Université Paris I - Panthéon-Sorbonne Centre d'Histoire du XIXe siècle
1871
L’Ennemi à la une Le « Versaillais », origines et usages d'un type
Mémoire de master 2 sous la dir. de Dominique KALIFA 2013
Thomas FAZAN
Couverture – GAVARNI, type dessiné d'après FRÉMY Arnould, « L’Habitant de Versailles » dans L. CURMER (dir.), Les Français peints par eux-mêmes. Encyclopédie morale du dix-neuvième siècle. Province II, Paris, Curmer, 1841, p. 1-8.
Mes remerciements vont d'abord à Dominique Kalifa, qui accepta un jour de juin 2011 de recevoir avec bienveillance l'idée à peine bourgeonnante d'un étudiant idéaliste. Et qui sut lui souffler, l'air de rien, que les échecs font partie de l'apprentissage. Merci à Quentin Deluermoz et Éric Fournier pour leur accessibilité et leur joie de vivre, y compris quand le ping-pong ne réunit pas foule ! Merci à Maxime Jourdan et Jacques Rougerie de m'avoir consacré des entrevues vivifiantes et partageuses. Que tou-te-s les vaillant-e-s du mercredi matin acceptent que je les associe à ce cri : on est bien tous ensemble, serré-e-s comme ça. Je pense tout particulièrement à Romain, jamais en rade de vannes, et à Alice, jamais en rade de sourires. Merci enfin à toutes celles et à tous ceux que j'oublie, et qui n'oublieront pas de me le rappeler. Et à Rachel : sans failles, malgré les secousses.
À Joséphine, Benoît et Marie,
À l'héroïne du quotidien...
Thomas Fazan
1871 L'Ennemi Ă la une
2013
TABLE DES ILLUSTRATIONS
Illustration 1 - Émy, frontispice de « L'Habitant de Versailles », 1842, selon Province II, table des matières, n. p...............................................................................................................31 31 Illustration 2 - Louis d’Aubenton et Henri Not, 1871. Versailles. L’Assemblée nationale. Histoire de la salle. Plan de la Chambre. Liste des députés, E. Lachaud, 1871......................47 47 Illustration 3 - Quadrillage monarchique, « Plan pittoresque de la ville et du parc de Versailles », Paris, A. Logerot, 185*...............................................................................................52 52 Illustration 4 - Jardins luxuriants, « Plan pittoresque de la ville et du parc de Versailles », Paris, A. Logerot, 185*..............................................................................................................55 55 Illustration 5 -Plaisirs charnels, « Plan pittoresque », op. cit.............................................................95 95 Illustration 6 - Pilotell, « Offert par La Caricature à l'Assemblée nationale pour l'excution des J... F... de membres de la Trahison nationale », La Caricature politique, samedi 11 février, p. 1..................................................................................................................97 97 Illustration 7 - « Envolements volontaires », La Carmagnole, 12 mars, p. 1.................................133 133 Illustration 8 - Aldred Le Petit, « Les deux républiques », Le Grelot, dimanche 28 janvier 1872.. 154 Illustration 9 - « Avec sa grande ribote avec deux lignards qui ont fichu le camp d'avec les jean-foutres et qui font le coup de feu avec les patriotes ! » (27 avril).....................184 184
INTRODUCTION
Vu à la télévision Que peut-on encore apprendre de la Commune ? Pas peu1. Mais comment est-elle apprise ? De la Troisième République aux années 1960, les manuels du secondaire passèrent globalement sous silence sa complexité, incompatible avec la vision téléologique d'une république « toujours déjà là ». Peu à peu, ensuite, parole fut rendue aux révolutionnaires : des témoignages et de l'iconographie d'époque vinrent rehausser les textes, une « terreur tricolore » était parfois mentionnée2. Pourtant, au début de notre décennie, les lycéens avaient toujours peu de chances de comprendre en quoi 1871 complexifie l'histoire du XIXe, siècle de la « modernité politique » à la française3. Sa « légende », plus pesante historiquement que les événements eux-mêmes4, demeure vivace. En Îlede-France, les noms de places et de rues ou la procession annuelle au Mur des fédérés célèbrent ses protagonistes. À l'occasion du 140e anniversaire, un projet associatif subvertissait les murs de la capitale grâce à des collages photographiques raccords entre le Paris barricadé du temps et celui d'aujourd'hui5. L'hommage actuel le plus abouti est sans doute le film de Peter Watkins, hors normes, à l'image de son réalisateur6. La Commune (Paris 1871) se présente comme une enquête télévisuelle de rue, en direct de la guerre civile, qui donne la parole aux protagonistes dans de longs entretiens. L'anachronisme technique qui fournit le prétexte à la mise en image ne le dispense pas d'être une « œuvre d'histoire » fidèle aux avancées de l'historiographie7. Mais si de fictifs reporters et leur cameraman s'y appliquaient à décrire la vie du peuple parisien pendant les soixante-douze jours de l'insurrection, c'était en forme de contre-offensive médiatique. Car au détour d'une ruelle, par la fenêtre éventrée d'un rez-de-chaussé, posée en équilibre sur un vieux tabouret, un poste de télévision 1
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Lire Jacques ZWIRN (dir.), La Commune de Paris aujourd’hui, Paris, Éd. ouvrières, 1999, 174 p. ; Gilbert LARGUIER et Jérôme QUARETTI (dir.), La Commune de 1871, utopie ou modernité ?, Perpignan, Presses universitaires de Perpignan, « Études », 2000, 447 p. ; la Commune demeure encore un indispensable « questionnement libertaire de la démocratie » souligné par Jacques ROUGERIE, « Peuple et souveraineté » dans T. BOUCHET, A. PICON et al. (dir.), Dictionnaire des utopies, Larousse, 2006, p. 181-186 ; cité par Éric FOURNIER, « La Commune n’est pas morte ». Les usages politiques du passe,́ de 1871 à nos jours, 1re éd., Paris, Libertalia, 2013, p. 171. Didier NOURRISSON, « La Commune. Une présence dans l’histoire ; une oubliée dans l’enseignement » dans N. TUTIAUX-GUILLON et D. NOURRISSON (dir.), Identités, mémoires, conscience historique, Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2003, p. 53-65. Quentin DELUERMOZ et Éric FOURNIER, « Le deuxième exil des communards », Aggiornamento hist-geo, juillet 2011, http://aggiornamento.hypotheses.org/463, consult. le 26 février 2013. Robert TOMBS, La Guerre contre Paris, 1871 [1981], trad. par Jean-Pierre RICARD, Paris, Aubier, « Historique », 1997, p. 22. RASPOUTEAM, « Un journal pour la Commune ! », 2011, http://www.raspouteam.org/1871/?p=374, consult. le 5 janvier 2012. Peter WATKINS, La Commune (Paris 1871), Doriane films, 2001. Son plus long film atteint les quinze heures. Jacques ROUGERIE, « La Commune de Peter Watkins », 2007, http://www.commune-rougerie.fr/la-commune-de-peter-watkin,fr,8,69.cfm, consult. le 6 février 2013. Au générique figurent Marcel Cerf, Michel Cordillot, Alain Dalotel, Jacques Rougerie et Robert Tombs.
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rassemblait les passants. Sur le petit écran, le bulletin de la « Télévision Nationale Versailles » déversait une désinformation dont la partialité rivalisait de ridicule avec la moustache trop bien léchée du présentateur. Celui-ci, pleutre à la voix monotone, maniaque du rangement des fiches disposées devant lui, incarnait la persistance d'un « Versaillais », ennemi de la Commune, cent trente ans après le 18 mars. Cette mise en scène de la bataille de l'information en temps de guerre civile m'intrigua. Comment ce personnage avait-il été, pour ainsi dire, inventé par les médias de l'époque ? Watkins, critique de la « monoforme » dans le cinéma industriel – cette répétition inlassable des même trames narratives8 –, relayait-il un stéréotype façonné en 1871 ? Au XIXe siècle, la notion de « stéréotype » ne désignait que la reproductibilité en imprimerie, loin de l'acception péjorative qu'elle revêtit au siècle suivant9. En revanche, dans les années 1840, une certaine « littérature industrielle » aux redondances assumées connut une audience considérable, avec la vogue des « physiologies ». Phénomène éditorial éphémère, elles furent alors critiquées pour leur style bâclé ou leur visées exclusivement alimentaires. Mais leur entreprise de catégorisation du social ne fut jamais remise en cause, parce que celle-ci satisfaisait un besoin d’intelligibilité du réel dans une société perpétuellement recomposée, notamment en ville, par les transformations rapides de l'économie. Ces textes exprimaient une « rage taxinomique » dont l'outil principal était le procédé littéraire du type, pourvoyeur d'une « image collective accréditée » et qui possédait une « valeur de modèle cognitif10 ». Les Français peints par eux-mêmes, sous-titré Encyclopédie morale du dix-neuvième siècle, participèrent à ce mouvement des physiologies, sans en avoir le nom. Publié initialement en quatre cent vingt-trois livraisons entre 1839 et 1842, le vaste projet de l'éditeur Léon Curmer, à l'instar des physiologies et selon le mot de Taxile Delord, un de ses auteurs, constituait « une galerie qui avait la prétention de réfléchir l'époque actuelle dans son ensemble et dans tous ses détails 11. » Ce « panorama social du XIXe » fut en outre le premier promoteur à grand échelle du type comme produit d'édition. Affiches, prospectus ou couvertures des livraisons – véritable « martèlement publicitaire » – promouvaient le plus souvent des types en matière d'argument commercial12. En outre, Les Français s'accompagnaient d'un riche volet iconographique – dont l'illustration de couverture est extraite –, qui représentait les types littéraires sous la forme de « cris », petites vignettes ornementales judicieusement reproduites en table 8 9
Peter WATKINS, Média crisis, trad. par Patrick WATKINS, Paris, Homnisphères, « Savoirs autonomes », 2004. Ruth AMOSSY et Anne HERSCHBERG-PIERROT, Stéréotypes et clichés. Langue, discours, société [1997], 3e éd., Paris, A. Colin, « Lettres et sciences sociales », 2011, 127 p. 10 Ruth AMOSSY, « Types ou stéréotypes ? Les « Physiologies » et la littérature industrielle », Romantisme, 19-64, 1989, p. 113-114. 11 Taxile DELORD, « La Femme sans nom » dans Les Français peints par eux-mêmes. Encyclopédie morale du dix-neuvième siècle. I, Paris, Curmer, 1840, p. 245. Signalé par ; Pierre Boutier, préface à Léon CURMER (dir.), Les Français peints par eux-mêmes. Encyclopédie morale du dix-neuvième siècle [1839-1842], Paris, La Découverte, « Omnibus », 2003, vol. 1/2, p. IV-V. 12 Luce ABÉLÈS et Ségolène LE MEN (dir.), « Les Français peints par eux-mêmes ». Panorama social du XIXe siècle, Paris, Réunion des musées nationaux, « Dossiers du musée d’Orsay », 1993, p. 6.
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des matières de la plus récente édition. Car le type, étymologiquement, était d'abord affaire d'image. En numismatique, il était et demeure la « figure symbolique sur le revers d'une médaille ». Laquelle, quand elle portait le portrait du roi, était un « puissant agent de propagande13 ». Or parmi ces types de Français figurait L'Habitant de Versailles. Le présentateur « versaillais » imaginé par Watkins s'apparentait-il, pour les acteurs de la Commune, à un type ? Une brochure intitulée Types du jour parut en 1871. Composée de douze lithographies en couleur 14, elle prouve au moins que ce penser avait encore cours à Paris à cette époque. Il semble que la présence du « Versaillais » dans les discours de 1871 obéissait effectivement à cette double fonction du type : catégoriser le social et faire œuvre de propagande politique. Deux axes chronologiques permettent de saisir la formation du type. Celui, synchronique, du « moment » 1871 en lui-même, d'abord, sans le restreindre aux seuls jours de la Commune. Du 5 au 28 janvier, les Parisiens subirent la violence sonore des bombardements prussiens. Puis, du 2 avril à la « semaine sanglante », les canons du gouvernement prirent le relais, créant un continuum de perceptions qui engendra à son tour un continuum de représentations de l'adversaire militaire. Cette constance, entre autres, concourut à forger une culture de guerre parisienne15. Entre janvier et mai 1871, Versailles, de la même manière, accueillit successivement les forces prussiennes puis le gouvernement et l'Assemblée nationale. Parallèlement, de janvier au 18 mars, le Comité central des vingts arrondissements de Paris et la garde nationale achevaient de se structurer, et le 22 janvier, une tentative de prise de l'Hôtel-de-Ville fut réprimée. Le type du « Versaillais » se cristallisa dans ce contexte. Mais ses racines sont plus profondes. Sa généalogie s'appuiera sur quelques plans, romans ou dictionnaires, témoins de la tradition de typisation du social. Ces sources conduiront au milieu du siècle, mais également à son début et pendant la Révolution française. La bibliographie comblera les manques pour le « siècle de Louis XIV », où Versailles acquit son identité.
13 Ibid., p. 44. 14 Robert LE QUILLEC, Bibliographie critique de la Commune de Paris 1871 [1997], éd. refond. et aug., Paris, Boutique de l’histoire, 2006, p. 56. Absent des bibliothèques françaises, il n’a pu être consulté. 15 Éric FOURNIER, Paris en ruines. Du Paris haussmannien au Paris communard, Paris, Imago, 2008, p. 38-53.
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Tu dans l'historiographie L'historiographie de la Commune est une part essentielle de son souvenir disputé 16. Jacques Rougerie, dans un article revenant sur les enjeux du centenaire de 1871, soulignait que « l'étude de l'adversaire, de Versailles et des Versaillais » demeurait lettre morte. « Comment bien comprendre l'insurrection de Paris si l'on ne sait pas avec suffisamment d'exactitude ce contre quoi elle se dresse ? », interrogeait-il17. Robert Tombs, analysant en détail la composition de l'armée du gouvernement et sa conduite de la guerre civile, comblait ce manque, dix ans plus tard 18. Mais comment comprendre contre qui se dressait l'insurrection de Paris sans restituer l'intégralité des discours qui galvanisaient les insurgés ? De fait, les historien-ne-s ont rarement pris la peine de définir ce qu'ils désignaient par Versaillais, omettant le plus souvent de situer leur utilisation du terme sur le gradient de la polémique, entre ennemi épidermique et simple gentilé. La lecture de leurs ouvrages recèle pourtant une évidence : l'opération de narration dont procède tout récit historique a naturalisé l'expression. Une manière de penser et de se représenter l'ennemi dans le feu de la révolution a donc été reprise telle quelle, faisant écran à la compréhension d'une part importante de l'imaginaire des acteurs et des actrices. Seul le souci didactique semble avoir guidé les récits le la lutte entre deux pouvoirs concurrents, sans prise en compte de l'enjeu de la dénomination. En premier lieu, dans la droite ligne de Marx lui-même avec son Adresse au Conseil général de l'A. I. T., la tradition marxiste a opacifié durablement la langue de 1871. Pierre Angrand, par ailleurs collaborateur de l'hagiographie de référence sur le mouvement communaliste19, a commis un article édifiant en la matière dans La Pensée, revue affidée au Parti communiste français. Alors même qu'en d'introduction il y précise avec nuance que le « Versaillais » désigne « non pas l'habitant de Versailles, mais l'émigré à Versailles », il se laisse aller dans la foulée à un éloge peu historien de « l'impérissable grandeur de la Commune. » Il y développe une vision téléologique en contradiction avec la spontanéité du 18 mars, mettant en scène les « futurs Versaillais » ou les « éléments hostiles au peuple – bientôt des Versaillais ». Comme Marx, mais avec quatre-vingt ans 16 Pour un panorama détaillé, lire J. ROUGERIE et Georges HAUPT, « Bibliographie de la Commune de 1871 (Travaux parus de 1940 à 1961) », Le Mouvement social, 37, octobre 1961, p. 70-92 ; Robert TOMBS, « Les Communeux dans la ville. Des analyses récentes à l’étranger », Le Mouvement social, 179, avril 1997, p. 93-105 ; The Paris Commune 1871, New York & London, Longman, « Turning points », 1999, 244 p. ; Jacques ROUGERIE, « Autour de quelques livres étrangers. Réflexions sur la citoyenneté populaire en 1871 » dans C. LATTA (dir.), La Commune de 1871. L’événement, les hommes et la mémoire, Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2004, p. 215-236 ; « Mise en perspective 2011 », mars 2011, http://www.commune-rougerie.fr/mise-en-perspective,fr,8,88.cfm, consult. le 4 janvier 2012. 17 Jacques ROUGERIE, « Le centenaire de la Commune. Moisson, problèmes, ouvertures », Revue Historique, 246-2 (500), octobre 1971, p. 404. 18 R. TOMBS, La Guerre contre Paris, op. cit. 19 Jean BRUHAT, Jean DAUTRY et al. (dir.), La Commune de 1871 [1960], 2e éd. rev. et compl., Paris, Éditions sociales, 1970, 464 p.
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de recul, il use sans pincettes ni citations des termes hobereaux ou agrariens, les associant à restauration, dévotion, privilèges ou capitulards, et traite Francisque Sarcey de « proxénète des Compagnies d'assurance » sans guillemets, laissant croire à un jugement personnel. La fabrique de l'histoire n'étant jamais une entreprise dénuée d'idéologie, on pourrait rétorquer qu'un rigoureux corpus excuse ces prises de position. Or celui-ci se résume à la presse favorable au gouvernement Thiers, à l'Enquête sur le 18 mars, diligentée par le pouvoir après-coup, et à quelques mémorialistes résidant à Versailles. Le plus cité de ces derniers symbolise malgré lui la démarche péremptoire du polémiste : en note, ses Souvenirs de Versailles sont tout bonnement transformés en « Souvenirs d'un Versaillais »20. Malgré une justification méthodologique explicite qui entend, à nouveau comme préconisé par Marx, « connaître le Versaillais en le laissant parler et agir », cet exemple illustre la difficulté qu'ont eu beaucoup de mythographes de la Commune à prendre de la distance avec les mots des icônes militantes que représentent les insurgés21. Par peur d'être traités à leur tour de « Versaillais » ? Des définitions affectives et acritiques de ce qui, à tort, n'est pas identifié comme un type langagier, empêchent pourtant d'en saisir la richesse sémantique, remplacée par une « légende rouge » rébarbative. La dernière synthèse de Tombs, à ce jour non traduite de l'anglais 22, s'occupe justement, entre autres, de critiquer l'orthodoxie de l'historiographie marxiste. Plus important ici, l'historien y aborde à plusieurs reprises l'étude du « Versaillais ». Il affirme que le terme n'était employé que pour une catégorie des opposants, comme synonyme de chouans, monarchistes ou « prussiens de Versailles », et le distingue de « francs-fileurs », ou de vautours (oisifs) pris comme une illustration du dicton de Proudhon. Son paragraphe de définition s'achève sur la diversité des ennemis de la Commune demeurés à Paris, qui « pourraient être conçus comme un stéréotype de classe – ''ces dandys... se promenant sur les boulevards, un lorgnon sur le nez, un jonc à la main, narguant le prolétaire par-dessus l'épaule'' – mais ils n'étaient pas une classe 23. » Pourtant, je tenterai de démontrer ici que par sa force d'évocation, un type et sa « valeur épistémologique » – et non un « stéréotype » –, subsumèrent toutes les attaques verbales contre l'adversaire de la Commune. Lisa Goodyer, au détour d'une note, évoque « ceux qui seront désignés comme ''Versaillais'' », avec une précaution oratoire peu courante24. Noëlle Dauphin n'en explique pas plus, quand elle relève qu'avec l'afflux d'émigrés à la suite du 18 mars, « Versaillais signifie désormais 20 Léonce DUPONT, Souvenirs de Versailles pendant la Commune, Paris, Dentu, 1881, 323 p. 21 Pierre ANGRAND, « Les Versaillais », La Pensée. Revue du rationalisme moderne, 81, septembre 1958, p. 48. Peut-être s’agit-il d’une coquille de l’éditeur, après tout... 22 Une traduction est en cours aux éditions Libertalia. 23 R. TOMBS, The Paris Commune 1871, op. cit., p. 123. Il s’agit d’un extrait de procès-verbal du Club Michel (joyeusement amputé de son « saint »), d’ordinaire plutôt hostile à la Commune, mais à la tribune duquel le citoyen Moulin, de Belleville, proposa de faire travailler durement cette « classe » qui n’en était pas une pour Tombs. 24 Lisa T. GOODYER, « “Que l’on soit toujours citoyen et soldat”. Représentations de la Garde nationale sous la Commune de Paris de 1871 », Sociétés & Représentations, 16-2, 2003, p. 225.
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réactionnaire25 ». Bertrand Tillier désigne par « type du Versaillais » certaines caricatures de Georges Pillotel, directeur des Beaux-Arts et commissaire sous la Commune, avec l'acception de type visuel qui ne sera pas développée ici26. Enfin, plus récemment, Laure Godineau a constaté avec raison que « Versaillais contre communards, communards contre Versaillais, ces mots évoquent encore de nos jours l'insurrection de 1871 et l'affrontement sanglant », soulignant l'enjeu des labels dans les historiographies et les mémoires de la Commune. « Les Versaillais, ce sont ainsi l'Assemblée, le gouvernement, l'armée », continue-t-elle, dans une définition réductrice, cependant27. Car l'appellation servit en vérité de nom commun de l'ennemi en 1871. J'essayerai de faire sentir comment de l'attaque ad hominem contre des ministres ou des parlementaires connus, le qualificatif devint générique et engloba des pans entiers de la population, parisienne ou non. Cet angle mort de l'historiographie se comprend d'autant moins que la piste inverse a été abondamment explorée. La figure de la « pétroleuse » incendiaire et du « communard » ivrogne et animalisé, sont bien connues28. Les mécanismes de cette « rhétorique versaillaise », notamment dans la littérature hostile de la Troisième République, ont fait l'objet de méticuleuses descriptions29. Or, dès 1871, la symétrie des discours des deux camps a elle aussi été pointée. Le gouvernement distribuait aux troupes encasernées une presse favorable jouant de couples antagonistes fortement connotés pour discréditer l'ennemi avant le combat30. Ordre/désordre, nation/faction, liberté/tyrannie, autant de signifiant qui se retrouvaient au fil des tribunes communalistes, dans un « étonnant jeu de miroir » aux objectifs similaires31. À ce titre, il manque donc une approche de ce que j’appellerai désormais « rhétorique communaliste , dont le « Versaillais » était un motif récurrent. En plus de dissiper l'écran historiographique tendu devant l'ennemi de la Commune, la description du « Versaillais » permet d'enrichir l'histoire des mémoires de 1871. L'ampleur du changement de société qu'il portait, couplé à son anéantissement brutal et sanglant, explique pour partie que le mouvement communaliste ait donné lieu à une production mémorielle très abondante, ro-
25 Noëlle DAUPHIN, « Versailles, le château et la ville. Deux patrimoines distincts, deux mémoires antagonistes à l’époque contemporaine ? », Histoire urbaine, 9, mars 2004, p. 93. 26 Bertrand TILLIER, La Commune de Paris, révolution sans images ? Politique et représentations dans la France républicaine, 1871-1914, Seyssel, Champ Vallon, « Époques », 2004, p. 320. 27 Laure GODINEAU, La Commune de Paris par ceux qui l’ont vécue, Paris, Parigramme, 2010, p. 4. 28 Michèle RIOT-SARCEY, « De la “tricoteuse” à la “pétroleuse”, ou les figures répulsives de la “femme publique” », 48/14. La revue du musée d’Orsay, 10, printemps 2000. 29 Paul LIDSKY, Les Écrivains contre la Commune [1970], nouv. éd. aug., Paris, La Découverte, « Poche/Essais », 2010, 199 p. ; É. FOURNIER, Paris en ruines, op. cit., p. 130, modère l’unanimisme supposé par le premier quant à la description des ruines de Paris. Les descriptions des incendies ne s’accompagnèrent pas d’une condamnation intransigeante systématique. 30 R. TOMBS, La Guerre contre Paris, op. cit., p. 186-203. 31 Maxime JOURDAN, « Le Cri du peuple ». 22 février 1871-23 mai 1871, Budapest/Paris/Turin, L’Harmattan, 2005, p. 173. Dans le cas du Cri, la symétrie proviendrait de la lecture de la presse rivale, provoquant une volonté de rendre coup sur coup.
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mans, mémoires, pamphlets, chansons, poésies, histoires, etc.32. Les usages politiques qui en découlent sont eux aussi pléthoriques, et parfois inattendus, comme le montre, dans le temps long, le très récent essai d'Éric Fournier. La Commune fournit continuellement un lot d' « anachronismes mobilisateurs » capables de déplacer les foules en meeting, par exemple un 18 mars 2012 à la Bastille, pour la campagne présidentielle33. À cette occasion, un élu communiste du XVIII e arrondissement exhortait à s'y rendre parce que « les héritiers des versaillais veillent », et qu'ils « ne feront pas de cadeau34 ». Cette pérennité de l'expression, qui irrigue toutes les mémoires de 1871, la classe parmi ces anachronismes capables de distinguer des camps à partir d'un événement historique. Certes, la longévité du « Versaillais » tient au simple fait que le terme fut consacré par les acteurs de 1871 eux-mêmes. Encore faudrait-il une solide étude pour démontrer qu'entre alors et aujourd'hui, ses caractères n'ont pas évolué. Mais son succès dans les discours pendant l'événement obéit à davantage qu'à une simple logique antagoniste. Une approche décentrée vers les études sur Versailles et son poids symbolique permet de penser que le type s'imposa pendant la Commune grâce à des connotations anciennes. La thèse du « Paris, ville libre » a constitué en son temps une percée historiographique majeure. Pourquoi ne pas considérer en ce cas que 1871 fut également un affrontement contre Versailles, ville coercitive ? « Une ville comme Versailles, qui représente la royauté, ne peut être regardée longtemps fixement par une ville comme Paris, qui personnifie la République », écrivait Victor Hugo en janvier 1872, alors que la première était encore le siège de l'Assemblée nationale35. Ce poids symbolique explique d'ailleurs la différence de nature entre les deux dénominations consacrées pour désigner les camps. Communards (ou Communeux36) et Versaillais possédaient dès 1871 une charge péjorative. Mais le premier renvoie à un type de régime quand le second appartient au registre de la description géographique. Charles Seignobos, en 1924, méprisait ces « Fédérés, comme ils s'appelaient eux-mêmes, [qui] restèrent connus sous le nom de communards », c'est-à-dire, « même pas reconnus comme belligérants37. » Le « Versaillais » non plus ne ressortissait pas du domaine de la guerre ! Pourtant il incarna l'ennemi militaire pendant la guerre civile, comme dans les mémoires de 1871. Versaillais charriait un imaginaire propice à un tel affrontement. Comment 32 Hélène MILLOT, « Essai bibliographique » dans R. BELLET, H. MILLOT et al. (dir.), Écrire la Commune. Témoignages, récits et romans. 1871-1931, Tusson, Du Lérot, « Idéographies », 1994, p. 253 ; R. LE QUILLEC, Bibliographie critique, op. cit., exhaustif, en donne la mesure : près de 6 000 documents référencés. 33 É. FOURNIER, La Commune n’est pas morte, op. cit., p. 168. 34 Gérald BRIANT, « L’assaut du ciel », Place au peuple 2012, 5 mars 2012, http://www.placeaupeuple2012.fr/lassaut-du-ciel/, consult. le 27 juin 2013. 35 Victor HUGO, L’Année terrible. Avec des extraits de Actes et paroles 1870-1871-1872, Paris, Gallimard, « Poésie », 1985, p. 166. 36 Nom que j’emprunte à Jacques ROUGERIE, Paris libre, 1871 [1971], nouv. éd., Paris, Seuil, « Points/Histoire », 2004, p. 215-247, séduit par son « esquisse, retouchée, pour un portrait du Communeux ». 37 Cité par Michèle RIOT-SARCEY, « Introduction. L’écriture de l’histoire du politique » dans Le Réel de l’utopie. Essai sur le politique au XIXe siècle, Paris, A. Michel, « Bibliothèque Albin Michel », 1998, p. 14. Au mieux, comme des « utopistes », ajoute l’historienne.
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le glissement du gentilé à l'invective politique eut-il lieu en 1871 ? Les historiens de l'art ont analysé ce pouvoir évocateur de la ville royale, parfois avec l'ambition d'en « restaurer le prestige », à sa juste place dans « l'histoire universelle38 ». Pour les études littéraires, un colloque a accueilli une brève contribution dans laquelle l'auteur remarque, avec Louise Michel (1898), que Versailles fut « mythifiée » par 1871, passant de représentante de l'ordre monarchique à celui de ville « barbare et sanguinaire ». Avec Marx (1871), elle insiste sur la transformation de Versailles en capitale des vices. Avec Paul et Victor Marguerite (1904), elle relève le caractère essentiellement théâtral auquel appartient le décor de Versailles, rendant factice le pouvoir de l'Assemblée. Enfin, elle résume en parlant d'un « bouleversement de l'identité de Versailles », révélé entre autres par le fait que « Versaillais désigne, à partir de ce moment-là, une appartenance non plus géographique mais politique39. » Ces constats sont des clés de compréhension utiles. En revanche, la contribution manque d'un corpus homogène, puisque les quatre auteurs étudiés entretinrent des rapports très différents à la Commune et que les dates variées de leur publication ne font l'objet d'aucune contextualisation. Le travail de Paul Lidsky sur les écrivains est bien plus complet. Celui-ci dépeint même un « type du Versaillais », positif cette fois, incarné par le « soldat versaillais » Jean Macquart, dans La Débâcle d'Émile Zola (1872)40. Mais au total, malgré sa charge sémantique immédiate dans les mémoires militantes de 1871, aucun travail sur la Commune n'a questionné Versaillais, et toute l'ont repris par facilité de langage.
Lu dans la presse D'où ces interrogations. Quel déterminants politiques convoie un terme visiblement adapté au dualisme réduisant la Commune à un affrontement bipartite ? Comment les imaginaires de Versailles ont-il favorisé le succès discursif de la figure ? Quelle généalogie au type du « Versaillais » ? Pourquoi, dans le contexte précis de 1871, le glissement du gentilé au type de la polé mique fut-il possible ? L'hypothèse que le type fut la clé de voûte de la propagande communaliste permet d'avancer quelques explications. Or, quelles sources recèlent le mieux les diatribes de cette rhétorique qui donna corps et substance au « Versaillais » ? Quel moyen d'expression joua alors le rôle que donne Watkins à la télévision ? Lequel, enfin, exerça une influence concrète sur le quotidien de presque deux millions 38 Louis RÉAU, « Le rayonnement de Versailles », Revue d’histoire moderne & contemporaine, 1-1, janvier 1954, p. 25-47. Un tel panégyrique dans une prestigieuse revue à comité de lecture. Premier numéro de la formule actuelle de RHMC. 39 Isabelle DURAND-LEGUERIN, « Versailles et la Commune » dans V. LÉONARD-ROQUES (dir.), Versailles dans la littérature. Mémoire et imaginaire aux XIX e et XXe siècles, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise Pascal, « Littératures », 2005, p. 357. 40 P. LIDSKY, Les Écrivains, op. cit., p. 116-121.
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de Parisiens41 ? Une réponse s'impose, en cette moitié de siècle de lente émergence des médias de masse : le journal42. Bien sûr, la presse ne fut pas la seule arme de la guerre de papier et d'encre qui redoubla la guerre de chair et de sang. Trois cent quatre-vingt dix-neuf affiches officielles sortirent de l'Imprimerie nationale, conduite pour la Commune par Louis-Guillaume Debock. En dialogue permanent avec les élus de l'Hôtel-de-Ville, il effectua un « véritable travail de communication politique43 ». Cette interprétation, à la formule sans doute anachronique, suggère toutefois que le « Versaillais » fut un type au vertu « clivante » – comme diraient les « communicants » d'aujourd'hui –, et qu'il permit de distinguer facilement deux camps 44. « Il n'appartient qu'à l'autorité communale ou aux municipalités d'apposer des affiches sur papier blanc. […] L'affichage des actes émanant du gouvernement de Versailles est formellement interdit », décrétait le Comité central de la garde nationale, fin mars45. Cette citation elle-même montre que le texte des affiches, vecteur puissant, était également publié dans la presse. Celle-ci peut donc être considérée comme le canal principal d'une guerre de propagande46. Le qualificatif correspond en outre à la réalité des liens organiques entre la presse et le régime communalistes. Il ne fut pas rare que les journaux affichent dans leur premier numéro, en forme de programme, une « adhésion absolue à la Commune47 ». De nombreuses plumes, à l'instar de Jules Vallès, furent portées au pouvoir le 26 mars ou le 16 avril 1871, notamment grâce à leur notoriété journalistique. Ce dernier délégua la direction du Cri du peuple pour se consacrer à ses fonctions politiques, dans un souci d'indépendance rédactionnelle 48. Mais beaucoup conservèrent en même temps le « magistère symbolique49 » exercé dans les journaux. Ils firent ainsi office de porte-voix de l'Hôtel-de-Ville, avec un grand talent dans la justification de ses décisions. Par ailleurs, la répression des tribunaux militaires manifesta, après-coup, la croyance du gouvernement en les vertus mobilisatrices de la propagande de presse. Les journalistes communalistes furent 41 J. ROUGERIE, Paris libre, op. cit., p. 4. Le Rappel, 7 février 1871, p. 2, col. 3, mentionne « le recensement arrêté le 7 janvier » qui pour « la population civile donnait 2,019,877 habitants ». 42 Dominique KALIFA, La Culture de masse en France, 1. 1860-1930, Paris, La Découverte, « Repères », 2001, p. 6. 43 Gladwys LONGEARD, « L’Imprimerie nationale sous la Commune » dans B. FRAENKEL, M. GOUIRAN et al. (dir.), Affiche-action, quand la politique s’ecrit ́ dans la rue, Paris, France, Bibliothèque de documentation internationale contemporaine/Gallimard, 2012, . 44 Nicole LORAUX, « Éloge de l’anachronisme en histoire », Le Genre humain, 27, juin 1993, p. 28. Anachronisme qui peut être fécond selon « la méthode qui consiste à aller vers le passé avec des questions du présent pour revenir vers le présent, lesté de ce que l’on a compris du passé. » 45 La Sociale, n° 1, mercredi 31 mars 1871, p. 2, col. 2. Désormais, sauf mention contraire, l'année des périodiques cités est 1871. 46 « Propagande républicaine », Journal officiel de la République française (Commune), mercredi 29 mars, saluait l'entreprise de « républicanisation de ses concitoyens » d'un certain Jules Steeg, en Dordogne. 47 La Sociale, n° 1, mercredi 31 mars, p. 3, col. 2. 48 Maxime JOURDAN, « Jules Vallès, patron de presse. Fondation, direction(s) et gestion du premier Cri du peuple (22 février 1871 - 23 mai 1871) », Autour de Vallès. Revue de lectures et d’études vallésiennes, 38, 2008, p. 154. Il signa son dernière article le 18 avril. 49 Corinne SAMINADAYAR-PERRIN, « Avatars journalistiques de l’éloquence publique » dans D. KALIFA, P. RÉGNIER et al. (dir.), La Civilisation du journal. Histoire culturelle et littéraire de la presse française au XIX e siècle, Paris, Nouveau Monde, « Opus magnum », 2011, p. 668.
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condamnés au premier chef pour leur articles véhéments, même lorsqu'ils avaient exercé des fonctions officielles ou avaient combattu dans la garde nationale50. Un opus hostile croyait également au pouvoir des mots, et entendait ainsi condamner « ce que de tels instituteurs étaient capables de faire de la population parisienne et de la population française 51 ». Enfin, tous les journalistes étaient conscients de l'importance de maintenir l'unité du mouvement communaliste, pour ne pas donner à lire un camp affaibli par ses désaccords52. Mais jamais ce principe ne fut ouvertement énoncé dans leurs colonnes. S'il ne fut pas stratégie planifiée dans le détail, le discours des articles était médité et lissé afin de ne pas handicaper la Commune. Ce discours peut donc être défini comme une propagande – d'ailleurs inhérente à tout théâtre de guerre. L'homogénéité de la rhétorique communaliste tint également à un habitus commun. Sous la Commune, un journal n'hésitait jamais à insérer des « va paraître » pour des titres amis en gestation. C'est que, tous opposants au Second Empire, les journalistes avaient connu la censure, les amendes et la répression. Ensemble, ils avaient purgé leurs peines au « pavillon des Princes » de Sainte-Pélagie53. La plupart d'entre eux avait été étudiants, en médecine, en lettres ou en droit. Ils se fréquentaient dans le quartier du Croissant et dans les cafés de la capitale, dont certains étaient connus pour leur républicanisme54. Ils collaboraient aux mêmes journaux. La Marseillaise, fondée par Henri Rochefort après l'interdiction de sa Lanterne, tira jusqu'à 145 000 exemplaires entre décembre 1869 et février 187055, et fut le véritable carrefour du réseau des plumes socialistes ou républicaines. Beaucoup de ses rédacteurs écrivirent ensuite dans la presse insurgée de 1871. Afficher en une de son premier numéro que sa rédaction était composée d'anciens collaborateurs de La Marseillaise « [dispensait] de formuler un programme », deux jours après le 18 mars 56. Elle servit en outre « d'organe officiel » de la section parisienne de l'Association internationale des travailleurs (A. I. T.)57. Une intense sociabilité de lutte avait donc rassemblé ces hommes58, en amont de la révolution59. En cela déjà, les journaux qu'ils animèrent en 1871 font corpus. Certes, ce « tu-
50 Casimir Bouis, par exemple, se vit reprocher devant le 4e conseil de guerre ses articles du Cri, plutôt que sa présidence d’une commission d’enquête sur les agissement du gouvernement de la Défense nationale. Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français. Deuxième partie : 1864-1871, la Première Internationale et la Commune, Paris, Éditions ouvrières, 1967, « Casimir Bouis ». 51 Journal des journaux de la Commune, Paris, Garnier, 1872, vol. 1/2, p. XIII. 52 M. JOURDAN, Le Cri du peuple, op. cit., p. 184. 53 Roger BELLET, Presse et journalisme sous le Second Empire, Paris, A. Colin, 1967, p. 180-183. 54 Guillaume PINSON, « Travail et sociabilité » dans D. KALIFA, P. RÉGNIER et al. (dir.), La Civilisation du journal. Histoire culturelle et littéraire de la presse française au XIX e siècle, Paris, Nouveau Monde, « Opus magnum », 2011, p. 660. 55 R. BELLET, Presse et journalisme sous le Second Empire, op. cit., p. 280. 56 La Commune, n° 1, lundi 20 mars, p. 1, col. 1. 57 J. ROUGERIE, Paris libre, op. cit., p. 273. 58 Les signatures étaient toujours masculines. La seule femme journaliste citée dans cette étude, Léodile Champseix adopta elle-même le pseudonyme masculin d'André Léo. 59 Maxime VUILLAUME, Mes Cahiers rouges. Souvenirs de la Commune [1908-1910], éd. intégrale inéd., Paris, La Découverte, « Poche/Essais », 2013, 730 p., pour le meilleur exemple de la part belle faite à l’amitié.
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multe de journalistes60 » auquel a pu être ramené la Commune connut des querelles d'égo et des divergences de fond sur les décisions à prendre. La convocation d'éléments biographiques permettra çà et là d'en faire le détail. Mais malgré tout, les feuilles de 1871 formaient une communauté de langue – issue de pratiques journalistiques similaires –, qui explique que le « Versaillais » devint arme rhétorique unanime. Ainsi, la « presse communaliste » se distingua par son éloge de l'insurrection du 18 mars et ses encouragements au vote pour les scrutins (26 mars et 16 avril), comme par son bellicisme constant, hérité de la volonté de « guerre à outrance » contre les Prussiens. J'ai préféré communaliste à socialiste parce qu'il reflète mieux la diversité des sensibilités que parvint à unir la Commune. Ces dénominateurs communs, je le répète, n'empêchèrent pas une critique quotidienne du régime. Par ailleurs, le titres les plus connus comme Le Cri du peuple purent être accusés par de petits canards de quartier comme Le Prolétaire de colporter de fausses nouvelles politiques et militaires, et donc de tromper le peuple en se faisant « fracasseurs de phrases61 ». Mais pour cette étude, l'essentiel demeure : une même haine du gouvernement Thiers liait ostensiblement tous les « journaux communalistes ». Pour balayer la plage chronologique définie, j'ai ajouté au corpus quelques titres de ce j’appellerai « presse républicaine ». D'une part, entre janvier et le 18 mars, modérée ou « de la démocratie avancée62 », la presse républicaine se caractérisait par une opposition au gouvernement de la Défense nationale puis, après le 19 février, à celui que conduisit Thiers, ainsi que par son refus des négociations avec la Prusse. D'autre part, après le 18 mars, je ne désignerai plus par « presse républicaine » que les journaux conciliateurs, qui se distancèrent des agissements de la Commune mais demeurèrent critiques envers ceux du gouvernement. Les journaux favorables à ce dernier seront appelés « gouvernementalistes ». Peut-on affirmer pour autant que le lecteur de la presse communaliste – en plus de l'affronter physiquement à coup de Chassepot – se révoltait contre le « Versaillais » du discours ? La population parisienne insurgée avait-elle fait sienne un type purement inventé d'une propagande ? La question de la réception des textes, et de l'empreinte qu'ils laissent au public, est un sujet piégé pour l'historien. Ici, aucune source ne permettra d'explorer les « horizons d'attente » des hommes et des femmes de 1871, lesquelles dispositions préalables auraient favorisé – ou non – le succès de cette pierre angulaire de la rhétorique communaliste. En revanche, l'espace-temps resserré de la Commune satisfait à l'impératif d'unité de la configuration sociale que supposerait l'étude de la circulation du motif entre émetteurs et récepteurs63. La profondeur et l'ancienneté des imaginaires de 60 Aimé DUPUY, 1870-1871, la guerre, la Commune et la presse, Paris, A. Colin, 1959, p. 13. 61 Alain Dalotel, interrogé par LALLAOUI Mehdi, La Commune de Paris 1871, France 5/Mémoires vives, 2004, 25'20''. 62 La Vérité, 27 janvier, p. 2, col. 3. Toute feuille usant de cette expression est à classer parmi les modérées. 63 Pascale GOETSCHEL, François JOST et al. (dir.), Lire, voir, entendre. La réception des objets médiatiques, Paris, Publications de la Sorbonne, 2010, p. 67.
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Versailles, en ce qui concerne la généalogie du type, semblent également suffisantes pour postuler que le « Versaillais » était associé immédiatement à ces représentations parlantes. Enfin, les rapports étaient très étroits entre les journaux communalistes et leurs lecteurs. Les plumes vivaient l'insurrection, elles s'inspiraient de la rue et reproduisaient un style proche de la « franchise de la parole ». Et si la création d'un espace public du journal dévolu aux habituels exclus de la parole publique précède la Commune64, je rappellerai que la presse communaliste a poussé loin cette logique d'ouverture. Les écrits de n'importe quel groupe, club, association ou simple citoyen alimentèrent largement les colonnes, et révèlent une « connivence rarement atteinte » entre journaux et public. Les premiers « influencèrent leurs lecteurs en leur fournissant des renseignements, des idées, des formules qui marquent l'esprit et alimentent leurs réflexions 65 ». Le vecteur particulier du journal, lus par dix ou quinze personnes qui se le partageaient, et qui comparaient les « tempéraments et les styles de publications beaucoup moins interchangeables que la presse actuelle 66 », servait en 1871 à galvaniser la population, à affermir les convictions révolutionnaires ou à en créer de nouvelles. L'usage du présent de communication dans les articles recréait une impression d'oralité67. Je postule que traquer le « Versaillais » dans la langue de la presse communaliste revient à étudier un « être perçu68 » constitutif de l'identité collective de l'ensemble des partisans de la Commune. C'est en cela que cette étude entend jeter un regard décentré sur la Commune. La composante linguistique est donc le dernier pilier de cette étude. Comment se donne à lire cette langue ? Le linguiste Jean Dubois affirme qu'entre 1869 et 1872, les termes politiques devinrent « des mots d'ordre où l'affectivité [remplaça] le contenu sémantique », relayés par de « nouveaux modes d'information et de propagande. » La diversité des médias donnèrent « à certains mots une résonance qui en [modifia] le sens ; il [suffisait] de prononcer ces formules pour pousser à l'action ceux qui [lisaient] ou [écoutaient]. » La meilleure preuve étant à son avis les dernières proclamations de la Commune, qui « jetèrent » des dizaines de milliers de Parisiens dans les rues pendant la Semaine sanglante69. Son interprétation induit sans doute une causalité simpliste entre discours et actes. Toutefois, le « Versaillais » appartenait bien à cette catégorie de mots à charge affective. Dubois ne s'attarde par sur le type et constate simplement, avec les précautions typographiques nécessaires, que « l'installation à Versailles du pouvoir exécutif fit de tous les partisans du gouvernement des ''Versaillais'', même lorsqu'il s'agissait de Parisiens », et ajoute que le mot « se [teinta] d'une nuance de mépris » dans les proclamations de la Commune ou dans les 64 C. SAMINADAYAR-PERRIN, « Avatars de l’éloquence publique », chap. cit., p. 681, 687. 65 William SERMAN, La Commune de Paris : 1871, Paris, Fayard, 1986, p. 295. 66 Maxime JOURDAN, « La presse sous la Commune », Article11, 5 janvier 2012, http://www.article11.info/? Entretien-avec-Maxime-Jourdan-La, consult. le 13 mars 2012. 67 C. SAMINADAYAR-PERRIN, « Avatars de l’éloquence publique », chap. cit., p. 689. 68 Roger CHARTIER, « Le Monde comme représentation », Annales E.S.C., 44-6, novembre 1989, p. 1514. 69 Jean DUBOIS, Le Vocabulaire politique et social en France de 1869 à 1872, à travers les œuvres des écrivains, les revues et les journaux, Paris, Larousse, 1962, p. 110.
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« journaux de Paris70 ». Le mot se teinta plus que d'une nuance, pour devenir une véritable injure. Enfin, le linguiste date sa généralisation dans la presse à début avril71. Cette conclusion ne sera pas contredite, mais à nouveau, une chronologie trop étroitement focalisée sur le printemps 1871 empêche de comprendre la polysémie du champ sémantique de Versailles. L'étymologie et les définitions de dictionnaire n'informent nullement la compréhension du type. Le Trésor de la langue française, qui synthétise de nombreuses ressources lexicographiques, associe Versaillais à « l'armée régulière […] qui écrasa la Commune en 1871 » et, plus largement, au simple « partisan du gouvernement de Thiers qui ordonna d'écraser la Commune en 1871 72. » Une définition très valable. Cependant, comme un symptôme récurrent, les sources utilisées ne sont pas des extraits de la prose communaliste. D'une part, il s'appuie sur Le Journal des frères Goncourt, restés à Paris pendant la révolution, mais ouvertement hostile aux insurgés. D'autre part, sur Salons et journaux de Léon Daudet et L'Histoire de France de Jacques Bainville, parus respectivement en 1917 et 1924, soit deux auteurs proches de Charles Maurras et partisans du courant nationaliste et monarchiste de l'Action française. Je n'ai pas la volonté de déconstruire pour déconstruire : le réemploi constant du terme depuis centre quarante-deux ans, sans qu'aucune enquête n'ai été conduite sur les sens qu'il charriait en 1871, amoindrit la compréhension des logiques à l'œuvre sous la Commune. Aussi, dans un effort de mise à distance critique par tous les moyens disponibles, y compris typographiques, Versaillais sera écrit entre guillemets lorsqu'il s'agira de parler du type. Sans, il aura la fonction du gentilé. Précisions d'autant plus importantes que l'usage unanime de la presse fut sans guillemets. Le mot ne sera jamais employé pour évoquer les agissements de Thiers, des ministres ou des Parisiens exilés à Versailles, afin de bien marquer la distinction entre langue du temps et langue de l'analyse. En outre, j'éviterai autant que possible l'emploi des syntagmes très courants alors, comme « gouvernement de Versailles », par souci de neutralisation de ces expressions contemporaines, quitte à risquer des périphrases un peu pataudes. Seules ces précautions permettent de distinguer quels groupes recouvrait le « Versaillais » de la rhétorique communaliste. De la sorte, cette étude se place aussi dans le courant quelque peu tarit du « tournant linguistique à la française », et entend se soumettre à un mot du passé pour en comprendre l'efficacité propagandiste, soutenue par un passé plus ancien qui affleure73. « L'histoire immédiate » de Prosper-Olivier Lissagaray, socle de la mémoire de la Commune, ne théorisa pas comme « socialiste » le legs de 1871, pour ne pas forger, selon sa formule 70 Ibid., p. 136. 71 Ibid., p. 442. Première occurrence plus précoce que celle relevée dans cette impressionnante annexe : Le Vengeur, lundi 3 avril, p. 1, col. 4. 72 « Versaillais », Trésor de la langue française informatisé, http://www.cnrtl.fr/definition/, consult. le 25 juin 2013. 73 Dominique KALIFA, « L’expérience, le désir et l’histoire », French Politics, Culture & Society, 22-2, 2004, p. 18.
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fameuse, de « fausses légendes révolutionnaires ». Son œuvre, achevée en 1873, parue en 1876 et réécrite en 1896 dans un républicanisme plus modéré, « bâcle » l'histoire du peuple concret. Car au fil des pages, « seule compte l'opposition Versailles/Paris 74 ». Or Lissagaray fut un journaliste éminent de la presse communaliste, dirigeant successivement L'Action et Le Tribun du peuple. Ainsi, le motif dominant de son maître-ouvrage – première histoire à succès de la Commune – atteste de la prégnance chez ces plumes d'une rhétorique de l'antinomique. Signe supplémentaire que la propagande communaliste reposait en grande partie sur le « Versaillais ». Lissagaray le prouvait dès 1873, quand il imagina une Vision de Versailles qui saisissait les députés et le gouvernement, toujours abrités au château. Les fantômes des élus de la Commune fusillés surgissaient en séance, sermonnant et terrorisant les responsables des massacres de mai. L'auteur, pour singer le désaccord des parlementaires, faisait mine de se demander : Où sont les jours heureux d'union et de concorde, quand la Commune cimentait toutes ces volontés, tous ces cœurs ? Vous n'étiez alors, ô sept cents, ni droite, ni gauche, ni majorité rurale, ni suffrage des villes, mais un seul et même Versaillais raidi contre l'ennemi commun, le prolétaire75.
L'ancien journaliste communaliste, deux ans après l'insurrection, jouait encore de la fonction englobante du type. En miroir à la scène fantastique qu'il inventait, cette étude entend laisser abondamment parler les sources pour tenter de recréer l'univers discursif bien concret dans lequel évoluaient le Communeux et la Communeuse, raidi-e, tendu-e vers cet « ennemi commun », représenté au théâtre de la propagande. Le premier acte en dévoilera le décor. Face à Paris, les journaux communalistes édifièrent une scène fondamentalement hostile, Versailles. L'histoire de la ville royale, et la pompe de son bâti, la posèrent, avec ses occupants, quels qu'ils soient, en ennemis irréconciliables d'un Paris encensé comme réceptacle des vertus révolutionnaires. Le contexte de l'« année terrible », avec l'occupation prussienne de la ville, aggrava encore son image, rendant insensée toute négociation, tout dénouement heureux. Mais ce décor, pour le rendre plus étranger encore, figurait également une localité provinciale et rurale, incomparable donc avec la Ville, Paris, sa modernité et sa civilisation. Les prémisses du type naquirent au cœur de ce territoire. Le deuxième acte scrutera plus étroitement certaines émotions (lâcheté, avidité, corruption, duplicité, etc.) mises en scène au rythme des péripéties de 1871. Un récital conçu autour d'un personnage qui concentrait toutes les divergences politiques, et que j'étudierai sous deux de ses coutures. Richement paré, toujours bardé d'argent, le « Versaillais » incarnait tous les griefs vis-à-vis de la corruption et de l'oppression économique des Parisiens révoltés. Enfin, sa comédie constante, 74 Jacques ROUGERIE, « Écriture d’une histoire immédiate : l’histoire de la Commune de 1871 de Lissagaray » dans P. BOURDIN (dir.), La Révolution, 1789-1871: écriture d’une histoire immédiate, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal, « Histoires croisées », 2008, p. 326, 317. 75 Prosper-Olivier LISSAGARAY, La Vision de Versailles, Bruxelles, Librairie socialiste, 1873, p. 4.
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ses faux-semblants, les collusions des dirigeants de l'exĂŠcutif avec l'ennemi Prussien et leurs penchants monarchistes firent du ÂŤ Versaillais Âť le comble de l'infamie : un fourbe.
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Premier acte
RANIMER LES IMAGINAIRES D'UN LIEU
Illustration 1 - Émy, frontispice de « L'Habitant de Versailles », 1842, selon Province II, table des matières, n. p.
*** Que véhiculait la langue quand elle disait Versaillais ? Pourquoi le terme en vint-il à désigner tous les ennemis du mouvement communaliste ? Après tout, dans un décret signé du 29 mars en tant que « président de la Commune », Gustave Lefrançais appelait les fonctionnaires municipaux à ne plus tenir aucun compte des ordres émanant du « gouvernement de Versailles », certes, mais encore moins de ses « adhérents1 ». Pourquoi étatiste ou gouvernementaliste ne fonctionnèrent-ils pas non plus ? Proudhon en 1849 et Hugo en 1862 avaient employé le dernier, pourtant, afin de moquer les béni-oui-oui de tous les gouvernements2. Les deux hommes trônaient solidement au panthéon des révolutionnaires de 1871, tout de même. Et d'ailleurs la Commune, régime d'un nouveau genre, ne relevait-elle pas de l'exact opposé d'un pouvoir jalousement gardé par quelques ministres ? Mais Thiers lui-même, le plus célèbre de ceux de 1871, dont le personnage inspira pléthore de surnoms 3, n'eut pas l'honneur d'avoir son substantif. Malgré la présence aux avant-postes de la polémique d'un Jules Vallès, grand défricheur de la langue et aussi grand amateur du suffixe -ist pour dévaloriser tous les groupes sociaux, dont les parlementaristes4. Chez Marx, la nominalisation de l'adjectif Versaillais relevait de la classe grammaticale des noms animés. De ceux qui confèrent à l'énoncé plus de « vigueur ». Cette nominalisation excluait ainsi toute désignation géographique. Elle perdait le sens du gentilé, pour acquérir une signification politique et sociale particulière5. Le constat vaut pour le patron de l'A. I. T., discourant devant son conseil général, condamnant précisément les actes du gouvernement élu le 8 février. En revanche, Communeuses et Communeux accrochaient une plus large gamme de signifiés à Versailles et son dérivé, sans couper les mots de leur racines. Versaillais englobait plus. Il englobait les imaginaires royaux d'une « ville dressée comme un trophée pour un seul homme 6 », réactivés tout au long du siècle, puis en 1871. Il englobait les imaginaires typiques de la province aussi, qui rétablissaient la hiérarchie, Paris en haut. Il évoquait immédiatement Versailles, décor d'une propagande efficace. Que véhiculait le « Versaillais » quand il investissait la langue ? 1 2 3 4 5 6
La Sociale, n° 1, mercredi 31 mars, p. 2, col. 2. Je souligne. Trésor de la langue française informatisé, http://www.cnrtl.fr/definition/, consult. le 25 juin 2013. Émile Clerc, « Ce qui se dit et ce qui se passe », La Commune, mercredi 10 mai, p. 1, col. 3. Lire infra, « Annexes ». Roger BELLET, « Formation et développement du vocabulaire politique chez Vallès, journaliste (1848-1871) », Cahiers de lexicologie. Revue internationale de lexicologie générale et appliquée, 15, 1969, p. 11. Mythologistes, mystagogistes, plébéianisme, etc. Louis GUILBERT, « La formation du nom “La Commune de Paris” dans le discours de Marx », La Nouvelle critique. Revue du marxisme militant, spécial, mars 1971, p. 54. Arnould FRÉMY, « L’Habitant de Versailles » dans L. CURMER (dir.), Les Français peints par eux-mêmes. Encyclopédie morale du dix-neuvième siècle. Province II, Paris, Curmer, 1841, p. 2.
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VERSAILLES CONTRE PARIS
Isoler Paris, refaire après l'ennemi le blocus de Paris, tenir Paris à l'écart, succéder dans Versailles, vous assemblée républicaine, au roi de France, et, vous assemblée française, au roi de Prusse, créer à côté de Paris on ne sait quelle fausse capitale politique, croyez-vous en avoir le droit ? Victor Hugo, discours prévu à l'Assemblée, Le Rappel, 14 mars 1871
A Versailles, si nous voulons sauver la Révolution. A Versailles, si nous ne voulons pas être réduits au pain de son. A Versailles, si nous ne voulons pas revenir au pigeon. A Versailles, si nous ne voulons pas recommencer le plan – Breton. A Versailles, si nous ne voulons pas remonter en ballon. A Versailles, si nous ne voulons pas retomber en capitulation Le Vengeur, lundi 3 avril, p. 1, col. 2.
Versailles sans Paris, généalogie de la rivalité Une ville républicaine ? Identité non advenue Paris contre Versailles, la révolte contre l'ordre ? Les déboires du jeune Louis XIV pendant la Fronde (1648-1653) semblent être aux sources de la rivalité entre deux identités politiques puissantes : l'une, éternelle séditieuse face aux rois, l'autre, fondée pour dominer la première en annihilant son pouvoir de nuisance. Du 26 au 28 août, pendant la première phase de la Fronde – dite parlementaire –, Paris se couvrit de barricades à l'annonce de l'arrestation des meneurs de la contestation par la reine et le cardinal-ministre. La garde royale fut employée à dégager les rues. Mais l'agitation fit plier Anne d'Autriche et Mazarin, qui les libérèrent. Pierre Broussel, le plus populaire de ces gens de robe refusant les réformes royales, rejoignit l'Hôtel-de-Ville en triomphe, passant en revue tous les points chauds de l'insurrection. Les débuts de cette contestation étaient motivés essentiellement par une pression fiscale accrue et un élargissement du nombre d'officiers royaux faisant chuter le cours des offices transmissibles. Ils avaient relevé d'une lutte pour le contrôle de la cité et d'une compétition entre les organisations civiques de la ville et l'État absolutiste7. Quant à la 7
Robert DESCIMON, « Les barricades de la Fronde parisienne. Une lecture sociologique », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 45-2, 1990, p. 418.
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Commune, c'est désormais acquis, elle fut le paroxysme du « Paris, ville libre ». Il va sans dire que les barricades de 1871, tenues par une garde nationale sédentaire à l'assise populaire conséquente, n'avaient pas les mêmes objectifs que celles de 1648, organisées par des milices communales bourgeoises dont étaient souvent exclus les plus pauvres, relégués au statut de pillards potentiels 8. Aucun programme républicain, ni le moindre appel au renversement de la monarchie n'a été repéré dans la tempête éditoriale des « mazarinades », malgré quelques références au Contr'un de La Boétie. L'équilibre de la monarchie, perçu comme naturel, ne subit aucune déstabilisation symbolique foncière9. Néanmoins, dans les deux révoltes, les autorités administratives de Paris – là les parlementaires et la prévôté, ici le Comité central puis la Commune – s'opposèrent à un gouvernement jugé autoritaire. Face à la menace parisienne, la famille royale dût fuir dans la nuit du 5 au 6 janvier 1649. Elle se réfugia à Saint-Germain-en-Laye, dans un « château glacial » où Louis XIV, à dix ans, dormit sur des « lits de camps et des bottes de paille », épisode dont il conserva, selon l'historiographie, « un souvenir amer10 ». Le contexte international de la décapitation de Charles Ier, outre-Manche, hantait la cour. Elle ne revint au Palais-Royal, résidence préférée au Louvre pendant la minorité du roi, que le 18 août 1649 11. Mais deux ans plus tard, la Fronde attisait à nouveau la peur d'un Paris insurgé. En février 1651, le ralliement aux frondeurs de Gaston d'Orléans, frère de Louis XIII jusque là fidèle au roi, conduisit Mazarin à se retrancher à Saint-Germain. Alors, face à la rumeur soufflant qu'Anne et son fils escomptaient le rejoindre, le Parlement prononça le bannissement du cardinal et retint prisonniers la reine et Louis XIV au Palais-Royal. Afin de taire les bruits, la chambre du roi captif fut ouverte au public dans la nuit du 9 au 10 février12. Ces deux humiliations subies par l'enfant roi influencèrent la décision de transformer Versailles, domaine acheté par son père, en nouveau centre de son pouvoir 13. Dès 1662, un an après la mort de Mazarin qui avait enclenché le gouvernement solitaire du monarque, celui-ci fit aménager le jardin par Le Nôtre. Les années 1660 furent celles de fêtes et de représentations théâtrales au 8 9 10 11 12
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Ibid., p. 404. Denis RICHET, La France moderne : l’esprit des institutions [1973], Paris, Flammarion, « Champs », 1980, p. 137-138. Joël CORNETTE, L’Affirmation de l’État absolu. 1492-1652, 5e éd. revue et aug., Paris, Hachette, « Carré histoire », 2006, p. 290. Jean-Yves GRENIER (dir.), Dictionnaire de la France moderne, Paris, Hachette, « Carré histoire », 2003, p. 137. Jean-Christian PETITFILS, Louis XIV, Paris, Perrin, 1995, p. 99. Diplômé de Sciences-po et docteur d’État ès sciences politiques, Jean-Christian Petitfils a publié, outre celle-ci récompensée par l’Académie française, de nombreuses biographies de monarques, de ministres et de courtisans, dont celle de Louis XVI, ainsi qu’une autre de Jésus. Collaborateur du Figaro Histoire et spécialiste des droites françaises, il a également contribué au tristement célèbre Livre noir de la Révolution française paru au Cerf, en 2008, aux côtés, par exemple, de Jean Sévilla, ouvrage qu’un Jean-Clément Martin a qualifié de « critique catholique de la Révolution proche de l’intégrisme » (« Livre noir de la Révolution française : “une manipulation” », Contre journal, 16 mars 2008, http://contrejournal.blogs.liberation.fr/mon_weblog/2008/03/livre-noir-de-l.html, consulté le 22 juin 2013). Que le lecteur ne s’inquiète pas, ce digne représentant de l’école capétienne n’avait droit qu’à une seule citation ici, pour le roi, et puis s’en va. Joël CORNETTE, Absolutisme et Lumières. 1652-1783, 4e éd. revue et aug., Paris, Hachette, « Carré histoire », 2005, p. 45. L’auteur écrit « nous savons », sans autres références.
château. À partir de 1669, les agrandissements conçus par Le Vau et Mansart débutèrent réellement. En 1677, le roi en fit sa résidence principale14. Enfin, le 2 mai 1682, il décidait de transférer la cour dans un palais encore en travaux. Cet investissement de Versailles par Louis XIV servit certes à mettre au pas la noblesse dont une élite s'était rebellée pendant la Fronde. Mais de fait, elle consistait également à dépouiller Paris d'une part importante de son très vieux statut de capitale politique, statut revendiqué, le cas échéant, par la menace physique. Pourtant, la chute de la monarchie absolue, un siècle plus tard, donna à Versailles une identité ambivalente. Le souvenir de la Révolution – 1789, 91, 92 ou 93 selon les sensibilités –, et son vocabulaire, jouèrent un rôle éminent en 1871. Cette mémoire infusa en permanence, servant ici à stigmatiser une politique passéiste, transpirant là par les épithètes du « grand langage de l'ancien temps » ranimées telles quelles15. La datation des journaux communalistes, soit double, soit évacuant complètement le calendrier grégorien au profit du républicain, témoigne d'emblée de cette filiation. Jean Dubois note que le phénomène prit de l'ampleur à partir du 4 septembre 1870 : au 22 septembre, pour les plus rouges des militants, nous étions passés en l'an 79 de la République. Le linguiste est parmi les premiers à insister sur la signification de l'exhumation des titres de journaux de l'époque révolutionnaire16. Plus subtilement, une feuille dont le titre évoquait précisément la volonté d'émancipation de Paris, confia même sa « photographie de la presse » quotidienne à une plume signant « Junius17 ». Or, des Lettres de Junius à la minorité de l'Assemblée parurent sous la Constituante18. Mais le mot Commune constituait sans doute la référence la plus directe à la Révolution. Malgré des « contaminations » de la notion par les différents socialismes du XIXe siècle, elle renvoyait encore les Parisiens de 1871 directement au 10 août 1792, quand la Commune désormais insurrectionnelle devint le fer de lance aiguisé des sans-culottes19. L'identité politique du 14 J.-Y. GRENIER (dir.), Dictionnaire de la France moderne, op. cit., p. 290. 15 Jacques ROUGERIE, « Mil huit cent soixante et onze », Le Mouvement social, 79, avril 1972, p. 53. 16 Jean DUBOIS, Le Vocabulaire politique et social en France de 1869 à 1872, à travers les œuvres des écrivains, les revues et les journaux, Paris, Larousse, 1962, p. 104. L’Ami du peuple reprenait le titre de Marat ; La Carmagnole chantait l’air des sans-culottes, Le Père Duchêne criait comme Hébert. 17 Paris-libre, mercredi 12 avril, p. 2, col. 5 ; jeudi 13 avril, p. 2, col. 4. 18 Catalogue de la B. N., 1790-1791. Je suppose que celles-ci reprenaient l’esprit des originales anglaises, publiées dans le Public Adviser de 1769 à 1772, où un anonyme défendait le droit à l’insurrection contre un régime parlementaire britannique corrompu et rigide (lire le descriptif d’une traduction chez Champ Libre/Ivréa, http://editions-ivrea.fr/catalogue-fiche.php?produit_nom=Lettres%20de%20Junius&produit_id=83#Descriptif, consulté le 21 juin 2013). Georges d’HEYLLI, Dictionnaire des pseudonymes [1868], 3e éd. refond. et aug., Paris, Dentu, 1887, p. 217-218, souligne l’ampleur des débats outre-Manche autour de l’identité de leur auteur. Il ajoute qu’elle furent traduites en 1823, sept ans après le premier recueil en volume parut en anglais. Il ignore encore, et « on ignorera sans doute toujours » le nom du pamphlétaire. Mais il désigne Henri Rochefort comme l’ « imitateur à visage découvert de quelques-uns de ses procédés ». Enfin, il mentionne que Dumas fils publia, « pendant et au lendemain de la guerre de 1870 », trois lettres « sur les choses du jour » avec cette signature. Vu la sociabilité de ce dernier, je doute qu’il fût derrière la chronique de Paris-libre. On comprend la fortune du pseudonyme en 1871. 19 J. ROUGERIE, « Mil huit cent soixante et onze », art. cit., p. 53. L’historien précise : les acteurs de 1871 ne faisaient pas la différence que l’historiographie a établi entre Commune des sans-culottes et Commune robespierriste. Il rajoute qu’en 1871, Commune « sonnait volontiers libertaire », et que le sens retenu était d’abord celui du « self-government ».
