Thesis Salton Sea, Between Salt and Sand /// Entre Sel et Sable

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ENTRE SEL ET SABLE,

LE DEVENIR DU TRAIT DE CÔTE DE LA SALTON SEA (CALIFORNIE)

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2 Entre sel et sable, le devenir du trait de cĂ´te de la Salton Sea (Californie)


ENTRE SEL ET SABLE,

LE DEVENIR DU TRAIT DE CÔTE DE LA SALTON SEA (CALIFORNIE)

DEP 3e année

Tuteur de mémoire Yves Petit-Berghem

Mémoire de recherche Amélie Touboul Avril 2018

École Nationale Supérieure de Paysage de Versailles

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Sommaire Résumé du sujet de mémoire

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Questionnement et démarche

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Introduction

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Définitions

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I. Du bleu dans le désert de Sonoran 1. De l’or jaune à l’or bleu Chercher l’eau dans le désert A. B. C.

L’avant Salton Sea : exploitation de sel dans la vallée Prémices : va et vient de l’eau dans le Salton Sink Ravages d’une crue destructrice

3. La guerre de l’eau : entre désert et littoral A. B. C.

Partager l’eau du Colorado Pression politique et économique de la côte Californienne sur les terres intérieures Inégalité d’accès aux ressources et injustices spatiales

4- Une situation similaire : Mono Lake, réchappé de la catastrophe A. B.

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Contexte géographique et politique de Mono Lake, Californie Les lacs salés, espaces fragiles menacés

II. Nuances entre terre et mer : Une pluralité de paysages 1. Géométrie linéaire et couleurs primaires A. B.

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Contexte géographique de la région Découverte des indices du passé hydrologique L’irrigation du fleuve Colorado

2. Une mer récente (1905) A. B. C.

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Le climat comme acteur : cheminement de l’eau dans le désert Entre hostilité et productivité du désert

2. Une mer de champs: l’influence de l’agriculture A. Les cultures amérindiennes, ancêtres de l’industrie agricole actuelle B. L’agriculture intensive au sein de deux vallées fertiles C. Paysage agricole immersif et rupture avec le contexte géographique

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3. Rencontre entre eau de rivière et eau de mer, les deltas A. B. C.

La création d’un environnement à la riche biodiversité Les affluents, vecteurs de la pollution agricole Une croissance continue du taux de salinité et toxicité dans l’eau

4. Du miroitement d’un miroir à son éclat brisé, un nouveau rapport à la mer A. B. C.

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La nouveau rêve américain, la Salton Riviera (1950 - 1960) D’une gloire éphémère à des évènements désastreux (1970 - 1990) Aujourd’hui : un paysage de post-apocalypse

III. Un trait de côte au devenir incertain Conséquences d’un avenir sans eau, quand la vallée s’assèche

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1. L’aléa : un cocktail de salinité, pollution et poussière

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A. B. C.

Un destin lié à la forme géomorphologique du site ? Un taux de salinité plus élevé que celui de l’Océan Pacifique Entre pollution et toxicité, les conséquences de l’assèchement du lac

2. Risques et impacts multiscalaires A. B. C.

Une exposition aux poussières toxiques, menaçant d’un risque sanitaire Les impacts environnementaux et paysagers Ressentis des acteurs et opinions face au risque

3. Un nouveau monde de sel et de poussière A. B. C.

La playa, un nouveau paysage en formation Observations du recul du trait de côte Incertitudes et interprétations du paysage changeant

4. Penser le paysage de demain, entre suspens et désillusion A. Prévenir et guérir le risque : alternatives et propositions de projets démesurés B. L’approche de la tribu Torres Martinez : protéger et valoriser le paysage C. Une situation similaire : l’assèchement du Lac Owens et les solutions mises en place D. Un avenir incertain, entre impasses et inactions Conclusion Remerciements Bibliographie et oeuvres, films et site internet

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Résumé du sujet de mémoire

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Ce mémoire de recherche est une lecture de paysage, une interprétation d’éléments nouveaux qui questionnent le devenir de la vallée Impériale et de la Salton Sea, en Californie. Basé sur des recherches littéraires et scientifiques, enquêtes de terrain et entretiens, le but de cette recherche est de comprendre les enjeux d’un site en utilisant les indices paysagers qui le composent. Le fil du temps et de l’eau nous transportent alors du désert de Sonoran à la côte Pacifique des États-Unis, à travers un panel de différents paysages, du début du 20e siècle à aujourd’hui. La vallée est un espace vulnérable, dont le paysage récent est soumis aux aléas des actions de l’Homme, du temps et du climat. Son lac endoréique, la Salton Sea, est pris en étau entre les décisions politiques côtières californiennes, l’industrie agricole, de la région et son climat. Ces évènements entraînent son assèchement, dont le trait de côte agit comme indice en s’élargissant au fil des années. Ce nouveau paysage naissant nous amène alors à interroger les impacts de ces actions. La mutation paysagère et environnementale du site inquiète suite aux conséquences désastreuses des pratiques de l’Homme. Au vu des risques encourus dans les scénarios à venir, le recul du trait de côte de la Salton Sea serait alors interprété comme indice de la catastrophe future de ce paysage incertain.

This thesis is an attempt to read a landscape as an interpretation of new visual elements that question the future of the Imperial Valley and the Salton Sea in California. Based on literary research, scientific research, field surveys, and interviews, this research aims to understand the stakes of a site using the visual clues that make it up. Time and water make us travel from the Sonoran Desert to the Pacific Coast of the United States, through a panel of different landscapes, from the beginning of the 20th century to the present day. The valley is a vulnerable space, whose recent landscape is subject to the vagaries of human actions, time, and climate. Its endorheic lake, the Salton Sea, is caught between the California coastal policy decisions, the agricultural industry, and the region and its climate. These events lead to its drying up, and its shoreline is acting as a visual witness, widening over the years. This new emerging landscape then leads us to question the impact of these actions. The landscape and environmental change of the site causes concern following the disastrous consequences of the anthropic practices. Given the potential risks in future scenarios, the retreat of the Salton Sea shoreline would then be seen as an indication of the future catastrophe of this uncertain landscape.

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Questionnement et démarche La curiosité nous mène vers des chemins inconnus. La curiosité m’a ainsi mené à me promener, à l’aide de simples outils, sur GoogleMaps, comme bon nombre d’entre nous, sur les imageries aériennes qui illustrent la planète. Une balade aérienne : choisir une rivière, la remonter pour trouver sa source, observer les contrastes d’un pays, d’une région, d’un territoire. Choisir un continent. Placer le curseur de la souris à l’Est, puis à l’Ouest. Froncer les sourcils, observer les formes et détails du paysage à différentes échelles, tenter de comprendre ce qu’il se trame. C’est ainsi que s’est effectuée ma première rencontre avec la Salton Sea, en Californie. Une rencontre virtuelle. Une goutte bleue dans le désert de Californie du Sud, derrière une chaîne de montagne qui prive les terres intérieures de l’influence de l’océan Pacifique, pour alors créer un désert. Depuis ces montagnes, contrairement aux attentes, contempler l’étendue désertique ne résulte cependant pas à un panoramique de panels d’orangés et couleurs chaudes auxquels on peut s’attendre à la vue d’un désert, mais à une mer intérieure, prolongée en son Nord et son Sud d’une grille Jeffersonienne de dégradés de verts. L’arpentage par la cartographie et les photographies aériennes a donc été ma première approche face au site. J’ai enrichi ces connaissances ensuite avec des lectures, scientifique et journalistique et d’auteurs aux approches plus sensibles. Ce mémoire de recherche repose ainsi sur trois types de supports de recherche, à savoir l’analyse d’imagerie aérienne et de cartographie, dont l’observation et comparaison permet de comprendre l’évolution du site et son contexte ; la consultation de rapports scientifiques, qui font un état objectif du passé et de la réalité physique et environnementale du site, suite à des travaux de recherche et études poussées, ainsi que d’ouvrages plus « sensibles », qui relatent des faits historiques et les aléas des décisions politiques et humaines sur la région ; enfin, des entretiens avec des acteurs du territoire, effectués en Californie, afin d’avoir un point de vue plus subjectif, lié au ressenti et des impressions liées au site. Enfin, la visite du site et ma confrontation à sa géographie physique, m’ont aidé à mieux assimiler certains aspects lus ou entendus, par la stimulation des sens face à la démesure de sa taille, de sa complexité et du ressenti du climat.

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Parmi les différents entretiens menés en février et avril 2018, on peut identifier trois démarches différentes : - Un entretien privé mené à San Diego avec Timothy Bradley, professeur d’écologie et directeur de la Salton Sea Initiative (programme de recherche universitaire) de l’Université d’Irvine en Californie, guidé par des questions établies auparavant suite à mes recherches antérieures, amenant à un dialogue ouvert ; - La rencontre avec des habitants, par des rencontres fortuites à différents endroits autour de la Salton Sea, suivant une grille de 3 questions sur le ressenti des populations vis-à-vis du site ont permis de comparer les différentes approches et avis ; - Un entretien libre avec trois personnes de la tribu amérindienne Torres Martinez, Mary Resvaloso, Alberto Ramirez et Daniel Tirado-Lopez, qui ont eu la gentillesse de m’exposer leurs points de vues et les débats de la tribu quant à la question de la Salton Sea, appuyés par des cartes et documents dans leurs bureaux. Ces divers types de rencontres, du site et des acteurs, mis en perspective avec les lectures et études de cartes prospectives, m’ont permis de mieux saisir les enjeux propres à cet espace. L’Histoire du site était omniprésente au cours de ces recherches, effectuant des allers-retours dans le temps, ce qui m’a permis de définir un questionnement mettant en lien les relations entre plusieurs variables dans le temps, dans l’espace, et entre les acteurs. Les résultats se rapportaient toujours à l’inquiétude face à l’évolution du site et le risque potentiel lié à son devenir incertain. J’ai alors pu m’intéresser plus profondément aux ambiances écologique et humaine du lieu, menacées par deux facteurs majeurs identifiés comme étant : l’absence de l’eau - de par des décisions politiques et l’influence du climat - et la pollution. Ces facteurs, non tacites ni visibles à l’œil nu, impactent directement la réalité physique du site et son devenir, en laissant des indices dans le paysage de la région. Mon sujet de mémoire s’intéresse donc à la vulnérabilité paysagère de cet espace, liée à ces deux facteurs. Le but est d’établir un contexte global du site et de ses problématiques, pour donner les clés de la compréhension de son devenir, et de m’appuyer sur un élément paysager du site, le trait de côte, en pleine mutation. La Salton Sea s’assèche. Elle se transforme, et il s’agit d’un paysage en devenir : le dévoilement de son trait de côte créé un espace nouveau qui s’étend, et qui un jour couvrira certainement la surface entière de la Salton Sea.

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Introduction La rose de Jéricho, Selaginella lepidophylla, aussi appelée « plante de la résurrection » ou « fleur de rocher », est une plante originaire du désert entre le sud des Etats-Unis et le Nord du Mexique. Adaptée au milieu désertique, elle est connue pour sa capacité à survivre face au dessèchement dans les milieux arides. Elle entre alors en dormance avant de reprendre sa croissance et de se réhydrater au contact de l’eau. Comme ces fleurs du désert en latence qui s’épanouissent au contact de l’eau, la vallée Impériale est une curiosité du désert, qui selon certains cycles liés à l’eau, quitte ses couleurs brunes pour s’orner d’un panel de verts. Ces couleurs brunes et sable, assorties à des pixels verts, se retrouvent l’Est de San Diego, derrière la chaîne de montagnes qui fonde l’arrière plan du littoral, où s’ouvre le désert de Sonoran. La présence de l’Homme dans cet environnement s’est effectuée en rupture de la compréhension du milieu, et depuis plus d’un siècle la vallée a été modelée au gré d’actions inadéquates dans un paysage incompris. En son milieu, un lac : la Salton Sea. Sa récente création résulte d’une crue violente au début du siècle, ravageuse et accidentelle, fidèle aux crues antérieures qui ont de par le passé déjà rempli le fond de vallée, le Salton Sink. Plus lointain encore, il y a plusieurs millions d’années, la région abritait le Golfe de Californie. La Salton Sea est donc inscrite dans une vallée, dont l’identité actuelle ne s’est construite que depuis le début du 20e siècle. Aujourd’hui, on constate les vestiges d’un rêve et sa réalité. « Fuis-moi je te suis, suis moi je te fuis », telle est la relation de l’Homme à la Salton Sea depuis un peu plus d’un siècle. Ce qui a poussé l’Homme à quitter la côte Pacifique, à traverser la chaîne de montagnes pour affronter le désert, c’était l’or. Les observations fines du territoire par les colons européens, avides de nouvelles richesses à la fin du 19e siècle, ont permis de tirer en conclusion que le sol était fertile grâce à son passé hydraulique, et qu’il pourrait s’agir d’une nouvelle terre de promesses et prospérité. En acheminant de l’eau dans ces terres, l’exploitation agricole pourrait révéler un nouveau lieu de réalisation du rêve américain. Cette région est vue comme un espace de création, d’événement. Les intempéries, les inondations, l’impétuosité de l’eau ont amené du malheur, mais aussi un certain bonheur avec la création de la mer de Salton. Cette vallée est un témoin, de ce qui l’entoure.

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Témoin des aléas de l’eau, du fleuve Colorado ou de la mer de Cortez, qui peut être calme mais aussi tumultueuse. L’arrivée presque immédiate d’une riche biodiversité dès le lendemain de l’apparition de l’eau, de la création de la mer, a alors rendu cette région vivante, comme magique. S’ensuivit l’arrivée de nouvelles communautés, un nouveau rêve, une nouvelle fois encore : la vallée Impériale, radieuse terre de promesses. Témoin de décisions politiques, prises le long de la côte Pacifique. Témoin de l’économie, et des caprices de l’Homme. La présence de la Salton Sea a permis d’avoir un nouveau regard sur la vallée : avec l’émergence du tourisme et des loisirs, de faire passer le désert d’endroit effroyable à merveilleux, de le rendre accessible et habitable. Les conséquences de ces actions qui gravitent autour de la région sont venues se concrétiser au sein de ce site. La mémoire du lieu est plus longue que la mémoire de l’Homme. Dans cette immensité se cache un lieu sensible, qui imprime les marques qui lui sont imposées. Tout d’abord, cette vallée est un lieu de rencontres. En premier lieu d’éléments que l’on présuppose « opposés ». Couleurs opposées : bleutés et orangés. Eau et sable. Cette surprise visuelle d’une étendue bleue, encadrée dans un décor désertique. Une fois face à la Salton Sea, on perd cette « relation » à l’agricole, bien qu’elle soit alimentée par l’eau d’irrigation. Le regard est absorbé par la plénitude de l’eau, par l’étendue scintillante qui s’offre à nous. Un nouveau regard sur la mer, différent de la contemplation de la ligne d’horizon sur l’infini plat de l’océan. De la surface de l’eau, le regard s’élève vers les montagnes, en arrière plan. Le contraste s’opère entre le bleu de l’eau et les montagnes oranges, la confrontation des deux éléments. Ici, le regard suit la courbe de l’eau mais ne se perd pas dans la ligne d’horizon : il remonte le long du relief montagneux et passe la ligne blanche de marque de l’ancien lac Cahuilla. On déshabille la montagne d’un coup d’oeil. Ces montagnes bienveillantes nous offrent cette marque du passé, ancienne surface du lac, et nous rappellent constamment que nous sommes à un endroit qui autrefois était submergé par les eaux. Cet endroit évoque aussi le rapport à la mer, le contact entre le sable et le sel qui composent ce lac salé. Le sable et le sel sont également les deux problématiques liées au devenir du lac et de sa région.

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En effet, quand le regard redescend, suit la surface de l’eau, pour arriver à la plage, des poissons morts sont échoués sur le rivage, et une certaine tristesse nous envahit. Puis on se retourne, et on observe que cette plage est en fait comme une marée basse, qui recule d’années en années à mesure que la mer s’assèche. Notre regard s’arrête sur son trait de côte qui recule et ses marinas se vident. La Salton Sea, comme les journalistes écrivent en lettres capitales, est polluée, et se meurt. Sa description sur internet emploie de grands mots : « accident », « catastrophe », « désastre », « bombe écologique », « toxique », « crisis », « dying lake », et autres encore. De grands mots pour désigner de grandes choses, quand en fait on se rend compte que ce sont les petites nuances, et détails qui font le charme et la complexité, la poétique du site. Toutes les pièces assemblées forment alors un puzzle délicat. Sa pollution liée à l’agriculture est couplée à un taux de salinité bien supérieur à celui de l’océan ; et l’évaporation du lac combinée à l’affaiblissement de ses apports en eaux, le font rétrécir et l’entraînent par conséquent vers un futur où il disparaîtrait. A présent l’Homme se bat dans cette région pour l’or bleu. L’eau est la nouvelle ressource dont les métropoles côtières dépendent, privant alors le lac des apports réguliers qui permettaient de la faire survivre jusqu’à présent. Ainsi, cet espace deviendrait une cour de jeu pour le sable et les vents du désert. Le sel et le sable font partie intégrante de la vallée : dépôts passés s’entremêlent et se mélangent, au gré des forces éoliennes et hydrologiques, mais restent toujours en place, se concentrent au fil du temps. Le sel ronge tout. Le sable envahit. De terre de ressources, merveille visuelle, oasis de biodiversité et lieu de vacances idéales, la vallée est devenue une terre polluée, un espace qui repousse, toxique, où l’abandon nourrit l’imaginaire de la catastrophe. Je vois alors l’Homme comme générateur de son propre désastre, qui utilise, pollue un environnement, avant de lui tourner le dos et de fermer les yeux face aux conséquences. Un jour le fond de la vallée était aride, le lendemain une mer y reposait. Aujourd’hui, on constate les vestiges d’un rêve et sa réalité. Demain, la mer ne sera plus. C’est le devenir de cet espace que je questionne.

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Entre les documents de rapports scientifiques, sources objectives et concrètes, récits narratifs et plus sensibles, mon regard de paysagiste et mon approche se portent alors vers cette idée de recul du trait de côte. Tenter de lire cette nouvelle bande de sable et de sel, dessinée entre la mer et les champs de culture. Comment le trait de côte de la Salton Sea peut-il être narrateur de l’évolution du site, et quelle lecture accorder à ce nouveau paysage dont l’esthétique ainsi que les conséquences questionnent ? Dans une approche multiscalaire, spatiale et temporelle, ce mémoire de recherche établit un état des lieux de cet espace et de son contexte. Une première partie traite de son histoire à une large échelle régionale, et de l’importance du rôle de l’eau dans la création de ce territoire. Le cheminement évolue vers une seconde partie, où l’évolution de la région durant le 20e siècle témoigne d’une succession d’actions qui composent le paysage d’aujourd’hui. Cette partie suit le récit de l’eau, tel un fil conducteur, à travers les différents paysages qu’elle dessert, du fleuve Colorado à la Salton Sea, et peint alors un tableau paysager plus axé sur de la vallée Impériale. Enfin, la troisième partie, telle une avancée progressive vers la Salton Sea, observe son trait de côte, élément paysager témoin des accidents ravageurs ou fortuits qui se sont produits sur le site. S’y concrétise la somme des actions anthropiques et naturelles, amenant à l’évolution incertaine d’un paysage vulnérable. Je m’interroge donc sur cette fragile partie du site, qui de par sa taille est infime face à l’étendue du territoire, mais rassemble tous les enjeux que la vallée affronte. Il s’agit de questionner la qualité paysagère de ces espaces de transition extrêmes, habités par la pollution, et à l’écologie fragile. De s’intéresser à cette ligne de discontinuité des usages dans l’immensité du désert. A ces ambiances écologique et humaine qui se rencontrent.

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Définitions Catastrophe, non féminin 1. Événement qui cause de graves bouleversements, des morts : Le sang-froid du pilote a évité la catastrophe. 2. Accident jugé grave par la personne qui en subit les conséquences : Le départ de Pierre est une catastrophe pour elle. 3. Evénement soudain qui a des conséquences désastreuses. Désert, non masculin 1. Région du globe caractérisée par une pluviométrie inférieure à 200 et souvent même à 100 millimètres par an et où la densité de population est très faible en raison des conditions du climat (aridité, froid). 2. Fait pour un lieu d’être désert, inhabité ; lieu vide ou peu fréquenté. Évolution, non féminin 1. Passage progressif d’un état à un autre. Succession des phases par lesquelles passe un processus. 3. Transformation du caractère, du comportement, des opinions de quelqu’un au cours du temps. 4. Ensemble de ces modifications, stade atteint dans ce processus, considérés comme un progrès ; développement. 5. Ensemble des changements subis au cours des temps géologiques par les lignées animales et végétales, ayant eu pour résultat l’apparition de formes nouvelles. Incertain, non masculin 1. Qui n’est pas établi avec exactitude, connu avec certitude : S’appuyer sur des données incertaines. 2. Qui n’est pas sûr, qui peut se produire ou non, être tel ou tel : C’est beaucoup de travail pour un résultat incertain. 3. Dont la nature ou la forme est vague Mer, nom féminin 1. Vaste étendue d’eau salée qui couvre une grande partie de la surface du globe, de dimensions relativement limitées, qui est plus ou moins isolée de la masse océanique principale. 2. Une mer partie de la mer, délimitée (moins grande qu’un océan). 3. Vaste étendue. 4. Mer fermée ou mer intérieure. Mer totalement isolée des océans ou ne communiquant avec eux que par un détroit.

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Pollution, nom féminin 1. Dégradation de l’environnement par des substances (naturelles, chimiques ou radioactives), des déchets (ménagers ou industriels) ou des nuisances diverses (sonores, lumineuses, thermiques, biologiques, etc.). 2. Dégradation d’un milieu naturel, contamination par des agents toxiques. Sable, nom masculin et adjectif invariable de couleur 1. Ensemble de petits grains minéraux (quartz) séparés, recouvrant le sol, roche sédimentaire meuble, constituée de petits fragments provenant de la désagrégation de roches de nature diverse (notamment silice). 2. Mer de sable. Ensemble de dunes. 3. Se perdre dans le sable/les sables : ne pas avoir d’issue, demeurer sans suite. Sel, nom masculin 1. Substance (chlorure de sodium) blanche, extraite de la mer, de certaines sources, ou de mines, formée de cristaux blanchâtres, friable, soluble dans l’eau, d’un goût piquant, jouant un rôle essentiel dans l’équilibre physiologique de l’organisme, et que l’on utilise notamment dans l’industrie chimique et dans l’alimentation (pour l’assaisonnement et la conservation des aliments). 2. Au figuré- Ce qui donne du piquant, de l’intérêt. Une plaisanterie pleine de sel. 3. Histoire des sciences- Solide ressemblant au sel (obtenu par évaporation). 4. Symbolisme du sel Être le sel de la terre : représenter l’intégrité, la pureté originelles. Renverser du sel à table : présage de malheur chez les personnes superstitieuses. Répandre, semer du sel : gage de stérilité. Trait de côte, nom masculin 1. Ligne qui marque la limite jusqu’à laquelle peuvent parvenir les eaux marines. Le trait de côte proprement dit est la limite la plus extrême que puissent atteindre les plus hautes eaux par temps calme.

