Ambiances et Situations

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AMBIANCES ET SITUATIONS IMMERSION DANS LE CENTRE VILLE DE SAINT-DENIS



«La formule pour renverser le monde, nous ne l’avons pas cherchée dans les livres mais en errant» Guy Debord, in girum imus nocte et consumir igni, 1978



Immersion

Ce petit guide est le résultat d’une série d’explorations du centre-ville de Saint-Denis, au cours desquelles j’ai pu apprendre à connaître un territoire riche de sens et de situations. Lorsqu’on le parcourt pour la première fois, un premier constat assez évident s’impose : le “spectacle urbain” est particulièrement riche, l’espace public s’agrémente de nombreuses scénettes, et il devient alors très plaisant de errer, attentif à ce que la ville et ses occupants nous proposent. De plus, par son architecture même, Saint-Denis est une ville relativement ouverte, rendant accessible aux curieux de nombreux espaces, parfois privés (arrières cours, coeurs d’ilôt, toits, ruelles,...). Ceci participe évidemment à intensifier l’expérience. Ici, la rudesse du territoire est aussi sa chance, la non-patrimonalisation du bâti donnant plus de place à l’appropriation. Cette démarche d’arpentage, aussi mental que concret, veut rendre tangible le général par l’éclairage d’autant de situations particulières et localisées, une plongée profonde dans la vie urbaine.

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«La nature sociale a horreur du vide. Dès qu’un lieu se présente, même le plus banal, elle l’investit de son sens, si misérable soit-il. Réfractaire à tout non sens, elle le pare aussitôt d’expériences neuves, de significations inédites, voire d’illuminations mi-sacrées mi-profanes. Elle ne peut résister à la tentation d’une projection spirituelle et recouvre tout de ses préoccupations.[...] Dès lors, toute existence humaine habille sans cesse les territoires urbains de mots, de récits de vie, d’impressions et de souvenirs pour les convertir quasiment en oeuvres. Que telle soit en fin de compte la manière dont les objets sociaux, destinés à l’origine à un usage répertorié, se défont de leur mission initiale pour revêtir aussitôt des habitus excentriques qui n’étaient pas contenus dans leur plan initial [...].» Bruce Bégout, Lieu commun, 2011

«Quels que soient ses aspects, le quotidien a ce trait essentiel: il ne se laisse pas saisir. Il échappe. Il appartient à l’insignifiance, et l’insignifiant est sans vérité, sans réalité, sans secret, mais est peut-être aussi le lieu de toute signification possible.» Maurice Blanchot, L’Entretien infini, 1969


Chroniques du quotidien

Les histoires qui suivent constituent un relevé non exhaustif des scènes urbaines évoquées précédemment. Elles ont en commun leur spontanéité, et leur cadre : l’espace public. Le regard se porte donc ici sur les usages et les situations plutôt que sur l’architecture, sur le contenu plutôt que le contenant. Bien sûr, cette liste a vocation à être étoffée. Dans ce sens, le style des dessins est relativement épuré. L’idée d’en faire un relevé sous forme de livret a plusieurs objectifs. En réaction aux nombreuses idées reçues auxquelles on est confronté lorsque l’on étudie Saint-Denis, il propose dans un premier temps de porter un regard neutre, pour faire ressortir les qualités d’un territoire largement stigmatisé. Il s’agit également dans un deuxième temps, à travers ces scènes du quotidien parfois cocasses et inattendues, voire exotiques, de stimuler ce regard pour imaginer naïvement le devenir de ces espaces et pourquoi pas de nouvelles situations. En effet, en se questionnant sur la raison pour laquelle certaines personnes choisissent un lieu plutôt qu’un autre, ces scènes peuvent nous en dire long sur l’usage de la ville. Enfin, ce petit livret tend aussi à donner envie de connaître Saint-Denis, et se veut être une invitation au voyage et à la dérive, certaines scènes n’étant volontairement pas localisées précisément afin d’entamer une recherche personnelle.


Jeux familiaux

Le jardin Pierre de Montreuil est un petit square paisible, quelques bancs au bord du chemin en font le lieu idéal pour une pause déjeuner ou pour passer un moment au calme. Cependant, certains dimanche la tranquilité de ces lieux est perturbée. On peut y apercevoir un homme amenant jouer ses petits enfants. Un rond gazonné tondu régulièrement en fait une aire de jeux idéale, la basilique en arrièreplan offrant un cadre de jeux exceptionnel. Ils jouent tous les trois en général pendant une bonne demi-heure, avant d’aller s’assoir dans un café de la place Victor Hugo.






