Shanghai : Paysages incertains

Page 1

Shanghai : paysages incertains de l’horizontalité vers la verticalité Thimothée Ma Mung Sous la direction de : Christian Pedelahore, Mémoire de M.2, MAP S.914, E.N.S.A.P.L.V, 2010-11



Shanghai : paysages incertains de l’horizontalité vers la verticalité Mémoire de Master, réalisé sous la direction de Christian Pedelahore

Thimothée Ma Mung étudiant n°06113 Ecole Nationale Supérieur d’Achitecture de Paris La Villette, E.N.S.A.P.L.V Séminaire, métropole de l’arc pacifique MAP, S.914 Master 2, 2010-2011



Introduction

p.09

I - Les cours et les ruelles du lotissement lilong : une affaire de ville

p.17

dans la ville ?

1- Le détachement de la cour héritée du sanheyuan : un vide qui struc-

p.19

2- La ville dans la ville : le lilong comme unité morphologique qui pro-

p.23

3- Fanerdeng : vers une ouverture des lotissements

p.31

ture le lilong

duit un paysage «certain» malgré la variété du dessin des formes urbaines

II - Caoyang xincun : le point de départ d’évolutions vers la collectivisation des espaces privés et la verticalisation des éléments du bâti

p.37

1- Phase I : vers la collectivisation des logements et des espaces exté-

p.41

2- Phase II : La fin des échelles intermédiaires comme témoin de l’évo-

p.49

3- Phase III et phase IV : appartements, balcons et galeries sont les

p.51

4- Phase V : l’émergence des « mini-tours » qui initie le passage à la

p.55

5- Un paysage de rangées et de parcs

p.57

rieurs

lution vers la barre « pure »

éléments qui témoingnent du transfert du sol vers la hauteur verticalité

III - « Un océan de tours » : de nouvelles formes urbaines qui mettent en évidence les processus de refermeture et de fragmentation des îlots

1- La rue Caoxi Nord : entre la barre et la tour

2- Des lotissements contemporains symboles du passage définitif à la

verticalité

3- La rencontre entre verticalité et horizontalité comme moteur du

caractère incertain du paysage

Conclusion

Paysages incertains : le changement d’échelle

Paysages incertains : la rencontre des formes urbaines

Bibliographie

p.61

p.63 p.67 p.77

p.85 p.87 p.97

p.103



Introduction Depuis 1978, l’ouverture économique de la Chine, et la fin du système d’attribution des logements en 2000, l’espace urbain des métropoles côtières a connu de profonds changements. Shanghai, la « tête du dragon », la capitale économique, la « vitrine de la Chine » pour l’exposition universelle de 2010, apparaît comme le terrain de changements de grande intensité et de grande ampleur. À la différence d’autres villes chinoises, soumises elles aussi à des croissances économique et urbaine importantes (Shenzhen, Chongqing), Shanghai reste une métropole à l’histoire urbaine ancienne et abondante. À Puxi, (rive gauche du fleuve Huangpu) les buildings de fer et de verre côtoient les lotissements du début du 20ème siècle. En face des restaurants populaires et des échoppes de vendeurs ambulants, où l’on déjeune traditionnellement de nouilles sautées, les enseignes américaines comme Mc Donald’s et Starbuck’s ouvrent leurs portes et attirent une clientèle importante. L’arrondissement de Hongkou se situe au nord du célèbre Bund, et regroupe notamment le quartier touristique de Huangpu et le centre financier de Shanghai de l’autre côté du fleuve, en face de Lujiazui. Jusque dans les années 1930, le sud de l’arrondissement appartenait à la concession internationale. De nombreuses activités industrielles s’y sont développées en raison de son emplacement stratégique sur le fleuve, mais aussi de son relatif détachement par rapport au centre, l’ancien champ de courses aujourd’hui devenu la Place du Peuple. Jusque récemment dans ce quaertier, les bords du Huangpu étaient remplis d’usines et d’entrepôts. Depuis les années 2000, de grands travaux de rénovation urbaine ont été engagés dans cette zone, avec le début des consultations pour le projet « North Bund » (aujourd’hui en phase finale de réalisation), ainsi que les politiques d’aménagement mises en place pour l’exposition universelle : « better city, better life ». Ces transformations sans précédents affectent fortement la physionomie du quartier. Des espaces urbains particuliers semblent émerger à travers la juxtaposition de différents éléments architecturaux : l’habitat traditionnel shanghaïen en briques, les barres de logement de l’époque Mao, les tours et les anciennes usines réhabilitées, ainsi que les ruines et les zones en statu quo. Les évolutions récentes des paysages de la ville de Shanghai : appréhender le passage d’une organisation traditionnelle des espaces urbains à « l’incertitude ». Le paysage est une notion souvent abordée en architecture et en sciences sociales, et se trouve

9


même au centre de questionnements importants dans certaines disciplines. Ainsi, le paysage est défini de manière particulière selon les auteurs qui ont choisi de s’y intéresser. L’objectif de cette partie est d’aborder différentes conceptions du paysage afin de pouvoir développer un outil analytique efficace dans la compréhension des nouvelles formes urbaines de la ville de Shanghai. À travers une conception qui met en valeur les relations entre signifiant et signifié, et qui place au centre de l’analyse paysagère la recherche d’une interprétation de ce qui est donné à voir, Marcel Roncayolo dit du paysage qu’il est : « une affaire de relation entre un regard et un objet. Le paysage implique

une perception, dont les aspects psychologiques sont beaucoup plus complexes qu’on ne pourrait le penser; il implique aussi la recherche d’un sens, d’une interprétation. Sensibilité à ce que l’on voit et connaissance de ce qui est derrière le paysage, de ce qui le produit, ne peuvent être pleinement dissociées. Pour employer le langage de la linguistique, signifiant et signifié renvoient à

un « contexte » : c’est ce que l’on appelle aussi, dans une terminologie quelque peu ambiguë, le référent, contexte saisissable par le destinataire, et qui est

soit verbal, soit susceptible d’être verbalisé. » […] « Pour ces disciplines [géographie et histoire], ce que l’on pense saisir ou déchiffrer à travers la

lecture du paysage, ce sont les phénomènes physiques et sociaux, les formes d’organisation qui expliquent le visible ».1

D’autre part, François Walter, dans ces recherches portant sur le paysage suisse, insiste sur l’existence et l’intérêt du paysage en tant qu’objet, à travers l’importance d’un « œil » qui soit capable à la fois de regarder, mais aussi de lire. « Appréhender le paysage comme un spectacle ou au contraire le lire comme un texte fait recourir déjà à une double métaphore, celle de la visibilité et

celle de la lisibilité. Encore faut-il des lecteurs de paysage qui savent voir et

lire. Dans le pire des cas, le paysage risquerait fort de disparaître au cas où personne ne saurait plus le contempler. Au mieux, il sombrerait dans ce flou de l’uniformité qui rendrait son déchiffrage plus qu’incertain. »2

Si dans son étude, François Walter traite plus volontiers des paysages ruraux que des paysages urbains, l’apport de sa pensée dans ce travail réside dans son interprétation 1 Marcel Roncayolo, Rencontre avec Marcel Roncayolo, in Pascal Sanson et al., Le Paysage Urbain: Représentations, Significations, Communication (Editions L’Harmattan, 2007), p. 13-14. 2 François Walter, ‘Le Paysage Incertain. Réflexions Sur Les Temporalités Paysagères Dans Le Contexte Helvétique’, Revue De Géographie Alpine, 94 (2006), 5-13 (p. 5)

10


de « l’incertain ». Ainsi, c’est lorsque le paysage n’est plus visible et/ou lisible, et que les relations (quelles qu’elles soient) entre le référent et l’objet tendent à disparaître, que les vues, les lectures, et donc les interprétations, revêtent un caractère incertain. Les travaux de certains chercheurs et architectes, portant spécifiquement sur la ville de Shanghai, développent des interprétations qui mobilisent à la fois les conceptions de Roncayolo et Walter, et le caractère incertain du développement de la ville, plus particulièrement du devenir de ses paysages. Pour le géographe Thierry Sanjuan : « À Shanghai, aucune logique paysagère n’émerge vraiment. Au total, une

haute forêt de tours écrase un sous-bois hérité, fait de courées pour l’essentiel, et perturbe une visibilité du dessin urbain. » […] « Les grands axes routiers

surélevés deviennent en cela les lignes directrices de la trame shanghaienne. »3

L’auteur pose la question de la visibilité du dessin urbain de la ville de Shanghai, en référence à son caractère hétéroclite. Ici, la visibilité semble remise en question par la superposition-juxtaposition des formes urbaines héritées et nouvelles : les tours dominent et écrasent les courées héritées, et se développe une relation conflictuelle. La notion d’héritage est intéressante dans le sens où la ville est contrainte à gérer ces espaces urbains issus d’une autre époque. Pour Christian Henriot et Zheng Zu’an : «Les habitations anciennes disparaissent par quartiers entiers. Des milliers de

tours et de gratte-ciel remodèlent non seulement la ligne d’horizon, mais toute l’organisation de l’espace urbain. Les repères passés s’effacent et font place à un univers physique et symbolique inachevé, incertain, et fluctuant».4

D’après ces auteurs, Shanghai est prise dans une profonde restructuration de son espace urbain. Le caractère incertain de ses paysages réside aussi bien dans l’univers physique, la chair de la ville et le tissu urbain, que dans le domaine symbolique des représentations de l’espace urbain. L’architecte chinois Qi Xin a développé un concept intéressant pour la compréhension de l’espace urbain des grandes métropoles chinoises : « le paysage incertain ». 3 Thierry Sanjuan, Atlas Shanghai (Autrement, 2009), p. 43. 4 Christian Henriot et Zheng Zu’an, Les divisions de ville à Shanghai (XIXe - XXe Siècle), in Christian Topalov et al., Les Divisions De La Ville (Editions MSH, 2002), p. 161.

11


« On peut y trouver des bâtiments grands comme des bâtiments petits, des

bâtiments rouges, des bâtiments verts, de styles ancien, moderne, occidental ou chinois. »

Sa description met en relief le caractère morphologique hétéroclite de ce qu’il nomme « paysages incertains », mais il ajoute à sa définition une dimension temporelle : le changement permanent de contexte. « On sait bien qu’en Europe, avant de commencer à concevoir son propre

projet, on fait beaucoup d’analyses sur son environnement, sur son voisinage

alors qu’ici c’est souvent très incertain et même si vous avez éventuellement un voisin, il risque de disparaître avant que votre bâtiment émerge. »

Ces mutations constantes posent une question très importante dans la pratique de l’architecture : « Est ce que l’on peut trouver des existants qui n’existent pas ou des existants potentiels pour que l’on puisse avoir une référence pour démarrer notre travail, notre réflexion sur le projet? »5

Ces remarques offrent un point de départ pour tenter d’éclaircir ce concept, et plus généralement les enjeux de l’espace urbain et de l’architecture dans la Chine contemporaine. La conception de ces paysages par Qi Xin est fortement empreinte d’une visée opérationnelle en accord avec la pratique du projet d’architecture. Les travaux et observations de terrain effectués à Shanghai et l’état des lieux sur la conceptualisation du paysage et de l’incertain nous amènent, pour les besoins de ce travail, à définir le « paysage incertain » de façon à ce qu’il constitue un outil adapté à l’analyse des dynamiques urbaines et paysagères à l’œuvre dans la ville de Shanghai. Dans ce travail, le paysage urbain est interprété comme un ensemble de configurations (voies, bâtiments, espaces publics, vides), saisies par le regard horizontal, mais aussi par le regard vertical (plan, vue à vol d’oiseau, photos aériennes). C’est cet ensemble de saisies horizontales et verticales qui constitue le paysage. Jusqu’aux années 1930 il était possible à partir de la saisie d’une partie du paysage, de deviner, voire d’imaginer l’ensemble de la ville, que ce soit par l’observation d’un point de vue vertical ou horizontal. À cette époque, l’homogénéité des formes permettait d’anticiper ce que le regard ne pouvait pas saisir. 5 Qi Xin (Qi Xin Architects & Engineers), La nouvelle génération d’architectes chinois, Conférence à la cité de l’architecture et du patrimoine, 18 Juin 2008

12


Aujourd’hui, compte tenu de la diversification des formes urbaines et de leur coprésence dans la ville, on note une forte hétérogénéité des éléments constitutifs du tissu urbain. Cette variété est telle qu’il devient impossible d’imaginer les formes de l’espace qui se déploient au-delà de ce qui s’offre à la vue, et c’est premièrement en ce sens qu’il semble possible de parler de paysage incertain : à travers l’impossibilité de saisir le paysage urbain à partir d’une partie qui le constitue. Ceci étant dit, le paysage nous paraît incertain dans un deuxième sens : l’impossibilité d’anticiper, à partir de ses formes actuelles, la forme qu’il prendra dans le futur. Le paysage incertain s’exprime donc dans deux temporalités différentes : dans le moment présent où l’on ne peut anticiper ce qu’est le paysage au-delà de la saisie qu’on en fait hic et nunc ; et dans le futur, parce que l’hétérogénéité des formes urbaines actuelles ne permet pas de prédire où, quand ni comment l’espace sera réorganisé. L’incertitude réside dans l’impossibilité d’anticiper ce qu’est ou ce que sera la ville à partir de ce que son paysage nous donne à voir. Considérant les hypothèses de travail, les outils conceptuels utilisés et l’interprétation qui en sera faite par la suite, on se propose de structurer cette étude autour d’un questionnement central menant à une série de questions secondaires. Quels sont les phénomènes résultant de la rencontre entre les formes et configurations urbaines, héritées et contemporaines, et leurs dynamiques paysagères spécifiques, et dans quelle mesure ces processus contribuent-ils au caractère incertain des paysages de Shanghai ? Dans le temps, comment peut-on différencier les dynamiques paysagères spécifiques et les formes urbaines qui leur sont associées ? Quels sont les modes de constitution de ces dynamiques qui construisent la ville ? À quelles logiques sont-elles soumises ? Afin de répondre aux questions posées, on se propose d’organiser le travail en trois parties. On s’intéressera d’abord à la structure et à l’organisation du lotissement lilong, pour ensuite traiter des nouvelles formes urbaines produites par la verticalisation des formes de bâti. Enfin, on tentera de comprendre l’incertitude des paysages produits par la rencontre entre les tours et les formes héritées des périodes précédentes. Afin de comprendre les éléments constitutifs du paysage incertain, il paraît indispensable d’étudier les différents systèmes urbains constituant la métropole. Beaucoup d’études sur l’architecture ou le développement urbain de Shanghai on été

