Prisonniers de la mémoire_ KHALDI Youssef_TPFE

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Trous de Memoire entre ‘‘Injustice’’ et ‘‘marginalisation’’

Encadré

par

M. SALAMI Younes M.HALOUI Rachid

:

Memoire de:

KHALDI Youssef



Travail de fin d’etudes - ENA Fes

Trous de Memoire entre ‘‘Injustice’’ et ‘‘marginalisation’’

Memoire de : KHALDI Youssef

Encadré

M. SALAMI Younes M.HALOUI Rachid

par

:

Membres

du

Jury

:

M. TAHIRI Rachid M. AKALAY Fouad Mme. RHADIOUI Meryem M. CHIBANI Oukacha



«La mémoire» , le mémoire .


Remerciements Je tiens à remercier Monsieur SALAMI Younes pour son suivi et ses conseils tout au long de l’année, et pour les heures de discussion qu’on a pu entretenir à chaque rencontre. Je remercie également Monsieur HALOUI Rachid d’avoir bien accepté de me recevoir, et pour les précieuses informations qu’il a apportées à cette recherche et qui ont enrichis mon travail et ma vision du sujet. Je souhaite également exprimer ma reconnaissance envers Monsieur TAHIRI Rachid, pour ses conseils et pour ces deux années de mentorat formidables. A Monsieur CHIBANI Oukacha pour sa grande génerosité, sagesse et bénignité ; une rencontre marquante à ne jamais oublier. Je remercie tous les autres membres du jury, qui ont accepté d’être présents en cette journée : M. AKALAY Fouad ainsi que Mme RHADIOUI Meryem. Je dédie ce travail à tous ceux qui m’ont aidé à prendre le recul nécessaire dans cette recherche. A mes très chers parents, pour leur soutien quotidien, leur amour et leur engagement. A mes deux sœurs. Autant de phrases et d’expressions aussi éloquentes sont-elles ne sauraient exprimer ma gratitude et ma reconnaissance. A ma tante Aziza, A Amine pour nos voyages à la recherche de la mémoire oubliée des mines, pour les photographies, les conversations et ton soutien inestimable. A Hatim, Abdou, Mehdi pour le soutien moral et intellectuel tout au long de ma démarche Un grand merci à Khaoula et Amine pour les nuits blanches passé au bout du fil , et à tous ceux que je n’ai pas cités, mais qui m’ont apporté à un moment ou un autre , le recul nécessaire dans cette recherche ; ils se reconnaitront .


Pour finir, une dédicace à moi-même, d’avoir pu surmonter une année aussi mouvementée, avec ses hauts, mais surtout ses bas. Ce travail ne fut pas le fruit exclusif de cette année de recherche, mais d’une observation , analyse et vécu d’une vie. En effet, la mémoire est indissociable de l’Homme, et ce travail n’est qu’une prise de conscience de moi-même. Hommage à toutes les feuilles blanches et aux pellicules vierges qui ont accueilli mes expressions et m’ont été comme un échappatoire par lequel j’entre en discussion avec moi-même. L’idée de travailler sur ce sujet m’est venu dans l’optique de comprendre « l’autre », à travers son expérience, son vécu et sa mémoire. Moi, qui souffre de trous de mémoire depuis assez longtemps, j’ai décidé d’aborder ce sujet au début pour mieux comprendre la mémoire, mais aussi pour m’identifier dans la mienne. Les recherches, discussion, et voyages que j’ai pu faire pour ce mémoire m’ont permis de dépoussiérer des souvenirs dont j’ai oublié l’existence, et m’a poussé à mieux me connaître et à prendre conscience de moi-même. Ce mémoire nait alors ainsi, d’une volonté de m’améliorer. Mais aussi celle de comprendre autrui, et de contempler son rapport à l’espace comme sorte de projection de son vécu, le mien et la mémoire de ces lieux.



Sommaire : 1ère Partie : I- Mémoire et Histoire : 1.1. Introduction 1.2. Mémoire et souvenir 1.2.1. La trace 1.2.2. Re-member ou l’art de se rappeler 1.2.3. La mémoire-image 1.3. La mémoire collective 1.4. Us et abus 1.5. L’oubli 1.6. Synthèse

II- Expression Mémorielle : 2.1. Mémoire et Art 2.2. Mémoire et Architecture 2.2.1. Architecture commémorative 2.2.2. Mémoire tragique de la SHOAH « mémoire universelle» 2.2.3. Habiter les ruines 2.2.4. «Anthropy», Temporalité materielle entre Rouille et Usure 2.2.5. Mémoire de Deuil 2.2.6. Interpretation Mémorielle 2.3. Synthèse

III- Mémoire ouvrière : 3.1. Représentation de la mémoire ouvrière 3.2. Friches industrielles et délaissés 3.3. Bassin minier Marocain 3.4. Jerada cité minière 3.5.1. Contexte et analyse 3.5.2. Données économiques 3.5.3. Mémoire entre cendres et oubli

2ème Partie : VI- Projet : 4.1. Analyse et reflexion 4.2. Mémoire d’une mine, un nouveau souffle

V- Synthèse Générale



Depuis les temps immémoriaux, fut une histoire nationale mêlée à des mémoires individuelles distinctes. Aujourd’hui, on parle d’une mémoire nationale émanante d’un patrimoine exponentiel à la recherche d’une cohérence.

La plupart des gens s’adonnent à un mirage à double croyance : ils croient à la pérennité de la mémoire (des hommes, des choses, des actes, des nations) et à la possibilité de réparer (les actes, les erreurs, les péchés et les torts). L’une est aussi fausse que l’autre. La vérité se situe juste à l’opposé : tout fut oublié et rien ne fut réparé. Le rôle de la réparation (et par la vengeance et par le pardon) est tenu à l’oubli. Personne ne réparera les torts commis, mais tout les torts seront oubliés . Kundera l’a si bien dit dans son ouvrage Plaisanterie . En effet, le passé est fixe et ne peut être modifié, mais il est victime des abus de l’oubli. Oublier signifie donner un avantage à ceux qui ne pardonnent pas. Ce simple lemme est ignoré pour but de corriger les torts du passé . Afin d’éviter la mémoire empêchée, manipulée ou abusivement commandée , un usage mesuré d’oubli doit faire face . La question qui se pose alors est celle de comment faire de cette mémoire individuelle confondue dans une histoire collective un nouveau moteur de développement. Et éviter à ce que ces lieux de Mémoire ne finissent en « traditions inventées » comme des réponses à ces temps de crise, à de nouvelles situations ; qui essaient de se gagner une certaine légitimité en se renvoyant à un passé illusoire , d’où le double mouvement d’us et d’historicisation d’un présent ethnologique ou ritualisé trop rapidement confondu avec une réalité ancienne et d’anthropologisation du regard historique. Fougue et ardeur, de par des citoyens d’une ville condamnée à sa vocation mère, défunte dans ses mines qui ont fait d’elle ce qu’elle est aujourd’hui et ce qu’elle était à sa naissance. Jerada, ne représente que des bribes de vie d’une mémoire opprimée. Cette souvenance de cette terre qui n’a connu que le charbon, serait elle brûlée vive dans ses propres cendres ? Ou serait elle le declanchement d’une nouvelle flamme qui la ferait vivre ? Car un feu mal éteint peut toujours se rallumer, mais jamais il ne brûlera d’une même flamme.

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« Mais quand d’un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l’odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l’édifice immense du souvenir. » PROUST Marcel ( Du coté de chez Swann)


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‘’Celui qui a été ne peut plus désormais ne pas avoir été : désormais ce fait mystérieux et profondément obscur d’avoir été est son viatique pour l’éternité’’

- VLADIMIR JANKÉLÉVITCH

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La mémoire est une faculté qui nous définit en tant que personne et qui nous permet de prendre conscience de notre existence à travers le temps. L’Homme entretient des rapports complexes (physiques, immatériels ou sensuels...) avec son passé et son présent comme support de son identité personnelle. Cependant, pour se souvenir, on a besoin des autres. L’identité personnelle est aussi relative à la mémoire collective qu’entretiennent les individus entre eux. Nous tenons la mémoire collective comme recueil des traces laissées par les évènements qui ont façonné notre histoire et qui ont affecté le cours de l’histoire des groupes concernés. Et ce à travers la conscience individuelle et sa mémoire, qu’on reconnaît (à la mémoire collective) le pouvoir de mettre en scène ces souvenirs communs. La mémoire c’est aussi ce qui nous permet de nous orienter, nous déplacer, communiquer…, et ce par le biais ‘’d’acquis’’ qui définissent toutes les autres modalités d’habitude. La transition de la mémoire corporelle à la mémoire des lieux est assurée par des actions aussi importantes que celles de se repérer, mouvoir, et plus que tout habiter. C’est sur ces lieux et endroits que nous nous souvenons avoir voyagé, visité des sites mémorables ou encore vécu des moments précieux. Ainsi les « choses » souvenues sont intrinsèquement associées à des lieux offrant tour à tour un appui à notre mémoire défaillante, une querelle dans la lutte contre l’oubli, voire une suppléance muette de la mémoire morte. Ces lieux qu’on fréquente et auxquelles nous devons nos « souvenirs » et notre quotidien sont encore porteurs de sens et d’identité. Parce qu’ils nous rappellent le passé, il s’agit de lieux de mémoire, mais parce qu’ils invitent au changement, ils sont aussi des lieux de l’oubli. Dans cette guerre entre mnème et de sa défaillance d’oubli, opèrent les deux éléments de manière complémentaire. On ne peut parler de l’une sans évoquer l’autre, selon Ricœur la mémoire et l’oubli font un, ils sont indissociables. Tant que nous oublions c’est qu’on se rappelle du fait qu’on a oublié et par transitivité de l’implication nous n’oublions pas totalement. L’oubli ne veut pas forcément dire effacement de la mémoire mais il peut être l’échouement provisoire du rappel. C’est à travers la persistance des marques que proposent les lieux qu’ils font office de mémoire et de rappel.


La phénoménologie de la mémoire prospère et oppose deux questions structurelles. De quoi y’a-t-il souvenir ? Et de qui est la mémoire ? Se souvenir de quelque chose, c’est immédiatement se souvenir de soi. C’est à travers nos souvenirs qu’on prend conscience de notre existence temporelle. Mais on a préféré commencer par le « quoi » avant le « qui » afin de briser ce côté égologique de l’expérience mnémonique, qui vient s’opposer avec la notion de mémoire collective. Devant cette aporie vient s’enfermer la question de l’attribution mémorielle du sujet. Alors que la mémoire présente la faculté de partage subjectif : On peut tous se rappeler du même évènement mais différemment et d’où la priorisation du « quoi » dans la question. Pour notre cas d’étude le « quoi » fait référence à l’industrie minière, qui a marqué et façonné la mémoire des mineurs et des locaux. Jerada a toujours vécu sous la mémoire minière. Depuis sa création, elle a été vouée à l’activité minière. Son paysage, ses lieux, la mémoire citoyenne, tout fut marqué par cette vocation industrielle. Depuis la fermeture de la mine, la ville songe à son passé. Ces lieux ont façonné ce qu’elle est aujourd’hui. Ils sont eux aussi témoins de cette mémoire. Ils reçoivent et génèrent des pratiques. Ils voient le passage des saisons, des évènements qui s’y produisent. Des morceaux de vies (individuelle et collective) s’y sont déroulés et d’autres s’y déroulent encore, faisant le deuil de leur histoire. Aujourd’hui, ces lieux sont transitoires, à l’abandon, subsistants dans le temps en attendant : en attendant une nouvelle vie, ou être inhumé sous leurs cendres. En attendant un investissement, un réaménagement ou une démolition. Dans ce contexte, ils se retrouvent souvent au cœur de conflits de représentation et d’appropriation, dans une guerre entre leur passé et leur présent. Alors qu’à une époque, l’activité minière représentait toute l’âme de cette ville , Jerada se retrouve privée de son souffle, étoufée par sa mémoire et vouée à l’oubli. Cette mémoire serait-elle alors perdu dans les abus d’une historisation et d’une politisation ? Entre conflits urbains et conflits politiques, ou se situera la mémoire de ces lieux ?

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Nous tenterons au cours de notre étude de questionner ces lieux perdus, delaissés, et porteur d’une mémoire collective afin de comprendre les causes de leur abandon ou de leur suspention temporelle pour réussir le travail mnémonique dont ils sont porteurs. Ces lieux ont façonné le territoire, modelé le paysage et influencé la vie des habitants. A la lumière de cet état de fait, il est important d’interroger l’influence qu’ont eu les mineurs sur le paysage , comment s’approprient-ils ces restes d’un passé toujours présent dans le pofond du paysage . On ne peut échapper au regard du terril en errant dans les ruelles de Jerada, on ne peut s’oublier dans cette ville sans être face à la mémoire que pleure ces lieux. Cette mémoire nous hante tant que nous l’habitons . Mais que faisons nous face à cette mémoire ? L’histoire collective ici est celle d’une lutte de la conscience commune s’insérant dans la matière pour en tirer ce qu’elle peut de ce qu’elle veut. L’évolution créatrice de ce vaste stratagème de la vie, de ses avatars protéens, de ses échecs et de ses succès, module et régule les représentations que le groupe partage de son passé. Et de ce fait se transforme « construire quelque chose ensemble » en « construire quelque chose pour l’ensemble » . L’inconscience n’est pas la conséquence de l’inexistence mais plutôt de l’inactivité. L’existence de cette mémoire pure n’est pas le plus choquant, mais bien le mécanisme de l’oubli qu’on releve de son inactivité. Une autre difficulté vient de l’habitude prise de considérer la mémoire individuelle comme une construction distincte par rapport au corps de ce qui est agréable et ce qui ne l’est pas . Elle est belle et bien un réseau de rapports complexes de l’Homme à son passé. Des rapports qui lui sont de l’ordre du sensible, de la perception et du subjectif, mais qui resultent à la fois de traces effectives et d’empreintes absentes, agissants comme des indices déterminants de «l’esprit du lieu» . Les traces (ces événements révolus et matérialisés) ou les absences de traces (ces événements révolus et absents ) participent alors, d’une manière ou d’une autre, à la construction de la mémoire et des identités dans le présent. La mémoire a de nombreux aspects : elle est plurielle, mouvante, et évolutive. De plus, malgré son caractère individuel, elle est portée et existe grâce au groupe: Un goupe d’éléments matériels ou immatériels . Les lieux sont autant porteurs d’une mémoire que les personnes qui les habitent. Pour nous comprendre la fragilité du lieu, c’est aussi voir la menace qui pèse sur l’esprit qui y vit, entre sa dégradation, sa vocation principale et celle qu’il occupe aujourd’hui, et tout ce dont il a pu en temoigner : abandon, vandalisme, migration, mondialisation ...,etc.

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Mnème et vécu ont fait deux . Jerada suffoque . On a sacrifié « le social » sur l’autel des équilibres financiers .

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Les divers monuments et éléments datant de la période minière ne sont plus vus comme des stigmates, mais comme les traces à préserver de l’identité passée et présente de la région. La revalorisation des terrils, les mobilisations visant à préserver les chevalements restants, l’attention portée aux formes architecturales des cités sont autant de preuves de ce nouveau regard . D’après certaines sources, la volonté politique de la ville voudrait commémorer cette histoire sous forme muséale. En effet , le puits 1 ou le puits de 150m communément connu sous le nom du «mya o khmsine» est en travaux de conversion en musée minier .On assiste, petit à petit au développement du tourisme de mémoire . Ce tourisme bien qu’il existe ailleurs , se développe et pose le problème de sa compatibilité avec la mémoire. Le choix de construire un mémorial, bien que symbolique, résulte d’une dynamique oscillant entre préservation de la mémoire et aménagement territorial, en particulier touristique. La limite entre pédagogie, accessibilité à l’histoire et banalisation de la mémoire est tenue. Mais sommes nous en mesure d’enterrer dans ces lieux une mémoire deja confisquée par le passé ? Derrière les mémoriaux (et leurs auteurs) se cachent souvent des buts politiques : L’intention est que les visiteurs s’identifient avec une realité falsifiée, et l’enfouissent sous d’autres vérités. Même si dans certains cas , l’histoire ne se fait pas altérer, mais elle est occultée et fardée à l’image d’une partie d’histoire ou d’identification commune d’un groupe d’individu . Selon un vieux syndicaliste CDT : « Ce quil faut savoir à cet endroit là, c’est que la décision de fermeture de la mine de Jerada a été dictée par des impératifs politiques et non pas économiques tel quil a été prétendument énoncé et largement médiatisé dans lopinion publique. La raison est que les décideurs ont toujours eu du mal à calmer le mouvement syndical qui se développait à Jerada. Nos ministres de l’époque considéraient notre ville comme un terreau et un foyer de turbulences à lagitation sociale qui pouvait s’étendre au reste du bassin minier de toute la région». Ainsi, sont souscrit les gens de Jerada à la loi du silence . Le silence est la clôture de la sagesse, dit le dicton local. Mais le silence est avant tout une règle de soumission absolue. Dans cette approche déréaliste, seront-nous entrain de perdurer cette mémoire sans s’y identifier? Ou simplement réparer les ‘injustices de la mémoire’ ? De quelle manière se développera la mémoire collective que retraceront ces lieux ? Comment est-ce que l’architecture pourra être un tournant dans la transmission des valeurs et l’aide à la compréhension du passé, et quels sont les codes architecturaux qui pourront être mis en place à cet effet ?


‘Ils cultivaient la terre pour vivre. Aujourdhui ils y percent des trous pour survivre.’

«La ville n’a pas d’autres ressources, il n’y a pas d’emplois, pas d’usines. Les gens vivent dans la précarité . Certains ont commencé à fouiller dans les ruines pour revendre ce qui est monnayable, d’autres ont commencé à s’aventurer dans ces puits pour extraire à la main du charbon , revendu à 5dh le sac à des négociants locaux {...] Les dirigeants ? Ils ont grandi ici, vécu ici et mourront ici, mais n’ont jamais pensé à faire vivre cette ville {...] On a fait blanchir notre terre noire .» MOHAMMED ( gardien du Puit 2 )

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Vue du Terril depuis le centre ville de Jerada - Près de Place Al Amal

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Afin de mener à bien notre reponse à la problèmatique de ce lieu en transition entre passé et avenir, nous aborderons la recherche de manière théorique , analytique et sensible , aussi en ayant un oeil critique sur les projets commemoratifs et porteurs de mémoire. Dans notre approche il est impératif de penser ces lieux dans leur détail, dans leur importance mnémonique et ce dont ils sont porteurs et comment seront ils un nouveau souffle à la ville après avoir peiné à vivre et à faire vivre . Ce lieu porte une expérience à nous proposer : il a un devoir de nous faire « ressentir la mémoire », n’a nullement la prétention de la corriger ou d’en créer une version historique conçue qu’on appellera vérité. Chacun s’identifie à ces lieux et à cette expérience immersive, et s’identifie à travers cette mémoire collective. Il est sans rappeler que l’homme est un individu avant tout, et comme l’a bien compris Cicéron, ce caractère individuel qui est issu d’expériences diverses et personnelles, distingue une personne d’une autre. C’est dans cette appropriation individualiste, que relève le caractère de mienneté ; ce qui représente gloire pour les uns, peut signifier une humiliation pour les autres. Ce qui est une célébration d’un côté peut correspondre de l’autre à une aversion. On se demande avant tout, comment peut on definir ces lieux ,ainsi que cette notion mémorielle ? Mais aussi comment alors s’identifier à sa propre mémoire en visitant ces lieux ? Car si l’esprit émane du lieu lui-même, tous ne le perçoivent pas de la même manière. En effet, chacun le perçoit et l’interprète à partir de ce qu’il est intrinsèquement. De ce qu’il vit et de ce qu’il a vécu . De ce qu’il était et ce qu’il sera . De ce qu’il a partagé avec et autour de cet espace. Nous nous approprions pas le lieu, ni son esprit , nous fondons avec ce qu’on a pu y partager comme etape de conscience de notre prise existentielle . Sommes nous donc prisonniers de notre histoire ou de la mémoire que nous partageons ? Devons-nous sacrifier le devoir de mémoire pour l’instinct de survie ? Ou y’a t-il un consentement entre l’esprit du lieu , la mémoire des habitants et le developpement de la vie et de la ville ?

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Etat de la question:

La mémoire est un sujet complexe, omniprésent, qui nous définit et sur lequel l’homme s’y est intéressé depuis la nuit des temps. Cette notion mémorielle qui est à la fois son identité mais aussi un facteur de morbidité, susceptible aux défaillances de l’oubli, représente la porte entre le moi du passé et le moi du présent. Le problème posé par l’enchevêtrement entre la mémoire et l’histoire est aussi vieux que la philosophie occidentale. Socrate, Aristote, Platon, Augustin et d’autres se sont exprimés sur le (mnémé) et (anámnēsis) ou encore de la réminiscence et l’oubli. Le sujet tire même ses racines de la mythologie grecque avec « Mnémosyne » fille de Gaïa qui représente la personnification de la mémoire. C’est alors avec cette multitude de vision de l’aporie de la mémoire et sa relation avec l’histoire que nous ne pourrons jamais finir de nous expliquer. Certes, il important de faire le tour des visions philosophiques liées au sujet pour arriver à mieux cerner la représentation mnémonique que portes ces lieux d’études. Il a fallu, avant tout comprendre, ce qu’est la mémoire, les us et abus dont elle fait objet, ses enjeux, sa finalité et son évolution.


Entre mémoire corporelle qui a fait objet d’études par les grands philosophes, se positionne la mémoire des lieux, dont traite Pierre Nora dans son ouvrage « Les lieux de mémoire »(1992) mais aussi les lieux de l’oubli et les lieux d’en-attendant qu’étudierait par la suite Taïka Baillargeon dans sa thèse « Les lieux de l’en-attendant : le cas du Generalstab de Belgrade »(2015). Ces lieux, bien que délaissés et en suspension temporelle, sont porteurs d’histoire, de souvenirs et de mémoire. Ils soulignent le dilemme de patrimonialisation et/ou démolition. Cette question avait repris surface suite à l’incendie qu’a connu la grande cathédrale parisienne : Notre Dame de Paris. Suite à cet évènement dramatique qui a réduit la mémoire parisienne en flammes, la question s’est longtemps posée : Faut-il la reconstruire à l’identique ou aller de l’avant. Qu’en est-il de la valeur mnémonique dans cette approche ? Cette interrogation a fait couler beaucoup d’encre en France et a donné lieu à requestionner la notion du patrimoine ou encore le devoir de la mémoire qu’on cherche à imposer. Ce devoir de mémoire qui cherche à se substituer dans le travail de mémoire n’est rien qu’une exigence de justice et de réparation qu’on nous somme à camoufler derrière une histoire opprimée. Ricoeur s’est également intéressé à cette question dans son ouvrage « Mémoire, Histoire et Oubli »(1999). Face à ces abus de mémoire et à l’injustice historique, nous arriverons à parler de la mémoire opprimée que connaissent ces lieux auquel nous nous intéresserons le long de la deuxième partie de recherche : Le bassin minier de Jerada. Privés du fruit noir (charbon) de leur sol, ces citoyens, mineurs, ne trouvent refuge que dans leur mémoire. Depuis la fermeture de la mine, les citoyens se sont mobilisés pour préserver leur mémoire, pour faire entendre leur voix dans l’espoir d’un changement, un changement qui prend en considération leur passé et qui en fera un futur meilleur. Comme part de désespoir, des jeunes se sont retrouvés morts dans ces trous de mines, suite à une exploitation informelle des puits. Sur ces gouttes de sang, naît le Hirak de 2018, crier pour se faire entendre, rendre raison à cette terre, prouver que ces lieux ont fait la gloire de l’industrie, alors qu’aujourd’hui ils se retrouvent voués à l’oubli. Depuis, plusieurs études se sont intéressés à comment redonner un nouveau souffle à cette ville, ou à la vie minière en général. Nous citerons notamment le projet d’étude établi par l’Agence de L’oriental qui fait objet d’études du contexte régional, historique et socio-culturel de la ville de Jerada-Hassi Blal, pour créer une seconde vie à cette ville minière. Cette seconde vie qu’ils vont tenter de recréer à travers un Parc Muséologique.

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Methodologie de recherche :

Afin de répondre à ces questionnements et pour élaborer la présente étude, plusieurs dispositifs méthodologiques ont été utilisés. Le travail a été réparti sur trois grands volets : Un premier volet théorique qui traite de la question de la mémoire et de sa relation avec l’histoire et l’oubli comme part importante dans le processus mnémonique de surmonter la mémoire Dans ce volet ,le premier chapitre viendra interroger la notion de la mémoire dans sa dualité avec l’histoire. Les us et abus dont ils sont victimes, entre oubli, abus politique ou commercial. Le rapport communautaire qu’ils entretiennent et l’importance qu’ils représentent dans la vie de chaque individu. Un second chapitre qui traite de l’expression mémorielle entre art et architecture. Comment l’art répond à la notion mnémonique et historique, la représente et nous y sensibilise. Ce travail de mémoire trouve aussi refuge dans l’architecture commémorative. Entre musées, mémoriaux et d’autres formes d’édifices célébrant une mémoire ou lui faisant le deuil, nous allons nous pencher aussi sur d’autres lieux témoins d’une histoire et d’une vie. Nous interrogerons alors la mémoire des lieux, des ruines et des délaissés, et leur représentation chez l’homme. Comment ces lieux-là se distinguent-ils des autres lieux du vide et de l’abandon ? Ne nous révèlent-ils pas davantage sur l’oubli dont témoigne la transition d’une ville ? Parce qu’ils sont à la fois éphémères et constants, nous analyserons ces sites afin d’évaluer de manière plus exhaustive l’esprit de ces lieux. Dans ce contexte, l’espace n’est donc pas seulement un environnement accueillant du vécu, mais le lieu qu’habite le corps en même temps qu’il se laisse habiter par lui. Pour analyser plus cette notion immersive de la mémoire des lieux nous proposons d’étudier l’interaction sensitive de l’usure et de « l’entropie » des matériaux. Ce rapport à la mort, dont n’échappe même pas la nature, nous dirige à repenser notre rapport au deuil et à la mélancolie. Quelles importances reflètent ces lieux de deuil ? Cherchentils la réminiscence ou l’oubli ?


Pour mieux contextualiser ce rapport à la mémoire des lieux et à distinguer cette confusion historique et mnémonique nous dédierons le premier chapitre du deuxième volet à la mémoire ouvrière. Entre friches industrielles, paysage minier et la mémoire dont ils sont prisonniers, nous nous attarderons sur notre cas d’étude : la ville minière de Jerada. Nous procéderons alors à l’analyse du contexte, de l’environnement et de l’histoire minière de cette ville . Ce travail sera nourri par le travail théorique ainsi qu’analytique à travers l’étude des interventions sur ces sites, des archives et des interviews avec les locaux et les personnes concernées, par le biais d’une approche d’étude sensible. Ces deux volets nous permettront de mieux définir notre intervention sur le site. De dégager les potentialités et contraintes de ces lieux afin de mieux répondre à la notion mémorielle qu’occupe le site et comment en faire un nouveau moteur de développement tout en la préservant et en lui rendant hommage. Le dernier chapitre viendra synthétiser ces deux volets et de souligner les grandes lignes directrices de l’intervention architecturale, afin de proposer dans le troisième et dernier volet, une réponse adéquate à notre problématique.

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Organigramme : A travers une demarche théorique et analytique reposant sur un travail bibliographique, sur des témoignages et consultation des archives nous traiterons de notre problématique afin de mener à bien notre distinction mémonique et historique du vécu et de la mémoire de ces lieux . Le travail sera appuyé par une schématisation des données, un travail cartographique ainsi qu’une sensibilité photographique, considérent le cliché comme un instant mémoriel qui témoigne et parle de l’image des choses passées .

Problématique

Volet Théorique

Volet Analytique et Contextuelle

Mémoire et Histoire

Expression Mémorielle

• Mémoire, Histoire et souvenir, similarités et dissemblance • Us et abus mémorielles • Histoire politisée/ Histoire commercialisée • Impact mémorielle

• Expression sensorielle de la mémoire , entre gloire et deuil • L’impact f de l’art immersive et de l’architecture • Architecture commémorative • Deuil et mélancolie

Synthèses

Synthèses

• Friches et délaissés dans le paysage minier • Le Maroc, villes minières, villes fantômes? • Aperçu historique, Jerada entre Hirak et Oubli • Analyse du site et du contexte sociopolitique et économique • Esprit du lieu , trous de mémoire

Synthèses

Synthèse Générale Intervention / Projet

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Trous de mémoire

Lors de la création de la vie minière que narrent ces lieux, les mineurs trouvaient leur gagne pain dans ces trous. Ces trous de terres noires furent la gloire de ces habitants, mais aussi leur peine. Morts dans ces trous comme des tombes qui viennent vous engloutir, enterrants avec elles l’histoire minière de ces lieux. On n’hérite que de la mémoire qu’ils portent, à la recherche de soi dans cette absence du présent , ces lieux redoutent de se retrouver victimes d’oubli, inhumés dans des trous de mémoire. Fenêtre sur notre avenir, et ce que nous devenons, grande est la puissance de la mémoire. Se rappeler, s’est avant tout prendre conscience de soi dans une temporalité d’existence, c’est à travers ces trous de lumière, ces fenêtres du passé qu’on est définit à notre présent. Dans un contexte de soi divisé en deux identités, se pose la question du : et après ? que faire après s’être souvenu ?

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L’homme a tout le temps été contraint par des risques incontrôlables qui menacent sa vie et son existence . Des risques ou des chocs qu’on peux classer sous trois catégories: Humains: Guerres, attentats, esclavagisme, camps de concentration ... Technologiques: Crash d’avion, accidents de voiture, développement technologique, cyber attaques... Naturels: Tempêtes, volcans, coups de grisou, inondation, maladies.. Face à ces risques d’inexistence, l’Homme cherche à persister ou faire perdurer sa mémoire. L’Homme est devenu victime des conséquence de son évolution. Nous constatons que l’incorporation de l’élément humain dans le façonnement de ces risques entraîne des interactions compliquées en décomposant rapidement les préoccupations que chacun des chocs provoque afin de comparer les comportements sociaux et politiques adoptés par les populations et les acteurs administratifs. Les risques naturels, en revanche, ne sont pas traités de la même manière. L’homme est impuissant face aux règles de la nature, et en tant qu’étranger sur la terre, il accepte avec résignation les aléas de la matrice de la vie. Nous n’affirmerons pas que les événements naturels sont fortement dépendants de l’homme, mais plutôt qu’il prend une part de responsabilité des pertes humaines. Nous ne faisons que suggérer le danger plutôt que de l’anticiper. Face à tout ces types de risques qu’ont ne pourrait énumerer, l’Homme est en danger permanent, entre perte de trace, de mémoire, ou de vie. Cette première approche du rapport entre l’Homme, la mort et l’oubli, nous positionne face à la notion du phénomène mémoriel. Dans notre étude, nous analyserons cette dynamique, mettant au centre de notre questionnement la mémoire ouvrière comme cas d’exemple qui traduit une vie basée sur cette mémoire. Les cités minières ont vu le jour avec l’industrie, ont développés leur mémoire tout autour des risques qui ont dicté sa fin (silicose, coup de grisou, l’effondrement de l’activité industrielle, développement technologique..)


Si cette mémoire est tenue à l’oubli, les vestiges industriels dans le paysage agissent comme des incitations à la remémoration de souvenirs personnels et sociaux liés au lieu. Les vestiges du passé minier ont été incorporés dans les expériences quotidiennes des habitants, du paysage et, en tant que tels, jouent un rôle important dans la compréhension du lieu et de la temporalité. Le site minier dont le paysage est marqué par la diversité de ses friches à savoir les terrils, les bâtiments, les chevalements, se présente aujourd’hui avec l’ensemble de ses installations et infrastructures, comme de profondes cicatrices dans le tissu urbain, un préjudice visuel qu’il s’agit impérativement de consolider. Le paysage d’une région compose inéluctablement avec ses éléments économiques, culturels, sociaux...

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Mémoire et souvenir Afin de mieux cerner cette notion mémorielle dont témoignent ces lieux, il est primordial de définir ce qu’est la mémoire, les us et abus dont elle fait objet, ses enjeux, sa finalité et son évolution. Si pour la plupart de nous, la définition de la mémoire nous parait évidente, elle est bien plus complexe que cela.


