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Patrimoine en pierre du Sud du Maroc: quelles leçons retenir ? Cas des greniers collectifs de l’Anti Atlas
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Image de couverture: Mur en pierre sèche et cases de l’Agadir Inoumar © Slocum Studio
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Patrimoine en pierre au Sud du Maroc: quelles leçons retenir ? Cas des greniers collectifs de l’Anti Atlas
Tifawt LOUDAOUI Étudiante
Marine Bagnéris Directrice d’étude
Séminaire TPE S9:
Matières structurelles : Pierre(s) Janvier 2019 ENSA Marseille
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Préface Ce travail de recherche s’inscrit dans le cadre des travaux réalisés au sein du Séminaire de master Matières structurelles, encadré par Marine Bagnéris. Un séminaire qui nourrit les studios de projets «Manipulations constructives» et «Mutation des structures habitées» auxquels il est lié, et qui propose cette année, des thématiques liées au matériau de la pierre. Aujourd’hui il est possible d’importer des pierres de construction dans des régions aussi éloignées les unes que les autres, la pierre voyage et la concurrence dans le domaine de la construction s’accroît. C’est ce qui m’a naturellement initié à interroger la pertinence d’allier l’architecture locale traditionnelle et celle actuelle hybride réalisée avec des matériaux importés de tout bord. Cette recherche propose donc de saisir et de restituer le patrimoine bâti en pierre locale dans le Maroc. D’abord, à travers un aperçu sur les ‘’tazotas’’, cabanes agricoles entièrement en pierre sèche à l’exemple des bories de
l’arrières provençal, puis s’oriente vers les greniers collectifs (ou les igoudar) de l’Anti Atlas, édifiés également en pierre sur des sommets rocheux. Leur architecture particulière et leur dimensions socio-économique, m’ont interpellé et ont suscité mon intérêt face à l’abandon qu’ils subissent aujourd’hui étant délaissés par les habitants qui s’installent au fur et à mesure dans des maisons en parpaings enduits de ciment et de matériaux industrialisés. Il s’agit donc de dépasser l’esthétique de l’héritage et interroger plutôt le capital de résilience de ces techniques ancestrales. De ce fait, on traite la contribution qu’ils peuvent avoir, tant en terme d’entretien et de restauration qui contribuent à l’autonomie des communautés rurales qu’en terme de développement des réponses innovantes et expérimentales adaptées à l’architecture contemporaine. Ainsi, pourra-t-on assurer assurent une continuité actuelle avec la tradition partant de constructions traditionnelles dites vernaculaires.
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Plan de travail 1. Introduction : De la roche à la pierre 2. Le bâti en pierre au Maroc
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• Variétés géotechniques et architecturales
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Tazotas
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Les greniers collectifs
3. Les igoudar de falaise
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• Configurations d’implantations
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Cas de l’agadir Tasguent
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Cas du village Tissekmoudine
4. Matériaux et techniques de construction
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• Approvisionnement, choix et tri des pierres • La structure appareillée 5. Contexte socioculturel : cas des igoudar d’Amtoudi
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• Dans la genèse et l’évolution • Dans l’anéantissement 6. Regard d’aujourd’hui sur les greniers collectifs
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• Nouvelles vocations possibles cas de Tizourkane • Les altérations des igoudar et leur conservation 7. Quels horizons dans l’architecture contemporaine?
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8. Conclusions et perspectives
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9. Bibliographie
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Introduction
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Les pierres par définition courante et évidente sont des matériaux issus ou extraits de formations naturelles : les roches, qui constituent la matière terrestre. Nous distinguons trois grands types de roches selon leur composition et leur origine. • Les roches magmatiques, elles-mêmes subdivisées en roches volcaniques comme les basaltes et en roches plutoniques, tel que le granite. • Les roches métamorphiques, comme l’ardoise ou le schiste avec un aspect feuilleté , et le marbre ou le Gneiss. • Les roches sédimentaires, comme le calcaire et les grès. Ainsi la nature de la pierre, reste tributaire de sa roche-mère d’où elle est extraite. Les roches à leur tour, dans leur état brute, dépendent de la manière dont elles ont été formées et de l’époque géologique à laquelle les principales couches sédimentaires se sont déposées. Ceci nous permettra de mieux expliquer la répartition des roches dans les situations géographiques où elles sont répandues selon l’ère où elles ont été produites.
Le bâti en pierre au Maroc Variétés géotechniques et architecturales • Le Rif : C’est une chaîne de montagne récente, formée au tertiaire. Elle fait partie des chaînes alpines qui résultent de la collision Afrique-Eurasie.
Aperçu géologique
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L’objectif de cet aperçu sur l’étude géologique des régions du Maroc est de reconstituer leur composantes géologiques, et de ce fait, la pierre employée dans le bâti. Et ce, en partant du constat que la possibilité d’extraction du matériau en question dépend de sa disponibilité dans les conditions géoclimatiques.
• Les Atlas : Moyen Atlas et Haut Atlas. C’est une chaîne intracontinentale dans l’Afrique. Elle s’étend du Maroc à la Tunisie. • La Meseta : région composée de plaines, plateaux et collines. Ses terrains tabulaires constituent la couverture d’un socle paléozoïque plissé, métamorphisé et granitisé
L’analyse du fond cartographique du territoire Marocain met en évidence quatre grandes régions qui sont en fait aussi des domaines structuraux.
proche de Maroc
Tanger 0
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Agadir
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Fig.1 Carte des domaines structuraux du Maroc
1 sur 1
• L’Anti Atlas : c’est une région montagneuse au sud qui résulte d’un vaste plissement anticlinal récent et, au-delà, le sud Marocain, le Sahara proprement dit, région de vastes plaines et plateaux désertiques.
Tanger
Rabat El Jadida
Essaouira Agadir
Cette même distribution, superposée à la carte ci-côté des différentes ères géographiques du pays, vue précédemment, révèle le lien entre les typologies de roches des couches géologiques (strates) et celles du bâti en pierre dans chacune des quatre zones. En somme, les roches sédimentaires sont les plus utilisées et notamment le calcaire, grès, marne, gypse... Ceux ci sont développés dans le moyen et haut atlas durant le triasique et le jurassique tandis que les roches volcaniques seront plus retrouvées plus vers le nord dans le Rif. De ce fait, que verra-t-on de bâti avec la pierre locale retrouvée dans chaque région géographique? Pour quels types d’édifices spécifiques seraient-elles exploitées?