13


réalisées portant tantôt sur les lilong ou les nouveaux bâtiments phare de la ville, tantôt sur le développement urbain de la métropole à travers les grands événements historiques et les politiques urbaines. Cette séparation est d’ailleurs souvent marquée dans les ouvrages portant sur l’architecture dans cette ville. L’objectif est ici de développer une approche sensiblement différente en tentant d’approcher la métropole chinoise à travers une échelle intermédiaire : celle de l’ilot. L’idée principale est d’étudier les systèmes de distribution et les espace extérieurs propres à ces ensembles qui constituent la ville de Shanghai. Plus largement l’objectif de cette première partie est de mettre en évidence l’évolution des formes urbaines à vocation résidentielle, à travers leurs interactions avec l’espace urbain environnant. L’intérêt n’est donc pas de relater l’évolution de l’habitat à Shanghai à travers l’introduction des nouvelles fonctions au sein de l’espace domestique (le garage, la cuisine américaine la salle de bains, l’appartement en duplex ou le penthouse). L’intérêt n’est pas non plus d’étudier les formes architecturales à travers le temps en essayant d’en distinguer les apports chinois et occidentaux, mais plutôt de tenter de comprendre la manière de penser la ville à partir des fragments, des morceaux qui la constituent. Ici, le choix de l’étude de cas en tant qu’outil d’analyse est motivé par la volonté de construire une série d’hypothèses de travail à partir de l’observation de formes urbaines concrètes. La vocation de cet exercice est de rendre compte des évolutions des configurations urbaines à Shanghai. Le parti a été pris de découper l’analyse en trois périodes correspondant à trois types d’ensembles urbains : les lilong du milieu du 19ème siècle jusqu’au milieu 20ème siècle, les xincun ou « nouveaux villages », à travers l’exemple de Caoyang ( des années 1950 aux années 1980), et enfin les ensembles de tours de logements (des années 1980 à nos jours). Ici, l’objectif est de démontrer en quoi l’évolution progressive des espaces extérieurs semble aboutir à des interactions conflictuelles.

14



a

b

0m

400m

Fig. 1 : Le tissu urbain formé par les lilong a. Le centre de Shanghai dans les années 30, en haut le champs de courses, en bas, une série de lotissements lilong. (source : Virtual Shanghai) b. Photo aérienne de 1933, montrant les tissus urbains entourant le champs de courses. (source : http://landlab.wordpress.com, pdf : Huang Yiru, Housing in Shanghai )

16


I - Les cours et les ruelles du lotissement lilong : une affaire de ville dans la ville ?

L’expression « lilong » est formée d’une part par le mot li, qui signifie communauté et long, qui signifie ruelle, venelle. Les lilong sont des lotissements qui apparaissent à la fin du 19ème siècle dans la ville de Shanghai et qui constituent environ 70% du bâti de la ville de Shanghai en 1940. Le lilong est la forme de spéculation immobilière principale de la ville de Shanghai jusque dans les années 40’. Il se caractérise par un système de maisons accolées – généralement traversantes nord/sud - desservies par un système de ruelles hiérarchisé, qui desservent le lotissement au moyen d’un ou plusieurs accès aux rues qui l’entourent. Plusieurs classifications des lilong ont été établies. Celle de Qian Guan en 1996 distingue cinq grands types de lilong : le lilong shikumen ancien, le lilong shikumen nouveau, le lilong nouveau, le lilong jardin et le lilong appartement6. L’auteur deux grands groupes au sein de ces lilong : ceux organisés sous forme de maisons en bandes et ceux prenant la forme d’un immeuble. Cette classification repose sur des critères qui mobilisent le caractère architectonique des bâtiments et l’organisation des espaces propre à l’habitat. Françoise Ged propose deux grand types de lilong : shikumen (avec une porte en pierre) et xinshi lilong (nouveau lilong).7 Ce type d’études présente les évolutions des lilong à travers des critères architectoniques (ornements, matériaux, organisation des pièces de la maison). Dans ce travail, l’analyse portera plutôt sur les éléments dits « permanents » à savoir les systèmes de ruelles et de cours.

6 Qian Guan, Lilong Housing: A Traditional Settlement Form (McGill University, 1996). 7 Françoise Ged et Institut français d’architecture, Portrait De Ville: Shanghai (Institut français d’architecture, 2000), p. 25. Note : la thèse de doctorat n’a pas été consultée.

17


a

b

RUE FENGYA

NG

1 3

3

3 2

1

1

N A N K IN

1

1

R U E

D E

RUE YANGSHUPU

c

d RUE XI’AN

1

1 1

1

3

GPI SUD

1

1

3

RUE LUSHUN

RUE HUAN

2

2 1

1

1

1

RUE DONGCHANGZHI

e

I

IHA

UA

EH

RU

1

RUE MAO

1

MING

1

1

RUE

2

SHA NXI SUD

1

1

G

AN

CH

AN

EN

RU

1 Bande de commerce 2 Cour principale 3 Cour secondaire 0m

50m

Fig. 2 : Evolution des lilong a. Lilong Tongfuli, shikumen ancien. Unités de 3 et 4 portées b. Lilong Huaxinfang, lilong cantonais. Unité de 1 portée (noter l’abscence de cour principale) c. Lilong Meilangfang, shikumen nouveau. Unité de 1 portée d. Lilong Shishanli, shikumen nouveau. Unité de 1 portée e. Lilong Huaihai, lilong nouveau. Unité de 1 portée a.e. (source : par l’auteur, d’après : Qian Guan, op.cit.), b.c. (source : par l’auteur, d’après : http:// landlab.wordpress.com, op.cit.), c. (source : par l’auteur)

18


1- le détachement de la cour héritée du sanheyuan : un vide qui structure le lilong Des éléments de base constituent le lilong et se retrouvent dans la quasi-totalité des opérations : un corps de bâti (orienté dans presque tous les cas nord-sud), une cour principale (au sud) et une cour secondaire (au nord). Le bâtiment constituant les lilong shikumen dit « anciens »possèdent une cour principale centrée, avec une porte d’entrée en pierre (origine du mot shikumen), entourée de deux ailes et d’une cour secondaire (puits de lumière) étirée selon un axe est-ouest à l’intérieur du bâti. Les lilong sont généralement de 3 ou 5 portées de large, permettant une organisation symétrique de l’édifice. La cour principale est située sur la ou les portées du milieu. Celle-ci dialogue directement avec le bâti qui l’entoure car sa spatialité dépend de trois côtés du bâtiment, de trois façades. C’est un modèle qui se rapproche fortement de l’architecture traditionnelle chinoise, notamment du « san he yuan » (cour à trois côtés). La façade nord du bâtiment est continue. Une première évolution peut être remarquée dans le lilong Tongfuli : l’unité de 2 portées. Une portée sert à la cour principale, l’autre à une aile. L’unité en elle-même perd sa symétrie, et ce n’est que dans l’assemblage de deux de ces unités que la symétrie est conservée. Malgré cela, on constate que la cour perd une façade et commence à se dissocier du bâtiment. En référence à la classification traditionnelle chinoise, on pourrait l’appeler « er he yuan » ou « cour à deux côtés ». Les types suivants fonctionnent sur un système morphologique sensiblement différent, utilisant majoritairement une largeur de 1 portée. On en distingue deux en fonction de la forme de la cour arrière. D’un côté on retrouve des unités avec une cour secondaire au milieu du bâtiment, ressemblant fortement aux puits de lumière des typologies antérieures, mais de taille plus réduite (environ 4m²) que l’on appellera lilong « à puits de lumière ». D’un autre côté, on trouve des courettes arrière donnant sur la venelle extérieure et mesurant 1/3 de portée. Ces types d’unités s’assemblent par couples symétriques (comme les unités antérieures de 2 portées). Ce sont les lilong « à cour arrière ». Le rythme exprimé sur les façades donnant au sud dans le shikumen dit « ancien », se retrouve sur les façades donnant au nord dans les lilong dits « à cour arrière ». On assiste donc à un retournement du rythme des façades. Parallèlement, la cour principale, a « perdu ses ailes », en effet, elle est déterminée au nord par le bâtiment, et sur les trois autres côtés par des murs. Elle ne possède donc plus qu’une seule façade. Cette cour

19


a

1 5

2

5

1

3

5

5

5

5

5

RUE DE NANKIN

RUE FENGYANG

1 Bande de commerce 2 Cour principale 3 Cour secondaire 4 Ruelle Principale 5 Ruelle Secondaire 0m

b

15m

1 2 5

3 4

5

5

5

RUE NANCHANG

Fig. 3 : Evolution de la morphologie des lilong a. Coupe Schématique nord-sud vue vers l’ouest, lilong Tongfuli, shikumen ancien. b. Coupe schématique nord-sud vue vers l’ouest, lilong Huaihai, lilong nouveau. Les ruelles se sont élargies et la hauteur des bâtiments a augmenté d’un étage. (source : par l’auteur)

20


principale devient un élément « détachable » du bâtiment. Cette idée est confirmée par le fait que l’on trouve dans les lilong dit « cantonnais » les typologies « à cour arrière » et « à puits de lumière » sans la présence de la cour principale. L’ étude des assemblages des cellules et des espaces extérieurs appartenant directement aux unités d’ habitation montre trois phénomènes bien distincts. - Tout d’abord, la perte de symétrie de l’unité (ou cellule) ayant pour conséquence de transférer ce caractère à un couple d’unités. - Ensuite un retournement du rythme des façades du sud vers le nord. - Enfin (et de manière concomitante), on constate une perte progressive du nombre de façades donnant sur la cour principale. Ce phénomène engendre un détachement progressif entre la cour et le corps de bâtiment qui dépendent de moins en moins l’un de l’autre. Cette cour perd progressivement ses murs pour s’ouvrir vers l’extérieur. a

b

Fig. 4 : Retournement du rythmes des façades entre les shikumen ancien et nouveau a. Vue de la ruelle secondaire, lilong Tongfuli, shikumen ancien b. Vue de la ruelle secondaire, lilong Shishanli, shikumen nouveau (source : par l’auteur)

21


a

b

c

d

e

Fig. 5 : Evolution des systèmes de déplacement a. Lilong Tongfuli, shikumen ancien b. Lilong Huaxinfang, lilong cantonais c. Lilong Meilangfang, shikumen nouveau d. Lilong Shishanli, shikumen nouveau e. Lilong Huaihai, lilong nouveau (source : par l’auteur)

22

0m Entrées Principales Secondaires Traversantes Semi-Traversantes Non-Traversantes

50m


2- La ville dans la ville : le lilong comme unité morphologique qui produit un paysage «certain» malgré la variété du dessin des formes urbaines a) un système de distribution qui met en valeur l’autonomie du lilong. Les lilong présentent un système particulier de distribution interne, constitué de ruelles, qui peuvent être divisées en deux grandes catégories. D’un côté, les ruelles principales, les plus larges, orientées nord-sud, distribuant l’ensemble du système mais pas directement les unités. Elles se constituent d’un paysage de « murs pignon » résultant de l’orientation nord-sud des unités de bâti constituant l’ensemble. D’un autre côté, les ruelles dites secondaires, les plus étroites, sont orientées généralement est-ouest et distribuent directement les maisons. Le paysage les entourant est fondamentalement différent de celui de la ruelle principale. L’espace n’y est pas organisé de manière symétrique. On retrouve généralement : au sud, l’arrière d’un bâtiment, au nord l’ avant. Ces deux éléments forment un maillage orthogonal différencié qui permet d’irriguer la totalité des unités bâties du lotissement. On peut, à partir des ruelles principales, distinguer trois grands types : - traversant : reliant deux points d’entrée - semi-traversant : relié à un seul point d’entrée - Intérieur : qui n’est relié à aucun point d’entrée. Généralement, la ruelle dite principale est traversante ou dans certains cas semi-traversante (particulièrement lorsque les parcelles ne relient pas deux rues). D’autre part les rues semi-traversantes peuvent être des ruelles aussi dites secondaires, particulièrement dans des parcelles d’angle (ex : lilong shishanli). Sur les cinq types présentés, deux offrent une organisation particulière : Meilangfang et Huaihai : - À Meilangfang, la parcelle ne se trouve ouverte que sur une rue à l’est : la ruelle du milieu, sensée être secondaire, s’élargit et se retrouve ruelle principale. - À Huaihai, on retrouve deux ruelles principales, l’une orientée nord-sud, l’autre orientée est-ouest. Une ruelle nord-sud est pourtant esquissée depuis la rue Nanchang, mais se trouve coupée par le bâtiment, une dizaine de mètres après l’entrée. Dans une logique de distribution plus efficace, il eût été plus pratique de recouper les trois éléments centraux du système (constitué de 29 maisons) en deux. Contrairement au cas de Meilangfang, ce choix à été fait de manière délibérée, probablement afin d’installer l’entrée principale dans l’angle des rues Nanchang et Maoming, ou d’optimiser le

