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The CJN en français: Is the Benjamin Netanyahu era over?

Élections en Israël: L’ère Netanyahou est-elle révolue ?

Entrevue avec l’économiste israélien Jacques Bendelac PAR ELIAS LEVY

Benyamin Netanyahou est le premier dirigeant d’Israël à avoir forgé sa propre idéologie, le « bibisme », qui, en l’espace de trois décennies, a profondément transformé la société israélienne à plusieurs niveaux : politique, économique, social…

Dans un livre très fouillé, Les années Netanyahou. Le grand virage d’Israël (Éditions L’Harmattan, 2022), Jacques Bendelac retrace le parcours atypique de ce leader politique hors norme, qui détient le record de longévité d’un premier ministre israélien, et brosse un bilan des politiques, certaines très controversées, qu’il a mises en œuvre avec pugnacité.

Un livre qui arrive à point nommé alors que les Israéliens retourneront aux urnes cet automne pour la cinquième fois en l’espace de trois ans.

Docteur en économie, enseignant et chercheur, directeur de recherche à l’Institut israélien de sécurité sociale, à Jérusalem, Jacques Bendelac vit en Israël depuis 1983. Il est l’auteur de plusieurs livres remarqués sur l’économie israélienne, la société israélienne, les Arabes d’Israël et les relations israélo-palestiniennes.

Il a accordé une entrevue au Canadian Jewish News.

Dans la conclusion de votre livre, vous augurez l’émergence d’une ère post-Netanyahou (l’après-bibisme). L’actualité la plus brûlante en Israël – la fi n du gouvernement de Naftali Bennett et la tenue de nouvelles élections le 1er novembre prochain – ne dément-elle pas votre postulat ?

« On ne peut que regretter que l’enjeu des prochaines élections ne soit pas l’avenir d’Israël, mais l’avenir de Netanyahou »

Durant deux années entières, de 2019 à 2021, Netanyahou n’a pas réussi à former une coalition qui tienne la route, ce qui a entraîné sa chute. Rien ne dit qu’il y parviendra en 2022. Mais surtout, Netanyahou devra comprendre que s’il ne réussit pas à réunir une majorité de 61 députés à la Knesset, il devra laisser sa place à la tête du Likoud et se retirer de la vie politique. Il n’est pas sûr que tous ses partenaires naturels, notamment les harédim, continuent de le soutenir s’il subit un nouvel échec. Selon des sondages récents, il lui sera diffi cile de constituer une coalition stable qui ait une durée de vie plus longue que celle du gouvernement dirigé par Bennett. Et n’oublions pas que le procès de Netanyahou (accusations de corruption et abus de pouvoir) est en cours et que son avenir politique en dépend. On ne peut que regretter que l’enjeu des prochaines élections ne soit pas l’avenir d’Israël, mais l’avenir de Netanyahou !

Vous expliquez à quel point les politiques conduites par Benyamin Netanyahou durant les quinze années qu’il a dirigé Israël ont profondément changé le pays. Ces mutations sont-elle la résultante d’une « Révolution Netanyahou » ?

Le pays a connu de profonds changements qui sont liés à son développement économique, à sa croissance démographique et à sa modernisation. En quittant le pouvoir en juin 2021, Netanyahou a laissé derrière lui un pays plus riche et plus moderne qu’il ne l’avait trouvé en arrivant au pouvoir. En réalité, les deux décennies de « révolution bibiste » ont aussi exacerbé certaines tensions sociales, notamment entre Juifs et Arabes, entre laïcs et religieux, entre riches

« Au lieu de réunir le peuple face à des enjeux cardinaux, le « bibisme » a accentué les divisions entre les Israéliens »

et pauvres, etc. Les mutations que le pays a connues ont été largement influencées par le mode de gouvernance mis en place par Netanyahou durant les années qu’il a passées à la tête du pays. La démocratie en a pris un coup parce que Netanyahou n’a pas hésité à mettre en œuvre des mesures populistes lorsque les contraintes de sa coalition l’exigeaient. Pour se maintenir au pouvoir, il a continuellement brandi des menaces existentielles, telles que l’Iran et les Palestiniens. Ses opposants politiques ont souvent été qualifiés d’ennemis, et même de traîtres. Au lieu de réunir le peuple face à des enjeux cardinaux, le « bibisme » a accentué les divisions entre les Israéliens. C’est bien dommage.

Paradoxalement, les politiques économiques très libérales menées par Benyamin Netanyahou sont synonymes de prospérité économique et de paupérisation des couches les plus défavorisées de la société israélienne.

Effectivement, ce paradoxe s’explique par l’idéologie ultralibérale que Netanyahou a calqué du modèle américain et appliqué en Israël, d’abord comme ministre des Finances, de 2003 à 2005, puis comme premier ministre, à partir de 2009. Le libéralisme absolu que Netanyahou a prôné et mis en œuvre s’est traduit notamment par la baisse des dépenses publiques civiles (les dépenses militaires ont continué de progresser), la baisse de la pression fiscale, les privatisations, le rétrécissement de la protection sociale, etc. Certes, ce libéralisme a favorisé la prospérité économique du pays et élevé le niveau de vie moyen de ses habitants. Mais cette richesse n’a pas profité à tous les Israéliens. Certains se sont très fortement enrichis, alors que d’autres ont sombré dans le dénuement. Le bibisme a construit une société de moins en moins solidaire et de plus en plus individualiste, tandis que la population qui vit en-dessous du seuil de la pauvreté n’a cessé de s’accroître.

