L’usine de la vie Pourquoi la biodiversitÊ des sols est-elle si importante?
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Table des matières Avant-propos Protéger les sols, une urgence pour 2010 et au-delà
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Bienvenue dans l’usine de la vie
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Voici quelques-uns des ouvriers de l’usine de la vie
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Ce que fabrique l’usine
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Structurer les sols et contribuer à la régulation du changement climatique Stocker et purifier l’eau Nettoyer les terres contaminées Contrôler la pullulation des espèces nuisibles Fournir des médicaments permettant de sauver des vies La valeur des vers
Qui travaille dans l’usine ? Les ouvriers Les superviseurs Les architectes
Les principales menaces qui pèsent sur le devenir de l’usine La conversion des sols Le changement climatique Les autres menaces Contribuer à la protection de la biodiversité des sols
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Que peut-on faire de plus pour protéger la biodiversité des sols ?
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Pour en savoir plus sur la biodiversité des sols
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Avant-propos Protéger les sols, une urgence pour 2010 et au-delà En 2010, déclarée Année internationale de la biodiversité par les Nations unies, la biodiversité des sols constitue un pan entier de la biodiversité mondiale trop souvent négligé. La santé des sols dépend de l’étendue des formes de vie qu’ils abritent: des bactéries aux champignons, en passant par des insectes minuscules, les lombrics (ou vers de terre) ou les taupes. Ensemble, ils procurent des avantages incommensurables pour la vie sur Terre. Cette biodiversité joue un rôle essentiel sur l’atténuation du changement climatique, le stockage et la purification de l’eau, la fourniture d’antibiotiques et la prévention de l’érosion. Le bien-être de toutes les plantes et animaux terrestres dépend de la complexité des processus qui se déroulent dans les sols. La perte de la biodiversité et le changement climatique sont deux des défis les plus pressants de notre temps; et la biodiversité des sols constitue l’une des réponses à ces deux défis. Pourtant, elle est en permanence menacée, en grande partie par des activités humaines qu’il nous est possible de contrôler. Il est donc notre responsabilité de préserver la qualité des sols avant qu’il ne soit trop tard et que les espèces qui y vivent ne disparaissent avec leurs habitats fragiles. C’est pourquoi la Commission européenne a placé les sols au cœur de ses réflexions. Dans le cadre de sa stratégie thématique en faveur de la protection des sols, la Commission européenne a proposé une directive-cadre sur les sols dans le but de prévenir leur dégradation dans l’Union européenne et de réparer les dommages qu’ils ont déjà subis. Il s’agit d’un problème croissant auquel il sera très coûteux de remédier, à moins de nous y atteler rapidement et de manière coordonnée. Nous espérons bientôt pouvoir nous accorder sur la meilleure voie à suivre pour résoudre ce problème et saisir l’occasion de l’Année internationale de la biodiversité pour enfin approuver la directive. Alors qu’en 2010, nous célébrons la vie sur Terre et la valeur de la biodiversité pour nos vies, prenons le temps de regarder sous nos pieds, de découvrir ce monde inconnu et de l’apprécier. Janez Potočnik Commissaire européen pour l’environnement
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Bienvenue dans l’usine de la vie Hormis les jardiniers ou les agriculteurs, la plupart d’entre nous accordent peu d’attention aux sols, sauf lorsque nous nous essuyons les pieds après une promenade dans la campagne ou que nous nous plaignons lorsqu’il y a de la terre dans la maison. Mais il est temps de renouer avec cette précieuse ressource non renouvelable. Les sols sont en danger et notre mode de vie en est en grande partie responsable. Les sols tirent leur force de la vie qu’ils abritent, la biodiversité des sols, des gènes, des espèces et des communautés. La biodiversité est plus grande dans les sols qu’au-dessus : une cuillerée à café de terre de jardin peut contenir des milliers d’espèces, des millions d’individus et une centaine de mètres de réseaux fongiques. Les scientifiques estiment qu’au moins un quart des espèces de la planète vivent dans les sols.
Le saviez-vous ? Les sols abritent plus d’un quart de toutes les espèces vivant sur Terre.
Ce riche écosystème possède de nombreuses fonctions. Il recycle les déchets organiques pour assurer la vie des plantes, des animaux et de l’homme au-dessus du sol; il régule les flux de carbone et le cycle de l’eau; il tient les espèces nuisibles à l’écart et décontamine les terres polluées; et il fournit des matières premières pour élaborer des produits pharmaceutiques et lutter contre les maladies infectieuses.
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C’est l’usine de la vie, dont les ouvriers sont des microorganismes, de grands et de petits invertébrés, des petits mammifères et même les racines des plantes. Leurs lieux de travail sont les couches sombres du sol arable, sous les prairies, les champs, les forêts et les espaces verts des villes.
Le saviez-vous ? Seulement 1 % des espèces de microorganismes ont été identifiées.
Mais cette usine est en crise. Alors que d’autres ressources vitales comme l’eau et l’air sont constamment recyclées et régénérées, la formation des sols peut prendre des décennies, voire des siècles. Quand l’usine de la vie s’arrête, il est très difficile de la remettre en route. Le présent document examine ce qui se passe dans cet environnement fascinant, présente les vedettes de cette discrète communauté de créatures, évoque les menaces qui pèsent sur leur habitat (à l’échelle locale et mondiale) et répertorie les mesures qui sont mises en œuvre pour résoudre le problème sur les plans de la législation et de la recherche scientifique. Rejoignez-nous pour cette exploration à la découverte des richesses de l’usine de la vie.
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Voici quelques-uns des ouvriers de l’usine de la vie
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Cloportes Fourmis Collembole Vers de terre endogés Araignée Larves de hanneton Pseudoscorpion Vers de terre anécique Limace Myriapode Grillon des champs Larve de fourmilion Acariens Perce-oreille commun Taupe
Ouvriers de l’usine de la vie visibles au microscope : bactéries, nématode, mycéliums fongiques, protozoaires.