Fig.2 Géologie du Maroc . Carte développée à partir de la carte USGS (Persits et al., 2002).
Roches sédimentaires Tertiaire tardif au quaternaire Tertiaire Crétacé au tertiaire tardif Crétacé au tertiaire tardif Triasique et Jurassique Paléozoique Précambrien Roches volcaniques Volcanique Néogène Roches plutoniques et métamorphiques Igné (Paléozoique - Mésozoique)
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Fig.1 Tazotas jumelles accolées à angle droit ©Sergio Gnesda, Michel Amengual Les tazotas et toufris de l’arrière-pays d’El-Jadida 2006
Les tazotas
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L’arrière-pays d’El-Jadida
Sur la cote atlantique du Maroc, notamment dans la région des Doukkala, dans l’arrière-pays d’El-Jadida, à 90 km au sud de Casablanca, nous notons une épaisse formation géologique sédimentaire durant le crétacé. Ce terrain comprend principalement une couche inférieure formée par un mélange de craie et d’argile et une couche supérieure composée de sables et de grès, d’où disponibilité des grès dans cette zone. Parallèlement, nous relevons dans cette même zone une forte densité des Tazotas, un type de cabane agricole, en pierre sèche, en tout venant de grès . Ces édifices dont le nom Tazota signifie « bol » en berbère, sont bâties par des modestes paysans et des cultivateurs qui ont pratiqué l’auto construction avec la pierre qu’ils trouvaient in situ, matériaux d’épierrage
Fig.3 Carte de concentration des Tazotas dans la région de Doukkala © Christian Lassure Témoins de l’architecture de pierre sèche dans les pays autres que la France
20km
Fig.2 Carte géologiques simplifiée de la région de Oualidia - Etude des kystes de dinoflagellés des sédiments de surface du système lagunaire atlantique Marocain - Oualidia - 2017 Limons quaternaires Quaternaire marin et dunaire Pliocène Miocène Maéstrichien et Eocène phosphaté Crétacé
Jurassique Permo-Trias Carbonifière Dévonien Silurien Ordovicien Cambrien Précambrien Granite
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IMOINE AGRICOLE, UTILISATION DE LA PIERRE SECHE
S
extraits des champs. Leur construction remonte à la première moitié du XXe siècle, et plus particulièrement à la période du protectorat qui vit la sédentarisation forcée de la population nomade locale . Elles servaient à entreposer la paille de blé et d’orge et les tiges de maïs. Le même principe est d’ailleurs retrouvé en Provence au sud est de la France avec les bories du village de Gordes. Ils ont éfé édifiés lors du 17è et 18e siècle quand le pays devait faire
face à la croissance démographique . Les paysans conquièrent de nouvelles terres en aménageant des champs où ils développent de nouvelles activités complémentaires. Ces cabanes sèches étaient donc liées à leurs travaux agricoles saisonniers. Comme on les retrouvera aussi en Espagne, au Portugal, ou en Angleterre sous d’autres noms tel « beehive house » (littéralement « cabane ruche ») une cabane ayant la forme d’une ruche en cylindre-cône ou en ogive.
Fig.1 Borie allongée dans le village de Gordes ©Parc National du Luberon Fig.2 Beehive hut, cabane en pierre sèche de la péninsule de Dingle Fig.3 Plan et élevation d’une borie du village de Gordes ©Parc National du Luberon Fig.4 Deux tazotas en ligne ©Sergio Gnesda, Michel Amengual Les tazotas et toufris de l’arrière-pays d’El-Jadida 2006
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Fig.1 Vue de dessus de deux assises rectilignes encorbellées et déversées successives : en trait fin, les dalles de l’assise supérieure posées à joints croisés sur les dalles, en gros trait, de l’assise inférieure © Christian Lassure
Fig.2 Vue de dessus de deux assises auto-clavées successives : les pierres de la supérieure (en trait fin) posées sur celles de l’inférieure (en gros traits) selon la technique du ‘‘plein sur joints’’. © Christian Lassure
Fig.2 Vue intérieure d’une tazota lors de l’empilement des pierres. Auteur inconnu.
Techniques de construction
Le principe d’édification de ces cabanes en pierre sèche ne nécessite pas de coffrage. Les pierres sont disposées horizontalement ou même légèrement penchées, partants d’un plan de base soit circulaire ou elliptique, carré ou rectangulaire. Les couches vont en se rejoignant et la dernière assise est sommée soit d’une dalle terminale, si le plan de base est circulaire ou carré, soit d’une série de dalles juxtaposées ou se chevauchant si le plan de base est allongé. La voûte en encorbellement, consiste à disposer les pierres de chaque assise en surplomb par rapport à celles de la rangée inférieure, à la façon de corbeaux – d’où l’appellation du procédé. Chaque pierre ne dépasse pas hors de son centre de gravité propre la pierre sous-jacente, de façon à rester en équilibre. Pour cela, il suffit de donner à chaque pierre en surplomb une queue suffisante pour faire
contrepoids, et d’atténuer le poids de la partie en saillie en l’élargissant Si elles étaient posées horizontalement, on aurait, à proprement parler, une voûte en tas-de-charge, formée d’assises à lits horizontaux. Dans le cas d’une voûte sur plan circulaire, on a un système d’anneaux concentriques superposés horizontalement, avec cependant une légère inclinaison vers l’extérieur. Elles constituent un système où, chaque assise est indépendante de l’assise qui la porte. Pour achever la construction, on place un faîtage de grosses dalles plates qui renforcent par leur poids la stabilité du corps de l’ensemble. Il s’agit donc de techniques de pierre sèche que nous retrouvons autant dans ces Tazotas agricoles que dans les aménagements paysagers (murs de soutènement, terrasses, enclos…). De surcroit, la pierre sèche est aussi employée dans un registre d’architecture défensive au sud du Maroc à travers les greniers fortifiés.
