Synapse n°3

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N°3 - Octobre - Novembre -Décembre 2012

M A G A Z I N E D E S É T U D I A N T S D E L A F A C U LT É D E M E D E C I N E D E T U N I S

« La Médecine, c’est de l’Amour » :

Rencontre avec

Dr. Cherif RAÏS Have you ever heard of

Patch Adams ?

Mariem

Dossier

BEN CHAÂBENE, le nouveau coup de cœur des tunisiens

Magazine distribué gratuitement

Retour sur la Crise de

l’Hospitalo-…universitaire ? j’aime



MAGAZINE DES ÉTUDIANTS DE LA FACULTÉ DE MEDECINE DE TUNIS

édito E

RÉDACTEUR EN CHEF Chedi Mhedhebi

RÉDACTEUR EN CHEF ADJOINT Oussama Aouina

COMITÉ DE RÉDACTION Cyrine Ben Saïd Ferid Bouothamni Khaoula Boughizene Mehdi Tebrouri Mohamed Zarrami Mona Chebaane Selim Khrouf

PHOTOGRAPHE Sandra Mghaieth

ONT CONTRIBUÉ À CE NUMÉRO Cyrine Ouerghi Inès Aissa Ines Boughzela

REMERCIEMENTS Pr. Ahmed Maherzi Dr. Cherif Raïs Mariem Ben Chaâbene Pr. Mohamed Jouini Dr. Mohamed Salah Ben Ammar Yahia Boulahia

CONCEPTION & RÉALISATION mim éditions : 71 950 330

n prenant le flambeau -ou plutôt le clavier- pour écrire cet édito, j’eus une pensée, un moment de recul, de ceux que l’on traverse rarement dans cette vie que l’on passe à badiner avec le superficiel. Cet accès de philosophie, je ne l’ai pas vu arriver, il jaillit en moi tel une étincelle, et cela tombe bien, puisque l’on parle ici de flambeau. Ma réflexion se dirigea d’abord vers mon prédécesseur, celui qui vous parlait grâce à ce même espace, au même moment, il y a de cela un an jour pour jour. Je tiens d’ailleurs à lui rendre hommage, pour avoir su me transmettre l’esprit de ce magazine. Mais mes pensées ne tardèrent pas à dépasser cette préoccupation personnelle, pour aller s’égarer dans l’antre d’un concept beaucoup plus vaste : La Succession. La Succession, c’est un enchaînement, l’enchaînement de la vie. C’est ce que nous faisons depuis notre existence, nous succédons les uns aux autres. Mais elle est marquée en Médecine plus que dans tout autre domaine ; l’externe d’aujourd’hui portera un jour la blouse de son professeur. Il se souviendra à coup sûr des enseignements de son mentor, et il héritera de ses plus vieux réflexes. La Succession est donc aussi synonyme de transmission, la condition sine qua non à son accomplissement. Ceci est la responsabilité de nos Seniors, le lourd héritage qu’ils nous lèguent chaque jour. Inhalez donc de ce trésor que vous offrent vos maîtres pour leur succéder un jour, la curieuse similarité entre « succès » et « succession » n’étant peut-être pas fortuite… A travers ceci, je m’adresse surtout aux nouveaux venus, aux « première année », car ce numéro est le leur, celui de l’intégration : Pour l’instant, vous vous souciez, en toute insouciance, du dernier cours de biochimie. C’est naturel, mais sachez que le temps passe vite, et que le bout du tunnel n’est pas loin. A un moment crucial de l’avenir de la médecine tunisienne, où vos aînés se battent pour arracher leurs droits, vos droits, vous aussi vous devrez faire des choix. Vous aussi, vous aurez à livrer des combats, peut-être pas les mêmes, mais des batailles qui seront tout aussi âpres. C’est en forçant votre destin, en vous dressant contre un système qui vous étouffe de toute part, que vous réussirez à être à la hauteur des attentes. C’est ainsi qu’un Cherif Raïs, pourtant éclaboussé par l’aura d’un père célébrissime, a réussi à s’affirmer et à réaliser son aspiration, celle de donner la vue. C’est aussi comme cela qu’un Patch Adams, enfant terrassé par l’injustice de ce monde, se releva, contre dogmes et préjugés, pour construire un rêve fou, une médecine inimitable. Marcher sur les traces de ceux-là est possible, il suffit juste de le vouloir, et de ne pas se laisser engourdir par le système. Et la Succession, nous la vivons au quotidien. C’est l’infirmier qui vous tient fermement la main, pour vous empêcher de trembler, alors que vous vous apprêtez à faire votre première piqûre. C’est votre encadrant, qui vous désigne pour diagnostiquer le cas en question, devant tout le staff. Mais c’est aussi votre maîtresse du primaire, qui vous ensanglantait les doigts, parce que vous n’aviez pas appris les règles de la multiplication. La Succession, c’est ce qui nous forme, c’est ce que nous faisons dans cette vie, c’est ce que nous sommes. C’est ainsi que je choisis, avant de m’envoler vers des cieux bien lointains, de clore cet instant de hauteur par une citation de Paul Valéry, qui illustre parfaitement ce qui a été dit ci-dessus : « Il n’y a point de doute que vous ne soyez le flambeau même de ce temps. »

Par Chedi MHEDHEBI Synapse N°3 Oct. - Nov. - Déc. 2012

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MAGAZINE DES ÉTUDIANTS DE LA FACULTÉ DE MEDECINE DE TUNIS

Sommaire Mot du senior 5

INSOLITES

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MÉDECINS À LA UNE

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H av e y o u e v e r h e a r d o f

PATCH ADAMS ?

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Religion 12

DOSSIER :

LA CRISE DE L’HOSPITALO -UNIVERSITAIRE Rencontre avec Dr Cherif

RAIS

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ASSOCIA-MED Intégrez vous ! Sommes-nous malades de la Médecine ?

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MARIEM BEN CHAÂBENE

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Une chanson, un film, un bouquin ... 37

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RÉFLÉRIONS

Eté et rentrée 2012 en Tunisie : De plus en plus d’hôpitaux incendiés et sacagés ...

Yahia BOULAHIA

Ines BOUGHEZLA

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MAGAZINE DES ÉTUDIANTS DE LA FACULTÉ DE MEDECINE DE TUNIS

DR. CHÉRIF RAIS

LE MOT DU SENIOR

Le Fils du Père de l’Ophtalmologie Tunisienne

« Etre tolérant, sans préjugés, c’est être compréhensif. Et être compréhensif c’est être grand », Lao Tseu Je voudrais transmettre un message plein d’optimisme et de foi en l’avenir de l’humanité, dans le sens où il est impératif de laisser des traces et transmettre aux générations futures nos expériences et notre savoir... Les connaissances humaines... Elles sont faites pour être échangées et procurer un appui réciproque ; nous ne sommes en aucun cas les propriétaires du savoir, mais seulement les dépositaires de ce savoir. Ainsi, je le répète, vous n’êtes pas les Hommes de votre temps ; vous êtes les Hommes de l’avenir. Ce ne sont ni les richesses, ni les honneurs, ni les applaudissements du vulgaire que vous devez ambitionner, c’est l’immortalité, comme gloire. Le second volet, après celui de la transmission et du partage, concerne les rapports médecin/ malade. Soigner un homme implique du temps pour écouter et pour dialoguer ; une très grande attention à ses conditions de vie, à son histoire ; un examen clinique attentif ; des offres d’aide à la solution d’éventuels problèmes sociaux ; des avis concernant les modes de vie ; des propositions diagnostiques et thérapeutiques fondées sur des données scientifiques irrécusables, sans oublier celle de ne rien faire, d’attendre et voir... puis expliquer, informer et rassurer. Au fil des années de ma pratique médicale, instruit par l’expérience, j’ai fini par comprendre que de nombreux patients que l’on traite souvent depuis des mois ou des années ne sont pas atteints d’une maladie, mais de mal-être... Leurs symptômes sont liés aux difficultés relationnelles, aux contraintes, aux frustrations de la vie quotidienne, aux deuils répétés nés de l’échec de leurs projets, à la vieillesse, à leurs problèmes économiques, professionnels, affectifs, sociaux… Au fil des années, j’ai aussi compris que la qualité des résultats médicaux, mais aussi du bienêtre des patients, dépend, certes des compétences scientifiques, du respect des normes et des procédures scientifiques, mais elle est également étroitement liée à la qualité d’accueil, de compréhension et de partage, au respect des désirs des patients, « au goût des autres ». Je souhaite seulement aux générations futures de découvrir cette autre dimension de notre métier...

Le Dr. Cherif Raïs a aussi gracieusement accepté de nous accorder une interview, nous vous invitons à la découvrir pour mieux connaître ce personnage extraordinaire.

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DERRIÈRE LES YEUX MARRONS SE CACHENT DES YEUX BLEUS I N S O L I T E S

Sous les pigments marrons des yeux marrons se cachaient des yeux bleus… Un médecin américain a découvert que sous les pigments marrons des yeux marrons se cachaient des yeux bleus… Une opération permettrait d’obtenir un regard bleuté, rendant obsolète les lentilles. La science n’a pas de limites dans ses découvertes… Désormais il s’avère que les yeux marrons ont pour couleur naturelle le bleu. Le médecin américain Gregg Homer, du Stromal Medical de Californie, a fait cette in-

croyable découverte. Il promet à ses clients les yeux bleus grâce à une opération de 20 secondes brûlant les pigments marrons… L’opération qu’il propose, consiste à éliminer les pigments marrons à la surface de l’iris, avec l’aide d’un laser. Deux à trois semaines après l’opération vos yeux devraient devenir et rester bleus. Annoncée sans danger, des nouveaux tests cliniques doivent toutefois être effectués pour confirmer le mode opératoire et ses résultats.

CETTE FILLE A APPRIS L’ALLEMAND APRÈS UN....COMA ! A son réveil, Sandra Ralic, 13 ans, ne savait plus parler sa langue natale. Ses parents expliquent que la jeune fille venait de commencer à apprendre l’allemand à l’école. Pour progresser, elle lisait, avant l’incident, des livres en allemand et regardait la télévision germanophone. Croatie – une jeune Croate qui commençait tout juste à étudier l’allemand s’est soudainement mise à parler couramment cette langue après être restée 20 heures dans le coma.

Les médecins, troublés par ce comportement, souhaitent désormais expliquer scientifiquement ce changement brutal. «On ne peut jamais savoir exactement comment le cerveau réagira à

la sortie d’un coma» a déclaré le directeur de l’hôpital.«Évidemment, nous avons des théories mais pour l’heure, nous préférons respecter l’intimité du patient». «Auparavant, nous aurions tout simplement décrété qu’il s’agit d’un miracle», a ajouté le Dr. Mijo Milas, expert psychiatrique. «Aujourd’hui, nous préférons penser qu’il y a une explication logique à cela, mais nous ne l’avons pas encore trouvée».

OUI, ON PEUT MOURIR D’UN CHAGRIN D’AMOUR ! Des médecins américains affirment que l’on peut mourir d’un cœur brisé. Un syndrome qui a l’apparence d’une crise cardiaque mais qui n’en est pas une. « Cela pourrait faire croire à un infarctus, mais ce que l’on voit à la radio n’a rien à voir ». Le Dr Ilan Wittstein, cardiologue à l’hôpital John Hopkins est le premier spécialiste à avoir évoqué ce « syndrome du cœur brisé » En fait, sous l’effet d’un très grand stress , les surrénales libèrent alors de l’adré-

naline, qui contracte certains vaisseaux et accélère le cœur. Mais parfois, sous l’effet d’un stress particulièrement important, comme la mort d’un conjoint par exemple, le cœur va jusqu’à être paralysé et s’arrête de battre. Le Syndrome du cœur brisé touche surtout les femmes âgées de plus de 55 ans. « A l’âge du déclin hormonal, le cœur des femmes devient plus sensible au stress car il n’est plus protégé par les œstrogènes. Voilà pourquoi, finalement, on a moins de risque de mourir d’un chagrin d’amour à 25 ans que plus tard dans la vie ! » Cyrine OUERGHI

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MAGAZINE DES ÉTUDIANTS DE LA FACULTÉ DE MEDECINE DE TUNIS

MOHAMED SALAH BEN AMMAR,

Qu’est-ce que la bioéthique au juste ? Le définir serait difficile. Même si une définition se présentait, celle-ci ne serait pas exhaustive. Je laisserai la définition vous venir à l’esprit d’elle-même, par ce qui va suivre donc. On en a tous entendu parler : la vache folle, la brebis Dolly, le sang contaminé, l’affaire Perruche etc. Ces affaires ont fait naître une controverse immense, au sein de la communauté, de toutes les communautés, toutes étant concernées par de tels sujets. La bioéthique est donc un discours contemporain et cosmopolitain, culturellement autoritaire, animé par moult positions idéologiques et qui nécessite naturellement une certaine distance critique pour procéder à l’évaluation. De quoi diriez-vous ? Mettons-nous déjà d’accord que l’évaluation succède à l’identification du problème éthique avant tout : l’enjeu peut être de nature psychologique, de pouvoir, d’identité, et souvent de liberté. Là se voit la vraie facette multiforme de la bioéthique : cas cliniques, développement technoscientifique, identité, liberté… Tout ce qui touche de près ou de loin à la vie humaine, la façon dont elle vient au monde (FIV, bébééprouvette, embryon surnuméraire, etc.) et à la façon dont elle quitte celle-ci (euthanasie, acharnement thérapeutique, contrôle de la sénescence,

etc.). Mais pas seulement. Les OGM, la recherche génique, et d’autres domaines relatifs à la zoologie ou à la botanique sont au centre de l’éthique. L’éthique est donc enclavante de tout ce qui est du vivant. Elle est à différencier de la morale, en ce que l’éthique est la science de la morale. La première vise le bien général, aspire au bien dans une société dynamique, alors que la morale est figée dans le temps, qui se transcende en un dogme : le Bien ou le Mal. La déontologie est, quant à elle, totalement différente des deux. Celle-ci a une connotation juridique ; elle est l’ensemble des règles et lois que doit subir le médecin, tous les médecins. L’interdisciplinarité de l’éthique se voit aussi dans les comités qui la forment : psychologues, médecins, chirurgiens, théoriciens, philosophes et pleins d’autres domaines scientifiques et disciplines se réunissent ainsi pour faire de l’éthique le processus social qu’elle est. Les solutions qu’elle trouve se manifestent par plusieurs formes : lois, règlements, recommandations, prise de décision in solitum, etc. Ne nous égarons pas. Qui de mieux que M. Mohamed Salah Ben Ammar pour nous parler de l’éthique ? Ce grand homme vient de rejoindre le prestigieux Comité International de Bioéthique, filiale de l’UNESCO. J’ai eu la chance de le rencontrer et de lui poser quelques questions : Quelle est l’influence effective du Comité International de bioéthique

dans le milieu de la recherche et de l’exercice médical, et arrive-t-il réellement à limiter et à contrôler les dépassements dans ce domaine ? C’est une question extrêmement importante. Comme vous le savez, la bioéthique est une jeune discipline ; elle n’est réellement entrée en action, si j’ose dire, que depuis les années 90. De fait, et pour répondre à votre question, on découvre au fur et à mesure que la bioéthique se subdivise en deux matières : l’éthique Clinique et l’éthique de la recherche. D’ailleurs, nombre de pays ont deux comités de bioéthique, l’un chargé des questions sur la recherche et l’autre des questions sur les pratiques cliniques. Ici, je voudrais m’arrêter deux secondes pour poser à mon tour une question : Pensez-vous qu’on puisse être à la fois le médecin traitant et conduire un protocole de recherche sur le malade ? Cette relation de confiance qui doit être absolue entre le médecin traitant et son malade, n’est-elle pas en elle-même un biais dans le consentement ? Pour beaucoup de pays dans le monde, la réponse est claire. Le médecin traitant ne peut pas conduire des recherches sur ses maladies, quand bien même ceux-ci seraient consentants. En matière de recherche médicale et de conduite des protocoles, beaucoup de choses ont été faites à l’échelle internationale depuis une dizaine d’années. Le consentement éclairé est le principe non négociable. Bien sûr ses modalités, notamment sa durée, ses limites, le degré d’explication donnée au volontaire sont essentiels. La transparence dans tout le processus est obligatoire. Aujourd’hui, l’OMS recommande à tous les pays des bases de données codifiées pour y inscrire tous les protocoles de recherche. N’importe qui peut consulter ces bases de données, lire le protocole de recherche, les modalités d’information, les risques encourus par les volontaires, et bien sûr les modalités de financement de l’ensemble. Car c’est bien à ça que tout le monde pense en fait ! Les bénéfices secondaires recherchés sont soit économiques, soit académiques. Il faut que cela soit bien clair pour tout le monde : vo-

