Avant-propos Où en étions-nous ? Dans l’avant-propos de la saison 2018-2019, la dernière du « monde d’avant », nous lancions cette invitation : « Alors, mettons-nous à l’ouvrage si le cœur vous en dit, le temps est venu de tisser une nouvelle étoffe. » Depuis, les fils de nos histoires tissées dans le présent de la représentation théâtrale se sont rompus et l’étoffe s’est déchirée offrant le triste spectacle d’un trou béant. Tout ce qui fonde l’expérience théâtrale a été empêché. Ne plus se réunir, ne plus se rassembler, ne plus partager des histoires dans le même espace, en somme cesser de faire société. Pour barrer la route à l’épidémie, ce sont les ponts qui nous relient que nous avons dû couper. Ce faisant, c’est la condition même de la vitalité de toute société humaine qui a été sommée de se mettre à l’arrêt et qu’il faut désormais ranimer. Allons-nous reprendre où nous en étions ? Il ne s’agit pas ici d’appuyer sur le bouton « play » après une longue « pause », n’en déplaise aux tenants du tout numérique. Il ne s’agit pas non plus de restaurer l’étoffe en comblant ses lacunes, les faire disparaître comme si elles n’avaient jamais existé. Nous n’avons pas encore terminé l’inventaire des dommages subis ni des effets délétères d’un langage outragé par la frénésie des détournements et des non-sens. La grande fragilité dans laquelle sont plongés les artistes ne va pas non plus s’effacer par magie avec la réouverture des salles de spectacle. Nous avons soutenu et accueilli aux Célestins des équipes qui ont pu continuer à répéter à huis clos, pour ne pas tout interrompre. Mais ce travail, aussi exigeant soit-il, ne fait pas œuvre tant qu’il n’est pas partagé avec le public. À la question « pourquoi le public va-t-il au théâtre ? », Giorgio Strehler répondait : « On ne peut pas rester assis deux trois heures, à voir la même chose, sans établir de liens. On ignore que ce sont des liens, mais ils existent : dans le noir, dans le vide, entre nous, des courants d’énergie se créent. » Alors oui, nous avons plus que jamais le cœur à l’ouvrage pour nous remettre à tisser avec vous ces liens, à renouer les fils des histoires qui nous relient à l’invisible, aux absents, à ceux qui ont été ou qui seront, aux œuvres et aux possibilités non advenues, pour tenter de réparer sans dissimuler. Et où serons-nous mieux alors qu’au théâtre pour redonner corps et sens au mot présence et ainsi réparer les vivants ? Claudia Stavisky et Pierre-Yves Lenoir Directeurs
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