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Les greniers collectifs Il s’agit de citadelles fortifiées, entourées d’une muraille et de tours de guet, édifiées le plus souvent en élévation et greffées à une falaise rocheuse des chaines montagneuses de l’Anti-Atlas. La fondation du grenier collectif au Maroc est attestée par des textes datant de la fin du XIIe siècle. Son existence a été signalée par Foucauld et Gautier, et depuis lors, certains ont été l’objet d’études très intéressantes, telles que celles de MM.Laoust et Monagne. Dans ces constructions fortifiées dans les montagnes, les Amazighs, connus sous le nom des berbères, emmagasinaient leurs bien et se refugeaient durant les guerres civiles. Dans les écrits relatifs à ces greniers collectifs, nous retrouvons aussi l’appellation de l’agadir (pluriels «igoudar»). Celle-ci signifie en berbère, la citadelle fortifiée, le nom d’Agadir est
issu de la racine berbère GDR signifiant « talus », « terrain en forte déclivité », « escarpement ». La fonction de ces bâtiments est avant tout défensive. L’agadir est édifiée avec la technique sèche ou en maçonnerie a liant naturel. Des centaines de niches de 4m³ (1.5mètre de large - 1 mètre de haut - 3 ou 4 mètres de profondeur) tapissent ses parois. On y accède en grimpant sur des plateformes servant de pallier et d’escalier. Nous relevons plusieurs typologies dans ces édifices tel les greniers collectifs de falaises, que nous avons choisi de développer dans les chapitres suivants. Ou des greniers troglodytes souterrains creusés dans le rocher comme Agadir N’ifri n’Imadidène, dans la région de Taliouine, au 12ème siècle. Dans ce qui suit, nous nous intéresserons surtout aux igoudar de falaise .
Fig.1 Un grenier de falaise: l’agadir Tasguent ©Terrier Michel Fig.2 Un grenier Troglodyte: l’agadir N’ifri n’Imadidène ©Terrier Michel
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LE DOMAINE SAHARIEN
Fig.1 Carte géologique simplifiée de la chaîne de l’Anti-Atlas Marocain, avec la localisation des principaux gisements métallifères ©Levresse, 2001.
Fig.2 Plissement dis-harmonique des calcaires du Cambrien de l’Anti-Atlas, région d’Igherm.
Les igoudar de falaise
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Le regroupement des greniers collectifs au Maroc correspond à une aire géographique déterminée. Dans le massif de l’Anti Atlas, on en trouve des dizaines: Amtoudi, dans la province de Guelmim, en comprend deux : celui d’Aguellouy et celui d’Id Issa. Celui d’Imchguiguilne, Inoumwr et Tasguent, Agadir n Tioualioun, n
Tilmezdirhal , n Sidi Yaqoub, Agadir Imi n Tsil, Imrharen , pour ne citer qu’eux. Parallèlement, nous relevons des dépôts détritiques de l’ère cambrienne (Fig 1) dans la zone étudiée suivis par une sédimentation de plate forme calcaire. Ce qui explique la disponibilité des pierres calcaires, souvent utilisées dans ces édifices.
Imi N’Tsil Imchguiguiln Inoumar
Tizourgane
Tasguent
Tissekmoudine
Id Aissa Aguellouy
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Fig.3 Carte de répartition de quelques igoudar dans l’Anti atlas marocain Images ©2018 Landsat / Copernicus, Data SIO, NOAA, U.S. Navy, NGA, GEBCO, Données cartographiques ©2018 Google
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Fig.1 Perspective falaise du grenier tasguent © Mehdi Benssid
Vers 1640
Après 1834
Vers 1880 - 1900
Fig.2 Évolution du plan de l’Agadir Tasguent en 3 périodes majeures ©Jacques-Meunié
Configurations d’implantation Entre village et grenier, deux configurations sont distinguées. Le premier cas où le grenier est excentré par apport aux villages d’habitations, celui-ci serait séparé d’une dizaine de kilomètres tel le grenier de Tasguent. Quant à la deuxième implantation , les habitants s’installent autour du grenier centré au sein de la muraille, et l’annexent, le village Tissekmoudin à titre d’exemple.
village
et
Implantation et évolution
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1-L’agadir Tasguent Entre
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grenier,
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Tasguent
Images ©2018 Landsat / Copernicus, Data SIO, NOAA, U.S. Navy, NGA, GEBCO, Données cartographiques ©2018 Google
au rocher, à une dizaine de kilomètres du village habité. L’agadir s’est d’abord constitué autour d’une première forteresse (Fig.2) qui date d’environ 900 ans, puis elle sera en constante évolution. La muraille s’agrandira au fur et à mesure, comme une résultante des besoins
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Images ©2018 Landsat / Copernicus, Data SIO, NOAA, U.S. Navy, NGA, GEBCO, Données cartographiques ©2018 Google
Fig.3 Implantation de l’Agadir Tasguent à 130km de la ville d’Agadir
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Fig.3 Implantation de l’Agadir Tasguent à 130km de la ville d’Agadir 50m
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Organisation Spatiale
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L’agadir Tasguent s’étend le long de 60 mètres et s’élève à 6 étages autour des 3 sas et galeries qui desserrent 209 cases. Chacune par famille. La forme insolite du plan témoigne de l’ingéniosité des bâtisseurs de l’époque à épouser la topographie du terrain et adapter les extensions aux besoins des villageois. Aussi,l’organisation spatiale au sein de sa muraille diffère de nombreux igoudar. Les longues travées droites communes distribuant les cases de part et d’autre, sont remplacées par des cours qui donnent accès à quelques cases. Chacune de ces cases juxtaposés est le grenier individuel de la famille. L’ensemble est protégé par une seule enceinte fortifiée fermée par une porte unique. Le gardien des lieux est choisi par la communauté, est nommé l’amine. Étant donné la construction du grenier Tasguent par les deux villages voisins Bouka et Amzrou . Chacun a désigné son responsable et leur présence à deux est nécessaire pour pouvoir y entrer, même aujourd’hui.