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MÉDECINS À LA UNE

LE 2ÈME TUNISIEN DE L’HISTOIRE À INTÉGRER LE COMITÉ INTERNATIONAL DE BIOÉTHIQUE


lontaires, chercheurs et institutions. L’Etat a un rôle régulateur et se doit de protéger ses citoyens des risques de dérives. Les comités d’éthique de la recherche qu’on appelle IRB (Investigational Review Board), doivent examiner le projet et donner leurs avis sur tous les aspects, en prenant en considération en premier lieu et avant tout l’intérêt des volontaires qui vont entrer dans l’étude. Et dans cet examen, ils vont utiliser en gros quatre critères essentiels : le respect de l’autonomie du volontaire a-t-il été scrupuleusement respecté ? C’est-à-dire la personne, au moment où elle a donné son accord, était-elle parfaitement libre et informée ? Le deuxième principe, c’est celui de la bienfaisance. Est-ce que cette recherche va entraîner plus de bien que risquer de faire du mal ? Le risque de nuire n’est jamais nul, mais la pondération de ce risque est essentielle dans la démarche d’accord ou de refus. Le troisième principe est celui de la non-malfaisance. C’est un principe complémentaire de l’autre, mais c’est diffèrent du risque énoncé ci-dessus, il s’agit des retombées négatives du travail à long et à court termes. Il faut impérativement les mesurer. Je vous laisse deviner ici la place que prend le principe de précaution, mais c’est un autre débat beaucoup plus vaste. Enfin, le quatrième principe général que doivent prendre en considération les membres du comité, c’est le principe de justice : Dans cette démarche, l’approche a-t-elle été juste ? Par exemple, les volontaires ont-ils été correctement traités, ils ne sont pas choisis uniquement en fonction d’un critère etc…et surtout la justice devant les retombées positives des découvertes. La bioéthique ne fait pas partie des soucis de la majorité des médecins tunisiens d’aujourd’hui, et même si c’est le cas, on entend rarement parler de ce sujet. Comment voyez-vous l’avenir de la bioéthique en Tunisie ? La réflexion bioéthique est ancienne et récente à la fois. Il faut lui laisser le temps de s’implanter pour qu’elle devienne une seconde nature, pour qu’elle s’institutionnalise. Par ailleurs, une telle réflexion éthique est aussi très ancienne, en intégrant les éléments essentiels de gentillesse vis-à-vis du malade. Bon nombre d’excellents médecins à travers l’histoire faisaient ainsi de l’éthique sans le verbaliser ! Par exemple, Hippocrate recommandait déjà que le médecin et le malade soient assis sur des tabourets de même hauteur, afin que le médecin soit au même niveau

(au sens propre et au sens figuré, symbolique) que son malade. En réalité, plusieurs approches complémentaires sont nécessaires pour atteindre l’objectif éthique souhaité. Et en premier lieu la formation des médecins. La nouvelle réforme des études médicales prévoit un certificat de bioéthique en 3eme année. D’autre part, il faut doter le comité national de plus de moyens pour qu’il puisse multiplier les actions de sensibilisation. Permettez-moi de vous rappeler que le comité national est plutôt chargé de réfléchir aux grandes orientations, plutôt que de donner son avis sur des protocoles ou des questions individuelles. Les comités d’éthiques des hôpitaux devraient fonctionner autrement, et inclure notamment plus de diversité. Des compétences autres que celles des médecins sont très utiles. Ils devraient s’ouvrir sur la société et sur les autres disciplines. Enfin, le dialogue citoyen doit être une seconde nature face à ces questions qui engagent toute notre société. Il faut que le débat soit permanent. Il faut bousculer l’interdit de penser. Pourquoi vous êtes-vous engagés dans ce sujet souvent révoltant, qu’est la bioéthique ? Oui, mais ce n’est pas le sujet qui est révoltant, ce sont certains abus ou risques ! La bioéthique c’est la réponse, entre légitimité et légalité, face à l’injustice. Nous sommes tous la sommation d’expériences, d’un vécu. Je suis anesthésiste-réanimateur depuis plus de 25 ans, j’ai commencé mon résidanat en 81 et, depuis, je suis quotidiennement confronté à la mort, toujours injuste qu’elle soit brutale ou non. Par ailleurs, j’ai été depuis le début impliqué dans la greffe d’organe : du cœur, au CHU Habib Thameur où j’étais AHU avec mon maître le Professeur Fourati, et puis celle du foie au CHU Mongi Slim avec mes amis le Pr Mohamed Tahar Khalfallah et le Pr Hafedh Mestiri. Et qui parle de greffe parle de don d’organes, de mort encéphalique. Comment ne pas s’intéresser aux questions de bioéthique dans ce contexte ? Enfin, et puisque vous parlez de révolte,

oui, je suis un homme révolté. Tout jeune j’ai vécu un drame. J’ai perdu ma mère à l’âge de 11 ans, elle était hospitalisée à l’hôpital Charles Nicolle. Elle n’a pas pu bénéficier d’un traitement qu’un autre malade hospitalisé au même moment a pu avoir. Je réalise encore aujourd’hui, tous les jours, l’impact de ce drame sur mes choix dans cette vie. Oui, la révolte est une constante dans ma vie, contre toutes les formes d’injustices. Mais la révolte seule risque d’être vaine. Elle doit être positive, inclure une notion d’engagement vers et pour son prochain. C’est la raison pour laquelle je vous ai fait cette confidence. C’est parce que les malades ont des droits, nés de leur vulnérabilité, que nous avons des devoirs envers eux. C’est parce que nous ne pouvons rester indifférents face à la souffrance, la douleur, le mal. Nous devons apporter notre contribution et guérir quand nous le pouvons, sinon essayer de soulager, il y a toujours quelque chose à faire. Ainsi, à côté de sa responsabilité de soigner, le médecin a également un devoir de prendre soin. Soigner et prendre soin sont indissociables : «To cure and to care», disent les anglo-saxons. Et c’est pour cela que l’engagement éthique du médecin est indissociable de son métier : il en fait partie, il ne peut en être séparé. L’éthique, ce mot qu’on utilise ab hoc et ab hac, veut dire bien plus que ce qu’on croit. J’espère que cet article vous aura donné un brin de curiosité envers ce vaste sujet, duquel on n’a pas fini d’entendre parler. N.B : Je voudrais pour clore ce sujet, remercier avant tout le Dr. Ben Ammar pour sa gentillesse, sa bienfaisance et son enthousiasme. Je ne vous ai épargné aucun caprice, merci d’avoir complu jusqu’à la fin. Bibliographie Ehique à Nicomaque par Aristote (disponible sur http://fr.wikisource. org/wiki/%C3%89thique_%C3%A0_ Nicomaque) Ethique par Spinoza (disponible sur h t t p : / / f r. w i k i s o u r c e . o r g / w i k i / L%E2%80%99%C3%89thique)

Les deux lauréats du Prix Nobel 2012 (Sir John B. Gurdon à gauche, et Shinya Yamanaka à droite) pour avoir découvert que les cellules «matures» peuvent être reprogrammées et redevenir pluripotentes

Mehdi TEBROURI N°3 10 Synapse Oct. - Nov. - Déc. 2012


Parce que la SANTÉ mérite tous les

EFFORTS

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Have you ever heard of

Patch Adams ?

Séminaire Patch Adams durant le Healthcare Leadership Summerschool aux Pays-Bas, en août 2012

Patch Adams, le Super-héros au nez rouge

Avez-vous déjà entendu parler d’un médecin dont chaque consultation dure quatre heures ? Moi je l’ai rencontré. Patch Adams, l’homme à la carrure imposante, fait partie de cette catégorie de médecins qui se démarque non seulement par sa riche expérience, mais aussi par sa vision du monde. Mais il ne faut surtout pas se fier aux apparences parce que, pour son cas, elles sont vraiment trompeuses. Mon premier contact en est la preuve… je ne savais pas quoi penser ! Grand de taille, les cheveux longs avec la moitié gauche colorée en bleu, une fourchette en guise de boucle d’oreille, et des vêtements qui contiennent toutes les couleurs de l’arc en ciel. Ma première réflexion, en tant qu’étudiante dont on

N°3 12 Synapse Oct. - Nov. - Déc. 2012

n’arrête pas d’inculper l’importance d’une apparence «respectable», fut : « c’est quoi cette mascarade ? C’est un médecin ça ? «. L’habit ne fait pas le moine et c’est le cas de le dire. Il a suffit que cet homme se met à parler pour que plus rien n’existait autour de moi, j’étais scotchée, éblouie et émerveillée par sa personne. Née en 1948 à Washington DC, il grandit dans une base militaire en dehors des Etats Unis. Enfant chétif, il a appris rapidement à éviter les problèmes avec les autres gamins :

” If you make the bullies laugh, you won’t get beaten ”. Après la mort de son père et son retour aux USA, il a tenté de mettre fin à sa vie trois fois, durant son adolescence. Il ne supportait pas l’idée de vivre dans un monde rempli de haine et de violence. La dernière tentative,

illuminé dans sa chambre à l’hôpital, il a décidé de ne pas sacrifier sa vie pour rien mais de la consacrer pour une « love revolution ». Il a décidé de ne plus jamais être triste et de rendre chaque jour de sa vie un pur bonheur. Depuis cette révélation, Docteur Patch a entrepris des activités étranges : Au début, pour se rapprocher des gens et essayer de comprendre la nature humaine, il a commencé par composer des numéros de téléphone au hasard et parler à des inconnus, et ceci durant deux heures par jour, il passait dix heures par semaine dans des ascenseurs à se tenir en face des autres passagers et à faire des grimaces... Après son cursus médical riche en folie, le diplôme en poche, il s’est engagé avec ses amis à créer un hôpital spécial dont la politique consistait en : pas de frais d’hospitalisation, pas d’assurance maladie, pas de fraude d’assurance, toute première consultation doit durer trois à


quatre heures, l’hôpital est considéré comme une seconde demeure, intégration de la médecine alternative, intégration de l’art, l’agriculture, la nature, les activités sociales... dans le processus de guérison. La santé du corps personnel est aussi importante que la santé du patient. Leur expérience a duré douze ans durant lesquelles ils ont dû travailler faire de petits boulots pour payer leur hôpital, payer pour faire le médecin. Il a construit, en partant d’un rêve fou avec ses amis, une communauté, un endroit où toute personne en besoin pourrait trouver l’aide adéquate, où le médecin peut s’épanouir dans son métier ! Patch, révolutionnaire et anticonformiste, a introduit la médecine alternative malgré l’interdiction de la loi !

« Je suis un clown qui est devenu médecin » Durant les deux jours que j’ai passé avec cet homme hors pair, je l’ai entendu répéter cette phrase au moins une dizaine de fois. Clown ? Il se transforme en quelques secondes et surprend son interlocuteur ! Patch estime que tous les problèmes et les tensions peuvent être résolu avec un sourire. Alors, à chaque fois qu’il croise une bagarre dans la rue ou une querelle dans un super marché il hisse son pantalon, prend des gadgets de sa poche, met son nez rouge et commence son numéro comique ! Il avoue avoir résolu cinq milles conflits durant sa vie avec cette méthode ! Mais son tour de magie ne s’arrête pas là. Patch organise chaque année des convois humanitaires très étonnants : “Clown Trip”. Tout a commencé en 1985 quand il est parti avec une bande d’amis à l’ex-URSS pour faire des spectacles ou de simples animations dans les hôpitaux, les orphelinats, les maisons de retraite ou tout simplement dans la rue ; Le tout dans la bonne humeur et avec beaucoup d’amour. Puis l’aventure les a menés à visiter plusieurs autres coins du globe : des zones de guerre, des camps de réfugiés, des sinistrés victimes catastrophes naturels... J’ai eu la chance de voir le film qu’il a tourné quand il est parti en Afghanistan durant la guerre. Je l’ai vu en sa compagnie, et j’ai découvert un homme très sen-

sible au malheur des autres ! Le documentaire contient des scènes de joie mais aussi des atrocités. Patch, devant une scène d’une petite fille qui était victime d’un champ de mines, n’a pas pu retenir ses larmes et sa tristesse. Il avoua que les horreurs auxquels il a fait face là-bas étaient inimaginables et indescriptibles. Néanmoins, il devait continuer à croire en un avenir meilleur et à combattre tous les malheurs qui sévissent dans ce monde, notamment la politique de son pays ! Patch m’a fait voir le monde autrement, de croire à la bonté de l’Homme, d’imaginer un monde plein de compassion et de fous rires... J’ai vu en lui ce que demain je voudrais devenir : un médecin épanoui qui ne cède pas au système et se révolte contre ce qui est faux ! Il m’a tendu la main pour me faire vivre pleinement mon moi, sans faire attention aux autres. Il m’a appris à ne pas se soucier des préjugés si on est juste,

à être assoiffé de savoir parce que c’est la seule chose qui compte, à être tolérante et cultiver ma différence. J’ai vu un homme vivre pleinement chaque seconde, chaque moment... Je ne crois pas qu’un jour je puisse oublier la manière avec laquelle il a récité un poème sur un citron, puis, subitement, comment il a pris le fruit, l’a coupé en deux et a dégusté avec amour son jus malgré son acidité ! J’ai appris la persévérance avec lui, malgré tous les problèmes qu’il a eus, il n’a jamais douté de son rêve de bâtir un grand hôpital aux soins gratuits... un rêve qui est devenu mien désormais !