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Carte de

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I. Du bleu dans le dĂŠsert de Sonoran

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Tout paysage raconte une histoire. Afin de mieux comprendre ce qu’il se passe aujourd’hui, nous avons besoin de regarder ce qui s’est passé hier. Là est tout l’enjeu de la lecture de paysage, qui amène ensuite à des questionnements d’ordre actuel ou futur. Comme l’ont fait les Amérindiens de la région il y a des centaines d’années, ou plus récemment les colons européens, l’observation du paysage informe sur les pratiques que l’on peut y exercer. Les dynamiques inscrites sur le territoire, ainsi que la création de la Salton Sea, sont motivées par l’intérêt de la ressource hydrologique dans un espace hostile, pour répondre aux besoins de l’Homme, à savoir : cultiver et alimenter la côte Pacifique. Sans l’eau, beaucoup de choses ne seraient pas arrivées sur ce territoire. En réalité, bien que cela semble paradoxal, cet espace désertique est et a été modelé par l’eau. Tout repose en effet sur la force hydrologique. Cette partie traite des enjeux liés à l’eau, de son premier contact avec le site jusqu’aux enjeux actuels qui en découlent. L’eau est donc nécessaire à la compréhension du paysage que l’on arpente aujourd’hui, et des enjeux auxquels font face les populations et l’environnement. Sans l’eau, il n’y aurait pas cette irrigation du Colorado, cette ruée vers « l’or bleu », et il n’y aurait alors pas ce damier agricole dans la vallée Impériale. Et sans la Salton Sea, la vallée ne serait peut-être qu’un vaste fond plat agricole, industriel envahi par les usines de géothermie, ou désertique. Mais la présence de ce lac salé apporte des couleurs, valeurs et un tout autre charme à ce panel brun. Du bleu, brillant et scintillant, calme les activités, et apaise le tumulte environnant.

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1. De l’or jaune à l’or bleu, Chercher l’eau dans le désert Chaque territoire a un passé. Il raconte une histoire, il témoigne d’aléas, auxquels nous pouvons prêter attention ou non. L’image véhiculée de la Californie est généralement centrée sur sa côte Pacifique, arborant des montagnes face à l’océan, et des routes bordées de palmiers. On oublie alors qu’une grande partie de cet État est en fait un désert. En Californie du Sud, si l’on passe la chaîne de montagnes rocheuses, plus localement le massif de Coyote et Santa Rosa Mountains, et que l’on met le cap vers l’Est, s’ouvre alors à nos yeux le désert de Sonoran. A l’entrée de ce désert est allongée la Vallée Impériale, qui s’étire vers le Golfe du Mexique au Sud, et vers la Vallée de Coachella au Nord. Ici, nous nous interrogerons sur cette vallée, son vécu, ses aléas et les enjeux d’hier et de demain. Le paysage d’aujourd’hui est bien différent de ce que les premiers colons européens ont connu, et les Indiens d’Amérique avant eux, lors de leur traversée du massif montagneux. Là où aujourd’hui repose le plus grand lac de Californie, la Salton Sea, se trouvait une vallée désertique il y a un peu plus d’un siècle. Si les peuples natifs d’Amérique étaient établis dans ce désert aride depuis bien longtemps et pour des raisons ancestrales, l’Histoire de l’Homme blanc repose sur l’attrait de l’or, à la fin du 19e siècle, qui a poussé bon nombre de personnes à s’aventurer sur cette terre hostile. La ruée vers l’or représentait alors pour ces pionniers la promesse d’une richesse absolue, en quittant la côte verdoyante pour affronter le désert, paysage de désolation, de danger, et de mort. Le désert de Sonoran est en effet l’un des plus chauds et arides sur le globe. Il semble hostile à toute forme de vie, atteignant des records en termes de température et de sècheresse. Néanmoins ce désert, n’a pas toujours été ainsi ; il s’agit en fait d’un paysage marqué par les aléas de l’hydrologie de la région sur une longue période. Et si l’on fermait les yeux, et qu’on imaginait l’océan à la place du désert ?

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A. Contexte géographique de la région La vallée Impériale et la Vallée de Coachella forment à elles deux le Salton Sink –le bassin de Salton, entre les montagnes Coyote et Santa Rosa à l’ouest et les Chocolate Mountains à l’est. Autrefois partie du Golfe de Californie, la vallée était sous les eaux jusqu’il y a 4 millions d’années, accueillant alors l’Océan Pacifique. La fosse de Salton est ainsi un puits géographique situé dans le creux des vallées de Coachella et Impériale, au sud-est de la Californie, à 69,5 mètres sous le niveau de la mer. Située sur la faille de San Andreas, celle-ci a modelé la vallée en une longue dépression linéaire, assez basse pour accueillir les eaux de l’océan. Il s’agit de la région du delta du Colorado, fleuve du Sud-Ouest des ÉtatsUnis, né dans les montagnes rocheuses pour traverser plusieurs États, du Nord au Sud, avant de se jeter dans le Golfe de Californie (aussi appelé Mer de Cortez). La force géologique du site, de par la présence de la faille de San Andreas (faille géologique à la jonction des plaques tectoniques nord-américaine et pacifique), est ainsi couplée à la force hydrologique de l’un des plus grands fleuves de l’Amérique du Nord, aux couleurs bleu azur. Les aléas du Colorado ont conduit à l’inondation et l’assèchement de la vallée pendant plusieurs milliers d’années, se déversant dans la dépression par gravité –la vallée étant le point le plus bas, elle était donc parfaite pour réceptionner les eaux de crue. Quand les sédiments de la rivière Colorado se sont accumulés et ont fermé cet espace, la mer s’est retirée. La vallée était alors fermée, pour accueillir ponctuellement un large lac qui la remplissait au gré des inondations du Colorado. Ces aléas ont formé des cycles d’aridité, d’inondation et de fleurissement dans la vallée. Entre eau et sable. Le dernier grand lac en date est le Lac Cahuilla, dont les Amérindiens de la région ont repris le nom, installés depuis des milliers d’années, suivant au fil du temps les « respirations » cycliques de la vallée.

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B. Découverte des indices du passé hydrologique D’après le livre de William deBuys, ce serait le Sergent George Cook qui, lors d’une expédition en 1849, au sud de la Vallée Impériale, aurait remarqué des indices du passé hydrologique de la vallée : la marque de l’ancienne limite des eaux sur les montagnes de Santa Rosa par un dépôt calcaire, « une décoloration des roches s’étendant sur une longue distance en une ligne horizontale sur le flanc des montagnes», et la présence de coquillages en fond de vallée. De plus, la présence de sel confirmait l’hypothèse, « le sel présent sur la plaine confirme cette idée » (“a discoloration of the rocks extending for a long distance in a horizontal line on the side of the mountains “ et “the salt on this plain confirms the idea “ 1). Les colons de la fin du 19e siècle se tenaient alors au fond de la fosse de Salton, là où auparavant une mer et de l’eau donnaient un tout autre cadre. « Cahuilla » est une figure emblématique de la région, et des légendes natives. Qualifié de « great water (agua grande) », par le chef de la tribu de l’époque de Cook, il procurait à la vallée du poisson et de la verdure en abondance, et disparaissait peu à peu après quelques temps, voyant le niveau de l’eau baisser jusqu’à la totale disparition du lac. Le terme « Coachella » qui a donné son nom à la vallée « nord » de la fosse de Salton est ainsi dérivé du terme « Cahuilla ». Par la suite, d’après mon entretien avec Timothy Bradley, j’ai pu visualiser une autre image du lac Cahuilla, et des pratiques amérindiennes sur le site :

“Il est certain que depuis 5 000 ans, le lac s’est asséché et a été inondé avec plusieurs crues à plusieurs reprises. Et pour les indiens, le lac Cahuilla était très important : c’était un endroit pour cultiver des champs, pêcher, chasser des oiseaux. Ils allaient et venaient, vivant avec les rythmes du lac.”

1. DEBUYS William, MYERS Joan, Salt Dreams : Land and Water in Low-Down California, Albuquerque, University of New Mexico Press, 1999, 307 p., p.39

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« Certainly for the last 5 000 years it’s been dry and filled up with floods a few times. And for the indians, lake Cahuilla was very important : it was a place to cultivate crops, catch fish, shoot birds. They would come and go, they would live with the rhythm of the lake. » 2

Aujourd’hui, lorsque l’on est au fond de la Vallée Impériale, les montagnes de Coyote et Santa Rosa nous dominent toujours, marquées de cette ligne calcaire qui rappelle la présence passée d’un lac, et de l’océan, submergeant la région toute entière. L’eau est donc l’élément fondateur de l’identité du site. Sans ces cycles hydrauliques antérieurs, il n’y aurait pas cette richesse sédimentaire, ayant attiré l’attention des Hommes pour venir coloniser la vallée, en s’adaptant au climat par l’acheminement de l’eau du Colorado dans la vallée. C’est ainsi qu’a débuté la mise au point du système d’irrigation de la région, à des fins agricoles. « No landscape can have been more intimidating to settlers than the vast and empty bowl of heat and blown dirt that now contains the Salton Sea and the Imperial Valley » 3 “Aucun paysage n’a pu être plus intimidant pour les colons que cette immense cuvette vide, chaude et poussiéreuse qui contient à présent la mer de Salton et la vallée Impériale.”

C. L’irrigation du fleuve Colorado L’anthropisation de ces régions depuis le début du 20e siècle -auparavant inhabitables de par la forte aridité, a été rendue possible par l’irrigation du fleuve Colorado, avec la volonté de transformer l’un des déserts les plus secs et chauds en une région agricole. Lors d’une expédition d’exploration de la région à la fin du 19e siècle, le géologue et topographe Blake, de la USGS (United States Geological Survey, Institut d’études géologiques des Etats-Unis), écrivait en

2. BRADLEY Timothy, Extrait de l’interview du 28.02.2018 à San Diego. 3. DEBUYS William, MYERS Joan, Salt Dreams : Land and Water in Low-Down California, Albuquerque, University of New Mexico Press, 1999, 307 p., p.10

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quoi le riche passé de la vallée était un potentiel pour l’agriculture, et avançait alors l’une des premières idées sur l’irrigation de la région :

«D’après les évènements antérieurs», écrit Blake, «il devient évident que le sol alluvial du désert est capable de supporter une végétation vigoureuse. La seule raison apparente de cette stérilité de la terre est l’absence d’eau. Il avança également «en approfondissant le chenal de la New River, ou en coupant un canal assez bas afin que l’eau du Colorado puisse s’y déverser à toutes saisons, une provision constante pourrait être fournie aux parties intérieures du Désert. » « « From the preceding facts », wrote Blake, « it becomes evident that the alluvial soil of the Desert is capable of sustaining a vigorous vegetation. The only apparent reason for its sterility is the absence of water. » He further mused that « by deepening the channel of New River, or cutting a canal so low that the water of the Colorado would enter at all seasons of the year, a constant supply could be furnished to the interior portions of the Desert. » » 4

Les idées s’étant recroisées, il était devenu évident qu’avec la présence de l’eau la région deviendrait prospère et abondante. L’ingénierie a alors permis, à coups de pelles, de canaux creusés, et tuyauterie rudimentaire, de créer un large et complexe réseau de canaux d’irrigations afin de développer l’agriculture sur ces terres « prospères » –à la veille d’un nouveau rêve Américain. Autour des rivières New et Alamo, affluents du lac coulant du sud au nord, des extensions créées par l’Homme ont apporté l’eau, notamment le All-American Canal (suivant la frontière mexicaine au Nord), dessinant un nouveau réseau et une nouvelle cartographie de la région. «Le Colorado apprivoisé s’écoule par un aqueduc à Los Angeles et San Diego, passe par un autre aqueduc pour rejoindre Phoenix et Tucson. Il coule vers les fermes de la grande Yuma par divers siphons et canaux (...) plus d’un cinquième du flux naturel de la rivière,

4. DEBUYS William, MYERS Joan, Salt Dreams : Land and Water in Low-Down California, Albuquerque, University of New Mexico Press, 1999, 307 p., p. 59

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coule vers l’ouest à travers le désert le plus sec et le plus chaud des États-Unis c’est à dire vers la Vallée Impériale et le Salton Sink au sud-est de la Californie. Il accomplit ce voyage improbable par (...) le canal All-American, dont le nom fournit une réponse complète à toute personne au sud de la frontière qui se demande où la rivière est passée. » « The tamed Colorado flows by way of one aqueduc to Los Angeles and San Diego, by way to another to Phoenix and Tucson. It flows to the farms of greater Yuma by various syphons and canals (…) more than a fifth of the river’s native flow, pours westward across the driest, hottest desert in the United States to the Imperial Valley and Salton Sink of southeastern California. It accomplishes this unlikely journey by (...) the All-American Canal, the name of which provides full answer to anyone south of the border who wonders where the river went. »5

On apprend également dans cet ouvrage que la région a été nommée « King’s Basin », le Bassin du Roi, par les anglophones, et « La Palma de la Mano de Díos », la main de Dieu par les Mexicains. D’une région « monotone »6 purement désertique, la vallée se changeait petit-à-petit en un quadrillage de pixels aux couleurs vertes et brunes. Un grignotage agricole du Sud vers le Nord, gagnant du terrain sur l’étendue sableuse désertique, réalisé grâce à la nouvelle présence de l’eau.

5. DEBUYS William, MYERS Joan, Salt Dreams : Land and Water in Low-Down California, Albuquerque, University of New Mexico Press, 1999, 307 p., p. 5 6. Ibid.

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2. Une mer récente (1905) Comme nous avons pu le voir dans la partie précédente, la vallée Impériale a donc vécu divers évènements hydrologiques qui ont construit son histoire. Ainsi, les tribus amérindiennes savaient vivre en harmonie avec les rythmes imposés par le Colorado et ses crues, et connaissaient les indicateurs de sécheresse ou d’inondation. A mesure que le damier agricole progressait dans la vallée, des populations de colons venaient s’installer là où l’agriculture commençait à prospérer.

A. L’avant Salton Sea : exploitation de sel dans la vallée Au fond du bassin, endroit central dans la vallée et point le plus bas, des dépôts de sel des anciens lacs et mer permettaient l’extraction de sel pur à « 95% », et le commerce de celui-ci par la New Liverpool Salt Company. La double culture de la vallée, entre agriculture et production de sel, a alors permis d’y implanter une voie de chemin de fer, la Southern Pacific Railroad, en 1877, afin de permettre un accès direct pour le commerce de la région. C’est en fait à ce moment-là que le nom « Salton » vit le jour, d’après l’auteur William deBuys qui nous explique qu’après plusieurs noms donnés à cet endroit tels que « Glamis, Acolita, Mammoth, Flowing, Well, Volcano, Frink, Durmid », le terme « Salton » semblait plus approprié puisqu’il rappelait les lits de sel exploités au fond de la vallée. Le paysage était composé de larges cônes de sel, champs de culture et de sable; le tout interconnecté par quelques canaux d’irrigation, acheminés depuis le All-American Canal, et plus en amont, depuis le Colorado. C’est alors que l’on se rend compte que connaître un site, son histoire et sa région est important. Que le savoir véhiculé par les populations locales et plus anciennes est non-négligeable. En 1891, des indices de crue imminente ont été notifiés par les indiens Cahuilla qui travaillaient sur les champs de sel.

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«Au début, ils croyaient qu’il s’agissait d’un mirage, car la réfraction de la lumière sur le désert sans relief donnait souvent l’impression d’une mer plate et brillante. Mais l’eau qu’ils croyaient voir bel et bien de l’eau : un lac s’était formé au fond du bassin. ». « At first they believed it to be a mirage, for the refraction of light on the featureless desert often gave the impression of a flat, reflective sea. But the water they thought they saw was actual water : a lake had formed in the bottom of the basin.»7

L’impression d’un mirage, donc, qui prenait forme et s’étendait petit à petit, était en fait le lac Cahuilla, ou plutôt l’un de ses arrière petits-enfants. Les légendes et histoires de la tradition amérindienne Cahuilla faisaient référence à des apparitions soudaines d’un lac dans le désert, et de sa dangerosité : « (…) Cahuilla oral tradition included tales about the sudden and dangerous appearance of a lake in the desert » p.65 Salt Dreams. Ces contes, ainsi que les « agua grande » décrites par le Chef Amérindien Cahuilla, suivant les aléas du Colorado, avaient été racontés aux colons européens, et se sont alors révélés exacts lorsque les eaux sont revenues sur leurs terres, en perpétrant leurs cycles ancestraux. William deBuys compare d’ailleurs ces cycles hydrologiques aux cycles du El-Niño (phénomène climatique irrégulier en Amérique du Sud ayant des répercussions désastreuses sur l’environnement), qui provoqueraient des catastrophes suite aux aléas climatiques.

B. Prémices : va et vient de l’eau dans le Salton Sink Jusqu’en 1905, de petits épisodes de crue ont continué à prendre forme et à disparaître dans la vallée, sans vraiment alarmer les populations. Mais en 1905, les crues furent ravageuses. Désastreuses. Et emplirent la vallée d’effroi à l’égard de l’eau, qui était devenue ennemie des populations.

7. DEBUYS William, MYERS Joan, Salt Dreams : Land and Water in Low-Down California, Albuquerque, University of New Mexico Press, 1999, 307 p.

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Il est intéressant d’observer les changements d’avis et d’appréciation de l’eau en fonction des contextes et situations : un jour, élément rêvé pour survivre ; le lendemain, élément destructeur et ravageur, que l’on regrette en quelque sorte. Enregistrée comme l’année la plus humide de l’histoire du Sud-Ouest Américain, il s’agissait d’une série d’inondations incessantes aussi ravageuses les unes que les autres. En février 1905, les eaux ont commencé à inonder les canaux, à déborder, sans vraiment alarmer les populations, jusqu’à la seconde, puis troisième crues, et ainsi de suite, notamment jusqu’en en novembre 1905, où les eaux doublaient de jour en jour la surface des rivières en crue. C’est alors que la panique toucha la vallée : une inondation qui n’en finissait pas, sur une année, noyant fermes après fermes, champs après champs, détruisant tout sur son passage. Bien que l’eau ravageait les parcelles agricoles et cultures de sel, son arrivée imprévue dans la vallée amena bon nombre d’oiseaux migrateurs. Profitant des nouvelles conditions du site, une nouvelle biodiversité s’est installée à l’embouchure des rivières et du lac en formation. Ces « deltas » ont ainsi rapidement accueilli des centaines de milliers d’oiseaux tels que pélicans, canards, oies, rapaces et autres encore. Destructrice pour les Hommes, les rivières avaient néanmoins amené (ou ramené) la vie sur ce site.

C. Ravages d’une crue destructrice En 1906, le Salton Sink voyait la Salton Sea s’étendre sur 80 kilomètres, progressant de jours en jours avec sa profondeur qui continuait d’augmenter de 7 centimètres par jour. La vision alors « apocalyptique »8 de la vallée, ayant vu les rêves agricoles peu à peu s’évanouir, était alimentée par les eaux incessantes qui continuaient de remplir le bassin. Une fois les crues calmées, les experts se sont interrogés sur le temps que mettrait la Salton Sea à sécher et disparaître. En effet, la Salton Sea est un lac salé endoréique, c’est à dire dans un bassin versant clos retenant les eaux, une dépression fermée

8. DEBUYS William, MYERS Joan, Salt Dreams : Land and Water in Low-Down California, Albuquerque, University of New Mexico Press, 1999, 307 p.

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dont l’eau ne s’évacue que par évaporation ou infiltration. Mais à la vue de l’émergence d’une biodiversité autour des rivières et du lac naissant, l’espoir n’était pas perdu. D’ici est venue l’idée que le lac était peut-être une opportunité pour la région. «Si la mer de Salton est conservée, les conditions climatiques dans l’Ouest et le SudOuest connaîtront de merveilleux changements (...) Avec des précipitations suffisantes, la région à présent connue sous le nom de Sud-Ouest aride deviendra alors la région la plus fertile du pays.» « If the Salton Sea is retained, climatic conditions in the West and Southwest will experience great if not wonderful changes (…) With sufficient rainfall the section now known as the arid Southwest would develop into the most wonderfully fertile region in the entire country » 9

D’un autre côté, la Salton Sea était en fait un rappel constant du cauchemar auquel les agriculteurs et habitants de la vallée avaient survécu. Beaucoup de personnes, dont le gouvernement, misaient sur le fait que le lac allait s’assécher rapidement, libérant alors des terres libres pour la culture de la région. Les prédictions étaient que la mer disparaîtrait en 15 ans, d’après quelques calculs simples d’évaporation et d’apport d’eau dans le bassin, et ne serait qu’un souvenir d’ici 1923. C’est ainsi par exemple que le gouvernement américain a cédé 10 000 acres à la tribu Torres Martinez Desert Cahuilla Indians, (ancêtres des terres habitées au nord du Salton Sink), en 1909, submergées par les eaux…. Submergées aujourd’hui encore. A cette époque, les Indiens Torres Martinez avaient prévu d’occuper ces terres une fois asséchées par une agriculture qui pourrait approvisionner la tribu. Cependant, pour ce faire, ils avaient besoin que la mer disparaisse, ou du moins que son niveau et sa surface baissent de manière significative, et qu’ils aient accès à un réseau d’eau fraîche assez conséquent pour être en mesure de « laver » les terres du sel déposé par la Salton Sea.

9. DEBUYS William, MYERS Joan, Salt Dreams : Land and Water in Low-Down California, Albuquerque, University of New Mexico Press, 1999, 307 p., p117.

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Aujourd’hui, rien n’a changé, leurs terres sont toujours sous les eaux. Paradoxalement, pour une tribu vivant dans le désert, les descendants de la tribu Cahuilla est à ce jour la plus grande réserve indienne submergée. 10

10. DEBUYS William, MYERS Joan, Salt Dreams : Land and Water in Low-Down California, Albuquerque, University of New Mexico Press, 1999, 307 p., p. 127

Les évènements de ces crues se font appeler « the Great Diversion », et se sont étendus entre 1905 et 1907. Pendant seize mois, l’eau du Colorado s’est ainsi déversée dans le point le plus bas de la région : le bassin de Salton. Cet événement peut-être vu comme le début d’un nouveau chapitre pour la vallée Impériale, qui a vu naître l’actuelle Salton Sea. La présence soudaine de l’eau, marque à présent le paysage de la vallée depuis un peu plus d’un siècle. Une histoire récente, et cependant déjà pleine d’enjeux et rebondissements. Alors que le lac ne voulait pas disparaître et commençait à devenir un élément permanent du paysage de la vallée, l’Imperial Irrigation District, formé en 1911, proposa en 1924 l’alternative selon laquelle le lac serait un réservoir permanent, un puits pour l’industrie agricole et la vallée. Un désert, une vallée où l’eau manque. Un désert inondé, où l’on voudrait que l’eau disparaisse. Un changement de paysage, de pratiques. Une évolution des politiques.

Page de droite : Évolution de cartes historiques de 1866 à nos jours témoignant de l’absence et présence de la Salton Sea.