Fig.1 Cases mesurant 1m50 x 4m, desservies par un sas ©Terrier Michel Fig.2 Plan Agadir n Tasgnt - (Tribu idouska oufella) 5 étages - 209 Chambres © Jacques-Meunié Fig.3Tour Borj fortifiée du grenier tasguent ©Terrier Michel
4m
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En survolant plusieurs exemples d’édifices, nous notons que les igoudar sont centraux et aveugles vers l’extérieur. Il sont aussi entourés, toujours, d’un ou deux enclos en pierre sèches et de branchages épineux. L’accès à l’enceinte est assurée par une porte souvent fortifiée. Les tours de guet dans les angles et des banquettes de tir renforcent la défense et protègent également des constructions basés dans l’enclos: mosquée, citernes, moulins, cases… Les plans ci-côté¹ réalisés par Djinn Jacques Meunier² lors de sa mission entre 1941 et 1942 dans l’Atlas Marocain
¹ Les greniers collectifs au Maroc - par Meunié Jacques. In: Journal de la Société des Africanistes, 1944, tome 14. pp. 1-16 https://www.persee.fr/doc/jafr_00379166_1944_num_14_1_2553 ²
Dj
Jacques
Meunié,
Ethnologue
Française (1902-1985), Chargée de mission à l’Institut des hautes études de Rabat (Maroc). - Chargée de recherches au CNRS.
démontrent qu’il n’y a pas de réelle uniformité de plan. Bien au contraire, on voit souvent des plans au tracé le plus imprévu, imposé par la configuration du terrain. Aussi, une des particularités les plus curieuses est l’architecture circulaire ou semi - circulaire dont les cases s’inscrivent autour du centre et donnent vers le chemin de ronde intérieur. En somme, ces édifices présentent une grande unité due à la permanence de la pierre locale employée et à un programme similaire qui visait à la fois à emmagasiner les biens et à protéger la citadelle en organisant l’espace autour des distribution de cases .
Fig.1 Agadir Imi n Tsil - (Tribu Mezdagoun) 3 étages - 127 Chambres 8mx2 © Meunié Jacques Fig.2 Agadir n Sidi Yaqoub - (Tribu Idawgnidif) 3 étages - 140 Chambres © Meunié Jacques Fig.3 Agadirou Imrharen - (Tribu Ait Ali) étages - 133 Chambres © Meunié Jacques
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Fig.4 Agadir n Tioualioun - (TribuTouflâtz) étages - 44 Chambres © Meunié Jacques
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5m Fig.1 Plan masse de l’ancien village Tissekmoudin © bioclimaroc.ma, soutenu par l’Académie du Royaume et présenté lors de la COP 22 à Marrakech.
2- Village Tissekmoudin Village Tissekmoudin est un ensemble d’habitations implantées au cœur d’une palmeraie autour d’un grenier collectif fortifié. Les maisons bordaient
la forteresse, et les paysans avaient organisé leur vie quotidienne autour de la forteresse afin de se protéger des guerres civiles que subissait la région à l’époque.
Fig.2 Vue du ciel du Village © Mehdi Benssid
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Fig.3 Vue satellite du Village Images ©2018 CNES / Airbus, Données cartographiques ©2018 Google
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Pendant l’occupation Française, le lieu était connu pour sa résistance, étant donné les regroupements du makhzen. Mais les terres étroites, la sécheresse qui va nuire à l’agriculture, la croissance démographique, l’exode rural et l’émigration qui vont s’intensifier à partir des année 1950, vont entrainer le déplacement progressif des ménages en dehors de la palmeraie, pour s’installer dans les villes avoisinantes. Par conséquent, le grenier se retrouve aujourd’hui en ruine, à l’abandon. Autrefois, il était édifié principalement en pierres hourdées au mortier de terre, ou en pisé quand la pierre fait défaut. Mais à cause de la pluie et des autres intempéries, la terre du liant s’emporte au fur et à mesure et le mur non entretenu s’effrite inévitablement.
Fig.1 Fig.2 L’ancien village Tissekmoudin bâti en pierre et en pisé, actuellement en ruine ©Mehdi Benssid
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Matériaux et techniques de construction 32
Il est évident que les valeurs identitaires et sociales des techniques constructives de ces igoudar complètent et renforcent leurs valeurs écologiques , paysagères et esthétiques. D’ailleurs ces qualités constructives témoignent d’une grande maitrise des savoirs faire et des mises en œuvre structurelles .
Approvisionnement, choix et tri des pierres A priori, les pierres ne sont jamais choisies au hasard. Selon la localisation, les bâtisseurs repèrent et trient les roches déjà présentes sur le site, en fonction de leur qualités, degré de dureté, la taille de l’appareillage, afin de déterminer leur utilisation. La carrière est le chantier de construction
Les pierres les plus les utilisées comme en témoigne l’aperçu géologique (page16) sont principalement les calcaires et les grès. En revanche, lors des mouvements tectoniques, durant des milliers d’années, ces roches ont pu être soumises à des pressions très fortes et à de très hautes températures. Il en est résulté une transformation de ces roches en roches métamorphiques alors que les argiles se sont métamorphosés en schistes, utilisés notamment en lauzes pour les escaliers (Fig 3) «Les schiste, plus faciles à travailler, se découpent en feuille et sont davantage convoités que les granits durs. Beaucoup de pierres destinées à la construction dans le monde rural proviennent des carrières naturelles ou elles se détachent par érosion, mais aussi de ruines de bâtiments anciens alentour où elle sont prêtes à l’emploi» ¹
Fig.1 Les formes différentes des pierre ©Olivier Hérault - Pierre sèche théorie et pratique d’un système traditionnel de construction - Page 113 ¹ Extrait du livre de Salima Naji Greniers collectifs de l’Atlas - Patrimoines du Sud Marocain Page 199
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Fig.2 Textures de pierres dans différents igoudar ©Salima Naji - Greniers collectifs de l’Atlas 2006 - Page 193
Fig.3 Escaliers en Lauses sur le chemin de ronde de l’Agadir Tasguent ©Terrier Michel.
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Ces pierres seraient donc, une fois récupérées et triées, organisées entres elles, agencées, imbriquées en jouant de leur forme et de leur poids de manière à drainer les forces vers le sol, pour ne former de ces éléments qu’un, le mur. Il est impressionnant comment ces principes évidents de statiques étaient déjà connu à cette époque là chez les paysans n’ayant jamais reçu d’éducation scientifique, mais formés par la nature et l’école de la vie.