Le Love workshop, durant ce même séminaire Khaoula BOUGHIZENE Synapse N°3 Oct. - Nov. - Déc. 2012

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R E L I G I O N

Croyez vous au Chef de Service?

La notion de Chef de Service remonte aussi loin que l’apparition de l’externat. En effet, les premiers externes avaient déjà imaginé et inventé leur chef de service, bien avant que certains d’entre eux ne les aient vus et entendus. Des dessins sur les murs des plus anciennes Cavernes de Garde témoignent déjà de ce culte qui semble aller de pair avec l’existence externe. Dans certaines cultures, on croyait même en plusieurs Chefs de Service. La mythologie les dessinait, alors, à l’image des externes, certains étaient travailleurs, d’autres longeaient les murs et d’autres encore faisaient la cour à d’autres Chefs de Services. La sagesse populaire externe pensait également que le soleil ne se levât qu’après que les Chefs de Services ne furent entré en conclave dans la mystérieuse Salle de Staff. Le Monochefdeserivisme n’apparut que beaucoup plus tard dans l’histoire de l’externat, quand plusieurs externes affirmèrent l’avoir rencontré. Ils émirent alors l’hypothèse qu’il était le seul à régner sur le monde du service. Mais les récits divergent. Certains décrivirent un Chef de Service qui ne s’adressât aux externes que par le biais de signes qu’il laissait dans le service: des petits bouts de papiers signés qu’on lui attribuait, des cris de derrière son Bureau ou parfois même par la brise qu’il laisse à son passage dans le couloir. D’autres croyances, en revanche, faisait état d’un être bon, omniprésent en chacun dans le service, il corrigeait les erreurs médicales et guidait les gentils médecins dans leurs opérations quotidiennes. Tous, en tout cas, avaient en commun le culte qu’on lui vouait.

La hiérarchie plaçait les externes au plus bas de l’échelle; ils avaient, dit-on, fait dans une vie antérieure de graves fautes et le Karma, pour se venger d’eux, les avaient mis dans cette position. Vinrent, ensuite, les internes et les résidents qui avaient choisi une vie de dévotion pour le souverain; ils avaient renoncé à toute vie pour se vouer à la médecine et au culte du Chef de Service. Il n’était pas rare, d’ailleurs, qu’ils se livrent à des rituels de sacrifice de soirées sur des autels afin d’obtenir la grâce de leurs Seniors. Ces derniers, les Seniors, formaient l’Eglise du Chef de Service, et à eux était promise une belle vie après l’Hôpital. C’est encore à eux que, dans certaines croyances, les externes se confessaient et avouaient un péché d’Absence ou de Retard, deux des sept péchés capitaux. C’est à eux, aussi, que souvent les Chefs de Services s’exprimaient directement; ils étaient ainsi les médiateurs entre les externes et lui/elle. Enfin, dans certains services, faute de signes, des externes ont cessé de croire en les Chefs de Services. Qui est le Chef de Service ? Qui sait si un jour on répondra à cette question...

Selim KHROUF N°3 14 Synapse Oct. - Nov. - Déc. 2012


MAGAZINE DES ÉTUDIANTS DE LA FACULTÉ DE MEDECINE DE TUNIS

Les petites astuces SCOME

Cette application disponible sur la plupart des plateformes (Windows, Mac, iOs, Android, Blackberry, Windows Phone) et sur le Web, permet à son utilisateur de prendre des notes n’importe où et sous n’importe quelle forme : texte, image, son enregistré, etc. Ceci permet à l’utilisateur de prendre rapidement des notes, d’une façon très facile, de tout ce qu’il veut. Que vous assistiez à un cours, que vous soyez en train d’écouter votre chef de service ou votre résident vous donnant des conseils, vous ne perdrez plus de temps et vous immortaliserez tout. Vous pouvez aussi partager vos notes avec des amis et des collègues. Grâce à un compte que vous devrez créer lors de votre première utilisation, vous pourrez synchroniser vos notes sur tous les appareils sur lesquels vous utilisez Evernote. Totalement gratuit, Evernote vous permet donc de suivre le fil de vos propres idées. Vous ne perdrez plus jamais une feuille sur laquelle vous aurez préalablement écrit une note. Plus besoin de cela. On devient très vite habitué à son interface intuitive, et on peut difficilement s’en passer.

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On en a tous besoin. Personne ne pourra nier la place que prend la technologie dans nos vies quotidiennes, surtout pas la communauté médicale et paramédicale. A cette visée, je vous présente ici quelques applications que j’ai joyeusement essayées pour vous. N’hésitez pas à déguster ces deux recettes du Comité SCOME (Standing Committee On Medical Education) de l’Associa-Med, qui cherchent à faciliter le quotidien, souvent acerbe, des médecins et des étudiants.

Cette compagnie présente en effet, une multitude d’applications différentes et uniques, rendant l’anatomie telle un jeu d’enfant. (Hommage à nos maîtres anatomistes) Parmi elles, je cite Orthopedic Patient Education, qui allie graphismes d’une netteté et d’une réalité incomparables, et maniabilité exceptionnelle. En plus de ça, elle jouit d’une base de données hors norme contenant plusieurs cas cliniques très bien annotés et schématisés. Cette application sert donc aux chirurgiens (majoritairement orthopédistes), médecins, urgentistes, etc. qui auront besoin d’expliquer à un patient les gestes chirurgicaux qu’ils accompliront, les points d’anatomie qu’il peine à comprendre, ou même à ceux qui veulent se rafraichir la mémoire de temps à autre. Student Muscle System est une alternative à bas prix, pour les étudiants, qui offre un outil de référence et une aide à la myologie. Scrutez le corps humain sur ces quatre plans : antérieur, postérieur, latéral et médial et observez tous les muscles du corps humain avec un détail étonnant. Beaucoup d’autres applications valent la peine d’être citées, comme Shoulder Pro, qui, comme son nom l’indique, montre l’épaule sous différents angles : l’articulation avec une quantité d’information de très bonne qualité sur tous ces constituants, les muscles la constituant, la vascularisation et l’innervation de celle-ci. Sont aussi disponibles des animations qui montrent en détails certains gestes chirurgicaux, à savoir ceux mis en œuvre dans la réparation de la rupture des tendons de la coiffe des rotateurs, l’arthrite ou même l’hygroma (bursite). D’autres applications comme celle-ci sont disponibles sur l’articulation coxo-fémorale, le genou, et même sur la totalité de la colonne vertébrale. Mehdi TEBROURI Synapse N°3 Oct. - Nov. - Déc. 2012

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DOSSIER

Crise

de l’hospitalouniversitaire et études médicales en Tunisie : La mort de l’Hôpital estelle Clinique, ou bien a-t-il la Faculté pour ressusciter ? N°3 16 Synapse Oct. - Nov. - Déc. 2012


Entre des médecins qui désertent en masse vers l’eldorado du Privé, et d’autres qui « luttent pour la reconnaissance » comme dirait Hegel, l’Hôpital Public vacille, et menace avec lui l’avenir des études médicales en Tunisie. Les instances de la Faculté, avec la nouvelle Réforme qui survient au beau milieu de cette tempête, tentent tant bien que mal de former les futurs anges gardiens de notre Santé Publique. Mais, au vu des dernières évolutions, ces présumés successeurs opteront-t-il encore pour la voie hospitalo-universitaire ? Synapse N°3 Oct. - Nov. - Déc. 2012

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Note : Cet article a été finalisé vers le début du mois d’octobre.

Démissions : • 73% des démissions enregistrées sur les trois dernières années concernent les Assistants Hospitalo-universitaires, encore au début du chemin. • Jusqu’au 1er avril 2012, le nombre total de démissions des hospitalouniversitaires (AHU, agrégés et professeurs) a augmenté de 19% par rapport à la même période en 2011, et de 34% par rapport à 2009. • En seulement 4 mois de l’année 2012, on a enregistré autant de démissions de professeurs agrégés que durant toute l’année 2009. • Ceci est le fruit de l’étude des statistiques officielles. Mais selon le Syndicat des Hospitalo-universitaires, il y aurait actuellement plus de 300 demandes de démissions en attente d’acceptation dans les bureaux du Ministère, ce qui reviendrait au double du nombre total de départs enregistrés lors des 3 dernières années (2009/2010/2011).

Concours d’Assistanat Hospitalouniversitaire : • Anesthésie-Réanimation : 24 postes ouverts, 16 candidats inscrits, 3 candidats admis. • Chirurgie Orthopédique : 15 postes ouverts, 15 candidats inscrits dont un absent, 14 candidats admis. • 2012 est la seule des 4 dernières années où le nombre de candidats inscrits est inférieur au nombre de postes ouverts. • Résultat, le taux d’admission s’envole : 73,4% en 2012, contre 65% en 2011 et 59.2% en 2009. • Malgré cela, moins de 2/3 (64.3%) des postes ont trouvé preneur cette année. Ce pourcentage est en chute libre : 96% en 2009, 90% en 2010 et 82% en 2011.

doxe atteindrait son paroxysme ; un concours national censé sélectionner les meilleurs des meilleurs, se transformant en passerelle pour les demandeurs d’emploi. Le monde à l’envers. A côté de cela, l’exode des grands professeurs mais aussi de jeunes assistants se poursuit. Direction le Secteur Privé, bien entendu. Ce dernier ne cesse de se développer et si, pour l’instant, les compétences restent comparables dans les deux secteurs, la balance risque de s’inverser brutalement. On se jetterait alors directement dans le fossé de la médecine à deux vitesses : les bons médecins pour les riches, les moins bons pour les pauvres, alors que c’est déjà le cas pour les équipements et les moyens mis en œuvre. On dirait ainsi adieu à ce vieux dogme qui faisait de nos CHU le fleuron de notre système de santé, grâce à leurs grands professeurs, pour qui on accepte même de faire une opération à l’hôpital. Avec ces jeunes, qui ne sont plus forcément tentés par la carrière hospitalo-universitaire, et ces Seniors, qui quittent en masse le navire, réussiraiton l’exploit de tomber en sous-effectif dans nos services, alors que nous avons une des facultés de médecine les plus surpeuplées au monde ?

Deuxième paradoxe.

Mais les implications de ce constat ne s’arrêtent pas là ; elles menacent aussi l’avenir de la médecine tunisienne, et surtout sa place, déjà bien étriquée, à l’échelle internationale. Nous savons tous que c’est aux hospitalouniversitaires qu’incombe la tâche de conduire les travaux de recherche. Ce sont donc eux qui tirent notre médecine vers l’avant, et qui permettent, grâce à leurs publications, d’exporter le savoir-faire tunisien et d’entretenir une certaine réputation pour le mé-

decin tunisien. Déjà que très peu d’entre eux publient au nom de leurs facultés - ce qui explique par exemple le rang anormalement bas (après le rang 6000) de la Faculté de Médecine de Tunis (FMT) au Classement de Shanghai* - on n’ose même pas imaginer la situation si le flux de départs se poursuivait à cette vitesse. Et même si notre secteur privé commence petit à petit à s’orienter vers la recherche, il ne s’intéressera qu’aux pathologies « rémunératrices », nous assure le Dr. Khrouf, chargé de communication à la FMT. Ceci signifierait la fin du rêve que chérissaient les pionniers de notre médecine : la santé pour tous. Mais qu’est ce qui a bien pu pousser nos aînés à fuir cette voie, pourtant synonyme de prestige et d’honneur ?

Détérioration des conditions de travail La première des raisons est un malaise que ressentent tous les intervenants dans le domaine de la Santé Publique, pas seulement les hospitalo-universitaires : l’état de plus en plus vétuste de nos EPS (Etablissements Publics de Santé), et surtout de nos CHU. Loin d’investir dans les technologies de pointe, nos hôpitaux n’arrivent même plus à satisfaire leurs besoins quotidiens. Mis à part les équipements obsolètes, Il n’est pas rare, par exemple, qu’un ascenseur reste hors de service pendant plusieurs semaines, ralentissant considérablement le déroulement des activités de soins et de prise en charge. On en vient même à manquer des outils de travail les plus basiques, sans parler des pannes à répétition qui n’ont rien à voir avec le matériel médical. Pourtant le secteur public draine 80% des patients, et la détérioration du pouvoir d’achat ne peut que faire augmenter cette pro-

De paradoxe en paradoxe Les statistiques sont parlantes. Entre un concours où le nombre de candidatures reçues est tout juste égal au nombre de postes ouverts (en l’occurrence le concours d’orthopédie l’année dernière), et un autre où le nombre de postes excède largement le nombre de candidats retenus (Réanimation), on est bien loin des chiffres faramineux du concours du CAPES. C’est à se demander si passer le concours d’assistanat n’est pas devenu une garantie de trouver un poste. Le cas échéant, le paraService d’Orthopédie, Hôpital Charles Nicolle N°3 18 Synapse Oct. - Nov. - Déc. 2012


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hôpitaux.

L’Hôpital de Ksar Hellal, saccagé portion. Et un hospitalo-universitaire ressent au quotidien ce malaise. Comme nous l’a expliqué le Dr. Khrouf, il se retrouve à gérer des dizaines de problèmes, pour la plupart d’ordres logistique et opérationnel, alors que ce n’est tout simplement pas de son ressort. Se fût-il enfermé dans son bureau à longueur de journée, il sera vite rattrapé par ces innombrables défaillances. La connexion internet, la climatisation, le délabrement sont autant de banalités qui affectent pour autant le quotidien d’un médecin à l’hôpital. Comment, dès lors, lui demander de conduire des travaux de recherche et d’enseignement, alors qu’il est déjà débordé par ces soucis secondaires ? Rien que le nombre, pour le moins élevé, des stagiaires dans nos services, constitue une charge de travail non négligeable pour leurs encadrants. Un jeune AHU (Assistant Hospitalouniversitaire) se trouve donc pressé de toute part, dans un cadre de travail qui n’est franchement pas épanouissant. Il réalise qu’il est loin d’accomplir ce qu’on attend de lui (recherche, encadrement…), et il est alors tenté par un exil vers le Privé, ou vers l’étranger, s’il en a l’opportunité.

bien la psychologie des jeunes assistants, juge que la carrière hospitalouniversitaire n’est pas suffisamment valorisée, et qu’elle n’est pas matériellement stable. Pire, certains internes et résidents, qui sillonnent eux aussi les CHU du pays, sont les premiers à s’apercevoir des nombreux dysfonctionnements dont souffrent nos hôpitaux. Ils sont alors découragés, avant même d’avoir essayé cette carrière.