23


a

b

c

d

e

Fig. 6 : Les différents systèmes de fermeture a. Lilong Tongfuli, shikumen ancien b. Lilong Huaxinfang, lilong cantonais c. Lilong Meilangfang, shikumen nouveau d. Lilong Shishanli, shikumen nouveau e. Lilong Huaihai, lilong nouveau (source : par l’auteur)

24

0m

50m


nombre de maisons construites. Les lilong Meilangfang et Fanerdeng évoquent un retournement de la ruelle principale de l’axe nord-sud vers l’axe est-ouest, avec le paysage urbain qui l’accompagne. La ruelle principale ne donne plus sur des pignons, mais articule désormais un avant et un arrière. Parallèlement, à Fanerdeng, ce changement amène une certaine confusion dans l’identification des statuts - principal ou secondaire - des espaces de distribution des lilong. D’une séquence : entrée du lilong - ruelle principale - ruelle secondaire - entrée du bâtiment

On passe à la séquence suivante : entrée du lilong - ruelle - entrée du bâtiment

On assiste donc à la disparition d’un seuil, d’une échelle intermédiaire dans la constitution des systèmes de distribution des lilong. Comme la cour principale, les ruelles secondaires ne tarderont pas à disparaître.

b) Des éléments de fermeture particuliers qui jouent le rôle d’interfaces entre «dedans» et «dehors» Une caractéristique remarquable des lilong est qu’ils fonctionnent comme un élément indépendant par rapport à la ville qui les entoure. Cet aspect est renforcé par le fait qu’il existe deux systèmes de distribution bien distincts. D’un côté les rues, les avenues ou les boulevards, constituent le maillage appartenant à la ville, chaque bâtiment ayant son propre numéro. D’un autre côté, les ensembles de ruelles constituent le système de distribution de chaque lilong. Chaque lotissement possède son propre système de numérotation. Par ailleurs lorsque les lilong n’occupent pas un îlot entier - ce qui est le cas de figure le plus courant – il n’existe pas ou peu de liens entre un lotissement et ceux qui lui sont mitoyens. Ils sont simplement séparés par un mur. Chaque opération fonctionne donc de manière « autonome » en venant se greffer directement sur le réseau viaire de la ville. La coexistence de deux systèmes de distribution révèle l’existence d’un « dedans », propre au lilong et aux individus qui l’habitent, et d’un « dehors », appartenant à l’espace public. Le lien entre le dedans et le dehors est matérialisé par plusieurs éléments. Tout d’abord,

25


a

b

c

d

Fig. 6 : Exemple d’une séquence d’entrée dans un lotissement lilong imaginaire. a. La rue. Elle présente une morphologie homogène, elle est isomorphe. b. Le passage couvert. Il permet d’articuler les deux mondes, celui de la rue et du lotissement. c. La ruelle principale. Elle se constitut par les pignons. d. La ruelle secondaire. Elle offre d’un côté une façade principale (à gauche) et une façade secondaire (à droite). (source : par l’auteur)

26


un ou plusieurs passages couverts, généralement ornés du nom du lilong, qui font office de porte d’entrée du système et d’éléments de connexion directe entre la ville et le lotissement.Ensuite, une ou plusieurs « bandes » de commerces donnant directement sur la rue et jouent le rôle d’interface. Ces bandes appartiennent à la fois à la ville, car elle donnent directement sur la rue principale, et à la fois au lilong puisque l’arrière donne sur une ruelle du système, et que les commerçants logés dans les étages supérieurs font partie de la communauté du lotissement. A Tongfuli, l’articulation entre la rue et le lotissement passe par deux éléments. À l’ouest, un mur sépare les bâtiments et coupe volontairement les ruelles de la rue, les transformant en impasses. Au nord et au sud, on note la présence d’entrées couvertes tranchant avec la configuration habituelle du lilong. Une distinction nette est alors réalisée entre le dedans et le dehors. A Shishanli et Huai-hai, c’est par un changement typologique moins net que cette articulation se traduit dans les lilong « à cour arrière » et sans cour principale (se rapprochant du lilong cantonnais). L’unité de base perd sa cour principale lorsqu’elle entre en contact avec la rue. Parallèlement à ce changement de typologie, on observe un retournement du bâti, sur les rues nord-sud de Shangqiu et de Maoming. Le système n’est donc pas aussi unilatéral que dans le cas de Tongfuli, et tendrait plus à s’adapter aux rues qui l’entourent. Ainsi, ce retournement engendre la création d’une ruelle nord-sud à l’arrière des bâtiments donnant sur la rue. On y retrouve un paysage urbain associant cour arrière d’un côté, et murs pignon de l’autre.

c) La ville dans la ville Les trois éléments étudiés ici amènent à réfléchir sur les caractères spécifiques des lilong. On y retrouve des caractères communs à tous ces types de lotissements : l’orientation nord-sud des maisons, l’organisation en bande, la présence de deux cours, l’une principale, l’autre secondaire, et l’utilisation d’un système de distribution interne hiérarchisé sur au moins deux niveaux (principal et secondaire). On y trouve également un système de numérotation propre, la présence de passages couverts pour entrer dans le lilong, et un système de fermeture utilisant des commerces. Toutes ces caractéristiques conduisent à penser le lilong, comme un système fermé, microcosmique, et relativement indépendant du reste, reproduisant les éléments de la ville (rue principale, rue secondaire) à échelle réduite. Cette configuration introduit l’idée de « ville dans la ville », organisée autour de la communauté, et dont l’entrée est contrôlée. Ce caractère n’est d’ailleurs pas seulement propre au lilong mais plus généralement aux ensembles urbains chinois.

27


a

b

0m

200m

c

b 3 1

4

2 1 Le champs de course 2 Ville chinoise 3 L’international settlement 4 La concession Française b Zone Photographiée 0km

1km

Fig. 7 : Compléxité du tracé et répétition de la même forme urbaine. a. Tissu de lilong, la même forme urbaine se répète. (source : par l’auteur) b. Photo aérienne de 1933 dans l’actuel quartier de Hongkou. Les lotissements en construction présentent tous le même principe d’organisation. (source : Virtual Shanghai) c. Carte de Shanghai en 1944, montrant les 3 entités administratives qui la constituent. Le réseau de rues est complexe et sinueux. (source : par l’auteur, d’après : http://www.lib.utexas.edu/maps/)

28


Le réseau viaire du Shanghai des années 1930 ne montre pas – à la différence de NewYork ou de Pékin – un dessin urbain identifiable au premier regard. Trois unités administratives - autorités chinoises, international settlement, concession française - assurent la gestion de la ville. Les décisions d’aménagement prises par chaque entité sont rarement concertées. Par ailleurs, la croissance de la ville s’effectue aussi au gré des opportunités offertes aux différents acteurs de chaque unité administrative à travers la construction de lotissements selon les disponibilités des terrains. Il en résulte une structuration complexe du système des rues. Paradoxalement, les îlots résultant du découpage de ce réseau sont composés d’une même forme urbaine : les lilong. C’est la combinaison de ces éléments qui produit la ville et son l’image. Les rues ont toutes le même aspect, les types de bâtiments qui les entourent sont identiques Cette unité conduit à la constitution d’un espace isomorphe, la base du paysage urbain du Shanghai de l’époque. De cette masse homogène émergent le Bund sur les bords du Huangpu, le champ de course de l’international settlement, la pagode de Longhua, et quelques autres éléments tout aussi repérables. Le lilong participe aussi à l’épaisseur de la ville. Derrière les bandes de commerces, malgré la difficulté à s’imaginer la nature des activités qui s’y déroulent, la morphologie du bâti est aisément anticipable. Le même système de symboles est utilisé, et les séquences qui mènent aux lotissements sont similaires. On passe par la rue, on traverse les commerces par un passage, l’espace public disparaît derrière les éléments de fermeture, on pénètre dans un microcosme, on emprunte la ruelle, on entre dans le bâtiment. Le paysage formé à partir d’éléments identiques est en ce sens prévisible et l’observation d’une petite portion de Shanghai, permet d’en comprendre le fonctionnement général.

29


a RUE CHANGLE

RUE SHANXI SUD

1

3 2

1 Bande de commerce 2 Jardin 3 Cour secondaire

0m

50m

b

c

RUE CHANGLE

4

4

4

4

2

3

1 Bande de commerce 2 Jardin 3 Cour secondaire 4 Ruelle

1 4

4

4 0m

15m

Fig. 8 : La création des jardins dans le lilong Fanerdeng a. Plan masse. Les bâtiments ne touchent plus la limite séparative (à l’est). (source : par l’auteur, d’après : Qian Guan, op.cit.) b. Photographie. Le lotissement est agrémenté de petits jardins (source : http://landlab.wordpress.com, op.cit.) c. Coupe schématique nord-sud vue vers l’ouest du lilong Fanerdeng. Les murs des cours des lilong précédents ont été remplacés par des murets.

30


3- Fanerdeng : vers une ouverture des lotissements L’exemple du lilong Fanerdeng marque une évolution importante dans les systèmes de lotissements shanghaiens. Il reste cependant organisé par des bandes de maisons mitoyennes - orientées nord-sud avec un vide principal au sud, et une courette arrière desservies par des venelles, une bande de commerces au nord ainsi que des murs au sud et à l’est, venant fermer le système.

a) La chute des murs qui transforme les cours en jardins En s’intéressant plus précisément aux espaces vides situés au sud de chaque maison, on remarque que la cour principale s’est transformée en jardin. Plus important encore, ce jardin a échangé des murs hauts de trois mètres pour des murets d’une cinquantaine de centimètres. De plus, l’accès à la maison se fait grâce à un petit escalier. En réalité c’est une mutation profonde qui s’opère ici, au-delà du changement de fonction (cour vers jardin). D’ un modèle : Ruelle | Mur | Cour | Bâtiment Entrée

On passe au modèle : Ruelle | Muret | Jardin | Bâtiment Entrée surélevée

Le regard porte directement sur l’espace extérieur principal et l’avant du bâtiment principal. La différenciation entre espace privé et espace commun ne se réalise plus que de manière symbolique, par la présence du muret. Cette perte d’intimité est clairement rééquilibrée par le petit escalier et la surélévation d’une cinquantaine de centimètres de l’entrée de la maison. L’espace domestique privé s’ouvre vers l’espace commun : les murs de l’ancienne cour sont tombés.

b) Une ouverture sur le dehors qui s’appuie sur une simplification des systèmes de distribution La disparition de la cour comme élément structurant de l’espace bâti, s’accompagne d’un autre phénomène déjà esquissé par le retournement des ruelles principales de l’axe nord-sud vers l’axe est-ouest.

31


a

b

Entrées Principales Secondaires Traversantes Semi-Traversantes Non-Traversantes 0m

50m

c

Fig. 9 : Le lilong Fanerdeng, l’ouverture sur la rue a. Système de fermeture. On constate que sur la rue Shanxi, le système de fermeture a disparu. b. Système de déplacement. Il n’existe plus qu’un seul niveau dans les distributions. Il est nécessaire de passer par la rue Shanxi pour rejoindre la ruelle suivante. c. Vue depuis la rue Shanxi. Le système de rangées devient perceptible depuis la rue. Un traitement d’angle apparait. (source : par l’auteur)

32


À Fanerdeng, on ne retrouve plus qu’un seul niveau dans le système de distribution : les ruelles est-ouest. L’ancienne rue principale a disparu de la configuration actuelle. Il devient nécessaire d’emprunter la rue pour passer d’une bande à l’autre.

On passe donc d’une séquence :

Ruelle secondaire – Ruelle principale – Ruelle secondaire

À la séquence :

Ruelle – Rue – Ruelle

Dans le système de déplacement, la ruelle est-ouest, au départ secondaire, se transforme en ruelle principale. L’ancienne ruelle principale nord-sud est remplacée par la rue. Le système de distribution du lotissement est très dépendant du réseau viaire de la ville. L’espace public pénêtre le lilong et estompe son caractère communautaire. L’emboîtement de deux échelles disparaît. Cette dépendance accrue s’accompagne d’un autre phénomène qui touche les interfaces et les éléments de fermeture. On constate en effet que les passages couverts ont disparu. Pour passer d’une bande de maison à l’autre, il faut désormais emprunter la rue. Parallèlement, les bandes de commerces servant d’interface entre l’espace public et l’espace commun n’entourent plus complètement le cœur du lotissement. Fanerdeng présente bien un front bâti au nord, mais pas à l’ouest, là où précisément on accède aux ruelles. Cette absence de fermeture engendre un traitement d’angle spécifique pour les maisons donnant directement sur la rue. Ce traitement se matérialise par une petite avancée du corps de bâti contenant l’escalier d’accès aux maisons. Bien que cet escalier soit représenté par un élément architectonique appartenant à la rue, l’entrée ne se réalise pas de manière frontale, sur un axe ouest-est, mais de manière latérale, sur l’axe sud-nord. Ce traitement d’angle spécifique se retrouve aussi sur les maisons situées à l’est, à côté du mur mitoyen. Les unités ne se collent plus aux limites séparatives, mais installent au contraire un petit espace de jardin qui permet la transition entre les deux murs mitoyens. Ce phénomène a pour conséquence de décoller les bâtiments de leur contexte pour, paradoxalement, les représenter comme un ensemble indépendant du reste. La bande de lilong devient une barre.