Structure appareillée Pour la plupart des igoudar implantés sur les falaises, on exploitait le piton rocheux en assise pour les fondations des murs comme pour les planchers. Sur un soubassement en ciment et pierre, grossièrement ajusté, qui sert de fondation, ils installent le chaînage
(Fig.1) principalement en bois d’arganier. Ce même bois disponible dans la région, était employé pour les solives des plafonds et aux jambages des portes. Les pierres peuvent être ajustées à sec ou en lit régulier maçonné au mortier de terre après une sélection judicieuse, ou au contraire assemblées en tout venant grâce à de fortes quantités de terre. Cependant il convient de noter dans les murs édifiés, assise par assise, l’existence de deux procédés communs dans cette technique de moelle du mur, pour reprendre le terme employé par Salima Naji ¹.
¹ Salima Naji (48ans), architecte et anthropologue Franco-Marocaine. Auteure également de « portes du Sud marocain 2003» et « Art et architectures berbères 2001»
Le principe de ce procédé (Fig .2) est de prendre en fourrure entre deux lits de murs parallèles une pierre de grande dimensions. Ce bloc allongé, n’était posé que pour les murs doubles du rezde-chaussée: dès le second niveau, un mur simple suffisait. Une autre variante, moins coûteuse, du procédé consistait à faire couler un mortier de terre, en tassant le mélange au fur et à mesure, dans l’interstice ménagé entre les deux murs montés. Ces deux murs parallèles,
Fig.1 Longrines de bois formant chainage. ©Salima Naji -Greniers collectifs de l’Atlas 2006 Page 197 Fig.2 Deux types de «moelle de murs : mortier ou blocs de pierre en fourrure. ©Salima Naji -Greniers collectifs de l’Atlas 2006 Page 197
qu’ils soient faits de pierre hourdée ou de blocs de pisé ( voire mixtes), étaient un excellent frein à toute tentative de vol. D’ailleurs, il s’agit de toute une culture de construction traditionnelle liée à un contexte socio-cuturel qui se reflète dans tous les aspects relatifs à ces greniers collectifs, partant de leur toute première genèse , des siècles auparavant .
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Contexte socio-culturel Cas des igoudar d’Amtoudi: Id Issa et Aguellouy
Il est évident que tout édifice d’une envergure comme celle des forteresses de l’Anti Atlas Marocain correspond à des conditions géographiques assez déterminées, imposant aux hommes certaines formes de vie économique, sociale et politique. Ainsi peut-on envisager cette question de point de vue de leur naissance et évolution, puis de leur anéantissement et abandon face à la dite modernité d’aujourd’hui.
En effet, ce conflit entre deux lignages d’Amtoudi les Id Issaa à migrer vers quelques centaines de mètres en aval des leurs, il y a environ deux cents ans. Depuis, chaque village dispose de son propre grenier fortifié où sont entreposés ses récoltes et ses biens de valeurs. Concernant l’époque exacte de leurs fondation, il faudra consulter un grand nombre d’écrits pour aboutir à des certitudes. Ceux ci font malheureusement défaut. ’’Un texte, aujourd’hui perdu, aurait évoqué une fondation du grenier autour de l’an mille, le grenier se serait alors appelé la forteresse de Ya’Qûb¹ ’’ ². Ainsi, le village de l’amont Aguelouy et le village de l‘aval Id Aissa se partageaient une même source d’eau et ont mis en valeur une longue palmeraie au bord de l’oued. Cependant, la sécheresse du oued et le climat sec, participeront entre autres, à l’abandon de ces igoudar.
Genèse des greniers Partant de ce constat, si la vallée d’Amtoudi compte aujourd’hui deux igoudar non éloignés, c’est suite au conflit qu’a vécu l’entité et qui l’a séparé en deux communautés, qui jusqu’alors partageait le même grenier.
Id Aissa
L’anéantissement des greniers La plupart de ces igoudar ne sont actuellement plus en activité, quoique le besoin du stockage s’impose encore de nos jours.
Aguellouy
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Images ©2018 CNES / Airbus, Données cartographiques ©2018
Fig.1 L’agadir id Issa, de l’aval © Mehdi Benssid Fig.2 L’agadir Aguellouy, © Mehdi Benssid
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¹ Hisn Ya’qub daterait de l’an 405 de l’Hégire (1015 de notre ère), selon les recherches de Lhoucine Aguinou-Baya ² Extrait du livre de Salima Naji Greniers collectifs de l’Atlas - Patrimoines du Sud Marocain Page 177
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D’ailleurs la nécessité d’assurer la longue conservation du grain et c’est l’un des motifs pour lesquels les magasins sont presque toujours situés sur des hauteurs afin que la ventilation soit active et que le grain ne s’échauffe pas. On atteint dans certains agadirs une conservation de vingtcing à trente ans ¹ » Durant la deuxième moitié du 20e siècle, la population de la vallée d’Amtoudi a connu une vague d’immigration vers les grandes métropoles Marocaines et vers l’Europe. Pour ceux qui n’ont pas quitté la région, des maisons de style «urbain» bâties en parpaing et en enduits de ciment remplaceront au fur et à mesure les anciennes maisons du village. Les greniers resteront désaffectés et ouverts aux passionnés d’architecture vernaculaire berbère. Or, quelques uns sont devenus difficiles à visiter car inaccessibles ou dangereux. Les chemins d’accès ont souvent disparu par manque d’entretien. Fondus dans le paysage, ils se devinent à peine. Ceci nous incite naturellement à se demander quels seront les traits d’avenir possible pour ces édifices de nos jours. Fig.1 Vue de haut des habitations récentes en parpaing annexés aux Igoudar © Terrier Michel
¹ Extrait du rapport de Meunié Jacques Les greniers collectifs au Maroc Page 14
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Regard d’aujourd’hui sur les greniers collectifs Nouveaux usages et vocations possibles : Cas de Tizourgane
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Fig.1 Vue Satellite de la Kasbah Tizourgane sur la route Ida u gnidif Tafraout
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1. Entrée
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2. Mosquée 3. Maison d’hôtes
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4. Greniers collectifs 5. Tours de garde
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Fig.2 Plan masse, distribution des espaces dans la forteresse
6. Atelier des Arts 7. Coopérative
Si certains igoudar sont aujourd’hui hélas abandonnés, Tizourgane au village de Tizilghanin - Idaw Ignidif verra en revanche une autre destinée. Il y a 20 ans maintenant, grâce à l’initiative privée d’un habitant déterminé: Jamal Moussali, le site a été converti en lieu d’accueil touristique . Le projet est basé sur un concept d’auto-développement par et pour les gens locaux, notamment les cinq familles qui y vivent encore aujourd’hui.