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Ce que fabrique l’usine Sous nos champs et sous nos pieds, une communauté éclectique d’organismes du sol travaille jour et nuit dans un remarquable effort coordonné qui permet la vie sur Terre. D’après nos connaissances actuelles, c’est l’activité principale de l’usine du sol. L’usine de la vie a pour principal objectif de créer et d’entretenir les sols, qui pour l’essentiel constituent la source d’alimentation de la planète. Ils fournissent les éléments nutritifs dont les plantes ont besoin pour pousser et nourrir les animaux. Les végétaux produisent aussi notre propre nourriture, des fibres textiles, du bois et des ingrédients pour les produits pharmaceutiques.
Le saviez-vous ? Dans une zone de la taille d’un terrain de football, les organismes du sol produisent chaque année de la matière organique dont le poids équivaut à celui de 25 voitures.
Pour rester fertiles, les sols dépendent de la présence d’une vaste communauté d’organismes qui constituent la biodiversité des sols. Lorsqu’ils disposent des matières premières suffisantes, à savoir la matière organique morte, ils se mettent au travail et décomposent ces déchets pour produire de l’humus, une matière organique complexe dotée des éléments nutritifs nécessaires à la vie des plantes. L’humus ne peut pas être fabriqué par l’homme. Il provient exclusivement de la biodiversité des sols.
Le grillon des champs mâle (Gryllus campestris) construit des galeries jusqu’à 30 cm sous terre.
L’activité de l’usine n’a peut-être jamais été aussi importante qu’aujourd’hui. Alors que la population mondiale devrait avoisiner les neuf milliards de personnes d’ici le milieu du siècle, la santé des sols sera essentielle pour la sécurité alimentaire de demain, d’autant plus au vu de la pression croissante exercée sur les terres, de l’expansion urbaine, de la production de biocarburants et de l’extraction des ressources naturelles, ainsi que de la perte de matière organique liée à la dégradation des terres, c’est-à-dire l’érosion, la désertification, etc.
Structurer les sols et contribuer à la régulation du changement climatique
Les arthropodes terrestres communs, tels Entomobrya nivalis, jouent un rôle dans la décomposition.
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Les organismes du sol travaillent le sable, l’argile ou le limon, formant ainsi des structures et des habitats nouveaux qui aèrent le sol et laissent pénétrer l’eau. Certaines espèces de champignons, par exemple, produisent une protéine collante qui lie les particules du sol et les stabilise. Par ailleurs, les créatures de grande taille, comme les termites, creusent des tunnels dans le sol. Le travail accompli par les organismes du sol permet également aux
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sols de stocker et de libérer du carbone, contribuant ainsi à réguler le flux de gaz à effet de serre, et donc le système climatique mondial. Cela a une incidence directe sur la santé humaine, la productivité des cultures, les ressources en eau et la sécurité alimentaire. Les sols stockent le carbone principalement sous forme de matière organique. Ils constituent le deuxième plus grand réservoir de carbone sur Terre, après les océans. Plus le sol contient de matière organique, mieux il pourra agir en tant que puits de carbone. Une bonne gestion des sols peut donc constituer un rempart important contre le changement climatique. Tous les types de sols ne présentent pas les mêmes capacités de stockage de carbone. Les sols des tourbières, par exemple, ne couvrent qu’une fraction de la superficie de l’Europe, mais ils stockent 20 % de la totalité du carbone des sols en Europe. Les prairies et les forêts accumulent du carbone dans leurs sols, alors que les terres cultivées ont souvent tendance à en libérer. En Europe, les plus grosses émissions de CO2 à partir du sol découlent de la conversion des prairies en terres arables et au travail intensif du sol, sans adjonction de matière organique. Les organismes du sol jouent un rôle majeur dans la transformation de la matière organique. Et certaines espèces participent même aux opérations de mélange. Par exemple, les bousiers sont capables d’enterrer les cadavres de petits animaux, rendant ainsi leur matière organique disponible pour alimenter les larves et les autres organismes du sol. Les lombrics peuvent par ailleurs brasser les déchets des couches de surface avec les couches inférieures.
Stocker et purifier l’eau Le stockage et la purification de l’eau sont des rôles tout aussi essentiels de l’usine souterraine de la vie. Lorsque l’eau s’infiltre dans le sol, des contaminants tels que des bactéries et des virus
Le saviez-vous ? La capacité des sols à absorber l’eau peut être réduite de 90 % s’ils ne contiennent pas de lombrics.
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sont absorbés par les particules du sol, ce qui rend l’eau à la fois propre et sans danger. Cependant, cette capacité de purification dépend de la richesse des sols en microorganismes, car ce sont eux qui effectuent le travail. Plus grande est la biodiversité des sols, mieux cette fonction peut être assurée.
Le saviez-vous ? Les terres sans végétation peuvent s’éroder plus de 100 fois plus rapidement que celles qui en sont couvertes.
Par ailleurs, les canaux, les nids et les galeries créés par les lombrics, les fourmis et les termites favorisent l’absorption de l’eau, tandis que la végétation, avec ses feuilles mortes et ses systèmes racinaires, permet de capter l’eau et de structurer le sous-sol. Supprimer la végétation, notamment par la déforestation, produit l’effet contraire : le sol risque d’être emporté. Si les sols n’abritent pas une communauté dynamique, leur structure s’appauvrit et le ruissellement augmente, provoquant érosion et inondations. Si la capacité des sols à absorber, purifier et stocker l’eau est compromise, les eaux souterraines en seront affectées et plus de stations d’épuration seront nécessaires. Le maintien de la capacité du sol à traiter et purifier l’eau permettra d’économiser de l’argent et de protéger la santé et le bien-être.
Nettoyer les terres contaminées Peu de gens savent que les organismes du sol ont la remarquable capacité de nettoyer certains types de pollution ou tout au moins d’en atténuer les répercussions. Par un processus appelé biodépollution, les microbes présents dans les sols sont capables de décomposer certains polluants organiques et de les convertir en molécules non toxiques. La biodépollution est un processus naturel dont l’homme a souvent tiré parti. C’est la méthode la plus économique pour décontaminer les sols, et elle s’est révélée efficace dans de nombreux cas. Un célèbre exemple est le nettoyage de la marée noire du pétrolier Exxon Valdez qui a eu lieu en Alaska en 1989. Dans le
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cadre des opérations de nettoyage du pétrole brut sur 2 000 km de littoral, un mélange d’éléments nutritifs et d’engrais favorisant la croissance bactérienne a été utilisé sur le sable et les sédiments contaminés. L’activité bactérienne a conduit à une multiplication par cinq du taux de dégradation du pétrole et a permis de nettoyer le site de manière efficace, même si la marée noire a causé la mort de nombreux animaux marins et du littoral. Les toxines susceptibles d’être éliminées du sol par la biodépollution naturelle comprennent les produits chimiques utilisés pour le traitement du bois, les solvants utilisés pour le nettoyage à sec, les pesticides agricoles et même les polychlorobiphényles, des substances qui sont désormais interdites, mais qui étaient utilisées autrefois dans les plastiques et les composants électriques.
