2014-01 - BD Nostalgia #8 - Édition Spécial

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janvier 2014

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Édition Spécial

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En 1973, LA PLANÈTE SAUVAGE, le premier long-métrage d’animation réalisé par René Laloux, connaît un grand succès. Ce succès est d’abord critique : l’œuvre est retenue pour la sélection officielle du Festival de Cannes (exceptionnel pour un film d’animation, d’autant plus qu’il s’agit d’un titre de science-fiction), et il y reçoit même le Prix Spécial. De plus, c’est un succès public conséquent, qui connaît une certaine renommée à l’étranger. Toutefois, c’est plutôt Roland Topor (co-scénariste et concepteur du graphisme) qui reçoit les lauriers, d’autant plus qu’il était alors une personnalité fort en vue, notamment pour son travail au sein du collectif artistique de tradition surréaliste qu’il a fondé avec Alejandro Jodorowski, Arrabal et Jacques Sternberg : le Groupe Panique, qui vient de voir son travail récompensé par une exposition au Grand Palais en 1972. Laloux ne recueille donc pas vraiment les fruits de son travail. Il s’engage pourtant, avec le producteur Michel Gillet, dans la production d’une série télévisée de six dessins animés de science-fiction d’une heure chacun, inspirés par six romans de Stefan Wul. Chaque épisode doit voir sa direction artistique confiée à une illustrateur de la revue pionnière de bande-dessinée pour adultes “Métal Hurlant”. Jacques Dercourt, producteur pour la télévision, est contacté, et s’attache au projet. De fil en aiguille, on se réoriente vers un long-métrage

destiné au cinéma : LES MAÎTRES DU TEMPS. Il s’agit d’une adaptation de “L’Orphelin de Perdide”, roman de science-fiction publié en 1958 par le français Stefan Wul (Pierre Pairault de son vrai nom), par ailleurs auteur de “Oms en Série”, dont LA PLANÈTE SAUVAGE est une transposition. La conception du graphisme est confiée à Jean Giraud, alias “Moebius”, qui, comme Druillet ou Caza, est un des dessinateurs vedettes de “Métal Hurlant”. L’influence de cette revue se fait alors sentir jusqu’aux USA, et Moebius a déjà travaillé sur plusieurs projets de cinéma. Avec plusieurs autres noms liés à cette revue (dont Giger), il oeuvre sur une adaptation du roman “Dune” par Jodorowski, à la fin des années 1970. Ce projet extrêmement ambitieux n’aboutit pas suite au désengagement de son producteur. Néanmoins, un scénariste attaché à cette entreprise, un certain Dan O’Bannon (réalisateur, plus tard, du RETOUR DES MORTS-VIVANTS), se souvient d’eux lorsqu’il travaille sur la préparation d’ALIEN de Ridley Scott. Il glisse leurs noms à ce réalisateur, qui les contacte. Toutefois, l’implication de Moebius sur ce titre sera mineure, surtout si on la compare à l’apport de Giger. Par contre, son travail sera utilisé avec plus de soin sur le visionnaire TRON de Steven Lisberberg, où il crée des costumes et des véhicules, et dessine le story-board de certaines séquences. BD Nostalgia

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L’auteur de romans policiers Jean-Patrick Manchette rédige l’adaptation de “L’Orphelin de Perdide”, tandis que Moebius effectue, en collaboration avec Laloux, un story-board complet du film. Si LA PLANÈTE SAUVAGE a été réalisé avec la coopération d’une équipe tchèque, la confection des MAÎTRES DU TEMPS se fait, pour des raisons de coût, en Hongrie. Toutefois, cette genèse est douloureuse, notamment à cause d’un travail qui progresse trop lentement et d’équipes fournissant des séquences de qualité inégale. La musique est composée par Jean-Pierre Bourtayre (l’auteur du générique de l’émission “Champs-Élysées” !), tandis que les paroles des deux chansons sont écrites par Jacques Lanzman. Le casting des voix françaises est constitué essentiellement d’acteurs travaillant pour la télévision et le doublage, mais on trouve aussi, pour le maître de cérémonie Xul, le grand acteur Alain Cuny (LES VISITEURS DU SOIR de Marcel Carné...). Sur la planète Perdide, Claude, accompagné par son jeune fils Piel, fuit, à bord d’un véhicule tout-terrain, une menaçante nuée de frelons extra-terrestres. Leur course est interrompue par un accident. Claude, gravement blessé, envoie Piel se réfugier dans les dolons, une forêt très dense où l’enfant sera à l’abri des insectes tueurs. Il lui confie un micro émetteur-récepteur, qu’il présente au garçon comme son ami Mike. Il lui recommande de suivre tous les conseils que Mike lui donnera. 4