Présentation et évolution Agadir
Tizourgane
10Km
L’histoire du grenier de Tizourgane 10 km remonte à huit siècles. Et ce quand les habitants de la région venaient tailler les pierres de cette colline de calcaire afin de l’utiliser dans la construction de moulins. C’est ainsi que le plateau
pernicus, Data SIO, NOAA, U.S. Navy, NGA, GEBCO, Données cartographiques ©2019 Google
s’est formé en son sommet et que les habitants y ont construit leur citadelle, afin de se protéger des guerres civiles que subissait la région à l’époque. Enfin, ils lui donnèrent le nom de Tizourgane, nom provenant de ‘‘izergane’’ pluriel de ‘‘azerg’’ signifiant «moulin» en langue amazighe berbère.
Organisation spatiale L’agadir Tizurgane est l’un des rares igoudar dans lequel l’habitation est intégrée dans les parties du grenier. Dans l’ascension de la colline, l’escalier de dalles conduit à un porche fortifié, desservant des ruelles enfermées dans des remparts dotés d’un chemin de ronde liant les 32 habitations. Le borj contenait l’ancienne prison. Elle débouche sur l’assays, la place destinée aux danses collectives avec un four communal (afernu jami’). Au fond de la place se trouve la mosquée au mihrab arrondi, si caractéristique des mosquées de la région. Deux citernes « talbazit », recueillent les eaux de pluie. Autrefois, elle ne suffisaient pas pour tout le site, d’où les nombreux petits réservoirs disséminés dans le paysage qui complètent le dispositif.
Fig.3 Kasbah Tizourganine perché sur la colline © http://www.tizourgane-kasbah.com
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Survivance et nouvelle activité Jamal Moussali est exemple exceptionnel d’une personne ayant choisi, à l’encontre des autres, l’exode urbaine. En quittant Casablanca et son métier dans l’hôtellerie, pour rentrer sur ses terres au village tizilghanine et entamer , de ressaisir la Kasbah , quasiment en ruine cette année là. Il y rénove son habitation en guesthouse pouvant accueillir une dizaine de personnes, et proposant des circuits guidés arpentants l’agadir et ses cases de stockage. Partant d’une association créée
en 1999 par les locaux passionnés et soucieux de sauver leur héritage, classé patrimoine historique national, depuis 1995. En 2005 des travaux ont été lancés par l’ancien ministre de la culture sur le site. Ceux-ci consistaient à rénover les parties communes, recréer le chemin de garde et installer le réseau électrique jusqu’aux villages alentours. Cependant, quelques maisons sont encore restées en état de ruine. Malgré les propositions de l’association locale menées par les architectes El Kendi, Zerhouani et Ouazzi, qui sont restés hélas sans réponse.
Fig.1 Entrée de la maison d’hôtes de la Kasbah Tizourganine restaurée © http://www.tizourganekasbah.com Fig.2 Touristes visitant les greniers, sur le toit-terrasse de la maison d’hôtes de la Kasbah Tizourganine © http://www.tizourgane-kasbah.com
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Par conséquent, Jamal Moussali continue le combat et fonde en compagnie de son épouse, la maison d’hôtes Kasbah tizourgane. Celle-ci est rénovée avec des matériaux et des techniques de construction d’origine,et permet la promotion du tourisme rural de la région, et par ce fait, tend vers une autonomie des communautés rurales. Jamal Moussali affirme « si l’on veut dynamiser la région, connue pour ses magnifiques greniers et Kasbahs désertées par l’exode rural, il faut impérativement lancer un appel aux autorités compétentes pour apporter un nouveau souffle à la région en lui donnant
Fig.1 Chemin de ronde restauré dans un respect d’esprit du lieu et des techniques traditionnelles ©http://www.tizourgane-kasbah.com
les moyens de développer un tourisme rural vecteur de développement. Encore faut-il qu’ils tiennent leurs promesses…» Il s’avère ainsi que le nouveau souffle accordé à ces greniers collectifs, à travers leur réhabilitation avec des techniques et des matériaux locaux, la pierre en particulier, est le gage du développement durable. D’une part à travers la création d’emploi pour la population locale. Et d’autre part via les économies réalisées à travers de nouvelles activités qui permettent à la région de s’ouvrir sur l’extérieur et de penser un développement territorial durable .
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Novembre 2015
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Février 2016
Fig.1 Façade latérale de l’agadir Id Issa avant et après les travaux de réhabilitation. ©http://www. salimanaji.org
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Fig.2 Plan de l’Agadir Id Issa ©http://www.bioclimaroc.ma
Fig.3 Vue aérienne de l’Agadir Id Issa sur la vallée d’amtoudi après travaux de restauration ©Mehdi Benssida
Les altérations des igoudar et leur conservation
A priori, les greniers collectifs du sud du Maroc, édifiés en pierre sèche et en maçonnerie, défient les siècles face aux intempéries sur les sommets où ils sont implantés. D’ailleurs, il n’est pas certain que quelques constructions récentes, triomphantes aujourd’hui, résisteront aussi bien à l’épreuve du temps.
Les causes et mécanismes de la dégradation Les figures d’altération Étant donné la zone à climat relativement à climat sec et aride où les igoudar sont implantés, les problèmes liés aux remontées capillaires ne se pose pas en premier lieu. En outre, les infiltrations de l’eau de pluie qui ruissellent dans la maçonnerie suffisent pour conditionner le développement de la plupart des altérations. En effet, l’eau mobilise les sels solubles, peut geler, dissout les minéraux, favorise l’activité des organismes vivants et modifie les propriétés mécaniques de la pierre. Celle ci s’effrite au fur et à mesure, causant à titre d’exemple, l’effondrement d’une partie de l’enceinte fortifiée de l’agadir Id issa (Fig.1).
Il s’agit aussi d’une zone à faible taux de pollution vu que les igoudar ne se situent pas dans un environnement urbain ou industriel, mais l’altération de la pierre peut autant bien émaner des bactéries et des champignons qui se développent dans les végétaux supérieurs sur la surface à défaut d’entretien.