L’insécurité Fléau indissociable du contexte postrévolutionnaire, il serait néanmoins très simpliste de traiter cette question, uniquement d’un point de vue sécuritaire. Certes, tout - ou presque - est à revoir, en ce qui concerne la sûreté des hôpitaux tunisiens. N’importe qui peut en effet pénétrer dans les enceintes de nos CHU, et peut même se promener dans les couloirs de nos services. L’entrée du bloc opératoire, elle-même, n’est pas tellement protégée. Ceci n’exclut donc pas les vols, les agressions et les enlèvements. L’affaire de kidnapping d’un bébé à l’Hôpital Bechir Hamza n’était en fait que l’apparition au grand public d’un problème majeur dont pâtissent nos

« Il n’y aucun malade, sauf cas exceptionnel, qui débarque aux urgences avec l’intention d’agresser un médecin ! », nous assure le Dr. Mizouni, Secrétaire Général du Syndicat des Hospitalo-universitaires. Il y a plutôt une tension qui s’installe petit à petit dès son entrée à l’hôpital, et qui est décuplée dans les conditions d’urgence et de panique. L’origine de cette tension est principalement la qualité de l’accueil et de la prise en charge du patient. Et ceci est essentiellement dû aux mauvaises conditions de travail, au manque de personnel, essentiellement paramédical, et au manque de matériel. Retour à la case départ. Ainsi, la racine profonde de ce mal qui ronge nos hôpitaux n’est autre que le problème traité précédemment. Toujours est-il que l’insécurité fait peur à nos médecins, et contribue, pour une part importante, à ce dégoût qui les frappe. La blouse blanche est devenue synonyme d’une tenue de guerre, et ceci ne plait pas forcément à tout le monde. Résultat : Nombre d’entre eux se jettent dans les bras chaleureux du Privé, avec ses horaires de travail souples et ses conditions beaucoup plus rassurantes.

Des hospitalo-…..universitaires ? Venons-en maintenant à la principale raison de ce mal-être dont souffrent les HU : c’est que ce titre, justement, leur est resté en travers de la gorge. Si le manque de ressources matérielles, et l’insécurité dans les hôpitaux sont des faits longuement débattus par les

Le Dr. Loueslati, lui, voit que pour ces jeunes, l’avenir est assez obscur. N’arrivant pas à publier à cause d’une charge de travail qui les dépasse, ils voient leurs chances de décrocher une agrégation s’amenuiser, et ils sont vite démoralisés. Ce manque de visibilité, ces embûches rencontrées au quotidien, les poussent à quitter prématurément l’aventure, eux qui caressaient le rêve d’atteindre les sommets de la médecine. Le Professeur en pharmacologie, qui connait Le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique Synapse N°3 Oct. - Nov. - Déc. 2012

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L’ E N Q U Ê T E

Le Ministre de la Santé a promis de créer le poste de directeur de sécurité au sein de chaque établissement hospitalier, et de le charger de gérer un corps d’agents de sécurité formés à cette fin. Mais là n’est pas la vraie solution.


l’élection du nouveau gouvernement provisoire, le Syndicat des Hospitalouniversitaires est revenu à la charge, mais en vain. Il a fallu l’annonce de la grève du 30 et 31 mai 2012, pour faire sortir le Ministère de son mutisme. Une série de réunions de négociations a alors été programmée.

médias, la double appartenance du médecin reste, jusqu’à aujourd’hui, une question mal éclairée. En fait, les hospitalo-universitaires ne sont pas reconnus par le Ministère de l’Enseignement Supérieur, ou plus précisément, c’est leur diplôme universitaire qui ne l’est pas. Pourtant, ce ministère les reconnait indirectement à travers tout ce qu’il impose aux facultés de médecine, à qui il ne laisse aucune marge de manœuvre. Comment se fait-il que la FMT, par exemple, soit sous la tutelle de l’Université Tunis El Manar, alors que ses dirigeants et son corps enseignant ne sont même pas reconnus en tant qu’universitaires? Autrement dit, comment peut-on dicter des lois à une structure, alors qu’on ne la reconnait même pas ? Il s’agit bien là d’un autre paradoxe. Les hospitalo-universitaires se sont donc retrouvés prisonniers de cette ambiguïté juridique, tenus d’accomplir des devoirs, mais privés de leurs droits. Et c’est vexant, pour reprendre l’expression du Dr. Khrouf. Par exemple, le fait de ne pas pouvoir se présenter aux élections du Conseil Scientifique de l’Université, alors qu’il s’agit de leur université, est ressenti par beaucoup comme une injustice. Ce ministère, qui se proclame « de la Recherche Scientifique », est en train d’ignorer les auteurs de 40 à 50 % des publications scientifiques universitaires de ce pays. Il est alors compréhensible que ces médecins se sentent délaissés, et souffrent en conséquence d’un manque de motivation. Mais cette non-reconnaissance du statut universitaire des HU a d’autres répercussions, sur le plan financier cette fois-ci. Les activités d’encadrement et de recherche n’étant pas reconnus par le ministère de tutelle, N°3 20 Synapse Oct. - Nov. - Déc. 2012

ils ne touchent qu’une prime pour récompenser leurs efforts, si bien que les médecins tunisiens ne perçoivent même pas la moitié des honoraires perçus par leurs confrères marocains ou algériens. Comme nous l’a souligné le Dr. Hadhri, l’enseignement dans le domaine médical s’apparente à du bénévolat. Or, on ne peut imposer à quelqu’un d’être bénévole. Et du coup, certains médecins hospitalo-universitaires claquent la porte, tout simplement. Et cela ne s’arrête pas là. Figurezvous qu’à années d’expériences égales, un AHU est souvent moins bien payé qu’un médecin spécialiste qui n’exerce pas d’activité d’enseignement. Ceci est en contradiction totale avec le barème du concours d’assistanat, qui est censé valider une compétence médicale, avec ce qu’on appelle « une épreuve sur patient ». De plus, un médecin qui a réussi au concours d’assistanat devrait avoir atteint un degré de perfectionnement et de maitrise de sa spécialité. En guise de récompense, il est « puni » pour avoir opté pour l’enseignement et la recherche, en voyant son salaire diminuer. Un énième paradoxe. Au vu de cet environnement hostile, on comprend mieux pourquoi plusieurs de nos aînés ont choisi d’abandonner la carrière hospitalo-universitaire, quitte à perdre la possibilité de gravir les échelons de la médecine. D’ailleurs, le nombre d’assistants est en passe de devenir inférieur à celui des agrégés, car c’est surtout pour eux que les conditions se sont dégradées.

La bataille des blouses blanches Depuis belle lurette, aucun effort n’a été ménagé pour tenter de remédier à ce malaise croissant. En décembre 2010, une première grève a été menée, sans suite. Après le 14 Janvier et

Suite à cela, le Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique a souligné, à travers un communiqué, la nécessité d’élaborer un plan d’action en vue d’accorder au corps hospitalo-universitaire « la valeur morale et les moyens matériels qu’il mérite ». Mais effectivement, il ne s’est rien passé. Aucune mesure n’a été prise afin de parvenir à un accord avec les HU, et c’est donc tout naturel que les négociations entre les deux partis ont été rompues. A côté de ces réunions et d’une multitude de communiqués publiés, les membres du syndicat ont préparé, documents à l’appui, un dossier certifiant le nombre d’heures de cours que font les hospitalo-universitaires. Ce travail a été validé par les doyens. « Nous avons en notre possession tous les documents prouvant que nous enseignons plus que les autres universitaires, sans compter le poids de nos publications scientifiques. Pourtant, le Ministère persiste à faire la sourde oreille. », déplore le Dr. Mizouni. Pour seule et unique réponse, les représentants du ministère se contentaient en effet de promettre des solutions lors du « débat national sur les politiques et stratégies du secteur de la santé ». C’est un débat devant démarrer le 8 octobre et durer toute une année, avec la participation de tous les intervenants dans le secteur. En attendant, le ministère préfère adopter une position attentiste : ralentissement au maximum des procédures de démission des hospitalo-universitaires, et application d’un numerus clausus* pour les futurs médecins du Secteur Privé. Jugeant qu’ils ont épuisé tous les moyens de négociation, les membres du syndicat ont décidé de relancer le mouvement de contestation, avec un grève entamée le 4 octobre. Ils ne cesseront que les activités qu’ils estiment mal reconnues par le ministère de tutelle, à savoir l’enseignement, l’encadrement lors des stages et la recherche. Suite à ce préavis de grève, aucun accord officiel n’a, à ce jour, été conclu. Seule une proposition verbale a été adressée au syndicat


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Il est clair que la conjecture actuelle du pays n’est pas vraiment propice à la prise de décisions cruciales, mais tôt ou tard, il faudra avoir le courage de s’attaquer fermement à ce problème, en appliquant les mesures adéquates.

en faisant tout pour ne pas entraver le bon déroulement des examens, lors de la grève du 30-31 mai ». Elle tient d’ailleurs à saluer ses confrères, qui ont pensé à l’avenir de leurs étudiants. Par conséquent, l’adoption et l’officialisation d’une feuille de route claire , avec des objectifs précis à réaliser étape par étape, suffiraient à soulager les peines de nos encadrants.

Assemblée Générale des Hospitalo-universitaires, le 4 octobre

Quant au volet rémunération, les hospitalo-universitaires réclament les mêmes primes que les hospitalo-sanitaires (médecins spécialistes n’exerçant pas d’activité d’enseignement), et à plus long terme, une remise à niveau de leurs salaires par rapport à leurs pairs des autres universités, eux qui sont les universitaires les plus prolifiques en terme de publications scientifiques. Ceci n’est en fait qu’une conséquence toute naturelle de la reconnaissance de leur statut par le Ministère de l’Enseignement supérieur. Cela permettrait ainsi à l’AHU d’éviter des soucis de fins de mois, lui qui compte parmi les cadres les plus estimés de la société.

Loin d’être chimériques, les revendications syndicales visent seulement à régulariser la situation des hospitalo-universitaires. Conscients des difficultés financières que rencontre l’Etat et ses ministères, les représentants du syndicat n’ont jamais exigé une augmentation salariale immédiate. « D’ailleurs, souligne le Dr. Mizouni, les HU ont prouvé leur sens du devoir et de la responsabilité,

Quid de l’APC ? L’Activité Privée Complémentaire n’a jamais figuré parmi les revendications du syndicat, les problèmes et les dépassements associés à cette pratique étant trop nombreux. De toute façon, l’APC ne concerne que 25 % des hospitalouniversitaires du pays, selon le site businessnews.com.tn. Elle ne saurait alors être une solution idoine à un problème qui touche l’ensemble du

Les revendications

Communiqué du Syndicat, stipulant les revendications des HU corps médical. Mais, comme on l’a vu auparavant, le malaise des hospitalo-universitaires est aussi alimenté par un cadre de travail « inhospitalier », si l’on ose dire. Cette non-reconnaissance dont ils souffrent dans leur université, ils en pâtissent aussi dans leur quotidien à l’hôpital. En effet, les Chefs de service et les Comités médicaux élus n’ont pas leur mot à dire dans la distribution du budget de l’hôpital. Pire, les directeurs généraux des EPS et les directeurs des Conseils d’administration sont le plus souvent des administratifs, complètement étrangers à la vie hospitalière et au domaine médical. On se retrouve alors avec des travaux superflus de réaménagement et une gestion totalement inappropriée des ressources de l’hôpital.

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L’ E N Q U Ê T E

par les dirigeants du ministère, une proposition qui évoque un échelonnement des augmentations sur trois ans (2013 – 2014 – 2015). Voyant l’accord signé entre le gouvernement et l’UGTT concernant tout le secteur public, et prévoyant des augmentations sur 2012/2013, les médecins n’ont pas vraiment apprécié ce geste du Ministère.


Ce que demande donc le syndicat, c’est de réformer la gouvernance de nos hôpitaux. A côté de cela, le Dr. Mizouni et ses confrères déplorent l’absence d’un cahier de charge spécifiant les normes de fonctionnement, les infrastructures et les équipements nécessaires à une bonne prestation de nos structures sanitaires publiques. Si nos services étaient tenus de respecter des standards en ce qui concerne les ressources humaines par exemple, on arriverait sans doute à limiter le nombre d’agressions des internes et des résidents aux urgences. Chaque médecin de garde serait en effet accompagné par un nombre suffisant de paramédicaux, ce qui permettrait d’assurer un accueil et une prise en charge corrects de tous les patients. Quand on pense que ce cahier de charges existe et est appliqué dans les cliniques, on ne s’étonne pas, dés lors, du fossé séparant les deux structures dans la qualité des soins offerts. Finalement, le syndicat insiste sur l’urgence de réviser le système de financement des hôpitaux. Selon le Dr. Mizouni, les économies peuvent être réalisées grâce à une gestion rigoureuse et surtout transparente du budget, et non pas sur le dos des hospitalo-universitaires. « Il n’y a pas un patient, mis à part les indigents, qui vient se faire soigner à l’hôpital sans payer. Il est donc inadmissible de se retrouver à chaque fois avec un bilan déficitaire. », s’indigne-t-elle. Il faut soit revoir les tarifs hospitaliers, soit remédier à ce déficit chronique qui gangrène nos structures sanitaires. Et ce mal qui ronge les hôpitaux est essentiellement dû au mode de fonctionnement des caisses de sécurité sociale, en particulier la CNAM. Comme nous l’a souligné le Dr. Loueslati, ces caisses ne payent pas aux hôpitaux les facturations réelles, c’est plutôt un budget global qui est versé au Ministère de la santé, et ce budget est loin de couvrir leurs dépenses. Remettre à niveau les Etablissements publics de la santé est en fait un investissement à long terme, qui peut permettre d’alléger les charges pesant sur nos caisses sociales. Par exemple, une greffe de foie coûte à la CNAM près d’un million de dinars en France, alors qu’elle ne coûte même pas le cinquième en Tunisie. Si nos CHU étaient dotés des technologies de pointe permettant de traiter diverses pathologies,

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ce genre d’hémorragie financière pourrait être évité. Il s’agit juste de donner les moyens de s’affirmer à nos compétences, et les retenir ainsi à l’Hôpital. Consultés par le Ministère, les hospitalo-universitaires ont déposé, en juin 2012, un dossier détaillé d’une réforme des hôpitaux régionaux, basée sur un partenariat avec les pôles universitaires. Mais il semblerait que le fruit de leurs travaux n’aient pas vraiment été du goût des dirigeants du ministère, puisqu’ils n’ont jamais eu de réponse… Quant aux étudiants, un sondage, réalisé par l’équipe de SYNAPSE parmi les différents niveaux d’études, montre qu’ils sont encore tentés par la carrière hospitalo-universitaire à 67 %. Il est donc normal qu’ils soient conscients des enjeux de ce mouvement, et qu’ils soutiennent leurs aînés dans leur combat. D’ailleurs, l’UGET a organisé une Assemblée Générale le 8 octobre, afin de débattre de la position des étudiants par rapport à cette question. Le mot d’ordre : Pas question de laisser le Ministère jouer la carte de la victimisation des étudiants, afin de briser le mouvement de leurs enseignants. Et ils comptent bien faire entendre leurs voix ; une protestation a même été prévue devant le Ministère de l’Enseignement Supérieur, si celui-ci ne sort pas rapidement de sa torpeur. L’ensemble du corps médical sem-

qui est sur le point de débuter, sortira avec les clés d’une réforme profonde, à même de mener le patient tunisien sous de meilleurs cieux. * Classement de Shanghai : C’est le classement académique des universités mondiales, établi par des chercheurs de l’université Jiao-Tong de Shanghaï en Chine. Ces institutions sont classées selon plusieurs critères, notamment le nombre de publications dans les revues scientifiques. * Numerus Clausus : Dans notre cas, il s’agit de la limitation du nombre de médecins autorisés à ouvrir un cabinet privé par année.