La mémoire c’est ce qui nous permet de nous déplacer, de nous orienter, de communiquer … Mais c’est également la faculté qui nous définit en tant que personne et qui nous permet de prendre conscience de notre existence à travers le temps. L’Homme entretient des rapports complexes (physiques, immatériels ou sensuels...) avec son passé et son présent comme support de son identité personnelle. Cette mémoire est alors une capacité semblable à un champ mental dans lequel les souvenirs, proches ou lointains, sont enregistrés, maintenus et récupérés. C’est à travers ce registre de souvenirs, de traces et d’événemenst que nous parvenons à nous rappeler ou de retracer ce qui est absent dans le présent. L’acte de se souvenir est ubiquitaire, il existe partout, parfois pour se remémorer de simples souvenirs, et parfois pour oublier d’agir dans le présent. Le travail de la mémoire est devenu un devoir catégorique, effaçant les distinctions radicales entre le souvenir d’un massacre et le rappel du dernier diner. Bien que nous nous souvenons de tout ou de presque tout, plusieurs de nos mémoires sont alors vouées à l’oubli. Qu’est-ce qui nous permet alors de prendre conscience de ces elements qui perdurent dans notre conscient? Et comment ce système complèxe vient favoriser un souvenir sur l’autre? Nous nous posons souvent la question de comment la mémoire fait son tri. Elle peut garder un souvenir peu considérable ( la couleur des yeux d’une personne qu’on a jamais revu) et oublier un souvenir plutôt important ( la date d’un rendez-vous ). Nous pouvons dire que le choix mnémonique se base sur les trois lois suivantes : Loi de récence : L’Homme est plus susceptible de se souvenir de choses qui se sont produites récemment que de celles qui se sont produites il y a longtemps. Vous pouvez probablement vous souvenir de ce que vous avez mangé au dîner hier, mais pas de ce que vous avez mangé il y a deux semaines. Loi de la vivacité : Nous avons tendance à nous souvenir des impressions les plus spectaculaires ou les plus frappantes plutôt que de celles qui sont plus ordinaires. Il est plus commun de se rappeler des évenements les plus marquants: un mariage, un déces, la pandémie qu’on vit.. Loi de fréquence : Nous avons tendance à nous souvenir des choses que nous vivons le plus souvent, plutôt que de celles que nous ne vivons qu’une fois de temps en temps. On a en tête le code pin du telephone, ou de la carte bancaire, alors qu’il nous serait plus difficile de nous nous rappeler du numero d’un ami qu’on appelle peu. D’autres lois peuvent influencer ce tri mémoriel hors les lois de fréquence, récence, vivacité. Il s’agit de primauté, émotion, congruence, similarité et la relation cause-effet. Ces lois influences le tri mémoriel, mais ne sont sous aucun cas les seules raisons du souvenir, ni de l’oubli. Pour autant que les psychologues puissent le dire, le cerveau humain a une capacité illimitée de rétention d’informations. Cependant, de nouvelles informations peuvent interférer avec les informations apprises dans le passé, rendant les informations plus anciennes plus difficiles à retenir. Cependant ces souvenirs profonds, que l’ont croit oubliés, n’ont besoin que d’une base de rappel, ou d’un travail de mémoire pour reprendre surface

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La trace

« Un poète doit laisser des traces de son passage, non des preuves. Seules les traces font rêver » René Char.

La trace est, en fait, la mémoire qui est remise en question, ce qui reste des âges passés. Ces traces véhiculent non seulement des souvenirs par la représentation imagée d’idées et de sentiments, mais témoignent aussi du passage du temps et des événements dont elles ont été témoins. Nous découvrirons un souvenir oublié à travers les traces légués par le passage du temps. Ces faits contiennent des reliques du passé ainsi que la description d’une expérience. Il est indéniable que leur compréhension nécessite une grande concentration. Cette concentration est précisément ce qui nous permet de percevoir le peu d’attention que nous accordons à ce à quoi nous sommes confrontés chaque jour.


Re-member, ou l’art de se souvenir Reconnaître c’est déjà admettre qu’on connaissait déjà. Reconnaitre est la sensation que l’on éprouve quand on est dans une situation plus ou moins identique de quelque chose qu’on a déjà vu, visité ou pensé de l’objet. Mais est-ce que reconnaître veut dire se rappeler? Si la langue française ne se développe pas autour d’un vocabulaire mnémonique, en Anglais nous pouvons différencier entre trois termes principaux pour faire appel à la mémoire. Remember – Recognize – Reminiscence , les trois interpellent le souvenir , mais différemment . « To Recognize » nécessite un support par lequel l’action de se souvenir a lieu . « To Reminisce » est le retour à un souvenir imprécis ou domine la tonalité affective. « To Remember » qu’on pourrait traduire par « se rappeler » est un le terme le plus courant pour designer un retour mnémonique. Si l’action de « Remember » paraît plus génerale que « Reminisce », car elle peut être attribuée également lorsqu’en parle plus petit faits ( remembering where I put my keys.. ), elle est bien plus parlante. Remember, peut être lue en deux partie: Re-member, c’est-à-dire le rassemblement de plusieurs membres « members » qui participe à l’action de se rappeler. Que ce soit les sens impliqués, les supports cognitifs ou les émotions éprouvées, le fait de se rappeler n’est pas aussi simple qu’il ne paraît. La véracité de ce souvenir est donc le résultat de la véracité des élements qui ont participé à cette action de « remembering ». Dans la langue française, si on ne peut distinguer entre se rappeler et se souvenir, se remémorer. Il est intéressent de noter que tout ces verbes relèvent d’un caractère de miènneté. Toutes les actions d’interroger la mémoire, sont des verbes pronominaux, l’utilisation du « se » souligne le caractère personnel, individuel , et nouménal de la mémoire.

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La mémoire-image La mémoire réduite au rappel, opère ainsi dans le sillage de l’imagination. Or l’imagination, prise en elle-même est située au bas de l’échelle des modes de connaissance. Il est donc important de distinguer entre mémoire et imagination. La confusion entre imagination et mémoire est le déni, de toute négation: On niera la mémoire , en son rapport au passé réel et à son authenticité. Dans le cas d’un souvenir d’enfance, le support par lequel nous prenons conscience de ces éléments, est l’influence des appuis extérieurs. La photo à gauche reprèsente pour moi la seule mémoire de mes premieres fois à l’école maternelle. Agé de 3-4 ans, ce jour-là, je n’ai pas voulu quitter les bras de ma mère, pleurant et sanglotant devant la porte de l’école. La quitter ce jour là signifiait pour moi la quitter pour toujours. Je ne sais pas si c’est la peur d’un nouveau début ou si c’est la crainte de ne plus jamais la voir. Ce jour était mon premier jour à l’école maternelle. Alors que les autres collègues de classes étaient en train de faire la fête, de danser, de manger et de communiquer, j’étais dans mon coin à crier et chialer comme représenté sur cette photo. La maitresse a eu beau essayer de me calmer et de me faire présenter les autres camarades, mais en vain. Cependant, je n’ai pas d’autre mémoire de ce jour. Et même ce que je viens de narrer, bien qu’il me semble découler de ma propre mémoire, n’est en fait que le resultat d’une multitude d’influences. L’histoire me fut racontée par ma mère et par mes proches. Les clichés pris dans la journée me font rappeler les visages des personnes présents dans la scène, mais dont je ne m’en rappelle que vaguement. Ce positionnement façe à la source de ma mémoire, pousse la réflexion sur la véracité de cette dernière. Il est alors difficile de distinguer quels éléments de ces souvenirs sont « authentiques » et dans quelle mesure sont ils influencés par les indices de notre famille et notre entourage. Dans la première saison de sa série Mind-Field, Micheal Stevan, connu sous le nom de Vsauce3 , s’est intéressé à cette question de la véracité de la mémoire image. Stevens examine à quel point la perception que l’on a de soi est erronée en montrant que nos souvenirs et notre passé peuvent être facilement manipulés. Qu’est-ce qui fait que vous êtes vous ? Si même les parties les plus fondamentales de votre personne, comme vos souvenirs ou votre passé, peuvent être oubliées ou manipulées, comment pouvez-vous jamais vraiment savoir qui «vous» êtes ? Notre connaissance de soi est-elle donc réelle si elle se base que sur la mémoire comme moyen d’affirmation? Cette analyse de la mémoire-image est pour nous un recul critique sur la véracité de la mémoire. Cette mémoire qu’on supporte comme part de la vérité vécue et connue, n’est qu’une attribution illusoire si on ne considère pas la vérité comme relative.

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Mémoire collective

Pour parler de véracité de la mémoire, il est courant de se retourner aux témoignages des personnes qui l’ont partagé avec nous. De ce fait, la mémoire ne relève pas que d’un caractère personnel , elle est aussi collective . Une notion introduite par Halbawchs, mais qui s’oppose à la définition contemporaine que nous apporte Ricoeur. Pour le courant de pensée du premier, la mémoire collective est l’ensemble des notions mémorielles communes entre les individus qui partagent une mémoire . La mémoire collective pour Halbwachs est alors la composition des mémoires individuelles générées dans un groupe et dans lequel elles s’inscrivent. Pour Ricoeur, qui juge la première approche comme réductionniste de la conscience personnelle, il considère la mémoire collective comme la somme des mémoires individuelles d’une mémoire collective. Pour lui, elle se construit , se transmet et se propage dans les mémoire individuelles par des visions différentes des choses. Nous vivons le même évènement mais différemment. Ce que les deux ne peuvent nier est que la mémoire collective est la mémoire d’une communauté ou d’un groupe, qui rassemble leur vecu commun et le fait vivre dans le présent. Néanmoins, la mémoire collective est-elle toujours vécue? La mémoire transmise est elle alors une mémoire collective ou une mémoire historique ? La mémoire collective est transmise et se doit d’être trans-génerationnelle. C’est ce qui en fait son poids communautaire. La transmition de la mémoire quand elle est collective permet d’avoir une multitude de versions et par cela une vision véridique de ces souvenirs. Nous differencions alors entre mémoire partagée et mémoire culturelle selon le moyen dont elle fut communiquée. La mémoire partagée garde en elle un certain degré du vecu, mais peut perdre en véracité ou se voir transformer en mythe. Afin d’être consolidée, la mémoire se transmet par un support médiatique, ou rituels, afin d’être immortalisée. Pourtant, nous ne recevons qu’une version de cette mémoire en tant que mémoire pure ou vraie, qui peut tendre à l’historisation de la mémoire.


Journée de chasse - Mineurs de Jerada

Cependant, pour se souvenir, on a besoin des autres. L’identité personnelle est aussi relative à la mémoire collective qu’entretiennent les individus entre eux. Nous tenons la mémoire collective comme recueil des traces laissés par les évènements qui ont façonné notre histoire et qui ont affecté le cours de l’histoire des groupes concernés. Et ce à travers la conscience individuelle et sa mémoire, qu’on reconnaît (à la mémoire collective) le pouvoir de mettre en scène ces souvenirs communs. Autrement dit, on ne se souvient pas seul. La conscience personnelle a une genèse commune et est entrelacée avec les structures sociales dont elle émerge : L’environnement social d’une personne a un effet sur elle, qu’elle en soit consciente ou non. Nos pensées et souvenirs les plus intimes cachent un réseau de signification provenant du collectif extérieur à nous. Si nous ne partageons pas cette mémoire , elle est du moins influencée par l’existence d’autrui. Les lieux sont également façonnés par la mémoire collective. Cette mémoire collective n’est pas seulement une collection de souvenirs individuels partagés ; il s’agit d’un souvenir au niveau social, véhiculé par les symboles publics de la société. En conséquence, il existe un environnement unifié en phase avec l’essence du lieu. Cette théorie de l’identité sociale dans sa relation avec la mémoire que tisse cette communauté, renvoie la notion de conscience de soi à une dimension sociale et societale. Cette adhérence à un groupe est alors soulignée par cette mémoire que l’on partage. La mise en lumière d’un événement historique propre au groupe peut également constituer une raison suffisante pour que tous (ou la plupart) des membres de l’organisation se mobilisent. Ce fut le cas par exemple des Hiraks dans plusieurs villes du Maroc, dont notamment la ville minière de Jerada, qui après la fermeture de la mine a subi les peines de la mémoire qu’elle a connue. Trois semaines après la mort des deux frères Houssine et Jedouane, au fond d’un puits à la recherche du charbons, les habitants continuent à leur rendre hommage. Tous mobilisés pour l’estime de leurs martyrs, et pour la mémoire de leurs terres qu’ils partagent, 43.000 personnent crient leurs colères et cherchent à donner raison à leurs causes. 47


Us et abus de la mémoire Si l’on considère ce caractère incertain de la transmission intergénérationnelle comme leurre de la notion collective de la mémoire. Quelles sont alors les abus dont cette dernière en est victime ? Cette notion de fiabilité de la mémoire, et donc sa vulnérabilité structurelle, nous positionne face à trois notions qui en abusent. La mémoire empêchée/ opprimée : La mémoire empêchée est une mémoire qui ne fait pas de recul critique sur le souvenir traumatique, d’où aucune réconciliation avec le passé . Celle ci porte un titre ironique car ce qui est empêché est l’oubli . En effet, opprimer le besoin de se souvenir, nous pousse à nous remémorer. Cette compulsion de répetition de la mémoire cherche à éviter un devoir de mémoire et par conséquent ne pas donner raison à l’oubli. Nous cherchons par cette politique de s’abstenir à l’écoute de cette interpellation et la réponse qui pourrait lui être attribuée. Nous pouvons citer la mémoire du génocide arménien ou même celle relatée par le Hirak des mineurs de Jerada. La mémoire manipulée/ politisée : La mémoire politisée est une mémoire maniée par un pouvoir superieur à savoir les médias, les lobbies ,ou par une législation. Ces forces cherche à influencer, ou manipuler la mémoire, voire même la falsifier pour satisfaire des interets precis. Nous pouvons parler de l’Histoire enseignée comme mémoire historique politisée, qui est génerlament reductionniste et écrite par les vainqueurs. Nous n’insinuons pas à ce que l’Histoire est toujours politisée, mais elle prend souvent cette forme pour donner tort à ce qu’elle a besoin de cacher. La mémoire commercialisée : Avec l’accroissement du tourisme de mémoire, cette dernière perd ses valeurs pour des intérêts commerciaux. La mémoire se doit être non lucrative, ou du moins ne pas perdre son sens aux dépens de gain financier. Les lieux de mémoire deviennent gérés comme des produits de consommation, attractifs pour la ville et ses visiteurs. Nous donnons l’exemple du mémorial du Holocauste de Berlin, ou de l’Arc de triomphe, qui ont perdus de leur éthique face à une symbolique touristique. Des lieux, jugés instagrammables ou indispensables à visiter hormis leur notion mémorielle .

La mémoire empêchée/ opprimée

La mémoire manipulée/ politisée

La mémoire commercialisée


L’oubli L’oubli est considéré comme un trait négatif dans la culture populaire, comme un abus de la mémoire. L’oubli est généralement lié à une mémoire peu fiable ; il symbolise une perte de souvenirs, ainsi qu’un manque d’intérêt. Au contraire, l’oubli ne représente pas une notion contraire à la mémoire. C’est un phénomène qui lui est lié, et qui lui est indissociable. Si les lieux, les traces qui font interpeller notre mémoire, nous rappellent le passé, on les considèrent comme des lieux de mémoire, mais parce qu’ils invitent au changement, ils sont aussi des lieux de l’oubli. Un degré de mémoire est alors relatif à un degré d’oubli. Tant que nous oublions c’est qu’on se rappelle du fait qu’on a oublié et par transitivité de l’implication nous n’oublions pas totalement. L’oubli ne veut pas forcément dire effacement de la mémoire mais il peut être l’échouement provisoire du rappel. L’inconscience n’est pas la conséquence de l’inexistence mais plutôt de l’inactivité. L’existence de cette mémoire pure n’est pas le plus choquant, mais bien le mécanisme de l’oubli qu’on relève de son inactivité. Il est peut être même un avantage du travail mémoriel, cette faculté d’oublier, afin d’accepter cette mémoire et de se réconcilier avec notre passé, qui ne peut être modifié.

C’est à travers ces notion citées que la mémoire sa substance et son aura pour exister. Pour faire face à l’oubli et aux autres abus dont souffre la mémoire, il est alors essentiel de l’exprimer, d’en témoigner et de la faire vivre. Se remémorer des disparus, des évènements et des lieux, serait la manière la plus noble pour faire perdurer la mémoire. Ce devoir de mémoire est alors traduit par des constructions, œuvres artistiques et autres, qui cherche à remémorer, transmettre et perdurer la mémoire.

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Le déjà- là

Que serais-je sans toi - Amine Houari

La trace, c’est bien la mémoire mise en cause, ce qui reste des siècles passés. Ces traces laissées par les hommes se présentent sous plusieurs formes qui varient selon le contexte socio-temporel. L’écriture (griffures) représente une des premières traces témoignant de la présence humaine. Le mur, à toutes les époques et civilisations a été le support de communication de l’écriture griffée au graffiti en passant par les hieroglyphes. L’homme marque le mur, y laisse sa trace ; c’est sa manière de l’occuper et donc de témoigner sa présence. Ces traces ne transmettent pas le souvenir qu’à travers l’expression graphique des pensée et des sentiments , mais témoignent aussi du passage du temps et des évènements qu’ils ont connus. Couleurs, formes, mots et images, de nos jours, ces manifestations graphiques de l’homme nous entourent sous plusieurs formats (graffitis, fresques murales, affiches, gravures …). Néanmoins, nous les négligeons et nous nous en soucions peu. Ce n’est qu’après leur absence qu’en en prend conscience. Ce fut le cas avec le mur de Berlin et la symbolique paysagère que ces expressions graphiques ont eu sur la vie des Berlinois. Ces traces dans le paysage ont marqué le souvenir des habitants sans pour autant s’en apercevoir. Sophie Calle, artiste sensible à la dimension mémorative de l’Homme, interroge de par ses œuvres l’absence de ce qu’on qualifie désormais de souvenirs de Berlin Est, et retrace cette futilité d’un quotidien déjà oublié. « J’ai remplacé les monuments manquants par le souvenir qu’ils ont laissé, » dit-elle. Si le « déjà-vu » se considère comme la sensation d’avoir déjà vu et été témoin d’une situation présente dégageant une sensation d’ambiguïté et d’irréalité chez le sujet , par ce travail, l’artiste cherche à évoquer la notion du « déjà-là » . Ne figurant pas dans la catégorisation paramnésique du psychologue suisse Arthur Fankhauser, le « déjà-là » n’est pas qu’une illusion, mais correspondrait plutôt aux différentes formes de présence/absence d’un objet, que ce soit dans le temps, ou / et, l’espace d’un lieu. Ainsi tout élément du paysage quotidien que l’on ôte du lieu où il a longtemps habité que ce soit un bâtiment, un mobilier, une statue ou même un arbre fait ressentir une sensation de cryptomnésie. Cela est dû au fait qu’il est imprimé non pas que dans la mémoire du lieu mais aussi dans la mémoire des habitants. Gilles Ivain le décrit ainsi : «On sait qu’un objet non remarqué consciemment lors d’une première visite, provoque par son absence au cours des visites suivantes, une impression indéfinissable : par un redressement dans le temps, l’absence de l’objet se fait présence sensible. Mieux : bien que restant généralement indéfinie la qualité de l’impression varie pourtant suivant la nature de l’objet enlevé et l’importance que le visiteur lui accorde pouvant aller de la joie sereine à l’épouvante».


Valley Curtain - Colorado 1972

Re-connaître c’est déjà admettre que l’on connaissait déjà . Conscience et inconscience, individuellement ou en groupe , participent dans le façonnement de cette mémoire . Reconnaitre est la sensation que l’on eprouve quand on est dans une situation plus ou moins identique de quelque chose qu’on a déjà vu, visité ou pensé de l’objet. Cette sensibilisation n’est pas toujours relevante, mais doit être marqué par une mise en accent de la disparition ou la présence. Christo et Jean Claude , développent leur propre art en emballant des objets du quotidien jusqu’à des bâtiments monumentaux. Comme une seconde peau, le tissu enveloppe l’objet, fait disparaitre ses contours, et le rend mystérieux. Ainsi dissimulé, l’objet emballé rayonne alors de sa propre intériorité, poussant le spectateur à s’interroger sur son identité, tout en le considérant hors de son contexte habituel. Une question se pose, engageant les deux parties à y réfléchir, la pièce habillée et le témoin dénudé, celle de « Que serais-je sans toi ? » . C’est en voilant l’objet qu’il suscite le désir. La dissimulation suscite la curiosité. L’attention portée à l’objet est décuplée, ces camouflages posent alors la question de suppression et de disparition. Le spectateur ne lui aurait pas accordé autant de valeur s’il avait été présenté nu, sans emballage. Le message n’est pas toujours de rendre compte de ce qui a été mais dans l’idée inverse de rendre compte de ce qui sera. Effectuées sur des projets de valeur imposante, indispensables ou marquants, ces œuvres en tirent leur succès. En effet, ce travail mémorial peut amener à l’échec et se limiter dans son potentiel artistique, n’évoquant aucun rapport au sujet, mais plutôt devenir lui-même le sujet. Ce recyclage poétique de la réalité urbaine peut finir en ruines à l’envers : une caricature du concept mémoratif des ruines , mais de l’absence à la présence . Certains lieux sont satisfaits et ne demandent pas de la reconnaissance . L’artiste est alors amené à se poser certaines questions avant de pousser toute personne tierce à réquisitionner son rapport à l’espace. Dans un pli de l’espace et du temps , cet objet a-t-il été là ? A-t-il imprimé sa trace ? Porte-t-il une histoire ou un souvenir ?

L’Arc de Triomphe «Wrapped» -Sculpture de Christo et Jeanne-Claude

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Exprimer la mémoire, mais autrement Cela nous repositionne face à la notion du banal dans l’espace public. Le considérons nous comme un lieu ou comme un non-lieu ? Et entre ces deux notions que se passe-t-il ? Dans l’entre-deux où réside cet espace sans qualité mémorable qu’est-ce qu’on exprime ? L’impermanence face à la permanence, la ruine actée contre la résistance, la mobilité contre l’immobilité, l’absence et l’oubli contre la présence et la mémoire symbole de la vie sans filet, s’opposant à la mort refoulée. L’espace public serait-il un réseau de lieux et de non-lieux appliqué sur un fond neutre ? Dépourvu d’un caractère culturel, la dérive sensible n’y est pas projeté. Dans certains cas , le mieux est peut-être de ne rien faire .

«Personnes» - Christian Boltanski


Bien que certains éléments urbains puissent nous marquer de manière individuelle, il est cependant difficile de les détacher de leur histoire collective qui se présente comme l’ensemble des expériences partagées avec différents individus et avec le lieu en soi. ** Christian Boltanski, artiste, chroniqueur de la mémoire personnelle des hommes, cherche à travers ses installations et ses œuvres artistiques à questionner la mémoire et l’individualité. Une conscience de la mortalité et de la fragilité générale de l’existence humaine hante son œuvre. Selon l’artiste, bien que les souvenirs individuels puissent s’avérer fragiles, ils sont toujours remplis de valeurs véridiques mais uniques, ce qui en fait la raison pour laquelle il a souvent choisi des objets du quotidien comme principaux éléments créatifs pour construire une archive de l’humanité. En vue d’explorer le souvenir de l’enfance ou des êtres disparus et de le préserver, oscillant la mémoire individuelle à la grande histoire, Christian expose des œuvres artistiques cherchant à inspirer les liens émotionnels des visiteurs à travers différentes sensations. Boltanski en 1998 utilise le vêtement comme élément principal dans son œuvre « Réserve ». Une œuvre profondément émouvante, par laquelle il réfère aux entrepôts dans lesquels les nazis groupaient les personnes déportées. Le vêtement, élément du quotidien lié à la corporalité représente dans cette œuvre les traces des défunts. Une trace d’une vie passée. L’habit recouvrait le corps, qui une fois mort, se présente comme symbole de son ancienne présence : dedans, il y avait quelqu’un, il y a eu quelqu’un et maintenant il est parti. L’œuvre ne se contente pas que de cette immersion visuelle pour éveiller la mémoire des victimes de la catastrophe menée par les nazis, elle renforce cette notion de disparition et du souvenir par la dimension olfactive. Les vêtements poussiéreux, usagers dégagent une odeur de grenier incitant cette méditation mélancolique. Cette symbolique de l’habit a été reprises sur d’autres œuvres notamment l’installation « Personnes » avec une montagne de vêtements de près de 10 tonnes lâchés par une grue survolant l’installation. En français, le mot « Personnes » a un double sens, désignant soit « personnes » soit « personne ». Ici, l’artiste utilise ce mot à double tranchant, qui dénote la présence mais contient littéralement l’absence, souligner l’inéluctabilité de la mort et comment le hasard veille sur le destin de chacun. Avec le bruit de la machine résonnant à plusieurs reprises dans tout l’espace d’exposition et le rez-de-chaussée recouvert de vêtements épars, les visiteurs sont invités à emprunter des avenues spécialement aménagées les plongeants dans la mémoire des défunts. Les artistes ont très souvent cette volonté d’immerger les observateurs dans leurs travaux jusqu’à ce que l’élément qui nous permet de comprendre devienne l’élément à comprendre. Ces expériences sensorielles qu’on découvre essaient de retracer une réalité qu’ils interprètent et nous relaye. Sans prendre compte de la véracité de l’histoire narrée, notre perception de ce monde sensoriel créé peut ne pas aboutir quand on n’est pas sensible à la mémoire partagée. En effet, comme l’exprime Francois Courvoisier et Antonia Jaquet dans leur article : « Chaque expérience de consommation culturelle est unique, car l’expérience se construit par combinaison des contextes personnels (les variables individuelles), physique (le lieu) et social (autrui). » Lorsque l’histoire n’est pas vécu, ni présente dans la mémoire des gens, il est difficile d’y adhérer. Cependant ce lien peut être établi , si l’expression mémorial est suffisamment signifiante et objective, immersive et ouverte. Elle pourrait par ce biais permettre à chaque personne de trouver sa conscience du sujet et atteindre des strates de sensibilité profondes.

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Nous allons étudier deux musiques distinctes qui commémorent la même peine de deux contextes différents afin d’évaluer et comprendre la transmission mémorielle de chacune. Quinze ans seulement après la guerre, Jean Ferrat , de son vrai nom Jean Tenenbaum , s’exprime sur la tragédie du génocide juif . Il fait le constat amer qu’il qualifie de ses propres mots « le sang sèche vite en entrant l’histoire », par le fait même, les français savaient peu de choses sur l’holocauste. Alors que la France rentre en conciliation avec l’Allemagne, il écrit la chanson « Nuit et Brouillard » qui retrace la déportation et l’extermination des juifs. Le titre réfère à la directive signé par Adolf Hitler qui stipules que les (juifs, noirs, homosexuels, personnes à situation d’handicap …) seront déportés dans des chambres à gaz des camps de concentration. Censurée pendant longtemps cette chanson a été écrite en mémoire des victimes des camps de concentration nazis, mais aussi en hommage au père du chanteur compositeur de la chanson . Le père de Jean Ferrat a malheureusement connu son sort dans les camps à Auschwitz. De par cette chanson, il témoigne et transmet la mémoire de la Shoah aux plus jeunes et aux moins sensibles à cette catastrophe humanitaire. Il cherche à horrifier et à éveiller la peine chez les auditeurs. De par son tempo lent, forme strophique avec la même mélodie mais qui altère entre deux airs : un premier mezzo-fort et un deuxième plus aigu chanté un peu plus fort . Cette monotonie rythmique cherche à attirer l’attention à l’histoire chantée, au vocabulaire utilisé dans les paroles. Portant un message engagé qui relève plusieurs faits historiques du voyage des juifs vers les camps, et qui y plonge tout personne qui l’écoute, ces paroles traitent de la déshumanisation, la pénibilité du voyage, les sentiments éprouvés par les déportés... Les instruments sont assez simples et distincts : des timbales, l’orgue, la guitare , les cuivres et une sonorité douce des vents bois. Cette musicalité cherche à évoquer des détails nostalgiques et relatifs à ce voyage. Il utilise les cuivres pour faire monter le tempo et de temporiser les sensations apportés aux auditeurs avant de l’arrêter brusquement. Un silence pointant la mort, accompagné par une sonorité traversière qui rappelle le temps qui nous fuit.

Ils se croyaient des hommes, n’étaient plus que des nombres Depuis longtemps leurs dés avaient été jetés Dès que la main retombe il ne reste qu’une ombre Ils ne devaient jamais plus revoir un été La fuite monotone et sans hâte du temps Survivre encore un jour, une heure, obstinément Combien de tours de roues, d’arrêts et de départs Qui n’en finissent pas de distiller l’espoir Ils s’appelaient Jean-Pierre, Natacha ou Samuel Certains priaient Jésus, Jéhovah ou Vichnou D’autres ne priaient pas, mais qu’importe le ciel Ils voulaient simplement ne plus vivre à genoux Ils n’arrivaient pas tous à la fin du voyage Ceux qui sont revenus peuvent-ils être heureux Ils essaient d’oublier, étonnés qu’à leur âge Les veines de leurs bras soient devenues si bleues Les Allemands guettaient du haut des miradors La lune se taisait comme vous vous taisiez En regardant au loin, en regardant dehors Votre chair était tendre à leurs chiens policiers


La SHOAH - Massacre des juifs 1941-1945

Cette chanson ne présente pas de refrain et se compose de couplets de 4 vers . Trois idées importantes se dégagent du texte et sont distinctes dans les couplets . En premier lieu l’anonymat et le désir de cacher l’identité. Cette notion est fortement marquée dans ses paroles par l’utilisation du pronom « Ils » mais aussi avec la qualification de « nombres ». Les hommes et les femmes détenus étaient rasés, avaient un numéro tatoué à la main qui leur servait de nouvelle identité. Cet anonymat ne sera plus conservé par Jean, il leur donne des noms , parle de leurs convictions et confessions. Cette volonté de casser l’anonymat ira jusqu’à modifier le pronom « Ils » par « vous », incluant ainsi l’auditeur dans l’histoire, le culpabilisant de cette histoire et le plongeant dans le drame mémoriel que relève la chanson. En pointant du doigt, la chanson passe de retranscrire les faits à les faire vivre. L’auditeur devient le sujet . Une autre notion se distingue, celle de la souffrance, qui est soulignée par le vocabulaire assez direct utilisé « Nus , maigres, jetés, les veines bleues… » Jean Ferret le fait comprendre sur plusieurs vers, l’oppression allemande était pénible à vivre et à encaisser , elle faisait preuve de déshumanisation . Une dernière idée relevée et qui s’adresse directement à nous, auditeurs, celle du poids temporel. Il le précise sur tout les vers de ce couplet, dont « Combien de tours de roues, d’arrêts et de départs / Qui n’en finissent pas de distiller l’espoir » Le temps relatif à la perte d’espoir qui nous murmure aux oreilles : « souviens-toi, tu vas mourir » . De par ses paroles et son message, Jean nous rappelle l’importance du devoir de mémoire, nous poussant à nous interroger sur ce moment de l’histoire. Il ne fait pas qu’éveiller et de faire réfléchir, mais avant tout il nous positionne et nous instruit.

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Hiroshima - Luke Dennison


Le drame souligné dans cette mélopée n’est pas autant différent que celui évoqué par Krzystof Penderecki dans sa composition « thrène à la mémoire des victimes d’Hiroshima ». Leux deux cherchent à commémorer et faire vivre la tragédie de deux catastrophes inhumaines. Afin de mettre fin à la deuxième guerre mondiale, l’armée américaine bombarde le Japon et provoque la mort de plus de 100 000 personnes et anéantit la ville. Les répercussions de ce bombardement ont duré pendant des années, récoltant à son registre plus de morts. Le compositeur polonais tient à faire hommage à ce malheur, qui bien que destiné aux victimes japonaises, se voit aussi relié aux victimes des camps de concentration. Il dit : « La grande Apocalypse, ce grand crime de guerre, est incontestablement dans mon subconscient depuis la guerre où j’ai assisté enfant à la destruction du ghetto de ma ville natale (Cracovie) ». A travers cette thrène, qui se définit comme chant de douleur, il marie consonance et dissonance déployant l’imagination du visiteur. Ce mode d’expérience intrusif nous plonge dans l’horreur, la souffrance et la suffocation. Sa musique est ancrée dans une technique moderne dans laquelle aucune ligne n’est tracée mélodie tonale et atonale. Les deux ont le même poids dans son idiome personnel. De plus, son imagination créatrice embrasse à la fois les instruments conventionnels et toute autre source de son, électronique ou acoustique, dans la poursuite d’une palette presque illimitée de sonorités. Il a utilisé des cris, des sifflements, des explosions verbales dans des parties vocales, des claquements de doigts contre le corps d’un instrument, des coups de maillet sur les cordes d’un piano et un chœur d’ocarinas. Ces éléments ajoutent de la pulsion à la musique. Jugée de dérangeante, disharmonieuse, ou encore effroyable, cette musique mêle à des moments de silence impromptus, des cris et hurlements, plaintes et gémissements, désordre et chaos et des sirènes. Ces éléments biens que tumultueux, retrace l’histoire de la catastrophe, nous amène à fondre avec les émotions éprouvés par les victimes et les témoins du bombardement. Les sons aigus illustrent l’effroi et le chaos crée après l’explosion de la bombe, les cris relèvent la douleur des victimes. Les instruments à cordes, sont joués col legno, mettant le récepteur dans l’inconfort soulevant le dérèglement et le désordre causé par la bombe. Pas besoin de connaitre l’histoire ou de l’avoir vécue, il suffit de faire l’expérience sensorielle de sa puissance troublante pour comprendre pourquoi. La musique peut souvent exprimer ce que les mots ne peuvent pas dire. Ainsi, en stimulant les diverses interprétations, l’auditeur aura la possibilité de se construire sa propre appropriation. Sans paroles , ni discours , le message y ait. Entouré l’œuvre de commentaires, c’est aussi prendre le risque de la masquer. Le discours peut des fois produire une saturation des sens qui cachent le caractère principale de l’œuvre. A travers ces deux musiques de styles artistiques et expressifs totalement distincts, nous percevons l’expérience immersive et sensible qu’elles apportent à la conscience mémorielle. A travers des mots, ou des sensations auditives, nous arrivons à provoquer un éveil émotionnel et intellectuel poussant toute personne à réfléchir sans pour autant amener ses nouvelles perceptions au sujet. La musique par contre ne fait que dialoguer avec l’intéressé que par voie auditive, sans mettre les autres sens à contribution. Ce mode d’expérience se prononce comme « pas trop intrusif ». L’art dans d’autres formes plus matérielles interagis avec plusieurs sens. Cependant son caractère manque de multi-dimensionnalité. Cette dimension artistique de chaque pièce pousse la réflexion sur son devenir. Comment cet aspect artistique sensoriel de la mémoire devient un moyen d’exprimer ce qui est fugitif, ténu et invisible ? Pourrons-nous l’approprier en architecture afin de valoriser le contraste entre l’immatérialité apparente, la matérialité du contexte et la puissance émotionnelle de l’effet ? Mais d’abord, comment se traduit cette notion de « mémoire » en architecture ?