Influence des propriétés de la pierre Il est évident que quelque soit l’environnement dans lequel ils se situent, la nature et l’intensité des dégradations dépendent des propriétés du matériau. La résistance mécanique par exemple dépend fortement de la porosité de la pierre. A défaut d’éléments de recherches effectuées sur les propriétés des pierres retrouvées dans les igoudar, il est important d’effectuer des analyses in situ et des prélèvements en laboratoire pour identifier les agents responsables des dégradations. Par conséquent, on pourra préconiser les protocoles d’intervention (prévention, traitements…) et d’entretien adapté.
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Rôle de l’homme
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L’intervention des hommes, que ce soit des professionnels du bâtiment ou pas, n’est pas négligeable. Voire qu’elles peuvent être néfastes ou bénéfique à l’édifice. Le manque d’entretien quand ces bâtiments sont à l’abandon, ou les traitements inadaptés lors de la restauration par des non-spécialistes, altèrent beaucoup la conservation de ces monuments. C’est la raison pour laquelle Salima Naji porte ce grand défi à coeur depuis des années. Celui de réhabiliter les citadelles de la région de Guelmim. Ses actions concrètes de sauvetage ou de développement culturel, lui ont valu, entre autres, le prix jeunes architectes de la fondation EDF en juin 2004, ainsi que la remise de la décoration chevalière des Arts et Lettres en Septembre 2018.
Conservation de l’agadir Id Issa A l’agadir Id Issa d’Amtoudi, le projet de réhabilitation mené par Salima Naji se fait, comme il devrait, pour impulser la volonté aux communautés de restaurer par elles-mêmes, depuis les maîtresmaçons et ouvriers locaux. Ses travaux instaurés en 2015, ont d’abord visé une remise à l’état des pierres effondrées des façades latérales Ensuite, afin de faire gagner à l’édifice d’autres années de plus que celles qu’il a affronté, l’étanchéité était primordiale par l’application de la chaux sur les toits-terrasses (Fig.2). Celle ci assainit les supports grâce sa micro-porosité, elle est imperméable à l’eau, et protège des intempéries.
Fig.1 Salima Naji en compagnie des maçons ouvriers locaux lors du chantier. Décembre 2015 ©http:// www.salimanaji.org
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Fig.2 Niches destinées à recevoir les ruches traditionnelles en roseau tressé - Agadir Id Issa ©Mehdi Benssida
Fig.3 Photo du chantier lors de la réalisation de l’enduit à la chaux sur les toits. Décembre 2015 ©http:// www.salimanaji.org
Quels horizons dans l’architecture contemporaine?
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Entretenir ou restaurer ce patrimoine historique et culturel est certes un moyen de renouer avec le fil d’une civilisation sans pareille. En revanche, il s’est avéré que ces igoudar sont confrontés aujourd’hui à la modernité et aux évolutions trop rapides des modes de vie et des systèmes de production. Ceci est clairement traduit dans les nouvelles habitations qui les annexent aujourd’hui, bâties en ciment et en béton armé. On en déduit que la maçonnerie en pierre locale ne correspond pas aux canons actuels d’un matériau d’architecture. Ce qui nous pousse naturellement à nous interroger sur la façon dont ces cultures constructives peuvent êtres considérées en tant que ressources pouvant être réactualisées et mobilisées de nos jours.
édifiés. Ce n’est pas antinomique à la modernité, mais complémentaire, car il ne s’agit pas de complaire dans un passéisme inacceptable, ni dans un refus du progrès. Bien au contraire, il s’agit de renouer avec l’identité culturelle et historique, en termes sociaux et architecturales actuels. Le centre culturel des Ait Ouabelli, une commune rurale dans la province de Tata au Sud du Maroc dans la région Souss-Massa, livré en mars 2018, démontre bien cela. Agadir
Ait Oubelli
20km
Approches socio-culturelles Le thème est actuel en termes culturels et sociaux, la mise en œuvre de la pierre locale dans les constructions contemporaines, assure une continuité avec la tradition et l’histoire qu’a connu la région a travers ces greniers
Salima Naji qui en est l’architecte, privilégie les procédés constructifs ancestraux et l’héritage de savoir-faire en matériaux locaux, dans le respect de l’environnement et de la culture des lieux.
Images ©2019 Landsat / Copernicus, Data SIO, NOAA, U.S. Navy, NGA, GEBCO, Données cartographiques ©2019 Google
Fig.1 Centre culturel des Ait Ouabelli, Salima Naji, 2018 ©Mehdi Benssid
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Fig.2 Documents techniques du projet du centre culturel des Ait Ouabelli Š Salima Naji
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Fig.1 Processus de tri des pierres de gros calibre sur le chantier du centre culturel ©Mehdi Benssid Fig.2 Pose des pierres selon la technique traditionnelle ©Mehdi Benssid Fig.3 Galerie bioclimatique avec bardages en bois posés sur un panneau de contreventement en métal ©Mehdi Benssid Fig.4 Coupe shématique du système de ventilation et ensoleillement ©Salima Naji
Approche technique: A Aït Ouabelli, la présence, abondante des scorpions et la nécessité d’étanchéité a empêché l’emploi de la technique à joints secs présente régionalement. D’où l’usage du mortier de terre d’argile et de chaux dans les intérieurs, invisibles en parement. Ceci a permis entre autres, une commodité et une rapidité d’exécution plus grandes, car il n’était plus nécessaire d’être minutieux dans le choix, l’agencement et l’équilibrage des pierres et le calage des moellons. En revanche , les pierres étaient alignées sur une structure en béton armé, obligatoire conformément aux normes sismiques du Maroc. En outre, la question de la durabilité est au cœur de tous les procédés techniques de réalisation de ce projet. Étant donné le climat aride dans la région; les hivers aux nuits très froides, et les étés aux fortes chaleurs. Le projet prévoit, certes, d’utiliser la pierre locale en gros calibre en épaisseur suffisamment isolante, mais il
intègre aussi une galerie bioclimatique de régulation thermique assurant la ventilation des espaces, tout en les préservant du rayonnement lumineux direct du à l’orientation sud de la façade.