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1866 : dénomination du fond de la vallée comme «Dry Lake» («lac asséché»)

1880 : dénomination du fond de la vallée comme «Dry Bed of Lake» («lit de lac asséché»)

1906 : apparition du nouvel élément paysager dans la vallée et appellation du lac « la Salton Sea »

Aujourd’hui : la Salton Sea est un élément marquant qui fait partie de l’identité de la vallée à présent, comme étant le plus grand lac de Californie

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3. La guerre de l’eau : entre désert et littoral A. Partager l’eau du Colorado « Dans l’Ouest américain, non seulement toute terre est soumise aux droits de propriété, mais également toute ressource en eau ». « In the American West, not only is all land subject to ownership, all water is, too ». 11

Le problème des ressources limitées, des terres arides, et des climats hostiles, est le fait qu’il y a et aura toujours des conflits d’intérêt. Conflits à propos de terres. Conflits à propos de l’eau. Ces inégalités d’accès aux ressources infligent de terribles injustices spatiales, très localisées. Le découpage des limites politiques et administratives du territoire est source d’injustice à plusieurs échelles. Le réseau hydraulique étendu et complexe d’irrigation californien vampirise le Colorado. Imaginez ce fleuve, sauvage dans ses changements d’humeur, qui descend le long du Midwest Américain pour se faufiler doucement vers le delta du Golfe du Mexique. Ajoutez à cela une série de barrages, canaux d’irrigations, sous-canaux, et ainsi de suite, comme une série de greffes qui s’ajoutent les unes aux autres, le ralentissant et l’affaiblissant. A son arrivée dans le delta, il ne s’agit plus que d’un ruissellement, épuisé par sa course et par les prédateurs qui l’ont attaqué en chemin. Tel est le destin du Colorado aujourd’hui. Et ses prédateurs vivent soit dans les bassins agricoles, soit dans les grandes villes, éloignés de ses berges. A échelle globale et internationale, la part la plus importante de l’eau du Colorado est prise par les Etats-Unis, laissant alors très peu de ressources au Mexique. Le All-American Canal longe cette frontière au nord, acheminant l’eau vers la vallée impériale et San Diego, au détriment du Mexique. Le rêve de développer l’Ouest Américain s’est matérialisé le plus sur la côte Pacifique plutôt que dans les terres. Les métropoles de Los Angeles, Sacramento,

11. DEBUYS William, MYERS Joan, Salt Dreams : Land and Water in Low-Down California, Albuquerque, University of New Mexico Press, 1999, 307 p.

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San Francisco et San Diego font donc de la Californie un des État les plus riches et prospères des Etats-Unis. C’est aussi l’un des États le plus peuplé, avec ses 39,54 millions (23,8 millions en Californie du Sud), dont la majorité des personnes est concentrée sur la côte. La route de l’eau, dérivée du Colorado, pour aller dans la Vallée Impériale, poursuit ainsi son chemin vers l’ouest, pour à présent rencontrer la côte. La ville. Là où l’économie se concentre et s’active. Le double usage de l’eau, mitigée entre les mondes agricole et urbain, est toujours croissant : la demande agricole, la demande urbaine. Les deux entités dépendent l’une de l’autre, nourrir et donc cultiver pour les populations, faire vivre les populations ; et pourtant ces deux espaces se disputent leur ressource, devenue l’or bleu. «Autrefois une rivière, elle devenait autre chose : un système de livraison d’un bien de propriété à l’état liquide. » « Once a river, it was becoming something else : a delivery system for liquid property. »12

Entretenue et représentée par la IID, Imperial Irrigation District, l’eau irriguée du Colorado revient de droit en majeure partie à la Vallée Impériale et à son empire agricole. «Bien que la vallée ne produise pas l’eau, elle a le pouvoir et le droit légal de faire dériver environ un cinquième du débit naturel du fleuve Colorado vers un autre chenal pour accéder limites arides du bassin. Telle est la portée et la puissance de la propriété. (...) convertir cette eau en argent en la transformant d’abord en nourriture, ainsi que de capturer le potentiel de cette source de revenus dans l’immobilier. » « The Valley may not produce the water, but it has the power and the legal right to cause approximately a fifth of the natural flow of the Colorado river to depart the river’s channel and appear within the basin’s arid precincts. Such is the reach and power of Property.

12. DEBUYS William, MYERS Joan, Salt Dreams : Land and Water in Low-Down California, Albuquerque, University of New Mexico Press, 1999, 307 p., p. 163

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(…) converting that water into money by turning it first into food and, not less important, capturing the potential for that income in the value of real estate. » 13

B. Pression politique et économique de la côte Californienne sur les terres intérieures L’injustice spatiale est palpable d’Est à l’Ouest, entre désert et littoral. La pression des grandes villes côtières sur « l’arrière pays » n’est pas récente, et pourtant elle met aujourd’hui plus qu’avant la Salton Sea en péril. Dans les années 1930, une série de projets de constructions de barrages a été mise en place afin d’alimenter en eau les villes de Los Angeles et autres villes côtières, en pleine expansion, pour supporter leur croissance. Le barrage Boulder (Boulder Dam), accompagné du All-American Canal, ont également permis la croissance de la vallée impériale. C’était une nouvelle ère : l’ère de l’eau bon marché et abondante. Les fermiers de la vallée impériale payaient la IID pour l’acheminement et livraison de l’eau, devenue propriété fédérale. Si aujourd’hui on parle autant de la Salton Sea, c’est à cause de la pénurie d’eau. La mégalopole de Californie du Sud manque terriblement d’eau, et son futur questionne, puisqu’elle est en croissance constante. L’équation est simple : une partie de l’eau du Colorado est déjà déversée pour l’agriculture ; une autre pour la côte ; une troisième, infime en comparaison avec les deux précédentes, doit continuer jusqu’au Mexique et se déverser dans le delta –son flux étant déjà minimal, il est donc inflexible. La vallée Impériale et la vallée de Coachella, consomment plus du cinquième de l’eau irriguée du Colorado, ayant pour seul but l’agriculture et le déversement des eaux usées et de ruissellement dans le Salton Sink. Une demande « d’équité » au vu des millions d’habitants de la côte, a donc fait pression pour réduire les flux hydriques de la vallée impériale. Une partie de l’eau initialement prévue pour l’agriculture est alors à présent prélevée, pour aller directement sur la côte californienne, notamment San Diego.

13. DEBUYS William, MYERS Joan, Salt Dreams : Land and Water in Low-Down California, Albuquerque, University of New Mexico Press, 1999, 307 p., p. 155

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«(...) la plus grande étendue d’eau de l’État, la mer de Salton, s’évapore rapidement sous le soleil brûlant du désert. Le ruissellement des districts agricoles des vallées Impériale et Coachella, qui a maintenu le niveau de la mer depuis les années 1920, a été réduit à un débit anémique après la redistribution de l’eau de 2003 à San Diego. » « (…) the state’s largest body of water, the Salton Sea, is rapidly evaporating under a hot desert sun. Runoff from the Imperial Valley and Coachella Valley agricultural districts, which has sustained the sea’s water level since the 1920s, has been cut back to an anemic trickle in the wake of a 2003 farm-to-city water-redistribution deal with nearby San Diego. » 14

Le QSA, Quantitative Settlement Agreement, politique régionale de l’eau, a été établit par l’administration Clinton, décidant de la part d’eau usée allant dans la Salton Sea ou dans la ville. Jusque fin 2017, celle-ci a régulé et appuyé l’alimentation en eau du Colorado dans la Vallée Impériale, protégeant ainsi l’activité de la vallée face à la côte urbanisée. Cependant, depuis janvier 2018, la révision du QSA a créé des polémiques. Cette révision, vue comme le IID- San Diego transfert, résout le problème de la région urbaine : une partie de l’eau est vendue à San Diego, les agriculteurs vendent leur eau bon marché pour la ville, et se permettent de réduire leur utilisation d‘eau avec de nouvelles techniques d’arrosage des champs. La réduction d’apport en eau apporte néanmoins plus de pressions pour les territoires intérieurs. Une nouvelle soustraction, indirecte, s’effectue sur l’ardoise de l’or bleu : moins d’eau d’irrigation agricole indique par conséquent moins d’eau de ruissellement pour la Salton Sea, sous un climat chaud et aride, qui promet alors un assèchement de celle-ci. Trois quarts de l’eau utilisée dans le bassin agricole est évaporée ou bue par les plantes entre les canaux d’irrigation et la Salton Sea ; seul reste un quart, qui lentement vient se faufiler jusqu’au lac.

14. VOYLES Traci B., « Environmentalism in the Interstices California’s Salton Sea and the Borderlands of Nature and Culture », Resilience : A Journal of the Environmental Humanities, 3, 2015, pp. 211- 241

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C’est, accrochée à ce fin ruissellement, que la Salton Sea survit depuis 1905, et soutient tant bien que mal son étendue dans la vallée impériale. L’observation du recul de son trait de côte, déjà notifiable en imagerie aérienne, ainsi que depuis ses berges, nous indique que les pressions sur le territoire sont déjà à l’action. C’est ainsi que l’on remarque comment certaines pressions territoriales marquent un paysage. A la lecture de ces subtilités, on déchiffre alors les enjeux croisés sur un espace. La controverse est que la ville rachète de l’eau initialement à usage agricole, très bon marché, puisque dessaler l’eau de l’océan depuis une station de pompage à San Diego revient plus cher. D’après Timothy Bradley, les coûts en terme d’impacts sur le territoire, sur les populations et l’économie locale de la vallée sont nettement supérieurs aux coûts de l’eau sur la côte. De même, les demandes urbaines en eau ne seraient pas justifiées puisqu’aucune crise ni pénurie n’a jamais eu lieu et que 80% de l’eau urbaine est en fait utilisée pour l’entretien paysager. Les contraintes climatiques sont omniprésentes : la Californie est une région au climat chaud et sec, les précipitations sont donc très rares. La bataille est donc constante entre le climat et l’Homme, qui tente de se détacher de son environnement en voulant créer un nouveau paysage. Un paysage verdoyant dans un climat aride et sec. «Les coûts sont clairs et très importants. L’Office des Eaux a reçu de nombreux retours concernant les coûts sur la santé publique, l’environnement et l’économie des habitants des vallées de Coachella et d’Imperial. Les avantages pour les districts de l’eau urbaine sont de disposer d’une source d’eau moins chère et plus fiable. L’Institut de politique publique de Californie a atteste que 80% de l’eau transportée dans le sud de la Californie est utilisée pour l’irrigation du paysage extérieur. Un approvisionnement en eau fiable pour les communautés côtières est assurément important. Cependant aucune des communautés côtières n’est confrontée à une pénurie d’eau ou à une crise. En réalité, au cours des 15 dernières années, San Diego a fait d’excellents progrès dans la conservation de l’eau et

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l’acquisition de nouvelles sources hydriques, y compris par le dessalement de l’eau océanique. Les préoccupations et les conditions qui ont influencé les décisions de la QSA ne sont plus d’actualité. L’eau de la QSA est certes moins chère que l’eau dessalée, du moins pour les utilisateurs de San Diego, mais son coût pour les habitants des vallées intérieures est très élevé. Réguler la livraison d’eau QSA ne réduit en rien la fiabilité de l’approvisionnement en eau des utilisateurs urbains. Et si une grave pénurie survenait en raison d’une sécheresse extrême, d’une défaillance de l’équipement ou de dommages causés par un tremblement de terre, la livraison de l’eau de QSA pourrait alors être mise en œuvre immédiatement. » « The costs are clear and they are huge. The Water Board has received extensive testimony as to the public health, environmental and economic costs for the inhabitants of the Coachella and Imperial Valleys. The benefits to the urban water districts are in the form of a cheaper and more reliable source of water. The Public Policy Institute of California has documented that 80% of transported water in Southern California is used for outdoor landscape irrigation. A reliable water supply for the coastal communities is unquestionably important. None of the coastal communities faces any kind of water shortage or crisis. In fact, in the last 15 years San Diego has made excellent strides in water conservation and acquisition of new sources including ocean desalination. The concerns and conditions that influenced the QSA decisions no longer exist. Water from the QSA is admittedly cheaper than desalinated water, at least for the users in San Diego. The cost to inhabitants of the inland valleys is very steep. Regulating the delivery of QSA water in no way reduces the reliability of water supplies of the urban users. If a serious shortage should arise due to extreme drought, equipment failure, or earthquake damage, the delivery of QSA water could be implemented immediately. » 15

15. BRADLEY Timothy : Comments Prepared for the State Water Resources Control Board, November 3, 2017.

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La disparition de la Salton Sea, espérée il y a un siècle suite aux évènements dévastateurs terribles de la Great Diversion, est aujourd’hui redoutée, un siècle après son arrivée –comme nous le verrons dans les prochaines parties. Cet évènement aurait bien des conséquences sur son territoire local, mais également sur toute la région de Californie du Sud. La guerre de l’eau, « Water war » comme les journalistes l’appellent, est un acteur principal de l’influence sur le paysage et de la mise en danger de la Mer de Salton. Ce clivage des villes littorales face aux territoires intérieurs, puissantes et riches, impacte alors sévèrement les territoires intérieurs, et s’inscrit dans le paysage.

C. Inégalité d’accès aux ressources et injustices spatiales Ces rapports de force et d’inégalité sur le territoire sont également interrogés par d’autres limites politiques que les échelles inter-État ou de rapport côte-désert. D’après Timothy Bradley, l’eau irriguée par exemple, commence ses inégalités localement dans le Salton Sink. Les Amérindiens n’ont aucun accès à l’eau irriguée depuis le Colorado. Ainsi, cela transparaît dans le découpage carré des parcelles, suivant la grille découpée des parcelles Jeffersoniennes. On peut voir sur les photographies aériennes des champs verdoyants et cultivés, appartenant à des agriculteurs de la vallée impériale, qui contrastent à côté des parcelles désertiques des territoires amérindiens Torres-Martinez, non cultivées par manque d’eau, étant donné qu’aucun canal d’irrigation n’a été donné aux tribus amérindiennes locales. Une première injustice spatiale, à l’échelle locale. «Quand vous observez la carte de la région, notez que le territoire est divisé en carrés d’environ 2 kilomètres de côté, et remarquez quel impact cela a sur les gens qui y vivent. Une tribu indienne vivait dans la région quand les colons sont arrivés et ont amené de l’eau dans la vallée de Coachella, mais ceux-ci n’ont attribué cette ressource qu’à leurs territoires. Les Indiens ne reçoivent ainsi aucune eau du Colorado, et à cause de cela, ils ne peuvent pas développer d’agriculture sur leurs terres.

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Par conséquent, lorsque vous regardez les images satellites, on observe une succession de carrés d’agriculture verts, et ensuite des carrés désertiques où rien ne pousse, car situés en territoire indien, où aucune ressource en eau n’est disponible pour l’agriculture. » « When you look at that map, notice that the land is divided by 1,5 miles square, notice what a profound effect that has on the people that live there. So here’s an indian tribe that lived here and then the white folks came in, they eventually allocated water to the coachella valley but they only allocated water to those pieces of land that were owned by white people. Indians don’t have water from the colorado river, and because of that they can’t be engaged in the agriculture there. So when you look at the satellites pictures you have a square of green farming and then a square of desert where nothing grows because it’s indian and that they don’t have water for farming. » 16

A une échelle plus large, on observe alors la vallée impériale, et la vallée de Coachella, toutes deux en un camaïeu de pixels verts et bruns, illustrant l’empire agricole au Nord et Sud de la Salton Sea, accolés aux franges désertiques orangées. A une heure de route au Nord de la Salton Sea, un carré plus vert que n’importe quelle parcelle agricole attire l’œil. En se rapprochant, on observe des formes géométriques plus intéressantes les unes que les autres. Nous voici à Palm Springs, paradis du golf et microcosme paradisiaque au milieu d’une vallée désertique. Fontaines dans les rues, parcours de golf et jardins au gazon vert et impeccable font oublier pour certains la condition climatique de la région. Pour d’autres, au contraire, cela intensifie le contraste avec le reste de la vallée, où poussières du désert de Sonoran se mélangent aux canaux d’irrigation à l’eau brune, et aux parcelles arides et non cultivées de la tribu ancestrale Torres Martinez. 16. BRADLEY Timothy, Extrait de l’interview du 28.02.2018 à San Diego.

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A l’échelle régionale, nous avons pu voir que le clivage s’opère entre Est et Ouest, côte et désert dans les terres. En effet, dans mon entretien avec Timothy Bradley, enseignant en écologie et directeur de la Salton Sea Initiative à l’université d’Irvine en Californie, celui ci m’expliquait les conséquences de la pression sur l’eau en termes d’injustice sociale et spatiale qui avait lieu dans la région : «Il y a un problème politique, qui est que cette région de Californie est très éloignée de la capitale, Sacramento. La population y est en majorité d’origine hispanique, et il s’agit également de la partie la plus pauvre de l’État d’un point de vue financier, qui a très peu de pouvoir politique. Pour ces raisons l’Etat californien l’ignore. A cela s’ajoute le problème économique, où la partie riche de l’État (le long de la côte, comme San Diego), veulent de l’eau bon marché. Et bien que cela fasse souffrir les populations à l’intérieur des terres, les politiques littorales et métropolitaines ne s’en soucient pas vraiment, et ne veulent pas en entendre parler. ». « There’s a political issue, and it is that this part of the state is very far away from the capital, Sacramento. It’s largely hispanic, it’s the poorest part of the state from a financial point of view, and it has very little political power, and so that’s enough to make the State ignore it. Then there are the economic issues, which are that the wealthy portion of the state along the coast, like San Diego, want cheap water. And if that causes people inland to suffer, and they don’t really care and don’t want to hear about it. ».17

Tous ces emboîtements de clivages, disparités et rapports de force à différentes échelles mettent en place un jeu d’échecs géant, illustré par la grille agricole de Jefferson. La pression sur l’eau pourrait donc également impacter la production agricole de la région, voyant peu à peu des champs disparaître, au profit de la ville assoiffée –ce qui pourrait amener à une dépression de l’économie dans la vallée Impériale.

17. BRADLEY Timothy, Extrait de l’interview du 28.02.2018 à San Diego.

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La course pour la ressource la plus chère aujourd’hui dans l’Ouest Américain, et notamment la Californie, menace bien des paysages et régions. Un jeu d’échelles sans fin.

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48 Entre sel et sable, le devenir du trait de cĂ´te de la Salton Sea (Californie)


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1892

1849

Succession d’apparitions de lacs éphèmères d’environ 40 500 Ha jusqu’en 1891

Crue du Colorado crée un lac de 50 Km de large sur 15 Km de long

Premières hypothèses d’ancienne présence de lac par Cook, après observation de la ligne de calcaire sur les montagnes

1876 1862 Crue du Colorado crée un lac de 95 Km de long sur 50 Km de large

1840

1907

1930

1924

Création du Salton Sea National Wildlife Refuge (14 000 Ha)

Salton Sea définie comme réservoir permanent pour l’agriculture des deux vallées

Renommé Sonny Bono Salton Sea National Wildlife refuge en 1998

Construction de barrage pour Création du CVWD maîtriser la crue pour conserver et délivrer l’eau irriguée

1918

1938

1934 Construction du All American Canal pour la vallée Impériale (130 Km)

1950

Construction du Coachella Canal pour la vallée de Coachella

Import de poissons depuis l’océan Pacifique comme le Tilapia

1992 1996

Mort de 150 000 de grèbes à cou noir (oiseaux)

Botulisme aviaire tue 15 à 20% de la 1995 population Ouest Salinité de la de pélicans blancs Salton Sea atteint 45 ppt et 1 000 pélicans bruns (espèce en danger)

1901

Établissement officiel d’une réserve indienne dans la région

Début des travaux de canaux d’irrigation et de l’agriculture dans la vallée

1905 The Great Diversion Création de l’actuelle Salton Sea 72 x 32 Km

1905-1907 Formation Salton Sea actuelle

1960

1955

Ouverture de Salton Sea State North Shore & Park - le plus Beach Club 1968 grand de USGS mesure Californie, la profondeur 49 000 Ha de la Salton Sea à 68m sous le niveau de la mer

1950- 1960 «California Riviera» balnéaire

1986 Taux de sélénium très élevé, diminution de la pêche

1976- 1977 Tempêtes tropicales Kathleen et Dooren dévastrent la côte par leurs crues

1970 Hausse de la salinité, mort de poissons Baisse du tourisme

19601970 Baisse du nombre de poissons et d’oiseaux

Marées de morts massives de poissons 1992 - 1994 - 1996 - 1999 - 2006 - 2008

1998

7,6 millions de poissons meurent à cause de la prolifération d’algues («algae bloom»)

2003

Salton Sea restoration Act pour protéger et restaurer l’écosystème.

2006

USGS construit des bassins tests d’habitat peu profond en milieu salé au Sud de la mer pour évaluer les risques écologiques

2007

IID transfère 50 000 acre-pieds du Colorado vers San Diego, au lieu de l’acheminer dans la vallée Impériale

50 Entre sel et sable, le devenir du trait de côte de la Salton Sea (Californie)

2008

Discussion des membres de la Salton Sea Authority pour financer des projets de restauration à fond privé


Rappels chronologiques antérieurs - 4 millions d’années Clôture du Golfe de Californie par les sédiments du Colorado

- 2 500 ans Première apparition du Lac Cahuilla datée Suivi de cycles hydrologiques et dépôts de sédiments jusqu’à - 1000 ans

1540 Découverte du désert par les colons européens

2015

2013

IID transfère 100 000 acre-pieds du Colorado vers San Diego, et 26 000 acre-pieds vers la vallée de Coachella au lieu de l’acheminer dans la vallée Impériale

- Proposition du projet SSWIFT du «lac périmètre» - Le U.S. Fish & Wildlife Service propose le projet de restauration de Red Hill Marina - Comission Little Hoover à l’Université de Riverside sur les stratégies de gouvernance de la Salton Sea - IID et le comté d’Impérial proposent un plan de restauration à 3,15 milliards de dollars pour supprimer le delta sud

2017

IID transfère 100 000 acre-pieds du Colorado vers San Diego, et 45 000 acre-pieds vers la vallée de Coachella au lieu de l’acheminer dans la vallée Impériale

2018

Execution du QSA et du transfert d’eau vers San Diego. Les prévisions scientifiques indiquent que 25 900 Ha de playa seront exposés d’ici 2028

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4. Une situation similaire : Mono Lake, réchappé de la catastrophe Si l’on regarde une carte des Etats-Unis, et que l’on s’attarde sur la Californie, on observe que les ressources en eau sont faibles, face au fort peuplement –contrairement au centre Nord Américain et ses grands lacs par exemple. La course à l’eau pour les grandes métropoles californiennes n’est pas récente, et la Salton Sea ainsi que le Colorado ne sont pas les premiers à en souffrir. En effet, il y a plusieurs années, des militants écologistes ayant formé le comité du lac Mono ont engagé une bataille judiciaire et environnementale face à Los Angeles, suite à ses pratiques concernant le lac Mono, en Californie. Ce lac, presque épuisé par l’approvisionnement en eau de Los Angeles, a été sauvé de peu et a retrouvé un équilibre échappant à la catastrophe.