33



L’analyse du lilong Fanerdeng permet de dégager trois modifications importantes dans les lotissements de la ville de Shanghai : la disparition de la cour au profit du jardin, la suppression de la ruelle principale accompagnée de la fin d’un système de circulation intérieur indépendant de l’espace public, et l’ouverture sur la rue du cœur du lotissement.

c) le lilong Fanerdeng : un espace qui préfigure la fin du lilong comme combinatoire. Les phénomènes relevés à Fanerdeng, même s’ils se limitent à cette opération, annoncent des modifications majeures, dans le paysage urbain futur de Shanghai. La disparition du système de fermeture donnant sur la rue amène à percevoir le lotissement non plus comme une masse homogène, mais plutôt comme une juxtaposition d’éléments indépendants : les barres. Elles conservent encore entre elles un « lien de parenté » une sorte de « filiation », on comprend qu’elles sont bâties par le même promoteur, mais elles sont conçues pour fonctionner de manière autonome. Le lotissement dans son entier ne compte plus. D’ailleurs, on l’a ouvert directement sur l’espace public, son coeur y est exposé sans équivoque, et il est impossible de rejoindre la barre d’à côté sans sortir de l’ « ensemble ». Parallèlement l’expression d’un front bâti continu n’est plus une caractéristique de ce morceau de ville. Depuis la rue, le paysage se fragmente et contraste avec les murailles formées par les petits magasins des autres lilong. L’élément combinatoire qui constitue la ville de Shanghai devient la « barre », répétée en plusieurs exemplaires. Le paysage est alors formé par deux dynamiques très distinctes : l’une met en avant l’ensemble, l’autre exprime l’unité de cet ensemble.

35


a

8 8

UNING

RUE W

2 2

A

2 3 2 RU

E

A A

B

A

CA

OY AN

G

1

A

1

7

C

3

6

1 RU

E

4

LA

6

NX

3

I

4 6

4

4

NO RD

5

EZ HO NG SH

AN

A

RU

5 4

9

9

5

9 9

RUE JIN

SHAJIIA

NG

1-9 Numéros des villages A Equipements scolaires B Hopital C Jardin public 0m

240m

Fig. 10 : Les différentes phases de développement de Caoyang a. En rouge, la phase I et la construction du village n°1. En Bleu la phase II regroupant les villages n°2 à n°6. En vert les phases III, IV et V regroupant les villages n°7 à n°9 (source : par l’auteur, d’après : Françoise Ged et Institut français d’architecture, op.cit.)

36


II - Caoyang xincun : le point de départ d’évolutions vers la collectivisation des espaces privés et la verticalisation des éléments du bâti

Après la prise du pouvoir par le gouvernement socialiste et l’avènement de la RPC en 1949, des projets visant à résorber les logements insalubres et surpeuplés émergent. Le parti pris par le gouvernement central est de créer des xincun (nouveaux villages) en périphérie des villes, afin d’y loger les ouvriers. Le premier du genre, et le plus emblématique se trouve à Shanghai, c’est le nouveau village Caoyang. Lancé en 1951 sous la direction de l’architecte Wang Dingzheng (diplômé de l’université de l’Illinois) et finalisé en 1985, ce projet permet de refléter une évolution sur le long terme de la manière d’aborder l’habitat dans la ville de Shanghai mais aussi de tenter d’articuler les tissus urbains entre la période des concessions et celle de la réouverture de la Chine à l’économie de marché. Il est constitué de neuf « villages », (entités administratives d’échelle plus fine) ainsi que d’équipements comme des hôpitaux, des écoles ou des parcs, disséminés au sein des l’ensembles. Dans le Shanghai d’aujourd’hui, la non coprésence des tissus urbains lilong et des tissus urbains type nouveau village, pourrait écarter de fait l’étude qui va suivre. En effet le mode de croissance de la ville de Shanghai et l’installation en périphérie de ces xincun, a créé une sorte de coupure spatiale plus ou moins nette entre ces typologies. Il paraît donc évident qu’ils ne participent pas directement au paysage incertain. Malgré tout, il est apparu nécessaire d’étudier au moins une opération de ce type, ne serait-ce que pour comprendre l’évolution des formes urbaines et ce qui précédait les tours de l’époque contemporaine. Zhao Chunlan propose, dans son étude comparative des quartiers ouvrier en Chine,8un découpage en cinq phases du développement de Caoyang, basé principalement sur les typologies de bâtiments construits et la qualité des logements produits. La phase I (1951-1952) correspond au développement du village n°1 et constitue la première opération pour le logement de 1002 ménages, présentant une typologie de bâtiments de logement collectif en R+1. La phase II (1952-1953) concerne le développement des villages n°2 à n°6. Ces logements pour 20 000 ménages sont toujours de type R+1. La phase III (1954-1958) regroupe la construction des villages n°7 et n°8 avec

8 Chunlan Zhao, Socio-spatial transformation in Mao’s China : settlement planning and dwelling architecture revisited (1950s-1970s) (Leuven: Katholieke Universiteit Leuven, 2007).

37



deux typologies de logements : R+2 à R+4. La phase IV (1960-1976) représente à la fois la construction de nouveaux bâtiments en R+4 ou R+5, et une rénovation des édifices existants. La phase V (1977-1985) concerne la construction du dernier village (le n°9), avec une nouvelle typologie d’appartement dite à « tête d’épingle », et une densification des bâtiments existants. Durant toutes les phases de développement du village de Caoyang, des projets d’équipements et d’infrastructures sont développés de manière plus et moins continue et avec une plus ou moins grande intensité.

39


a

A 3

2

1

1-3 Les sous-ensembles du village n°1 A Equipement scolaire 0m

120m

b 5

6 1

2

6

4

3

3

3

c

1 Entrée principale 2 Entrée secondaire 3 Pièce 4 Demi-pièce 5 Cuisine commune 6 W.C.communs 0m

Fig. 11 : Unité de base constituant les bâtiments du village n°1 de Caoyang. a. Plan masse du village n°1 (source : par l’auteur, d’après : Françoise Ged et I.F.A, op.cit.) b. Plan de RDC de l’unité de base (source : Zhao op.cit.) c. Façade principale de l’unité de base (source : Zhao op.cit.)

40

8m


1- Phase I : vers la collectivisation des logements et des espaces extérieurs À travers l’étude de la première phase de l’opération de Caoyang, nous tenterons de dégager tantôt certains caractères communs entre cette urbanisation et les lilong qui l’ont précédé, tantôt d’en dégager les évolutions. Les deux ensembles peuvent sembler difficilement comparables dans la mesure où le système de logement (individuel et collectif) comme l’organisation de la société ont profondément changé en 1949. À cette époque la pratique de l’urbanisme est très réglementée. Un système spécifique d’organisation de la société est d’ailleurs mis en place. Il rattache chaque habitant à un danwei, unité de travail qui dépend d’une entreprise d’état. Cette communauté gère le logement, la santé et l’éducation des individus qui la constituent. La société est découpée en sous-ensembles bien précis qui se reflètent dans les nouveaux villages par un découpage spatial et une répartition des équipements et des parcs bien précis. On y retrouve le noyau résidentiel (constitué de 1000 à 2000 habitants), le quartier constitué de plusieurs noyaux résidentiels (10 000 à 15 000 habitants) et le district résidentiel constitué de plusieurs quartiers (30 000 à 50 000 habitants). Il est néanmoins possible d’établir un dialogue entre lilong, et xincun.

a) La Cellule de Base L’unité de base constituant le village n°1 de Caoyang est un module de bâtiment de hauteur R+1. Destiné originellement à six familles, il comporte 6 unités de logement, dont 4 constituées d’une pièce uniquement, les deux restantes composées d’une pièce et demie. En forme de « T » inversé, l’unité s’organise selon deux éléments. Au sud contenues dans un rectangle d’environ 7m par 11m, on retrouve les pièces à vivre, le couloir de distribution, ainsi que la cage d’escalier. Un corps de bâti avance au nord, d’une dimension d’environ 4m par 5m, et déploie les pièces de services telles que les sanitaires, ou les cuisines communes (une pour chaque étage). Il y a deux entrées, toutes situées au « nord ». Cette forme spécifique crée deux espaces situés au nord et donnant sur deux façades du bâtiment d’une dimension d’environ 4m par 5m. Ces espaces plus à l’abri des regards, contiennent les entrées, l’une principale, donnant sur le couloir de distribution, l’autre secondaire, donnant sur les espaces de services. En accord avec la tradition spatiale chinoise, l’espace est polarisé, avec les pièces principales donnant au sud, et les espace « sales » donnant au nord. On retrouve d’un côté des différences entre les lilong et les unités de Caoyang (densité, logements collectifs), mais aussi des caractères communs : des espaces polarisés et un mimétisme des façades nord. À Caoyang, les unités de lilong apparaissent concentrées et collectivisées.

41


a

b

1 unité

1 unité 1

2 unités

2 unités 1

2

1

3 unités

2

3 unités

1

1

1

4 unités

2

4 unités 0m

30m

0m

50m

c

2 1 3 3

4

5

d 1

2

1 5

2

1 5

2

1

2

5

5

0m

20m

1 Espace vert commun à deux unités 2 Espace vert commun à un bâtiment 3 Espace vert commun au sous-ensemble 4 Rue principale 5 Allée

Fig. 12 : Mode de fabrication du tissu urbain à Caoyang a. Photographie de l’espace vert commun à deux unités. (source : Zhao op.cit.) b. Echelle du bâtiment. Différentes combinaisons d’unités. (source : par l’auteur) c. Echelle du sous-ensemble. Exemple de constitution du sous-ensemble 2 du village n°1. L’utilisation de bâtiments constitués de deux unités de base permet la création d’espaces verts à l’echelle du sous-ensemble. (source : par l’auteur) d. Coupe typique d’un ensemble type Caoyang village n°1 (source : par l’auteur)

42


b) La disparition des cours et l’avènement des espaces verts Les bâtiments sont formés par des combinaisons de ces unités. On retrouve principalement des barres constituées de 4 unités, ainsi que d’autres seulement formées à partir de 2 ou 3. Les corps de bâti contenant les pièces de services, forment une série de vides enfermés par trois façades. Ces espaces sont à la disposition de chacun des habitants des deux unités mitoyennes avec un usage spécifiquement domestique (séchage du linge ou extension de l’espace de cuisine). Ils ne sont pas sans rappeler les cours arrières des lilong communiquant elles aussi directement avec les cuisines. Ces espaces intermédiaires ne tarderont pas à disparaître dans les développements futurs de l’opération de Caoyang. Comme dans les lilong, chaque avant de bâtiment regarde l’arrière de l’autre et les corps de bâti sont orientés nord-sud, formant des lignes parallèles desservies par une voie est-ouest, elle-même reliée à une voie principale nord-sud. Il est difficile dans le cas de Caoyang de parler de ruelle, ou de venelle. Ces voies de distributions est-ouest (de trois ou quatre mètres de large) ne sont effectivement pas en contact direct avec les bâtiments, mais en sont séparées par un espace vert, une pelouse. La séparation n’est plus assurée par un mur (ou un muret dans le cas de Fanerdeng) mais par un traitement de sol : minéral pour l’allée, végétal pour les jardins. Les bords des allées sont plantés d’arbres Par ailleurs, à Caoyang, les bâtiments ont vocation de logement collectif pour plusieurs familles, et les « jardins » ne sont plus destinés à un seul ménage mais à plusieurs, à la différence des lilong, bâtiments de logement individuel accolés. Les espaces extérieurs sont donc complètement ouverts, et la cour principale qui faisait office d’espace privé (destiné uniquement à une famille), a disparu dans la densification du système de logement. La « cour arrière », ou plutôt le jardin arrière, a aussi perdu son caractère d’espace privé, gardant néanmoins un statut plus privatif que les espaces verts situés devant la façade sud, destinés uniquement à un couple de deux unités, et non au bâtiment dans son ensemble. De l’ancienne hiérarchie d’espaces extérieurs des lilong :

Ruelle secondaire

Cour principale

Bâtiment

Cour secondaire

Commun

Privé

Privé

Privé

On passe à la hiérarchie observée à Caoyang : Allée

Jardin principal

Bâtiment

Jardin arrière

Commun (2bât)

Commun (1bât)

Commun

Commun (2unit)

43


a

0m

200m Rues Principales Rues Secondaires Rues des ensembles Allées Eau

b

2

1

3 1-3 Les sous-ensembles du village n°1

Fig. 13 : Système de déplacement et ouverture des lotissements a. Système de déplacement du village n°1. Les allées sont connectées à l’ensemble des rues qui organise le réseau à l’echelle du quartier de Caoyang. (source : par l’auteur) b. Vue à vol d’oiseau du village n°1. On remarque l’absence de système de fermeture. Des espaces verts prennent place entre chaque bâtiment. (source : Zhao op.cit.)