Contre la grille

De jeunes Dionysiens ont pour habitude de se retrouver près de la Basilique, et occupent leur temps selon un rite très précis. D’abord, la possiblité d’y garer une voiture leur permet à la fois d’écouter de la musique, de stocker quelques objets, ou même de s’assoir. Dans cettte rue piétonne calme et peu passante, ils recréent un semblant d’intérieur. L’un deux sort ensuite un narguilé, et ils passent ainsi une bonne partie de l’après-midi à fumer la chicha dans les rues de Saint-Denis, offrant aux passants une scène particulièrement exotique




Rendez-vous

Sur les quais du canal, au nord du centre ville, un petit coin à l’écart est devenu un lieu privilégié pour les rendez-vous galants. Il n’est pas rare d’y croiser des couples assis au bord de l’eau. Coincé entre une desserte routière et les rails de train, l’endroit est étonnament calme. Sa situation en contrebas participe à la sensation d’isolement, et lui donne son caractère si singulier de lieu à l’écart.






Sous les fenêtres

Dans le quartier de la ZAC Basilique, un mur vierge en apparence banal devient parfois le support d’usages imprévus. Délimité d’un côté par un escalier, et de l’autre par une légère excroissance, il constitue pour les enfants du quartier une cage de foot parfaite, au pied des appartements. Ils donnent ainsi du sens et une fonction à un lieu qui en avait peu, voire pas du tout.





Snack

Dans le centre de Saint-Denis, de nombreux vendeurs à la sauvette proposent un snack simple et bon, des épis de maïs grillés. On peut les trouver un peu partout, notamment dans les rues piétonnes et les zones d’affluence. Leur équipement est rigoureux et efficace. Le caddie devient un outil à la fois mobile et fonctionnel, léger et grillagé pour servir de structure d’accroche, et sur roulette pour pouvoir se déplacer facilement. Les emplacements des vendeurs sont étonnamment organisés entre eux, et les affaires sont souvent très bonnes aux heures de pointe.




Le long du canal, près de la porte de Paris, on peut retrouver tous les jours, à heure fixe, un vieil homme venu nourrir pigeons, mouettes et canards. Il vient ici car il vit à deux pas, et ne raterait ce rendez-vous quotidien sous aucun prétexte. Il aime à penser que chaque jour, ses oiseaux l’attendent. Au moment où les sacs de graines sont déployés, le tumulte des oiseaux offre un joli spectacle.


L’homme aux oiseaux




Rassemblement silencieux

Une fois par mois, de nombreux habitants se réunissent devant la mairie pour protester contre les explusions de plus en plus nombreuses de sans-papiers, victimes directes de la politique de la ville visant à lutter contre l’habitat insalubre. Le rassemblement se fait chaque fois dans le calme, prenant au fur et à mesure de plus en plus d’ampleur. Seule une grande banderole est déployée : «Non aux expulsions».





Sauvette

Tout comme les vendeurs de maïs, de nombreux vendeurs à la sauvette peuvent être vus dans le centre de Saint-Denis. Présents dans les rues piétonnières et à proximité des zones commerciales, ils proposent une large gamme d’objets, de l’ustensile de maison aux jouets pour enfants. Leur installation est simple, un grand drap pour disposer leur marchandise, qui leur permettra de remballer le tout rapidement en cas d’arrivée soudaine de la police.






Village au bord de l’eau

Vu sous un certain angle, ce village autoconstruit se démarque des clichés habituels sur les bidonvilles et les taudis, effet principalement du à sa position, au bord de l’eau et au milieu des arbres. Il semblerait qu’ici les habitants aient tiré le meilleur parti de ce lieu légérement isolé. Il s’en dégage presque un sentiment de paisibilité, voire d’évasion. Menacés d’expulsion pendant plusieurs mois, les autorités sont finalement passées à l’acte et les habitants ont du déménager.





Vitrine

L’office public Plaine Commune Habitat organise parfois de petites expositions et conférences par le biais d’une vitrine, rue de la Boulangerie. Quelques habitués s’y retrouvent, ainsi que des curieux de passage. Ce jour là, le maire est présent, et l’exposition est dédiée à Aragon, poète et intellectuel engagé, fortement lié à l’histoire de la ville. Il est curieux de voir la parole d’un intervenant coupée à plusieurs reprises par le passage de quelques voitures le séparant ponctuellement de ses auditeurs. Mais tout le monde joue le jeu avec bonne humeur.




Garage improvisé

En face de l’île Saint-Denis, le trottoir qui longe la Seine a pour habitude de se transformer en garage improvisé. De nombreux véhicules se font réparés ici chaque jour, au bord de la route. Pour certains, ce service alternatif est surtout un moyen de faire des économies, préférant s’arrêter quelques minutes au bord de la Seine pour échanger quelques mots et régler un problème mécanique, plutôt que d’aller dans un véritable garage. À ce qu’on dit, le service est très satisfaisant, et le cadre plutôt agréable.






«Un voyage se passe de motif et se suffit à lui-même. Si on cède à une certaine dérive, si on laisse le voyage à un certain moment décider pour vous, à ce moment-là, on voyage véritablement parce qu’on s’expose. Ce n’est pas une morale du mérite, mais c’est davantage une morale de l’exposition.» Nicolas Bouvier




Thibault Le Poncin 2014


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