Twenty about Twenty
Daniel Enkaoua — Ce que le temps n'emporte pas
Que reste-t-il de la réalité quand on lui applique un regard pur ? L'essence de la peinture de Daniel Enkaoua est de chercher à nous montrer ce que l'on verrait si l'on appliquait sur le monde un regard tout à fait pur. Cette démarche très spirituelle atteint sa puissance la plus grande dans ses représentations de la personne humaine. Au milieu d'un poudroiement de couleur et de lumière, qui est distance et hésitation devant le sacré, la personne humaine apparaît, intense et délicate. La personne s'avance, se présente dans la lumière de la toile comme un corps en attente d'être transfiguré, ou comme un corps qui ne sait pas qu'il est au bord de la transfiguration. Ce ‘’qui ne sait pas’’ est très important, car l'affect principal du sujet dans ces tableaux se trouve entre le sentiment d’innocence et celui de vulnérabilité. Les êtres sont simplement donnés, ils sont représentés en tant que dons : c'est une définition de l'humain. Mais, du coup, ils sont aussi livrés, livrés au regard, livrés à la disparition, livrés à. C'est leur double valeur de miracle et d'effroi. Pas des portraits, mais des peintures habitées Les tableaux d'Enkaoua laissent loin derrière la rhétorique usée du portrait et le dialogue entre intériorité psychologique et vérité éphémère des traits d'un visage. Ici, intériorité et extériorité sont une seule et même chose. Tout est lumière et couleur extérieure (disparition des contours et des objets délimités du décor), en même temps que tout est être intime et intérieur. Il ne s'agit pas de dire qui est, ni comment il est. Mais que ça est. De même que l'eau se met à bouillir quand la chaleur intense la pénètre, de même la lumière devient vie humaine quand l'être la visite et la remplit. C'est cette ébullition de la lumière pénétrée par l'être que le peintre capte et à quoi il donne figure humaine. En ce sens, le tableau ne représente pas le sujet, mais ce qui déborde de l'énergie sujet ; le peintre ne laisse s'impressionner sur la toile que ce dont le sujet n'a pas conscience de rayonner. Demeure dans l'image ce que la personne porte et que le temps n'emportera pas, cette identité qui demeure dans la personne au fil du temps et des âges, ce qui fait qu'on le reconnaît à toutes les étapes de la vie et qui justifie qu'on puisse lui dire toi, et qu'il puisse dire je. Ce ne sont pas des tableaux représentant quelqu'un, mais des espaces de peinture que quelqu'un habite. Transparence de la manière Le pinceau ici n'a rien d’arrogant, rien dans la représentation ne s'impose agressivement et tout demeure dans une légèreté miraculeuse, offrant au regard une émotion qui ne doit passer par aucun accord préalable, aucune concession à l'égotisme de l'artiste, aucune barrière ou sorte de douane théorique. Toute la pensée fait corps indissolublement avec la manière, avec la magie de la représentation et de la présence. La transparence immédiate entre ce que l'artiste veut faire et ce qui se réalise pour le spectateur provient de cette absence d'arrogance théorique mal assimilée qui caractérise les artistes immatures, désaccordés ou à côté de leur personnalité. Au contraire, l'humilité de la pratique dans le travail d'Enkaoua atteint à toute la puissance possible, sans aucune déperdition auto-revendicatrice. Son énergie représentative donne mesure pleine. Cet instrument résonnant qu'est un tableau rend un son plein. Tout est juste. Le combat et la douceur Cette justesse ou cette justice, et une sorte de bonheur qui se dégage de cet accomplissement, parviennent à faire oublier parfois le caractère extrêmement combatif de cette peinture. Le grand Watteau se définissait lui-même de petit-toucheur et martelait la toile d'une infinité de coups de pinceau et de couleur, transformant ses séances de peinture en combats d'escrime. Les toiles d'Enkaoua sont peintes avec le même rythme farouche que celles du grand Flamand, et leur parenté se révèle soudain : tableaux où la volonté arrache au réel une victoire sous forme de rêverie d'éternité. Violente intensité qui retient, l'espace d'un tableau, la fureur du réel, laissant à la douceur pour un instant d'éternité la chance de s'installer. Vingt éternités d'une personne : le regroupement de vingt tableaux représentant le même modèle à différents moments de la vie. Dans l'œuvre d'Enkaoua, chaque peinture est une tentative totale. On ne peut donc pas parler véritablement de série face à ce spectaculaire regroupement de vingt tableaux réalisés sur le même modèle à des moments différents de sa vie. Les formats et les cadrages divergent. La pose, les circonstances, tout. L'homogénéité de l'ensemble n'est dû qu'à la peinture comme médium s'appliquant au temps long et continuant son travail en dépit des phénomènes de durée et de changement. Le temps passe, défile, et la peinture à chaque fois le frappe d'éternité, sous les espèces d'une figure humaine qui évolue, tout en portant en elle ce je qui demeure et ce toi qui résiste. La vie de cette petite fille qui devient jeune femme circule entre ces tableaux regroupés, elle grandit dans les interstices, elle évolue dans les blancs, volette, papillonne, flotte, mi-absence, mi-présence, et son éternité vingt fois réapparaît, éclate comme par surprise et se fixe dans la couleur, produisant vingt images universelles.
Grégoire Polet
Aure les bras croisĂŠs, 2006-08 (221cm x 141cm) Oil on canvas
Aure les Doigts Croisés, 2006 (65 x 40cm)Oil on canvas


