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REQUIEM POUR UNE PUCE Pacchiele Bruno

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Bruno PACCHIELE

REQUIEM POUR UNE PUCE

CHAPITRE 1

Martine observait son époux à la dérobée. La tête calée entre ses deux mains, les deux coudes en appui sur la table, le journal grand ouvert devant lui, il semblait lire son quotidien, mais son attitude figée prouvait qu'il ne s'intéressait pas à cette lecture.

C'était une belle jeune femme aux cheveux roux clairs, élancée, sportive, qui, sans avoir la plastique homologuée d'une star hollywoodienne, dégageait un charme empreint de douceur et d'assurance.

Franck l'inquiétait. Quelque chose semblait le préoccuper. Chaque jour, elle le voyait plus sombre, plus taciturne. Depuis des semaines, il avait perdu son entrain et sa bonne humeur habituelle. Deux rides profondes barraient son front.

Bientôt une demi-heure qu'il s'était installé à la table dans cette position, et il n'avait ni tourné de pages, ni même bougé le journal, soit plongé dans une intense réflexion, soit en proie à des tourments.

- Franck, tu es préoccupé. Qu'est-ce qui te tracasse ?

- Mais non chérie, tout va bien je t'assure, seulement un peu de fatigue, répondit-il en redressant la tête, et en s'efforçant de sourire.

Martine le fixa. Ses yeux verts cristallins brillaient comme deux petites lucioles à la tombée de la nuit.

- Ne mens pas Franck ! Je te connais trop, d'ailleurs tu mens très mal. Est-ce moi qui te crée des soucis ou est-ce ton travail ?

- Toi ? Certainement pas, protesta-t-il, tu es une femme merveilleuse, je t'adore.

- Ce soir, je t'ai préparé des cailles farcies au foie gras, tu vas te régaler !

Il se leva lentement, se dirigea vers Martine d'un pas lent.

- Tu te donnes trop de mal pour moi, je n'ai pas très faim ce soir, je me serais contenté d'une petite salade et d'une tranche de jambon.

- Taratata ! Tu mangeras tes cailles, lui fit-elle en le menaçant du doigt. Je ne me serais pas donné tout ce mal pour rien.

D'un geste machinal, il tripotait le nœud de sa cravate. La prenant par les épaules, il la serra tendrement contre lui.

- Appelle Marion et Jacques. Tout le monde à table, et que ça saute ! Fit-elle d'un ton faussement autoritaire.

Marion, une délicieuse fillette de huit ans, faisait ses devoirs dans sa chambre, pendant que Jacques, quatre ans passés, jouait dans la sienne.

Le repas terminé, Franck regagna son bureau, une petite pièce aménagée derrière la cuisine. Un désordre souverain y régnait. Sur le côté gauche contre une cloison, des carcasses d'ordinateurs s'empilaient, alors que contre celle lui faisant face, il y avait des caisses et des cartons bourrés de circuits électroniques qui s'entassaient pêle-mêle. Au fond, au-dessus d'une petite table de

travail, sur une grande étagère, s'alignaient de nombreux appareils de contrôle et de mesures.

Franck s'installa sur le tabouret contre la petite table. Avec les gestes précis d'un virtuose de l'électronique, il souda des composants sur une carte. Il y avait de la délicatesse dans ses gestes, quand il soulevait la carte, soufflait dessus, presque de la tendresse quand il la retournait pour contrôler les soudures. Il brancha divers appareils de contrôle sur les sorties de la plaque. Avec soin, il notait sur un gros carnet écorné, les signaux apparaissant sur ses écrans. Brusquement, il se redressa sur son siège, fixa le plafond, pris son visage dans ses mains, exhala un souffle puissant puis, les bras tendus en forme de V, il poussa un grand cri, descendit précipitamment de son tabouret, s'emmêla les pieds dans un cordon et s'affala sur le plancher.

Alertée par tout ce tintamarre, Martine se précipita dans la pièce. A la vue de son époux affalé entre le tabouret et la table, s'efforçant maladroitement de retrouver une position plus digne sur ses deux pieds, elle éclata de rire.

- Que t'arrive-t-il ?... Tu as trop bu ?... Tu ne t'es pas fait mal au moins ?

- Chérie, je tiens le bon bout !

Radieux, sa joie le transformait. Il secouait les mains, les frottaient l'une contre l'autre, ajustait ses lunettes. C'était un autre homme…

- Ça marche ?

- Ça devrait. Je vais essayer tout de suite.

- Où ça ?

- Au labo pardi !

- Tu as vu l'heure ? 21h30. Cela peut peut-être attendre demain...

- Excuse-moi chérie. Je ne pourrais pas dormir. Il faut que j'y aille et puis, la nuit il n'y a personne... que moi !

- Quelle vie ! Travailler toutes les nuits en plus de sa journée, c'est de la folie ! Tu vas y laisser ta peau !

- C'est le dernier soir, je te le promets. Je suis certain d'avoir réussi.

Il secoua la tête et lui sourit.

- Tu as été très patiente avec moi, que dis-je, merveilleuse... Tu vas être récompensée. Crois-moi. Prépare ton pagne et ton ombrelle, dans un mois je t'emmène quinze jours aux îles.

- Je ne t'en demande pas tant, je voudrais seulement que tu te reposes un peu. Si tu voyais la tête que tu as en ce moment... Quinze jours de vacances à la campagne dans le Var, ça nous ferait du bien à tous, et surtout à toi.

- Les îles ! Je t'offre les îles, ma chérie. Cette fois, ils ne m'auront pas, j'ai suivi les conseils de Julien. J'aurais dû l'écouter depuis le début.

- Ne rentre pas trop tard… soupira Martine.

Elle savait qu'elle ne réussirait pas à le dissuader. Elle le regardait enfouir dans sa serviette, sa carte électronique et son volumineux carnet.

Franck était un homme svelte, les épaules légèrement voûtées, le visage allongé, orné de fines lunettes dorées, les cheveux châtains clairs, ondulés et arrondis sur la tête.

Elle l'aida à endosser son pardessus et l'embrassa.

- Pas trop tard ! Promis ?