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La traduction artistique de la mémoire laisse penser l’impact qu’une architecture pourrait apporter à cette expression mémorielle. Si ce qu’on vient de voir n’est pas aussi transmetteur qu’on le souhaite, c’est sans doute pour son caractère bidimensionnel, qui ne parvient pas à nous détacher de la réalité. Mais alors, comment pourrons nous être immergé dans une expérience mnémonique ? Comment la mémoire serait alors décrite ? Comment ces espaces vontils la raconter ? La transcrire ? Comment saisir ce qui n’a pas été montré, ce qui n’a pas été vécu, en bref, ce qui relève de l’ineffable et de l’inconcevable ? L’articulation entre l’espace sensoriel et la dimension mnémonique trouvent refuge dans des espaces dédiés à la transmission mémorielle. La réponse par laquelle se traduit cette forme mémorielle dépent en premier lieu de la nature du choc ou du risque rencontré. Si les pertes sont immaterielles, la traducion est géneralement muséale, sinon , en cas de pertes matérielles la traduction peut prendre plusieurs formes comme suit:


Traduction architecturale

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Dans la langue allemande, les lieux commémoratifs sont distinct selon la manière dans le souvenir est transmit . Par contre, dans la langue de Molière, la typologie du lieu vient généralement comme qualificatif de l’espace : musée funéraire, mémorial aux martyrs, monument de la gloire … Denkmal : issu du verbe denken signifiant « penser », est une œuvre d’art érigée pour commémorer, rappeler et souvenir d’une personne ou d’un évènement. Mahnmal : qui se compose du verbe mahnen, se traduisant par « avertir », fait allusion à un monument commémorant un passé négatif, inassumable et évoquant l’avertissement pour les populations présentes et futures. Ehrenmal: provenant du verbe ehren se rapprochant d’« honorer » exprime quant à lui la glorification d’une personnalité, d’un évènement ou d’une nation . Il est intéressant de commencer par confronter les notions de mémorial, de monument et de musée en tant que formes plus communes d’edifices commémoratifs. La divergence des définitions sur différents dictionnaires montrent l’incertitude qui pèse sur la notion de « mémorial ».

Mémorial : n. m. bas lat. memoriale. 1- Ecrit où sont consignées les choses dont on veut se souvenir. 2- Anglic. Monument commémoratif Mémorial : n. m.

Monument ou musée commémoratifs

Musée : n.m.

Établissement public où sont conservées et exposées des collections d’objets qui présentent un intérêt artistique, historique, scientifique, technique, etc.

Monument : n.m.

1- Ouvrage d’architecture, de sculpture, destiné à perpétuer le souvenir de quelqu’un, de quelque chose


Œuvres et architectures retraçant la mémoire

Il est intéressant de commencer par confronter les notions de mémorial, de monument et de musée en tant que formes plus communes d’edifices commémoratifs. La divergence des définitions sur différents dictionnaires montrent l’incertitude qui pèse sur la notion de « mémorial ». En ce qui concerne le « monument », la définition est partagée. Dans le dictionnaire le Petit Robert, l’idée du musée n’est pas évoqué en definissant le mémorial contrairement au dictionnaire Larousse, concidéré comme plus récent. Le Petit Robert, indique que le terme de mémorial provient d’un « anglicisme », ce qui montre la complexité de le définir. De par ces définitions, il est possible de constater que le terme a évolué, et qu’une autre notion, que nous approfondirons plus tard a été associée : celle de musée. Architecturalement le mémorial fait appel à des dispositifs bien particuliers dans le but de créer une interaction avec le visiteur, le faire voyager dans cette dimension commémorative afin de le sensibiliser face à cette mémoire collective. De plus en plus, ces lieux interpellent le visiteur et l’intriguent. Ils deviennent des espaces à dimensions humaines, dans lesquels le visiteur est au centre du projet. C’est une expérience d’immersion dans la matière , dans la mémoire en elle même . On y décrit une architecture qui n’est aboutie qu’au contact du visiteur, qui joue avec ce dernier pour lui apporter des sensations . L’intention derrière ce recours aux mécanismes sensoriels, cognitifs et émotionnels, est celui de créer des chocs qui peuvent entraîner des modifications radicales et inattendues du comportement , afin de requestionner la cause et le souvenir en lui même .

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Monument : n.m.

1- Ouvrage d’architecture, de sculpture, destiné à perpétuer le souvenir de quelqu’un, de quelque chose

L’Arc de Triomphe, est un monument situé à Paris,sur la place de l’Etoile à la jonction de l’avenue des Champs-Élysées et de l’avenue de la Grande-Armée, lesquelles constituent le grand axe est-ouest parisien reliant la pyramide du Louvre à l’Arche de la Défense en passant par l’obélisque de La Concorde et l’Arc de Triomphe luimême . Son positionnement dans la ville ainsi que ses dimensions monumentaux ne font que souligner sa forte connotation et son poids historique . La place de l’Etoile forme un grand rond point pavés de differentes couleurs, carrefour de douze avenues . Présente en tant qu’élément marquant de la ville, elle symbolise plusieurs mémoires et témoigne de leurs défunts . Cet élargissement de la dédicace, fait évoluer sa signification au cours des générations , voire créer son intemporalité .


Arc de Triomphe, Paris Créé par Napoléon Ier pour commémorer la bataille d’Austerlitz, une bataille dont la France était le grand vainqueur , déclarant à ses soldats: « Vous ne rentrerez dans vos foyers que sous des arcs de triomphe. ». Après avoir trouvé vie en 1836, elle a vecu avec la mémoire de plusieurs batailles de la Revolution et de l’Empire jusqu’a trouver son dernier souvenir avec la commémoration de la Première Guerre mondiale en y installant la «flamme eternelle» . Comme son nom l’indique, cette flamme est ravivée chaque soir par l’association d’anciens combatants et victimes de guerre au souvenir des morts de la première guerre. Bien que sa monumentalité exprime assez cette majustuausité historique, la mémoire qu’elle retranscrit est portée dans les details : au fil des années des sculptures et ornements retraçant les scènes de la Revolution et de l’Empire ont été gravés sur l’édifice , des calligraphies font aussi le travail temoin des grandes batailles de la nation et le nom des personnalités de la Révolution et de l’Empire. La tombe du soldat inconnu , symbolisant la mémoire de tout les soldats perdus pendant la première guerre se trouve sous l’Arc de triomphe. Elle represente une tombe accueillant le corps d’un soldat, mort pendant la guerre et dont on n’a reconnu que la nationalité : francaise. Avec comme épitaphe : « Ici

repose un soldat français mort pour la Patrie — 1914 - 1918 »

L’Arc de Triomphe, va loin d’etre le refuge de ces mémoires, et commence à perdre son sens et son message dû à l’accroissement touristique et événementielle qu’a connu la ville . Il devient un lieu de manifestation des Gilets Jaunes , accueille une boutique de souvenir et même un terrain pour battre des records de voltige aerien . L’édifice se retrouve en croissance d’attractivité qui a pour prix de perdre sa valeur mnémonique . Ainsi, il n’est plus lieu de commémorer l’histoire. Il en devient une interpretation, réapropriée par tout utilisateur, utilisée à d’autres fins . Dans une approche artistique Christo et Jeanne-Claude empaquettent le monument, dans l’espoir d’en renouveler la perception . Comme le mentionne d’ailleurs Christo : «Cacher,c’est révéler » . Un langage s’est crée entre art et architecture , mais aussi Genius Loci , poussant une reflexion sur cette symbolique .

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Le mémorial Ground Zero, qui commémore l’attentat du 11 Septembre, est implanté sur le site même des deux tours du World Trade Center. La place du mémorial fait partie intégrante du complexe du World Trade Center, qui a été réaménagé sur 16 hectares, et elle relie le site à la ville. Il s’agit d’une conception ouverte et accueillante qui accueillit la mémoire défunte de l’attentat du 9/11 . Au centre de cet espace deux bassins réfléchissants qui percent profondément la vaste étendue plate de la place et forment l’ironie des ‘‘trous de mémoire’’. Ici, le vide instaure un autre rapport au lieu. La création d’un vide au centre du vide cherche à requestionner l’existence du «perdu». Ce site, lieu initialement emblématique devenu lieu d’effroi, a pour vocation de commémorer, mais reste aussi un espace de vie. Par le vide, Micheal Arad, concepteur du mémorial, vient créer un espace public dans un quartier dense. « J’ai voulu clairement rendre compte du fait que, si l’espace est dédié à la mémoire de façon très importante, il ne doit pas être coupé de la ville. » A travers la matérialité, le point d’émergence des chutes d’eau en ruisseaux séparés cherche à évoquer la perte obsédante de milliers de vies individuelles et à créer cet effet mirroir intriguant et culpabilisant tout visiteur. Bien loin d’une partie d’un drame collectif et international, l’architecte a cherché à souligner la mémoire individuelle de chacun et ce en plaçant chaque nom dans un endroit physique du mémorial qui est unique et personnel.


Ground Zero– 9/11 Memorial, -New York

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En prenant compte de la fragilité de la mémoire et de l’importance qu’elle reflète aux yeux des citoyens, sa traduction en architecture devient plus delicate. Les manières de traiter le lieu sont donc différentes, et la conception du mémorial qui en découle également. Le Mémorial aux victimes de la violence est un espace qui a été créé pour réconcilier les troubles politiques et sociaux qui émanent du contexte actuel de violence au Mexique. La récupération de l’espace public ainsi que le souvenir des victimes de la violence constituent l’essence du projet.Ce dernier joue la double condition d’espace public et de mémorial. La première prémisse était de reconnaître la vocation du site en tant que forêt ; avec une très forte présence de la nature.La deuxième est celle de commémorer l’assassinat ou la disparitions de personnes au cours des dernières années en raison de la violence liée au crime organisé . La violence est référencée dans deux dimensions : le vide et le bâti. Le vide proposé dans le projet est l’espace créé entre les murs d’acier et les arbres. Ce vide ou espace vide réfère au néant ressenti à la suite de la non-présence et/ou absence des victimes. Les surfaces des murs d’acier, rouillées se fanant dans un effet de miroir nous raconte l’histoire, muette que le temps va aider à assumer par ses changements, qui reflète le visteur et le laisse transparaitre dans la matière. L’espace, de par les limites entre le mental et le touchable, au travers de la distorsion de la perception spatiale, cherche à perturber et émouvoir le visiteur. La lumière comme moyen d’invocation-évocation rend une ambiance propice à la contemplation et au souvenir. Sous cette lumière, les matériaux engagent un dialogue avec le visiteur : La rouille sur les plaques érodées parle du passage du temps et des cicatrices que nous portons de notre passé ; les éléments éclairés qui se reflètent sur l’eau nous obligent à contempler et à réfléchir à notre présent ; l’interaction entre la lumière et les plaques réfléchissantes crée un effet éthéré, représentant un avenir aux accents d’argent. Dans ce projet, la lumière fonctionne en alchimie, se fondant avec le paysage, le son, la texture, le parfum, le langage poétique, graphique et architectural, pour créer une atmosphère de paix et de réflexion. L’eclairage prend des valeurs abstraites de silence pour apporter un effet pacificateur de réconfort au site.


Mémorial des victimes de violence, - Mexico

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Les valeurs positives de la lumière en contraste avec les ombres portées pendant la journée et leur représentation négative pendant la nuit font écho à une relation entre présence et absence. Les plaques métalliques sont soulignées par les projecteurs de lumière qui créent des silhouettes subtiles. Cette ambiguïté entre les plaques pleines, les vides et le reflet de l’eau est utilisée comme un mécanisme permettant de matérialiser l’absence. La perte de vies, victimes de ce conflit en cours, est rappelée en projetant de la lumière pour souligner cette absence. Une lueur émerge de chaque plaque métallique pour révéler des phrases écrites en lettres perforées, complétant le ton solennel du site comme des expressions graphiques et poétiques de la lumière. Enfin, l’une des parties les plus importantes du projet est l’humanisation et l’appropriation des murs d’acier. La société est responsable de la réalisation du Mémorial. Les soixante-dix murs métalliques sont des espaces où les gens peuvent écrire le nom de leur victime, et exprimer leur douleur, leur colère et leurs désirs. Ces murs d’acier jouent le rôle de miroirs et de tableaux noirs, et par les écrits, se transforment en témoins de la douleur et de la destruction provoquées par la violence du crime organisé. Ici la mémoire n’est pas dictée par le concepteur comme expérience forcée d’une histoire traduite en architecture . On parle plus d’une architecture qui n’est aboutie qu’au contact du visiteur, qui joue avec ce dernier pour lui apporter des sensations et qui en retour lui rapporte ses émotions,expose son intimité et corrige les injustices de l’histoire narée . Ce projet, parmi tous les autres cités dans cette partie, me parait le plus abouti à mon sens. Non seulement, l’emotion est bien exprimée à travers la matérialité et la scénographie du Memorial, mais aussi l’implication du visiteur dans cette saga , et cette subtilité de maintenir l’histoire des absents à travers la mémoire des présents . Cependant, plusieurs s’y opposent, et descendent en flamme cette inauguration du mémorial . «Nous sommes convaincus ce monument n’aurait jamais dû exister.

Car personne, aucune famille, ne devrait subir la douleur de perdre un proche en raison de la violence», annonce le ministre mexicain de l’Intérieur. C’est en effet le précédent gou-

vernement mexicain qui en est à l’origine mais pour les familles des victimes et l’actuel gouvernement, il n’a pas lieu d’être. Ce discours crée la controverse : devons-nous condamner à l’oublie cette plaie profonde ou de l’assumer pour la dépasser ? Les familles ne veulent pas d’un mémorial, elles veulent la justice. La violence au Mexique continue de faire des centaines de victimes chaque mois. Ce surplus de mémoire mène à une autre revendication : le droit à l’oubli. En effet, certains intellectuels réclament ce droit, puisqu’une société figée dans le passé ne peut pas progresser. Mais l’oubli, selon Paul Ricoeur, a une fonction légitime et salutaire, non pas sous la forme d’une injonction, mais sous celle d’un vœu. Si devoir d’oubli il y a, ce n’est pas « un devoir de taire le mal, mais de le dire sur un mode apaisé, sans colère» et donc de le dépasser en l’assumant . Le pardon apparaît alors pour lui comme « l’horizon commun d’accomplissement »


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La notion de contre-monumentalisme , a changé rapidement d’optique en recouvrant à la fois des installations adoptant une stratégie anti-monumentale contre les principes traditionnels du «monument» dans sa definition institutionnelle ou officielle. Et ce en interpelant, contestant et s’opposant aux valeurs portées par un monument particulier . A Hambourg avec le «monument aux morts» mais aussi dans plusieurs villes d’Etats Unis comme Reidsville ou Virginia avec les «Confederat monument» , une revolte citoyenne a eu lieu . L’anti-monumentalisme s’est matérialisé par une opposition, qualifié par certains de vandalisme , mais par d’autres de rebellion artistique , face à une vocation mémorielle ou propagandiste de l’Histoire . Ce mouvement cherche à détruire de manière pure, simple ou artistique afin de pousser l’oubli et la reflexion des œuvres premières qualifiées de belliciste, esclavagiste, ségrégationniste, raciste, stigmatisante pour telle ou telle catégorie sociale .Cette volonté peut parfois tendre à un engagement civile au lieu de prendre de la distance, insistant contre la sobriété et le respect de l’image des œuvres conventionnelles. Détruire un monument ne va pas pour autant corriger l’histoire mais metterait en évidence les réalités inconfortables de la situation.

Confederate Monument , Nashville

Confederate Monument , Reidsville

L’anti mémorial ne s’est pas limité à faire corriger ou disparaitre des mémoires jugées opprimantes , mais il a aussi permis de dépasser ou faire avec des mémoires non assumés . On assiste à un tournant dans l’architecture de mémoire, la monumentalité, dorénavant, laisse place à un projet qui semble au premier abord plutôt timide. L’artiste Jochen Gerz avec l’aide d’étudiants, ont descellé, clandestinement, les pavés du parvis du château de Sarrebruck. En inscrivant sur ces pavés, le nom de plusieurs cimetières juifs, et en les repositionnant, de façon à ce que l’inscription soit invisible; l’oeuvre d’art obtient l’appellation de « monument invisible ». Avec le temps, certains pavés se sont retournés, dévoilant l’œuvre , le mémorial caché . Colston statue - Bristol 2020


Anti-Monumentalisme L’anti-monumentalisme cherche à nier la présence de toute force sociale imposante et autoritaire dans les espaces publics et ce en offrirant des alternatives au monumentalisme comme à l’oubli, l’invisibilisation, la perte de sens ou la destruction d’œuvres

Monument aux morts , Hamburg

2146 Stones - Château de Sarrebruck, Sarrebruck

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Mémorial de l’abolition de l’esclavage, Nantes Le mémorial d’abolition de l’esclavage est le résultat d’une volonté citoyenne de soulager les blessures d’une mémoire omniprésente , avec le besoin de la faire émerger. En effet, tous les mémoriaux ne sont pas impulsés par des élus, ils peuvent être aussi le résultat d’une demande du public. Bien que le mémorial de Nantes, résultant au départ de l’action d’associations, est un cas unique en France. Martyr d’hypermnésie, la mémoire des victimes de l’esclavage est inscrite dans un contexte internationale, mais aussi national comme il est indiqué dans l’article 4 de la loi n° 2001-434 : «Il est instauré un comité de personnalités qualifiées, parmi lesquelles des représentants d’associations défendant la mémoire des esclaves, chargé de proposer, sur l’ensemble du territoire national, des lieux et des actions qui garantissent la pérennité de la mémoire de ce crime à travers les générations.» Trois ans avant la modification de cet article de loi , les célébrations du 150ème anniversaire de l’abolition de l’esclavage, signée en 1848 , ont eu lieu . Une année qui a aussi coincidé avec la commemoration du 400ème anniversaire de la promulgation de l’édit de Nantes . Lors de la cérémonie , une étudiante des beaux arts devoile une statue, une oeuvre symbolisant la volonté de crier l’abolition de l’esclavage. La statue se retrouve quelques jours après, vandalisée. En réaction immédiate, les élus s’accordent avec le collectif composé de differentes associations sur la nécessité d’ériger un monument mnémonique materialisant et immortalisant cette mémoire, afin que la ville de Nantes assume un passé générateur de souffrance et de peines . Quize ans après que la décision ne soit prise, le mémorial voit enfin le jour en 2012 . Il vient se positionner près des quais de la Loire, qui jadis était considéré comme un des plus grands ports de la traite négrière, surquel les négociants echangeaint des esclaves contre du sucre et du café. Le projet vient s’ancer en sous sol , dans un parcours rectiligne sans signalitique . Il alterne entre béton brut et bois laissant apparaitre leurs traces de coffrage . La materialité fait écho aux bois qui constituent les bateaux. Plongé dans la pénombre , illuminé par quelques ouvertures donnant sur la Loire, le visiteur ne se détache pas de ses sens. L’odeur moite de l’iode, le son de l’eau qui résonne dans le béton, le concepteur cherche à immerger le visiteur dans cette experience d’être déporté dans les cales des navires négriers . Non pas que pour remémorer ces événements passés, mais aussi pour positionner tout passant face à la question d’assujettissement moderne. Une ambition jugée par avance par les assossiations comme insuffisante à l’attente mémoriale des citoyens . Et qui par la suite confirme son echec en etant considéré comme une oeuvre caricaturale «sans âme» qui ne fait qu’exposer des citations tirés par les cheveux sans aucun apport mnémonique.


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«Ce n’est pas la première fois que je passe devant, mais bien la première fois que je le visite. Comme un silence dans une composition musicale, ce monument marque mais ne se démarque pas. La qualité architecturale, bien que simpliste, porte une forte charge affective. Avant d’arriver à l’entrée (par escaliers), j’ai été guidé par des petits détails en verres qui revêtent le sol, portant le nom des anciens navires négriers. J’ai beaucoup apprécié ce détail, néanmoins, je ne sais pas si c’est de l’historisation ou un hommage qui est contre aux valeurs du mémorial. En descendant les escaliers, nous avons le sentiment de plonger dans un nouveau monde. L’épaisseur des matériaux et leur isolation acoustique, nous détache de la nuisance sonore de l’extérieur et nous sombre dans une discussion avec la mémoire de ce lieu. Sa localisation, près de la Loire, quai du fleuve ou s’arrêtais les navires pour vendre ces esclaves, offre non seulement une connotation symbolique du site, mais également une passibilité et immersion sonore au sein du mémorial. Mis à part la qualité architecturale du mémorial, je ne trouve pas le mémorial réussi. La mémoire n’est pas partagée d’une manière commémorative, mais plutôt de manière instructive. Insensible à ce que représente cette mémoire à la ville, je n’ai pas pu m’y identifier. Surtout que je me suis trompé, et suis rentré par la sortie. Le parcours muséologique n’avait plus de sens, j’ai commencé par la fin et finit par le début (*rires*) .» Entretien avec TENOURI Mehdi, après la visite du Mémorial de l’abolition de l’esclavage - Nantes


Mémoire commune , interprétations distinctes Mémoire tragique de la SHOAH « mémoire universelle» La mémoire de l’Holocauste, sous différentes formes Nous allons aborder dans le prochain chapitre la traduction architecturale d’une mémoire universelle, celle de la SHOAH. Exprimée à travers plusieurs formes architecturales , allant du musée au mémorial au monument , nous allons nous attarder sur diverses projets traduisant la volonté de commémorer ce drame universel. Dans les deux dernières decenies, le devoir de mémoire attribué à cette cause aa explosé dans plusieurs pays du monde. Cette mémoire, à léguer, à faire apprendre ou à tenter de faire oublier, s’est donc vu prendre plusieurs formes selon le contexte géographique, culturel et politique .

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Mémorial de la SHOAH - Paris

«Le musée s’est historiquement construit autour du regard, plus encore que sur la mémoire» Mathilde CASTEL

Le mémorial de la SHOAH est un lieu commémoratif de la mémoire de l’extermination des Juifs par les nazis. Inauguré en 1957 comme mémorial du Martyr Juif inconnu , le site était un lieu de mémoire du tombeau du martyr juif inconnu , qui par la suite se transforme en Mémorial de la shoah, et est considéré comme le premier centre d’information sur le sujet en Europe. Ce mémorial bien que dans sa qualité de commémoration, cherche aussi à préserver et à transmettre l’histoire de la SHOAH . Il se compose de lieux de mémoires, de lieux d’exposition muséale de l’histoire juive de la WWII et un centre de documentation juive contemporaine.


«C’était ma première fois dans un mémorial de la Shoah, et peutêtre un des meilleurs endroits pour une émotion poignante, riche d’informations et d’illustrations. Je l’ai visité à la quête d’une histoire passée, d’un lieu témoignant de mémoire collective. Dès l’entrée, on est vite émerveillé par un labyrinthe de stèles immortalisant les noms de ces juifs d’Europe, déportés, ayant succombés à l’enfer. Ces noms collés l’un à l’autre, sur des murs hauts comme les pièces, donnant sur le ciel, donnent une image émouvante de ces victimes, dans des conditions déplorables, et qui, les yeux vers le ciel, reposent dans la mémoire de l’humanité. Juste après, un parvis, un cylindre de bronze imposant, porte les noms du Guetto et des camps de concentration… Un cylindre qui rappelle les fours crématoires pour brûler les cadavres ... Les cadavres de ces noms, gravés dans nos esprits dès l’entrée. Toujours dans la même ambiance, une crypte, avec l’étoile de David y est présentée. Salle sombre, illuminée par le parvis seulement, est fortement symbolique des millions de juifs morts, sans sépulture. Les salles d’exposition sont très représentatives par leur architecture, leur éclairage. Un couloir long et sombre pour diffuser des témoignages de ces juifs qui ont survécu, à l’image d’une traversée triste et ardue. Et au bout, un éclairage tamisé, signe d’une lueur d’espoir, l’espoir de résister et de vivre. Plusieurs pièces sont des musées. L’histoire y est racontée au travers d’authentiques lettres, journaux, interviews et reliques. Leur authenticité donne une immersion dans le passé, probablement plus parlante qu’un cours d’histoire. Une expérience bouleversante. A voir pour comprendre, pour savoir et surtout pour ne pas oublier le passé, les ressentis, les douleurs de ces réfugiés d’aujourd’hui.»

Entretien avec KHALDI Fatine , après la visite du Mémorial de la SHOAH - Paris . 77



Une fois entré, des noms gravés sur un mur, sur le parvis, attirent notre attention et nous parlent. Les noms de 76000 juifs déportés de France dans la fin de la deuxième guerre mondiale. Afin de mener à bien ce mémorial, en raison de la comparaison des sources d’archives et de la vérification de chaque nom, il a fallu quatre ans de travail. Chaque nom doit être vérifié. Les familles des défunts accordent beaucoup d’importance à ces détails. Les noms sont gravés dans l’ordre alphabétique par année d’expulsion. Dans le caveau, où sont placées les cendres recueillies dans les camps d’extermination au sein du Mémorial de la Shoah, une flamme brûle en commémoration des victimes. Recueillies dans les camps d’extermination, les vestiges du ghetto de Varsovie et sur la terre d’Israël. La qualité d’espace, le jeu de volume disproportionnel dû à la hauteur écrasante ainsi que la lumière artificielle pale, ne suffisent guère au concepteur pour nous culpabiliser et nous meurtrir. Il accentue ce tort par une inscription sur ce crypte, ou il nous parle et nous dit : « Regardez et voyez s’il est une douleur pareille à ma douleur - le jeune et le vieux, mes jeunes filles et mes jeunes hommes sont tombés sous le glaive » Le Mur des Justes, situé à l’extérieur du Mémorial, porte les noms des personnes qui ont sacrifié leur vie pour sauver des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. Tout au long de l’année, le Mémorial vit au rythme des commémorations. Un troisième mur, le mur des enfants disparus, comptant plus de 3000 photos des enfants juifs déporté. Classés par ordre alphabétique, ces images viennent nous hanter dans la fin de notre parcours. La disposition de ces photos en grille, ainsi que les tons noirs et blancs nous enferme avec eux dans leur sépulture. D’autres formes de témoignages mémorielles hors les noms des martyrs et leurs photos sont utilisé afin de transmettre la mémoire de ce désastre juif tel la collecte et exposition d’archives, les plans de Varsovie ainsi que des portes. Numérotés sur le haut, derrière ces portes en bois étaient enfermés les déportés juifs pendant tous leurs séjour, ils sont maintenant exposés comme porte ouverte sur cette mémoire tragique. Susciter l’interrogation , pousser la réflexion mais aussi découvrir l’histoire des juifs pendant la Seconde Guerre mondiale , tel est l’objectif de ce mémorial de la SHOAH ; qui à part son immersion muséale , cherche de par des activités proposées ( rencontres avec des témoins, ateliers artistiques, voyages de mémoire à Auschwitz ..) à faire comprendre et à éveiller les plus jeunes face à cette mémoire. Ce lieu ne fait pas que sensibiliser et raconter cette histoire de la SHOAH, mais il est aussi un lieu de recherche, de formation et d’échanges entre différents publics. 79



Musée Juif de Berlin - Berlin Le mémorial des Juifs de Berlin, conçu en 1988, a vu le jour en 1999, voulant rappeler la tragédie, faire vivre les émotions et redonner espoir. Fils de juifs polonais, les parents de Daniel Libeskind ont gouté à la catastrophe de la SHOAH. A l’image de l’histoire des juifs dans la période nazie, et à la mémoire narré par ses parents, Libeskind crée ce musée mémorial rendant hommage à la communauté juive qui a connu les camps de concentration. En créant cet espace immersif, l’architecte ne souhaite accueillir les témoignages de la présence juive en Allemagne. Il préfère léguer l’histoire au lieu de la mémoire, une histoire faite de cassures, ruptures, violence et d’autres traumas au survivants et martyres de cette catastrophe. Cet édifice est la traduction concrète des émotions éprouvées lors de la SHOAH. Violence, vide, cassures, blessures, néant, toutes ces notions représente l’architecture et y sont représentés. Pour lui, cette architecture est le grand corps malade, défait, brisé et souffrant des malheurs de cet évènement : Ce corps recouvert d’une peau métallique, résistante mais qui certes change et s’abime avec le temps. L’éclat argenté se dissipant et la surface devenant terne et prenant une couleur bleu verdâtre. Les lignes et les irrégularités sont dominantes. Les ouvertures, tels des cicatrices, des plaies, qui ont résulté de ce drame et demeuré dans la mémoire de tous. L’édifice n’a pas d’entrée, pour y accéder il faut passer par le bâtiment baroque voisin, ce passage cherche à souligner l’entremêlement de l’histoire juive et l’histoire allemande. Une fois à l’intérieur, nous sommes invités à descendre 12 m en sous-sol dans un noir absolu afin d’accéder au musée, aux allures d’épreuve pour le corps comme pour l’esprit. Le travail d’ombre et de lumière est très présent. Dans ce puits obscur de béton qui traverse l’ancien bâtiment, nous le transperçons comme si on errait dans cette mémoire en nous éreintant par ce parcours tortueux. Le noir, nous prive de vue, nous prive de nos repères et nous déboussole. Plongés dans ce vide nous nageons dans le néant à la recherche d’une première lumière pour nous guider. Une lumière artificielle vient alors nous mettre mal à l’aise.

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Pour mieux comprendre le parcours, nous allons différencier en premier lieu entre les deux édifices : - le Kollegienkaus (baroque) , ancienne cour de justice Prusse, construit en 1735, anciennement connu par sa vocation muséale , il accueille aujourd’hui des expositions temporaires, les vestiaires et les points de restauration et de vente de souvenirs. - L’édifice de Daniel Libeskind (déconstructiviste) : composé de soussol, un rez-de-chaussée, et deux étages.


Ce dernier se compose de 3 axes majeurs ainsi que d’un parcours abritant des zones de vides. L’axe d’Holocauste, ou le premier axe auquel on se retrouve après être entré et avoir parcouru un long couloir étroit au murs et sols irréguliers. Après avoir franchi la porte du couloir, le visiteur se retrouve dans un noir profond, finement éclairé par une entaille au sommet de la tour. Symbole de la vie et de l’espoir , une faible lumière se laisse filer par cette fine ouverture et plonge le visiteur dans une froideur et obscurité, tels les morts du peuple juif . Il n’y a qu’une seule fenêtre haute et étroite dans cette zone morne, non chauffée et non décorée. L’austère puits de béton évoque la sensation d’impuissance face au désespoir. Cet espace, ainsi que les cinq autres tours qui percent la structure, sont des zones d’absence, témoignage muet d’une catastrophe indicible. La logique du bâtiment est perturbée par ces tours, qui l’empêchent de se résoudre en un cadre muséal ordinaire. La construction étant située à l’extérieur du musée, l’évent du puits est exposé à une lumière diffuse et aux bruits sourds de la ville. Selon Libeskind, les visiteurs de la tour de l’Holocauste doivent se sentir «coupés de la vie ordinaire», exactement comme l’étaient les Berlinois juifs sous le régime nazi. La tour est le monument du musée. Le deuxième axe, celui de l’exil, bien qu’ouvert, vient clôturer le visiteur par des murs et stèles très hautes. Sur ces dernières sont perchés des oliviers, dont les racines ne sont pas encrées en terre. L’arbre du pilier central planté provient des terres de Jérusalem. Privé de ses terres, et forcé à vivre, le visiteur s’identifie dans ces oliviers. Il n’y a pas d’autre issue au labyrinthe que de retourner au musée. Libeskind a voulu illustrer le fait que même les Juifs qui ont fui en exil ont rarement trouvé la liberté. Ils étaient des intrus dans un pays étranger, «échoués» sur «l’épave de l’histoire juive allemande». Pour accéder après à l’axe de continuité, un long escalier étroit auquel on se hisse difficilement. Cet axe donne l’impression de l’infini, sensation mis en accent par l’éclairage naturel au fond du sous-sol , qui inonde ce dernier . Sur les côtés on peut accéder aux salles du musée, retraçant de manière symbolique et verbale l’histoire juive. Cette expérience incarne l’avancée perpétuelle de la culture juive.