A. Contexte géographique et politique de Mono Lake, Californie Dans mon interview avec Timothy Bradley, celui-ci me faisait part de son expérience passée à travailler au lac Mono : « J’ai travaillé sur le lac Mono, qui se trouve dans la partie centrale-nord de la Californie pendant de nombreuses années. Il y a trente-cinq ans, j’étudiais la quantité de sel que les insectes pouvaient absorber parce que les pronostiques avançaient que le lac Mono deviendrait de plus en plus salé, et que les crevettes et les insectes allaient mourir, ne laissant plus aucune nourriture aux oiseaux. Il s’est avéré que la Cour de Californie a décidé que l’eau devrait être laissée dans le lac, et que le lac serait sauvegardé d’un point de vue écologique tout en protégeant également la santé publique. Durant cette expérience il y a plusieurs années, je pensais qu’il était possible de sauver ces sites et de protéger l’environnement, ainsi que la santé publique. Plusieurs années plus tard, alors que j’étudiais les insectes et la biologie près de la mer de Salton et de son l’eau salée, je me suis dit « il s’agit du même problème », et j’espérais arriver aux mêmes solutions.

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Malheureusement, ces solutions ne fonctionnent pas sur ce site, et la mer de Salton a en réalité de gros problèmes. ». « There’s a political issue, and it is that this part of the state is very far away from the capital, Sacramento. It’s largely hispanic, it’s the poorest part of the state from a financial point of view, and it has very little political power, and so that’s enough to make the State ignore it. Then there are the economic issues, which are that the wealthy portion of the state along the coast, like San Diego, want cheap water. And if that causes people inland to suffer, and they don’t really care and don’t want to hear about it. ».18

Mono Lake est un lac salé endoréique, une dépression fermée dont l’eau ne s’évacue que par évaporation ou infiltration, situé dans un bassin volcanique du désert de la Sierra Nevada en Californie. Avec 25 km de berges et 180 km2 d’étendue d’eau, ce lac, dont le taux de sel est trois fois supérieur à l’océan Pacifique, a vu ses affluents menacés par la captation et l’approvisionnement en eau du comté de Los Angeles, par soucis de pression urbaine. Le cas de figure est donc très comparable au cas de la Salton Sea. Et comme bien d’autres points d’eau de Californie, ce lac salé a été condamné à s’assécher, par un climat chaud et aride aux faibles précipitations, et par l’épuisement de ses ressources au profit des pôles urbains. L’eau de la rivière Owens, affluent principal du lac Mono, a été détournée depuis 1913 vers l’aqueduc de Los Angeles. Ce système d’aqueduc a été étendu de Los Angeles vers le nord, au bassin Mono, avec l’achèvement du tunnel Mono Craters, en 1941 par le ministère de l’Eau et de l’Energie de Los Angeles. La somme de l’eau détournée et de l’eau évaporée a fait rapidement baisser le niveau de surface du lac. Ainsi, le lac avait perdu 69% de sa superficie en 1982, en l’espace de quarante ans. La conséquence de cette baisse du niveau de l’eau a fait doubler sa salinité, découvert certains sables alcalins auparavant submergés. L’écosystème du lac a été également menacé, exposant certaines espèces à des prédateurs par le nouvel accès terrestre de terres immergées, et à faire migrer des espèces vers d’autres lacs moins salés.

18. BRADLEY Timothy, Extrait de l’interview du 28.02.2018 à San Diego.

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B. Les lacs salés, espaces fragiles menacés Les lacs salés sont des paysages uniques, surprenants, voire étranges et inhabituels pour certains, et se situent généralement dans des environnements soumis à de fortes contraintes naturelles et climatiques. Soutenant alors un écosystème rare et complexe, avec des espèces souvent endémiques, parfois menacées, l’équilibre de ces espaces est fragile. Le lac Mono, tout comme la Salton Sea, abrite une richesse faunistique et floristique à préserver. Ainsi, le lac Mono est par exemple reconnu pour l’Artemia monica, une minuscule espèce de crevette salée, endémique au lac. Basée sur la présence d’algues planctoniques, toutes deux base de la chaîne alimentaire de milliers d’oiseaux de la région, ainsi que d’oiseaux migrateurs. L’écosystème particulier et important du lac Mono pour de nombreuses espèces a par conséquent été mis en péril, notamment pour les oiseaux migrateurs menacés par l’augmentation de la salinité, la chute des niveaux d’eau, voire de la disparition du lac. Le lac Mono a échappé à ce sort lorsque le comté de Mono et les habitants de la région se sont mobilisés pour le sauver de la destruction. Ainsi en 1994, l’Office de contrôle des ressources hydriques de l’État de Californie a pris l’ordre de protéger le lac Mono. Depuis, le niveau du lac a régulièrement augmenté. Le problème auquel la Salton Sea fait face est similaire. Ses caractéristiques environnementales et climatiques en font un lac à la biodiversité particulière, d’autant plus qu’elle est devenue le plus grand lac de Californie, et a alors créé un environnement favorable à l’habitat de nombreuses espèces ornithologiques. Cependant, son équilibre est menacé par les pressions urbaines, éloignées, qui lui soustraient son unique ressource : l’eau. Les actions ne sont donc pas sans conséquences. Ainsi, prendre les ressources d’un endroit aura toujours un impact multiple sur ses populations, son économie et son environnement. Toutes ces composantes permettent de dessiner des paysages, en mutation, qui racontent ces histoires, ces aléas ayant des répercussions au quotidien.

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II. Nuances entre terre et mer : Une pluralité de paysages Nous avons pu observer dans la partie précédente que bien que cette région soit désertique, l’eau en est la ressource principale. Ce paradoxe est intéressant dans la mesure où diverse points de vue et pratiques émergent quant à la question de l’eau. Celle-ci amène la vie, le fleurissement d’activités et de différents paysages qui se succèdent. De même, l’eau apporte diverses ambiances au cours de son cheminement, du Colorado à travers ses canaux, se faufilant à travers des terres arides et des cultures intensives, jusqu’à son embouchure dans la Salton Sea. Eau dévastatrice. Eau créatrice. Eau de maintien. Tout y passe. La culture de ce paysage de l’extrême a poussé à modifier l’environnement, donnant naissance à un paysage hybride, menant à des conflits de plusieurs acteurs aux multiples conséquences, entre les droits des terres de peuples amérindiens, des espoirs des riches industriels agricoles, des grandes métropoles côtières aux petites communautés locales de la vallée Impériale. Les contrastes paysagers et les discontinuités spatiales caractérisent la marque de l’Homme sur la vallée Impériale : entre l’intensive utilisation et l’abandon du territoire. Entre des terres cultivées en plein désert grâce à l’irrigation, et d’espaces d’abandon en milieu désertique, témoins de rêves brisés. Le contraste d’ambiance y est tellement fort qu’on le ressent comme étant paradoxal. Esthétiquement, une étrangeté se dégage entre la limite des cultures et sa rencontre avec le désert, le non cultivé. D’un côté, du coton, des céréales et des primeurs ordonnés en un sens et ordre précis, suivant des alignements dignes d’une géométrie calculée. Les marques déposées par l’Homme, telles que les canalisations, l’agriculture et ses impacts paysagers et environnementaux, ou encore les villes abandonnées, traces de rêves oubliés. De l’autre, un espace de décrochage de l’Homme, face à l’immensité du désert : la constante reconquête de la nature, de l’environnement.

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La vallée Impériale est composée d’une succession d’entités paysagères, différentes et contrastées, qui longent les canaux, les rivières et la mer de Salton. En suivant le fil de l’eau, on navigue alors entre les jeux de pouvoir sur le territoire, la course aux énergies et aux ressources, l’agriculture, le tourisme. Un panel d’activités et de vues tous entremêlés sur l’interface terre et mer d’un paysage désertique. « Les histoires les plus marquantes du continent nord-américain sont en majeure partie liées aux efforts des colons européens à remodeler la terre en fonction de leurs besoins et de leurs rêves. » « The most powerful stories in the North American past have concerned the efforts of European Americans to reshape the land to suit their needs and dreams. » 19

19. DEBUYS William, MYERS Joan, Salt Dreams : Land and Water in Low-Down California, Albuquerque, Uni- versity of New Mexico Press, 1999, 307 p., p. 256

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1. Géométrie linéaire et couleurs primaires A. Le climat comme acteur : cheminement de l’eau dans le désert Faisons un exercice et tentons de nous représenter le cheminement de l’eau. Imaginez-vous un désert. Vous survolez cette étendue chaude et infinie. Des dunes de sable, des montagnes, de grands espaces plats où seulement quelques herbes ont l’audace de survivre. L’air du désert de Sonoran est chaud, brûlant. Ses vents sont chargés de petits grains de sable. Le bleu du ciel est intense et contraste avec les reflets jaunes et roux du sable. Le soleil chauffe la peau, fait plisser les yeux. La ligne d’horizon est toujours éloignée. La notion d’échelle nous dépasse. Cette montagne est-elle à une heure de marche ? Ou à une semaine ? Le désert est infiniment grand, nous sommes infiniment petits. Les formes, les ombres, les reliefs sont organiques. Tout s’entrelace et forme une danse envoûtante dans un environnement hostile et désolé. Soudain, une ligne, droite. Elle ne prend pas compte de ces formes qui l’entourent, ni de leurs couleurs. Bleue azur, elle se dirige, imperturbable. Elle tourne, puis se divise, prenant alors deux directions. Son flot est régulier, sa mission est de transporter l’eau du Colorado d’un point A aux points B, C et ainsi de suite : d’Est en Ouest. L’arrivée de l’eau dans la vallée Impériale suit un certain cheminement. Elle traverse le sud du massif des Chocolate Mountains, puis les dunes Algodones, un « Sahara miniature » (p.159 Salt Dreams), avant d’arriver dans cette étendue plane, la vallée Impériale. La destination finale sera une grande étendue bleue, nommée la Salton Sea. « Les terres arides de l’Ouest américain sont composées de déserts, secs par nature (...) Un désert - dans ce contexte - était l’équivalent géographique d’une âme en perdition. C’était un espace stérile, inutile, presque mort. »

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« The arid lands of western America are deserts, dry by nature (…) A desert –in this context – was the geographic equivalent of a soul in perdition. It was barren, useless, all but dead. » 20

B. Entre hostilité et productivité du désert La présence de l’Homme dans le désert de Sonoran se remarque ainsi en premier lieu par ses exploits d’ingénierie à travers les différents canaux d’irrigation. La construction d’édifices hydrauliques en milieu désertique est la première chose frappante dans ce paysage. Le poids déterminant du climat et de l’environnement extrême de la vallée est omniprésent. Un rapport de force constant existe alors entre le climat désertique et les installations humaines. Aujourd’hui, le climat nous a amené à concevoir et revoir nos politiques de l’eau. Il nous force à envisager différents enjeux face au changement climatique, aussi bien dans les terres que sur les territoires côtiers. En effet, le climat de la région de la Salton Sea est l’une des parties les plus arides et chaudes de la Californie, avec des températures maximum de 38°C pendant plus de 110 jours par an, et observent plus de 15 jours atteignant les 43°C. Cet ensoleillement et ces températures amènent un taux d’évaporation très important dans la région. De même, les précipitations sont rares, généralement entre décembre et mars (et quelques orages entre août et octobre), avec un taux annuel inférieur à 7 centimètres. Le climat est donc l’acteur déterminant de ce paysage. Il a toujours véhiculé l’image du désert, indomptable, hostile, et a pendant longtemps évoqué quelque chose de terrifiant, auquel on ne peut survivre. L’Homme a voulu changer l’image du désert, le plier à ses exigences, et le rendre utile et productif.

20. DEBUYS William, MYERS Joan, Salt Dreams : Land and Water in Low-Down California, Albuquerque, Uni- versity of New Mexico Press, 1999, 307 p., p. 11

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«Au tournant du siècle, les Américains s’inquiétaient du gaspillage des ressources naturelles, et ont ainsi rendu les déserts utiles en y acheminant de l’eau, qui autrement aurait fini inutilement dans la mer. Les Américains croyaient aux promesses de la science et de la technologie, et ont réalisé leurs voeux en chargeant des ingénieurs, qui incarnaient alors le summum du savoir-faire, de la construction complexe et de l’exploitation de barrages et d’aqueducs. » « As the century turned, Americans worried about the waste of natural resources, and reclamation fought waste by converting deserts to usefulness, capturing water that would otherwise flow uselessly into the sea. Americans wanted the growing promise of science and technology to be realized, and reclamation did that by charging the engineer, who embodied practical know-how, with the construction and operation of complex dams and waterworks. » 21

Une fois entré dans la large et plane vallée Impériale, ce jeu de lignes bleues, d’écoulement et de contrastes de matières, rencontre un environnement qu’il a créé. La combinaison jaune et bleu en rencontre une autre. Des couleurs vertes et brunes. Le sable laisse place aux arbustes, légumineuses et maraîchers. Une première transition s’opère. Une oasis géante s’ouvre à nous : le berceau du royaume agricole intense de la vallée Impériale.

21. DEBUYS William, MYERS Joan, Salt Dreams : Land and Water in Low-Down California, Albuquerque, Uni- versity of New Mexico Press, 1999, 307 p., p. 12

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2. Une mer de champs : l’influence de l’agriculture Si vous prenez la route pour Westmorland depuis San Diego, sur l’interstate 8 cap sur l’Est, vous passerez la chaîne de montagnes de Coyote et Santa Rosa, et serez ébloui par le désert. Mais quelques kilomètres plus loin, vous verrez alors des champs à perte de vue. Un paysage ultra-productif, entre openfields et nuages blancs de cheminées. Bien que la cartographie nous montre l’imposante grille agricole de la région, sa grandeur et platitude sont révélées lorsqu’elles nous font face. Des routes rectilignes, infinies, encadrées par des champs où des travailleurs – pour la majorité mexicains, s’activent sous le soleil brûlant du désert. Quelques camionnettes arrêtées aux carrefours, nous vendent sur leur stand improvisé des sacs très bon marché d’avocats ou d‘oranges, de produits sur-cultivés dans la région. Les productions agricoles de la vallée au Sud sont des tomates, aubergines, maïs, laitues, carottes, artichauts, asperges, brocolis, etc. De même, des citrons, oranges, raisins, et autres fruitiers sont cultivés au sud et nord de la Salton Sea, dans les vallées respectives d’Impérial et Coachella. Enfin, la région agricole élève également du bétail, et la vue « néo »-pastorale de moutons brouter dans un champ de paysage désertique, encadrée par quelques cheminées d’usines de géothermie est surprenante.

A. Les cultures amérindiennes, ancêtres de l’industrie agricole actuelle Ce n’est pas la première fois dans l’Histoire de la vallée que le sol sert de support à la culture de l’Homme. Les tribus natives de la région utilisaient les ressources propres à la région, espèces locales, s’adaptant alors à cet environnement variable, entre sécheresses et inondations.

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«Ils plantaient du maïs, des haricots tépari et diverses cucurbitacées (courges et citrouilles) dans la boue sèche, et la nature s’occupait du reste. La plupart temps, aucune irrigation supplémentaire n’était nécessaire (...). La rivière donnait aussi beaucoup de poissons (...). Ils plantaient également une herbe, connue aujourd’hui sous le nom de “Panic grass” (Panicum sonorum), qui ressemblait à un mil sauvage. Ils remplissaient leurs bouches de graines et les soufflaient sur un sol humide, principalement dans des endroits trop tourbeux pour le maïs. Ils chassaient égalements des lapins et autres petits gibiers, et cueillaient les haricots du mesquite, qui poussent sur les terrasses de la rivière à un ou deux niveaux au-dessus de la plaine inondable. » « They planted maize, tepary beans, and various cucurbits (squashes and pumpkins) in the drying mud, and nature did almost all the rest. In most years no additional irrigation was necessary (…). The river gave abundantly of fish, too (…). They also planted a grass, known today as Sonoran panic grass (Panicum sonorum), that was like a wild millet. They filled their mouths with seeds and blew them onto moist soil, mainly in places too boggy for corn. And they hunter rabbits and other small game and gathered the beans of the mesquite, both honey and screwbean, which grew on the river terraces a level or two above the floodplain. » 22

Les cultures des tribus amérindiennes étaient discrètes, et ne modifiaient en aucun cas l’environnement naturel de la région. L’intervention des colons à la fin du 19e siècle et leur volonté d’établir un empire agricole dans le bassin de Salton fut le point de bascule pour le « renouveau », la transformation de cet espace. Ainsi, suite aux évènements dévastateurs de 1907, et de la création de la Salton Sea, l’expansion grandissante de l’agriculture dans la vallée Impériale se renouvela. Les esprits s’apaisèrent après la catastrophe et l’agriculture repris peu à peu son activité. Les champs, tout comme les richesses recommencèrent à prospérer.

22. DEBUYS William, MYERS Joan, Salt Dreams : Land and Water in Low-Down California, Albuquerque, Uni- versity of New Mexico Press, 1999, 307 p., p. 23

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« Le quart de million d’acres cultivés en 1913 atteignait 360 000 acres (145 686 hectares) cinq ans plus tard. La transformation de la région s’est poursuivie aussi vite, voire plus vite que partout ailleurs sur le continent (...) Une vaste plaine agricole s’est matérialisée dans le désert en un peu plus d’une décennie (...) » « The quarter million acres under cultivation by 1913 swelled to 360, 000 acres five years later. The transformation of the region proceeded as fast or faster than anywhere else on the continent (…) A vast agricultural plain materialized from the desert in little more than a decade (…) » 22

Aujourd’hui, l’agriculture irriguée est l’action principale de la région de la Salton Sea, qui a alors transformé un bassin désertique en vaste vallée agricole. Cette vallée est l’un des principaux support de l’alimentation de milliers d’américains, et rempli les supermarchés en été comme en hiver.

22. DEBUYS William, MYERS Joan, Salt Dreams : Land and Water in Low-Down California, Albuquerque, Uni- versity of New Mexico Press, 1999, 307 p., p. 126

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B. L’agriculture intensive au sein de deux vallées fertiles Le bassin de Salton est en fait la combinaison de deux vallées fertiles : Coachella et Imperial. Ici, il s’agit d’une agriculture à plusieurs millions de dollars par an, soutenu par la Imperial Irrigation District (IID), le plus large département d’irrigation des Etats-Unis (permettant par exemple la culture de 185 550 hectares en 1999). «La mer de Salton est située au milieu d’une région agricole qui produit une part importante de légumes d’hiver, ainsi que de grandes quantités de fruits, de blé et de plantes fourragères. Bénéficiant d’une abondance de soleil, de droits en eau privilégiés, et de températures hivernales douces, les vallées Impériale et Coachella récoltent en moyenne environ 202 342 et 25 495 hectares de cultures par an. En 2010, les recettes agricoles de la vallée Impériale, y compris la production de bovins, ont totalisé environ 1 600 millions de dollars, tandis que les recettes agricoles de la vallée de Coachella ont totalisé environ 620 millions de dollars cette année-là. La vallée Impériale représente près de 90% de la superficie totale récoltée dans le comté d’Imperial, tandis que la vallée de Coachella représente environ 30% de la superficie totale récoltée dans le comté de Riverside. L’agriculture fournit presque un tiers de tous les emplois dans le comté d’Impérial, et moins de 2% de tous les emplois dans le comté de Riverside. » « They planted maize, tepary beans, and various cucurbits (squashes and pumpkins) in the drying mud, and nature did almost all the rest. In most years no additional irrigation was necessary (…). The river gave abundantly of fish, too (…). They also planted a grass, known today as Sonoran panic grass (Panicum sonorum), that was like a wild millet. They filled their mouths with seeds and blew them onto moist soil, mainly in places too boggy for corn. And they hunter rabbits and other small game and gathered the beans of the mesquite, both honey and screwbean, which grew on the river terraces a level or two above the floodplain. » 23

23. DEBUYS William, MYERS Joan, Salt Dreams : Land and Water in Low-Down California, Albuquerque, Uni- versity of New Mexico Press, 1999, 307 p., p. 23

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Le passé hydrologique de la région ainsi que son climat permettent de soutenir et développer une agriculture diverse et intensive. Les aléas climatiques et inondations impactent également le potentiel agricole du désert par la forte présence de sel. La vallée étant un point plus bas que le niveau de la mer, toutes les eaux mais aussi sédiments et sels s’y déversent, accumulant par conséquent de nombreux composants. De grandes quantités d’eau sont également utilisées par les agriculteurs pour évacuer les sels, en lavant les champs via des drains souterrains coûteux, afin de les rendre propres à la culture. «Ce qui se trouve au fond du Salton Sink est une mer agricole: champ après champ, carrés et rectangles, jachère et cultures, aux différentes nuances de vert. Le camaïeu de cultures s’étire ici et là sous le soleil, partout jusqu’aux moindres angles, et chacun présente un nouveau tissage d’ombre, de terre et de feuilles. Il s’agit de la vallée Impériale, où les dernières eaux du Colorado alimentent près d’un demi-million d’acres (202 342 hectares) de terres cultivées et, par extension, le peuple des ÉtatsUnis. » « What lies below is an agricultural sea : field after field, square and rectangle, fallow and full, Nile green and bile green, emerald and jade. The twill of crops rows runs here with the sun, there athwart, everywhere at different angles, and each presents a new weave of shadow, dirt, and leaf. This is the Imperial Valley, where the last waters of the Colorado River feed nearly half a million acres of cropland and, by extension, the people of the United States. » 24

Dans la région, la géothermie est aussi une composante paysagère importante. Invisible sur les photographies aériennes, il s’agit pourtant d’un élément visuel marquant du paysage de la vallée. L’activité géothermale de la vallée, due à la présence de la faille de San Andreas, permet une exploitation sur l’ensemble du Sud de la vallée, jusqu’au Mexique, produisant alors une industrie au paysage d’usines cernées de grillages, et aux longues cheminées crachant des nuages blancs, flottant au dessus des champs plats, et contrastant avec le ciel bleu infini.

24. DEBUYS William, MYERS Joan, Salt Dreams : Land and Water in Low-Down California, Albuquerque, Uni- versity of New Mexico Press, 1999, 307 p.