Le saviez-vous ? Les lombrics peuvent favoriser la biodépollution, car ils régulent l’activité et la répartition des microbes dans le sol.
Un sol riche en biodiversité est essentiel pour tirer le meilleur parti de la biodépollution. Les microorganismes agissent sur les polluants chimiques, tandis que d’autres organismes qui contrôlent la structure et la porosité du sol l’aident à absorber, disperser et dégrader les contaminants. La décontamination naturelle des sols a ses limites, bien sûr. Le processus peut prendre des années, voire des décennies, car certains polluants persistants ne peuvent pas être désagrégés, et parfois la charge de contamination est tout simplement trop importante pour le sol. En outre, les métaux lourds comme le cadmium, le plomb et le mercure ne se dégradent pas. Il a été observé qu’ils s’accumulent dans la chaîne alimentaire ou qu’ils contaminent les eaux souterraines. Même si les sols peuvent assurer une dépollution naturelle, l’on ne peut pas s’attendre à des miracles.
Contrôler la pullulation des espèces nuisibles Les usines fonctionnent mieux lorsque tous les salariés exécutent les tâches pour lesquelles ils sont qualifiés. Les problèmes commencent lorsque, en raison d’absences ou d’un manque de compétences, la main d’œuvre devient insuffisante pour effectuer le
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travail. Les machines et la production s’arrêtent. C’est exactement la même chose dans l’usine du sol. Plusieurs espèces sont en mesure de se remplacer mutuellement jusqu’à un certain point, l’une couvrant l’autre en cas de licenciement ou d’arrêt maladie, par exemple. Mais si la moitié de la population active tombe malade, cela aura de graves répercussions sur la production. Il est important de maintenir une grande partie du personnel en bonne santé pour le bénéfice de chacun des salariés, ainsi que pour le fonctionnement global de l’usine. La pullulation des espèces nuisibles est l’une des conséquences de l’arrêt de la production dans l’usine de la vie. Elle peut entraîner la destruction des récoltes à grande échelle, ce qui constitue un risque de catastrophe pour l’homme. Par exemple, on estime que la valeur des récoltes de pommes de terre menacées par le doryphore au Royaume-Uni est de l’ordre de 322 millions d’euros. Un sol riche en biodiversité est mieux à même de lutter contre les parasites, car il contient à la fois des espèces de prédateurs et des éléments nutritifs variés. Certains éléments nutritifs peuvent favoriser les espèces nuisibles, tandis que d’autres leur seront préjudiciables. En règle générale, plus un écosystème est diversifié, meilleur est son équilibre entre les espèces et mieux il est à même de contrer le développement des espèces nuisibles.
Dégâts causés à des plants de pommes de terre par des espèces nuisibles, favorisés par la dégradation des sols.
La pullulation des espèces nuisibles est courante dans les champs en monoculture, où le fonctionnement des sols est modifié. En revanche, une végétation diversifiée favorise les écosystèmes et réduit l’incidence des espèces nuisibles. Tirer parti de cette lutte naturelle contre les animaux nuisibles peut aussi permettre de se passer des pesticides à spectre étendu qui, outre le fait de nuire aussi aux insectes utiles, peuvent avoir de nombreuses autres conséquences indésirables et coûteuses.
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Fournir des médicaments permettant de sauver des vies En 1928, le biologiste écossais Alexander Fleming a remarqué qu’un champignon du sol qui poussait dans son laboratoire inhibait la croissance d’une culture de bactéries (staphylocoques) située à proximité. Il en a déduit qu’un élément du champignon devait tuer les bactéries infectieuses et a isolé la pénicilline peu de temps après. Les antibiotiques contenant de la pénicilline, que l’on utilise toujours aujourd’hui, ont été les premiers médicaments capables de traiter de nombreuses maladies graves. Le sol est comme une armoire à pharmacie pour l’avenir dans laquelle des microorganismes comme les bactéries et les champignons produisent constamment des composés génétiques pour lutter contre d’autres microbes. Les scientifiques sont en permanence à l’affût d’espèces jusque-là inconnues dans les sols, car les stratégies de survie uniques de celles-ci peuvent inspirer la création d’un nouveau produit pharmaceutique efficace.
La valeur des vers Diverses méthodes ont été utilisées pour estimer la valeur économique de la biodiversité des sols; toutes ont conclu que l’argent dépensé pour protéger la biodiversité des sols est un bon investissement.
Les lombrics contribuent à aérer les sols, permettant l’absorption de l’eau.
Les sols et leurs microorganismes constituent un pan entier de l’armoire à pharmacie de l’homme.
L’une de ces méthodes de calcul consiste à considérer le prix des produits finis (aliments, fibres, matières premières) que les organismes du sol contribuent à produire. On peut aussi envisager leur utilité, en demandant aux consommateurs s’ils sont prêts à payer pour les services fournis. Une autre option consiste à identifier le coût d’un produit de remplacement ayant la même fonction : par exemple, le coût des engrais et des pesticides qui remplacent l’activité des organismes du sol; les coûts engendrés par la réparation des dommages causés par l’absence d’un écosystème sain, tels que l’érosion ou les inondations; ou les coûts liés à la prévention des impacts négatifs.
C’est un travail particulièrement important puisque, par nature, les bactéries se divisent très rapidement et sont capables d’évoluer et de muter pour survivre, ce qui ne va pas sans poser problème car de nombreuses bactéries résistent désormais à la pénicilline : aux États-Unis seulement, au moins 90 000 décès par an sont imputables à des infections bactériennes, dont plus de la moitié sont résistantes à au moins un antibiotique courant.