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Le Musée juif bien qu’il soit considéré comme structure symbolique complexe qui peut parfois être bouleversante et déraisonnable. Cette architecture est censée susciter des émotions fortes, et nombreux sont ceux qui affirment qu’elle était beaucoup plus puissante avant que les expositions ne soient mises en place en 2001. Le musée compte aujourd’hui environ 4 000 objets qui retracent l’histoire de l’héritage juif allemand, vieux de deux mille ans. Liebskind reçoit de nombreuse critiques par rapport à la caricaturisation de la mémoire pénible qu’il impose. Cette dernière bien que dramatique et étouffante, doit laisser lieu à l’interprétation et/ou l’identification. Le lieu n’invite pas à l’oubli , mais plutôt à la culpabilité de ceux qui n’y sont pour rien ou qui ont en déjà souffert .


Mémorial de l’Holocauste - Miami En 1984, le mémorial de l’Holocauste de Miami Beach a été conçu par le comité de la Fédération juive du Grand Miami. La Floride du Sud comptait l’une des plus grandes populations de survivants de l’Holocauste, dont beaucoup résidaient à Miami. Le sculpteur Kenneth Treister, artiste concepteur de ce monument a écrit : «J’ai été chargé en 1985 de concevoir et de sculpter un mémorial à la culture et aux individus juifs détruits par l’Holocauste ; de créer un jardin commémoratif qui donnerait aux survivants et à ceux qui ont perdu des êtres chers un lieu à visiter à la place du cimetière qu’ils n’ont pas ; et d’exprimer, en photographies et en sculptures, l’histoire et la douleur de l’Holocauste afin que les générations futures n’oublient jamais.»

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Le monument est un ensemble de sculptures, entièrement construites en Pierre de Jérusalem, qui voient le jour avec le temps. Le site Web « holocaustmemorialmiamibeach.org » retrace l’évolution du mémorial dans ses sculptures et les expositions. Il permet même de participer à l’actualisation des noms des victimes inscrites sur « le mur de la mémoire ». La pièce maîtresse du mémorial est la sculpture « de l’amour et de l’angoisse », une énorme représentation en bronze d’un bras tendu, qui s’élève de la terre et s’étend vers les cieux. Toute la zone de la sculpture comprend des vignettes de membres de la famille qui tentent de s’entraider dans un dernier acte d’amour. Elle porte le titre «Amour et angoisse» parce que c’étaient les deux fortes émotions dégagées dans la période de l’Holocauste. Les gens étaient angoissés parce qu’ils allaient mourir, mais couvert par l’amour de leurs familles qui étaient assassinées avec eux. Le Mémorial présente des petites vignettes d’histoires d’affection et de frayeur. Ce ne sont pas seulement des femmes, des enfants et des bébés hétéroclites. Chacun d’entre eux interagit avec les autres. Un frère tend la main pour aider un frère, un bébé est porté vers un père, une mère berce un bébé, deux personnes âgées se disent au revoir après une vie d’amour ensemble. . Il ne s’agit pas seulement des figures jetées sur leur bras. Vous avez donc ici des familles détruites, faisant preuve de beaucoup d’amour dans une situation de terreur. Bien que porteur d’émotions, de sens et n’empiète pas sur le paysage de la ville, le monument de Miami a été longuement critiqué dans ses débuts : « La morosité est fatale ! Ne transformez pas l’un des rares points lumineux de cette ville en cimetière ».

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Le UK Holocaust Memorial est un projet de mémorial et de centre d’apprentissage, destiné à préserver le témoignage des survivants britanniques de l’Holocauste et des libérateurs des camps de concentration, et à honorer les victimes juives de l’Holocauste. Le projet n’a toujours pas été construit, il fait office d’une proposition gagnante du concours lancé en 2017. Le site de construction prévu est celui des jardins de la tour Victoria, un parc royal à côté des chambres du Parlement. Le parc abrite déjà trois mémoriaux qui sensibilisent à l’injustice, à savoir Les Bourgeois de Calais , la Buxton Memorial Fountain et le Emmeline and Christabel Pankhurst Memorial . La proposition est devenue controversée en raison de la popularité et de la nature de l’emplacement et parce que le mémorial occupera environ un quart de l’espace vert du parc.


British Mémorial of Holocauste

(proposition de consours)

- London

La conception combine une sculpture commémorative avec un centre d’apprentissage souterrain cherchant à éduquer les visiteurs sur les préjugés et la discrimination. L’architecte souhaite par ce mémorial permettre à chacun de réfléchir, de se souvenir et d’honorer ceux qui ont souffert et sont morts. Il cherche également à mettre en garde les générations futures face à l’antisémitisme. Le Mémorial se compose de 23 ailettes en bronze, avec les espaces entre les ailettes représentant les 22 pays où l’Holocauste a détruit les communautés juives, et agissant comme des chemins séparés jusqu’à une salle nommée le « seuil » menant au centre d’apprentissage, ainsi qu’un « contemplation cour » et « salle des témoignages ». Depuis sa mise en œuvre, plusieurs sont ceux qui s’y sont opposés. Les antagonistes de cette construction du mémorial affirment que la conception en est une majeure raison . Ce que David Adjaye, l’architecte principal du projet, justifie en arguant que «perturber» le plaisir d’être dans un parc est la clé de sa réflexion. Les oppositions ne sont pas dues qu’à l’aspect architectural et artistique de l’édifice, mais aussi au « manque de fond » comme le juge les visiteurs. La Commission a alors lancé un appel national à témoignages afin de mieux cerner les failles du projet par une approche participative. Il y a eu près de 2 500 réponses Notamment, un groupe de membres juifs de la Chambre des Lords ayant cosigné une lettre déclarant que le mémorial «n’évoque ni l’Holocauste ni l’histoire juive. À la suite de l’exercice de consultation du Westminster Council, un nouveau design a été repensé en tenant compte des critiques, et qui cherche d’urgence à préserver les témoignages des survivants et des libérateurs britanniques de l’Holocauste 89



Immergé dans cette mémoire de la Shoah, crée autour d’une architecture de stèles symbolique et émotionnelle qui cherche à faire ressentir au visiteur les peines vecus lors de ce drame . Dans ce Mémorial aux Juifs assassinés d’Europe de Berlin, conçu par Peter Eisenman, le passage entre les stèles ne fait que 90 cm, praticable par une seule personne. Au-delà d’une simple expérience visuelle, le mémorial rivalise d’ingéniosité pour procurer aux visiteurs une expérience dites «sensorielle». C’est une expérience spatiale que le visiteur doit vivre seul. L’effet desiré par cette architecture est celui de perdre le visiteur dans le parcours, le déboussoler à travers les passages tordues de ce circuit labyrinthique. Rythmé par la repetitivité des blocs, un cycle de plein et de vide le long du parcours donne un aspect fantomatique de la presence humaine par l’alternance d’apparition et disparition de ces derniers derriere l’opacité des volumes . On souhaite évoquer ce sentiment d’être écrasé par la monumentalité des blocs. Ici la perception de l’épaisseur des stèles à travers le matériau brute accentue l’aspect massif en donnant à lire l’épaisseur, l’épaisseur d’un

drame voué la mémoration . La sobriété du béton en fait une matière intemporelle et impersonnelle par sa texture froide, lisse et sans relief. Un mémorial se doit de dialoguer avec le visiteur, et être accessible et compréhensible à tous . La lumière , rendant l’experience de cette mémoire plus «vivante» , plongeant le circuit dans l’ombre des volumes monolithiques symbolisant la lourde mémoire des victimes de la SHOAH , tout en illuminant leurs surface . Des halos lumineux s’y echappent , tels les moments de joies et de solidarité qui furent melés aux peines de ce massacre . Cet aménagement interroge , confronte et intrigue , et de par sa stimulation sensorielle feint la commisération . Le long du parcours , l’immersion sensible est de plus en plus présente et prononcée ,d’autres ambiances se créent : ici les murs sont blancs et le sol est noir , plongés dans un bain d’obscurité , des spots et/ou stèles lumineuses viennent remplacer la lumière naturelle . Frayant un chemin à travers les stèles , retraçant la vie des victimes et les textes adressés à leurs familles.

Cependant , cet aménagement nous confronte à la question du devoir de mémoire . Sommes nous en train de générer à tout prix une émotion sur le visiteur? Est ce qu’avoir une émotion aide vraiment à comprendre ce qui s’est passé et à l’éviter ?

Mémorial aux Juifs assassinés d’Europe - Berlin 91


Yolocaust (Mémorial de Berlin)


Certains mémoriaux assistent à un tourisme de masse, qui se définit par le grand nombre des visiteurs mais aussi par la volonté d’exploitation touristique des mémoriaux à but lucratif . Des aménagements s’installent : magasins de souvenirs,hotels à proximité, places de dépose rapide ... Nous assistons à la création d’un nouveau type de tourisme, le tourisme de mémoire .Cette nouvelle forme de tourisme, benefique sur son plan lucratif, va dans la caricature du mémorial et en fait un lieu d’attraction, faisant abstraction à sa valeur mémoriale . Le mémorial aux Juifs assassinés d’Europe illustre ce propos , classifié par TripAdvisor comme ‘site attractif’, il se retrouve victime d’une confusion entre mémoire et loisir . Il se voit devenir un lieu ‘incontournable’ ou ‘a must visit’ de la capitale berlinoise . Le lieu se retrouve convoité par son esthetique et sa plasticité «Instagramable» . Plusieurs selfies partagés sur les réseaux sociaux en témoignent, le touriste se pose pour montrer qu’il a visité ce lieu incontournable de la ville . Sur les photos, on aperçoit tour à tour des jeunes qui sautent, font des figures de gymnastique, jonglent, ou posent simplement, par dessus les stèles ou dans les dédales du mémorial. La dimension co-mémorative du lieu se perd dans ces actions . Là, se remet en question le devoir du concepteur et du mémorial en lui même à génerer une emotion qui foit conduire le visiteur à une reflexion. L’artiste Israélien Shahak Shapira, choqué par ce comportement dégradant à la mémoire des juifs victimes de l’Holocauste , crée un mouvement artistique sous le nom de «Yolocaust». Ce terme regroupant le mot «Yolo» ,une expression angliciste signifiant «Tu ne vies qu’une seule fois», au mot «Caust» relatif au Holocauste le génocide des juifs par les nazis .Cette nomination souligne le paradoxe de la situation . Ce projet se veut taquinant, cherche à détourner ces images de touristes en changeant l’arrière plan des stèles par les corps décharnés des victimes du massacre. Le resultat est une multitude d’images choquantes qui illustrent cette situation absurde, qu’il a regroupé sur son site web pour une durée d’une semaine . Ouvrant le débat sur notre perception des lieux de mémoire et sur la dimension humaine qui en découle. Le sujet qui a fait coulé beaucoup d’encre bien avant cette initiative vient reposer la question de la finalité des mémoriaux qui devient de plus en plus floue. Avec les architectures de mémoire qui se multiplient, un tourisme de mémoire qui se développe ,l’objectif est devenu celui de rendre ces lieux de plus en plus attractifs . On commence à parler de la banalisation de la mémoire, les mémoiaux perdents leurs sens initiale.

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Habiter les Ruines

Irish ruins - Andrew Ridley


Figure limitrophe, lieu des échanges, la ruine se situe entre paysage et culture , entre dedans et dehors , entre le passé et le futur. La ruine est un arrêt sur image, précaire et instable : une mise en suspens. Associée à la mélancolie et à la perception de notre mort, elle est la matérialisation de la locution latine « Sic transit gloria mundi, Momento Mori » signifiant : Ainsi passe la gloire du monde, souviens toi que tu vas mourir . Surface de projection de notre propre finitude, la ruine devient un support matériel pour la méditation sur le temps. Elle nous mets devant la prise de conscience du passage du temps inéluctable et au caractère éphémère de l’Homme . Exister est toujours affaire de fragilité. C’est cet attrait particulier et ambigu que traduit la ruine par le potentiel imaginatif qu’elle génère . Elle est le résultat de l’incursion de la nature et de l’usure du temps. Elle rappelle la mémoire, exprime son histoire de ce qu’elle fut, ce qu’elle est d’une époque inoubliée. . La force émotionnelle des ruines et des bâtiments abandonnés vient du fait qu’elle nous laisse imaginer leurs passé et partager leurs destinées. Nous aborderons la relation entre le paysage et la ruine, et notre position face aux processus naturels de décomposition des ruines architecturales, en ignorant les notions modernes de beauté, d’intemporalité ou de permanence au profit de processus « naturels» comme la rouille du métal et la croissance organique des racines, qui finiront par l’emporter sur le sort gravité elle-même. 95


La ruine est une architecture, que le corps ne peut plus visiter et laisse se laisse habiter par notre mentale et nos pensées. Effectivement , précisément avec l’effondrement ou la destruction partielle de la toiture et des cloisons, l’architecture tend vers une intégration au sein de la nature: à savoir, la transparence de la ruine. Incidemment, cette transparence non-intentionnelle va prolonger la transparence classique de l’architecture et l’interpénétration entre dedans et dehors. Avec l’absence des dispositifs de cloisonnement, le regard pénètre à l’intérieur de l’espace donnant lieu à notre imagination à retracer la vie d’un temps passé. Pour certains, la ruine est l’apparition d’une nouvelle architecture, d’une nouvelle catégorie d’existences, d’une nouvelle signifiance causée par la partie manquante, celle rongée par la nature et le temps. Entre ces états, la ruine est une manifestation, un témoignage. Elle est un objet de transition qui permet d’accepter plus facilement les changements à venir . Parallèlement à ces deux assimilation de la notion de « ruines » , se forment deux écoles d’interprétation des décombres .Basés non pas juste sur les organes et la sensibilité de perception, la culture dans laquelle nous sommes nés conditionne notre regard . En effet, le jugement et la perception de l’usure diffère d’un contexte culturel à un autre . En Occident, l’accent a été placé sur une philosophie de l’être et de la vérité, alors qu’en Orient parle plutôt d’une philosophie du devenir et de l’écoulement. Si les notions d’éphémère et de disparition ont été valorisées, sans doute parce que, dans le bouddhisme, tout s’en va et se décompose. Le terme de ruine au Japon comme exemple , n’est apparu qu’en 20ème siècle , en revanche , d’autres notions similaires comme ‘le délabré ‘ ou le ‘provisoire ‘ ont été utilisés avant . L’usage de ces termes relève de la non-substantialité, de l’immatérialité et finalement de l’impermanence. Elles traduisent la vision asiatique de se référer à une manière éphémère d’habiter en ce monde. En architecture, ces visions de la ruine divergent sur le support à la réflexion et la contemplation . En occident c’est la présence des traces matérielles (les vestiges et les débris fragmentés d’une architecture disparue ) l’autre est une méditation à travers l’immatérialité (l’absence de substance) compensée par une présence imaginaire et rétrospective, associée au lieu et au souvenir du bâtiment qui s’y trouvait. L’espace interstitiel entre deux moments où l’expérience du lieu s’articule entre ‘ce qui est’ et ‘ce qui n’est plus’. Ces deux visions de l’entropie, bien que contradictoires, ne sont pas opposables. Miyamoto Ryûji, photographe japonais de renommée internationale, préfère définir les ruines comme « scènes de démembrement d’un édifice » laissant la question de l’influence occidentale ouverte. En l’occurrence le titre de son exposition photographique : « kowareyukumono-umareizurumono » qui signifie « choses qui sont en train de disparaître » et « choses qui naissent » nous éclaire sur la portée philosophique de sa perception de temps. Elle souligne le mariage de ces deux écoles, et cette complémentarité entre la vie et la mort des ruines.


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Wang Shu , architecte chinois se prononce face à cette vision avec son projet de musée historique de Ningbo , récompensé par un Pritzker : «La question de la relation appropriée entre le présent et le passé est particulièrement opportune. Lle récent processus d’urbanisation en Chine invite à débattre de la question de savoir si l’architecture doit être ancrée dans la tradition ou si elle doit se tourner uniquement vers l’avenir». La Chine, un pays à forte croissance économique voit son urbanisme se développer, aux dépens de ses villages, et ce en générant des revenus considérables. Néanmoins, lorsque les vieux villages sont démolis, la mémoire collective des habitants, la tradition et la culture transmises de génération en génération, tombent également en ruines. Shū va alors par son projet tenter de préserver les souvenirs sur un paysage reconstruit. Pour lui le bâtiment ne doit pas être pensé qu’avec le site, mais aussi avec le temps. Ainsi, afin de s’opposer aux destructions du patrimoine à l’œuvre dans les villes chinoises, il construit le bâtiment en considérant l’esprit du lieu dans son sens propre, avec les matériaux issus de la destruction des bâtiments environnant. La qualité de cet architecture se rapproche de celle des ruines, non pas dans leur réutilisation, mais dans son caractère. C’est-à-dire que ce que l’on recherche en architecture ne se retrouve pas dans le sens de la réalité qu’elle exprime, mais plutôt dans sa capacité d’éveiller notre imagination, nos rêves, nos pensées. Le musée d’histoire de Ningbo, est alors construit à partir des gravats collectés dans le paysage existant auparavant, et devient une vaste forteresse en béton, une fondation culturelle qui se dresse contre le tissu erratique largement dispersé de la nouvelle ville. La matérialisation de l’histoire, à travers ce recyclage des débris d’une architecture disparue condamnée à l’oublie renvoie à la doctrine de la ruine qu’on a évoquée précédemment. La ruine comme fragment de l’architecture, l’état d’une présence et d’une absence, une intersection entre le visible et l’invisible où l’invisible est mis en valeur par la fragmentation – par la nature inutile des fragments – et par la perte de leur fonction. Et par cela , Wang Shū répond parfaitement à la notion de « convoquer le passé sans l’histoire ».


Contempler une ruine fait nécessairement travailler la mémoire, cette partie intégrante de notre existence. La ruine est porteuse de sa mémoire, mais aussi de la mémoire de celui ou celle qui la regarde. Notre mémoire est analogique à sa figure. Elle est, selon Guérin (2005) « un lieu de persistance où rode la disparition et où les fragments épargnés par l’oubli récupèrent les strates mises de côté » En nous imposant de constituer du passé, la ruine oblige une ré-invention imagée. Sa force poétique est le fruit des fusions cohérentes du souvenir et de l’invention à partir du fragment. Puisqu’elle est un témoignage, elle fait aussi l’annonce de sa disparition. les caractéristiques qui émergent du lieu - soit à partir des matériaux utilisés, des formes obtenues et des espaces créés - tout en libérant un caractère contemporain auquel le monde pourra se reconnaître et se remémorer de près ou de loin un oubli causé par le temps qui défile. Les mémoires font partie intégrante de notre existence et la ruine est porteuse de sa mémoire et aussi de la mémoire du sujet qui la regarde. En culture asiatique, l’objet réparé est perçu comme source de contemplation , de beauté et dont la valeur augmente avec sa durée de vie. Telle est l’histoire de la mémoire de ces villages. Destinée à redevenir volontairement visible, même sublimée . L’art des réparations à la japonaise par exemple, est radicalement opposé à l’art de la restauration des occidentaux. Parfois, quand le morceau d’une

poterie manque, il est remplacé par un morceau d’une poterie radicalement différente. Idem pour l’approche de réparation architecturale. Les pièces dégradées sont souvent exposés comme pieds de poteau, alors que le reste demeure conservé ne cherchant pas à dissimuler l’histoire qu’il porte en lui. Pisé, bois, bambou et pierres , tous impliqués par Shu pour raconter la tectonique du projet . Dans cette approche du massif, un dialogue s’instaure entre le volume et la présence matérielle. L’atmosphère crée par la monumentalité du bloc de par ses dimensions grandioses et hors-échelle cherche à dialoguer avec l’histoire de ces ruines qui reprennent vie dans la matérialité de l’édifice. L’expérience de l’espace repose alors sur notre ressenti immédiat auquel les souvenirs de nos sensations vécues dans des espaces similaires se mêlent. Le résultat est une architecture proche d’un tableau qui reflète les fragments de l’histoire et rythme la déambulation de l’esprit. Afin d’éviter cette connotation de lourdeur de la mémoire qu’évoque la monumentalité du volume, ce jeu de matériau vient introduire de la légèreté dans la massivité. Le traitement de l’épiderme de la masse à travers des éléments irréguliers tels les débris de briques et de pierres procure au bâtiment une porosité qui brouille le traitement unitaire et procure une sensation labyrinthique, mêlant continuité, fluidité et mystère. 99


Pour que l’expression sensorielle de la mémoire prime sur l’expression de la massivité du bloc, il est indispensable que la pensée soit indissociable de l’entropie du matériau. On veut dire par cela un état de dégradation ou une perte d’énergie que subit le matériau. L’entropie est une notion développée originalement par la thermodynamique, mais rendue populaire dans le monde de l’art par l’artiste du Land Art Robert Smithson. Elle marque le temps et le transmet à l’observateur. En 1970, ce même artiste déverse l’équivalent de 20 camions de terre autour et au sommet d’un hangar en décomposition jusqu’à ce que sa poutre centrale se fissure. Il cherche à mettre la construction au défi de l’entropie. La directrice de la fondation de Smithson déclare : «dès que la poutre centrale se brise, l’ensemble de la structure va s’effondrer progressivement, graduellement. Et c’est ce qui intéressait Smithson, cette montée inévitable vers le déclin.» Pour lui ce n’est qu’en affrontant et acceptant la notion de la dégradation qu’on peut percevoir un ordre imminent. Les notions de désordre, de décomposition, de perte de frontières, de perte de soi et même de mort sont indissociables de la conception de l’entropie.


C’est devant cette capacité que l’observateur de la ruine se place et se regarde en relation avec la fragilité de l’histoire ainsi que celle de sa propre personne. La dimension temporelle affecte aussi l’entropie et cette dimension est reçue comme étant irréversible. L’entropie au-delà de son aspect esthétique photogénique apprécié elle est indicatrice de la chute d’un édifice. Amorcée avec les premiers signes de la dégradation et de la patine, peut à terme, si rien n’est fait pour ralentir ce processus de détérioration, conduire à la disparition totale de l’édifice. L’effondrement des ruines est inévitable. Ce mouvement naturel, tire l’édifice vers le bas et s’oppose aux forces montantes de l’édification. La lutte entre les forces de production et de destruction, présentes à toutes les époques de l’histoire de l’architecture, n’est que cela : une lutte. Le «retour à la terre», interprété comme la marque symbolique d’un retour vers l’origine, vers la « terre »,peut expliquer à la fois le destin et l’ironie, l’ironie du sort de l’Homme. La ruine par cela se pose devant deux phases de vie : L’avant chute, un instant éphémère avant l’effondrement et l’après chute, un état figé ou peu mouvant. La figure de ruine implique un déplacement de notre regard envers elle relatif à sa dimension temporelle. La ruine est un lieu en marge, mais aussi lieu de doute et de réflexion caractéristique de l’esprit critique. Elle ne fait pas que d’exister, elle vit dans le temps .

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Usure et enthropie Les matériaux ont aussi leur entropie. Les matériaux brut sont considérés comme ayant une entropie basse et les matériaux raffinés et artificiels ont une entropie élevée. La science compte plusieurs types de l’usure : fatigue (chocs),arrachement, abrasion (érosion), tribocorrosion (frottement et corrosion sur métal). Qui varient en fonction des caractéristiques mécaniques des matériaux (ductile, adhérence, rugosité plastique) mais aussi la température, la pression, le temps, le rythme … Différents effets ou usures sont ainsi obtenus : irisation, gonflement, entaille, affaissement, fissure, creusement, éraflure, oxydation, écaillage, rayure, noircissement, brillance, matité, plissement.. L’architecture est le meilleur exemple exprimant cette vision de l’entropie, reconnaissant l’usure comme indice d’un usage particulier. Les anciens monuments fabriqués de matériaux naturels comme le marbre, le granite ou autres matériaux bruts représentent une entropie basse contrairement aux nouveaux monuments fabriqués de matériaux industrielle et artificiels à entropie élevée comme le béton et l’acier. L’entropie de ces matériaux est une forme d’usure formulée par le temps, confrontée à la nature et à l’affleurement. L’usure c’est également la trace de l’usage, le témoignage du passage de l’homme Par opposition au simple passage du temps, on évoque ici les traces non volontaires dues à la répétition d’une action, à l’appropriation de la matière et à l’interaction humaine. A travers cette interaction, l’objet utilisé acquiert une valeur patrimoniale en donnant à voir notre histoire commune. L’esthétique de la dégradation est aujourd’hui une notion qui peut être à l’origine d’un parti architectural. Elle est mise en avant dans des projets de photographes, d’artistes du land art et d’architectes, tels que Richard Serra, Herzog et De Meuron et bien d’autres.


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Richard Sierra dans son œuvre « The Matter of Time » , raconte l’histoire muette d’un matériau, que le temps va aider à formuler par son interaction et ses changements. Le matériau étudié est l’acier, un matériau de l’ère industrielle, qui, avec le passage du temps dépose une nouvelle matière : la rouille. Cette substance formée suite à la corrosion de métaux a toujours eu une connotation de décadence du temps, revêt aujourd’hui une signification poétique. C’est le regard de l’art qui a particulièrement aidé à cette acceptation. Sur ce matériau, le temps reprend son droit. On peut choisir d’ignorer la dégradation, composer avec ou le mettre en scène. Sierra a opté pour en faire l’objet même de son œuvre. Plongeant le visiteur dans des sculptures immenses, éveillant ses sens, l’artiste cherche à perturber le corps de par la forte présence de cette matière et ses dimensions. Cette pièce d’art offre la dualité du sujet/objet dans l’appréhension de son sens. Son titre équivoque, désignant la matière du temps mais aussi la question de temps, déjà parce que le temps a été l’élément principal qui a permis de placer l’ensemble de l’œuvre et d’expérimenter les différents niveaux en relation avec la durée. Mais aussi parce que le temps évoqué n’est pas le temps réel, il est relatif au rythme corporel et le

mouvement du visiteur qui flâne dans un espace. Les architectures d’acier, relativement éphémères, s’éteignent facilement lorsqu’elles sont devant une perte d’usage, ou elles s’abandonnent à l’usure jusqu’à la destruction parfois. La matière s’effrite, créant une dentelle aléatoire qui joue sur la transparence. Elle devient plus rugueux et plus fragile et son grain s’affirme comme nouvelle sensation. La détérioration de l’acier apporte une dimension poétique au matériau de base, elle livre une dimension poétique et des informations sur l’histoire des ruines. Ce passage à la dimension artistique influence le regard sur la matière usée et pousse à considérer par l’intermédiaire du temps la structure comme œuvre d’art. La perte des usages au fil du temps transforme l’architecture en pièce artistique. La structure, au lieu de s’affirmer comme un assemblage de matière linéaire perd son sens avec l’abandon. La rouille colonise l’ensemble de l’ossature qui devient alors un objet constitué d’une nouvelle matière, un tout qui se lit dans son ensemble. La structure devient objet, voire œuvre d’art. Hladik Murielle dans son livre « Traces et fragments dans l’esthétique japonaise » qualifie les ruines d’un bâtiment à l’abandon d’évocateur d’altération, de décrépitude et de dépérissement, physique mais également social ou symbolique.


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Dans le paysage architectural, les productions de l’homme, ses constructions en particulier, s’abandonnaient progressivement à la nature sous la forme de la ruine. Ils sont témoins de la dimension temporelle et son interaction avec le paysage. Elles étaient nichées au cœur de la nature. Ce sont des lieux où la nature semble s’être effacée ou du moins avoir cédé la place aux artefacts de l’homme. Cette immersion contribuait d’ailleurs à leur conférer leur véritable sens en tant que prolongement du monde naturel, non pas comme une prothèse, mais plutôt comme un instrument de révélation. À travers les œuvres de l’homme, la nature se trouvait à la fois exposée, complétée, parfois même transfigurée. Elle merge même avec la ruine, la réintégrant, créant par étapes successives une nouvelle forme d’environnement. Cette corrélation entre la construction et la nature ne se représente pas que dans l’entropie de la matière et les déformations qu’elle lui génère. Mais également dans la fusion avec l’environnement de telle façon à ce que le langage de la matière succède au langage du paysage. Tout se passe comme si l’action déteignait en quelque sorte sur son environnement, le colorant de la nuance exacte qu’il présente, qu’elle soit simplement inquiétant ou carrément dramatique. Cet environnement constituait en même temps un décor, une matière, une dimension artistique que prône la nature sur le fabriqué. Les mauvaises herbes finement dépeintes, poussent partout d’une manière désordonnée ; elles sortent de dessous les pierres, s’immiscent entre les fissures. Une végétation luxuriante relate la vitalité de la nature qui reprend le dessus sur l’architecture. La matière s’érode et se décompose à mesure que la nature se développe. En observant la nature, le passage du temps est souvent le plus apparent. La dégradation d’un paysage témoigne du passage du temps et de l’histoire. La nature a toujours été notre guide en ce sens : elle dévoile des ruines anciennes, des bâtiments abandonnés et d’autres lieux qui portent les traces subtiles d’une vie passée plus active. La végétation peut-être né après l’abandon de ces ruines ou grandir avec l’effondrement de la bâtisse, elle est là pour faire voir et sentir le passage du temps en introduisant le présent dans le paysage passé. Le destin commun à ces œuvres voués à l’abandon, noyés dans un paysage caractérisé par une végétation envahissante soumise aux forces de la nature, disparue derrière les feuillages, est l’image produite par l’œuvre du temps.


On lie souvent la ruine à l’abandon et aux territoires désolés. Le lieu totalement délaissé, dégage un sentiment de peur et de méfiance mais aussi de nostalgie et d’échec. Un nouvel engouement est exprimé à l’égard de ces paysages façonné et réinterprété par des artistes de Land Art. Ce courant artistique contemporain est une forme d’expression qui prend le paysage comme support et intervient de grande ampleur sur la nature. Le paysage, un sujet que l’art a toujours connu, mais qui a été traité de manière distante, de manière picturale ou même expressive, devient objet artistique et la figure emblématique de cette tendance artistique. Cherchant à fasciner et à réquisitionner nos préjugements par rapport au paysage en établissant une véritable expérience liée au monde réel. Le land Art , dans son intérêt à la nature , entre en collision avec le territoire, et avec la philosophie de l’existence temporelle . Chateaubriand s’est prononcé à ce sujet : « Il y a deux sortes de ruines très distinctes : l’une l’ouvrage du temps, l’autre l’ouvrage des Hommes. Les premières n’ont rien de désagréables parce que la nature travaille avec les ans. [...] Les secondes ruines, sont plutôt des dévastations que des ruines, elles n’offrent que l’image du néant. » Ce néant qui nous fascine, qui nous interroge et qui nous pousse à regarder autrement. Guidés par ce sentiment d’intrigue qui résulte de notre imprégnation de cet art, nous repensons notre regard des choses et nous enrichissons notre connaissance de la réalité. 107


Lost in Morocco - Hakim Benchekroun

Lost in Morocco - Hakim Benchekroun

Lost in Morocco - Hakim Benchekroun


La temporalité de la photographie à la rencontre de celle de la ruine pose plusieurs questions interprétatives de la relation entre l’image et la mort comme deux éléments statiques , suspendus dans le temps. Ce temps de gel projette à une stase intermédiaire entre nature et architecture, engageant une réflexion sur les temps passés et sur la mémoire des lieux .