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C. Paysage agricole immersif et rupture avec le contexte géographique «J’ai scanné l’horizon, et dans une longue rotation de 360 degrés, j’ai pu compter 89 panaches de vapeur et de fumée. » « I scanned the horizon and in one long pivot of 360 degrees counted 89 plumes of steam and smoke. » 25

Submergés par ce paysage atypique et très productif, la relation à la Salton Sea n’est pas évidente lorsque l’on se trouve au milieu d’un champ de la vallée Impériale. La rupture avec le lac s’opère, et nous sommes victimes des vues perspectives infinies sur les champs, surplombés par les massifs montagneux désertiques. Il faut dire qu’il s’agit d’une vaste étendue plane, à l’agriculture rase, parsemée de palmiers le long des routes rectilignes. Un paysage dont le maintien ne tient qu’à des interventions humaines répétées : le poids et l’influence de l’agriculture, de la géothermie et de l’irrigation de l’eau, toujours dans sa course vers son affluent. Pourtant, des indices rappellent en permanence la présence hydrologique passée, par les marques de sel sur la terre, mais aussi le climat avec des tempêtes de poussière et sable épisodiques, ainsi que les ressentis de chaleur extrême du désert. L’eau est omniprésente, circulant et dessinant les champs. En plus de créer cet espace et de soutenir son développement, elle fait partie intégrante du paysage : en canal, en rivière, en arrosage, en vapeur de cheminée : sous toutes ses formes. «Bien que la vallée Impériale ait l’air d’une large crêpe étalée, elle s’allonge doucement vers le nord. Les canaux d’irrigation coupent le paysage en carrés et rectangles nets, l’eau s’écoulant par gravité du All-American canal dans le sud jusqu’à chaque parcelle au nord. L’eau fait tellement partie du paysage que, dans les décennies passées, les adolescents pouvaient parfois faire du ski nautique sur les canaux, tirés par une camionnette le long du bord de l’eau. On y trouve aussi un réseau de drainage atypique, construit sous les champs puisque l’eau du Colorado contient

25. DEBUYS William, MYERS Joan, Salt Dreams : Land and Water in Low-Down California, Albuquerque, Uni- versity of New Mexico Press, 1999, 307 p., p. 151

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d’importantes quantités de sel qui doivent être évacuées de la surface du sol. Les tuyaux de drainage coulent également du sud au nord, et le ruissellement se termine alors dans la mer de Salton. » « Although the Imperial Valley looks pancake flat, it actually slopes down ever so gently to the north. Irrigation canals cut the landscape into neat squares and rectangles in quarter-mile increments, with water flowing by gravity from the All-American Canal in the south to every section. Water is such a part of the landscape that in decades past teenagers would sometimes water-ski on the canals, pulled by a pickup truck driving along the edge. There’s also an unusual drain network built beneath the fields because Colorado River water contains significant trace amounts of salt that must be flushed from the soil. The drainage pipes flow south to north as well, and the runoff ends up in the Salton Sea. »26

La présence de la mer est donc devinée pour ceux qui connaissent le territoire, suivant les rivières qui l’abreuvent. Les deux sources principales d’alimentation de la Salton Sea, et comme vu précédemment, à l’origine de sa création, sont les rivières New et Alamo, au Sud, qui se faufilent entre les champs, s’écoulant depuis le Mexique vers les Etats-Unis. Elles acheminent l’eau usée de l’industrie agricole traversée en amont, pour se déverser dans le lac. On comprend la Salton Sea et ses enjeux lorsque l’on se rend compte de tout ce qui se passe en amont, des activités développées le long de ses affluents, de la diversité de cette irrigation étendue dans les vallées Impériale et de Coachella, qui ont complètement redessiné le Bassin de Salton. Vecteur de vie, l’eau permet donc de cultiver dans un territoire hostile et de développer des communautés dans un environnement quasi-inhabitable il y a un peu plus d’un siècle. A sa rencontre avec le lac, elle fait fleurir les deltas. Mais l’eau est également vecteur de pollution. Après avoir traversé l’empire agricole de la vallée Impériale, chargée de sels et de polluants et particules chimiques, elle rencontre alors la Salton Sea, destination finale de son parcours à travers le désert de Sonoran.

26. LIPPER John, article A Few California Farmers Have Lots of Water. Can They Keep It? Bloomberg.com, Nov. 4, 2015

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« L’agriculture est l’acteur principal qui affecte l’état de la mer de Salton. En 1928, le président Coolidge a désigné la mer de Salton comme un réservoir agricole, offrant aux irrigants du bassin versant l’avantage d’un réservoir alimenté le ruissellement de leurs eaux. Bien que faisant naturellement partie du delta du Colorado (démontré par les incarnations précédentes du lac Cahuilla), l’actuelle mer de Salton n’existerait pas sans drainage agricole. »

27. COHEN Michael J., Hazard’s Toll e Costs of Inaction at the Salton Sea, Oakland California, Paci c Insti- tute for Studies in Development, Environment, and Security, 2014, 61 p., p.28

« Agriculture is the fundamental driver affecting Salton Sea conditions. In 1928, President Coolidge designated the Salton Sea as an agricultural sump, affording irrigators in the watershed the benefit of a gravity–fed drainage reservoir. Though naturally a part of the Colorado River delta (demonstrated by previous incarnations of Lake Cahuilla – see Cohen et al. (1999), the current Salton Sea would not exist without agricultural drainage. »27

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3. Rencontre entre eau de rivière et eau de mer, les deltas Il y a des milliers d’années, le lac Cahuilla abritait une faune et flore riches, un fragile écosystème au milieu du désert. D’après William deBuys : «Même avant la fin de la Great Diversion, la nouvelle mer débordante attira l’attention de la faune et la flore. Canards, oies, foulques et cormorans affluent par milliers dans ce lac tiède (...). Ces oiseaux ont seulement reproduit les mouvements de leurs ancêtres, qui par centaines de milliers avaient colonisé les habitats recréés à chaque récurrence du lac Cahuilla ». « Even before the Great Diversion ended, the brimming new sea attracted the notice of waterfowl. Ducks, geese, coots, and cormorants flocked by thousands to the tepid lake (…). These birds only duplicated the movements of their ancestors, which by the hundred of thousands had colonized the habitats created every recurrence of Lake Cahuilla » 28

L’alchimie de la rencontre entre l’eau douce des rivières, New et Alamo au Sud de la Salton Sea, et Whitewater au Nord, avec le réservoir d’eau salée qu’est la Salton Sea, a créé un environnement unique, propice à l’épanouissement de la biodiversité. La Salton Sea est donc composée de trois deltas, qui constituent des écosystèmes particuliers : entre le mélange d’eau fraîche et d’eau salée, la différence de température, et de la turbidité de l’eau. Aujourd’hui, le bassin de Salton offre une multitude de différents habitats allant des marécages aux ripisylves, champs et terres agricoles, îlots, plages, deltas, zones humides sur les berges de la Salton Sea.

A. La création d’un environnement à la riche biodiversité Ayant suivi les rivières depuis leur détournement de route au Colorado, à travers le désert, puis à

28. DEBUYS William, MYERS Joan, Salt Dreams : Land and Water in LowDown California, Albuquerque, Uni- versity of New Mexico Press, 1999, 307 p., p. 135

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travers les champs, l’eau a voyagé des centaines de kilomètres pour se déverser dans le Bassin de Salton, et créer un habitat unique. Aux airs d’oasis, le paysage change complètement. La rivière devient de plus en plus « sauvage », la végétation indigène prend alors le dessus, l’Homme n’est plus omniprésent. Les sons sont ceux de bruissements de feuillages et d’oiseaux, par milliers. Entre la rivière et la Salton Sea, quelques bassins d’eau nous donnent des impressions de marécage fleurissant, une zone humide débordant d’une biodiversité insoupçonnée dans cet espace extrême. On débouche sur le lac, la Salton Sea, immense étendue d’eau. Sur ses berges, d’autres oiseaux, tels que des hérons, aigrettes, pélicans blancs et bruns, martin-pêcheur, faucons, oies des neiges, canards, grues et autres nombreux oiseaux, pêchent et se reposent. Bien que la Salton Sea ai été créée par une semi-catastrophe humaine, couplée à un aléa naturel, et que celle-ci survive grâce à l’eau usée de l’irrigation agricole, ses deltas sont des habitats uniques pour tout une faune et flore. En 1930, soit environ quinze ans après sa formation, la Salton Sea a été reconnue comme lieu vital pour le repos et la reproduction des oiseaux migrateurs – c’est ainsi qu’a été créée la Salton Sea National Wildlife Refuge. Plus que n’importe quel autre observatoire naturel de l’Ouest Américain, le refuge comptait alors la présence de 384 espèces ornithologiques. Les recherches faites par le Pacific Institute, montrent que la diversité aviaire trouvée à la Salton Sea est composée de plus de 400 espèces aujourd’hui, dont 50 classées – menacées, ou en voie de disparition comme le Pélican brun, ou encore 90% de la population nord-américaine des grèbe à cou noir. Paradis pour les oiseaux migrateurs, et autres espèces qui ont décidé d’y résider toute l’année durant, il s’agit du deuxième endroit du pays en terme de diversité ornithologique, ce qui en fait la Mecque des « birders », passionnés d’ornithologie et chercheurs scientifiques. En effet, la localisation de la Salton Sea est sur la route migratoire Ouest de l’Amérique du Nord vers l’Amérique du Sud, pour plus de deux millions d’oiseaux chaque année, notamment en hiver, la Pacific flyway.

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Étant le plus grand lac de Californie, il s’agit aussi d’une des dernières réserves aquatiques et zones humides, à habitat peu profonds sur la Pacific flyway, suite à la pression et disparition croissante de lacs et étangs de l’Ouest. La rencontre entre eau de rivière et eau de mer, a permis la création d’un environnement à la biodiversité riche et épanouie. Cependant, la chaîne alimentaire de la Salton Sea est assez courte puisqu’elle ne tient qu’à quelques vers et invertébrés dans son sol, consommés par quelques espèces de poisson, pour alimenter en abondance la diversité d’oiseaux présents sur le site. L’eau, riche en nutriments, stimule alors la production de micro-organismes, bases de la chaîne alimentaire. On recense plusieurs espèces de poissons, acclimatés à l’eau salée, dont trois principales qui sont le tilapia, le sargo et le maigre. L’espèce principale est le tilapia (Oreochromis mossambicus x O. urolepis hornorum), originaire des eaux fraîches, il a trouvé refuge dans la Salton Sea dans les années 1965 et s’est adapté à la salinité du lac. Les deltas, sont les refuges et lieu de reproduction des tilapia : la population de cette espèce s’est décuplée et a très vite dominé la Salton Sea de par son nombre. Par exemple, on trouvait plus de 100 millions de tilapia dans le lac en 1999, s’adaptant toujours à la hausse de salinité de leur habitat. (p.25-26 Hazard of future) Cette productivité trouvée dans le lac soutient alors la diversité et l’abondance des oiseaux, ce qui créé une mosaïque faunistique impressionnante.

B. Les affluents, vecteurs de la pollution agricole Bien que les deltas de la Salton Sea aient un caractère unique en terme de biodiversité, ils se trouvent actuellement sous la pression d’une dégradation écologique grandissante. Les problèmes environnementaux sont divers et multiples. En premier lieu, il faut savoir que l’ensemble du réseau hydrographique du bassin de Salton se déverse dans le lac, accumulant sels, dépôts sédimentaires et polluants.

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La pollution est accumulée le long de la vallée Impériale dans les rivières, à travers l’empire agricole, et arrive aux deltas pour se jeter dans la mer de Salton. En résulte un immense lac contaminé : la Salton Sea, nouvelle flaque toxique, sous pression car polluée et en voie de disparition. La course de l’eau donne vie aux paysages qu’elle traverse. Elle peut également annoncer la mort de certains paysages, lorsqu’elle est vecteur de pollution. Ainsi, comme l’observe Robert H. Boyle : « Des kilomètres de canaux mènent les eaux du Colorado à travers la vallée Impériale, alimentant les deux affluents de la mer de Salton, l’Alamo et la New River. Les deux rivières coulent au nord du Mexique, recevant l’eau de drainage le long du chemin. Celui-ci est considéré comme le fleuve le plus pollué des ÉtatsUnis (...). En plus des sels et du sélénium, le drainage de la vallée Impériale contient des niveaux élevés d’azote et de phosphore qui favorisent la surabondance de phytoplancton, y compris le dinoflagellé qui aide à rendre l’eau de couleur brun rougeâtre, et dégage après leur mort et leur décomposition une odeur nauséabonde. » « Miles of canals lead Colorado River water through the Imperial Valley, feeding into the Salton’s two tributaties, the Alamo River and the New River. Both flow north from Mexico, receiving drainwater along the way. Considered the most polluted river in the United States (…). Besides salts and selenium, Imperial Valley drainage carries high levels of nitrogen and phosphorus, which promote a superabundance of phytoplakton, including the algal dinoflagellate that help turn the water reddish brown and give off an awful stench after they die and decompose. » 29 (Life and Death of the Salton Sea, Robert H. Boyle p. 105 ; p.100)

La faune et la flore sont alors exposées à différentes particules polluées dans leur environnement, très nuisibles aux différentes espèces trouvées sur le site. La Salton Sea déborde à présent de concentrés de sels, composants organiques, ainsi que de pesticides, sélénium, et autres produits toxiques qui ont amenée à des épidémies touchant oiseaux et poissons, amenant à des marées d’oiseaux morts.

29. BOYLE Robert H, « Life -or Death- for the Salton Sea ? » in LOREY David E., Global Environmental Challenges of the TwentyFirst Century : Resources, Consumption, and Sustainable Solutions, Department of Social Sciences, Southeastern Oklahoma State University, 2003, pp 103-112.

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Les premières épidémies datent des débuts du lac, mais celles-ci restaient assez communes quant à la proportion d’oiseaux présente sur le site. Cependant, depuis les années 1970, la hausse d’épidémies et des morts est devenu quelque chose de récurrent dans la vallée, augmentant chaque décennie, avec la présence notamment du choléra aviaire, salmonelloses, et maladie de Newcastle (peste aviaire). Si les épidémies des années 1970 étaient le début des tourments de la faune du lac, les années 1990 ont témoigné d’impressionnantes hécatombes. Dans Salt Dreams, deBuys nous explique que des épidémies d’origine mystérieuse ont tué plus de 170 000 Grèbe à cou noir entre 1992 et 1994 ; d’autres épidémies ravageuses ont aussi suivi dans les années 1990 ont décimé ainsi 20 000 oiseaux (dont la moitié étaient des pélicans). Des milliers de tilapia et autres poissons ont également trouvé la mort, et les ossements de poissons sont toujours nombreux et présents sur la playa, partie découverte du lac et trait de côte. Bien que les tilapia soient adaptés à la salinité de l’eau, ceux-ci dépensent cependant trop d’énergie pour réguler la pression saline et les autres facteurs de stress (pollution, bactéries, eutrophisation). Le nombre de victimes animales des épidémies récurrentes a été retrouvé sur les rivages de la Salton Sea, notamment autour des deltas, et c’est cette image qui marque le paysage actuel, de même que les représentations du lieu dans la région. Les esprits se souviennent des rivages inondés de cadavres d’oiseaux et poissons, par milliers, dégageant alors des odeurs insoutenables dans toute la vallée – une année allant même jusqu’à Los Angeles et San Diego. «La mer de Salton n’est qu’une incarnation plus petite de l’ancien lac Cahuilla, ancien terminus du fleuve Colorado, qui apparaissait puis s’évaporait à plusieurs reprises, grâce au changement du cours de l’eau vers le nord pour remplir le bassin de Salton, qui reprenait ensuite son chemin vers le sud dans le Golfe de Californie. Les oiseaux colonisaient rapidement chaque nouvelle incarnation du lac Cahuilla, avant de reprendre la route vers d’autres zones humides éphémères et permanentes lorsque le lac s’évaporait.

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Aujourd’hui, la menace est que 90-95% des zones humides de la Californie ont disparu, ce principalement en raison de l’aménagement des terres et des prélèvements de l’eau. La perte de ces anciennes zones humides augmente alors considérablement l’importance de la Salton Sea et des zones humides environnantes. » « The Salton Sea is but a smaller incarnation of the ancient Lake Cahuilla, a former terminus of the Colorado River that appeared and evaporated repeatedly as the river periodically meandered north to fill the Salton Sink, and then reverted south, to run again to the upper Gulf of California. Birds would quickly colonize each new incarnation of Lake Cahuilla, moving on to other ephemeral and permanent wetlands when the lake evaporated. The threat now is that 90-95% of California’s wetlands have disappeared, primarily due to land conversion and water diversions and depletions. The loss of the these former wetlands greatly increases the importance of the Sea and its surrounding wetlands. » 30

C. Une croissance continue du taux de salinité et toxicité dans l’eau D’un autre côté, le réchauffement climatique et la baisse d’approvisionnement d’eau dans la Salton Sea (par les actes de transfert d’eau vers les métropoles côtières), et le rétrécissement de la Salton Sea ont eu l’effet d’augmenter le taux de salinité, qui a permis un fleurissement du delta. En effet, l’eau très salée des lacs endoréiques constitue un réservoir unique et particulier qui permet une croissance en terme de biodiversité. Les lacs salés sont ainsi des endroits importants en terme d’écologie, puisqu’ils permettent le développement de certaines espèces endémiques, ou la reproduction d’autres espèces, constituant un environnement parfait. Cependant, la constitution du lac en fait son atout et son point faible. Certes, la présence forte de sel joue en la faveur de l’environnement, jusqu’à un certain point, comme l’eutrophisation, qui fait alors manquer d’oxygène pour le développement de beaucoup d’espèces. De même, l’assèchement participe à la hausse constante du taux de pollution.

30. COHEN Michael J., HYUN Karen H, Hazard : e Future of the Salton Sea With No Restoration Project, Oakland California, Paci c Institute for Studies in Development, Environment, and Security, 2006, 60 p., p.28

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D’ailleurs, dans son ouvrage, deBuys écrit : «Les problèmes chroniques de la mer de Salton découlent de sa forme géomorphologique close, de son caractère vieillissement, et donnent l’impression d’être de plus en plus redoutables d’année en année. La fraîcheur ainsi que la pureté d’un bassin d’évaporation ne s’améliorent pas avec le temps. » « The chronic problems of the Salton Sea derive from its closed-in, aging character and they give indication of growing more formidable year by year ? The freshness and purity of an evaporative sump do not improve with time. »31

La course contre le temps a démarré depuis plusieurs décennies, avec le caractère de constante évolution du lac depuis sa création. Aujourd’hui, il s’agit d’un réservoir d’eau très salée, couplé à une pollution toxique grandissante. Et si tous les deltas sont par définition des paysages changeants, de part la modification du cours des affluents, les deltas de la Salton Sea ont subi les aléas de sécheresse et d’inondation, de baisse des écoulements des rivières ainsi que l’arrivée de pollution incessante. Ils sont promis à s’embourber et disparaître au cours de l’assèchement progressif de la Salton Sea. Aujourd’hui, les photographies aériennes peuvent déjà témoigner de la perte des zones humides et du recul du trait de côte, qui annoncent la fin de la réserve migratoire. Il est évident que les changements environnementaux de la vallée Impériale et la disparition de la Salton Sea impactent directement sur les populations aviaires, et par conséquent sur le changement de la route migratoire. Voici donc ce qu’il reste du paradis d’oiseaux migrateurs, oasis au milieu du désert. De prospérité, richesse et diversité, la Salton Sea perd peu à peu de son éclat. D’abord par ses deltas, ses rivages souffrent eux aussi d’un revirement de situation et d’une détérioration croissante, amenant des allures de scénario apocalyptique.

31. DEBUYS William, MYERS Joan, Salt Dreams : Land and Water in Low-Down California, Albuquerque, Uni- versity of New Mexico Press, 1999, 307 p., p136

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4. Du miroitement d’un miroir à son éclat brisé, un nouveau rapport à la mer «Plus loin au nord, au delà de la limite des champs, brille un miroir face au ciel. Il mesure 57 kilomètres de long et plus de 24 de large, un miroir assez grand pour refléter la vanité d’une nation puissante et prospère. Ce miroir aquatique est la mer de Salton, le plus grand lac de Californie, qui reçoit les rejets et les déchets de la vallée Impériale (...) » « Farther to the north, beyond the limit of the fields, shines a mirror to the sky. It is thirty-six miles long and over fifteen wide, a mirror large enough to reflect the vanity of a powerful and prosperous nation. This watery mirror is the Salton Sea, California’s largest lake, which receives the leachate and dross of the Imperial Valley (…) » 32

A. La nouveau rêve américain, la Salton Riviera (1950 - 1960) Entourée de montagnes, du désert, et d’un empire agricole, la mer de Salton est en elle-même un objet de fascination. Il s’agit de l’élément majeur dans ce territoire, une immense étendue bleue calme et sublime qui s’offre à nous. Ses charmes ont été découverts, ou du moins reconnus, dans les années 1950, lorsque s’est développé sur ses berges Est et Ouest un idéal de « Riviera » californienne reprenant l’idéal de la côte d’Azur dans le sud de la France. Terre isolée et vide, la mer a été support de l’imagination débordante d’entrepreneurs qui y ont vu une nouvelle mine d’or, bleue. Dans Salt Dreams, deBuys nous relate l’histoire de M. Penn Phillips, qui eu le rêve d’urbaniser 19 6000 acres sur les rives de la Salton Sea pour y construire Salton City, le joyau de la « Salton Riviera » 33. Suivant le désir d’offrir des complexes de luxe « spectaculaires » et « ultramodernes », de nouveaux équipements se sont alors très vite implantés sur les rivages du lac : marinas pour bateaux de pêche, sport et loisirs, ski-nautique, parcours de golf, hôtels, commerces et autres infrastructures propres aux stations balnéaires huppées.

32. DEBUYS William, MYERS Joan, Salt Dreams : Land and Water in LowDown California, Albuquerque, Uni- versity of New Mexico Press, 1999, 307 p. 33. Ibid.

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Ainsi, à quelques kilomètres au Sud de la riche et prisée ville de Palm Springs, très peu accessible aux autres classes, s’est développé un paradis touristique où n’importe quel citoyen américain pouvait venir vivre ses vacances de rêve dans un paysage surprenant et édénique. Le paysage de Salton City ressemblait à un parking géant, où affluaient touristes et curieux. D’autres complexes se sont développés tels que North Shore, Bombay Beach ou encore Desert Shores, avec des marinas, hôtels et piscines, parkings, centre commerciaux, et quelques lotissements de maison avec jardin au gazon verdoyant. Bien que d’après William deBuys, «Le littoral de la mer de Salton manquait des attributs d’un bon endroit pour une ville, encore moins un complexe hôtelier. Il faisait trop chaud, l’endroit était trop nauséabond, trop isolé, trop vulnérable, trop hostile » (« the shoreline of the Salton Sea lacked the attributes of a good place for a city, let alone a resort. It was too hot, too foul, too isolated, too vulnerable, too hostile » p.213 Salt Dreams), un nouveau paysage de routes s’est dessiné sur le rivage du lac, hôtels et aménagements de loisirs, accompagné des palmiers iconiques de front de mer californien. Mais dans ce paradis terrestre, où toute une nouvelle population était venue migrer temporairement ou de façon permanente, les aléas ancestraux du site et son caractère environnemental sont revenus sur leurs terres. En premier lieu, des odeurs insoutenables se sont émanées du lac, de par l’eutrophisation de l’eau qui a amené au surdéveloppement d’algues, ainsi que la mort de milliers de poissons sur les rivages, dû à leur surpopulation. Les résidents des rivieras ont immédiatement blâmé l’industrie agricole, et les journaux de Los Angeles, sur ce renversement de situation. Les événements dramatiques, quant à eux, se sont traduits par de violentes crues dans les années 1970, inondant et ravageant ces stations balnéaires, et faisant fuir populations et promoteurs.