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Paris révolutionnaire de 1871 descendait directement de cet aïeul en autonomie municipale. Cet appareil commémoratif était-il tout trouvé pour creuser un fossé avec Versailles, ville royale par excellence ? La généalogie de son identité politique emprunte des voies plus sinueuses. Car Versailles fut également le berceau de République. Certains événements fondateurs s'y déroulèrent, dont les récits allaient avec toutes les évocations de la Révolution. Tous les Parisiens du XIX e avaient entendu parler de la réunion des États généraux ou du serment au Jeu de paume. En 1866, peu enthousiaste, Arnoult Frémy écrivit que la Révolution fut « une catastrophe finale venue fondre sur le monde comme une avalanche terrible dont la chute n'est même pas encore entièrement achevée20 ». Mais vingt-cinq ans plus tôt, avec moins de répulsion, les événements de 1789-1793 concourraient au portrait bucolique de son Habitant de Versailles, dont l'engagement avait dépendu de ses déterminants sociaux et de son quartier d'implantation Nous aurions donc l'habitant du quartier Saint-Louis, l'aristocratie déchue, l'ancien chambellan, grand écuyer, grand veneur, gentilhomme ordinaire des anciennes cours ; puis l'habitant du quartier Notre-Dame, le tiers état Versaillais, le simple bourgeois éteint et refroidi, qui a peut-être vu s'ouvrir les états généraux, prêté serment au jeu de paume, entendu Louis XVI haranguer le peuple du balcon de la cour de marbre, encensé Robespierre et honoré Madame Véto. Car ces souvenirs, ces ombres révolutionnaires, ce vague parfum de 93 que l'on respire sous ses avenues qui ont vu fuir une dernière dynastie en 1830, tout cela c'est Versailles aussi, étrange ville qui a assisté à toutes les pompes et à tous les abaissements de la royauté 21.
Avec son Grand dictionnaire universel du XIXe siècle, Pierre Larousse eut l'ambition de décrire la société française dans toutes ses composantes. Le tome quinze de l'entreprise parut en 1876. Les femmes et les hommes dont les discours portèrent le « Versaillais » pendant la Commune ne purent donc pas s'être approprié textuellement ce tableau de Versailles, qui occupe pas moins de trois pages et demie en grand in-f°. Cependant, la notice en question, malgré un recul de cinq ans, ne mentionne pas 1870-1871 comme un tournant dans les représentations de la ville. Son paragraphe « histoire » détaille en deux colonnes et demie ses transformations entre le XI e siècle et la fin du Second Empire, réservant la plus large part à l'Ancien Régime. Et si elle rappelle bien l'occupation prussienne, puis le rôle de siège du gouvernement de Thiers, la notice traite la première en cinquante maigres lignes, quand le sort de la cité pendant l'insurrection n'en occupe que dix. Elle se termine, en une dizaine de ligne également, sur le constat que les pouvoirs législatifs et exécutifs demeuraient encore à Versailles en 1876. La dernière phrase note que « depuis 1871 », pour cette raison, « la physionomie de la ville s'est animée », mais n'inclue pas la situation particulière de 1871 dans sa critique « d'une assemblée que l'histoire jugera avec sévérité » à cause de ses 20 Arnould FRÉMY, La Révolution du journalisme, Paris, Librairie centrale, 1866, p. III. 21 Félix PYAT, « Le Solognot » dans L. CURMER (dir.), Les Français peints par eux-mêmes. Encyclopédie morale du dix-neuvième siècle. Province II, Paris, Curmer, 1841, p. 3. Frémy commet une erreur ici : Charles X, dernier Bourbon, ne s’occupa presque pas de Versailles. Il n’y avait donc pas lieu d’affirmer que la ville « vit fuir une dernière dynastie » en 1830.
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« folles tentatives de restauration monarchique22 ». Rien d'anachronique donc à considérer que l'article dans son ensemble, qui décrit minutieusement son urbanisme et son histoire, permet d'aborder les perceptions de Versailles qui avaient court à Paris pendant la Commune. Le faisceaux de caractères qu'il attribue à la ville éclaire les diatribes des plumes de 1871. Enfin, le « citoyen Pierre Larousse » lui-même jouissait déjà alors d'une notoriété et d'une estime suffisante parmi les républicains pour que sa candidature dans son Yonne natale aux élections de février 1871 fût relevée, ou qu'une annonce de souscription au Grand dictionnaire s'étalât en pied de page dans la presse communaliste23. Or le dictionnaire atteste que ces « abaissements de la royauté », associés par Frémy à Versailles en 1841, traversèrent effectivement le siècle. Au premier chef, la liste des monuments décrits apprenait au lecteur de 1876 que « la procession des états-généraux, le 4 mai 1789, partit de l'église Notre-Dame. » Un paragraphe plus loin, il découvrait le Grand-Commun, que « la République transforma en manufacture d'arme en 1793. » Puis le Jeu de paume, « rendu célèbre par le serment solennel qu'y prêtèrent les députés de la nation le 20 juin 1789. » Quant au volet historique de la notice, il précisait en outre que l'assemblée des notables de 1788 s'y était réunie, que la salle des Menus plaisirs avait accueilli les états généraux le 5 mai 1789, et que « Versailles fut encore témoin de la fameuse nuit du 4 août, dans laquelle périrent les derniers débris de la féodalité. » Mieux, « ce furent les échos de la cité de Louis XIV qui, les premiers, répondirent à la proclamation des droits de l'Homme24. » Versailles, « cité de Louis XIV », en tirait-elle une certaine aura républicaine qui aurait perduré jusqu'en 1871 ? Pour Noëlle Dauphin, elle ne fut jamais unanimement « blanche » : ni pendant la Restauration, ni en juillet 1830 où la municipalité – dont une fraction se disait républicaine – se prononça pour un changement de monarque, et encore moins en 1848, où elle « adhéra sans réserve à la République ». Une part de ses édiles, représentant une part de la population, récusèrent toujours la monarchie pour tenter d'imposer une « mémoire sociopolitique » républicaine. Le culte civique d'un « panthéon versaillais » en relevait, dont la figure de proue fut le général patriote Lazare Hoche, natif de la ville et « héros identitaire ». Une statue et une place étaient inaugurées en son honneur le 5 août 1832, et les festivités organisées annuellement à partir du centenaire de sa naissance le 24 juin 1868, furent un moyen privilégié par la municipalité, sur le mode de la fête impériale, pour « afficher la ville » autrement que par son héritage royal. L'adhésion à la République le 4 septembre 1870 apparaît donc comme la conséquence logique d'un républicanisme que Noëlle Dauphin qualifie de « stable » tout au long du siècle. Enfin, pendant le siège, la municipalité « républicaine et patriote » conduite par Charles-Victor Rameau 22 Pierre LAROUSSE (dir.), Grand dictionnaire universel du XIXe siècle. Français, historique, géographique, mythologique, bibliographique, Paris, Administration du grand Dictionnaire universel, 1876, vol. 15/17, p. 938. 23 Le Vengeur, 5 février, p. 2, col. 1 ; La Carmagnole, 10 février 1871, p. 4, pied de page (3 col.). 24 Larousse 15, op. cit., p. 937.
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résista aux exigences prussiennes25. Mais l'historienne se fourvoie lorsqu'elle en conclue que de 1789 à 1871, la ville « n'apparaît jamais comme ce foyer monarchique dont l'image est imposée en 1871. » Ses habitants, dans leur majorité, ne se clamèrent pas monarchistes, dont acte. Je ne prétendrai pas critiquer la rigueur de son dépouillement des listes et procès-verbaux électoraux. En revanche, lorsqu'elle résume sèchement que l'insurrection parisienne fit de « Versailles la base arrière de la reconquête de Paris26 », elle passe à côté d'un des buts qu'elle affichait en introduction : comprendre les « ressorts » d'une « image » de la ville par le prisme de « ses représentations extérieures27 ». À cause d'un corpus limité à des archives propres à la vie de la cité, elle livre ainsi un portrait forcé d'une Versailles foncièrement républicaine, à la réputation monarchiste indue – sans expliquer d'ailleurs qui lui avait accolé, avant 1871, cette réputation –, et sans rien expliquer non plus de sa rivalité ancienne avec Paris, pourtant aux sources de son identité politique. D'autant que le jugement des lettrés de l'époque se dévoile aisément, par exemple dans le Grand dictionnaire. Or, pour boucler l'histoire de Versailles pendant la Révolution, c'est précisément Versailles contre Paris que celui-ci illustrait. Paris, que l'on trahit, se met en marche. Le peuple à Versailles ! La royauté ce jour-là (5 octobre), achève de perdre son dernier prestige et rentre à Paris prisonnière. De ce jour aussi commence pour Versailles cette vie muette qui le fait ressembler, en dépit de son animation militaire, à un tombeau, le tombeau de la monarchie28.
Les journaux communalistes ne retinrent en définitive que cette double identité monarchique d'une cité dont les quelques symboles républicains ne pesaient par lourd. Double parce d'une part berceau29, non de la République, mais de la monarchie absolue de Louis XIV ; et d'autre part tombeau de celle-ci en 1789. Ainsi, au début de la guerre civile proprement dite, « il [n'était] plus possible à qui que ce soit d'hésiter », et la métaphore agonistique s'imposait : « il y a deux pouvoirs en présence. Versailles et Paris, la monarchie et la République, la caducé et la vie30. » Dix jours plus tard, un « groupe de citoyennes » exhortaient les Parisiennes, « descendantes des femmes de la grande Révolution », à réitérer la domination de Paris sur Versailles qui s'était manifestée lorsqu' « au nom du peuple et de la justice », leurs aïeules « [avaient marché] sur Versailles, ramenant captif Louis XVI31 ». Enfin, Le Cri du peuple, reprenant un « tableau parfait » écrit par le Times de Londres, établissait plus directement encore le lien entre la ville et la chute de l'Ancien 25 Noëlle DAUPHIN, « Versailles, le château et la ville. Deux patrimoines distincts, deux mémoires antagonistes à l’époque contemporaine ? », Histoire urbaine, 9, mars 2004, p. 91-92 ; Larousse 15, op. cit., p. 937, précise que le maire fut emprisonné le 31 décembre pour refus d’obtempérer. Rameau n’était pas républicain aux yeux de la presse communaliste. Lire infra, p. ??. 26 « Versailles, le château et la ville », art. cit., p. 93. 27 Ibid., p. 81. 28 Larousse 15, op. cit., p. 937. 29 Georges MOUSSOIR, « Versailles. Berceau de la liberté », Revue de l’histoire de Versailles et de Seine-et-Oise, 1, 1899, p. 214-224. Sous la Convention révolutionnaire, un projet de pétition émanant d’un membre républicain du conseil général de Versailles (nommé), proposa de changer le nom de la ville en « Berceau-de-la-Liberté ». 30 L'Affranchi, dimanche 2 avril, p. 1, col. 3. Je souligne. 31 « Aux citoyennes de Paris ! », Paris-libre, mercredi 12 avril, p. 2, col. 4.
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régime, en faisant de « Versailles un autre Coblentz, le Coblentz de 187132 », à cause de l'émigration massive qu'elle connaissait depuis le 18 mars. Versailles était cantonnée à la monarchie captive, quand Paris jouissait exclusivement du prestige de la Révolution. Cependant, bien qu'omniprésente, la geste révolutionnaire se déployait différemment selon les courants présents à la Commune. À l'occasion des débats sur la création d'un « Comité de salut public », le clivage entre minorité et majorité portait non seulement sur le fond – un exécutif dictatorial incompatible avec une démocratie au ras du sol – mais également sur la forme – le vocabulaire employé. Un clivage en lien direct avec l'héritage de la Révolution : les blanquistes et les jacobins (Charles Delescluze, Félix Pyat, Paschal Grousset, Pierre Vésinier ou Raoul Rigault), majoritaires, reprirent la phraséologie ancienne. « La nouvelle génération formée aux théories socialistes ou collectivistes », et minoritaire (Jules Vallès, Eugène Varlin, Charles Longuet, Gustave Lefrançais, Charles Beslay ou Gustave Courbet), voulut réserver les vieux termes au passé, et inventer un nouveau lexique pour 187133. Mais cette liste des contestataires du réflexe sémantique passéiste dressée par le linguiste oublie un de ses membres éminents. Georges Duchêne, « collaborateur intime » de Proudhon et ancien gérant du fameux Peuple de ce dernier, comparut plus de dix fois en correctionnelle et aux assises pour délits de presse, sous le Second Empire 34. Aux élections de 1863, avec Lefrançais, il avait imaginé une campagne d’abstentionnisme généralisé, d'abord personnifiée par un candidat fantoche et burlesque, et finalement soutenue par Proudhon qui envisagea la publication d'un manifeste sur l’abstention. Le 26 mars 1871, il échouait à se faire élire à la Commune dans le IXe. Vu son mentor, je peux affirmer sans trop de risque qu'il aurait fait partie de la minorité. D'ailleurs, le 7 mai, il reprochait au « bataclan jacobin » d'être « plus gothique, plus grotesque, plus burgrave que les catacombes bonapartistes », ces « exhumations napoléoniennes » dont les républicains s'étaient « gaussés » sous Badinguet35. Avec une rhétorique caractéristique du « magistère symbolique » exercé par les journalistes communalistes, Duchêne niait avoir pour cible de son article le lecteur populaire. Ainsi, il déclarait s'adresser « aux trop rares intelligents de la Commune ». Il feignait de prendre à témoin « le public », laissé « juge des conclusions » des élus visés, comme s'il allait lui soumettre une information impartiale. Au contraire, sa critique était ouvertement partiale et passablement enflammée. Elle entendait démontrer que le Paris révolutionnaire de 1871 n'avait plus rien en commun avec 32 « Versailles-Coblentz », Le Cri du peuple, mercredi 17 mai, p. 2, col. 4. 33 J. DUBOIS, Le Vocabulaire politique, op. cit., p. 105 ; J. ROUGERIE, « Mil huit cent soixante et onze », art. cit., p. 51, rappelle, longues citations à l’appui, que les étiquettes demeurent toujours trop rigides, quoique commodes, et qu’internationalistes, jacobins, proudhoniens, bakouninistes ou blanquistes parlèrent alternativement langues ancienne et neuve. Un cocktail inédit. 34 « Duchêne », Jean MAITRON et Madeleine EGROT (dir.), Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français. Deuxième partie : 1864-1871, la Première Internationale et la Commune, Paris, Éditions ouvrières, 1967. 35 Georges Duchêne, « Vieux habits, vieux galons ! », dimanche 7 mai, p. 1, col. 1.
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1793, ce qui rendait obsolètes les sempiternelles références à la Révolution. Une nouvelle identité révolutionnaire parisienne devait s'inventer. Duchêne centra son argumentaire sur la conséquente évolution des techniques, « la révolution de 1871 [revêtant] avant tout un caractère scientifique 36 » qui ne pouvait plus accorder à la « spontanéité et à l'inspiration » un rôle aussi grand. C'était valable pour la guerre, avec des armes plus précises et plus destructrices, et dans laquelle les réanimateurs des « traditions de 92 » fondées sur l'exaltation patriotique du soldat devenaient carrément coupables, « vrais pourvoyeurs de tueries ». C'était le cas pour les voies de communication : chemin de fer bien sûr, dont le nombre de trains en circulation avait énormément complexifié la logistique de triage en gare ; construction de routes et de canaux, d'écluses. Et face à ce défi, la Commune, inconsciente, entendait « confier l'organisation de ce service au cuistre lettré qui a étudié la voirie sur les données de 1793, et qui vous ahurit chaque matin de ses accès dithyrambiques sur l'œuvre de nos pères, glorieux autant qu'inimitables » ! La critique tenait encore pour l'instruction : pendant la Révolution, « la moindre échoppe était une école professionnelle encyclopédique » dont l'apprenti sortait avec un savoir-faire d'élite. En 1871, « les serfs de l'entreprise Godillot, rivés au parcellarisme de faire toute leur vie un dix-huitième de soulier », ne semblaient pas pouvoir attendre grand chose de « démagogues romantiques, rapetasseurs37 du vieux système », cantonnés à une « palingénésie soi-disant révolutionnaire » stérile pour la réforme de l'industrie. La diatribe faisait toujours mouche, à propos des débats sur la gratuité du Journal officiel, laquelle risquait de ruineuses complications administratives. De là cet appel aux « démocrates et démoarques de Paris » qui, espérait-il, seraient bientôt « saturés des archaïques, des archéologues et des littératuriers » qui ne savaient pas compter. Enfin, retombant sur ses pieds – et le lecteur avec –, la plume déplorait que la Commune n'engageât rien à propos « les monopoles urbains sur lesquels elle [avait] la main : les voitures, les omnibus, les factages de la halle, la vidange, la distribution des eaux, du gaz », préférant s'empêtrer dans une geste révolutionnaire surannée. Mais le vieux Miot a réinventé le comité de salut public. Voilà qui est parler à propos. Des jeunes l'y ont aidé, comme ces collégiens qui jouent, le jeudi, au Brutus, au Caton, au Démos thènes. Récréation d'écoliers d'une part, ganaches 38 et culottes de peau d'autre part, vieux habits, vieux galons partout ; Versailles à 1815 ; Paris à 93. Intelligents de la Commune, souvenezvous qu'il n'y a rien de plus fatal aux révolutions que les mardis gras révolutionnaires.
Une telle volonté d'arracher Paris à une identité politique trop rigidement tournée vers la tradition révolutionnaire demeura minoritaire chez les Communeux. En revanche, à quelle histoire Duchêne attachait-t-il la cité rivale, cette fois-ci ? Le Grand dictionnaire permet là encore de saisir les références culturelles des hommes du temps. Versailles fut épargnée par la « période terro36 Sur les rapports de la « Délégation scientifique » de la Commune à la chimie, entre autres moyens d’aviver la révolution, lire Éric FOURNIER, Paris en ruines. Du Paris haussmannien au Paris communard, Paris, Imago, 2008, p. 81-90. 37 TLFi, op. cit.. Celui qui « prétend faire du neuf à partir de matériaux déjà utilisés ». 38 Ibid., Vieillards décrépis et radoteurs.
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riste », assurait la notice, et il fallait « arriver à la fin de l'Empire, à 1814, pour voir la ville proprement dite jouer un nouveau rôle historique », quand elle se rendit aux Prussiens. Mais en 1815, elle « fût une des premières à arborer le drapeau tricolore », ajoutait le rédacteur dans un élan patriotique signalant que les stigmates de la « débâcle » de 1870 étaient encore à vif en 1876. Ses habitants « prirent une grande part au terrible combat de Rocquencourt », renchérissait-il. La bataille – non datée dans la notice, signe de sa célébrité d'alors –, y était qualifiée de « victoire fatale pour Versailles. » En effet – ce que le dictionnaire n'explicitait pas non plus, signe supplémentaire de la célébrité de l'événement – les manœuvres victorieuses du général Rémy Exelmans et de ses troupes le 1er juillet 1815 se déroulèrent à la limite nord de la ville. Mais, et cette fois le Larousse en informait, les troupes prussiennes victorieuses aux termes de l'armistice du 3 juillet la mirent à sac39. Aussi, lorsque George Duchêne attachait Versailles à 1815, c'était sans doute en référence à cette fierté de la dernière bataille victorieuse et héroïque des troupes napoléoniennes – plusieurs jours après l'abdication de l'Empereur –, qui collait à l'histoire de la ville. Versailles, de la Fronde à la Révolution, acquit donc son identité politique en contre-point des grandes révoltes parisiennes. Mais, théâtre historique pléthorique, l'image instillée à sa fondation par la monarchie absolue aurait pu muer vers d'autres étiquettes. Cependant, une décision de l'Assemblée nationale scella le clivage entre les deux cités.
Conséquences rhétoriques de la « décapitalisation » Le 10 mars, par 424 voix contre 15440, l'assemblée élue le 8 février vota son départ de Bordeaux, où elle siégeait à l'abri des troupes prussiennes depuis le début de la session parlementaire. Le lendemain, l'Officiel annonçait la nouvelle : les députés avaient choisi de s'installer à Versailles. « Bonaparte III » avait-il réussit à rendre silencieuse la tribune de l'Assemblée, après le 2 décembre, et à « supprimer Paris en l'égorgeant ». Les « six cents marchands de bœufs qui [faisaient] le plus bel ornement » de l'assemblée en 1871 faisaient pire, et voulaient « supprimer Paris en le décapitalisant. » Mais je regrette de leur dire que décapitaliser Paris est tout à fait au dessus de leur puissance. […] Ces gens-là datent d'avant Galilée. Ils se figurent encore que c'est le soleil qui tourne autour de la terre, et ils comptent sur Thiers-Josué pour arrêter l'astre de feu 41.
Adolphe Thiers en prophète du Livre tentant d'attirer sur Versailles, comme Josué sur Gabaon, le soleil annonciateur de victoire ? La parabole biblique réduisait la « décapitalisation » à « une ténébreuse affaire ». Au vu de son contenu, ce titre d'article ne s'explique que par l'allégorie 39 P. LAROUSSE (dir.), Larousse 15, op. cit., p. 937. 40 Bernard NOËL, Dictionnaire de la Commune, Paris, Mémoire du livre, 2001, p. 48. 41 Henry Maret, « Une ténébreuse affaire », Le Mot d'ordre, n° 35, samedi 11 mars, p. 1, col. 1.
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d'un Paris révolutionnaire et solaire qu'aucune autorité n'était en capacité d'éteindre et, ironiquement, surtout pas la ville du « roi-soleil ». La translation opérée par Louis XIV en 1682 s'apparentait déjà à un désaveu cinglant du rôle ancien de Paris comme centre de l'État42. En 1871, des témoins insistèrent sur l'impression de retour à l'Ancien Régime que provoqua la décision 43. Elle fut l'une des causes majeures du développement de ce que Rougerie a appelé « un orgueil démesuré, une ubris de Paris44 ». Malgré l'objet de son livre, qui a démontré à quel point la ville personnifiée était un des thèmes centraux des discours sous la Commune, l'historien n'y mentionne jamais combien l'installation du gouvernement et de l'Assemblée – effective le 20 mars –, fut un événement fondateur de la guerre des mots. « Paris, ville libre », une des « idéologies de la Révolution45 », était pourtant, outre une revendication d'autonomie communale aux racines profondes, l'antithèse de « Versailles, ville royale ». Le faisceau de causes ayant conduit à une telle translation aux puissantes conséquences symboliques fit l'effet d'un le lever de rideau sur la scène où se mouvait le « Versaillais ». La multiplicité des rôles repoussoirs de ce dernier dans la propagande communaliste ne se répandirent sur toutes les lèvres et tous les écritoires – avec une intensité croissante – qu'à cause de la « décapitalisation ». Laquelle fut sûrement un choix politique périlleux, mais pas le fruit du hasard. En février, aux premières rumeurs d'un tel déplacement, la question logistique tenait l'affiche, « en présence de l'impossibilité où l'on se [trouvait], par suite du manque de temps, d'approprier la salle du Corps législatif aux besoins de l'Assemblée actuelle et de construire une salle capable d'accueillir 750 membres ». Même alors « qu'il [était] question de siéger à Versailles, soit dans la salle de spectacle, soit dans le château », la presse républicaine n'était que timidement indignée. Hormis une boutade conclusive suggérant que « les représentants pourraient jouer au loto avec les officiers prussiens », pas de Cri au scandale de voir la représentation nationale de la République siéger dans la ville monarchique46. Car malgré une agitation constante depuis l'insurrection réprimée le 31 octobre 1870 et la structuration croissante du Comité central des vingt arrondissements pendant le siège prussien47, le rôle politique de Paris demeurait inviolé. Léon Bienvenu, sous le pseudonyme de Touchatout, fut une des plumes satiriques en vue sous le Second Empire, collaborant au Nain jaune, au Corsaire, à La Lune, à L'Éclipse et, à partir de 1866, devenant 42 Gérard SABATIER, « Versailles, un imaginaire politique » dans Culture et idéologie dans la genèse de l’État moderne, Rome, Publications de l’École Française de Rome, 1985, p. 29. 43 Isabelle DURAND-LEGUERIN, « Versailles et la Commune » dans V. LÉONARD-ROQUES (dir.), Versailles dans la littérature. Mémoire et imaginaire aux XIX e et XXe siècles, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise Pascal, « Littératures », 2005, p. 357. 44 Jacques ROUGERIE, Paris libre, 1871 [1971], nouv. éd., Paris, Seuil, « Points/Histoire », 2004, p. 29. 45 Ibid., p. 147-152. 46 Le Cri du peuple, 24 février. 47 Lire Jean DAUTRY et Lucien SCHELER, Le Comité central républicain des vingt arrondissements de Paris (septembre 1870-mai 1871) d’après les papiers inédits de Constant Martin et les sources imprimées, Paris, Éditions sociales, 1960, 271 p.
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un des « principaux collaborateurs » du Charivari. Mais pendant le siège prussien, il ne se cantonna pas à la « petite presse » et tint rubrique au Mot d'ordre d'Henri Rochefort, parmi les principaux titres républicains contestataires. Certains de ses recueils d'articles, à l'instar de son Histoire tintamarresque de Napoléon III, furent de vrais succès d'édition48. « Défenseur mou de la Commune49 » pour certain, sa Carmagnole air 1871, dont chacun des six numéros débutait par une chanson à fredonner sur la musique révolutionnaire, tapait pourtant fort dur sur les atermoiements d'une Assemblée cherchant un nouveau « siège social ». La ville la « plus sûre » ? Fère-en-Tardenois, petite commune rurale de Picardie où « un garde champêtre suffirait à la police de la porte ». Mais un messager interrompait la rédaction de l'article : « le perruquier de Fère-en-Tardenois est un rouge et en rasant ses pratiques, il leur récite tout le temps les proclamations de Gambetta ». D'où une vive crainte que « cet énergumène ne parvienne à soulever la petite rue du Pichenet-quigratte, déjà signalée pour ses opinions avancées 50. » Mieux valait choisir une autre villégiature. Alors que l'installation de l'Assemblée était acquise, mais que Paris n'était pas encore en révolution, son troisième numéro singeait toujours la question logistique. Mettant cette fois en scène le chef de l'exécutif en proie à l'hésitation, la saynète ironisait qu'à Fontainebleau, le loueur avait informé Thiers que certains habitants recevaient le très subversif Rappel. À Lagny, pis encore ! habitait un ancien rédacteur de La Marseillaise. Le petit vieillard reprend sa route en se disant : – Allons, décidément, je vais voir à Versailles. Chemin faisant, il passe auprès d'une grande ville, entourée de fortifications énormes. Tout à coup il s'entend appeler : – Hé !... psit.. psit... monsieur Thiers !... Est-ce que vous cherchez un local pour vos députés !... venez donc !... nous avons votre affaire très bien. Le petit vieillard se retourne et aperçoit un interlocuteur en costume de garde national de faction sur le haut d'un bastion. Il reconnaît qu'il passe devant Paris. (S'éloignant rapidement) – Ah ! non, par exemple !...51
Finalement installés à Versailles, donc, les députés investirent la salle de théâtre du palais. Le Grand dictionnaire, malgré la sensibilité républicaine qui caractérisa ce travail gigantesque52, se contenta d'enregistrer qu' « ayant refusé d'aller siéger à Paris, [l'Assemblée] avait choisi Versailles53. » Toutefois, il prenait la peine de détailler plus haut que la salle de théâtre, réaménagée rapidement par l'architecte Joly, avait accueilli le 2 octobre 1789 le festin des officiers du régiment de Flandres et des gardes du corps du roi, « scène qui souleva l'irritation populaire54 ». Peut-être le 48 Ernest GLAESER (dir.), Biographie nationale des contemporains, Paris, Glaeser, 1878, 834 p. 49 Robert LE QUILLEC, Bibliographie critique de la Commune de Paris 1871 [1997], éd. refond. et aug., Paris, Boutique de l’histoire, 2006, 649 p. 50 « On demande un siège social », La Carmagnole, 10 février, p. 4, col. 3. Souligné par l'auteur. 51 « En quête d'un local », id., n° 3, 12 mars, p. 2. 52 Pierre LAROUSSE, « Préface » dans P. LAROUSSE (dir.), Grand dictionnaire universel du XIXe siècle. Français, historique, géographique, mythologique, bibliographique, Paris, Administration du grand Dictionnaire universel, 1866, vol. 1/17 p. LXXVI, se vantait du fait que « dans toutes les parties existe une même idée, une idée personnelle », et concluait par un éloge funèbre de Proudhon, « illustre philosophe ». 53 Larousse 15, op. cit., p. 938. 54 Ibid., p. 937.
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rédacteur de la notice eût-il entre les mains l'opuscule spécialement dédié à cette installation qui parut en mai 1871. Car ce dernier consacrait lui aussi un paragraphe – et le plus large de sa brève introduction historique – à cette date où des cocardes nationales furent arrachées, piétinées et remplacées par des blanches55. Les deux textes en faisaient d'ailleurs un déclencheur des journées révolutionnaires qui provoquèrent le retour du roi à Paris. Journées qui, en somme, dans un mouvement strictement inverse à celui du vote du 10 mars 1871, recapitalisèrent Paris : la Constituante, représentation nationale, coupait court à son séjour de quelques mois dans ses pénates versaillaises. L'opuscule mentionné fournissait un plan détaillé et nominatif du placement des députés, des membres de l'exécutif, des greffiers, du public, de la garde nationale en faction, etc. (ill. ill. 2). Elle aussi, l'insurrection du 18 mars à peine éclose, La Vérité modérée citait le conservateur Journal des Débats à propos de cette question purement logistique des travaux nécessaires à l'accueil de tous les acteurs de l'Assemblée. On pouvait y apprendre que les députés devaient se hâter de réserver leur places. Mais l'article soulignait également l'enjeu du placement des journalistes56. Ces derniers s'étaient vus attribuer cinquante places dans la deuxième galerie, au sein de la tribune centrale, pile en face de la scène (parfois appelé perchoir)57. L'accès aux séances était un enjeu important pour les journalistes républicains critiques. Depuis 1861, à la faveur d'un des assouplissements du régime, tous les journaux publiaient les comptes rendus de séances du Corps législatif, ouvrant une ère conflictuelle entre hommes politiques conscients de la publicité que la pratique conféraient à leurs discours, et journalistes désireux de ne pas céder aux « exigences des néo-Cicéron » souhaitant toujours amender une parole trop vive ou une attaque maladroite. Peu à peu, les comptes rendus se doublèrent de chroniques relatant la rumeur, c'est-à-dire les confidences échangées dans les couloirs de la chambre58.
55 Louis d’AUBENTON et Henri NOT, 1871. Versailles. L’Assemblée nationale. Histoire de la salle. Plan de la Chambre. Liste des députés, E. Lachaud, 1871, p. 4. 56 « La salle des séances à Versailles », La Vérité, dimanche 19 mars, p. 2, col. 6. 57 L. d’AUBENTON et H. NOT, 1871. Versailles. L’Assemblée nationale, op. cit., p. 5. 58 Corinne SAMINADAYAR-PERRIN, « Avatars journalistiques de l’éloquence publique » dans D. KALIFA, P. RÉGNIER et al. (dir.), La Civilisation du journal. Histoire culturelle et littéraire de la presse française au XIX e siècle, Paris, Nouveau Monde, « Opus magnum », 2011, p. 671-673.
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Illustration 2 - Louis d’AUBENTON et Henri NOT, 1871. Versailles. L’Assemblée nationale. Histoire de la salle. Plan de la Chambre. Liste des députés, E. Lachaud, 1871
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Ces pratiques se prolongèrent en 1871, probablement dans ces « couloirs de dégagement » que figure le plan du rez-de-chaussée de la salle du théâtre. Mais sous la Commune, pas question pour des plumes socialistes parisiennes trop agitées au goût du gouvernement d'entrer simplement dans l'hémicycle de Versailles. Seule la presse la plus libérale, selon la presse communaliste, possédait la « bienheureuse carte » qui permettait l'accès à la salle, et expliquait que Le Figaro pût en sortir la tête haute, devant une « foule de mécontents » stationnant rue des Réservoirs, sans nouvelles59. De toute façon, le voyage aurait été trop périlleux pour un Vallès, un Rochefort, trop reconnaissables et sujets au pire. Pour un Lissagaray aussi semble-t-il, bien que moins connu, dont la feuille ne pouvait publier les comptes rendus que grâce au « service spécial de la Vérité60 ». Car cette dernière, au fils des semaines insurgées, se révéla « jouer un double jeu61 » qui lui ouvrit les portes de l'Assemblée. Dès le début de la guerre civile – laquelle rendit très périlleuse les communications entre Paris et Versailles –, La Sociale résumait la cause de ce privilège : le journal d'Édouard Portalis fut le « réactionnaire qui [avait] le plus montré de sens politique62 ». Si les journaux conservateurs, à l'instar des Débats, se plurent à expliquer cette installation par le simple manque d'espace disponible à Paris, l'analyse fine de Robert Tombs convoque une autre clé d'interprétation. Le 18 mars, le gouvernement n'organisa pas de « provocation nécessaire » à une restauration monarchique63. L'omniprésence de cette thèse dans l'historiographie marxiste relève d'une posture acritique quant aux discours des Communeux, qui les premiers, notamment dans la presse, manièrent cet argument pour rejeter la responsabilité de la guerre civile – et peut-être ainsi la rendre supportable. En outre, elle occulte complètement l'importance de la « décapitalisation » dans les représentations de l'ennemi. Elle appauvrit donc la compréhension des actes de la Commune et de ses partisans. Thiers lui-même partit pour la Seine-et-Oise vers 16 heures, effrayé par l'approche d'un bataillon de la garde nationale aux abords du quai d'Orsay, où se réunissait le gouvernement pour établir le bilan de l'opération manquée dans la nuit64. Les gradés, à l'instar du général Adolphe Le Flô, ministre de la Guerre, plaidèrent pour un repli complet des troupes fidèles. En cela, il suivait la théorie militaire dominante alors, principalement inspirée par le général Christophe Roguet, lequel avait préconisé dès 1839 l'évacuation totale et la prise de position dans une base voisine. En marge d'un manuscrit de ce théoricien de la guerre, Tombs a repéré que le chef de cabinet avait apostillé : 59 « Physionomie de Versailles », L'Ordre, n° 4, 23 mars, p. 2, col. 1. 60 « Assemblée rurale », L'Action, samedi 8 avril, n° 5, p. 2, col. 1. 61 Firmin MAILLARD, Histoire des journaux publiés à Paris pendant le siège et sous la Commune. 4 septembre 1870 au 28 mai 1871, Paris, Dentu, 1871, p. 43. 62 La Sociale, dimanche 2 avril. Portalis fut le seul de la rédaction à ne pas être arrêté en mai par les troupes gouvernementales, grâce à un patronage haut placé. 63 Jean BRUHAT, Jean DAUTRY et al. (dir.), La Commune de 1871 [1960], 2e éd. rev. et compl., Paris, Éditions sociales, 1970, p. 101. 64 Robert TOMBS, La Guerre contre Paris, 1871 [1981], trad. par Jean-Pierre RICARD, Paris, Aubier, « Historique », 1997, p. 81.
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« Versailles ? » L'historien précise bien qu'il ne s'agit en aucun cas d'une preuve que l'option fut unanimement acceptée. Prophétique, l'auteur de l'apostille concluait en outre que seule une révolution, et pas une simple émeute, serait à même d'empêcher une reprise aisée des forts ceignant Paris. Le départ pour Versailles, un camouflet sciemment orchestré contre Paris ? Il faut plutôt considérer que le gouvernement « exagéra » la puissance et l'agressivité du Comité central, puisqu'il aurait aisément pu tenir le tiers sud-ouest de la ville, dont la population – et donc les bataillons de la garde nationale – ne lui étaient pas hostiles. Ce choix fut donc « une simple mesure de prudence destinée à éviter la désintégration de l'armée, plutôt qu'une provocation délibérée 65. » D'ailleurs, aucun journal communaliste ne souligna la moindre difficulté militaire à une attaque sur Versailles, elle qui se « donnait les faux airs d'une ville de guerre » mais n'était qu'un « bassin étroit » des sommets duquel on « [pouvait] la mitrailler de tous côtés ». Et, à l'inverse d'un Paris pour qui il s'agissait d'une composante essentielle de son identité urbaine, « jamais on ne songea à la fortifier66. » La description semblait hors de toute exagération propagandiste visant à magnifier la faiblesse de l'ennemi. En effet, la vexation profonde, qui provoqua la réactivation des imaginaires de Versailles avec le lyrisme des plumes républicaines, résidait d'abord dans l'arrachement du statut de capitale. Dans le contexte de négociations pour l'armistice, La Vérité appelait un Paris personnifié à « se prononcer sur sa destiné », lui qui « seul [pouvait] combattre et vaincre, seul [pouvait] négocier avec l'ennemi, car seul il [était] encore debout » et armé. Sa destiné, c'était celle de la France entière, et il « ne [pouvait] en aucune façon compter sur la province », car, « il [fallait] le reconnaître », même pendant la guerre, alors que la délégation de Tours menée par Gambetta dirigeait les opérations, « Paris n'[avait] jamais cessé de jouer le rôle de capitale67 ». La veille des élections générales, Le Rappel mobilisa presque malgré lui le même clivage d'une ville-phare éclairant la campagne, bien que « Paris et province, tout [fut] France ». Car si la nouvelle assemblée devait continuer de siéger à Bordeaux, « Paris n'y [eût] plus [été] chez lui ». Le « mot terrible » qu'il craignait, équivalent plus policé de décapitalisation, c'était la « décentralisation ». Une seule solution pour les électeurs. Ils n'ont qu'à se faire représenter à Bordeaux par les plus fermes consciences et les plus fiers talents ; ils n'ont qu'à y personnifier Paris dans ce que la France a de plus méritant et de plus éclatant. Ils n'y auront pas l'autorité du nombre ; qu'ils y aient l'autorité de l'élite.
Cette élite correspondait sans nul doute à la liste de candidats qu'affichait en une le journal. Les élections étaient une occasion de plus de rappeler que Paris demeurait le récipiendaire exclusif de l'esprit républicain de la grande Révolution, qui l'imprégnait physiquement. La plume évoquait « le jardin où Camille Desmoulin [avait] cueilli sa cocarde » et le « pavé orageux où [avaient] 65 Ibid., p. 82. 66 « Lettre de Versailles », L'Action, mercredi 5 avril, p. 1, col. 6. Lire infra, « Annexes ». 67 La Vérité, 27 janvier, p. 1, col. 2.
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sombré tant de dynasties », sans compter « la place tragique où le trône [s'était] changé en échafaud. » La Révolution avait gravé à jamais le statut de capitale dans la pierre parisienne, et cette histoire indéracinable était d'ailleurs la seule source de légitimité pour les élus qui y siégeaient 68. Le Père Duchêne n'en pensait pas moins qui, alors que le bruit du vote de l'Assemblée se répandait, rappelait le rôle prépondérant du peuple et de son « souffle ému de la nation », empli de « patriotisme, d'énergie et d'amour de l'Humanité », qui avaient « enivré » les élus de 1789 à 1793, parce qu'ils siégeaient heureusement à Paris. Aussi, il condamnait les hommes politiques qui voudraient migrer à Versailles parce qu'ils sentaient bien que Paris « [représentait] les forces vives de la Révolution au summum de leur intensité ». « L'influence de la population parisienne sur ses mandants résidant au milieu d'elle est incontestable », décrétait-il. Car, comme c'était son habitude, le « marchand de fourneaux » coiffa cette tribune à l'orgueil de Paris d'un pastiche de considérants officiels. À propos de l'infâme trahison des jean-foutres royalistes qui voudraient enlever à Paris son titre de capitale pour mieux tuer la République ; Avec des révélations sur leurs trucs pour détruire le suffrage universel ; Et sa motion pour que l'Assemblée nationale siège à Paris 69.
Le 2 avril, une Carmagnole condamnait en chantant une décision contre-nature : Si ces p'tits moyens n'ont pas pris (bis) / V'lan !... j'décapitalise Paris. (bis) / Du coup j'crois qu'ça l'vex'ra / Quand l'Assemblé' dira : / Fi !... de c't'amas d'canailles. / Vive le son, vive le son, / J's'iég'rons mieux à Versailles. / Vive le son du canon70.
Les rimes en moins, Le Vengeur prenait le même air pour légitimer la réplique militaire de la Commune aux premiers bombardements gouvernementaux. « Les hommes de Versailles qui crient à bas Paris ! » n'avaient pas le droit de le gouverner. Avec l'établissement d'une assemblée communale souveraine, Paris « reprenait son titre de capitale, sa place dans le firmament de la République, son cours de progrès et de lumière, de révolution glorieuse qu'il [poursuivait] depuis un siècle, dans le ciel même de la nation 71. » Enfin, pour des journalistes souvent éduqués dans le supérieur72, chaque détail de l'impardonnable affront avait son importance. Dans une brève, Émile Clerc, s'émut que « toutes les préoccupations de M. Thiers [tendissent] décidément à décapitaliser Paris. » « À Versailles » se préparait un projet visant à transférer les écoles de médecine et de droit
68 « Le vote de Paris », Le Rappel, mardi 7 février, p. 1, col. 1. 69 Le Père Duchêne, n° 4, 19 ventôse an 79 (10 mars 1871), p. 1-2. Soit donnée, une fois pour toutes, l'équivalence de l'année dans le calendrier républicain. 70 La Carmagnole, 2 avril, p. 1, col. 1. 71 « Paris vaincra », Le Vengeur, mardi 4 avril, p. 1, col. 1. 72 Lire Marc MARTIN, « Journalistes parisiens et notoriété (vers 1830-1870). Pour une histoire sociale du journalisme », Revue Historique, 266-1, septembre 1981, p. 31-74. Volontairement partiel et programmatique puisqu’il n’étudie qu’une « élite » de la profession qui a les honneurs de Vapereau, Dictionnaire universel des contemporains, 1870, l’auteur établit à 70 % de son échantillon la proportion de journalistes possédant un diplôme à leur premier article paru. Malgré leur fierté à être des « hommes de lettres », il étaient issus respectivement à 39 et 10 % de facultés de droit et de médecine. Il précise que les provinciaux montés à Paris pouvaient se targuer d’être les plus nombreux parmi les diplômés. On reconnaît là l’itinéraire d’un Vallès. J’ai repéré quelques plumes communalistes moins célèbres qui suivirent cette tendance : Louis Lucipia (né à Nantes, droit à Paris), Casimir Bouis (Toulon, droit à Paris) ou Paschal Grousset (Corte, médecine à Paris).
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à Bordeaux, et les facultés de lettres et de sciences... à Versailles73.
Versailles, capitale monarchique du XIXe siècle Autour du palais : urbanisme de l'ordre Le lever de rideau de la « décapitalisation » dévoilait une scène riche de symboles urbains propices, par leur force d'évocation, à la construction d'un discours pamphlétaire (ill. ill. 1). 1 Les plumes communalistes jouèrent de la toponymie versaillaise pour ancrer leur type dans du vrai, du connu. Le « Versaillais » se mouvait sur cette scène saturée d'éléments architecturaux de la royauté, laquelle leur permettait de créer une association d'idée immédiate. Après l'avoir seulement identifiée en chef-lieu de Seine-et-Oise et avoir donné une liste de ses équipements publics, le Grand dictionnaire introduisait la visite : Cette ville, située sur un plateau, est une des plus belles de France, et il en est peu en Europe qui puisse lui être comparées, tant par le nombre d'édifice qui la décorent que par la régularité de ses constructions. Elle est construite sur un plan régulier, bien percée et bien bâtie ; toutes les rues en sont droites et larges, et on y trouve de magnifiques avenues plantées de triples rangées d'arbres74.
La visite se poursuivait dans un dédale d'édifices dus à la royauté : églises « élevées sous les règnes de Louis XIV et Louis XV » ; hôtels particuliers des grands du royaume ou des courtisans, rue des Réservoirs, rue de la Pompe – « etc. », ajoutait la notice ; encore le Potager du roi, entre la rue de Satory et la pièce d'eau des Suisses ; enfin, sur une colonne, le descriptif détaillé du château voulu par Louis XIII. Jusqu'au volet historique de la notice, six colonnes plus loin (grand format in-f°), le visiteur ne lira plus que ce palais. Une telle accumulation de constructions, d'aménagements et de percements réalisés par les rois de France suggère que dans les années 1870, l'organisation de la cité apparaissait en elle-même comme la métaphore de l'ordre royal. Le « Plan pittoresque » que le catalogue de la B.N. date des années 1850 représente ce maillage orthogonal qui régissait, par exemple, le quartier Saint-Louis (ill. ill. 3). Le palais, conçu dès l'origine comme un « projet totalitaire75 » écrasait l'urbanisme de la ville entière. L'ancienne chambre du roi dominait le trident des trois avenues rejointes sur la place d'Armes et dont la principale, l'avenue de Paris, mesurait 122 mètres de largeur76. Laudatif en introduction, le Grand dictionnaire nuançait finalement.
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« Ce qui se dit et se passe », La Commune, lundi 17 avril, p. 2, col. 6. Larousse 15, op. cit., p. 935. N. DAUPHIN, « Versailles, le château et la ville », art. cit., p. 79. Ibid., p. 82. Plus que les Champs-Élysées.
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Illustration 3 - Quadrillage monarchique, ÂŤ Plan pittoresque de la ville et du parc de Versailles Âť, Paris, A. Logerot, 185*
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L'histoire de la ville de Versailles est pour ainsi dire inséparable de celle de son palais. La ville ne fut, en effet, dans son principe qu'une dépendance du palais, son « grand commun », comme on disait jadis. Versailles, auquel cependant se rattachent un si grands nombres de souvenirs, est une ville née d'hier ; elle a surgi, comme le palais, tout à coup, par la volonté de Louis XIV. Ses rues ont été ouvertes et calculées de manière à les mettre en harmonie avec les façades du palais, et des ordonnances de police ont réglé le mode des constructions à élever. De là ce caractère de grandeur un peu monotone qui la distingue77.
Il donnait à sentir la magnificence de ses proportions démesurées : le palais possédait une « cour immense » ornée de pas moins de seize statues de marbre et une façade côté jardins ornée de 375 fenêtres, « chiffre énorme ». Gérard Sabatier estime que « ses décorateurs furent des messagers » et que « l'inventaire des typologies des images » du discours de Versailles, image réduite au palais, prouve que la ville « [était] l'imaginaire de l'absolutisme78 ». En outre l'historien de l'art, auteur d'un Versailles ou la figure du roi dont je cite ici l'article programmatique, est attentif à la généalogie de la représentation. Et, s'il se limite aux objets propres à sa discipline, ses conclusions peuvent être transposées du beau des peintures et des joyaux au parlant des mots de la polémique. La langue de presse exprimait aussi « le politique, par le discours allégorique 79 ». L'ensemble des signifiés véhiculés par les visuels somptueux du palais sont le « vocabulaire » de celui-ci80. Les littérateurs prolifiques de la Commune ne se privèrent pas de mobiliser le leur, champ lexical et noms propres. Le Grand dictionnaire, sans sacrifier la précision de la description, qualifiait tout de même le palais de « royal caprice de Louis XIV, ce type de l’égoïsme monstrueux », au coût ruineux en argent et en vies sacrifiées sur le chantier81. Une « mangerie effrénée », selon l'expression de Michelet82, qui domina naturellement les mentions de l'espace versaillais dans la rhétorique communaliste. Ainsi, la « décapitalisation » contribua à renforcer la métonymie de la ville par son épicentre. Le Père Duchêne, aux premières nouvelles du transfert, stigmatisait les députés « qui [voulaient] aller continuer leurs farces à Versailles, dans le palais des ci-devants rois, construit par le plus grand chenapan de toute la famille Capet83. » Les ministres étaient « biens nourris, bien chauffés dans ce beau palais de Versailles jadis habité par le grand roi qui présida aux Dragonnades 84 », taclait Henri Rochefort, comparant les pertes civiles causées par les canonnades et autres bombardements ordonnés par le gouvernement à l'arbitraire des persécutions anti-protestantes de Louis XIV. Un appel à L'Action militaire de la Commune exhortait même à « ensevelir à jamais la réaction sous les ruines fumantes des palais insolents dont les murs furent témoins de tant de parjures, 77 78 79 80 81 82 83 84
Larousse 15, op. cit., p. 937. G. SABATIER, « Versailles, un imaginaire politique », chap. cit., p. 295. Ibid., p. 302. Ibid., p. 309. Larousse 15, op. cit., p. 935. Ibid., p. 936. Le Père Duchêne, n° 4, 19 ventôse an 79 (10 mars 1871), p. 2. Le Mot d'ordre, jeudi 6 avril, p. 1, col. 3. Lire infra, « Annexes ».
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de tant de hontes, de tant de scandales et d'infamies85 ». Voilà le contre-point exact de la verve qui faisait du Paris révolutionnaire l'inspirateur des sentiments républicains authentiques. Les murs du palais ne pouvaient abriter que des pulsions monarchistes. Aussi tard que le 23 avril, une plume situa la « préfecture de police » au quatrième étage du « château86 ». Pour la plupart d'entre elles, le palais accueillait l'exécutif. Mais l'équipe du Grand dictionnaire affirmait que Thiers installa plutôt le gouvernement dans les locaux qui, jusqu'en 1867, avaient hébergée l'école normal primaire à l'angle de la rue Saint-Pierre et de l'avenue de Paris87. En ce qui concerne la presse communaliste, une telle localisation du gouvernement dans la toponymie versaillaise est soit la preuve que le palais représenta le cœur d'un pouvoir que tout éloignait de la Commune, soit la marque d'une facilité de langage dont la presse usa à dessein : Versailles, pour le gros des lecteurs, se réduisait au palais, et les journalistes, le sachant bien, allèrent au plus parlant. Autre lieu commun attaché à Versailles, les jardins du château occupent trois colonnes complètes de l'article du Grand dictionnaire. Le lecteur-visiteur pouvait s'y promener aux abords de la pièce d'eau des Suisses, quatre cent mètres sur cent-quarante, creusée par un bataillon de gardes éponymes ; il pouvait errer dans l'Orangerie, « célèbre par sa double rampe d'escalier » et sa galerie centrale, longue de cent-cinquante cinq mètres et haute de quatorze. À son gré : délassement au Bosquet de la reine ou vagabondage sur les bords du Grand canal ; parcours parmi la prolifique statuaire « à l'antique » des parterres de Latone, du Nord, ou du Tapis vert ; enfin, s'il n'était pas encore repu, le visiteur pouvait admirer « la merveille hydraulique de Versailles », le bassin de Neptune88 (ill. ill. 4). Les eaux étaient la grande attraction des jardins. Objet d'émerveillement pour le Larousse, comme pour beaucoup de contemporains, elles participaient fortement à l'imaginaire du palais. En tant que l'aboutissement le plus fameux de ces jeux hydrauliques, le bassin de Neptune pouvait ainsi résumer l'aura monarchique de Versailles. Pour monter en épingle la rivalité entre Thiers et Jules Dufaure, respectivement président et vice-président du conseil exécutif, Rochefort filait la métaphore aquatique : Il y a actuellement à Versailles joute sur l'eau entre Thiers et Dufaure. C'est à qui de ces deux antiques parasites s'enfoncera le plus dans l'absurde.
Il concluait que si de nouvelles élections devaient avoir lieu, forcément victorieuses pour la Commune, l'ordre serait définitivement rétablit : « car les deux vieillards qui le [troublaient] depuis trois semaines [plongeraient] pour jamais, ce jour-là, dans le bassin de Neptune 89. » Les noms 85 Un radical de Versailles, « Lettres de Versailles », L'Action, mardi 4 avril, p. 2, col. 3. 86 Le Mot d'ordre, dimanche 23 avril, p. 1. Lire infra, « Annexes ». 87 P. LAROUSSE (dir.), Larousse 15, op. cit., p. 938. Boursier, Larousse fréquenta lui-même l’école à partir de seize ans, entre 1833 et 1837, où il apprit le métier d’instituteur. Voir ill. 3, 3 coin supérieur droit. 88 Ibid., p. 936-937. 89 Le Mot d'ordre, vendredi 30 avril, p. 1, col. 1.
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Illustration 4 - Jardins luxuriants, ÂŤ Plan pittoresque de la ville et du parc de Versailles Âť, Paris, A. Logerot, 185*
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des lieux du palais, omniprésents dans les colonnes de 1871, permettaient donc de réactiver sans trop d'efforts l'identité monarchique de Versailles.
Réinterprétations politiques d'une aura Puisque « malgré les vœux, les Gallifets et les gendarmes de Versailles, il est plus que pro bable que nous resterons en république », Le Mot d'ordre préconisait également de « se défaire » des « défroques monarchiques qui [ornaient] le musée des souverains. » À « l'ex-empereur », on pourrait vendre « la redingote grise et le petit chapeau » de son oncle, afin de « rattraper quelques sous de l'argent qu'il a volé. » Le comte de Chambord serait sans doute aux anges de pouvoir acquérir le lavabo de Louis XV, la perruque de Louis XIV, les vierges en plomb de Louis XI ou les petits souliers de Marie-Antoinette. À Guillaume de Prusse, on devrait refourguer le manteau du sacre, « d'occase, mais presque neuf, il n'a servi qu'un jour. » Et tous les monarques réunis voudraient sans doute surenchérir sur la culotte de Dabogert : elle était l'emblème de la monarchie, « à l'envers comme l'esprit et le cœur des rois90. » Grâce à cette accumulation, la plume mettait en lumière la remarquable continuité avec laquelle les différents régimes monarchiques du XIX e siècle investirent l'identité de Versailles. Ni les Napoléons, ni les Bourbons, ni l'Orléans n'y déplacèrent les centres de décision, mais tous tentèrent d'apposer leur pierre personnelle à la symbolique prestigieuse que matérialisait le palais. Cette association, constante depuis la Révolution, pérennisa l'identité monarchique jusqu'à la Commune. Elle participa donc au succès du « Versaillais » dans la rhétorique communaliste. Sous le Premier Empire, le monarque envisagea dès 1807 de modifier le palais, notamment les appartements. Quelques travaux de rénovation eurent lieu, à l'instar du curetage et de la remise en eaux du grand canal en mai 1808. Des projets globaux entendirent refaçonner l'architecture du château pour satisfaire au culte de Napoléon. Toutefois, comme Louis XVIII, qui entendit un temps d'en faire sa résidence, Bonaparte n'y habita jamais91. Par la suite, Charles X alloua bien six millions à la restauration des façades, des peintures et des dorures ; mais ce fut Louis-Philippe qui lui donna « sa destination définitive92. » Ce constat de 1876 sous-entend que pendant l' « année terrible », la renommé du château tenait au musée qu'il abritait, pérenne depuis la monarchie de Juillet. Ainsi, un « franc-flâneur » républicain attesta de cette fonction culturelle reconnue à Paris. Il la rappelait à sa manière cela dit, inspiré par la guerre étrangère. Le roi de Prusse, nous disent des journaux bien informés, fait faire des copies de tous les 90 « Défroques à vendre », Le Mot d'ordre, n° 49, jeudi 13 avril, p. 2, col. 4. Souligné par l'auteur. 91 Odile CAFFIN-CARCY, « Que devint Versailles après le départ de la Cour ? », Revue Historique, 286-1 (579), juillet 1991, p. 79-80. 92 Larousse 15, op. cit., p. 936.
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tableaux du musée de Versailles. – Parbleu ! c'est pour emporter les originaux93.
Le Larousse précise que Louis-Philippe soutint ce projet dès 1831, contre celui de déplacer les invalides militaires au palais. Une colonne décrit l'agencement et le contenu des galeries dont le roi « dressa lui-même les plans », lesquels n'avaient pas bougé au moment de la rédaction. Avec « 23,494,000 francs » dépensés au total et l'achat par le monarque lui-même de nombreuses œuvres, un tel investissement, au deux sens du terme, n'avait rien de désintéressé. Car Louis-Philippe qui, en bon « collectionneur positiviste du XIX e », avait rassemblé quantité de portraits et les avait réunis dans des albums soigneusement classés, fit de même avec les galeries du musée, surchargées de toiles et organisées chronologiquement94. Il mit donc une patte toute personnelle à la réorganisation de Versailles. En conséquence, le 10 juin 1837, l'inauguration « en grande pompe95 » – précisait le Larousse –, inspira à Victor Hugo un panégyrique du monarque : Vous avez donné à ce livre magnifique qu’on appelle l’histoire de France, cette magnifique reliure qu’on appelle Versailles96.
Cependant, si le musée initial correspondait à une volonté d' « unir les partis par le sentiment national97 » de la fierté d'une culture commune, il ne fut pas exempt d'appropriations politiques, puisqu'un projet de nouvelle antenne « consacrée exclusivement à la gloire politique et aux vertus civiles » ne fut interrompu que par la révolution de 48, mais fit assez parler de lui pour que le Larousse le relevât. Napoléon III, par des moyens tout différents, récupéra à son tour l'identité de Versailles. Le Grand dictionnaire rappelait d'abord que sur le plateau de Satory, à la limite Sud, avait eut lieu la revue de troupes « historique98 » du 10 octobre 1850. Celle-ci avait en effet conclu une série de parades militaires ponctuées d'insubordinations verbales à l'encontre de Bonaparte. Elles firent scandale et provoquèrent une crise ministérielle dont le Prince-président sortit victorieux99. Outre ce premier contact, le Second Empire entretint une relation suivie avec Versailles qui, sous le régime, ne fut pas simplement « la grande ville silencieuse et majestueuse100 ». La revue Versalia, organe de la Société des amis de Versailles, dirigée par le « Vicomte de Rohan », accueille à l'occasion de la publicité pour le mécénat d'art d'une grande banque nationale et parisienne. Néanmoins, ses pages laissent à Christophe Pincemaille la place de décrire un céré93 « La Rue et les boulevards », Le Mot d'ordre, 9 février, p. 2, col. 5. 94 Hélène DELALEX, « La collection de portraits gravés du roi Louis-Philippe au château de Versailles », Bulletin du Centre de recherche du château de Versailles, 3, 2009, http://crcv.revues.org/11331, consult. le 22 juin 2013. 95 Larousse 15, op. cit., p. 936. 96 Cité par H. DELALEX, « La collection de portraits », art. cit. 97 Ibid. 98 Larousse 15, op. cit., p. 937. 99 Karl MARX, « Chapter V » dans The Eighteenth Brumaire of Louis Bonaparte, 1852, http://www.gutenberg.org/files/1346/1346-h/1346-h.htm#2H_4_0007, consult. le 22 mai 2012. 100 Larousse 15, op. cit., p. 937.
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monial impérial significatif. Ses sources, exclusivement officielles (Moniteur) ou bonapartistes (Journal-de-Seine-et-Oise, Débats), ne font preuve d'aucune distance critique, mais elles permettent à l'historien de souligner, en premier lieu, le « culte » que l'impératrice Eugénie vouait à Marie-Antoinette, « infortunée souveraine » en l'honneur de qui elle organisa une exposition au Trianon, à l'été 1867101. Le château appartenait alors à la Maison de l'empereur, ce qui le faisait dépendre directement du monarque. Or, il servit surtout de cadre prestigieux à la réception des dignitaires étrangers. Dans un premier temps, pour le roi consort d'Espagne ou la reine d'Angleterre, ces visites s'accompagnèrent de grandes fêtes, dont des feux d'artifices ouverts au public constituèrent les clous. Victoria, auréolée d'un vrai poids politique, fut reçu dans un décor somptueux de fontaines redécorées et de plantes exotiques spécialement acheminées. Le 27 août 1855, la comparaison était sans équivoque pour la presse : C'est à Versailles, dans le palais de Louis XIV que l'Empereur Napoléon III offre à la reine d'Angleterre les magnificences les plus splendides de la Cour ; il y ranime pour elle les nobles plaisirs et les pompes depuis longtemps éteintes du grand roi 102.
Ensuite, bien que la réception du consort outre-pyrénéen en 1864 fût la dernière fête somptuaire, les têtes couronnées de toute l'Europe continuèrent de défiler au palais. Pour la seule année 1867, on put y voir : en mai, Léopold II et Mari-Henriette des Belges ; Alexandre II de Russie et Guillaume de Prusse le 12 juin ; les comtes et comtesses de Flandre, le prince royal de Saxe et la duchesse d'Hamilton le même mois ; le sultan de Constantinople Abdul-Aziz le 9 juillet ; la reine Marie-Louis-Auguste de Prusse le 17 juillet ; Charles XV de Suède le 7 août ; la reine Sophie des Pays-bas le 13 octobre ; enfin, François-Joseph, empereur d'Autriche, le 2 novembre. Devant une telle liste, tout en gardant à l'esprit que la revue qui le publie arbore pour emblème un -L brodé d'or, il est tentant de conclure avec l'historien que ces parades organisées par le régime relevaient bien « d'une démarche politique, d'une volonté délibérée de rattacher la dynastie napoléonienne au lignage des Bourbons, de l'inscrire dans la continuité de l'histoire103. » Le 18 janvier 1871, Guillaume de Prusse devint le troisième souverain à mobiliser avec ardeur l'identité monarchique de la ville, en organisant son sacre dans la Galerie des glaces, « la plus vaste du palais de Louis XIV ». La cérémonie « magnifiquement féodale » où le « petit burgrave de Nuremberg » devint Empereur allemand de tous les royaumes outre-Rhin – unifiés grâce aux tractations du chancelier Otto von Bismarck –, signait la « résurrection du Saint-Empire », la grandeur de Charles-Quint en moins. Pour des républicains patriotes, un telle proclamation sur le sol français était déjà humiliante. Pire, pendant le sermon, « les crimes de Louis XIV [furent] mis à la charge de la nation qui a deux fois chassé les Bourbons ». Cette distorsion de l'histoire française 101 Christophe PINCEMAILLE, « Essai sur les fêtes officielles à Versailles sous le Second Empire », Versalia, 3, 2000, p. 120. Ce sont les termes de l’auteur. 102 Moniteur officiel, cité par Ibid., p. 121. 103 Ibid.
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était le principal mésusage des symboles monarchiques que dénonçait François-Victor Hugo104. Il s'efforçait ainsi de découpler France et royauté. La Vérité avait également noté la similitude avec « le temps du grand roi », tout en exagérant sur le fait que « jamais Versailles n'avait vu autant de princes dans ses murs », et prenait soin de concrétiser le constat avec la mention du célèbre l'hôtel des Réservoirs, trop petit pour recevoir tout ce beau monde105. Cette manœuvre politique des Prussiens, désireux d'acter leur domination par la préemption d'un pan de l'histoire du vaincu, fournit ainsi une occasion supplémentaire aux journalistes républicains de distinguer Paris et Versailles la monarchique ; d'affirmer encore que les cités rivales possédaient deux identités diamétralement opposées. Le titre de l'article du fils Hugo, « Versailles et Paris », jouait de cet antagonisme. De la même manière, le lyrisme de sa conclusion soulignait qu'à l'heure où « ses portes sont gardées par un factionnaire impérial et royal », Paris devait, dans les élections à venir, « proclamer à la face du monde sa foi républicaine ». Aux outrages de 1815, opposons les principes inflexibles de 1792 106. Devant l'invasion, affirmons la patrie. Devant la féodalité, affirmons la démocratie. Que le vote du 8 février réplique à l'acclamation du 18 janvier. Et qu'à ce cri parti de Versailles : Vive l'empereur d'Allemagne ! réponde ce cri de Paris : Vive la France ! vive la République !