Une étude américaine datant de 1997 a calculé que la valeur économique mondiale de la biodiversité des sols s’élevait à environ 1 500 milliards de dollars par an. Parmi les calculs effectués au niveau national, citons une étude irlandaise qui a estimé la valeur de la fertilité des sols et du cycle des éléments nutritifs dans le pays à 1 milliard d’euros par an. Enfin en France on évalue le stock de carbone présent dans les sols des prairies à 320 € par hectare et par an.
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Qui travaille dans l’usine ? L’usine de la vie est une ruche d’activité souterraine qui abrite un nombre et une diversité incroyables d’organismes. Elle s’arrête rarement: les travailleurs consomment et traitent les déchets organiques (y compris en se mangeant les uns les autres) pour renouveler et rafraîchir le sol qui renferme les minéraux et les éléments nutritifs essentiels à la croissance des plantes. Même si de nombreux organismes du sol n’ont pas encore été identifiés, la compréhension que nous avons de leur rôle et de leur importance augmente à mesure que nous découvrons comment ils interagissent les uns avec les autres et avec leur environnement, au sein d’un système complexe et interdépendant. Les organismes du sol peuvent être classés en trois grands groupes selon la fonction principale qu’ils occupent : les ingénieurs chimistes, les régulateurs biologiques et les ingénieurs de l’écosystème. Dans notre usine de la vie, les ingénieurs chimistes sont comparables à des ouvriers, ce sont en effet les plus petits organismes présents dans les sols. Ils décomposent la matière organique, comme les feuilles et les déchets végétaux et transforment les résidus en éléments nutritifs, tels que l’azote, le phosphore et le soufre.
Les ingénieurs de l’écosystème sont les architectes et les bâtisseurs de l’usine. Ils élaborent la structure du sol en creusant des passages, des tunnels et des réseaux d’interstices et en transportant les particules au sein de la communauté souterraine, et permettent ainsi aux autres groupes de se développer.
Le saviez-vous ? Un gramme de terre peut contenir environ 1 million de champignons différents, tandis que certaines espèces peuvent atteindre plusieurs centaines de mètres de long.
Les ouvriers Les «ingénieurs chimistes» des sols comprennent tous les organismes qui décomposent la matière organique. Ils peuvent décomposer les grosses molécules (à base de carbone ou d’azote) en éléments nutritifs plus simples dont les plantes ont besoin. Leur activité favorise la croissance de tous les organismes : les plantes comme les animaux (y compris les humains) qui s’en nourrissent.
La larve du fourmilion creuse un trou dans le sol pour piéger ses proies.
On peut comparer les régulateurs biologiques aux superviseurs de l’usine. Ils régulent le nombre d’ingénieurs chimistes et leur activité, principalement en les mangeant, ce qui permet d’accroître ou de réduire la productivité du système.
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Mais leur survie et leur croissance dépendent de conditions particulières, notamment la présence d’humidité, d’air et d’interstices entre les particules de sable, d’argile ou de limon. Ils sont plus répandus là où l’on trouve des quantités importantes de matière organique ou de fumier animal, ainsi qu’autour des racines. Les plus petits organismes du sol, les bactéries et les champignons, constituent la plus grande population de ce groupe qui comprend également les algues et les virus. Les bactéries vivent dans les eaux interstitielles des sols. Elles se reproduisent rapidement et leur population peut doubler en
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Les nématodes sont de minuscules créatures qui ressemblent aux vers et qui, pour la plupart, ne dépassent pas 1 mm de long. Ils s’adaptent extrêmement bien et sont présents dans tous les types de sols, notamment dans les environnements extrêmes de l’Antarctique et les eaux profondes des océans. Ils se nourrissent aussi bien d’algues, de bactéries et de champignons que de racines, de protistes et d’autres nématodes.
Le nombre de bactéries peut doubler en quelques minutes.
quelques minutes. Mais elles peuvent aussi entrer dans un état de dormance et redevenir actives après plusieurs années. Le prince charmant qui les ramène à la vie peut être la racine d’une plante qui les pousse dans un nouvel environnement fertile ou un lombric, dont le tube digestif présente les conditions idéales pour les ranimer. Les champignons constituent un groupe éclectique qui comprend aussi bien des levures unicellulaires que des structures complexes visibles à l’œil nu, telles que les moisissures présentes sur les fruits. Ils vivent dans les interstices situés autour des particules des sols, des racines et des roches. Certaines espèces recyclent la matière organique morte ou en décomposition, tandis que d’autres décomposent les sucres, les amidons et la cellulose du bois.
Les superviseurs Les organismes du sol appelés «régulateurs biologiques» constituent un groupe diversifié qui contrôle les activités des ouvriers situés au niveau inférieur de l’échelle hiérarchique, les ingénieurs chimistes, et forment un maillon essentiel de la chaîne alimentaire. Certains agissent comme des organismes nuisibles et des parasites pour les végétaux, tandis que d’autres activent la microflore. Dans le même temps, leur circulation à travers le sol contribue à fragmenter les déchets organiques, ce qui crée une surface plus grande et favorise ainsi l’échange d’éléments nutritifs avec les microbes. Les protistes sont les plus petits organismes de ce groupe. Ils vivent dans la couche d’eau qui entoure les particules du sol et contrôlent les populations bactériennes dont ils se nourrissent. Ils peuvent se déplacer à l’aide de petites nageoires et peuvent être transportés par le vent et l’eau lorsqu’ils sont en état de dormance.
L’usine de la vie
Les microarthropodes sont de petits invertébrés (animaux dépourvus d’épine dorsale) qui habitent principalement la couche arable et se nourrissent de végétaux en décomposition, de bactéries et de champignons, ainsi que de leurs collègues «superviseurs». Leur taille peut être microscopique (certains acariens) ou de plusieurs millimètres de long (les collemboles par exemple, qui se déplacent par sauts en utilisant leur queue comme un ressort).
Le saviez-vous ? Les bactéries sont considérées comme le groupe d’organismes comptant le plus grand nombre d’espèces sur Terre, et la grande majorité d’entre elles vivent dans les sols.
Tout comme pour les ingénieurs chimistes, la présence des régulateurs biologiques dans le sol dépend du type de sol, de l’eau disponible et des pratiques agricoles. Leur capacité à croître et à se reproduire varie en fonction de la saison et des ressources à leur disposition. Par exemple, les protistes et les nématodes qui se nourrissent de bactéries, prospèrent dans les quelques semaines qui suivent l’ajout de matière organique au sol. Ils peuvent alors entrer dans une période de repos, appelée état de dormance.