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Juste avant d’envoyer Piel dans les dolons, il adresse à son ami Jaffar, un pilote intergalactique, un message de détresse le suppliant de rester en contact avec le petit garçon par l’intermédiaire du micro. Jaffar reçoit le message avec retard, sans doute après la mort inévitable de Claude. Il prend contact avec le petit Piel et, avant de partir pour Perdide, lui donne quelques conseils de base avec l’aide d’une passagère, Belle. Mais, le prince Matton, autre passager du vaisseau et compagnon de Belle, voit d’un mauvais oeil ce changement de direction imprévu. Jaffar décide, avant toute chose, de se rendre sur Devil’s Ball, la planète où vit Silbad, un vieux flibustier de l’espace qui a bien connu Perdide, afin de lui demander de l’aide... Même si elle respecte fidèlement le déroulement des évènements de “L’Orphelin de Perdide”, son adaptation prend tout de même quelques libertés. D’abord, l’épisode de Gamma 10 n’a pas vraiment de rapport avec ce qui se passe dans le livre : Jaffar n’y était pas prisonnier d’un peuple d’hommes-oiseaux obsédés par la conformité et l’unité, mais par une plus banale bande de pirates interstellaires menée par un chef cruel. Les deux petits extra-terrestres télépathes Jad et Yula ont été ajoutés, afin de commenter et d’expliciter l’action et ses implications, comme un espèce de chœur antique. Surtout, un changement de taille est opéré : en effet, le livre de Wul n’aurait pas pu s’appeler LES MAÎTRES


DU TEMPS pour la bonne raison que ces personnages n’existent pas dans “L’Orphelin de Perdide”. Dans le roman, le rebondissement final était expliqué d’une autre façon, liée au voyage intersidéral et à la vitesse de la lumière.

encore mise en valeur par le rythme que Laloux donne à son film. Refusant de céder à la précipitation, il sait faire le choix de la contemplation et laisse au spectateur le temps de savourer les sidérantes inventions visuelles de Moebius.

LES MAÎTRES DU TEMPS est en effet basé essentiellement sur un voyage à travers l’espace, voyage mené par Jaffar, présenté comme un pilote indépendant et courageux, qui visite deux planètes, à savoir Devil’s Ball, puis Gamma 10, tandis qu’il cherche à atteindre Perdide, sur laquelle l’attend Piel. Une des grandes réussites du film est sa description de ces mondes différents, auxquels on peut ajouter, à la fin du métrage, la base des maîtres du temps. Chaque univers a sa personnalité propre, que recréent avec un luxe de détails et d’invention inouï les décors créés par Moebius. Devil’s Ball est un endroit idyllique, imposant et apaisé, mais aussi désert et silencieux, tandis que Gamma 10 est aride et hostile. Ces atmosphères singulières et ce dépaysement fantastique est encore renforcé par un excellent travail sur les “paysages sonores”, à savoir les ambiances créées à partir de bruitages électroniques par Pierre Tardy et Christian Zanesi. Enfin, cette réussite est

