836-1885) pour Vingt mille lieues sous les mers de Jules Verne. queue tandis que les auAnciens consommaient tres grands personnages des calmars et utilisaient n’en portaient que six. Elle comme encre les méritait des éloges pour les soins qu’elle d’une perle ; puis elle fit attacher à la queue sécrétions noirâtres des seiches, mais ils prodiguait à ses six petites-filles, toutes de la princesse huit grandes huîtres pour y voyaient la preuve de leur complicité princesses charmantes. Cependant, la plus désigner son rang élevé”. Ce qui devait avec les esprits infernaux. D’ailleurs, jeune était plus belle encore que les autres ; arriver, arriva. La petite sirène tomba ces animaux visqueux étaient peu elle avait la peau douce et diaphane comme amoureuse d’un jeune prince aux grands sympathiques d’aspect et la morsure une feuille de rose, les yeux bleus comme un cheveux noirs qu’elle aperçut à bord des seiches passait pour empoisonnée. lac profond ; mais elle n’avait pas de pieds : d’un navire et, le soir même, elle le sauva La pieuvre, généralement pourvue ainsi que ses sœurs, son corps se terminait du naufrage alors qu’inconscient, il était d’un corps surmonté de deux yeux par une queue de poisson”. Le jour de ses déjà à moitié noyé. Acceptant de devenir proéminents entourés de serpentins en quinze ans, la petite sirène fut enfin au- muette en échange d’une paire de jambes guise de cheveux et de huit tentacules torisée par sa grand-mère à monter à la offertes par une sorcière, la petite sirène, flexibles – parfois davantage –, est surface comme l’avaient fait ses sœurs ainsi contrainte au silence, se retrouva à représentée sur de petites plaques d’or avant elle. “Tu vas partir, lui dit sa grand- jamais dans l’impossibilité d’avouer son dès l’époque minoenne et mycénienne : mère, la vieille reine douairière… Et elle amour. Réduite à voir le beau prince de part et d’autre du corps, aucun de posa sur ses cheveux une couronne de lis en épouser une autre, elle acheva sa vie ses huit ou neuf bras ne semble au blancs dont chaque feuille était la moitié maritime en éternelle écume comme sa repos. Pour Homère, Scylla, monstre novembre 2007-janvier 2008
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Des animaux et des hommes
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Animali è omi marin embusqué en face de Charybde, né de Phorcys (ou de Typhon) et d’Hécate (ou de Cratéis), est en fait une pieuvre anthropophage qui dévora six des compagnons d’Ulysse. Hydre à six têtes, elle jouit d’autant de cous tentaculaires. Pour Pline, qui ne croit déjà plus aux tritons et sirènes – comme la plupart des naturalistes de son temps –, la pieuvre demeure un démon amphibie et nocturne, mais familier, en dépit de ses tentacules de neuf mètres. Au xviiie siècle, Erik Pontoppidan (1698-1764), évêque de Bergen (1747) et prochancelier de l’université de Copenhague, décrit encore un monstre si puissant qu’il est capable d’attaquer d’immenses navires, au point qu’en 1802, Montfort, élève de Buffon, publie un ouvrage qui relance le débat sur le maudit animal. Le monstre de Pontoppidan ressemble davantage à une pieuvre qu’à tout autre animal puisque doté de bras aussi gros que les plus gros mâts d’un fort vaisseau ! Montfort le définit comme un poulpe géant, le Kraken, “l’animal le plus immense de notre planète” (définition qui appartient pourtant à la baleine). Au xixe siècle, même si l’on n’y croit plus vraiment, Michelet, dans La Mer (1861) reprend le thème du poulpe, géant et agressif, puis Victor Hugo dans un poème de la mer aux visions fantastiques, immortalise la pieuvre dont il popularise le terme dans Les Travailleurs de la mer (1866). Effets hallucinatoires que l’on retrouve dans le Bateau ivre de Rimbaud (1871) ou avec Jules Verne (Vingt mille lieues sous les mers, 1869), dont le Nautilus est attaqué par des calmars géants. C’est la dernière résurgence littéraire de ce thème qui a longtemps survécu à celui des licornes médiévales.
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Narvals et licornes de mer
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Dame licorne apparaît dans de nombreux textes anciens. Dans le Talmud, elle est présentée comme un animal colossal qui n’a pu échapper au novembre 2007-janvier 2008
Déluge qu’attaché à l’extérieur de l’arche de Noé ! Pour Pline, c’est un “animal féroce à tête de cerf, à pieds d’éléphant, avec une queue de sanglier et un corps de cheval”. En réalité, fut appelé “licorne de mer” un authentique mammifère marin de l’Atlantique nord, le narval ou monodon, doté d’une longue canine qui se prolonge en une corne droite qui peut atteindre jusqu’à trois mètres. Celle-ci représente un danger véritable pour les coques de bois des navires qu’elle peut
Combat de narvals, par A. L. Clément, issu de La nature, revue des sciences et de leurs applications aux arts et à l’industrie (1890), par G. Tissandier.
transpercer. Si les marins chassèrent le narval avec tant d’acharnement sur les côtes du Groenland ou d’Islande ce fut cependant, non pour tenter d’éradiquer ce dangereux animal, mais plutôt parce que son étonnante défense fut longtemps considérée comme un antipoison, voire une sorte de remède pourvu de vertus magiques susceptible d’enrayer l’impuissance masculine. Aussi les cabinets de curiosités de la Renaissance s’arrachèrent-ils les cornes de narval tout autant que les apothicaires. Mais la
mer est surtout le domaine des serpents ondoyants et fuyants, “des boas luisants” (Baudelaire, Le beau navire), des “hydres absolues, ivres de sa chair bleue” (Valéry, Le cimetière marin), créatures monstrueuses aux multiples têtes et à “l’étincelante queue” (Valéry), qui évoluent en l’océan primitif qui enserre la terre de toutes parts. Le Léviathan Dans la Bible, les monstres marins sont légion. Parmi eux, le Léviathan “la plus grande des créatures vivantes… terre mouvante capable d’absorber une mer qu’en un souffle il rejette”. Le Léviathan, monstre qu’il faut bien se garder de réveiller, est évoqué à maintes reprises dans les Psaumes et dans l’Apocalypse. Dans le Livre de Job, ce serpent capable d’engloutir momentanément le soleil – d’où les éclipses – est présenté comme un “dragon de la mer” que Yahvé, seul, pourra combattre avec succès : “ce jourlà, Yahvé châtiera de son épée dure, grande et forte, Léviathan, le serpent fuyard, Léviathan, le serpent tortueux : il tuera le dragon de la mer” lequel incarne ici la puissance païenne. Le Léviathan – dont l’existence a commencé sans doute dans la mythologie phénicienne – est décrit de telle sorte dans le Livre de Job qu’on peut l’identifier peut-être au crocodile égyptien. “Les flots tremblent devant Sa Majesté Les vagues de la mer se retirent… Il considère le fer comme de la paille L’airain comme du bois pourri… Il fait bouillonner le gouffre comme une marmite, Transforme la mer en brûle-parfums Sur terre, nul ne le dompte, Lui qui est fait pour ne rien craindre… Pêcheras-tu Léviathan avec un hameçon ?” ✚
[ à suivre… ] dans le prochain numéro : baleines, dauphins et albatros…
L’espace d’un temps
le climat de l’olivier par Jean-Paul Giorgetti & Jean Alesandri avec la collaboration de Rita Ouairy et Joëlle Hennemann
L
a croissance, le développement ainsi que la production des plantes sont liés à des facteurs météorologiques. En effet, l’entrée en production des cultures fruitières n’intervient qu’après une phase juvénile et, dans la plupart des cas, dès que
les conditions favorables demeurent inchangées durant deux années au moins : la première pour la formation des bourgeons et la deuxième pour faire aboutir le processus de reproduction. Ainsi la productivité d’une plante estelle déterminée dès l’année précédente.