On trouve des nématodes dans tous les sols.
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disponible pour d’autres organismes. Les déjections des lombrics enrichissent également l’apport en éléments nutritifs. Plus humides et plus riches en éléments nutritifs que les sols environnants, ces milieux sont un lieu de prédilection pour le développement des organismes appartenant au groupe des ingénieurs chimistes.
La couche arable abrite de nombreuses espèces de microarthropodes.
Les architectes Les constructeurs dans notre usine de la vie (les ingénieurs des écosystèmes) passent leur vie à restructurer les différents départements de l’usine, en mélangeant et déplaçant les sols au fur et à mesure qu’ils se nourrissent, ce qui permet de créer des espaces habitables et des conditions de vie pour les autres organismes du sol. Leur contribution indirecte au cycle des éléments nutritifs joue un rôle clé dans l’amélioration de la fertilité des sols et de la production végétale.
Le saviez-vous ? Les nids de termites sont climatisés.
Les lombrics, les termites, les fourmis, les isopodes (comme les cloportes) et les racines des plantes appartiennent à ce groupe, tout comme les mille-pattes, les coléoptères, les chenilles et les scorpions. Les habitants des sols à temps partiel, comme les campagnols, les serpents, les lézards, les souris et les lapins, sont également des ingénieurs de l’écosystème, car ils déplacent le sol en le creusant pour y trouver de la nourriture et un abri. Les déjections et les tunnels des lombrics, les termitières et les fourmilières permettent d’aérer le sol et d’accroître sa porosité. Cela permet à l’eau de s’infiltrer, ce qui augmente l’habitat
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Les taupes Les taupes sont présentes partout en Europe sauf en Irlande. On les trouve dans tous les types de sols assez profonds pour que des tunnels puissent y être creusés, sauf dans les sols compacts et semi-arides des forêts de conifères. Les taupes peuvent consommer jusqu’à 100 % de leurs poids en nourriture chaque jour. Elles capturent leurs proies (lombrics et autres invertébrés) dans les réseaux de tunnels et de pièges qu’elles creusent à l’aide de leurs larges pattes avant qui sont parfaitement adaptées à cette activité.
Contrairement aux taupes, les autres mammifères fouisseurs ne sont que des habitants des sols à temps partiel. Ils remplissent cependant une fonction utile dans le maintien de la biodiversité des sols. Lorsque les musaraignes, les campagnols et les blaireaux creusent des tunnels pour s’abriter, faire leur nid ou éviter les prédateurs, ils contribuent à fertiliser le sol en mélangeant matières fécales, déchets végétaux et graines dans la terre arable. Dans le même temps, leurs réseaux souterrains permettent la circulation de l’air et créent des passages par lesquels l’eau peut pénétrer plutôt que de ruisseler.
L’usine de la vie
Les principales menaces qui pèsent sur le devenir de l’usine Pour être en bonne santé, les sols ont besoin d’un environnement sain. Avec les meilleures matières premières et des conditions de travail idoines, le sol fonctionnera à plein régime, fournira un service efficace et assurera la vie au-dessus du sol. Mais s’il est privé de ce dont il a besoin (souvent en raison du comportement de l’homme), la biodiversité des sols sera affectée et sa capacité de travail en pâtira. Ce chapitre décrit les causes et les caractéristiques de la dégradation des sols.
L’érosion arrache le toit de l’usine du sol, endommageant l’organisation complexe qui se trouve dessous. L’érosion se produit lorsque la surface des sols est éliminée par le vent et l’eau. Elle touche de nombreux sols en Europe, en raison des pratiques agricoles, de la déforestation, de l’exploitation abusive des pâturages, des incendies de forêt et des travaux de construction. On s’attend à ce que le changement climatique aggrave la situation.
Le saviez-vous ? Chaque année, à travers le monde, l’érosion par le vent et l’eau entraîne 75 milliards de tonnes de terre, la plupart provenant des champs agricoles. Cette dégradation de l’environnement peut entraîner une catastrophe humaine, car les populations sont forcées de quitter leur foyer en quête de terres agricoles fertiles.
L’appauvrissant du niveau de matière organique des sols provoque la famine de tous les travailleurs qui vivent sous la terre. Convertir un écosystème naturel tel qu’une forêt en terrain agricole, par exemple, réduit le réservoir de carbone des sols de 50 à 75 %. Par ailleurs, l’irrigation inappropriée ou la suppression de la biomasse résiduelle (telle que la paille), éliminent les éléments nutritifs des sols et empêche le recyclage et la reconstitution de la matière organique qui assure le fonctionnement des organismes
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de la terre. Dans près de la moitié des sols en Europe, la matière organique représente moins de 2 %, un chiffre que certains considèrent comme un seuil dangereusement bas. La salinisation, l’accumulation dans les sols de sels solubles dans l’eau, est une forme de pollution. Elle est due à une irrigation inappropriée ou à une extraction excessive des eaux souterraines dans les zones côtières et peut pousser les espèces bactériennes dans un état de dormance et tuer d’autres organismes du sol. Il en résulte une diminution de la croissance des plantes et de la productivité des cultures, ainsi qu’un risque accru de désertification. Le tassement du sol écrase l’usine de la vie. Il est dû aux activités naturelles et humaines, en particulier à l’utilisation d’engins
Seules certaines plantes halophiles peuvent survivre dans ces conditions.
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agricoles lourds sur des sols humides. Il fait ressortir l’air des sols, ce qui empêche l’infiltration d’eau et entraîne la destruction des réseaux de tunnels et d’interstices qu’empruntent les architectes du sol, tels que les lombrics. Cela menace tous les habitats souterrains et restreint la disponibilité des éléments nutritifs. L’imperméabilisation, terme qui fait référence à la présence d’une couche imperméable entre le milieu aérien et le soussol, provoque l’étouffement des sols. L’urbanisation et le recours généralisé à l’asphalte et au béton provoquent la mort de la plupart des organismes du sol. Ces techniques peuvent également endommager des zones situées hors de l’environnement local, car le ruissellement des eaux détournées peut causer érosion et inondations. Les villes se développant souvent à proximité de terres très fertiles, l’extension urbaine peut entraîner la disparition de certaines des terres les plus productives. Conserver des espaces semi-naturels dans les zones urbaines et créer des toitures vertes sont deux solutions qui peuvent permettre de lutter contre les pires effets de l’imperméabilisation.