La plume convoquait encore le souvenir de la grande Révolution, par la comparaison entre les deux armistices face aux Prussiens, en 1815 et en 1871. Cette dernière rappelle combien le contexte des deux guerres de 1870-1871, étrangère puis civile, leurs tractations, leurs négociations, leurs trahisons et leurs lots de victimes, pesa de tout son poids sur les descriptions de Versailles dans la prose hargneuse des journalistes républicains de Paris.
Paris tout contre Versailles, un corps à corps insoutenable Deux sièges, une seule assiégeante Les Prussiens, troupes et état-major107, s'installèrent à Versailles le 19 septembre 1870, avec l'objectif de faire tomber Paris rapidement. La menace sur la capitale ne prit fin qu'avec la signature de l'armistice, quatre mois plus tard, le 28 janvier 1871. Et Le départ de l'occupant, qui se reportait sur la rive droite de la Seine pour maintenir la pression jusqu'au paiement de la rançon de 104 François-Victor Hugo, « Versailles et Paris », Le Rappel, lundi 6 février, p. 1, col. 1. 105 « Chronique de Versailles », La Vérité, samedi 4 février, p. 1, col. 4. 106 Pour le modéré Hugo, c'était 92, l'entrée en guerre, qu'il convenait d'opposer à 1815. Pour le proudhonien Duchêne (supra), c'était 93. 107 Le très chrétien mémorialiste Léon Bloy a recueilli ses mémoires sur 1870-1871. Son chapitre « Bismarck chez Louis XIV » précise que le chancelier vivait rue de Provence, « l'une des rues les plus silencieuses du calme Versailles », détail dont l'éditeur de 1972 garantit la véracité. Son tableau, certes très patriotique, donne une idée du quotidien du chef prussien. Léon BLOY, Sueur de sang [1893], Paris, Gallimard, « Folio », 1972, p. 155-163.
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guerre, ne fut effectif qu'au 12 mars108. Cinq long mois de siège qui nouèrent intimement les représentations de Versailles aux Prussiens. Cette fonction de place forte de l'ennemi étranger fut réactivée par l'installation du gouvernement Thiers, ennemi de la guerre civile. Dans la presse républicaine de Paris, cette continuité entre premier et « deuxième siège109 » est palpable. L'étau de la poliorcétique se resserrait après à peine deux mois de relâche. Ainsi, dans la guerre des mots, Versailles apparut comme l'unique belligérante. Georges Darien publiait en 1889 son premier roman, un tableau satirique des mœurs provinciales confrontées à l'occupation prussienne de Versailles. Son jeune narrateur, Versaillais qui dit je, observait que « les Prussiens [s'y étaient] installés en maître. » Il ajoutait que « la ville [était] devenu le quartier-général de l'armée qui [devait] assiéger Paris 110. » Le romancier reprenait ici la terminologie de 1871, quand on lisait couramment « quartier-général de Versailles » dans les colonnes de la presse républicaine. Déjà en février, ici associée dans le texte au nom de l'Empereur allemand par la citation d'un billet publié dans une gazette outre-Rhin 111. Là, signe de la transparence de son signifié, en titre d'un entre-filet112. Prussiens et Versailles étaient également connotés fortement par la métonymie habituelle qui désigne un pays par sa capitale, un peuple par son territoire, une institution par sa domiciliation et, en guerre, une armée par le siège de son État-major. Versailles, plus qu'un toponyme, devint synonyme d' « État-major prussien ». Un membre de la Société internationale de secours aux blessés 113 l'employait pour souligner qu'une enquête sur le sort des ambulances pendant le siège, déjà communiquée à Bismarck, lui faisait encore défaut 114. Édouard Lockroy, journaliste d'opposition en vue sous le Second Empire, garibaldien en Sicile puis chef élu du 226e bataillon de la garde nationale qui combattit à Champigny et Buzenval, le 19 janvier, en usait aussi. Visiblement ignorant des négociations en cours pour l'armistice, il critiquait la « mollesse » du gouvernement de la Défense nationale. Jeter Paris entier sur l'armée prussienne ? Pousser à Versailles ? Triompher ? Jamais ! Cela ressemblerait à un « excès révolutionnaire. » Ah ! comme je comprends la défiance que les « modérés » inspiraient aux révolutionnaires d'autrefois ! De bonnes intentions ? soit ! Un grand désir, un désir véritable de contenter tout le monde ? Hé ! Sans doute !... Paris est pavé de bonnes intentions comme l'enfer115.
Hormis la mention de l'ennemi prussien, la ressemblance est frappante avec les exhortations à ce que la Commune attaque Versailles sans délai, lesquelles fleurirent entre le 18 mars et les 108 Jean-Pierre CALVIGNAC, Les Habitants d’Île-de-France devant l’invasion étrangère. 1870-1871. Image de l’autre et image de soi, Thèse de doctorat, Université Paris 1 - Panthéon-Sorbonne, 2010, p. 13. 109 Titre d’un chapitre de R. TOMBS, La Guerre contre Paris, op. cit., p. 209-245, qui en décrit principalement les opérations militaires. 110 Georges DARIEN, « Bas les coeurs [1889] » dans Voleurs !, Paris, La Découverte, « Omnibus », 1994, p. 251. 111 « Extraits des journaux allemands », Le Rappel, 28 janvier, p. 2. 112 « La journée », La Vérité, lundi 6 février, p. 2, col. 1. 113 Promotrice de la première convention de Genève, en 1864. 114 Dr Chenu, « Société internationale de secours aux blessés des armées de terre et de mer », La Vérité, 29 janvier, p. 2, col. 3. 115 « Lettres des avant-postes », Le Rappel, 27 janvier.
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débuts effectifs des combats. En effet, de mars à mai, le toponyme glissa imperceptiblement, comme naturellement, du Prussien au « Versaillais ». Toutefois, Versaillais avec son signifié ennemi, même dans la presse socialiste de la capitale, n'apparut qu'après le 18 mars et la proclamation de la Commune. En avril, une fois celle-ci solidement installée, la périphrase du toponyme pour l'ennemi demeura la règle, même si l'ennemi avait changé. Le vocabulaire de la poliorcétique s'employait toujours, le gouvernement « [faisant] entendre le canon de façon formidable ». Comment ? « Comme au temps où les Prussiens assiégeaient Paris 116. » Vermorel, désormais élu à l'Hôtel-de-Ville par le XVIIIe, entendait rendre un « compte rendu détaillé à [ses] concitoyens », avec une nouvelle feuille éphémère, du grave et redoutable mandat qu'ils [lui avaient] confié ». Dans son premier numéro, énumérant les changements stratégiques qui avaient découlé d'un premier versement du tribut de guerre prévu par les préliminaires de paix, L'Ami annonçait au peuple que « les Prussiens [avaient] quitté Saint-Denis et que les Versaillais les [remplaçaient] dans les forts de la rive droite ». Quant à « Versailles […], il se tiendra sur la défensive et soumettra Paris à un nouveau blocus ». Et toujours cette continuité affichée entre l'ennemi d'hier et celui d’aujourd’hui : « on en revient au plan Bismark », arrêtait-il117. À ce stade de la guerre civile, le « Versaillais » retranché dans son « quartier-général de Versailles » courait sur les écritoires de toutes les rédactions communalistes. En outre, penchés sur leur table de travail, nul doute que les journalistes parisiens, du fait même de leur métier, lurent très attentivement tous les organes de presse rivaux. Ils choisissaient les titres de leur feuille en souvenir de la grande Révolution ou de 1848 118, certains de leur pouvoirs suggestifs auprès du lectorat. Aussi, leur tableau de Versailles en capitale prussienne, pendant le siège, passait également par les mentions du titre du journal officiel que l'ennemi y fit paraître, avec une claire conscience qu'en elles-mêmes, ces mentions impacteraient l'opinion. En janvier, une rubrique intitulée « Extraits du journal officiel de Versailles119 » ne mentionnait nulle part qu'elle reproduisait la propagande favorable aux Prussiens. Du coup, sur la même page in-f°, on lisait ennemi avec deux sens opposés : ici, dans la rubrique en question, pour désigner les troupes française ; là, sous la plume d'un rédacteur patriote, stigmatisant l'étranger. Une semaine plus tard, peut-être alerté de la confusion engendrée, le journal affichait en tête d'une rubrique équivalente l'avertissement suivant : « nous trouvons ce qui suit dans le Moniteur officiel, de Versailles (journal 116 « Le combat », Paris-libre, 12 avril, p. 2, col. 2. 117 L'Ami du peuple, n° 1, 23 avril, p. 7. Pagination hors norme expliquée par le format réduit de sa première version (n° 1-2). Par ailleurs, je précise que nombre de journaux du corpus orthographiait ainsi le nom du chancelier prussien. Elle ne semble pas correspondre à l'usage en allemand. J'ai opté pour un « Bismarck ». 118 Pierre GUIRAL, « La Presse de 1848 à 1871 » dans C. BELLANGER, J. GODECHOT et al. (dir.), Histoire générale de la presse française. II. De 1815 à 1871, Paris, Presses universitaires de France, 1969, p. 210. Le Cri du peuple à un « nom proudhonien » (Maitron, notice « Vallès »), parce qu’il rendait hommage aux Représentant du peuple, Peuple et Voix du peuple, qui assurèrent une notoriété à Proudhon entre février 1848 et octobre 1850. 119 La Vérité, 27 janvier, p. 1, col. 4.
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prussien)120 ». Dans une vertigineuse mise en abîme de journaux officiels, des rumeurs faisant état d'un lourd revers de l'armée du Nord parurent dans celui des Prussiens puis furent citées par celui de la Défense nationale. Prudent, l'organe gouvernemental chapeautait cette citation d'un avertissement : « ces nouvelles nous viennent de l'ennemi ». La tentative de contrôle de la propagande de guerre semblait louche au Rappel, qui s'interrogea sur « l'écart entre ce que [disait] le gouvernement et ce qu'il [laissait] dire ». Que signifie cette réserve du gouvernement ? Pourquoi fait-il semblant de mettre en doute des nouvelles, qui lui seraient pleinement confirmées, disent ses amis, par des journaux anglais ? Dans quelle intention laisse-t-il à la vaillante et ardente population de Paris cette espérance, quand d'autre part il semble prendre des résolutions si désespérées ? Qu'on relise les communications officielles de Versailles : elles ne sont même pas aussi alarmantes que les derniers renseignements officieux colportés dans les régions du gouvernement 121?
Ce 28 janvier, le toponyme métonymique désignait les Prussiens. Quelques jours plus tard, « l'artilleur » à plume allumait le « Moniteur officiel de Versailles122 ». Les compositeurs à l'imprimerie firent paraître l’appellation entièrement en italique. Or le même jour, ceux du Vengeur poussaient la minutie, l'article affichant « Moniteur officiel prussien de Versailles123. » Quelle différence ? Ces subtilités sont-elles insignifiantes ? Il me semble au contraire que le public de ces feuilles, rompu à la lecture quotidienne de la presse, relevait ces codes typographiques. Certes très à la marge, ils infléchirent tout de même la perception de Versailles, liée à l'ennemi jusque par l'inclinaison des lettres. Le 10 avril, Le Bonnet rouge choisit en tout cas l'italique intégrale. Et, signe de sa vigilance aux coulisses de la fabrication du journal, il induisait la continuité entre les deux forces d'oppression de Paris par un calembour technique. On nous assure que le Moniteur prussien de Versailles a abandonné son imprimerie à l'Officiel de MM. Thiers, Jules Favre et Picard ; nous nous en étions déjà aperçus à la ressemblance des « caractères »124.
De mars à mai, le titre de la feuille officielle de chaque pouvoir en présence devint enjeu de légitimité. Par souci de concision, « officiel de Versailles » contre « officiel de la Commune » s'écrivaient couramment. Mais côté parisien, l'exemplaire du 30 mars fut rebaptisé Journal officiel de la Commune, avec une numérotation nouvelle. Trop restrictif : puisque la Commune entendait incarner seule la République authentique, il était naturel que lui revînt le titre de Journal officiel de la République française. Elle le reprit dès le lendemain. D'ailleurs, elle recommença aussi la parution au n° 90, comme si son avènement concrétisait enfin une République jusque-là fantoche 125. 120 121 122 123 124 125
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Id., lundi 6 février, p. 3, col. 2. « Les nouvelles et les bruits », Le Rappel, 28 janvier, p. 1, col. 5. « Les on-dits du rempart », id., dimanche 5 février, p. 2, col. 1. « La journée », Le Vengeur, dimanche 5 février, p. 2, col. 1. Le Bonnet rouge, lundi 10 avril, n° 1, p. 1, col. 2. [S. n.], Journal des journaux de la Commune. Tableau résumé de la presse quotidienne, du 19 mars au 24 mai 1871. Lois, décrets, proclamations, rapports et informations militaires, séances de la Commune, etc., reproduits d’après le « Journal officiel » de Paris. Extraits des autres journaux organes ou défenseurs de la Commune. Le tout contrôlé par les dépêches circulaires et avis du Gouvernement et par des extraits du Journal officiel publié à Versailles, Paris, Garnier, 1872, vol. 1/2, p. VI-VII. Ouvertement hostile à une Commune dont la « presse
Gouvernement sis à Versailles et Commune sise à Paris se livrèrent donc une guerre des mots dans deux organes aux noms strictement identiques. D'autres problématiques de siège moins spécifiques expliquent la constance des récriminations contre Versailles. Affleurent d'abord les privations causées par la censure de la liberté de communication, dont celle du courrier, essentielle à la fabrication des journaux. L'annonce par la Défense nationale que « M. Rampont, directeurs des postes, [était] retourné à Versailles » pour négocier le tonnage autorisé à quitter Paris ne fit pas oublier que « le véritable directeur des postes était présentement M. de Bismark126. » Humiliation de devoir quémander après quatre mois de siège ! D'autant que dès février, « les êtres défiants ne comprenant pas quel intérêt la Prusse peut avoir à lire » les courriers autorisés à voyager, le gouvernement était soupçonné d'ouvrir les lettres127. Correspondre avec l'étranger était également impossible, « à moins d'avoir un correspondant à Versailles qui se chargerait de l'affranchissement au bureau allemand 128 ». Ces « correspondants versaillais129 » contribuaient donc fortement aux communications de Paris. La tenue des élections augmenta encore cette privation de l'assiégé. Malgré « toutes les démarches faites à Versailles dans le but d'obtenir le rétablissement des correspondances télégraphiques entre Pairs et la province », Bismarck « [avait] systématiquement empêché la capitale de communiquer », et rendu très difficile la publication des résultats définitifs du 8 février. « Et voilà l'homme qui prétend nous donner des lecçons de libéralisme ! », tonnait Le Rappel130. Or, part de sa représentation en bastion d'un envahisseur assiégeant, la censure caractérisait toujours Versailles après le 18 mars. « Interrompre, par la rupture des fils télégraphiques, toute communication électrique entre Paris et les départements » fut même « un des premiers soins du gouvernement installé à Versailles », accusait Le Cri131. La Commune dut composer avec des notables du IIe arrondissement qui envoyèrent une délégation à l'Hôtel-de-Ville pour réclamer des explications sur la fermeture des postes. Mais cet ordre émanait du « gouvernement de Versailles, qui [prétendait] désorganiser les services publics de la ville ». Toutefois, que tous se rassurassent : la plume concluait sur la « certitude » que les idées du mouvement communaliste l'emporterait sous peu dans toute la France, brisant le second blocus que subissait la capitale132.
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insurgée » dans son ensemble était pleine de « mensonges et d’erreurs » (p. I). Son titre, cité à dessein dans la longueur, est une profession de foi. L’opus relate les faits mais livre une interprétation toute différente : le titre éphémère de l’Officiel du 30 était le seul qui pouvait convenir à une assemblée « qui se prétendait exclusivement communale ». L’historiographie a largement démontré que les ambitions de transformation sociale affichées par la Commune visaient au-delà des remparts de la capitale. « Nouvelles politiques », Le Mot d'ordre, n° 1, vendredi 3 février, p. 1, col. 3. « La journée », Le Rappel, 5 février, p. 1, col. 5. Le Vengeur, 7 février, p. 2, col. 6. « L'Indépendance belge [dimanche 5 février], Le Rappel, 9 février, p. 1, col. 5. « La journée », Le Rappel, 11 février, p. 2, col. 1. « Versailles », Le Cri du peuple, mercredi 22 mars, p. 2, col. 1. « Actes officiels », L'Affranchi, n° 1, dimanche 2 avril, p. 1, col. 3.
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Paschal Grousset, né à Corte, fut au centre de l'affaire Victor Noir qui secoua le régime à l'hiver 1870. Sa Revanche, journal corse, déplut à Pierre-Napoléon Bonaparte, qui répliqua dans une feuille bonapartiste de l'Île de beauté, menaçant de « mettre les tripes aux champs » aux collaborateurs de Grousset. Injurié, ce denier missionna Ulric de Fonvielle et Yves Salmon – alia V. Noir –, au domicile neuilléen du sulfureux cousin de l'empereur. Celui-ci, qui avait entre-temps provoqué Rochefort en duel, attendait les témoins de ce dernier, revolver en main. Ceux de Grousset arrivèrent en premier133. À la suite du meurtre, et de l'arrestation de Rochefort, il devint rédacteur en chef de La Marseillaise et acquis une « subite renommée » en redoublant d'ardeur dans ses attaques contre le régime134. Le 26 mars 1871, sa notoriété le fit élire dans le XVIII e. Et le 2 avril, son premier-Paris reflétant sa fonction de membre de la commission aux Relations extérieurs, il dénonçait un « second blocus moral et matériel » infligé par « les émigrés de Versailles135. » Enfin, le volet alimentaire du premier siège, dont sont connus les menus gastronomiques audacieux136, avait fortement impacté les consciences des Parisiens. Les journaux traitaient constamment des effets de la rareté des vivres 137. « Les habitants de Versailles ou de Saint-Germain », en revanche, « n'[en avaient] jamais manqué138 ». La ville royale apparut préservée, en face des douleurs parisiennes. Sous la Commune, l'approvisionnement reprit avec succès, mais nul doute que les diatribes contre le « gouvernement de la famine national », refusant l'augmentation de la ration en pain, résonnaient encore. Celle de Pyat, goguenarde, démontrait que pendant le siège, Versailles possédait bien le mot de la faim. Faudra-t-il que notre désespoir nous pousse à l'autre extrémité, à nous prosterner à deux genoux, mains jointes, […] à adresser cette prière en allemand au roi de Prusse : « Notre Père, qui êtes à Versailles, donnez-nous notre pain quotidien ! Votre nom soit béni139 ! »
Versailles avec Paris ? Le non-sens des négociations « Versailles, ville royale » et « Versailles, ville belligérante », la cité rivale fut également dépeinte en lieu de deux séquences de tractations contre lesquelles la presse républicaine s'insurgea. D'abord avec l'occupant étranger, en vue de son retrait, puis entre la Commune et le gouvernement issu des législatives du 8 février. À l'état de rumeur le 27 janvier, les « pourparlers avec Ver133 Christian LAUCOU (dir.), Paschal Grousset, enfant de Grisolles et de la République, Paris, Des Barbares, 2009, p. 32. 134 Grand dictionnaire universel du XIXe siècle. Français, historique, géographique, mythologique, bibliographique, Paris, Administration du grand Dictionnaire universel, 1872, vol. 8/17, p. 1559. 135 « La guerre infâme », ibid., p. 1, col. 1. 136 Le fonds très riche conservé par le musée d'art et d'histoire de Saint-Denis les expose des menus gastronomiques très peu ragoûtants, où la feuille de platane fait office de salade. 137 « Les on-dits du remparts », Le Rappel, mardi 7 février, p. 2, col. 3, donnaient par exemple le chiffre de 4671 morts pour la semaine du 28 janvier au 3 février, des causes du siège (maladies, faim, dommages collatéraux, pertes de gardes mobiles et d'hommes de la ligne). 138 « Échos », La Vérité, 3 février, p. 2, col. 5. 139 « 300 grammes », Le Vengeur, 5 février, p. 1.
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sailles », État-major prussien, furent immédiatement qualifié de « parti extrême140 ». En l'espèce, le parti « irréconciliable », comme les révolutionnaires parisiens étaient désignés par les républicains libéraux, méritait tout à fait le qualificatif. Signé dans la nuit du 26 au 27 janvier, et proclamé le 28, l'armistice acquit rapidement le nom de capitulation de Paris, en ce qu'il était aveu de faiblesse. Mais pour ne pas donner à lire un Paris défait, la rhétorique socialiste renversa les sens, et fit de cet accord la « capitulation de Versailles141. » Il s'agissait du même coup de ramener la ville à une pratique du secret d'État aussi ancienne que son aura royale. On critiquait les « entreprises » en cours à Versailles entre « le ministre des Affaires étrangères et le chancelier de l'empire d'Allemagne. » Le « bruit » courait que le premier était « revenu de Versailles » avec un armistice conclu142. Actés, le Mot d' « arrangements arrêtés à Versailles » dénonçait une décision prise en catimini, sans l'avis de Paris143. Fin février, au moment des préliminaires de paix, les négociateurs du nouveau gouvernement issu des élections du 8 se présentaient accablés de leur décisions douteuses à la Défense nationale. Avaient-il qualifié d' « affaire du 22 janvier » la tentative de prise de l'Hôtel-de-Ville par des bataillons rouges de la garde nationale ? L'annonce du verdict des tribunaux en la matière rappelait au « franc-flâneur » la longue liste des batailles perdues faute d'un exécutif courageux. Comme pour le 31 octobre, ils ne feront probablement pas leurs frais d'annonces. En revanche, lorsqu'il faudra juger : L'affaire de Metz ; L'affaire de Châtillon ; Les deux affaires du Bourget ; L'affaire du 3 novembre ; L'affaire de la Malmaison ; L'affaire du 1er décembre ; L'affaire du plateau d'Avron ; L'affaire du bombardement de Paris ; L'affaire de Montretout et de Buzenval ; L'affaire de Ferrières ; Les affaires de Versailles, etc., etc., etc. Nous pensons que toutes les cours d'assise de France et d'Algérie auront de la besogne pour plusieurs sessions144.
Se démarquant de l'énumération, les deux dernières affaires désignaient, par le champ sémantique de la malversation et du secret, les négociations en cours. Puis, Jules Vallès inscrivit carrément cette habitude du propos masqué dans les murs du palais, relevant que Thiers avait « appelé à son secours » un « prudhomme rouge et bouffi » qui « traînera sa houppelande derrière son peten-l'air dans les antichambres de Versailles145. » Il me semble que cette pratique du secret renvoyait 140 141 142 143 144 145
Le Rappel, 27 janvier, p. 1, col. 3. Le Mot d'ordre, n° 1, 3 février, p. 1, col. 6. Le Rappel, 28 janvier, p. 1, col. 3. « Informations », Le Mot d'ordre, 6 février, p. 1, col. 5. « La rue et les boulevards », Le Mot d'ordre, 18 février, p. 2, col. 1. « Les charlatans politiques », 24 février, Le Cri du peuple. Selon le TLFi, la houppelande possédait une connotation de costume de valet. Le pet-en-l'air, veste coupée au niveau des reins, désignait ici : soit un accoutrement ridicule pour le suiveur qui portait les deux ensemble, soit une métonymie ironique pour dénigrer Thiers. Le « propos d'antichambre » désignait alors, de façon péjorative, le commérage politique.
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en 1871 à deux aspects de l'absolutisme des rois qui avaient habité Versailles. D'une part, l'arbitraire du pouvoir, ses décisions opaques et les guerres incessantes conclues par des traités négociés sans l'aval des corps constitués du royaume, et a fortiori du peuple, demeuraient attachés au nom de Louis XIV. D'autre part, élément de la mémoire communaliste de la Révolution, l'alliance maritale de Louis XVI avec une autrichienne, sa fuite à Varennes en 1791, puis son aval à la guerre en 1792 – entaché du soupçon de vouloir rétablir une monarchie forte grâce à la guerre –, l'avaient transformé en Janus, image relayée puissamment par la caricature 146. Avec Versailles en capitale des négociations en 1871, le parallèle vint probablement à l'esprit des lettrés de la presse communaliste. Henry Maret, dont le grand-père était président à de chambre à la cour royale de Bourges, réactualisait en tout cas cette perception de Versailles à propos, lui aussi, du conseil particulier du chef de l'exécutif. Le 24 avril, la Commune solidement installée, il assurait qu'une « commission des quinze » aurait concocté deux plans différents d'assaut sur Paris, tout deux inconnus du grand public147. Qu'en était-il ? « Mystère ! Mystère ! » Ces conseillers, membres de l'Assemblée, se réunissaient pourtant à l'écart de celle-ci et, revenant, « [s'affirmaient] détenteur de secrets d'État qu'ils ne [pouvaient] trahir. » Contradiction supplémentaire pour le régime, « l'assemblée, qui pourtant se [considérait] comme l'état, [trouvait] tout simple qu'on ne lui [confia] pas le secret qui [n'appartenait] qu'à elle148. » D'autres élus de la Seine s'efforcèrent à plusieurs reprises d'éviter un affrontement ouvert entre les deux pouvoirs en place à partir de mars 1871 149. Les mandataires parisiens furent logiquement surveillés de près par la presse de la capitale. Neuf d'entre ces élus républicains avancés, au premier rang desquels Louis Blanc et Edgar Quinet, plébiscités lors du suffrage 150, plaidèrent pour une solution pacifique, sans effusion de sang. Cette proclamation signée des « représentants de Paris à Versailles151 », Le Bonnet rouge y vit tout bonnement « une infamie ». Il renvoyait crûment les députés à leur résidence de fonction : « Allez à Versailles, renégats152 !» La Sociale du 29 avril clamait en titre : « pas de conciliation ! » De quoi relativiser le constat du linguiste qui affirme que les titres des articles du temps étaient « peu significatifs153 ». À propos d'une injonction à se soumettre 146 Jean-Pierre JESSENNE, Révolution et Empire. 1783-1815 [1993], Paris, Hachette, « Carré histoire », 1993, p. 101. 147 J. BRUHAT, J. DAUTRY et al. (dir.), La Commune de 1871 [1960], op. cit., p. 368, attestent de cette commission nommée le 20 mars pour « assister Thiers », mais ne pipent mot sur ces plans d’attaque mystérieux. 148 « Mystère ! Mystère ! », Le Mot d'ordre, vendredi 24 avril, p. 2. 149 Ne seront pas évoqués les francs-maçons dont plusieurs loges, après quelques projets conciliateurs avortés, se rallièrent à la Commune le 5 mai. De nombreux élus à l’Hôtel-de-Ville, ainsi que beaucoup des journalistes du corpus appartenaient à la confrérie. Lire Maitron, notice « Thirifocq » et Gérald DITTMAR, Les Francs-maçons et la Commune de 1871, Paris, Dittmar, 2003, 149 p. 150 « Élections du 8 février », Le Mot d'ordre, 11 février, p. 1, donne Blanc et Quinet respectivement 1er et 3e en nombre de voix, Victor Hugo complétant le podium. 151 « Déclaration des neuf députés de Paris », Le Bonnet rouge, 10 avril, p. 2. Outre les deux mentionnés, la liste porte : H. Brisson, Ed. Adam, C. Tirard, E. Farcy, A. Peyrat, Langlois, Dorian. 152 « Une infamie », ibid., p. 1, col. 2. 153 J. DUBOIS, Le Vocabulaire politique, op. cit., p. 6 ; Maxime JOURDAN, « Le Cri du peuple ». 22 février 1871-23 mai 1871, Budapest/Paris/Turin, L’Harmattan, 2005, 306 p., donne une liste plutôt plaisante ! Peut-être est-ce
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qu'avait lancée Victor Schœlcher, député de la Martinique et président de la commission qui avait aboli l'esclavage en 1848, le journal préconisait également un retour express du conciliateur à ses pénates versaillaises. Allez à Versailles, allez dire aux traîtres, aux accapareurs, aux assassins, que le Peuple, confiant en la Commune, compte sur la victoire, dites-leur que leurs crimes sont connus de tous, que l'exécration populaire les attend – mais que jamais, – jamais on ne traitera avec eux […]. Voilà M. Schœlcher ce que nous avons à vous dire. Allez ! allez à Versailles, votre place n'est plus ici154.
Au sein ce tiers-parti conciliateur, les maires d'arrondissement élus en novembre 1870 firent accepter au gouvernement l'idée d'une municipalité centrale réelle pour la capitale155. Mais la proposition ne tenait pas debout pour des partisans d'un régime nouveau et sans Commune mesure156. Une municipalité affidée au gouvernement, comme celle qu'avait conduite Jules Ferry entre le 4 novembre 1870 et le 18 mars, ne satisfaisait en rien l'idée d'un Paris-libre. Ce journal arguait que l'insurrection avait jailli « pour reconquérir tous [les] droits civils, politiques et économiques [du peuple] » et afin qu'il gardât ses canons « pour assurer toutes les conquêtes de la Révolution. » « Que les gens de Versailles ne viennent donc plus nous parler aujourd'hui de nous octroyer une municipalité parisienne, ce n'est pas de cela qu'il s'agit 157 », proclamait-il. Une alliance avec Versailles relevait du non sens. Il faut bien sûr y voir le combat de deux modalités de la république opposées de longue date. La guerre civile et son lot de victimes en avril avait également rendue inconcevable l'entente entre les deux pouvoirs158. Mais la véhémence des refus de la conciliation tint également aux identités des deux cités rivales. Même La Commune, organe le plus mesuré dans l'hagiographie du Paris révolutionnaire, et qui soutint d'abord les projets conciliateurs des maires puis de ceux de la Ligue de Paris et de la Ligue républicaine, maniait la rhétorique du « Paris contre Versailles ». Le journal est d'autant plus intéressant – « l'un des plus intéressant, peutêtre159 » –, que ses rédacteurs, partisans d'une prise en compte de toutes les composantes sociologiques de la capitale, critiquèrent durement le régime parisien, notamment à partir d'un article de Georges Duchêne du 7 mai160. Car ses critiques du pouvoir parisien – malgré un appel au vote pour les élections partielles
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une exception du Cri. Florilège : métaphoriques et ironiques : « La fin du carnaval » (n° 5), « Les larmes de crocodiles » (n°10) ; combatifs ou historiques : « Pas un mot de plus, Adolphe ! » (n° 4), « Le sentimentalisme politique » (n° 16), « Réouverture des grands magasins de la rue de Poitiers » (n° 56). Pas insignifiants. « Pas de conciliation ! », La Sociale, samedi 29 avril, p. 1, col. 1. Parmi ceux-ci, Georges Clemenceau, maire du XVIIIe. Charles RIHS, La Commune de Paris, 1871. Sa structure et ses doctrines [1955], Nouv. éd. revue et aug., Paris, Seuil, « L’Univers historique », 1973, 381 p., « Paris libre dans la France libre », Paris-libre, 12 avril, p. 1, col. 3. R. TOMBS, La Guerre contre Paris, op. cit., p. 204, fait par exemple de l’attaque surprise du Moulin-Sacquet par la ligne, le 3 mai, qui fit 300 morts fédérés, et dont des prisonniers furent torturés, un « avant-goût des horreurs à venir ». Notice du Maitron sur Millière. John BARTIER, Odilon Delimal, un journaliste franc-tireur au temps de la première Internationale, Bruxelles, Éd. de l’Université libre de Bruxelles, 1983, p. 140-157. Le 10 avril, Duchêne allait plus loin en critiquant le mimétisme entre gouvernement autoritaire sis à Versailles et pouvoir de l’Hôtel-de-Ville.
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du 16 avril – ne l'empêchèrent nullement de vilipender la cité royale. Gustave Daubès 161, désireux « d'établir la pacification », actait qu' « entre Versailles et Paris, avec les prétentions de Versailles, son acharnement, son refus de voir la réalité, son obstination à nier nos droits, la légitimité de nos revendications, son habitude de nous calomnier, il n'y [avait] pas de négociations possibles. » Après avoir examinés tous les projets conciliateurs antérieurs, il proposait « pour arbitre » la France entière, représentée non par une assemblée illégitime, mais un congrès d'un ou deux conseillers municipaux des chefs-lieux de chaque département. Lesquels, seuls, pourraient empêcher « que les campagnes, les ruraux écrasent les villes » plus longtemps encore. Car « le minimum des revendications [des villes], si peu républicaines qu'elles soient, [dépassait] de beaucoup le maximum des concessions actuelles de Versailles162. » Cette conclusion servait à rassurer le lectorat : toute la province ne soutenait pas le gouvernement163. Ainsi, la comparaison des deux villes que supposait l'évaluation des projets conciliateurs concourut à la séparation du pays selon la ligne rural/urbain, deux composantes inconciliables. Marginale au sein de la presse communaliste, cette opinion semble n'avoir eut qu'une faible audience. L'ubris de Paris envahissait les discours, et permettait de couper court aux projets d'union contre-nature. Après avoir expliqué que le « gouvernement versaillais » n'admettait en réalité aucune négociation puisqu'il exigeait un désarmement préalable de la garde nationale fédérée, Pierre Denis galvanisait « tous les habitants de Paris », les enjoignant à « s'unir fraternellement pour la défense des droits et des murs de la cité, maudite à Versailles, et que les peuples appellent tous la Sainte. » Cité que la plume appelait encore « l'antique et fière Lutèce, la Jeanne d'Arc des villes, la libératrice vers laquelle les nations ont les yeux tournés. » La scission, ontologique, était donc irrémissible ; la seule issue, fatale. Versailles veut la mort, la ruine, l'anéantissement de Paris. Paris ne peut répondre que par l'anéantissement de Versailles164.
161 Homme très utile à l'objet de cette étude, mais inconnu des ressources biographiques. 162« L'arbitrage », La Commune, jeudi 4 mai, p. 1, col. 1. Souligné par l'auteur. 163 Odilon Delimal, op. cit., p. 147. 164 « L'ennemi », Le Cri du peuple, samedi 15 avril, p. 1, col. 1.
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VERSAILLES, TERRITOIRE TYPIQUE
J'approche d'une petite ville, et je suis déjà sur une hauteur d'où je la découvre. [Elle est située à mi-côte, une rivière baigne ses murs, et coule ensuite dans une belle prairie ; elle a une forêt épaisse qui la couvre des vents froids et de l'aquilon : je la vois dans un jour si favorable, que je compte ses tours et ses clochers ; elle me paraît peinte sur le penchant de la colline.] Je me récrie, et je dis, Quel plaisir de vivre sous un si beau ciel et dans ce séjour si délicieux ! Je descends dans la ville, où je n'ai pas couché deux nuits, que je ressemble à ceux qui l'habitent, j'en veux sortir165. Jean de la Bruyère, Les Caractères, 1688.
Le « Versaillais » à la campagne La Petite ville de province Les Français peints par eux-mêmes furent une matrice de représentations pour la presse communaliste. De nombreux auteurs républicains participèrent à ce qui peut être considéré comme un « livre héritier des Lumières et précurseur de la Révolution de 1848 166 ». L'œuvre connut des rééditions régulières dans la deuxième moitié du XIXe siècle : une par Furne en 1853, réimprimée en 1858 par un autre exploitant, une en 1861 chez Blot & Bry, une autre de 1876 à 1878 par Philip part167. En outre, de très nombreux pastiches attestent du succès de son entreprise de catégorisation du social168. L'œuvre fit donc sans doute partie du bagage littéraire des journalistes de 1871. Par ailleurs, Paris et province étaient opposés structurellement dans l'organisation des Français. Sa parution originale en volumes (1840-1842) rassemblait ainsi les types parisiens dans les cinq premiers tomes, puis les types provinciaux – dont des villes importantes comme Bordeaux (La Bordelaise) – dans trois tomes distincts et moins épais. Et la série Province faisait de Paris la « norme par excellence169 ». On peut nuancer cette distinction, car dans le contexte de la monarchie de 165 Jean de LA BRUYÈRE, Les Caractères [1688], Paris, Librairie générale française, « Le Livre de poche », 1995, p. 245. Entre crochets, le reste de la citation dont se dispensait Louis-Benoît Picard en épigraphe à sa Petite ville. 166 Luce ABÉLÈS et Ségolène LE MEN (dir.), « Les Français peints par eux-mêmes ». Panorama social du XIXe siècle, Paris, Réunion des musées nationaux, « Dossiers du musée d’Orsay », 1993, p. 33. 167 Postface de Pierre Boutier à Léon CURMER (dir.), Les Français peints par eux-mêmes. Encyclopédie morale du dix-neuvième siècle [1839-1842], Paris, La Découverte, « Omnibus », 2003, vol. 1/2, p. 1083. 168 Recherche sur le catalogue de la B. N. Pour l'exemple : Les Pompiers peints par eux-mêmes, 1868. 169 Anne-Emmanuelle DEMARTINI, « Le type et le niveau. Écriture pittoresque et construction de la nation dans la série provinciale des Français peints par eux-mêmes » dans A.-E. DEMARTINI et D. KALIFA (dir.), Imaginaire et sensibilités au XIXe siècle : études pour Alain Corbin, Paris, Créaphis, 2005, p. 92.
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Juillet, cette série relevait en partie d'une tentative de fonder une « identité nationale » transcendant les particularismes locaux – richesses de la nation –, sur lesquels les tableaux pittoresques portaient toujours un « regard sympathique170 ». Pourtant, la 120e livraison des Français, troisième d'un type provincial171, L'Habitant de Versailles, participait plutôt à la vision d'un univers borné et morose, rythmé par l'habitude, selon cette connotation négative de la vie de province qui « hantera durablement les intellectuels français172 ». Son auteur soulignait qu'autour de la ville, à cause des aménagements voulus par la royauté, le « paysage [était] sans cesse prévu ». D'ailleurs, cette monotonie de l'environnement expliquait directement que Versailles « [eût] produit si peu de grands hommes 173. » Le tableau se terminait par une nouvelle insistance sur la physiologie du lieu. Il appelait à ne pas « accuser seulement de cette vie fade et indolente les habitants eux-mêmes, qui [n'avaient] fait qu'obéir dans leurs tempéraments et leurs instincts aux influences du sol et de la ville. » La cité faite organisme manquait en effet de « la vie active qui bouillonne et fermente comme le sang » parce qu'elle était une « cité lymphatique de nature174. » Le Dictionnaire de l'Académie française de 1835 admettait un « tempérament, une constitution lymphatique175. » L'actuel Trésor de la langue française relaye cette valeur dans la « classification hippocratique d'après l'humeur dominante ». Un texte de Balzac de 1834 et un de Flaubert de 1845 soutiennent la définition d'une personne qui « par l'apathie, la mollesse des chairs, manifeste la prédominance de la lymphe ». Un texte de Flaubert de 1848 permet d'attester du sens figuré : « lent, sans vigueur ». Mais le Trésor relève aussi que l'adjectif s'employait encore avec ce sens dans des textes de l'entre-deux guerres. Autrement dit, son sens médical n'avait probablement pas disparu en 1871. Un journaliste communaliste lisant L'Habitant eût donc saisi sans difficulté la connotation péjorative ainsi associée à Versailles. Les doctrines néo-hippocratiques, qui liaient inextricablement territoire et humain, ce dernier étant façonné par l'air et la terre, étaient pleinement à l'ordre du jour en 1841. Elles suffisaient à Frémy pour définir les caractères de son type du « Versaillais ». Or, des avatars de ces théories subsistèrent dans la presse communaliste, et concoururent au « Versaillais » de propagande. Félix Pyat, né en 1810, élu en 1848 et 1849, dont un rapport de police écrivait en 1870 que son casier était un « résumé chronologique de tous les événements qui ont bouleversé la France de170 Ibid., p. 96. 171 « Sixième table » dans Léon CURMER (dir.), Les Français peints par eux-mêmes. Encyclopédie morale du dix-neuvième siècle. V, Paris, Curmer, 1842, http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k207985r, consult. le 1 juillet 2013, n. p. Par ailleurs, le type ouvre Les Français. Province II. 172 Luce ABÉLÈS, « La province vue par Les Français » dans L. ABÉLÈS et S. LE MEN (dir.), « Les Français peints par eux-mêmes ». Panorama social du XIXe siècle, Paris, Réunion des musées nationaux, « Dossiers du musée d’Orsay », 1993, p. 50. 173 A. FRÉMY, « L’Habitant », chap. cit., p. 5. 174 Ibid., p. 7. 175 Dictionnaire de l’Académie française. Sixième édition, Paris, Firmin Didot frères, 1835, p. 139. Son édition de 1878 ajoutait uniquement un exemple : l’enfant lymphatique.
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puis 1830176 », totalisant trente années de condamnation à de la prison et 21 000 F d'amende, comptait parmi les plumes les plus lues sous la Commune. Il collabora à divers journaux d'opposition au Second Empire avant de fonder Le Combat, à la faveur du 4 septembre 1870, poursuivi au début 1871 par Le Vengeur. Ce dernier fut très populaire pendant l'insurrection177. Vingt ans auparavant, il avait eu une activité de littérateur, entretenant même une correspondance avec Eugène Sue jusqu'en 1851178. Surtout, il écrivit trois types pour Les Français179, dont deux provinciaux. Léon Curmer tenta au maximum d'assigner les monographies provinciales à des plumes natives de la région dépeinte180. Arnould Frémy était né à Versailles en 1809. Pyat, natif de Vierzon, fut ainsi engagé pour croquer Le Solognot. Ses textes détonnaient du reste des types provinciaux en ce qu'ils ne cédaient pas à la fatalité des conditions de vie miséreuses, et les dénonçaient181. Pourtant, sa description peu flatteuse du paysage de Sologne se terminait par l'énoncé d'une véritable loi liant lieu et allure, clairement issue de la mode néo-hippocratique. Tel est donc le pays où végètent les quelques cent mille hommes dont nous allons donner le type à nos lecteurs. Il nous a fallu mettre le tableau dans son cadre, montrer le pays autour de l'habitant, c'était le meilleur moyen de les connaître l'un et l'autre. Dis-moi où tu vis, je te dirais qui tu es182.
Pyat, soixante-et-un ans en 1871, était-il un des seuls révolutionnaires à raisonner en ces termes ? Son explicitation du procédé littéraire du type en 1841 ressemble fortement à une des techniques rhétoriques employées par la presse communaliste, dont certains animateurs avait fait leur médecine183. Cette presse donna à lire un territoire de Versailles dont les propriétés influençaient nécessairement ses occupants. Elle dépeignit un territoire typique pour cantonner l'ennemi à un type. Ainsi, quand L'Habitant rappelait que Louis XIV, visitant la zone pour son palais, « trouva pour toute séduction locale un marais », ce tableau vaseux de Versailles n'était pas oublié en 1871. Hippolyte Beaubeau de Secondigné, dit Secondigné, avait fondé en 1868 une feuille littéraire et théâtrale bientôt interdite pour parution sans autorisation, son directeur écopant d'un mois de prison. En 1871, son Bonnet rouge moqua « les grenouilles qui [demandaient] un roi » par des « croassements insensés dans leurs feuilles à gros numéros », grenouilles nommées Francisque Sarcey du Gaulois, Henri de Villemessant du Figaro et Louis Veuillot de L'Univers. L'animalisation, par allusion aux cris et à l'agitation des batraciens dans une marre, singeait les options idéolo176 « Pyat », J. MAITRON et M. EGROT (dir.), Maitron, op. cit. 177 M. JOURDAN, Le Cri du peuple, op. cit., p. 77, cite le gouvernementaliste Paris-journal qui affirmait le 8 mars que les « seuls journaux qui se [vendaient] sur la place Saint-Pierre à Montmartre » était Le Cri et Le Vengeur. 178 Michel COLOMBET-SCHIEFERER, Félix Pyat, 1810-1889. Révolutionnaire berrichon, Nice, Bénévent, 2011, p. 122. Son Chiffonnier fut représenté à partir de mai 1847 et « fit scandale ». 179 Un Bourreau dans Français. III, et un Berruyer dans Français. Province II. 180 L. ABÉLÈS, « La province vue par Les Français », chap. cit., p. 49. Onze sur les vingt-sept monographies provinciales furent dans ce cas. Leurs auteurs étaient la plupart du temps monté à Paris pour se faire un nom. 181 Ibid., p. 57. 182 F. PYAT, « Le Solognot », chap. cit., p. 233. La maxime finale m’a été signalée par Demartini, chap. cit., p. 90. Il était important de résistuer le paragraphe entier pour exposer le procédé d’écriture. 183 Lire supra, p. ??, n. ??
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giques de la presse rivale, adepte des « cancans » politiques au sens péjoratif184. Mais la métaphore était également inspirée par la terre d'adoption de ces rivaux : « témoin Sarcey, la grenouille-gauloise, qui croasse à son aise dans les marais de Versailles 185. » Henri Maret, qui avait lui aussi écrit des chroniques théâtrales, notamment pour Le Rappel en 1858, trouva à la mi-avril 1871 que « l'assemblée de Versailles [continuait] à donner des signes inquiétants d'aliénation mentale. » Les députés, loufoques, doutaient des « journaux [qui avaient] prétendu » que la France était en République depuis le 4 septembre. « Tout [divaguait] dans la cité de Louis XIV. Versailles [n'était] plus Versailles ; [c'était] Bicêtre ou Bedlam. » La cause du « delirium tremens » ? Le journaliste né en 1834 usait de la thèse aériste – part de la grille médicale néo-hippocratique –, en forme de propagande anti-gouvernementale. Je me souviens d'ailleurs qu'au moment où il fut question de ce séjour [à Versailles], le bruit se répandit que l'air y était putréfié. La maladie, qui aura commencé par M. Picard, aura gagné promptement les meilleurs cerveaux, puisque Langlois lui-même en paraît atteint. Une assemblée qui ne serait pas folle à lier, aurait immédiatement compris que dans un mois il lui sera difficile de discuter quoi que ce soit, attendu qu'elle ne sera plus pour la France qu'un sou venir désagréable186.
Malgré la faible distance géographique entre Paris et Versailles, un grande distance symbolique faisait de cette dernière un pays étranger à la capitale. L'Habitant relevait certes que mettre « simplement entre le siège de sa puissance et sa capitale quatre lieue », soit « une heure pour la vélocité éclair des huit chevaux du char royal », avait été une habile manœuvre de la part de Louis XIV. Même « pour les transports prolétaires, pour les sujets moins rapides », il ne fallait que deux heures à l'époque du roi. Pourtant, traçant une frontière infranchissable entre Paris et la province, Frémy assurait que cet « intervalle d'un moment » équivalait à « la différence de l'existence au sépulcre, d'une capitale à un cénotaphe », et qu'il était « juste le temps nécessaire pour que la population [s'étiolât] à l'ombre de Paris. » Versailles demeurait « le climat indécis, la distance mixte, la grande ville qui n'est ni noble ni grande, à moins de recouvrer les puissants arbitres de ses primitives destinées187. » Entre 1841 et 1871, j'ai montré que non seulement Versailles n'avait pas « recouvré » ce prestige, mais qu'en outre son image monarchique sans cesse réactivée avait achevé de la discréditer aux yeux des plumes républicaines. L'arrivée du rail est une constante des types provinciaux de Français. Le chemin de fer 184 « Grenouille », TLFi, op. cit. 185 Secondigné, « Les grenouilles qui demandent un roi ! », Le Bonnet rouge, 16 avril, p. 1, col. 1. Souligné par l'auteur. 186 Henry Maret, « Delirium tremens », Le Mot d'ordre, n° 52, dimanche 16 avril, p. 1, col. 1. Amédée Langlois, proche de Proudhon (collaborateur au Peuple, 1849), fit publier ses textes posthumes en tant qu'exécuteur testamentaire. Membre fondateur de la section parisienne de l'A. I. T., il demanda la déchéance de l'empereur le 4 septembre 1870. Commandant du 116e bat de la garde nationale, une grave blessure à Buzenval lui octroya le grade de colonel et la légion honneur. Élu le 8 février en 25e position dans la Seine, il se prononça contre l'insurrection le 18 mars, fut porté à la tête de la garde nationale par les maires, mais démissionna immédiatement pour devenir chef d'État-major de l'amiral Saisset. Grave maladie ! 187 A. FRÉMY, « L’Habitant », chap. cit., p. 7.
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symbolisait l'unification de la nation par la civilisation. Une véritable mise à niveau des provinces par rapport à la capitale qui provoquait parfois, dans les types, la crainte de voir disparaître des particularismes précieux188. Malgré sa proximité avec Paris, Versailles figurée par son Habitant n'échappait pas à cette règle : son dernier paragraphe affirmait que « la civilisation [avait] pris soin de justifier [les desseins de magnificence ou de folie de Louis XIV] ». Désignée implicitement – signe de la banalité de son évocation – le chemin de fer avait eu le pouvoir de « ressusciter » la ville. C'est un fait, un pont d'existence est jeté maintenant entre la capitale et la cité dynastique. Ne parlons plus d'intervalles ni de distances, un trajet d'une demi-heure les sépare à peine ! Versailles est devenu ce qu'il osait à peine rêver dans ses chimères lointaines, un faubourg, un quartier, la Nouvelle-Athènes de Paris. Voyez-vous la vapeur s'élancer en concurrence sur les deux rives de la Seine, et aller rejoindre à l'horizon ces fumées royales des vanités et des splendeurs évanouies ? Ainsi tout se succède et se remplace ici-bas, palais, ruines, cités, cercueils ; oui, la ville morte renaît de ses pompes ; elle reprend de la main des peuples son sceptre autrefois brisé par les peuples. Versailles est mort, vive Versailles189 !
Versailles potentiellement ressuscitée, peut-être, mais qui demeurait une dépendance de Paris, précisément à cause de sa proximité avec la capitale. L'avancée technologique du chemin de fer, quadrillant toute la France en 1871190, ne prêtait plus alors qu'à de simples renseignements. Pendant l'occupation prussienne, Le Cri informait par exemple de l'état du trafic ferroviaire à destination de Versailles, encore desservie par deux trains chaque jour au départ de la gare SaintLazare191. En revanche, une fois la guerre civile déclarée, cette perception géographique d'un Versailles jouxtant Paris devint un enjeu stratégique de premier ordre. Le fait que « le gouvernement de Versailles », c'est-à-dire « l'exécutif et l'Assemblée, [conspirassent] à cinq lieues de Paris » aurait dû être un argument suffisant pour que le Comité central déclenchât une attaque, dès le 20 mars192. À la même date, un « radical de Versailles » – ironique oxymore! – imagina, dans le système métrique, le raisonnement du gouvernement qui, certainement, était en train de « compter les forces dont [il] pouvait disposer, en cas d'agression de la part de ces maudits Parisiens, éloignés seulement de dix-huit kilomètres193. » Puis, fin avril, Le Mot d'ordre revint sur la sortie manquée du 19 janvier. Il apprenait à ses lecteurs qu'après les efforts accomplis par les troupes, « il aurait coûté peu de temps et de peine pour prendre Versailles, où les Prussiens affolés faisaient leurs malles en toute hâte ». La faible distance qu'il y aurait eu à parcourir lui fit sous-entendre que la décision du replis et de l'abandon des « avantages » procurés par le terrain n'avait pas tenu unique188 A.-E. DEMARTINI, « Le type et le niveau », chap. cit., p. 92. 189 « L’Habitant », chap. cit., p. 8. L’auteur appelait peut-être le lecteur à « voir » directement sur le cul-de-lampe signé Émy (« Table », Français. Province II, n. p.) qui clôturait le texte, rappelant le rôle éminent de l’illustration dans ce grand panorama des types. Le niveau de contraste sur Gallica ne permet pas de distinguer nettement les fumées des locomotives. 190 Larousse 15, op. cit., p. 935, décrivait ces connexions ferroviaires dès la 3e, signe de leur importance dans le rayonnement d’une ville. 191 « Renseignements », Le Cri du peuple, 22 février. 192 « Demain », id., mercredi 5 avril, p. 1, col. 3. 193 « Lettre de Versailles », L'Action, mardi 4 avril, p. 2, col. 3.
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ment à de « l'incapacité et de la bêtise », mais sans doute aussi à un choix délibéré, et donc coupable, des dirigeants de la Défense nationale194. Pour Anne-Emmanuelle Demartini, les types franciliens de Français relevaient de « pays géographiques » assimilés à la banlieue de la capitale, plus que de provinces à proprement parler. À ce titre, L'Habitant présentait un « type bâtard195 ». Certes, les différentes composantes de la Versailles venaient « s'unir et se confondre dans une figure spéciale qui [vivait], [existait] à l'état de signalement et de nuance caractéristique ». Un « provincial parisien » qui « [vivait] avec les pensées, les penchants, les instincts, la substance morale et politique de Paris », un « homme à la fois perspective et souvenir, vestige et actualité, écho du passé, répétition et reflet d'une capitale196 ». Certes, la phrase introductive faisait de Versailles un cas à part, qui n'était « déjà plus Paris, et [n'était] pas encore la province ». Mais l'historienne fait l'impasse sur la suite, où Frémy annonçait d'emblée que dès l'entrée dans « cet Herculanuum dynastique jeté par le hasard d'une volonté puissante presque aux portes d'une capitale », le visiteur voyait « tout [changer] et se [diversifier], habitants et conditions, mœurs et physionomies 197 ». L'Habitant de Versailles ne pouvait rien avoir en commun avec celui de Paris. Le contexte guerrier de la Commune abolit définitivement toute idée de continuité territoriale ou d'acculturation progressive : dans la rhétorique communaliste, une frontière nette séparait non pas des « pays géographiques » en passe de se confondre, mais deux territoires incompatibles. « Entre le Pékin rural que gouverne Thiers et la capitale française, il y a une muraille en porcelaine dont rien ne peut définir l'épaisseur », notait Le Mot d'ordre, dans une allusion à la manufacture célèbre de Sèvres, ville située sur la route de Versailles. À la liste de différences entamée par Frémy trente ans plus tôt, la plume communaliste ajouta d'ailleurs qu'une « métamorphose du langage », enlevant aux mots « leur signification habituelle et logique », transformait le moindre partisan du gouvernement en « honnête homme ». Mais celui qui signait « un rural », comme pour assurer de sa connaissant du terrain, précisa encore, toponymie à l'appui, les bornes de ce « territoire versaillais » aux propriétés particulières198. Il délimitait ainsi une frontière tracée entre, au Nord, Genevilliers et Colombes, et au Sud, Sèvres, ce qui correspondait au front des troupes gouvernementales à l'Ouest de Paris. La guerre des mots employait la notion de « territoire » pour rendre étrangères les bases arrières de l'ennemi de la guerre civile. Ces déterminismes géographiques hérités de L'Habitant et repris par la presse communaliste servaient donc à ridiculiser une Versailles rurale par nature. Frémy prévenait qu'en 1841, la 194 195 196 197 198
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« Lettre de Versailles », Le Mot d'ordre, dimanche 23 avril, p. 1, col. 1. Lire infra, « Annexes ». A.-E. DEMARTINI, « Le type et le niveau », chap. cit., p. 90. A. FRÉMY, « L’Habitant », chap. cit., p. 4. Ibid., p. 1. « Lettre de Versailles », Le Mot d'ordre, dimanche 23 avril, p. 1, col. 1. Lire infra, « Annexes ».
ville « [était] à la fois mieux et moins bien que la province, au dessus et au-dessous de la petite ville de Picard199. » Sa référence se voulait évidente pour le lecteur d'alors. Louis-Benoît Picard (1769-1828) compta parmi les dramaturges les plus éminents de son temps : élu à l'Académie française en 1807, il prit la direction de l'Opéra la même année avant d'être nommé à la tête du théâtre de l'Odéon en 1816. Sa spécialité était les portraits de la vie rurale et provinciale 200. La Petite ville compta parmi ceux-ci et fut l'un des « immenses succès », dès sa création en 1801, d'une production prolifique qui inspira aux critiques les plus enthousiastes le qualificatif de « petit Molière du XIXe siècle »201. Toute son intrigue correspondait au projet de Picard formulé dans une préface de 1797 : atteindre « le véritable but » de la comédie, soit peindre les mœurs de la société. Les deux héros, Parisiens voyageurs, se voyaient contraints de séjourner dans une bourgade pour réparer leur chaise à porteur. Ils tombaient amoureux mais refusaient le mariage, se querellaient en conséquence avec un notable du coin, ou s'étonnaient de la décoration démodée des demeures bourgeoises. Si la localité n'était jamais nommée, un passage justifie la mention qu'en fit L'Habitant. DESROCHES. – Nous sommes deux parisiens, qui voyageons pour notre plaisir et notre instruction. DELILLE – Et qui, sur la réputation méritée dont jouit dans toute l'Europe la ville que vous habitez, nous sommes empressés d'y venir passer un instant. DESROCHES. – Pour en observer le site et les monuments. DELILLE. –Pour y jouir surtout de tous les agréments de la société qu'elle renferme202.
S'il faut y lire l'ironie de la comédie décrivant n'importe laquelle de ces villes de provinces typisées, et aucune en particulier, et qu'il s'agissait pour les visiteurs de flatter leur hôtesse, la mention de la réputation internationale et des monuments rappelle l'introduction du Grand dictionnaire à la visite de Versailles. Picard avait-il la cité royale en tête lorsqu'il composait ces répliques ? Quoi qu'il en soit, une « Mme de Senneville » – au nom fluvial ? – endossait la critique provinciale de Paris, hypocritement : « (à part) Je n'aime pas ces gens de Paris. Ils ne viennent que pour enlever nos femmes, ou gagner notre argent. » Tout haut, elle s'enquérait tout de même : « Et bien, Messieurs, qu'y a-t-il de nouveau à Paris ? Que deviennent les Lycées, l'Institut ? Que disent les journaux ? Fait-on toujours beaucoup de satires203 ? » Frémy reprit à son compte cette dialectique de la jalousie entre Paris et la « petite ville ». À Versailles, « le ridicule lui-même, dernière ressource des esprits blasés, [procédait] de Paris. » La « pauvre ville [n'avait] même pas ses fatuités ni ses prétentions à soi204 ». Autrement dit, ni la bourgeoise de La Petite ville, ni L'Habitant, ne possédaient d'indépendance de goût vis-à-vis de la capitale. Les codes de la « satire » se fixaient à Paris, en 1801 comme en 1841. Le Dictionnaire de l'Académie de 1798 définissait satire à la fois 199 A. FRÉMY, « L’Habitant », chap. cit., p. 3. Souligné par l’auteur. 200 « Picard », J. E. HESELTINE et Paul HARVEY (dir.), The Oxford Companion to French Literature, Oxford, Clarendon press, 1959. Les Marionnettes (1806), Les Ricochets (1807), ou Les Deux Philiberts (1816) témoignent de cette spécialité. 201 « Picard », Henry LYONNET, Dictionnaire des comédiens français : ceux d’hier. Biographie, bibliographie, iconographie [1902-1908], fac-sim., Genève, Slatkine, 1969, p. 530. 202 Louis-Benoît PICARD, La Petite ville, comédie en quatre actes et en prose, Paris, Huet et Charon, 1801, p. 50. 203 Ibid., p. 18. 204 A. FRÉMY, « L’Habitant », chap. cit., p. 3.
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comme « tout écrit ou discours médisant, piquant contre quelqu'un » et comme tout « ouvrage moral en prose ou en vers, fait pour reprendre, pour censurer les vices, les passions déréglées, les sottises, les impertinences des hommes, ou pour les tourner en ridicule 205. » Or satire avant la Révolution française et pamphlet au XIXe désignèrent successivement la même technique rhétorique, dont Le Mot d'ordre, Le Cri du peuple ou Le Vengeur firent l'un des étais de leur « parole pamphlétaire206 ». La langue colorée du Père Duchêne et le ton chantant de La Carmagnole héritaient eux aussi de la presse satirique citée par le personnage de Picard. En 1871, Versailles fut donc logiquement décrite comme « la petite ville [où] on ne parle que de mettre à la raison ces brigands de Parisiens207. » Et les fonctionnaires des finances du gouvernement devinrent de médiocres « comptables de Fouilly-l'Embreneux », ville imaginaire dont le lecteur, repus de la grandeur de Paris, put moquer facilement la petitesse208. Louis Dramard, qui fonda avec Benoît Malon La Revue Socialiste en 1880, raconta l'année précédente son Voyage au pays des proscrits. L'homme devint socialiste au contact des exilés de la Commune, pendant ce reportage. Son témoignage montre la persistance, dans les mémoires de 1871, des perceptions géographiques de Versailles et du même coup, leur large diffusion pendant l'événement. En avant-propos, il garantissait ne pas livrer un récit des « héros » de la Commune, mais un simple recueil d'« anecdotes typiques » sur un petit groupe d'amis rencontrés à Genève. L'objectif était aussi de contrer les histoires farfelues des « cancans de petite ville » qui circulaient en 1879, à l'approche de l'amnistie. Car son premier chapitre, qui expliquait les raisons de son départ pour la Suisse, s'intitulait « une petite ville pendant la Commune ». L'auteur s'engagea d'abord, presque à contre-cœur, et par patriotisme contre les Prussiens, dans l'« armée.... versaillaise ». Dégoûté par les « calomnies » des « journaux de l'ordre », il ne combattit pas et se fit fort de distribuer aux « provinciaux » parmi lesquels il habitait, les « publications au picrate de potasse » qu'étaient Le Cri du peuple et Le Père Duchêne. Ce qui, après la semaine sanglante, quand la dénonciation battait son plein, le força à se justifier auprès des « bon bourgeois du pays » qui l'accusèrent de sympathies pour l'insurrection saignée à blanc : « je n'avais jamais fait profession d'adhérer à la Commune. J'étais antiversaillais, voilà tout. » Il s'exila tout de même, par prudence. Or, quelle était cette bourgade qui lui offrit le refuge d'une maison paternelle, au printemps 1871 ? Une « petite ville de Seine-et-Oise » nichée au cœur du « territoire versaillais209 ». 205 Dictionnaire de l’Académie françoise, revu, corrigé et augmenté par l’Académie elle-même. Cinquième édition, Paris, J. J. Smits, 1798, vol. 2/2, p. 538. 206 Marc ANGENOT, La Parole pamphlétaire. Contribution à la typologie des discours modernes, Paris, Payot, « Langages et sociétés », 1982, p. 21. Cite les trois journaux en annexe au sein d’un vaste corpus de pamphlets, p. 357. 207 « Versailles », Le Mot d'ordre, n° 34, samedi 1er avril, p. 1, col. 5. 208 Georges Duchêne, « Vieux habits, vieux galons ! », La Commune, dimanche 7 mai, p. 1, col. 1. 209 Louis DRAMARD, Voyages aux pays des proscrits. Scènes de la vie d’exil, 2e éd., Paris, Marpon et Flammarion, 1879, p. 5-10.
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Députés « ruraux » par acclimatation Ce territoire dépeint par la presse communaliste correspondait peu ou proue au département de Seine-et-Oise, dont Versailles était le chef-lieu depuis la Révolution. Reprendre le découpage par département délimitait une frontière supplémentaire, administrative, entre les deux camps. Mais une nouvelle fois, l'essentiel de la stigmatisation relevait de l'opposition entre la grande ville et la ruralité. La typologie des Français avait choisi l'unité territoriale de la province pour découper la France, laquelle alors était « encore vivace dans l'imaginaire territorial » en comparaison de la division départementale jugée arbitraire et diluante pour les « identités historiques et naturelles »210. Pourtant L'Habitant s'inscrivait pleinement sans son département, à la ruralité pittoresque pour la plume parisienne : « l'été, les alentours de Versailles se [parsemaient] de petites fêtes champêtres, telles que Viroflay, Saint-Antoine, les Loges, la Celle », qui avaient lieu « dans des sites enchanteurs », autour du parc du château, « semé partout d'allées percées avec grâce, d'agaçants point de vue, d'à-propos ravissants d'aspect et de perspective. » L'Habitant, ici « raffiné versaillais », y dansait la « trénis » dans des « quadrilles de haute volée », il y « [dessinait] les pas, [battait] les six (à Versailles, l'entrechat [était] encore admis). » Et ces « raouts de banlieue » se donnaient au son de « l'orchestre de Braqui », spécialiste de la « contredanse plébéienne et villageoise », que Frémy appelait « le Musard de Seine-et-Oise »211. La comparaison avec Philippe Musard, célèbre compositeur de danses parisiennes mort en 1859, réduisait le département à une pâle copie rurale de Paris. Un département qui, malgré sa grande diversité liée à son extension géographique immense entourant totalement Paris, était perçu en 1871 comme essentiellement dévolu à l'agriculture et à l'élevage. Ainsi, le Grand dictionnaire informait en 1872 que « la quantité de céréales cultivées dans Seine-et-Oise [était] supérieure à la consommation de sa population 212. » Si la Révolution n'avait alors pas encore redécoupé la France, sa notice sur Versailles singeait même le dernier roi de France et sa reine en artisans campagnards, lui « s'occupant de serrurerie et de géographie », pendant que « Marie-Antoinette jouait à la fermière au petit Trianon213. » La presse communaliste assimila intégralement son chef-lieu au département, créant un terreau favorable au « Versaillais » rural. Car, si les députés élus le 8 février étaient couramment qualifiés de hobereaux et de « ruraux » parce que l'Assemblée représentait majoritairement le suffrage des campagnes auquel s'opposaient les révolutionnaires de la ville, leur stigmatisation fut indéniablement soutenue par les caractéristiques du territoire de Versailles. Une rhétorique qui cantonnait drastiquement le périmètre et la portée de leurs décisions. Le Drapeau rappela au lecteur la résidence de l'Assemblée, mentionnant qu'elle avait décrété un « état de siège permanent en 210 211 212 213
A.-E. DEMARTINI, « Le type et le niveau », chap. cit., p. 87. A. FRÉMY, « L’Habitant », chap. cit., p. 5. Souligné par l’auteur. P. LAROUSSE (dir.), Larousse 8, op. cit., p. 496. Larousse 15, op. cit., p. 936.