Lost in Morocco est un projet en série d’images du photographe architecte de formation Hakim Benchekroun. Ce travail documente les territoires en transition d’un Maroc reculé . Le regard ici est porté à la recherche d’architectures oubliées afin de témoigner de leurs histoire , glorifier leur existence avant de s’abandonner à leur sépulture . « Depuis une dizaine d’années, je m’intéresse à ce que j’appelle ‘‘les territoires de l’obsolescence’’. Ces moments où les architectures oubliées entrent en collision avec leur territoire. L’ambition n’est jamais d’en dégager l’état de désolation mais d’en exhumer l’existence triomphante. » Sur ce paysage industriel , une autre forme d’environnement prend place, représsentant une sorte d’enfer, ou de purgatoire : des grues, des ponts immenses enjambant des plates-formes garnies de conteneurs, des raffineries et des usines entre lesquelles s’étendent des marécages rampants, le tout en mauvais état et rouillé, comme irrémédiablement pollué et pourtant doté d’une étrange beauté. Ce sont des lieux où la nature semble s’être effacée ou du moins avoir cédé la place aux artefacts de l’homme mais où plusieurs couches mémorielles se superposent à la manière d’un palimpseste. La ruine, en premier lieu, reflet de la mémoire de l’époque et de ces lieux qui étaient habités, caractérise un modèle urbain, le modèle de la ville-usine ou la ville industrielle, qui lui-même est associé à un style de vie. La photographie, cet outil témoin de la transformation, de la métamorphose et de la disparition de ces lieux nous permet de garder cette mémoire du présent. Un présent d’abandon, de désolation de déguerpissement. Ce présent se glisse dans un passé informe, celui de la chute, de l’effondrement, de la ruine, ou de la disparition. La photo, une mémoire figée, un souvenir palpable renvoie à une expérience paradoxale de la présence d’une absence. La mémoire évoquée est relative au contexte photographié : avec ces photographies d’usines à l’abandon et de ruines industrielles on vient interpeller la mémoire ouvrière. Mais d’autres sujets sont aussi abordés poussant des réflexions contextuelles, sur l’éducation, l’économie du pays, et la mode de vie sociétal comme avec les écoles et/ou hôpitaux abandonnées. En effet, ces bâtiments, signes et symboles d’une mémoire collective sont les legs de la propre existence d’une communauté. Mais pour insister sur le caractère individuel et unique de la mémoire, les souvenirs de familles ou la particularité singulière de la vie de chaque individu, nous aborderons la photographie des maisons abandonnées. Cette dernière cherche à éveiller une réflexion sur les histoires personnelles et interroger les réalités individuelles de par la qualité du lieu et la manière de faire son chez-soi. 109


Comme on l’a précédemment mentionné, la maison à l’abandon a été un sujet communément traité dans les photographies de ruines, certains même s’y consacrent, appelant à travailler la série pour reconsidéré l’unicité de chaque demeure et l’histoire qu’elle raconte. C’est le cas de Kevin Baumann, architecte qui travaille sur la ville américaine de Détroit, victime d’une crise protéiforme qui se voit abandonné par ses habitants et transformée en décombres. Dans sa série 100 Abandonned Houses, il cherche à prendre en photo de la même perspective une centaine de maisons abandonnés témoins d’un passé fastueux, qui se distinguent dans la représentation. Cette série cherche à placer le sujet (maisons abandonnés) sous un angle conventionnel afin de mettre en évidence l’histoire de chacune par la couleur, les matériaux, la forme, la texture des murs et des dommages qu’ils ont subis mais aussi à travers l’environnement d’où elles jaillissent et les objets tout près (déchets, débris, fragments de murs, voisinage..) qui relèvent l’impact temporel de l’usure. Le destin commun de ces maisons s’exprime pourtant toujours de la même manière : envahies par les plantes, déformées par le temps, pleurant leur destin. Ce caractère de perspective frontalière de l’image qui pose le sujet au centre de la composition tente d’assurer la neutralité de démarche, mais aussi de cacher le fond afin d’éveiller le mystère et l’imagination de l’observateur attardant son regard sur les détails de l’environnements et fouillant l’image dans l’espoir de trouver des traces de vie témoignant d’une histoire de vie passée ou attestant d’une existence présente . L’attention est alors axée sur chaque maison, individuellement, s’adressant à nous observateurs, prenant vie, dévoilant son histoire et son caractère qui lui est propre, construisant un récit imaginaire qui nous pousse à percer son secret, le secret anthropomorphique de son existence. Privés de présence humaine et vidés de leur histoire, il ne nous reste plus qu’à contempler ces photographies «jouant avec la lumière et les angles, et glorifiant les ruines pour leur texture naturelle. Esthétiquement affectives, pleines de tendresses pour les sujets représentés, ces photographies masquent pourtant une partie de réalité vécue, celle des personnes qui y habitent. Cette absence généralisée de toute existence humaine dans le paysage du déclin est considérée comme un fantasme esthétique qui induit en erreur, qui enlève toute vie à la ville et qui rend muette la voix de ses habitants, passés et présents. La visée presque mémorielle de cette photographie ne trouve dans le réel qu’un ancrage superficiel et fragmentaire. Qualifiée de « ruin porn » par les habitants de Detroit mais aussi par les photographes non locaux et archéologues critiques qui pousse le débat sur la question du fétichisme de la misère sociale oblitérante de toute trace vivante dans le paysage. Alors pourquoi ne montrer que la mort là où la vie lutte pour une reconnaissance ?


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Afin de faire face et de lutter à ces stéréotypes générés par cette photographie esthétique, et de rendre à César ce qui est à César, certains photographes comme Dave Jordano qui en 2015 produit des portraits de maisons habitées de Détroit. Il choisit de donner une âme à sa photographie, incluant des individus posés avec leurs maisons : Familles, couples, ménages.. La maison alors développe une identité, une nouvelle image active et vivante, qui honore la mémoire des gens qui y habitent et résistent encore. Comme le fait comprendre Bachelard : la maison est un lieu qui nous habite autant que nous l’habitons. Par cette dualité intrinsèque, nous cherchons dans cette espace un instrument d’analyse pour la vie humaine, comme un lieu influant notre rapport au monde, hantant nos souvenirs, relatant nos émotions et nos secrets, et que nous habitons par notre imagination . On explore ces lieux tout en nous explorant intérieurement. La ruine et la photographie partagent en effet un destin mémoriel commun, elles permettent le souvenir involontaire de ce qui est ignoré ou rendu superflu. Elles sont le moment révélateur agissant comme trace entretenant nos souvenirs. Aussi, les fragments comme les clichés ont cette capacité de certifier empreindre et prétendre conserver une partie de vie, ou de temps, éveillant notre conscience sur la notion du mouvement et de l’absence du passé. Car en leur présence, il est difficile voire impossible de se détacher de l’illusion d’un « retour » temporel, qui ramènerait en des cycles réguliers ce qu’il a emporté et dissipé et ce dont il nous a privé. Et par ça le retour à la locution du memento mori : rappeler aux vivants leur condition de mortels. L’objectif est évidemment mémoriel : garder la trace de ce qui aura bientôt disparu et ne sera donc plus visible, conserver un souvenir, un fragment temporel, qui par sa matérialité, peut se transmettre, se partager, voyager dans l’espace et dans le temps. Ce souvenir, on le veut « vivant »


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L’abbaye de St-Maurice a été construite en 1170, près des reliques du Saint du même nom et de ses compagnons. Elle fut implantée au bas d’un rocher pour sa connotation spirituelle de protection. Quelques années plus tard, ce positionnement s’est avéré comme un danger important. Tout au long de l’histoire, les éboulis rocheux ont eu une influence importante, causant plusieurs dommages : En 1611 un énorme éboulis a provoqué une convulsion de l’abbaye, en 1942 un rocher a détruit la croix-spire et le portail-navette de l’édifice. Ces glissements se sont produits en permanence et ont marqué le site au cours de l’histoire. Le monastère a aussi été victime d’incendie en deuxième guerre mondiale lorsqu’il servait de refuge pour l’armée allemande. Quelques années plus tard, le site fut laissé à l’abandon, voire même à l’oblitération. Ouvert maintenant à la visite et à l’étude, le lieu présente encore une menace. Pour y remédier, les deux architectes Savioz & Fabrizzi, basés en Suisse, esquissent une toiture planant les ruines, protégeant le site de la chute de fragments rocheux. Le projet s’efforce de démontrer

ce traitement particulier de l’histoire. En suspendant 170 tonnes de pierres, il exprime le danger permanent auquel le site a été exposé mais aussi rappelle aux visiteurs l’histoire du site et du danger d’écroulement rocheux qu’il connait et qui a fait de lui ce qu’il est maintenant. Avec comme devise : « Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort ». Le toit donne à l’intérieur une ambiance calme et presque contemplative. Les roches viennent se poser sur le maillage de la toiture, créant une composition de plein et de vide. Une ambiance d’éclairage diffuse et particulière se génère, illuminant une partie de l’histoire qui fut condamnée à l’oubli sous l’ombre du danger. Le «toit de pierre» sert de filtre à la lumière et produit un éclairage régulier et bien réparti. Figé comme le temps, planant le monastère en lévitation, il est revêtu d’un matériau translucide qui capte l’eau et laisse transparaitre la silhouette du clocher mais aussi de la roche, qui hier constituait un danger mais aujourd’hui pleure ses dégâts. L’auvent est construit au-dessus des bâtiments fondamentaux afin de conserver le dialogue entre les façades et la paroi de la falaise.


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Mémoire de deuil Le travail de mémoire ou du moins le devoir de mémoire a toujours été lié au travail de deuil. La plupart des édifices commémoratifs viennent pleurer la mort ou la perte physique ou immatérielle. Le deuil peut être défini comme l’agonie, le chagrin et la grande tristesse que l’on ressent à la suite du décès d’une personne. Il s’agit sans aucun doute de l’un des événements les plus difficiles et les plus traumatisants pour l’Homme. Le deuil, qui est associé à la douleur, est également considéré comme une étape nécessaire de l’émancipation. Nous nous intéresserons par cela au travail de deuil qui est en premier lieu un travail d’oubli. Je cite par cela un proverbe malgache qui dit : « Les morts ne sont vraiment morts que lorsque les vivants les ont oubliés » . L’existence d’un individu n’est pas condamnée à la vie, elle se poursuit dans la mémoire des autres. L’oubli, ce rempart du néant absolu est ce qui éteint cette existence .Dénouer un à un les liens, les liens d’amour, mais aussi de haine, liés à des moments partagés qui nous reliaient à la personne perdue, c’est d’abord dénouer une mémoire. À première vue, le deuil apparaît comme un processus d’effacement destiné à libérer le survivant de l’agonie, souvent atroce, causée par la perte de la chose perdue. Cet acte d’oubli, en revanche, ne peut se faire qu’en tandem avec un travail de remémoration. Faire le deuil de quelqu’un, c’est rendre tolérable sa perte ou son absence, ce n’est pas l’oublier. L’individu est toujours présent, mais sous forme d’absence. Pour ce faire, elle doit être perdue pour être conservée, mais sa perte doit être acceptée pour qu’elle soit conservée. Par conséquent, son statut est paradoxal. Pour pouvoir accepter la perte, il faut accepter la période de deuil. Le chagrin s’atténue avec le temps, au fur et à mesure que la souffrance émotionnelle intense s’apaise et que l’individu endeuillé revient progressivement à la réalité et à ses obligations. La locution «faire son deuil» reflète un fort malaise face à cet état psychologique dans notre société : le verbe «faire» indique une responsabilité imposée à l’individu, un devoir d’établir son deuil. Il s’agit d’un processus dynamique, relevant pourtant d’un paradoxe. Le deuil est l’incarnation de l’impuissance : un événement authentique auquel nous nous heurtons et n’avons aucun contrôle dessus. Défaire son deuil, dans l’optique ou tout le travail de deuil consiste à s’engager dans la voie de l’impuissance, à accepter la perte.


Comme on l’a précédemment évoqué, le travail de deuil n’est pas relatif qu’à la mort, il est également lié à la perte, une expérience à laquelle nous sommes toujours confrontés. Tout être humain, au moment de la naissance, du sevrage, fait l’expérience angoissante de la séparation d’avec le premier objet chéri, la mère. Un peu plus tard, l’enfant pourra faire le deuil de la perte ou de la séparation d’un de ses jouets ; l’adolescent pourra le faire de son premier amour/rupture affective, et l’adulte pourra le faire de son premier licenciement, par exemple. En d’autres termes, la vie ne peut-elle pas être considérée comme une expérience continue de deuils plus ou moins importants ? D’un point de vue émotionnel, le deuil est comparable à la mélancolie en ce qu’il envahit l’individu d’une sensation de vide, de solitude, de chagrin et d’un sentiment de temps arrêté. Pour «avancer», il faut passer par un long (et souvent interminable) processus de réorientation de son affection vers un être vivant ou la vie en général. Pour la repositionner, mais pas pour la remplacer, car une créature est unique et irremplaçable. Alors comment vient l’architecture apaiser cette tristesse profonde ? Et en quoi les espaces tels les mémoriaux, mausolées et crématorium se retrouvent sont porteurs de mémoire et non pas que de corps ? Comment participent-ils à ce soulagement et à ce travail de mémoire ? Le trépas est une expérience bouleversante pour les proches, ce qui souligne l’importance d’un environnement favorable pendant cette période de développement psychologique. Ces lieux sont nécessaires pour que les gens puissent «dire adieu aux morts» et renouer avec le sens et le but de leur propre vie. La création d’un programme funéraire couvre des préoccupations qui vont au cœur de notre rapport à la mort, ainsi qu’à la vie, et auxquelles il n’existe pas de réponses conventionnelles. Les termes «être en deuil», «comme symbole du deuil», et même «porter le deuil» signifiaient montrer la situation spécifique de la personne en deuil. Il s’agirait d’afficher son chagrin en public en utilisant des indicateurs visibles. Avant d’étudier le caractère conventionnel ou commun de ces lieux de deuil, il est important d’évoquer l’aspect symbolique des rituels de deuils. La tenue en étant un caractère très répandu, l’endeuillé porte une tenue spécifique, de façon notoire il est reconnu afin de faciliter le pocessus. Le choix de couleur varie selon les nations , religions, cultures et civilisation ; si les occidentaux portent le noir , le blanc est la couleur du deuil dans diverses nations africaines, dont le Maroc ( il est communément porté par la veuve). Les rituels de deuil sont devenus tabous et ont été relégués dans le domaine privé. Cette invisibilité des signaux visibles qui identifient et distinguent une personne en deuil est doublée d’émotions d’abandon et de misère. Le deuil commence à être perçu comme une faiblesse, un apitoiement sur soi, une mauvaise habitude détestable, plutôt que comme une exigence psychologique. Les rituels aident l’homme à organiser et à manifester ses pensées et ses sentiments à travers le temps. Le temps et les traces sont nécessaires au deuil. Comme le dit si bien Jean de la Fontaine : « Sur les ailes du temps, la tristesse s’envole.» En effet, visite après visite, la douleur des proches du défunt commence à s’estomper. Entre le monde des vivants et celui des morts, une nouvelle relation se forge. Les familles endeuillées ont besoin d’un sentiment d’intimité, d’un havre de paix où la dépouille de leur proche peut être protégée. 117



Bien que les édifices funéraires se multiplient, les cimetières sont les lieux dont l’existence et l’influence sont plus prononcées et qui sont significatifs et cruciaux pour l’expérience létale. Ce sont, en effet, des lieux aussi significatifs que les foyers (maisons), leurs revers modernes, où le défunt «vit» après la vie terrestre, en ayant un espace personnel et privé qui lui est réservé. La tombe et le cimetière redonnent vie aux morts, en certifiant leur présence et appartenance dans un espace nourri de mémoire. La relation entre les tombes individuelles et collectives non marquées et le cimetière concerne la familiarisation de l’espace par le biais de pratiques culturelles adoptées - normes et mœurs concernant le comportement dans les cimetières, telles que l’allumage d’une bougie, la pose d’une pierre, la prière, le silence et la vénération. Ces rites dépendent du contexte culturel de chacun, et ne sont qu’une manière de faire le deuil et de pleurer ces défunts. Dans ces espaces nous nous confrontons à la perte, à la mort, mais surtout à soi. On ne pleure pas nos morts, mais plutôt nos vivants : nous larmoyons ces souvenirs partagés avec ces personnes perdus à l’heure où ils étaient présents. Dans le cas de la perte, la séparation en tant que rupture de contact - la personne décédée, celle qui ne répond plus - est une véritable amputation de soi, car la relation avec le disparu est une composante intrinsèque de sa propre identité. La perte de l’autre est, d’une certaine manière, la perte de soi, et en tant que telle, elle est une étape nécessaire pour « avancer «. Le deuil est l’étape suivante. Ces lieux, sont les supports matérialisés qui nous aide à nous ouvrir sur soi. Nous avons besoin de sentir cette présence ou de rationnaliser l’existence afin de plonger dans ce travail de deuil. Au terme de l’intériorisation de l’objet d’amour éternellement perdu, la réconciliation avec la perte émerge, ce qui est précisément ce qu’implique le processus de deuil. Ne pouvons-nous pas voir, à l’horizon du deuil de cet autre, le deuil qui accompagnera notre propre mort imminente ? L’attente du deuil de nos proches sur nous, qui avons disparu, pourrait nous aider à accueillir notre mort éventuelle comme une perte avec laquelle nous nous efforçons de nous réconcilier par avance sur ce chemin d’intériorisation redoublée.

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Le cimetière n’est donc pas seulement un endroit où nous enterrons les corps de ceux qui sont passés à la poussière. Ensevelir est un acte. L’enterrement n’est pas ponctuel et figé dans le temps, il n’est pas limité au geste d’ensevelissement ; son parcours est celui de la douleur elle-même, qui convertit en une présence intérieure, l’absence physique du défunt à l’absence physique de la chose perdue. En conséquence, la sépulture en tant que lieu tangible devient une trace durable de tristesse, un aide-mémoire du geste de l’enterrement. Ces corps, inhumés, ne font pas objet que de mémoire individuelle qu’on a partagé avec eux . Ils font parfois même partie de la mémoire sociale, on citerait les tombes des martyrs ou des célébrités comme on peut trouver dans le cimetière de Montparnasse à Paris, ou encore le Mausolée Mohammed V à Rabat. Certes, les cimetières ne sont pas les seuls lieux témoins d’une mémoire funéraire, on parle aussi des non-lieux de mémoire ou des lieux d’oublis comme des lieux témoins d’une mémoire mortuaire individuelle ou collective mais qui ne sont généralement pas marqués ou commémorés. On peut en citer les catacombes, les lieux de guerre, les traces d’effondrement … Parce qu’ils semblent s’inscrire dans une forme d’oubli (et donc d’un type d’identité), il nous semble maintenant opportun d’étudier plusieurs zones que l’on peut qualifier d’abandonnées, de négligées ou d’indéfinies sans pour autant être des espaces stériles, des terrains vagues ou de guerre. Nous approcherons pour mieux éclaircir ce point l’exemple du cimetière de la Grande Terreur, plutôt connu sous le nom du Cimetière de Picpus, à Paris. Ce dernier porte une signification particulière dans l’histoire française, bien que méconnu, ce monument est ignoré en tant que tel par la grande majorité. Il est passé d’un non-lieu, une fosse de sépulture d’une centaine de corps guillotinés à un lieu de mémoire accueillant un pèlerinage annuel. Ces trous creusés au fond du jardin en 1794, portaient en eux les corps de 1300 victimes condamnés à mort de toutes les couches sociales . Le sang des victimes se putréfiait, dégageant des odeurs fétides. Ce point encré dans un paysage, qui cache sous sa terre l’histoire et la mémoire de plusieurs oubliés par le temps, terrifie les passants. L’habitude et le commun a toujours fait que la commémoration des morts et liées au morts glorieuses, héroïques, qui se sont sacrifiés pour des actions exemplaires. Et la Terreur ? Quelles leçons édifiantes peut-on tirer de l’ignominie d’être porté à la guillotine, de la mise à mort de personnes qui n’étaient, après tout, que des victimes ? Dans une société postrévolutionnaire, il y a lieu à un espace pour commémorer un mauvais événement terrible, une histoire douloureuse qui suscite le débat et la peur plutôt que la gloire. Après avoir été acheté par la famille d’une des victimes bourgeoises, ce lieu devint un cimetière privé, un lieu de mémoire privilégié. Ce cimetière de punis, qui était la connotation de peur et d’horreur, se voit transformer en une fontaine de pureté et de vertu. Bien que ces corps ont été décomposés et ne représentent actuellement que des traces dans l’histoire, les récits de la commémoration rituelle continue. Aujourd’hui , ce mémorial, si j’ose le qualifier ainsi, se compose d’une chapelle avec des plaques de marbre massif où sont inscrits les noms des victimes qui y sont enterrées, d’un grand jardin, du cimetière lui-même et, enfin, de l’emplacement des fosses communes d’origine, qui est visible mais ne peut être visité. Ainsi , ces lieux d’oubli , résultat d’une envie de faire disparaître les preuves de la violence révolutionnaire de l’environnement , symbolise un désire plus large et largement accepté, celui de combler la fosse de la Terreur par une mémoire de ces victimes , qui ne cherche pas la compassion mais plutôt la remémoration et l’acceptation de l’histoire.

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Lieu, et interpretation mémorielle


Contrairement aux animaux, l’homme a été contraint de fournir un lieu pour ses morts depuis la nuit des temps. Il a fait de l’endroit où repose le défunt un lieu de mémoire et de souvenir en le matérialisant. Il lui est indispensable de commémorer la présence de son défunt, que ce soit sous la forme d’une tombe, d’une stèle ou d’un simple monument. C’est aussi un indicateur indéniable pour tous ceux qui recherchent les origines de l’homme : lorsqu’ils trouvent des vestiges d’une sépulture, ils savent que l’Homme est passé par là...C’est une marque de présence temporelle. Cette intention d’inscription physique dans le temps et l’espace permet à l’homme d’indiquer l’existence d’une absence (son défunt) et favorise le rappel par l’inscription symbolique intégrée. Pour s’exprimer en matérialisant ses pensées, ses souvenirs, ses désirs, l’homme doit marquer l’espace en laissant des traces. Il transforme un espace en lieu en laissant une trace physique ou mentale dans ce dernier. Le lieu peut se procurer son statut particulier également à travers la transformation morale qu’un événement unique peut lui rapporter. Le lieu est une zone définie de l’espace qui englobe l’essence de l’architecture. Il se distingue de l’espace en ce qu’il est unique, déterminant l’un de ses éléments constitutifs en lui associant un sentiment de connexion. Dans le sujet du lieu, l’individu est crucial ; il n’y a pas de lieu sans individu. Le lieu est donc un espace auquel ont contribué des considérations personnelles et/ou collectives, et est susceptible d’être reconnu parce qu’il est désigné. Par cela nous pouvons dire que l’espace est moins défini que le lieu. Cependant, lorsque nous considérons l’espace comme une sphère, nous pouvons le classer par sa forme : un espace cylindrique, carré. L’espace peut être défini, mais pas par sa signification. La question de la signification du lieu lui est liée. Il a une signification objective puisqu’on lui attribue un usage, une fonction. Un site est (a priori) un lieu qui a une signification mais qui n’est pas lié à une fonction. Cependant, il n’est pas nécessaire d’avoir un site pour parler de lieux.

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Le lieu, dans sa notion exemplaire, est intemporel, change avec le temps , mais ne perd pas sa valeur significative. Plusieurs sont ceux qui ont contribué à la classification des lieux comme des notions liés à l’activité et au sens qu’ils apportent. Bonnemaison , parle des lieux du cœur , en soulignant le rapport d’appartenance qui lie à ces lieux . Ils les caractérisent comme « une grandeur indéfinissable des commencement », ces lieux sont généralement porteurs d’une mémoire profonde, une mémoire unique. La maison où on a passé notre enfance, les lieux qui ont témoigné de nos premières amitiés, notre premier baiser, notre premier voyage solo... Ces lieux font acte de souvenir profond, de sentiment d’attachement et d’appartenance. Généralement liées aux débuts, ils font allusion d’un passé autant lointain qu’il devient mythique. Ces lieux font le plus souvent office du caractère personnel de cette mémoire, ils sont très souvent nostalgiques et très chers aux yeux de chacun. Ces lieux, ne sont pas toujours des lieux positifs ou de joie et réminiscence, mais ils peuvent tendre à d’autres émotions. Bédart catégorise ces lieux entre lieux positifs, lieux négatifs et de négation.


Cette typologie, bien que qualificative, est intrigante car elle nous permet de comparer et de contraster les lieux. Dans une démarche de comparaison, sans le vouloir , nous associons une connotation qui pousse à rendre certains lieux moins essentiels, moins pertinents, moins perceptibles que d’autres, sans le vouloir. Ces nombreux lieux, en revanche, sont tous significatifs, ou tout au moins, ils sont tous porteurs de signification. Or, qu’il soit positif, négatif ou autre, le lieu est un refuge de sens, qui se construit à travers l’expérience. Dans notre cas d’étude, auquel nous nous attarderons dans le prochain volet, la mine ainsi que les ruines industrielles sont relatifs à la peur et à la terreur . Pour leur passé sombre, torturant et mortel, ces lieux peuvent être qualifié en tant que lieux de négation. Néanmoins, ils sont aussi synonyme pour les personnes qui se les sont appropriés à une époque, et qui ont partagé une expérience dans ces lieux, de lieux de mémoires ou lieux de cœur car ils ont façonné toute une période de vie de ces hommes . Même dans son état de latence, ce lieu se confirme comme un lieu entre-deux, entre la mémoire de ces hommes, et le destin qu’est l’oubli . Certeau l’affirme ainsi (1990) : « L’espace est un lieu pratiqué », pour lui l’espace n’est pas seulement une structure statique, mais un lieu que l’on expérimente et qui est transformé par la pratique du marcheur et par l’interprétation mémorielle qu’on lui porte . En d’autres termes, si nous n’avons rien à partager avec ces espaces, nous ne nous les approprions pas ou ne nous y connectons pas. Même s’ils se trouvent dans le paysage urbain et même s’ils sont dotés d’une signification, si cette dernière nous échappe, il nous est difficile de nous y intéresser. Les terrains vagues en sont un excellent exemple ; ils sont souvent associés à une connotation négative (souvent considérés comme sans valeur, peu attrayants, voire ennuyeux), et pourtant nous n’y restons pas. A une autre échelle, ces zones ont beaucoup à voir avec la négation si l’on peut les qualifier de «négatives». En effet, nous pouvons concevoir le «lieu de la négation» comme un lieu d’amnésie, d’effacement, de rejet et de retrait si nous considérons le «lieu négatif» comme un lieu dont la signification et le symbolisme sont liés à une mémoire qui cherche l’oubli. Pour appréhender ces lieux, nous devons nous y identifier, partager un instant, un moment ou même une pensée. Ces qualifications des lieux, ne relèvent pourtant pas d’un savoir biblique. Ils nous servent de support qualificatif des lieux et de leur connotation, mais ne reflètent en aucun cas la réalité générale. Car tout lieu représente une valeur certaine pour chaque individu, les lieux que j’affectionne et qui me rappellent de beaux souvenirs, peuvent être synonyme de malheur ou même dépourvu de sens. Le terme «lieu» fait ici référence à un endroit physique où les individus peuvent se rendre pour méditer ou pour faire face à leur mémoire et expérience. Le lieu peut également être mental : lorsque nous fermons les yeux, nous pouvons nous abstraire de la réalité qui nous entoure en nous projetant visuellement dans différents endroits.

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Salut à tous les anciens de Jerada. Dans la vie de chacun de nous, il arrive un moment pour nous arrêter, seul dans le silence, et nous replonger dans notre passé en essayant de revivre, comme dans un rêve, le déroulement infini du film de nos souvenirs. En rêvant et en lisant dans notre mémoire profonde les événements étonnants de ce passé, alors jaillissent les souvenirs ; souvenirs si lointains évoquant en nous la nostalgie de notre passé avec ses moments de bonheur et parfois de douleur. Alors soudain je me réveille, je quitte mon rêve et je me rends compte que le temps de la vie passe très vite. Mais les souvenirs restent gravés dans notre mémoire ; cachés au fond de notre âme, ils marquent notre vie à jamais … [...] Souvenirs pêle-mêle Hommage: Tout d’abord je dois rendre hommage à madame Corbi. Elle était vraiment une très bonne maîtresse. Elle travaillait avec ardeur, toujours présente. On avait une bonne relation avec elle, malgré sa sévérité. Sévérité due à son souci de bien faire son devoir et de nous transmettre beaucoup de connaissances. Merci maîtresse pour tous tes efforts et pour ces merveilleux moments de cours. Les coups de sirène: Le matin de bonne heure j’étais tiré de mon sommeil par les coups de la sirène qui sonnait cinq heures. Mon père occupait le premier poste à la mine (5h-14h), il était déjà parti au travail à mon réveil. La veille il avait préparé son casse-croûte et une bouteille thermos remplie de thé. Je restais au chaud, me retournant dans mes draps jusqu’aux coups de sirène annonçant six heures, heure à laquelle j’étais obligé de me lever pour me préparer et aller à l’école avant les coups de sept heures. Madame Corbi nous attendait pour le cours du matin. A Jerada, nous n’avions pas besoin de montre pour savoir l’heure. Les coups de sirène se succédaient de 5 heures du matin jusqu’à 10 heures du soir. La sirène des CNA faisait partie de notre rythme quotidien. Elle nous accompagnait partout. Notre emploi du temps était lié aux coups de sirène .Existe-t-elle encore cette sirène ? ou fait-elle seulement partie de notre passé ..?

Abdelwahab Filali - Ancien de Jerada


Mémoire des lieux Mémoire Ouvrière

Les monuments publics ont traditionnellement célébré des événements de l’histoire humaine - des actes d’héroïsme importants pour la communauté humaine. De plus en plus, à mesure que nous comprenons notre dépendance à l’égard de la nature, le concept de communauté s’élargit pour inclure des éléments non humains. Les monuments civiques devraient donc honorer et célébrer la vie et les actes de l’ensemble de la communauté, l’écosystème humain, y compris les phénomènes naturels. Surtout au sein de la ville, les monuments publics devraient retrouver et revitaliser l’histoire de l’environnement naturel à cet endroit. Comme dans les monuments de guerre, cet enregistrement de la vie et de la mort des soldats, la vie et la mort de phénomènes naturels tels que les rivières, les sources et les affleurements naturels doivent être rappelés. Pour ce qui est de l’industrie, ces éléments non humains se manifestent dans le paysage. Contrairement aux « paysages patrimoniaux « formels, le rôle des paysages industriels non gérés et « quotidiens » dans la perpétuation des souvenirs sociaux et la réitération de certaines conceptualisations du lieu a été relativement négligé dans la littérature des études paysagères. Les vestiges industriels dans le paysage agissent comme des incitations à la remémoration de souvenirs personnels et sociaux liés au lieu. Ce caractère social est dû à une influence mutuelle entre l’utilisateur et l’espace, comme le qualifie Maurice Halbwachs : « lorsqu’un groupe est inséré dans une partie de l’espace, il la transforme à son image, mais en même temps il se plie et s’adapte à des choses matérielles qui lui résistent. Il s’enferme dans le cadre qu’il a construit. L’image du milieu extérieur et des rapports stables qu’il entretient avec lui passe au premier plan de l’idée qu’il se fait de lui-même » Ce faisant, il étend également certains des enseignements tirés des études centrées sur les villes qui ont exploré la capacité affective des ruines industrielles à faire remonter dans le présent les souvenirs de personnes et de lieux passés.

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Esprit du lieu - Amine -Houari


Genius loci L’esprit du lieu ou le «Genius loci» ne se définit pas de manière simpliste. Il est traduit comme étant l’ensemble des facteurs déterminant la nature et le caractère propres au lieu, notamment son histoire, les traces laissées par les pratiques et les croyances de ses occupants successifs, les activités qui s’y sont déroulées et celles qui s’y tiennent toujours . Par ailleurs, si l’esprit émane du lieu lui-même, tous ne le perçoivent pas de la même manière. En effet, chacun le perçoit et l’interprète à partir de ce qu’il est intrinsèquement. De ce qu’il vit et de ce qu’il a vécu . De ce qu’il était et ce qu’il sera . De ce qu’il a partagé avec et autour de cet espace. Nous nous approprions pas le lieu, ni son esprit , nous fondons avec ce qu’on a pu y partager comme etape de conscience de notre prise existentielle .

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Les vestiges du passé minier ont été incorporés dans les expériences quotidiennes des habitants, du paysage et, en tant que tels, jouent un rôle important dans la compréhension du lieu et de la temporalité. Le site minier dont le paysage est marqué par la diversité de ses friches à savoir les terrils, les bâtiments, les chevalements, se présente aujourd’hui avec l’ensemble de ses installations et infrastructures, comme de profondes cicatrices dans le tissu urbain, un préjudice visuel qu’il s’agit impérativement de consolider. Le paysage d’une région compose inéluctablement avec ses éléments économiques, culturels, sociaux... Bien que les paysages miniers soient différents, d’un pays à un autre, d’une région à une autre et aussi d’une industrie à une autre, on peut distinguer un modèle convergeant dominant. Ce prototype urbain peut être résumé comme suit dans un développement de l’industrie en dehors des centre urbains préexistants, ou même la transformation de la ruralité en urbain voué à l’exploitation minière. Le modèle français, qui a influencé en grande partie la disposition urbaine des terrains miniers marocains se développait en un espace industriel associant sièges d’extraction aux équipements de service industriel complémentaires (lavoir, douches...) et aux infrastructures de transport, avec un habitat ouvrier à proximité. Au fil des années se constituent des terrils, des grandes montagnes noirs construites par l’accumulation de résidu minier, relevant un caractère, qualifié jadis d’effrayant, et qui se retrouve maintenant un marqueur identitaire incontournable du paysage minier. La réalité minière a traversé le territoire régional en léguant un paysage nouveau composé d’un très grand nombre de signes tangibles tout autant que d’une considérable mémoire humaine. Mais, la réalité paysagère du bassin minier s’est vite retrouvée soumise à une perspective «d’effacement» puisque déjà ses attributs initiaux, liés directement à l’extraction du minerai, ont disparu pour ne laisser perdurer que des formes urbaines et rurales générées par cette activité minière. Ainsi, de sa superficie qui est assez importante et de par sa valeur historique, identitaire et mémorielle, le site minier avec ses différentes composantes, se voit aujourd’hui devant la nécessité de se requalifier et viser à changer positivement la perception négative qu’il inspire ; de par son délaissement, le site se trouve conditionné par des préjugés négatifs qui influencent la sensibilité de l’observateur véhiculant un sentiment d’insécurité et d’échec urbain. Bien que le paysage minier ait connu plusieurs critiques des personnes tierces, insensibles à la mémoire du lieu, ces attributs paysagers condamnés à la disparition sont présents sous une forme évolutive et témoignent d’une histoire du même caractère.