Les conditions météorologiques auront donc une influence favorable ou défavorable sur les différentes phases de reproduction : floraison, nouaison, grossissement, maturation. Chacune de ces phases présente des exigences climatiques qui vont faire ici l’objet d’un regard attentif. L’olivier est souvent pris comme la plante “repère” du climat méditerranéen. Ce qui signifie qu’il accepte les variations importantes de la pluviosité et du régime thermique de cette zone, comme les fortes sécheresses estivales. Il lui faudra cependant des conditions climatiques conjoncturelles favorables et plus particulièrement de bons apports pluviométriques pour avoir un rendement de qualité. Mais avant de définir les critères climatiques de l’olivier dans le détail, analysons les différents stades phénologiques. Les exigences et seuils climatiques critiques de l’olivier La culture de l’olivier est associée au climat méditerranéen : - la limite nord se situe au niveau du 45e degré de latitude Nord, à partir novembre 2007-janvier 2008
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Cliché C. Breton-Costa
Jean-Paul Giorgetti est adjoint au délégué départemental Météo-France de la Haute-Corse et Jean Alesandri directeur adjoint du CRDP de Corse. Rita Ouairy (Chambre d’Agriculture 2A) et Joëlle Hennemann (Chambre d’Agriculture 2B)
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Spazii d’un tempu
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duquel les températures minimales d’hiver et de printemps sont contraignantes ; - la limite sud se situe au niveau du 30e degré de latitude Sud, zone du climat pré-saharien où l’absence de précipitations et l’air sec dominent. Par ailleurs, l’olivier exige une forte quantité d’énergie solaire pour assurer son développement reproductif et une bonne fructification. • La pluviométrie : l’olivier est très plastique sur le plan de l’alimentation en eau. Au cours de la période sèche, l’arbre puise dans des sols très profonds des réserves qui lui permettent de subsister jusqu’aux pluies automnales.
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Époque
Stades phénologiques
Effets de la déficience en eau
Mars Avril
Réveil printanier Différenciation des bourgeons à fleurs Développement de bourgeons à fleurs Sortie des bourgeons à bois Début de croissance des rameaux
Réduction du nombre d’inflorescences Avortement des fleurs Réduction de la croissance des pousses
Mai Juin
Floraison Nouaison Grossissement des fruits (nombre de cellules) Allongement des pousses
Réduction de nombre de fruits noués Chute des fruits Pousses peu allongées Augmentation de l’alternance de production
Juillet Août
Grossissement des fruits (taille des cellules) Allongement des pousses
Arrêt du grossissement des fruits Chute des fruits
Septembre Octobre à la récolte
Grossissement des olives Formation de l’huile Accumulation des réserves
Fruits de petite taille Diminution du rendement en huile Réduction de l’accroissement des pousses Floraison de la campagne suivante de moindre qualité.
Novembre à Février
Repos hivernal
Phénomènes
Seuils de température (sous abri)
Risque de mort de l’arbre par gel
À partir de – 17 °C
Risque de gel des parties aériennes en hiver
À partir de – 10 °C
Risque de gel des parties aériennes au printemps
À partir de – 5 °C
Arrêt de végétation
À partir de + 38 °C
Risque de brûlures
À partir de + 40 °C
novembre 2007-janvier 2008
Extrait d’un article de Corse-Matin de l’été 2007.
Pour autant, l’arbre ne doit subir de stress hydrique à aucun moment de ses différents stades de développement pour avoir une production optimale. Le tableau ci-contre permet d’apprécier les étapes critiques et les effets de la déficience en eau. • Les températures : l’olivier a de fortes exigences en température et, plus particulièrement, il est nécessaire que soient observées des amplitudes thermiques supérieures à 10 °C pendant au moins une partie de son cycle annuel. Il convient également d’avoir des indices actinométriques* inférieurs à 7 °C durant la phase d’induction florale et jusqu’à la floraison. L’arbre n’est sensible aux fortes températures que si celles-ci sont supérieures à 50 °C au niveau du sol. En revanche, l’olivier est sensible au grand froid et présente des troubles de comportement dès que la température nocturne chute au-dessous de -5 °C durant plusieurs heures. Si ces températures se produisent au moment de la floraison ou bien brutalement, les conséquences sont malheureusement catastrophiques pour les vergers. Le tableau
L’espace d’un temps
Un arbre emblématique morca, est utilisée pour l’éclairage ou la production de savon.
À partir de l’Antiquité, dans l’île, l’olivier est quasi uniquement exploité pour l’huile. Celle-ci fait l’objet d’un intense commerce dans le Mare nostrum, la Méditerranée du monde romain. La Corse, province romaine, participe au grand courant d’échanges, comme en témoignent les nombreuses épaves antiques autour de l’île. Les archéologues reconnaissent facilement les amphores à huile, identifiables à leur forme ventrue et à leur col particulier.
Dans les années quatre-vingt, on estimera que subsiste en Corse environ un million d’arbres, malgré les grands incendies qui affectent régulièrement l’île. L’immense majorité de ces arbres se trouve dans un état de total abandon. C’est dans ces années que se développe un mouvement de relance, porté par le milieu associatif. Les années quatre-vingt-dix voient la structuration de la profession. L’oléiculture devient alors une filière agricole crédible, soutenue par les organismes de développement. Dans les années deux mille, c’est la reconnaissance, avec l’obtention de l’AOC “Huile d’olive de Corse”.
L’huile d’olive de qualité, “oliu vergine” ou “di prima franta”, obtenue par les premières pressions, est utilisée en cuisine. Elle est la marque de cette cuisine corse – et, plus largement, méditerranéenne – constituant la base du fameux suffritu, à l’origine de toutes nos sauces et nos ragoûts (i tiani). L’huile des dernières pressions, oliu d’infernu ou
ci-contre résume les effets connus de la température sur le développement de l’olivier. Ces seuils sont donnés à titre indicatif car la résistance de l’arbre dépend de nombreux facteurs comme la soudaineté et la durée du froid, l’action simultanée du vent, l’exposition, l’état sanitaire, la résistance des variétés et les conditions météorologiques précédant les phénomènes critiques. • L’évapotranspiration* : l’olivier a un comportement hydrique très économe. L’arbre trouve son optimum de fonctionnement et de comportement avec des niveaux d’évapotranspiration po-
Amphores à huile. Épave antique de Porticcio.
La moyenne annuelle de production d’huile se situe aujourd’hui autour de 250 tonnes et devrait doubler d’ici quatre à cinq ans. La produc-
tentielle réelle (ETR) maximale inférieure à l’évapotranspiration potentielle climatique (ETP), soit une valeur d’ETR de l’ordre de 0.2 à 0.5 d’ETP. • L’humidité de l’air : lorsque les périodes humides durent, le risque parasitaire devient sensible, c’est en particulier un facteur favorisant les maladies cryptogamiques. Une trop grande proximité de la mer est donc un fort handicap à un bon développement d’un verger d’oliviers. • Le vent : l’olivier est résistant, mais les vents forts ont tendance à déformer les arbres et donc à affecter la production. S’agissant d’une essence anémophile*,
les coups de vent trop forts peuvent aussi atteindre les fleurs ; on remarque alors que la plupart des fruits se forment “sous le vent dominant”. Bien que les vents violents soient néfastes à la floraison, ce stade phénologique a cependant besoin de légers vents afin que la pollinisation s’opère efficacement. En effet, le vent permet au pollen d’être dispersé à travers les arbres et le verger tout entier. • La grêle : les orages et la grêle sont, bien évidemment, très dommageables aux olivettes, non seulement au fruit luimême, mais aussi parce qu’ils favorisent novembre 2007-janvier 2008
Stantari #11
Au cours des siècles, et jusqu’au début du XXe, l’huile d’olive, obtenue dans les milliers de pressoirs traditionnels (i fragni), fait l’objet d’une importante consommation : pour cuisiner, conserver les aliments, se soigner, mais aussi s’éclairer et même se laver (une fois transformée en savon).