44


On constate ainsi, comme pour les unités de logements, des similarités avec les lilong (organisation en ligne parallèle), mais aussi d’importantes différences, parce que l’espace privé devient espace commun, du fait de la nouvelle politique mise en place par le gouvernement de l’époque.

c) L’ouverture sur la rue À Caoyang, les systèmes de déplacement se déclinent en deux échelles : d’un côté un réseau de voies carrossables hiérarchisées, de l’autre un système d’allées et de rues propres à un groupe de bâtiments qui sont connectées à ces réseaux. Ils rappellent fortement le système de distribution des lilong (par exemple Tongfuli). Paradoxalement, ce système de distribution n’est pas entouré d’éléments de fermeture comparables à ceux des lilong9. On ne retrouve plus ni bandes de commerces (concentrées en certains point du village) ni murs qui ferment des groupes de bâtiments (comme en témoignent les photographies d’époque). L’alignement sur rue disparaît, et l’espace urbain s’ouvre et se fragmente. À Caoyang, c’est l’organisation sous forme de cité jardin10 qui prime. La conception et le modèle de « ville dans la ville » disparaissent, et le bâtiment en tant qu’unité remplace les ensembles de bâtiments. Dans cette première opération de Caoyang, on assiste donc à deux phénomènes. D’un côté hiérarchie des réseaux et structure des systèmes de distribution restent identiques à celles des lilong. D’un autre côté, les systèmes de fermeture par rapport à la rue disparaissent complètement.

d) Les jardins de la cité Une autre caractéristique de Caoyang est sa dimension de cité-jardin. Les espaces verts sont omniprésents, aussi bien au niveau des bâtiments (pelouses qui entourent les logements), qu’au niveau du village tout entier ( présence d’un parc). On distingue plusieurs types d’espaces verts. À l’échelle du quartier, on retrouve un grand parc central. Au niveau des bâtiments, on retrouve les pelouse et l’espace vert commun à deux unités. Un autre niveau apparaît cependant à l’échelle de l’ensemble de bâtiments, avec la constitution de petits parcs. L’utilisation de bâtiments formés de deux ou trois unités permet de dégager des vides sur les côtés des barres. Par cette soustraction d’unité, on peut constituer un espace vert qui organise et hiérarchise l’espace 9 Du moins dans les premiers temps de l’opération comme en témoigne les photographie d’époque. Aujourd’hui les ensembles sont clos par un système de mur d’environ trois mètre de haut. 10 Zhao op.cit.

45


a

3

2

C

1

b

C

1

0m

120m

1-3 Les sous-ensembles du village n°1 C Parc

Fig. 14 : L’omniprésence des espaces verts et de l’eau a. Vue satellite du village n°1. Les arbres cachent presque les bâtiments. (source : google earth) b. Photographie. A gauche le parc, à droite l’ensemble 1 du village n°1. La séparation entre parc et bâtiment se matérialise par un ruisseau. (source : Zhao op.cit.)

46


d’un ensemble de bâtiment. Parallèlement à la collectivisation des espaces privés et à la disparition de la cour, on assiste à l’introduction d’une couche intermédiaire dans les systèmes d’espaces extérieurs.

Fig. 15 : L’espace des allées a. Perspective d’une allée du village n°1 (source : par l’auteur)

47


a

0m

b

2

1

6

1

5

5

2

6

4

3

1 Entrée principale 2 Entrée secondaire 3 Pièce 4 Demi-pièce 5 Cuisine commune 6 W.C.communs

4

3

240m

3

3

3

0m

16m

c

1

1 2

1

1 2

1

1

1

2

1 Espace vert commun à un bâtiment 2 Allée 0m

d

Fig. 16 : Phase II. Simplification des ensembles de bâtiments a. Plan masse du village n°2. Les principes d’organisation en rangées et de création d’espaces verts sont conservés. (source : par l’auteur, d’après : Françoise Ged et I.F.A, op.cit.) b. Unité de base, plan du RDC. La taille de l’unité à augmenté et accueille deux fois plus de familles. (source : Zhao op.cit.) c. et d. Coupe typique sur un ensemble de type phase II et perspective d’une allée. Le rapport entre les bâtiments et le sol a changé. Les espaces verts communs à deux unités ont disparu. (source : par l’auteur)

48

20m


2- Phase II : La fin des échelles intermédiaires comme témoin de l’évolution vers la barre « pure » La deuxième phase du projet de Caoyang débute immédiatement après la réalisation de la phase I. Les ambitions et l’échelle opératoire évoluent par rapport à la phase précédente, la phase II prévoyant de loger 20 000 ménages. L’unité de base servant former les ensembles de bâtiments, est toujours en R+1 et l’organisation l’espace domestique reste assez semblable. Au niveau du programme, on retrouve toujours deux cuisines communautaires et quatre w.c. Ils sont désormais situés uniquement au rez-de-Chaussée. Le nombre de ménages accueillis dans l’unité a augmenté et on passe de six pièces et deux demi-pièces à huit pièces et deux demi-pièces. Le nombre d’entrées passe de deux à trois, mais elles sont toujours situées sur la façade nord. L’organisation communautaire du logement et la polarisation des façades restent inchangées. L’organisation des ensembles de bâtiments ne change pas. Ils sont toujours constitués d’allées parallèles connectées à une rue, elle-même connectée au système de distribution général de Caoyang. Parallèlement on conserve toujours le même système de soustraction d’unités pour former de petits parcs associés à des groupes de bâtiments. Le changement principal concerne la façade nord des cellules. Le corps de bâtiment qui formait une avancée dans la forme en « T inversé » de la phase I a disparu. L’espace intermédiaire qui se situait entre deux unités n’existe plus. Il ne reste plus qu’une différence dans les niveaux des toitures qui forment une sorte de corps tronqué à sa base, contenant la cage d’escalier. Le jeu entre le sol et le bâtiment évolue, le rapport au sol et le système d’espaces extérieurs se simplifie. Parallèlement, ce phénomène témoigne d’une évolution vers la forme de la « barre », mais aussi une volonté de faire disparaître des espaces communs d’échelle plus intime. On ne conserve donc plus que trois niveaux d’espace vert. Les ensembles de la phase II peuvent se résumé dans la séquence suivante :

Allée

Jardin

Bâtiment

Jardin

Commun (2bât.)

Commun (1bât.)

Commun

Commun (1bât.)

49


Galleries, corridors

Chambre

Balcons

Cuisine

Stockage, placards

Salle de bains 0m

Fig. 17 : Les différents types d’appartements de la phase III et IV a. Modèle 1959-1960. b. Modèle 1960-67 c. Modèle 1961-65 d. Modèle 1961-66 e. Modèle 1962 f. Modèle 1971 g. Modèle 1975 (a-g, source : Zhao op.cit.)

50

12m


3- Phase III et phase IV : appartements, balcons et galeries sont les éléments qui témoingnent du transfert du sol vers la hauteur Les phases III et IV, s’étalent de 1954 à 1976. Les documents relatifs à cette période sont malheureusement peu nombreux. Néanmoins, la politique en matière d’architecture à l’époque est claire et son principe simple : utiliser des cellules d’appartements types, les mêmes dans tout Shanghai. Durant cette période, les bâtiments en R+3, R+4 ou R+5 s’organisent toujours sous forme de lignes parallèles, desservies par des allées, présentant trois niveaux d’espaces verts. Une seule opération – celle du village n°8 - montre une forme urbaine différente. Elle naît de la collaboration avec les experts soviétiques, et de la création des « blocs », mais ne semble pas avoir été répétée ailleurs à Shanghai11. Cet événement renforce l’idée que l’orientation et l’organisation en ruelle/allée parallèles des bâtiments est la forme la plus tenace dans l’organisation des ensembles urbain de Shanghai. Le réel changement est l’utilisation d’appartements dans la constitution des unités de base qui forment les barres. À partir de 1959, elles possèdent toutes soit des balcons (modèle de 1959 à 1961), soit des corridors ouverts (modèle de 1962 à 1971), soit les deux à la fois (modèle de 1975). En même temps que le bâti se densifie, des espaces extérieurs en hauteur émergent. Un niveau d’espace « privé »12 est ajouté grâce à l’adjonction des balcons. Un espace extérieur commun, d’un statut plus ou moins comparable à ceux la phase I, apparaît à chaque étage, à travers le développement de longues galeries servant à distribuer les appartements. On assiste donc à un transfert dans la hauteur de certains caractères qui appartenaient au lilong. On retrouve alors la séquence suivante : Balcon

Appartement

Privé

Privé

Corridor Commun (2/3appt.)

Bâtiment Allée

Jardin

Jardin

Allée

Commun (2bât.)

Commun (1bât.)

Commun (1bât.)

Commun (2bât.)

Le rapport entre le bâtiment et le sol change aussi de manière radicale. En forme de peigne, avec les avancées, tantôt des cours dans les lilong, tantôt des espaces de service 11 Zhao (op.cit.) 12 Il est difficile de parler d’espace privé dans le sens ou les appartements originellement destiné à un seul ménage sont en réalité occupé par plusieurs familles.

51


a

2

1

3 1 Village n°7 2 Village n°8 3 Village n°9 0m

240m

b

4 1

1

2

1

3 1

2

1

1

2

1

1

1 Espace vert commun à un bâtiment 2 Allée 3 Corridors 4 Balcons 0m

20m

c

Fig. 18 : Phase III et IV, le passage aux barres a. Plan masse des villages n°7, n°8 et n°9. Le village n°8 est issu du même type de bâtiment mais présente une forme urbaine différente. (source : par l’auteur, d’après : Françoise Ged et I.F.A, op.cit.) b.et c. Coupe typique sur un ensemble de type phase III et IV et perspective d’une allée. Les rapports entre bâtiment et sol se sont dégradés. La forme de barre est désormais clairement lisible. (source : par l’auteur)

52


dans la phase I de Caoyang, les bâtiments se décollent progressivement des espaces verts qui les entourent, et deviennent de longs parallélépipèdes reposant sur un carré de gazon. En plan, la forme générale du bâtiment ne différencie plus l’avant de l’arrière. Seules les entrées et la composition des façades les distinguent. Les caractéristiques héritées du lilong ont presque toutes disparu, aussi bien dans les bâtiments que dans l’organisation des quartiers. Les seuls éléments permanents se retrouvent dans l’organisation en lignes parallèles et dans la « mono-orientation des bâtiments ».

1

1 1

1 1

1 1 1 1

1

1 1

1 1

1 Espaces verts communs à plusieurs bâtiments 0m

240m

Fig. 19 : Evolution de la morphologie des ensembles de Caoyang a. De haut en bas, plan masse : village n°1-phase I, village n°2-phase II, village n°9-phase III et IV. On constate que le principe de fabrication basé sur la répétition de bâtiments en rangées reste peu ou prou identique. (source : par l’auteur, d’après : Françoise Ged et I.F.A, op.cit.)

53


a

0m

Fig. 20 : Typologie en tête d’épingle a. Les appartements perdent leur mono-orientation, l’assemblage des pièces devient plus complexe. (source : Zhao op.cit.) a

Fig. 21 : L’évolution des allées de Caoyang a. De haut en bas, allée de la phase I, allée de la phase II, allée de la phase III et IV (source : par l’auteur)

54

4m


4- Phase V : l’émergence des « mini-tours » qui initie le passage à la verticalité Durant la cinquième et dernière phase du projet de Caoyang, on assiste au développement d’une typologie différente. Cette période se caractérise par la construction des derniers terrains restés vacants. Les parcelles ayant résisté à l’urbanisation sont de taille modeste en comparaison des phases précédentes. Une nouvelle typologie plus compacte de hauteur R+4 à R+5 est alors mise en place : les bâtiments « en tête d’épingle »13. L’observation des plans types d’appartements révèle une organisation des pièces plus complexe. La polarisation des façades à disparu. Il est d’ailleurs difficile de déterminer l’orientation du bâtiment à partir de ces dessins. L’observation révèle encore la présence de balcons et de loggias. L’organisation en rangées ne caractérise plus ces typologies, dont la forme compacte et le caractère vertical semblent annoncer les tours de logements qui se construisent à la même époque. Traduction du terme utilisé par Chulan Zhao : « pinpoint housing block »

13

1

2

1

2

1

5

1

1

1

1

1

5

1

5

1

1

5

4

2

5

1

5

1

2

5

1

5

3 1

5

1 Espace vert commun à deux unités 2 Espace vert commun à un bâtiment 3 Corridor 4 Balcon 5 Allée

1

1

5

1

1

0m

20m

Fig. 22 : L’évolution de la morphologie des ensembles de Caoyang a. De haut en bas, coupe type : allée de la phase I, allée de la phase II, allée de la phase III et IV. (source : par l’auteur)

55


a

b

c

Fig. 23 : Le paysage des rangées. a. Bâtiment du village n°1 dans les années 50. L’expression des façades. (source : Zhao op.cit.) b. Bâtiment de la phase II dans les années 50. L’expression des façades. (source : Zhao op.cit.) c. Une allée principale du village n°1 dans les années 70. L’expression des murs pignons. (source : Zhao op.cit.)

56


5- Un paysage de rangées et de parcs L’analyse de l’opération de Caoyang montre une évolution progressive des systèmes de distribution et de la morphologie de la ville. L’échelle des opérations d’urbanisation change. La ville ne se fabrique plus par morceaux d’îlots, mais résulte d’une planification globale, à l’échelle du quartier. Caoyang, c’est le lilong sans les systèmes de fermeture, et agrémenté d’espaces verts. Dans les lotissements de la période des concessions, les bandes de maisons servaient à composer l’espace de l’intérieur, ce qui n’était pas perceptible depuis la rue. Ici, les rangées sont exposées, le système qui constituait le dedans est transféré au dehors. Le paysage se caractérise à la fois par un système de grands espaces verts, ouverts et continus et par un système de rangées. C’est cette logique d’organisation qui lui donne son caractère si spécifique. On voit dans un sens de longues façades, dans un autre les pignons de chaque barre. Les rangées très proches les unes des autres dans les lilong se creusent, et la distance entre les bâtiments et leur hauteur augmentent. L’espace commence à se fragmenter. La rue et la ruelle disparaissent presque, et il devient nécessaire de les distinguer par un traitement de sol. Posés les uns à côté des autres, les édifices se mettent à flotter au-dessus d’une masse d’espaces verts. C’est pourtant ce système de rangées, qui dérive de formes urbaines héritées, qui participe de la cohérence et de l’unité de l’ensemble. On se retrouve face à un état intermédiaire : d’un côté les bâtiments prennent de l’autonomie, de l’autre, ce n’est que dans leur répétition que le paysage se crée. C’est donc un ensemble de « barres » qui est l’élément combinatoire qui crée ce morceau de ville. La dynamique paysagère de Caoyang se résume ainsi au travers de deux termes : rangées et parcs. a

b

c

d

Fig. 24 : Le paysage de Caoyang aujourd’hui a.b. Les rues de Caoyang, toujours bordées d’arbres. (source : par l’auteur) c. Un cours d’eau de Caoyang, à droite le village n°1. (source : par l’auteur) d. Le même cours d’eau avec derrière le parc de Caoyang. (source : par l’auteur)

57


a

b

c

Fig. 25 : Le paysage de Caoyang aujourd’hui : les pignons. a. L’entrée de l’ensemble 3 du village, le parc se trouve au dos. (source : par l’auteur) b. Vue du village n°1 depuis la rue. (source : par l’auteur) c. Un vue du village n°4 (source : par l’auteur) nota : Les grilles ainsi que l’augmentation des hauteurs de certains bâtiments ont été réalisées a posteriori.(Harry den Hartog (ed.), Shanghai new towns. Searching for community and identity in a sprawling metropolis (010 Publishers, 2010)).