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Appropriation du Terril de la part des locaux


Terril de Jerada -Communément appelé «Remblai»

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Détails du chevalement de mine - Puit 2


Ces vestiges forment une toile de fond anodine dans la vie quotidienne des résidents, mais apparaissent comme d’importants transmetteurs de sens à travers l’évocation de souvenirs sociaux et personnels. L’objectif est ici d’explorer le rôle du paysage dans les processus de mémoire du passé,plutôt que de critiquer les constructions locales d’identités liées à l’exploitation minière. Les souvenirs de l’exploitation minière, avec les dangers et les difficultés qui y sont associés, rappellent une vie rurale qui est clairement dure et difficile. Bien que l’industrie minière ait disparu dans la plupart des pays depuis un certain temps, la présence de cet aspect du passé est ancrée dans les histoires orales, les mythes sociaux, les archives et le paysage en lui-même. Quelques histoires ont même leur trace dans le présent de toute personne. En effet, le repos hebdomadaire par exemple, une évidence de nos jours dans le code de travail, est une conséquence d’une catastrophe minière produite en début du 20eme siècle. La catastrophe de Courrières, qui tire son nom du site minier de Courrières, est un évènement tragique occurré en mars 1906 versant le sang de 1099 personnes. Il est considéré comme la catastrophe minière la plus importante après celle de Benxi. Une explosion a eu lieu suite à un coup de poussier entrainant la condamnation d’une partie de la mine, qui a enterré avec elle les ouvriers, recrachant que 14 vivants retrouvés après plus de 3 semaines. Une grève a eu lieu 3 jours après la catastrophe, polémique sur la gestion des secours, avec une foule de 15 000 personnes huant le directeur de la compagnie lors des obsèques des premières victimes. Le lendemain, obligés à retravailler, les mineurs refusent de redescendre au fond. Cette grève s’étend depuis les puits avoisinants sur tous les bassins miniers français, et jusque dans le Borinage en Belgique. A caractère unanime, les grévistes défendent leurs principes face aux non-grévistes et syndicats. Ceci entraîne le ministère d’Intérieur à mobiliser les gendarmes en surnombre ainsi que des renforts militaires ; plusieurs arrestations ont eu lieu. La grève se durcit après la découverte tardive des rescapés, et les mineurs horripilent, les poussant à tuer un officier de l’armée. Entre colère et deuil, la volonté et l’unanimité des mineurs porte ses fruits. Le patronat concède à des augmentations salariales, ainsi que l’établissement du repos hebdomadaire. Les archives d’Ina retracent cette misère à travers des témoignages et interviews. Interviewant le dernier des rescapés, âgé aujourd’hui de 95 ans, il perpétue cette histoire : « Ah oui, je l’ai connue je connaissais tout. Vous savez, la catastrophe de Courrières est due…, l’explosion, cependant ce n’était pas grisouteux ici à Courrières. Mais l’explosion est due à un feu qui dormait, à des vieux bois. Les ingénieurs alors ont décidé de bloquer toute cette partie-là pour éteindre le feu par blocage, mais ça n’a pas réussi. » Il ajoute après avoir été interrogé sur le métier de mineur : « Un beau métier, hein, vous savez il est tellement beau qu’il n’y a plus personne qui veut y aller ». Bien que les traces humaines qui pourront servir à prolonger l’histoire commence à disparaitre , La catastrophe de «Courrières» fait l’objet de nombreux colloques, commémorations et de diverses manifestations mémorielles. Elle est survenue 4 ans après le roman Germinal d’Emile Zola, qui retrace un fait semblable celui de la grande grève des mineurs d’Azin, qui a eu lieu en 1884 au Nord-Pas-de-Calais. Ce roman marie entre un aspect documentaire et un aspect tragique, exprimant à la fois l’histoire sociale mais aussi l’histoire personnelle des mineurs d’Anzin.

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Les tragédies liés à la mines sont multiples, bien que beaucoup datent d’avant le 20eme siècle, ce traumatisme est toujours légué à travers les histoires orales. Ces mémoires des évènements se fanent dans des histoires sociales. Cependant, en 2010, une catastrophe minière est devenu une cause internationale, le monde entier regardais, un moment comparable au premier alunissage. 33 mineurs se sont trouvés piégés sous terre et ont dû attendre 69 jours avant d’être sauvés. Un événement cataclysmique qui a marqué non pas que la mémoire chilienne, mais la mémoire humaine. « Los 33 » un film américano-chilien qui nous plonge dans une histoire de résilience, de transformation personnelle et de triomphe de l’esprit humain. Le film nous emmène dans les profondeurs les plus sombres de la Terre, révélant la psyché des hommes piégés dans la mine et illustrant le courage des mineurs et de leurs familles qui ont refusé de donner en haut. Durant les 69 jours, les 33 hommes doivent se survivre avec des rations de nourriture et d’eau estimée pour 3 jours. Le scénario retrace cette catastrophe minière, mais tente de souligner les sentiments éprouvé par chacun, entre désespoir et espoir de vivre, entre peines et joies, bagarres et solidarités. Ces processus fonctionnent parallèlement à la présence physique des vestiges miniers qui servent de rappels perpétuels des activités passées et qui peuvent raviver les souvenirs en agissant comme des points de référence pour l’imagination. Ces supports médias cherchent à communiquer ces parties de l’histoire minière dans le but de faire comprendre les interconnexions entre le lieu, la mémoire, la temporalité et l’identité ainsi que perdurer l’histoire de ces sites. Nul ne nie que les perceptions que nous avons du passé sont inévitablement affectées par les représentations formelles des cours d’histoire à l’école, des visites de musées, des documentaires télévisés et autres. Notre mémoire, qu’elle soit sociale ou personnelle, sera donc colorée par ces expériences. Les distinctions entre histoire formelle et mémoire informelle s’estompent également lorsque l’on considère la manière dont les sites du patrimoine contemporain tentent de plus en plus d’inclure les souvenirs et les voix de ceux qui sont liés aux événements en question. Cette mémoire peut être même façonnée et maquillée afin de susciter plus d’émotions et donner un meilleur rendu médiatique. Ce fut par exemple le cas pour les deux histoires précédemment cités (Germinal et los 33).


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Los 33

Germinal


L’analyse de ces supports médiatiques mnémoniques nous pousse à la distinction entre deux types de mémoires : La mémoire personnelle et la mémoire sociale. Deux notions limitrophes qui se complètent sur plusieurs aspects. Les souvenirs évoqués peuvent concerner des moments spécifiques et discrets, mais aussi des personnes et des lieux de manière plus générale. La mémoire sociale est le concept plus insaisissable de la mémoire de groupe. Comme le définit Geoffrey Cobitt, la mémoire personnelle est le rappel d’événements, d’expériences et de situations survenus au cours de la vie d’une personne. Elle se distingue par le fait qu’elle implique ‘’le sentiment’’d’être personnellement impliqué dans les expériences dont on se souvient. Cette notion individuelle de la mémoire a toujours été communiquée comme étant relative à la peine et au drame, surtout avec la mémoire minière. Quoi que, ce constat n’est pas toujours vrai. Micheal Ruth, rend hommage à son père, mais aussi à tous les mineurs qui ont risqué leurs vies chaque jour pour leurs familles, en retraçant les peines et joies qu’ils ont vécus et éprouvés durant leur service et au cours de leurs vies. « Memory of miner » tel est le titre de cet ouvrage visant à préserver un pan précieux de l’histoire des Appalaches du Sud. «Mémoire d’un mineur» relate la joie et la tristesse, le succès et l’échec, les difficultés et la générosité de ce mineur (le père de Micheal) à une échelle intime. Il s’agit d’une visite dans la vie d’un homme plein de courage, de force et d’esprit qui ne connaissait qu’une seule façon de vivre au fond et à fond. Même s’il s’agit de l’enregistrement de l’expérience d’un mineur, il documente véritablement la vie et l’époque de tous les mineurs de l’époque. En outre, la chronique préserve l’intégrité historique de l’époque en associant les faits enregistrés aux récits de première main d’un mineur en plein cœur de l’action. Ce récit ne s’attarde pas que sur une mémoire personnelle du mineur mais documente aussi la catastrophe d’ «Harlan la sanglante ». Les mineurs étaient tombés dans une embuscade tendue par des voyous armés - la «sale loi» engagée par les propriétaires/ exploitants de charbon de l’époque pour armer les mineurs et les empêcher de se syndiquer. L’endroit était un champ de bataille... et le vieux mineur était au cœur de l’action. Et à cause de ce qu’il découvre bientôt, il décrit ce jour comme le plus triste de sa vie. Cet évènement qui a eu lieu dans un matin brumeux en Avril de 1941, a acquis sa réputation de champ de bataille pour certains des conflits les plus insidieux sur les droits des travailleurs que ce pays ait jamais connus. Il le décrit ainsi : «Nous étions juste en train de nous amuser, de parler de la façon dont nous allions mettre en place notre piquet de grève. Tout à coup, j’ai cru qu’on était en guerre ! Les balles volaient tout autour de nous. Les mineurs criaient de se mettre à l’abri et se sont mis à courir...» Mais malgré les guerres du charbon dans le pays et la guerre mondiale à l’étranger, les moments de plaisir partagés et les amitiés nouées font de cette période la plus précieuse de la vie pour la plupart de ceux qui l’ont vécue.

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Cette joie de vivre et cet optimisme est alors le cas de plusieurs des mineurs du monde. Dans un blog des anciens de Jerada, Denis Delforn, cherche à faire redécouvrir Jerada à ceux qui ne l’ont pas connue, et à susciter la nostalgie chez les nombreuses communautés qui ont marqué et été attiré par cette ville minière au fil des décennies. Enfant de deux fonctionnaires à Jerada, un père ingénieur à l’atelier électrique et une mère institutrice dans l’école de la ville. Denis raconte son enfance, décrit ses souvenirs en les imageant dans des photos d’archives des lieux, des photos familiales ainsi que des anecdotes émanant de ses souvenirs personnels. Des années plus tard, il revient sur Jerada, afin de revivre ses souvenirs. La capacité affective du paysage à évoquer de tels souvenirs le révèle comme un acteur actif dans le processus de mémoire. Il documente alors les évolutions du paysage et les différentes habitations entre 2008 et 2011 comme traces physiques de l’histoire de Jerada. Les rencontres avec le paysage ne consistent pas en un regard entre le sujet et l’objet, mais en un entrelacement de soi et du paysage, de la présence et de l’absence. Le passé est donc présent à travers le souvenir avec le paysage. François Moya, Daniel Alberola, Daniel Hermann, et bien d’autres anciens de Jerada, ont aussi contribués à l’élaboration de ce blog à travers leurs mémoires et histoires individuelles. Un ancien mineur s’exprime : « Dans la vie de chacun de nous, il arrive un moment pour nous arrêter, seul dans le silence, et nous replonger dans notre passé en essayant de revivre, comme dans un rêve, le déroulement infini du film de nos souvenirs. En rêvant et en lisant dans notre mémoire profonde les événements étonnants de ce passé, alors jaillissent les souvenirs ; souvenirs si lointains évoquant en nous la nostalgie de notre passé avec ses moments de bonheur et parfois de douleur. Alors soudain je me réveille, je quitte mon rêve et je me rends compte que le temps de la vie passe très vite. Mais les souvenirs restent gravés dans notre mémoire ; cachés au fond de notre âme, ils marquent notre vie à jamais … » . Retraçant leurs quotidien, l’histoire qui attire l’attention sur le processus plutôt que sur la permanence peut (...) nous aider à être mieux préparés aux changements futurs.


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Site d’étude: Puits 2- Hassi Blal Rte Guefait .


Jerada entre Hier et Aujourd’hui Certains écrits nient l’existence de Jerada avant la 3ème décennie de ce siècle. Des sociologues tels que TROSTRAM PAUL PASCON et ROBERT MONTAGNY indiquent que Jerada fût crée du néant par la France. Cependant ces indications et écrits furent l’œuvre de propagandes coloniales, car la région de Jerada était un espace géographique intense qui obéissait à un pouvoir tribal. Elle était une région montagneuse avec une forêt dense composée essentiellement de chênes. Elle se caractérisait par son aspect saharien. Communément appelée « FADDANE J’MMEL», fréquenteé surtout par les bergers des tribus nomades avoisinantes : Bni yaâla, Zkara, Ouled Sidi Ali Bouchnafa, Bni Guil, Bni Mathar...etc qui s’abritaient sous des tentes de laine ou d’alfa. Les principales causes qui ont empêché la stabilité des tribus à Jerada sont comme suit :

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Précarité du climat, pauvreté et fragilité du sol; Nature du relief étant défavorable à l’agriculture et à une vie casanière; Manque de ressources hydrauliques; Présence de Jerada hors des axes commerciaux.

En Janvier 1927 et à la suite d’une étude géologique de la région réalisée par la Société anonyme d’Ougree marihaye, le géologue belge a découvert le bassin houiller de Jerada. Ainsi l’exploitation du gisement a commencé après l’achèvement du puit d’extraction en 1936. En activité depuis 1927, il employait « 5 700 personnes, dont environ 75 ingénieurs », à la fin des années 90, racontait le dernier Administrateur-délégué de la Mine de Jerada - Charbonnages du Maroc - M. Amar Drissi. Cette mine a été l’unique source de production d’énergie électrique du pays, (jusqu’à sa fermeture définitive en 2001).

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Le bassin houiller de Jerada, au Sud-Est d’Oujda, est fermé en 2001. L’Etat a amorcé la reconversion de cette ville, en consacrant Jerada comme capitale d’une nouvelle province qui regroupe des petites villes minières aussi à l’abandon (Boubeker, Touissit...). Depuis la fermeture, le nombre d’habitants est passé de 60.000 à moins de 45.000. Mais ceci n’a pas pu freiner les ambitions des Jeradiens qui , depuis décembre 2017, ont fait de Jerada un théâtre de manifestations et de multiples démonstrations de rue contre la marginalisation de la ville et de sa région et les inégalités sociales dans le pays . Houcine, Jedaoune (morts dans une mine clandestine ) et leur frère survivant, Abderrazak, 22 ans ont été les declancheurs d’une grève «revolutionaire» à l’égard du silence des citoyens mais assez timide pour succiter un changement. Ces martyrs de liberté, sont deux des milliers de chômeurs à Jerada qui sont contraints chaque jour par la pauvreté et le manque d’emplois les menants à risquer leur vie contre une bouchée de pain . «Mines de rien» cette terre ne pu nourrir ses citoyens que du fruit defendu , la houille ,ayant laissé des séquelles chez les mineurs : La silicose. Maladie pulmonaire provoquée par l’inhalation de fines poussières de charbon, qui extenua une grande partie des anciens minieurs. Ici, les vies ne coutent pas plus que le prix dun sac de ce minerai. La ville agonise, la situation economique n’est pas suffisante pour la faire vivre . Certains officiels qui y débarquèrent furent surpris de l’absence de ville au sens conventionnel. Pour eux, ce gros bourg qui ne se justifiait que par son activité minière, devait désormais disparaître. Cette condamnation sans appel effaçerait avec elle toute l’histoire, la mémoire et l’identité des travailleurs qui sont venus s’y installer au cours des décennies.


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Jerada vu depuis Jbel Lazrag- Rte Aïn Tissourine


Jerada vu depuis Jbel Lazrag- Rte Aïn Tissourine

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Jerada est le seul gisement d’anthracite d’Afrique du Nord, ainsi que l’unique bassin houiller du Maroc. Le gisement d’anthracite de Jerada, situé à environ 60 kilomètres au sud-ouest d’Oujda, mesure 25 kilomètres de long et 4 kilomètres de large. Les réserves géologiques devraient être de l’ordre de 60 millions de tonnes. Malgré la faible résistance des différentes strates, elles constituent une base stable pour l’exploitation (35 à 80 centimètres). C’est ainsi que la Compagnie chérifienne des charbonnages de Jerada a rapidement découvert la ressource en 1927. Celle-ci réunit la firme Ougrée-Marihaye, dont les géologues avaient découvert le gisement, et la B.R.P.M. (Bureau de Recherches et de Participations Minières) institution d’Etat fondée à cet effet par M. Erik Labonne, alors secrétaire général du protectorat. Après la Seconde Guerre mondiale, la C.A.A. est remplacée par la S.C.C.J. Après l’indépendance, l’État marocain rachète la part de l’État français, portant sa participation à environ 48 %. Un nouvel ajustement de la structure du capital en 1964 porte la participation de l’État marocain à 54,22 %. Enfin, en novembre 1972, les actions belges sont rachetées par l’État, qui devient propriétaire de 98 % des actions de la société.


On peut distinguer quatre phases dans I’évolution de la mine de Jerada : - une phase de développement jusqu’en 1953: année où l’extraction a atteint 534.000 tonnes. Cette phase est marquée par une demande importante à l’exportation et par le developpement des activités industrielles à l’interieur du pays. - une phase de stabilisation de 1950 à 1970, provoquée par la mise en route des usine hydro-électriques et accentuée par la crise charbonnière mondiale. - une phase de décollage et de développement à partir de 1971, en raison des demandes plus accrues sur le plan local et la mise en route de la centrale thermique de Jerada. - et la phase de declin en 1998 avec l’annonce de la fermeture de la mine . Si nous devons aux ouvriers français le fait de sauver la France de la crise charbonnière post guerre mondiale, nous devons rendre hommage aussi aux heros des mines qui étaient colonisés par les français , à savoir celle de Jerada. La production ainsi que l’export du charbon marocain vers le territoire français a également participé à la liberation de la France des conséquences de la guerre. L’évolution de la production a été croissante jusqu’aux années 80 malgré une légere baisse enregistrée pendant la seconde guerre mondiale: -

1931 : 83O tonnes 1932: 15.000 tonnes 1940: 143.00 tonnes 1950: 366.000 tonnes 1960: 414.000 tonnes I970 : 433.000 tonnes 1974 : 546.000 tonnes 1978 : 720.000 tonnes 153


A l’origine, la production de charbon était essentiellement destinée à l’exportation. Ces exportations ont été possibles en raison de la qualité de l’anthracite de Jerada et de la conjoncture internationale durant la seconde guerre mondiale et durant la période de l’après guerre. Le charbon était commercialisé alors en France, Belgique, Espagne, Italie, Algérie, Tunisie…. Actuellement l’export ne représente plus la même importance. Cependant, grâce à une conjoncture favorisée par la crise de l’énergie qui a commencé en fin du siècle dernier, de nouveaux clients se sont présentés : la Grande Bretagne, et la Hollande. Les principaux clients de Jerada sont : Les centrales thermiques de l’O.N.E La centrale thermique les Roches Noires à Casablanca La centrale thermique de Jérada : cette importante centrale fournit le tiers de la consommation du Maroc en énergie électrique. En 1978, à elle seule, la centrale a consommé plus de 70% de la production de la mine La centrale d’Oujda Les cimenteries qui utilisent le charbon comme combustibles Les sucreries Les charbons domestiques


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La centrale de Jerada est une centrale électrique au charbon de 515 mégawatts (MW) située dans la province de Jerada, au Maroc. Une expansion supplémentaire de 350 MW a été annoncée en 2019. Une expansion proposée de 350 MW prévue pour 2025 a été présumée annulée par l’annonce de « No New Coal» du Maroc en 2021. Trois unités sous-critiques de 55 MW composaient la centrale originale de Jerada. Les deux premières unités ont été mises en service en 1971, suivies des deux dernières en 1972. La mine de charbon adjacente de Jerada fournissait le charbon. L’industrie minière du charbon au Maroc a pris fin en 2000 . Après une baisse constante de la production depuis les années 1980, la mine de Jerada a été fermée pour des raisons techniques et économiques. Pour répondre à la demande, le Maroc compte sur les importations de charbon, principalement en provenance d’Afrique du Sud et de Russie. En juillet 2013, l’entreprise chinoise Shandong Electric Power Construction Corporation (Sepco III) a signé un contrat avec le gouvernement marocain pour construire une nouvelle unité de 318 MW à la centrale de Jerada. En septembre 2014, l’Office national de l’électricité du Maroc (ONEE) et la Banque d’exportation et d’importation (Exim) de la République populaire de Chine ont signé un accord de prêt de 300 millions de dollars pour financer la construction de la centrale, dont la mise en service était prévue pour le 4e trimestre 2017. En mai 2016, les dirigeants de la Chine et du Maroc se sont mis d’accord pour que l’ONEE et la société chinoise SEPCO III mènent des études sur l’extension et la maintenance de la centrale marocaine de Jerada. C’était l’un des 15 accords de partenariat public-privé conclus entre les dirigeants de la nation. En juillet 2017, l’ONEE et SEPCOIII ont signé un contrat d’exploitation et de maintenance à long terme pour la centrale, qui serait de 350 MW. L’ajout d’une cinquième unité a été examiné par le gouvernement régional, et le potentiel de création d’emplois du projet a été mis en avant comme motif de sa construction. Dans un plan 2019-2023, l’ONEE a noté que la centrale de Jerada serait agrandie de 350 MW supplémentaires après 2023 (d’ici 2025). En décembre 2021, il n’y avait aucune indication de l’expansion proposée sur le site Web de l’ONEE, qui ne répertoriait que les projets hydroélectriques, éoliens et solaires. Lors de la conférence sur le climat COP26 à Glasgow en novembre 2021, le Maroc a fait partie des pays qui ont pris un nouvel engagement de ne pas construire de nouvelles centrales à charbon. En conséquence, et compte tenu de l’absence d’autres développements récents connus, l’unité 5 est présumée annulée. La ville minière tourne aujourd’hui le dos à ce qui a fait son histoire. Ni l’extraction du charbon ni sa combustion afin de produire de l’energie thermique ne seront possible, hormis l’usine chinoise et les traces et anciens vestiges de l’activité minière du 20e sciècle, plus rien ne perdurera cette activité industrielle minière.


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Le logement, une priorité? Au début de l’installation, les employés recrutés localement n’étaient souvent pas logés par la mine : ils habitaient des tentes qu’ils installaient près du point d’eau que la mine avait ouverte. Les autorités minières ont mis en place in site des équipements sociaux en premier lieu rudimentaires, puis progressivement complets, pour les employés recrutés en milieu rural. Le premier défi à relever a été celui du logement des mineurs, d’abord pour des raisons humaines, puis pour des raisons techniques : la main-d’œuvre non logée reste instable, ce qui peut affecter la productivité de la mine. En février 1950, une étude réalisée à Jerada souligne l’urgence du développement du secteur de logement : «Jerada occupe autant d’ouvriers que toutes les autres mines de la région… il est plus qu’urgent de résoudre le problème de l’habitat » Pendant la période de l’exploitation française, la question de l’habitat ouvrier a suscité une réflexion particulière sur les plans sociaux et politiques. Le manque de logements a été considéré comme un facteur de trouble à l’ordre public. «la fixation d’une main d’œuvre actuellement vagabonde, instable dans le travail et encline à un absentéisme perturbateur, ainsi que le maintien de cette main d’œuvre dans les conditions les plus favorables de l’état mi-agricole mi-industriel» ( Eric Labonne)


Les premiers blocs de logements furent édifiés en 1933 ; d’autres ont été ajoutés au fur et à mesure des besoins, sans qu’un véritable plan d’ensemble n’ait jamais été établi. De 1944 à 1948, 80 nouveaux logements pour couples mariés, 300 pour célibataires et 40 nouveaux demi-tonneaux ont été construits. Les habitats usinés (demi-tonneaux) ont une forme semi-cylindrique qui se dresse dans le sens de la longueur. Les matériaux employés dans le bâtiment sont révélateurs de la neutralité du style industriel, notamment l’utilisation du béton et de la tôle. Néanmoins, on remarque des couronnes de tuiles orange surplombant les ouvertures et les entrées.

La place centrale fut réservée aux activités commerciales ainsi qu’aux équipements sociaux de proximité : 2 kissariats avec 25 boutiques, un hammam, des coiffeurs, des tailleurs, des commerces liés au cyclisme, des lieux de prière et d’instruction. Le plan urbain de Jerada séparait la ville en deux cités : - la cité indigène : réservée aux ouvriers marocains - la cité européenne Les premières habitations de la cité ouvrière étaient des boxes fermés de 1 (ou 2) petite(s) chambre(s). Le modèle se veut conforme au mode de vie des marocains, mais se trouve plutôt dégradant. Avec un patio, un seul point d’eau, un coin cuisine et une toilette sans ouverture sur l’extérieur, le confort n’y est pas présent. Un des anciens mineur se prononce à ce sujet : «Plus qu’une médiocre cité, cet amas de maisonnettes était un ghetto, un zoo humain, une fourmilière où il faisait mal vivre, A l’Est de ce village de misère, il y avait, séparé par une petite vallée, le village européen avec une architecture et un confort sans commune mesure… un paradis réservé». Un logement inconfortable, inhumain et insuffisant, pousse beaucoup de familles d’ouvriers a rester installées dans les douars de tentes disséminés dans un rayon de 1 à 3 km autour du centre minier. «Le service du logement de la Mine a déterminé un périmètre limité de 1 à 5 km à partir de la cité. Les ouvriers ayant installé leur tente à l’intérieur de ce périmètre bénéficiaient d’une distribution de 150 kg de bois / mois et par tente » 159


Au début des années 1950, Jerada était divisée en quatre parties distinctes : la cité européenne, le quartier des ingénieurs, la cité des agents ou «cité des évolués» (chefs porions, contremaîtres, ingénieurs assimilés...) et le village ou «cité marocaine» Nous nous attarderons sur une comparaison de ces types d’habitat qu’a proposé la mine au differents personnel d’un point de vue confort et architecture afin de mieux comprendre les interaction sociales, le mode de vie et la mémoire de ces lieux.

Cité européenne: La société a développé la cité européenne pour les ingénieurs des mines de charbon et leurs familles afin de leur offrir les meilleures conditions de vie possibles. Sur le plan architectural, la cité des cadres, également connue sous le nom de quartier européen, est constituée d’un ensemble de structures construites pendant la période du protectorat et présentant des éléments notables de l’architecture du XXe siècle. En outre, étant donné la nature de l’environnement de la région, on découvre l’utilisation de toits en tuiles à double pente, ainsi qu’un grand souci de symétrie représenté dans la plupart des structures, sans oublier l’utilisation d’ouvertures plus larges.

Cité indigène : Cité des ouvriers ou couramment dit cité des « zouafrias », était à côté des bâtiments des Affaires indigènes et des Kissarias. Composée de petites maisons cubiques et uniformes, comme on l’a précedemmment décrit , alignées sur le long du cordeau, cette cité reprend une architecture extérieure symétrique de la cité européenne mais avec de plus petites ouvertures. Il est cependant difficile de retracer le modèle type dupliqué sur la cité avec les différentes modification effectuées sur l’existant, résultat de l’appropriation des lieux par ceux qui y habitent .


Maison TAMCA: Principalement construite pour y loger les mineurs, la maison TAMCA édifié en 1933 devient maintenant des locaux administratifs. Les informations sur la maison ne sont pas complètes, mais il va sans dire qu’elles ont été élaborées grâce à l’effort de la firme CDM. Sur le plan architectural, la maison est représentative du style architectural du XXe siècle et contient certains traits de ce dernier. La maison se distingue par une entrée imposante définie par un portique, qui mène à deux blocs imbriqués. Un premier bloc en façade, immédiatement relié à l’entrée et bénéficiant d’une grande terrasse accessible, est suivi d’un second parallélépipède en retrait, beaucoup plus important, avec un toit en tuiles à double pente, qui complète le jeu des volumes.

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Aucune action de relogement n’a vu le jour jusqu’aux années 1970. A partir de 1971, les Charbonnages du Maroc prévoient la construction d’une nouvelle cité de 1 000 logements appelée cité F1 (EL Massira), qui cherche à donner un nouveau visage à la ville de Jerada : des logements spacieux et fonctionnels pour les familles comme pour les célibataires (grandes pièces, douche, cour, petit jardin...), une amélioration sensible par rapport aux logements de la cité indigène. Les familles qui ont bénéficié de ces nouveaux logements témoignent de l’amélioration de la qualité de vie au service social de la mine. Ces perfectionnements du secteur d’habitat ont porté leur fruit à la vie quotidienne de ces ouvriers : moins d’interactions familiales stressantes, un réseau de liens sociaux plus important, une meilleure organisation familiale. Le centre de Jerada a d’abord attiré les commerçants des environs. Au fil de l’arrivée d’ouvriers venus d’autres régions, des commerçants de leur région d’origine les ont suivis : «La Mine a favorisé ce mouvement en installant elle-même diverses boutiques dans les kissariats ; l’ouvrier trouve là des boutiques alliant le pittoresque traditionnel local à un modernisme plein d’allant : épiceries, bazars, boutiques de tissu, coiffeurs, tailleurs et cyclistes s’alignant sous les arcades de la grande place, à Jerada comme à Hassi Blal». En février 1953, on comptait déjà une cinquantaine de boutiques. Les ouvriers préféraient acheter à crédit dans ces commerces, dont les prix étaient moins chers qu’à l’économat géré par la mine, et pouvaient payer pour après. Les relations tissées au sein de la tribu, de la mine et qui comme précédemment évoqué reliant le commerçant au client, ne doivent pas être sous-estimés. Ces liens évoluant le plus souvent entre l’épicier et tel ou tel ouvrier témoignent de la confiance, de l’aspect social et communautaire de la vie de la mine et font souvent préférer aux ouvriers ce type de transaction plus intime. Il est cependant intéressant de s’attarder sur cette notion de confiance du prêt monétaire sans aucun contrat ou procédure administrative. Ce concept du « crédit » est commun dans les interactions commerciales au Maroc, surtout dans les petits commerces (épiceries, coiffeurs, tailleurs…) et il témoigne d’une vie communautaire entre les individus, et d’un partage de confiance et de mémoire commune. 163


A Jerada, la mine était désireuse d’encourager l’éducation publique. Dès le début de l’existence de la ville, elle fournit le premier niveau d’enseignement. Ainsi, deux écoles coexistaient à Jerada : «la mission française» pour les enfants des européens, et une école franco-marocaine pour les enfants marocains. La formation franco-marocaine représentait une instruction générale basée sur l’inculcation de leçons de Coran, des rudiments de langue en arabe et français, avec une insistance sur l’orientation professionnelle et le préapprentissage. Au départ, l’éducation des filles n’est pas aussi bien accueillie que celle des garçons ; pour convaincre les parents sans troubler les mœurs, l’école doit créer un enseignement qui privilégie l’instruction domestique. Lentement, mais sûrement, l’éducation des filles devient un mode de vie. L’Administration, de son côté, prétendait que l’enseignement technique était une nécessité dans un pays en plein développement économique. Pour le dispenser aux jeunes Marocains, un établissement de formation professionnelle est créé. Le ministère de l’éducation crée régulièrement des écoles primaires et secondaires au fur et à mesure que la population de Jerada augmente. Avant son ouverture, les enfants des employés devaient fréquenter l’école secondaire d’Oujda. En 1985, la CDM (ancienne mission française) comptait 1 500 enfants dans ses écoles maternelles et primaires, y compris les enfants des cadres, agents et employés (écoles de Jerada et de Hassi Blal), qui étaient encadrés par une équipe pédagogique et sociale de 60 personnes.