- Promis ! Répondit-il.

=== / ===

Deux heures du matin. Une voiture de police s'arrête au 54 rue Kilford, à Courbevoie. Les lumières des réverbères, voilées par un

crachin triste et froid, allongeaient sur le trottoir l'ombre de deux hommes, descendant du véhicule. Le troisième resta au volant.

- Quelle corvée, grommela le plus âgé à l'homme qui l'accompagnait, comment vais-je lui annoncer ça ?

- Oui, c'est pas agréable… Jeune ménage, des gens biens, deux enfants. Le couple idéal quoi. Pas évident… soupira le plus jeune, engoncé dans son imperméable.

Il appuya sur le bouton de l'interphone. La réponse tardait. Rien de surprenant, à cette heure les honnêtes gens dorment. Il insista plusieurs fois, sans trop se presser, comme à regrets. Enfin une voix se fit entendre.

- C'est toi Franck, tu as oublié tes clefs ?

Les deux hommes échangèrent une grimace.

- Non madame, ce n'est pas votre mari, je suis le commissaire Plantin, accompagné de l'officier de police Lemarchand. Je voudrais vous parler.

- La police ?... Franck a eu un accident ? Qu'est-il arrivé ? Est-ce grave ? Balbutiait Martine.

- Je vous en prie madame, laissez-nous entrer...

Le penne de la serrure électrique zézaya quelques secondes. Les deux policiers s'engouffrèrent dans le hall. Lemarchand, plus jeune, plus svelte, précédait le commissaire vers les quelques marches donnant accès à l'ascenseur.

Martine les attendait sur le pas de la porte. L'ombre noire de sa silhouette se découpait dans la lumière glauque du vestibule. Plantin fut surpris de la voir encore habillée, alors qu'il s'attendait à trouver une femme en robe de chambre. Sa coiffure un peu désordonnée, ses yeux gonflés et un petit quelque chose en elle, laissaient supposer qu'elle se réveillait.

- Entrez messieurs, fit Martine en s'effaçant pour les laisser passer.

L'inquiétude marquait son visage, ses yeux interrogateurs les fixaient intensément. Les deux hommes firent quelques pas dans l'appartement et s'arrêtèrent à la hauteur du salon. Martine referma la porte.

- Qu'est-il arrivé ?

- Vous êtes bien madame Bricourt ?

Elle acquiesça de la tête.

- Votre mari travaille bien à la société "Orditronik" ?

- Oui... Que lui est-il arrivé ?

Les deux hommes visiblement embarrassés ne répondaient pas. Leurs têtes d'enterrement ne présageaient rien de bon.

- Il lui est arrivé quelque chose de grave ?

Le commissaire cherchait ses mots. Lemarchand fixait ses chaussures.

- Un accident ? N'est-ce pas ? Il a eu un accident, je n'aurais jamais dû le laisser partir, il était si fatigué. C'est de ma faute ! Cria la jeune femme.

- Non madame, pas un accident...

Il hésitait...

- Un crime madame, précisa-t-il d'une voix étouffée.

- Un crime ?

La jeune femme s'écroula. Lemarchand la rattrapa avant qu'elle ne touche le sol. Délicatement, il la déposa sur le canapé et cala sa tête

avec un coussin.

La télévision fonctionnait…

"Elle devait l'attendre et s'être endormie sur le canapé", pensa Plantin.

Il se dirigea vers la cuisine à la recherche d'un verre d'eau fraîche, alors que Lemarchand tentait de la ranimer.

Au bout de quelques minutes, elle reprit ses esprits et bu le verre d'eau que lui tendait le commissaire.

- Un crime ? Balbutia-t-elle hébétée... Ce n'est pas possible, il n'avait pas d'ennemis...

- C'est ce que nous devrons élucider, madame Bricourt, nous comptons sur vous pour nous aider. Nous voudrions vous poser quelques questions. Vous sentez-vous en état de répondre ?

- Franck... Mon petit Franck...

Elle éclata en sanglots.

Par-dessus elle, les deux hommes échangèrent une moue. Plantin secoua négativement la tête à l'adresse de son adjoint.

- Je veux le voir, dit-elle en agrippant au revers, le commissaire.

- Je suis navré, madame, il faudra attendre un peu. A cette heure, il doit être chez le médecin légiste.

- Ils ne vont pas le découper ?! Protesta Martine.

- N'ayez crainte, madame, ce sont d'excellents... (il allait dire chirurgiens, mais il se reprit à temps), praticiens. Ils vont seulement étudier l'impact des balles... pour la balistique, et essayer de déterminer avec le plus de précisions possibles, l'heure exacte... C'est très important pour l'enquête.

- Qu'ils fassent vite ! Surtout, qu'ils ne l'abîment pas, sanglota Martine.

- Je vous préviendrai dès que ce sera possible, je viendrai vous chercher. Voici ma carte, n'hésitez pas à me solliciter à n'importe qu'elle heure. Je reviendrai vous voir demain… je veux dire plus tard dans la journée... Moi ou mon adjoint.

Martine se souleva et s'assit sur le canapé. D'un geste machinal, elle tapota le coussin et le posa à côté d'elle.

- Voulez-vous que nous appelions quelqu'un pour vous assister ? Demanda le commissaire.

- Non, merci. Je tiendrai le coup, répondit-elle, la voix coupée.

- Nous allons vous quitter madame Bricourt, croyez à toute notre sympathie et acceptez nos sincères condoléances, ajouta Plantin, ému.

- Au revoir messieurs. Trouvez le salopard qui a fait ça ! Ditelle, la voix métamorphosée par tout son être en pleurs.

- Comptez sur nous, madame.

La voiture démarra lentement. Le commissaire se retourna et s'adressa à Lemarchand.

- On te reconduit chez toi, repose-toi un peu. Après tu iras voir madame Bricourt. Tu essaies de recueillir le maximum de renseignements sur leur famille, leurs relations, leur mode de vie, leurs fréquentations. Tu mets Jacques sur la société, je veux tout savoir. Combien ils sont, leur chiffre d'affaires, leurs projets, leurs réseaux. Qu'il note à part, tous ceux qui gravitent dans l'orbite de Bricourt, etc...