Impulsées par les Génois, puis par les Français, les plantations ou le greffage d’oliviers sauvages, les oléastres, vont se multiplier et le plan terrier (1770 – 1795) dénombrera 241 163 arbres.
tion d’olives de table reste marginale. Traditionnellement, elle était peu développée, limitée à une petite production familiale. Après le gel de l’année 1956 (qui fut moins dévastateur que sur le continent), un développement de la production d’olives de table fut tenté. Il se révéla rapidement un échec économique. Mais, avec 2 100 hectares en production d’huile, l’olivier est aujourd’hui la deuxième spéculation en arboriculture de Corse, derrière les clémentiniers.
Cliché H. Alfonsi / ARASM
Quelques centaines d’années avant J.-C., les Grecs puis les Romains introduisirent en Corse le triptyque “pain, vin et huile”. Aussi le feuillage vert-bleu argenté de l’olivier devint-il, depuis, un élément majeur des paysages insulaires, sur les versants au soleil (a sulana).
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La présence de l’olivier est aussi appréciée pour son ombrage.
Spazii d’un tempu
L’olivier En Corse, de nombreux oliviers greffés sur oléastre développent un système racinaire pivotant assez profond, puis apparaît un réseau de racines secondaires, plus superficiel. Les feuilles pérennes sont adaptées à la sécheresse. Leur face supérieure, vert foncé, est couverte d’une couche cutinisée et leur face inférieure prend un aspect argenté en raison d’un feutrage des poils protecteurs. Ce double dispositif limite la transpiration, économisant ainsi l’eau. Le tronc, grisâtre, devient noueux avec l’âge. Cet aspect tourmenté caractéristique donne à l’arbre son esthétique particulière.
Stantari #11
Cliché J.-F. Paccosi / CRDP de Corse
La floraison est discrète, en mai et juin, selon l’exposition, étalée sur trois semaines. Les fleurs sont petites, d’un blancjaune verdâtre, réunies en grappes de 10 à 40 fleurs.
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L’olive est une drupe* charnue, généralement ovale, de un à trois centimètres. Elle vire au brun-noir à maturité. Le cycle de production est plutôt bisannuel. Il existe dans l’île plusieurs variétés ancestrales, ce sont toutes des variétés à huile. On en dénombre près d’une dizaine mais quatre sont les plus répandues. • La “Ghjermana” est elle-même divisée en deux “sousvariétés” : - “Ghjermana di Balagna”, largement présente dans toute la Haute-Corse, avec deux zones principales : Balagne et Casinca ; - “Ghjermana d’Alta Rocca”, que l’on rencontre dans le Sartenais, le Taravu et l’Alta Rocca. • La “Sabina”, appelée aussi “Aliva bianca”, “Biancaghja”, “Sabianaccia”, est elle aussi assez largement répandue dans toute l’île, notamment dans la région ajaccienne, le Taravu, la Balagne et le Nebbiu.
Obtenu à partir de la domestication de l’oléastre, 4 000 ans avant J.-C. selon les études archéologiques et paléobotaniques, l’olivier fit l’objet d’une sélection continue, source d’améliorations et de diversifications.
• La “Zinzala” est plutôt cantonnée au sud : Ajaccio, Taravu, Valincu et extrême sud.
Olea europaca L. est aujourd’hui l’unique espèce méditerranéenne représentative du genre Olea. C’est un arbre à feuillage persistant, pouvant atteindre 12 à 15 mètres de hauteur. Son système radiculaire est massif, mais assez peu profond (environ 70 cm).
Citons également une variété à olives de table : • La “Picholine”, est une variété introduite récemment (après le gel de 1956) mais elle est progressivement abandonnée au profit de variétés autochtones à huile.
la transmission de la maladie connue sous le nom de tuberculose. • L’altitude, l’exposition et le sol : les altitudes élevées ne conviennent pas, surtout en raison des risques de gelées et des dommages causés par la neige. Il est rare de voir se développer des vergers audessus de 800 m. Très avide de lumière, l’olivier réussit particulièrement bien en côteaux exposés au soleil. S’il est peu exigeant sur la qualité du sol, il convient cependant de noter que des sols perméables en profondeur faciliteront de meilleures productions. novembre 2007-janvier 2008
Quel climat pour la mouche de l’olivier ? En zone méditerranéenne, les insectes capables d’atteindre des densités susceptibles de provoquer, avec une certaine fréquence, des dégâts dans les cultures sont au nombre de quatre : - la teigne de l’olivier (Prays olea, lépidoptère) ; - la mouche de l’olivier (Bactrocera olea, diptère) ; - la cochenille noire de l’olivier (Saissetia oleae, hémiptère) ;
- la spylle de l’olivier (Euphyllura olivina, hémiptère). Parmi ces espèces, la mouche de l’olivier est la plus fréquente. Le nombre de générations possibles dépend essentiellement de deux paramètres : la température et le moment de réceptivité des olives. L’influence des paramètres climatiques sur le développement de la mouche est résumée dans le tableau page suivante. Une cartographie de la température en Corse permet de constater que la présence de la mouche est inévitable, en dehors des zones de très
L’espace d’un temps haute altitude. La mouche, quelle que soit sa forme, meurt à des températures négatives ou supérieures à 42 °C. C’est ce qui explique qu’elle n’aime guère les endroits chauds et arides où elle ne trouve pas d’ombre pour s’abriter. Dès que les valeurs dépassent 32 °C, la mortalité commence à s’exercer. Cependant, compte tenu des différentes caractéristiques orographiques* de l’île, il est indéniable que les vergers installés en altitude subiront moins d’attaques que ceux du littoral. On note également
une incontestable perturbation du métabolisme de la mouche dans les vallées encaissées où les températures estivales sont souvent supérieures à 31 °C. Les dégâts causés par la mouche sont considérables ; ils peuvent être directs si l’on prend en considération les olives de table, et indirects (transformation des drupes*) si l’on considère la production des olives à huile. Sur les olives de table destinées à la consommation directe, compte tenu des critères de qualité
exigés, aucune lésion ne doit apparaître. Par ailleurs, sur les olives à huile, la chute causée par la mouche oscille entre 10 et 60 %, selon les variétés et les zones exposées. Quelle défense contre la mouche ? La stratégie passe par la lutte intégrée ou raisonnée* qui permet un processus utilisant des méthodes satisfaisant aux exigences économiques, écologiques et
la mouche de l’olive Olives piquées.