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B. D’une gloire éphémère à des évènements désastreux (1970 - 19990) La gloire de la Salton Riviera n’aura duré qu’à peine deux décennies. Depuis les années 1970, les évènements se sont multipliés, vers la descente aux enfers de la Salton Sea. Entre crues violentes, et hécatombes d’oiseaux et de poissons, jusqu’aux odeurs pestilentielles du lac, le lieu est de nouveau devenu un endroit repoussant, hostile et support de tristes souvenirs. Suite au développement du tourisme et à son apogée, l’abandon des activités le long de la côte l’échec du tourisme a été le point de départ de prise de conscience de l’avenir incertain du site. Un nouveau paysage s’est alors dessiné, celui de villes fantômes, détruites. Depuis, l’eau des parcelles agricoles de la vallée Impériale a continué de se jeter dans la Salton Sea, maintenant certes le niveau de l’eau en évitant la totale évaporation de l’étendue d’eau, mais accumulant les dépôts salins et polluants. La baisse d’apports en eau a permis une observation plus concrète du trait de côte exposé, ainsi que des marinas asséchées. Un nouveau rapport à la mer a été créé. Un climat post-apocalyptique, de déshérence. Aujourd’hui, lorsque l’on évoque la Salton Sea, peu de personnes en connaissent l’existence. Pour ceux à qui le nom du lac évoque quelque chose, il s’agit soit de nostalgiques de ses années d’âge d’or, de militants écologistes, de passionnés d’ornithologie, ou bien d’amateurs d’exploration de lieux désolés. Un nouvel usage apparaît, où de nombreuses équipes de tournage ou de photographie viennent explorer et utiliser les décors abandonnés des anciennes riviera. Leur atmosphère désolée, de lendemain de fin du monde, dans un paysage désertique. Le sel a commencé à ronger bon nombre d’équipements, le sable s’est installé à l’intérieur des ruines.

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Les éléments qui définissaient la vallée pendant des millions d’années ont repris leurs droits, et recomposent le paysage. Recherchez « Salton Sea » sur un moteur de recherche internet et vous trouverez directement des images de désolation : caravanes et hôtels abandonnés, places remplies de poissons morts, machines submergées par des croûtes blanches de sel, piscines et marinas asséchées. Le moteur de recherche regorge de vocabulaire choquant tel que « dying », « ghost town », « crisis », « end », « abandoned ». Tel est l’imaginaire dégagé par l’actuelle Salton Sea, l’image véhiculée de ce lieu à l’histoire surprenante. La marina est asséchée et la berge, la « playa » est élargie. Plage très boueuse à certains endroits, des véhicules sont bloqués dans la vase, tel un sable mouvant, là où restent certains pontons de l’âge d’or des ports de la Salton Riviera. La mer est éloignée à présent, et l’on peut observer la distance entre le trait de côte actuel et celui des années 1950. Sur la playa, on constate aussi la présence de poissons morts sur le rivage, et cette odeur de poisson mort qui est omniprésente. Cette odeur empire quand il y a des morts massives de poissons, entre septembre et octobre. A North Shore, la marina est presque asséchée face à l’ancien bâtiment portuaire, aujourd’hui musée de la Salton Sea. La plage est large du fait du recul du trait de côte, dont témoigne la présence d’arbustes plus hauts, et de végétation autour du port. Les principaux résidents ici sont les oiseaux, nombreux, ayant établi leur habitat dans cet espace semi cerclé. Les autres nombreux – mais défunts- habitants sont les poissons morts sur le rivage, et également quelques ossements d’oiseaux. La mer est vaste, calme et paraît sereine, le bruit des petites vagues et des oiseaux la rendent vivante. Son immensité avec en fond les montagnes Coyote et Santa Rosa and San Jacinto Mountains est digne d’un paysage spectaculaire. C’est face à cette vaste étendue bleue et à son décor magnifique que l’on comprend pourquoi dans les années 1950, la Salton Sea avait un tel succès, attirait et offrait un lieu de détente et vacances idéal.

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Maintenant, certes moins occupée par les activités nautiques, de touristes et bateaux, il s’agit d’un environnement naturel où l’on se sent seul et infime en face à la taille des éléments naturels qui nous entourent. Bien que l’autoroute soit proche et que la marina et son bâtiment soient sur le rivage, on en oublie presque la présence de l’Homme.

C. Aujourd’hui : un paysage de post-apocalypse De retour vers son rivage, dans ces lotissements dévastés, à travers les maisons et caravanes abandonnées et vandalisées, aux fenêtres cassées et aux murs recouverts de graffitis, certaines maisons sont encore habitées et entretenues avec peu de moyens. Quelques résidents sont restés vivre dans les débris restants ; d’autres sont venus s’installer grâce au prix très bas de l’immobilier, pour les charmes passé et actuel du lieu. Il s’agit de la communauté la plus basse en Amérique, située à 223 pieds (68 m) en dessous du niveau de la mer. C’est ainsi que l’une des habitantes de Bombay Beach, retraitée installée depuis peu dans la région, m’a expliqué en souriant : «J’adore les paysages désertiques, ce sont des paradis qui touchent votre âme. Tout est beau et complexe par ici. Je ne suis pas inquiète des dangers, j’évite seulement de sortir par temps venteux. Tout survit dans le désert, les oiseaux viennent encore, et ils continueront de venir après ça. Pour moi, c’est tout simplement fabuleux de vivre ici. » « I love desert landscapes, it is a paradise that touches your gut. Everything here is beautiful, and complexe. I am not worried about the hazards, I just avoid to go out on windy days. Everything survives in the desert, the birds still come and they will continue. To me it is just great to live here.. »34

La nuit, une autre ambiance règne : depuis North Shore, on voit les lumières de la rive ouest de la Salton Sea, éclairée comme une côte littorale touristique et animée, paysage inattendu par rapport à l’aspect désolé du lieu durant le jour.

34. Interview mené à la Salton Sea le 30.02.2018, rencontre avec une habitante de Bombay Beach.

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La ligne de chemin de fer est très active, elle rythme la nuit et prend le dessus sur le son calme et paisible nocturne. On en oublie presque l’abandon omniprésent du site, son image catastrophée et désertique. En effet, à Desert Shores, sur la côte ouest, bien que les marinas soient complètement vides, offrant alors un visuel impressionnant, on trouve l’une des villes les plus abouties sur le littoral de la Salton Sea. Les maisons y sont toujours assez entretenues, et on observe qu’il y a plus d’habitants que sur la rive Est, comme à Bombay Beach ou North Shore. La Salton Sea, bien qu’elle soit récente, a déjà un passé complexe, et a été génératrice de bien des regards et activités différents. L’Homme s’est ainsi approprié cet espace de différentes manières : de l’ingénierie mise en place dans le désert, pour son quadrillage vert actuel ; des tentatives des années 1950 d’y coloniser des hôtels, aujourd’hui abandonnés et perçus comme un échec ; et des luttes cachées pour la ressource de l’eau. Paradis agricole depuis un peu plus d’un siècle, là où l’eau manque initialement. L’irrigation a donné vie à cette mer d’une certaine manière, et la maintient à présent tout en dégradant son état, l’utilisant comme évacuation des eaux usées de l’agriculture intensive. Même sa forme, «Shaped like a footprint in the sand» 35, « évoquant une forme de pied dans le sable», interprète dans la mer de Salton la trace de l’Homme qui indirectement a façonné ce paysage, couplé à un aléa naturel. La traduction physique de l’avidité de l’Homme a conduit à une catastrophe technique, qui reflète la cause à effet de l’agriculture dans la vallée Impériale, sujette au risque de catastrophe écologique, s’accentuant d’années en années. Les rêves brisés des communautés vides du bord du lac s’entremêlent avec la croissance de la pollution du lac et des problèmes environnementaux. La pression urbaine de la côte qui subtilise l’eau d’irrigation et met en péril la Salton Sea signe alors très certainement son arrêt de mort, en l’asséchant progressivement.

35. PATTON Samuel, « A Dusty Future », e Salton Sea Sense [En ligne], 2015, mis en ligne le 14 mai 2015,

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Des discours alarmistes sont tenus depuis plus de quinze ans à présent, sur la préservation et conservation de ce lieu, qui d’un paradis est devenu un enfer, voué à disparaître et entraîner avec lui l’émergence de catastrophes dans la région, mais aussi à une échelle beaucoup plus large. L’état de la Salton Sea interroge et soulève de nombreux débats quant à son devenir incertain. «Quand je pense à la mer de Salton, je pense à sa tranquillité, au calme qui y règne et à l’eau. Je regarde l’eau et l’horizon et cela me fait du bien. Mais alors que mes yeux descendent, regardent le littoral, et un sentiment de tristess m’envahit. Je constate son assèchement, ainsi que tous les os de poissons morts. Mais quand vous regardez les montagnes et observez le trait de l’ancienne mer, cela vous raconte quelque chose. Il vous dit que nous devons protéger ce lac, cet endroit, que les gens devraient tout d’abord connaître l’histoire du territoire, et que nous devons donc préserver son histoire: ce qui était présent auparavant devrait vous guider pour le futur. » « When I think about the Salton Sea, I think about tranquility, peacefulness, and water. I look at the water and the horizon and it makes me feel good. And then as my eyes drift down and look at the shoreline, I feel sad. I see how it dries, all the dead fish bones. But when you look up the mountains and see the shoreline of the ancient sea, it tells you something. It tells you that we need to protect it, that people should know the history of the place first, and thus that we need to preserve the history : what was here before should guide you. » 36

36. Interview mené avec Mary Resvaloso, présidente de la tribu Torres Martinez, le 03.02.2018

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III. Un trait de côte au devenir incertain Conséquences d’un avenir sans eau, quand la vallée s’assèche

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La Salton Sea et sa vallée posent question aujourd’hui dans de nombreux débats politiques et environnementaux. Victimes de toutes les dynamiques qui l’entourent, vues auparavant, les enjeux concernant l’avenir du site sont sérieux. Si la présence de l’eau avait créé de nombreuses inquiétudes, l’absence de celle-ci devient un risque majeur pour l’ensemble de la région. Le devenir du site est basé sur l’équation des aléas assèchement – pollution, et les proportions que ces deux objets prennent au fur et à mesure du temps. Divers impacts en découleraient, touchant différentes populations et échelles spatiales. Bien que le lac et ses plages se découvrent au fur et à mesure et nous indiquent un état de détérioration en pleine action, les zones impactées ne se limitent pas au trait de côte. La playa, partie submergée des berges du lac, est un paysage grandissant qui témoigne alors des pressions qui ont lieu sur le site. Il s’agirait de la partie de paysage qui traduit les problèmes du site : à savoir la disparition progressive de la Salton Sea, et sa pollution. «La progression des colons néo-européens, leur domination envers les amérindiens, le développement de l’agriculture et de l’industrie, la croissance des villes, l’utilisation des rivières, des forêts, des pâturages et d’autres ressources ont modelé physiquement cette période de l’histoire sur le continent Américain. (...) Mais cette histoire fait à ce jour partie du passé. L’histoire du futur ressemblera davantage à l’histoire de la mer de Salton. Cela concernera les efforts de la société pour vivre avec les conséquences de ce qui a été brisé, abimé, et parfois tenter de l’améliorer. Nous sommes entrés dans un âge d’adaptation et de réparation obligatoires. » « The spread of neo-European settlement, the subjugation of native people, the development of agriculture and industry, the growth of cities, the utilization of rivers, forests, rangelands, and other resources, these things and their kin have shaped the physical expression of history’s passage on the continent. (…) But that story is now largely of the past. The story of the future will be more like the story of the Salton Sea. It will concern society’s efforts to live with and at times ameliorate the consequences of what was broken. We have entered an age of obligatory adjustment and repair. » 37

37. DEBUYS William, MYERS Joan, Salt Dreams : Land and Water in Low-Down California, Albuquerque, Uni- versity of New Mexico Press, 1999, 307 p.

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1. L’aléa : un cocktail de salinité, pollution et poussière A. Un destin lié à la forme géomorphologique du site ? Dans ce paradis agricole en milieu désertique, l’irrigation de l’eau est le facteur révolutionnaire qui a tout changé dans le Bassin de Salton. Celle-ci a permis de créer un empire agricole, et a permis jusqu’à aujourd’hui le maintien du niveau du lac. En effet, les lacs endoréiques, de par leur définition, sont des destinations finales du cheminement de l’eau. Dépourvus d’exutoire naturel, et seulement alimentés par leurs affluents, ils sont soumis à l’évaporation ou infiltration de l’eau. Dans un climat tel que celui du désert de Sonoran, aux températures extrêmes, il est évident que les taux d’évaporation sont très importants, et que sans approvisionnement pérenne de l’eau, le lac est alors voué à rétrécir – voire disparaître très rapidement. Voilà pourquoi dans les années 1910, à la création du lac, les autorités et les scientifiques débattaient à savoir combien d’années faudrait-il pour que la Salton Sea s’assèche, étant à l’époque un élément malvenu dans la vallée. La question n’était plus à poser ensuite, puisque l’irrigation agricole repris de plus belle dans les années suivantes, autorisant au début du 20e siècle les agriculteurs à déverser leurs eaux usées dans le bassin de Salton, et d’alimenter la Salton Sea comme réservoir hydraulique régional. Sans ces apports, le lac serait victime du climat et s’assécherait naturellement. L’irrigation de l’eau du Colorado a donc joué un rôle majeur dans la conception et l’entretien du paysage qui s’offre à nous aujourd’hui. Cependant, l’irrigation aggrave également le cas de la Salton Sea. En effet, l’apport d’eau depuis les trois affluents du lac – New, Alamo et Whitewater rivers, traversant diverses régions agricoles, a contribué à l’augmentation de la salinité et de la toxicité chimique de l’eau depuis un siècle. De jour en jour, l’eau du lac est plus polluée et chargée en sels, ce qui augmente la menace environnementale.

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Aujourd’hui, la dynamique du site est mitigée de par la pollution qui le gangrène, conséquence des années d’incertitude et d’utilisation de produits toxiques pour l’agriculture. «La mer de Salton est un lac terminal la seule issue de ses eaux est par l’évaporation. Lorsque l’eau s’évapore, les sels, le sélénium et d’autres contaminants sont alors concentrés dans la mer et dans ses sédiments. » « The Salton Sea is a terminal lake - the only outflow for its waters is through evaporation. As water evaporates, salts, selenium, and other contaminants are concentrated in the Sea and its sediments. » 38

B. Un taux de salinité plus élevé que celui de l’Océan Pacifique La salinité du lac, une fois de plus, est liée au fait qu’il s’agit d’un lac endoréique. Comme le lac Cahuilla avant lui, la Salton Sea était en premier lieu un lac d’eau fraîche. Mais à mesure du temps, amassant les sels rapportés par ses affluents, le lac est devenu salé, à cause de l’absence d’exutoire qui ne permet donc pas l’élimination des apports des affluents. De plus, la Salton Sea repose sur l’ancien bassin du Lac Cahuilla et du Golfe de Californie, abritant les eaux océaniques de par le passé, jusqu’à il y a 4 millions d’années, qui ont laissé des dépôts salés sur l’ensemble de la vallée. La croissance de la salinité a atteint un taux identique à celui de l’océan dans les années 1950, et est aujourd’hui 1/3 plus salé que l’océan. Si l’on fait bouillir dans une casserole l’eau de la Salton Sea, on trouverait 35 grammes de sel, dérivé de chlore, soufre, sodium, calcium, magnésium et potassium, d’après les affirmations de deBuys. Cela illustre le fait que l’assèchement progressif du lac, survenu après les restrictions d’eau pour le transfert à San Diego, ainsi que le réchauffement climatique, concentre de plus en plus les sels ; quatre millions de tonnes de sel seraient amenés chaque année dans le lac par les trois affluents dérivés de l’agriculture – Alamo, New et Whitewater.

38. COHEN Michael J., MORRISON Jason I., GLENN Edward P., Haven or Hazard: e Ecology and Future of the Salton Sea, Oakland California, Paci c Institute for Studies in Development, Environment, and Security, 1999, 78 p.

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Le manque d’eau est un facteur d’inquiétudes quant au devenir de la région, comme l’attestent Alberto Ramirez, administrateur de la tribu Torres Martinez, et Daniel Tirado Lopez (du service des ressources naturelles et environnementales de la tribu), lorsque ceux-ci me faisaient part de la crainte des membres de la tribu Torres Martinez Cahuilla Indian, et de leur avis concernant le manque d’eau : «Nous devons comprendre que puisqu’il n’y a pas de circulation d’eau dans la mer de Salton, le phénomène d’eutrophisation se produit. Et il est très coûteux de prendre de l’eau de l’océan Pacifique ou de la mer de Cortez et de la dessaler pour l’acheminer dans la mer de Salton. (...) Nous pouvons clairement voir l’augmentation de l’exposition de la playa, ce qui amène à beaucoup de défis, que ce soit pour importer de l’eau, ou pour travailler avec le sel. Les politiques ont déjà réduit la quantité d’eau qui coule vers la mer de Salton ; de plus, le Colorado aura moins d’eau dans le futur, puisqu’il y a déjà moins d’eau dans le lac Mead, et nous nous situons en fin de course du fleuve. Nous nous attendons à de sérieuses sécheresses qui auront alors un impact direct sur le recul du trait de côte de la mer de Salton. » « We need to understand that since there is no water circulation in the Salton Sea, eutrophisation happens. And it is very expensive to take some water from the Pacific Ocean or the Sea of Cortez and desalinate it to put it into the Salton Sea. (…) We can clearly see the increasing of the exposure of the playa, which leads to a lot of challenges. To import water, or to work with the salt. They already decreased the amount of water that would go to the Salton Sea, and on top of that, there will be less water in the Colorado River, since there is less water in Lake Mead, and we are at the end of the line so we will expect some serious droughts that will impact directly on the receding shoreline of the Salton Sea. »39

L’appauvrissement de l’apport en eau de la Salton Sea serait donc l’un des facteurs les plus importants quant au devenir du site. De part sa forme géographique et géologique, le lac, dans son bassin, est en position vulnérable face au ruissellement pollué et salé de tout le bassin versant de la région.

39. Interview avec Alberto Ramirez à la Salton Sea le 03.02.2018.

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C’est ainsi que deBuys constate que : «Dans les points bas, les conséquences se rassemblent, (...) le problème fondamental de la mer de Salton est que celle-ci soit le point le plus bas de toute la région Ouest, et par conséquent qu’elle ne peut pas déléguer ses problèmes dans un autre endroit en aval. La plus grande partie de l’Ouest américain se situe en son amont, et y rejette une bonne partie de ses eaux. Sans exutoire vers l’océan, la mer de Salton bout alors dans ses propres jus. La géologie du site ne permet qu’une infime infiltration, et par conséquent la seule issue est l’évaporation de cette mer tiède. Ainsi, seule l’eau s’échappe, et demeurent par conséquent sels, minéraux, pesticides, composés organiques, et toxines (...). » « In low places consequences collect, (…) the fundamental problem of the Salton Sea, being lowest of the low, is that it cannot pass along its troubles to someone or someplace farther downstream. The greater part of the American West stands above it and discharges a fair portion of its waters into it. Without an outlet to the ocean, the Salton Sea must stew in its own juices. Because infiltration to the underlying geology is negligible, only vapor leaves the sea’s tepid precincts. Everything else –salts, minerals, pesticides, organic compounds, toxins –stays behind (…) » 40

C. Entre pollution et toxicité, les conséquences de l’assèchement du lac On observe que la Salton Sea est devenue au fil du temps plus salée que l’océan, mais également riche en polluants, tels que le «sélénium et le DDT» (dichloro-diphényle-trichloro-éthane), un pesticide utilisé dans les cultures de la Vallée Impériale (page 14, USGS State of the Salton Sea: A Science…). Comme expliqué précédemment, cette pollution a alors vu une large population de poissons mourir sur les rivages, brisant la carte postale idyllique du site, et mettant fin au rêve de riviera. Faute de profondeur du lac, et d’une salinité trop importante, amenant maladies, algues, couplées aux hausses de bactéries dans l’eau, des marées de poissons morts, ainsi que

40. DEBUYS William, MYERS Joan, Salt Dreams : Land and Water in LowDown California, Albuquerque, Uni- versity of New Mexico Press, 1999, 307 p., p223

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de nombreux oiseaux (notamment durant les années 1960 et 1970), une baisse significative du nombre d’individus de chaque espèce a déjà commencé. Tous ces facteurs ne prennent pas en compte pas le réchauffement climatique, qui augmente la température de l’eau, et accélère le processus d’évaporation du lac depuis les années 1970, engendrant un risque écologique majeur. «L’avenir de la mer de Salton est encore plus sombre. Le lac est confronté à un changement catastrophique, provoqué majoritairement par un important transfert d’eau entre la vallée impériale et le comté de San Diego, ainsi qu’une réduction des apports à la mer de Salton, une diminution des flux migratoires du Mexique, et un climat plus sec (CNRA 2006). (...) son état futur sera alors dramatiquement, bien pire que son état actuel (...) » « The Salton Sea’s future looks even more grim. The lake faces catastrophic change, driven most immediately by a massive water transfer between Imperial Valley and San Diego County and a subsequent reduction inflows to the Salton Sea, as well as by declining inflows from Mexico, increasing urbanization, changing agricultural practices, and a hotter and drier climate (CNRA 2006). (…) its future condition will be dramatically worse than its current condition (…) » 41

Le Pacific Institute a publié dans son rapport « Hazard the future of the Salton Sea without project », que le taux d’eau acheminé dans la Salton Sea aura chuté de 40% dans les prochaines années, ce qui fera baisser son niveau de plus de 6 mètres, avec un rétrécissement rapide de son volume global de 60%. Cela aura alors pour conséquence de tripler le taux de salinité ainsi que d’exposer plus de 260 kilomètres carrés de berges poussiéreuses et polluées, sous les vents dominants du désert de Sonoran. Les déchets agricoles accumulés depuis ces décennies, qui résident au fond de la mer de Salton, provoqueraient un désastre sanitaire si la mer s’asséchait, et que ces résidus se retrouvaient à l’air libre, volant par exemple via des tempêtes de poussière vers les métropoles de San Diego et Los Angeles.

41. COHEN Michael J., Hazard’s Toll e Costs of Inaction at the Salton Sea, Oakland California, Paci c Insti- tute for Studies in Development, Environment, and Security, 2014, 61 p.