L’environnement le plus réussi des MAÎTRES DU TEMPS est sans doute la forêt des dolons, sur Perdide, dans laquelle se déroulent les aventures de Piel, livré quasiment à lui-même dans un univers à la fois merveilleux et dangereux. Sa faune et sa flore forment un ensemble cohérent, d’une invention éblouissante, tandis que le personnage de Piel, très vulnérable et découvrant un univers totalement inconnu et rempli de surprises, est très attachant. Ses déambulations dans cette forêt de grosses lianes rouges constituent sans doute les passages les plus extraordinaires et les plus réussis des MAÎTRES DU TEMPS. Les aventures des adultes peuvent paraître, en comparaison, un peu moins accomplies, notamment au niveau technique. Ainsi, l’animation de certains personnages comme Jaffar, Belle ou Matton, n’est pas totalement satisfaisante. Néanmoins, le récit est mené à BD Nostalgia

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un bon rythme, et l’aventure sur Gamma 10, même si elle peut paraître un peu hors-sujet par rapport au récit principal, est heureusement intéressante grâce à son propos intelligent et son originalité visuelle. Par rapport à LA PLANÈTE SAUVAGE, LES MAÎTRES DU TEMPS offre une approche de la science-fiction visuellement plus technologique et, donc, plus “réaliste”, s’inscrivant, par certains aspects (les vaisseaux spatiaux), dans une tradition cinématographique plus classique. Cela n’enlève rien aux qualité

d’invention du film, et lui donne même un ton peutêtre plus abordable. Pourtant, à sa sortie, certains journalistes lui ont reproché d’avoir des visées familiales, voire de sacrifier certaines ambitions artistiques afin de toucher, horreur suprême, un public d’enfants ! LES MAÎTRES DU TEMPS est effectivement un dessin animé abordable pour les jeunes spectateurs, qui ont constitué, depuis sa sortie, une grosse part de son public. Mais Laloux respecte le public, y compris les enfants dont il parle comme de “poètes en pleine ouverture” dans un entretien de cette époque. Il fait alors le choix de l’intelligence et de l’émotion, et refuse toute concession à la vulgarité et à la mièvrerie. Beaucoup plus tourné vers la poésie, l’émerveillement et la contemplation que vers le bruit ou l’action, LES MAÎTRES DU TEMPS réussit un des paris les plus difficiles en offrant une oeuvre exigeante, satisfaisant à la fois les adultes et les enfants. A ce titre, il se range aux côtés de chefs-d’œuvre rares, comme LE ROI ET L’OISEAU. Dès lors, le caractère inégal de l’animation, qui allie le meilleur (Perdide) au moins bon (l’intérieur du vaisseau), paraît négligeable au vu d’un ensemble aussi original et attachant que LES MAÎTRES DU TEMPS. Sa conception s’est étagée de 1977 à 1982, à partir d’un pays (la France) où l’industrie du cinéma d’animation était si moribonde que la réalisation d’un long métrage 6

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aussi ambitieux aurait été, pour quelqu’un d’autre que René Laloux, une mission impossible. Malgré des contraintes matérielles évidentes, il a réussi à faire des MAÎTRES DU TEMPS un film magnifique, émouvant, qui, au même titre que son inoubliable plan final, reste à jamais gravé dans l’esprit et le cœur de ses spectateurs. Par la suite, Laloux adapte encore un classique de la littérature fantastique française : “Gandahar, Les Années Lumières”, le premier roman de Jean-Pierre Andrevon. Ce projet, que Laloux préparait depuis les années 1970 avec le dessinateur Caza, se concrétise, non sans de nombreuses difficultés, en 1988 sous le titre GANDAHAR. Le 14 mars 2004, alors que le DVD français des MAÎTRES DU TEMPS est sur le point d’être distribué en magasin, on apprend le décès de René Laloux. Si sa carrière n’a pas été aussi profuse qu’on l’aurait voulue, il a néanmoins réussi à consacrer sa carrière uniquement au fantastique et à l’animation dans l’industrie cinématographique française, qui leur est, hélas, peu favorable. Avec ses trois longs-métrages, dont la renommée est internationale, il est, avec Méliès, le seul maître du cinéma de science-fiction à avoir oeuvré dans le pays de Jules Verne. Opening sort donc, dans ces circonstances tragiques, un nouveau DVD des MAÎTRES DU TEMPS, film jusqu’ici seulement disponible dans une édition américaine recadrée. Cette nouvelle édition collector est présentée dans un coffret regroupant deux DVD : un pour le film et un pour ses suppléments. Le premier DVD propose le film dans un nouveau télécinéma (format panoramique d’origine 1.66, avec option 16/9) absolument superbe, retranscrit sur un DVD simple-couche. Couleurs resplendissantes, fixité parfaite, contrastes impeccables... Rien à redire de ce côté, c’est un vrai régal de redécouvrir LES MAÎTRES DU TEMPS dans de telles conditions. On peut repérer quelques très rares soucis d’état (dans la scène de natation sous-marine, par exemple) et la compression, généralement invisible, peut être perçue dans certaines scènes très sombres (quelques plans dans l’espace...). Globalement, c’est un très beau travail. La bande-son française est proposée en deux formats : ou bien dans son mixage mono d’origine, d’excellente qualité ; ou bien dans un nouveau mixage Dolby Digital 5.1. Disons-le tout net, ce dernier est une superbe réussite. Se situant à des années-lumière de sinistres bricolages du type Arkamis, il s’agit d’un travail remarquable, utilisant les éléments originaux de la bandeson pour composer une piste subtile (excellent usage des voix arrières pour les “paysages sonores”, notam-


