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Le lisier et le fumier comme boucs émissaires
L’épandage de lisier près du sol reste la mesure de réduction la plus efficace. Photo : Vogelsang
La fertilisation fournit au sol les substances prélevées par la production végétale. Ajoutés aux composantes du sol, les engrais de ferme jouent un rôle essentiel dans l’agriculture suisse, bien qu’ils fassent parfois l’objet de critiques.
Ruedi Hunger
Pas de croissance des plantes sans nutriments. En plus des réserves présentes dans le sol et des résidus de culture (grandes cultures), une exploitation agricole avec détention animale dispose en premier lieu de son propre engrais. Les engrais de ferme couvrent entre 60 % et 70 % des besoins en azote et 80 % à 85 % des besoins en phosphore. Il est donc dans l’intérêt de l’exploitant de les utiliser de manière efficace en minimisant les pertes. Des engrais minéraux complémentaires sont utilisés en fonc tion de la culture.
Fumure de grandes cultures La fertilisation n’est qu’une des nombreuses mesures qui contribuent au succès des grandes cultures. Elle consiste à leur fournir des quantités suffisantes de substances afin que leur disponibilité ne devienne pas un facteur limitant lors de la croissance des végétaux.
Fumure des pâturages et des prairies Les variétés végétales des pâturages et des prairies présentent des avantages agronomiques diversifiés. Une fertilisation inappropriée modifie leur composition. La fertilisation des prairies et des pâturages tient certes compte des éléments puisés par les plantes et de la richesse du sol, mais également de la composition botanique de l’herbage.
Engrais de ferme et émissions Selon l’inventaire des émissions de la Suisse, celles d’ammoniac provenant de l’agriculture correspondaient à environ 48 000 tonnes d’azote en 2015. L’épandage de lisier constitue la source d’émissions la plus importante de l’agriculture avec 32 % du total. Pour cette raison, l’Institut des sciences en durabilité agronomique (IDU) d’Agroscope et la Haute école des sciences agronomiques, forestières et alimentaires (HAFL) ont été chargés par l’Office fédéral de l’agriculture (OFAG) et l’Office fédéral de l’environnement (OFEV) de mener un projet de recherche ayant pour titre « Les émissions d’ammoniac après l’épandage de lisier».
pertes d’ammoniac. Les méthodes réduisant les émissions ont été appliquées sur l’épandage de lisier, et l’on constate une constante amélioration de 1990 à 2015. En 2015, 37 % du lisier était épandu par tuyaux, dont 1 % avec des systèmes à patins ou des disques d’enfouissement (rapport Agrammon). Près de 30 % du lisier est épandu en Suisse au moyen de tuyaux. Cela signifie notamment qu’avec ce procédé, les coûts de transport du lisier sont moins élevés qu’avec l’épandage réalisé par citernes à pompe ou à pression. Environ 20 % du lisier est épandu sur des surfaces de grandes cultures, dont deux bons tiers de céréales (2011). Le fumier est un engrais très précieux contenant tous les principaux fertilisants et de nombreux oligo-éléments. Le fumier solide constitue cependant une source importante d’émissions et contient près de 30 % des excrétions d’azote par les animaux d’élevage. Selon Kupper, les émissions du fumier solide représentent environ 10 % des émissions totales de NH 3 (lors de l’épandage). Le fumier montre un autre profil que le lisier, ses émissions durent plus longtemps. C’est pourquoi son incorporation après épandage sur les terres arables est une mesure directe pour les réduire. Entre 1990 et 2015, la proportion de fumier non incorporé après l’épandage a cependant augmenté. Engrais de valeur ou suppôt de Satan ? Le lisier se compose d’un mélange de fèces et d’urine. À ce titre, il constitue un engrais naturel précieux. Il a toutefois une mauvaise image et est plutôt diabolisé par la société. Cela révèle également des contradictions. Alors que les engrais minéraux sont considérés comme toxiques et non biologiques, le lisier de ferme naturel est diabolisé, car mauvais pour le « nez » et l’environnement. Le lisier est produit en quantités variables dans différentes régions, ce qui peut entraîner une augmentation de la quantité de fertilisants à certains endroits. C’est pourquoi le lisier doit être parfois transporté sur de longues distances par la route. Cependant, en raison de sa teneur élevée en eau, le transport du lisier n’est intéressant que dans certains cas. Quand le lisier peut-il (ou pas) être épandu ? Les engrais azotés, qui englobent les engrais de ferme, ne peuvent être épandus que si les plantes peuvent absorber leurs composantes, l’azote en particulier. Les engrais liquides ne peuvent pas être appliqués si le sol est saturé d’eau, gelé, enneigé ou desséché. Un sol est saturé d’eau lorsqu’il n’est plus réceptif (capable d’absorber) et que ses pores sont remplies. Cela devient particulièrement visible lorsque des flaques d’eau restent sur le sol et/ou que le sol se pétrit facilement. Le sol est considéré comme gelé, par définition, lorsqu’un objet pointu (tournevis moyen) ne