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L’enjeu majeur est aujourd’hui reconnu comme étant l’assèchement du lac, et l’exposition grandissante de son trait de côte. Timothy Bradley énonce le fait que cette région désertique produit déjà une quantité de poussière importante, et pourrait atteindre le pourcentage d’asthme le plus élevé dans l’État, même s’il n’y avait jamais eu de Salton Sea et de pollution. Cependant, les playas sont à présent constituées de poussières à particules très fines, et par conséquent des dizaines de milliers d’hectares vont être exposés, sous un climat très sec, poussiéreux et venteux. De même, les bureaux de recherche sur la qualité de l’air auraient déterminé que les vents du désert augmenteraient la quantité de poussière de la playa en y apportant des sables et sels, alors sources de poussière toxique. A cela, Bradley ajoute que San diego est assez indépendant en matière hydrique utilisant de l’eau recyclée, souterraine, de stockage, ainsi que des usines de dessalement, et n’a donc pas besoin d’utiliser l’eau des affluents de la Salton Sea. « Consentir à l’évaporation de la mer est problématique pour des raisons qui impliquent des conditions environnementales, aussi bien pour les humains que pour les non-humains. Exposer une immense étendue poussiéreuse, polluée en grande partie par huit décennies de ruissellement agricole, créerait alors très probablement des tempêtes de poussière, et une aggravation de la pollution atmosphérique dans une région où la qualité de l’air est déjà exceptionnellement mauvaise. » « Allowing the sea to evaporate is problematic for reasons that involve environmental conditions for humans and nonhumans alike. Exposing the massive expanse of dusty soil, much of it polluted from eight decades of agricultural runoff, would likely create dust storms and compound air pollution in a region that already has exceptionally poor air quality. » 42

Née d’une catastrophe semi-naturelle, la mer de Salton, aujourd’hui couplée à l’utilisation agricole de la vallée pendant plus d’un siècle, est génératrice d’un nouveau paysage.

42. VOYLES Traci B., « Environmentalism in the Interstices California’s Salton Sea and the Borderlands of Nature and Culture », Resilience : A Journal of the Environmental Humanities, 3, 2015, pp. 211- 241.

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Ce trait de côte exposé, grandissant, offre donc une certaine esthétique qui questionne, suite à l’apparition des déséquilibres écologiques à travers des contrastes paysagers et environnementaux. Ce « nouveau paysage », est en réalité un cocktail mélangeant salinité, pollution et poussière, un aléa très préoccupant pour les différentes populations et activités de la vallée, mais aussi de la région.

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2. Risques et impacts multiscalaires Le risque étant par définition l’équation entre un ou plusieurs aléas et une vulnérabilité, les conséquences des aléas seraient directement liés à l’assèchement de la Salton Sea et à l’apparition grandissante de la « playa », vus dans la partie précédente. Cela aurait alors un impact rayonnant sur plusieurs échelles, et sur différentes populations. En effet, l’impact écologique et sanitaire de la pollution agricole sur la Salton Sea inquiète de plus en plus les autorités et les scientifiques. Et si les enjeux environnementaux liés au lac ont été longtemps ignorés, ceuxci éveillent à présent les esprits, de par l’urgence de la situation.

A. Une exposition aux poussières toxiques, menaçant d’un risque sanitaire Le Pacific Institute est un institut de recherche californien, visant à protéger les espaces naturels par des recherches et des analyses sur les questions de développement, de sécurité et d’environnement des sites naturels. Dans leurs nombreux rapports sur la Salton Sea, ils énoncent les listes exhaustives des risques encourus et des conséquences désastreuses à venir, si l’on reste dans l’inaction face aux dangers : «- La hausse des frais médicaux de la santé publique, en raison de l’impact des émissions de poussière sur la santé humaine ; - La chute des valeurs foncières régionales, en raison de menaces sur la santé ainsi que de la détérioration de la valeur esthétique du site; - La diminution de la productivité agricole, due aux émissions de poussières et à la perte de du microclimat de la mer, régulant la température et l’humidité des terres agricoles avoisinantes ; - La baisse des activités et revenus de loisirs ; - La diminution des services écosystémiques, notamment les impacts sur les espèces protégées et autres valeurs non-marchandes. »

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« - Rising health care costs, due to the adverse impact increased dust emissions have on human health; - Falling regional property values, due to real and perceived health threats and declining aesthetic value; - Diminished agricultural productivity, due to dust emissions and to the loss of the Sea’s buffering impacts on temperature and humidity in nearby farmland; - Declining recreational revenues; - Diminished ecosystem services, including impacts to listed species and related non– market values.» 43

D’après la liste des risques élaborée par le Pacific Institute, on observe que le risque majeur listé numéro un, est lié à l’émission de poussières impactant la santé des populations. Les populations à proximité de la Salton Sea dans la vallée Impériale, et la vallée de Coachella sont les premières à être impactées. En effet, à mesure que les apports en eau déclinent, le niveau de l’eau dévoile de plus en plus ses berges, sur lesquelles reposent les sédiments, jusqu’alors confinés sous l’eau du lac. Plus la playa est exposée, plus le risque de problèmes liés à la qualité de l’air augmente, par des vents soulevant la poussière, sels et les polluants (Cohen et al., quelle année N + bas de page : Haven or Hazard : the ecology (…) p.13). La dispersion des particules fines des sédiments à l’air libre, tels que le sélénium et autres pesticides et produits toxiques venus des champs agricoles, auraient un impact catastrophique sur les habitants de la région. Ces cas de figure, où des tempêtes de sable et de vents soulèvent des particules toxiques, ont déjà été observés sur d’autres sites similaires, des lacs endoréiques en voie d’assèchement, tel que au Lac Mono, ou encore la mer d’Aral en Asie Centrale (partagée entre le Kazakhstan l’Ouzbékistan) et le lac Owens, en Californie. A mesure que la playa se dévoile, la surface contaminée s’élargit et s’expose aux vents, ce qui augment alors le rayonnement de personnes impactées.

43. COHEN Michael J., Hazard’s Toll e Costs of Inaction at the Salton Sea, Oakland California, Paci c Insti- tute for Studies in Development, Environment, and Security, 2014, 61 p.

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Les résultats de l’exposition à ces contaminants seraient des maladies respiratoires comme l’asthme, mais aussi des maladies cardiovasculaires, qui augmenteraient considérablement dans les années à venir. Cette affirmation repose sur le témoignage de Timothy Bradley, qui au cours de notre interview, m’informait sur le fait que la taille infime des particules de poussière leur permet de pénétrer dans les poumons et de se retrouver dans la circulation sanguine. Elles affectent ainsi la santé par l’asthme, mais aussi le système immunitaire par des accidents vasculaires cérébraux et des crises cardiaques. Il ne s’agirait donc plus seulement d’un seul problème mais d’une multitude de maladies et problèmes de santé qui seraient impliqués. La situation est donc grave du point de vue de la santé publique, non seulement à l’échelle locale, mais aussi sur toute la région sud, puisque Los Angeles et San Diego seraient également menacées. Cependant, la situation n’apparaît que très peu dans les médias locaux et régionaux, voire nationaux, évitant d’aborder le sujet du risque toxique de la Salton Sea qui augmente de jour en jour, à quelques kilomètres du littoral urbanisé, derrière la chaîne de montagnes. Les locaux des environs de la Salton Sea sont pour la plupart des foyers pauvres, souvent d’origine hispanique, ainsi que les amérindiens de la tribu Torres Martinez Desert Cahuilla Indians. Ces catégories sociales seraient alors victimes d’une injustice spatiale d’après Timothy Bradley, au vu de l’inaction générale des politiques de Los Angeles et Sacramento pour les habitants de cette région. Pourtant, le vent du désert ne s’arrête pas aux limites strictes du périmètre de la Salton Sea, mais s’étire au nord dans la vallée vers Palm Springs, municipalité hautement touristique et riche, ainsi que vers les métropoles littorales. De même, à des kilomètres à l’Est de la Salton Sea, Phoenix en Arizona, est également menacé par ces risques de tempêtes de poussière toxiques, et s’inquiète de la situation, pourtant à une distance beaucoup plus lointaine que les métropoles californiennes. Nous observons donc qu’il ne s’agit pas seulement d’un problème local, mais d’un rayonnement beaucoup plus large sur le territoire américain.

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D’après la liste du Pacific Institute, l’impact des tempêtes de sable et de résidus toxiques nuirait également aux cultures agricoles, ce qui aurait un impact régional mais également national, puisqu’il s’agit d’une industrie alimentaire exportée sur l’ensemble du territoire américain durant toute l’année : «(...) la mer offre deux avantages supplémentaires à l’agriculture : - (1) L’atténuation de la poussière - La mer recouvre des terres qui, lorsqu’elles sont exposées, peuvent émettre de la poussière, qui réduirait alors la productivité des cultures. La mer piège également la poussière et le sable, capturant certaines particules soufflée sur la surface du sol, et réduisant ainsi les concentrations totales de particules dans la région; et - (2) le micro-climat - la mer amortit les changements de température et d’humidité dans les champs voisins, ce qui permet aux agriculteurs de récolter plus tôt, et de potentiellement cultiver plus loin, ce qui est source de bénéfices. » « (…) the Sea provides two additional benefits to agriculture : - (1) dust mitigation – the Sea covers playa that, when exposed, will likely emit dust that may reduce crop productivity. The Sea itself also traps blowing dust and sand, entraining or capturing some of the particles that blow across its surface and reducing total particulate concentrations in the region; and - (2) micro–climate – the Sea reportedly buffers temperature and humidity changes in nearby elds, enabling farmers to harvest earlier and potentially reap a price advantage over more distant fields..» 44

Moins de productivité agricole, un micro-climat plus sec, couplé au fait que les apports en eau diminuent de part l’accord sur le transfert de l’eau vers San Diego, pourraient changer le paysage de la vallée Impériale d’ici quelques décennies ; ainsi que le fonctionnement économique de la région, puisqu’elle dépend principalement de l’industrie agricole, par un abandon de certaines parcelles agricoles. Telles sont les prédictions pour le futur de la Salton Sea. Mais cela ne s’arrête pas ici, car toute la biodiversité du site est également remise en question.

44. COHEN Michael J., Hazard’s Toll e Costs of Inaction at the Salton Sea, Oakland California, Paci c Insti- tute for Studies in Development, Environment, and Security, 2014, 61 p.

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B. Les impacts environnementaux et paysagers Les impacts environnementaux et paysagers s’ajoutent à la liste des risques encourus, et ne sont pas à négliger. En effet, la hausse de toxicité et de salinité de la mer sont néfastes pour la biodiversité du site, et notamment pour les oiseaux migrateurs qui habitent le site une majeure partie de l’année. Le trait de côte est marqué par des plages de poissons et d’oiseaux morts, générant des odeurs infectes, et de résidus toxiques qui témoignent de l’urgence d’intervention de l’Homme. Les disparitions de zones humides sont déjà en marche dans tout l’Ouest Américain depuis plusieurs années, et la perte de la Salton Sea ainsi que de ses zones humides serait dramatique pour tout un écosystème - et pour l’équilibre de la Pacific Flyway - s’agissant d’un réservoir important dans la route migratoire américaine de l’ouest. De plus, la qualité de l’eau du lac – déclinant depuis plusieurs années, est un problème majeur dans l’écologie du site, notamment par la forte présence de sel, de nutriments et de sélénium. Trop de nutriments, avec une surproduction de biomasse, entraîne un état d’eutrophisation qui est alors responsable de la mort de millions de poissons et de la propagation de maladies aviaires. Enfin, le sélénium engendre des malformations génétiques et la disparition de la faune présente sur le site, tout comme d’autres contaminants tels que le DDT par exemple. En 1998, 2 721 554 kilos de pesticides étaient répartis sur les champs de la vallée Impériale (de Vlaming et al. 1998), et la rivière Alamo déversait quantité de litres de pesticides dans le lac, à côté du National Wildlife Refuge (Haven or Hazard, p.18). En résulte donc la pollution de tout un écosystème, une détérioration de la faune et la flore, ainsi que le déséquilibre d’un paysage vulnérable. Des berges mises à nu, comme des grandes marées, mais dont l’eau de mer ne reviendrait jamais recouvrir les bancs de sable et croûtes de dépôts salés. Une mutation de l’écosystème prendrait la forme d’un appauvrissement de la biodiversité et de la disparition de certaines espèces.

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La Salton Sea est donc en mutation : son écologie a déjà évolué et va tendre progressivement vers un habitat d’eau ultra salée, comme les grands lacs de Salt Lake City en Utah, par exemple, dont Timothy Bradley explique dans son témoignage l’état général de la mutation de la biodiversité :

«À ce stade, le site est déjà écologiquement effondré. La mer avait le même taux de salinité que l’océan, avec beaucoup de poissons et d’oiseaux, mais elle devient à présent plus salée et va entrer dans une phase où les crevettes vont s’y développer comme le grand lac salé (Utah); qui est un site nourricier très important pour les oiseaux, pas pour les pélicans (qui se nourrissent de poissons), mais pour d’autres oiseaux, qui se nourrissent de petits invertébrés. Ainsi, la mer de Salton sera encore une fois un site nourricier, très important pour les 20 à 30 prochaines années, mais si nous ne faisons rien à ce sujet, sa salinité continuera d’augmenter et elle finira alors comme la Mer Morte. Ce n’est donc pas encore une perte écologique totale, mais une transition écologique est en train d’apparaître, et nous sommes à un stade intermédiaire entre la production de poissons et la production de crevettes. » « At this point it’s already collapsed ecologically. The sea used to be about the concentration of the ocean with lots of fish, and birds, it’s now getting saltier and it’s going to go through a phase in which brine shrimp will grow there like the great salt lake ; which is a very important bird feeding site, not for pelicans that feed on fish but other birds, that feed on small invertebrates. And so the Salton sea is for the next 20-30 years going to be once again a very important bird feeding site but if we don’t do anything about it it’s going to be saltier and saltier and turn like the dead sea. So it’s not a total ecological loss yet, but it has its transition from fish producing to shrimp producing right now, we’re at an intermediate stage. » 45 45. BRADLEY Timothy, interview mené à San Diego le 28.02.2018

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C. Ressentis des acteurs et opinions face au risque La question qui se pose donc, est celle réemployée par Traci Brynne Voyles : “Why Don’t Californians Care about Saving the Salton Sea?” (Pourquoi les Californiens ne se soucient-ils pas de sauver la mer de Salton?). L’auteur tente de répondre à la question en faisant état de cette négligence des habitants de Californie et de l’État suite aux mauvaises conditions environnementales du site. Éloignée de la côte, derrière la chaîne de montagnes, la Salton Sea est ignorée de par les populations littorales et par les pouvoirs publics, ainsi que la capitale californienne, Sacramento. Bien que depuis de nombreuses années les politiques « tentent » des projets de remédiation, les plans d’actions établis ne semblent pas convaincants ni efficaces, et restent très coûteux. Par conséquent ils n’ont jamais été mis en place. L’air respiré aujourd’hui, dans la vallée, provoquant des problèmes respiratoires entre autres, sera peut-être véhiculé et respiré dans une plus grande partie de l’État demain, et les prédictions futures sont alors très pessimistes concernant le devenir sanitaire de l’air ambiant californien. Actuellement, seuls les locaux de la vallée semblent paniquer face à la situation, sans pour autant couvrir l’unanimité de la population, puisque certains encore se soucient peu des conséquences de la dégradation environnementale de la vallée de Salton. Timothy Bradley me relatait le fait qu’il avait écrit des articles dans le Desert Sun, le journal local de Palm Springs et de la vallée de Coachella, afin que les habitants participent et signent une pétition en faveur d’un support local contre la réduction d’eau approvisionnant la Salton Sea. Le résultat fut très décevant. En effet, bien que la région contienne des centaines de milliers d’habitants, seulement 75 signatures ont été obtenues. Bien que le débat soit ouvert depuis plus de 20 ans, ce n’est seulement aujourd’hui que certaines personnes commencent à prendre conscience de l’ampleur des dégâts futurs, notamment concernant la santé de leurs enfants.

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«La renommée de la mer semble être davantage caractérisée par l’ambiguité de son rôle environnemental, que par l’urgence de ses conditions environnementales. » « The sea’s reputation seems to be shaped more by ambivalence about its environmental role than any sense of urgency for its environmental conditions. » 46

Lors de mes interview spontanées menées sur le terrain, et mes rencontres avec des usagers et acteurs du site, j’ai reçu différents avis et opinions suite aux questions demandant si les personnes étaient au courant des risques liés à la Salton Sea, si elles se sentaient concernées et si elles étaient inquiètes ou confiantes quand à son devenir. Cela m’a alors permis d’établir un portrait divers et contrasté des ressentis vis-à-vis du devenir de la Salton Sea. Au Sud de la Salton Sea, au Sonny Bono Wildlife Refuge, après avoir discuté avec les responsables bénévoles du refuge écologique et ornithologique leur réponse m’a surprise : « je ne suis pas inquiète, car je n’habite pas ici », illustrant alors le désintérêt pour les problèmes ayant lieu sur ce site. Ces bénévoles m’ont expliqué que leur intérêt à venir travailler au refuge était le climat de la région, dont ils venaient profiter quelques mois par an avant de retourner chez eux, dans un autre état au nord. A l’inverse, sur le site de Red Hill Marina, j’ai eu une réponse tout à fait différente pendant une discussion avec des membres de la AZCC (Arizona Conservation Corps). Ces personnes venues en mission depuis Phoenix en Arizona à la Salton Sea, pour expérimenter des méthodes phytosanitaires de « dust control » (control de poussières sur la playa), m’ont ainsi répondu : « Nous sommes bien évidemment préoccupés par la poussière, surtout de son impact sur l’agriculture, puisque le vent va en Arizona, la poussière sera alors un problème pour les cultures du sud-ouest. Ainsi, les problèmes d’agriculture et de santé dus à la poussière s’envoleront vers Phoenix, en Arizona. Le pire étant que les particules transportées par le vent sont très petites, et provoqueraient par conséquent de l’asthme et d’autres problèmes de santé. »

46. VOYLES Traci B., « Environmentalism in the Interstices California’s Salton Sea and the Borderlands of Nature and Culture », Resilience : A Journal of the Environmental Humanities, 3, 2015, pp. 211- 241.

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« Obviously yes, we are concerned about the dust especially over farming since dust will be a problem for southwest crops, since the windflow goes to Arizona. Thus those farming and health problems due to dust will go to Phoenix, Arizona. The worst thing is that the particles carried by the wind are very small and provoque asthma and other health problems. » 46

Puis j’ai demandé à ces bénévoles venus d’Arizona, à quoi pensaient-ils lorsque l’on évoquait ce site, ils me répondirent « Sadness. Salt. Nothing. It is depressing to see an area that used to be full of life and is devastated now. ». Une conscience environnementale faisait donc état de l’action dévouée de ces bénévoles, très inquiets quant au devenir de la vallée Impériale, bien que n’habitant pas la région proche. Un autre cas de figure est abordé lorsque Mary Resvaloso, présidente de la tribu Torres Martinez Cahuilla Indians m’annonce lors d’un entretien privé que : «Chaque année, une vaste marée de poissons morts apparaît entre septembre et octobre, et vous pouvez alors le sentir dans toute la vallée - l’odeur s’est même sentie jusqu’à Los Angeles il y a quelques années - et la seule fois où les médias ont parlé de la mer de Salton, était quand les habitants de Los Angeles ont senti son odeur. ». « Every year, there is a fish die off between september and october and then you can smell it in the entire valley –they even smelled it up to Los Angeles a few years ago –that’s the only time that the media talked about the Salton Sea, when the L.A. residents smell it. ».47

On observe ici que la conscience des populations envers le site est sujette à un problème sensoriel. Elle dépend de la vue et de l’odorat, et est couplée à la notion de distance. Tant qu’il n’y a pas de confrontation en face à face, dans un rayon restreint du site, ou que sa vue ou son odeur ne nous atteint pas, la connexion est brisée, et les populations ne se sentent plus concernées.

46. Interview mené à Red Hill Marina, Salton Sea avec des membres de la AZCC le 28.02.2018 47. RESVALOSO Mary, interview à la Salton Sea le 03.02.2018

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Cette notion de distance vis-à-vis du site a aussi été évoquée par Alberto Ramirez et Daniel Tirado Lopez : «Il y a une phase 2 au projet, qui est aujourd’hui sur la rive Est du delta de la rivière White Water. Il s’agit d’un projet différent de ceux du sud : dans celui-ci nous recherchons quelles plantes invasives de la playa et des lagunes pourraient nettoyer l’eau. Le principal problème est la justice environnementale contre la justice sociale, ainsi les gens ne se soucieront pas de la mer de Salton jusqu’à ce qu’ils la sentent. Nous nous battons pour avoir de l’eau et de la végétation, quand à quelques kilomètres au nord, à Palm Springs, l’eau coule à flot dans les rues, fontaines et golfs. La tribu est là depuis le début, et elle sera ici jusqu’à la fin, parce que nous connaissons l’environnement et que nous savons comment survivre avec moins. La seule chose dont les gens ont toujours besoin est l’eau, l’énergie et la nourriture. » « There is a phase 2 to the project, which is now on the East shore of the White Water River delta. It is different from the southern projects, here we are looking on the playa plants and lagoons that could clean the water, with a progressive propagation of plants. The main problem is the environmental justice against the social justice, people won’t care about the Salton Sea until they will smell it. We are fighting to have water and vegetation when a few kilometers north, in Palm Springs, they have water features in the streets, fountains and golfes. The tribe has been here since the beginning, and it will be here until the end, because we know the environment and how to survive with less. The only thing people always need are water, energy and food. »

Les acteurs locaux expriment globalement une injustice socio-spatiale, vivant au plus près et des effets de la catastrophe, et éprouvent le sentiment d’être laissés de côté. Les décisions politiques et économiques étant prises loin du site, la distance entre la Salton Sea et Sacramento – ou encore avec le littoral Pacifique, amène alors une perte de notion de la réalité, qui engendre une négligence et un désintérêt pour la vallée Impériale.

48. RAMIREZ Alberto, interview à la Salton Sea le 03.02.2018

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Effective depuis janvier 2018, la régulation du flot d’eau transférée, mise en place par le Quantitative Settlement Agreement (politique régionale de l’eau), met en péril la santé de centaines de milliers de californiens. C’est ainsi que Timothy Bradley s’est exprimé à la California State Water Control board, affirmant que la ressource en eau dans le bassin de Salton est devenue d’importance vitale pour les populations, face à l’exposition grandissante de la playa. Des décisions prises à distance, pour satisfaire les villes du littoral, du climat et du réchauffement global, découle un manque cruel de l’or bleu dans la vallée impériale. Et par le manque cette ressource, un nouveau paysage est en train de se former. Du déclin rapide du niveau de l’eau de la Salton Sea résulte l’exposition de plages et berges asséchées, la playa, source de poussière toxique, et de questionnements quant au futur de la région.

Scénario futur de la disparition de la Salton Sea, et du recul de l’agriculture de par la perte du micro-climat et de la baisse d’approvisionnements en eau.