ment), qui ne cherche certainement pas à en jeter plein les oreilles du spectateur (même si certains passages, comme l’épisode de Gamma 10 ne sont pas avares en puissance), mais bien plus à proposer une ambiance originale. Bravo.

disponible, tandis qu’on peut encore visionner un beau cadeau : le court-métrage d’animation de René Laloux COMMENT WANG FO FUT SAUVE. Réalisé avec l’aide de Caza et sorti un an avant GANDAHAR, il est l’adaptation d’une nouvelle de Marguerite Yourcenar, elle-même influencée par une légende chinoise. Ce film Le second DVD (une seule couche, à nouveau) pro- est loin d’être présenté dans des conditions aussi oppose d’excellents bonus. On trouve, en premier lieu, un timales que LES MAÎTRES DU TEMPS (pas mal de excellent “Making of” de quarante minutes, proposant défauts d’état, notamment), mais ne boudons pas notre des interviews récentes des créateurs des MAÎTRES plaisir pour autant ! DU TEMPS (Laloux, Moebius, les producteurs Jacques Dercourt et Michel Gillet...) et de journalistes On ne Avant de conclure, émettons tout de même un petit s’explique pas bien la présence, parmi les intervenants, regret : à la sortie des MAÎTRES DU TEMPS, Laloux du producteur Aton Soumache, qui n’a pas participé au déclarait que son dessin animé a été fait à partir de la projet et ne semble pas détenir d’informations très in- piste sonore anglaise, qu’il avait soigneusement supertéressantes. Mais cela ne pèse pas bien lourd face aux visée, tandis que la version française est un doublage qualité de ce document qui est un quasi-sans fautes. On fait plus tard. La présence de cette piste anglophone aupeut aussi consulter une interview de l’écrivain Stefan rait peut-être pu être un supplément intéressant ? Wul, décédé récemment, qui revient, durant un bon Mais bon, l’édition proposée ici est remarquable. On quart d’heure, sur sa carrière, ainsi que sur “L’Orph- apprécie particulièrement un soin du détail et de la finielin de Perdide” et LES MAÎTRES DU TEMPS. Un tion qui fait vraiment plaisir à voir (galerie de dessins bonus propose de comparer une séquence du film et défilant sur un fond musical, menus illustrés par des son story-board original (signé Moebius, rappelons-le longs extraits de la musique du film, documents vidéos !), à l’aide d’une option multi-angle. On peut ensuite soigneusement captés et montés, gestion agréable de consulter quelques dessins préparatoires en couleurs, la fonction multi-angle dans la consultation du stotoujours par Moebius, qui défilent durant trois minutes. ry-board...). Bref, Opening nous offre une très belle La bande-annonce française d’origine est bien entendu édition pour un titre qui n’en méritait pas moins. BD Nostalgia

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