- Ok commissaire. Et vous, vous rentrez ?

- Non, je retourne sur les lieux, la clef du mystère est certainement là-bas. Avant qu'il y ait la cohue, je voudrais profiter du calme de la nuit pour fouiner.

- Je vais avec vous commissaire, une heure de plus ou de moins, au point où on en est...

Les bureaux de la société "Orditronik" occupaient tout le premier étage d'un immeuble moderne de six étages, boulevard Malesherbes, dans le 17ème arrondissement de Paris

Bien que tirant sur sa fin, la nuit avait retrouvé son calme feutré. Seuls, restaient deux policiers en uniforme et un petit homme rond et brun vêtu d'une salopette verte et blanche, avec devant et derrière en gros caractères, le sigle "+Net".

- Vous l'avez gardé ? Questionna Plantin en s'adressant à l'un des policiers.

- Pas précisément, monsieur le commissaire, c'est lui qui a décidé d'attendre votre retour. Il joue les indispensables, ajouta-t-il en se penchant vers le commissaire, un imperceptible sourire ironique à la commissure des lèvres.

- Moi, quand je peux aider la police, je le fais bien volontiers, c'est le devoir...

Plantin le coupa.

- Monsieur ?... Excusez-moi, j'ai oublié votre nom.

- Simeoni Giancarlo.

- Bien, monsieur Simeoni, c'est un peu plus calme maintenant, ça ne vous ennuie pas de tout reprendre ?

Et, faisant un geste à l'adresse de son adjoint, il ajouta :

- Lemarchand, vous notez bien...

Sans se faire prier, Simeoni débita son histoire.

- Je suis arrivé vers minuit, j'étais un peu en retard. Vous comprenez, les femmes, c'est toutes les mêmes, faut toujours tout leur expliquer…

Agacé, Plantin intervint.

- Je vous en prie, venez-en au fait !... Je me moque que vous soyez en retard, je suis là pour enquêter sur un crime, je veux des faits précis.

- Bon... J'arrive ici vers minuit et je vois la porte ouverte et de la lumière. J'entre, j'appelle... Personne. Je traverse la grande salle et je vois le bureau de monsieur Bricourt ouvert avec de la lumière. J'appelle... J'avance... Et qu'est-ce que je vois. Mamma mia ! Quelle horreur ! Ce pauvre monsieur Bricourt, avec tout ce sang. Une horreur ! Ça m'a retourné, j'ai crié et puis, j'ai appelé la police.

- Vous connaissiez monsieur Bricourt.

- Oui, bien sûr. Ces derniers soirs, je le voyais souvent. Il travaillait jusqu'à 11 heures... minuit... 1 heure... ça dépend….

- Il travaillait où ? Dans son bureau ou dans la pièce derrière ?

- Dans la pièce derrière en général, où il y a tous ces appareils démontés. J'avais pas le droit de nettoyer là. Interdit d'entrer et de toucher ! C'est monsieur Bricourt qui avait la clef. Serrure spéciale, précisa-t-il sur un ton confidentiel.

- Quand il était là, vous restiez ou vous attendiez qu'il parte ?

- Oh ! Il n'était pas gênant. Mes ouvrières faisaient le ménage... mais ça ne le gênait pas. Sauf qu'il ne fallait pas rentrer dans son atelier, précisa-t-il à nouveau, en ponctuant son propos de quelques mimiques des mains, typiquement italiennes. Un monsieur bien... Très, très bien, insista-t-il, admiratif.

- Vous lui parliez ?

- Des fois... Quelques mots, par-ci par-là. Je lui disais : "Vous travaillez trop monsieur Bricourt, vous devriez dormir le soir". Si tous les clients faisaient comme ça, nous, on pourrait plus travailler ! Une fois, y'a pas longtemps, je lui ai dit : "Le mondeappartient à ceux qui se lèvent tôt,pas à

ceux qui se couchent tard". Vous savez qu'est-ce qu'il m'a répondu ?

- J'écoute.

- "Bientôt,vous verrez,jevousprouverailecontraire !".Ça, c'était un monsieur intelligent, un génie !

Plantin haussa les épaules et, se retournant vers Lemarchand, échangea avec lui un regard intéressé, tout en lui montrant du doigt le carnet, comme pour bien lui rappeler de tout noter.

- Bon... Revenons à ce que vous m'aviez dit au début. Vous êtes formel, vous n'avez vu personne rôder dans les étages ou ailleurs ?

- Absolument ! Monsieur le commissaire, personne ! Et j'ai l’œil... et l'oreille. Vous comprenez, à cause du personnel, faut toujours surveiller.

- Vous êtes le patron ?

- Non... Oh non ! Je suis seulement le chef d'équipe.

- Qu'y a-t-il dans cet immeuble ?

- Que des bureaux ! Sauf au dernier, il y a deux beaux appartements.

- Autrement dit, rien pour tenter des voleurs, à part les deux appartements.

- Que des ordinateurs, des papiers, des dossiers, partout.

- La porte d'entrée ? Interrogea Plantin.

- Comme ça se fait partout maintenant, il y a un code. Il change tous les mois.

- Comment les gens sont-ils avertis ?

- Le syndic fait une circulaire à toutes les sociétés et propriétaires, et à nous aussi, bien sûr. En général, dans les bureaux, les secrétaires font des photocopies qu'elles remettent à chaque employé.

Plantin hocha la tête.

- Ils feraient mieux de l'afficher à la porte d'entrée, ça coûterait moins cher... Très bien monsieur Siméoni, je vous remercie. Passez en fin d'après-midi au commissariat, votre déposition sera prête, vous n'aurez qu'à la signer.

- A votre service, monsieur le commissaire. Au revoir messieurs, j'espère que vous trouverez vite l'assassin.

Plantin raccompagna Simeoni jusqu'à la porte, non pas par politesse, mais avec l'intention de faire un dernier tour du propriétaire. La porte d'entrée donnait sur une immense salle, agréable au premier regard. A l'entrée, le bureau un peu pompeux de l'hôtesse d'accueil et, sur les côtés, les box vitrés des technico-commerciaux.