Face à la réticence de certains parents à l’enseignement de leurs filles, un atelier d’apprentissage a été construit. Les filles des ouvriers apprenaient les rudiments du tricot, de la broderie et de la tapisserie. Le centre vient en aide aux filles en difficultés scolaires ou qui ont quitté l’école afin d’acquérir un savoir professionnel qui viendrait en aide aux ressources de leurs familles. En 1980, un centre de confection a été créé. Il comptait 30 ouvrières, dont beaucoup étaient des filles d’anciens travailleurs de la mine qui devaient parfois s’occuper de leur famille à la mort de leur père. Cette installation comprenait 35 machines industrielles et une capacité de fabrication de 30 000 unités par an (combinaisons, salopettes, tabliers, etc.). Le Centre fournissait à la mine des vêtements de travail pour les ouvriers et vendait occasionnellement ses produits à l’extérieur. Suite à la réussite de cette action sociale, la CDM a construit en 1982 un centre artisanal qui accueille jusqu’à 200 apprenties. Ce centre, en plus de venir en aide financier aux jeunes filles et à leur famille, permettait également de redistribuer certains des produits artisanaux gratuitement à la maternité à chaque naissance dans les familles ouvrières. En 2010, un complexe artisanal fut construit sur une surface totale de 4 560 m2, dont 3 930 m2 couverts. La valorisation du secteur artisanat permettra aux artisans d’améliorer leurs conditions de travail, d’augmenter leurs revenus et de préserver certains métiers en voie d’extinction. En ce sens, les artisans, en particulier les jeunes, seront formés à une variété de métiers qui contribuent à la singularité de l’Oriental. Il s’agit d’un lieu de création, de finition et de vente de produits artisanaux, ainsi que de formation continue pour les artisans, en mettant l’accent sur l’action des entreprises et les activités génératrices de revenus, la structure du secteur et l’amélioration de la qualité de l’artisanat. Ce complexe, contrairement à l’ancien, ne vise pas que la formation des jeunes filles mais cherche à offrir 275 postes d’emploi ainsi que de valoriser le savoir artisanal de la région. Il comprend alors 34 magasins, 4 ateliers, 6 salles de formation, une salle de projection et d’autres dépendances. 165


Après la transformation et l’extension de l’ancienne église de Jerada en 1978, le centre culturel s’y installe, proposant d’activités éducatives et culturelles diversifiées : - Bibliothèque, avec grandes salles de lecture et environ 5 000 ouvrages, plusieurs séries d’encyclopédies, jeux de société, jeux éducatifs, etc. ; - Education musicale, avec trois professeurs assurant aux adhérents de la section des cours de solfège, luth, piano, violon (parmi ces adhérents, un orchestre a été constitué pour assurer l’animation des soirées culturelles en différentes occasions) ; - Art dramatique (séances d’initiation au théâtre données aux amateurs) ; - Arts plastiques ; - Cinémathèque, avec la projection de films et de documentaires variés. Le centre accueillait également des conférences, séminaires, ou autres formes de manifestations culturels (compétitions, soirées, théâtre…). Bien que couteux, le centre a permis la mise sur pied d’une troupe théâtrale reconnue au niveau national ainsi que la participation à la création du festival de la musique Gharnati et le festival des arts populaires. Tout le monde s’accorde à dire que la création d’un centre culturel a été un succès social important pour le CDM, tant pour les familles de mes travailleurs que pour l’ensemble de la population de la ville. Ce centre a permis à la ville de sortir de son isolement socioculturel en instaurant des traditions culturelles si riches que l’on parle aujourd’hui de Jerada non seulement comme d’une ville minière, mais aussi comme d’un haut lieu de la culture.

L’Eglise transformée en Centre culturel

La Maison du Mineur, le Foyer du Mineur, le Cercle des Ingénieurs et le bain maure étaient mis à disposition au personnel et à leurs familles, moyennant une redevance symbolique à la journée (repas, réceptions, jeux de société, action de solidarité, hébergement des visiteurs de la mine...). Chaque année, le 4 décembre, la Journée du Mineur était célébrée dans une ambiance joyeuse à la Maison du Mineur. Dès le début de la mine, une église pour les chrétiens et des lieux de culte pour les musulmans, dont la Grande Mosquée de Jerada, au cœur de la cité ouvrière, ont été établis pour le bien-être spirituel des travailleurs.


Le Cinéma

Pour se distraire, les ouvriers fréquentaient, au début de la mine, les cafés maures créés et aménagés par la mine, où ils pouvaient converser, écouter de la musique du bled, etc. Puis, petit à petit, une infrastructure de loisirs a été construite : - un cinéma construit par la mine qui proposait des programmes en fin de journée et pendant les jours fériés - un complexe sportif - un centre d’estivage mis à disposition du personnel et leurs familles sur la plage de Sadia, avec 4 appartements, 8 bungalows, 18 cabines, 70 plates-formes, des douches et des sanitaires, une infirmerie et une épicerie. - des colonies de vacances pour les enfants du personnel à la montagne ou à la mer, en partenariat avec les services de la jeunesse et des sports. Geniève Marteau , fille de Gabrielle Marteau ancien chef des sevices comptables à la CNA, nous fait part de l’ambiance de ces moments de joie et de loisirs et raconte sur le blog des anciens de Jerada : «Nous allions nous baigner à Saïdia en nous installant dans les bungalows des CNA… Nous préférions le N°4 qui était le plus près de la mer…. Nous allions nous promener à Guéfaït… Nous avions aussi la chance de jouer au tennis et, dans les années 70, de profiter de la piscine qui avait été remise en eau par les russes… Car nous avons connu la construction de l’usine thermique par les russes et par des ingénieurs français qui ont occupé des maisons construites en bas du quartier 11…» La festivité de cette communauté n’était pas limitée à ses lieux de loisirs. Les habitants se regroupaient autour d’un grand repas communautaire organisé par la mine, dans le cadre de la célébration annuelle de l’Waada. Ce Mousem caractérisait Jerada, et avait lieu autour des deux saints de la ville « Sidi Mohammed Ousalah » et « Sidi Ahmed Ben Cheikh ». En plus du plaisir et du partage, il y avait la prière et les vœux pour la nouvelle année. Jerada était belle et joyeuse lors des fêtes religieuses et nationales. La population a partagé plusieurs moments de joie et de célébration communautaire. Pour la fête du Trône, par exemple, toute les habitant assistaient dès le matin à un magnifique défilé organisé par les services des mines. La fête continuait toute la journée avec des danses et des chants folkloriques, des fantasias. Tous composaient et organisaient des jeux sous les applaudissements des spectateurs et des «youyous» des femmes.

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La région de l’Oriental est une province idéalement positionnée. Elle fait la liaison entre la mediterannée et les Oasis, mais aussi au territoire algérien . Le developpement de cette region viendra en aide au pays mais pourra également avoir une influence plus que territorial. Une région a forte potentialité, nous étudirons dans ce chapitre ce qu’elle peut offir et comment sera-t-elle influé par le developpement de la ville de Jerada


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Accessibilité et potentiel viaire La région de l’oriental est desservie par la route A2, reliant Rabat à Oujda en passant par Fès. La route nationale N17 fait la liaison entre Bouarfa et Oujda, en passant par Jerada, la province dont nous faisons l’étude. Les provinces de Oujda, Nador, Driouch et Berkane représentent un fort potentiel économique pour leur proximité de la zone côtière d’où l’énorme activité d’import/export. On y trouve des ports ( de pêche, de plaisance ou polyvalent) ainsi que des aéroports internationaux. Le développement aussi des capitales de ces régions, leur forte démographie et leur attraction touristique , justifie leur accessibilité . Jerada n’est pas traversée par une autoroute , elle est liée au nord et au sud par la N17, et à l’Est par la R607 qui rejoint la N6. La route provinciale P6025 faisait la liaison avec l’Algérie avant la fermeture des frontières. Pendant la période d’activité minière, un train de marchandises liait entre les sites miniers ( Jerada, Guenfouda , Oued el Heimer ...) et l’aéroport de Bouarfa pour pouvoir les exporter hors du territoire marocain, notamment la France qui exploitait ces fosses minières. L’aéroport est maintenant un aéroport national peu fréquenté, ayant une liaison à Casablanca très peu utilisée. Avant d’être ouvert au public, il accueillait les jets privés des Emirs qui venait chasser dans la région.

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Réseau ferroviaire Le réseau ferroviaire de la région s’étend sur 558 kilomètres, reliant l’Oriental au reste du Royaume et à l’Algérie. Il est divisé en quatre axes majeurs : - La ligne ferroviaire Oujda-Casablanca (608 km). - La ligne frontalière Algérie-Oujda (16 km). Cette ligne est inactive depuis 1994. - La ligne ferroviaire Oujda-Bouarfa (307 km). - La collection Nador-Taourirt (117 km) L’oriental Desert Express : le chemin de fer a été construit sous le Protectorat. La Compagnie Mer-Niger avait pour objectif de relier entre la Méditerranée et le Niger. Bien que le projet n’ait jamais été réalisé, la ligne Oujda-Bouarfa a longtemps été utilisée pour transporter le charbon et les minéraux de la région. Mis à part la ligne téléphérique qui liait entre Jerada et Guenfouda en passant par plusieurs cités minières, la charbon/ la marchandise était également transporté en train , surtout à Bouarfa et Oujda, points d’Export. Quelques trains de passagers ont circulé sur cette ligne jusqu’à la fin des années 1990. Seuls quelques convois de marchandises ont emprunté cet ancien chemin de fer depuis lors.

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Le maroc dispose de richesses souterraines variés. Malgré le caractère ingrat des sols sahariens, le sous-sol recèle des richesses minérales et des minéraux dont la mise en valeur a permis d’améliorer le niveau de vie des habitants et la croissance de la région. Du Pb, et Zn dans l’Est, des matériaux précieux dans le sud . Le sol marocain propose une multitude de ressources naturels qui furent éxploités le long du 20ème siècle, et que certain le sont toujours actuellement . Jerada, fut le sol gisement houillier du pays, et aussi du Nord d’Afrique. Elle a pour longtemps été un important exportateur du charbon aux pays d’Europe lors de l’extraction française des sols. La region de l’Oriental est une des régions les plus riches en minerais, avec du Nickel, Cobalt, Cuivre, charbon, Zinc, plomb, pollymétalliques et autres ressources, elle a développé une activité et culture minière sur plusieurs cités, nous en citerons : Jerada, Ouixan, Sidi Boubker, Touissit ....


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La région de l’Oriental a connu une periode d’activité miniere prospère. En effet, sa contribution à la production nationale a atteint des proportions énormes, approchant parfois les 100% pour certaines mines, comme le charbon, dont l’exploitation est arrêtée depuis 2001. La région a également connu d’autres richesses sous-terraienes tel le plomb, le zinc, l’argile smectique, l’argent et le fer notamment avec la mine de Ouixane. La politique de mise en valeur des ressources minières s’est traduite par la création de diverses unités industrielles, dont les plus notables sont la Société Nationale de Sidérurgie de Nador, les anciens charbonnages du Maroc, la Centrale Thermique de Jerada, la Société des Fonderies de Plomb de Zellidja. Ces mines ont malheureusement vu leur déclin et leur fermeture avec la fin du siècle dernier. Entre la mine de fer de Ouixane, la mine de plomb de Zellidja, la mine de charbon de Jerada et d’autres, la majorité des mines du territoire marocain ne presentent plus la même importance industrielle qu’avant. Certaines ressources ont été épuisés, d’autres sont devenus plus chères à extraire qu’à importer, et d’autres ,comme celle de Jerada, présentent aujourd’hui une main ouvrière plus chère à preserver .


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Comme on l’a précedemment mentionné, la région de l’Oriental a offert une multitude de ressources soutéraines qui furent exploités à travers la création des mines . Nous citerons les principaux opérateurs qui ont exploités ces gisements miniers dans la région , et qui ont façonné la vie et la mémoire qui y ait aujourd’hui attribué. La Compagnie minière de Touissit, exploitait le Plomb, La société des fonderies de plomb de Zellidga, traitait le plomb, l’argent ainsi que le cuivre à Oued El Heimer ainsi que Sidi Boubker, la compagnie Marocaine des Barytes, exploitait le Barytine et le Bentonite sur Zelmou , Azzouzet et Tidiennit. La société espagnole Antonio Reys Mines Providence qui exploitait l’argile smectique dans la province de Nador sur Haddou, Ammar, Beni Sidel et SOMAVAL à Bouarfa - Medrar, qui traitait le Fer oligiste, sans oublier la CMT et la CDM à Jerada . La production thérmique avait lieu à Jerada et Ain Beni Mathar et produisait jusqu’a 3814 KWH par an selon les statistiques de l’ASM en 2014.

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Potentiel hydrique Le Bassin versant de Moulouya , traverse le oued permanent de Oued Za qui se coupe avec oued Charef, oued El Kharouf et Oued Tamehrouft. Jerada dispose de 276 nappes alfatières, ce qui fait d’elle la deuxième province hydraulique de la région de l’Oriental après Figuig. Cette dernière use de cette nappe dans les oasis . Alors que Jerada n’utilise aucunement son potentiel hydrique sauf anciennement pour l’industrie et actuellement pour des besoins ménagers. Derrière Berkane et Oujda-Angad respectivement , la province de Jerada dispose d’une nappe phréatique (Ain Bni Mathar) dont le renouvèlement est estimé à 52 millions m3 par an. La région dispose également de Trois grand barrages(Machraa Hammadi, Mohammed V et Hassan II ) et d’autres barrages moyens qui viennent subvenir aux besoins de la région en matière d’eau potable, irrigation et production électrique. Cette nappe alfatière couvre l’essentiel des forêts naturels de la région, soit 2.2 millions d’hectares. La province de Jerada regroupe 61 de ces forêts naturelles. Sauf que le couvert végétal est globalement pauvre, sauf pour des zones montagneuses (Gfait, Jbel Lazrag ..) Ce faible couvert végétal est principalement le résultat de l’aridité du climat. Il se présente sous deux formes : Des formation forestières naturelles, plus ou moins dégradées, dominés par le chêne vert et le thuya, et des formation steppiques s’étendant surtout dans le région de Jerada et Figuig, à travers les espaces arides dominées par l’Alfa et l’armoise. Toutefois, face à ce dénuement végétal , le Haut commissariat des Eaux et Forêts cherche à reboiser les provinces de l’oriental , notamment le passage dans la province de Jerada de 18346 ha à près de 20000 ha.


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Barrages existants

Barrage Mohammed 5

Barrage Oued Za

Barrage Sfaif

Barrage Machraa Hamadi

102,5m3

326,7 m3

20 m3

12,7 m3

Barrage Rkiza 17 m3

8,1 m3

Barrages en projet Terka Oumasi /

B.Bni Aziman / 45

(Guercif)

(2021/2025 ) (Driouch)

280 Mm3 (En cours)

B.Laksoub

30 Mm3

(2021/2027) (Taourirt)

Barrage Injil

Mm3

B.Sefsaf (2026/2030 ) (Berkane)


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La province de Jerada, principalement exploité par les français après le départ des belges retrace une architecture majoritairement du 20ème siècle. Elle garde néanmoins les vestiges patrimoniaux ruraux ou des Kasbah surtout à Gafait, et Ain Bni matharet Laaouinate . L’architecture s’est peu développée après le déclin de l’activité minière. Nous ne pouvons alors pas catégoriser ce style architectural comme identitaire d’une période post-mine.

Vestiges patrimoniaux

Architecture du 20ème siècle


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Potentiel touristique Malgré les richesses et l’énorme potentiel de la région en matière d’activités touristiques, celles-ci n’en sont encore qu’à leurs débuts. La province de Jerada a un relief qui se compose essentiellement de hautes montagnes couvertes d’un tissu forestier intense qui sert de gîte et d’abri à différentes races de gibier, de hauts plateaux couverts de pins et d’alfa qui servent de parcours au bétail de la région, de plaines fertiles, d’étendues sahariennes et de beaux sites touristiques qui nécessitent un aménagement et une transformation. Parmis ces sites à fort potentiel de tourisme eco-naturel on cite SIBE CHEKHAR qui offre des paysages uniques où la structure géologique du sol crée, sous le nom de «Pays des Horsts». La flore donne une touche de charme naturel à la région. Puis le paradis de Gfait, à mi-chemin entre Oujda et Jerada, où l’eau coule abondamment au milieu des verts relaxants de la flore. Le charme de l’endroit met en valeur les teintes vibrantes de la roche et de l’argile. En termes d’infrastructures de base, il convient de mentionner que cette province ne dispose que d’un seul hôtel une étoile, situé au cœur de Jerada, d’une capacité de 30 lits.

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Une activité économique décroissante La région de l’oriental a atteint 18,7 % de taux de chômage en 2021, soit à peu près 2% en plus de 2011. Elle représente la région la plus touchée par le chômage, un peu plus que le double de la moyenne nationale (8,9%). Le chômage est un phénomène préoccupant car il entraîne non seulement une perte de ressources importantes dans un avenir proche, mais aussi une perte de rendement des investissements en capital humain. En plus de ces résultats économiques négatifs, le chômage a des ramifications sociales et sociétales majeures.


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Une faible urbanisation Bien que le taux des personnes qui habitent la campagne dans la province de Jerada ne dépasse pas les 40%, le taux d’urbanisation est assez faible. La ville ne représente plus une attraction économique aux non-locaux, ce qui éxplique son maigre taux d’urbanisation. En revanche, une forte concentration est remarqué dans la région de Oujda-Angad et celle de Nador, ceci est du aux marché de travail ouverts, et à la dynamique économique qu’ils créent. Nous sommes face à un constat que la ville n’a pas connu depuis sa création , celui de l’exode, mais cette fois hors la ville de Jerada, vers d’autres centre urbains.


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Emigration à la recherche d’un gagne-pain Jerada, Bouarfa, Ain Bni Mathar ont été marqué par la fermeture de la mine. Le rapport entre population et chômage dans ces municipalités dépasse les 50% avec une population assez importante. La décision d’arrêter la mine en 1998 et l’arrêt officiel des opérations le 17 juillet 2000 ont cependant entraîné un effondrement de l’activité économique, avec plus de 5500 travailleurs licenciés dans la ville de Jerada . Les grandes métropoles de la région (Nador , Oujda et Berkane) représentent une forte croissance démographique, due à l’exode des villes mitoyennes, qui se répercute par une élévation du taux de chômage dans ces villes . Des villes qui étaient déjà étoffés par leur propres chômeurs. Ces vagues d’émigrants exercent une pression énorme sur le marché du travail urbain. Cette situation a favorisé la croissance de l’économie informelle et de la contrebande, et a créé des déséquilibres dans le système d’urbanisation, ce qui a donné naissance à des communautés clandestines avec toutes les demandes supplémentaires qu’il faut satisfaire (éducation, santé, approvisionnement en eau potable, électrification, routes,etc.) Mais le coût de cet exode ne s’arrête pas là ; en réalité, toutes les maladies sociales, telles que la marginalisation, la pauvreté, la misère, l’exclusion, la criminalité et autres maux sociaux, continuent d’être difficiles à réparer et à gérer, et continuent d’être des charges énormes pour la gestion urbaine et sécuritaire.

Rapport entre population et chômage


La pauvreté globale représente 21% dans la Province de Jerada , soit la 14ème province la plus pauvre dans le pays , avec deux provinces mitoyennes des plus pauvres : Figuig en premier et Taourirt 17ème .

COLLECTIVITÉ

URBAIN%

RURAL%

TOTAL%

PAUVRETÉ

VULNÉRABILITÉ

PAUVRETÉ

VULNÉRABILITÉ

PAUVRETÉ

VULNÉRABILITÉ

JERADA

8,79

21,38

15,37

27,07

11,34

23,58

RÉGION

2,95

9,53

9,56

18,61

5,23

12,67

Indice de pauvreté monétaire et de vulnérabilité

Le taux de pauvreté dépasse le double de la région, voire même le quadruple dans les zones urbaines. Le manque d’investissement, la démographie galopante ainsi que le fort taux de chômage font monter l’indice de pauvreté ainsi que celui de vulnérabilité. Depuis le déclin de la période minière, ces lieux n’ont pas trouvé de vocation alternative. Le seul investissement remarquable est celui de la nouvelle usine thermique, qui a proposé 900 postes de travail pour les 5500 perdus avec la fermeture du CDM. Cette stagnation économique se traduit par un déclassement social. Jerada représente la ville avec l’Indice de sévérité de la pauvreté le plus fort juste après Zagora. Désormais, Jerada figure parmi les 12% des communes urbaines où la pauvreté monétaire est la plus élevée tout en disposant de logements et d’infrastructures

Indice de pauvreté multidimensionnelle

Indice de pauvreté multidimensionnelle

L’indice de pauvreté multidimensionnelle, est un indice statistique évaluant la pauvreté qui ne se base pas sur les revenus comme indicateur unique d’évaluation. La région de l’orientale ne dépasse l’IPM national qu’en domaine de santé. Jerada est ainsi la cinquième commune la moins marquée par la pauvreté de la région de l’Oriental. Cependant, ces chiffres relèvent fortement des acquis liés à la période minière et aux politiques d’équipements compensatoires qui ont suivi. Ainsi, en 2004, l’IPM était déjà faible. Lors de la période minière les Français ont construits une multitudes d’équipements (écoles, habitats, théâtre..) qu’on étudierait par la suite. 195


Quelles solutions après la mine ? Face à un taux de pauvreté flagrant , la province ne propose pas d’alternative depuis la fermeture des 8 sites miniers. Avec 58% de la population au chômage dont 88% sont des femmes, la ville de Jerada a essayé de redressé la barre avec une usine de mise en conserve de crevette qui n’a cependant pas vu le jour. Une initiative menée par l’INDH pour offrir près de 1000 postes aux femmes de la région . La majorité des personnes en activité depuis 2014 sont des salariés dans les administration publics ou privées ou travaillent indépendamment dans des petits commerces (magasins, cafés, hammams…) ou marché de proximité. Face à la croissance démographique prévue d’ici 2030, on note une baisse des personnes dans l’âge de travail (15 à 59 ans) face à une hausse des personnes âgées, qui se retrouvent maintenant privés des allocations et indemnisations minières. D’après un ancien mineur : « Quand je travaillais en tant que salarié à l’usine, je touchais 1600dhs par mois. Je devais payer une facture d’eau de 750dhs, ainsi que 460dhs d’électricité . Comment pourrais-je les payer? Je refuse de gagner ma vie en mendiant, Malgré ma vieillesse, je dois travailler pour mes enfants. Je ne touche plus d’allocation , je dois donc extraire le charbon sans titre minier pour que ma famille survive à la famine . » Face à cette hibernation économique, quels sont les solutions de survie ? Plus que la moitié se retrouve sans travail, sans gagne pain. La solution serait-elle alors celle de fuir leurs terre? Ou d’y mourir ?

Employeur

Indépendant

Urbain

1,22

13,87

Rural

0,65

22,02

Ensemble

1,00

16,97

Salarié 24,03 15,04 20,57

Aide familiale

Apprenti

Autre

Chômage

Taux d’activité

0,53

0,24

0,94

59,16

40,8

5,36

0,04

0,52

56,36

43,6

2,34

0,17

0,75

58,20

41,8


20,3

79,7

8,8

14,55

91,2

85,45

Répartition de la population active selon le sexe et le milieu Masculin

20,3

8,8

URBAIN

Feminin

RURAL

ENSEMBLE

14,55 Prévision de croissance démographique dans la ville de Jerada

79,7

91,2

85,45

100 50 0

URBAIN

RURAL

ENSEMBLE

0-14

15-59 2014

60 et +

2030

La minePrévision a été lade seule sourcedémographique économique de la ville. Cette dernière presente aujourd’hui un terrain à croissance forte potentialités, dela par et ses ressources naturelles. Face à ce developpement ségregadans ville sa delocalisation Jerada tionnel de la région qui favorise les villes à liaisons maritimes plutôt que les autres, Jerada se trouve victime100 d’un exode urbain , d’une émigration à la recherche d’une solution. En effet, un taux de chomage élevé,50un taux de pauvereté des plus marquants du pays, Jerada se retrouve sans solution à proposer à ses habitants sauf celle de pleurer la mémoire qu’elle a connue. Une mémoire qui, si rien ne change, se 0 inhumée dans un cimetière de mémoire perdus. retrouvera Que serait alors cette ville 0-14le sort de 15-59 60?etCette + ardeur et envoument de ses citoyens vont ils poussé au changement avant qu’il ne reste dans cette ville que la mémoire des fantômes qui ont quitté la ville dans 2014 2030 son appogée? La ville de Jerada doit se chercher de nouvelles dynamiques économiques pour devenir plus attractif. Mais cela doit-il être en dépens de la mémoire qu’elle a connu ? Comment trouver le juste équilibre entre développement économique et préservation mnémonique. Nous allons alors étudier en premier lieu les projets proposés lors des dernières années pour la redynamisation de la province en géneral et de la ville en particulier . En analysant ces projets d’un oeuil critique en premier temps, nous pourrons proposer une continuité du plan de developpement de la ville ou une proposition plus adéquate qui joint l’éthique et l’economique.

197


Les destins de la ville et de la mine sont intimement liés : la mine a joué un rôle déterminant dans la fondation de Jerada, mais elle est aussi à l’origine de ses difficultés actuelles. Depuis la fermeture de la mine, Jerada peine a évoluer. Face à une croissance démographique, un manque d’alternative économique, le taux de vulnérabilité est en accroit. Le développement de la ville est en suspens, la transformant en un environnement urbain désolé, dominé par des habitations hétéroclites, des terrains vagues, des structures abandonnées et des espaces publics détériorés. De nombreuses tentatives ont été entreprises en réponse à cette situation difficile, et les autorités publiques ont pris au sérieux la question de l’avenir de la ville. Nous nous pencherons dans le prochain volet à l’étude de ces tentatives de changement ainsi qu’aux propositions d’alternatives prévues pour le développement éco-social de la région, et de Jerada-Hassi Blal particulièrement. Ces projets viennent d’une volonté publique de faire face à la pénurie post-minière de la province, et ce de la part d’acteurs publique ( Région de l’Oriental, CRI oriental, Ministère de l’Energie…) mais aussi de la pression citoyenne souligné par les Hiraks et les associations des anciens mineurs . Nous nous intéresserons dans notre étude à deux projets particuliers proposées pour une seconde vie de Jerada : Le premier consiste à la préservation de la vocation énergétique de la province de Jerada basée sur la production de l’énergie fossile en la convertissant en station d’énergie propre ; le deuxième projet prévoit la réutilisation des vestiges miniers comme espaces accueillant le programme du Parc Muséologique, reconsidérant ces délabrements comme patrimoine industriel à préserver.


Il est intéressant de mentionner l’inauguration royale en 2010 d’un centre artisanale qui s’étale sur 4600 m², ainsi que les premières actions menées pour le développement de la qualité de vie dans la ville de Jerada . Afin d’encourager les investissements et faire face à la chute importante de la structure économique causé par la fermeture de la mine , il fût essentiel de revoir la structure détériorée et la dégradation du tissu urbain . Des travaux de restructuration in situ ont eu lieu afin de viabiliser l’habitat sous-équipé, proposer des recasements et aménagement de nouveaux lotissements (prévue pour 1000 ménages ) ainsi que le raccordement routier aux métropoles de la Région. Considéré comme capitale provinciale, Jerada se doit d’accomplir la décentralisation, l’avancement administratif de la ville nécessite l’établissement de nombreuses délégations ministérielles qui ne sont pas représentées aujourd’hui. Seules cinq délégations provinciales et une direction provinciale de l’ONEP sont aujourd’hui en place à Jerada ; les autres ministères sont représentés par des agences, des annexes ou des subdivisions. Ces initiatives, bien qu’elle ne sont pas inscrites dans une politique de reconversion économique, participent à «éviter » l’approfondissement de la crise socio-économique tut en valorisant différents atouts, développant des secteurs primordiaux aux habitants afin de garantir un meilleur mode de vie et de lutter contre le dépeuplement et l’exode

199


Nous commencerons notre étude par la tournure écologique et énergétique que le projet de la CRI de la région de l’oriental cherche à instaurer. Le projet considère la région de l’Oriental comme entité à fort potentiel énergétique , et cherche à travers des infrastructures énergétiques à produire de l’énergie propre.

Néanmoins, la valeur énergétique produite, bien qu’elle ne puise pas dans le bassin houiller, ne dépasse pas le triple de la production de la nouvelle station de Jerada qui ne s’étend que sur 35 ha . Les 1204 ha reparties sur 8 villes par des ressources diverses (Solaire, Biogaz, Biomethan…) participerait peu être même à plus de consommation énergétique contrairement à ce qu’on s’y attend . La création de ces stations nécessite des matériaux primaires puisées dans des mines et des carrières à forte consommation hydraulique( à savoir de l’aluminium, du cobalt et peut être même du charbon ), fait travailler plusieurs usines qui participent à leur rôle à la pollution d’air et d’eau . Par un effet de boule de neige, la pollution de ces énergies auxquelles on attribue le terme « propre » peut dépasser de loin la pollution liée production d’énergie fossile, avec un rendement énergétique bien plus bas . Alors que le Maroc utilise le charbon à 99,7% pour la production electrique , il commence depuis 2019 à importer 100% de la matière houillère. Pour certain cela est du au puisement des sols, et pour d’autre il est juste lié au coût d’amélioration des conditions d’extraction. Ce deuxième avis est justifié par les extracteurs clandestins, qui trouve toujours de la pierre noir dans leurs terres.

Avancement

Projets existants

Nom du projet Centrale Noor Centrale Noor Centrale Noor Centrale Maroc photovoltaïque

Centrale solaire-énergie éolienne du Maor Centrale Nova Power Energy Centrale DIACORP Energy Centrale thermique

Projets en cours

Centre de traitement et de valorisation de déchets solides Eclairage public Centrale Hydraulique Barrage Mohammed

Total


Station thérmo-solaire Ain Bni Mathar

rc

es

V

Site

Type

Energie générée (MW)

Superficie (ha)

Beni Mathar Bouanane Guercif Beni Mathar

Photovoltaïque (PV) Photovoltaïque (PV) Photovoltaïque (PV) Photovoltaïque (PV)

20 20 100 150

40 40 200 300

Nador

Photovoltaïque (PV)

1.95

4

Figuig

Photovoltaïque (PV)

20

40

Beni Mathar

Photovoltaïque (PV)

300

Beni Mathar

Cycle combiné (thérmique-Solaire)

150 472 (dont 20 solaire)

Oujda

Extraction du Biogaz et Biomethan

2.3

40

Saidia et Oujda

Photovoltaïque (PV)

2.3

40

Nador

Extraction du Biogaz et Biomethan

2.3

40

940,85

1204

8 villes

160

201


Potentiel d'accueil industriel Ce projet bien qu’étendu sur une échelle régionale ne profite aucunement du potentiel industrielle de la ville de Jerada. Une ville qui n’a connu que l’industrie et qui vit toujours dans sa mémoire. Avec la découverte du gaz naturel dans la région de Tandrara, et suite aux suspensions des relations maroco-algériennes, le Maroc prévoit l’extraction de ses ressources en gaz. Cette ressource fossile pourra créer une dynamique industrielle dont la province de Jerada pourra en profiter. Avec des espaces d’accueil industriels déjà aménagés, la ville de Jerada pourra se développer autour de sa vocation mère créant un pôle industriel tourné vers le Gaz naturel comme nouvelle énergie de production thermique et/ou électrique.


203


Parc minier de Zollvrein Si le premier projet prévoit un développement régional, voire provincial, ce deuxième projet intervient directement sur la ville de Jerada, précisément sur les vestiges industriels légués par la période minière. Considérant ces délaissés comme patrimoine industriel, ces vestiges ne sont point conforme à la définition du patrimoine figurant dans la loi 22-80 sur la conservation des monuments historiques. La notion de patrimoine industriel, telle qu’on la perçoit a été introduit dans les années 40 en Angleterre . Cette récupération de la mémoire collective que retrace ces lieux et ce friches industrielles a commencé avec le pont Ironbridge . Cette progression a entraîné l'abandon du terme d'archéologie industrielle au profit de celui de patrimoine industriel, qui prône une vision plus globale et multidimensionnelle de l'intervention. Tel fut le cas du projet de réhabilitation de la zone minière de Zollverein en parc industriel, inspiration et modèle sur lequel s’est basé la réhabilitation du PMJ .


Classé comme patrimoine mondial par l’Unesco, le site de Zollverein sous une initiative publique ainsi que sociale a été reconvertit en parc muséologique retraçant l’histoire de la période minière et offrant aux visiteurs et locaux un nouveau poumon pour cette cité industrielle. Les paysagistes de l’Agence Ter ont crée pour ce parc industriel un plan directeur pour les espaces ouverts. Ils inversent la séparation historique entre la mine et les zones résidentielles environnantes en érigeant un «ruban de développement» perméable, flexible et mobile autour du noyau central du site, qui est stable, inaccessible et contient toutes les antiquités à préserver. Pour permettre aux usagers d’expérimenter ces terrains opposés à partir d’une interface unique, les paysagistes classent l’ensemble de la zone comme une promenade «Ringpromenad», fédérant les vues, les accès, les lieux de rencontre et les activités tout en employant un langage de codage différent de celui du site historique.