Bibliographie : • www.businessnews.com.tn : Les dessous du malaise des hospitalouniversitaires, par Mounir Ben Mahmoud • www.nawaat.org : La révolution des blouses blanches / Silence, le ministère de la santé travaille, par Skander Mzah • www.medicalnews.com.tn • www.kalima-tunisie.info : Dr Khelil Ezzaouia : « le secteur public en situation de concurrence déloyale par rapport au secteur privé », par O. Mestiri et S. Bensedrine • www.sante-tn.com

Remerciements : Dr. Habiba Mizouni, Professeur agrégée de radiologie à l’hôpital La Rabta, et Secrétaire Général du Syndicat Général des Médecins et Pharmaciens Hospitalo-universitaires Dr. Khaled Hadhri, AHU au service d’orthopédie de l’hôpital Charles Nicolle, et délégué du syndicat des hospitalo-universitaires

Assemblée Générale de l’UGET pour débattre de la position des étudiants dans cette affaire, le 8 octobre ble donc unanime, pour une fois. Espérons que cette union suffira à faire la force… Devant les innombrables difficultés auxquelles se heurtent les hospitalouniversitaires au quotidien, certains n’ont vu d’autres choix possibles que de s’orienter vers la médecine de libre pratique. Mais cet exode massif des piliers de la médecine tunisienne n’est qu’un aspect parmi d’autres des menaces qui pèsent sur notre système de santé. Nous espérons que le débat national,

Dr. Mohamed Hedi Loueslati, Professeur en pharmacologie, et membre du Comité pédagogique de la Faculté de Médecine de Tunis Dr. Mohamed Khrouf, AHU au service de gynécologie de l’hôpital Aziza Othmana, et chargé de communication de la Faculté de Médecine de Tunis Et le Ministère de la Santé, pour nous avoir gracieusement fourni les statistiques nécessaires à notre enquête

Enquête réalisée par Chedi MHEDHEBI et Oussama AOUINA


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”LA MÉDECINE, C’EST DE L’AMOUR” : RENCONTRE AVEC

DR. CHERIF RAIS

Si vous avez l’intention d’aller un jour, au cabinet du Dr Cherif Rais, ne garez pas votre voiture au parking du sous-sol de la Kasbah, en sortir est un vrai casse-tête. N’emmenez surtout pas Sandra, elle prendra des photos de la Médina toutes les deux minutes, ne prenez pas Ferid avez vous, il aura un petit creux devant chaque gargote qui sert du leblebi ou de la citronnade, et si vous avez un peu de pitié pour vous-même ne m’emmenez pas, à moins que vous vouliez entendre parler d’histoires de harems, de beys et de mosquées. Au-delà des allées poissonneuses et grouillantes du Marché Central, N°3 24 Synapse Oct. - Nov. - Déc. 2012

existe un lieu où le temps s’est arrêté aux 70’ies. Un témoignage de sagesse et d’expériences, Dr. Rais, nous attendait dans son cabinet de la rue Charles De Gaulle. Dans sa salle d’examen au papier peint sombre et à la décoration sobre, nous avons pris place au milieu d’appareils d’ophtalmologie, de statues africaines, quand une silhouette se dessina derrière la porte en verre fumé. Un homme en blouse blanche d’un modèle ancien, et aux cheveux gris et en arrière, nous accueillit avec un sourire frais et amical, la discussion pouvait enfin commencer, Ferid prit aussitôt les commandes.

Parlez-nous un peu de votre parcours et de votre enfance : Mon parcours a été très particulier. A l’époque, nous n’étions pas trop pris en charge par nos parents. Nous étions livrés à nous-mêmes, ceci nous a aidé à nous construire. Je suis fils de Hédi Rais et son épouse Rafiâa Okbi , né en 1946. J’ai été très vite confronté à la réalité de la vie dans la mesure où mon père n’était pas un père très présent, pas comme aujourd’hui, «les papas gâteaux ». Les parents nous mettaient sur la voie, nous donnaient des idées directrices, des principes moraux de vie et de comportement, et c’est tout.


Ils n’étaient pas là pour nous assister moi et mes sœurs. - Je suis fils unique dans une fratrie de 5 sœurs – J’ai choisi l’internat à Bizerte pour des raisons de sécurité, de refuge beaucoup plus, parce que j’étais livré à moi-même et il me fallait un environnement propice, compte tenu du contexte familial dans lequel j’ai vécu, et parental également. Je me suis puni entre autres. Ce n’était pas évident d’être à Bizerte pendant l’époque coloniale.

Quel genre d’élève étiez-vous ? L’élève modèle, premier de sa classe ? Absolument pas. (Rires) J’étais plutôt rêveur, mais j’avais un besoin vital de réussir. C’est ce qui m’a poussé et boosté en quelque sorte, parce que je savais que je n’avais pas d’autres recours que la réussite. Il fallait que je bosse. Il fallait que j’ y arrive et puis j’ai inconsciemment fonctionné par rapport à un complexe et à un défi. Le paternel étant ce qu’il est, faisait de l’ombre, bloquait mon mode de fonctionnement ne serait ce que par son image et son aura. Il me fallait une place, et me faire une place c’était prouver que je pouvais me débrouiller tout seul. J’ai plusieurs explications à cela parce que j’ai fait une petite auto-analyse plus

tard. J’ai fait plusieurs fugues par exemple. C’était une sorte de défi, de rébellion. Même le choix de la médecine, de la spécialité - dans mon inconscient je pense - a été conçu pour marquer mon existence par rapport à un père qui à l’époque représentait quelque chose de très important pour moi.

Votre formation et votre carrière médicale : Après le baccalauréat, j’ai fait une tentative d’inscription à la Faculté de Médecine de Tunis, mais je n’ai pas poursuivi. Je me suis donné une année pratiquement sabbatique qui m’a servi comme année de réflexion pour choisir un mode de fonctionnement et une carrière estudiantine que j’envisageais de l’autre côté de la Méditerranée. J’ai entamé mes sept années de médecine à Tours et ma spécialité d’ophtalmologie à Lyon. Alors, Lyon c’est un parcours très particulier. Pourquoi Lyon, parce que je me suis retrouvé avec le Maître George Bonamour, qui était un disciple et un confrère à mon père, et qui a bien voulu me prendre en charge comme j’étais orphelin et séparé de mon père depuis longtemps. Il a estimé que j’avais besoin de protection et il m’a servi en quelque sorte de père spirituel et de forma-

teur. Et à partir de là, je suis rentré à Tunis et j’ai eu mon certificat de fin de spécialité pour être Assistant à l’Hôpital Charles Nicolle. Survenus à ce moment-là, de grands chambardements ont consisté à passer de l’ophtalmologie classique à l’ophtalmologie moderne. Et en fait, c’était très accidentel. Vous savez, la vie est faite d’accidents. Vous vous trouvez à ce moment-là dans un tournant qui fait que vous prenez le train en marche, et que vous avez la chance de pouvoir vivre des changements qui sont très marquants pour votre profession. Je cite par exemple la microchirurgie, le passage de la greffe de cornée classique à la greffe moderne, les lasers… C’était une époque pionnière, extraordinaire, puisque ça s’est passé en très peu de temps. Et puis j’avais la chance d’être dans un service hospitalier où j’avais les mains libres. Très important. Il n’y avait pas de patrons castrateurs. J’ai pu m’exprimer librement, peutêtre parfois en trichant. Ce n’est pas toujours évident d’apporter du neuf. Le neuf dérange par définition. J’ai pu m’exprimer comme tout jeune de votre âge avec l’énergie que j’avais à ce moment-là, et c’était gratifiant parce que je pouvais faire ce que j’avais dû faire. J’avais aidé beaucoup de jeunes aussi à l’époque qui

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sont aujourd’hui chefs de services, patrons, grands médecins de l’ophtalmologie.

Tricheries ? Qu’avez-vous caché à vos seniors ? C’était essentiellement des orientations qui n’étaient pas conformes à l’époque. Elles étaient hors normes et je croyais en leurs bénéfices. Je trouvais des obstacles dans l’exercice de ma profession en tant que jeune débutant. Il me fallait parfois esquiver, tricher et travailler en sourdine pour pouvoir faire avancer les choses. Je ne le faisais pas contre le responsable hiérarchique, je le faisais parce que c’était le seul moyen de pouvoir faire passer le message. Ecouter son intuition, c’est très important dans votre future vie professionnelle. Surtout quand vous avez ce pouvoir d’intentionnalité qui est propre, lucide, limpide.. (‫ )ﺍﻟﻨﹼﻴﺔ‬Il s’agit de développer votre propre senti. A partir du moment où vous êtes pris par cet élan de pureté et de droiture, vous êtes dans le vrai. Autre tricherie, je me trouvais dans un service hospitalier à l’époque où j’étais encore en France, et il y avait la chirurgie moderne qui commençait à prendre forme dans les cliniques privées, grâce des collègues de renoms qui faisaient un travail avantgardiste, mais qui n’étaient pas universitaires. Je me devais donc d’aller les voir, et pour aller les voir, il fallait que j’aille chez eux dans leurs cliniques à l’insu de mes seniors. N°3 26 Synapse Oct. - Nov. - Déc. 2012

Votre relation avec les résidents ? Je pense qu’il y a une dynamique de groupe qui s’installe à partir du moment où vous faites partie d’une équipe et que vous avez réellement ce sens de l’équipe. Vous allez donner mais aussi prendre. C’est un échange absolument fructueux. Quand vous avez une croyance autour de vous et que vous arrivez à l’utiliser à bon escient, vous ne pouvez qu’avancer. J’ai gardé d‘excellents contacts avec eux parce que je me suis rendu compte qu’établir une relation saine, d’égal à égal, sans esprit de compétition et sans jugements, c’est d’abord aider l’autre à évoluer par lui-même. Etre à l’écoute de la différence c’est ce qui fait avancer, que ce soit pour la médecine ou pour la créativité de façon générale.

Pourquoi ne pas avoir continué dans l’enseignement alors ? Autour de cet exercice, il y a souvent beaucoup d’intrigues, des considérations non médicales. Le système n’était pas valorisant, il supposait une sorte de soumission qui n’avait rien de scientifique, ça générait des conflits qui se traduisaient par un mal-être et par de la frustration. Vous avez l’impression à un certain moment de faire du « sur place ». Dans notre parcours de vie, nous avons une capacité à transmettre, à donner. Au bout d’un certain temps, vous n’êtes plus capables de

le faire, d’autres derrière vous sont beaucoup plus jeunes, plus actifs et certainement porteurs de grand espoir. Pour continuer à donner, il faut leur céder la place et partir. J’ai continué à donner à ma façon, à travers l’associatif par exemple.

Nous vivons actuellement ce qu’on peut appeler une fuite vers le privé. Quelles sont les raisons selon vous ? La rémunération ? C’est un problème très délicat. Il faut être réaliste, vous vivez en société. Vous avez des engagements familiaux des prises en charge qui font que vous êtes obligés de faire un choix. Si vous voulez évoluer dans votre art, vous ne devez pas avoir des préoccupations matérielles. On peut vivre correctement et continuer à vivre son art de façon complète. Mais si vous avez des contraintes, automatiquement vous faites le choix du matériel. C’est clair. Et puis sans compter que ça n’a plus la même aura, vous n’êtes plus considérés de la même façon… Vous avez aimé, et vous n’êtes plus aimé. C’est extraordinaire. C’est un échange d’amour, et si on est mal aimé, on se sépare.

L’associatif, l’humanitaire… C’est un autre chapitre de ma vie qui a redonné un sens à l’existence de ma profession. Faire de l’humanitaire, c’est du lifting mental. Nous sommes dans une sorte de courant qui nous emporte, bouffé par le quo-


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Dr. Rais, lors de l’une des multiples caravanes auxquelles il a participé en Afrique tidien, par les occupations du moment qui n’ont plus rien à voir avec la pratique médicale. On s’oublie. Je me suis mis à faire de l’associatif en intra-national et beaucoup en Afrique, par l’intermédiaire de « Nédi Al Bassar » (‫ )ﻧﺎﺩﻱ ﺍﻟﺒﺼﺮ‬qui m’a offert la possibilité de participer des caravanes de santé. Je me suis repositionné par rapport à mon mode de fonctionnement. Je considère que c’est une véritable renaissance. D’autant plus que vous êtes dans le vif du sujet. Finalement je suis ophtalmologiste pourquoi ? Pour aider les gens à mieux voir, à voir ou à récupérer la vue. Je me suis rendu compte qu’il y avait énormément de gens qui étaient dans l’obscurité la plus totale par cécité curable. Par un geste chirurgical bien codifié, vous leur donnez la possibilité de revoir le lendemain. Et ça c’est spectaculaire. Spectaculaire quand vous traversez les campagnes africaines au Burkina, au Mali, au Sénégal, au Bénin.. et que vous voyez le nombre d’autochtones aveugles depuis parfois plusieurs années. Là, vous vous apercevez qu’il y a beaucoup de choses à remettre en question. Vous opérez des dizaines de patients par jour et le lendemain les patients récupèrent avec epsilon complication

epsilon infection… Comment ces gens-là, qui récupèrent avec autant de facilité, sont-ils heureux de vivre ce qu’ils sont en train de vivre, avec des moyens aussi sommaires et hors du commun ? Vous opérez avec la même boite une dizaine, voire une vingtaine de patients, et la seule stérilisation se fait avec un bain de Bétadine diluée. Le but, quand on aide ces gens-là, n’est pas d’apporter une technologie sophistiquée, c’est simplement d’apporter une technique efficace qui leur permet une récupération rapide, aux moindres frais, et pratiquement sans complications.

Quel a été le lieu de votre première caravane ? Niger. Il y a eu aussi le Burkina Faso, le Bénin à deux reprise, le Cameroun aussi et l’Afrique Du Sud.

La durée des caravanes ? Courte, de huit jours en moyenne.

Durant ces voyages, vous avez sûrement vécu des moments inoubliables. Quels sont votre meilleur et votre pire souvenir ? Je n’ai pas de pire souvenir. Je n’ai que de bons souvenir, c’est toujours une joie de partir avec une caravane de santé. Le meilleur, c’est ce malade aveugle, cécité bilatérale, tota-

le, et le sourire le lendemain quand vous défaites le pansement. C’est un moment d’extase. Un moment de retrouvailles avec l’absolu.

En moyenne, quel est le nombre de patients traités par caravane ? Le nombre varie en fonction de l’équipe. Pour deux opérateurs, nous opérons en moyenne quarante à soixante malades par jour. C’est énorme. Cela équivaut à l’activité d’un mois pour l’institut d’ophtalmologie, faite en un jour.