Des plantes vertes près des box, réveillaient de leurs couleurs les façades froides de verre et d'aluminium. Quelques paysages de mer et de montagne collés sur les vitres, apportaient leur artificielle et nostalgique contribution. Au centre, près des piliers de soutien, placardés de posters, deux petites tables de verre cernées de fauteuils rouges, attendaient les clients. Au fond, un petit couloir flanqué à droite, du bureau de Bricourt, prolongé par le petit atelier, et à gauche, le secrétariat et la salle des archives.

Plantin fit le tour des box, feuilletant rapidement les agendas, ouvrant au hasard des tiroirs. Près de la longue silhouette dessinée à la craie sur le sol, il s'arrêta, songeur.

- Alors ? Qu'en pensez-vous ? Interrogea Lemarchand.

- C'est la bredouille complète. Du côté de la société nous n'obtiendrons rien, de même avec madame Bricourt.

- Vous croyez toujours à un rôdeur ?

- Non ! Ça ne tient pas debout. On ne tue pas quelqu'un comme ça, dans un lieu où il n'y a rien à voler ! Conservons cette hypothèse tant que nous n'aurons rien de nouveau à proposer. Faudra faire une enquête très pointue sur tout son environnement. Espérons que nous trouverons un indice...

- Quatre balles en pleine poitrine à bout portant, ce n'est certainement pas un professionnel.

- Exact. Nous pouvons retenir trois points. Un : Bricourt connaissait son meurtrier. Nous n'avons relevé aucune trace de lutte, il l'a donc laissé s'approcher sans méfiance. Deux : le meurtrier était venu pour tuer, puisqu'il était armé. Et trois : ce n'est pas un professionnel.

- Une histoire de femme ?

- Non ! Improbable, le ménage me semble très clair. Un homme qui travaille tous les soirs jusqu'à minuit, n'a pas de maîtresse, pas le temps de courir le jupon... Ce type-là ne pensait qu'à sa famille et à son boulot. A mon avis, surtout à son boulot.

Lemarchand acquiesçait de la tête.

- "Un génie" murmura-t-il en répétant les propos de Simeoni.

Puis, il ajouta :

- J'emporte sa serviette ?

- Oui, tu la rendras à madame Bricourt. Qu'y a-t-il dedans ?

- Pas grand-chose, crayons, stylos, machine à calculer, quelques papiers, rien d'intéressant...

Plantin jeta un dernier coup d’œil à la photo de Martine, sur le bureau de Franck. Un large sourire éclairait son visage et rayonnait sur les deux enfants à ses côtés.

- Maintenant, ça suffit, on y va, dit-il en se saisissant de l'agenda du mort.

CHAPITRE

2

L'automne, encore magnifique cette année, étalait ses palettes multicolores sur les pentes environnantes, alors que le soleil levant jouait de mille reflets sur les rochers abrupts des Causses.

Neuf mois s'étaient écoulés depuis l’assassinat de Bricourt. Le vent avait semble-t-il, dispersé dans l'oubli les 270 feuilles du calendrier journalier...

Au siège social de la société "Orditronik" à Millau, un homme grimpait quatre-à-quatre les marches, devant la porte d'entrée.

- Vous êtes en retard, monsieur Debrey, lança Eva Deroche, d'une voix verte, à l'homme qui déboulait dans le couloir.

Sur le même ton de reproches, elle ajouta en se penchant :

- La réunion a commencé depuis une demi-heure, salle treize, au fond du couloir, premier étage…

- Je sais, répondit Julien Debrey... Bonjour quand même !

Mais déjà, il disparaissait dans le large escalier.

- Tel chef, telle secrétaire ! Marmonna-t-il en poussant la porte.

Ils étaient tous là, sur la petite estrade, trois hommes dominaient la salle devant sept autres sagement assis, comme dans une église, pendant le prêche du représentant de Dieu. Un seul au premier rang, les six autres derrière.

Debout, au centre de l'estrade, très distingué dans son costume bleu nuit d'excellente coupe, chemise plus claire barrée d'une cravate mauve, tête grisonnante aux cheveux courts, fendus sur le côté gauche d'une raie rectiligne, André Lombard le fixait, le visage grave. A sa gauche, siégeait Sylvain Rivière, le Directeur Général, et à sa droite, le PDG, Marc Pardot.

- Je vous prie de m'excuser pour mon retard, dit-il en s'asseyant au premier rang, à côté de Sébastien Ribeiro.

Et il ajouta, sur un ton pincé :

- Raisons de service.

Tout en décochant un regard méchant à l'orateur.

- C'est bon ! Coupa sèchement Lombard, je continue. Je ne reviens pas en arrière, monsieur Ribeiro vous fera un petit résumé, au cas où vous ne seriez pas au courant de ce qui s'est dit.

Retrouvant son petit sourire seigneurial, il continua son exposé d'un ton condescendant.

- C'est une véritable révolution que nous apportons. Grâce à cet accord, nous ajoutons à notre catalogue les plus prestigieux logiciels, des lecteurs numériques aux possibilités infinies, tout l'environnement multimédia, ainsi que la domotique domestique et industrielle, sans oublier bien sûr, la communication à l'échelle régionale et internationale.

Il fit une petite pause et balaya d'un regard malicieux son petit monde, surpris et étonné.

- Je m'explique, reprit-il. Outre le consortium que nous venons de créer, nous avons en ce qui nous concerne, pris le contrôle d'une jeune entreprise de pointe qui s'est spécialisée dans la domotique domestique, tertiaire et industrielle. Cette entreprise, malgré ses techniques de pointe, manquait de moyens financiers pour attaquer le marché international. Grâce à nous, elle y participera activement, ses produits sont dès à présent incorporés à notre système. D'autres activités complémentaires ont-elles aussi été absorbées par nos partenaires, conformément à la

stratégie définie il y a six mois, au sein de notre nouveau groupe.

Jacques Flandrin, le délégué de la région Paris-Île-de-France, le remplaçant de Franck Bricourt, levait la main. C'était un homme trapu, le visage rond, portant de grandes lunettes à fines montures d'argent, le visage empreint de gravité et de solennité.