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Réalités économiques: Les problématiques économiques qui se joignent à l’intérêt technique et à l’approche socioculturelle, cités précédemment, sont actuels. Au Maroc, nous relevons dans un premier lieu de grands besoins de construction tant en milieu urbain que rural. En second lieu, la difficulté de fabriquer en quantité suffisante certains matériaux à fort contenu énergétique comme le ciment, les armatures du béton, le verre, ou, a fortiori, de les importer au prix cher est évidente. Car il ne faut pas négliger les coûts de transport de matériaux, induits par les distances entre les lieux de mise en œuvre et les lieux de production ou d’approvisionnement. Contrainte qui ne se présente pas en employant la pierre in-
Fig.1 École primaire d’ait Ahmed - Tommaso Bisogno + BC architects & studies, 2018 ©BC architects & studies,
situ par exemple. Ajoutons à cela la possibilité d’utiliser une main d’œuvre localement disponible et encore relativement peu onéreuse, le devoir même est de lui proposer des emplois utiles. Au regard des problèmes d’emploi au moment où le Maroc frôle les 2 millions de chômeurs ¹ . D’autant plus qu’on tend ainsi vers une autonomie des communautés rurales. Toutes ces raisons plaident pour l’utilisation, aussi souvent que possible de solutions locaux. Comme le démontre ce travail de recherche, la ré-exploitation des matériaux locaux de construction dans l’architecture contemporaine pourra remédier à une grande partie de ces enjeux.
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Les chiffres selon les données du
Haut-commissariat au plan (HCP) dévoilés en février 2017.
Fig.1 Contraste entre un mur en pisé bâti en 1964, dont l’extension s’est faite en 2017 en ciment, dans un village du Sud ©Tifawt Loudaoui
Conclusions et perspectives
Faire référence au riche patrimoine des greniers collectifs à travers ce travail, a dévoilé un savoir-faire ancestral des anciens bâtisseurs Marocains. Celui-ci s’estompe hélas face aux tristes constructions en parpaings qui envahissent les villages dans les oasis en contrebas des greniers, et dans l’ensemble du monde rural.
De plus, ce travail pourrait être complété et poursuivi sous différents aspects. D’ailleurs, l’arrière plan culturel, psychologique ou plutôt sociologique, qui émane des réticences -conscientes ou inconscientes- qui donnent l’impression de ne pas être de leur temps si l’on recourt à de tels procédés, dits dépassés, mérite justement d’être analysé.
L’exemple de Salima Naji démontre la pertinence de bénéficier de ce passé ancien et riche pour en tirer profit en retour d’expérience dans l’architecture contemporaine. Pourra-t-on ainsi les développer et y innover afin de se conformer aux variations de la demande sociale et aux développements techniques actuels.
Il convient également de pousser les analyses au sujet de la fabrication et la standardisation, voire l’industrialisation à partir de la pierre locale. Et de ce fait, définir les spécifications et recommandations de mises en œuvre qui pourraient la rendre suffisamment performante pour être conforme aujourd’hui et en faire de réelles alternatives à l’utilisation des matériaux dits modernes.
Cette recherche n’a porté que sur une région limitée, celle de l’Anti Atlas et sur un matériau, celui de la pierre. Celle-ci pourrait être extrapolée à tout autre région selon les matériaux locaux qui y sont disponibles. A entendre par matériaux locaux ceux qu’on trouve sur place et qui étaient utilisés de façon traditionnelle et empirique. En plus de la pierre, nous citons la terre crue ou cuite ou stabilisée, le sable, le gypse, la chaux et le bois ou toutes leurs utilisations combinées.
S’ajoute à cela la nécessite d’analyser des cartes de ressources pour estimer l’ordre de grandeur de la disponibilité des ressources en pierre à l’échelle des différentes régions Marocaines. A l’exemple du travail réalisé par Erwan Hamard en Bretagne, nous pouvons démontrer le potentiel disponible de ressources en pierre locale pour répondre aux enjeux de construction.
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Bibliographie BIGAS JP., BROMBLET P., MARTINET G., GAUDON P. et al. Pierre et patrimoine, connaissance et conservation. Actes Sud/ Cefracor, 2009, 214 p. Bittner Davina Peters. Sustaining culture through architecture : how can local, vernacular architectural principles be adapted to contemporary design in a village in Guyana, 2005, 71p. Christian
Lassure.
Essai
en Génie Civil Sous la direction de Antonin Fabbri. Lyon, 2017. Louis Cagin, Ada AcovitsiotiHameau, Marine Bagnéris et Romana Harfouche. Pierre sèche-Théorie et pratique d’un système traditionnel de construction. Eyrolles, 2018, 223 p. Meunié Jacques. Les greniers collectifs au Maroc. In: Journal de la Société des Africanistes, 1944, tome 14, pp. 1-16.
d’analyse
architecturale des édifices en pierre sèche, dans l’Architecture rurale en pierre sèche. No 1, 1977, pp. 1-60 CISSE,Abdoulaye. Quelle perception de l’architecture traditionnelle africaine aux yeux de la nouvelle génération ? Lyon, acte du colloque Terra 2016,11pages CRAterre « Valoriser les cultures constructives locales pour une meilleure réponse des programmes d’habitat ». Manifeste, 2010. Hamard Erwan, Lemercier Blandine, Cazacliu Bogdan, Razakamanantsoa Andry, Morel Jean-Claude. A new methodology to identify and quantify material resource at a large scale for earth construction – Application to cob in Brittany. 2018, 170p. Hamard Erwan .Rediscovering of vernacular adaptative construction strategies for sustainable modern building : application to cob and rammed earth. Thèse de doctorat
Ministère de l’équipement, du logement et des transports. Rapport du colloque francomaghrébin, rencontres euro-méditerranéen au Palais du Pharo à Marseille: Construire en matériaux locaux,traditions et modernité de l’habitat, approches culturelles, réalités économiques. 1991, 603 p. Moeyensoon Valérie . «La kasbah de Tizourgane retrouve son chevalier servant», AM Architecture du Maroc, revue bimestrielle No 36 (Janvier Février 2008), pp. 104-108. Naji Salima. Greniers collectifs de l’Atlas. Patrimoines du Sud Marocain. Édisud, , 2006, 309p. Parc Naturel Du Luberon. Bories. Edisud, 1994, 189p. Zerhouani Khaddouj. «L’ancienne Kalaâ, Tizourgane, reprend son souffle» , AM Architecture du Maroc, revue bimestrielle No 05 (Juillet Août 2003).
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Tifawt LOUDAOUI Étudiante Marine Bagnéris Directrice d’étude Séminaire TPE S9: Matières structurelles : Pierre(s) Janvier 2019 ENSA Marseille