Vous parlez beaucoup de transmission et de savoir, pensez-vous qu’un médecin qui garde son savoir pour sa propre renommée, peut être qualifié de « grand » médecin ? C’est une évidence, on n’a aucun droit de garder le savoir pour soi. Il se transmet par définition. Nous ne sommes pas dépositaire du savoir, nous sommes des transmetteurs et vous êtes les récepteurs. Il ne faut pas vivre de son savoir comme si c’était une acquisition personnelle. C’est faux. Nous avons été placés au moment propice pour le recevoir. Le meilleur profit c’est d’en faire profiter les autres. Je pense que l’intelligence c’est

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de partager et de vivre la différence. C’est de notre différence qu’on arrive à grandir. A partir du moment où vous avez un savoir et que vous le transmettez mal, c’est que vous n’êtes ni responsable ni digne de ce savoir. L’interview terminée, ponctuée de rires et de flash photos de Sandra, nous avons pris congé de Dr Rais. Une

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grande émotion nous suivait encore sur le chemin du retour. Au début, il ne voulait pas nous parler de luimême, il voulait plutôt nous parler de son père. Dr Cherif, nous retiendrons de vous une modestie et une sagesse exemplaires. Nous cherchions, en allant à votre rencontre, une voie tracée par la foi en soi et par quelque chose de bien plus grand, l’amour. Merci pour nous l’avoir transmise.

Propos recuillis par : Ferid BOUOTHAMNI et Oussama AOUINA Photos : Sandra MGHAIETH


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VOTRE ASSOCIATION VOUS TEND LES BRAS,

années de notre parcours commun. Nous sommes tous embarqués dans ce même bateau, et si nous voulons un tant soit peu sortir de cette monotonie, il n’y a d’autres choix que de le faire en compagnie de nos camarades, les « carabins ».

Toute la famille Associa-Med réunie, lors du dernier Midterm National Meeting (Avril, Kerkennah) Imaginez que votre résident soit ce vieux compagnon avec qui vous avez tant de fois changé les couches des bébés. Imaginez que votre encadrant soit ce responsable du Comité d’éducation médicale, avec qui vous avez veillé jusqu’au matin pour préparer la formation du lendemain. Imaginez que votre Chef de service soit ce Responsable modèle avec qui vous avez sillonné Tunis entier, pour décrocher des contrats de sponsoring. Imaginez enfin que vous rencontreriez, lors d’un congrès, les vieux copains avec qui vous avez voyagé jusqu’au bout du monde, pour représenter la Tunisie dans un meeting de l’IFMSA.

et usantes. Nos amis, qui étudient dans d’autres facultés, ont du mal à comprendre notre rythme effréné. Ceux qui faisaient du sport, de la musique, ceux qui écrivaient, qui avaient une vie, l’ont un peu perdue en médecine. Si l’on s’amusait un peu à compter, on trouverait qu’on passe plus de temps avec les externes du service qu’avec sa petite amie. Qu’on le veuille ou non, notre destin est donc relié à celui de nos futurs confrères, et ce, dès les premières

Et c’est là, à mon sens, toute l’importance de s’intégrer dans l’Associa-Med. Nouer des liens, tisser un réseau de contacts et d’amis, et s’épanouir en se disant qu’on fait du bien à la société, c’est ce que nous offre cette association, vieille de plus de 23 ans. Des générations entières sont passées par là, et vous ne pouvez pas imaginer à quel point ils sont émus, lorsqu’ils nous voient batailler dur, pour arriver à réaliser nos projets. Eh oui, me diriez-vous, vous n’allez pas changer le monde ! Mais ce sont nous que ces actions changent, pas le monde. Ce nous, c’est l’Associa-Med qui nous l’inculque ; dans l’adversité et avec des moyens parfois minimes, se constituent un esprit de groupe et une rage de vaincre inébranlables. Piloter un projet, gérer une équipe, travailler en équipe, faire face à la pression, acquérir de la débrouillardise, améliorer ses techniques de communication…C’est que nous apprend notre association, grâce à la multitude de formations organisées, mais surtout grâce à l’exercice quotidien.

Tels sont les souvenirs qui resteront ancrés dans les esprits de ceux qui ont vécu l’aventure Associa-Med. Nous autres, étudiants en médecine, nous n’avons pas la vie facile. Entre les stages le matin, les cours l’aprèsmidi et la période de révision dont le spectre nous hante dès le mois de novembre, nous avons rarement l’occasion de passer du bon temps, et surtout, de nous exprimer. On a même du mal à garder le contact avec les vieux copains du lycée, tellement nos études sont absorbantes La Campagne électorale 2012 Synapse N°3 Oct. - Nov. - Déc. 2012

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ASSOCIA-MED

INTÉGREZ-VOUS !


Moi, à mes débuts dans cette faculté, j’avais déjà la chance de connaitre des Associamédiens endurcis, qui m’ont épaulé et facilité mon intégration. Je tiens d’ailleurs à les remercier du fond du cœur. Mais ne vous inquiétez pas, on n’a pas besoin de pistons pour intégrer l’Associa-Med. La porte est grande ouverte, et à tous, sans aucune discrimination ni prise en compte d’une quelconque appartenance. Parce que l’Associa-Med nous imprègne aussi de ses principes. Apprendre à tolérer l’autre, à comprendre l’autre, partir au contact des plus démunis et savoir les écouter, s’engager, sans pour autant se détacher de son apolitisme, s’ouvrir sur la société, et même apprendre les bases de la démocratie. C’est ce que nous enseigne notre association. Si vous êtes un Abbé Pierre dans l’âme, le Comité SCORP (Standing Committee On human Rights & Peace) est l’espace dans lequel vous vous épanouirez, et vous sentirez que vous faites quelque chose pour l’Humanité. On a tous, ou presque, commencé avec SCORP, avec ses actions quotidiennes dans les hôpitaux, donnant le biberon aux orphelins et faisant la lecture aux enfants hospitalisés.

Bibliothèques dans nos écoles – TOME 2 Si vous êtes un féru de médecine, et que vous voulez transmettre cette passion, le Comité SCOME (Standing Committee On Medical Education) est l’espace dans lequel vous vous épanouirez. Toujours à l’affût des dernières nouveautés médicales, le souci majeur des SCOMEdians est de faciliter la tâche à l’étudiant en médecine et de lui offrir la possibilité d’assister à divers ateliers et formations. Ils lui permettent ainsi de mieux assimiler ses études, lui qui y est si attaché.

Si le combat contre le fléau du SIDA et des MST en général vous tient à cœur, il faut frapper à la porte du Comité SCORA (Standing Committee On Reproductive health including AIDS). Il y a toujours une ambiance un peu spéciale dans les grands rendez-vous qu’organisent les SCOR’angels. La plus belle action de ce comité, qui sait mettre le paquet quand il faut, est le SCOR’acting : des séances de sensibilisation dans les foyers universitaires du grand Tunis, basées sur le concept de l’éducation par les pairs,

Festiv’AIDS, le grand festival de musique visant à sensibiliser les jeunes aux questions des MST/SIDA, avec ici le groupe de Métal tunisien, MYRATH N°3 30 Synapse Oct. - Nov. - Déc. 2012


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Si vous voulez perfectionner vos connaissances dans le domaine de la Santé Publique, le Comité SCOPH (Standing Committee On Public Health) est là pour vous. Apprenez à dépister les maladies les plus répandues dans notre société, tels que le diabète ou le cancer du sein, et combattez les fléaux qui rongent notre société, comme le tabagisme. La Santé Publique est aussi un vaste domaine émergent, vers lequel vous pourriez vous orienter, si vous n’êtes pas tentés par une carrière médicale classique.

Enfin, si vous voulez parcourir le monde, et visiter des pays dont vous ne connaissez presque rien, les Comités SCOPE / SCORE (Standing Committee On Practice Exchange / Research Exchange) vous offrent cette possibilité. Dans tous les continents et dans plus de 40 destinations, vous pourrez passer un mois dans le cadre de votre stage d’été. Mais vous pourrez surtout partir à la découverte d’autres horizons, avec une équipe d’étudiants appartenant à « l’Associa-Med du coin » qui fera tout pour faire de votre séjour une expérience inoubliable. En échange –et c’est là l’origine de l’appellation de ces comités –des étudiants étrangers viennent à leur tour découvrir la Tunisie. Vous vous demandez pourquoi nos comités portent des noms anglophones ? Eh bien c’est parce que l’Associa-Med a aussi une dimension internationale. Elle vous ouvre les portes de l’IFMSA (International Federation of Medical Students’ Associations), car elle est membre à part entière de cette prestigieuse organisation. L’Associa-Med a même organisé un March Meeting en 2009, un

L’équipe de l’Echange, lors d’une excursion dans le sud tunisien, l’été dernier des deux meetings annuels de l’IFMSA. Nous avons ainsi la chance de côtoyer nos confrères du monde entier, et de passer des moments inoubliables avec, qui sait, l’un des futurs Directeurs Généraux de l’OMS ! Mais avant de chercher à s’envoler sous d’autres cieux, ne serait-il pas plus judicieux de faire la connaissance de nos compatriotes carabins ? C’est la chance que nous offre l’Associa-Med après sa nationalisation, il y a de cela deux années. Avec nos collègues de Monastir, Sousse et Sfax, des perspectives énormes s’ouvrent à nous : des projets d’une grande ampleur comme « Bibliothèques dans nos écoles » -qui consiste à implanter des bibliothèques dans des écoles de tous les recoins du pays- et un plus grand impact sur la société civile. Depuis la nationalisation, les deux rendezvous incontournables de l’année

sont incontestablement le Midterm National Meeting et l’Assemblée Générale Nationale de l’Associa-Med. Pour moi, le symbole de cette union ne peut être que le Haka, le fameux chant guerrier des Associamédiens, que nos partageons non seulement avec les tunisiens, mais aussi avec les IFMSiens du monde entier. Mais au-delà de ces horizons qui vous semblent peut-être bien lointains, c’est au plus près de vous qu’œuvre l’AssociaMed. Nous avons vu les comités externes, les Standing Committees, mais il y a aussi les comités internes, ceux qui ont pour tâche de vous enrichir la vie à la faculté. Le Comité Festivités, qui organise des soirées à des prix estudiantins,

La délégation tunisienne, lors du dernier March Meeting de l’IFMSA, à Accra au Ghana Synapse N°3 Oct. - Nov. - Déc. 2012

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ASSOCIA-MED

c’est-à-dire l’éducation des jeunes par les jeunes, pour que le message passe plus facilement. La première fois que j’ai facilité une séance, j’ai mesuré l’ampleur du travail qu’il nous reste à faire en Tunisie dans ce domaine, mais j’ai surtout ressenti une grande satisfaction et un sentiment du devoir accompli.


L’équipe de SYNAPSE, lors du lancement du 2ème numéro, le dernier jour des examens, en juin dernier pour vous aider à passer du bon temps, le Comité Excursions & Voyages, qui vous emmène voir du pays, pour vous aider à décompresser, le Comité Site Web & Informatique qui n’attend que les mordus de technologie pour perfectionner notre site et nous offrir des merveilles de vidéos et autres œuvres artistiques, le Comité Sport, sans conteste un des comités les plus populaires de l’Associa-Med, avec son désormais traditionnel championnat de foot, la Med-liga, le Comité Culture qui travaille d’arrache-pied pour organiser de sublimes journées et concours, où on ne peut que mesurer l’ampleur des talents artistiques des FMTiens,

et finalement, le Comité Journal & Publications qui vous parle en ce moment, à travers votre magazine, et ne vous crie qu’une seule chose : Exprimez-vous ! Chers amis, vous venez tout juste d’assister à deux traditions de notre association, à savoir la semaine d’intégration et la campagne électorale. Je pense que vous avez dû mesurer le degré de motivation des Associamédiens, et à quel point ils veulent travailler pour vous. Maintenant, comment s’intégrer ? Ce n’est pas bien compliqué, il suffit juste de rejoindre le groupe facebook d’Associa-Med Tunis, ou bien

ceux de nos différents comités, et de poser une question. La réponse que vous aurez, l’engouement et l’hospitalité que vous sentirez, suffira à vous prouver que vous avez fait le bon choix. Par ceci, je ne m’adresse pas uniquement aux nouveaux venus, à qui je souhaite chaleureusement la bienvenue. Certes, ce SYNAPSE est celui des « première année », de l’intégration, mais peu importe le niveau d’étude, il n’est jamais trop tard pour s’embarquer dans l’aventure Associa-Med. Nombreux ont été les membres actifs qui, malgré leurs débuts tardifs, ont accompli de très belles choses. Vous avez peur pour vos études ? Sachez que ce que nous faisons c’est du bénévolat, et qu’il n’y a donc aucun engagement là-dedans. Comme vous l’avez vu, les avantages à en tirer sont, au contraire, bien plus conséquents. C’est grâce à l’Associa-Med que nous avons pu rencontrer des personnalités aussi exceptionnelles que Patch Adams ou Cherif Raies, et beaucoup d’autres...

Alors, étudiants de la Faculté de Médecine de Tunis, je pense que vous l avez compris :

Intégrez-vous ! Chedi MHEDHEBI Responsable Journal et Publications Associa-med Tunis La Semaine d’Intégration 2012, bienvenue aux « première année » ! N°3 32 Synapse Oct. - Nov. - Déc. 2012


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LA MÉDECINE, MALADIE DE L’HUMANITÉ ? Sommes-nous malades de la médecine ? Si les étudiants en médecine répondront volontiers oui à cette question d’Alain Castaigne, que répondra notre société, surmédicalisée et probablement inconsciente de ce malaise généralisé ? C’est un constat, la société moderne, productrice et consommatrice a recours à la médecine pour préserver l’image de l’homme invulnérable, performant et immortel. Mais paradoxalement, les découvertes impressionnantes de la médecine n’ont ni freiné la mortalité, ni éradiqué la maladie qui revient sans cesse sous de nouvelles formes plus virulentes et plus insidieuses. Ce constat qui conjure l’enchantement de la médecine efficace est au centre de Némésis Médicale, essai écrit en 1975 par Ivan Illich.

Illich ( 1926-2002), célèbre pour avoir affirmé que la profession médicale est devenue une menace majeure pour la santé, est un pédagogue américain, d’origine autrichienne et un critique radical de l’ordre capitaliste. Il a rendu notamment international, la philosophie de la convivialité, conviviale est la société où l’homme contrôle l’outil, et de l’autonomie. Cette vision utopiste de la société ou tu me soignes, tu m’assistes dans ma paralysie et je t’assiste dans ton accouchement, a généré le concept révolutionnaire d’iatrogenése, c’està-dire de maladie provoquée par l’action du médecin, concept repris par l’enseignement médical, paru dans des ouvrages aussi prestigieux que le Théme I. Mais quelle est donc cette Némesis ?