L’olivier subit les attaques de nombreux ravageurs. Parmi ceux-ci, la mouche de l’olive (Bactrocera oleae Gmel.), a mosca, est l’espèce la plus constante et la plus redoutée dans l’aire de l’olivier. Ce petit insecte, spécifique de l’olivier, appartient à l’ordre des diptères (deux ailes), famille des Trypetidae. Il mesure 4 à 5 millimètres, sa couleur est jaune rougeâtre et noire. Ses ailes sont transparentes. La femelle pond jusqu’à 400 œufs, mais un seul par fruit. Cependant, plusieurs mouches peuvent pondre dans un même fruit. De la mi-juin à fin octobre, trois à cinq générations peuvent se succéder, toutes les trois à quatre semaines environ, selon le déroulement suivant : 48 heures après la ponte, l’œuf donne naissance à une larve (asticot) qui dévore la pulpe de l’olive en
creusant des galeries ; son développement dure neuf jours puis la larve, devenue pupe*, entame sa nymphose*, de neuf jours également. À l’issue de celle-ci, une nouvelle mouche sort de l’olive par un trou de deux millimètres, et un nouveau cycle recommence après une période de vol de 10 à 15 jours. La dernière génération de mouches pond non pas dans le fruit, mais dans le sol où elle passe l’hiver sous forme de pupe*.
Un traitement curatif, généralisé à l’ensemble du feuillage est effectué en cas d’échec, lorsque l’on constate que le seuil limite de 5 % à 10 % d’olives piquées est atteint. Les dégâts suscités par la mouche sont la perte de récolte par chute des fruits, mais aussi la diminution du rendement en huile et la détérioration de la qualité de l’huile qui devient plus acide. Les premières générations provoquent la chute des fruits et les dégâts les plus importants sont observés en septembre-octobre, lors des dernières générations.
Adulte
Œuf
Asticot
Pupe*
Accouplement T°> 13,5 °C
Activité ralentie T°< 9-10 °C T°> 35 °C
Activité ralentie T°< 8-10 °C T°> 30 °C
T°< 7-10 °C T°> 36 °C
Activité ralentie T°< 9 °C T°> 30 °C
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Cliché Chambre d’agriculture de Corse-du-Sud
Les oléiculteurs mettent en place une lutte raisonnée privilégiant le traitement préventif à chaque génération : dès qu’un taux de capture déterminé est atteint (ce qui annonce une explosion de la population de mouches), un piégeage alimentaire ou sexuel permet d’éliminer le maximum d’adultes avant que les femelles ne pondent dans les fruits. Le traitement se fait par pulvérisation d’une solution contenant un insecticide et une substance attractive. Cette pulvérisation ne concerne que 10 % du feuillage afin de respecter au maximum les insectes utiles.
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La carte “Zones sensibles à la mouche” indique les zones favorables à la présence de la mouche.
Document Météo-France 2000 ENM / Infographie Grand Chien éds.
Spazii d’un tempu
toxicologiques. Cette forme nécessite une adaptation à chaque verger compte tenu des biotopes spécifiques. Réaliser une lutte intégrée nécessite donc : Sources • http://www.nustrale.com/nustrale/huiles/ olicors.html • http ://www.meteo.fr • Bruno C., Dupré G., Giorgetti G., Giorgetti J.-P. & Alesandri J., 2001, Chì tempu face ? Météorologie, climat et microclimats de la Corse. CRDP de Corse. • CTIFL, 1999, L’olivier, Monographie, Editions Centre technique interprofessionnel des fruits et légumes, Paris. • Ricciardi-Bartoli F., 2004, L’olivier en Corse - Olives, oliviers, huiles, DCL Éditions.
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Ajaccio.
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- de la modération dans les interventions d’entretien des cultures ; - des observations régulières de la plante ; - de privilégier les traitements préventifs, en fonction des conditions climatiques. C’est donc en utilisant des modèles de prévisions météorologiques basés sur le paramètre température, associés Lexique > Actinométrie : mesure de l’intensité des radiations solaires reçues au niveau du sol. > Anémophile : se dit d’une plante dont la pollinisation se fait par le vent. > Chrême : huile bénite mêlée de baume utilisée pour les consécrations et l’administration de sacrements. > Drupe : fruit à noyau. > Évapotranspiration : phénomène d’évaporation de l’eau par les végétaux terrestres. L’évapotranspiration réelle (ETR) est celle que l’on mesure pour le végétal étudié ; l’évapotranspiration potentielle climatique (ETP) est une mesure théorique
Pour chaque microclimat du département, une prévision élaborée par votre centre Météo-France de Corse par téléphone au 32 50 (0,34 euro TTC/mn depuis un poste fixe) novembre 2007-janvier 2008
à une modélisation de prévisions du développement de la mouche, qu’il sera possible d’établir des stratégies de lutte efficaces. L’objectif de ces stratégies est de conserver le bénéfice commercial d’un produit de qualité tout en réduisant sensiblement la pollution due au traitement chimique. Cet arbre – par excellence du monde méditerranéen – est doté d’une puissante symbolique : il est le symbole emblématique de la sagesse, de l’abondance et de la paix. Déjà vénéré par les Grecs qui en couronnaient les vainqueurs des Jeux olympiques, il est souvent cité pour sa longévité et parfois même considéré comme immortel. La transformation de son fruit en huile permet la fabrication de chrêmes* ; aujourd’hui, ce fruit est très largement répandu pour les plaisirs de la table. Comme toute plante cultivée, l’olivier mérite des soins attentifs pour produire le meilleur de lui-même. Gageons que, pour la Corse, il conserve ses plus belles parures au milieu de ce dérèglement climatique dû au réchauffement global dont on mesure dès aujourd’hui les premiers effets négatifs pour notre environ✚ nement. (correspondant à un végétal “virtuel” de la même espèce servant de référence) donnant un taux d’évapotranspiration théorique en fonction des paramètres climatiques et du stade de développement. > Lutte intégrée (ou raisonnée) : lutte utilisant les ennemis naturels du ravageur (lutte biologique) en la combinant avec l’emploi a minima d’insecticides afin de protéger les autres insectes. > Nymphose : dernière période larvaire d’un insecte avant la forme adulte. Phase le plus souvent immobile chez les insectes supérieurs. > Orographique : relatif à l’agencement du globe terrestre. > Pupe : nymphe des insectes diptères.
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La rubrique des mers de Corse
Chronique des côtes et du large
Les p oissons “électriques” de Corse par Roger Miniconi
Ces dispositifs ont trois fonctions : - l’électrolocalisation ; - l’orientation et la navigation ; - l’électrocommunication. L’électroréception est considérée comme une modalité sensorielle apparue dans l’histoire des vertébrés il y a plusieurs centaines de millions d’années. Elle se rencontre chez des poissons comme, par exemple, les requins et les raies qui sont très sensibles aux champs électriques perceptibles dans
leur environnement naturel, ces champs électriques étant induits par des forces naturelles océaniques (ainsi que par euxmêmes…) dans le champ magnétique terrestre. Des signaux électriques faibles sont détectés au niveau de pores cutanés contenant des “électrorécepteurs” ciliés qui constituent un système céphalique complexe, nommé “ampoules de Lorenzini”. Ces ampoules (constituées de dix mille cellules réceptrices) sont des structures bulbaires innervées en relation avec l’eau
Comment ça marche ? Les organes électriques, que l’on dit organes myogènes, ont pour origine des cellules musculaires striées – beaucoup plus rarement, des nerfs – génératrices d’électricité que l’on nomme électrocytes. L’unité fonctionnelle est une cellule musculaire modifiée, dite “électroplaque”. Ces organes électriques comportent un nombre variable d’électroplaques qui sont empilées, formant des colonnes parallèles. Chaque électroplaque présente une différence de potentiel entre la surface membranaire externe et la surface interne à charge négative. Lorsque la cellule est stimulée, un flux ionique transmembranaire génère un faible courant électrique avec effet de potentialisation. Quand l’organe électrique est constitué d’un grand nombre d’électroplaques empilées parallèlement, régionalement orientées et connectées en série, il peut produire un courant de forte intensité.