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Seine-et-Oise (Versailles)214. » Henri Rochefort, ancien membre de la Défense nationale, déplorant les bombardements de civils, appuya l'illégalité de ceux-ci en accusant « les hommes du Gouvernement de Seine-et-Oise215 ». L'Affranchi, qui se proclamait pourtant « journal des hommes libres », exhorta à l'application du décret des otages adopté par la Commune le 7 avril, en « réponse aux traîtres réfugiés en Seine-et-Oise », désignant de la sorte les « cinq cent ruminants de l'Assemblée216 ». Rochefort à nouveau, plus tard dans le mois, fila la métaphore agraire pour réagir à la proposition du ministre de la Justice d'organiser de nouvelles élections à Paris. Le polémiste commençait par rappeler les trente-trois maigres voix obtenues par Jules Dufaure le 8 février dans la capitale, contre cent-quarante mille pour Charles Delescluze. Pour conclure qu'un nouveau scrutin « [laisserait] indubitablement sur le carreau tout le troupeau qui broute dans Seine-et-Oise217. » Ce double statut de Versailles – « petite ville » et cœur d'un territoire rural – entachait donc de ridicule toutes les prises de positions des députés. Ces déterminismes géographiques qui déteignaient sur les pensionnaires permirent la pleine expression du ressort satirique de la propagande communaliste. Leur traitement de la question des loyers, à ces « législateurs qui [décidaient] pour Paris alors qu'ils [n'avaient] jamais vu le Palais-Royal », devait être tenue par les Parisiens « comme nulle et non avenue ». Ils ne devaient en aucun cas « prendre au sérieux les amusettes de ces villageois en vacance218. » Plus tôt déjà, la même plume, pour commenter les démissions des « vrais, des grands, des purs » républicains parisiens, stigmatisa le reste des « villageois ». Alors que la « décapitalisation » venait d'être votée, la question de l'insondable distance symbolique entre les deux cités rejaillissait également. Il y aura quelque part, à six mille lieues du boulevard Montmartre, par-delà les glaces (j'ai nommé Versailles), une sorte de comice agricole permanent, où l'on couronnera alternativement des porcs et des rosières, sous la protection des sept cents malheureux canons laissés par Guillaume à la France219.
Jean-Baptiste Clément, au jeu des propagandes contradictoires ponctuées de pronoms vagues et dévalorisants pour désigner l'ennemi, comme d'apostrophes directes au lecteur, informait qu' « à Versailles, on [venait] de dépenser six cent mille francs pour recevoir les ruraux », alors que le gouvernement envisageait de supprimer les trente sous de la solde du garde national. Car « vous savez, Parisiens, que la maison de campagne des représentants de la France, qui traitent avec les rois et les barbares, est définitivement fixée à Versailles », exhorta le poète220. Espérant que cette bicoque campagnarde de l'Assemblée, si je puis dire, soit rasée sous peu, c'est-à-dire dissoute, La 214 215 216 217
Le Drapeau, dimanche 19 mars, p. 3, col. 4. Le Mot d'ordre, jeudi 6 avril, p. 1, col. 3. L'Affranchi, vendredi 14 avril, p. 1, col. 2 et p. 2, col. 2. « Le chapitre des illusions », Le Mot d’ordre, vendredi 30 avril, p. 1, col. 1. La forme « dans Seine-et-Oise » employée par le dictionnaire et par Rochefort semble insister sur l’étendue, la surface de la zone. « Dans », TLFi, op. cit. 218 Henry Maret, Le Mot d'ordre, samedi 22 avril, p. 1, col. 6. 219 Henry Maret, « Les démissions », n° 36, dimanche 12 mars, p. 1, col. 1. 220 Jean-Baptiste Clément, « Carmagnoles », Le Drapeau, dimanche 19 mars.
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Commune avançait, encore prudente, que la décision semblait vraisemblable, car elle permettrait aux « ruraux de se mettre à l'abri des éclaboussures de la bagarre qu'ils [avaient] provoquée ». Et « faciliterait singulièrement la solution d'un conflit aggravé par l'aveugle obstination des représentants villageois221. » Depuis le type de Frémy, Versailles était associée à un espace rural, lieu d'une vie simple, en opposition au Paris de la modernité et du monde industriel naissant. Lors de la « décapitalisation » de 1871, ces représentations entrèrent en résonance avec la notabilité provinciale des députés, amplifiant et facilitant les attaques rhétoriques portées sur ce thème à leur encontre. Toute la presse républicaine, percluse de l'ubris urbaine, tint ce langae. Même La Cloche gouvernementaliste, le 1er mars, écrivit que Versailles « [était] un peu la campagne, une campagne bien peignée, aristocratique, qui [avait] fait sa toilette, mais [c'était] la campagne. » Si elle venait à recevoir effectivement l'Assemblée, cela justifierait que cette dernière portât le nom de « rurale que lui [donnèrent] les mécontents de tous les régimes », ajoutait Émile Zola dans le même numéro 222. L'écrivain ne s'était pourtant pas distingué pour ses sympathies à l'égard du Paris révolutionnaire 223. En un mot, la ville royale avait quelque chose de bucolique. De 1845 à 1911, la librairie Hachette fit paraître au moins cent-quarante recueils de littérature latine classique224. Les « forts en thème » de la presse communaliste connurent peut-être cette collection pléthorique. Servit-elle de manuels ? En tout cas, l'un de ces journalistes éduqués, au parcours demeuré mystérieux, fusionna l'imaginaire d'une Versailles rurale, la sociologie des députés et leur anti-républicanisme dans une seule référence aux Bucoliques de Virgile, dont une traduction parut en 1845 dans la collection mentionnée225. Il épingla une « Assemblée des Tytires226 ». La concision de la formule ne dut en rien lui ôter en efficacité. En effet Tytire, dans la première églogue de Virgile, était un berger insouciant, propriétaire terrien vivant au contact de la nature : il convenait au tableau d'un « Versaillais » de pastorale, antithèse du Parisien industrieux de 1871. Mais le personnage symbolisait en outre, chez Virgile, le client du triumvir Octave à qui l'on avait octroyé une terre pour ses faits d'armes, face à un Mélibée exproprié, désolé de devoir quitter sa terre. En 1871, une assemblée associée à une telle figure tutélaire n'avait donc pas la moindre légitimité à légiférer sur les loyers de Paris.
221 « Dernière heure », La Commune, n° 14, dimanche 2 avril, p. 1, col. 1 (encart). 222 Jean-Louis BIGET, Le Mois de mars à Paris en 1871, Diplôme d’études supérieures, Université de Paris, Paris, 1960, p. 118. 223 Lire Paul LIDSKY, Les Écrivains contre la Commune [1970], nouv. éd. aug., Paris, La Découverte, « Poche/Essais », 2010, 199 p. 224 Catalogue en ligne de la B. N. 225 VIRGILE, Bucoliques [c. 37 av. n. è.], trad. par Alain DESPORTES, Paris, Hachette, « Les auteurs latins expliqués par une méthode nouvelle », 1845, 126 p. 226 Capdevielle, « Les échéances et la faillite », La Commune, n° 2, mardi 21 mars, p. 2, col. 2.
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Visibilité et disparition d'un autochtone Avatars démographiques Dans le déchaînement polémique de la Commune, que devint le Versaillais, l'habitant de Versailles – sans guillemets ni italiques ? En plus de sa ruralité, sa démographie et sa sociologie campaient depuis longtemps la « petite ville » de Versailles et sa population dans un passé révolu. « Lorsqu'on remonte à l'histoire de cette fondation », « rien de plus logique, rien de plus naturel que les habitants de cette ville aient pour indice, pour physionomie principale de n'en avoir point », notait déjà Frémy. En effet la pétrification a dû se conserver à la fois dans la population et les choses ; cette population n'est après tout qu'une forme d'époque, une couche exacte, un siècle dont l'enveloppe s'est précieusement conservée227.
Cette suspension du temps avait accouché d'une « population bâtarde [mûrie, grandie, développée] après deux siècles au soleil factice de la cour de Louis XIV ». Elle descendait « des favoris de toute espèce » jadis rassemblés « ex abrupto » par le roi228. Au sein de cette population, « l'ex-habitant du château, cet aristocrate à part », méritait une monographie particulière à l'avis du littérateur, parce qu'il incarnait une « féodalité d'antichambre » au comble de la désuétude. Les privilèges se sont enfuis, mais le type est resté, et vous le voyez errant dans les allées du parc, principalement dans celle des soupirs, le sein gonflé, poudré à frimas, la fleur de lis à la boutonnière, jetant un œil de désespoir sur ces croisées du troisième étage où fut sa demeure, l'ancien asile de son dévouement, sans l'impôt des portes et fenêtres 229.
La presse communaliste, sur ce modèle, mit en scène conjointement l'imaginaire de la ville royale avec celui d'une population figée dans le temps et prisonnière d'une certaine déchéance. Une telle rhétorique creusait encore le fossé avec un Paris dynamique, dont la Commune incarnait le potentiel vivifiant pour la société. L'Habitant de 1841 avait vraisemblablement pu séjourner à la cour royale. Pourtant, quatre générations après que cette dernière eût quitté la ville, dans une démarche presque sociologique, un certain Jean Labour évoquait encore une « petite bourgeoisie issue elle-même en grande partie des serviteurs retraités de la couronne et de la cour », des « nobles à peu près ruinés », « des moyens et petits rentiers n'ayant que des ressources insuffisantes pour faire figure à Paris » et « quelques vieilles familles de souche honorables230 ». Son tableau ressemble étonnamment à celui de Frémy, qu'il a peut-être lu. En outre, ces représentations dévalorisantes de la population versaillaise se fondaient sur une fragilité démographique avérée : 25 % de ses habitants dépassaient les cinquante ans (contre 20 % de moyenne nationale) et seulement 30 % 227 228 229 230
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A. FRÉMY, « L’Habitant », chap. cit., p. 3. Ibid., p. 7. Ibid., p. 4. Souligné par l’auteur. « Lettre de Versailles », L'Action, 5 avril, p. 1, col. 6. Lire infra, « Annexes ».
étaient âgés de moins de vingt ans (contre 36 %). Une « bourgeoisie rentière et propriétaire » peinait effectivement à maintenir une descendance sur place. Mais, signe que la presse communaliste présenta les aspects convenant le mieux à une propagande, ouvriers, migrants saisonniers et journaliers y étaient également nombreux à la fin du Second Empire, logés dans des garnis231. Cependant, sa fonction originelle perdue, Versailles apparaissait avant tout comme une ville déserte et dépeuplée. En 1841, pour Frémy, elle n'était qu'« une royale et magique hôtellerie sans ses hôtes, une construction faite pour héberger du temps de la cour quatre-vingt mille personnes, et qui aujourd'hui n'en compte plus que vingt-huit mille232 ». En 1871, Jean Labour restituait la même impression d'une ville à l'abandon en comparaison de ces fastes d'antan, même si ses chiffres étaient plus élevés que ceux de L'Habitant. Si « au temps de sa splendeur, Versailles compta jusqu'à 100,000 habitants mi-partie noblesse, mi-partie valetaille », elle n'en comptait plus que « 43,000, aujourd'hui », et était présentée comme un « véritable cul de sac de la royauté et de la religion233 ». En effet, sur l'ensemble du siècle, le solde naturel de la ville fut négatif. En 1861, ce qui confirme les chiffres avancés par le journal de Lissagaray, elle comptait près de quarante-quatre mille habitants, sans la garnison234. Le Grand dictionnaire prend acte d'une dégringolade démographique, puisqu'il dénombrait, en 1876, trente-six mille âmes 235. Versailles se prête à des études de démographie historiques car elle fit l'objet de recensements annuels continus entre 1824 et 1882. Cette situation exceptionnelle permet d'y « repérer les anomalies et les fantasmes du XIX e siècle ». La ville, connaissant le « taux de suicide le plus élevé » (de France supposé-je, devant l'absence de précision), relevait ainsi d'un « cas pathologique236 » dont la presse communaliste sut se saisir dans la guerre des mots de 1871. L'autochtone de Versailles devint l'allié naturel d'un gouvernement dont les politiques furent continuellement qualifiées de passéistes. Ainsi, feignant de se demander si la qualité majoritairement ouvrière des élus de la Commune n'avait pas effectivement guidé la décision de bombarder Paris sans vergogne, Rochefort opérait la jonction entre Versaillais, résumé à une noblesse déchue, et « Versaillais », type servant à désigner l'ennemi. Des individus caractéristiques de l'intemporelle sociologie versaillaise servaient au conseil de Thiers. En vain, pour essayer de faire accroire aux puissances étrangères que les choses sont encore dans le même état que du temps de Philippe-Auguste, cet ancien roué continue-t-il à choisir ses ambassadeurs parmi la fine fleur de la gentilhommerie versaillaise. En vain, on lit tous les matins dans son Officiel des annonces comme celles-ci : « M. le marquis de Saint-Cucufin est nommé ministre plénipotentiaire de France aux îles Philippines ; M. le duc de la Vieille-Montagne est envoyé au Guatemala en qualité de consul de première classe ; et M. le comte de Latour-Prends-Garde vient d'être choisi pour représenter le 231 Claire LÉVY-VROELANT, « Fragilité de la famille urbaine au XIXe siècle: itinéraires versaillais de 1830 à 1880 », Population, 43-3, mai 1988, p. 644, 650. 232 A. FRÉMY, « L’Habitant », chap. cit., p. 3. 233 « Lettre de Versailles », L'Action, 5 avril, p. 1, col. 6. Lire infra, « Annexes ». 234 C. LÉVY-VROELANT, « Fragilité de la famille urbaine », art. cit., p. 641. 235 Larousse 15, op. cit., p. 935. 236 « Fragilité de la famille urbaine », art. cit., p. 639.
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gouvernement auprès de la République argentine, » Tout ce cabotinage ne fait plus illusion à personne. Vos ambassadeurs sont des momies, votre assemblée nationale est une pétrification géologique, vos discours et vos circulaires sont écrits en langue morte, et si vous régnez encore quelque part, c'est dans un cimetière 237.
Un résistant ? L'occupation prussienne de la ville infléchit la dénonciation d'une population versaillaise moribonde enserrée dans de vieilles structures démographiques. Le 4 février, la morosité de la ville n'était plus d'une indiscutable Vérité, et offrait « un spectacle assez curieux » car, « chose étrange, Versailles ordinairement si triste, [était désormais] plus animé que Paris 238 ». Sous le joug de l'occupant étranger, la presse républicaine attribua aux Versaillais un certain courage patriotique, voire quelques tentatives de résistance. Malgré les déterminismes propres à sa ville, un Versaillais acceptable affleura temporairement, qui, au même titre que le Parisien, était un envahi. Certes, pour le gouvernementaliste Journal des débats, soucieux de valider la toute récente signature de l'armistice, la cohabitation avec l'occupant se passait bien. Curieusement relayé par Le Mot, son tableau irénique montrait que les vivres « [étaient] en très grande abondance », que les prix étaient « très modérés » et qu' « aucune maison [n'avait] été détruite ni dévalisée ». Surtout, les « Français qui [étaient] restés », s'ils s'étaient abstenus « de se mêler dans les promenades des officiers prussiens », n'étaient pas molestés239. En revanche, pour les journaux plus républicains, davantage patriotes et dont le principal dénominateur commun était la volonté de poursuivre une « guerre à outrance », la population versaillaise secouait le joug. Le Vengeur, parmi les plus rouges, commenta une correspondance allemande qui revenait sur les effets psychologiques « à Versailles » des sorties de l'armée française les 23 octobre et 19 janvier. La dernière n'y « avait produit aucune émotion ». La première, en revanche, « avait répandu la joie dans le cœur des Français, la consternation chez les Prussiens. » La nationalité des habitants, facteur identitaire partagé au-delà des différences entre les deux cités, était à nouveau soulignée. Alors que les troupes manœuvraient, « les Versaillais » avaient appelé à de « la vigueur, de l'audace », afin que le coup contre le quartier-général de l'ennemi fonctionnât. Mieux, ces habitants patriotes faisaient « craindre un soulèvement général240. » Les « on-dits » du Rappel rapportèrent des bruits similaires. Au moment où la seconde armée de la Loire se repliait au Mans, où elle était battue le 10 janvier, « les Versaillais envoyèrent messagers sur messagers au général Trochu » pour l'informer de la décision d'Helmuth von Molke, commandant en chef de l'armée ennemie, de priver 237 238 239 240
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« Les vieux de la vieille », Le Mot d'ordre, mardi 9 mai, p. 1, col. 1. Je souligne. « Chronique de Versailles », La Vérité, samedi 4 février, p. 1, col. 4. « Informations », Le Mot d'ordre, n° 1, 3 février, p. 2, col. 2. « Nouvelles de l'intérieur », Le Vengeur, 4 février, p. 2, col. 5.
temporairement Versailles d'une partie de ses troupes défensives241. Pour cette chronique satirique, coutumière de la pique ravageuse, ce ton informatif relevait presque du compliment. Ces descriptions témoignent sans doute d'une héroïsation de concitoyens en butte à l'occupation étrangère, afin d'entretenir la flamme patriotique du lecteur parisien. Il n'empêche que Versaillais, doté de la majuscule d'usage pour le gentilé, apparut avec une acception neutre dans les colonnes de deux fers de lance de la presse républicaine. Sous la Commune, cette typographie fut d'ailleurs conservée. « N'allez pas à Versailles » tonnait toutefois un des premiers Cri, fin février. Le patriotisme de sa population n'était pas ouvertement remis en cause, mais une « catégorie d'habitants » – propriétaires de maisons, gérants ou concierges – avait reçu l'ordre « du général prussien commandant la place » d'informer la police prussienne de toute arrivée d'un visage inconnu, et même d'un habitant qui se serait absenté depuis plus de huit jours. Précaution utile pour des « monarques tellement aimés qu'ils ont peur qu'on les mange 242. » Un doute subsistait tout de même sur la sincérité des Versaillais. Darien, en 1889, relayait à sa manière satirique une suspicion peut-être répandue en 1871. Le père du jeune narrateur vivait d'une entreprise de chantiers, et il mit ses talents au service rémunéré des Prussiens. « Papa travaille pour les Prussiens pour les aider à bombarder Paris », concluait donc l'enfant, ingénu. « Ton père est un bourgeois, voilà tout », statuait le vieux républicain Merlin243. Derrière ces répliques, le romancier entendait rappeler que la population versaillaise n'avait peut-être pas été uniquement patriote.
Émigration et assimilation Au moment de la proclamation de la Commune, Darien raconte que plus de deux cent mille hommes et femmes de « toutes les classes de la société » se regroupèrent à Versailles, suivant le gouvernement et l'Assemblée244. Son narrateur précisait que les nombreux fonctionnaires du gouvernement, logés chez l'habitant, furent perçus par les autochtones comme une nouvelle force d'occupation après la soldatesque prussienne. L'ampleur exacte de cette émigration est impossible à chiffrer. Néanmoins, il est indéniable que l'autochtone de Versailles fut submergé physiquement dans une ville qui, jadis dépeuplée, connu pour 1871 un solde migratoire très positif – pour parler en démographe. Or ce repeuplement massif noya également l'autochtone dans le flot des incriminations contre l'ennemi typisé. Autrement dit, une fois allumée l'insurrection de Paris, les discours qui la soutenait amalgamèrent totalement Versaillais à « Versaillais », et l'autochtone disparut des colonnes de la presse communaliste. 241 242 243 244
« On-dits du remparts », Le Rappel, 10 février, p. 2, col. 2. « Nouvelles », Le Cri du peuple, 23 février. G. DARIEN, « Bas les coeurs [1889] », chap. cit., p. 292. Ibid., p. 307.
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Dès le 21 mars, Auguste Vermorel, emprisonné à Sainte-Pélagie en 1868 et en 1870 pour délit de presse, doutait déjà de la sincérité républicaine des Versaillais. Le clivage avec les Parisiens, désormais passés maîtres de leur destin, commençait à poindre, en même temps que la plume reléguait désormais les troupes gouvernementalistes à une force qui « [occupait] Versailles245 ». Deux proclamations du maire Rameau, l'une datée du 18 mars à 10 h du matin, l'autre du lendemain à la même heure, démontraient – sans commentaires –, que la municipalité du cheflieu de Seine-et-Oise, représentant ses habitants, ne témoignait d'aucune solidarité pour le mouvement communaliste. Les « quelques alarmes » qui avaient eut lieu dans la nuit n'étaient rien de grave, assura le maire à ses administrés le 18, car la troupe stationnait à Belleville et aux Buttes Chaumont. L'édile condamna tout de même ces troubles, « rébellion contre le pouvoir exécutif de la République ». Le lendemain, la débâcle du gouvernement lui ayant été confirmée, il la présenta comme la pure volonté de Thiers de venir se fixer près de l'Assemblée, afin de fluidifier la chaîne des commandements. Mais il se fit aussi plus alarmiste, condamnant des « événements déplorables », de « cruelles épreuves » pour la République, « imposées par les passions anarchiques. » En revanche, d'une façon identique dans les deux textes, il exhortait « ses chers concitoyens » à rester strictement fidèle au pouvoir en place, et même à « justifier la confiance dont [il les avait] honorés en venant dans [leurs] murs. » Pour le Parisien lisant, grâce au journal communaliste, les déclarations du maire, pas de doute : la population allait déjà au-delà de ces exigences – tout électoralisme mis à part. La ville de Versailles, qui n'a rien à redouter, grâce aux forces dont le gouvernement dispose, a de grands devoirs à accomplir. Il faut surtout que notre armée soit bien accueillie par elle, et à cet égard, je suis heureux de pouvoir féliciter notre population des excellentes disposi tions qu'elle a déjà manifestées246.
Dans le lexique de la presse, la transition sémantique s'opérait peu à peu alors que le conflit ouvert éclatait début avril. À Versailles, qui ne pourrait jamais être que « la petite capitale », « les esprits [étaient] inquiets », car « la population qui, jusqu'ici [avait été] du côté de la Chambre [commençait] à s'apercevoir qu'elle [faisait] fausse route. » Elle devait désormais choisir entre « la monarchie et la République, les ténèbres et la lumière, entre la mort et la vie ». Les gens se regroupaient pour discuter la question, s'échanger les dernières nouvelles. Le journaliste, afin d'appuyer le bien fondé de la Commune, décrivait une population encore apte à recouvrer la raison. Or, après avoir souligné qu'un simple avis de la préfecture « [fit] disperser tout le monde », sa phrase de chute donnait à Versaillais sa charge péjorative : « ah ! c'est qu'ils sont plus terribles en paroles qu'en..... action, MM. les Versaillais247 ! » Car là, la blague pouvait aussi sonner comme une provocation à l'intention du gouvernement, qui affirmait déjà à qui voulait l'entendre que l'insurrection 245 Pas de confusion possible : les Prussiens ont quitté la ville le 12. 246 « Proclamations du Maire de Versailles », L'Ordre, n° 2, mardi 21 mars , p. 2, col. 1. 247 « Versailles », L'Action, n° 1, mardi 4 avril, p. 2, col. 2.
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serait vaincue sous peu. Quant à lui, Le Mot assura que « la population versaillaise » refusa de collaborer avec « l'armée rurale248 ». Mieux, « les Versaillais en [étaient] à regretter les Prussiens ». Les autochtones apparaissaient-ils comme des alliés potentiels de la Commune ? Non, car dans le même texte, le journaliste utilisait l'expression d' « État versaillais ». Manière de délégitimer l'autorité du gouvernement en l'inscrivant lui et son « monde administratif » dans un territoire qui lui correspondait pleinement249. Un territoire qui n'appartenait donc plus, sur le plan du discours, à ses autochtones. L'indifférenciation entre les autochtones et l'émigration fuyant la Commune devint bientôt complète. Gouvernement et Assemblée sis à Versailles avaient décrété l'état de siège du département. Inutile, car « la population [de Seine-et-Oise], archi-pourrie, corrompue, avilie, n'était pourtant pas bien à craindre250. » Dans le « tableau parfait » du Times adoubé par Le Cri, le journaliste dépassa la comparaison avec l'époque révolutionnaire. Il reconnut que les émigrés de 1871 ne constituaient pas une entité sociologiquement homogène. D'une part, « le courant provincial de l'Assemblée » était « fidèle à ses traditions » – entendez celles de ruraux –, et se trouvait bien à son aise à Versailles. Mais à côté, « sceptique, chicaneuse et vaine, la haute bourgeoisie » y était « dépaysée ». Là, d'après le point de vue anglais relayé par le journal le plus lu de la Commune 251, l'autochtone et les coutumes propres à son territoire devenaient carrément objets de répulsion. « Et puis, tous de se plaindre de la faiblesse des caractères, de la mauvaise cuisine de Versailles, de l'abaissement des esprits, de l'excessive cherté de la vie dans cette ville inhospita lière ; du manque de frein moral chez le peuple, de l'absence d'amusement et de plaisir pour eux-mêmes252. »
Enfin, pour le journal de Rochefort, cette installation précipité modifia la nature, mais aussi la fonction de la ville, devenue refuge. Il alpagua le rédacteur en chef de L'Univers, Louis Veuillot, qui reçut défavorablement la nouvelle d'une sortie militaire à venir de la part de la Commune. En cela, le journaliste rival pensait comme les autres « royalistes qui, tous, [étaient] à Versailles, devenu aujourd'hui le refugium peccatorum253. » Cette maxime biblique, surnom de Marie désignant son aptitude à recueillir les pêcheurs, rappelait peut-être également l'émigration de la Révolution. Une étude littéraire de 1898 prêtait en tout cas le qualificatif à Antoine Rivarol, exilé le 10 juin 248 Lire Robert TOMBS, « Paris and the Rural Hordes: an Exploration of Myth and Reality in the French Civil War of 1871 », The Historical Journal, 29-4, 1986, p. 795-808. Cette représentation de l’armée ne correspondait ni à l’imaginaire territorial que j’ai décri, ni à la sociologie provinciale des députés. Elle investit les discours à cause d’un faisceau de mythes et de souvenirs ravivés. Juin 1848 résonnait encore comme l’écrasement des ouvriers parisiens par des mercenaires recrutés en province. Les simples noms de Cathelineau et Charette, deux généraux qui ne combattirent en fait jamais, régénérèrent l’imaginaire de la contre-révolution et de ses « chouans » et « bretons » barbares. 249 « Lettre de Versailles », Le Mot d'ordre, dimanche 23 avril, p. 1. Lire infra, « Annexes ». 250 « Lettre de Versailles », L'Action, mardi 4 avril, p. 2, col. 3. 251 M. JOURDAN, Le Cri du peuple, op. cit., p. 23. Il aurait tiré jusqu’à 100 000 exemplaires par numéro. 252 « Versailles-Coblentz », Le Cri du peuple, mercredi 17 mai, p. 2, col. 4. 253 « Journée d'hier », Le Mot d'ordre, mercredi 5 avril.
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1792, pour désigner sa ville d'accueil, Hambourg254. Ce journaliste et écrivain pamphlétaire, chantre de l'aristocratie catholique, collaborateur des Actes des Apôtres, périodique le plus en vue de la contre-révolution, « n'eut jamais passé pour un écrivain de génie s'il n'eût été un royaliste enragé », affirmait le Larousse en 1875, avec son républicanisme assumé255. Il devait être connu des férus d'histoire révolutionnaire qu'étaient les plumes communalistes, d'autant que les grands auteurs de la Révolution avaient été réédités à la fin du Second Empire256. Le rédacteur, avec brio, rappelait donc à la fois que Versailles était une terre d'exil pour des hommes en déroute face à la Commune, et qu'elle relevait, en quelque sorte, d'un territoire royaliste. En outre, Rivarol se traitait lui-même de « pêcheur » parce que l'émigration d'alors avait mené une vie de plaisirs et de mœurs légères. Aux dires de la presse communaliste, il en allait de même pour les réfugiés de Seine-etOise.
Une société amorale L'oisif du boulevard de Versailles La condamnation des mœurs de la sociabilité versaillaise, à laquelle prenait part autochtones et partisans du gouvernement sans distinction, complètent le tableau du territoire typique dans lequel évoluait le « Versaillais » de la propagande communaliste. Cette représentation prenait elle-aussi racine chez L'Habitant de 1841. « La société de Versailles ne peut se comparer à rien », affirmait Frémy, dans cet effort caractéristique du genre pittoresque d'appuyer l'extraordinaire d'un type pour en épicer l'intérêt littéraire257. « Les réunions nombreuses [offraient] presque toutes un mélange uniforme d'étiquette et d'ennui confortable, de goût parfait et de froideur », renchérissaitil. Ce « paisible rassemblement de notabilité citadines » comptait « des oisivetés traînantes, des moitiés de gentilshommes, des quarts de beaux esprits, des fortunes déchues », menant une « vie de surface ». Surtout, cette société manquait de « nationalisme urbain258 ». Le sens de la formule 254 Joseph TEXTE, « Les origines de l’influence allemande dans la littérature française du XIX e siècle », Revue d’histoire littéraire de la France, 5-1, 1898, p. 9. 255 Grand dictionnaire universel du XIXe siècle. Français, historique, géographique, mythologique, bibliographique, Paris, Administration du grand Dictionnaire universel, 1875, vol. 14/17, p. 1223. Le paragraphe intégral symbolise la peur d’un retour monarchique pendant les premières années de la Troisième République, sous Mac-Mahon. « Ce ne serait vraiment pas assez pour expliquer la réputation dont il jouit encore de nos jours, si l’on ne se rappelait son dévouement à la cause royale et l’habitude bien connue qu’on les coteries politiques de se faire valoir elles-mêmes en exaltant au delà de toutes les limites du bon sens ceux qui ont la chance ou l’adresse de se faire accepter par elles. » 256 Maxime JOURDAN, « La presse sous la Commune », Article11, 5 janvier 2012, http://www.article11.info/? Entretien-avec-Maxime-Jourdan-La, consult. le 13 mars 2012. 257 A.-E. DEMARTINI, « Le type et le niveau », chap. cit., p. 90. 258 A. FRÉMY, « L’Habitant », chap. cit., p. 6.
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sous la monarchie de Juillet me reste inconnu. Toutefois, elle entendait peut-être désignée simplement la fierté d'appartenir à une ville. L'ubris dont Paris était le sujet intarissable, par exemple. L'Habitant était en tout cas dépeint comme un oisif, facteur de distinction social encore très connoté en 1871. Dans la presse républicaine, cet imaginaire inscrivit Versailles aux antipodes du bouillonnement ouvrier que représentait la capitale. Pour ce faire, les référentiels urbains connus du lectorat parisien furent transposés à Versailles. Le boulevard et son imaginaire possédait une grande force d'évocation. Les cafés qui parsemaient les grandes artères de la rive droite étaient de « prodigieux creusets de la politique, de la finance, du journalisme et de la littérature. » Par nature « frivole », le boulevard s'opposait à la rue, mot auquel Vallès donna un sens « pittoresque et militant ». Le couple formait « deux réalités contraires de la ville ascendante du Second Empire259 ». Afin de les associer au régime déchu et de rejeter la « capitulation » qu'ils avaient enregistrée sans moufeter, Charles Hugo fit justement des partisans de la Défense nationale une génération produite par les mœurs dévoyées du Second Empire. Une génération « oisive, abrutie dans les plaisirs, repue dans les agiotages, gangrenée de luxe, vermoulue de fausse prospérité, blasée dans la raillerie du juste, du grand et du beau, reniant l'art, le droit et le devoir, dégrisée d'épopée et soûlée d'obscénités, et tellement déshabituée de souffrir que, lorsque [fut] venue l'heure de l'épreuve, [il l'avait] vue, presque en masse et à quelques exceptions glorieuses, déménager de Paris, confié au seul patriotisme de l'ouvrier et du bourgeois ». L'identité du boulevard, avant même la « décapitalisation », servait à stigmatiser l'adversaire. Les Versaillais de Pierre Angrand, dont j'ai dit les effets de source et le manque de nuance, étaient à son avis des « boulevardiers, francs-fileurs, habitués du Café Anglais, de la Maison Dorée, le ''Tout Paris'' du Jockey club ». Si l'auteur se refusait à examiner la genèse de ces représentations dans la presse communaliste, au nom d'une méthodologie discutable, il y eut pourtant trouver matière à accréditer la vision d'un boulevard de Versailles. Ainsi, au cœur de la guerre civile, Le Mot mit en scène ces « messieurs de Versailles » qui « [prenaient] l'absinthe dans les cafés qui bordent la place d'Armes […] tous les soirs à cinq heures 260 ». Le Cri, toujours par l'intermédiaire du Times, exposa ces « banquiers, marchands, capitalistes, gens à gros revenus, employés du gouvernement, grands et petits, n'ayant rien à faire, passant leur temps dans la rue des Réservoirs, ou sous les vieux ormes du parc, à critiquer, conseiller, gouailler, comme ils feraient sur le boulevard de Paris […]261. » Une « physionomie de Versailles » ne pouvait que remarque que « les cafés et les cabarets [étaient] pleins de soldats de toutes armes qui [commentaient] les événements262. » Aux abords du palais se rejouait donc la scène connue des oisifs du boulevard. Quant au truculent 259 260 261 262
Roger BELLET, Presse et journalisme sous le Second Empire, Paris, A. Colin, 1967, p. 31. « Lettre de Versailles », Le Mot d'ordre, 23 avril, p. 1. Lire infra, « Annexes ». « Versailles-Coblentz », Le Cri du peuple, mercredi 17 mai, p. 2, col. 4. « Physionomie de Versailles », L'Ordre, n° 4, jeudi 23 mars, p. 2, col. 1.
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Père Duchêne, il trouva le remède à la coupable « lèpre de l'ennui » des « Versaillais ». Peut-être fut-ce Alphonse Humbert, jadis lycéen à Versailles 263, qui réalisa ce reportage, « déguisé en réactionnaire avec une buise sur la tête et des gants noirs aux pattes ». Le laborieux « marchand de fourneaux » songea que la sanction la plus efficace pour punir l'émigration était de la priver définitivement de cette part de l'espace urbain qu'elle chérissaient tant. Ah ! mes braves patriotes, Si vous les aviez vus, Ces jean-foutres là ! Si vous les aviez vus baillant, tristes, bouffis, laids comme les sept péchés mortels, qui sont l'histoire de leur vie et de leurs fautes ! […] Ils palissent de rage de ne pouvoir plus promener leur vanité, leur immoralité et leur jean-foutrerie sur les boulevards entre les filles publiques et les marchands d'argent ! Misérables ! C'est le grand supplice que veut leur infliger la Révolution communale de 1871 ! On ne leur fera point de mal, Mais on les exilera ! On les exilera de l'asphalte de Paris ! Ils n'auront plus droit au boulevard, Ils n'auront plus droit au bitume de l'Insurrection !
Dans cette « ville du luxe et du plaisir 264 », l'habitus de l'oisiveté se déclinait aussi autour des jeux de salon. Au milieu du siècle, L'Habitant en faisait une des coutumes propres au territoire de Versailles. Son « joueur de whist et de boston » était une figure typique d'une ville où ces jeux étaient pratiqués avec « un acharnement, une perfection qui tôt ou tard méritera à la ville de Versailles un de ces baptêmes que la sagesse des spécialités ne peut manquer de consacrer ». « On surnommera sans doute un jour Versailles la ville des fiches et des jetons », concluait Frémy265. En 1801, la bourgeoisie provinciale de La Petite ville se devait déjà de posséder « toutes les finesses du reversis266 ». Ce caractère féminise le type, puisque chez Picard comme chez Frémy, les cartes étaient l'apanage des dames. La ville de Versailles compte d'ailleurs parmi ses joueuses de véritables sommités, des héroïnes de boston ou de reversis qu'elle seule possède, et qu'on se montre dans les réunions comme les plumets des maréchaux au milieu d'un cortège. Telle dame est citée pour avoir cinquante quartier de whist ; elle n'accepte pour partenaire que des joueurs infaillibles. Malheur à vous s'il vous échappe la moindre inadvertance, un oubli ou un bâillement, on a vu des Versaillaises s'évanouir, faute d'avoir été soutenues au boston. Plus d'une douairière du quartier Saint-Louis prend des dimensions de grandeur et de majesté vraiment imposantes, les cartes à la main : c'est alors une dame des anciens jours, c'est une Lancastre ou une Médicis, ou mieux, c'est une des reines du jeu, une de ses physionomies absolues qui maîtrisent le hasard et la chance ; c'est la dame de pique ou la dame de cœur, ces deux têtes couronnées qui n'ont jamais éprouvé de révolutions ni de chartes, et sont à l'heure qu'il est les souveraines les plus avérées de cette ville, qui a coûté deux cents millions à Louis XIV, pour devenir un jour la colonie et le champ d'asile des gens qui risquent dix sous au boston 267.
« La rue et les boulevards », rubrique quotidienne du Mot d'ordre, assumait la dichotomie 263 Anne M. DUHAMEL, Le Père Duchêne pendant la Commune de 1871, Mémoire de maîtrise, Université Paris I Panthéon-Sorbonne, Paris, 1971, p. 7. 264 Jean Labour, « Lettre de Versailles », L'Action, 5 avril, p. 1, col. 6. Lire infra, « Annexes ». 265 A. FRÉMY, « L’Habitant », chap. cit., p. 3. 266 L.-B. PICARD, La Petite ville, op. cit., p. 48. 267 « L’Habitant », chap. cit., p. 6.
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urbaine entre oisifs et peuple. Un « franc-flâneur » anonyme – embusqué des variétés comme le « franc-fileur » l'était des combats – y décrivait les mœurs de la cité rivale sur un ton ironique et dans un style badin, efficaces pour la construction d'un type chez le lecteur. Sous sa plume, la pittoresque et néanmoins coupable passion du jeu ridiculisait l'entourage de Thiers. C'était bien une femme qui tenait le salon. Élise Dosne, fille d'un gouverneur de la banque de France et amante du chef de l'exécutif par laquelle il avait acquis l'hôtel de la place Saint-Georges à Paris, n'avait visiblement pas changé ses habitudes une fois installée à Versailles. Sans gêne – et misogyne surtout –, le trublion de presse se permettait même des attaques sur le physique ! On joue le soir dans les salons d'Adolphe Ier – il ne suffit pas de tuer les gens, il faut bien tuer le temps, – le jeu d'oies y est interdit pour ménager certaines personnalités. On joue au loto. Ces dames consacrent le produit du jeu au rachat des petits chinois. Les austères amies de Mlle Dosne, obèses comme des lattes, sortaient de l'office et traversaient le parc pour se rendre au jeu. – Tiens, fit un gamin, les os vont jouer ce soir268.
En 1871, au moment du sacre de Guillaume, on menait « grande vie à Versailles ». Des « cercles » et des « clubs » d' « altesses » et de « princes » avaient fleuri, dans lesquels « on buvait beaucoup de champagne ». Et lorsque « journalistes et princes [s'ennuyaient] au club, le salon du dame française au high life parisien leur [était] ouvert269 ». À nouveau, une femme dirigeait ces lieux de sociabilité oisive. À nouveau, un imaginaire relié au boulevard parisien servait à la plume communaliste pour dénigrer la ville ennemie. Car le « high life » désignait couramment sous le Second Empire la descente des grandes artères et la fréquentation des bars courus de la capitale, paré de vêtement sur mesure. Même le désargenté Vallès s'y était essayé dans sa jeunesse, telle qu'il nous la donne à lire dans Le Bachelier. Après des essayages chez le tailleur pour la première fois de sa vie, il raconte ses pérégrinations jusqu'au « bar américain, rue Jouffroy, ou la mode est d'aller vers quatre heures ». La clientèle ? « Des viveurs, des gens connus [qui] viennent là parader devant les belles filles qui versent les liqueurs couleur d'herbe, d'or et de sang », des hommes qui « font changer des billets de banque pour payer leur absinthe270. » Le « high life » était donc synonyme de débauche dans les plaisirs du palais et de l'ivresse. Le Drapeau, numéro unique publié par l'équipe du Cri (supprimé le 11 mars), trouva justement que le cadre choisi par l'Assemblée se prêtait aux luxures supposées du gouvernement et de ses séides, puisque Versailles était « la ville des orgies royales271 ». Quant au Père Duchêne, il épingla Jules Favre sous cet angle, avec son argot caractéristique : « voilà-t-il pas encore un mauvais bougre qui a riboté 272 avec Bismarck à Versailles, plus souvent même qu'il ne nous l'a dit273 ? » 268 269 270 271 272 273
« La rue et les boulevards », Le Mot d'ordre, 21 avril, p. 2, col. 6. « Informations », Le Mot d'ordre, 4 février, p. 1, col. 3. Je souligne. Jules VALLÈS, Le Bachelier [1878], Paris, Gallimard, « Folio », 1974, p. 461. « Carmagnoles », Le Drapeau, 19 mars. TLFi, op. cit. Le fait de boire et de manger abondamment Le Père Duchêne, 18 ventôse (9 mars), p. 7.
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Vallès le précisait, le « high life » était aussi une affaire de « gens connus ». Or sous la Commune, Versailles accueillit de célèbres littérateurs et artistes : Alexandre Dumas fils, les frères Goncourt, Maxime du Camp, Gustave Doré, Émile Zola – envoyé spécial du Sémaphore de Marseille – ou Georges Bizet, déjà renommé et primé pour ses opéras. Peut-être leur exil contribua-t-il au tableau du boulevard de Versailles ? Celui d'Émile Littré, élu en 34 e position à Paris le 8 février274, et réfugié dans la ville royale depuis le 18 mars, exaspéra Paris-libre. Le lexicographe, début avril, publia dans le gouvernementaliste Paris-journal une rétractation sur des propos de 1849 qui avaient accordé à Paris le droit de désigner seul les instances de pouvoir de la France entière. Ce qui faisait de lui un « apostat de plus ». Le commentaire du journaliste communaliste, qui notait que « les vampires de Versailles [distillaient alors] leur venin avec recrudescence », invite à penser que l'émigration de contemporains célèbres vers Versailles, ses plaisirs et son luxe, contribua fortement au type du « Versaillais ». « Mais peu importe, un de plus ou un de moins, ça ne compte plus à notre époque », insistait Pierre Vésinier275. Celui qui prit la tête du Journal officiel à partir du 12 mai s'employait à dévoiler au lecteur, dans cette même rubrique du « venin réactionnaire », les mensonges de la presse gouvernementaliste – dite « presse de Versailles », ce qui rappelle une nouvelle fois les enjeux de la guerre de propagandes croisées. Une rubrique qui créa peut-être un association d'idées chez quelques-uns des lecteurs. Car un jour elle épinglait Littré. Et le lendemain, dans le commentaire d'une note qui stipulait que les « réfugiés de Versailles » commençaient à trouver le temps long, elle s'indignait de « l'esprit de profond et dur égoïsme qui [amusait] cette société frivole, légère et corrompue, qui [avait] fui à Versailles et qui ne [songeait] qu'à s'amuser pendant que le sang [coulait] à flots ; qui se [plaignait] du manque de confort, quand les troupes de Versailles [bloquaient] et [affamaient] la capitale. » « Pourvu qu'ils boivent et mangent et jouissent, ils sont satisfaits276 », terminait le journaliste, confirmant que les mœurs oisives collaient à la peau du « Versaillais ».
« Bas-fonds » de Versailles ? Ces mœurs légères furent lourdes de conséquences sur la représentation de l'ennemi. Car elles se redoublaient d'une moralité corrompue. Maxime Jourdan assure que stigmatiser ce penchant des gouvernants sis à Versailles était « l'attaque favorite » du Cri du peuple. L'historien souligne que l'accusation servait, par ricochet, à valoriser la sécurité que la Commune fit régner à Paris. Mais il faut insister davantage sur le fait que la presse communaliste rendit les déviances ainsi consubstantiels au territoire de Versailles. Certes, Pierre Denis assurait que « la Révolution [avait] 274 « Résultats définitifs », Le Mot d'ordre, 14 février, p. 1. 275 « Venin réactionnaire », L'Affranchi, lundi 3 avril, p. 1, col. 2. 276 « Venin réactionnaire », L'Affranchi, vendredi 14 avril, p. 2, col. 3.
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moralisé la ville », que son seul nom « [épouvantait] et [mettait] en fuite tout ce qui vit des vices sociaux, de la fraude et de la prostitution ». Mais il insistait surtout sur l'impossibilité que ces vices demeurât à Paris, dans l'affrontement symboliques de deux espaces très éloignés. C'est à Versailles qu'il faut aller maintenant pour trouver ce monde interlope et fangeux qui ne peut exister dans une cité laborieuse et républicaine, parmi des travailleurs ou des combattants277.
Vision magnifiée de la capitale, peinture méprisante de la cité royale. Le dualisme simple, efficace, permettait, sur ce thème là comme les autres, de transmettre un message clair au lectorat. Jean Labour, dans son tableau complet du territoire de Versailles, laissait toujours planer le doute sur les cibles de ces attaques moralisantes. Ce faisant, il devenait impossible de séparer « le peuple véritable » de la « tourbe immonde » dont il décrivait les activités à la manière d'un entomologiste inspectant une colonie d'insecte. Cette populace est grossie chaque année d'une foule de repris de justice à qui le séjour de Paris est interdit, et qui grouillent sur les places et les avenues, où ils étalent leur misère, leur fainéantise et leur impudeur.
Ce tableau n'était complet qu'en y ajoutant la prostitution, comble des vices moraux, et présentée comme la « multitude [des] femmes perdues qui ne sauraient avouer aucuns moyens d'existence. » « Voilà pour l'écume, la crasse de la population, relativement plus nombreuse à Versailles que partout ailleurs », résumait-il. Signe de l'importance du motif, le journaliste ne pouvait s'empêcher de rajouter seulement quelques lignes plus loin qu'une « immense quantité de filles perdues et de vieilles bigotes pleurant les pêchés qu'elles commirent autrefois ou ceux qu'elles ne [pouvaient] plus commettre » grossissait encore les rangs de « Versaillais-e-s » à la sexualité déviante. Son vocabulaire était celui de la description géographique : il avait ainsi livré « une idée assez exacte de l'espèce de moralité qui [pouvait] régner dans une agglomération aussi hétérogène et aussi débraillée278. » Maurice Dommanget, parmi les tous premiers à réviser une historiographie alors largement biaisée en défaveur de la Commune, affirmait en 1923 que « pour les officiers, Versailles procurait des intermèdes galants », ces « prostituées parisiennes qui y avaient suivi leur clientèle habituelle...279 » Il précisait ainsi l'origine de ce vice. La version de sa source unique, de l'aveu même de l'historien, « conservateur pénitent280 », était pourtant recommandable pour « ceux qui cherchent la vérité ». Elle est en tout cas tout à fait convergente avec la propagande communaliste. Frémy n'était pas la source d'inspiration probable de la presse, cette fois, bien que Les Français eurent traité la question du commerce charnel 281. Le trait venait s'ajoutait spécialement au « Ver277 « Les pillards », Le Cri du peuple, jeudi 4 mai, p. 1, col. 1, cité par M. JOURDAN, Le Cri du peuple, op. cit., p. 174. 278 Jean Labour, « Lettre de Versailles », L'Action, mercredi 5 avril, p. 1, col. 6. Lire infra, « Annexes ». 279 Maurice DOMMANGET, « La Commune vue de Versailles » dans Hommes et choses de la Commune [1937], fac-sim., Saint-Pierre-de-Plesguen Vauchrétien, L’École émancipée, 2000, p. 54. La ponctuation est de l’auteur. Signe d’un tabou toujours vivace quarante ans après 1871 ?. 280 Le même qu'utilisait Angrand : Léonce Dupont. 281 Taxile DELORD, « La Femme sans nom » dans Les Français peints par eux-mêmes. Encyclopédie morale du
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saillais » de 1871. Il pouvait par exemple servir à prouver que les « officiers galonnés sur toutes les coutures » manqueraient sûrement d' « énergie » au combat à force de la « perdre dans les cafés de la ville, au milieu d'un cohue de prostituées impériales et monarchiennes282. » En outre, afin de se rendre plus vraisemblable, la rhétorique du Versailles de la débauche utilisait également la toponymie évocatrice de la cité royale. Le 7 avril, dans une longue liste de différences entre les identités des deux villes destinée à ce que le lecteur « choisisse son camp », La Montagne pointa « les catins du Parc-aux-Cerfs283 ». Le 19, la plume caustique de la « rue et les boulevards » renomma le parc de Neuilly, duquel « [s'étaient] sauvés » les troupes du gouvernement en « Parc aux Cerfs284 ». Trois jours plus tard, on lut à nouveau ce Mot injurieux, qui transformait les ministres en « nouveaux eunuques du Parc aux Cerfs ». Et si Paris-libre, compte tenu des mœurs du gouvernement qu'hébergeait Versailles, « [serait] presque tenté de plaindre la ville chère à Louis XIV », il se « [renfonçait] sa compassion » aussitôt, car la ville demeurait « l'ancien réceptacle du Parc-aux-Cerf285 ». Ce lieu omniprésent possédait à l'évidence un pouvoir suggestif important, rattaché à l'imaginaire de l'Ancien Régime. Témoin de sa persistance hors du moment d'explosion polémique de la Commune, le Larousse voyait encore dans « l'enclos du Parc-auxCerfs », qu'il plaçait au château, le siège de « la plus fameuse des petites maisons du crapuleux Louis XV286. » Mais peu importait la localisation précise de ce qui devint un synonyme de « lupanar » au XIXe siècle. Ou plutôt, le flou de cette localisation lui-même constituait un ressort du sordide et de l'interdit moral qui entouraient les frasques du monarque et de ses courtisanes. Comme dans ce « grand roman historique » publié en 1877, que son auteur fit précéder d'un avertissement dans lequel il se mettait en scène sur la piste du lieu. Par « soucis d'étudier l'histoire dont il [voulait] retracer une page intime287 », peut-être ; mais plus sûrement encore pour gonfler le suspens. Il guidait donc le lecteur dans le mystérieux d'une série de galeries découvertes via la cave à vin d'un hôtel du quartier Saint-Louis – dont il prenait le soin tout romanesque de censurer l'adresse. Ce lieu flottant, donc au fort potentiel métonymique, permettait à la presse communaliste de changer Versailles tout entière en territoire du vice. Cependant, il semble que l'accusation ne fut pas uniquement de l'ordre du fantasme. Le Mot donnait quelques autres toponymes de ces plaisirs réprouvés dont se repaissaient « tous ces képis galonnés » : « la rue de Marly et la rue Basse », où « l'orgie crapuleuse se [prolongeait] jusqu'au matin ».
282 283 284 285 286 287
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dix-neuvième siècle. I, Paris, Curmer, 1840, p. 245-255. « Versailles », Le Cri du peuple, vendredi 28 avril, p. 1, col. 5. Pollio, « Peuple, choisis ! », La Montagne, n° 6, vendredi 7 avril, p. 2, col. 1. « La rue et les boulevards », Le Mot d'ordre, 19 avril. « Les Versaillais de l'intérieur », Paris-libre, jeudi 13 avril, p. 1, col. 2. Larousse 15, op. cit., p. 936. Albert BLANQUET, Le Parc aux cerfs, Paris, Degorce-Cadot, 1877, vol. 1/3, p. 3.
Là, commandants et soldats trinquent ensemble et embrassent de compagnie les maritornes délaissées par les Prussiens. C'est ce que M. Thiers appelle la plus belle armée de France 288.
Or Louis Fiaux, député conciliateur pendant la Commune, publiait en 1879 une Histoire de la guerre civile de 1871 qui, chose peu courante alors, voyait une question de « justice historique à ne pas bâillonner les vaincus289 ». Il y reconnaissait l'importance des questions sociales posées par les Communeux. Mais médecin de profession, onze ans plus tard, il recensait les maisons de tolérance et expliquait la nécessité de fermer ce qui « [n'avait] été qu'un enseignement de mauvaise mœurs, une vraie peste pour la santé populaire. » En outre, il citait un Indicateur des maisons de sociétés (dites de tolérance) publié deux ans plus tôt. Lequel, pour Versailles, attestait bien de six pensions de ce genre rue de Marly et sur la Petite place 290 (ill. ill. 5). 5 La prostitution semble donc s'être intégrée à Versailles à la faveur de la translation du pouvoir, lequel, comme les sulfureuses maisons closes, s'y accrocha plusieurs années. Enfin, ces accusations de moralité déviante n'était pas l'apanage de la propagande communaliste. Celle du gouvernement, par la voix de Dufaure réclamant de nouvelles élections libres pour Paris, suggérait aux électeurs de bien « distinguer ceux qui, sortis des bas-fonds de la société, [avaient] prolongé par la guerre civile les maux dont la guerre étrangère
avait
frappés
notre
pays. » Rochefort, toujours cinglant, explicitait la proclamation du ministre, afin que le lecteur habitué aux frasques immorales des gouvernants n'y vît pas un aveu. Ne nous abusons pas : les hommes « sortis des bas-fonds de la société », c'est-à-dire ceux qui soutiennent la Commune ou qui en font partie291.
Illustration 5 -Plaisirs charnels, « Plan pittoresque », op. cit.
288 « Lettre de Versailles », Le Mot d'ordre, dimanche 23 avril, p. 1. Lire infra, « Annexes ». 289 Louis FIAUX, Histoire de la guerre civile de 1871: le gouvernement et l’assemblée de Versailles, la Commune de Paris, Paris, Charpentier, 1879, p. III. 290 Louis FIAUX, Les Maisons de tolérance, leur fermeture, Paris, G. Carré, 1892, p. I, 356. 291 « Le chapitre des illusions », Le Mot d'ordre, vendredi 30 avril, p. 1, col. 1.
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Illustration 6 - Pilotell, « Offert par La Caricature à l'Assemblée nationale pour l'excution des J... F... de membres de la Trahison nationale », La Caricature politique, samedi 11 février, p. 1.
Deuxième acte
STIGMATISER L'ADVERSAIRE POLITIQUE
*** Une fois le décor planté, le personnage pouvait se donner à lire sous deux de ses facettes. Deux masques de nature essentiellement politique dont était affublé le « Versaillais » pour renforcer l'intrigue. La république libérale de l'Assemblée et du gouvernement s'opposait frontalement à la république démocratique et sociale mise en place par la Commune. Cette partie plongera moins souvent dans le XIXe siècle, pour se concentrer sur le « moment » 1871. En revanche, la ligne de front que ces deux aspects du type dessinent peut être comprise en filigrane comme un des préludes aux clivages politiques à venir sous la Troisième République. D'abord, on verra que la presse communaliste fit de l'argent un enjeu identitaire de premier ordre. Trois couples d'oppositions structuraient ce premier thème, dont les significations précédaient et dépassaient naturellement « l'année terrible », mais qui contribuèrent singulièrement, en 1871, au type de l'adversaire idéologique. Propriétaire contre locataire, patron contre ouvrier, usurier contre débiteur. Toujours accapareur. « Bon gogos !... », s'exclamait La Carmagnole devant les cris d'orfraie provoqués une mesure inique du gouvernement. « Quand donc s'apercevront-ils que c'est toujours et toujours la même chanson ; quand donc seront-ils convaincus qu'il est temps de ne plus confier aux gens qui ne manquent de rien le sort de ceux qui manquent de tout 1 ? » Si quelques nuances apparurent parfois, le « Versaillais » portait souvent les trois casquettes de l'argentier dans un même trait de plume. Certaines têtes de turc de la propagande communaliste, personnalités éminentes du gouvernement, cumulèrent tous les torts vis-à-vis de l'or. D'autre part, charriant un héritage monarchiste, le « Versaillais » confortait idéalement les autres indices qui laissaient croire que la forme de république sise à Versailles était mort-née. Sans avoir connaissance de l'insurrection qui venait, elle, de naître avec éclat, Adolphe Guéroult moqua les « Républicains 1871 » qui, selon son Opinion très gouvernementaliste, avait conservé le « même langage » que les « Jacobins 1793 » : On excite toujours à la haine et on fomente toujours l'insurrection contre le pouvoir qui trahit. Car le pouvoir trahit toujours. Il n'est jamais ni faible, ni imprévoyant, ni incapable ; il trahit. Cela répond à tout et explique tout2.
L'explication serait suffisante si seulement on exceptait la complexité du mille-feuille politique et militaire de 1871, qui donna lieu à d'autres fantasmes aux racines plus profondes et plus diverses.
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« Le décret sur les échéances », La Carmagnole, dimanche 19 mars. Adolphe Guéroult, « La République. Les Jacobins 1793 – Les Républicains 1871 », L'Opinion nationale, samedi 18 mars, p. 1, col. 3.
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LE RICHE, ENNEMI DE CLASSE ?
Ces charlatans-là déterreraient nos morts pour vendre leurs os, s'ils l'osaient. Le Père Duchêne, n° 3, 18 ventôse an 79
Les professionnels de la corruption Les échéances. Une autre déclaration de guerre La propriété privée sous toutes ses formes – mobilière, immobilière ou financière, usines, immeubles ou capitaux –, était un thème central des débats des socialismes, notamment selon le clivage (forcément trop simpliste) entre jacobins et proudhoniens3. À l'Hôtel-de-Ville, où ces clivages théoriques se rejouèrent, les élus parisiens la discutèrent avec apprêté et il y avait rarement unanimité sur les mesures à adopter. La presse communaliste, courroie de transmission et partie prenante, relaya ces divergences. Toutefois, dès le vote du 10 mars par l'Assemblée d'une loi « sur la prorogation des échéances des effets de commerce », toutes les tendances du socialisme qui s'exprimaient dans leur diversité à l'A. I. T. ou au sein du Comité central des vingt arrondissements dénoncèrent d'une même voix une agression délibérée du Paris populaire. Cette loi entendait rétablir brutalement le cours normal du commerce et de l'industrie, sans encore oser légiférer sur les loyers4, après cinq mois de siège et sept de guerre. Elle contribua nettement au bouillonnement insurrectionnel continu du mois de mars, dont le 18 semble presque une journée « normale5 ». Votée à Bordeaux par les mêmes députés qui se délocalisèrent à Versailles (et d'ailleurs le même jour que le vote sur ce déplacement), elle fut plus sûrement encore l'amorce de la fusion des griefs communs à l'encontre de la propriété privée au sein du « Versaillais ». Le point de départ de la bataille 3 4
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Charles RIHS, La Commune de Paris, 1871. Sa structure et ses doctrines [1955], nouv. éd. rev. et aug., Paris, Seuil, « L’Univers historique », 1973, p. 64, distingue, entre autres nuances importantes, « jacobins d’action » menés par Charles Delescluze et « jacobins romantiques » menés par Felix Pyat. Ni le texte promulgué au Journal officiel du lundi 13 mars, ni les débats en séance publiés ne mentionnent encore la question à cette date. Jean BRUHAT, Jean DAUTRY et al. (dir.), La Commune de 1871 [1960], 2e éd. rev. et compl., Paris, Éditions sociales, 1970, p. 94-95, relayent, par cette imprécision, une vulgate trop hâtive selon laquelle la loi démontrait la « solidarité puissante qui, dans un système social déterminé, lie intimement les propriétaires fonciers aux propriétaires urbains, et les “marchands qui gouvernement la Banque et le Comptoir" . L’Assemblée l’aurait adopté selon « une politique de classe conséquente ». Ce chapitre entend justement montrer qu’une telle interprétation reprend sans distance les discours contemporains mais d’un point de vue marxiste, d’une ”lutte des classes" qui ne formulait jamais comme telle, alors que ceux-ci obéissaient d’abord à l’impératif d’unification par rejet d’un ennemi typisé. » Jacques ROUGERIE, Paris libre, 1871 [1971], nouv. éd., Paris, Seuil, « Points/Histoire », 2004, p. 100-101.
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des mots autour de la richesse et, à l'instar de sa dénonciation dans les mœurs légères ou crapuleuse, de la corrpution. Pour certains, la loi révélait les véritables intentions du gouvernement Thiers : ruiner définitivement un Paris trop turbulent. Pressés « d'achever la besogne de Guillaume », Jules Dufaure et Ernest Picard fabriquèrent « cette machine obscure, hérissée de crocs et de pointes, funeste instigatrice de toutes les passions lâches et cupides, destinée à donner « le coup du sergent » à cette grande suppliciée, [la France], que le fusil Dreyse n'avait pu réussir à faire cadavre. » Cette « mesure draconienne », « basse exploitation impériale ou turque, soigneusement drapée du manteau jésuitique et scolastique », ne possédait aucune utilité économique. Sa conséquence prévisible serait la « mort nationale ou la déchéance sociale. » Et la plume de s'interroger : « à moins que cette déchéance et cette mort ne soient que le résultat attendu et préparé de la politique de nos gouvernants ? » Dans ce cas, il n'y aurait plus qu'à se résigner à la guerre civile, « couronnement inévitable d'un aussi criminel programme. » L'exigence d'un recouvrement sans délai et avec intérêts de la dette commerciale, propriété financière, qui conduirait à la « faillite chronique », sonnait comme une déclaration de guerre de la part du « troupeau législatif de Bordeaux6 ». Pour d'autres, cette législation prouvait l'incapacité politique des « ruraux » à légiférer pour Paris. La loi du 24 mars que « l'Assemblée de Versailles, sous la pression de l'opinion publique » semblait forcée d'adopter, se bornait à prolonger d'un mois la prorogation des échéances, sans changer l'esprit du premier texte. Une conclusion s'imposait : les « députés RURAUX » avait légiféré « soit par ignorance des besoins du commerce dans les villes, soit par esprit d'hostilité contre Paris républicain7 ». À la date de l'article, les combats contre l'armée gouvernementale venaient tout juste de débuter. La thèse d'une législation commerciale spécialement conçue pour exciter à la guerre civile s'en trouvait confirmée. Cette interprétation initiale perdura jusqu'au moi de mai, malgré la réponse du Conseil de la Commune, par décret le 16 avril qui, pragmatique, prévoyait non pas une absolution complète des dettes contractées depuis le début de la guerre étrangère, mais un délai supplémentaire de trois ans pour leur paiement8. La portée proprement politique du texte du 10 mars, et de sa légère modification du 24 mars, ne fut jamais avouée par les députés conservateurs ou le gouvernement. Il s'agissait uniquement à leur yeux d'une mesure technique, pour la reprise des affaires courantes 9. Cet argumentaire, qui rappelle le there's no alternative de la fin du XXe siècle, étaient combattu par les quelques dé6 7 8 9
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Capdevielle, « Les échéances et la faillite. Effets de commerce, loyers, Mont-de-piété », La Commune, mardi 21 mars, p. 2, col. 2. Maurice La Chatre, « La question des échéances », Le Vengeur, 4 avril, p. 2, col. 5. Journal officiel de la République française (Commune), mardi 18 avril, partie officielle. Un délai qui marque l'ancrage pérenne que se donnait le pouvoir révolutionnaire. Les comptes rendus des débats publié les 16 et 17 témoignent des différentes politiques économiques représentées à l'Hôtel-de-Ville. Journal officiel de la République française (gouvernement), 25 mars, partie non officielle.
putés révolutionnaires élus le 8 février à Paris. Jean-Bapstiste Millière, formé en droit, trente-deux ans en 1848, gérant de La Marseillaise début 1870, fut le plus actif en la matière. En séance, le 20 mars, il demande pour la première fois un délai supplémentaire de trois mois et prend la peine de préciser que si sa proposition n'a rien à voir avec l'insurrection du 18. À coup sûr « les événements ont été aggravé par la situation que [la loi du 10] a faite au commerce10 », soutenait-il plutôt. Quatre jours plus tard, il commençait encore son discours à la tribune par souligner l'enjeu pour la « sécurité et la tranquillité publique » de la question des échéances. Le politique expérimenté n'hésitait pas à reconnaître devant une assemblée hostile que, certes, il fréquentait moins les milieux de la banque et du commerce que les classes populaires, mais que « tous les intérêts sont solidaires, et qu'on peut pas toucher à une classe de la société sans atteindre les autres 11 ». En cela, il revendiquait l'union des patrons petits bourgeois et des ouvriers, qui constitue une des caractéristiques singulières d'un mouvement communaliste qui visait avant tout à unifier la ville. Millière n'exerça pas de fonctions publiques auprès de la Commune, et s'attacha à la conciliation en fondant une Alliance républicaine des départements qui ne renia pas les revendications d'un Paris libre mais voulait faire le pont avec la province. L'Alliance se rallia à l'Hôtel-de-Ville fin avril. Millière, après avoir tenté d'infléchir les positions de l'Assemblée, démissionna le 3 avril, voyant dans les premiers combats un « abominable attentat commis par le Pouvoir exécutif, [un] crime que le gouvernement de Versailles consomme en ce moment contre le droit, contre l'humanité12 ». Il collabora au Vengeur et à La Commune. Cet appel à l'union de certaines classes s'exprimait fréquemment dans la presse républicaine dès avant le 10 mars. Seul, le gouvernement Thiers empêchait, par ses provocations, l'union nécessaire. Ce qui la suggérait pour une grande part, c'était déjà l'épée de Damoclès des échéances. Y compris au Père Duchêne, qui en appelait à la bourgeoisie commerçante dès son premier numéro, souhaitant l'union de « la boutique et de l'atelier ». Est-ce qu'en vérité tu serais assez aveuglé pour ne pas comprendre qu'en ce moment, ce n'est pas la Révolution qui braque sur ta poitrine le fusil de l'émeute, mais bien le capital qui te passe au cou le lacet de la banqueroute13 ?