58


a

b

c

Fig. 26 : Le paysage de Caoyang aujourd’hui : les façades. a. Le village n°6 vue depuis la rue Zhongshan nord. (source : par l’auteur) b. Une façade de Caoyang. (source : par l’auteur) c. Une vue du village n°5 depuis la rue Lanxi. (source : par l’auteur) nota : Les grilles ainsi que l’augmentation des hauteur de certain bâtiment ont été réalisées a posteriori. (Harry den Hartog (ed.), Shanghai new towns. Searching for community and identity in a sprawling metropolis (010 Publishers, 2010))

59


Fig. 27 : Vue vers le nord depuis une tour de la rue Dongchangzhi, à Hongkou. (source : par l’auteur)

60


III - « Un océan de tours » : de nouvelles formes urbaines qui mettent en évidence les processus de refermeture et de fragmentation des îlots.

Après l’ouverture économique de la Chine en 1978, l’urbanisation explose. La ville de Shanghai s’étend très rapidement, ses limites grandissent, et ses parties les plus centrales jusqu’alors figées, entrent dans une phase de densification. C’est durant cette période que le modèle d’urbanisation se modifie. Les vieux centres industriels et les tissus de l’époque des concessions disparaissent pour laisser place à une nouvelle typologie : les tours.

61


a

b

1

1

RUE

YUDE

RUE CAOXI NORD

1

1

1

1

1

Connexion avec la rue Rue Allée

1 Espaces verts 0m

100m

c

6

3

5

3 4

1

3

1

3

3

2

6

5

3

5

6

3

3

4

4

3

6

5

3

5

6

3

3

4

4

4 6

3

6

5

3

5

6

3

3

4

4

3

6

5

3

5

3

3

3

4

1 Cage d’escalier 2 Corridor 3 Pièce 4 Balcon 5 Salle de bain 6 Cuisine 0m

12m

Fig. 28 : Bâtiments rue Caoxi nord. Construction en 1975. a. Plan masse. (source : par l’auteur, d’après : http://landlab.wordpress.com, op.cit.) b. Système de déplacement. (source : par l’auteur) c. Plan d’étage type. On remarque que le système de distribution du bâtiment ainsi que les appartement ne sont pas très différents de ceux que l’on pouvait trouver à Caoyang dans la phase III et IV (source : http://landlab.wordpress.com, op.cit.)

62


1- La rue Caoxi Nord : entre la barre et la tour En 1975, à la même époque où se sont développées les « mini-tours » du nouveau village de Caoyang, l’une des premières opérations de bâtiments résidentiels de grande hauteur est réalisée dans la rue Caoxi nord. L’analyse du plan type montre plusieurs choses. Tout d’abord, les cellules constituantes du bâtiment ne sont pas très différentes de celles que l’on rencontrait dans les barres de Caoyang. Par ailleurs, on entre toujours dans le bâtiment par la façade nord. Les appartements sont distribués par un corridor situé au nord, et possèdent chacun une petite loggia. Les façades sont donc encore polarisées selon des schémas hérités. La réelle différence réside dans deux éléments. Tout d’abord, le plus évident, la hauteur. Dans les modèles précédents, on ne dépassait pas le R+5 ou le R+6. Dans l’opération de Caoxi, on atteint les R+16 soit presque le triple de ce que l’on pouvait trouver à Caoyang : le paysage urbain se verticalise. Cette augmentation de la hauteur entraîne l’accroissement de la distance (jusqu’à une quarantaine de mètres) entre les bâtiments. L’espace entre les édifices change de nature. Les pelouses relativement « intimes », situées à l’avant et à l’arrière des bâtiments de Caoyang, disparaissent. Dans les nouveaux villages, les espaces verts partagés par plusieurs bâtiments (petits squares situés entre les rangées) sont transférés au milieu. Parallèlement à l’accroissement de la distance entre les bâtiments, on observe une tentative de fermeture de ces espaces nouvellement créés. Le plan type montre un traitement d’angle spécifique sur les façades donnant sur la rue Caoxi : deux appartements s’orientent vers l’ouest et permettent de créer une légère avancée qui semble tenter recréer les petits espaces de Caoyang. De la séquence précédente : Balcon

Appartement

Privé

Privé

Corridor Commun (2/3appt.)

Bâtiment Allée

Jardin

Jardin

Allée

Commun (2bât.)

Commun (1bât.)

Commun (1bât.)

Commun (2bât.)

On passe à : Balcon

Appartement

Privé

Privé

Corridor Commun (9appt.)

Bâtiment Jardin

Allée

Jardin

Commun (2bât.)

Commun (1bât.)

Commun (2bât.)

63


a

b

3

1

2

1 2

1 Espace vert commun à un bâtiment 2 Allée 3 Balcons 0m

20m

Fig. 29 : Bâtiments rue Caoxi nord. Construction en 1975. a. Photographie depuis la rue Caoxi nord, regardant vers le sud. Les pignons des barres se sont retournés pour présenter une façade à la rue (d’après : http://landlab.wordpress.com, pdf : op.cit.) b. Coupe sur l’ensemble situé au sud de la rue Yude. L’espace entre les bâtiments croît mais l’élément combinatoire reste la rangée. (source : par l’auteur)

64

2


Ce retournement du bâti permet aussi de donner une façade à la rue. Les pignons aveugles des barres des phases III et IV du nouveau village, ont disparu. Les unités ne sont plus mono-orientées et juxtaposables à l’infini. C’est la composition du bâtiment qui domine. Par ailleurs, sur la partie nord de l’opération, on observe une fermeture totale par le biais d’une bande de commerces, système similaire à celui utilisé dans les lilong qui offre, un front bâti continu sur les premiers étages. On est donc ici face à une sorte de forme intermédiaire à deux typologies. Lorsque l’on regarde depuis l’ouest on a l’impression de voir une tour, depuis le nord ou le sud on croit voir une barre. En même temps que la hiérarchie des espaces verts et des espaces de distributions diminue en complexité, on observe une densification et un traitement spécifiques des façades sur rue. Les pignons des barres sont devenus des façades. On observe d’autre part une volonté de fermer les espaces extérieurs appartenant à l’ensemble, et, alors que l’espace entre les bâtiments croît de plus en plus, une forme de rangée plus dense structure malgré tout le vide. C’est donc à la fois une expression du bâtiment en lui-même qui est mise en avant (façades sur rue) et en même temps la répétition, comme à Caoyang de ce même bâtiment en rangées, qui créent le paysage

1

1 2

1 2

65

RUE YUDE


66


2- Des lotissements contemporains symboles du passage définitif à la verticalité Les lotissements construits à partir des années 2000 présentent une morphologie bien différente de celles qu’on a pu observer sur la rue Caoxi nord. L’un des premiers facteurs de l’évolution des typologies se trouve dans la hauteur des bâtiments. La pression foncière pousse à augmenter le nombre d’étages et les résidences contemporaines se situent dans une tranche allant du R+20 au R+40 environ. On est donc face à une densification massive de l’espace urbain. Les appartements constituant ces tours changent eux aussi. L’ouverture du marché immobilier en 1992 et la fin du système d’attribution des logements en 2000, s’accompagne d’une augmentation de la surface habitable. Il n’est pas rare de trouver des appartements dépassant les 100m2. L’augmentation est telle, que la ville de Shanghai a d’ailleurs mis en place une obligation pour les promoteurs de construire un certain pourcentage d’appartements ne dépassant pas les 60m2, afin que les familles des classes moyennes inférieures puissent accéder elles aussi à la propriété. Cette augmentation de surface s’accompagne d’une modification de l’espace domestique du logement. Les pièces assurant autrefois des usages multiples (espace de réception, espace pour dormir ou extension de la cuisine) remplissent aujourd’hui des fonctions plus spécifiques Le schéma type présente chambres, salon, salle à manger, cuisine (généralement fermée) et une ou plusieurs salles de bain avec WC. La polarisation et l’orientation préférentielle nord-sud (avec pièces de service au nord et pièces de vie au sud) est toujours d’actualité, même si certains appartements se retrouvent parfois orientés est-ouest. Ils possèdent d’ailleurs presque tous des balcons, qui sont devenus les seuls espaces extérieurs privés. Ces espaces extérieurs sont sujets à de nombreuses modifications par les résidents qui se matérialisent généralement par l’installation de vitrages pour étendre les pièces à vivre, marquant ainsi l’espace de façon particulière.

a) Comment remplir les vides créés par les tours? L’augmentation importante des hauteurs des édifices a conduit à l’augmentation de la distance entre les bâtiments pour atteindre parfois les cent mètres. Ces superficies immenses ont nécessairement conduit à penser l’espace entre les tours de manière différente. Des dispositifs de jardins « paysagers » prennent place dans presque tous les lotissements. Ils tentent d’imiter les jardins traditionnels chinois en courbant les sentiers et en y ajoutant un lac ou un cours d’eau. La caractéristique la plus frappante de ces espaces Fig. 30 : Ci-contre, un photomontage constitué de lotissements de tours construits entre 2000 et 2006 pris au hasard à Puxi. Chaque carré mesure 600m par 600m. (source : par l’auteur d’après : google earth)

67


a

b

0m

120m

Fig. 31 : Lotissements contemporains. a. Plan type d’appartement et plan masse du lotissement Tongji lüyuan (eng : Tongji Green Garden). (source : http://landlab.wordpress.com, pdf : op.cit.) b. Plan type d’appartement et plan masse du lotissement Huasheng gongyu (eng : Huasheng appartements). (source : http://landlab.wordpress.com, pdf : op.cit.)

68


a

b

c

d

e

f

g

h

Fig. 32 : Le développement des nouveaux espaces à l’intérieur des lotissements. a-e. La composition des nouveaux espaces verts au sein des lotissements de tours. a-b. Huasheng gong yu, c. Zhongyuan liang wan cheng (eng : Cosco brilliant city), d. Tongji lüyuan (eng : Tongji Green Garden), e. Ren heng binjiang yuan (eng : Ren heng riverside park). f-g. Terrains de sport et jeux pour enfants à l’intérieur des lotissements, Ren heng riverside park (Ren heng binjiang yuan). h. Bande de commerces vue depuis la rue, Huasheng gongyu (eng : Huasheng appartements). a.c.d.e.f.g.h.(source : http://landlab.wordpress.com, pdf : op.cit.), b. (source : http://www.panoramio.com)

69


a

b

Entrée Rue Voie carrosable Allée

Fig. 33 : Système de déplacement dans les nouveaux lotissements. a.b. de haut en bas Tongji lüyuan (eng : Tongji Green Garden) et Huasheng gongyu (eng : Huasheng appartements). Le nombre d’entrées dans les lotissements est très limité. Le système de déplacement révèle une abondance de voie carrossables et d’allées. (source : par l’auteur)

70


est la disjonction entre l’existence d’un déplacement et l’existence d’un système de déplacement. Plus précisément, les « sentiers » ne servent pas réellement à distribuer l’espace mais simplement à le structurer formellement en y créant une sorte de parcours souvent tortueux. Les tours, déjà bien distantes, s’éloignent encore plus les unes des autres. Parallèlement à ce phénomène, on retrouve la mise en place d’équipements et de services à l’intérieur (et non en bordure) des ensembles. Les plus fréquents sont les petites épiceries (fournissant cigarettes, boissons et quelques aliments), les jeux pour enfants et les terrains de sport. On remplit les vides en transférant des éléments qui auparavant appartenaient à la ville au sein même des lotissements. Les ensembles de tours se referment, prennent de l’autonomie. On peut y vivre sans même avoir à en sortir.

b) De la communauté aux gardiens : fermeture et dissociation des nouveaux lotissements La hiérarchie des réseaux dans ces lotissements contemporains s’organise comme à Caoyang, sur deux niveaux déterminés par un critère fonctionnel. D’un côté on a un système pour les voitures comprenant voies carrossables et parkings, revêtus d’asphalte, de l’autre un système pour les piétons contenu dans des jardins « paysagers » avec selon les cas des graviers ou du béton. Les ruelles des anciens lilong se sont transformées, la dimension d’articulation entre un devant et un derrière a disparu. Elles sont remplacées par de petits chemins sinueux dessinés depuis une vision en plan, tentant de créer un parcours dans l’espace vert entre les édifices. Le réel changement apparaît cependant entre la connectivité du système de déplacement propre à l’ensemble avec le système de déplacement appartenant à la ville. Comparativement au nombre d’habitants, le nombre de points d’entrée des ensembles de tours sont encore plus limitées que dans les lilong. Le lotissement se coupe peu à peu de la ville. Parallèlement, un système de fermeture composé de bande de commerces vient régulièrement s’intercaler entre lotissement et espace public. Cette configuration semble être similaire à celle mise en place durant la période des concessions. En réalité la différence est importante. Les commerces formant la bande des lilong présentent un logement en partie supérieure et le commerce y habite. Le lien est donc à la fois spatial (par la forme du bâtiment) mais aussi social, car celui qui commerce appartient aussi à la communauté du lilong et joue un rôle d’interface. Dans les nouveaux ensembles, les locaux sont accessibles à des prix beaucoup plus élevés et sont généralement occupés par des activités tertiaires à haute valeur ajoutée (agence immobilière, restaurant moyen et haut de gamme, Starbucks, etc...). Il est d’ailleurs rare d’habiter dans un ensemble de tours et d’y travailler. Les commerces situés en bas des tours gardent donc encore un caractère d’interface spatiale, mais perdent leur dimension d’interface sociale. Ils deviennent donc

71


a

0m

19,2m

0m

300m

b

c

Fig. 34 : La composition des espaces extérieurs et des bâtiments à Zhongyuan liang wan cheng (eng : Cosco brilliant city) a. Les deux typologies de bâtiments, l’une avec un corps de bâti avec deux ailes, l’autre en forme de «L». La composition est monumentale. (d’après : http://landlab.wordpress.com, pdf : op.cit.) b. L’espace bâti. La lecture en tant qu’ensemble est difficile à réaliser. Chaque bâtiment semble indépendant. (source : par l’auteur) c. Plan masse (ne correspond pas au lotissement actuel). Le lien entre les bâtiments est réalisé grâce aux différentes compositions d’espaces extérieurs. (source : http://landlab.wordpress.com, pdf : op.cit.)