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I
l existe sur la planète un certain nombre de poissons – et ce sont d’ailleurs les seuls vertébrés à avoir acquis ces facultés – qui possèdent des capacités de percevoir, recevoir ou émettre des courants électriques. Ces signaux sont à la fois d’ordre physique et d’ordre biologique. Tout organisme aquatique est entouré d’un plus ou moins faible “champ électrique” créé par des différences de charges ioniques entre son corps et l’eau ambiante. Les vagues, les marées, les courants… induisent des champs électriques. À cela s’ajoute le champ magnétique terrestre. D’autre part, toute activité musculaire, en particulier celle de la nage, génère un faible champ électrique (cela est valable pour les humains lorsqu’ils sont dans l’eau et en activité de nage). De nombreux poissons, qu’ils soient pourvus ou non d’organes électriques, possèdent des électrorécepteurs leur permettant de détecter les champs électriques. La sensibilité aux champs électriques et au géomagnétisme concerne plus de deux cents poissons cartilagineux et osseux.
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Cronache d’isti mari
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ambiante par d’étroits canaux et des pores, les ampoules et les canaux étant remplis par une gelée riche en ions et possédant des propriétés électriques très proches de celles de l’eau de mer. Elles ne sont pas sensibles à des champs électriques statiques mais répondent à des changements dans le champ électrique selon des gradients de voltage, dans des fréquences qui varient généralement de 0,1 à 10 Hz qui sont celles produites par le mouvement de nage des proies. Tous les requins possèdent des ampoules de Lorenzini très performantes qui leur permettent de capter à très longue distance les signaux électriques émis par une proie potentielle. Les requins adoptent alors des trajectoires de nage qui consistent à maintenir une orientation constante par rapport à la proie dont ils se rapprochent, et perçoivent parfaitement le renforcement du signal lorsque la distance diminue. On croit généralement que les requins sont attirés par l’odeur du sang, mais cette odeur n’est perçue que sur un court rayon d’action alors que les sons, les vibrations et surtout les signaux électriques sont détectés à des distances beaucoup plus importantes.
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L’orientation et la navigation Les ampoules de Lorenzini permettraient également un “sens magnétique” utile dans l’orientation spatiale en fonction du géomagnétisme terrestre. On a soupçonné l’utilisation du géomagnétisme terrestre pour l’orientation et la navigation océanique des poissons migrateurs et des grands nageurs pélagiques. La sensibilité aux variations du champ magnétique terrestre a été testée chez les saumons, les thons, les anguilles… novembre 2007-janvier 2008
Mormyridés et Gymnotidés.
La présence de magnétite (Fe3 O4) dans la boîte crânienne, la colonne vertébrale et la ceinture pectorale de l’anguille européenne sont susceptibles de constituer le support d’une “perception géomagnétique”. Cette même particularité est associée à la ligne latérale du saumon atlantique ou au thon rouge et permettrait une “magnétoréception”. L’électrocommunication est un dispositif qui est utilisé pour les relations sociales intraspécifiques, c’est-à-dire la reconnaissance entre adultes, juvéniles, mâles ou femelles afin de contrôler les rapports sociaux de dominance, les relations entre sexes (les mâles émettent des décharges électriques de faible amplitude dont les pulsations sont deux à trois fois plus longues que celles de femelles), les comportements d’attaque et de défense, etc. Un plus petit nombre de poissons possèdent, en plus
Raie bouclée (Raja clavata).
des électrorécepteurs, des organes producteurs de décharges électriques par une “électrogénèse” due à leur “organe électrique”. Ces organes sont destinés à la défense contre les prédateurs, mais peuvent également être “offensifs”. Certaines espèces utilisent ces dispositifs comme un radar afin de se situer dans leur environnement et éviter les obstacles dans les eaux troubles. Mais elles peuvent également s’en servir pour chasser des proies ou lorsqu’elles se sentent en danger. Cela présente alors un grand danger pour l’homme et les animaux domestiques qui vivent près des grands fleuves situés dans les zones tropicales : il s’agit, pour les espèces les plus dangereuses, des poissons des familles des Mormyridés africains et des Gymnotidés sudaméricains. Ces poissons sont capables d’émettre des décharges électriques de 500 à 750 volts, d’une durée de 2 à 3 ms et d’une fréquence de 150 à 250 Hz, pouvant tuer de grands animaux comme les chevaux (même les seules pattes à peine immergées) à une distance de plusieurs mètres et des humains à une distance plus importante. Pour ne pas être électrocutés par leur propre courant, ces poissons disposent d’un système de protection constitué d’un “matelas graisseux” qui enrobe leur musculature. Plus près de chez nous, nous nous intéresserons aux espèces méditerranéennes munies d’organes électriques et plus particulièrement aux raies “torpilles” et à un poisson plus connu pour ses excellentes qualités organoleptiques et la place qu’il occupe dans l’“aziminu” (la bouillabaisse “nustrali”). Chez les poissons cartilagineux, de très nombreuses raies portent des organes électriques de structure réduite et de potentialité très faible ; ces organes spécialisés
Chronique des côtes et du large
sont situés sur les deux bords du pédoncule caudal et formés à partir de certains des muscles caudaux. On a ainsi mesuré, chez la raie bouclée, des décharges de 5 volts. Pour ce qui concerne les raies “torpilles”, les organes électriques sont situés dans la zone de la tête où ils occupent de grands espaces et se révèlent d’une puissance électrique importante, pouvant produire des décharges de plusieurs centaines de volts. Les raies torpilles On distingue trois espèces de raies torpilles : la torpille ocellée, la torpille marbrée et la torpille noire. Ce sont des animaux au corps de forme circulaire, aplati dorso-ventralement, avec le tronc et les nageoires pectorales très élargies. Les nageoires dorsales sont peu développées et situées près de la nageoire caudale. La taille moyenne va de 40 cm pour la torpille ocellée à un mètre pour la torpille noire. La coloration est caractéristique pour chacune des trois espèces présentes sur les côtes de Corse. Leurs noms corses font référence aux décharges électriques : trimasgionu, tremula, trimulonza, trimulongia… Les torpilles sont benthiques* à semipélagiques et vivent sur les fonds vaseux et sableux du plateau et du talus continental, de 10 à 300 mètres de profondeur. Elles se nourrissent de poissons
De haut en bas : La raie torpille ocellée (Torpedo torpedo), la raie torpille marbrée (Torpedo marmorata) et la raie torpille noire (Torpedo nobiliana).
benthiques* et bathyaux qu’elles capturent après les avoir paralysés par des décharges électriques. Les techniques de capture utilisées par ces espèces sont soit à l’affût, enfouies dans le sable, soit en approche lente (en milieu pélagique). Les torpilles possèdent deux grands organes électriques réniformes, un de chaque côté de la tête. Ils sont dérivés des muscles hypobranchiaux. Chaque organe se compose d’un certain nombre de colonnes verticales d’électroplaques, circulaires à hexagonales en section transversale. Le nombre des électroplaques d’une seule colonne varie entre 140 et plus de 1 000. Chez une torpille de grande taille, le nombre total peut atteindre le demi-million. La plus forte décharge connue produite par une torpille noire est de 220 volts. Attention donc, prudence ! Ne jamais toucher (sur n’importe quelle partie du corps) les raies torpilles lorsqu’elles sont vivantes. Une astuce : lorsqu’ils démaillent une torpille prise dans un filet, les pêcheurs manipulent ce poisson par le seul endroit du corps où on ne ressent pas de décharge : il s’agit de l’orifice anal. Il faut donc y introduire un doigt et l’on peut alors soulever sans danger l’animal le temps de le démailler. Chez les poissons osseux, on ne rencontre que très peu d’espèces possédant des propriétés électriques ; seule la rascasse blanche (ou uranoscope) possède des organes électriques capables d’émettre des décharges électriques. La rascasse blanche (Uranoscopus scaber) C’est un poisson au corps massif et court, à section quasi circulaire qui s’amenuise novembre 2007-janvier 2008
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Emplacement des organes électriques chez les raies torpilles.