- S'il vous plait, monsieur Lombard, quelle est la finalité de cette opération ?

- Tout comme moi, vous avez pu constater l'évolution époustouflante des ordinateurs ces dernières années. C'est un des rares produits où il suffit de créer le besoin pour susciter l'achat. De nombreuses applications sont venues se greffer sur eux, comme des verrues, le produit actuel est submergé de périphériques dont la convivialité avec l'ordinateur de base, n'est pas toujours heureuse. L'euphorie de la nouveauté favorisait la tolérance de tous ces rajouts, mais à présent, chacun ressent plus ou moins consciemment, la nécessité d'un renouveau, d'un nouveau produit mieux adapté, et ce nouveau produit, c'est nous qui l'avons !

Il fit une nouvelle pause pour mieux savourer l'effet produit sur ses auditeurs, plus particulièrement sur ceux du deuxième rang.

- Ces fameuses verrues inesthétiques, ont-elles été supprimées par magie ou est-ce l’œuvre de la chirurgie esthétique ? Questionna l'éternel soupçonneux Marcel Picard, le délégué de la région Nord.

- Excellente question, rétorqua Lombard, sans se départir de son sourire professoral. Ce fut bien là, la plus grande difficulté à résoudre. Pour aujourd'hui, je vous résume en quelques mots notre solution. En plus d'une seule carte mère avec microprocesseurs, nous en avons une deuxième qui intègre les principaux périphériques, elle aussi dotée de

puissants microprocesseurs. Une troisième assure la communication entre les deux, c'est notre "combinateur", auquel on accède par quelques touches, selon le périphérique choisi, l'écran assurant le dialogue. Compte tenu du peu de place pris par ces deux nouvelles cartes maîtresses... protégées évidemment par des brevets... notre nouveauté est à peine plus volumineuse que les produits actuels, pour une puissance dix fois supérieure !

- Et ce joyau, quelle tête a-t-il ? Quand le verrons-nous ? Quand sera-t-il commercialisé ? Questionna à nouveau Jacques Flandrin, avec le souci de précéder ses collègues.

- Maintenant, à la fin de notre réunion !

La bombe produisit son effet... La surprise passée, des discussions s'ensuivirent à voix basse, entre les délégués régionaux, médusés.

Sébastien Ribeiro se pencha, et glissa à l'oreille de Julien :

- A l'entendre, on pourrait croire qu'il a fait tout ça tout seul !

Julien fit la grimace. Sébastien continua :

- Bien fait pour toi ! A l'avenir, tu garderas tes idées pour toi…

- L'idée c'est une chose, la réalisation, c'est autre chose !

- Il parait que le prototype a été réalisé chez "DomoTech", la petite boite d'électronique que l'on a achetée dans la Z.I. de Rodez.

- Je ne comprends pas… Des types qui ont démarré avec l'automatisation des portes ! Ils ont beau avoir de bons électroniciens, c'est au-dessus de leurs compétences... Seul un labo bien équipé pouvait pondre un tel engin ou alors... un type exceptionnel avec des neurones jusqu'au bout des orteils ! J'ai la désagréable impression d'être pris pour un con…

- Ce n'est pas tout, mieux encore... Accroche-toi à ta chaise ! Il parait que les travaux ont été dirigés par Lombard en

personne ! Les dieux de l'électronique l'ont touché de leur grâce ! Un des brevets est à son nom, le plus original : le combinateur.

- Grotesque !

Jacques Flandrin se leva, fit des signes de la main pour réclamer la parole. Son regard grave, son visage figé dans un granit austère, en imposait.

- Je vous écoute Jacques, fit Lombard d'un ton mielleux.

- Sûr qu'il est très motivant de vendre un produit sophistiqué, mais il y a un prix de marché ! Du bas de gamme au haut de gamme, la fourchette est à peu près identique chez tous les fabricants... à quelques points près, j'en conviens. Aussi performant soit-il, si le prix de notre produit déborde cette fourchette, 95% des clients nous écouterons chanter ses louanges, mais... n'achèterons pas ! Ma question est simple : à quel prix comptez-vous attaquer le marché ?

Lombard échangea un sourire complice avec Rivière qui releva légèrement la tête, en plissant un peu plus ses paupières.

- Presque le même prix que notre produit de base, à quelques pour cents près...

La rumeur s'amplifia et une voix en surgit, celle de Jean-Marc Dubois, le délégué de Rhône-Alpes, le spécialiste des coups de gueule, bien que, aux dires de ses proches, il soit plutôt gentil garçon.

- Je ne pense pas qu'il soit possible de vendre une aussi belle machine en maintenant le prix actuel, il s'agit là, très certainement d'une vente à perte, c'est un suicide. A ce tarif, dans trois mois, nous serons tous au chômage.

D'autres abondèrent dans ce sens, en des tons divers, allant du modéré au scandalisé.

Le PDG, monsieur Pardot, homme frisant la cinquantaine, suivait les débats, grave et impassible. Joues rondes, bouche petite et charnue en accent circonflexe légèrement écrasé comme un cul de poule, visage couronné d'une chevelure courte, roux sombre. Ses petits yeux perçants, mi-clos, ombragés de cils blancs, soulignaient sa personnalité distante et hautaine.

Il fit un discret signe du menton à Rivière, qui redressa la tête et prit la parole.

- Je crois que nous vous devons des explications et aussi des excuses. Pour que notre opération réussisse, nous devions impérativement oeuvrer dans le secret le plus absolu. Toutes nos études et nos transactions commerciales se sont déroulées dans la plus grande discrétion. Laissez-moi vous dire solennellement, que nous n'avons jamais mis en doute notre confiance envers vous tous. L'importance des enjeux de notre stratégie nous a imposé cette indispensable contrainte, condition sine qua non de notre réussite... Je vous demande donc, de ne pas nous en tenir rigueur. Nous n'étions que trois dans la confidence, avec la participation ponctuelle, sur certains points de messieurs Ribeiro et Debrey, ce qui explique aussi les longues absences de monsieur Debrey chargé, entre autres, de créer notre nouveau réseau de ventes, dans le Pacifique... Ceci dit, je laisse monsieur Lombard répondre à la question de monsieur Dubois.