L'enjeu des échéances charriait dans son sillage le triptyque commerce, industrie et banque, et induisait une réflexion sur leurs places respectives dans la machine économique. Les décisions de l'Assemblée, si elles ne provoquèrent pas la disparition des appels à l'union inter-classes, était la preuve, pour les journaux communalistes, qu'une haute bourgeoisie tentait tout de même de brimer les aspirations parisiennes. « Industriels, commerçant et banquiers sont à la fois créanciers et débiteurs les uns des autres », statuait Millière devant les députés, afin de replacer la banque à son 10 11 12 13
Id., 21 mars, partie non officielle. Id., 25 mars, partie non officielle. Jean-Baptiste Millière, « Déclaration », La Commune, mardi 4 avril, p. 1, col. 2. Le Père Duchêne, n° 1, 16 ventôse (7 mars), p. 4.
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simple rang « d'instrument » au service du « véritable agent de la production de richesses », l'industrie14. En creux, avec le tact nécessaire face à une audience a priori hostile, il critiquait la prééminence des préoccupations de l'Assemblée à l'égard de la banque et de la Bourse. Son collègue à La Commune, jouissant dans le journal d'une plus grande liberté de ton, voyait en la loi du 10 mars un « acte de complaisance ». Les bénéficiaires ? La Banque et les hauts barons de la finance qui sont venus trouver les principaux meneurs de la Chambre et leur ont tenu à peu près ce langage : […] Bâclez-nous donc une bonne petite loi qui nous livre à merci notre million de clients, […] vous nous aurez rendu un signalé service que nous vous revaudrons à l'occasion15.
Au sortir du gouffre financier de la guerre, il aurait fallu « que tout créancier fût mis dans l'impuissance de se jeter comme un fauve sur son débiteur pour lui arracher son dernier haillon et son levain d'avenir. » Or, c'est l'inverse qui se faisait, et « l'on déchaînait contre les victimes de la guerre la démence furieuse des plébiscitaires, des fournisseurs et des agioteurs de l'empire, l'insolence de tous les porte-feuilles bondés depuis six mois d'effets impayés et de valeurs de toute nature, échues ou à échoir. » La corruption des élites financières sonnait comme le prolongement des pratiques sans cesse dénoncées par l'opposition républicaine sous le Second Empire. Le gouvernement Thiers, prolongement de la Défense nationale, autorisait par cette loi un status quo économique qui distinguait nettement les deux camps, Paris et Versailles. Quant à l'impact de la loi sur l'industrie, la décision des députés semblait le prolongement logique d'une « féodalité industrielle » établie depuis déjà trop longtemps. L'expression, inspirée à La Sociale par la mise à bas de l'Ancien régime en 1789, décrivait un système d'oppression du travailleur fondé sur la machine, « arme de mort, par la volonté de quelques-uns ». Mais, là encore, l'idée de l'union entre paysans, « bourgeois » et « travailleurs » prédominait, bourgeois désignant cette fois-ci les possesseurs d'usine : « plus de patrons ! plus de salariés ! l'Égalité !16 » L'action de la commission du Travail et de l'Échange de la Commune a été maintes fois étudiée. Rappelons simplement que le pouvoir révolutionnaire chargea les chambres syndicales ouvrières de recenser les usines et ateliers abandonnés par leurs propriétaires et d'établir des plans de reprise de l'activité, sur une base qui peut être qualifiée d'autogérée. Faute de temps, les expropriations d'ateliers et d'usines furent peu nombreuses. Une seule usine fut exploitée par ses ouvriers, dans le XVe arrondissement17. En outre, ces reprises d'usines devaient être accompagnées de la constitution de jury en vue de trouver la juste compensation pour les « patrons » expropriés. Mais à côté de la volonté d'équité qui s'exprimait dans le décret de l'Hôtel-de-Ville, un discours plus clivé avait cours, précisément dans les colonnes de « l'organe des chambres syndicales 14 Journal officiel de la République française (gouvernement), 25 mars, partie non officielle. 15 « Les échéances et la faillite. Effets de commerce, loyers, Mont-de-piété », art. cit. 16 « La révolution sociale en 1789 et en 1871 », La Sociale, mercredi 31 mars (n° 1), p. 1 col. 1. 17 J. ROUGERIE, Paris libre, op. cit., p. 184.
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et ouvrières ». Ainsi, L'Ouvrier de l'avenir s'adressait directement au gouvernement Thiers, faisant référence à un de ses actes affirmant que les travailleurs « ne savaient pas ce qu'ils voulaient ». Il se proposait donc de lui exposer les principes du socialisme. Ce faisant, il amalgamait bien les gouvernants à une classe, celle des « capitalistes ». La richesse produite par le travail s'accumulait dans les « coffres-forts » des « ventrus et ventripotents dont la graisse et l'obésité sont une insulte perpétuelle jetée à la face blême et amaigrie du travailleur. » « Nous, producteurs, nous sommes la source de la richesse publique, de votre luxe, de vos jouissances et de vos voluptés », lançait-t-il au gouvernement18. La feuille relayait en cela les conceptions promues par l'A. I. T. Elle maniait également le type physique du « gros », aussi vieux que la dénonciation des inégalités de richesse, et dont un tableau du « Versaillais » ne fait pas l'économie, en 1871. Le discours de la presse communaliste oscilla donc entre rejet sans nuances d'une classe favorisée autorisée par la loi du 10 mars à achever des Parisiens ruinés par le siège, et des appels plus pragmatiques à l'union entre prolétariat et petite bourgeoisie parisienne, deux composantes indispensables à une autonomie réelle de Paris.
Le boutiquier et l'usurier À partir du vote de la loi du 10 mars, celui qui « [avait] de l'aisance » devint le symbole du corrupteur face aux vertus de la République sociale. Mais alors que l'expression d'Arnould Frémy peignait un Habitant de Versailles « ni ambitieux, ni spéculateur19 » , dans un portrait bucolique, les « millionnaires de Versailles20 » de 1871, ces « Versaillais » du discours, qui habitent Versailles parce qu'ils fuient la révolution, possédaient une fortune évidemment mal acquise. Deux personnages se formèrent au fil des colonnes, aux liens étroits mais ne désignant pas exactement les mêmes individus. Leurs portraits, bien qu'en lien avec la question des échéances dont ils étaient les bénéficiaires, assemblaient d'autres vices. S'il ne n’agissaient pas de classes ennemies combattues dans les mots en tant que telles, ces deux figures ne pouvaient qu'être étrangères au mouvement communaliste, gravitant dans une autre classe de moralité. Les privations alimentaires du siège prussien furent ravivées par le deuxième siège, qui prolongeait l'image d'un Versailles en affameur de Paris. Le « Versaillais » affameur, quant à lui, pouvait tout aussi bien tenir boutique à Paris. Ce « boutiquier », premier sous-type du bourgeois corrompu, essentiellement opportuniste et qui possède un goût prononcé pour la spéculation sur les denrées, tint le devant de la scène propagandiste de la presse communaliste jusqu'à la fin de l'insurrection. Une nouvelle fois, le motif préexiste à l'insurrection et à l'installation de l'Assemblée à 18 Julien Dupire, « Ce que nous voulons », L'Ouvrier de l'avenir, dimanche 19 mars, p. 1, col. 1. 19 Félix PYAT, « Le Solognot » dans L. CURMER (dir.), Les Français peints par eux-mêmes. Encyclopédie morale du dix-neuvième siècle. Province II, Paris, Curmer, 1841, p. 4. 20 Le Bonnet rouge, n° 1, lundi 10 avril, p. 1, col. 4.
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Versailles : le sort de la ville royale pendant les mois de guerre favorisa l'adjonction de cette facette « boutiquier » à un type du « Versaillais » riche. Dès fin janvier, Le Rappel en appelait à l'historien qui racontera « l'héroïsme et l'abnégation des Parisiens de 1871 », l'enjoignant à « laisser tomber un pâté généreux sur la ligne qui parlera des fournisseurs de la ville. » Dont acte ! Mais au lieu d'une histoire économique, voilà quelques paragraphes d'histoire culturelle de ces « êtres à part, inaccessibles à toute espèce d'autre amour que celui de leur caisse21. » « L'attitude de la population vis-à-vis des Prussiens » indignait le correspondant du Mot qui revenait de Versailles, en février. « Hôteliers et restaurateurs ont profité de l'occupation pour faire fortune », a-t-il noté, vendant aux officiers ennemis du « champagne Bismark » et du « Bordeaux cacheté aux trois couleurs prussiennes ; noir, rouge et blanc22. » Le siège étranger piloté depuis Versailles inscrivit en profondeur dans les discours parisiens le « boutiquier » vénal, sans moralité parce qu'il affame Paris et traître, parce qu'il s'enrichit grâce aux Prussiens. En ce sens parlait le vieux républicain Merlin dans Bas les cœurs. Celui-ci était isolé au milieu d'opportunistes jadis bonapartistes, transformés, en cet hiver d'occupation prussienne, en soutiens de la République et du gouvernement de la Défense nationale. Darien attribuait au personnage rouge du roman une ironie lourde de sous-entendus. « Heureusement qu'on n'a pas oublié de vendre les réserves de l'intendance militaire française à des particuliers qui n'ont pas oublié, eux non plus, de les acheter à un prix dérisoire23. » Alors que les troupes prussiennes se retiraient, après le début du versement des indemnités de guerre début mars, l'heure était au bilan économique de l'occupation. Et la stigmatisation des fortunes frauduleuses, engagée en janvier et en février, faisait toujours recette. La Vérité souligna que les « soudards tudesques » ramenaient avec eux les « juifs de Versailles », « ces tripoteurs d'affaires, fournisseurs de l'armée, grand et petit négoce, usuriers, revendeurs et autres industriels, qui avaient quitté l'Allemagne pour venir exploiter Versailles 24. » Portalis mobilisait la caricature antijudaïque du commerçant avide, ici étranger, mais aisément transposable aux Français. Cette caricature du temps, omniprésente, entrait en résonance avec le « boutiquier », agissant comme un terreau favorable à ces représentations de la corruption par l'argent, associées fortement à Versailles par le contexte politique et militaire. Ainsi, début avril, alors que la guerre civile éclatait, la composante principale de la « société dépensière de Versailles » restait sa « population marchande, véritable bourgeoisie du pays qui fait de belles affaires sans avoir […] ni industrie qui lui soit propre, ni commerce particulier qui soit digne d'attention. » 21 Ernest Blum, « Zig-Zag dans Paris », Le Rappel, 25 janvier. 22 « Informations », Le Mot d'ordre, lundi 13 février, p. 2, col. 1. 23 Georges DARIEN, « Bas les coeurs [1889] » dans Voleurs !, Paris, La Découverte, « Omnibus », 1994, p. 235. Souligné par l’auteur. 24 « L'évacuation de Versailles », La Vérité, jeudi 8 mars, p. 2, col. 6.
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C'est une sorte de colonie active, intelligente, industrieuse, qui sert d'intermédiaire entre Paris et Versailles, prenant ici tout ce qu'elle revend là ; mettant également à contribution les gens du pays, les étrangers qui s'y sont fixés, et les passagers indigènes ou non que le renom et les curiosités de l'ex-ville royale ne cessent d'attirer, surtout pendant la belle saison 25.
Ce qui se nommerait aujourd'hui « tourisme » était déjà une ressource avérée en 1871 pour Versailles, et le rédacteur s'en servait, entre autres, pour stigmatiser une population avide. Bien qu'autochtone de Versailles, elle semble parasiter la ville. Ironique, il suggérait que tout Versailles « regrettait les soldats de Guillaume » qui, même s'ils avaient provoqué des dégâts, « ne lui ménagèrent pas non plus les occasions de faire des fortunes rapides et scandaleuses. » En cela, il concourait bien au portrait d'un « Versaillais » argentier, sans nuances entre autochtones et émigrés. Un glissement sémantique porté par l'argent donc, qui, de Versaillais pour désigner un simple habitant, imposa l'usage du type en étai principal d'une propagande. On ne sera plus surpris de voir que la folle conduite de M. Thiers trouve facilement grâce devant les Versaillais, parce que le séjour du Parlement rural dans leur ville fut pour eux une nouvelle et riche mine à exploiter, une occasion de récolter d'énormes bénéfices et de s'enrichir une fois de plus, dût en souffrir l'honneur et la sécurité de la patrie26.
La vision de la presse n'était cependant pas monolithique, même à propos de l'argent. À de très rares occasions, les autochtones de Versailles ou quelques « réfugiés » y séjournant à cause des combats en banlieue étaient dépeints en victimes de la cupidité des « marchands ». Les denrées, « comme pendant le siège de Paris, sont vendues à prix exorbitant ». Les commerçants « exploitent » leurs clients avec des marchandises ou des services au « triple de ce qu'on les paye aujourd'hui à Paris ». La brève donnait à preuve une liste des prix : « une chambre meublée, 10 fr. par jour ; […] un œuf, 30 ou 35 cent. ; le beurre, 4 fr. 75 ou 5 fr. le demi-kilogr. » Or, même ce qui ressemblait à une défense des simples citoyens de Versailles ne résistait pas à la tentation pamphlétaire. Le « Versaillais » encadrait le cours billet, comme si la plume ne pouvait évoquer le chef-lieu de Seine-et-Oise sans jouer de l'adversaire typisé. « Les habitants de Versailles sont fort mécontents après leur gouvernement », commençait-elle, ambiguë, brouillant d'emblée la distinction entre autochtones potentiellement alliés séides du gouvernement. « Il serait curieux de voir Versailles affamé pendant qu'il veut affamer Paris 27 », concluait-elle, dans une ultime confusion entre Versailles, métonymie pour ses autochtones et Versailles, synonyme d'ennemi. Si les « boutiquiers » étaient passés maîtres dans l'art de spéculer aux dépends de Paris, les différentes sortes d'usuriers qui faisaient commerce de l'argent, possédaient un vice au moins équivalent. L'institution du Mont-de-Piété était partie prenante du quotidien des Parisiens en tant que principal outil de financement, y compris pour les plus modestes artisans sans trésorerie. Fin mars, le gouvernement décida de reprendre la vente des objets en gage, c'est à dire la restitution à leur 25 Jean Labour, « Lettres de Versailles », L'Action, mercredi 5 avril, p. 1, col. 6. Lire infra, « Annexes ». 26 Ibid. 27 « Informations », Le Mot, mardi 16 mai, p. 1, col. 6.
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déposant contre remboursement du prêt. Il s'agissait bien d'un mécanisme de crédit aux taux usuraires, et sans possibilité de recours : une fois l'échéance dépassée pour un objet, celui-ci était vendu aux enchères. Là encore, le gouvernement agissaient au mépris des situations économiques désastreuses des Parisiens, avec une mesure perçue à La Commune comme « le prologue inévitable d'une guerre sociale ». Ironiquement appelée « succursale philanthropique », le Mont imposait au prolétaire l'urgence de son « coupon sordide ». En contre-point cette politique antisociale, la Commune décida la délivrance gratuite des objets de moins de 20 F., à partir du 7 mai. Par-delà les décisions de chaque camp, l'institution en elle-même était personnifiée en spéculateur, décrite comme « les caves du vieux Shylock » qui « [était] pressé de réaliser ses valeurs jaunes et rouges. Il n'a pas, du reste, a se gêner avec Jean Misère, son débiteur incorrigible et son client quand même 28 ! » Face au type du prolétaire, se dressait à nouveau un cliché antijudaïque. Shlylock, c'est le prêteur sur gage jaloux du Marchand de Venise et implacable avec ses créanciers, dans la pièce de Shakespeare. Institution éminemment parisienne, le Mont-de-piété ne concourrait pas au « Versaillais » de la propagande communaliste. En revanche, omniprésent oppresseur du peuple, son existence produisait une toile de fond propice à la dénonciation de l'usurier. Au même titre que le Mont, la « Banque », -B majuscule, c'est-à-dire la Banque de France, faisait figure d'oppresseur du peuple. Mais, elle, était clairement associée aux gouvernants ennemis, comme l'organe exécutant le programme financier concocté à Versailles. Les feuilles satiriques s'en donnèrent à cœur joie. On savourera l’apéritif à l'intention de la presse gouvernementaliste. On lit dans les journaux de douce digestion : « La Banque de France, avec une intelligence de la situation dont il faut lui savoir gré, a déclaré qu'elle ne ferait payer les intérêts échus qu'à ceux de ses débiteurs qui voudront profiter de la loi Dufaure. » Traduction de la Carmagnole : Les négociants riches ne paieront pas d'intérêts sur leurs billets échus. Les commerçants pauvres paieront cet intérêt jusqu'au dernier centime. Conclusion de la Carmagnole : C'est comme ça du haut en bas. Les gens qui n'en ont pas besoin trouvent à emprunter des centaines de mille francs à cinq pour cent ; ceux qui sont obligés de demander au Mont-de-Piété trente francs sur leur dernier matelas, les obtiennent au taux de faveur de onze pour cent. Voilà pourquoi il est indispensable que la province, qui trouve ces choses-là justes, vienne mitrailler Paris, qui les trouve révoltantes. M. Thiers s'en occupe29.
À l'égard de la Banque, les délégués aux Finances de la Commune adoptèrent un comportement parcimonieux, refusant de vider ses coffres pour ne pas risquer l'instabilité financière. La mémoire communiste de 1871, dès Marx, fit de cet acte manqué une des raisons de la défaite 30. Ce 28Capdevielle, « Les échéances et la faillite », art. cit., mardi 21 mars, p. 2, col. 2. 29« La Banque a un cœur d'or », La Carmagnole, 2 avril, p. 2. 30 Sur les faits et sur leur distorsion, lire Éric CAVATERRA, La Banque de France et la Commune de Paris, 1871,
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débat, bien qu'il impactât peut-être le « Versaillais » de la mémoire, est de l'ordre de la ifstory, et n'a pas sa place ici. Dès le 21 mars, pour critiquer les mesures gouvernementales sur les échéances, la Banque, centre névralgique de la spéculation, servait de cible emblématique. Et le journaliste de réclamer que l'Assemblée s'occupe de « l'avantage du pays avant celui de la Banque de France, [du] salut de tout le monde avant la spéculation de quelques-uns, au détriment de l'immense collectivité31. » La réprobation de la « banque », -b minuscule, c'est-à-dire le métier, englobait une large part indéterminée de la population – mais néanmoins personnifiée –, en complément d'une dénonciation imprécatoire de l'usure. Des « Prévisions de demain » livraient sur plusieurs jours une analyse de la situation économique à affronter après la victoire indubitable du mouvement communaliste. Le 2 mai, elles proposaient de faire porter le poids des indemnités de guerre aux « pauvres rentiers déca-millionnaires. » En effet, à la question de savoir s'il demeurait en France des gens sur qui faire peser un impôt nouveau, elles répondaient : Oui, et parce que, peuple souverain, grignoteur de rogatons et marmiteux, tu n'as jamais choisi pour représentants que des rentiers, aucun gouvernement n'a jamais établi, – écrivons-le en majuscule : L'IMPÔT SUR LA RENTE.
Suivait après la déclaration un détail technique des diverses « rentes de capital », c'est-àdire « toutes les valeurs cotées à la Bourse » qu'il faudrait taxer à 10 %, dont notamment les « rentes d'État » qu'on ne saurait évaluer qu'une fois connu « le chiffre vrai les emprunts gambettistes et versaillais. » Conséquence, par exemple pour une rente de 500 000 F, « 50,000 fr. d'impôt sur une seule tête. » – Hé, qui ne serait heureux de les payer ; cela prouverait qu'après l'acquittement du devoir civique, on a encore 450,000 fr. pour passer son année. – Pauvres gens ! une position à mettre à l'enchère en cas de grève des mécontents32.
Une rhétorique directement adressée aux partisans affairistes d'un gouvernement les protégeant à tout prix. Le Père Duchêne, dès le 9 mars, réagit au montant des indemnités de guerre en notant que « les marchands d'argent », « qui s'en vont traîner leurs escarpins sur les sacrés pavés de la Bourse » se fichaient bien des cinq milliards, car ils savaient que seuls « les bons bougres de patriotes » en feraient les frais. Ces « misérables gueux » qui avaient fait « affaires honnêtes avec les Prussiens » alors qu'ils occupaient encore les forts, la feuille proposait de leur couper les vivres. Devrait-on pas foutre aux cinq cent mille diables cette sacrée Bourse qui emplit les poches à un tas de feignants qui se servent de l'argent pour rigoler – tandis que nos pauvres bougres de patriotes n'ont pas seulement de pain à se foutre sous la dent, à eux et à leurs enfants ?
De la sorte étaient découpées très nettement deux identités aux rapports à l'argent totalement incompatibles. D'une part, le peuple et de l'autre, des spéculateurs adeptes de la « rapine » Paris/Montréal, L’Harmattan, « Chemins de la mémoire », 1998, 334 p., qui fonde sa démonstration sur les archives inédites de l’institution elle-même. 31 « Les échéances et la faillite », art. cit. 32 Georges Duchêne, « Les prévisions de demain », II, La Commune, mardi 2 mai, p. 1, col. 1.
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pur et simple et qui avaient le toupet de s'intituler pompeusement « agents de change33 ». Toutefois, il convient de préciser que l'actualité immédiate de la rédaction influençait notoirement la teneur du propos, autant sur ce thème que sur les autres. Arthur Monnanteuil, ami de Félix Pyat qui quitta la rédaction de La Commune à la mi avril, au moment ou le titre critiquait plus ouvertement le pouvoir de l'Hôtel-de-Ville, pouvait presque tirer fierté du fait que les « agents de change » refusassent d'aller à Versailles34. C'est qu'au lendemain de la prise de Courbevoie par l'armée du gouvernement, l'heure était à la constitution d'un bloc parisien contre l'adversaire politique. Les spéculateurs qui demeuraient à la capitale, c'était une preuve de la sécurité qui y régnait et de la cohésion d'une ville contre l'autre. Un dernier thème, plus mineur, était associé à la corruption du « Versaillais ». Les fonctionnaires qui émigrèrent massivement à la demande du gouvernement à partir du 18 mars, furent accusé d'être des oisifs, dont pouvait se passer le Paris révolutionnaire. Ici, deux aspects du mouvement communaliste expliquent ce rejet. D'une part, les anciens fonctionnaires de la ville et des ministères furent le plus possible remplacés par des militants révolutionnaires. Les « usurpations de fonction », comme les ont appelées les tribunaux militaires chargés de juger les Communeux, relevaient d'une volonté de reconstruire à neuf, de constituer une « administration ordinaire de l'extraordinaire35 ». Laquelle ne pouvait tolérer, dans les discours36, les administrateurs parfois en place depuis le Second Empire – malgré une purge après la proclamation de la République. D'autre part, l'accusation de corruption à l'encontre des fonctionnaires en fuite relevait de la simple revendication de justice sociale proclamée sur tous les tons par la révolution du 18 mars. C'est en sens qu'on peut interpréter le courrier d' « un de ses lecteurs assidus » que publia Le Cri le 15 avril. Dix jours plus tôt, le gouvernement Thiers avait promis une indemnité aux fonctionnaires qui abandonnaient leurs postes. Parmi les « partageux » qui « veulent, sans rien produire, avoir la meilleure part de ce que produisent leurs concitoyens », les « fonctionnaires de tout ordre » tiennent une place de choix. Des « fonctionnaires cumulards, dont l'absence ne se fait guère regretter, dont quelques-uns touchaient des traitements fabuleux : partageux ! partageux ! », accusait-il37. Le ricochet de cette injure, d'abord colportée dans la presse gouvernementaliste à l'encontre des partisans des Communeux – et qui perdura dans ce sens dans la mémoire de l'événement – si33 Le Père Duchêne, n° 3, 18 ventôse (9 mars), p. 6-7. Souligné par l'auteur. 34 Arthur Monnanteuil, « Nouvelles », Le Vengeur, p. 2, col. 1. 35 Quentin DELUERMOZ et Jérémie FOA, « Titulatures, positions sociales et mouvement révolutionnaire : les “usurpations de fonctions” communardes (1871) » dans Q. DELUERMOZ et J. FOA (dir.), Usurpations de fonction et appropriations du pouvoir en situation de crise (XIXe-XXe siècle), Paris, Centre d’Histoire du XIXe siècle, 2012, p. 59. 36 Car en fait, beaucoup de services publics essentiels ne perdurèrent que grâce aux fonctionnaires ayant préféré demeurer à Paris, à l’instar des Postes, réorganisées par Albert Theisz à la tête des hommes restés en place. Lire Prosper-Olivier LISSAGARAY, Histoire de la commune de 1871 [1896], Paris, La Découverte, « Poche/Sciences humaines et sociales », 2000, p. 477. 37 Un de vos lecteurs assidus, « Les partageux », Le Cri du peuple, samedi 15 avril, p. 2, col. 4.
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gnifie bien la remise à plat de l'ordre existant selon des référentiels nouveaux. La moralité était la valeur centrale de cette régénération. Au 20 mai, alors que les défaites fédérés en banlieue s'accumulaient, la Commune se proclamait vertueuse jusqu'au cœur du péril. Moralisation de son administration d'abord, mais aussi, avec ces prophéties victorieuses, quotidiennes dans la deuxième moitié de mai, moralisation plus globale, incluant le camp adversaire. Considérant que dans les jours de Révolution, le peuple, inspiré par son instinct de justice et de moralité, a toujours proclamé cette maxime : « Mort aux voleurs ! » La Commune décrète : Art. 1er. Jusqu'à la fin de la guerre, tous les fonctionnaires ou fournisseurs accusés de concussion, déprédation, vol, seront traduits devant la cour martiale ; la seule peine appliquée à ceux qui seront reconnus coupables sera la peine de mort. Art. 2. Aussitôt que les bandes versaillaises auront été vaincues, une enquête sera faite sur tous ceux qui, de près ou de loin, auront eu le maniement des fonds publics 38.
Darien restitue cette perception, certes avec le recul potentiellement biaisé de dix-huit années. Dans son roman, l'enfant narrateur dépeint avec ironie le chef de bureau que son père est forcé d'héberger, un M. de Folbert. « Il s'exprime en phrases officielles », « se tient raide comme un manche à balai », « il a une mine de pain d'épice est des attitudes de pantin ». Surtout, le fonctionnaire favorise les affaires du père du narrateur, car « il a le bras long – au figuré », lui obtenant la construction d'une grande ambulance en bois39. Le clientélisme et la corruption disqualifiaient donc les petites mains de l'administration du gouvernement Thiers. Bien sûr, ce vice de l'argent émanait des ministres eux-mêmes, de sorte qu'ils apparaissaient à longueur de colonne comme les sources de la corruption.
Le gouvernement d'affairistes Les membres du gouvernement, figures notoires, furent naturellement les têtes d'affiche de la propagande communaliste. Les journalistes n'hésitaient jamais à en faire des personnages perclus de vices, puisque leur évocation était immédiatement parlante pour le lecteur, et à ce titre un outil puissant pour tendre les énergies vers l'ennemi « Versaillais ». La prévarication semblait leur mode de vie. Autant de scandales financiers qui éclaboussèrent, entre janvier et mai, des gouvernants bien accrochés au pouvoir. Ces « charlatans politiques », que Vallès nommait comme tel pour leur faculté de girouettes et leur longévité aux commandes, étaient dépeints en charlatans tout cours. Georges Duchêne exprima avec force cette continuité dans la ruine des finances françaises. « Le banditisme impérial, l'énervement Trochu, le coupe-gorge versaillais nous lèguent quelque chose comme quatre milliards de frais intérieurs, sans préjudice des dépenses d'occupation et des
38 Journal officiel de la République française, samedi 20 mai, partie officielle. 39 G. DARIEN, « Bas les coeurs [1889] », chap. cit., p. 307-308.
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cinq milliards d’indemnité », lâchait-il40. Le lendemain, parmi les mesures de comblement de cette dette inique, il préconisait un « impôt de guerre » exceptionnel pour faire payer les « fortunes mal acquises sous l'empire ». Fortunes constituées par scandales financiers successifs, que le journaliste ne se priva pas de lister, à l'instar de celle d'Eugène Rouher, favori de l'empereur accusé d'avoir perçu des traitements ministériels mirobolants. C'est donc selon un « principe de responsabilité » que Duchêne proposa de faire payer ceux qui, en outre, avait déclenché la guerre étrangère. Il serait vraiment par trop scandaleux qu'après avoir jeté la patrie dans un abîme, les au teurs de la ruine du pays en fussent quittes pour aller manger à l'ombre leurs revenus mal acquis ; pis que cela : pour revenir encore faire impunément et impudemment un deuxième siège de Paris, de Marseille, de Limoges et autres lieux, plus le siège de la République. […] Un milliard de restitution par les sénateurs, députés, ministres, conseillers d'Etat, préfets et autres complices de l'empire, par les bombardeurs de Versailles, c'est une annuité [de remboursement de la dette] sur nos dix41.
Il établissait une continuité claire entre les différents régimes successifs : Empire, Défense nationale, gouvernement issu des élections du 8 février. Tous les journaux communalistes partageaient cette dénonciation d'hommes politiques accrochés au pouvoir. Prosper-Olivier Lissagaray, dans le premier numéro de son Action, résumait l'idée. En une formule, il faisait de Jules Favre, Ernest Picard et Adolphe Tiers le « triumguesat42 » à abattre – titre de son article faisant foi. Un mot qui condensait triumvirat – synonyme de complot –, permanence du trio au pouvoir et vilenie de leurs pratiques – celles de vulgaires gueux. Au Cri, on les appelait également « pillards ». On ne saurait trouver encore à Paris de tels individus, mais « ils sont à Versailles », qui font « de la politique un métier, des affaires publiques une marchandise, qui ont vécu et vivent encore sur le budget, dont la fortune est faite des sous du contribuable, de la misère des exploités, des malheurs du pays43. » Le premier-Paris de Pierre Denis rebondissait à l'interprétation par un journal gouvernemental d'un graffiti sous-entendant que la ville était livrés aux « pillards » de la Commune. Encore un retournement de l'injure, jeu rhétorique omniprésent dans la joute de presses ennemies. Pour le journaliste communaliste, qui n exerça aucune responsabilités ni commandements militaires44, l'injure désignait clairement ceux qui avaient eu affaire – et des plus frauduleuses –, avec la direction de la chose publique. Ceux « qui ont eu leur part dans les emprunts d'État, dans les pots de vin, les fournitures, les concessions ; concussions, monopoles et privilèges qui ont, pendant trente ans, répandu en France toutes les corruptions, électorales, financière, économiques ; ceux qu'un tribunal impartial condamnerait à dix 40 Georges Duchêne, « Les prévisions de demain », II, La Commune, mardi 2 mai, p. 1, col. 1. Le général Jules Trochu, premier chef du gouvernement de la Défense nationale, orléaniste, fut nommé gouverneur de Paris dès août 1870. Détesté des militants révolutionnaires parisiens, notamment parce qu'il conduisit la répression de l'insurrection du 31 octobre 1870. 41 Id., III, mercredi 3 mai, p. 1, col. 1. 42 Prosper-Olivier Lissagaray, « À mort ! », L'Action, mardi 4 avril, p. 1, col. 1. 43 Pierre Denis, « Les pillards », jeudi 4 mai, p. 1, col. 1. 44 Maxime JOURDAN, « Le Cri du peuple ». 22 février 1871-23 mai 1871, Budapest/Paris/Turin, L’Harmattan, 2005, p. 184.
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ans de bagne, s'il était sévèrement impartial, et s'il appliquait aux hommes d'Etat les articles du Code pénal. » En conclusion, Denis saluait la décision du Conseil d'ordonner, à destination de la Monnaie, la fonte de l'argenterie du ministre des affaires étrangères Jules Favre45. Une référence qui rappelle à quel point les casseroles financières de ce dernier furent les plus sonores parmi ses collègues ministres en 1871. Millière, actif comme on l'a vu sur la question des échéances, se faisait déjà le héraut des gens de peu face aux argentiers, en février, en dénonçant Favre le « Faussaire ». Sur deux pages complètes, il présenta aux lecteurs du Vengeur, le jour des élections législatives, les pièces à charge, y compris des faux en écriture, prouvant que le viceprésident du gouvernement de la Défense nationale et ministre des Affaires étrangères avait capté frauduleusement la succession d'une riche héritière, Jeanne Charmont. Millière, rechignant au rôle de « dénonciateur public », inscrivait sa démarche dans le contexte politique récent. Ainsi, il expliqua avoir attendu plusieurs mois avant la divulgation, en forme de « légitime défense ». Car avec d'autres, Millière était alors poursuivi pour sa participation à l'insurrection du 31 octobre 1870, et tous furent dénoncés publiquement par le ministre « comme des faussaires et des voleurs ». « Il importe en effet de vous arracher le masque d'hypocrisie à l'aide duquel vous avez capté une confiance dont vous faites un usage si fatal à la France », proclama-t-il donc en matière de justification. Puis, menaçant : « Nous verrons si, après ces révélations, […] Paris laissera plus longtemps le sort de la nation en des mains pareilles aux vôtres », laissant transparaître la motivation proprement politique du moment de la publication : éviter que Favre et d'autres « tripoteurs d'affaires » ne soient élu. De fait, même sans cette révélation, les républicains modérés n'avaient pas la faveur des Parisiens, et récoltèrent peu de voix à Paris le 8 février. Favre fut tout de même élu en 34e position sur 43 sièges dans la Seine, seul des membres de la Défense nationale dans ce cas 46. Après la 17e pièce, le journaliste concluait en effet par cet enjeu immédiat : « que la population parisienne, mieux éclairée, vous ôte enfin le pouvoir de consommer la trahison si manifestement révélée par tous les actes de votre dictature47. » Mort de Millière ? fusillé sur les marches du Panthéon le 26 mai. Une hypothèse tenace a traversé et habite encore les mémoires communalistes : son exécution aurait été ordonnée directement par Favre, conclusion fatale de vengeances à répétition48.
45 Zéphirin Camélinat, délégué à la Monnaie, employa ce matériau pour battre quelques pièces de 5 fr. Maxime VUILLAUME, Mes Cahiers rouges. Souvenirs de la Commune [1908-1910], éd. intégrale inéd., Paris, La Découverte, « Poche/Essais », 2013, p. 287-289, raconte avec sa précision et sa vivacité habituelle les détails de cet acte régalien tardif : les pièces ne furent prêtes qu’au 20 mai. 46 Gaston COUGNY et Adolphe ROBERT (dir.), Dictionnaire des parlementaires français. Comprenant tous les membres des assemblées françaises et tous les ministres français depuis le 1er mai 1789 jusqu’au 1er mai 1889, Paris, Bourloton, 1889, 5 vol., http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k83707p, consult. le 31 janvier 2012 Résultat induit par le rôle de l’homme dans les négociations avec Bismarck. 47 Jean-Baptiste Millière, « Le Faussaire », Le Vengeur, 8 février, p. 1-2. 48 Maxime JOURDAN, « L’assassinat infâme de Jean-Baptiste Millière », La Commune. Bulletin de l’Association des Amis de la Commune, 25, 2005, http://www.commune1871.org/?L-assassinat-infame-de-Jean, consult. le 11 mai 2012.
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Les échos du scandale furent innombrables. La véracité de l'information importait peu. Les affaires égrenées par la rhétorique communaliste servaient avant tout à unifier un camp vertueux contre des gouvernants corrompus. Car Favre demeura ministre des Affaires étrangères du gouvernement Thiers, et vice-chef du pouvoir exécutif (par dessus le marché). Son homologue de la Commune, Paschal Grousset, rappela donc à l'envie, dans son Affranchi, juste en dessous du premierParis signé de son nom, le passé de Favre afin de le discréditer. C'est que « le sous-chef des assassins de Versailles, le misérable proxénète qui mange depuis trente ans le pain blanc de la prostitution, du faux en écriture publique et de la trahison professionnelle, privée ou nationale – M. Jules Favre, pour tout dire en un nom » avait eu la hardiesse de dire à la tribune de l'Assemblée qu'un des seuls actes notoires de la commission aux Relations extérieures de la Commune fut « l'enlèvement de l'argenterie du ministère », que les insurgés se seraient « appropriée ». On comprend que cette circonstance soit particulièrement douloureuse à M. Jules Favre, qui s'était habitué depuis sept mois à siroter les cent trente mille francs d'appointements qu'il s'adjuge dans une argenterie d'une valeur d'achat de 500,000 francs, et d'une valeur intrinsèque d'au moins 300,000 francs. Le délégué à la Commune de Paris aux relations extérieures, qui ne s'adjuge pas d'appointements du tout, et qui ne mange au ministère dans aucune espèce de vaisselle, a pensé que cet énorme amas de casseroles d'argent serait infiniment plus utile […] en circulant sous la forme de pièces de cent sous […].
Véritable litanie à propos de Favre, la brève concluait par la présence des procès-verbaux du transfert de la vaisselle d'argent, signés y compris par Varlin, pour les Finances : « M. Jules Favre, qui est une spécialité en fait de signatures voudra bien, apparemment, se contenter de celles-ci49. » Par ailleurs, toutes sortes de fraudes lui furent imputées. Une « Grande colère du Père Duchêne à propos des faux billets de banque que le jean-foutre Favre a mis dans la circulation » voulait démontrer que le ministre, pendant le siège étranger, avait voulu « ruiner le petit commerce », et était passible des travaux forcés à perpétuité selon le code pénal. Le « ci-devant » ministre aurait « adultéré » les plus petites coupures de vingt et vingt-cinq francs » pour mener « toute doucement à une insurrection et à une guerre civile, prélude nécessaire d'une restauration monarchique50. » Dénoncer la corruption de « l'infâme Jules Favre », cible facile, alimentait à bon compte les deux scies de l'excitation à la guerre civile et du complot monarchique. Ce genre d'accusations se liait naturellement aux autres facettes du « Versaillais » de propagande. Dans un camp comme dans l'autre, le temps n'était guère à la vérifications des informations – les motivations étaient toutes autres. Début mars, le même Père Duchêne s'emparait de la rumeur selon laquelle Favre allait donner sa démission. Plus tôt, l'homme s'était défendu de n'avoir pas su négocier avec Bismarck, arguant qu'il avait obtenu « pas plus peut-être, mais pas moins » qu'un autre, dans une posture de mollesse qui devint sujet récurrent de moquerie. Avant de quitter son poste, on exigeait donc qu'il 49 L'Affranchi, vendredi 14 avril, p. 1, col. 2. Je souligne. 50 Le Père Duchêne, n° 15, 10 germinal (31 mars), p. 1-3.
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rendît des comptes. […] À part qu'il a tripoté à son aise avec ses « frères et amis » comme ils nous appellent, il a bien un peu mis la main dans les tiroirs, « pas plus peut-être », mais pas moins que son confrère Ferry. On vend la France ! On se fout des bons bougres de patriotes ! Et puis, ma foi, on s'esquive après. Halte au falot ! Qui vive ! mon bon jean-foutre ? Quoi ! pas une petite facture51 ?
Se servir dans les finances publiques n'étaient pas réservé au « Faussaire ». La pérennité de gouvernants corrompus étaient incarnée avec fidélité par Jules Ferry. Lui avait acquis une notoriété d'opposant de presse au Second Empire, notamment grâce à la publication à l'été 1868 d'une brochure qui fustigeait le coût des travaux d'Haussmann dans la capitale52. Élu à Paris aux élections de mai 1869, il comptait parmi les républicains modérés les plus remuants lorsque le 4 Septembre en fit le secrétaire du gouvernement provisoire. Nommé à la mairie de Paris le 16 novembre, sa gestion du ravitaillement pendant le siège le campait en « Ferry-famine53 » pour la presse socialiste. Et s'il avait été le pourfendeur du coût pour la collectivité des travaux haussmanniens, il puisait visiblement lui-même dans les réserves. C'est particulièrement l'équipe autour de Maxime Vuillaume, à La Sociale et au Père Duchêne, qui le prit en grippe. Quand il occupait l'Hôtel-de-Ville, les caves furent allégée, « du 4 septembre au 28 janvier, de 43,008 bouteilles de vin fin. » Avec les autres, il voudrait « se retirer sans payer sa consommation » ? On ne pouvait le laisser faire, d'autant que son frère aurait « tripoté avec des raffineurs de sucre54. » « Héros grotesque du 31 octobre », parce qu'il avait participé à répression de l'insurrection – ce qui lui valut sa nomination à la mairie ; « incapacité la plus remarquable dans le gouvernement d'incapables qui siégea au 4 septembre », Ferry se fendit d'une adresse aux employés de l'octroi leur intimant l'ordre de déserter leur poste, fin mars. Intolérable de la part d'un homme qui, même s'il demeurait symboliquement maire nommé de Paris, « [s'était] démis de ses fonctions » en ralliant Thiers, et dont l'administration « a déjà laissé des traces assez nombreuses de tripotages concertés avec son frères Charles, – ancien courtier d'assurances, aujourd'hui préfet ». Une manœuvre d'un homme classé parmi « ces messieurs de Versailles qui veulent affamer la Commune en la privant de numéraire55. » Tous les membres du gouvernement étaient concernés par ces attaques dont le but unique était de catégoriser un adversaire politique sur le plan moral. Leur mise au pilori de la corruption permettait même aux journalistes communalistes de les distinguer du « marchand honnête » de Paris. « Comment convaincre M. Picard que ce marchand, qui ne reçoit pas de nouvelles de ses expéditions [à cause du second siège], va perdre son crédit, tandis que lui, Picard, s'engraisse du crédit
51 Le Père Duchhêne, n° 3, 18 ventôse (9 mars), p. 7. 52 Parodie des Contes fantastiques d'Hoffmann, titre brocardé en Comptes fantastiques d'Haussmann. Les articles de ce recueil furent publiés dans Le Temps entre décembre 1867 et mai 1868. 53 J. ROUGERIE, Paris libre, op. cit., p. 81. 54Le Père Duchêne, n° 2, 17 ventôse (8 mars), p. 5. 55 « Ferry et l'octroi », 31 mars, La Sociale, p. 3, col. 1.
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public56 ? » Ernest Picard, ministre des Finances à partir du 4 septembre 1870 et rappelé par Thiers à l'Intérieur après le 8 février, ne valait pas mieux que « le misérable » Favre. « Si tous ses collègues, – et Picard au moins est son émule, – ont trafiqué de la sorte, le chiffre des détournements est énorme », résumait le Cri57. Picard fit aussi l'objet d'un bon Mot du « franc-flâneur », qui montre d'ailleurs ce que l'écriture pamphlétaire en 1871 doit au jeu de miroir permanent entre les deux presses. Dans les journaux versaillais, on dit que Picard se retira des finances, las, épuisé. Dans les journaux parisiens, on dit plus justement qu'il se retire, las d'y puiser58.
Jules Dufaure, s'il n'occupa aucune fonction sous la Défense nationale, ne rompait pas avec le modèle du « charlatan politique » puisqu'après avoir été ministre sous la Second République, il s'était rangé dans le camp des opposants modérés à Napoléon III. Et qu'il devint garde des Sceaux du gouvernement Thiers. À ce titre, son nom désigna successivement les divers lois sur les échéances commerciales. En soi, cet amalgame sémantique suffisait à la stigmatisation de son rapport à l'argent, très éloigné du Paris populaire. L'objectif de ces diatribes est immuable pendant toute la durée de l'insurrection, quelque soit la cible. Il s'agit de fustiger une classe d'hommes fortunés incapables de présider au bonheur du peuple. En cela le riche « Versaillais » relevait presque d'un autre monde. Georges Duchêne, dans le dernier volet de ses « Prévision pour demain », statuait que « la bataille entre Versailles et Paris, c'est la dernière convulsion de l'esprit de caste décidé à se maintenir, même au milieu des ruines et des cadavres ». Toutes les mesures économiques qu'il prévoyait pour combler le déficit causé par des « dignitaires de la société » corrompus – auxquelles s'ajoutait la reprise des biens de l'Église – revenaient à « autant de coups de marteau dans le vieil édifice des castes et des privilèges59. » Leur appétit pour l'enrichissement personnel au détriment de la collectivité semblait presque induire les autres vices. Du moins, c'est bien « Mercadet » qui commandait « Basile » (la personnification du clergé) et « Pandore » (la personnification du gendarme), dans le conte d'Henri Place, commandant du 192e bataillon de la garde nationale et membre de la rédaction du Cri du peuple. Mercadet paye Pandore et Basile, – avec l'argent des travailleurs, naturellement. – Il af fecte de grands airs de dévotion, assiste à la messe du matin, mais jamais ne va aux vêpres : c'est l'heure de la bourse. Le soir, pendant que Pandore monte la garde à la porte, il se glisse avec Basile dans un cabinet particulier, et tous deux, loin des yeux des méchants, arrosent de champagne les seins nus des filles.
Reste que face à eux trois, le peuple savait se montrer uni. Car un des enjeux financiers de 56 57 58 59
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Henry Maret, « Le blocus », La Commune, n°14, dimanche 2 avril, p. 1, col. 2. « Voleur et faussaire », Le Cri du peuple, samedi 15 avril, p. 2, col. 2. Le franc-flâneur, « La Rue et les boulevards », Le Mot d'ordre, samedi 22 avril, p. 2, col. 3. « Les prévisions », art. cit., IV & V, vendredi 5 mai, p. 1 col. 1.
« l'année terrible » fit couler davantage d'encre que les autres. Le loyer, et la problématique de la propriété foncière, relevait lui aussi de l'enjeu identitaire face au gouvernement, et contribuait à unir Paris contre le « Versaillais » riche. C'est par la perspective d'un soulèvement populaire sur cette question au 8 mars que se concluait le conte. Quand les propriétaires jetteront les locataires à la rue, les locataires y construiront des barricades, et les marins et les lignards les aideront à les défendre60.
Reprendre la ville au propriétaire Hôtels particuliers : subvertir des symboles Le conseil de la Commune se voulait le défenseur de l'espace populaire parisien, centré sur les quartiers ouvriers de la capitale61. C'est aussi parce qu'ils possédaient des morceaux de la capitale que les gouvernants de Versailles polarisèrent les salves polémiques dès les premiers bombardements du deuxième siège. Leur biens immobiliers nichés au cœur d'un Paris dépeint comme tout entier révolutionnaire, s’apparentaient à de véritables extensions du « territoire versaillais » qu'il faillait détruire et, surtout, réemployer pour le bien commun du régime parisien et de ses « administrés ». Alors que les immeubles commençaient à s'effondrer, et devant tant de hardiesse immorale de la part du gouvernement, Secondigné avertissait : « Gare, messieurs les millionnaires de Versailles, les obus pourraient bien écorner quelques-unes de vos propriétés de Paris 62. » Ce qu'il choisissait de mettre en exergue, alors que les Parisiens subissaient à nouveau le péril de la mort venue du ciel, c'était la richesse foncière des hommes aux commandes. La focalisation sur leur statut de propriétaires fut également l'angle choisi par Rochefort qui, quelques jours plus tôt, profitait de la même actualité militaire pour épingler les biens de Thiers, Favre et Picard. « Tuer des femmes et des enfants, c'est peut-être dans l'ordre ; mais éventrer des immeubles, c'est grave pour des réactionnaires dont l'unique préoccupation est de protéger la propriété. » Il ajoutait que ces « propriétaires hommes d'État » avaient « déserté » leurs somptueuses résidences sur « le pavé de Paris63 ». La diatribe du polémiste, inspirée par la loi du Talion propre au conflit armé, donnait la place centrale à la propriété foncière. De fait, elle soulignait l'incongruité de tolérer dans un Paris repris les îlots ennemis qu'étaient ces hôtels. 60 Henry Verlet (pseud.), « Pandore, Basile, Mercadet », Le Cri du peuple, 6 mars, cité par JOURDAN, op. cit., 2005, annexes. 61 Jacques ROUGERIE, « L’espace populaire parisien en 1871 », Recherches et travaux. Bulletin de l’Institut d’histoire économique et sociale de l’Université Paris I, 5, janvier 1977, http://www.commune-rougerie.fr/lespace-parisien-en-1871,fr,8,53.cfm, consult. le 9 mai 2013.. 62 Le Bonnet rouge, n° 1, lundi 10 avril, p. 1, col. 4. 63 Henri Rochefort, « Les défenseurs de la propriété », Le Mot d'ordre, jeudi 6 avril, p. 1, col. 3. Lire infra, « Annexes ».
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Le cas de Thiers, premier personnage du gouvernement, polarisa la polémique en la matière. La destruction de son hôtel de la « place Georges64 » fut débattue à partir du 26 avril au conseil de la Commune, le lendemain de la capture et de l'exécution sommaire de quatre fédérés près de Villejuif. Certes, cette concordance chronologique laisse croire que la décision finalement décrétée le 10 mai de raser sa « maison » obéissait à une simple logique vengeresse65. Réduire à ce réflexe belliqueux de telles réappropriations du bâti parisien laisse pourtant de côté un facteur identitaire essentiel dans la guerre des mots de 1871 : contre un gouvernement d'individualistes propriétaires, un Paris de partageux. Ainsi, le premier décret en l'espèce, daté du 2 avril, stipulait que les biens des « hommes du gouvernement de Versailles », nommément Thiers, Favre, Picard, Dufaure, Simon et Pothuau, coupables d'avoir engagé la guerre civile, devaient être « saisis et mis sous séquestre », dans l'attente de leur jugement « par la justice du peuple66 ». L'impulsion initiale des révolutionnaires n'était donc pas la destruction, mais la réquisition. Rochefort, à qui ne répugnait pas l'idée de mettre à bas ces propriétés, espérait même, goguenard, que la moindre menace sur son « palais » effrayerait assez le chef des « défenseurs de la propriété » pour le pousser à ordonner un cesser le feu. Mais, partisan du légalisme de la Commune, il déconseillait lui aussi la destruction des maisons, supposant qu'en « apprenant que la justice populaire démolit l'hôtel de M. Thiers qui a coûté deux millions, l'assemblée siégeant à Versailles lui en voterait immédiatement un autre qui en coûterait trois », aux frais du contribuables67. Ces expropriations entraient naturellement dans la joute entre presses ennemies. Les journaux gouvernementaux relayèrent la crainte que la propriété privée ne soit pas respectée. La presse communaliste, note Éric Fournier, retourna cet argument à son profit, arguant que l'exécutif ne respectait guère celle des quartiers bombardés 68. Francisque de Sarcey, Gaulois réfugié à Versailles, accusa personnellement le rédacteur en chef du Mot d'avoir organisé le « pillage » de l'hôtel Thiers, épaulé par une horde de femmes criant « Vive Rochefort ! » Se référant au décret du 2 avril, ce dernier répliquait : « tout Paris sait, et tout Versailles pourrait savoir que pas une épingle n'a été enlevée de l'Hôtel de la place St-Georges où les scellés ont été simplement apposés69 ». Lors de l'investissement du lieu par le 223 e bataillon de la garde nationale, les papiers de « M. de Transnonain » ont été perquisitionnés, sans qu' « aucun dégât matériel n'[ait] d'ailleurs été commis70. » Face aux destructions massives que provoquèrent les bombardements, par exemple dans le quartier des Ternes, la Commune ne répondit donc pas par le vandalisme sauvage. Elle s'inscrivit dans une 64 65 66 67 68 69 70
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Journal officiel de la République française (Commune), 11 mai, partie officielle. Éric FOURNIER, Paris en ruines. Du Paris haussmannien au Paris communard, Paris, Imago, 2008, p. 65. Journal officiel de la République française (Commune), lundi 3 avril, partie officielle. Henri Rochefort, « Les défenseurs de la propriété », jeudi 6 avril, p. 1, col. 3. Lire infra, « Annexes ». Paris en ruines, op. cit., p. 66. Henri Rochefort, jeudi 20 avril, p. 1, col. 5. « Informations », Le Bonnet rouge, dimanche 16 avril, p. 2, col. 5.
forme de « vandalisme purificateur71 », caractérisée par un encadrement strict des richesses prélevées. En témoigne l'ordre des arrêtés du décret du 10 mai : en article 1er, « la saisie par l'administration des domaines » des biens meubles de chez Thiers, sous la conduite de Jules Fontaine ; ensuite seulement, en article 2, la destruction de la demeure. D'ailleurs, le 15, un texte organisait soigneusement la redistribution. Si les considérants rappelaient encore que ces mesures étaient des représailles « aux larmes et aux menaces de Thiers, le bombardeur, et aux lois édictées par l'Assemblée rurale, sa complice », les arrêtés relevaient clairement d'une confiscation de la propriété privée au profit de la communauté. Le linge ? « À la disposition des ambulances72 ». Le mobilier ? d'abord exposé au public. Jusqu'aux matériaux issus de la déconstruction, vendus aux enchères au bénéfice des veuves et orphelins de guerre qu'avait créés « l'ex-propriétaire de l'hôtel Georges ». Deux dispositions supplémentaires renforcent l'idée que ces expropriations symboliques relevaient bien de l'extension du domaine public. D'une part, les « œuvres d'art de toutes sortes » que contenait le « merveilleux hôtel » décrit par Rochefort le 6 avril, ainsi que les livres précieux, devaient, au titre du décret, rejoindre bibliothèques et musées nationaux. Quant au terrain ainsi libéré, Fontaine projetait d'y ouvrir un « square public73 ». À la mi-avril, la récupération de parts du territoire de « Paris, ville libre » motivait une autre dénonciation à la commission de Sûreté. Montijo, épouse Bonaparte, possède par moins de dix maisons sur le pavé de Paris. Ces immeubles sont, bien entendus, enregistrés au cadastre sous un nom d'emprunt. C'est le sieur Monnier, ancien précepteur du jeune Louis, dit le prince de la balle, qui est, à ce qu'on nous affirme, le prête-nom dans cette affaire74.
L'expropriation semblait doublement justifiée : elle concernait la famille impériale en fuite ; en outre, elle révélait la dissimulation dont se rendaient coupables les séides du régime déchu. Ici, le journaliste en profitait donc pour moquer le fils unique de Napoléon III, quinze ans en 1871. Secondigné construisait son jeu de mot à partir du célèbre « toast à une balle » transmis par son ami Félix Pyat au banquet révolutionnaire de Saint-Mandé, le 21 janvier 1870, lequel faisait suite à l'assassinat de Victor Noir par Pierre-Napoléon Bonaparte, cousin germain de l'empereur. La locution « sur le pavé de Paris » omniprésente dans la presse communaliste, est peut-être la preuve la plus manifeste de la composante territoriale des expropriations immobilières opérées ou projetées par la Commune. Elle résume la distinction entre propriétaires en fuite et Parisiens insurgés maîtres de leur ville.
71 Paris en ruines, op. cit., p. 67. 72 Déjà, le 25 avril, Fontaine écrivait au directeur des ambulances Roussel, pour l'informer qu'une première livraison de linge lui parviendrait bientôt, autre réquisition en provenance de « la maison de l'ex-empereur ». Il s'y disait heureux que ces draps, serviettes et torchons puissent servir au secours des blessés plutôt qu' « aux valets impériaux de tous ordres et de tous rangs ». Journal officiel, mercredi 27 avril, partie non-officielle. 73 Journal officiel de la République française (Commune), 16 mai, partie officielle. 74 « Informations », Le Bonnet rouge, dimanche 16 avril, p. 2, col. 5.
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Louer sa liberté ? Le « Versaillais » propriétaire ne désignait pas seulement les gouvernants. Sur la propriété foncière et la problématique corollaire des loyers, tous au sein du mouvement s'accordaient sur un point : le Paris populaire, éreinté par cinq mois d'un siège ruineux, ne pouvait accepter une nouvelle saignée imposée par le gouvernement au profit du propriétaire, « le type du parasite improductif75 ». Le 21, Dufaure présentait un projet instituant des commissions arbitrales pour traiter les litiges entre propriétaires et locataires. Il prévoyait d'éventuelles remises d'un quart des montants dus au maximum, favorisant les propriétaires d'autant plus qu'ils devenaient les seuls habilités à résilier un bail. Le 24, en séance, à l'Assemblée, un certain M. Ducuing, « profession d'économiste », rappelait qu'il avait « posé sur la route du Gouvernement ce sphinx redoutable ». « J'espère que le Gouvernement trouvera une réponse qui sauve sinon la prospérité du pays, du moins son honneur et ses intérêts. (Très-bien ! très-bien !) », ajoutait-il, visiblement approuvé par ses collègues76. Le conseil de la Commune prit le « sphinx » a bras le corps. Le 29, il affirmait que « toutes les charges de la guerre » avaient été supportées par « l'industrie et le travail » et, réservant le terme à sa composante foncière, qu' « il [était] juste que la propriété fasse au pays sa part de sacrifice ». En conséquence, il décréta une « remise générale » des termes d'octobre 1870, de janvier et d'avril 1871, y compris pour les garnis ; les sommes payées par les locataires les neufs mois précédents devenaient imputables aux termes suivants ; enfin, pour les six prochains moins, les locataires – et eux seuls – pouvaient résilier leur baux à volonté77. Les arrêtés du décret, en particulier le dernier – véritable contre-point du texte gouvernemental –, portaient un vœu d'émancipation vis-à-vis des propriétaires. Ce vœu fut un élément primordial de la revendication du « Paris, ville libre », car il ôtait les lourds fers de la dette locative aux fédérés, dont les trente sous suffisaient à peine à survivre, comme à tous les acteurs de la Commune, élus ou administrateurs, aux traitements volontairement plafonnés à 15 F, et dont pas un ne possédait son propre toit78. Il convient de garder à l'esprit l'aspect concret du loyer, qui touchait directement les plus modestes Parisiens, impactés depuis Haussmann par une hausse notable des prix dans la capitale. Pour le révolutionnaire parisien, il était hors de question de louer sa liberté au « Versaillais » propriétaire. C'est en ce sens que statua le Mot, à qui « l'Assemblée de Versailles [semblait] tout aussi compétente à discuter une loi sur les loyers de Paris qu'à régler l'uniforme des 75 Jacques ROUGERIE, Paris insurgé. La Commune de 1871, Paris, Gallimard, « Découvertes », 1995, p. 45. 76 Journal officiel de la République française (gouvernement), 25 mars, partie non officielle. Quentin DELUERMOZ, « Le temps des sphinx » dans Histoire de la France contemporaine. 3. Le crépuscule des révolutions. 1848-1871, Paris, Seuil, « L’Univers historique », 2012, p. 371-373, propose la figure comme outil privilégié par les contemporains pour interroger les modernités du siècle. 77 Journal officiel de la République française, 30 mars, partie officielle. 78 M. VUILLAUME, Mes Cahiers rouges, op. cit., relate les visites à ses amis Communeux dans leurs studios du Quartier latin.
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mandarins de la Chine79 ». Les journaux communalistes célébrèrent à l'unisson le décret du 29 mars, d'ailleurs l'un des rares à avoir reçu une application générale 80. Dès son premier numéro du 31 mars, La Sociale le reproduisit à la rubrique « Actes officiels et documents politiques », en deuxième page ; le lendemain, son commentaire sautait en premier-Paris. Cette feuille dont, une fois n'est pas coutume, aucun des rédacteurs identifiables n'appartenait au conseil de la Commune, profitait même de l'occasion pour réclamer « LA LIQUIDATION DE LA PROPRIÉTÉ ». « Nous allons la réorganiser, veux-je dire », s'empressait d'ajouter l'auteur, car l'article, derrière un titre choc, entendait montrer que le climat politique se prêtait à une réforme de la propriété selon Proudhon – figure tutélaire citée plusieurs fois par numéro. Les preuves de ce climat ? « Thiers et ses collègues » comme les « hommes de la Commune », en annulant le caractère inexorable des loyers – partiellement pour les uns, totalement pour les autres –, « [retirèrent] un à un les étais fondamentaux qui consolidaient la propriété. » Pas dupe pour autant des intentions tout à fait divergentes dans chaque camp, la plume encensait une décision responsable de la Commune, quand elle moquait une « Assemblée de Versailles […] arrivée à ce degré de décrépitude et d’imbécillité où la raison s'en va, […] où le cerveau a perdu la faculté d'associer et de coordonner les idées essentielles à la nature de l'être. » Ces « pauvres députés ruraux » n'avaient pas compris que leur vote, « à leur insu », ébréchait de fait la sacro-sainte propriété privée, facteur essentiel de l'oppression du peuple81. Afin de reloger les déplacés des quartiers détruits, le conseil de la Commune décréta une nouvelle atteinte à ce principe tenu pour absolu par le gouvernement : la réquisition des logements vacants, adoptée le 24 avril. Le texte définitif manque au Journal officiel, sans doute par oubli, ce qui ne l'empêcha pas d'être diffusé à son échelle d'application escomptée, la municipalité d'arrondissement. En atteste par exemple l'arrêté de l'administrateur délégué à la mairie du IX e qui invitait les propriétaires d'appartements vacants à se déclarer sous vingt-quatre heures, en application du décret de l'Hôtel-de-Ville82. Par ailleurs, le procès-verbal de la séance permet de connaître la teneur de la proposition Malon, adoptée avec les amendements d'Arthur Arnould et de Gustave Tridon. Le premier réclamait que la mesure concernât les « appartements abandonnés depuis le 18 mars », mais le second ajouta qu'elle devait s'appliquer à tous les logements vides. Signe supplémentaire de la constante volonté de justice des Communeux, le texte de Malon prévoyait en outre un « état des biens » avant « la prise en possession », dont une copie devait être remise « aux représentants des propriétaires en fuite83. » L'expropriation, rendue impérieuse par la guerre, obéissait dans ce cas à une logique très différente de celle qui présidait à la reprise des maisons de membres du gou79 80 81 82 83
Henry Maret, Le Mot d'ordre, samedi 22 avril, p. 1, col. 6. Georges BOURGIN, La Commune, 6e éd, Paris, Presses universitaires de France, « Que sais-je ? », 1975, p. 57. La Sociale, jeudi 1er avril, p. 1, col. 1. Journal officiel de la République française, 27 avril, partie non officielle. Id., mardi 25 avril, partie non officielle.