La conversion des sols Tout comme une usine de pots de fleurs ne peut pas se mettre à produire des tapis du jour au lendemain, il faudra du temps pour transformer en pâturages un sol forestier riche en organismes qui recyclent feuilles et résidus ligneux. La concentration de biodiversité est variable et dépend du type de sol. Les prairies ont une biodiversité plus riche que les autres sols, elles sont suivies des forêts, des terres cultivées et des terrains urbains. Le défi consiste à gérer chaque type de sol de la manière la plus durable possible, en vue de lui permettre de prospérer.
Un aller simple pour la désertification Les dommages irréversibles causés aux sols entraînent la désertification, qui constitue un risque particulier pour les sols dont la teneur en matière organique est faible. Elle résulte généralement d’une érosion excessive par le vent ou par l’eau ou de la salinisation, ou des deux, et peut avoir pour cause des conditions climatiques ou des activités humaines. L’élimination de la végétation favorise l’érosion de la couche arable et sape la capacité du sol à assurer la croissance des plantes. La désertification se compose de plusieurs stades. Surviennent dans un premier temps les dommages que subissent la couche arable et les espèces végétales et animales. Puis, à mesure que la couche arable s’érode, la possibilité de rétablir la productivité est compromise. Cette spirale descendante conduit à un renforcement de la désertification et entraîne finalement la stérilité des terres qui cesseront de produire pendant des générations.
- Les prairies représentent 16 % du territoire de l’UE et favorisent une forte densité de nématodes, de microarthropodes et de communautés diverses et abondantes de lombrics.
• Les terres cultivées, qui couvrent plus d’un quart du territoire européen, favorisent moins les organismes du sol. Le labour profond et régulier des sols, l’utilisation d’engrais chimiques et de pesticides, l’élimination des résidus de récolte et le recyclage insuffisant des matières organiques (comme l’application de fumier et de compost) privent l’usine d’aliments et de bonnes conditions de travail. Le sol perd les matériaux qui le stabilisent et le fertilisent.
- Les forêts couvrent 35 % de la superficie de l’Europe. Leur sol se caractérise par de longs réseaux racinaires et des couches de feuilles mortes, qui abritent des communautés très diverses.
• Les zones urbaines représentent environ 5 % de la surface de l’Europe et se développent plus vite que la population. Outre les problèmes d’imperméabilisation et de tassement, la biodiversité
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locale est également confrontée à la pollution (atmosphérique, par les métaux lourds) et à des températures plus élevées. Dans les parcs et les jardins, l’utilisation de produits chimiques et la couche limitée de déchets organiques à la surface du sol s’ajoutent aux défis auxquels est confrontée la biodiversité des sols. Les tendances en matière d’utilisation des sols en Europe donnent une image contrastée de la biodiversité des sols, avec des éléments à la fois positifs et négatifs. En effet, les zones rurales devraient diminuer au cours des décennies à venir et les zones urbaines devraient croître de 1 % d’ici 2020. On s’attend toutefois à ce que les espaces forestiers augmentent de 5 % entre 2000 et 2020 (même si ce chiffre comprend les surfaces destinées à la monoculture de moindre valeur écologique) et que l’agriculture biologique, plus respectueuse de la biodiversité des terres cultivées, se développe lentement mais sûrement.
Les forêts abritent des communautés diverses dans leurs sols.
• Cycle des éléments nutritifs et fertilité : l’évolution des concentrations de CO2, de la température et des précipitations aura une incidence sur la disponibilité des éléments nutritifs dans les sols. Le réchauffement peut augmenter l’azote disponible pour les plantes et il a été démontré que l’action combinée du réchauffement et de l’augmentation des précipitations réduit le nombre de certaines bactéries dans les sols.
Les mesures de lutte contre le changement climatique bénéficieront aussi aux organismes des sols.
Le changement climatique Le changement climatique aura probablement des répercussions sur les organismes du sol, que ce soit de manière directe, en modifiant leur habitat et la chaîne alimentaire, ou de manière indirecte, par une aggravation de l’érosion, des sécheresses, des incendies, etc. • Stockage du carbone et contrôle du climat : l’élévation des températures peut favoriser une oxydation plus rapide de la matière organique dans les sols, et par conséquent une accélération des émissions de dioxyde de carbone dans l’atmosphère. Cela entraînera de nouvelles hausses de température, comme un cercle vicieux.
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• Maîtrise de l’eau : la fluctuation des températures et des précipitations sont également susceptibles d’influer sur la structure et l’acidité des sols. Leur capacité à absorber et stocker l’eau et à soutenir les organismes qu’ils abritent s’en trouvera à son tour modifiée. De nombreuses espèces d’organismes vivant dans les sols sont extrêmement sensibles à la disponibilité d’eau, c’est le cas des bactéries qui se développent dans les eaux interstitielles et des lombrics. • Lutte contre les espèces nuisibles : plus la communauté des sols est diversifiée, plus la lutte contre les espèces nuisibles est efficace. Si les espèces interdépendantes ont la même sensibilité à l’évolution climatique, l’équilibre sera préservé, tandis que dans le cas contraire, il sera perturbé. Les fluctuations du système climatique auront probablement une incidence plus grande sur certaines espèces que sur d’autres, ce qui pourrait compromettre la capacité de la communauté des sols à contrôler la pullulation des espèces nuisibles. Ces parasites peuvent être des bactéries, des champignons, des nématodes, des insectes ou des plantes exotiques envahissantes, des microbes et des animaux invertébrés. L’augmentation de la température favorise généralement la pullulation des insectes nuisibles.