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La rascasse blanche (Uranoscopus scaber), vue latérale et vue dorsale.
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de la tête vers la queue. La tête est très grosse, plate sur le profil supérieur et recouverte de grosses plaques osseuses. Les yeux sont petits, situés sur le sommet de la tête. La bouche est placée verticalement et les mâchoires portent de nombreuses dents villiformes*. On note, au centre de la mandibule, un appendice fin et frangé que l’animal utilise comme un leurre. Une grosse épine venimeuse est présente à l’angle operculaire. Il y a deux nageoires dorsales, la première formée de quatre rayons épineux, la seconde de 13 à 15 rayons mous. Les nageoires pectorales sont très amples et la nageoire caudale a son bord externe arrondi. La coloration est brun-ocre assez sombre sur le dos, plus clair sur les flancs, le ventre est blanchâtre. On remarque des stries brunes longitudinales sur le dos et les flancs. La première nageoire dorsale est noir sombre. La taille varie de 20 à 30 centimètres. C’est une espèce benthique* qui vit sur les fonds sableux et détritiques du plateau continental, de 20 à 150 mètres de profondeur. Elle se nourrit de poissons, de vers et de crustacés. Ce poisson possède deux plaques ovaliformes de structure très complexe situées sur la tête, en arrière des yeux. Ces organes sont dérivés de 4 des novembre 2007-janvier 2008
6 muscles oculaires différenciés en électroplaques empilées, plates et larges, innervées par des nerfs oculomoteurs. Malgré leur taille réduite, ces organes peuvent produire des décharges assez violentes (5 à 6 volts, émises isolément ou par vagues de 10 pulsions à la fréquence de 50 à 100 millisecondes) capables d’étourdir et de paralyser momentanément des poissons évoluant à faible distance de la tête de la rascasse blanche. Ces décharges font partie d’un processus de chasse mis au point par ce poisson : tout d’abord, il s’enfouit dans le sable, ne laissant dépasser que les yeux et le haut de la nageoire dorsale, il agite ensuite son appendice cutané situé sous la mandibule comme un leurre pour
attirer assez près des poissons nageant au-dessus du fond et lorsqu’une proie se présente, la rascasse blanche émet une décharge électrique pour l’étourdir un très bref instant et l’engloutit dans la seconde qui suit. Cette spécificité “électrique” de nombreuses espèces illustre le fait que la perception sensorielle des poissons est multiple et que seules les espèces des milieux dits “extrêmes” (les cavernes ou les grands fonds) sont dépendantes de la réception d’un seul type de signal, qu’il soit chimique, vibratoire, tactile, électrique… Chez la plupart des espèces, les relations spatiotemporelles avec le milieu environnant sont “multisensorielles”, celles-ci utilisant conjointement plusieurs sens. ✚ P • Miniconi R., La pêche et les poissons en Corse, 1994, Éditions Alain Piazzola & La Marge, Ajaccio (réédition en 2001). • Bruslé J. & QuiGnArd J.-P., 2004, Les poissons et leur environnement, Éditions TEC & DOC, Paris. • MArsHAll N. B., 1972, La vie des poissons, Éditions Bordas, Paris.
L > Benthique : se dit d’une espèce en relation constante avec le fond. Emplacement des plaques électriques chez la rascasse blanche.
> Villiforme : qui ressemble à une fourrure longue et touffue.
La rubrique de l’association des amis du parc naturel
Portrait d’oiseau
Le pic épeiche
Un pic épeiche femelle en pleine activité. novembre 2007-janvier 2008
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Cliché S. Cart
par Pasquale Moneglia
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Ritrattu d’acellu l n’y a pas de pivert (ou “pic-vert”) en Corse ! Le seul “vrai” pic présent sur l’île est le pic épeiche… Il y a bien une autre espèce de cette famille, le torcol fourmilier, mais son apparence est plus proche des passereaux que de ses cousins. À noter que les pics épeiches de Corse et de Sardaigne ont un plumage différent de leurs congénères. Et oui, nos pics constituent une sous-espèce* endémique corso-sarde !
Stantari #11
Il est assez facile d’observer le pic épeiche. Son vol onduleux est très caractéristique, mais on l’entend le plus souvent tambouriner contre un arbre creux dans le but d’attirer une femelle. Le pic signale souvent sa présence par un “kik !” aigu, vigoureux, détaché. On peut le surprendre grimpant le long des troncs d’arbres : il se maintient verticalement contre le tronc en s’appuyant sur ses rectrices* rigides et s’accroche au tronc grâce à ses quatre doigts opposés deux à deux. On trouve le pic épeiche des zones côtières jusqu’aux forêts d’altitude. Sédentaire, il occupe son territoire tout au long de l’année et on recense environ un couple pour dix hectares.
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Des trous à pic, mais pas seulement…
Le mâle se reconnaît facilement à sa nuque rouge.
Pour nicher et s’abriter des nuits froides et des mauvaises conditions météorologiques, le pic a besoin de cavités. Et comme on n’est jamais mieux servi que par soi-même, dès la fin mars, le mâle et la femelle creusent une loge. Il leur arrive d’occuper plusieurs années de suite la même cavité, ce qui leur permet
Pic épeiche Nom français : Pic épeiche Nom scientifique : Dendrocopos major harterti Noms corses : u pighju, u beccalegnu, u sallichju Ordre des Piciformes, famille des Picidés Description : Plumage noir et blanc. Deux grandes marques blanches dans le dos. Plumes rouges au-dessous de la queue. Mâle : nuque rouge. Femelle : calotte et nuque noires. Jeune : calotte rouge. Longueur : 22 cm. Envergure : 36 cm. Poids : 70-100 g. Reproduction : voir carte (zone bleue). Effectifs : Europe : 3 à 4 millions de couples ; France : 300 000 couples.
Lexique
Une alimentation variée
> Faune cavicole : faune qui vit dans des cavités.
En été, il recherche essentiellement les insectes en écorçant les arbres et forant dans les troncs ; il les capture grâce à sa langue, très longue, visqueuse et pourvue de nombreux corpuscules, dont l’extrémité est ornée de petits crochets. Occasionnellement, notre ami se nourrit d’œufs ou d’oisillons d’autres espèces. En automne et hiver, le pic devient granivore et se nourrit de graines de conifères, de glands et de faines. Pour accéder aux graines de pin laricio enfermées dans leur cône, le pic transporte et coince la pomme de pin dans une fissure qui fait office d’étau et déchiquette les écailles. Plus original, le pic épeiche perce de petits trous en ligne à travers l’écorce, pour lécher la sève des arbres.