peut plus y être enfoncé en plusieurs points. Le sol est recouvert de neige si, lors de l’application prévue, la neige reste en place pendant plus d’un jour, en fonction du temps et du lieu. Les émissions issues du fumier durent plus longtemps que celles provenant du lisier. Photo: Ruedi Hunger Possibilités d’acidification du lisier (AgroCleanTech) Acidifier avec… Formule chimique Remarque Effets secondaires Acide sulfurique H 2 SO 4 Acide minéral Acide corrosif: attention à la sécurité au travail. S’utilise commercialement au Danemark pour l’acidification du lisier. Acide lactique C 3 H 6 O 3 Acide organique Faible formation de mousse lorsqu’on l’ajoute au lisier. L’acide se décompose rapidement. Acides provenant de résidus organiques Ajout de sucre ou d’amidon Les micro-organismes et les hydrates de carbone présents dans le lisier permettent la fermentation. De l’acide carbonique se forme et la valeur du pH s’abaisse (évtl. émission d’odeur). Trois variantes d’acidification du lisier Étable Le lisier frais est conduit dans un réservoir séparé, puis de l’acide sulfurique est ajouté. Le lisier est aéré pour éviter la formation de mousse et de sulfure d’hydrogène. Le pH augmente à nouveau en cours de stockage. Fosse à purin L’acide est ajouté soit peu avant l’épandage du lisier, soit déjà lors du remplissage de la fosse à lisier, ceci avec un brassage intensif. La mousse qui se forme doit être enlevée. Épandage du lisier Méthode de terrain. L’acidification a lieu directement lors de l’épandage du lisier. Possibilité d’équiper ultérieurement le tonneau et/ou le tracteur (hydraulique avant ou tonneau).
Le sol est qualifié de desséché si l’eau déversée en surface ne s’infiltre pas en l’espace de 30 secondes. Les exigences définies en matière de distance aux cours d’eau et aux zones tampons doivent être respectées (voir l’article page 13 de la présente édition et la brochure Agridea). (Source : Aide à l’exécution pour la protection de l’environnement dans l’agriculture)
Émissions d’ammoniac • Effet de la période du jour Selon le rapport final de 2016, les émissions d’ammoniac varient selon la période du jour durant laquelle le traitement a lieu. Toutefois, elles y sont quantifiées différemment. Les émissions s’avèrent bien moins importantes lorsque l’épandage du lisier se réalise le matin. S’il a lieu le soir ou à midi, les valeurs mesurées ne diffèrent que légèrement (un peu moins élevées le soir). Il n’est pas certain, mais plus que probable, que la période d’application exerce moins d’influence sur la réduction des émissions que l’utilisation de tuyaux souples ou de patins d’épandage plutôt qu’un dispositif à déflecteur. La perte beaucoup plus faible lors de l’épandage le matin devrait être vérifiée par des tests supplémentaires afin de fiabiliser les résultats. • Évolution des émissions dans le temps Les émissions cumulées en 24 heures par rapport à la perte en 96 heures correspondent à quelque 82 %. Cet ordre de grandeur vaut pour toutes les techniques d’application, avec de faibles écarts seulement. Il faut en conclure que, dans tous les cas, les premières 24 heures se révèlent déterminantes en matière de niveau des émissions. • Influence du type de lisier En comparaison directe, les émissions provenant du lisier de porc (Ø 12 % TAN, voir encadré « Terminologie» page 25) sont inférieures d’environ un tiers à celles du lisier de bovin. Quant à l’évolution temporelle des émissions, aucune différence entre les différents types de lisier ne peut être constatée.
Comment le lisier se transforme-t-il en particules fines? Quiconque a déjà épandu du lisier sur un champ se demandera quel est le rapport entre celui-ci et les particules fines. Ce qui semble invraisemblable à première vue s’explique fort bien en y regardant de plus près, et même le lisier peut pro
Technique Agricole 2 2020 La séparation ne garantit pas la réduction des émissions, en particulier lorsque la partie solide est également prise en considération. Photo: Ruedi Hunger
duire des particules fines nocives. Explication : • La poussière fine est la somme de toutes les particules d’une certaine taille en suspension dans l’air. En bref, toute particule sphérique flottante, de 1 µm de diamètre, est appelée particule fine. • Les particules fines primaires sont produites directement à la source: les tourbillons (de poussière) et les résidus de combustion par exemple. Les particules fines secondaires se forment à partir des gaz présents dans l’atmosphère, par exemple à partir des émissions d’ammoniac du fumier. Ainsi, des particules de sel ultrafines, mais facilement solubles, classées comme particules secondaires, peuvent se former avec les oxydes d’azote et de soufre. • Les particules fines ne s’expulsent pas en toussant. En conséquence, elles atteignent les voies respiratoires profondes, où elles sont absorbées dans l’organisme par les muqueuses. Ce n’est donc pas que le tissu pulmonaire qui est endommagé. • D’une manière générale, plus les particules de poussière sont fines, plus elles sont dangereuses pour l’organisme.