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vernement. Toutefois, bien que temporaire, elle associait le propriétaire au lâche. La figure honnie du propriétaire servaient à décrire des populations diverses. Du haut de sa Montagne, Gustave Maroteau les voyait « en vieux drôles, qui ne méritent point de compassion pour deux sous. » « Jusqu'à trois heures du matin, au coin du boulevard et de la rue du FaubourgMontmartre, il se répandent en invectives dans les groupes. » D'ailleurs, « c'est pitié que de les voir faire ainsi le pied de grue, pendant que leurs femmes peut-être couchent avec un locataire ! » Sans tarir tout à fait sa gouaille, le journaliste reconnaissait qu'il existait quelques « honnêtes propriétaires ». « Deux et demi sur dix. La demie, c'est naturellement la femme de l'un de ces messieurs. Le reste ne vaut pas le pape. » Humour anticlérical, car l'article assimilait propriétaires et curés, au demeurant « diablement chiffonnés » par « le séquestre des immeubles et des meubles de l'Église84 ». Étonnant rapprochement, peu courant dans les dénonciations de l'ennemi, mais dont l'existence atteste de l'importance de la figure du propriétaire, laquelle complète la liste des tares associées au clergé. Quant à lui, Capdevielle85 classait les propriétaires de Paris selon une échelle de richesse nuancée, en trois catégories. Ceux qui « jouissent de larges revenus en dehors de leurs loyers », ceux qui vivent uniquement de ces loyers, et les « petits rentiers vivant dans leurs immeubles ». Une typologie qui, seule, permettrait « d'élucider la question », en se plaçant du point de vue des seconds. Cette préoccupation à propos d'une population qu'on pourrait qualifier de moyenne bourgeoisie ne peut être lié ne correspond pas à l'union des petits patrons et de leurs ouvriers fondée, elle, sur une proximité sociologique. La propriété enflammait davantage les tribunes de la presse communaliste. Mais ce positionnement conciliateur caractérise La Commune, au moins certains de ses rédacteurs, et perdura jusqu'à son interdiction de paraître décidée à l'Hôtel-de-Ville fin mai. La prééminence en une de longs articles analytiques, comme celui de Capdevielle, distingue également la feuille de ses semblables parisiennes du printemps 1871. Cette attitude n'empêchait d'ailleurs pas une option idéologique affirmée et une claire sensibilité proudhonienne. N'ayant pas encore eu vent du projet présenté par Dufaure, Capdevielle se réjouit ainsi que l'Assemblée nationale n'ait pas encore appliqué aux loyers « son système d'homœopathie sommaire et parlementaire. » Car pour ce conflit essentiellement local et privé qu' « aucune assemblée ne peut régler », il préconisa l'arrangement à l'amiable. Un règlement hors du cadre national, inadapté aux particularismes parisiens. Enfin, preuve de son attachement au socialisme de Proudhon, la plume consacrait la plus grande part de son article à une défense du « prolétaire, qui n'a pour tout bien que son bras
84 « Curés et propriétaires », La Montagne, mercredi 4 avril, p. 1, col. 3. 85 Gérant de La Commune selon John BARTIER, Odilon Delimal, un journaliste franc-tireur au temps de la première Internationale, Bruxelles, Éd. de l’Université libre de Bruxelles, 1983, p. 140. Inconnu des ressources biographiques habituelles.
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et son outil86 ». Il constituait la plus exposée des quatre catégories découpées parmi les locataires. Capdevielle réclama donc pour le prolétaire – et lui seul –, une remise totale, à l'image de ce que promulguera la Commune quelques jours plus tard. Le rapport de force entre l'Assemblée et l'Hôtel-de-Ville se durcit autour de la question des loyers. Le couple antagoniste propriétaire/locataire recelait des vertus mobilisatrices. Le 19 mars, dans un article sans doute écrit avant la nuit du 17 au 18, la satirique Carmagnole avertissait des répliques qu'occasionnerait un projet trop défavorable s'il était adopté par les « 750 dont la majeure partie se posent surtout en conservateurs de l'ordre ». Le 8 avril, date du prochain terme, « personne ne pouvant payer ses trois termes, les propriétaires, usant du droit romain, [pourraient] mettre meubles et locataires sur le pavé. » Et plus il y a de meubles sur le pavé, moins il faut de pavés. Cette raison-là n'a l'air de rien ; elle nous paraît pourtant digne d'être creusée. Messieurs les 750, à vous l'honneur87.
Le locataire saura faire bon usage du pavé si nécessaire, les deux relevant d'une même identité du Paris révolutionnaire. De fait, la « loi Dufaure » sur les loyers, plus que les autres, relevait du casus belli aux yeux des hérauts du « Paris, ville libre ». Vallès rappelait qu'au 8 janvier 1870 déjà, dans les colonnes de La Marseillaise, il « menaçait les propriétaires et le gouvernement d'une grève [des loyers] qui, certains jours à midi, mettrait l'ordre social en péril. » Et de prédire qu'au 8 avril 1871, il en sera de même88. Le Second Empire a passé, mais l'accouplement entre propriétaires et gouvernement, responsables ensemble face au peuple, est toujours évident aux socialistes de 1871. Néanmoins, dans les journaux communalistes, la protection des locataires n'en restait pas à la joute verbale. En effet, le thème met en lumière un trait primordial de « journaux militants89 » au ras du sol : leurs colonnes formaient un véritable espace public, interconnecté par le jeu des reprises et citations mutuelles permanentes. Certes, les rédacteurs décidaient de ce qui était mis sous presse ou non. Mais ils étaient eux-mêmes soumis à des impératifs de représentativité, afin de ne pas décevoir un lectorat acquis à la Commune ou, au contraire, afin de le rallier. La diversité des intervenants de cet espace d'expression collective contribua à donner vie au « Versaillais ». L'efficacité discursive du type doit beaucoup à ce dialogue, à cette synergie faite de lettres individuelles et de proclamations variées (associations ouvrières, clubs, bataillons de la garde nationale). 1871 apparaît ainsi comme la concrétisation d'une « l'utopie » de la Révolution : une communication 86 87 88 89
« Les échéances et la faillite », art. cit. « Le 8 avril », La Carmagnole, 19 mars. Jules Vallès, « La grève des loyers », Le Cri du peuple, mercredi 8 mars, p. 1, col. 1. Philippe RÉGNIER, « Le journal militant » dans D. KALIFA, M.-È. THÉRENTY et al. (dir.), La Civilisation du journal. Histoire culturelle et littéraire de la presse française au XIXe siècle, Paris, Nouveau Monde, « Opus magnum », 2011, p. 295-316. L'historien de la littérature y évoque surtout la Troisième République. Mais Le Cri du peuple de 1871 ouvre sa démonstration.
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im-médiate entre la Nation et ses représentants90. Le journal, dans ce qui semblerait aujourd'hui une confusion des genres de la part de journalistes dont beaucoup exerçaient le pouvoir à l'Hôtelde-Ville, endossait donc une double fonction. Expression d'une éloquence journalistique aux envolées lyriques d'une part, dont le principal but était de galvaniser le lecteur contre le « Versaillais ». Interaction permanente entre citoyens de base et administration ultra-locale des quartiers d'autre part – quartiers dont les plumes se revendiquaient. Selon cette ligne de conduite, Le Cri du peuple de déclara « tribune du peuple », le 9 mars. La Sociale du 1er avril ouvrit une « tribune des prolétaires » quand L'Affranchi du 2 la préférait « des travailleurs ». Le journal de Vallès aborda ce « sphinx » du loyer sous cet angle de la prise de parole ouverte aux Parisiens. Le 10 mars, sa première « tribune des locataires » accueillait la prose d'un « A. Capet, Chaussée du Maine, 42 » qui commençait par « remercier infiniment » la rédaction pour son idée « juste, loyale et patriotique » d'un lieu d'expression comme celui-ci. Dans sa lettre, il cite la maxime célèbre de Proudhon et l'interprète comme le vol de la richesse produite par le travail. Et de conclure : Quels sont les droits des propriétaires ? et quels sont les droits des citoyens ? Le droit légal des propriétaires est d'user, et même d'abuser de la chose à eux échue. Le droit des citoyens est d'user et même d'abuser de l'existence à eux échue. La propriété doit-elle primer l'existence ? Non91.
Son témoignage atteste de l'amalgame le plus répandu dans les discours des insurgés : « les propriétaires » sont un groupe uni, homogène qui, soutenu par le gouvernement sis à Versailles, conteste aux travailleurs de Paris, autre groupe uni et homogène, le droit au minimum vital alors que les séquelles de la guerre se font toujours ressentir. Le lendemain, la tribune relayait pourtant l' appel d'un propriétaire à la modération. Les attaques dont ses semblables étaient l'objet ignoraient les charges d'entretien. Pour sa part, il payait pour un immeuble chèrement acquis, à force d'économies sur ses cinquante sous journaliers de cordonnier. Le Cri, estimant à 75 000 F la valeur de l'immeuble en question, ne crut pas à la belle histoire : cinquante année de ce salaire n'y suffiraient pas. Le propriétaire, oppresseur du peuple, se révélait un menteur. Décidément il y a des choses que certaines personnes ne devraient pas dire. On pourrait répondre : « Vous n'êtes pas parvenu au propriétariat par les moyens que vous indiquez, donc tant pis pour vous si vous êtes obligés de payer les vidangeurs92. »
La stigmatisation du possédant relevait en définitive de l'affrontement de classes. Face au prolétariat, le propriétariat. La fortune de ce néologisme ne fut pas grande pendant l'insurrection, 90 Corinne SAMINADAYAR-PERRIN, « Avatars journalistiques de l’éloquence publique » dans D. KALIFA, P. RÉGNIER et al. (dir.), La Civilisation du journal. Histoire culturelle et littéraire de la presse française au XIX e siècle, Paris, Nouveau Monde, « Opus magnum », 2011, p. 671. 91 « Tribune des locataires », Le Cri du peuple, vendredi 10 mars, p. 2, col. 4. 92 Id., samedi 11 mars, p. 2, col. 3.
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mais son sens imprégnait tous les esprits. Décidément, la révolution ne devait rien passer « aux jean-foutres de propriétaires » qui, d'ailleurs, encore au 29 avril, « ne foutent pas les quittances aux patriotes, comme le veut le décret ». Maxime Vuillaume et Eugène Vermersch, très productifs sur la question des loyers dans La Sociale – dans une prose doctrinaire93 –, l'étaient donc aussi dans leur Père Duchêne – dans le style pamphlétaire qui fit sa renommée. Ainsi, le « marchand de fourneaux », qui réclamait souvent la confiscation des maisons abandonnées, parachevait le portrait des propriétaires en publiant sa grande motion « contre ces bougres-là qui conspirent avec les insurgés de Versailles pour foutre les citoyens de Paris dans la moutarde94 ! » « Versaillais » et propriétaires, un même adversaire politique à combattre. Déjà, dans son premier commentaire du décret du conseil de la Commune sur les loyers, le Père Duchêne associait caste des possédants et puissance évocatrice de Versailles. Là où Paris avait courageusement soulagé les « patriotes », qui « ne seront pas foutus à la porte par les propriétaires jean-foutres », « les jean-foutres de Versailles » se cantonnaient à l'attentisme coupable depuis des semaines. Dans le même numéro, il préconisait toutefois que la décision de l'Hôtel-deVille fût appliquée différemment selon les individus. Pas question que « les mauvais jean-foutres d'épiciers et d'accapareurs de denrées » en profitent. Comment ! ces gredins qui ont fait crever le peuple de faim pendant quatre mois et qui ont maintenant un sac comme des milords anglais, seraient encore dispensés, par-dessus le marché, de payer leurs trois termes. Allons donc95 !
La solution ? Que ces loyers soient payés directement à la Commune, qui pourra ainsi les mettre au service de l'effort de guerre. Voilà mêlés les deux caractères de l'ennemi riche réfugié à Versailles. Propriétaire, et accapareur. Un « Versaillais » aux facettes capitalistes multiples qui contredit davantage l'idée d'une lutte des classes au sens marxiste96. Appel à l'union des petits bourgeois et dénonciation de la corruption financière ou commerçante, défense du locataire contre le propriétaire et confiscation des propriétés des gouvernants : autant de postures vis-à-vis de l'argent qui étayaient la revendication de l'autonomie municipale. Elles tendaient à renforcer une identité parisienne révolutionnaire – quitte à y intégrer temporairement des couches de populations plus modérées. Or, cette identité avait besoin d'un adversaire politique contre qui s'élever. S'il fallait employer le terme, il faudrait écrire que la Commune menait la lutte des mots contre un ensemble composite en fait, et maniable à volonté dans une propagande : une classe versaillaise.
93 Anne M. DUHAMEL, Le Père Duchêne pendant la Commune de 1871, Mémoire de maîtrise, Université Paris I Panthéon-Sorbonne, Paris, 1971, p. 50-52. Ils y affichent clairement leur proudhonisme et n’hésitent pas à se déclarer « athéistes » ou « anarchistes ». 94 Le Père Duchêne, 9 floréal (22 avril), n° 44. 95 Id., 11 germinal (1er avril), n° 16, p. 3. 96 Quentin DELUERMOZ, Histoire de la France contemporaine. 3. Le crépuscule des révolutions. 1848-1871, Paris, Seuil, « L’Univers historique », 2012, p. 334.
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LE TRAÎTRE À LA PATRIE ET À LA RÉPUBLIQUE
Nous pendrons tous les Versaillais les uns après les autres97 !
Les visages de la trahison, du « Prussien de Versailles » au « Versaillais de l'intérieur » Capituler et fuir : la lâcheté au pouvoir La défaite contre la Prusse imprima profondément le langage des plumes républicaines d'opposition au gouvernement républicain de la Défense nationale. Pour désigner le traître, elles le qualifiaient souvent de Prussien. Prussien de l'intérieur parce que Français, mais rallié à l'ennemi étranger. Dans le vocabulaire patriotique de journaux tous partisans de la guerre à outrance, c'était la pire des insultes. L' « affiche rouge » placardée le 6 janvier 1871 à l'initiative du Comité central , dont de nombreux journalistes furent signataires, accusait déjà le gouvernement de la Défense nationale de trahison. Puis, alors que les mêmes hommes conservaient les rênes du gouvernement issu des élections du 8 février, Versaillais remplaça peu à peu l'adjectif précédent, conservant un rôle pivot dans une même rhétorique de la traîtrise. L'annonce de l'armistice le 29 janvier ouvrit les vannes. Préliminaires de paix, ratifiés le 1er mars, négociations puis signature et ratification par l'Assemblée du traité définitif les 10 et 18 mai, ponctuèrent l'accusation de trahison à l'encontre de dirigeants cédant aux conditions de l'ennemi étranger avec une facilité suspecte. Mais auparavant, le 19 janvier, Le Rappel signait déjà le ras-lebol des républicains radicaux vis-à-vis du « gouvernement dû au 4 septembre 98 » – une formule de causalité déplorant que le soulèvement parisien de l'automne 1870 n'eût accouché que de décideurs « modérés99 ». Et le 5 février, le journal participait au bal des surnoms tournant en ridicule le titre que Rochefort – un autre journaliste, donc – avait donné à ce gouvernement honni 100. Condamnant 97 Archives de Paris, VD313, Verso manuscrit d'un formulaire de signalement pour les déserteurs de la garde nationale, Justice militaire, Papier à en-tête « Commune de Paris – IVe arrdt », 1871. 98 Le Rappel, 19 janvier, p. 1, col. 6. Dans une formule restée opaque, il attaquait du même coup « tous les journaux pratiques... de tous les gouvernements ». 99 « Lettre des avant-postes », id., 27 janvier. 100 Jean MAITRON et Madeleine EGROT (dir.), Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français. Deuxième partie : 1864-1871, la Première Internationale et la Commune, Paris, Éd. ouvrières, 1967, notice Henri Rochefort.
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la censure orchestré par le « gouvernement de la capitulation nationale », il saluait la renaissance du Combat de Pyat sous le nouveau nom de Vengeur. « Mais sous un autre titre, il continuera la même guerre », précisait la brève101. Cette guerre, à l'hiver, c'était déjà la guerre des mots. D'ailleurs, le premier numéro du Vengeur récusait lui aussi tout légitimité au « gouvernement provisoire qui n'avait pas le droit de traiter », et encore moins en se muant en « commission de la capitulation de Paris102. » La même hargne contre cette décision motivait le premier Cri de Vallès. Après avoir flétri l'entente cordiale entre Guillaume, Bismarck, Favre et Thiers, les encourageant ironiquement à passer l'Arc-de-Triomphe ensemble, il saluait le courage des Parisiens qui, jusqu'ici, avaient su préserver l'inviolabilité d'une capitale désormais « vendue » par la signature de Favre au bas des préliminaires de paix. Il prévenait : La Sociale arrive, entendez-vous ! elle arrive à pas de géant, apportant non la mort, mais le salut. Elle enjambe par dessus les ruines et elle crie : « Malheur aux traîtres ! Malheur aux vainqueurs103 ! »
Maxime Jourdan a chiffré l'omniprésence de ce motif au Cri du peuple. Du 22 février au 12 mars, dernier numéro avant l'interdiction par Vinoy, il a relevé vingt occurrences du substantif trahison et douze du verbe trahir. Dans le même intervalle, les rédacteurs n'y montrèrent pas un Paris défait, mais vendu (douze occurrences) ou livré (vingt). L'époque qu'il délimite pour sa comptabilité ne fait pas une césure des élections du 8 février. La longévité des « hommes d'État » que Vallès qualifiait de « charlatans politiques » et de rémanences néfastes des pratiques d'Ancien Régime, était en effet leur principal tort : les remaniements de cabinet n'entamaient en rien le sentiment de trahison. Ainsi, le lendemain de l'investiture de Thiers à la tête du « conseil exécutif » issu des élections, Le Mot d'ordre évoquait encore les « capitulards de Paris104 ». Trois semaines plus tard, Le Père Duchêne regrettait non seulement qu' « on [eût] pas encore mis en accusation les capitulards de l'Hôtel-de-Ville ! », mais également que les élections eurent accouché d'un « gouvernement de pleurards », c'est à dire sans courage face à l'ennemi 105. Alors que le Comité central avait pris le pouvoir, la dénonciation de la trahison demeurait plus que jamais facteur de distinction politique. Le 21 mars, le « marchand de fourneaux » appelait à reproduire la Terreur de 93, non pas contre des « prêtres » et des « nobles », mais bien pour punir la collusion avec l'étranger, à la manière des aïeuls révolutionnaires avec les émigrés. Vivons libres ! Vivons républicains ! Et laissons les traîtres ambitieux et les incapables ridicules qui pour toute liberté voudraient changer nos chaînes, succomber à Versailles sous le poids de leur lâcheté et de leur ineptie106 ! 101 102 103 104 105 106
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« Les on-dits du rempart », Le Rappel, 5 février, p. 2, col. 1. « Aux électeurs », Le Vengeur, n°1, 3 février, p. 1, col. 2. « Paris vendu », Le Cri du peuple, n°1, 22 février, p. 1, col. 1. Le Mot d'ordre, samedi 18 février, p. 1, col. 1. Le Père Duchêne, n°1, 16 ventôse an 79 (7 mars), p. 7. Id., n°6, 30 ventôse (21 mars), p. 6.
Une fois la Commune proclamée, le réquisitoire continua sans faiblir. Les dépositaires des libertés de Paris, confrontés à la guerre civile, rappelèrent sans cesse la lâcheté vis-à-vis de l'étranger, afin de discréditer l'action du gouvernement. En avril, prédisant la victoire des fédérés, La Commune vilipendait les généraux de l'armée gouvernementale, « tous les capitulards des Prussiens, capitulards de Paris aussi107 ! » Mi-mai, la signature du « traité de Francfort » – désigné ainsi, au lieu de « traité de paix » dans la prose gouvernementale, pour en mieux dénoncer la légitimité –, rehaussait encore un climat propice à la rhétorique de la traîtrise. Auguste Vermorel, élu à la Commune par le XVIIIe, réclamait Justice, insistant sur le passif des « hommes du 4 septembre qui sont devenus les hommes de Versailles, [qui] n'ont pas su défendre l'indépendance de la patrie, [qui] n'ont pas su sauvegarder l'intégrité du territoire, et aujourd'hui, [qui] sont prêts encore à faire le sacrifice de la liberté du pays. » Face à eux, « les hommes du 18 mars », les mêmes qu'au 31 octobre quand déjà, ils « voulaient la défense sérieuse de Paris ». Sa conclusion est sans appel quant aux objectifs des deux pouvoirs concurrents : « après le traité honteux de M. Jules Favre […], il est désormais évident que l'insurrection parisienne représente l'indépendance et la liberté de la patrie, tandis que le gouvernement de Versailles représente la servitude et l'humiliation de la patrie108. » Le blanquiste Casimir Bouis contribua beaucoup à la fortune de la litanie commémorant la trahison. Il fut nommé par le Conseil à la présidence d'une commission d'enquête sur les agissements du gouvernement de la Défense nationale, qui fournissait régulièrement aux journaux communalistes des dépêches télégraphiques ayant trait aux négociations de janvier. Publiées telles quelles, elles accablaient d'autant les ministres. Mais Bouis tenait aussi le secrétariat de rédaction du Cri sous la Commune. À l'occasion, la citation de colonnes d'outre-Manche lui permit d'étayer encore la démonstration. Ainsi, il mettait en accusation « les gens de Versailles jugés par la presse anglaise » en sélectionnant précisément les passages du Standard qui corroboraient la lâcheté de la trahison. On pouvait y lire que Favre et Pouyer-Quertier, respectivement en charge des Affaires étrangères et des Finances, avaient tout cédé à Bismarck dans la négociation, « étant donné l'anxiété du gouvernement de Versailles de maintenir son propre pouvoir à quelque prix que ce soit, […] et pourvu que [Bismarck] leur accorda, à titre de compensation, la permission de reconquérir Paris109. » Outre la simple collusion avec l'étranger au noms d'intérêts particuliers délaissant l'intérêt de la patrie, la trahison des gouvernants tenait dont à leur volonté d'écraser un Paris révolutionnaire qui avait décrété son autonomie, selon son droit le plus absolu. Toutefois, au lendemain de l'insurrection manquée du 22 janvier, certaines plumes républicaines prévenaient des dangers d'une 107 « Les généraux de la déroute », La Commune, mercredi 12 - jeudi 13 avril, p. 1, col. 1. 108 « Paris et Francfort », La Justice, mardi 16 mai, p. 1, col. 1. 109 « Les gens de Versailles jugés pas la presse anglaise », Le Cri du peuple, dimanche 21 mai, p. 1, col. 6. Souligné par l'auteur.
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agitation inconsidérée dans la capitale encerclée par les soldats prussiens. Paul Meurice, proche d'Hugo qui en avait géré les intérêts financiers et littéraires pendant son exil, ne manqua pas de glorifier le « peuple » parisien qui avait soutenu un siège si rude et lui reconnaissait effectivement le devoir de surveiller la mollesse du gouvernement, « d'être plus sage et plus fort » que lui. En revanche, à son avis, la révolution à Paris signifierait la victoire de la Prusse : « n'oublions pas qu'en présence de l'ennemi, l'émeute serait un crime, que la guerre civile dans la guerre étrangère serait une trahison110. » Ce positionnement conciliateur, que Le Rappel tint pendant toute la Commune, faisait de la désunion de la patrie contre l'étranger la trahison essentielle. Or les journalistes socialistes, « irréconciliables » selon le mot des modérés, dénonçaient toute négociation comme un asservissement à l'idée de liberté. Et quand, « attaqué à l'improviste, alors qu'il ne songeait ni ne se préparait à la guerre civile », Paris commençait à subir « l'agression brutale et odieuse » du gouvernement « criminellement provocateur » sis à Versailles, Le Cri du peuple assurait, comme en réponse à Meurice, que le conflit naissant « ne s'appellera pas une guerre civile dans l'histoire », car les nouveaux adversaires étaient « des mercenaires sans patrie, comme sans conscience ». Pis, ils s'avéraient « les mamelucks d'un prince de Hohenzollern111 », c'est-à-dire les partisans fanatiques112 de Guillaume de Prusse. Combattre ces traîtres à la solde du nouvel empereur allemand relevait du devoir dans la rhétorique communaliste. Quelques jours plus tard, toujours chez Vallès, alors que la Commune comptait ses premiers morts dans les bombardements, l'internationaliste Charles Rochat trouvait une formule pour résumer l'extranéité antipatriotique des gouvernants. D'une part – capitaine d'artillerie – il informait le lecteur de la levée de fond opérée par le 181e bataillon afin de fondre des canons, sommes finalement versées « au soulagement des familles des travailleurs assassinés. » De l'autre – secrétaire de la commission exécutive du régime communaliste –, il faisait œuvre de propagande : les assassins en question, c'était « les Prussiens de Versailles113 ». Pas de confusion possible ici. Au 9 avril, les soldats de Bismarck n'occupaient plus la ville royale. La figure rhétorique servait un autre dessein : coupler dans l'écriture, à destination d'un lecteur à galvaniser, le Prussien, symbole de l'humiliation de la défaite, et le « Versaillais », devenu le type de la lâcheté au pouvoir. Car le départ des ministres pour Versailles après le 18 mars confirmait sa deuxième lâcheté : après avoir fuit leurs responsabilités face à l'étranger, ils fuyaient le danger. Au moment où ceux-ci entamait l'assaut de la capitale, la « désertion de l'exécutif réfugié à Versailles » était en soi une preuve que les insurgés étaient bien « les seuls maîtres de [leurs] destinées. » La couardise, 110 « Paris et le gouvernement », Le Rappel, 24 janvier, p. 1. 111 « Demain », Le Cri du peuple, mercredi 5 avril, p. 1, col. 3. 112 « Mamelouck », Trésor de la langue française informatisé, http://www.cnrtl.fr/definition/, consult. le 25 juin 2013. Ses sources encadrent 1871 : un texte de Balzac de 1840 et un des Goncourt de 1891. 113 « Nouvelles », Le Cri du peuple, dimanche 9 avril, p. 2, col. 3.
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sentiment méprisable, suffisait presque à elle seule à justifier la légitimité d'un Paris Affranchi114. En conséquence, à la liste des détournements du nom pompeux de « gouvernement de la Défense nationale », Le Cri ajoutait, aussi tard que mi-avril, celui de « gouvernement de la fuite nationale115 ». Jules Favre, selon ses propres mots, se trouvait-il « quelque talent de diplomatie » ? La Justice rendait son verdit implacable : il était lâche, et préférait « la salle à manger de Ferrières plutôt que les périls du champ de bataille ». Au château de Ferrières-en-Brie (Seine-et-Marne), propriété du baron de Rothschild, les 19 et 20 septembre 1870, Favre avait dû accepter la cession de l'Alsace et de la Lorraine. Une amputation de la patrie intolérable. Mais le pire, huit mois plus tard, était sans doute le talent du personnage devenu adversaire de la Commune pour le mensonge, « l'intrigue, l'ambiguïté dans la parole », ainsi que pour les faux-semblants. Le rédacteur communaliste singeait de tels aveux : « je sais feindre des sentiments que je n'éprouve point, faire des promesses qui ne m'engagent pas, des serments que je me réserve de violer. Que faut-il de plus pour être diplomate116 ? » Là encore, la permanence des hommes au pouvoir depuis l'automne induisait la constance de leur veulerie. Ce trait de caractère était tourné en dérision dès le 10 février par la satirique Carmagnole. Elle mettait en scène un douanier sur la route entre Paris et Bordeaux, où stationnait encore l'Assemblée. Celui-ci arrêtait consciencieusement chaque ministre. S'ensuivaient des rencontres dialoguées avec Ferry, Favre, Trochu (« les trois Jules »), Thiers ou Gambetta (seul toléré) qui se déroulaient sur un mode identique : halte, explications coupables et interdiction de passage. Autant de saynètes qui permettaient au journal de mettre en lumière la propension des gouvernants à déplorer pour du beurre la domination de la France par la Prusse. Le « pleurard » était aussi en 1871 l'homme qui, geignard, cherchait la compassion et l'adhésion par des discours affligés, mais dont les actes trahissaient la patrie. Le principal négociateur avec la Prusse en fut l'archétype. Sur la route de Bordeaux : – Halte-là... Qui vive ?... – Jules Favre. – Avance au mot de ralliement ! – République !... J'ai pleuré en allant à Ferrières, j'ai pleuré à Ferrières, j'ai pleuré en revenant de Ferrières. Cinq mois après, j'ai pleuré en allant à Versailles, j'ai pleuré à Versailles, j'ai pleuré en revenant de Versailles. Je voudrais, en pleurant, aller pleurer à l'Assemblée de Bor deaux. – La République n'a que faire d'un Danton épluchant des oignons... Au large117!
La trahison de la patrie était inextricablement liée à la trahison de la République, au sens où l'entendait les révolutionnaires parisiens. D'une part, grevé de sa soumission à l'ennemi étranger, le modèle républicain des gouvernants ne tenait pas la comparaison avec le souffle populaire 114 115 116 117
L'Affranchi, lundi 3 avril, p. 2, col. 1. Le Cri du peuple, samedi 15 avril, p. 2, col. 4. « La diplomatie de M. J. Favre », n° 7, mardi 16 mai, p. 2 col. 1. « Halte au falot », La Carmagnole, 10 février, p. 1-2.
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que représentait la Commune, dont les hérauts de presse entretenaient la teneur patriotique autant que les aspirations à une forme de démocratie directe. D'autre part, le lien consubstantiel tissé entre patrie et République procédait lui aussi du maniement de la rhétorique de 1793, date à laquelle, face à l'Europe coalisée, les révolutionnaires tentaient à la fois d'inventer un régime inédit et de préserver la « patrie en danger ». Un soupçon permanent planait, entretenu entre autres par la trahison du général royaliste Dumouriez, à la suite de laquelle fut fondé le Comité de salut public118. Autant d'aspects résumés en un exemple issu de La Sociale. D'abord, son titre programmatique est une revendication républicaine propre au XIX e siècle. Ensuite, début avril, aux rumeurs d'une attaque imminente du gouvernement, un de ses articles s'intitulait, pour le réclamer, « Le Comité de salut public » – référence sibylline au lecteur de 1871. Enfin, parmi les récriminations, la plume brocardaient « les pauvres gens qui ont fui tout d'une traite à Versailles sans regarder derrière eux, au premier soulèvement de la colère du peuple ». Et qui surtout, « se campent cavalièrement sur les jarrets comme des matadores de comédie et comme faisaient les émigrés, en parlant de leur prochaine entrée triomphale dans Paris ». Le ridicule de la fuite, lâcheté facile à mobiliser pour comparer les « Versaillais » de 1871 aux contre-révolutionnaires d'hier, appelait d'ailleurs le vocabulaire du théâtre. « Il a peut-être là de quoi s'amuser » de tels « personnages comiques119 » et de leurs menace en contradiction manifeste avec leurs agissement pleutres, statuait l'article, prophétisant la victoire si la lutte devait s'engager pour de bon. Comme à la fin du siècle précédent, la presse communaliste dénonçaient également, outre les fuyards du gouvernement, la nébuleuse floue de ses partisans, de laquelle émergeait cependant la figure du « franc-fileur », celui qui par lâcheté, ne porta jamais l'uniforme, et fila hors de Paris. À partir d'avril, c'était pour échapper « au brave décret » de la Commune qui l'enjoignait à rejoindre la garde nationale. Ces « jean-foutres-là » préférèrent « prendre leurs cliques et leurs claques sans rien dire et foutre le camp comme des lapins du côté de Versailles 120. » Rien de nouveau, finalement. Au même numéro, Le Père Duchêne associait en effet ces réfractaires aux « jean-foutres de franc-fileurs, comme on dit », qui avait « fui pendant le siège [prussien] de Paris » et dont une « motion bougrement patriotique » consisterait à confisquer les biens au profit de la Commune. En cela, le journal s'inspirait encore de la Révolution, éternel modèle, et plus particulièrement des décrets de l'hiver 1794 qui entendaient financer les promesses sociales par la spoliation des biens des contre-révolutionnaires121. L'association était d'autant plus naturelle qu'alors que les Prussiens bloquaient Paris, ils résidaient à Versailles dont, je l'ai montré, les plumes républicaines faisaient la terre d'accueil de tous les profiteurs de l'invasion étrangère, et qui conservait 118 Guillaume MAZEAU, « La “Terreur”, laboratoire de la modernité » dans J.-L. CHAPPEY, B. GAINOT et al., Pour quoi faire la Révolution, Marseille, Agone, « Passé & présent », 2012, p. 85-87. 119 La Sociale, vendredi 1er avril, p. 2, col. 1. 120 Le Père Duchêne, n°34, 29 germinal (19 avril), p. 7. 121 G. MAZEAU, « La “Terreur” », chap. cit., p. 102.
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Illustration 7 - « Envolements volontaires », La Carmagnole, 12 mars, p. 1.
au printemps l'image du quartier-général de l'occupant. Le comble de la lâcheté fut relevé par L'Action, moquant plus spécifiquement ceux qui avaient fui par crainte de l'insurrection du 18 mars. Avec un bilan comptable à la louche et invérifiable – les chiffres crédibilisent toujours une démonstration, même la plus farfelue, en forme de propagande –, le journal notait que « Versailles comptait près de cent mille émigrés » au 1er avril. Trois jours plus tard, alors que la guerre civile avait effectivement commencée, « la moitié [avait] pris la fuite ! » « Nous reconnaissons bien là
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les monarchistes », concluait-il, englobant son lecteur dans le constat pour susciter son approbation122. Avant le 18 mars, insistant à nouveau sur la généalogie de la veulerie, La Carmagnole soupçonnait déjà les « franc-fileurs » de 1870, qui « avaient quitté la capitale avant le siège, dans le louable but de faire profiter ceux qui y restaient de leur part d'éclairage des rues », de revenir sous peu avec « le verbe le plus haut dans tout Paris123. » Mais il ne fallait pas être dupe de leur trahison, et mieux valaient leur jeter l'opprobre immédiatement, en leur offrant des ronds de papier découpés, « jetons d’absence » (ill. ill. 7) 7 singeant les jetons de présence des conseils d'administration des grosses entreprises124. La face du jeton ne trompait pas, qui représentait un bourgeois empoignant son sac et son parapluie, chaussé d'escarpins et couvert de son chapeau. Celui qui avait fuit, c'était celui qui avait pu se payer des ailes. L'antithèse des partants pour « l'enrôlement volontaire » qu'organisait, entre autre, le maire républicain Bertillon devant le Panthéon 125. Autrement dit, une des configurations du riche « Versaillais ». En définitive, la lâcheté au combat servait donc de déterminant politique. C'était une attitude indigne d'un pouvoir réellement républicain. Elle agissait dans la guerre des mots comme une démarcation symbolique entre deux populations distinctes. L'une, courageuse, qui subit deux sièges. L'autre, veule, qui esquiva par deux fois la prise d'armes et le combat pour le sauvetage de la patrie.
Le journaliste espion, un alter-ego La troisième « promotion des envolements volontaires » de La Carmagnole récompensa « Adrien Marx, sauf vot'respect, reporter au Figaro126 ». C'est que la presse gouvernementaliste incarnaient une félonie particulière aux yeux des journalistes socialistes, qui l'accusaient de colporter de fausses nouvelles sur le conflit ou pire, lorsqu'elle avait encore droit de cité à Paris, de déformer carrément les prises de position de la Commune. Maurice Dommanget, dans un article de 1923, évoque un « stock véritablement énorme de fausses nouvelles et de calomnies que les journalistes [à Versailles] accumulaient. » Selon lui, « Versailles devint le quartier-général du mensonge, l'office national de "bourrage de crâne" du pouvoir triomphant ». Une ville d'où « partaient aux quatre coins du pays les sornettes les plus grossières et les pires infamies 127. » Il voyait en cela la seule omission de taille de Léonce Dupont, témoin conciliateur habitant le chef-lieu de Seine122 123 124 125 126 127
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« Versailles », L'Action, mardi 4 avril (n° 1), p. 2, col. 2. « Envolements volontaires », La Carmagnole, 12 mars, p. 4. TLFi, notice « présence », atteste de ce sens dans un texte de 1882. Jacques ROUGERIE, « Mil huit cent soixante et onze », Le Mouvement social, 79, avril 1972, p. 65. « Envolements volontaires », La Carmagnole, 1er mars, p. 3, col. 3. Maurice DOMMANGET, « La Commune vue de Versailles » dans Hommes et choses de la Commune [1937], fac-sim., Saint-Pierre-de-Plesguen Vauchrétien, L’École émancipée, 2000, p. 59.
et-Oise durant la guerre civile, et seule source citée 128. Force est de constater que si l'instituteur et historien contestataire prenait ainsi ses distances vis-à-vis des « ragots » sur lesquels « les historiens officiels [s'étaient] appuyés pour retracer l'histoire de la Commune », il se plaçait en droite ligne de la propagande du camp d'en face, relayant telles quelles les préoccupations de la presse communaliste. En février, citant L'Indépendance belge, Le Mot d'ordre rapportait que « les journaux français de Versailles [avaient] fait leur réapparition », et qu'ils voulaient « avant tout la paix129 ». Bien que le commentaire du journal parisien, une fois n'est pas coutume, ne se montrait pas passionnément patriotique, il cantonnait très tôt en 1871 une « presse de Versailles » à une posture pacifique en droite ligne de celle du gouvernement, et synonyme de collusion avec l'ennemi. Une posture inconciliable avec les intentions proclamées par Thiers et ses ministres le 18 mars, espérant convaincre les gardes nationaux du bien fondé de l'opération avortée de récupération des canons. Penauds, ils assuraient dans le Journal officiel, que le « gouvernement de la république n'a et ne peut avoir d'autre but que le salut de la république » et qu'il « a voulu en finir avec un comité insurrectionnel, dont les membres, presque tous inconnus de la population, ne représentent que les doctrines communistes, et mettraient Paris au pillage et la France au tombeau, si la garde nationale et l'armée ne se levaient pour défendre, d'un commun accord, la patrie et la république 130. » Si cette défense avait été l'objectif véritable du gouvernement, il n'aurait pas eu besoin de promouvoir des clichés sur les révolutionnaires parisiens. La Commune, au cœur de mai, dénonça cette manipulation sémantique à destination de la province. Le calembourg [du gouvernement] le plus réussi est celui qui consiste à feindre de confondre le communisme avec le communalisme. Ce jeu de mots, d'un goût plus que douteux, doit avoir eu un grand succès, car le Journal officiel le répète tous les matins […].
En 1871, le terme communiste désignait majoritairement les positions de Marx au sein de l'A.I.T.131. Henry Maret, à la plume ici, appartenait de naissance à la « bonne bourgeoisie132 » et se consacra uniquement au journalisme pendant l'insurrection (Action, Commune, Mot d'ordre, Vengeur), avec une nette tendance conciliatrice. Signe de la faible pénétration du marxisme dans les socialismes français, notamment chez les hommes d'une tendance communaliste modérée, comme Maret, ce dernier associait plutôt communisme à une mutualisation... des compagnes. « L'idée que 128 Léonce DUPONT, Souvenirs de Versailles pendant la Commune, Paris, Dentu, 1881, 323 p. 129 Le Mot d'ordre, 14 février, p. 2, col. 4. 130 Journal officiel de la République française (gouvernement), 19 mars, cité par [S. n.], Journal des journaux de la Commune. Tableau résumé de la presse quotidienne, du 19 mars au 24 mai 1871. Lois, décrets, proclamations, rapports et informations militaires, séances de la Commune, etc., reproduits d’après le « Journal officiel » de Paris. Extraits des autres journaux organes ou défenseurs de la Commune. Le tout contrôlé par les dépêches circulaires et avis du Gouvernement et par des extraits du Journal officiel publié à Versailles, Paris, Garnier, 1872, vol. 1/2, p. 9. 131 C. RIHS, La Commune de Paris, op. cit., p. 102. 132 J. MAITRON et M. EGROT (dir.), Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, Deuxième partie, op. cit.. Notice Henry Maret.
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les bons campagnards vont croire qu'entre choisir son maire ou céder sa femme au voisin, il n'y a pas la plus légère différence, met les représentants les plus libéraux qu'ait eus la France dans une ivresse véritablement délirante », ironisait-il, insistant sur « Paris, ville libre », la revendication essentielle de la révolution y compris parmi les conciliateurs. Cette entreprise de calomnie organisée par le gouvernement était aussi la preuve qu'on ne pouvait « demander aux Versaillais d'avoir de l'esprit. » « La plus belle fille du monde, dit le proverbe, ne peut donner que ce qu'elle a », concluait la plume pamphlétaire133. Dans un moment de reconfiguration des pouvoirs politiques, la véracité de l'information possédait une importance essentielle à la légitimation de l'autorité. Une fois de plus, la Commune de Paris de la Révolution servit de précédent pour expliquer la désinformation dont se rendait coupable la presse du gouvernement. Le même Henry Maret, cette fois dans L'Action, exhortait le « peuple de Paris » : « Souviens-toi de Thermidor », titrait-il. S'en souvenir pour, dans le cas d'une conciliation, ne pas déposer tout à fait les armes au risque d'être victime d'une « terreur blanche » comme Robespierre, Couthon, Saint-Just et « les plus purs républicains » le furent à partir du 9 thermidor an II. S'en souvenir pour ne pas être dupe : sous la houlette de Paul Barras, qui avait luimême traité de « coureurs de débauche » les « austères vaincus du 9 », la Convention victorieuse avait ouvert une ère de « mensonges et [de] calomnies, [qu']on entassa avant tant d'habileté, que, jusqu'à nos jours, les écrivains en ont subit l'influence. » « Toutes les plumes vénales se mirent aux gages de la faction triomphante. Personne ne crut alors sérieusement à ces inventions de la haine ; mais la légende ne s'en établit pas moins, comme s'établissent toute les légendes », rappelait-il en matière de parallèle avec la propagande gouvernementaliste à l'encontre de la Commune... de 1871134. Cette inscription de l'événement en cours dans l'histoire soutenait les critiques de la désinformation du camp d'en face. Elle témoigne également de la lucidité des contemporains sur le caractère documentaire que revêtait la presse135. Il importait donc de rétablir la vérité : à la fois à destination des Parisiens, afin qu'ils ne cédassent pas aux sirènes du gouvernement, et pour la postérité. Un encart en une de La Commune justifiait une parution désormais retardée à 14 heures par le fait que « la plupart des journaux républicains paraissant le matin, […] le soir, le public se trouve livré à des courants d'opinions presque exclusivement réactionnaires136. » La presse communaliste se sentait donc investit du pouvoir de réchauffer l'océan de l'opinion parisienne vers le républicanisme avancé et se devait de ne pas la laisser prendre dans les glaces de la réaction, qui menaçaient de remplacer la vérité communaliste dans l'esprit du lecteur, au moment du coucher. En l'occur133 « Les assises du communisme et de la rébellion », La Commune, 10 mai, p. 1, col. 1. Souligné par l'auteur. 134 Henry Maret, « Souviens-toi de Thermidor », La Commune, n°5, samedi 8 avril, p. 1 col. 1. 135 M. VUILLAUME, Mes Cahiers rouges, op. cit., p. 134, raconte comment lui et ses comparses s’inspirèrent directement, pour leur Père Duchêne, de « numéros du journal d’Hébert qu’on trouvait encore, à l’époque, dans les boîtes des quais. » 136 La Commune, jeudi 6 avril, p. 1, col. 1.
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rence, l'argument masque ici un but commercial, au moins. Le lecteur du soir pouvait déjà s'abreuver à la source toute républicaine de La Sociale. La publication tardive répondait plutôt à la nécessité de vendre du papier, ce qu'un créneau matinal embouteillé semblait ne plus permettre. Néanmoins, cette justification dévoile la mission de contre-information dont se prévalait la presse communaliste, mission qui exigeait par ailleurs de stigmatiser des collègues rivaux et malhonnêtes. « La police versaillaise est bien mal informée », constata La Justice, à propos d'une réunion de souscription au programme de la Ligue d'union républicaine, place de la Bastille, en mai. Non, aucun « piquets d'infanterie » fédérés n'était chargé de repousser à « coups de feu » les manifestants, contrairement à ce qu'affirma le « bulletin du Journal officiel de Versailles, rédigé par on ne sait quel figariste ou charivariste ». Ainsi, « voilà comment on écrit l'histoire à Versailles137 ». Le procès en falsification était intenté contre des plumitifs du Figaro ou du Charivari. Verdict qui s'explique, malgré le peu en commun des deux titres avant 1871, par leur participation à un front de vingt-neuf journaux conservateurs récusant la légitimité du Comité central et des élections du 26 mars. Plus important ici, ces plumitifs étaient décrits comme des collaborateurs de la police politique. Paris-libre, avec son « pilori des mouchards », relayait la même association d'idées. Du numéro dix-huit au numéro quarante-deux, la rubrique épinglait des listes de noms d'informateurs de la préfecture de police du temps du Second Empire. Le 10 mai, répondant à des critiques qui lui reprochaient de n'y clouer que des petites gens, le rédacteur se montrait le premier chagriné d'une « publication rendue incomplète [par] l'incendie allumé dans les cartons de la succursale du ministère de l'intérieur par les employés restés en fonction après le 4 septembre », où « il devait y avoir une collection d'infamies de nature à faire éreinter tous les honorables collaborateur » du préfet. Parmi ces « mouchards » sournois et menteurs – traîtres, en un mot –, « peut-être y eussions-nous trouvé les dossiers de toute la rédaction du Figaro », concluait l'article138. Associer mouchards de police d'avant 1870 et journalistes partisans du gouvernement sis à Versailles en 1871 revenait à croquer une autre facette du « Versaillais » qui fit florès : celle du journaliste espion. L' « espionnite » dont firent preuve les Communeux est bien connue. Les « agents versaillais » couraient les rues, et si le motif dépassait largement la réalité, plusieurs cas d'agents doubles sont avérés139. Cependant, dans le cas de l'écriture journalistique, outil premier de l'affrontement politique, la dénonciation de la duplicité des collègues adversaires s'inscrivait pleinement dans le débat sur la liberté de la presse. D'autant que le régime communaliste se fit de plus en plus 137 « Comme s'écrit l'histoire à Versailles », La Justice, n°4, samedi 13 mai, p. 2, col. 1. 138 « Le pilori des mouchards », Paris-libre, mercredi 17 mai. 139 É. FOURNIER, Paris en ruines, op. cit., p. 90, cite par exemple un certain Barral de Montaud, infiltré au service de François-Louis Parisel, directeur d’une explosive Délégation scientifique de la Commune, et auquel Thiers « [semblait] apporter un certain crédit ».
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autoritaire en la matière, réactualisant l'arsenal répressif du Second Empire. La question divisa, et aux yeux d'une partie des plumes socialistes habituées à la prison pour « délit de presse », rien n'aurait su justifier de telles atteintes à un droit fondamental. Dans un premier temps, l'autorité révolutionnaire s'efforçait de motiver la censure. Le Comité central, à la veille des élections du 26 mars, affirma « respecter la liberté de la presse, c'est à dire le droit qu'ont tous les citoyens de contrôler, de discuter et de critiquer ses actes », mais menaça tout de même d'une « répression sévère » les journaux qui « excitaient à la désobéissance à ses décisions et à ses ordres 140 ». Sur ordre signé du délégué du Comité à la préfecture, Émile Duval141, un bataillon fédéré avait effectivement mis sous séquestres les bureaux et l'imprimeur du Figaro, le dimanche 19 – des « gentlemen à moitié ivres » selon le mépris du directeur142. Dans le Cri du 22 mars, cette décision autoritaire inspira la formule célèbre de Vallès : « liberté sans rivages » pour toutes les opinions143. Le journal de Villemessant reparut malgré l'interdiction le 30 mars, profitant du flottement de la mise en place de la Commune, pour être immédiatement saisit à nouveau, sur ordre de Raoul Rigault. Face à ceux qui soutiendraient qu'à situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles, La Sociale affirma alors « qu'en régime républicain, la liberté complète, sans restrictions, de la presse et de parole est de droit absolu ». Sans compter que, argument d'autorité : « voyons, le Figaro ! En vérité, c'est trop d'honneur144 ! » Odilon Delimal, fondateur et rédacteur en chef de La Commune145, se saisit lui aussi de l'occasion pour réaffirmer son attachement à ce que « la liberté n'ait point de borne ». Prenant acte que les « mensonges » du journal blessaient « le préfet de police », il « le [regrettait], non pour le Figaro, mais pour le préfet ». Le titre employé pour désigner Rigault, « dit avec intention », plaçait la censure opérée hors du champ d'action d'un véritable « fonctionnaire républicain » qui ne saurait « s'émouvoir des jeux de mots des collaborateurs de M. de Villemessant146. » Le 4 avril, aux premiers combats, les membres de la commission de la Sûreté générale, curieusement baptisés « délégués à l'intérieur de la Commune 147 », adressaient une note au directeur du 140 Journal officiel de la République française, 22 mars, partie non officielle. 141 Le Figaro, jeudi 30 mars, p. 1, col. 1. 142 La parution normale du journal recommence avec une tribune d'explication du patron. Henri de Villemessant, « À mes lecteurs », Le Figaro, lundi 15 mai, p. 1, col. 1. 143 Première pour moi chez Maxime JOURDAN, « Jules Vallès, patron de presse. Fondation, direction(s) et gestion du premier Cri du peuple (22 février 1871 - 23 mai 1871) », Autour de Vallès. Revue de lectures et d’études vallésiennes, 38, 2008, p. 150. 144 « La liberté de la presse », La Sociale, vendredi 1er avril, p. 2, col. 1. 145 Jean-Baptiste Millière collabora à la feuille sans en être le patron. Le premier, Jules LEMONNYER, Les Journaux de Paris pendant la Commune. Revue bibliographique complète de la presse parisienne du 19 mars au 27 mai, Paris, J. Lemonnyer, 1871, p. 17, affirma que Millière, entré au journal le 9 avril, « ne tarda pas en faire son organe personnel » ; le trio J. BRUHAT, J. DAUTRY et al. (dir.), La Commune de 1871 [1960], op. cit., relayait l’erreur et achevait ainsi la disparition de Delimal dans l’historiographie ; enfin, le récent Dominique KALIFA, « Un combat de la gauche : la liberté de la presse » dans J.-J. BECKER et G. CANDAR (dir.), Histoire des gauches en France, Paris, La Découverte, 2005, vol. 1/2 p. 288, , mentionannt « La Commune de Millière » sans autres précisions, il fallait clarifier ; on trouvera le détail des rédacteurs et de leurs rôles respectifs dans J. BARTIER, Odilon Delimal, op. cit. 146 « Avis aux typographes », La Commune, jeudi 30 mars, p. 2. Souligné par l'auteur. 147 Signe de la lente appropriation de la nouvelle terminologie mise en place en remplacement des anciens
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conservateur Paris-journal. Ils l'y accusaient de colporter des dires « criminels et faux », notamment contre la garde nationale fédérée, qui aurait abattu un parlementaire, alors qu'elle « a été au contraire traîtreusement attaquée par des hommes qui levaient la crosse en l'air pour tromper sa vigilance ». Une formule compliquée concluait la note, en forme de menace à peine voilée : La liberté de la presse n'est pas le droit de s'embusquer prudemment derrière un journal pour redoubler les horreurs d'une lutte que Paris n'a pas commencée, mais dans laquelle il fera triompher la République et la Commune148.
L'autorité citait encore la liberté de la presse comme valeur de référence, mais un basculement était à l'œuvre : les impératifs du combat contre la trahison des républicains libéraux envers la République prenaient le dessus. Paris-journal fut finalement supprimé, avec les Débats et Le Constitutionnel, sur décision de la Sûreté. Et fin avril, le ton avait définitivement changé. Le 19, l'Officiel portait un arrêté « considérant qu'il est impossible de tolérer dans Paris assiégé des journaux qui prêchent ouvertement la guerre civile, donnent des renseignements militaires à l'ennemi, et propagent la calomnie contre les défenseurs de la République 149 », sans autres justifications théoriques sur la liberté. Quatre feuilles gouvernementales étaient supprimées, provoquant une nouvelle vague d'indignation. Eugène Mourot, secrétaire de rédaction du Mot d'ordre, n'exerça aucune fonction à la Commune, pas même administrative. Cet acolyte de longue date de Rochefort illustre à merveille le positionnement du journal. Communaliste, la feuille partage la plupart des idées de la révolution et ses ventes décollent au printemps 1871, signe de son succès auprès d'une population politisée. Toutefois, à la différence du Cri du peuple ou du Père Duchêne, les autres best sellers de l'insurrection, ses rédacteurs écrivaient non pas au cœur, mais à côté du pouvoir révolutionnaire : moins de liens d'amitié, et un patron égratigné pour sa participation à la Défense nationale jusqu'au 31 octobre150. Mourot jouissait donc d'une réelle légitimité à dénoncer que « cette fois, ce n'est plus seulement le comité de sûreté générale, c'est la Commune elle-même qui, par un vote solennel, confisque la liberté d'écrire, et consacre ainsi, à l'instar des gens de l'Empire et du capitulard Vinoy, la plus éclatante violation du droit 151. » Joseph Vinoy, gouverneur militaire de Paris à compter du 20 janvier, vétéran du coup d'État du 2 décembre 1851 et général d'Empire émérite, avait supprimé les six feuilles parisiennes les plus revendicatives, le 11 mars, dont le Mot. Une décision jugée excessive et dangereuse par la presse conservatrice elle-même 152. Cette comparaison polémique témoigne d'une volonté farouche de renversement de l'ordre établi par la « démoministères. Le 20 avril, à l'Officiel, on lit encore, par exemple « ministère de la guerre ». 148 Journal officiel de la République française, 4 avril, partie officielle. 149 Id., mercredi 19 avril, partie non officielle. 150 Ainsi des « on-dits des remparts », Le Rappel, 5 février, p. 2, col. 1, qui se réjouirent de la « résurrection de La Marseillaise sous son nouveau titre », mais davantage encore à voir « le citoyen Rochefort rentrer dans le journalisme. » 151 Le Mot d'ordre, vendredi 21 avril, p. 1, col. 1. Il soulignait d'ailleurs, comme la plume anonyme du Figaro le 30 mars, qu'interdire la fabrication de ces journaux revenait à priver de travail plusieurs centaines d'ouvriers. 152 Robert TOMBS, La Guerre contre Paris, 1871 [1981], trad. par Jean-Pierre RICARD, Paris, Aubier, « Historique », 1997, p. 60.
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cratie illibérale » du Second Empire153, ordre prolongé par le gouvernement Thiers. Or, contrairement à ce qu'elle entama de libérations dans tant d'autres domaines du vécu social, la Commune ne fit pas rupture en l'espèce. Le 5 mai, le décret signé Frédéric Cournet, membre de la Commune délégué à la Sûreté générale, stipulait huit interdictions supplémentaires, et la liberté de la presse n'y était plus évoquée du tout. Dans le contexte périlleux d'un Paris coincé entre les Prussiens attentistes stationnés au Nord et à l'Est et l'ennemi de la guerre civile s'approchant par l'Ouest et le Sud, la seule préoccupation du régime communaliste devenait le maintien d'un front uni et uniforme dans la guerre des mots. Ce décret révèle l'omniprésence à l'esprit des Communeux d'une conception de deux propagandes en miroir 154, front à front. Face au « gouvernement de fait qui siège à Versailles [et] interdit dans toutes les parties de la France, qu'il trompe, la publication et la distribution des journaux qui défendent les principes de la révolution représentés par la Commune », la censure de la presse gouvernementaliste, en contrepartie, se justifiait en soi. Devant l'impératif de « combattre les bandes de Versailles qui l'assaillent et répandent le sang des citoyens », la Commune devait empêcher « les manœuvres coupables des auxiliaires de l'ennemi155 ». Les journalistes partisans du gouvernement Thiers devaient être muselés, parce que leurs assauts verbaux pouvaient infléchir le rapport de force militaire, en dressant la France contre Paris. Préservant la représentation tronquée d'une unanimité parisienne en faveur de la révolution, le décret se gardait de dire que la crainte tenait aussi à un retournement d'une part trop importante de l'opinion à Paris. Car de fait, saisir les bureaux et interdire la vente des titres conservateurs empêchait, au mieux, leur diffusion à l'intérieur des remparts. Plusieurs se délocalisèrent simplement à Versailles et y reparurent156. L'ultime salve de suppressions, décidé par le Comité de salut public, intervint le 18 mai, et emporta même La Commune, à cause de ses critiques jugées trop virulentes157, ainsi que La Justice qui pourtant, deux jours auparavant, dénonçait vertement « le gouvernement de Versailles158 ». L'arrêté heurta brutalement les défenseurs d'une liberté d'expression complète, tant il rappelait de mauvais souvenirs. Aucun « nouveau journal ou écrit périodique politique » n'était autorisé à paraître tant que les armes tonnaient. Comme le Second Empire l'avait imposé pour faciliter les poursuites ad hominem, la signature des articles par leurs auteurs étaient rendue obligatoire et, comme le Second Empire le pratiquait en forme de dissuasion, les imprimeurs contrevenants seraient 153 Q. DELUERMOZ, Le Crépuscule des révolutions, op. cit., p. 112-117. 154 Qui ne se cantonnait donc pas à ce que M. JOURDAN, Le Cri du peuple, op. cit., p. 173, note pour la feuille de Vallès. 155 Journal de la République française, 6 mai, partie officielle. 156 Parfois, l'installation devenait même un bon calcul afin de suivre au plus près l'actualité politique d'un pouvoir délocalisé. Villemessant la justifiait ainsi, le 15 mai, croyant savoir que l'Assemblée resterait au moins un an dans ses locaux fastueux, Le Figaro, art. cit. 157 J. BARTIER, Odilon Delimal, op. cit., p. 155. 158 Lire. supra, p.
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« poursuivis comme complices ». Comme sous le Second Empire enfin – même après la loi du 11 mai 1868 –, les « attaques » directes du régime – « contre la République et la Commune » – tombaient sous le coup de la répression – en 1871, celle de la « cour martiale159 ». Cette mesure du Comité de salut public étaye la proposition de Christophe Charle qui voit dans le cycle 1868-1871 un rejeu presque jour pour jour de l'attitude des régimes vis-à-vis de la presse dans la séquence 1848-1851160. Libéralisation, révolution, restrictions puis répression. En plus de rappeler l'attitude dictatoriale de Napoléon III, rien d'étonnant donc à ce que cette ultime censure du régime communaliste inspire à Vermorel, membre de la commission de Sûreté jusqu'au 13 mai, la citation d'un discours de Louis-Chrysostome Michel, dit Michel de Bourges, député montagnard en 1849. Le 18 mai, dans l'avant-dernier numéro de son journal condamné par la décision des cinq chefs de l'Hôtel-de-Ville, Vermorel commençait par comparer la décision au discours de Royer-Collard sous la Restauration, qui avait affirmé qu'un « gouvernement ne peut laisser attaquer son principe ». Puis il s'inscrivait dans les pas du député de la constituante qui, évoquant lui aussi Royer-Collard, assurait que c'était « le langage de la monarchie » et rétorquait à ses collègues qu'ils avaient « soutenu, de la même manière, que jamais un gouvernement ne peut se laisser discuter ». Michel voyait les hommes politiques comme « les enfants du doute », « vrais » parce que « discutables », qui ne sauraient « renier [leur] mère, le libre examen ». Alors, Vermorel n'avait plus qu'à laisser ces « remarquables paroles » « aux méditations des citoyens de la Commune, ou plutôt du Comité de salut public. » Avec un argument massue : S'ils avaient conscience de leur supériorité, ils ne redouteraient pas ceux qui font l'éloge de Versailles. S'ils étaient convaincus de la justice et du patriotisme de leurs actes […], ils ne s'offenseraient pas de la critique de leurs actes et mépriseraient l'outrage et la calomnie161.
Le 22 avril, tardant à le voir paraître à l'Officiel, Eugène Mourot exigeait la publication du procès-verbal de la séance du 18 où fut adoptée une suppression, soulignant que plusieurs « directeurs de journaux » y avait pris part. Autant de « dictateurs journalistes » qui mélangèrent les rôles, et dont il importait de connaître le vote. S'ils avaient choisit la censure de la presse gouvernementaliste, ils auraient à prouver que leur vote ne fût pas motivé par des intérêts de pure rivalité corporatiste162. Vain vœu : le compte rendu qui aurait pu donner prise à la critique n'a tout simplement pas été livré à la publicité163. Simple oubli d'insérer ? Signe de discussions trop périlleuses politiquement pour être publiées ? Impossible de trancher, mais le procès-verbal de la séance du 19 affichait un avertissement qui devint la norme pour les séances suivantes : « l'Assemblée décide que les discussions ou les incidents qui pourraient se produire au cours de la séances [devaient] rester 159 Journal officiel de la République française, 19 mai, partie officielle. 160 Christophe CHARLE, Le Siècle de la presse. 1830-1939, Paris, Seuil, « L’Univers historique », 2004, p. 128. La proposition ne se vérifie par en terme de couleur politique cependant, les feuilles républicaines avancées et socialistes étant beaucoup plus nombreuses en 1868-1871 qu’en 1848-1851. 161 « La liberté de la presse et la Commune », La Justice, 18 mai 1871, p. 1, col. 4. 162 Eugène Mourot, Le Mot d'ordre, mercredi 22 avril, p. 1, col. 3. 163 Journal officiel de la République française, n° datés du 18 au 30 avril.
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secrets, [et] ne seront pas reproduits dans le compte rendu officiel164. » Cette question de la publicité des débats à l'Hôtel-de-Ville se posa dès la proclamation de la Commune, qui ne statua qu'au 12 avril. La Sociale la réclamait pleine et entière. Car déjà, les journaux gouvernementalistes publiaient des comptes rendus « dénaturés », mais pas totalement inventés. Alors que la guerre civile n'était encore qu'une hypothèse, les considérations stratégiques ne comptaient pas, étant donné « que nous sommes165 bien certains de n'avoir rien à craindre de personne. » Dans ce cas, un vote en défaveur de la publicité serait délétère, puisqu' « à Versailles, les journaux à la dévotion de M. Thiers » seraient alors contraints d' « [entasser] quotidiennement dans leurs colonnes les fantaisies les plus extraordinaires sur les discussions de la Commune […]166. » Toutefois, si une part de la presse communaliste exigeait une transparence totale, à la fois par la publicité des séances et la publication intégrale de tous les procès-verbaux à l'Officiel, d'autres se campèrent, parfois très trop dans le conflit, à la dénonciation de journalistes espions à la solde de l'adversaire. Le Mot d'ordre soupçonnait certaines plumes encore tolérées dans les remparts de servir d'agents doubles à la solde de Thiers. En plus d'exposer leur fausseté, la satire participaient au portrait du « Versaillais » corrompu. Un de nos amis rencontre l'autre jour un journaliste de sa connaissance – de retour de Versailles, on n'ose se demander pourquoi... Le Versaillais court à lui. – Bonjour, cher ! – Bonjour ! Et il tendait une patte que notre ami n'avait garde de prendre... – Vous ne me touchez pas la main ! fit le Versaillais d'un air piqué... – Non... elle doit avoir été graissée167.
Prosper-Olivier Lissagaray qui, en préface à la première édition de son Histoire en 1876, prenait soin de préciser « qu'il n'a été ni membre, ni officier, ni fonctionnaire de la Commune 168 » pour se consacrer uniquement au journalisme, sacrifiait pourtant volontiers la liberté de la presse. Il étendait la notion de « Prussiens de Versailles », archétype du traître, aux journalistes gouvernementalistes demeurés à Paris, comme réfugiés dans les tanières des locaux de rédaction. Nous demandons la suspension sans phrase de tous les journaux hostiles à la Commune. Paris est en état de siège réel. Les Prussiens de Paris ne doivent pas avoir de centre de ralliement, et ceux de Versailles des informations sur nos mouvements militaires 169.
Quant à Paris-libre, il rendait grâce à la Sûreté d'avoir « balayé » « tous ces journaux im164 Journal officiel de la République française, lundi 20 avril, partie non officielle. 165 C'est à dessein que j'inflige au lecteur cette première du pluriel : omniprésente, elle prouve le sentiment d'appartenance à une même communauté d'intérêts entre le rédacteur et son lectorat visé, dont la Commune était la concrétisation. Une communauté à défendre contre le « Versaillais ». 166 « La politique sociale », La Sociale, n°1, mercredi 31 mars, p. 2, col. 2. 167 Le Mot d'ordre, vendredi 21 avril, p. 2, col. 4. 168 « Ni employé », rajoute-il dans la préface à l’édition de 1896. P.-O. LISSAGARAY, Histoire de la commune de 1871 [1896], op. cit., p. 16-17. 169 L'Action, n°1, mardi 4 avril, p. 1, col. 2.