> Rectrice : plume de la queue, qui permet de diriger le vol.
novembre 2007-janvier 2008
> Sous-espèce : subdivision d’une espèce basée sur des critères morphologiques dans le cadre de l’aire géographique.
de faire seulement quelques travaux de réfection plutôt que de creuser un nouveau trou. La femelle déposera de deux à cinq œufs, en avril à basse altitude, en mai dans les boisements de montagne. Mais le pic ne travaille pas que pour son intérêt personnel : il favorise la présence d’une autre faune cavicole*. En effet, les cavités de pic délaissées seront utilisées par d’autres espèces d’oiseaux et par des chauves-souris, comme la grande noctule : la plus grande et la plus rare espèce d’Europe (cf. Stantari n° 8). ✚
Pour en savoir plus • Del Hoyo J., Elliott A. & Sargatal J., 2002, Handbook of the Birds of the World. Vol. 7. Jacamars to Woodpeckers, Lynx edicions, Barcelona. • Dubois P.-J., Le Maréchal P., Olioso G. & Yésou P., 2000, Inventaire des Oiseaux de France, Nathan. • Géroudet P., 1998, Les passereaux d’Europe, Delachaux & Niestlé, tome I. • Thibault J.-C. 2006, Connaître les oiseaux de Corse - Acelli di Corsica, Éditions Albiana. • Thibault J.-C. & Bonnacorsi G., 1999, The birds of Corsica. British ornithologists’ union.
Cliché S. Cart
I
À lire
Sur l’étagère du libraire
par Raphaël Lahlou & Laurent-Jacques Cos ta
Histoire de l’ornithologie
Valérie Chansigaud - Delachaux et Niestlé - 2007 Superbe petit ouvrage, tout en couleur, avec d’innombrables gravures et planches (certaines extraites d’encyclopédies des xviiie et du xixe siècles), cette Histoire de l’ornithologie ravira tant les passionnés d’oiseaux que ceux qui s’intéressent à l’histoire des sciences naturelles. Le texte, fort bien écrit, est à la fois riche et vivant : il retrace l’histoire aventureuse de cette science, les découvertes surprenantes aux confins des mers ; il fourmille d’anecdotes et de petites histoires passionnantes. Mais cet ouvrage est aussi une véritable bible de l’ornithologie dans laquelle l’auteur, docteur ès sciences de l’environnement, ne se prive pas de réfléchir sur l’évolution des sciences naturelles : une évolution fortement influencée par le contexte social et politique des siècles présent et passés. En résumé, il s’agit d’un livre qui attire par la qualité et l’originalité de son iconographie et qui séduit, ensuite, par le ton du récit et de réelles aptitudes à nous emmener en voyage. (Dans la même collection, une Histoire de l’entomologie par Jacques d’Aguilar.) 239 pages – 26 €
Un jour sur Terre
Quatre chansons jaunes
À l’approche des fêtes de fin d’année, voici un “beau livre” qui accompagne la sortie du film du même nom (distribué par la BBC et la Gaumont). Un jour sur Terre est conçu comme un catalogue d’exposition : celle de la biodiversité sous toutes ses formes et dans toute sa splendeur. Illustré par près de 400 photographies aussi belles que surprenantes, ce livre invite à la découverte de la richesse naturelle de notre planète en nous entraînant dans des endroits d’ordinaire inaccessibles, comme les abysses, les déserts ou les glaces des pôles. Nombreuses sont les scènes animalières totalement inédites. Présentés par biotopes, ours, baleines, éléphants, manchots, colibris ou singes, sans oublier quelques magnifiques spécimens du monde végétal et quelques trésors géologiques hallucinants, nous offrent un ballet magique et féerique, en tous points enchanteur : on est plus que séduit, véritablement charmé ! 312 pages – 35 €
Voici quatre poèmes légers et plein du charme rural, chaleureux et vivifiant de Federico Garcia Lorca. Cet album racé et gracieux, plein d’attraits, est adressé à tous ceux que la beauté de l’Espagne et la conscience de la grandeur de la Méditerranée passionnent ou illuminent d’une joie et d’une ferveur vraies. 32 pages – 8 €
Texte de Federico Garcia Lorca et illustrations de Toni Casalonga. Édition trilingue (espagnol, corse, français), traductions de Jep Gouzy, Renée Sallabery et Guidu Benigni. Albiana - 2007
aout-octobre 2007
Stantari #10
Alastair Fothergill - Flammarion - 2007
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Da leghje
Le prince Victor Napoléon Laetitia de Witt - Fayard - 2007
En 1879, le fils de Napoléon III est tué en Afrique du Sud. La succession (tant familiale que politique) passe à son jeune cousin, le prince Victor Napoléon, âgé de dix-sept ans. En 1886, une loi d’exil frappe le prétendant napoléonien, de même que tous les chefs des anciennes familles régnantes de France. À sa mort en 1926, il a rempli avec conscience et énergie son rôle difficile et imprévu – puisque cette prééminence aurait dû être assurée par son père, le prince Jérôme (1822-1891). En 1955, la veuve de Victor, née Clémentine de Belgique, associée fortement au destin politique du prince, mourut. Les deux époux furent alors ramenés en Corse pour être inhumés dans la Chapelle impériale d’Ajaccio. C’est par ce retour posthume et émouvant dans l’île berceau des Bonaparte que s’ouvre le remarquable livre que consacre Laetitia de Witt à son arrière-grand-père. S’il n’avait jamais pu se rendre en Corse, le prince Victor y était resté lié, y compris par son entourage. On goûtera la clarté, la grande richesse archivistique et l’acuité de cette belle synthèse maîtrisée, offrant au public les résultats d’un doctorat magistral, présenté sans pesanteur. Malgré sa longévité politique, le prince Victor est injustement méconnu. Avec éclat et délicatesse, L. de Witt répare cette injustice… 542 pages – 28 €
Autonomistes corses et irrédentisme fasciste (1920-1939)
Jean-Pierre Poli - Éditions DCL - 2007
Stantari #10
Probureau
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Librairie - Papeterie Beaux-arts La Poretta Porto-Vecchio Tél. 04 95 70 27 81 Fax. 04 95 70 25 54
aout-octobre 2007
L’ouvrage de Jean-Pierre Poli, avocat et chroniqueur historique, partageant sa vie entre sa Corse natale et Nice – où il est membre de l’Accademia Corsa –, fera date dans la belle aventure de l’étude des idées et des passions de l’île. Cet ouvrage vient, en fait, combler une lacune regrettable et corrige bien des erreurs de jugement, tant sur le mouvement lui-même que sur la personnalité de son chef, Petru Rocca. En effet, ce livre possède un grand avantage sur ceux, bien rares, qui traitent de l’histoire aventureuse (politique, journalistique et culturelle à la fois) du mouvement “muvriste” : il offre une analyse à la fois générale et dépassionnée. Jean-Pierre Poli étudie le mouvement dans son ensemble. Selon lui, ce dernier doit être compris comme la volonté d’une renaissance politique strictement corse. Le “corsisme” de Petru Rocca devait connaître un échec final après 1939. Cette faillite politique était sans doute inévitable et tenait aux circonstances et complexités de l’époque. Soucieux défenseurs d’une île à rebâtir et à repenser dans tous les domaines, les membres du mouvement, groupés autour du journal A Muvra, ont voulu, avec intransigeance, rendre publics et forts leur véritable passion de la Corse et leur dessein original, en particulier dans le domaine culturel et dans l’illustration linguistique. Cet effort méritait une histoire lucide. C’est réussi ! 340 pages – 22 €
À lire
Le legs Sisco,
un siècle de vie artistique corse (1829-1933)
Ariane JurQuet, Sylvain Gregori, Michel-Édouard Nigaglioni & Audrey Giuliani Éditions du Centre d’Études Salvatore Viale - 2007 L’histoire de ce legs, fait au profit de sa ville natale et de la jeunesse bastiaise par Giuseppe Sisco, a été en partie éclipsée par d’autres legs célèbres concernant la Corse : ceux du cardinal Fesch, du testament de Napoléon ou encore de celui de Pascal Paoli. La vie de Giuseppe Sisco (1748-1830) – éminent chirurgien au service des papes, grande et forte figure de la vie intellectuelle de son temps – est pourtant une belle aventure intellectuelle, humaine et morale. Son parcours et l’importance de son legs sont abordés ici complètement pour la première fois. Six contributions majeures forment la première partie de ce passionant recueil, puis on trouve, dans les deux parties suivantes, un catalogue des œuvres liées à ce legs et les biographies des bénéficiaires. Donateur d’une importante collection d’ouvrages à la bibliothèque de Bastia (un millier de volumes), Sisco lègue à Bastia une somme de 80 000 francs. Celle-ci est destinée à assurer la formation pendant cinq ans, à Rome, de jeunes Bastiais (ou selon les cas, de jeunes Corses résidant dans l’île) désireux de se former en droit, en médecine, en chirurgie ou en peinture, en sculpture, en architecture. Cinquante boursiers en ont ainsi bénéficié jusqu’en 1933… Un catalogue bien construit et élégamment illustré, qui restitue un siècle de culture et de philanthropie corses. 136 pages – 25 €
Stantari sur Frequenza Mora Retrouvez Stantari sur A Frequenza Mora avec Joëlle Orabona dans Atout cœur, tous les premiers mardis du mois entre 19h et 20h.