Dans la mythologie greco-Illichienne, les médecins disciples d’Asclépios ( le bienfaiteur de nos voitures avec son miraculeux caducée) sont coupables de démesure « hubris » pour chercher l’ambroisie, pilule d’immortalité divine, et ont été punis par la vengeance Némésis qui a engendré la maladie au sein de la médecine. Commençons par l’iatrogenése clinique, celle qui affecte la santé des patients, Illich affirme que dans un hôpital à la complexité technique, la négligence devient une erreur de diagnostic banale, et l’incompétence, un manque d’équipement spécialisé, à cette médecine aux antipodes de l’éthique et de la morale, s’ajoutent des opérations chirurgicales injustifiées, des troubles secondaires provoqués par les médicaments et une dépersonnalisation de l’acte médical. Peut-on parler de divorce du couple patient-médecin ? Castaigne le souhaite puisqu’il constate que la prescription d’ordonnances est devenue un rituel automatique, où le médecin reconnait la condition de son malade mais transfère une partie de son anxiété sur le médicament, son angoisse de ne pas pouvoir dédramatiser son malade effrayé par son infarctus. Que faire alors ? Apprendre à ne plus prescrire et placer cette nouvelle entente « conjugale » au centre de notre enseignement médical, et réfléchir sur la fonction remède du médecin. Si l’iatrogenèse clinique choque toujours les milieux scientifiques depuis les 70’ies, la sociale est censée ébranler la collectivité. En effet, l’iatrogenèse sociale, se présente lorsque la souffrance est hospitalisée, quand les foyers deviennent inhospitaliers aux accouchements, aux maladies et à la mort et lorsque le langage de l’expérience du corps devient un gribouillis bureaucratique. Illich critique la croissance des dépenses dans le secteur de la santé publique, nous lui pardonnerons de ne pas connaitre notre situation sous nos latitudes, ou réinvestir des fonds dans l’Hôpital est sans cesse une urgence, la priorité d’un Etat soucieux de garantir le droit d’accès aux soins. Cependant, il présente la question de la marginalisation de

Ivan Illich

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obsédé par une idée d’une mort paisible dans son sommeil pour éviter la mort clinique déshumanisée. Les propos du Pape de la décroissance ne rejettent pas les pratiques médicales. Tout en restant idéalistes et utopiques, ils rapprochent le plus possible le médecin de l’homme qui lui demande assistance. La convivialité et l’esprit d’entraide sont à promouvoir dans notre société aux mœurs moins engagées et plus « virtuelles ».

Visite du médecin aux malades, Par Albrecht Dürer, XVIème Siècle

certaines classes sociales comme est un vrai problème qui mérite qu’on s’y attarde un moment. En transformant le nouveau-né en patient hospitalisé jusqu’à ce qu’il recouvre sa santé, et en décrivant le cri de douleur de grand-mère comme un besoin d’être traitée au lieu d’un besoin d’être respectée, la médicalisation de la santé touche les individus qui ne sont pas ou plus productifs en marge d’une société qui les pousse hors des limites de sa normalité.

Ils nous apprennent que la maladie, la souffrance et la mort, indissociables de la condition humaine, ne doivent pas générer la morbidité mais la force, ne doivent pas nous pousser vers la solitude mais doivent créer des liens tissés autour d’expériences personnelles et familiales. Jean Paul, « malade de Charcot », confie à Psychologies : « Je suis tombé malade et j’ai rencontré l’humanité, la mienne et celle de ceux qui m’entourent ». L’efficacité des opérations médicales effectuées par des associations et des organismes dans le tiers-monde, le rôle de la

famille et de l’entourage dans l’encadrement des patients, interrogent la médecine hautement technicisée et sophistiquée, et montrent finalement que l’individu n’est malade parfois que d’une carence d’amour, d’humanisme et d’autonomie. Bibiographie : Sommes-nous malades de la médecine ? Alain Castaigne in Science et Vie hors-série Décembre 1976, « Le récit » : rubrique de Psychologies N°308, Juin 2011 Pour et contre Ivan Illich, Thierry Poucet in médecine santé et usagers, 1980 A Review of Illich’s Medical Némesis RAYMOND N. F. KILLEEN, MD in The Western Journal of Medicine 1976 ILLICH, Ivan (1975) : Limits to Medicine ; Medical Nemesis : The Expropriation of Health

Oussama AOUINA

Le déviant sexuel, l’aliéné mental, le handicapé, le malade de Charcot, le vieillard, autant de spectres de la précarité matérielle et affective qui hantent la société « jeune » , superperformante et libre. Illich, le prophète écolo qui a refusé de traiter sa tumeur et a affronté dignement sa souffrance, parle enfin de l’iatrogenèse culturelle, la plus dangereuse car affectant les mentalités. La peine et la souffrance qui devraient être perçues comme une expérience personnelle, un combat, un défi devient dans une société médicalisé, un problème objectif, impersonnel et intolérable. La patience, la persévérance ainsi que la compassion perdent leur rôle de vertus et deviennent inutiles, obsolètes et erronées. Au contraire affronter la souffrance est devenu, obscurantisme, romantisme, dolorisme ou sadisme. Illich affirme que nos sociétés perçoivent la mort comme un ennemi, la médecine devenant une guerre destinée à l’éliminer, et a même retirer le droit de l’être humain à présider sa propre mort, l’individu perd petit à petit son autonomie et devient And the prayer of faith shall save the sick, Par John Frederick Lewis, 1872 34

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MAGAZINE DES ÉTUDIANTS DE LA FACULTÉ DE MEDECINE DE TUNIS

MARIEM BEN CHAÂBENE,

LE NOUVEAU COUP DE CŒUR DES TUNISIENS

C U LT U R E

Saviez-vous que c’est un réel plaisir que de partager un café avec une personne aussi belle que brillante, et qui-plus-est, sous le ciel bleu de Carthage ? L’interview devait durer une heure, nous en avions fait le double ; le temps en sa compagnie semblait s’être figé. Dans une ambiance des plus délicieuses, Mariem Ben Chaâbene se confie, partage ses visions du monde, ses craintes, ses émotions, et en rit, pour vous.

Parlez-nous de votre formation, vos débuts, les difficultés que vous avez rencontrées pour en arriver jusque-là ? J’ai commencé à jouer du théâtre

depuis toute petite, je me rappelle que La Petite Fadette, au lycée, était ma première pièce de théâtre. Et même enfant, j’allais voir maman, je lui disais : « Voilà ! Tu me mets le foulard, le rouge à lèvre et les chichis, comme tous les gamins ! ». Le premier déclic, c’était au lycée : Je devais avoir 14 ans, quand, justement, j’ai intégré le club de théâtre du lycée pilote d’El Omrane. C’était un jour où il pleuvait des cordes, et où on devait se réfugier mes camarades et moi par pur hasard dans la salle de théâtre. Les professeurs nous ont bien accueillis, et c’était la grande révélation. J’ai trouvé un certain équilibre vu, qu’à cet âge, j’avais une forme de…perturbation, on va dire. J’étais à l’école française, et j’ai choisi d’aller vers l’école publique. C’était mon choix, je voulais être plus intégrée dans la société. Le théâtre m’a permis de trouver une certaine sérénité, un groupe assez diversifié et hétérogène, auquel je pouvais appartenir. Après, au fur et à mesure que les années avançaient, il y a eu le problème de l’orientation. Dans un premier temps, j’ai choisi de faire économie/gestion, par défaut, alors que j’étais plutôt littéraire. Mais je ne me voyais pas là-dedans, et du coup, la question : « Qu’est-ce que je veux faire plus tard ? » s’est posée et j’ai tout de suite su que

c’était le théâtre. Je voulais y entrer par les grandes portes, j’ai passé des concours et j’ai été acceptée à la Sorbonne. J’ai fait un cursus universitaire à la Sorbonne Nouvelle : licence générale, licence professionnelle et puis mon master, que j’ai validé mais que je n’ai pas soutenu, pour certaines raisons, parce que je ne pouvais pas faire comme je l’entendais. En dehors de la faculté, j’ai essayé de faire d’autres écoles, d’autres stages pratiques et ateliers, comme l’EVA, la School International, le Théâtre du Lierre, etc. Sinon, en même temps, il n’y a pas vraiment un parcours spécifique dans notre métier. Il n’y a pas de recette de la bonne formation, quelque que soit le pays, la crise y est même en France…Et puis les contraintes, notamment budgétaires, d’un jeune tunisien qui débarque en France avec les dinars tunisiens de ses parents, sans bourse, et qui doit travailler en même temps, ne me facilitaient pas la tâche. Certes, cela a contribué à faire de moi ce que je suis, l’actrice, et l’herbe de scénariste et de metteur en scène qui se fraie un chemin. Finalement, la raison de tout ça selon moi, c’était un besoin d’expression et d’échange.

On peut dire que vous avez une excellente formation…Mais pensez-vous qu’étudier le théâtre pèse vraiment dans la carrière d’un acteur, ou bien que le talent dans le jeu est quelque chose d’inné ? Vous savez, ce sujet a déjà été traité au XVIIe siècle : le paradoxe dans le comédien. C’est très vaste comme sujet, mais je dirais qu’un talent sans travail est un talent brut, impropre et grotesque. Et quand le talent manque, beaucoup de travail peut amener à un résultat. Ceux qui travaillent beaucoup, alors qu’ils ne sont pas forcément bourrés de talent, ont plus de mérite. Mais ça dépend de l’échelle de laquelle on parle : Dans notre marché à nous –si marché il y a- on est encore en phase d’adolescence artistique. On a été grandement handicapés par des parents stricts et conventionnels, à savoir les gens qu’on avait au pouvoir. En plus, l’art n’est pas une science exacte, y en a qui aiment l’art mais que l’art n’aime pas, et tout cela est très compliqué à comprendre pour certains. On en est encore au stade de la recherche, et la formation professionnelle est finalement une interrogation à qui devra se poser quant à la pratique du métier. Synapse N°3 Oct. - Nov. - Déc. 2012

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Aujourd’hui, quand on vous traite de star, comment réagissez-vous à ce titre : Est-ce que cela vous met la pression ? Est-ce plutôt une fierté ? La pression a toujours été là. Un artiste, par définition ,est quelqu’un qui est tout le temps dans l’urgence, dans la panique, l’urgence de dire et de faire quelque chose et d’en trouver la bonne forme. Ce n’est pas le titre qui va changer ça ou l’aggraver, mais il y a ce sentiment très agréable que je ne soupçonnais pas non plus. J’espère en avoir d’autres, dans le sens où c’est une reconnaissance. Notre métier peut être très ingrat par moments, et quand on a tant donné et travaillé si dur pour un métier qui n’est pas sûr, le fait d’avoir une reconnaissance vraie.. Je suis émue, je manque de mots. Je voulais dire que ça donne envie de continuer, d’avancer, de rester à la hauteur, de faire mieux.

On a entendu parler de cours de théâtre que vous donnez… Oui, en fait j’ai pris certaines initiatives, d’abord pour ma carrière, et puis parce que je sentais que ma petite personne de comédienne, avec ce que j’ai pu apprendre, se devait de partager. Tout ça est parti de l’intention de faire du bien et de faire avancer les choses. Et comme

j’ai eu de très bons retours à propos des projets que j’ai faits à la télé, je prends l’initiative aujourd’hui de proposer des ateliers, parce que, justement, la demande m’en a été faite. Je me dis qu’avant tout, c’est un devoir. Aujourd’hui, j’ai créé un atelier spécifiquement pour les adolescents, pour voir les éventuels problèmes de communication qu’ils ont, et essayer de régler ça avec une note théâtrale, autour du plaisir et du loisir avant tout. Il y a aussi des ateliers pour adultes, qui traitent pratiquement des mêmes sujets. Vous savez, des fois, on découvre certains talents, des gens qui ont raté leurs vocations, parce que notre société ne reconnait pas l’artiste à sa juste valeur. Beaucoup de personnes se sont retrouvées dans cet amalgame. Donc, aujourd’hui, quand je vois des gens qui ont un certain talent, qui ont l’envie et le respect du métier surtout, mais qui ne peuvent peut-être pas se permettre de voyager pour apprendre, j’essaye de leur transmettre tout ce que j’ai appris. Justement, quels sont vos projets à venir ?

Pas de films en vue ? La qualité de Responsable Casting, et en même temps de Coach, est en train de circuler dans le milieu professionnel. Dernièrement ? on a fait appel à moi pour être respon-

sable casting d’un long métrage, à savoir l’Enfant du Soleil de Taieb L’Houhichi. Et ce que j’essaie de faire, c’est d’influencer le domaine quant à la méthode de sélection et de préparation des acteurs, qu’ils soient professionnels ou amateurs. Le tableau est un peu flou, mais les projets sont là. Il faudra d’abord que je mette tout ça noir sur blanc. On va dire que c’est une grossesse avant la délivrance (Rires). Il y a des nausées, des fourmillements, des envies, un état complètement aléatoire…Et si un jour il y a délivrance, je vous tiendrai au courant.

Votre dernière apparition pour le grand public était au cours du mois de Ramadan dernier. Comment expliquer le phénomène Maktoub 3, le succès qu’a rencontré le feuilleton cette saison ? Bon, il faut dire que j’arrive dans une troisième saison d’une série préexistante. Mais ce que j’ai aimé dans Maktoub depuis la première saison, c’est qu’on sent vraiment qu’il y a cette petite différence par rapport à ce qu’on a l’habitude de faire. Maktoub était un peu le drame du quotidien, dans la manière d’interpréter certaines séquences, et même dans la manière d’interpréter des tunisiens. Maktoub parle notre langue, ce dialecte qui se perd. Maktoub avait quelque chose de spécial son

Mariem Ben Chaâbene, dans Maktoub 3 N°3 36 Synapse Oct. - Nov. - Déc. 2012


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traitement du dialogue et du drame. Et du coup, c’était intéressant de rentrer dans l’aventure. J’avais en tête une ébauche de scénario que j’ai essayé de développer par la suite. L’histoire me touchait de très près, et puis Semi Fehri m’a donné beaucoup de liberté, de marge de travail. Je pense aussi qu’il y a eu beaucoup de drames cette année, à savoir le décès de personnes proches à nous tous, les histoires de tribunaux, tout ça…J’étais impliquée dans ce travail de groupe, et ça m’avait forcément atteint. Le secret, vraiment, c’est qu’il y avait la bonne recette pour réussir. Il y avait de la concurrence aussi, on n’était pas les seuls sur le marché. On n’avait plus les mêmes conditions, plus les mêmes moyens, mais on devait prouver qu’on en était capable. Je pense que, finalement, c’est l’envie de bien faire qui a fait le succès de Maktoub, tout simplement.