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mondes, brandons de discorde et foyers de la réaction » qui, « refoulés dans l'égout versaillais, nagent enfin dans leur élément. » Des journaux stigmatisés parmi les adversaires cachés au sein même du « Paris, ville libre », ces « misérables, bonapartistes, mouchards ou prêtres – ce qui est tout un ». Dans son article, le rédacteur actait aussi l'utilisation unanime du terme Versaillais pour désigner l'armée. Il réclamait d'autres interdictions, et puisque le « nom [était] acquis », il entendait « appeler l'attention du comité de sûreté générale non plus sur les Prussiens, mais sur les Versaillais de l'intérieur170. » Les enjeux des propagandes croisées, soit le rétablissement d'une vérité somme toute officielle et intangible, réclamaient la traque de l'espion de presse. Cependant, l'identité de celui-ci demeurait flottante et l'accusation pouvait s'avérer utile à une lutte intestine entre camarades de banc. Vermorel, signataire de la déclaration de la minorité le 15 mai, et Pyat, fidèle à la majorité favorable au Comité de salut public, se querellèrent violemment à propos de leurs participations réciproques à l'insurrection du 31 octobre 1870. Ce motif initial fut amplifié avec les élections partielles du 16 avril, où les deux hommes s'opposaient sur l'attitude à adopter une fois votée la validation des résultats, y compris pour les mandataires représentant moins du huitième des inscrits171. Mais surtout, Vermorel dénonçait le double langage de Pyat : défenseur des thèses de liberté, de modération et de conciliation entre membres de la Commune dans son Vengeur, il prônait pourtant les mesures « les plus intolérantes, les plus violentes, les plus énergiques » lors des séances qui ne faisaient pas l'objet d'un compte rendu public. Le bénéfice ? « Vous ménagiez votre popularité pour le cas où le peuple serait victorieux, et, d'autre part, vous vous réserviez une porte dérobée pour échapper aux persécutions, dans le cas du triomphe de Versailles », lançait-t-il à son adversaire. L'argument ne tenait pas vraiment, étant donné la virulence des diatribes du Vengeur à l'encontre du gouvernement. « C'est plus que de l'habileté, cela, citoyen Felix Pyat, c'est de la malhonnêteté 172 », jugeait toutefois Vermorel. Pour ne pas dire trahison. Car dans le numéro du lendemain, il plaçait tout bonnement son rival sur un pied d'égalité avec l'adversaire politique qui occupait Versailles. Le citoyen Félix Pyat s'efforce de donner le change sur sa lâcheté par des déclarations romantiques. Il fait de l'esprit, il a aiguisé des antithèses, il fait la roue devant le peuple... La ca lomnie et le mensonge coulent de la plume du citoyen Felix Pyat, aussi facilement que de celle de M. Thiers ou de n'importe lequel des hommes de Versailles173.
Le journaux gouvernementalistes apparaissaient parfois dans les revues de presse communaliste – rarement – comme critiques du gouvernement lui-même, ou plutôt de ses hommes. Ainsi, la « presse versaillaise » faisait-elle feu de tout bois contre Favre, « usurpateur du 4 septembre ». 170 « Les Versaillais de l'intérieur », Paris-libre, jeudi 13 avril, p. 1, col. 2. L 171 Charles RIHS, La Commune de Paris, 1871. Sa structure et ses doctrines [1955], Nouv. éd. revue et aug., Paris, Seuil, « L’Univers historique », 1973, p. 96-98, pour le détail des débats des élus autour de la « légitimité » du suffrage. Les tenants d’un minimum du 1/8e, entendait ne pas reproduire le parlementarisme coupé de la souveraineté populaire, comme en 1849-1851. 172 « Réponse au citoyen Félix Pyat », L'Ami du peuple, vendredi 28 avril, p. 2, col. 3. 173 Id., samedi 29 avril, p. 2, col. 1.
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Car, « pour cette presse comme pour l'Assemblée, M. Favre est encore trop républicain, comme M. Thiers est trop libéral174 », statuait La Justice. La Commune et ses hérauts se devaient en effet de dévoiler au grand jour la restauration monarchiste que préparait l'Assemblée nationale.
Révéler le péril du complot monarchiste Élection truquée pour députés fantoches Le « Versaillais » connut un franc succès dans la rhétorique communaliste car il évoquait immédiatement cette crainte omniprésente que le gouvernement et son Assemblée préparait non pas la République démocratique et universelle dont la Commune était la concrétisation, mais le retour d'un roi. Peu avant le début de la guerre franco-prussienne, Alexandre-Édouard Portalis était rédacteur en chef de L'Électeur libre dirigé par Ernest Picard, qui devint ministre des Finances de la Défense nationale. Mais dès le 4 septembre, son opposition aux tractations de paix le rangea parmi les républicains irréconciliables. Pendant l'insurrection, même si beaucoup se méfiait d'un personnage ambiguë, sa Vérité alla jusqu'à être louée par l'Officiel, alors dirigé par Charles Longuet. Dès l'annonce des élections générales prévues par l'armistice, la voix de Portalis énumérait les motifs qui, s'ils n'étaient pas corrigés, fausseraient le scrutin. Il demandait le rétablissement des journaux interdits, Combat de Pyat et Réveil de Delescluze, ainsi que l'arrêt des fermeture de clubs. Il réclamait « l'élargissement » des prisonniers politiques. Ces mesures qualifiées d' « illégales » car portant atteinte aux « libertés individuelles de tous » et au libre débat entamaient « la sincérité du vote. » S'il ne revenait pas sur ces mesures, « le gouvernement [aura] encore gêné, autant qu'il était en lui, la liberté du vote, et faussé dans la mesure de ses forces le ressort du suffrage universel. » La tribune en appelait donc à « tous les honnêtes gens et tous les Parisiens » et, surtout, à « tout bon citoyen, tout républicain digne de ce nom » pour faire pression sur le gouvernement175. Celui-ci ne plia pas, preuve de son républicanisme biaisé, aux yeux des socialistes parisiens. À mesure que l'échéance approchait, les voix redoublaient pour condamner une élection truquée. Les prisonniers qu'évoquait La Vérité tinrent tribune dans Le Rappel, par une lettre émise de la Santé, le 5 février, où ils s'indignaient des « monstrueuses iniquités » qui « privent arbitrairement des citoyens de l'exercice de leurs droits civiques », et en appelaient à « l'opinion publique souveraine » pour y mettre un terme176. Delimal, dans le premier numéro du Vengeur, engageait « le peuple à ne pas trop se fier 174 « La diplomatie de M. Favre », La Justice, 16 mai, p. 2, col. 1. 175 « Une dette d'honneur », La Vérité, 29 janvier, p. 2, col. 2. 176 Le Rappel, mardi 7 février, p. 1, col. 3. Lettre signée Lefrançais, Ranvier, Vermorel et Vésinier.
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aux mots : les discoureurs, qu'il ne l'oublie pas, au lieu de le servir, l'ont toujours trahi 177. » Voilà un avertissement de routine lors d'une campagne électorale. La trahison résidait également dans les promesses non tenus. Mais cet appel au sens critique des lecteurs aurait aisément pu être retourné contre les séductions rhétoriques du camp socialiste. Bien qu'encore peu nombreuse au 8 février 178, la presse qui allait devenir communaliste maniait déjà les clichés englobants. Une habitude qui favorisa la construction typique du « Versaillais » dès la migration du gouvernement et l'Assemblée à Versailles. Le passif des candidats députés était attentivement scruté. Gambetta fit parvenir, par le « 45e pigeon », un projet de décret visant à interdire de briguer les suffrages à tout homme ayant été ministre, sénateur, préfet ou conseiller d'État entre le 2 décembre 1851 et le 4 septembre 1870. Félix Pyat y vit une ficelle électoraliste qu'il mettait en balance avec la décision du ministre de la Guerre Gambetta de conserver en poste les généraux bonapartistes, et entendait en rire, « comme Guillaume à Versailles179. » L'attitude de Pyat consistait sans doute davantage à s'opposer à Rochefort qui, le premier, en une complète du 4 février, avait fait de la proposition gambettiste son Mot d'ordre. Il y appelait par ailleurs à voter Gambetta, « le seul membre du Gouvernement actuel qui n'a pas désespéré [de la République]180». Le seul qui n'avait pas trahi, en somme. Le décret en question ne fut jamais appliqué en raison des pressions exercée par Bismarck, qui adressa un dépêche à Favre le 3 insistant sur l'incompatibilité de la mesure avec la convention d'armistice 181. Mais son commentaire se prolongea jusqu'au jour du scrutin. Dans son numéro postdaté du 9 février, Rochefort défendait cette fois aux « acclamés du 4 septembre », illégitimes parce que jamais élus, de destituer Gambetta, poussé vers la sortie. Il prévenait en outre de la « menace orléaniste » qui se réaliserait au cas où les « anciens prostitués de l'empire » étaient autorisés à se présenter et à récolter des « bulletins dynastiques » – titre de l'article. En effet la campagne électorale, dont la brièveté impropre au débat et le déroulement sous occupation étrangère la disqualifiaient déjà, amorça la dénonciation du risque de restauration monarchiste dans la propagande des républicains avancés. Les « plans » du « Provisoire » désireux de trouver des soutiens à l'étranger par l'ambassade de Thiers faisait bien peu de cas d'élections libres. Henri Brissac prédisait « une Assemblée « nationale » nommée dans les campagnes par les serfs de l'empire et délibérant sous les canons du Prussien, c'est-à-dire une France démembrée, la France égorgée une troisième fois par des royalistes 182. » À quelle énumération faisait-il référence ? Il ne précisait rien, peut-être n'avait-il à l'esprit que les légitimistes et les orléanistes, respectivement fo177 178 179 180 181 182
« Les assermentés », Le Vengeur, n°1, vendredi 3 février, p. 1, col. 4. Seuls Le Mot d'ordre, Le Vengeur et Le Rappel, plus modéré, purent faire campagne avec un certain écho. « 45e pigeon », Le Vengeur, lundi 6 février, p. 1. « Proclamation de Gambetta », Le Mot d'ordre, samedi 4 février, p. 1. « La proclamation et les dépêches », Le Rappel, mardi 7 février, p. 1, col. 5. « Eux », Le Vengeur, n°1, vendredi 3 février, p. 1, col. 6.
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mentateurs de la Restauration de 1814-1815 puis de la monarchie de Juillet. Le Rappel, couvrant la campagne en Seine-et-Oise, arrivait à un constat similaire quoique plus large : les diverses tendances monarchistes, « coteries réactionnaires », faisait preuve d'un militantisme affiché. « Les orléanistes s'agitent, les légitimistes couvrent d'affiches les murs de Versailles », détaillait-il. La troisième tendance monarchiste n'était pas en reste, puisque « quelques bonapartistes, eux-mêmes se fiant à la présence des Prussiens, osent sortir de leurs trous 183. » De la sorte, la feuille amalgamait Versailles avec, d'une part, l'idée de complot – coterie évoquant l'intrigue d'individus aux intérêts convergents –, et d'autre part, les opinions monarchistes. Déjà, dans la course à la députation, le journal républicain portraiturait un « Versaillais » royaliste ou bonapartiste. Plus d'un mois et demi après le 8 février, Le Journal officiel que fit paraître le Comité central donnait la mesure de l'illégitimité de l'Assemblée au yeux des républicains avancés de Paris. Alors que les élections à la Commune du 26 mars se profilaient, il affirma qu'une importante part des députés « siégeant d'abord à Bordeaux et actuellement à Versailles » « n'avait pu être nommé librement », à cause de l'occupation et des pressions des « baïonnettes prussiennes ». La revendication des « libertés communales » s'en trouvait d'autant plus justifiée : l'Assemblée, « chargée d'une mission déterminée à l'avance, [signer la paix], d'une sorte de mandat impératif restreint », n'avait pas autorité pour gouverner Paris184. Le député qui siégea à Versailles à partir du 11 mars portait donc le boulet d'un mandat mal acquis dénoncé avant même d'être obtenu par une presse républicaine vigilante. Delescluze et Cournet, élus le 8 février, s'empressèrent de démissionner une fois portés à la Commune. Le premier, adressant sa missive « au citoyen président de l'Assemblée réunie à Versailles », expliquait la longévité de son mandat par sa volonté de « réclamer la mise en accusation des dictateurs du 4 septembre. » Le second motivait sa démission par la conviction que « la Commune seule [pouvait] sauver la patrie et la République compromises et attaquées par une majorité qui fait chaque jour appel aux passions monarchiques 185 ». La proximité des deux lettres dans le journal donnait aux députés désormais sis à Versailles deux attributs complémentaires : dictateurs et monarchistes. Car cette dernière accusation éclaboussait tous les actes de l'Assemblée. Les procès-verbaux de séance permettaient aux journalistes parisiens de tourner en ridicule une « bande d'écoliers distraits et bavards, qui passent le temps de la classe à lire des livres défendus, à faire du café sous leur pupitre, et à lancer dans les airs des mouches chargées de petits cornets adaptés par derrière186. » Une infantilisation fréquemment employée pour décrédibiliser des députés fantoches. Pourtant, même avec cet artifice rhétorique, les députés demeuraient un danger monarchiste à 183 184 185 186
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« Versailles », Le Rappel, mardi 7 février, p. 1, col. 4. « Paris est dans le droit », Journal officiel de la République française, mercredi 22 mars, partie non officielle. La Sociale, n°1, mercredi 31 mars, p. 2, col. 3. « Une classe mal tenue », Le Rappel, n°969, jeudi 13 avril, p. 1, col. 2.
combattre comme tel. « Les bons députés de province ont tous dans leurs poches un petit Philippe en sucre – il n'y en a plus que cinq qui aient des tabatières avec la gueule de Badinguet dessus », relevait, folklorique, Le Père Duchêne. Mais dans le même numéro, la prose de Maxime Vuillaume se durcit lorsqu'il s'agit de distinguer soldats courageux et donneurs d'ordre, « gueux » qui « voulaient tuer la France pour mieux tuer la République, retourner les poches de ces deux cadavres et abandonner à Philippe II leurs corps déshonorés. » Il exprimait par là la menace d'un retour au pouvoir du prétendant orléaniste, Louis-Philippe II, petit-fils du monarque de Juillet. Insister sur les penchants orléanistes des députés et des membres du gouvernement permettait de révéler les véritables intentions du « Versaillais ». Et de démonter les postures républicaines de façade du camp d'en face.
Républicains de façade Sans faiblir, la presse communaliste se fit fort de déconstruire la propagande gouvernementale fondée sur des faux-semblants républicains. Ces mensonges sur la teneur de son projet politique accablaient l'exécutif installé à Versailles. Une fois encore, la dissimulation de la vérité amplifiait la trahison. Cependant, face à une Commune authentiquement républicaine, qui se concevait comme la seule forme de République pour le peuple et par le peuple, la véritable nature du régime qui s'installait à Versailles – une monarchie : un roi ou un empereur – semblait aisée à mettre à nu. Durant toute l'insurrection, l'accusation fonctionna d'autant mieux que l'Assemblée avait pris ses quartiers dans la ville royale. Grâce à la mise en scène permanente du déterminisme géographie de « la métropole de la grande royauté », les « masques » des députés tombaient tout seul. « Ils ne trompent plus personne », continuait Louis-Auguste Rogeard, cinquante-et-un ans, secrétaire de rédaction du Vengeur dont Les Propos de Labiénus de 1865, satire politique du régime impérial, avaient eu une grande influence sur les jeunes militants parisiens 187. Ceux qui « se disent élus de la République ne sont que les vendus d'une monarchie », vivant de « souvenirs et d'anachronismes » et formaient une véritable « cour » qui va « au petit lever de son altesse et à la grand'messe de son éminence », qui « se donne du monseigneur et du vicomte par le nez », qui « fait cortège à l'ombre du grand roi ». Le polémiste livrait ainsi le tableau d'une grande mascarade, dont les députés étaient les acteurs malgré eux, étant donné leurs profondes convictions monarchistes. À preuve : « ils ont une telle peur du socialisme que son nom seul les rend fou […] et qu'ils se bornent à le conjurer par des prières, des calomnies et des signes de croix188. » Bouis, qui déjà, sous le Siège, dans La Patrie en danger de Blanqui, dénonçait les « répu187 Jean MAITRON et Madeleine EGROT (dir.), Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français. Deuxième partie : 1864-1871, la Première Internationale et la Commune, Paris, Éditions ouvrières, 1967. 188 Louis-Auguste Rogeard, « La cour de Versailles », Le Vengeur, mercredi 5 avril, p. 1, col. 1.
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blicains aux idéaux élastiques189 », entreprenait tout de même l'autocritique du « socialisme ». Si le péril royaliste se rejouait en 1871, c'est que la royauté n'avait été supprimée qu'en surface pendant la Révolution, et que depuis les républicains sincères, auxquels il se joignait, « av[aient] fait besogne stérile pendant quatre-vingt-deux ans ». Ceux-ci « ont brisé les rois sans briser la royauté, détruit les privilèges sans détruire les privilégiés, effacé les symboles en épargnant la réalité […], chassé les hommes et gardé les institutions, tué la bête sans annihiler le venin ! » Naïfs réformateurs, misérables justiciers de hasard, nous avons, en des jours de fièvre et d'enthousiasme, jugé les monarques criminels. Mais, le lendemain du verdict, nous avons chaque fois bâti notre République sur les pierres mêmes de la royauté. Nous avons chassé le se meur qui jetait l'ivraie dans nos sillons... Mais nous avons réservé la graine, et nous l'avons semée nous-mêmes le lendemain. […] Dis-moi, que t'ont fait, peuple, ces disparitions fulgurantes de rois ? Enivré, affolé, épouvanté de ta puissance souveraine, tu t'es jeté, le jour même, dans les bras de républicains que le monarchisme, toujours vivace, pourrissait le jour même, et, le lendemain, ta République bâtarde, redevenue monarchie, avait pour tes revendications les chassepots de décembre et pour tes plaintes les cachots de Lambessa190.
D'abord, par un effet de style, le polémiste entretenait le flou sur l'époque abordée, ce qui induisait l'association d'idée entre Seconde République et régime du 4 septembre, dont les dirigeants gouvernaient encore en mars 1871. Ensuite, plus explicite, il faisait de l'élection au suffrage universel de décembre 1848 et de la répression de la résistance populaire au coup d'État de Louis Bonaparte les séquelles logiques d'un attentisme coupable. En ce 19 mars 1871, le journaliste maniait ces références historiques dans le but précis d'appeler les Parisiens à la vigilance face au double jeu du gouvernement. Il appelait, cette fois-ci, à ne pas s'en tenir au superficiel, au costume républicain qui cache le solide corps monarchiste. Car les différentes allégeances passées des gouvernants ne trompaient pas. Au lendemain de la formation du ministère Thiers, Rochefort assurait que « les députés réactionnaires dont nous ont gratifié les Prussiens et les capitulards de Paris comptent bien se débarrasser lestement de la forme républicaine ». Or, « nul n'est plus digne de cette mission que l'odieux vieillard qui n'a jamais cessé de trahir la République191 » et qui, tombant à pic, détenait les rênes du pouvoir. Maret assurait qu'avec l'assaut lancé sur Paris début avril, « Thiers [dépassait] dans l'odieux » tous ses prédécesseurs au pouvoir. Lesquels, une fois expulsés de Paris par le peuple, n'avaient pas oser « fomenter la guerre civile ». Charles X, « tout roi qu'il fût », alors même qu'il avait une armée postée à Saint-Cloud, avait compris « qu'il n'avait pas le droit de faire s'entr'égorger des Français pour conserver sa couronne », et avait renoncé devant le soulèvement populaire de 1830. Or « le gouvernement de Versailles, gouvernement sans doute divin […], le gouvernement de Thiers, de Jules Favre et de Simon » exécutait froidement ce que le Bourbon n'avait pas osé, « au mépris de 189 « Blanqui », Maitron, op. cit. 190 Casimir Bouis, « Socialisme », Le Drapeau, 19 mars. 191 Le Mot d'ordre, samedi 18 février, p. 1, col. 1.
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la postérité vengeresse192. » Les noms cités en fin de paragraphe servaient ici d'arguments d'autorité à la plume pamphlétaire : nul besoin de détailler, leurs histoires individuelles les accablaient devant l'Histoire. À la veille du massacre, Le Père Duchêne explicitait tout de même à quoi se rattachait ces patronymes. En cas de défaite de la Commune, il s'agissait de prévenir de la nature du régime qu'imposerait Thiers. « Vous avez tous des dates auxquelles se rattachent vos noms, toi Transnonain, – toi, Juin 48, – toi, Janvier 1871 ! », lançait-t-il aux ministres. Transnonain, c'était la cruauté de Thiers, ministre de l'Intérieur de Louis-Philippe, qui fit écraser dans le sang la révolte parisienne du 14 avril 1834. Janvier 1871, c'était la répression de l'insurrection du 22 janvier qui avait enlevé Théodore Sapia, commandant de bataillon devenu dès lors un martyr des révolutionnaires parisiens. Or, Joseph Vinoy, alors gouverneur de Paris, était fin mai à la tête d'un corps d'armée qui s’apprêtait à passer les remparts. Quant à Juin 48, le destinataire de l'apostrophe demeure mystérieux. Thiers n'assuma aucun rôle dans le gouvernement provisoire du temps ; Favre tint seulement un sous-secrétariat aux Affaires étrangères. Quant à Eugène Cavaignac, qui avait conduit la fusillade des ouvriers parisiens, il mourut en 1857193. Si l'erreur du rédacteur se confirmait, elle montrerait tout de même l'automatisme des accusations sur le passé des gouvernants. Juin, grand acte du drame des révoltes parisiennes, devait forcément avoir quelque chose à voir avec les actuels gouvernants, éternels traîtres à la « vraie République ». D'où un titre fausse interrogatif pour exiger la fin de ce jeu de dupes : « Le Point d'interrogation foutu par le Père Duchêne sous le nez des Versailleux pour savoir ce qu'ils veulent décidément, nom de dieu ! » Et que voulait le marchand de fourneaux, se référant à la déclaration des Droits de l'Homme de 1792 ? La Liberté, L'Égalité La Sûreté La Propriété. Voilà la vraie République, et ça n'a rien de commun avec l'assassinat, la dilapidation des deniers de la Nation, le viol, la trahison et tous les crimes dont se rendent coupable les jean foutres de Versailleux, afin de garder leurs privilèges et de pouvoir continuer à se goberger sans jamais rien foutre de leurs dix doigts194 !
La propagande militaire de la presse communaliste usait aussi de la dénonciation des trahisons à la République. Même dans le cas du récit sobre d'un affrontement, les blessés « attend[ai]ent avec impatience le moment de retourner au feu » ; mieux, ils retourneraient combattre au Cri de : « Vive la République ! Mort aux traître de la guerre de 1870 et 1871 !195» Les soldats de l'armée d'en face ne pouvaient pas se prévaloir d'un tel cri de ralliement, attendu les vocalises de leurs chefs. Ainsi, quelques jours après le début des combats, L'Action voulut établir un premier 192 Henry Maret, « Le blocus », n° 14, La Commune, dimanche 2 avril, p. 1, col. 2. 193 Robert TOMBS, « Paris and the Rural Hordes: an Exploration of Myth and Reality in the French Civil War of 1871 », The Historical Journal, 29-4, 1986, p. 796, relève tout de même que Le Cri du 22 février traitait Thiers de « Cavaignac dans le placard ». Prédiction macabre qui s’est avérée exacte. 194 Le Père Duchêne, n° 66, 1 prairial (21 mai). 195 « La bataille », Le Cri du peuple, jeudi 6 avril, p. 1.
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bilan. Mais celui-ci glissait imanquablement sur le thème du complot contre la République. La plume estimait que tous les partis monarchistes étaient représentés par un membre ou un général du gouvernement. « Oui ! Cathelineau est à Versailles et crie : Vive Henri ! ». Or, à la tête de ses volontaires, Cathelineau demeura à Rambouillet, sans intervenir du tout196. Peu importe, il représentait le parti légitimiste, tout prêt à rétablir Henri d'Artois, compte de Chambord. « Thiers est à Versailles et crie : Vive Philippe ! ». Le chef de l'exécutif représentait le parti orléaniste au pouvoir, mené, je l'ai dit, par Louis-Philippe II, comte de Paris. « Vinoy est à Versailles et crie : Vive l'empereur ! ». Le général avait obtenu ses galons dans la guerre de Crimée jusqu'à devenir sénateur d'Empire en 1865. « Tous, ils essaient tous, vous dis-je : que leur importent le sang et la boue ? ce sont nourritures royales. » L'article se concluait par une exhortation à la victoire. Ainsi que par un appel à l'Histoire, si fréquent dans la rhétorique lyrique des journaux communaliste. « Ceux-là qui s'étaient dits républicains et qui n'étaient que de vulgaire ambitieux, après avoir trompé Paris pendant six mois, […] ont enfin, en quelques jours, rassemblé des bataillons, trou vé des canons, et ils s'en sont servis contre les Français qu'ils venaient de trahir. » Ainsi tu parleras histoire ! et leurs ombres en tressailliront197 !
Non contentes de mentir sur leurs intentions, ces « bandes royalistes198 » se rendaient coupables de toutes les incohérences, reprochant à la Commune ce qu'elles avaient envisager sous la Défense nationale. À la mi-avril, Rochefort rappelait que Picard, aux Finances, avait eu l'intention, le 8 septembre 1870, de fondre l'argenterie conservée au Tuileries. Les membres de la Commune, en avaient donc naturellement le droit, eux-aussi, avec l'argenterie des Affaires étrangères, contrairement à ce que les « avocats qui se sont fait récemment naturaliser Versaillais » leur déniaient, en forme d'unique « théorie politique ». Mais le journaliste élargissait le débat de la reprise de valeurs financières pour le bien commun aux « diamants de la Couronne ». Un trésor que le polémiste ne pouvait évoquer sans broder avec brio sur le thème du complot monarchiste. Ainsi, afin que Picard, « qui dort actuellement dans le lit de madame de Montespan », ne pût rien contester, Rochefort lui rappela que ce même 8 septembre, il avait également eu l'idée de vendre les diamants de la Couronne, estimés alors à cinquante millions. Toujours dans une posture ambiguë, puisqu'il avait participé au pouvoir de la Défense nationale mais soutint la Commune, il ne contestait d'ailleurs nullement au « gouvernement de la République », la légitimité de « vendre, pour soulager les misères de la nation, les insignes et les ornements de la monarchie. » Il engageait simplement les gouvernants à faire leur deuil : d'autres les avaient désormais remplacés et avaient récupéré leurs prérogatives. Nous ne nous ferions aucun scrupule, si nous nous appelions la Commune, de négocier, même au rabais, ces parures inutiles. Au cas où le monarque que l'assemblée de Seine-et-Oise nourrit le projet de nous offrir se verrait forcé de se contenter d'une couronne en chrysocale en196 R. TOMBS, « Paris and the Rural Hordes », art. cit., p. 801. 197 Henry Maret, « Où nous en sommes », L'Action, mercredi 5 avril, p. 1, col. 1. 198 « Pas de conciliation », La Sociale, samedi 29 avril, p. 1, col. 1.
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richie de cailloux du Rhin, où serait le mal ? En ce moment, nous n'avons pas besoin de saphirs pour les rois, mais de munitions contre les royalistes, et nous serions heureux pour notre par de voir le Régent nous aider à repousser... la Régence199.
Éric Cavaterra cite cet article et classe le projet parmi les actes symboliques de la Commune visant à « rendre au menu peuple les privilèges d'un seul ». Mais l'historien ne cite que le paragraphe ici en exergue. Faute d'avoir lu l'article en entier ou simplement de l'avoir replacé dans le contexte plus large de l'année terrible, il en appauvrit le sens200. Car cette affaire des diamants de la Couronne était bien un enjeu de souveraineté pour un pouvoir s'estimant seul républicain face à une cohorte de professionnels adeptes de la girouette politicienne, ce que démontre l'évocation de septembre 1870 par Rochefort. D'autre part, le paragraphe en question exprime avec force que, loin de n'être qu'une question de symbolique financière, l'attitude protectrice des ministres sis à Versailles vis-à-vis de tels joyaux sonnait à Paris comme une preuve de plus de leur monarchisme. Du moins, l'affaire était prétexte à renforcer l'accusation. Dans cette opposition idéologique entre monarchie et République, les couleurs du drapeau servirent de marqueurs d'appartenance, et son symbole fut mis en scène à loisir. Battant la campagne pour le 26 mars, Le Père Duchêne rappelait que la bannière rouge qui flottait sur l'Hôtel-deVille depuis le 18 mars matérialisait les répressions sanglantes du peuple. Et dire que cet imbécile de Lamartine nous a dit que le drapeau rouge n'avait jamais fait que le tour du Champs-de-Mars, la hampe dans le sang ? Oui mais dans le sang du Peuple ! du Peuple fusillé comme toujours par les traîtres et les royalistes201 !
Le discours de Larmartine du 25 février 1848, alors qu'il faisait partie du gouvernement provisoire établi la veille, et dans lequel il s'opposait à l'adoption du drapeau rouge, sonnait encore comme un affront. L'Affranchi portait la cicatrice de cet affront alors qu'il publiait un article à vocation pédagogique. Il s'y proposait de retracer l'histoire d'un symbole omniprésent dans le paysage visuel parisien, et remplissait par là un rôle d'éducation populaire en fournissant une profondeur argumentative à ses lecteurs engagés dans la lutte. En 1848, « le drapeau rouge fut demandé spontanément et avec une passion où se révélait la profondeur des instincts populaires ». Lamartine, « ce poëte à l'esprit faux, cet homme à la vanité féminine et monstrueuse, l'amant de Graziella, qui, né riche, gaspilla sa fortune, et, devenu pauvre, vécut sans dignité, et mourut trop tard, accablé sous les aumônes d'Émile Ollivier et de Napoléon III », osa pourtant proférer « le mensonge historique » que citait Le Père Duchêne. La tribune pseudo-historienne s'opposait en fait à deux drapeaux qui avaient jalonnés l'histoire de France. Au moment de la Révolution, elle expliquait la 199 Henri Rochefort, « Politique et argenterie », Le Mot d'ordre, n° 52, dimanche 16 avril, p. 1, col. 4. Le « Régent » est la pierre la plus précieuse du trésor. 200 Certes, l’objet de son étude est le volet financier. Toutefois, il explique en note avoir repris l’extrait d’une coupure de presse conservée par la Banque elle-même. Peut-être l’archive a-t-elle été tronquée dès sa constitution, donc, afin de ne conserver que l’image d’une Commune pillarde. É. CAVATERRA, La Banque de France et la Commune de Paris, 1871, op. cit., p. 115-121. 201 Le Père Duchêne, n° 7, 2 germinal (23 mars), p. 3.
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création du tricolore, celui qu'avait défendu Lamartine en 1848, justement. « En résumé, le blanc était la couleur du roi et de ses instruments politiques, la noblesse et le clergé ; le bleu celle des privilégiés du régime des maîtrises et des jurandes ; le rouge celle des travailleurs, c'est-à-dire de l'immense majorité du peuple français. » Toutefois, c'était pour dénigrer aussitôt l'espoir de conciliation que le tissu arborait : « on arrivera jamais à mêler ensemble le mercure, l'eau et l'huile », statuait la plume. Elle s'opposait plus fermement encore au drapeau « des armées permanentes et de la royauté absolue », qui de Charles VII à Louis XVI fut « le drapeau du roi, la bannière blanche fleurdelisée202. » Car drapeau blanc et drapeau rouge résumaient le combat manichéen entre monarchie et république dépeint dans la presse. Un camp, une couleur. Le « Versaillais », lui, virait au blanc. Le 1er avril, La Sociale préconisait une revanche militaire sévère si « le prétendu gouvernement de la prétendue République blanche203» se piquait d'attaquer Paris. À l'autre extrémité du mois – et du spectre des couleurs symboliques –, Henri Bellenger produisait la vision onirique d'un futur lumineux pour l'Europe entière, si elle suivait l'exemple de Paris. Une lumière écarlate à l'horizon. A travers l'épais nuage noir, fait de tristesse et de deuil, dont le canon de Versailles enveloppe Paris, la lumière filtre par échappées. Elle apparaît et grandit lentement, graduellement, progressivement. Elle s'élève à l'horizon comme une aurore, et ses rayons, pâles encore, mais déjà d'un rose fort appréciable, virent de plus en plus au rouge : couleur du drapeau de la Commune204.
Commentant une complainte du gouvernement dans le Journal officiel de Versailles, à propos des calomnies de complot monarchique dont il se disait l'objet, le « Junius » de Paris-libre ramenait la question de la couleur du drapeau au type de régime politique. En définitive, l'important était l'affermissement d'une République à l'abri de toutes les restaurations. Peu nous importe que leur drapeau soit blanc ou tricolore, qu'il abrite dans ses plis un Bourbon, un d'Orléans ou un Bonaparte, nous ne voulons plus ni rois, ni empereurs, ni traîtres, ni parjures, nous voulons la République, et Paris compte dans son sein un demi-million de citoyens prêts à la défendre et à mourir pour elle205.
L'affrontement de deux visions de la République en 1871, l'une démocratique et sociale, l'autre libérale et soutenue par les monarchistes, porte en germe l'histoire politique des débuts de la Troisième République. Alfred Le Petit, qui collabora à La Montagne de Maroteau pendant l'insurrection, personnifiait la « République honnête » avec sa besace tricolore et la « République rouge » dans un drapé écarlate, moins d'un an après la Commune (ill. ill. 8). La « rouge » jetait au visage de sa rivale : « réactionnaire !!! ». L'autre lui répondait : « pétroleuse !!! » La caricature rappelait donc formellement la Commune206. Les crises de régime jusqu'en 1878, dont plusieurs intrigues légiti202 203 204 205 206
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« Le drapeau rouge », L'Affranchi, 2 avril, p. 2, col. 5. « Le comité de salut public », La Sociale, 1er avril, p. 2, col. 1. « Choses du jour. La République européenne », Le Vengeur, jeudi 20 avril, p. 2, col. 6. « Photographie de la presse », Paris-libre, n° 1, mercredi 12 avril, p. 2, col. 5. Maurice AGULHON, « Marianne et la Commune. 1870-1875 » dans Marianne au combat. L’imagerie et la symbolique républicaines de 1789 à 1880 [1979], nouv. éd., Paris, Flammarion, « Bibliothèque d’ethnologie
mistes, sont bien connues. Le motif du complot irrigua cette époque, et le péril monarchiste venait surtout des royalistes. Mais chez les révolutionnaires de 1871, dans le contexte immédiat de la fin de l'empire, les machinations des bonapartistes polarisèrent la dénonciation plus que les autres. Ainsi, fin avril, pour synthétiser cette « idolâtrie du système monarchique », Le Vengeur reconnaissait que « le gouvernement et l'Assemblée de Versailles ne sont en puissance ni de roi, ni d'empereur ». En revanche, « ils ne pouv[aient] souffrir le nom seul de la République. » Mais la conclusion du rédacteur ramenait le « culte de cette vieillerie démodée » qu'était la monarchie à un régime répressif encore présent dans tous les esprits. « Le mouvement communal » avait pour principal mérite de « secouer partout la France apathique de l'Empire 207. » La répression de l'insurrection du 22 janvier prêta à comparaison avec le régime déchu le 4 septembre, et évoquait à Maret une « monarchie continuée ». Quant à la répression elle-même, le républicain allait jusqu'à supposer que « l'empire » n'aurait jamais fusillé comme le « gouvernement pseudo-républicain » se l'était permis. L'absence de majuscule à empire, usage typographique le plus fréquent dans le corpus, signait une velléité méprisante. Ce contre-modèle s'imposa en principal péril monarchiste, dès le début de l'année, parce que les journalistes communalistes de 1871 forgèrent pour la plupart leur militantisme républicain sous le joug du Second empire. En conséquence, rien d'étonnant à lire « La Déclaration » en une du premier numéro du Vengeur – vivier de ces journalistes d'opposition –, le 3 février, comparer point par point la république idéale avec l'empire déchu. Le journal allait jusqu'à établir une généalogie entre personnalités du Premier Empire et ministres de la Défense nationale d'une part, et lieux emblématiques du passé et du présent. L'empire, c'est Marmont, Fouché, Trochu, Jules Favre ; c'est Fontainebleau, c'est Versailles ; c'est la ruine, c'est la honte ; c'est la restauration ; c'est 1815 et 1870208.
Curieuse comparaison, à vrai dire, et comme toujours avec les références historiques qui abondaient en tous sens dans la rhétorique communaliste sans explicitations, puisque transparentes pour les lecteurs de 1871, on ne peut que proposer de prudentes interprétations. Auguste Frédéric Louis Viesse de Marmont était un compagnon de la première heure de Napoléon Bonaparte, depuis le siège de Toulon en 1793, premier coup d'éclat du futur empereur. Lequel en fit un maréchal d'empire. Mais en mars-avril 1814, après avoir échoué à la tête de l'armée qui défendait Paris contre la coalition étrangère, Marmont abandonnait Bonaparte pour livrer ses troupes aux vainqueurs. Jules Trochu était aussi homme de guerre, et fut promu général en 1866, sous régime impérial, puis gouverneur de Paris en août 1870, poste clé dans la dernière guerre de Napoléon III. historique », 2001, p. 201, qui signale l’illustration, y voit les personnifications de « République 93 » et « République 1830 », les « déesses présumées de Blanqui et Thiers ». Elles me semblent plutôt représenter des allégories de 1871, avec, en effet, un tout petit et grisonnant Thiers à lunette. 207 « Barbarie et civilisation », Le Vengeur, 20 avril, p. 1, col. 2. 208 « Déclaration », Le Vengeur, n° 1, vendredi 3 février, p. 1, col. 1.
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Illustration 8 - Aldred Le Petit, « Les deux républiques », Le Grelot, dimanche 28 janvier 1872.
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Comme Marmont, son parcours était entaché d'opportunisme : du 4 septembre 1870 au 18 février 1871, il occupa le poste de président du gouvernement de la Défense nationale. Il semble donc que « 1815 et 1870 », deux « hontes », deux « ruines », symbolisaient les défaites des deux empires devant l'ennemi étranger – impardonnable pour une presse patriotique à outrance –, doublées du motif de l'opportunisme traître. Mais le nom de Marmont évoquait également « la restauration » – elle aussi, sans majuscule. Car l'homme fut nommé major-général de la garde royale par Louis XVIII et le demeura sous Charles X. Ce qui le conduisit à un autre fait d'arme « honteux » aux yeux des révolutionnaires parisiens de 1871 : il prit la tête des forces royalistes chargées de réprimer l'insurrection de juillet 1830. Comme Trochu réprima les insurrections du 31 octobre et du 22 janvier ? Le nom de Joseph Fouché, deuxième personnage historique cité, portait également la marque de la cruauté répressive. À l'automne 1793, il décida – première pendant la Révolution – un mitraillage au canon d'insurgés contre la Convention, à Lyon. Ce qui lui valut d'être accusé d'avoir abusé de son pouvoir, jusqu'à être menacé d'une condamnation à mort au printemps 1794. En thermidor, il joua un rôle important dans le ralliement des conventionnels de la Plaine à la conjuration contre Robespierre. Son casier de s'en tenait pas là car, girouette également, sa postérité était aussi celle de ministre de la Police attitré de Napoléon I er, de 1804 à 1810, puis à nouveau pendant les Cent jours. Pas de lien direct avec Favre, donc, opposant au Second Empire et cantonné aux Affaires étrangères. Si ce n'est que, hasard, Fouché possédait l'ancien château de Ferrières-en-Brie, remplacé à partir de 1859 par la bâtisse luxueuse où la capitulation, « honteuse » elle-aussi, fut décidée entre Bismarck et... Favre. Deux traîtres, en résumé. Enfin, associer Fontainebleau et Versailles propageait un message plus clair : la première, résidence prisée du premier empereur, était aussi la ville où celui-ci fut contraint d'abdiquer, en 1814 ; quant à la seconde... nouvelle défaite, et troisième empire, l'Allemand, cette fois. Un point particulier de cette filiation irritait particulièrement : les administrateurs du Second Empire constituaient encore les principaux décideurs, affirmait par exemple Delimal, sur la même page. À l'instar des personnages les plus connus, les politiciens de second rang, préfets ou hauts fonctionnaires, obéissaient à l'instinct de la girouette, adoptant la posture républicaine parce que la circonstance s'y prêtait : « sans conscience, comme des filles sans honneur : ils sont à qui offre le plus209. » C'était le cas d'un certain M. de Ring, alsacien « qui servait de chef de cabinet » à Favre et l'assistait dans les négociations, et dont Rochefort, à la tête de la Commission des Tuileries missionnée à l'automne 1870 pour explorer les papiers abandonnés dans l'ex-palais impérial, ne manquait pas de rappeler qu'une lettre avait fait montre de son admiration pour le génie de l'empereur. Le journaliste pamphlétaire Rochefort rappela aussi que Favre, jamais honnête, avait
209 « Les assermentés », ibid., p. 1, col. 4.
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d'ailleurs expressément demandé à ce que la missive coupable fût gardée secrète 210. Une fois l'élection survenue, les députés relevèrent du même ensemble de résurgences impériales. Eugène Mourot, collaborateur à La Rue de Vallès et emprisonnés deux fois pour délits de presse le même mois de décembre 1869, à 21 ans, imaginait son usage de « la franchise, vertu essentiellement républicaine » s'il avait été amené à siéger à Bordeaux, laquelle obligation d'honnêteté l'aurait contraint à des « formules de langage qui eussent incontestablement passionné les débats ». Exemple ? Pour interrompre un orateur bonapartiste, quoi de mieux que d'insister sur l'improbabilité de sa morale républicaine : « Est-ce comme député ou comme proxénète que vous avez demandé la parole ?211» Malgré le risque politique, l'Assemblée vota le 25 mars la réintégration de tous les fonctionnaires et magistrats ayant servit sous le Second Empire. Afin de démasquer complètement ces anciens partisans qui agissaient encore trop librement, Paris-libre rapporta qu'un projet de « Borne maudite » circulait en brochure sous-titrée Histoire infernale de l'empire212. Érigé sur les places publiques, ce monument porterait les noms qui « stigmatiseraient à jamais les nombreux méfaits de l'ex-séquelle impériale213. » Un pilori dont la rédaction s'inspira peut-être pour son propre « Pilori des mouchards » qui commença à être publié dans le même numéro. Le 3 mai, la rubrique de délation précisait les statuts des « mouchards » : d'une part, les « titulaires », qui en tiraient revenus. Les indic' classiques. D'autre part, les « honoraires », « portés naturellement vers l'honorable institution » de la préfecture de police et qui, même si leur position sociale leur interdisait toute compromission publique, « compt[aient] néanmoins dans la corporation comme donataires214. » Et le 22, la définition se précisait. Les « honoraires » étaient les mouchards qui n'avaient demandé aucun salaire en retour, c'est-à-dire qui prenaient leur travail le plus à cœur. À cette enseigne, rendant toujours l'impression que l'administration du gouvernement désormais sis à Versailles était percluse des habitudes impériales, le rédacteur épinglait « des administrateurs de compagnie de chemins de fer, des chefs d'établissements commerciaux » et même des « hauts-fonctionnaires215 ». L'accusation qui surgit très tôt dans la rhétorique des journalistes parisiens, ne faiblit donc pas avec l'installation de la Commune. Députés et ministres, républicains de façade, possédaient toutes les sympathies pour le régime déchu, malgré leur comédie républicaine. L'avocat d'affaires Eugène Kumennam, membre de l'A. I. T. et attaché au Relations extérieures de la Commune, arrêtait que « la signification des agissements les plus récents de l'exécutif de Versailles » n'était que « trop claire », « sans illusions ». Thiers, qui avait publié entre 1845 et 1869 les vingt-et-un vo210 « Informations », Le Mot d'ordre, vendredi 10 février, p. 1, col. 5. 211 « Les 19 élections de M. Thiers », id., mercredi 15 février, p. 1, col. 1. 212 Maxime DU CAMP, Les Convulsions de Paris. Les sauvetages pendant la Commune, 6e éd., Paris, Hachette et Cie, 1883, vol. 4/4, p. 21. 213 « Informations », Paris-libre, samedi 29 avril, p. 1, col. 4. 214 « Pilori des mouchards », id., mercredi 3 mai. 215 Id., lundi 22 mai.
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lumes de son Histoire du Consulat et de l'Empire, demeurait cet « historien », ce « petit homme qui a passé toute sa vie dans la contemplation admirative et maladive des grandeurs impériales. » Le chef de l'exécutif commandait en outre une cohorte de militaires tous galonnés pendant les guerres impériales. Paris avait vu clair, mais il fallait clarifier à destination du reste des Français trompés par la propagande gouvernementale. M. Thiers a l'habitude, à la fin de ses discours, de s'écrier de sa voix aigre et flûtée : Est-ce clair ! messieurs ? est-ce assez clair ? Nous aussi, nous dirons aux républicains de toute nuance, à tous les honnêtes gens, à tous les hommes de cœur de l'armée et de la province : MM. Thiers, et les républicains Mac-Mahon, Vinoy, Ladmirault, Gallifet, de Cissey, Valentin, Cathelineau, Charrette, et tutti quanti ligués ensemble ne sont pas les serviteurs de la République. Ils en sont les assassins, est-ce clair ? est-ce assez clair enfin216 ?
Notant la similitude entre les procès-verbaux de l'Assemblée nationale et ceux du Corps législatif du temps de Napoléon III, Le Mot d'ordre se demandait carrément « ce qu'il y aurait de changé en France sans la Commune ? » En tous cas, le type de régime qui avait cours à Versailles ne faisait pas de doute : « la république de M. Thiers est un empire sans empereur217. » La psychose du complot monarchiste, et sa composante dominante du bonapartisme, prit un nouveau tournant avec la libération de Bonaparte lui-même le 19 mars. Pyat, conspirateur émérite, à la fois contre une Deuxième République trop libérale en 1849, aux côtés d'Alexandre LedruRollin, et dans les sociétés secrète sous le Second Empire, en remercia ironiquement les « républicains de Versailles ». Car ceux-ci jugeaient bon, alors qu'ils bombardaient Paris, de libérer un « infâme » aux sources d'une défaite humiliante218. En vérité, gouvernement et Assemblée n'y étaient pour rien, puisque la libération obéissait aux termes des préliminaires de Paix. La confusion, probablement entretenue à dessein, permettaient à la propagande communaliste de nier toute sincérité à la destitution officielle votée trois semaines auparavant par les députés réunis à Bordeaux, le 1 er mars. Le texte, auxquels seuls six suffrages s'opposèrent, en faisait pourtant le « responsable de la ruine, de l'invasion et du démembrement de la France 219. » Peu importaient les proclamations, les journaux parisiens étaient trop habitués aux mensonges des gouvernants. Ainsi, bien que Napoléon III s'exilât immédiatement en Angleterre, où résidait sa femme, Pierre Denis avertissait encore le 22 mai, dès le titre, du « complot » des bonapartistes en préparation, « recommen[çant] rue des Réservoirs ce qu'ils ont fait rue de Poitiers » et, alors que les morts commençaient à s'amonceler dans la capitale, osant « songer à renouveler l'attentat du DeuxDécembre ». La rue prestigieuse de Versailles, était assimilée à le rue parisienne où, en 1848, se réunissait le « parti de l'ordre », une coalition d'élus légitimistes et orléanistes dont faisait partie Thiers. Mais Denis commettait une erreur. Le comité de la rue de Poitiers ne comportait pas de bo216 217 218 219
« Est-ce clair », L'Affranchi, jeudi 13 avril, p. 1, col. 1. Ironiquement souligné par l'auteur. Le Mot d'ordre, mercredi 19 avril, p. 2, col. 2. « L'infâme », Le Vengeur, jeudi 20 avril, p. 1, col. 1. Éric ANCEAU, Napoléon III. Un Saint-Simon à cheval, Paris, Tallandier, 2008, p. 545.
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napartistes, courant qui, à la suite des coups d'État tentés par Bonaparte en 1836 et 1840 puis la chute de la monarchie de Juillet, prit de l'ampleur en marge des partis royalistes 220. Ceux-ci ne le soutinrent à la présidentielle que devant l'impossibilité de présenter un candidat royaliste – qui contrecarrerait de fait le retour d'un roi –, et avec la certitude de pouvoir le contrôler facilement221. Sa chute en 1870 marqua la fin d'un « État conspirateur », et Jean-Noël Tardy en fait la borne finale d'une ère où le complot était un « discours, voire une pratique » partagées par toutes les sensibilités politiques222. Les agitations de la menace bonapartiste, au printemps 1871, apparaissent donc comme le symptôme des lourdes séquelles du régime impérial sur les habitudes de pensée des journalistes communalistes. Ainsi, en 1873, le même Pierre Denis écrivit au cousin de l'ex-Napoléon III pour lui proposer une alliance stratégique avec les républicains, à seule fin de contrer les royalistes223. En 1871, « il n'est pas besoin d'inventer [un complot bonapartiste] : il existe », et d'ailleurs, « toute l'Angleterre en parle ». Deux ans plus tard, la crainte n'existait plus224. En fait, les preuves avancées par Denis dans Le Cri tendaient dans la même direction : les généraux étaient tous anciens de l'armée impériale ; les magistrats du régime déchu occupaient à nouveau leur poste ; les fonctionnaires les plus éminents étaient tous des « obligés de l'Empire » ; pire, la libération de Bonaparte avait été acceptée sans broncher par Thiers. « Ce qui fait la gravité du complot », concluait-il donc, « c'est que le gouvernement de Versailles en est en fait le complice et l'agent 225. » En raison du contexte immédiat, un « Versaillais » bonapartiste s'insérait plus efficacement dans une propagande de guerre civile. En nuançant la borne chronologique établi par Tardy, j'affirme que le moment de la Commune, plus qu'un ultime toussotement, fut une véritable explosion du motif. Car « l'obsession du complot » était partie intégrante du legs rhétorique de la Révolution. Or celle-ci, événement fondateur, conditionnait les attitudes de presque tous les Communeux, qui possédaient chacun leur figure historique tutélaire. De l'été 1789 à l'été 1792, la présence du thème s'accrut graduellement, au gré des événements, dans les discours des parlementaires ainsi que des membres du club des Jacobins, où l'obsession naquit226. La peur de la conspiration, nullement présente dès mai 1789, in220 Frédéric BLUCHE, Le Bonapartisme, Paris, Presses universitaires de France, « Que sais-je ? », 1981, p. 77. 221 Q. DELUERMOZ, Le Crépuscule des révolutions, op. cit., p. 66. 222 Jean-Noël TARDY, Les Catacombes de la politique. Conspiration et conspirateurs en France (1818-1870), Position de thèse, Université Paris I - Panthéon-Sorbonne, 2011, http://histoire19.hypotheses.org/578, consult. le 26 novembre 2012. 223 M. JOURDAN, « Jules Vallès, patron de presse... », art. cit., p. 150-154, éclaire le parcours de ce proudhonien, important pourvoyeur de textes communalistes (dont l’« affiche rouge » du 6 janvier), et calomnié trop hâtivement par l’historiographie marxiste à cause de sa dérive boulangiste tardive. 224 Des menaces royalistes émaillèrent les début de la Troisième République, jusqu'à la stabilisation en 1878. 225 « Le complot », Le Cri du peuple, lundi 22 mai, p. 1, col. 1. 226 Timothy TACKETT, « Conspiracy Obsession in a Time of Revolution: French Elites and the Origins of the Terror, 1789-1792 », The American Historical Review, 105-3, juin 2000, p. 705.
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vestit par saccades l'imaginaire politique des élites révolutionnaires227. Celui-ci oscilla entre, dans un premier temps, réfutation de la démagogie des dénonciations complotistes d'un Robespierre, sous la Constituante, et, dans un deuxième temps, au sein d'une Législative qui mettait à égalité Feuillants et Jacobins, croyance largement partagée d'un complot, au singulier, auquel toutes les intrigues se rapportaient228. Au printemps 1871, la diversité des fomentateurs de complot désignés – espions en tout genre, députés royalistes, ministres menteurs, généraux bonapartistes – , ramenait, sur le même mode qu'à partir de l'automne 1791, à un unique complot monarchiste. À l'instar de « l'endormeur », figure à succès pendant la Législative, qui prétendait au patriotisme tout en préparant en sous-main, avec sa faction, la ruine de la Révolution 229, le « Versaillais », traître doté de tous les talents de dissimulateur, préparait en sous-main l'écrasement de la Commune, c'est-àdire l'écrasement de la République véritable. Par ailleurs, ce mimétisme avec les débuts de la Première République eut pour conséquence la formulation d'accusations complotistes de la part d'élus de la Commune contre leurs propres collègues. Ainsi de la création du Comité de salut public et, surtout, du vote des pleins pouvoirs qui lui furent confiés le 13 mai. Auguste Vermorel, qui allait signer le manifeste de la minorité deux jours plus tard, en conclut que le « Comité de salut public est un exécutif semblable à celui qui siège à Versailles, avec plus de pouvoir encore, et que le rôle de la Commune est réduit à la besogne parlementaire de l'Assemblée de Versailles. » « Le plus curieux » pour lui était le retournement de veste des membres de la Commune qui, par le passé avec « combattu les formes du gouvernementalisme parlementaire », et y retombaient pourtant, « sans songer qu'elles [étaient] la négation de la révolution et de l'idée communale », lesquelles auraient dû « offrir des garanties de participation aux affaires publiques et de contrôle sur leur gestion » aux électeurs du 26 mars. Espoirs ruinés par une « dictature communale » – titre choc qui entraîna l'interdiction de la feuille par la Commune – qui provoquait un « gâchis parlementaire qui est le même à l'Hôtel-de-Ville qu'au théâtre de Versailles ». « Chaos et contradictions » pour la Commune, « gâchis d'intrigues, de compétitions et d'ambitions dont Versailles offre le spectacle ». Mais Vermorel restait optimiste : le peuple conservait « sa foi civique » nécessaire au remplacement de ces deux gouvernements inaptes par une « administration républicaine230 ». De nouveau, champs lexicaux du complot et de la comédie était associés. Toutefois, à la mi-mai, les tenants de la minorité étendait à la Commune ces qualificatifs infamants, en forme de délégitimation.
227 « L’idée du « complot » dans l’œuvre de Georges Lefebvre : une remise en cause à partir d’une nouvelle source », La Révolution française. Cahiers de l’Institut d’histoire de la Révolution française, trad. par Nicolas DÉPLANCHE, juillet 2010, http://lrf.revues.org.domino-ip2.univ-paris1.fr/171, consult. le 16 juin 2013. 228 « Conspiracy Obsession in a Time of Revolution », art. cit., p. 704. 229 Ibid., p. 708. 230 « La dictature communale », La Justice, dimanche 14 mai, p. 1, col. 1.
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L' « insurgé de Versailles » Cet enjeu central de la légitimité respective des deux pouvoirs en présence tenait également au champ sémantique du tumulte politique. La propension à soupçonner une restauration monarchique fomentée à Versailles poussa les plumes communalistes à renverser la gamme d'injures qui faisait de la Commune une aberration politique à résorber au plus vite. Le « Versaillais » devenait ainsi le type du fauteur de trouble à l'ordre public et son gouvernement, le pouvoir illégal, même s'il s'intitulait « gouvernement régulier résidant à Versailles », au lendemain de l'insurrection231. La déstabilisation, la mise en péril de l'intégrité de la France n'incombait pas à Paris. « Au fond, la question est celle-ci : la République existe, Paris veut qu'elle dure, Versailles ne veut pas. Donc, le perturbateur, c'est Versailles232 », raisonnait Paris-libre. Début mai, Le Père Duchêne avait découvert un « Grand complot ». Et ces « manœuvres des bonapartistes et des jean-foutres versailleux » allaient de paire avec l’agression militaire, dont ces derniers étaient les « fomentateurs233 ». Complot et guerre civile : deux aspects complémentaires d'une même trahison envers le peuple. Mais dès le 23 mars, le « marchand de fourneaux » distribuait la légitimité, rebondissant à l'accusation du gouvernement qui avait jadis réduit les meneurs du 31 octobre et du 22 janvier à une « poignée de factieux ». C'est que les gouvernants, « bons messieurs qui ne [voyaient] dans la conduite d'une nation que les succès oratoires de tel ou tel avocat phraseur », avaient été et demeuraient des « jean foutre[s] qui se souci[ent] autant de la République que le Père Duchêne se fout de ceux qui gobelottaient234 de gaieté de cœur à Versailles. » En outre, les ministres faisaient montre de bien peu de créativité. En effet, maintenant que la « poignée de factieux » conduisaient un Comité central organisé, armé, et voué à l'élection libre d'une Commune, maintenant que « les yeux sont dessillés, et [que] vous ne pouvez plus nous traiter de meneurs et d'ambitieux, vous nous traitez d'inconnus235 ! » Quant à elle, La Sociale évoquait une « Assemblée de Versailles » qui « déten[ait] factieusement le pouvoir236 ». Pour le Dictionnaire de l'Académie, en 1835 comme en 1878, le factieux était celui « qui excit[ait] ou cherch[ait] à exciter des troubles dans un État, dans une ville, dans une société. » Durant une guerre des mots entre deux entités se revendiquant chacune du statut d'État, dont au moins la Commune se prévalait d'une identité citadine et parisienne – et j'ai montré que Versailles relevait aussi d'une identité particulière –, et dont les projets de société divergeaient totalement, l'injure permettait ici de dépouiller le camp adverse de toute légalité et de le reléguer à la faction, terme connecté à l'imaginaire du complot. Jean-Baptiste Clément, l'auteur 231 Circulaire aux fonctionnaires signée Thiers, Journal officiel de la République française (gouvernement), 19 mars, partie officielle. 232 « Photographie de la presse », Paris-libre, n°1, mercredi 12 avril, p. 2, col. 5. 233 Le Père Duchêne, n°50, 15 floréal (5 mai). 234 TLFi, « boire avec excès ». Dans la phrase, il traduisait l'idée développée supra qu'à Versailles, pendant l'occupation prussienne, des lâches avaient ripaillé sans souci des souffrances parisiennes. 235 Le Père Duchêne, n°7, 2 germinal (23 mars), p. 7. Souligné par l'auteur. 236 « La liquidation de la propriété », La Sociale, jeudi 1er avril, p. 1, col. 2.
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de la chanson La Semaine sanglante, participa aux soulèvement des 31 octobre et 22 janvier. « Il est temps de la reconnaître, nous sommes une rude poignée de factieux ! », introduisait-il ironiquement dans un article qui démontrait point par point que le qualificatif, hors de propos pour les Communeux, était à l'inverse parfaitement approprié au gouvernement. Car la « poignée de factieux » à laquelle le chansonnier appartenait, qui a planté son drapeau « rouge comme le sang des martyrs du travail et de la liberté » partout dans « la grande capitale », n'a pas fait couler « une goutte de sang sur le faux-col d'un boursier », bien qu'elle ait prit la Bourse. Elle « tient en échec tout une armée, commandée par trente-six généraux, par la fine fleur de la chouannerie et toutes les graines d'épinards237 de l'empire. » Ainsi, puisque que la composition du pouvoir rival permettait de douter quelques peu de ses intentions républicaines, il fallait le reconnaître, « les factieux, ce sont les autres, ceux de là-bas, les gens à Versailles 238. » Là-bas, les autres, autant de marques d'un mépris qui changeait de camp à coup de tribunes pamphlétaires. Bien que toujours en lien avec un supposé rétablissement de la monarchie, et malgré la connotation en ce sens des termes employés, le renversement du procès en sédition n'obéissait pas seulement à l'impératif de dénoncer un complot. La Néologie de Louis-Sébastien Mercier, qui analysait les « nouvelles acceptions » données aux mots pendant la Révolution, avait affirmé que le mot conspiration relevait désormais de la construction d'un ordre nouveau, positif et non plus seulement destructeur239. Cela explique qu'en 1871, réemploi constant de la rhétorique révolutionnaire d'antan, les deux accusations majeures et hiérarchisées de l'instruction relevèrent du droit. Elles servirent à saper les fondements juridiques du pouvoir installé à Versailles. D'abord, à l'approche des élections du 26 mars, ce dernier était qualifié d' « émeute réactionnaire ». Henri Bellenger prévenait, rappelant la revendication essentielle : « nous ne subirons pas la volonté de ces gens qui, hier encore, ricanaient chaque fois qu'on prononçait devant eux le mot de RÉPUBLIQUE240. » Or le Larousse, dont le tome en question parut en 1870, expliquait que « l'émeute n'est qu'un rassemblement tumultueux par lequel une certaine partie du peuple témoigne son mécontentement passager ; elle se forme ordinairement d'elle-même, elle n'est pas préméditée » et d'ailleurs, « elle se dissipe d'elle-même241. » Proférée à l'encontre du gouvernement, l'injure relevait donc du dédain, avec un intensité encore modérée. Le Père Duchêne proposait l'exil forcé, parce qu'il « serait trop fort qu'on souffrît dans la Cité les émeutiers qui l'ont faite bombarder. 242» 237 « Épinard », TLFi, op. cit.. Les « graines d’épinards » désignaient les galons d’officiers français, qui en avaient la forme. 238 Jean-Baptiste Clément, « La poignée de factieux », Le Cri du peuple, samedi 29 avril, p. 1, col. 1. 239 Les Catacombes de la politique. Conspiration et conspirateurs en France (1818-1870), Thèse de doctorat, Université Paris I - Panthéon-Sorbonne, Paris, 2011, p. 24. 240 « Au scrutin ! », Le Cri du peuple, vendredi 24 mars, p. 1, col. 4. 241 Pierre LAROUSSE (dir.), Grand dictionnaire universel du XIXe siècle. Français, historique, géographique, mythologique, bibliographique, Paris, Administration du grand Dictionnaire universel, 1870, vol. 7/17, p. 435. 242 Le Père Duchêne, n° 42, 7 floréal (27 avril). Lire infra, « Annexes ».
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Brissac, commandant dans la garde nationale depuis le 3 mars, utilisait un sens approchant. Il accusait Thiers et Vinoy d'avoir sciemment provoquer une émeute le 18 mars, puisqu'ils savaient que l'opération militaire de récupération des canons échouerait. Le dessein ? Toujours identique : justifier le retour à la monarchie. L'émeute, agitation facile à provoquer et outil fréquemment employé sous le Second Empire, s'achetait même auprès de la Préfecture (laquelle ne fut investie par Rigault que le lendemain de l'article). On peut se procurer des émeutes aux prix les plus modérés. Les entrepreneurs d'émeutes abondent rue de Jérusalem. Quand donc un gouvernement ayant besoin d'une émeute se l'est-il refusé243 ?
Les camps se reconnaissaient à leurs usages de ce type de vocabulaire. La Justice notait avec stupeur que les membres de la Ligue d'union républicaine qui tentaient de secourir des blessés à Neuilly devenaient émeutiers pour le gouvernement. Mais alors, c'était « une nouvelle espèce d'émeutiers ». « Jamais on n'eût pu croire que cela devait se nommer ainsi, si on ne le qualifiait tel à Versailles », concluait l'homme de lettre, bien avisé des pouvoirs d'un mot utilisé à des fins propagandistes244. Pour émeute, la notice du Larousse donnait le synonyme insurrection, tout en prévenant que cette dernière « [était] beaucoup plus grave : c'est l'action de tout un peuple qui s'arme pour renverser un gouvernement dont il ne veut plus supporter le joug. » Cette notion de justice imprégnait fortement la définition, rehaussée d'un aphorisme hugolien : « il y a l'émeute et l'insurrection ; ce sont deux colères : l'une a tort, l'autre a droit245. » D'ailleurs la notice rappelait, en une référence implicite au dernier article de la Déclaration des droits de 1793, que les « plus fougueux orateurs de nos assemblées révolutionnaires » avaient posé en principe le droit à l'insurrection en cas d'oppression des dirigeants. Jean-Luc Mélenchon, le 18 mars 2012, ponctua son grandiloquent dispositif commémoratif de la Commune par la citation de la Déclaration en question, que 1871 aurait exemplifié à merveille. Or, un tel usage mémoriel de la dernière révolution du XIXe siècle opacifie une part de son sens. Car s'il ne fait aucun doute que les Communeux connaissaient le texte de 1793 et se référaient sans cesse à la Convention montagnarde, la Commune, une fois installée, ne se proclamait plus seulement insurrection, terme transitoire, mais révolution et République, termes autrement plus solides et pourvoyeurs de légitimité. C'est ce qui explique que la rhétorique communaliste, avec un deuxième niveau d'intensité, rejetait fréquemment sur le gouvernement le nom insurrection, en opposition à la légalité indiscutable du régime parisien. La Sociale, regrettant un jour que « Versailles il y a, et qu'en face du gouvernement légal nous tolérons encore 243 Henri Brissac, « Le huitième trône », La Commune, n° 2, mardi 21 mars, p. 1 col. 2. Titre lié au décompte des trônes tombés depuis 80 ans, à chaque fois par guerre ou révolution, preuve du désordre intrinsèque au régime monarchique. Je n'ai jamais pu en compter 7, et Brissac lui-même n'en cite que 5 (le 8e étant celui à venir). 244 La Justice, n° 2, jeudi 11 mai, p. 1, col. 2. 245 Cité par Larousse 7, op. cit., p. 435. Ni ouvrage ni date de la référence ne sont indiquées.