72


plus une barrière qui isole visuellement le complexe, tout en lui fournissant des services et des commerces de proximité pour les résidents. De plus, un système de clôtures et de guérites abritant un gardien entoure la résidence. En lisant les annonces pour les appartements, on observe qu’ils comportent toujours la mention « résidence sécurisée 24/24 ». Pour autant il est très difficile de parler de « gated communities » car comme on a pu le voir, les systèmes urbains antérieurs comportent tous cette caractéristique. La différence ici est que le contrôle ne relève plus de la communauté d’habitants dans sa totalité mais d’un petit groupe de personnes : les gardiens.

c) Le passage d’une disposition en ligne droite à une répartion hétérogène du bâti : quand la rangée se courbe Une des caractéristiques les plus frappantes de ces nouveaux ensembles est changement dans la manière dont sont composés les bâtiments et les ensembles. Les tours se tordent et se courbent, le bâti se répartit de manière moins homogène. L’ organisation en lignes parallèles rigides (comme on a pu le constater dans l’opération rue Caoxi nord) est encore plus ou moins lisible selon les opérations, dans la forme que prennent les bâtiments. Et pourtant le principe utilisant une répétition systématique de rangées laisse place à de nouveaux type de compositions.

d) Hiérarchisation des lotissements et monumentalité. L’opération de Brillant City, le plus grand ensemble de tours jamais réalisé à Shanghai et situé à côté de la gare de Zhabei, montre plusieurs exemples clairs de ces nouvelles configurations. Au niveau des tours, on trouve soit des ensembles avec un corps de bâti central et deux « ailes », soit des édifices en forme de « L », enserrant un espace vert à leurs pieds. Au niveau des groupes de bâtiments, on retrouve des compositions de formes ovales ou circulaires qui se referment partiellement autour d’un jardin. Ces compositions permettent de définir différentes hiérarchies, différentes centralités dans l’espace selon les lotissements. En somme elles permettent de structurer l’espace formellement. Par ailleurs, elles s’appuient sur des tracés révélant généralement des caractères symétriques qui relient les points importants des ensembles à l’espace public. Certaines de ces compositions se rapprochent d’ailleurs fortement des dispositifs mis en place pour les grands équipements. Par exemple, une grande allée bordée d’arbres traverse un cours d’eau et débouchant sur un bâtiment principal composé de manière symétrique et flanqué d’un corps de bâti plus bas. Ce type de configuration révèle un phénomène spécifique : la mise en scène de l’espace vide ; ici les tours de logements s’érigent en monument.

73


Fig. 35 : Exemples de compositions des espaces extérieurs et des bâtiments à Zhongyuan liang wan cheng (eng : Cosco brilliant city) (source : http://www.panoramio.com).

74


L’omniprésence de ces compositions montre bien le fonctionnement principalement autarcique des bâtiments. Les distances les séparant sont trop grandes, les bâtiments trop hauts. Ce sont ces composition qui permettent de structurer le vide, et leur absence ferait tomber ces lotissements dans un espace disloqué, sans cohérence, sans hiérarchie clairement exprimée. Les rangées ont disparu, laissant comme relique la forme allongée des bâtiments. Désormais, c’est la juxtaposition de ces compositions, différentes d’un lotissement à l’autre, qui devient l’élément combinatoire constitutif de cette nouvelle dynamique du paysage urbain. a

b

0m

600m

b

Fig. 36 : Une mise en scène monumentale à Zhongyuan liang wan cheng (eng : Cosco brilliant city) a. Vue satellitaire dans le secteur est de Cosco brilliant city. (source : google earth) b. Perspective, regardant vers le nord-est. (source : par l’auteur)

75


76


3- La rencontre entre verticalité et horizontalité comme moteur du caractère incertain du paysage a) Composition intérieure, décomposition extérieure L’étude fine de l’évolution de la structuration des espaces extérieurs, du vide, des trois formes urbaines majeures de Shanghai, a permis de dégager différentes dynamiques paysagère qui constitutives de la ville à différentes époques : Dans la « ville des lilong », le paysage des ruelles est bien différent du paysage vu depuis la rue. D’un côté, le paysage perçu du « dedans », fonctionne selon les principes d’organisation en rangées, les ruelles, les cours, les bâtiments et les vides, en somme les lois propres qui s’appliquent au système urbain. D’un autre côté, le paysage perçu du « dehors » donne à voir une structure particulière, faite de rues sinueuses, de monuments, de parcs, de promenades, et de champs de courses. Le « dedans » ne s’exprime pas dans le « dehors », ils sont tous deux séparés. Il faut emprunter un passage couvert, une entrée, pour passer d’un monde à un autre, d’une dynamique à une autre. C’est ce couple basé sur une disjonction, mais sans expression du dedans vers le dehors, qui constitue le paysage du Shanghai de l’époque des concessions. Quand l’opération de Caoyang est lancée, les lilong perdent leur système de fermeture et le monde auparavant contenu dans le « dedans » fusionne avec le « dehors ». Les cours disparaissent et laissent place aux espaces verts, l’édifice dans la série devient l’unité, la rangée devient l’élément combinatoire de la ville. Le paysage se constitue désormais à partir de ce couple. D’un côté la répétition, et d’un autre les espaces verts. Aujourd’hui, l’espace entre les bâtiments s’est disloqué, les tours s’expriment seules dans la ligne d’horizon et l’unique chose qui permette de comprendre qu’elles appartiennent à un même ensemble, est leur aspect identique. Les tours fonctionnent comme autant de repères différents dans la ville. Cette dislocation a conduit à créer des systèmes de composition abstraits, monumentaux ou non, mais surtout différents selon chaque lotissement. Ils sont introvertis et ne peuvent offrir de structuration à l’échelle de la ville, du quartier ou de l’ensemble de l’îlot. Le paysage fonctionne donc sur un couple, bâtiments de grande hauteur et composition abstraite du vide. Cette composition est intelligible depuis une vue en plan, à partir d’un bâtiment situé en hauteur à l’intérieur du lotissement, mais aussi depuis une vue horizontale, à partir par exemple de la grande allée plantée qui mène au bâtiment. La composition n’est donc pas perceptible des points de vue horizontal et vertical simultaFig. 37 : Photographie depuis les bords de la rivière Suzhou, vue vers le sud, (source : par l’auteur)

77


a

b

c

f

G

HAN

GYU

DON

IU GQ

N HA

ES RU

RUE

d

RUE WUJIU

e

RUE

NG

NYA

GHA

DON

b

0m

Fig. 38 : Perception des compositions formelles des espaces extérieurs, l’exemple du lotissement Mingjiang qi xingcheng dans le quartier de Hongkou a. Axonométrie. Le lotissement s’organise sur un axe symétrique autour d’un jardin paysager. b. Vue depuis la rue Donghanyang. La composition n’est pas perceptible. c. Situation générale du lotissement. La composition est nettement perceptible.

78

100m


d

e

f

f

d. Vue depuis un balcon. la composition concentrique est perceptible. e. Bâtiment type de l’ensemble. f. Vue depuis le nord vers le sud. la symétrie s’exprime, on ne peut qu’entrevoir la seconde rangée de bâtiments. a.b. (source : par l’auteur), c. (D’après : google earth), d-f. (source : http://www.panoramio.com).

79


a

e

Le Bund

Fleuve Huangpu

Lujiazui centre financier Depuis Lujiazui vers le musée et Century park

b

Vers Lujiazui

c

Vers Lujiazui Musée des sciences et technologies

d

Century Park

Depuis le musée vers Lujiazui

0m

Fig. 39 : Le paysage certain consitué par les tours et Century avenue. a.-d Différente vue de Century avenue. Le grand tracé permet de structurer les ensembles de tours. (source : http://www.panoramio.com) e. Les éléments majeurs organisant l’avenue. (source : par l’auteur, à partir de : google earth)

80

850m


nément. Il existe une disjonction entre les paysages contenus à l’intérieur du lotissement et les paysages perçu depuis la rue. Le paysage vu de l’intérieur du lotissement contemporain, vient en quelque sorte s’exprimer sur le paysage vu de l’extérieur. Depuis la rue, on en perçoit des morceaux, un groupe de tours le long de la ligne d’horizon, mais jamais la composition d’ensemble. Il est impossible d’en comprendre la mise en scène à partir de l’extérieur, ou d’anticiper de quoi l’intérieur est constitué. Le paysage urbain formé par les tours devient alors une addition de dynamiques paysagères distinctes, hétéromorphes, propres à chaque ensemble. Ce paysage, quand il n’est perçu que de manière horizontale, s’exprime de façon incomplète.

b) Pudong - Chicago ou la certitude du paysage des grandes structures urbaines formelles À Shanghai, le développement de dispositifs urbains de grande ampleur mis en scène à l’échelle du quartier (grandes voies de communication, grands espaces publics, etc.) est le seul moyen de joindre les différentes dynamiques propres à chaque morceau de ville. Pudong, par exemple, associe plusieurs formes urbaines constituées de tours, structurées autour de la « Century Avenue » (longue de 5km), dont la construction a débuté dans les années 1990. Elle dessert les gratte-ciels les plus hautes de Shanghai, et présente différents groupes d’éléments. Au bord du fleuve, à l’ouest, on retrouve le quartier financier de Lujiazui, dont les tours et la « skyline » sont devenus le symbole de la ville. À l’est, se trouvent le musée des sciences et technologies (un des plus grands au monde) et le « Century Park ». Ces éléments présentent des formes et des fonctions urbaines différentes, mais ne produisent pas pour autant un paysage « incertain ». À l’échelle du quartier de Pudong, la structuration très formelle de l’ensemble des espaces publics, des places et des rues, s’oppose aux formes d’expression incomplètes et multiples qui caractérisent chaque lotissement. Contrairement à Puxi, où l’association des formes urbaines héritées et actuelles produit l’incertitude des paysages, c’est ici l’association 1) d’une structure formelle à l’échelle du quartier de Pudong, avec 2) l’expression partielle des lotissements, qui offre une saisie claire et intelligible de la ville depuis les vues horizontale et verticale. La centre ville de Chicago située dans l’état de l’Illinois aux Etats-Unis est l’un des premier ensemble urbain constitué d’un système de tours. Le premier gratte-ciel y fut érigé en 1885. Cette partie de la ville se structure à partir de plusieurs composantes. Un système de voies orthogonales formant un ensemble d’ilots carrée (typique de l’urbanisme du continent américain) d’environ 100m de côté. Ce système de damier s’est progressivement densifié et à été occupé par des ensembles de tours. Ces différents bâtiments de

81


a

0m

800m

b

Fig. 40 : Le paysage certain consitué par les tours de downtown Chicago. a. Le système de damiers qui struture la ville à grande echelle (source : Bing maps) b. L’hétérogéneité des différentes hauteurs de gratte-ciels (source : http://fr.academic.ru/pictures/ frwiki/67/Chicago_Downtown_Aerial_View.jpg) c. Le front bati continu depuis la rue (source : http://www.historicbridges.org/other/el/bkg_chicago64.JPG)

82


grandes hauteurs s’aligne sur la rue et offre un front bâti continue depuis l’espace public. Le paysage du centre de Chicago est certain. Sa dynamique se base sur deux éléments permanents, stables, que sont le système de damier et la continuité d’un front bâti au sol, ainsi qu’un élément non permanent, instable qui serait la hauteur des différentes tours.

c) Superpositions et destruction progressives Cette nouvelle dynamique paysagère vient en plus se superposer aux dynamiques passées. La ville des lilong, certes complexe mais isomorphe, devient polymorphe. On perçoit des bribes et des morceaux de ce que la ville était avant et de sa logique propre, mais cette dynamique paysagère formée dans la complexité du dessin général et contrebalancée par l’unité morphologique formant la ville, disparaît. Les tours remplacent peu à peu les lilong sans pour autant entraîner leur destruction complète. La construction massive de ces tours crée donc des dynamiques paysagères nouvelles, en disjonction avec les formes héritées du lilong. Ainsi, les formes qui produisaient la ville et rendaient sa lecture intelligible sont peu à peu remplacées. On comprend bien ici que ce n’est pas la forme des bâtiments en elle-même qui crée l’incompréhension ou plutôt la superposition de compréhensions distinctes, mais les logiques multiples de structuration des vides entre ces bâtiments. c