Préserver , mais autrement . Le site minier de Zollvrein à travers un programme mêlant histoire et present , cherche à sensibiliser le visiteur à la mémoire des lieux qu’a connu le site dans la periode minière, tout en créant une activité aux locaux et attractivité aux visiteurs . Mis à part son circuit vert, le parc propose d’autres composantes d’ordre culturel à savoir le Musée de Région, un Musée d’histoire industrielle, une résidence artistique, une école ainsi que de nombreux espaces : piscine, patinoire, salles de spectacles, restaurants…Considéré anciennement comme la plus grande mine de charbon au monde, le site est aujourd’hui une des plus grandes attractions muséale avec plus de 1,5 millions de visiteurs annuellement. Face à cet ampleur touristique, il propose aussi des hôtels, complexe, parkings et restaurants. Autrefois, le bruit des machines dictait le rythme du site du patrimoine mondial de Zollverein. Aujourd'hui, l'art et la culture donnent le ton avec la musique, la danse, le théâtre, les visites guidées et les installations lumineuses. 205


Parc Muséologique de Jerada

Sur les pas du Parc minier de Zollvrein, le projet du parc muséologique a été conçu. Le projet ne s’est pas arrêté dans une approche d’inspiration , il a repris le même programme proposé, même avec des contraintes différentes. En effet , le contexte culturel, l’état des lieux, et le manque d’archives ne permettent pas une reproduction à l’identique du parc allemand. Le programme prend vie sur les deux anciens sites miniers, le puits 1 de Jerada et le puits 2 de Hassi-Blal. Un parcours muséographique a été calqué sur les lieux du puits 1 comme suit : Un parc muséologique urbain , un musée de la mine et de la ville de Jerada qui prend l’ancien atelier électrique comme refuge. Un parc industriel intégré exposant les anciens édifices industriels ( Rails, chevalements, installations…) , un atelier de formation ainsi qu’une résidence artistique. La disponibilité de tout ces édifices dictent la position idéale des logements touristiques (hôtels). Par ailleurs, les dimensions du site du puits de Hassi-Blal, impose d’étendre le contenu muséographique à une thématique plus globale, celui du musée de la Région , ou encore un musée d’Energie qui ont été planifiés en concertation avec les ministères concernés. Un amphithéâtre à ciel ouvert sera prévu pour des festivals et spectacles. Contrairement au site de Zollvrein , les espaces industriels tel le lavoir ne sont plus disponibles, l’architecte se tourne alors vers une création d’une partie souterraine de la descenderie pour une immersion dans le quotidien des mineurs. Le parcours proposé par le PMJ commence par la visite de l’ancien Hôpital qui abritera le Musée de la Mine, dédié à l’histoire globale de la mine et de la ville, et continuera ainsi à la Mine Image vers le nord, la place de la mine ou se trouve le chevalement et les édifices industriels anciens. Un projet qui se veut modèle, cherche peut être un peu trop a être reproduit.


207



La réhabilitation et l’aménagement global de la friche industrielle du site minier de Jerada-Hassi Blal en un parc-musée minier vise à protéger ce patrimoine historique industriel tout en créant une infrastructure culturelle susceptible de dynamiser la ville et de contribuer ainsi à son développement socio-économique et culturel. Les installations industrielles, les nombreux terrils épars générés par l’activité minière, les différents types d’habitat de l’ancienne cité ouvrière ou de la centrale thermique, le réseau ferroviaire local sont autant d’éléments qui détermineront le contenu de cette infrastructure culturelle inédite. Une infrastructure culturelle d’une ampleur inédite au Maroc Néanmoins, la vocation muséale s’insère dans un débat national sur l’attractivité muséale au Maroc. Les musées ne sont pas si visitées que ça au Maroc , surtout dans une ville dont l’accessibilité est difficile et le taux d’alphabétisation est élevé . La fréquentation se veut d’être pauvre, les postes d’emploi générés également: 900 postes de travail pour un budget énorme et qui ne portera ses fruits que sur plus d’une décennie. La situation de Jerada est urgente, face à un exode de 25% dans moins de 5 ans, la situation doit être corrigée progressivement avant que le lieu ne tombe dans l’oubli et ne soit qu’un site fantôme qui ne vit que dans nos mémoires et écrits. Vingt ans après la fermeture de la mine de Jerada, la situation sociale est de plus en plus détériorée. Il faut cependant sauver cette mémoire avant qu’elle ne soit qu’une histoire racontée. Si le projet présente des lacunes, il n’est pas vain. Le projet valorise l’archivalisation et la transmission de cette mémoire. Mais vient également comme nouveau souffle à cette ville qui fut oubliée depuis qu’ont a puisé ses trous. La création de projets touristiques, ludiques et culturels tel que les hôtels , un complexe touristique, une piscine, un parc industriel vont faire démarquer la ville dans son contexte provincial. Si le tourisme n’est pas international, il sera du moins national. Avec sa situation à mi-chemin entre la méditerranée et les Oasis, la ville représente un énorme potentiel de ville station ou ville de passage si les conditions viaires s’améliorent. Des conditions adéquates pour accueillir ces passants sont alors nécessaires. La province n’offre aujourd’hui que 30 lits avec un seul hôtel fonctionnel .

209


Bribes de vie - Mehdy Meriouch


Pour quelques uns, Jerada est un territoire à oublier, évocateurs d’un passé dûr et sévère, qui a volé la vie de leurs proches ouvriers et qui depuis une vingtaine d’année fait agoniser ses citoyens. Toutefois, la mine ne fut pas que des malheurs, elle a été la joie et la richesse de toute une communauté, qui a développé sa vie et façonné sa mémoire tout autour de cette mine . Aujourd’hui, que ce soit sur le net ou par tradition orale, la plupart des anciens de la mine et des natifs de ces deux sites se souviennent avec nostalgie de la période prospère de ces lieux. Mais qu’en ait il de leur futur, jusqu’a quand se souvenir? Et que faire après s’être souvenu? Ce territoire regorge de fortes potentialités. Comment s’y aligner et créer un moteur de developpement pour la ville et la province, sans pour autant heurter cette mémoire que narrent les lieux . Suite à cette analyse théorique de la notion mémorielle, des abus dont elle est victime et de la manière de l’exprimer. Nous chercherons à exploiter avantages et défaut de cette faculté incontournable qui est celle de la mémoire afin de mener à bien ce travail mnémonique qui se traduirait en projet palpable. Dans le prochain chapitre nous allons intervenir sur le site du puit 2 de Hassi-Blal, dans l’objectif de proposer une nouvelle vision de ces lieux de mémoire tout en y créant une dynamique économique aux habitants qui souffrent de ce passé qui leur est cher . Stimuler, et régénérer, à travers une approche particpative dans la conception du nouveau visage de la ville de Jerada. Il s’agit d’en faire un chef lieu de province plus attractif pour des nouveaux visiteurs et pour la population locale, ainsi que d’y générer une nouvelle économie qui va permettre de s’identifier à cette mémoire sans y abuser. 211



213



215



Afin de mener à bien la matérialisation de la reflexion théorique autour du sujet, il fut important de choisir un site à forte connotation mnémonique. Le choix s’est dirigé au Puits 2 de Hassi Blal, qui a vu le jour en 1949, après la décision de transferer la l’extraction du minerai depuis le Puits 1 à ce dernier. Le site a connu plusieurs impacts paysagers par ses construction majestueuses, mais aussi avec le developpement urbain qui l’a accompagné ( cités des cadres, cités ouvrières). La création de ce puits 2 fut également accompagné par la création d’un lavoir au sein de Jerada/Hassi-Blal, evitant le transport de la marchandise jusqu’au lavoir de Guenfouda. L’usine thermale est venu s’installer deux ans après, profitant du fort potentiel géographique (proximité de la mine, du chemin de fer, au bout de la ville..) et a compléter le paysage industriel du sud de Jerada. Le contraste s’est alors crée, entre une topographie et verdure imposante de la ville montagneuse, d’une vegetation en abondance , et de l’autre coté une noirceur charbonière et une matérialité en rouille. 217



Les constructions minières du site d’études sont donc diverses. Sur une étendue de plus de 7 ha , nous pouvons distinguer plusieurs vocations du bâti, entre ateliers et bâtiments de machines , des équipements directement liés au puits, qui font le parcours des mineurs du fond ( Descenderie, couloir, salle des pendus...) et finalement les bâtiments en relation avec le lavoir. Avec le passage du temps, l’arrêt de l’activité minière , et le manque d’interet porté à la preservation de ce patrimoine minier, la plupart des vestiges de cette industrie ont été perdus, delabré ou encore pillé. La valeur mémorielle de ce site et de la vie qu’il a modelé pour plusieurs décennies, s’est retrouvée marginalisée, voué à l’oubli et à l’abandon. Si les deteneurs du pouvoir ont tourné le dos à cette mémoire, les habitants eux, la portent dans leur coeur, et lègue cette flamme à leurs prochain, dans l’espoir que ces bribes d’une architecture de vie, perdurent dans le temps, hommage à tout ceux qui y ont mis le pied .

219



221


A près de 1.5km de la gare routière, le site est bien deservi. Frôlé par la route regionale 607 qui dessert à sible par transport . Bien qu’il est traversé par la voie férée, la ville n’est pas accessible par train, ni par mo pour acceder à la partie de Hassi Blal, ou se trouve notre site . La mobilité sur le site d’etude et majoritérem relevé, celui du charbon (convoyeurs)


à Laayoun, Guefait vers l’ouest et à l’est vers Laaouinat et l’embranchement avec la N17, le site est accesoyen de transport publique . A part quelques taxis, la mobilité publique est difficile dans la ville, surtout ment piétonne, avec quelques routes dédiés aux camions de cargaison. Un autre type de mobilité est à 223



• • • • • •

Créer des stations panoramiques reliés au télésiège ( reexploitation de l’ancien telepherique liant Jerada à Guenfouda) Valoriser et profiter du paysage Survoler les stations importantes de la ville ( Puits 1 , Puits 2 , Grand Teriil ) Immerger le visiteur, dans la mémoire de la ville, entre vie et industrie Initier l’activité touristique, points à fort potentiel de developpement touristique Relier Guefait à Guenfouda en passant par Jerada 225


Valoriser l’existant Créer une nouvelle dynamique Exploter les dechets charboniers


Donner un nouveau souffle Reexploiter les structures présentes Aider à la création d’une zone à potentiel touristique

227


• • • • • •

Reexploiter les dechets charboniers Epurer le paysage Garder les Grands terrils, emblème de la ville Eviter à ce que cette anarchie des parcs à charbon ne pollue la ville, crée des complication de santé. Regrouper les dechets charbonniers afin de centraliser le recyclage Réutiliser ces parcs à charbon une fois épuisés dans l’agriculture de vin ( charbonnay)


0

250 m

• • • • • • • • •

Valoriserles traces de l’industrie Epouser entre l’usine en abandon et la nouvelle centrale thermique Valoriser le paysage industriel Créer un lien visuel/paysager pour la percée visuelle vers le site, dans les deux sens Valoriser le paysage nocturne Exploiter la monumentalité Reconsiliation vocationnelle des deux usines Travailler le repère visuel par rapport à la ville Perdurer l’activité industrielle de la periphérie 229


• • • • • • • •

Developper un poumon vert Créer un circuit / parcours de randonnée Mur vegetal pour absorber la nuisance sonore et pollution de la centrale Contraster avec la noirceur du paysage Accessibilité et ouverture, pour lier entre les deux parties du site Espace de déambulation , valoriser l’abandon Créer un contraste du mort/vivant Eviter l’extension anarchique


0

0

150 m

500 m

• • • • • • • • • • • •

Créer une synergie spatiale entre plusieurs vocation Contraster l’activité industrielle et son architecture avec un epanouissement artistique Créer des lieux de visite par tout le monde Valoriser la mémoire des lieux ( contraste, mise en avant, ambiances..) Redonner vie à ce qui peut être exploité Mettre en valeur les vestiges, témoignants de la gloire du passé, et leur donner un nouveau souffle Créer des almbiances scènique Valoriser les percés visuels (interieur du site, et à l’exterieur) Marquer les repères Créer l’émotion, le choc et la surprise : ( deja là, dejà vu ) Interconnecter les fonctions Appropriation de l’espace, insiter à des visites différentes, le bâtiment au centre de la personne . (deambulation, performance, assise, espaces fluides ..) 231



En s’appuyant sur les orientations qu’on a pu relever de l’analyse précedente, ainsi que les differents atouts et potentialités qu’offre le site , j’ai tenté de tout projeter sur l’existant afin de mettre en valeur la mémoire de ces lieux. Dans une approche d’intemporalité mémorielle, nous allons tenter de reconsilier le passé ( vestiges de la mine) le présent ( le musée projeté par R.Ouazzani, dans le cadre du parc muséologique) ainsi que le futur ( nouvelles vocations, et vocations evolutifs qui vont avoir lieu au fil du temps.) Un souffle est alors projeté sur le site afin de créer une nouvelle dynamique, une synergie spatiale, de 233 nouvelles pages qui s’ajoutent au palimpseste de la mémoire de ces lieux.



Plan de masse 1:6250 235



Plan RDC_ zone A 1:2000

237


Plan R+1 _ zone A 1:2000

Plan R-1 _ zone A 1:2000


239


Le projet, bien qu’adressé à toute une communauté comme solution de crise financière, cherche la disc mines à un jargon, ces détails perdurent dans la langue comme un argot propre à ceux qui l’ont connu d’une façon objective.


cussion individuelle avec les visiteurs de l’espace. Si nous comparons l’architecture ancienne de ces u, et qui invite ceux qui ne l’ont pas à le comprendre. Ces éléments viendront documenter le paysage 241


Construire sur site à forte valeur mémorielle ne doit pas être résumé seulement répondre à un programme résiste encore au passage du temps, et à chaque rapport qu’entretien l’Homme avec ces terres.


e ou à une commande . Il est impératif de penser à chaque geste du quotidien, à chaque débris qui 243


Mémoire ineffable Cette architecture, sensible, renvoie à l’expérience du vécu. Nous ne cherchons pas à résumer la mémoire de ces lieux dans une histoire généralisée. A la recherche de l’ineffable, du vécu, des empreintes et cicatrices qui ont marqué ces lieux et qui l’ont modelé sur le long de son existence, notre travail est celui de diriger la perception du visiteur vers les détails d’une spatialité inexprimable à travers une nouvelle architecture. Mais qui reprends vie et renait de par cette dernière. Nous cherchons de par cette architecture à travers la matérialité, l’immatérialité, le contraste, l’éclairage, l’imbrication … à créer le lien entre la perception sensible de l’architecture par l’usager et la valorisation des ambiances scéniques propre au projet.


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Des scènes, intemporelles, n’appartenant pas à un temps donné ( passé, présent, ou même futur) de par leur préexistence, nous permettent à chaque instant de modifier notre regard sur les choses sans pour autant s’extraire de la réalité. Immergé dans une dimension spatio-temporelle, l’illusion d’avoir dejà vu ou vecu certains moments, recrées à travers ce sentiment de deja-là, nous fais perdre nos references temporelles. Entre un hier qu’on vivera et un demain qu’on a vecu, le visiteur se perd, requestionne sa mémoire, son authenticité et sa présence. Nous incitons à travers une subtilité spatiale à traverser la dimension temporelle, et s’y perdre. Cette conversation que nous entretenons avec ces détails architecturaux comme une forme de notre passé, ou un devenir de notre futur, nous pousse à developper une relation affective avec ces lieux, et de les faire sortir de leur qualification du «nonlieu» ou du «mi-lieu» C'est la matérialité de ce composant qui donne au passé sa vie actuelle. Cette matérialité est le point d'ancrage de ses gravures dans la réalité, nous permettant de traverser l'oubli et de voyager dans lson epaisseur temporelle. Dans le temps et l'espace, il n'y a pas de point de départ ou d'arrivée réel dans ses gravures ; elles s'opposent à toute notion de fin. Ainsi, l’espace n’est pas simplement un milieu accueillant du vécu, une enveloppe sans âme inopérante, mais le lieu qui occupe le corps tout en se laissant habiter par lui.

«Il ne faut pas croire que les souvenirs logés au fond de la mémoire y restent inertes et indifférentes. Ils sont dans l’attente , ils sont presques attentifs .» ( Henri Bergson


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Paysage minier , paysage memoriel

Le paysage ne doit pas être envisagé uniquement dans son aspect visuel et physique, mais comme le résultat d’une interaction entre le milieu et ses habitants qui par leurs activités ont transformé ce dernier. La paysage n’est donc pas seulement naturel, il est surtout culturel et social , comme le dit Dewarrat : Le paysage n’est pas un objet, « il est une élaboration collective » Les paysages culturels conservent une mémoire collective du lieu , puisqu’ils portent la trace du lien entre le lieu, l’homme et son histoire. Elle permet de susciter des réflexions, d’une part, sur la manière de percevoir et d’interroger les lieux modifiés par l’appropriation et l’exploitation humaine. D’autre part, sur la façon dont le projet d’architecture peut perpétuer la mémoire, l’esprit et les particularités du lieu.

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L’architecture se doit d’être le prolongement du paysage plutôt que le dépôt d’un objet sur celui-ci. La friche minière se transforme en une composante essentielle de la renaissance urbaine grâce au marquage identitaire qu'elle impose au paysage. Le paysage alors qui en a découlé est resté figé dans le temps, à faible variations. Il fut par contre exposé au phénomène de l’humanisation du paysage qui participe au coté des phénomènes naturels et temporelles au façonnement des sites.


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Cette forme d’architecture est indissociable du lieu, de la culture et des traditions dont elle est le fruit. Cette imagerie d’architecture ne se refere plus à la mémoire d’une localité. Elle existe alors pour sa capacité à nourrir la mémoire de l’architecture. La reconstruction ne serait pas synonyme de remplacement mais de voyages à travers la mémoire du lieu.


Desir implicite, souvenir indicible

Les souvenirs se mêlent aux désirs comme une sorte de rêverie. L’œuvre n’est plus l’image d’une expérience, mais l’expérience même. Le bâtiment doit par sa seule présence faire éprouver un sentiment de vénération et inspirer le respect profond L’intention n’est pas celle de déformer la mémoire, ni d’en présenter une nouvelle, mais plutôt de tourner le regard vers la réalité et de pousser à la regarder autrement. 257



Des lieux , une mémoire La mémoire collective est une représentation partagée du passé, appuyé par les traces de celui-ci dans le présent. C’est pourquoi l’architecture se doit d’être le prolongement du paysage plutôt que le dépôt d’un objet sur celui-ci.

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Comme dit Sam Francis : Voir n’est qu’une illusion. Immergé dans le noir, aveuglé, dépourvu de la vision, on cesse de regarder afin de commencer à percevoir, à travers nos autres sens. Le parcours nous guide au-delà des choses visibles, vers les choses ressentis. 265


Tout espace qui nous entoure est marqué par l’expérience d’appropriation qu’il nous propose. Certaines atmosphères, notamment celles constituées d’un ou plusieurs aspects sensoriels, sont plus expressives et provocantes que d’autres (matérilité, eclairage, sonorité, mouvements, températures..). L’architecture se démarque alors dans ses détails, et ce sont ces détails qui nous projettent dans une communication avec l’espace. La réutilisation de matériaux, éléments, ou techniques d’un passé qu’on cherche à commémorer, ne fais que d’amplifier ce sentiment du déja là et du déja vu. Nous incitons le visiteur à creuser dans sa mémoire sans pour autant arriver à repérer ses souvenirs. Mais à rentrer en contact avec ses propres idées à la recherche d’une affection disparue dans un amas d’experiences.


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Pittoresque et sublime , la ruine est une marque du temps, complexe et evolutive. Relique d’un temps révolu, cette trace spatiale ne cherche guerre à s’affranchir du passé, mais plutôt de revivre dans le futur. Valoriser les ruines, ne veut aucunement dire que nous changeant le passé ou que nous falsifiant la mémoire qu’elle porte. Elle s’agit d’une forme d’un temps qui a existé, et qui cherche à perdurer jusqu’a aujourd’hui. Créer ce contraste entre la ruine monument ( debris ou vestiges dues à la prise du dessus par l’Homme, la nature, ou le temps ) avec cette ruine un peu artificielle, formés à partir des débris et de la matérialité temporelle du site ; cherche à valoriser cet aspet de l’architecture en tant qu’expression de la matière et de la forme. Cette dualité d’absence et présence que nous cherchons à faire questionner au visiteur, n’est en fait qu’une reprise de nouvelle forme. Cette ruine «sculpturale» porte autant de mémoire que les autres formes de débris présents sur le site.


A travers la matérialisation de cette mémoire, nous cherchons à immatérialiser le concept du lieu. Le maillage vient à la fois renforcer la structure des ruines afin de freiner sa dégradation , mais également permettre la lecture des entrailles de la ruine dématérialisée . Il cherche également à créer dans ses zones de vide , une trame cadrante du background, comme si on percevait une mémoire prisonnière de la réalité. Ce contraste crée une valorisation mutuelle de la mémoire de chacune et pousse à partager une histoire intemporelle avec ces lieux . Cette hybridationtends vers une nouvelle forme dans la composition spatiale ainsi que de la temporalité des lieux. Une spatialité, offrant de nouveaux usages ainsi qu’un mode de vie basé sur le recyclage et la réapropriation du déja-là. Les traces des formes préexistantes d’une ancienne architecture l’architecture entretient une conversation avec la mémoire collective emergente du lieu, ainsi qu’avec la mémoire l’individuelle de chacun qui repense, se crée et evolue.

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Palimpseste, hier et aujourd’hui 271



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Le projet se présente comme un cri étouffé par la profondeur du silence imposée par le paysage.

Ces souvenirs n’appartenant pas à un temps donné ( passé, présent, ou même futur) de par leur préexistence, ils nous permettent aussi à chaque instant de modifier notre regard sur les choses sans pour autant s’extraire de la réalité.


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Sidi Boubker

Jerada

Ahouli

Oued El Himer

Ouixane

Touissit

Mémoire d’une vie oubliée Un grand hommage à HOUARI Mohammed Amine , pour ces voyages, photographies, et souvenirs


Synthèse Générale Toute personne qui observe l’espace ressent un jour ou l’autre le sentiment du vide ou de la désertion. Ces lieux sont le produit de bouleversements importants, qui les ont laissés dans le nœud de la mémoire et de l’oubli. Ces lieux ne s’agissent pas seulement de simples lieux abandonnés ou délaissés, ils ne concernent pas seulement le passé ou le futur, ils sont l’amalgame de multitude de sens superposés et confrontés à travers le temps. Ces lieux abandonnés, délaissés, ou qui demeurent dans l’en attendant, confrontés à l’Homme, la nature ou encore au temps, nous semblent particulièrement intéressants, car ils sont à la fois des traces du passé, une âme du présent et un potentiel futur. Comme prisonniers entre le passé et le présent, ces lieux restent dans l’attente et l’anticipation, dans une aporie de la présence de l’absent. Les lieux, de par leur mémoire, nous invitent à les expérimenter et à les habiter. L’espace, le lieu, le temps, tous interpellent notre mémoire, requestionnent notre identité et nous invite à y songer et n’en faire qu’un. Chacun s’identifie à ces lieux à travers son vécu, son expérience, et ce qu’il est. Lors de cette experience immersive, il faut privlégier le caractère experimental de l’homme comme personne issue d’experiences differentes pour le pousser à reconnaître la mémoire ou se reconnaître à travers cette dernière. En effet, si individus et groupes se représentent et s’approprient le lieu de manières différentes, les perceptions du lieu vont évoluer dans le temps, assurant ainsi une multiplication de sens et une continuité de la mémoire. Ces lieux portent une expérience à partager, il est de notre devoir de faire ressenti cette mémoire, non de la corriger. Dans une dualité de valorisation de ce Genius Loci et d’en faire un nouveau moteur de développement, nous avons tenté de recréer une dynamique économique, industrielle, mais surtout mnémonique dans la ville de Jerada. Fidèles à leur terre et à leur mémoire, les habitants de Jerada, n’ont pas quitté les lieux même quand la ville a été proposée en vente. Fin d’une époque, fin d’une épopée, mais pas d’une mémoire, ces lieux, en ruines, n’ont pas perdu leur âme même si ils ont été fortement impactés . A travers ce travail modeste de recherche et de proposition de projet, j’ai tenté de mettre en œuvre une proposition de solutions à ces multitudes de problématiques que relève la mémoire, les lieux, et la crise ouvrière de Jerada. L’objectif est grandement celui de sensibiliser à la mémoire comme dimension importante dans l’appréhension des lieux, et de l’expérience spatiale. Les solutions proposées ne peuvent être décontextualisés, bien que plusieurs sites miniers ont connu la fermeture, la crise et l’abandon. La mémoire, comme on a l’a précedemment évoque, relève d’un caractère nouménal, et donc la réponse est indissociable du lieu, de la culture et de l’Homme qui s’y identifie.

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Bibliographie : Ouvrages : • • • • • • • • • • •

« La mémoire, l’histoire et l’oubli » Paul Ricœur - (1999) « Les lieux de mémoires » Pierre Nora « Le devoir de mémoire : « Que sais-je ? » » Johann Michel « The art of Memory » F.A.Yates «La mémoire collective» Maurice Halbwachs - (1950) réedition en 2001 « Le rêve suivi de “Fantômes de vivants” et “recherche psychique” » Henri Bergson « Les cadres sociaux de la mémoire » Maurice Halbwachs - 1994 «Entre ombre et lumière» Philippe SAYMN « La plaisanterie » Milan Kundera « Oubli, mémoire, histoire dans la deuxième considération inactuelle » Jacques le Rider, 1999 Jerada, ce lieu – Abdelkader Benhar, traduction de Ouahib Mortada

Articles/Publications : • • •

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Apercu historique succint sur la ville de Jerada La region de l’oriental_Monographie Generale – Ministère de l’Interieur, Direction Generale des Collectivités Locales 2015 Etude pour la réhabilitation & l’amenagement global de la friche industrielle du site minier de Jerada-Hassi-Blal en un Parc Muséologique du Site Minier _ Mission A/ Rapport Definitif – Mai 2011 Mines, Energie et Eau – Direction régionale du secteur de l’énergie et des mines - Oujda Culture and Organisation : Disturbing structure : Reading the Ruins – Karen Dale & Gibson Burrell – 2011 Les mines des Beni Bou Ifrour-Ixane ( Rif oriental ) : un district ferrugineux néogène de type skarns – Mohammed Bouabdellah, Néomie Lebret , Eric Marcoux, Mohamed Sadequi – 2013 Characterization of Moroccan Coal Waste (Jerada Mine): Impact on Physical Properties of Mortars Made of Coal Waste – Rajae Addou, Kinda Hannawi, William Prince Agbodjan, Mohamed Zenasni - 2017 Corrosion Performance of Weathring Steel Structure – R.Heidersbach Quand le tourisme questionne la mémoire – Asbl Tourisme autrement - 2013 Le bassin houiller de Jerada (Chaîne des Horsts, Maroc Oriental) – H.Chellai, R.Essamoud & E.C.Rjimati – 2011 L’erosion des côtes meubles de l’extrême Nord-Est du Maroc – Marc Sallmon M. , Abdelkader Sbai, Taieb Boumeaza , M.Benata , André Ozer – 2010


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Les paysages du Bassin minier Nord-Pas de Calais, Dynamiques d’evolution et enjeux de protection d’un paysage culturel évolutif vivant inscrit au Patrimoine mondial de l’UNESCO – Mission Bassinminier - 2018 La disparition d’une architecture moderne : De la ruine au monument – Pauline Jurado Barroso – 2012 Bulletin economique du Maroc – Société d’Etudes économiques et statiques , 5 (20) – 1938 Du deuil à la mémoire : Présence des images , Jean-Louis Tornatore – Enjeux de la mémoire : entre hypermnésie et oubli – Renée Bourassa Matérialité et spatialité d’une mémoire meurtrie : la reconnaissance mémorielle des maladies professionnelles des anciens verriers de Givors – Thomas Zanetti Habiter le temps ou la poétique des ruines – Murielle HLADIK Corrosion as a source of Destruction in construction, IJCIET , 9 (5) – Mohannad H.Al Sherrawi, Vyacheslav Lyashenko , Esraa M.Edaan, Svitlana Sotnik - 2018 Memorial Architecture as the Symbol of Remembrance and Memories – Danijela Miodrag Dimkovic – 2016 La bibliothèque de l’Ecole des Mines, lieu de savoir et lieu de mémoire pour les ingénieurs – Isabelle Laboulais Ruined Landscapes and the question of Desertification – Grove AT., Rackham O. – 2001 Les mémoires minières dans une communauté rurale : Paysage, temporalité et identité du lieu - 2014 Le secteur des mines dans la region de l’oriental - Direction du Développement Minier, 2008 Projet de centrale thermo-solaire de Ain Beni Mathar – Groupe de la banque africaine de developpement Landscape with ruins: preservation and presentation of archaeological relics of architecture - Monographs of the Ins tute of Archaeology of the Cardinal Stefan Wyszyński University in Warsaw – 2017 Guides techniques régionaux relatifs à la valorisation des déchets et coproduits industriels – PREDIS - Laboratoire régional des Ponts et Chaussées de Lille Negotiating memory and identity: the HydePark Holocaust Memorial, London – Stephen Cooke

Mémoires : • •

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Jerada , Cité ouvrière au Maroc – Mohamed BOUYADI 1979 Géochimie, géochronologie, du Pluton d’Aouli et comparaisons géochimiques avec d’autres granitoïdes hercyniens du Maroc par analyse discriminante – Driss Oukemeni 1993 A la recherche du vécu – Khanh Man TRAN Les laves dévono-dinantiennes de la Meseta marocaine : étude pétro-géochimique et implications géodynamiques – Fatima Kharbouch – 1994 Vers une mémoire mondialisée et marchandisée ? - Giulia Sassier Bettoni - 2017 MIBLADEN, AHOULI et ENJIL, sites miniers en friches, sites de mémoire - Bellarbi Omar - 2021


Les mines paysannes de villard-saint-pancrace : entre monde paysan et complexe minier. » Aymeric Lenne , Mémoire de maitrise 2003 L’architecture construction de nos souvenirs » Antoine Collet, 2013 Perenniser la mémoire incarnée » Sabbat Edhlem 2018 Réflexion sur la matérialité » Recueil de travaux étudiants sous la direction de Marc Miram, 2015 La fragilité : une esthétique fragmentée - Guillaume Maurest - 2007 La ruine de l’en attendant : un cas d’éphémère continu - Taïka Baillargeon, 2013 Les lieux de l’en-attendant : le cas du Generalstab de Belgrade - Taïka Baillargeon, 2015

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Revues : •

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Les mines et les villes minières marocaines : une mémoire collective et un patrimoine urbanistique à préserver – Espace Géographique et Société Marocaine n° 14/2016 - Abdelaziz Adidi Jerada Hassi Blal _ Hors Serie - Oriental.ma Existence historique et temporalité selon Bergson, Laval théologique et philosophique, 25(2),1969 – Roger Ebacher La théorie des ruines d’Albert Speer ou l’architecture « futuriste » selon Hitler, RACAR , 18 ( 1-2) Johanne Lamoureux Essais – L’histoire par les lieux : Approche interdisciplinaire des espaces dédiés à la mémoire, études réunies par Hélène Camarade, n°6 – 2014 Heritage, temporality and materiality : Perspectives exchanges between Italy and Philippines – Abitare il future , n° 26 , Pasquale Miano Psychanalyse et théories de la psyché, une perspective sociologique - Alain Caillé 2011 Mémoires, histoire et travail du deuil - Roger Martin du Garde Revue Littérature N°128 - 2002

Conferences : • • •

L’urgence de la mémoire collective pour la reconstruction du sens commun dans un espace temps traumatisé - Fabrice Collin, Mehdy Mariouch, Rachid Naim, Said El Mazouari - Institut Français - 2022 La mémoire, l’espace, l’oubli - Luis Umbellino – 2013 Paul Ricœur : Conférence «L’ oubli», 1999

Entretiens : • • • •

Dkhissi Mohammed, ingénieur Ministère de la transition énergetique et du developpement durable - Direction des mines Boukhwali Mohammed - Ancien mineur de Jerada Nabil Hassan - President de l’association Sif Rif ( Mines de Ouixane) Chibani Oukacha - Professeur , citoyen de Jerada


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Benaaas Yamina - Fonctionnaire, Fille de mineur de Jerada- Ouixane - Sidi Boubker Mariouch Mehdy - Photographe de la serie «Bribes de vie» Tartine - AncienResponsable RH du CDM (Jerada) Mrimi Khalid - Directeur du centre culturel de Jerada

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Germinal – Claude Berri , 1993 Los 33 – Patricia Riggan, 2015 Mines de rien – Mathias Mlikuz, 2020 Tous au charbon – C’est pas sorcier, 2016 Le sel de la terre – Wim Wenders, Juliano Ribeiro Salgado , 2014 Bribes de vie – Mehdy Meriouch, 2016 Terrils, du noir au vert , France 3 , Nicolas Cailleret , 2015

• Vidéographie:

Webographie : • • • •

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https://www.liberation.fr/planete/2018/01/12/jerada-ville-symbole-des-luttes-syndicales-marocaines_1622021/ https://orientalinvest.ma/ https://desert-maroc.com/mines-de-plomb-de-quartz-et-de-khol-a-merzouga/ https://mapecology.ma/actualites/centrale-thermique-de-jerada-nouvelle-unite-de-350-mw-bientot-operationnelle-standards-internationaux-de-preservation-de-lenvironnement/ https://visitworldheritage.com/ https://grandes-ecoles.studyrama.com/espace-prepas/concours/ecrits/culture-generale/la-memoire-et-l-oubli-7586.html https://lobservateur.info/article/13048/chronique/mines-de-jerada-le-cri-de-coeurde-lotage-de-la-memoire https://www.la-croix.com/Culture/Actualite/La-memoire-transformee-de-la-mine-_ NG_-2005-01-05-507117 https://www.artforum.com/print/200507/on-the-matter-of-time-richard-serra-at-bilbao-9409 http://doc.lerm.fr/lutilisation-cendres-volantes-beton/ https://energiemines.ma/assistance-et-appui-aux-pme-minieres/ https://www.prodig.cnrs.fr/activite-miniere-responsable-au-maroc/



J e r a d a

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