- Effectivement, dans un premier temps, nous perdrons de l'argent.

- Combien ? Coupa Flandrin, toujours soucieux de précéder les autres.

- Environ trois millions d’euros mais, n'ayez aucune inquiétude, nos deux banquiers, moyennant une participation dans notre société, cautionnent notre stratégie, puisque bien vite, nous deviendrons bénéficiaires... et sous peu, je vous le garantis, le leader mondial de la micro-

informatique. C'est le prix à payer pour consolider notre marché, et par la même occasion, éliminer de nombreux concurrents. Après cette opération, il ne restera sur le marché que trois à quatre groupes, au grand maximum. Un marché, ça ne se prend pas, ça s'achète ! Notre objectif, je vous le répète : devenir le leader.

- Trois millions d’euros ! Cette valeur me parait sous-estimée, intervint à nouveau le parisien. A mon avis, bien que ne possédant pas toutes vos informations, cette estimation devrait être multipliée par deux ou trois. Je ne me permettrais pas de contester vos chiffres, sachant très bien que vous ne les avancez pas à la légère, mais je vous avoue que je mesure mal cette estimation.

- Ces chiffres sont le résultat d'une étude rigoureuse. Monsieur Ribeiro notre expert en marketing et bilans industriels, pourra vous les confirmer. Nous avons pris en référence le triplement de nos ventes. J'espère que nous ferons encore mieux, et comme vous le savez, plus nous vendons, plus les coûts diminuent. Votre scepticisme monsieur Flandrin, fondra comme neige au soleil lorsque je vous aurai tout dit, ajouta-t-il d'un ton mielleux, car vous n'êtes pas au bout de vos surprises...

Il se retourna vers le PDG, arbora un sourire triomphateur et poursuivit :

- L'unité de fabrication tourne à plein régime depuis trois mois... En Chine !

Debrey sursauta. Il serra les poings alors que son visage s'empourprait, Ribeiro lui donna un grand coup de coude dans les côtes pour le convaincre de se taire.

- La roue tourne, continua Lombard. Le coût de la maind’œuvre au Japon rattrape le nôtre. En Corée, à Taiwan, etc... ils ne cessent de grimper. L'avenir, c'est la Chine !

Dans notre nouvelle unité, en Chine, le salaire mensuel moyen se situe autour de quatre-vingt euros. Avec de tels coûts, nous pourrons inonder le monde de nos produits, ce sera notre revanche sur les Japonais !

Debrey se leva.

- Et lorsque toutes les entreprises de France et d'Europe auront installé leurs usines dans ce vaste pays qu'est la Chine, à qui vendrons-nous nos merveilleux ordinateurs ?

Lombard fronça les sourcils, son regard se durcit à l'adresse de son interlocuteur.

- La vocation d'un vendeur est de vendre ! Sa motivation doit-être sans faille. En toutes occasions, il doit manifester sa rage de vendre. Vendre ! Vendre ! Vendre ! C'est sa raison d'être. Encore plus, s'il est responsable d'un réseau de ventes. Il doit tout mettre en oeuvre pour dynamiser, faire exploser son équipe. Il est payé pour ça ! Par son action et celle de son équipe, il fait prospérer son entreprise. Seule une entreprise prospère peut vivre et faire vivre ses salariés et leurs familles. Ceux qui réprouvent ces valeurs, n'ont pas la foi, manquent d'énergie, ou ne sont pas motivés pour ce métier, n'ont pas leur place dans notre société.

Furieux, Debrey se dirigea vers la sortie, provoquant un malaise dans la salle. Pardot lui décocha un long regard réprobateur alors que Rivière baissait la tête.

Lombard secoua la tête, avala sa salive et se reconstitua un visage calme et serein.

- Je termine ! Merci de m'accorder encore quelques secondes, je serai très bref. Cet après-midi, dans la salle technique, présentation du produit. Demain et aprèsdemain, des techniciens des différentes unités, vous

initieront à ces nouvelles techniques, à toutes les manipulations possibles sur notre nouvel ordinateur. Ensuite, vous aurez une journée entière pour définir vos objectifs, vos besoins, et pour peaufiner votre nouvelle politique commerciale dans vos régions respectives. Dans quinze jours, nous nous reverrons ici pour faire la synthèse de vos projets, je vous donnerai alors toutes les instructions utiles au démarrage de notre campagne. Je reste évidemment à votre entière disposition. N'hésitez pas à me solliciter à n'importe quelle heure. Sur ce, messieurs, bon appétit. A cet après-midi.

- Entrez ! Cria Rivière sans prendre la peine d'appuyer sur le bouton qui donnait le même ordre lumineux, au-dessus de la poignée.

Il dévisagea l'homme qui pénétrait dans son bureau, comme s'il ne l'avait jamais vu, pourtant, il le connaissait bien. On fait souvent cela avant une séparation définitive... comme pour fixer dans ses souvenirs, la dernière image.

L'homme était grand. Les épaules carrées, le visage allongé aux traits bien dessinés.

Des yeux marron, légèrement enfoncés, le regard énergique et droit. Son grand front avait creusé deux avancées triangulaires sur les côtés de son abondante chevelure brune.

- Asseyez-vous, je vous prie monsieur Debrey, lui dit Rivière, la voix triste.

- Merci, répondit-il en s'exécutant.

Le directeur général semblait hésitant. Il se ressaisit.

- Je suppose que cette convocation ne vous surprend pas ?

Debrey acquiesça de la tête. Rivière parlait lentement, intercalant de longs silences entre ses phrases.

- Après votre intervention malheureuse de ce matin... Messieurs Pardot et Lombard ont été contraints à prendre une décision... Ils accepteraient volontiers votre démission.

Il fit une longue pause, releva la tête et fixa Debrey, qui restait de marbre.

- Quant à moi, soupira-t-il, je vous avoue que je n'envisage pas cette solution de gaieté de cœur... J'ai toujours eu beaucoup d'estime pour vous et je tiens compte de tout ce que vous avez fait pour la société.