83


Fig. 41 : Du lilong, aux ensembles de tours, l’évolution des formes urbaines de Shanghai (source : par l’auteur)

84


Conclusion Ce travail s’est intéressé à l’évolution des formes urbaines et à leurs dynamiques paysagères particulières dans la ville de Shanghai, de la fin du 19ème siècle jusqu’à nos jours. L’objectif de cette étude est de mettre en évidence les unités de bases et les éléments combinatoires qui constituent la ville. Comprendre leur organisation permet de saisir la manière dont ils influent sur la production de la ville. Ces éléments constituent la base, le cadre physique qui confère à chaque époque sa dynamique paysagère propre. La ville, du 19ème siècle jusqu’aux années 1930, est constituée de lilong. Cette forme urbaine s’appuie sur trois éléments fondamentaux : les rangées, la rue et les bandes de commerces (l’interface qui les articule). Ils constituent un ensemble : l’élément combinatoire qui permet de fabriquer la ville. La ville des lilong allie d’un côté la complexité du tracé et des réseaux de distribution, de l’autre, l’utilisation systématique de la même forme urbaine. La répétition lui confère son caractère isomorphe et unitaire, en un sens prévisible. Le Shanghai des années 1930 fait co-exister deux mondes, deux villes, deux échelles, celui de l’intérieur, constitué par les rangées et celui de l’extérieur constitué par la rue et les commerces. Les évolutions successives montrent une ouverture progressive de cette unité de base. L’interface disparaît, le bâtiment prend de l’importance, le monde des rangées, propre à chaque ensemble est exposé, coeur ouvert, à la ville. La barre, reproduite maintes fois, va constituer désormais le système de base des nouvelles extensions de Shanghai. De nos jours, les nouvelles formes urbaines se structurent de l’intérieur, autour de bâtiments de grande hauteur, et de compositions abstraites et monumentales. Ces nouveaux ensembles introvertis n’offrent au regard depuis la rue, qu’une expression incomplète de la manière dont ils s’organisent. La seule réponse possible est le tracé urbain monumental, qui organise la ville à grande échelle. Cet ensemble devient la nouvelle unité de base de fabrication de la ville : les grands tracés et les lotissements, avec leur expression incomplète. Mais qu’advient-il lorsque ces nouvelles formes rencontrent les anciennes ? Le quartier de Hongkou en est un bon exemple. D’un côté la ville des lilong a perdu son caractère isomorphe et unitaire (l’un des deux fondements de sa dynamique paysagère). De l’autre, les ensembles de tours ne présentent ni les grands tracés, ni les grandes mises en scènes urbaines, éléments clés de la dynamique paysagère contemporaine. Le paysage incertain, c’est cela : plusieurs logiques, plusieurs dynamiques qui co-existent, mais qui s’expriment chacune de manière incomplète, l’existence de l’une, supposant la destruction des autres.

85


Fig. 42 : a.(source : par l’auteur) b.(source : http://www.panoramio.com)

86


Paysages incertains : le changement d’échelle Des tours et des lilong, conflits entre bâtiments

Fig. 43 : a.(source : par l’auteur) b.(source : par l’auteur)

87


Fig. 44 : a.(source : par l’auteur) b.(source : http://www.panoramio.com)

88


Fig. 45 : a.(source : http://www.panoramio.com) b.(source : par l’auteur)

89


Fig. 46 : a.(source : par l’auteur) b.(source : par l’auteur)

90


Paysages incertains : le changement d’échelle Conflits entre les bâtiments et la rue

Fig. 47 : a.(source : par l’auteur) b.(source : par l’auteur)

91


Fig. 48 : a.(source : par l’auteur)

92


Fig. 49 : a.(source : http://www.panoramio.com)

93


a

b

0m

135m

Fig. 51 : Le percement du tunnel rue Dongchangzhi a. Le paysage des lilong imaginé dans les années 30 (source : par l’auteur) b. Les bâtiments détruits pour la construction du tunnel (source : par l’auteur, à partir de : google earth)

94


c

d

0m

135m

Fig. 52 : Le percement du tunnel rue Dongchangzhi c. Le même point de vue que a. en 2010. Les lilong se sont ouverts (source : par l’auteur) d. Le tunnel avant la fin des travaux de percement (source : par l’auteur, à partir de : google earth)

95


a

b

E RU XI

G

N

’A

UHAN

ONGY

RUE D

RUE HUN

LUS

EL

RU G

N IYA

HI

RU

GZ

AN

CH

E

NG

XI

O ED

N

’A

RU

0m

65m

Fig. 53 : Différentes configurations mêlant lilong et tours. Les tours se sont installées sur les parcelles libérées, laissant parfois des morceaux de lilong. L’articulation se réalise au travers d’un mur, haut d’environ 3m. Les tissus s’ignorent formellement.

96


Paysages incertains : la rencontre des formes urbaines c

RUE WUZH

OU

U QI NG

HA

ES RU

R

G

YAN

AN

GH

ON

D UE

d

N

I’A

EX

RU

RUE ZHOUJIAZUI

0m

65m

Fig. 53 : Différentes configurations mêlant lilong et tours. En haut (source : par l’auteur, à partir de : google earth), au milieu (source : cadastre de Shanghai 2007), en bas (source : par l’auteur).

97


a

b

c

d

Fig. 54 : Différentes configurations mêlant lilong et tours. Image des différents ensembles


d

a

c

b

Fig. 55 : Différentes configurations mêlant lilong et tours. Situation des ilôts étudiés





Bibliographie Sur l’urbanisme et l’archticture en Chine. Bray, David. Social space and governance in urban China: the danwei system from origins to reform. Stanford University Press, 2005. Cités d’Asie. Editions Parenthèses, 1995. Freire, Mila, et Belinda K. P. Yuen. Enhancing urban management in East Asia. Ashgate Publishing, Ltd., 2004. Fresnais, Jocelyne. La protection du patrimoine en République populaire de Chine, 1949-1999. Editions du CTHS, 2001. Friedmann, John. China’s urban transition. U of Minnesota Press, 2005. Henriot, Christian, Alain Delissen, Institut d’Asie orientale (Lyon, et France). Les métropoles chinoises au XXe siècle. Editions Arguments, 1995. McGee, T. G., et Terry McGee. China’s urban space: development under market socialism. Routledge, 2007. Rowe, Peter G., et Seng Kuan. Architectural Encounters with Essence and Form in Modern China. MIT Press, 2004. Sanjuan, Thierry. Dictionnaire de la Chine contemporaine. A. Colin, 2006. Sanjuan, Thierry. . Les grands hôtels en Asie: modernité, dynamiques urbaines et sociabilité. Publications de la Sorbonne, 2003. Wang, Ya Ping. Urban poverty, housing and social change in China. Routledge, 2004. Wu, Fulong. Globalization and the Chinese city. Routledge, 2006. Wu, Fulong, Chris Webster, Shenjing He, et Yuting Liu. Urban Poverty in China. Edward Elgar Publishing, 2010. Yusuf, Shahid, et Kaoru Nabeshima. China’s development priorities. World Bank Publications, 2006. Yusuf, Shahid, et Tony Saich. China urbanizes: consequences, strategies, and policies. World Bank Publications, 2008. Zhang, Liang. La naissance du concept de patrimoine en Chine: XIX-XXe siècles. Recherches, 2003.

103


Sur l’urbanisme et l’architecture à Shanghai. Balfour, Alan, et Shiling Zheng. Shanghai. Wiley-Academy, 2002. Bergère, Marie-Claire. Histoire de Shanghai. Fayard, 2002. Blayo, Yves. Des politiques démographiques en Chine. INED, 1997. Datz, Christian, et Christof Kullmann. Shanghai: architecture & design. teNeues, 2005. Delcourt, Rachel. Shanghai l’ambitieuse: portrait de la capitale économique chinoise. Éd. de l’Aube, 2008. Denison, Edward, et Guang Yu Ren. Building Shanghai: the story of China’s gateway. Wiley-Academy, 2006. Dong, Nannan. Shanghais innerstädtischer Freiraumwandel in zehn Jahren Stadterneuerung von 1991 - 2000 anhand von Beispielen aus Huangpu, Nanshi, Luwan, Jing’an und Lujiazui. kassel university press GmbH, 2006. Ged, Françoise, et Institut français d’architecture. Portrait de ville: Shanghai. Institut français d’architecture, 2000. Guan, Qian. Lilong housing: a traditional settlement form. McGill University, 1996. Hee, Limin. “Rethinking Shanghai’s urban housing.” Urban Design International 12, n°. 2 (6, 2007): 131-142. Knapp, Ronald G. China’s old dwellings. University of Hawaii Press, 2000. Lagerkvist, A. “Future Lost and Resumed: Media and the Spatialization of Time in Shanghai.” Dans The ESF-LiU Conference, 93, 2006. Lu, Duanfang. Remaking Chinese urban form: modernity, scarcity and space, 19492005. Taylor & Francis, 2006. Rowe, Peter G., et Seng Kuan. Shanghai: architecture and urbanism for modern China. Prestel, 2004. Sanjuan, Thierry. Atlas Shanghai. Autrement, 2009. Topalov, Christian. Les divisions de la ville. Editions MSH, 2002. Yeung, Yue-man, et Sung Yun-wing. Shanghai: transformation and modernization under China’s open policy. Chinese University Press, 1996. Yusuf, Shahid, et Weiping Wu. “Shanghai Rising in a Globalizing World.” SSRN eLibrary (Juin 2001). http://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=632685.

104


Zheng, shi. Shang hai cheng shi de geng xin yu gai zao. Shang hai: Tong ji ta xue chu ban she, 1996. Zheng, Shiling. Renew and redevelopment of Shanghai/上海城市的更新与改造. Shanghai: Tongji University Press, 1996.

Sur le paysage incertain. Barraud, Régis. “Vers un ‘tiers-paysage’ ? Géographie paysagère des fonds de vallées sud-armoricaines. Héritage, évolution, adaptation,” Juin 20, 2007. http://hal. archives-ouvertes.fr/tel-00202359/. Carrozza, Maria Luiza. “Paysage urbain : matérialité et représentation.” Les Cahiers du Centre de Recherches Historiques, n°. 17. Hommage à Bernard Lepetit (Octobre 4, 1996). http://ccrh.revues.org/index2600.html. Dobenesque, É, M Davis, et L Manceau. Paradis infernaux: les villes hallucinées du néo-capitalisme. Penser/croiser. Les Prairies Ordinaires, 2008. http://books.google. com/books?id=9uXrPAAACAAJ. Lamizet, Bernard. Politique et identité. Presses Universitaires de Lyon, 2002. Sanson, Pascal. Le paysage urbain: représentations, significations, communication. Editions L’Harmattan, 2007. “These.pdf,” sans date. http://tel.archives-ouvertes.fr/docs/00/20/23/59/PDF/These. pdf. Walter, François. “Le paysage incertain. Réflexions sur les temporalités paysagères dans le contexte helvétique.” Revue de géographie alpine 94, n°. 3 (2006): 5-13.

Articles divers Douay, Nicolas. “Perspectives chinoises.” Perspectives chinoises, n°. 2008. La ville, Laboratoire de la Chine de demain (Octobre 1, 2008): 16-26. Douay, Nicolas. “Yan Song et Chengri Ding (éd.), Urbanization in China: Critical Issues in an Era of Rapid Growth.” Perspectives chinoises, n°. 2008. La ville, Laboratoire de la Chine de demain (Octobre 1, 2008): 128-130. Guiheux, Gilles. “Judy Chung Chuihua, Jeffrey Inaba, Rem Koolhaas et Sze Tsung Leong éds., Great Leap Forward.” Perspectives chinoises, n°. 75. Varia (Février 1, 2003). http://perspectiveschinoises.revues.org/66. Gurgand, Marc. “Mei Zhang, China’s poor regions. Rural-urban migration, poverty, economic reform and urbanization..” Perspectives chinoises, n°. 96. Varia (Septembre 1, 2006). http://perspectiveschinoises.revues.org/1012.

105


Laurans, Valérie. “Laurence J. C. Ma et Fulong Wu (éds.), Restructuring the Chinese City. Changing Society, Economy and Space.” Perspectives chinoises, n°. 93. Varia (Février 1, 2006). http://perspectiveschinoises.revues.org/948. Laurans, Valérie. “Shanghai : l’argument du confort pour déplacer les résidents urbains.” Perspectives chinoises, n°. 87. Varia (Février 1, 2005). http://perspectiveschinoises. revues.org/688. Meidan, Michal. “La Chine dans une architecture post-Kyoto :.” Perspectives chinoises, n°. 2007. Réchauffement cliamatique : l’enjeu chinois (Juillet 1, 2007). http://perspectiveschinoises.revues.org/1993. Tiry, Corinne. “Thierry Sanjuan (dir.), Les Grands Hôtels en Asie. Modernité, dynamiques urbaines et sociabilité.” Perspectives chinoises, n°. 82. Varia (Avril 1, 2004). http://perspectiveschinoises.revues.org/865. Xiao-Planes, Xiaohong. “Marie-Claire Bergère, Histoire de Shanghai.” Perspectives chinoises, n°. 80. Varia (Décembre 1, 2003). http://perspectiveschinoises.revues. org/211.

106




Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.