w w w. b l e u r c f m . c o m
Et toute l’actualité culturelle sur Frequenza Mora, tous les jours dans Dixit, entre 18 h 00 et 19 h 00 aout-octobre 2007
Stantari #10
...et toujours le samedi : • 10h-11h :Valérie Franceschetti et Serge le jardinier • 11h-13h : Da u mare à l’erba santa, le magazine nature de Christophe Zagaglia
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Da leghje
“En revues” par Cécile Breton-Costa
Pour la Science Août 2007 / № 358
Pour la Science, 8, rue Férou, 75278 Paris CEDEX 06 Tél. : 01 55 42 84 00 www.pourlascience.com
L’édition française de Scientific American nous propose un très conséquent dossier sur la préhistoire de l’Afrique de l’Ouest, une vaste région que l’on a très longtemps crue déserte avant le début de l’Holocène (12 000 ans av. J.-C.). Les découvertes récentes montrent qu’il y a près de 500 000 ans que l’homme a conquis ce territoire. On y découvre une grande richesse archéologique, notamment du point de vue de l’évolution des sociétés. En effet, si l’Afrique de l’Ouest connaît les mêmes innovations liées au Néolithique que partout ailleurs (agriculture, céramique), et même parfois de façon plus précoce qu’ailleurs, elle les interprète à sa manière : le modèle standard, qui consiste à passer du statut de chasseurs-cueilleurs nomades à celui d’agriculteurs sédentaires est ici totalement “revisité”. Un beau voyage dans les plaines fertiles du Sahara et une belle leçon d’archéologie !
Bulletin de la Société des Sciences historiques et naturelles de la Corse
Stantari #10
1er et 2e trimestres 2006 / № 714-715
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Société des Sciences historiques et naturelles de la Corse, BP 232, 20 294 Bastia CEDEX. Tél. : 04 95 36 04 21 SOCIETE.SCIENCESCORSE@wanadoo.fr www.societesciencescorse.com
aout-octobre 2007
Notre doyenne des revues scientifiques corses nous propose une riche sélection d’articles où l’archéologie et l’entomologie sont tour à tour à l’honneur. L’archéologie, d’abord avec trois articles : le premier sur la découverte de deux tombes sous abri du Néolithique à Patrimonio. Parce qu’elles sont très rares, ces sépultures constituent de précieux documents sur des pratiques funéraires encore mal connues. On trouve ensuite un article résumant une thèse soutenue à l’université de Corse, qui analyse les systèmes d’entrée des enceintes pré- et protohistorique de Corse (castelli). Enfin, le spécialiste du matériel de broyage (meules) néolithique nous livre le fruit de sa réflexion sur les pratiques alimentaires néolithiques. L’entomologie est représentée par trois articles importants : le premier nous parle de l’histoire du peuplement de l’île, non pas par les hommes, mais par les fourmis. Nous retrouvons dans l’article suivant notre célèbre (déjà évoqué dans Insectes) “ravageur” : le bombyx disparate. Enfin, c’est par l’histoire de l’entomologie que se termine la revue, avec le récit des années corses de Jean-Henri Fabre. On trouvera aussi dans ce numéro des articles historiques et également de l’ornithologie, grâce à la bécassine sourde !
À lire
La Hulotte № 89
La Hulotte 08 240 Boult-aux-bois Tél. : 03 24 30 01 30 lahulotte.fr
Celui que La Hulotte nomme “le garde-fontaine”, c’est le triton. Surnommé Newton, le triton vous invite à découvrir son espèce, toujours avec autant d’humour que d’érudition… et, bien entendu, ces magnifiques illustrations au trait qui ont fait la notoriété de la revue. Une fois encore les ingrédients sont là pour tout apprendre (sans s’en apercevoir) sur cet étonnant amphibien et toutes les variétés que l’on peut croiser en France. Malheureusement, nous n’avons pas de triton en Corse et celle qui garde nos fontaines, c’est la salamandre… à propos, connaissez-vous la différence ?
Insectes
1er et 2e trimestre 2007 / № 144 et 145 Le contenu d’Insectes est toujours si varié qu’il est difficile d’en rendre compte ! Pour en donner cependant une idée, voici quelques articles qui ont retenu notre attention. Quelques mots tout d’abord sur la terrifiante pie-grièche écorcheur, migrateur habitué de notre île. Ce doux nom se traduit dans d’autres pays par “Neuf fois meurtrier” ou l’“Oiseau-boucher” en référence à son habitude d’empaler ses victimes sur des branches épineuses pour se constituer des réserves. Dans le second numéro (145), voici l’histoire d’une catastrophe écologique : l’introduction, en 1869, du bombyx disparate (celui-là même qui s’attaque à nos chênes-lièges) dans le Massachusetts, dans l’espoir de l’hybrider avec le bombyx du mûrier (ou ver à soie). Un élevage qui s’échappe, une véritable pullulation, et dix années de lutte ne suffiront pas à s’en débarrasser… En complément, un autre article sur la terminologie nous apprend à différencier les bombyx. Un détour par le Japon, pays où l’on porte une véritable vénération aux insectes et aux entomologistes, et notamment à Jean-Henri Fabre, plus connu là-bas que dans son propre pays !
La Garance voyageuse Septembre 2007 / № 79
OPIE, BP n° 30, 78 041 Guyancourt CEDEX. Tél. : 01 30 44 13 43, opie@insectes.org www.insectes.org
La Garance voyageuse, 48 370 St-Germain-de-Calberte Tél. : 04 66 45 94 10, info.garance@wanadoo.fr www.garancevoyageuse.org
Tournez la page, abonnez-vous à Stantari ! aout-octobre 2007
Stantari #10
Dans sa rubrique “imaginaire”, La Garance voyageuse nous propose une analyse botanico-littéraire de L’île mystérieuse de Jules Verne, sans “déflorer” l’histoire ! On ne pouvait que citer cet article dont les premiers mots sont “L’île est par excellence le lieu de l’utopie, le lieu de tous les possibles, le lieu de l’accomplissement”. À méditer. Vous trouverez aussi un article présentant un site internet permettant aux apiculteurs d’identifier les plantes butinées par leurs abeilles, un autre sur l’iboga, une plante hallucinogène dangereuse et méconnue, ou encore sur le vin de romarin aux vertus de jouvence !
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