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L’agriculture au service de la biodiversité des sols Les agriculteurs, en tant que dépositaires d’une grande partie des terres, peuvent jouer un rôle crucial dans la protection de la biodiversité des sols, car le choix des outils et des techniques a une influence énorme sur l’usine de la vie. Le paillage, c’est-à-dire le fait de recouvrir les sols avec les résidus des récoltes ou du compost par exemple, contribue à préserver la chaleur et l’humidité et à prévenir l’érosion. Les paillis organiques peuvent être décomposés par les organismes du sol et contribuent à structurer les interstices et l’architecture de l’usine souterraine et à nourrir les microorganismes. Déposer des résidus organiques bien décomposés (fumier ou compost) sur la terre permet de fournir de la nourriture aux organismes du sol et offre une bonne structure pour les ingénieurs de l’écosystème, notamment les lombrics. L’utilisation de produits chimiques dans l’agriculture, tels que les pesticides et les engrais, peut perturber le fragile équilibre des sols, en soutenant un type d’organisme plutôt qu’un autre, et
Les autres menaces Les produits chimiques peuvent nuire aux organismes du sol directement, par des effets toxiques sur leur capacité de reproduction et de survie, ou indirectement, par la contamination de leurs aliments ou de leur habitat. Leurs effets peuvent être de courte ou de longue durée et toucher certains organismes du sol ou leur ensemble. Leurs conséquences étant différentes selon les espèces, ils peuvent perturber les interactions au sein des espèces et entre les différents organismes du sol.
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en perturbant ses diverses fonctions, notamment sa capacité à stocker le carbone ou l’eau. Le choix des cultures est également important. Les légumineuses (pois et haricots) agissent comme des engrais naturels, car ils contribuent à fixer l’azote dans les sols. Les autres cultures ne font que puiser des ressources dans le sol, et lorsqu’elles sont plantées successivement, elles peuvent altérer la structure du sol et épuiser la matière organique. Alterner le type de cultures peut contribuer à prévenir l’accumulation d’agents pathogènes et d’espèces nuisibles et à préserver les éléments nutritifs des sols. Dans le même temps, il est possible de gérer les délimitations et les bordures des champs de manière à favoriser la biodiversité et à la rapprocher des cultures. Les haies et les bandes enherbées situées sur le pourtour des champs offrent un habitat stable et des sources de nourriture pour les organismes dont le travail de structuration du sol peut contribuer à combattre la pullulation des espèces nuisibles.
Les organismes microbiens, les ouvriers de cette usine de la vie, se reproduisent très rapidement et peuvent développer une résistance à une toxine, grâce à la sélection naturelle, ou même être en mesure de transformer des produits chimiques en composés moins toxiques. Il a par ailleurs été observé que les régulateurs biologiques souffrent de l’exposition aux produits chimiques industriels comme les métaux lourds et le pétrole. Les ingénieurs de l’écosystème, tels que les lombrics, sont très sensibles à la pollution, tandis que les fourmis et les termites sont plus résistants. Cela provient peutêtre du fait que les vers avalent de grandes quantités de terre et
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que leur peau est très perméable à l’eau. Le cadmium, un métal présent dans certains types d’engrais, peut être extrêmement toxique pour les lombrics et même mortel à très faible dose.
Contribuer à la protection de la biodiversité des sols
Les organismes génétiquement modifiés (OGM) peuvent avoir des conséquences sur la biodiversité des sols et favoriser une résistance génétique chez les espèces nuisibles qu’ils ciblent. Ils peuvent modifier la structure et l’efficacité des bactéries dans les sols et modifier la capacité du sol à décomposer la matière organique.
Les problèmes de l’usine de la vie peuvent se traduire par des sols affaiblis et l’appauvrissement définitif de l’ensemble de la communauté, sans aucune chance de reconstruire cette organisation complexe.
Les espèces envahissantes perturbent les processus des sols et constituent une nuisance coûteuse : la lutte contre les espèces envahissantes en Europe coûte des milliards d’euros chaque année. Dans les sols, les plantes envahissantes peuvent être plus résistantes que les plantes indigènes aux herbivores qui se nourrissent de racines et aux agents pathogènes du sol, ce qui renforcera leur caractère envahissant. Mais la biodiversité des sols peut aussi contribuer à lutter contre les espèces envahissantes. Plus la biodiversité est abondante et variée, plus elle sera à même de résister aux invasions.
Les OGM pourraient perturber l’activité bénéfique des bactéries.
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Pourtant, alors que les preuves de la dégénérescence des sols sont manifestes depuis un certain temps, nous assistons impassibles au déclin de l’usine du sol alors que ses structures tombent en ruine, que le nombre de travailleurs qui pointent chaque matin ne cesse de diminuer et que la production baisse. En Europe, les États membres peinent encore à s’entendre sur la façon de préserver cette source de bien-être, de développement et de perspectives de prospérité pour l’avenir. Même les efforts de lutte contre la perte de biodiversité ont jusqu’à présent largement ignoré le milieu souterrain. Cependant, une initiative récente pourrait être cruciale pour la protection des sols. Proposée par la Commission européenne en 2006, la directive-cadre sur les sols vise à établir une législation européenne en faveur de la protection et de l’utilisation durable des sols, tout en laissant aux États membres la liberté de l’appliquer comme bon leur semble. Bien que cette proposition de directive n’aborde pas directement la biodiversité des sols, elle est appelée à jouer un rôle décisif dans leur protection en s’attaquant aux principales causes de la dégradation des sols : l’érosion, l’imperméabilisation, la contamination et le déclin de la matière organique. Mais les ministres européens ne sont pas encore parvenus à l’accord qui permettrait son entrée en vigueur. D’autres politiques et initiatives communautaires peuvent également contribuer à la protection des sols, même si ce n’est pas nécessairement leur objectif premier. Parmi les plus importantes, citons :
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• Le réseau Natura 2000 de zones protégées, créé au titre de la directive «Habitats» et visant à préserver les habitats et les espèces vulnérables. La biodiversité des sols tend à être plus importante dans les zones protégées.
• Le plan d’action de l’UE pour la gestion des forêts qui vise à prévenir la dégradation des sols résultant de l’évolution de l’utilisation des terres, de l’érosion, des incendies de forêt et des glissements de terrain.
• L’instrument européen de financement LIFE, qui soutient des projets de conservation de la nature dont un petit nombre de projets concernent la biodiversité des sols.
• La directive-cadre sur l’eau qui vise à réduire et prévenir la pollution et à protéger l’environnement aquatique.