Mal à l'aise, il tapotait négligemment du doigt les feuillets d'un rapport posés sur la table. De la même voix triste, il poursuivit.

- Vous comprendrez que nous ne pouvons pas vous conforter dans votre poste de responsable du réseau de ventes.

- J'en suis conscient, monsieur Rivière. La venue de ce prodigieux bébé me réjouit autant que vous, mais en ce qui concerne l'implantation des unités de fabrication en Chine, je ne suis pas d'accord. Je l'avais clairement dit. Je comprends mieux maintenant pourquoi tous les prétextes étaient bons pour m'éloigner de Millau ! Je ne retire pas ce que j'ai dit, j'en assume l'entière responsabilité, c'est une question de principes.

Rivière hocha la tête.

- Tôt ou tard, votre franchise vous aurait perdu. Je ne vous demande même pas de présenter vos excuses pour essayer de recoller les morceaux, je sais que vous refuseriez. Tant pis ! Laissons tout cela de côté.

Il conforta sa position dans son fauteuil, croisa les bras tout en relevant la tête.

- J'ai une proposition à vous faire.

Surpris, Debrey releva la tête.

- Je vous écoute.

- Depuis plusieurs mois vous parcourez l'Asie pour implanter notre nouveau réseau commercial. Vous êtes bien placé pour connaître l'importance que nous attachons à ce continent. De plus, vous évoluez très à l'aise dans ces pays.

- A l'aise... A l'aise, n'exagérons rien.

- Enfin, vu la qualité du travail que vous avez réalisé là-bas, si vous avez eu des difficultés, vous les avez résolus. C'est ce qui compte ! Revenons-en à ma proposition.

Debrey écoutait, un imperceptible sourire ironique au coin des lèvres. Dans cette affaire, il semblait que le procureur, malgré lui, souffrait plus que la victime, et l'atmosphère qui en résultait, accentuait la gêne de Rivière qui continua :

- Je vous propose le poste de Directeur Général de notre réseau "Asie" à Singapour. Avouez que c'est un beau cadeau que nous vous faisons, surtout après vos déclarations déplacées de ce matin.

- Merci monsieur Rivière, de cette offre mais, avez-vous lu mon dernier rapport ?

- J'en ai terminé la lecture, il y a un instant.

- Pour ce poste, je vous ai proposé une perle, monsieur Li Van Lok, un vietnamien, très doué. Il est diplômé d'une école supérieure de commerce. En plus du vietnamien, ce monsieur parle couramment le français, l'anglais, le chinois, et un peu le japonais.

- En effet, ses références sont excellentes. Je pense que monsieur Li Van Lok pourrait vous seconder efficacement. Dans un premier temps, nous ne désirons pas mettre un étranger à la tête de ce réseau. Pour démarrer, le n°1 sera obligatoirement quelqu'un de chez nous, du siège.

Quelqu'un sur qui nous pourrions pleinement compter... Ah ! Autre chose. Votre salaire serait doublé... Pas négligeable n'est-ce pas ? Plutôt alléchant non ?

- L'argent ne m'a jamais asservi. Je suis célibataire, sans charge de famille, et puis, l'Asie ne m'enchante pas. L'étranger, c'est bien quinze jours, pas plus. Rien ne vaut la France. J'ai un petit faible pour Millau. La montagne sous la main, la mer à la porte. Mieux vaut être pauvre en France que riche à l'étranger. Voyez tous les étrangers qui affluent chez nous. Même les plus anti-Français nous envahissent !

- Debrey, vous n'êtes pas dans votre état normal. Je vous en prie. C'est moi qui vous le demande. Acceptez ce poste... Au moins provisoirement puis, dans un an ou deux, vous pourrez revenir, je vous le garantis.

Le jeune homme fit la moue, il aimait bien Rivière, une certaine complicité s'était installée entre eux, mais la société, sous l'influence de Lombard, perdait sa moralité, et ça, il ne pouvait pas le tolérer.

- Vous me prenez à froid, cette offre est trop brutale. Puisque c'est vous qui me le demandez, je veux bien étudier cette proposition. Laissez-moi quinze jours de réflexion.

- Je vous accorde une semaine.

- D'accord !

- A cette heure je ne suis donc plus responsable du réseau "Ventes" ?

Rivière confirma de la tête.

- Vous m'accordez quinze jours de vacances ?

- Certainement ! Lâcha le directeur général dans un grand sourire.

Les deux hommes se saluèrent.

- Vous montez sur Paris ?

Debrey se retourna, étonné.

- Oui.

Rivière lui fit un petit signe amical de la main.

CHAPITRE 3

Il déposa ses volumineux paquets sur le palier et sonna. Martine ouvrit la porte. Surprise, elle resta un instant les bras ballants puis, débordante de joie, sauta au cou de Julien.

- Quelle surprise ! Que je suis contente de te revoir ! Entre.

Il fit glisser les paquets à l'intérieur de l'appartement et repoussa la porte.

- Et les enfants ?

- Ils mangent à la cantine de l'école, le midi. Tu les verras ce soir.

- Viens ! Je t'emmène au restaurant. Martine fit la moue.

- Oh non ! Je n'ai pas envie de sortir, mangeons ici, nous serons plus à l'aise pour discuter, j'ai des plats cuisinés au congélateur, un petit coup de micro-ondes, et c'est prêt !

Martine disposa la table et plaça une bouteille de Châteauneuf-duPape et un tire-bouchon, devant Julien.

- Tu connais bien mes goûts, et mes faiblesses... C'est gentil.

- Neuf mois qu'elle t'attend celle-là. Nous l'avions choisie avec Franck, en pensant à toi. Je ne t'ai pas revu depuis l'enterrement...

- Tu es une vraie mère pour moi.

- Une mère ? Vraiment ? Pas autre chose ? Reprit-elle malicieuse.

Ses yeux verts brillaient comme des phares par belle nuit. Julien rougit, saisit le tire-bouchon et déboucha la bouteille.

- Quel bon vent t'amène ? Es-tu là pour quelques jours ou, comme d'habitude, passes-tu en coup de vent ?

- Je ne sais pas trop... Je voulais te revoir ainsi que les enfants.