Concernant Semi Fehri, pensezvous que la Tunisie perd un grand pionnier dans le domaine de l’audio-visuel ? Non. On ne peut pas parler de perte ; Semi n’est pas décédé, et il finira bien par sortir. Je dirais même qu’il est en train de gagner de plus en plus, parce que ce sont les contraintes et les conflits du présent qui construisent les combats du futur. Je pense que ça ne peut que lui donner de la

matière pour ce qu’il aura envie de faire par la suite. Maintenant, c’est une personne avec qui j’ai travaillé, que j’ai côtoyée, il y a forcément beaucoup d’affection, de respect et un partenariat. C’est pour cela que je le soutiens. Ça m’attriste de savoir qu’une personne avec qui j’ai tant partagé est maintenant dans une cellule. Mais je suis aussi quelqu’un qui respecte la justice. Ce que je sais aujourd’hui, c’est que, concrètement, son incarcération est -parait-il- abusive. Si ce n’est pas le cas, j’aimerais bien voir les preuves. Tant qu’il n y en a pas, je me sens en danger en tant qu’actrice, et je refuse et je condamne en tant que citoyenne, surtout après tout ce qui s’est passé dans le pays. Je pense que, dans son domaine, c’est quelqu’un dont la Tunisie a besoin, il a créé une nouvelle manière de faire. Et je trouve très médiocre, et très amer, que de vouloir esquinter quelqu’un parce qu’il réussit bien. Même moi j’en paye les frais aujourd’hui.

sciences politiques, mais je sais que tout cela n’est pas net. Je pense que c’est malheureusement devenu une seconde nature chez nos concitoyens que d’être malhonnête, plutôt de ne pas être honnête avec soi-même. Il faut savoir admettre ses faiblesses. Il y a des gens qui ne peuvent pas diriger un pays, mais qui prétendent le savoir. L’appel que j’ai envie de lancer, c’est de dire à ceux-là de laisser la place aux plus compétents, tout ça pour le bien du pays et hors de tout dogme. Nous sommes tous les enfants d’un même territoire et on a le droit d’y exister. Le seul salut de la Tunisie, c’est d’accepter sa diversité. Il faut que le tunisien acquière une conscience sociale, et pour se faire, il doit y avoir une conscience politique, que nos politiciens sont incapables d’instruire. Franchement, je vous dis qu’aujourd’hui, je ne sais pas de quoi demain est fait. Tout ce que je sais, c’est que je fais de mon mieux pour limiter les dégâts.

Etes-vous confiante quant à l’avenir du pays en général, et concernant les libertés individuelles et la liberté d’expression plus précisément ?

« Si ce n’était pas le théâtre, ça aurait été Médecins Sans Frontières », aviez-vous dit. Quels sont les points communs entre Théâtre et Médecine ?

Confiante non, déterminée oui. Le 23 Octobre, je me rappelle que j’étais fière d’aller voter, j’en avais les larmes aux yeux. Aujourd’hui, je me sens trahie. Je ne suis pas experte en

On essaie de faire le bien autour de nous, d’échanger avec les gens, d’estomper la misère...Les médecins essaient de réduire les maux à travers le monde, de combattre la nécessité. Synapse N°3 Oct. - Nov. - Déc. 2012

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Le théâtre, quant à lui, agit sur les esprits en véhiculant un message d’espoir pour les pauvres, et de générosité, de dons et de partage pour les riches. Et quand je dis « pauvre » et « riche », ça s’applique même en termes d’idéologie. L’origine de tout cela est l’échange entre les humains, pour vivre plus facilement ensemble. Moi, dans mon domaine, j’essaie de faire avancer les choses et d’élargir mes horizons pour mieux aider les gens. Le point commun, me ditesvous ? C’est la miséricorde, je dirais.

Vous avez participé, avec l’Associa-Med, au fameux « dîner ramadanesque » organisé à l’hôpital Salah Azaiez. Etes-vous impliquée dans la vie associative ? Vous aviez fait une belle initiative pour les enfants cancéreux, une initiative que je salue énormément. Même là, quand j’en parle, j’en ai la chair de poule ! J’ai eu beaucoup de peine en y allant, en voyant des enfants si vulnérables. Ce qui m’a marqué par exemple, c’est que ces petits n’avaient même pas la climatisation, en plein mois d’août. Il y a beaucoup de précarité, de médiocrité et de failles dans notre système, que ce soit dans le médical ou dans le social. Je lance un appel aux associations, qui sont très nombreuses mais qui ne collaborent pas entre elles : Il faut essayer de prendre des initiatives durables et investir sur le long terme. Je fais moi-même partie d’une association, « Un Sourire Pour Tous ». N°3 38 Synapse Oct. - Nov. - Déc. 2012

On se donne vraiment du mal, pour s’occuper des orphelins, des plus miséreux…On fait ramadan pour tous, réveillon pour tous…On était à Sejnane il y a deux semaines pour faire la rentrée scolaire et offrir des cartables à des enfants qui habitent à 5 Km de l’école, au milieu des montagnes.

Maintenant, un peu de tac au tac : Mariem Ben Chaâbane, en un mot ! Libre !

Meilleure pièce de théâtre ? Ecrite ? L’éternelle Roméo et Juliette,

sans doute. Vue ? J’étais encore enfant, il y avait cette afro-américaine qui avait fait une pièce à El Teatro, ça s’appelait Black Shining Shoes. Ça parlait du racisme, du rapport maternel, du rapport hiérarchique, c’est une pièce qui m’a beaucoup marquée et qui a influencé mes choix. Pour les pièces tunisiennes, je suis une adepte de Jâaibi, Khamsoun m’avait marquée. J’ai vu trop de pièces, et c’est rare qu’une pièce me plaise, pour être honnête. D’ailleurs, ça explique le temps que je mets à faire la mienne, parce que je suis vraiment exigeante.

Meilleur film ? Je dirais que chaque période de ma vie correspond à un film préféré, mais j’aime beaucoup les travaux de Baz Luhrmann, Moulin Rouge, Ro-

méo et Juliette, etc. Dernièrement, j’ai beaucoup apprécié Mamlakt Ennaml de Chawki El Mejri, malgré quelques réserves.

Meilleur acteur / actrice ? Johnny Depp. Mais si j’ai un objectif, c’est de donner un jour la réplique à Di Caprio. J’admire son parcours, ce serait énorme. Mais je ne pense pas que ça soit quelque chose d’impossible.

Un petit mot pour les étudiants en médecine et les jeunes en général ? Oui ! Les étudiants en médecine devraient ne pas oublier de s’éclater, même quand ils ont beaucoup de travail ! Je dis simplement aux jeunes : Faites du théâtre, faites du théâtre et refaites du théâtre ! C’est une bonne discipline, c’est un espace de communication et de dialogue, où on apprend à tolérer l’autre, et à se tolérer soi-même, à se connaitre, à s’exprimer et à échanger. Ça ne peut être que bénéfique dans une société qui n’a pas encore les principes du débat et du dialogue. J’espère qu’il y en aura plein qui rempliront les salles et les ateliers, parce que je suis sûre que ça aura un impact énorme sur la société. Mariem Ben Chaâbene, merci pour ce moment de pure délectation !

Cyrine BEN SAID


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UNE CHANSON ... «LA MUSIQUE RACHÈTE L’HOMME.» - MARC GENDRON

Avril 1962.

si, idéalisme, un peu, sur les bords.

10 minutes : « J’ai écrit cette chanson en 10 minutes, aligné les mots comme un chant religieux »

Des questions tranchantes, dures, précises. Et une réponse vague, soufflée dans le vent: « the answer, my friend, is blowing in the wind ». Pour Dylan, la réponse n’est pas entre les mains de l’élite politique, intellectuelle, du gouvernement, elle n’est pas dans les films ni dans les livres. Elle est fuyante, mais surtout, un peu ignorée. On ne se rend pas compte lorsqu’elle nous est doucement soufflée au creux de l’oreille, trop discrète pour nos pensées cacophoniques, pour nos idées bruyantes.

L’inspiration afflue, reflue. Les mots s’échappent, l’encre grave, ancre dans les mémoires. Engagé. Enragé. Bob Dylan, jeune américain de 21 ans, mobilisé dans la lutte contre la guerre du Viêt-Nam, lutte pour la nonviolence, lutte pour le droit à la dignité de tous les hommes. Questions. Rhétoriques. How many roads must a man walk down, Before you call him a man ? Yes and how many deaths will it take till he knows That too many people have died ? Indignation face à la violence, face à la cruauté, face à l’hypocrisie. Mais aus-

Bob Dylan menait à la réflexion dans le contexte politique tendu des années 1960, mais s’il l’avait écrite en 2012, elle n’en aurait pas été moins parlante. Parce qu’il attire l’attention en toute simplicité, avec une quasi-naïveté frappante dans le monde d’aujourd’hui. Parce que détourner le regard et faire le sourd est un crime, un meurtre de la conscience.

Une chanson intemporelle, une chanson reprise au cours de la fameuse marche du Civil Rights Movement menée par Martin Luther King, un appel à la paix, à l’acceptation, à l’abolition des horreurs qui jonchent le monde moderne.

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UNE CHANSON, UN FILM, UN BOUQUIN…

BLOWIN’ IN THE WIND (1962) BOB DYLAN


UN FILM ... «LA PEAU HUMAINE DES CHOSES, LE DERME DE LA RÉALITÉ, VOILÀ AVEC QUOI LE CINÉMA JOUE D’ABORD.» - ANTONIN ARTAUD

INTO THE WILD (2007) neusement tracé par la société. Mais rien dans ce scénario ne convient à son idée du bonheur, de l’épanouissement : quoi de plus instinctuel chez tout Homme que cette fameuse Quête, la quête du bonheur ? Au feu tous ces papiers qui signent une identité conventionnelle, conventionnée, approuvée, volée. Au feu ces boulets de plomb aux chevilles de l’accomplissement. Il prend la décision de partir à la recherche d’une paix intérieure, une paix spirituelle, qu’il ne peut trouver sur place, emprisonné dans un cachot d’idées étroites et d’avenirs préconçus. C’est alors que le jeune homme parcourt montagnes et toundras, qu’il découvre le silence et la quiétude du sauvage, qu’il se libère – ou se séquestrerait-il ? – dans une solitude profonde. Il apprend à découvrir le corps humain, souvent besogneux, mais surtout tenace et robuste. Il croit avoir appris la Nature. Une Nature bienfaisante, puissante, pure, saine, mais qui finit par l’empoisonner : Christopher comprend, au bout du chemin, un chemin qu’il n’arrivera pas à rebrousser, que le bonheur, c’est l’Autre. A bout de forces, il trace ses derniers mots : « happiness only real when shared » (le bonheur n’est réel que lorsqu’il est partagé). Une leçon de vie, ou une leçon qui lui a coûté la vie. L’homme est un animal social, disait le bien sage Aristote, Christopher McCandless a essayé pour nous.

Adaptation du roman de Jon Krakauer (1996), relatant une histoire vraie Combien de temps chacun de nous tiendrait, lâché dans la nature ? Juste soi et le reste du monde. Et le ciel pour seule limite. Le ciel, et la liberté. Combien de liberté supporterionsnous ? Trop de liberté tue-t-elle la liberté ? Pas de téléphone portable, pas de Facebook. Pas de règles, ou alors juste cel-

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les de Dame Nature. Pas de contraintes. Pas de demandes, pas d’attentes. Pas de rendez-vous ni de deadlines. Pas de stress, pas de confort. Pas de bruit, pas de sous. Juste soi et le reste du monde. Je ne donnerais pas cher de notre santé mentale. Christopher McCandless est un jeune étudiant américain, fraîchement diplômé et issu d’une famille qui n’attend de lui rien d’autre que de suivre le chemin conventionnel et précaution-


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UN BOUQUIN ... «SI VOUS JUGEZ LE LIVRE, LE LIVRE VOUS JUGE AUSSI.» - STEPHEN KING

personnage monstrueux en quête de grandeur et d’ambitions sanguinaires, dictateur misanthrope, dérangé, et fan d’opéra. Toutefois, il est un peu singulier d’imputer à l’Université de Vienne la responsabilité des actes de ce personnage meurtrier, un internaute commente même : « Maintenant, reste à savoir ce que serait devenu Ben Laden si son meilleur ami ne lui avait pas volé son dessert à la cantine.»

Avec des si, on referait le monde, on mettrait même Paris en bouteille diton. Ce qui rappelle un peu la fameuse phrase de Blaise Pascale : « Le nez de Cléopâtre, s’il eût été plus court, toute la face de la terre aurait changé » (in Pensées) Et si j’avais choisi autrement. Et si j’avais pris le chemin opposé. Et si j’avais osé. Et si j’avais parlé. Et si les choses avaient été différentes. « - Adolf Hitler : recalé. Le verdict tomba comme une règle d’acier sur une main d’enfant. - Adolf Hitler : recalé. Rideau de fer. Terminé. On ne passe plus. Allez voir ailleurs. Dehors.» Le 8 Octobre 1908, les rêves et ambitions d’un jeune homme sont brutalement annihilés. Adolf Hitler est recalé, jugé peu talentueux. L’Ecole des Beaux Arts de Vienne ne veut pas de lui. Adolf Hitler, un jeune homme des plus communs, des plus inoffensifs, des plus ordinaires. Adolf H., qui aurait pu demeurer Adolf mais qui se change en Hitler, l’Hitler historique.

Schmitt rédige deux récits distincts, deux histoires parallèles, les portraits de deux hommes différents qui s’avèrent en fait n’être que les deux parts d’un même individu. Mais comment lier le parcours d’un Adolf H. diaphane, pas particulièrement sympathique mais absolument pas diabolique, à celui de l’Hitler de nos livres d’histoire ? La Part de l’Autre n’est pas uniquement une biographie romancée couplée à une biographie uchronique*, c’est surtout une réflexion sur une question très pertinente, et que l’Homme n’a eu de cesse de se poser : de quoi chacun d’entre nous estil capable ? Quel est notre potentiel à faire du mal ? Parce qu’on renferme tous un Hitler en puissance en nous et qu’il suffit peut-être juste d’appuyer sur le bouton déclencheur pour le laisser prendre le dessus.

Il semble alors que la théorie ultime de Schmitt soit qu’on ne naît pas monstre, on le devient. La rancœur, l’échec, l’amertume l’ont moulé. C’est ce double qui se trouve en chacun et qui menace de faire son apparition. Cette bête violente qu’on souhaite garder en cage toute sa vie. C’est la part de nous qu’on choisit de nourrir aux dépens de l’Autre, celle qu’on délaisse, qu’on ne couve plus. C’est comme ça qu’on fabrique un Homme. * L’uchronie est une évocation imaginaire dans le temps. En littérature, c’est un genre qui repose sur le principe de la réécriture de l’Histoire à partir de la modification d’un événement du passé. L’auteur d’une uchronie prend comme point de départ une situation historique existante et en modifie l’issue pour ensuite imaginer les différentes conséquences possibles. À partir d’un événement modifié, l’auteur crée un effet domino (effet papillon) qui influe sur le cours de l’Histoire.

Adolf H., accepté à l’Ecole des Beaux Arts de Vienne, se construit un avenir brillant de peintre reconnu, évoluant dans le Paris des années folles, allant même jusqu’à épouser une juive, se faire suivre par Freud et défendre avec ardeur le sionisme (le manichéisme semble alors un petit peu poussé), tandis que son alter égo machiavélique, Hitler, n’est autre que le Mona CHEBAANE Synapse N°3 Oct. - Nov. - Déc. 2012

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UNE CHANSON, UN FILM, UN BOUQUIN…

LA PART DE L’AUTRE (2003) ERIC-EMMANUEL SCHMITT


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Assemblée Générale du Syndicat Général des Médecins et Pharmaciens Hospitalo-universitaires, le 4 octobre à la Faculté de Médecine de Tunis : A l’appel : « Que lève la main celui qui est pour la continuation de la grève, jusqu’à satisfaction de nos revendications », telle a été la réponse de l’audience.

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