• Une directive sur l’utilisation des pesticides, la directive sur les nitrates et la directive sur les boues d’épuration, qui ciblent les produits et les pratiques agricoles potentiellement dangereux. • La politique agricole commune (PAC), qui impose désormais aux agriculteurs qui bénéficient des subventions d’intégrer des mesures de protection de l’environnement dans leur gestion des terres.
• La directive relative aux déchets et la directive concernant leur enfouissement, qui obligent les États membres à réduire l’incidence des déchets sur la santé humaine et l’environnement. • La réglementation qui définit un cadre pour l’agriculture biologique en renforçant l’accent mis sur la biodiversité et la protection de l’environnement.
«Loin des yeux, loin du cœur» Les organismes du sol représentent environ un quart de toute la biodiversité terrestre, mais ils sont largement négligés dans les efforts de conservation. Dans le monde, seulement huit espèces du sol sont protégées par la CITES, les règles internationales qui régissent le commerce des espèces menacées: trois scorpions, quatre tarentules et un scarabée. Cela ne signifie pas que les espèces du sol ne sont pas menacées, c’est tout simplement parce qu’elles sont peu connues et que leur habitat et leur fonctionnement sont complexes. Les espèces du sol sont tout simplement loin des yeux et loin du cœur. Pourtant, prendre des mesures pour les protéger peut présenter un double intérêt: si les mesures visant la protection des espèces aériennes ne bénéficient pas nécessairement à la biodiversité du sous-sol, les efforts visant à protéger les communautés du sol sont très susceptibles de contribuer à la conservation des plantes et animaux menacés d’extinction que l’on connaît mieux. Les politiques qui ciblent directement ou indirectement la biodiversité des sols en protégeant son environnement pourraient donc avoir des répercussions beaucoup plus importantes que prévu.
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Que peut-on faire de plus pour protéger la biodiversité des sols? Que peut-on faire à l’avenir pour épargner l’usine de la vie des pires conséquences de nos activités ? La complexité de la biodiversité des sols et les menaces qui pèsent sur elle indiquent qu’il nous faut relever des défis sur trois fronts principaux. Nous devons surmonter le manque généralisé de connaissances sur ce qui se passe sous nos pieds; un soutien est requis pour réaliser des recherches plus poussées; et des politiques visant à protéger les sols, et en particulier leur biodiversité, sont nécessaires. Les connaissances des décideurs politiques, des écologistes et du grand public sur la vie des sols peuvent être améliorées. On envisage le plus souvent les caractéristiques physiques et chimiques du sol, considéré comme une corvée quand on s’essuie les pieds, et non pas ses caractéristiques biologiques, ni le fait qu’il abrite une communauté énorme de formes de vie. En cette Année internationale de la biodiversité et au-delà, il existe une grande opportunité pour mettre en évidence le rôle central que joue la biodiversité des sols dans le maintien de toute vie sur terre. Dans le même temps, nous devons approfondir nos connaissances sur les fonctions du sol. À l’heure actuelle, seulement 1 % des espèces bactériennes et fongiques ont été identifiées, contre plus de 80 % pour les espèces végétales. Moins de 2 % des espèces de nématodes et seulement 4 % des acariens sont connus. Sans savoir exactement de quoi ce monde souterrain est peuplé, comment pouvons-nous comprendre le rôle des espèces qu’il abrite pour la santé des sols ? Plus nous en savons, mieux nous sommes à même de prévoir des tendances et de prendre des mesures correctives. Malgré toutes les recherches qui ont été effectuées jusqu’à présent, il n’existe pas de système standard permettant de comparer les sites et les parcelles, ni d’effectuer des comparaisons dans le temps. Cela pourrait constituer la base d’un suivi à long terme, au même titre que l’évaluation de la qualité de l’eau et l’air. Certains progrès ont été réalisés : un programme de recherche appelé ENVASSO (Environmental Assessment of Soil for
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Monitoring - Évaluation environnementale des sols en vue de leur suivi) a proposé les fondements du premier système complet et harmonisé d’information sur les sols. Du point de vue politique, l’adoption de la proposition de directive-cadre sur les sols permettrait d’améliorer les conditions des sols à travers l’UE, y compris celle de la vie souterraine. Et la directive européenne «Habitats» pourrait être renforcée afin de mieux aborder la question de la biodiversité des sols. Dans d’autres domaines politiques, l’intégration entre les différents secteurs pourrait être renforcée, par exemple entre l’agriculture et l’environnement. Une chose est certaine : l’attention portée à l’intégration des habitats souterrains dans la réglementation et les recherches dans ce domaine ne peuvent que contribuer à mieux faire connaître l’usine de la vie. C’est peut-être la meilleure chance que nous avons de la préserver durablement.
Notre avenir dépend de la protection des sols sur lesquels nous vivons.
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Pour en savoir plus sur la biodiversité des sols Commission européenne-Direction générale de l’environnement http://ec.europa.eu/environment/soil/index_en.htm Centre commun de recherche de la Commission européenne http://eusoils.jrc.ec.europa.eu Rapport intitulé «Soil biodiversity: functions, threats and tools for policy makers» (Biodiversité des sols: fonctions, menaces et outils pour les décideurs politiques). http://ec.europa.eu/environment/soil/biodiversity.htm Atlas européen de la biodiversité des sols http://eusoils.jrc.ec.europa.eu/library/maps/biodiversity_atlas Atlas européen des sols http://eusoils.jrc.ec.europa.eu/projects/soil_atlas/index.html Convention sur la diversité biologique http://www.cbd.int Portail de la biodiversité des sols de la FAO http://www.fao.org/nr/land/sustainable-land-management/soil-biodiversity/en Centre mondial d’information sur les sols http://www.isric.org Carte mondiale des sols http://globalsoilmap.net
Commission européenne L’usine de la vie. Pourquoi la biodiversité des sols est-elle si importante ? Luxembourg : Office des publications de l’Union européenne 2010 — 20 p. — 21 x 21cm ISBN 978-92-79-15000-5 doi 10.2779/17615 Des exemplaires de cette publication sont disponibles gratuitement jusqu’à épuisement des stocks à l’adresse suivante : Commission européenne Direction générale de l’environnement Centre d’information (BU-9 0/11) B-1049 Bruxelles http://bookshop.eu/
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