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un gouvernement insurrectionnel246 », admettait le lendemain que « tant que les insurgés de Versailles se borneront à déblatérer plus ou moins niaisement contre la Révolution de Paris, il sera peut-être possible, en effet, de tolérer leurs amusantes prétentions, et la Commune pourra se contenter de rire. » Si les « bruits belliqueux qui circulent à Versailles » venaient à se confirmer, il serait alors temps de contre-attaquer fièrement ces « personnages comiques » du « gouvernement insurgé247 ». Pour Denis, comme le 18 mars fut l'étincelle de la Commune, le début des « hostilités lâches » était la date à laquelle « la ville royale s'insurg[ea] contre la cité républicaine ». Le 1er avril resterait dans l'Histoire le jour où « le gouvernementalisme a provoqué la Commune248 ». Le motif des « insurgés de Versailles249 » se répandit immédiatement à partir des débuts de la guerre civile, perçue comme une tentative illégale de déstabilisation d'un régime émanant de la souveraineté populaire. Le 10 avril, Le Bonnet rouge confinait certains élus parisiens prônant la conciliation, au statut de « complice des insurgés de Versailles250 ». Deux jours plus tard, l'épithète était cette fois utilisée pour stigmatiser « la feuille officielle des insurgés de Versailles 251. » À la fin du mois, Le Pêre Duchêne se faisait stratège militaire et, ne ménageant pas ses critiques envers une Commune jugée trop molle, il l'exhortait à payer l'indemnité due à Bismarck. Ainsi, « la Cité » serait assurée de la « neutralité des casques » et surtout, les fédérés s'assureraient que les Prussiens « ne livreront pas les forts aux insurgés de Versailles », ce qui ouvrirait une ligne de démarcation à l'Est252. Le lendemain, il poussait encore à « activer l'organisation militaire, foutre ! », pour que les « citoyens artilleurs » pussent « envoyer comme il faut des pruneaux aux insurgés de Versailles253 ! » Et le jour suivant, bon bougre, le « marchand de fourneaux » reconnaissait même à la ville royale le statut de capitale ; mais pas mieux que celui de « capitale de l'insurrection254 ». Il est toujours périlleux de classer les mots selon leur force d'évocation dans la langue d'une époque révolue. Insurrection, et ses dérivés, semblent toutefois désigner en 1871 le plus haut degré de bouleversement politique, juste après révolution. Alors que le Dictionnaire de l'Académie de 1835 définissait l'insurrection comme le « soulèvement contre le gouvernement », souvent employé « avec une idée de droit et de justice255 », sa septième édition de 1878 ne se mouillait plus, restreignant le sens à « un soulèvement contre un pouvoir établi256 ». Les quarante années de ré246 247 248 249 250 251 252 253 254 255
« La politique sociale », La Sociale, mercredi 31 mars, p. 2, col. 2. Id., vendredi 1er avril, p. 2, col. 1. Pierre Denis, « Hostilités lâches », Le Cri du peuple, dimanche 2 avril, p. 1, col. 1. Henri Rochefort, « Les insurgés de Versailles », Le Mot d'ordre, n° 38, dimanche 2 avril, p. 1, col. 1. « Une infamie », Le Bonnet rouge, lundi 10 avril, p. 1, col. 2. « Nouvelles de Versailles », Paris-libre, 12 avril, p. 2. Le Père Duchêne, n° 40, 5 floréal (25 avril), p. 1. Id., n°41, 6 floréal, p. 1. Id., n°42, Lire infra, « Annexes ». Dictionnaire de l’Académie française. Septième édition, dans laquelle on a reproduit pour la première fois les préfaces des six éditions précédentes, Paris, Firmin Didot et Cie, 1878, 2 vol., p. 47. 256 Ibid.
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voltes et de changements de régime qui séparent les deux éditions ont amputé la définition. Certainement parce tous les courants politiques mobilisèrent le terme, dans l'intervalle, brouillant les connotations. Tantôt, il claquait dans l'opposition à un État oppresseur, avec une connotation méliorative visant à imposer une autre légalité. Tantôt, les détenteurs du pouvoir étatique en abusaient, avec une connotation péjorative, pour condamner les décalages à une norme de régime jugée inexorable. Cet aspect du discours de la presse parisienne montrent bien que l' « insurrection communaliste » – comme je n'ai de cesse de l'appeler dans cette étude par facilité coupable – fut successivement, et malgré sa brièveté, mouvement d'émancipation et régime se concevant comme souverain et durable. En face, le régime de Versailles se devaient donc d'être caractérisé par son absence complète de fondements populaires légitimes. Les élections dont il provenait avaient été faussées ; ses députés et ses ministres aspiraient à une monarchie ; leurs agissements et leurs attitudes, toujours dissimulés et malhonnêtes, confinaient au complot. Et comme toujours, une même technique rhétorique était employée dans les deux camps. La nominalisation du verbe permit aux accusateurs publics, devant les conseils de guerre, de déplacer le registre d'action des Communeuses et Communeux inculqué-e-s. La Commune « n'avait pas un bilan criminel », ce qui serait revenu à lui accorder un rôle politique actif et donc à permettre le débat. Mais on jugeait « le bilan criminel de la Commume », c'est-à-dire que Commune devenait épithète, objet et plus sujet257. Alors, lorsque que des militants de province dont « le crime était de vouloir faire [leur] Commune » subirent la répression du gouvernement, il devenait certain que le type de pratiques étatiques essentiellement illégales de l'exécutif était exportable, à l'instar des projets fédéralistes des révolutionnaires parisiens. Ce qui fit écrire au Cri du peuple que la « petite ville de Cosne » venait de subir, ce 27 avril, « un petit coup d'État versaillais258 ».
257 Michel BARAT, « Le vocabulaire des ennemis de la Commune. Du 28 mai 1871 au mois de juin 1872 à travers les textes des comptes rendus des Conseils de guerre », La Pensée. Revue du rationalisme moderne, 156, 1971, p. 65. 258 « Nouvelles », Le Cri du peuple, vendredi 28 avril, p. 2, col. 2.
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CONCLUSION
Le Peuple se soulève, change les hommes, change les noms. Au lieu de Charles X, il a Louis-Philippe, au lieu de Napoléon III, il a la République versaillaise Arthur ARNOULD, Histoire populaire et parlementaire de la Commune de Paris [1878], fac-sim., 1981, p. 273
Décidément, la République versallaise est belle ! Marc-Amédée GROMIER, La Commune. Journal d’un vaincu, 1892, p. 129
Vers une herméneutique numérique du « Versaillais »1 La presse communaliste fit preuve d'une homogénéité certaine dans les représentations de l'ennemi. L'installation à Versailles d'un gouvernement « légal » mais jugé illégitime provoqua une levée de bouclier rhétorique unanime. Les représentations de la royauté déchue, dans la bouche de rhéteurs imbibés d'histoire révolutionnaire, produisirent un cadre imaginaire tout trouvé pour stigmatiser l'ennemi. Thiers et ses ministres, relayés par le vote de l'Assemblée, avaient décidément mal choisi le lieu de leur villégiature. La « décapitalisation », affront intolérable pour des Parisiens – d'adoption ou de naissance, c'était tout comme –, leva le rideau sur un type qui occupa toute la scène propagandiste de la Commune. Dans cette opposition tranchée entre les deux cités aux histoires chargées, une gamme de caractères typiques put se déployer. Ce « Versaillais » s'augmentaient de caractères plus anciens, relayés par la littérature de mœurs du XIX e siècle. En plus d'être l'habitant – puis l'occupant, puis indifféremment l'un ou l'autre – d'une ville fondée sur la volonté personnelle du roi le plus associé à l'absolutisme, à l'arbitraire, à l'oppression du peuple, le « Versaillais » tombait sous le coup de déterminismes géographiques qui le cantonnaient au territoire de la province. Le type était un « rural », surajoutant à la sociologie des députés, et de ce fait même le plus parfait étranger aux chantres de l'urbris urbain. Cette figure ainsi enserrée dans son cadre pouvait être maniée dans tous les combats politiques de la Commune. République sociale contre république libérale, République tout court contre monarchie ; démocratie au ras du sol contre parlementarisme et clientèle ; corruption par l'argent contre vertu économe et modération vis-à-vis de la Banque de France2. Propriétaire contre locataire, lâcheté contre courage, duplicité contre transparence de l'exercice du pouvoir, désinformation contre synergie concrète avec le lecteur révolutionnaire, patriotisme contre capitulation. La liste est longue de ces couples antagonistes que résumait Communeux/Versaillais. Le personnage typisé du « Versaillais » jouissait d'une plasticité sans limite dans la rhétorique communaliste, et lui faire endosser toutes les caractéristiques de l'ennemi permettait de faire passer un message limpide, immédiat au lecteur. C'est ainsi que le type, en tant que sa clé de voûte, dévoile la propagande communaliste, jusque-là rarement considérée comme telle.
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Damon MAYAFFRE, Vers une herméneutique matérielle numérique. Corpus textuels, Logométrie et Langage politique,Université de Nice Sophia-Antipolis, 2010, http://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00655380, consult. le 24 octobre 2012 ; « Les corpus politiques : objet, méthode et contenu. Introduction », Corpus, 4, décembre 2005, p. 1-10. Bertolt BRECHT, « Les Jours de la Commune [1949] » dans Théâtre complet, Paris, L’Arche, 1988, vol. 6/8 p. 205-257. Sa satire du gouverneur Ploeuc vaut la lecture.
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Cette étude aura réussi à recréer quelques aspects de l'ambiance discursive de 1871 pour le Parisien acquis aux idées de la Commune, qui lisait et discutait beaucoup. On connaît, je l'espère, un peu mieux les images de l'ennemi qui motivaient son courage, sa peur ou tout simplement son engagement politique. Refaire vivre intégralement le « Versaillais » nécessiterait de compléter le tableau, il est vrai. La fougue anticléricale a pu affleurée çà et là dans cette étude, mais elle mériterait certainement de plus amples dépouillements, car le clergé symbolisait lui aussi le passé, doublé de l'ignorance. Il en va de même pour les représentations de l'armée du gouvernement, qui succéda, dans le second siège, aux soldats prussiens. Les repérages que j'ai pu effectuer montrent un imaginaire de la cruauté qui n'eut pas manqué de doter le « Versaillais » d'une face plus sombre que ses quelques perversions sexuelles à l'ombre du Parc-aux-Cerfs. Dès les premiers combats du mois d'avril, les allégations d'« assasinats » de prisonniers, d'embuscades déséquilibrées en nombre et bien sûr de bombardements civiles mortifères, nourrirent une figure de la cruauté incarnée. Les massacres de la Semaine sanglante, la véritable traque, les dénonciations ainsi que la répression souvent arbitraires des conseils de guerre à l'encontre des Communeuses et des Communeux imprégnèrent durablement l'histoire de la Commune. Ce dernier point force à poser la question du poids du « Versaillais » dans les mémoires de l'événement. L'objet de cette étude, je l'écrivais en introduction, m'a été inspiré par une sorte de voyage au long court du type dans le temps, ou plus exactement d'un type refaçonné au gré des nécessités historiques et en fonction des différentes tendances politiques françaises – et internationales. La maigre récolte présentée ici est d'autant plus décevante que la récolte potentielle de l'historien des mémoires de la Commune s'annonce fastueuse. Paul-Vaillant Couturier, en 1936, associait fascistes et « Versaillais »3. Bernard Lambert, fondateur du mouvement des Paysans travailleurs, 1970 enflammait son audience sur le plateau du Larzac trois ans après en assurant que « que quelque chose [avait] changé : jamais plus les paysans ne [seraient] des Versaillais4 ». Quels sens politiques pouvaient avoir ces imprécations ? Comment le « Versaillais » joua-t-il son rôle d'anachronisme mobilisateur ? Comment cela a-t-il biaisé la compréhension du sens de la Commune ? Il y a fort à parier que l'Assemblée nationale décidant de s'installer à Fontainebleau en 1871, comme elle faillit le faire, un « Bellifontain » n'aurait pas eu une telle pérennité discursive. Nous retombons sur Versailles, donc, et ses imaginaires qui ont bercé des générations d'écoliers, sous la Troisième République d'abord, sous les autres ensuite. 3 4
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Danielle TARTAKOWSKY, « La Commune : « Mémoires vives », résurgences et refoulements » dans C. LATTA (dir.), La Commune de 1871. L’événement, les hommes et la mémoire, Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2004, p. 329. Christian Rouaud, Tous au Larzac, Elzévir Films/Arte France cinéma, 2011, 42’. Influence du centenaire tous récent, où la Commune avait resurgit puissamment dans l’opinion ? Éric FOURNIER, « La Commune n’est pas morte ». Les usages politiques du passe,́ de 1871 à nos jours, 1re éd., Paris, Libertalia, 2013, p. 117, décrit celui-ci comme un « chant du cygne », mais particulièrement remuant.
Une telle approche nécessiterait probablement de retourner aux débuts du voyage discursif du type après 1871, voyage dont j'ai retracé le première partie ici. Par exemple dans les débats autour de l'amnistie, afin d'y évaluer le poids des origines « versaillaises » – si je puis enfin me permettre cette facilité de langage – de la Troisième République. La récente publication après un vote des parlementaires de 2011, des comptes rendus des « comité secrets » de l'Assemblée, montrent assez les rapports de force engagés dès l'« année terrible » au sein du personnel politique qui joua les premiers rôles les décennies suivante5. Jules Grévy présidait le 22 mars 1871, premier comité de crise des députés après le déclenchement de l'insurrection. Il présida la République pendant huit ans ensuite. Une histoire de la mémoire communaliste de la Commune serait la plus probante en la matière, on y trouverai sans doute d'autres représentations de la « République versaillaise » des années 1870 (au moins). Une redécouverte des histoires, des mémoires, des souvenirs, des lettres publiées et des romans dans lesquels ses acteurs et ses actrices évoquent la Commune, mais avec l'idée d'y débusquer les séquelles de ce type à la si grande puissance évocatrice en 1871. Les outils de la lexicométrie, applicables à de larges corpus textuels de plusieurs centaines de milliers d'occurrences, autoriseraient, par leurs potentiels herméneutiques, à dégager précisément les champs sémantiques qui gravitaient encore dans la mémoire des femmes et des hommes ayant vécu le printemps du « crépuscule des révolutions du XIXe ». On pourrait ainsi savoir avec plus de certitude de quoi parle le « Versaillais » de la Commune. On pourrait sous-peser aussi la réalité d'une « identité versaillaise » contemporaine, dont un certain Griffoulière peignait en 1984 le « portrait du Versaillais B.C.B.G. », en reprenant mot à mot le texte de Frémy 6. De la Commune au lieu commun, le « Versaillais » pourrait peut-être se voir attribuer le rôle d'objet de propagande au service de l'imaginaire de la dernière révolution française. On comprendrait en tout cas ce que, précisément pendant un débat autour de l'histoire des mémoires de 1871, Jojo entendait en déclarant : « Valls, c'est sûr, il est du côté de Versailles ».
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Éric BONHOMME (dir.), De l’Empire à la République. Comités secrets du Parlement. 1870-1871, Paris, Perrin, 2011, 249 p. Jean-Paul GRIFFOULIÈRE, Guide officiel du Versaillais BCBG. Premier traité d’ethnographie versaillaise, Versailles, Griffoulière, 1984, p. 130-131.
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ANNEXES
ARTICLES
Quelques exemples en longueur de la prose qui accoucha du « Versaillais ». Chaque plume avec son style propre. Ordre chronologique. La typographie a été respectée intégralement (y compris les caractères gras et italiques).
« Le drapeau rouge » L'Affranchi, dimanche 2 avril, p. 2, col. 5 Que les progrès politiques et sociaux sont lents à s'accomplir ! – Allons-nous voir enfin s'évanouir le spectre rouge de feu Romieu, ce vain et ridicule épouvantail des hommes paisibles, mais inintelligents de la France entière ? Puisque le drapeau rouge est maintenant arboré sur nos monuments publics, il n'est pas inutile de dire quelques mots de son histoire. La routine et l'ignorance sont si grandes, que c'est une bien grosse affaire que de changer un drapeau, fûtil souillé de sang et de la boue de Waterloo et de Sedan, et La Bruyère l'a dit excellemment : « Vous pouvez aujourd'hui ôter à cette ville ses franchises, ses droits, ses privilèges ; mais demain ne songez pas même à réformer ses enseignes. » Depuis le règne de Henri Ier jusqu'au règne de Charles VII, le drapeau national fut l'étendard rouge, connu sous le nom d'oriflamme. De Charles VII à Louis XVI, sous le régime des armées permanentes et de la royauté absolue, le drapeau national fut le drapeau du roi, la bannière blanche fleurdelisée. En 1789, le 13 juillet, à l'Hôtelde-Ville, Lafayette proposa l'adoption d'un drapeau formé par l'alliance du blanc, couleur de la royauté, avec le bleu et le rouge, couleurs du tiersétat parisien.
Le bleu était la couleur des maîtres bourgeois des villes, et le rouge la couleur des travailleurs. Le bonnet phrygien du costume officiel des paysans sous Louis XVI était rouge. En résumé, le blanc était la couleur du roi et de ses instruments politiques, la noblesse et le clergé ; le bleu celle des privilégiés du régime des maîtrises et des jurandes ; le rouge celle des travailleurs, c'est-àdire de l'immense majorité du peuple français. En 1789, on crut pouvoir concilier toutes les classes de la société et l'on adorait le drapeau tricolore : ce fut une contradiction avec le principe de l'égalité devant la loi, et une erreur bien pardonnable dans une époque de transition. Mais on arrivera jamais à mêler ensemble le mercure, l'eau et l'huile. En 1848, comme l'a raconté Louis Blanc, le peuple comprenait qu'à de nouvelles institutions il faut de nouveaux emblèmes. Le drapeau rouge fut demandé spontanément et avec une passion où se révélait la profondeur des instincts populaires. Lamartine, ce poëte à l'esprit faux, cet homme à la vanité féminine et monstrueuse, l'amant de Graziella, qui, né riche, gaspilla sa fortune, et, devenu pauvre, vécut sans dignité, et mourut trop tard, accablé sous les aumônes d'Emile Ollivier et de Napo-
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léon III, osa proférer en 1848 ce mensonge historique : « Le drapeau rouge n'a jamais fait que le tour du Champ de Mars, traîné dans le sang du peuple ! » Aujourd'hui, le drapeau rouge flotte dans les airs. L'application du principe de l'égalité de tous les citoyen devant la loi politique avec les conséquences radicales qu'il implique, finira par confondre tous les Français dans une seule classe, celle des travailleurs !
Le peuple est devenu majeur, comme aux États-Unis, et il entend se gouverner lui-même. Il veut que la devise : Liberté, Egalité, Fraternité ne soit plus un mensonge inscrit sur le fronton de nos édifices. Une nouvelle ère commence, l'ère des travailleurs novus ordo sœculorum comme disent les Américains. A nouvelle ère, nouveau drapeau ! Le drapeau du travail, de la paix et de l'égalité ! Le drapeau rouge !
Jean Labour « Lettres de Versailles » L'Action, mercredi 5 avril, p. 1, col. 6 Cette ville, qui se donne aujourd'hui les faux airs d'une ville de guerre, ne possède rien de ce qu'il lui faudrait pour jouer un pareil rôle. Au centre d'un bassin fort étroit, dominé de tous côtés par des heures d'un accès difficile et du haut desquelles on peut la mitrailler à loisir, elle n'a aucun moyen de défense naturelle et jamais on ne songea à la fortifier. Ville de luxe et de plaisir, l'histoire de Versailles ne remonte pas plus haut que 1684, et se termine, pour ainsi dire, à 1789. Louis XIII en avait fait un rendez-vous de chasse ; le Roi-Soleil y fixa sa cour. Louis XV y répandit la corruption, et le peuple de Paris en arracha Louis XVI pour le conduire à la guillotine. Au temps de sa splendeur, Versailles compta jusqu'à 100,000 habitants mi-partie noblesse, mi-partie valetaille. La royauté disparue, Versailles qui n'a ni industrie propre, ni commerce particulier, tomba rapidement en décadence ; et sans le roi LouisPhilippe, qui essaya de la ranimer en convertissant les galeries du château en musée, où il s'attacha à réunir les monuments de nos gloires nationales, la ville ne serait plus depuis
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longtemps qu'un gros bourg sans importance et sans sorte d'avenir. Versailles compte aujourd'hui 43,000 habitants. – Véritable cul de sac de la royauté et de la religion, elle possède de vastes casernes, de nombreuses églises et des couvents plus nombreux encore. Sous l'Empire, on comptait à Versailles une garnison d'une dizaine de mille hommes de la garde, véritable réserve sur laquelle le despotisme croyait pouvoir compter pour se maintenir à Paris. – Cette garnison était à peu près l'unique ressource des habitants ; car les prêtres et les religieux qui pullulent à Versailles, en tirent beaucoup et n'y apportent rien. La population se ressent fortement de son origine et du contact malsain dont elle a pris l'habitude. A part la petite bourgeoisie, issue elle-même en grande partie des serviteurs retraités de la couronne et de la cour, la population se compose de couches disparates bien distinctes et bien tranchées. On trouve à Versailles, à côté du peuple véritable, une populace crapuleuse et perdue de vices, vivant d'aumônes et de paresse. Cette populace est grossie chaque année d'une foule de repris de justice à qui le séjour de Paris est interdit, et qui
grouillent sur les places et les avenues, où ils étalent leur misère, leur fainéantise et leur impudeur. A côté de cela, une multitude de femmes perdues qui ne sauraient avouer aucuns moyens d'existence. Voilà pour l'écume, la crasse de la population, relativement plus nombreuse à Versailles que partout ailleurs. Au-dessus de cette tourbe immonde, on rencontre à Versailles un certain nombre 0,18"d'artisans honnêtes et laborieux qui, pour la plupart, finissent par arriver à l'aisance, ayant à satisfaire aux besoins et aux caprices d'une colonie riche et dépensière dont nous signalerons tout à l'heure les deux éléments principaux. Mais, entre les artisans et la classe riche, il se trouve ici une certain population marchande, véritable bourgeoisie du pays, qui fait de belles affaires sans avoir, comme nous l'avons dit, ni industrie qui lui soit propre, ni commerce particulier qui soit digne d'attention. C'est une sorte de colonie active, intelligente, industrieuse, qui sert d'intermédiaire entre Paris et Versailles, prenant ici tout ce qu'elle revend là ; mettant également à contribution les gens du pays, les étrangers qui s'y sont fixés, et les passagers indigènes ou non que le renom et les curiosités de l'ex-ville royale ne cessent d'attirer, surtout pendant la belle saison. Quant à la classe riche, ou qui passe pour telle, elle est aussi d'une composition fort mélangée. – Nobles à peu près ruinés, moyens et petits rentiers n'ayant que des ressources insuffisantes pour faire figure à Paris, faillis et banqueroutiers assez heureux pour avoir évité les écueils de la correctionnelle ou les rigueurs de la Cour d'assise, viennent jouir en paix des fruits de leur honnête savoir-faire. Voilà, à quelques exceptions près la société dépensière de Versailles, et si nous ajoutons à cette nomenclature quelques vieilles familles de souche honorable, un grand nombre de militaires retraités, une foule de prêtres, de religieux et de
nonnes de toutes les couleurs, plus, une immense quantité de filles perdues et de vieilles bigottes pleurant les pêchés qu'elles commirent autrefois ou ceux qu'elles ne peuvent plus commettre aujourd'hui, on pourra se faire une idée assez exacte de l'espèce de moralité qui peut régner au sein d'une agglomération aussi hétérogène et aussi débraillée. Dès lors, on ne s'étonnera plus d'apprendre que Versailles s'est pris à regretter les soldats de Guillaume ; parce que, s'ils ne lui avaient pas épargné les avanies, ils ne lui ménagèrent pas non plus les occasions de faire des fortunes rapides et scandaleuses. – On ne sera plus surpris de voir que la folle conduite de M. Thiers trouve facilement grâce devant les Versaillais, parce que le séjour du Parlement rural dans leur ville fut pour eux une nouvelle et riche mine à exploiter, une occasion de récolter d'énormes bénéfices et de s'enrichir une fois de plus, dût en souffrir l'honneur et la sécurité de la patrie. Le Versaillais a la fibre patriotique fort émoussée. Et cependant, ce fut au sein de la partie saine de cette population gangrenée que se recruta ce vaillant bataillon d'honneur des gardes nationaux de Seine-et-Oise qui vint partager si héroïquement les fatigues, les privations et les dangers de la population parisienne pendant le siège. Ouvriers, marchands, et gens appartenant à diverses professions libérales, tels furent les éléments du bataillon d'honneur de Seine-et-Oise. Cette seule considération suffit à prouver qu'il ne faut pas tout à fait désespérer de l'avenir de Versailles ; et que la République, en faisant succéder la lumière et la justice au régime d'obscurantisme et de superstition qui pesa de tous temps si lourdement sur cette malheureuse population, pourra parvenir à la moraliser un jour, et à la rendre digne de nouvelles destinées. Le peuple est le réceptacle de toutes les turpitudes et de toutes les lâchetés ; il est la sentine[lle ?] de tous les vices et de toutes les corrup-
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tions ; mais il est aussi le foyer de toutes les vertus et de tous les dévouements ; il porte en son sein le germe de toutes les grandeurs et de toutes les sublimités. Pour le dégrader et pour l'avilir, il ne faut que le soumettre au régime
abrutissant de la royauté ; pour le relever et pour l'anoblir, il suffira de lui inspirer les sentiments de justice et de liberté qui sont l'essence du gouvernement républicain. JEAN LABOUR
Henri Rochefort « Les défenseurs de la propriété » Le Mot d'ordre, jeudi 6 avril, p. 1, col. 3 Bien nourris, bien logés, bien chauffés dans ce beau palais de Versailles jadis habité par le grand roi qui présida aux Dragonnades, les hommes du Gouvernement de Seineet-Oise continuent à envoyer des boulets sur les passants de tout sexe et à démanteler les maisons qui ne leur appartiennent pas. Tuer des femmes et des enfants, c'est peut-être dans l'ordre ; mais éventrer des immeubles, c'est grave pour des réactionnaires dont l'unique préoccupation est de protéger la propriété. M. Thiers possède place SaintGeorges un merveilleux hôtel plein d'œuvres d'art de toutes sortes. M. Picard a sur ce pavé de paris qu'il a déserté trois maisons d'un formidable rapport, et M. Jules Favre occupe rue d'Amsterdam une habitation somptueuse qui lui appartient. Que diraient donc ces propriétaires hommes d'État si à leurs effondrements le peuple de Paris répondait par des coups de pioche, et si à chaque maison de Courbevoie touchée par un obus, on abattait un pan de mur du
palais de la place Saint-Georges ou de l'hôtel de la rue d'Amsterdam. Je connais ces grands politiqueurs qui viennent étaler leur désintéressement sur le tapis vert de la tribune. Les biens de ce monde les touchent infiniment plus que ne le ferait supposer leurs têtes dans les nuages. J'ignore comment ces rêveurs-là s'arrangent, mais après deux mois de ministère, ils ont tous cent mille livres de rente. Je suis donc convaincu qu'à la première nouvelle que le marteau de sa porte a été seulement endommagé, M. Thiers ordonnerait de cesser le feu. Dût-on nous appeler Tamerlan, nous avouons que ces représailles ne nous répugneraient pas outre mesure si elles ne présentaient pas un inconvénient capital. en apprenant que la justice populaire démolit l'hôte de M. Thiers qui a coûté deux millions, l'assemblée siégeant à Versailles lui en voterait immédiatement un autre qui en coûterait trois. Et comme ce sont les contribuables qui payeraient la facture, nous nous voyons forcé de déconseille ce mode d'expiation. HENRI ROCHEFORT
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Jules Vallès « Les morts » Le Cri du peuple, samedi 8 avril, p. 1, col. 5 Le peuple, qui , aujourd'hui, a vu passer nos morts, ne pardonnera pas ! Entre les meurtriers et lui, il y a un abîme d'effroi ou de haine, creusé aussi profond que la fosse énorme dans laquelle on a descendu les cadavres. Ceux même qu'épouvantait le drapeau rouge qui flottait aux coins des catafalques noirs, se souviendront de l'enterrement sinistre du 6 mars [avril ?] et les hommes de Versailles, quoi qu'il arrive, vivront enveloppés d'une réprobation silencieuse et sombre, qui les suivra, eux aussi, jusqu'au cimetière – qu'ils y arrivent par le chemin glorieux du Capitole, ou qu'ils y tombent mutilés du haut de la roche tarpéienne ! On n'entendait pas un cri audessus de cette foule qui roulait comme un fleuve noir et muet de chaque côté des voitures funèbres, mais on entendait partout le murmure d'une douleur affreuse, réfléchie et menaçante. Si les hommes de Versailles l'eussent vu défiler, ce convoi, ils auraient été pris, ou d'une peur sourde, ou d'un remords immense ! Sur le chemin suivi par ce char mortuaire, il se lèvera contre eux toujours une malédiction – révolte sans formules et sans armes, mais qui soufflera autour de leurs fronts déshonorés comme le soupir d'un vent de mort ! Plus vous entassez de cadavres, et plus vous avez de ces triomphes, plus le gémissement sera long et plus il pèsera d'horreur autour de ce charnier !
Allons ! jusque dans nos deuils, l'espoir révolutionnaire reste debout. Mais il y avait là des mères toutes pâles, penchées sur des bières tronquées, qu'on avait guillotinées à coups de scie, pour qu'on vît la tête des morts. L'une de ces mères avait trouvé son fils ; une autre ne savait si elle devait reconnaître le sien dans un tas de chair broyée, sans dents, sans yeux, qui saignait noir sur le bois blanc ! Ils étaient étendus ainsi une vingtaine! les uns en chemise de pauvre, effrangée et trouée, d'autres qui avait du linge fin ; plébéiens et bourgeois, mêlés pour la sépulture comme pour le combat ! Il en venait encore, dans de la paille, au fond d'un omnibus, quand nous sommes partis ! On en amènera encore, peut-être demain, dix fois plus ! Cela n'empêche pas que la musique des clairons donnait le frisson aujourd'hui ! – Quel souffle triste et déchirant, – et qu'elle semblait sonner pour les vivants comme pour les morts ! Le Père-Lachaise, un cimetière ; mais Paris, un tombeau, – où ils seront enterrés vivants, s'ils sont victorieux, et, qui refusera leurs cadavres s'ils sont vaincus ! Les baïonnettes, ce soir, avaient des lueurs sombres et dures sous le ciel gris, et il y avait des éclairs de tristesse terrible, dans les yeux sans larmes ! JULES VALLÈS
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Un rural « Lettres de Versailles » Le Mot d'ordre, dimanche 23 avril, p. 1, col. 1 Versailles, le 19 avril Entre le Pékin rural que gouverne Thiers et la capitale française, il y a une muraille en porcelaine dont rien ne peut définir l'épaisseur. On n'y parle même plus la même langue ; les mots ont perdu leur signification habituelle et logique. Rollet s'appelle ici un honnête homme. Cette métamorphose du langage apparaît brusquement dès les premiers pas que l'on fait sur le territoire de versaillais. Ce territoire, aux dernières nouvelles, commençait au travers d'une route qui va de Gennevilliers à Colombes. Là sont les premiers avant-postes de l'armée royale. Là, de jeunes lignards qui n'attendent que l'ancienneté pour passer sergents de ville, arrêtent les voitures et interrogent les voyageurs en ces termes : « Et ! là haut, n'y a pas de voyous dans votre boîte ? » Quand on sort de Paris où les gardes nationaux vous demandent vos papiers en vous appelant poliment « citoyen » ou « monsieur », cela produit une impression désagréable. Les « voyous », il est bon de le dire, ce sont les gardes nationaux de Paris. Voici, maintenant, ce que sont les gardes nationaux de Versailles : A partir de la montée qui grimpe de Bougival à Versailles, on rencontre, de kilomère en kilomètre, des groupes de gardes nationaux ayant la bordure inférieure du képi recouverte d'une bande de coton blanc. A cent pas, on dirait des gendarmes. C'est la légion des anciens agents de police qu'on a habillés ainsi et distingués de la sorte depuis un certain matin où, près de Rueil, leurs amis les gendarmes en ont tué près de trois cents, les prenant pour des
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défenseurs de Paris. Les agents de police avaient beau mettre la crosse en l'air et crier : Ne tirez pas ! les gendarmes fidèles à la consigne, tiraient sans pitié. Quand les cris eurent cessé, et que les gendarmes s'approchèrent pour compter les morts, ils s'aperçurent qu'ils avaient canardé leurs camarades de la préfecture. C'est depuis ce jour-là qu'on leur a donné la bande blanche. Tout ce qui ne porte pas cette marque distincive est fusillé. Les agents de la sûreté, proprement dits (pardon pour le mot propre) ne font pas partie de ce corps. Ils sont déguisés en mobiles et ont pour officiers les anciens officiers de paix. J'ai rencontré tout à l'heure le misérable qui, dans la soirée du 3 septembre, a tiré sur les passants boulevard Bonne-Nouvelle, devant le Gymnase. Il est capitaine, et les soldats de Mac-Mahon lui portent les armes dans la rue. Quand on arrive de Paris à Versailles par Montretout, Bougival, Buzenval, La Jonchère, qu'on se rend compte de l'effort accompli le 19 janvier, qu'on mesure le peu de temps et de peine qu'il en aurait coûté après cela pour prendre Versailles, où les Prussiens affolés faisaient leurs malles en toute hâte, on comprend combien furent coupables les hommes qui avaient accepté la responsabilité de défendre Paris et le plus indulgent se demande si vraiment il n'y a eu dans l'abandon de ces avantages que de l'incapacité et de la bêtise. En dehors des agents de police, il y a peu de gardes nationaux ici – de simples gardes s'entend ; – mais les officiers foisonnent. Ce sont des réfractaires qui ont fui jusqu'ici l'accomplissement de leur devoir civique. Ils vivent ici grassement aux
frais du budget. Chacun d'eux est pourvu d'un billet de logement chez l’habitant et touche une indemnité qui varie de 2 à 5 francs par jour. Leur armement se compose d'un képi, et leur service, de longues parties de dominos à quatre à la brasserie alsacienne, place d'Armes. Le soir, le service change, et tous ces képis galonnés se ruent en masse dans les bouges de la rue de Marly et de la rue Basse où l'orgie crapuleuse se prolonge jusqu'au matin. Là, commandants et soldats trinquent ensemble et embrassent de compagnie les maritornes délaissées par les Prussiens. C'est ce que M. Thiers appelle la plus belle armée de France. Il y a, cependant au château, dans les salles du cinquième étage à fauche, au-dessus de la préfecture de police, un bureau d'enrôlement pour les volontaires de la garde nationale de Paris. Dans ce bureau, il y a autant de tables et de listes qu'il y a d'arrondissements à Paris. A chaque table trône un officier d'état-major [sic]. De mémoire de planton, on n'a pas vue un seul enrôlement. Tous les soirs à cinq heures, pendant que messieurs de Versailles prennent l'absinthe dans les cafés qui bordent la place d'Armes, on fait défiler dans l'avenue une compagnie de lignards escortant une demi douzaine de pauvres diables en blouse, que l'on conduit en grand appareil en prison. Ils figurent les prisonniers du jour dans la comédie-militaire qui se joue ici. Un habitant de Versailles m'affirme que ce sont toujours les mêmes. Le soir, quand les cafés sont clos, un autre cortège défile, moins solennel et moins bruyant. Ce sont les longues files de cacolets et de voitures ramenant les blessés. Les détachements militaires arrivent par petits pelotons. On ne paraît guère compter sur leur enthousiasme, car on ne les envoie jamais au feu qu'entourés de gendarmes. Ceux-ci sont le grand espoir de l'armée rurale, aussi les choie-t-on tout particulièrement. On a trouvé tout exprès pour les recréer, un polisson de lettres qui fait ici une contre-
façon du Père Duchêne. Chaque matin de petits voyous se répandent dans al ville, criant : La grande joie ou la grande colère du bon gendarme, selon que les confrères de celui-ci ont fui plus ou moins rapidement « devant les jean-foutres de communeux. » La population versaillaise montre de très mauvaises dispositions envers l'armée rurale. A aucun prix, on ne peut obtenir des travailleurs civils pour l'armée. Cela s'explique facilement. Les agents de police déguisés en soldats qui forment la garnison apportent dans leurs rapports avec les habitants, les mêmes procédés dont ils avaient coutume d'user envers les habitants de Paris. On ne change pas d'aussi vieilles habitudes. Les Versaillais en sont à regretter les Prussiens. A propos de Prussiens, les démarches faites par les agents de Versailles auprès de ces derniers pour les déterminer à agir contre la révolution de Paris, ont décidément échoué. Seulement ils ont obtenu ceci que les Prussiens leur ont vendus des canons et des fusils. Mais rassurez-vous : ce sont des canons et des fusils pris à Sedan et qui n'ont pas l'habitude de la victoire. Il y a en ce moment, dans le monde administratif de Versailles, un grand scandale. Les rédacteurs de l'Officiel rural ont reproduit dans leurs colonnes un article de M. Henri Martin, publié dans le Siècle et qui tendrait à prouver que « ce n'est pas absolument le lapin qui a commencé, » dans les évènements de Paris. Les rédacteurs ont été destitués et le cabinet est menacé d'interpellations violentes à la Chambre. Il a été un moment question de saisir l'Officiel et d'arrêter M. Witt[?]r[?]heim qui est au plus mal avec ses patrons du gouvernement. La plupart des employés de l'État versaillais en sont là, du reste, et j'en ai entendu plusieurs qui disaient, ce matin, au restaurant des Réservoirs : « Moi, quoi qu'il arrive, mes malles sont faites, on ne sait pas ce qui se passera demain. »
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Si, si, mes amis, on le sait ; seulement on ne veut pas vous le dire. Tenez vos malles faites.
UN RURAL
Gustave Daubès « Les généraux de la déroute » La Commune, mercredi 12/jeudi 13 avril, p. 1, col. 1 Ces gardes nationaux ? – soldats de carton, ridicules joujoux armés pour leur faire plaisir, incapables d'efforts, poltrons comme lièvres, obstacles à la défense, machines à capitulation, et qui, par comble, ne voulaient pas capituler ! Ils le disaient, ces généraux de sacristie, de boudoir, d'alcôve et de bagne, et eux qui n'ont su que capituler à Sedan, à Mez, à Paris, ils jetaient l'insulte, ils déversaient le mépris sur des soldats qui avaient le tort d'être citoyen. Maintenant, généraux de guerre civile, prenez votre revanche ! Allons! ces parisiens nous ont insultés : ils nous ont traités de lâches, ils ont rie de Ducrot, ils ont maudit Trochu, ils ont méprisé Vinoy ! A nous, gendarmes ! à nous Vendéens et Bretons ! à nous turcos ! à nous sauvages et idiots, bouledogues de la consigne ! à nous mouchards de Piétri ! assommeurs de boulevards, venez vous refaire la main ! à nous la garde impériale qui doit se préparer à reprendre ses fonctions monarchiques ! à nous tous ceux qu'on peut corrompre ou tromper, instruments retors ou aveugles ! nous avons fait « une des plus belles armées de France ! » Sus à cette tourbe de Parisiens qui s'avisent de jouer au soldat, de réclamer des libertés ! Qu'est-ce que c'est que çà ! Çà parle de droit ? Çà s'imagine que la République est quelques chose ? Ça se mêle de raisonner, de penser et même d'agir ! En avant, braves sicaires ! à coups de crosse et de cravache, si la mitraille ne valait mieux, pour en détruire le plus possible de cette vermine !
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Et voilà Vinoy qui lance son bon cri de guerre du 2 décembre:sa narine se dilate à cette odeur de guerre civile, c'est bon à sentir le sang des femmes et des enfants ! Ducrot, peu soucieux de justifier son titre, marche en avant du côté de la Bretagne. Et les voilà qui accourent à la curée tous les autres généraux de l'empire ! Ils viennent réclamer comme chose due l'honneur d'assiéger, de bombarder Paris, d'égorger des Français ! c'est leur vocation ! ils se reconnaissent ! Prétoriens de l'empire, n'est-ce pas leur métier de tuer des citoyens ! Les voilà ces Mac-Mahon, ces Canrobert, ces Galiffet, ces Ladmirault, ces de La Rue..., que sais-je ! Tous, ils sont là ! Galifet se hâte ; il accourt, il part, il trouve 3 gardes nationaux, les fusille, victoire ! et on bat des mains à Versailles ! et on lui vote des remerciements ! Vinoy se précipite ! Quelques gardes nationaux tombent dans un piège, y restent ! – Canailles ! Fusillez ! il fusille ! Victoire ! et les ruraux de Versailles assassinent les prisonniers ! le gouvernement demande qu'on se hâte ! et ils appellent « assassins » ceux-là qu'ils assassinent ! Ça va bien ! on chante victoire à Versailles ! Il me semble que j'ai senti l'encens et que j'ai entendu quelques chose comme un Te Deum. Un triomphe n'est pas complet sans ces petits accessoires ! Çà va bien ! çà va bien ! mais les gardes nationaux on cependant de l'artillerie ? ces farceurs ! mais ils se battent ! ils tuent des généraux ! c'est indécent. Ils résistent aux gen-
darmes ! ils se permettent de nous les décimer ! çà ne peut plus durer ! il faut vite en finir. Un petit bombardement de Paris, « l'effet psychologique de Bismark. » Les Champs-Élysées ! beau quartier ! l'obus pourra travailler à l'aise. – Vinoy braque sa lunette ! – j'aperçois un groupe de femmes et d'enfants sur l'avenue des ChampsÉlysée. – Artilleurs ! feu ! Et puis maintenant en avant ! à Neuilly ! à Asnières! à Issy! allons ! il faut de l'entrain ! ces gens-là sont lâches comme des lapins, nous l'avons toujours dit ! çà ne se bat pas la garde nationale ! çà n'est pas une armée ! en avant ! Les gendarmes tombent à Neuilly ! les gendarmes tombent à Issy. Partout repoussés, écrasés, battus. Tous les capitulards des Prussiens, capitulards de Paris aussi ! Tout leur orgueil et leur dédain
s'aplatissant dans le ridicule d'être battus par une ville multitude ! Les généraux de l'empire, au lieu d'une revanche sur le peuple, agréable et facile, ne trouvant qu'une honte à ajouter à toutes leurs hontes ! A perpétuité, généraux de la déroute ! Voilà ce qu'a fait la garde nationale en se battant depuis douze jours avec cet acharnement. Elle a tué à tout jamais les armées permanentes en les noyant dans leur prope sang. Elle a montré aux généraux prétoriens que des généraux citoyens pouvaient les vaincre. Les seules victoires qu'aient eues les Français depuis huit mois, c'est la garde nationale qui les a remportées, et sur qui ? sur l'armée qui se prétendait indispensable à la défense du pays, et qui prouve qu'elle n'est même pas propre à la défense du despotisme. G. DAUBÈS
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Illustration 9 - « Avec sa grande ribote avec deux lignards qui ont fichu le camp d'avec les jean-foutres et qui font le coup de feu avec les patriotes ! » (27 avril)
Sans qu'on s'en doute, Le Père Duchêne, qui est un bon bougre, A profité de la trêve, Et il est allé tout tranquillement hier à Versailles, où il a rudement rigolé ! Quelle noce, mes enfants, quelle noce ! Il faut voir la gueule que faisaient là-bas toutes ces crapules, et comme tous les jean-foutres faisaient leur nez ! Le Père Duchêne, déguisé en réactionnaire avec une buise sur la tête et des gants noirs aux pattes, trottait dans les rues de Versailles, en ayant l'œil de tous les côtés,
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Et il riait rudement en dedans. Quel tas de jean-foutres ! On n'a pas idée de ça ! On ne peut pas se figurer comme ces gens-là s'embêtent, et s'ils n'avaient pas la feuille du Père Duchêne pour s'occuper un peu à lire quelque chose d'intéressant, on se demande ce qu'ils pourraient faire de leur sainte journée ! Après tout, la jean-foutrerie n'est pas une occupation agréable quand elle n'est accompagnée de rien, Et ces gens-là n'ont plus ce cher Paris pour les distraire d'eux-mêmes, de leur nullité, ou de leurs remords !
Ils ne savent plus quoi faire de leurs membres. Et c'est ce qui faisait rigoler le Père Duchêne ! Quand le vieux bougre les vît si bêtes, si ennuyés, si à charge à euxmêmes, honteux de leur peau plus encore que de leur conscience, Il se dit : Allons, allons ! Voilà le grand bal qui commence ! Voilà la grande danse de la Révolution ! C'est la sacrée carmagnole qui les entoure, et ils sont au milieu de la ronde ! Ah ! foutre ! Il n'y a pas à dire, Ça y est, ou ça n'y est pas, Et ça y est, foutre ! Qu'est-ce qu'ils parlent du cercle de fer, du cercle de feu où ils ont mis Paris ? Les bons bougres de patriotes les ont mis dans un bien autre cercle, Ils les ont mis dans le cercle de l'ennui ! Ah ! mes braves patriotes, Si vous les aviez vus, Ces jean-foutres là ! Si vous les aviez vus baillant, tristes, bouffis, laids comme les sept péchés mortels, qui sont l'histoire de leur vie et de leurs fautes ! Ah si vous les aviez vus, Il n'y a pas un d'entre vous qui voulut échanger ses souffrances, ses misères, ses soucis, contre un de leurs jours de tranquillité (si tranquillité il y a!), de victoire, de triomphe et de remords ! Si tant est qu'ils aient une conscience ! Ah ! ces sales bougres-là, Dont toute l'existence s'est passée à manger la laine sur le dos du pauvre monde, A faire la noce, A puiser dans les caisses de la Nation, A voler, A se goberger dans les fauteuils des ministères et de la Préfecture de police, A chaparder les économies de la Cité, Ah ! comme ces sales bougres sont embêtés de n'être plus que les
crevés, les fils – soumis, les polissons bien pensants, les aimables gredins de la ci-devant ville de plaisance du ci-devant capet Louis XIV, dont on n'a pas encore foutu en bas la statue équestre de la place des Victoires, le Père Duchêne n'a jamais su pourquoi ! Ils ont beau faire, les gredins ! Ils l'ont, cette lèpre de l'ennui. Ils l'ont, Et ils palissent de rage de ne pouvoir plus promener leur vanité, leur immoralité et leur jean-foutrerie sur les boulevards entre les filles publiques et les marchands d'argent ! Misérables ! C'est le grand supplice que veut leur infliger la Révolution communale de 1871 ! On ne leur fera point de mal, Mais on les exilera ! On les exilera de l'asphalte de Paris ! Ils n'auront plus droit au boulevard, Ils n'auront plus droit au bitume de l'Insurrection ! Ça serait trop fort qu'on souffrît dans la Cité les émeutiers qui l'ont fait bombarder, Ces gredins qui ont déserté la cause de la Révolution et cherché à l'anéantir, Ces misérables qui n'ont ni cœur, ni âme, ni intelligence, et chez qui les appels de la conscience sont étouffés par le bruit d'un sac d'écus ! L'exil, foutre ! l'exil ! Il n'y a que ça ! Après la guerre, Pas de revanche ! Nous sommes sûrs de triompher, Si nous prenons des mesures, foutre : Sans cela... Le Père Duchêne sait ce qu'il veut dire ! Le Père Duchêne est pour que la Commune ait une attitude énergique ; Et s'il ne lui mâche pas la vérité de temps en temps, c'est qu'il se fout pas mal de ses amis les citoyens membres de la Commune, pourvu que l'idée triomphe, et qu'il place
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bien au-dessus de ses sympathies particulières la Révolution ! Il est donc convaincu qu'il faut une attitude énergique, et une rude ! Et il demande que les grandes mesures révolutionnaires soient prises, Et que les gens qui lâchent pied alors qu'ils ont accepté le mandat des citoyens de Paris, soient purement et simplement fusillés ! Il ne s'agit pas, foutre ! de laisser mettre dedans et la Cité et la Nation, et la Révolution avec elles ! Prenez donc des mesures, citoyens membres de la Commune, afin de n'avoir pas à avoir à faire ensuite de Terreur ! C'est l'un ou l'autre ! Si vous ne prenez pas des mesures maintenant, Vous serez plus tard obligés de faire une terreur, Ou d'en subir une ! Et le Père Duchêne souhaite qu'il n'y ait de terreur ni d'un côté, ni de l'autre, C'est son avis, foutre ! Et nom de dieu, On ne peut pas empêcher les gens de dire ce qu'ils pensent. Et pour qu'il n'y ait pas de terreur, citoyens membres de la Commune, dès à présent prononcez l'exil de ces jean-foutres qui, non contents de déserter la Cité, ont conspiré contre elle et l'attaquent, et l'insultent, et la bombardent ! Les gens de la Cité, ce sont les citoyens ; Les autres ne sont rien ! Les autres sont des héros ou des traîtres ! Ils ne peuvent qu'être inutiles à la Cité ou que lui nuire. L'ennui, maintenant, L'exil ensuite, Voilà la vengeance que la Commune de Paris doit tirer de ses ennemis ; Cela, et pas autre chose ! Et c'est l'avis, croyez-le bien, de tous les bons bougres des départements, C'est l'avis des bons bougres de soldats qui ont foutu le camp de l'armée de Versailles,
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Et avec lesquels le Père Duchêne a bu chopine à son retour de la capitale de l'insurrection. Ah ! les misérables ! Ils ne seraient, foutre ! pas fâchés de faire croire aux gens des provinces que les patriotes de Paris sont des buveurs de sang, qui dressent des guillotines aux quatre coins de Paris, et qui portent des têtes coupées parmi leurs breloques de montre ! Il vous faut faire cesser ce malentendu, citoyens ! Prononcer l'exil contre les gens qui ont quitté la Cité, et vous verrez comme vous vous concilierez du monde ! C'est juste que la Cité appartienne à ceux qui font quelque chose pour elle, Et que ceux qui la quitte au moment du danger n'y aient aucun droit, ni comme citoyens, ni comme propriétaires, ni comme quoi que ce soit ! C'est logique, Et personne ne trouverait à redire à un décret dans ce sens ! Ah ! Mes mauvais bougres, Se disait le Père Duchêne, hier, en se promenant dans les rues de Versailles au milieu des jeanfoutres ! Ah ! Comme vous seriez bien attrapés, et quelle punition ce serait pour vous, si la Commune se bornait purement et simplement à vous défendre l'entrée de Paris ! Il voyait toutes ces gueules de gens ennuyés, et il rigolait rudement, Car les bons bougre de patriotes de Paris ne sont pas embêtés comme ça ! Et les citoyens soldats avec lesquels le Père Duchêne a riboté hier soir étaient bien de son avis, Ils veulent que tous les jeanfoutres soient foutus, Qu'on tape sur la gueule aux gredins qui ne sont pas avec la Commune de Paris, Et que la Cité soit à nous foutre !
Et qu'on la défende après comme maintenant contre ses ennemis ! Ce sera le seul moyen d'être libre, d'être heureux, d'être satisfait de soi et des autres.
De contenter tout le monde et soi-même, Et de pouvoir boire chopine tranquillement sous les plis du drapeau rouge, comme de bons bougres que nous sommes tous, foutre !
Émile Clerc « Ce qui se dit et se qui se passe » La Commune, mercredi 10 mai, p. 1, col. 3 Après avoir donné la définition d'un dictionnaire analogique, l'auteur propose cet exemple à Pierre Larousse, pour sa prochaine édition de celui de Prudence Boissière : Thiers. – Foutriquet. – L'infâme vieillard. – Le nain grotesque. – Tamerlan à lunette. – Cœur saignat. – Croquemort de la nation. – Petit Jeanfoutre. – Crapaud venimeux. – Magot de l'exécutif. – Adolphe-le-Petit. – Vieux pandour. – Rural Ier. – Bandit sinistre. – Général Boum. – Général Tom-Pouce – Roi des Versailleux. – Satrape de Seine-et-Oise. – Myrmidon Ier. – Vieux drôle. – Dieu Terne. – L'effronté menteur. – L'incestueux. – Le vieux scélérat. – Vieille chouette. – Papa Bécon. – Papa Moulineaux. – Père Sacquet. – Père Transnonain. – Vieux polisson. – Petit poussin. – L'invalide de Versailles. – L'amour rabougri de Bellone. – Le nabot. – Serpent à lunettes. – Petit crocodile. – Caméléon. – Fantoche. – Vieillard stupide et monstrueux. – César en raccourci. – Etc. Tels sont, jusqu'à ce jour, les qualificatifs que le nom de M. Thiers a éveillés dans les esprits, qualificatifs ou analogies reproduits par les différents journaux. De même que le nom de Thiers rappelle chacun de ces qualificatifs, de même chacun de ces qualificatifs est désormais inséparables du nom de Thiers.
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CORPUS
Sur la piste du « Versaillais » Généalogie du type (Versailles & « Versallais ») ∙ BRUYÈRE Jean de LA, Les Caractères [1688], Paris, Librairie générale française, « Le Livre de poche », 1995, 638 p. ∙ CURMER Léon (dir.), Les Français peints par eux-mêmes. Encyclopédie morale du dix-neuvième siècle [1839-1842], Paris, La Découverte, « Omnibus », 2004, vol. 2/2, XX-1142 p. ∙ – (dir.), Les Français peints par eux-mêmes. Encyclopédie morale du dix-neuvième siècle [1839-1842], Paris, La Découverte, « Omnibus », 2003, vol. 1/2, 1073 p. ∙ DELORD Taxile, « La Femme sans nom » dans Les Français peints par eux-mêmes. Encyclopédie morale du dix-neuvième siècle. I, Paris, Curmer, 1840, p. 245-255. ∙ FRÉMY Arnould, « L’Habitant de Versailles » dans L. CURMER (dir.), Les Français peints par eux-mêmes. Encyclopédie morale du dix-neuvième siècle. Province II, Paris, Curmer, 1841, p. 1-8. ∙ LAROUSSE Pierre (dir.), Grand dictionnaire universel du XIXe siècle. Français, historique, géographique, mythologique, bibliographique, Paris, Administration du grand Dictionnaire universel, 1876, vol. 15/17, http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k2053661, consult. le 20 juin 2013 ∙ – 1875, vol. 14/17, http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k398019 ∙ – 1872, vol. 8/17, http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k205359t ∙ – 1870, vol. 7/17, http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k205359t ∙ –, « Préface » dans P. LAROUSSE (dir.), Grand dictionnaire universel du XIXe siècle. Français, historique, géographique, mythologique, bibliographique, Paris, Administration du grand Dictionnaire universel, 1866, vol. 1/17, p. V-LXXVI. ∙ MARX Karl, « Chapter V » dans The Eighteenth Brumaire of Louis Bonaparte, 1852, http://www.gutenberg.org/files/1346/1346-h/1346-h.htm#2H_4_0007, consult. le 22 mai 2013. ∙ PICARD Louis-Benoît, La Petite ville, comédie en quatre actes et en prose, Paris, Huet et Charon, 1801, 89 p. ∙ PYAT Félix, « Le Solognot » dans L. CURMER (dir.), Les Français peints par eux-mêmes. Encyclopédie morale du dix-neuvième siècle. Province II, Paris, Curmer, 1841, p. 231-240. ∙ VIRGILE, Bucoliques [c. 37 av. n. è.], trad. par Alain DESPORTES, Paris, Hachette, « Les auteurs latins expliqués par une méthode nouvelle », 1845, 126 p.
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Presses républicaine & communaliste de 1871 Dépouillement
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Gallica http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt 6k1063828 (rééd. Victor Bunel, 1871)
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Paris-libre
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68 n° 6 mars - 25 mai
8- Z LE SENNE- 8894
Rappel (Le)
22 janvier - 26 mai
MICR D-104 Bobine n° 5
Sociale (La)
48 n° 31 mars - 17 mai
MICR D-497 Bobine n° 1
8 n° 17-24 mai
MICR D-497 Bobine n° 4
91 n° 3 février - 24 mai
MICR D-497 Bobine n° 2
35 n° 3 février – 11 mars
MICR D-888 Bobine n° 2 & 3
Père Duchêne (Le)
Tribun du peuple (Le) Vengeur (Le) Vérité (La)
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200
cause à partir d’une nouvelle source », La Révolution française. Cahiers de l’Institut d’histoire de la Révolution française, trad. par Nicolas DÉPLANCHE, juillet 2010, http://lrf.revues.org.domino-ip2.univ-paris1.fr/171, consult. le 16 juin 2013. ∙ –, « Conspiracy Obsession in a Time of Revolution: French Elites and the Origins of the Terror, 1789-1792 », The American Historical Review, 105-3, juin 2000, p. 691-713.
Autres études monographiques ∙ CAVATERRA Éric, La Banque de France et la Commune de Paris, 1871, Paris/Montréal, L’Harmattan, « Chemins de la mémoire », 1998, 334 p. ∙ DAUTRY Jean et SCHELER Lucien, Le Comité central républicain des vingt arrondissements de Paris (septembre 1870-mai 1871) d’après les papiers inédits de Constant Martin et les sources imprimées, Paris, Éditions sociales, 1960, 271 p. ∙ DELUERMOZ Quentin et FOA Jérémie, « Titulatures, positions sociales et mouvement révolutionnaire : les “usurpations de fonctions” communardes (1871) » dans Q. DELUERMOZ et J. FOA (dir.), Usurpations de fonction et appropriations du pouvoir en situation de crise (XIXe-XXe siècle), Paris, Centre d’Histoire du XIXe siècle, 2012, p. 59-73. ∙ – et FOURNIER Éric, « Le deuxième exil des communards », Aggiornamento hist-geo, juillet 2011, http://aggiornamento.hypotheses.org/463, consult. le 26 février 2013. ∙ DITTMAR Gérald, Les Francs-maçons et la Commune de 1871, Paris, Dittmar, 2003, 149 p. ∙ DOMMANGET Maurice, « La Commune vue de Versailles » dans Hommes et choses de la Commune [1937], fac-sim., Saint-Pierre-de-Plesguen Vauchrétien, L’École émancipée, 2000. ∙ DURAND-LEGUERIN Isabelle, « Versailles et la Commune » dans V. LÉONARD-ROQUES (dir.), Versailles dans la littérature. Mémoire et imaginaire aux XIXe et XXe siècles, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise Pascal, « Littératures », 2005. ∙ FOURNIER Éric, Paris en ruines. Du Paris haussmannien au Paris communard, Paris, Imago, 2008, 279 p. ∙ GODINEAU Laure, « La vision de la Commune de 1871 à travers les débats sur l’amnistie » dans C. LATTA (dir.), La Commune de 1871. L’événement, les hommes et la mémoire, Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2004, p. 289-302. ∙ –, Retour d’exil. Les anciens communards au début de la Troisième république, Thèse de doctorat, Université Paris I - Panthéon-Sorbonne, Paris, 2000, 710 p. ∙ GOODYER Lisa T., « “Que l’on soit toujours citoyen et soldat”. Représentations de la Garde nationale sous la Commune de Paris de 1871 », Sociétés & Représentations, 16-2, 2003, p. 257-267. ∙ LONGEARD Gladwys, « L’Imprimerie nationale sous la Commune » dans B. FRAENKEL, M. GOUIRAN, N. HAAS-JAKOBOWICZ et V. TESNIÈRE (dir.), Affiche-action, quand la politique s’ecrit ́ dans la rue, Paris, France, Bibliothèque de documentation internationale contemporaine/Gallimard, 2012.
201
∙ RIOT-SARCEY Michèle, « De la “tricoteuse” à la “pétroleuse”, ou les figures répulsives de la “femme publique” », 48/14. La revue du musée d’Orsay, 10, printemps 2000. ∙ ROUGERIE Jacques, « Peuple et souveraineté » dans T. BOUCHET, A. PICON et M. RIOT-SARCEY (dir.), Dictionnaire des utopies, Larousse, 2006, p. 181-186. ∙ –, « Autour de quelques livres étrangers. Réflexions sur la citoyenneté populaire en 1871 » dans C. LATTA (dir.), La Commune de 1871. L’événement, les hommes et la mémoire, Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2004, p. 215-236. ∙ –, « L’espace populaire parisien en 1871 », Recherches et travaux. Bulletin de l’Institut d’histoire économique et sociale de l’Université Paris I, 5, janvier 1977, http://www.commune-rougerie.fr/lespace-parisien-en-1871,fr,8,53.cfm, consult. le 9 mai 2013. ∙ TOMBS Robert, La Guerre contre Paris, 1871 [1981], trad. par Jean-Pierre RICARD, Paris, Aubier, « Historique », 1997, 380 p. ∙ –, « Paris and the Rural Hordes: an Exploration of Myth and Reality in the French Civil War of 1871 », The Historical Journal, 29-4, 1986, p. 795-808.
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TABLE DES MATIÈRES
TABLE DES ILLUSTRATIONS................................................ 11
INTRODUCTION........................................................... 13 Vu à la télévision........................................................................... 15 Tu dans l'historiographie................................................................ 18 Lu dans la presse.......................................................................... 22
RANIMER LES IMAGINAIRES D'UN LIEU.......................... 31 VERSAILLES CONTRE PARIS............................................... 35 Versailles sans Paris, généalogie de la rivalité.............................. 35 Une ville républicaine ? Identité non advenue......................................................35 35 Conséquences rhétoriques de la « décapitalisation »..........................................43 43
Versailles, capitale monarchique du XIXe siècle...........................51 Autour du palais : urbanisme de l'ordre.................................................................51 51 Réinterprétations politiques d'une aura.................................................................56 56
Paris tout contre Versailles, un corps à corps insoutenable..........59 Deux sièges, une seule assiégeante....................................................................59 59 Versailles avec Paris ? Le non-sens des négociations.........................................64 64
VERSAILLES, TERRITOIRE TYPIQUE..................................... 71 Le « Versaillais » à la campagne................................................... 71 La Petite ville de province.....................................................................................71 71 Députés « ruraux » par acclimatation...................................................................79 79
Visibilité et disparition d'un autochtone.......................................... 82 Avatars démographiques.......................................................................................82 82 Un résistant ?........................................................................................................84 84 Émigration et assimilation.....................................................................................85 85
Une société amorale..................................................................... 88 L'oisif du boulevard de Versailles..........................................................................88 88 « Bas-fonds » de Versailles ?................................................................................92 92
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STIGMATISER L'ADVERSAIRE POLITIQUE.......................97 LE RICHE, ENNEMI DE CLASSE ?...................................... 101 Les professionnels de la corruption............................................. 101 Les échéances. Une autre déclaration de guerre...............................................101 101 Le boutiquier et l'usurier......................................................................................105 105 Le gouvernement d'affairistes.............................................................................111 111
Reprendre la ville au propriétaire................................................ 117 Hôtels particuliers : subvertir des symboles........................................................117 117 Louer sa liberté ?.................................................................................................120 120
LE TRAÎTRE À LA PATRIE ET À LA RÉPUBLIQUE..................127 Les visages de la trahison, du « Prussien de Versailles » au « Versaillais de l'intérieur ».......................................................... 127 Capituler et fuir : la lâcheté au pouvoir................................................................127 127 Le journaliste espion, un alter-ego......................................................................134 134
Révéler le péril du complot monarchiste..................................... 144 Élection truquée pour députés fantoches............................................................144 144 Républicains de façade.......................................................................................147 147 L' « insurgé de Versailles »..................................................................................160 160
CONCLUSION............................................................ 166 Vers une herméneutique numérique du « Versaillais »...............169
ANNEXES................................................................. 173 ARTICLES....................................................................... 175 « Le drapeau rouge » L'Affranchi, dimanche 2 avril, p. 2, col. 5.............................................................175 175 Jean Labour « Lettres de Versailles » L'Action, mercredi 5 avril, p. 1, col. 6..................................................................176 176 Henri Rochefort « Les défenseurs de la propriété » Le Mot d'ordre, jeudi 6 avril, p. 1, col. 3..............................................................178 178 Jules Vallès « Les morts » Le Cri du peuple, samedi 8 avril, p. 1, col. 5.......................................................179 179 Un rural
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« Lettres de Versailles » Le Mot d'ordre, dimanche 23 avril, p. 1, col. 1....................................................180 180 Gustave Daubès « Les généraux de la déroute » La Commune, mercredi 12/jeudi 13 avril, p. 1, col. 1..........................................182 182 Émile Clerc « Ce qui se dit et se qui se passe » La Commune, mercredi 10 mai, p. 1, col. 3........................................................187 187
CORPUS......................................................................... 189 Sur la piste du « Versaillais »...................................................... 189 Généalogie du type (Versailles & « Versallais »)................................................189 189 Presses républicaine & communaliste de 1871..................................................190 190 Postérité du type, mémoires de la Commune.....................................................191 191
Iconographie................................................................................ 192
BIBLIOGRAPHIE............................................................... 193 Outils de travail............................................................................ 193 Ressources biographiques..................................................................................193 193
Cadres théoriques....................................................................... 193 Langue du XIXe...................................................................................................193 193 Linguistique, lexicographie, études du discours.................................................194 194 Épistémologie......................................................................................................194 194
Type, physiologies, sensibilités au XIXe siècle............................ 195 Versailles et les monarques......................................................... 196 Presse......................................................................................... 197 Recensements, données factuelles & matérielles..............................................197 197 Second Empire : sociabilité, métier, sociologie des plumes...............................197 197 Presse communaliste..........................................................................................198 198
Commune de 1871...................................................................... 198 Histoires générales, usuels.................................................................................198 198 Historiographie....................................................................................................199 199 Histoire des mémoires de 1871...........................................................................199 199 Imaginaires révolutionnaires et référentiels politiques........................................200 200 Autres études monographiques..........................................................................201 201
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Pilotell, Avant, pendant et après la Commune, 1879.
À Greg, Salut & Fraternité