Aure à trois ans, 2003 (13,2 x 12,7cm) Oil on canvas


Aure en blanc, 2005 (151 x 172cm) Oil on canvas


Aure, 2008 (8,7 x 8,6cm ) Oil on canvas
Aure vue d'en bas, 2012-13 (22,4x 31,3cm) Oil on canvas




Aure les yeux ouverts, 2008 (107 x 86,5) Oil on canvas


Sarah et Aure enlacées, 2007-09 (150cm X 230cm) Oil on canvas


 
Aure enfilant des perles, 2014 (20 x 18,8cm) Oil on canvas
Portrait de Aure, 2016 (20,6 x 20cm) Oil on canvas
Aure vue de dos, 2013 (73 x57,7cm) Oil on canvas




Aure et la manteau de Sarah, 2012 (195 x 114cm) Oil on canvas




Aure en rouge, 2014-15 (220 x 210 cm) Oil on canvas




Aure en rouge, 2015-16 (146 x 114cm) Oil on canvas




Aure en tee-shirt bleu, 2016-17 (162,1 x 130,2cm) Oil on canvas


Aure en capuche bleu marine, 2017 (65,7 x 50,7cm) Oil on canvas


Aure en blanc, 2016-17 (33 x 32,6cm) Oil on canvas


 
Aure assise sur le fauteuil marron, 2014-15 (39,4 x 29,21cm) Oil on canvas




Aure en jaune, 2013-14 (200,3 x 150cm) Oil on canvas


Daniel Enkaoua – What time does not take
What remains of reality when we contemplate it with a pure gaze?
The essence of Daniel Enkaoua’s painting is the way it seeks to show us what we would see if we were to contemplate the world with an absolutely pure gaze. This deeply spiritual approach attains its greatest power in its representations of the human person. In the midst of a powdery dusting of colour and light that is distance and hesitation before the sacred, the human person appears, intense and delicate. The person comes closer, and presents herself or himself in the light of the canvas as a body waiting to be transfigured, or as a body that does not know it is on the threshold of transfiguration. This ‘that does not know’ is very important, because the principal affect of the subject in these pictures lies somewhere between a feeling of innocence and one of vulnerability. The beings are simply given, they are represented as gifts: it is a definition of the human. But, all at once, they are also delivered, delivered to the gaze, delivered to the disappearance, delivered to.. It is their double value of miracle and dread. Not portraits but inhabited paintings
Enkaoua’s paintings are a long way from the hackneyed rhetoric of the portrait and the dialogue between the psychological interiority and the transient truth of the features of a face. Here, interiority and exteriority are one and the same. All is light and exterior colour (disappearance of the contours and the objects delimited by the setting), and at the same time intimate and interior. It is not a matter of saying who it is, or how they are, but that that is. Just as water boils when intense heat penetrates it, so light becomes human life when visited and filled by being. It is this ebullience of light permeated by being that the painter captures and to which he gives a human figure. In this sense, the painting does not represent the subject, but what overflows the subject energy; the painter only allows the canvas to receive the impression of what the subject does not consciously emit. The image retains what the person bears and time will not take away, the identity that remains in the person through time and different ages, that by which we recognize them in all the stages of life and which justifies that we can address them as ‘you’, and that they can say ‘I’. These are not paintings that represent someone, but spaces of painting that someone inhabits. Transparency of the way
The brush here is not at all arrogant, nothing in the representation is aggressively imposed and everything subsists in a miraculous lightness, offering to the gaze an emotion that is not bound by any prior agreement or concession to the egotism of the artist, or filtered through any barrier or theoretical customs post. All of the thought is indivisibly one with the way, with the magic of representation and of presence. The immediate transparency between what the artist wants to do and what is realized for the viewer bears witness to the complete absence of that arrogance of illabsorbed theory so typical of immature artists, out of tune or out of touch with their personality. In complete contrast, the humility of the practice in Enkaoua’s work attains all the possible power, without any self-advertising wastage. Its representative energy yields in full. This resonant instrument that is a painting renders a full sound. Everything is just right. The combat and the sweetness
This rightness or this justice, and a kind of happiness that stems from this achievement, lead us at times to forget the extremely combative character of this painting. The great Watteau described himself as a small hitter and hammered the canvas with an infinite number of brushstrokes and colours, turning his painting sessions into sword fights. Enkaoua’s canvases are painted with the same fierce rhythm as those of the great Flemish, and their kinship suddenly reveals itself: paintings in which the will wrests from reality a victory in the form of a reverie of eternity; a violent intensity that grips the picture space, the fury of the real, yielding to sweetness for a moment of eternity the chance to dwell. Twenty eternities of a person: the regrouping of twenty paintings representing the same model at different moments in her life.
In Enkaoua’s work, each painting is a total attempt. We cannot really speak of series in the case of this spectacular bringing together of twenty paintings made with the same model at different times in her life. The formats and the frames differ. The pose, the circumstances; everything. The homogeneity of the whole is due entirely to painting as a medium applying to the long and ongoing time its work in the face of duration and change. Time passes, marches on, and time after time the painting catches the eternal in the aspects of a human figure that evolves, all the while carrying within itself that ‘I’ that dwells and that ‘you’ that resists. The life of this little girl who becomes a young woman circulates between these regrouped paintings, she grows up in the interstices, she evolves in the whites, flits, flutters, floats, half absence, half presence, and twenty times her eternity reappears, bursts forth as if by surprise and is fixed in colour, producing twenty universal images.
Grégoire Polet (translation Graham Thomson)