Diminution des émissions par acidification L’acidification du fumier constitue une technique reconnue pour la réduction des émissions d’ammoniac. Elle compte actuellement (encore) parmi les mesures spécifiques mises en œuvre dans des cas individuels, généralement avec un soutien technique et scientifique. L’acidification du lisier s’effectue dans l’étable, pendant le stockage ou lors de l’épandage. L’objectif consiste à abaisser la valeur du pH du lisier. L’ammoniac (NH 3 ) et l’ammonium (NH 4 ) se trouvent généralement en équilibre chimique dans le lisier. Si la valeur du pH est abaissée, l’équilibre se déplace en faveur de l’ammonium, élément qui ne peut pas s’échapper sous forme de gaz. La valeur cible de l’acidification est d’environ pH 5,5 à 6,0. Selon le processus, cette valeur est nécessaire pour obtenir une réduction notable des émissions. Cela modifie les propriétés physico-chimiques du lisier. La valeur cible du pH dépend du type de lisier et du procédé (voir tableau page 23). L’acidification est obtenue, par exemple, par l’ajout d’acide sulfurique (H 2 SO 4 ). Il en faut environ 5,5 kg/m 3 de lisier de bovins et jusqu’à 15 kg/m 3 pour du lisier de porc. L’acide sulfurique est corrosif et, en tant que matière dangereuse, doit se manipuler avec précaution. La HAFL, mandatée par l’OFAG, a réalisé une étude à ce sujet et l’a documentée en conséquence (https://www.ammoniak.ch/fr/ mesures/betail-bovin, projet HAFL réduction des pertes d’ammoniac).
Réduction des émissions par séparation La séparation solide-liquide du lisier doit permettre de réduire les émissions d’ammoniac. La question de la mesure dans laquelle ce procédé atteint vraiment cet objectif est controversée. Diverses études établissent une réduction des émissions après l’épandage de la partie liquide par
• N tot = azote total • NH 3 = ammoniac • NH 4 = ammonium • TAN = somme de NH 3 et NH 4 (azote ammoniacal ou total ammoniacal nitrogen en anglais)
L'acidification du lisier permet de réduire les émissions d’ammoniac. Photo: SyreN rapport au lisier non traité. D’autres études, portant aussi bien sur la fraction liquide que la fraction solide, montrent des émissions supérieures pendant le stockage, en particulier lorsque la partie solide est compostée. Afin d’obtenir davantage de certitude dans l’évaluation du potentiel de réduction des émissions par la séparation du lisier, la HAFL a réalisé une étude sur ce sujet en 2015. Conclusion Il n’y a pas d’épandage de fumier de ferme sans émissions. Moyennant de bonnes pratiques et grâce à la technologie disponible aujourd’hui, les émissions peuvent être réduites au minimum. Nombre de questions sur le potentiel de réduction restent cependant sans réponse, une situation insatisfaisante. Il n’existe, par exemple, aucune donnée scientifique fiable quant à l’effet réducRemarque sur le graphique L’application Hoduflu sert à gérer les transferts de nutriments que chaque exploitation doit enregistrer dans son « Suisse-Bilan ». Tous les transferts d’engrais de ferme ainsi que d’engrais recyclés dans ou hors de l’agriculture sont enregistrés par le producteur dans Hoduflu avec les bons de livraison à l’appui. Les obligations légales sont ainsi remplies. teur sur les émissions de la séparation du lisier tout au long de la chaîne des engrais de ferme. Certaines études montrent que l’abaissement du pH du lisier entraîne la réduction des émissions d’ammoniac. Cependant, les conséquences pour les cultures n’ont pas encore été définitivement clarifiées. Les robots d’évacuation du fumier ont le potentiel de réduire les émissions d’ammoniac grâce à des nettoyages fréquents. Mais ces hypothèses ne sont pas encore fondées scientifiquement. Bovins 8000 4000 6000 2000 7000 3000 5000 1000 0
2014 20162015 2017 2018 Nutriments par catégorie d’animaux Fertilisants (N et P) en tonnes Volaille Porcs
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