- Enfin, tu t'es décidé... pas malheureux.

- Et pour Franck, y-a-t-il du nouveau ? Que fait la police ?

- Plus aucune nouvelle, je crois que la police a classé l'affaire, murmura-t-elle dans un soupir résigné. Pour eux, sa mort est le fait d’un rôdeur surpris... une mort presque accidentelle.

Debrey secouait la tête, peu convaincu par cette hypothèse.

- C'est dégueulasse ! Il faut qu'ils retrouvent l'assassin. Il le faut à tout prix, protesta vigoureusement le jeune homme, en serrant les poings.

Il se versa une rasade de vin et l'avala d'un seul trait, sans même le déguster comme il avait coutume de le faire.

Martine scrutait attentivement son visage crispé au front sillonné de profondes rides, malgré ses trente-cinq ans, ce qui d'ailleurs, n'enlevait rien à son charme…

- Tu as une idée ?

Il haussa les épaules et fit un geste dépité.

- Non pas vraiment, mais depuis hier, quelque chose me tracasse, je ne sais pas quoi exactement, mais ça me turlupine...

- Dis-le moi, insista Martine.

- Non, je ne peux pas, je n'ai aucun élément positif. C'est indéfinissable... Ça tourne dans ma tête.

Martine alla chercher sa tourte aux fruits de mer, la coupa en deux, pendant que Julien servait le vin. Elle s'installa face à lui et il lui

sourit. Elle posa sa main sur la sienne et le regarda tendrement.

- Tu m'en veux ?

- Il leva la tête, rencontra son regard et rougit à nouveau.

- Non, Martine, je ne t'en ai jamais voulu, ni à toi, ni à Franck.

- Tu es un garçon loyal, Julien. Je t'admire.

- Ne devais-tu pas repartir en Corrèze ?

- Oui, j'ai toujours ma famille là-bas. Ici, je me sens seule, surtout depuis la mort de Franck, ces lieux me torturent. J'ai retardé mon départ car je pensais que là-bas, tu ne viendrais pas, alors je suis restée. Ai-je bien fait ? A l'avenir, j'espère que tu passeras plus souvent.

Il lui sourit, fit oui de la tête et prit son verre qu'il porta lentement à ses lèvres, pour essayer de cacher son émotion.

- Dis-moi Julien, est-ce que tes sentiments envers moi ont changé ?

Il fit non de la tête.

- Alors ?

Il secoua fébrilement la tête, visiblement en proie à un tourment.

- Je suis muselé, paralysé ! Tant qu'on n'aura pas retrouvé le meurtrier de Franck... Il faut qu'on le retrouve... Alors ?... Alors, peut-être que...

Elle lui adressa son plus tendre sourire. Un sourire merveilleux qui faisait fondre Julien.

- Ah ! Oui... Je comprends. Je te comprends maintenant, ça, c'est bien toi... Vraiment un homme épatant !

Il étreignit sa main.

- Martine, il faut à tout prix qu'on retrouve cet assassin, nous devons faire quelque chose pour relancer l'enquête. Je suis certain qu'on a négligé des détails, des indices importants. Il y a certainement des faits ou des paroles qui auraient pu aider la police, et qu'elle ignore. Même si cela t'est pénible, tu vas me parler de cette dernière journée avec Franck. Parle ! Parle ! Ne néglige rien, donne-moi tous les détails de cette journée. Tous !... même les plus anodins, ne cherche pas à évaluer leur importance. Je t'en prie Martine, fais ça pour moi, pour nous...

Elle fit oui de la tête. Conforta son assise sur sa chaise, redressa la tête, ferma les yeux et, comme dans un rêve, raconta.

- Ce soir-là, il paraissait très préoccupé...

Julien, le visage crispé l'écoutait attentivement. De temps à autre, il l'encourageait, et répétait plein de conviction :

- Oui, oui... tous les détails ! Vas-y, raconte !

Martine parlait depuis plus d'un quart d'heure, lorsque brusquement Julien sursauta.

- Que dis-tu Martine ? Reprends s'il te plait. Il a mis un gros carnet dans sa serviette et quoi ?

- Tu sais, ces plaques qu'il y a dans les ordinateurs.

- Une carte électronique ?

- Oui... il avait soudé des pièces dessus... des trucs rectangulaires plats.

- Des microprocesseurs qu'il avait certainement récupérés sur d'autres plaques…

- C'est ça. Il était content, il disait qu'il avait réussi.

- Où est sa serviette ?

- La police me l'a rendue le lendemain. Je l'ai posée sur son établi, elle doit toujours y être, car je n'ai plus mis les pieds

dans cette pièce depuis sa mort.

- Puis-je ? Demanda-t-il en se levant et en désignant la porte de la petite pièce.

La serviette était toujours là. Julien l'ouvrit. Dans un geste d'énervement, il vida son contenu sur la table.

- Le carnet... Le circuit intégré, ils n'y sont plus !

Martine le regardait les yeux grands ouverts.

- L'as-tu signalé à la police ?

- Mais non, balbutia-t-elle, ils ne m'ont posé aucune question au sujet de la serviette.

Julien fixait le plafond. Ses traits se durcissaient.

- Le salaud !... Fumier !... Maintenant je comprends…

- Tu as une piste ?

- Je crois bien que oui, malheureusement neuf mois après, on ne retrouvera plus aucune preuve. Occupons-nous d'abord du mobile... Si c'est bien ce que je soupçonne... Le reste, je m'en charge, fit-il, menaçant.

- Je t'en prie... Qui est-ce ?

- Téléphone à la police, parle leur du carnet et du circuit intégré. Moi je fonce à l'agence pour m'assurer qu'ils ne sont pas restés dans son bureau... ce qui m'étonnerait fort, ajouta-t-il cynique. A ce soir lança-t-il en disparaissant derrière la porte.

Une demi-heure plus tard, un ouragan déboulait dans les bureaux d'Orditronik. Deux des six box étaient occupés. Une journée calme... Dorothée, la charmante hôtesse, éclatante dans sa robe rouge, lui décocha son plus radieux sourire.

- Comment vont les amours ? Lui demanda-t-il en l'embrassant.

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