Jacques Bendelac

Le chapitre que vous consacrez à la diplomatie durant l’ère Netanyahou nous laisse dubitatif. Vous faites fi des percées diplomatiques spectaculaires réalisées par Benyamin Netanyahou auprès de puissances émergentes, la Chine, l’Inde, le Brésil… qui ont depuis considérablement consolidé leurs liens économiques et politiques avec Israël.

L’ère Netanyahou a connu des avancées diplomatiques importantes, mais surtout lorsque des intérêts économiques communs l’exigeaient. C’est le moins que l’on pouvait attendre du dirigeant d’un État qui n’a pas que des amis dans le monde et qui doit rechercher activement des partenaires commerciaux, ce que Netanyahou a très bien fait durant ses quinze années au pouvoir. Or, curieusement, il était plus facile pour Netanyahou de consolider les relations diplomatiques et économiques d’Israël avec des pays géographiquement très éloignés plutôt qu’avec nos voisins immédiats, totalement ignorés. Pendant une décennie, Netanyahou n’a pas rencontré le président égyptien. Par ailleurs, sous sa gouverne, la paix avec la Jordanie est restée très froide et les relations avec la Turquie se sont détériorées. C’est important d’avoir renforcé les liens avec un pays comme l’Inde, mais cela aurait été tout aussi utile de faire des efforts pour entretenir de bonnes relations avec nos voisins les plus proches.

suite à la page 36

suite de la page 34

Comment envisagez-vous les relations entre l’administration de Joe Biden et Benyamin Netanyahou, si ce dernier revient au pouvoir ?

Netanyahou n’a jamais entretenu de bonnes relations avec la Parti démocrate américain, ni avec son chef lorsque celui-ci était président (ce fut le cas avec Barack Obama). Lorsque Joe Biden a remplacé Donald Trump à la Maison Blanche en janvier 2021, Netanyahou était à la tête d’un gouvernement de transition. Le nouveau président démocrate américain a pris le contre-pied de la politique étrangère menée par son prédécesseur républicain. La cohabitation entre Biden et Netanyahou n’a duré que six mois. Il a fallu attendre l’arrivée de Bennett, qui a rencontré Biden à Washington en août 2021, pour insuffler un nouvel esprit de coopération entre les deux pays. Si les désaccords subsistent sur de nombreux dossiers des relations israélo-américaines, le dialogue entre le Parti démocrate et les dirigeants israéliens a repris. Le retour de Netanyahou risque de remettre en cause les premiers acquis de Bennett. C’est bien dommage car Israël a besoin des États-Unis pour normaliser ses relations avec l’Arabie saoudite, pour élargir les Accords d’Abraham et pour former un front commun contre la menace iranienne. Autant d’enjeux qui seront difficiles à réaliser si les relations entre Biden et Netanyahou restent tendues.

Vous êtes sévère à l’endroit de la politique menée par Benyamin Netanyahou dans l’épineux dossier israélo-palestinien. Les Palestiniens et le radicalisme de leurs dirigeants ne sont-ils pas à blâmer aussi ?

Les différences de vue entre Israéliens et Palestiniens ne doivent pas empêcher la poursuite du dialogue politique et de la coopération sécuritaire. Or, pendant onze ans, il n’y a eu aucun contact de haut niveau entre Israéliens et Palestiniens, un comble ! Il a fallu que le gouvernement Bennett se mette en place pour que le ministre de la Défense, Benny Gantz, rencontre le président palestinien, Mahmoud Abbas. Netanyahou a totalement éludé le dossier palestinien. Un choix qui conduit à la mise en place progressive d’un État binational, donc à la remise en cause de l’État juif. Même si les dirigeants palestiniens sont à blâmer – ce que je fais sans hésiter –, le rôle d’un chef d’État israélien est de trouver une solution au conflit afin de préserver le caractère juif et démocratique d’Israël. Ariel Sharon avait pris en 2005 une décision courageuse en se retirant unilatéralement de la bande de Gaza. Aujourd’hui aussi, si une paix négociée n’est pas possible, il faut envisager des solutions unilatérales pour mettre un terme à ce conflit qui n’a que trop duré.

Quel avenir pour le « bibisme » ?

L’avenir du bibisme est derrière lui ! Même si Netanyahou revenait prochainement au pouvoir, il ne retrouverait pas la même force politique qu’il avait durant les années 2009-2021. Celle-ci va s’affaiblir, notamment parce que les partis du centre (droite et gauche) ne feront pas coalition avec lui et qu’en s’alliant à l’extrême droite, il n’aura pas une marge de manœuvre très large. Son procès pour corruption l’a affaibli et ses amis politiques comprennent, même sans le dire ouvertement, que le Likoud aurait beucoup à gagner s’il était dirigé par un autre homme politique. Beaucoup d’Israéliens, même parmi ses partisans, sont persuadés qu’Israël peut continuer à vivre et à se développer sans Netanyahou ! Les années de « bibisme », caractérisées par un fort culte de la personnalité du chef, ont amoindri la démocratie israélienne. L’opposition entre « pro-bibistes » et « anti-bibistes » a assez duré. Il est temps de revenir à une démocratie saine où la droite et la gauche seraient légitimes. n

Behind this story (in English)

In an interview with The CJN, Jacques Bendelac, author of The Netanyahu Years: Israel’s Great Shift, retraces the extraordinary career of Benjamin Netanyahu, who holds the longevity record for an Israeli prime minister. As Bendelac explains, Israel changed in profound ways during Netanyahu’s time at the helm. Now, as the country heads back to the polls this November, the question on everyone’s mind is whether the “Netanyahu Revolution” has yet another chapter still to be written, or if Israel is ready for its post-Bibi era.

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