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3. Un nouveau monde de sel et de poussière A. La playa, un nouveau paysage en formation Imaginons un lac bleu, immense, au milieu du désert. Face à nous, en guise de ligne d’horizon, s’élèvent des montagnes colorées. Les rives offrent des plages de sable et de coquillages datant d’il y a des milliers d’années, lorsque l’océan recouvrait la région. Le doux son des vagues s’échouant sur la plage est rythmé par les chants des oiseaux, qui utilisent cette étendue d’eau comme lieu de repos et de reproduction. Les berges offrent une diversité de zones humides, de petits buissons et arbres propres au climat désertique en bord d’une oasis. Ce lieu donne une impression de tranquillité et de vie paisible. Imaginons à présent le déclin rapide du niveau de l’eau du lac. Sa salinité augmente, sa toxicité avec, les poissons et les oiseaux qui le peuplaient meurent. Ils s’échouent sur ses plages, flottent à la surface de l’eau. La plage n’est plus une fine bande de sable et de coquillages, mais une vaste étendue marécageuse et sèche. On peut observer le recul de l’eau depuis la limite végétale qui bordait les berges initiales, depuis les pontons à bateau, simples objets de bois figés au milieu du sable. L’ambiance a totalement changé. De l’absence de l’eau, autrefois large étendue qui reflétait le ciel, résulte l’exposition de plages et berges asséchées. Un mélange de sel et de sable, localement dénommé « la playa ». A la manière des eaux temporaires ou « vernal pools » (espaces aquatiques temporaires tels que les lacs peu profonds, zones humides, étangs, et cours d’eau de durée limitée), l’habitat et le paysage de cet endroit sont éphémères. Timothy Bradley employa cette comparaison de « vernal pools » avec la Salton Sea, expliquant que « ces types de paysages uniques sont très intéressants et relèvent de l’inconnu, de la surprise ».

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Si la naissance de la Salton Sea est très récente, elle a déjà offert une diversité de paysages surprenants dans la vallée de Salton, entre ses berges et deltas, les variations de son niveau de l’eau, ainsi que ses aléas de crue suite aux intempéries en amont du Colorado ; évoluant au gré des actions de l’Homme et du climat. Tout comme la présence de l’eau et de la Salton Sea, la playa serait également un habitat unique dans le désert ; majoritairement composée de sable, de boue salée, et de boue sèche. La playa deviendra une très large étendue désolée et infertile, comme l’illustrent les images de modélisation 3D de prospective du site par des bureaux de recherche. Une boue très salée, un mélange de produits toxiques et une aridité ambiante, sous les vents du désert laissent cependant peu de choix en terme de diversité paysagère. Il s’agirait ainsi d’un paysage où la végétation serait alors quasi impossible, tout comme l’exploitation par l’Homme. Tel un retour à son état pré-lacustre, le fond du Salton Sink serait un retour à l’état désertique et asséché, mais présente cette fois-ci une menace de poussières toxiques, entre deux vallées agricoles.

B. Observations du recul du trait de côte Mary Resvaloso m’a témoigné son ressenti vis-à-vis de la berge exposée, la playa, qu’elle définit comme étant une « zone blanche », de plus en plus visible, et dont tous les résidents de la réserve Torres Martinez ont assisté à l’évolution ces dernières années. Elle exprime également le fait que : « C’est effrayant quand le niveau de la mer baisse, et que le vent souffle ces particules de poussière. Ce risque est un énorme problème pour tout le monde ici. Nous essayons de parler aux autorités, à propos de l’asthme, et des autres problèmes, mais ils ne veulent pas en entendre parler. Il n’est jamais trop tard, mais ils repoussent les limites, alors que tout le monde aurait pu faire quelque chose depuis bien longtemps. »

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« The exposed shoreline, the playa, is a white area noticeable and we all have seen its evolution. It is actually scary as the sea level gets lower, and when it’s windy it blows particules. This risk is a huge concern for everyone here. We try to bring it up to authorities, about asthma etc. but they don’t want to hear about it. It is never too late, but they are pushing the limits, and everyone could have done something since a long time. » 49

Ce recul du trait de côte s’observe depuis quelques décennies, à l’œil nu et en imagerie aérienne, et fait prendre conscience du danger en cours. De nombreuses études sont menées par des bureaux scientifiques de recherche, notamment par le Pacific Institute, mais aussi par le U.S. Geological Survey, sur l’évolution potentielle et problématique du site. Ces travaux d’évolution sont basés principalement sur la pression du réchauffement climatique et de l’assèchement progressif du lac suite à la baisse des apports hydrauliques par le water transfert vers San Diego. Ces bureaux de recherche proposent des vues en 3D et cartographiques suivant le rétrécissement du lac selon ses courbes topographiques. La playa serait peut-être un objet du paysage qui révèle les problèmes se trouvant autour de la Salton Sea. Formée par les pressions survenues au cours des dernières décennies, elle est le résultat de l’industrie agricole intense, de l’avidité de l’Homme et de l’espace urbain en terme de ressources, et présente un tableau des conséquences des actions et décisions anthropiques, néfastes sur son environnement. La Salton Sea en premier, à présent la playa, sont deux éléments qui reflètent alors des erreurs humaines traduites par un enchaînement de conséquences environnementales. Cet élément traduit l’effet boule de neige, l’addition de phénomènes dans un cercle vicieux de dégradation de la vallée, dont les conséquences prennent forme par un nouveau paysage à part entière.

49. RESVALOSO Mary, interview à la Salton Sea le 03.02.2018

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C. Incertitudes et interprétations du paysage changeant Si la Salton Sea est sujette aux inquiétudes et études concernant son devenir, c’est en effet à cause de l’évolution de ce « paysage-conséquence », dont les effets menacent de s’amplifier et d’avoir un effet non seulement local mais également régional à une échelle beaucoup plus large. Ce sont ces inquiétudes qui en font un paysage de l’incertitude, entre le réel et la prospective, amenant à des scenarios de paysages de désolation tirés de romans de science fiction. A la manière d’une diseuse de bonne aventure, lisant l’avenir dans les lignes de la paume de la main, le devoir du paysagiste n’est-il pas de lire entre les lignes composées par le paysage ? Dans la vallée impériale, la Salton Sea révèle ses pourtours par des lignes tracées sur la playa.

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Et si l’interprétation des lignes formées découvertes par le recul du trait de côte et le retrait de des eaux nous apprenait quelque chose sur les enjeux régionaux ? Dévoilant alors l’exposition grandissante de la playa, celle-ci serait le témoin des enjeux liés au site en lui-même. Un nouveau paysage grandissant, qui raconte l’Histoire d’un lac dont l’exploitation des ressources par l’Homme a mené à la création, puis à la dégradation et entraîne l’agonie de tout un écosystème. A la manière de la rose de Jéricho, le lac se rétracte, se replie sur lui-même face au manque d’eau. Cette réaction du territoire face au manque d’eau et à la présence de pollution, ainsi que cette mutation paysagère posent de nombreux questionnements ; et les autorités cherchent des solutions de résilience afin de limiter les effets de cette catastrophe et de rétablir un certain équilibre : des alternatives pour une transition plus douce vers le paysage de demain dans le désert de Sonoran.

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4. Penser le paysage de demain, entre suspens et désillusion Que faire, que penser, face à cette mutation du territoire ? Comment protéger et valoriser un paysage naissant entre terre et désert, et l’abandon d’une mer ? Des idées ont été élaborées afin de mieux comprendre le site, son histoire et l’écologie du lac. Ainsi, diverses propositions de projet sont à l’étude pour trouver une alternative de remédiation afin d’éviter la catastrophe écologique et sanitaire majeure. Quel horizon, quelle structure d’un paysage futur donner par le projet ? Et comment aborder tous les problèmes, environnementaux, sociaux, politiques et économiques de cet espace ? Chaque site, chaque projet, est une expérience particulière, qui se doit de répondre aux besoins du site. Lorsque deBuys imagine la Salton Sea comme un patient aux urgences, il décrit ses signes vitaux de manière grave. «La salinité est beaucoup trop élevée; l’accumulation de déchets menace une condition d’urémie mortelle; l’interaction du sel et des déchets avec les pesticides, le sélénium, les virus et autres agents reste largement inconnue, et ne peut pas être considérée comme bénigne. » « Salinity is much too high ; the accumulation of wastes threatens a condition of fatal uremia ; the interplay of salt and waste with pesticide metabolites, selenium, viruses, and other agents remains largely unknown and cannot be assumed benign. »

A. Prévenir et guérir le risque : alternatives et propositions de projets démesurés Plus de 55 alternatives, d’après deBuys, ont été ainsi analysées par les autorités californiennes, groupées en plusieurs catégories de scénarios futurs, qui peuvent être imaginés pour le devenir de la vallée et de son lac en péril.

50. DEBUYS William, MYERS Joan, Salt Dreams : Land and Water in LowDown California, Albuquerque, Uni- versity of New Mexico Press, 1999, 307 p., p243.

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Une première catégorie serait la purification de l’eau en la filtrant. Il s’agirait d’utiliser des usines de dessalement autour de la Salton Sea, afin d’en extraire du sel, des molécules toxiques et autres polluants ou matériaux nocifs. Cependant, utiliser des usines de désalinisation est si chère que, pour exemple la ville de San Diego a préféré acheter l’eau du water transfer, de l’empire agricole de la vallée impériale, et voler l’eau destinée à la Salton Sea, plutôt que de continuer de dessaler de l’eau du Pacifique via des usines de traitement. De plus, ces usines rejetteraient du sel et des particules de pollution, créant alors un problème supplémentaire à résoudre sur le site. Un deuxième cas de figure serait l’échange d’eau entre le lac et l’océan, en apportant une nouvelle source hydraulique saine. Dans ce cas de figure, l’eau serait probablement pompée de la mer de Cortez et acheminée via une canalisation par gravité vers le Salton Sink, point le plus bas de la région. Traiter le cas de la Salton Sea permettrait de créer un mouvement d’eau dans la Salton Sea, un apport d’eau salée « pure » et non contaminée, et de retrait d’eau hypersalée et polluée, pour rétablir un équilibre dans la composition chimique de l’eau – tout en maintenant son niveau. Selon Timothy Bradley, cela ne résoudrait aucun des problèmes environnementaux, puisque la Salton Sea tendrait vers le destin de la Mer Morte. Le cas de la Mer Morte fait référence au lac le plus salé au monde, entre Israël, la Jordanie et la Cisjordanie. Celui-ci s’assèche depuis les années 1960 et a déjà perdu un tiers de son volume. Des projets d’apport en eau depuis la mer Rouge ont été proposés et votés, afin de stabiliser ses niveaux. Il s’agit donc d’un cas similaire à cette option pour la Salton Sea. Si cela n’améliore pas l’équilibre environnemental, cela résoudrait cependant le problème de santé publique. Le bassin serait rempli, et la mer couvrirait la playa. Cela empêcherait alors l’assèchement du lac, ainsi que son intoxication croissante. Toutefois, les rejets d’eau polluée durant cet échange poseraient problème, notamment concernant la faune et la flore du delta de la mer de Cortez, si ceux-ci étaient amenés à être rejetés là-bas.

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Une opération de ce genre verrait d’immenses travaux de canalisation entre la Salton Sea et le Golfe de Californie, avec deux principaux chenaux : un avec un flux de l’océan vers le lac, et l’autre dans l’autre sens, pour déverser une eau impure et polluée de la Salton Sea dans la mer de Cortez. Les accords entre Etats-Unis et Mexique seraient également sources de négociations et problèmes à l’encontre du projet. Une troisième proposition serait de réduire la surface de la Salton Sea, d’en accepter une nouvelle forme plus réduite. Si le lac était plus petit, les flots des trois affluents permettraient de réduire le taux de salinité de la Salton Sea. Cependant, cela impliquerait une large partie asséchée du lac. Le projet SSWIFT Plan (Salton Sea Water Incremental Funding in Time), élaboré en 2015 par la Salton Sea authority propose un “lac de périmètre”, qui embrasserait la forme du trait de côte et assècherait la partie interne du lac afin de réduire les émissions de poussière. Nommé parfois le « Horseshoe project » (« projet en forme de fer à cheval »), il conviendrait surtout aux populations habitant sur le littoral de la Salton Sea, pour continuer de profiter de la vue sur le lac. Ce projet aurait donc un but surtout esthétique, pour plaire à une infime partie de la population, sans pour autant résoudre les autres nombreux problèmes soulevés dans la vallée. La plupart des propositions de projet présentent ce type de bassin d’évaporation entouré de digues. Pour exemple l’une des propositions les plus appréciées et retenues était la construction d’un bassin évaporé au milieu de la Salton Sea, entouré d’un anneau d’eau, séparé par une digue. Tel un beignet géant, le projet propose surtout de garder une vue sur berge et lac, et de sacrifier le milieu de celui-ci, comme une playa au milieu de la Salton Sea. L’idée de construire une digue sur une zone sismique de la faille de San Andreas qui traverse le Salton Sink est cependant très éloignée de la réalité du site, et donc peu réalisable. De plus, cette partie délaissée poserait problème : le bassin d‘évaporation, séparé du bassin en eau par une digue, serait en fait une large playa assumée, au profit d’une version miniaturisée et assainie de la Salton Sea.

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Un projet estimé entre 100 et 200 millions de dollars, très cher mais cependant toujours moins cher que le projet de canalisations vers la mer de Cortez. Cette solution ne permettrait que de gagner un peu de temps face à l’assèchement complet de la Salton Sea et de sa pollution, puisque le bassin en eau deviendrait à terme aussi salé que la Salton Sea actuelle, mais surtout le bassin « à sec » serait alors une immense playa, dont tous les risques cités précédemment prendraient effet et menaceraient la région entière. En 2015, le U.S.Fish and Wildlife Service propose également un plan de restauration dans le Sud Est de la Salton Sea, le Red Hill Marina Project, dans le but de créer environ 1,6 kilomètre carré de zone humide et habitat peu profond pour promouvoir la biodiversité et réduire les émissions de poussière.

B. L’approche de la tribu Torres Martinez : protéger et valoriser le paysage Les projets imaginés en déconnection du site en lui-même offrent une liste de prix exorbitante, et découragent les politiques à s’engager dans l’une des opérations, très coûteuses et peu fiables. Cependant à l’heure actuelle, même si l’État envisageait de régler le problème, les ressources pour la mise en place sont insuffisantes. En dehors de l’outil économique, l’instauration d’un projet requiert d’autres disciplines. Connaître le territoire, le vivre et le voir évoluer de jour en jour est un outil et moteur précieux pour l’imagination et la mise en place de projets. Mary Resvaloso expliquait lors de notre entretien : «Notre projet de zone humide est le meilleur projet pour l’instant : entièrement naturel, facilement réalisable. Le fait est qu’il s’agit d’une petite zone qui appartient aux Indiens, par rapport au reste de la mer de Salton. D’autres personnes pourraient se charger de nettoyer l’eau par des projets ayant un but lucratif, comme la navigation de plaisance par exemple, et non pas pour l’environnement, ni pour les terres sèches. La vallée n’est pas économiquement viable, et c’est pour cela que la mer de Salton devrait être un espace strictement environnemental et non industriel ou support de loisirs. »

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« Our wetland project is the best project for now : all natural, in a feasible way to do it. Thing is, this is a small area that belongs to Indians, compared to the rest of the Salton Sea. Other people could clean the water only in the interest of money, for boating for instance. Not for the environment, the dried lands. There are other ways to keep the valley economically viable, the Salton Sea should be strictly environmental and not about industrial or leisure lobbies. »51

A cela, Alberto Ramirez complétait le débat en expliquant que les projets mis en place par la tribu sont d’aider la nature, en initiant le mouvement. Selon eux, la nature saura toujours trouver un équilibre, et l’Homme ne sert seulement qu’à donner une impulsion, vers laquelle l’environnement suivra. L’un de leurs projets est de tenter de réduire la vitesse du vent au sol, pour éviter les tempêtes de poussière et limiter alors les impacts sur la santé. De même, les membres de la tribu vivent avec le souvenir des aléas naturels du site, et doivent toujours se tenir prêts face à la sécheresse, mais aussi aux inondations, car ce phénomène fait parti de l’Histoire et du rythme de la vallée – avec ou sans Salton Sea. L’un de leurs objectifs néanmoins est de maintenir trois types de poissons pouvant nourrir les oiseaux de la voie migratoire du Pacifique. La nature suivant son cycle, le site et son environnement continueront d’évoluer. Aujourd’hui, le problème est l’embourbement du delta de Whitewater river, au nord, près de la réserve de la tribu. Le delta devient boueux, et est éloigné du lac en raison de la baisse du niveau de l’eau. L’eau de la rivière ne rejoint donc déjà plus directement la mer de Salton, mais alimente une playa boueuse et de fait ne crée plus de mouvement de circulation de l’eau au niveau du delta nord du lac.

51. RESVALOSO Mary, interview à la Salton Sea le 03.02.2018

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Les projets de la tribu Torres Martinez se basent donc sur l’observation de la nature jour après jour, et sur l’évolution du site en prenant en compte son histoire, et son vécu. Timothy Bradley reconnaît ainsi le fait que les indiens sont finalement les seuls à avoir réalisé un projet, et que bien que la construction et la gestion de leurs zones humides aient été réalisées avec peu de moyens – car non subventionnés par l’État américain, ceux-ci fonctionnent très bien depuis 20 ans ; contrairement au projet de Red Hill Marina, au Sud Est, qui est mis en place depuis 5 ans et dont rien n’a changé. L’une des solutions expérimentées à Red Hill Bay est de tenter de garder la poussière au sol, en creusant et remplissant des fossés avec de l’eau. L’idée est donc de créer des zones humides peu profondes pour redynamiser et promouvoir la biodiversité, notamment aviaire. Des massifs végétalisés sont plantés à différentes profondeurs mais l’équipe de l’AZCC – rencontrée sur site, a fait face au problème de l’évaporation très rapide de l’eau (fournie par l’IID, Imperial Irrigation District pour aider l’expérience), qui assèche les lits et fait échouer l’expérience. Utiliser une zone humide pour contrôler les émissions de poussière et maintenir un écosystème est une bonne démarche, puisque la présence de microrelief au sol et de végétation atténuerait la prise de vent au sol en partie –bien que le reste du désert de Sonoran ait des buissons et arbustes, et subisse toujours des tempêtes de sable. Bradley soulève cependant le point que la playa produirait plus de poussière que le désert en lui-même, et étant infertile de par la salinité de son sol, aucune plante ne pousserait dessus. Construire des zones humides est un défi presque irréalisable au vu de la quantité d’eau insuffisante venant des rivières Alamo et New, de par leur débit affaibli face à la pression économique et climatique, qui induit un taux d’évaporation très fort. Le débit des deux rivières ne suffisant pas à couvrir la playa, les autorités cherchent à présent d’autres sources d’eau comme les eaux usées des grandes villes, ou le pompage de l’eau de San Bernadino ou Riverside dans les montagnes.

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Et l’idée de capter l’eau de l’océan, à environ 60 miles au sud, au Mexique, revient encore, avec le potentiel réel de remplir la Salton Sea. D’après les affirmations de Timothy Bradley, le problème reste l’accord passé avec San Diego et sur le fait que cette eau déviée vers le littoral devrait servir la Salton Sea plutôt que les villes littorales. Les conséquences des décisions et des actions prises à distance au sujet du site croissent et deviennent de plus en plus dangereuses au fur et à mesure du temps.

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«La mer de Salton commence avec un grand désavantage, étant déjà très avancée dans le processus d’effondrement. (...) Les éléments désirés de la mer de Salton seront sauvés - une espèce par-ci, un rivage par-là. D’autres éléments seront perdus, et la tentative de réparer, de faire fonctionner les choses, en appliquant pansements sur pansements, se poursuivra alors à l’infini. » « The Salton Sea starts at a great disadvantage, being already far advanced in the process of collapse. (…) Elements of the desiderata of the Salton Sea will be saved –a species here, a shoreline there. Other elements will be lost, and the muddling through of trying to make things work, of placing Band-Aids upon Band-Aids, will continue ad infinitum. »52

52. DEBUYS William, MYERS Joan, Salt Dreams : Land and Water in LowDown California, Albuquerque, Uni- versity of New Mexico Press, 1999, 307 p., p255.

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8 exemples d’alternatives de restauration proposées

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Le projet de rÊhabilitation de Red Hill Marina : - Plan de projet - Photos prises sur site 5 ans après, sans aucun changement.

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C. Une situation similaire : l’assèchement du Lac Owens et les solutions mises en place Un cas très similaire à celui de la Salton Sea est le lac Owens, en Californie. Également victime de la guerre de l’eau face aux métropoles littorales, une grande partie de la rivière Owens a été déroutée dans l’aqueduc de Los Angeles en 1913, amenant un assèchement de celui-ci en 1926. Aujourd’hui, il s’agit d’un grand lac salé asséché, dont la surface est faite d’un mélange d’argile et de sable, ainsi que d’une variété de sels et minéraux divers. Le lac Owens est considéré comme étant la plus grande source de pollution par les particules aux Etats-Unis, dont la taille représente seulement un tiers de celle de la Salton Sea. Et comme la mer de Salton s’assèche, celle-ci deviendra alors la plus grande source de poussière toxique aux États-Unis. Il s’agit donc d’un désastre environnemental, dont les projets mis en place ont été centrés sur le contrôle de la poussière. La « playa » du lac Owens, autrement dit presque la totalité de la surface du lac, a été recouverte de graviers et roches, et des tentatives de plantation de zones humides ont été expérimentées et utilisées comme mesures de contrôle de d’émissions de poussière. La végétation utilisée dans ces projets est principalement composée d’une graminée indigène, très tolérante aux niveaux de sel dans les sédiments lacustres. Des produits ont également été pulvérisés afin de créer une croûte de poussière dont les particules ne s’envoleraient pas. De plus, dans le cadre d’un règlement d’atténuation de la qualité de l’air, les autorités inondent de temps une partie du lac asséché pour tenter de minimiser les tempêtes de poussière alcalines, et réduire les effets sur la santé. L’État a dépensé au total plus de 2 milliards de dollars dans le projet du lac Owens pour réduire la poussière, pour un projet qui n’est pas totalement efficace.

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D. Un avenir incertain, entre impasses et inactions Que faire, lorsque les moyens et ressources sont faibles, face à l’ampleur d’un site catastrophé et dévasté ? C’est là que se pose la question, que signifie « sauver » la Salton Sea ? Est-ce réduire son taux de salinité ? Est-ce préserver son niveau d’eau actuel ? Est-ce dépolluer son eau des particules chimiques pour limiter les dégâts de l’assèchement ? Est-ce protéger sa faune et sa flore ? Ou seulement protéger les populations de Californie du Sud et réduire le risque sanitaire ? Chaque projet étant plus coûteux les uns que les autres, le projet « sauver la Salton Sea » ne serait alors certainement pas pour protéger la faune et la flore, ni le paysage et l’environnement, mais tout d’abord pour en faire un espace de croissance économique dans la région, et attirer de nouveau un développement balnéaire de marinas et hôtels sur son rivage. Cependant l’eau qui autrefois servait à maintenir le niveau de la Salton Sea est désormais déviée pour alimenter la soif de San Diego, mettant ainsi en péril la Salton Sea. «Le sauvetage de la mer de Salton, si celle-ci est tentée, concrétisera une certaine vision de selon laquelle le bassin devrait être. (...) La vision qui inspire la restauration de la mer de Salton servira un axe double : l’un mettra l’accent sur les besoins de l’environnement, l’autre sur la croissance économique. » « The rescue of the Salton Sea, if it is attempted, will serve a vision of how the basin should be. (…) The vision that guides restoration of the Salton Sea will be binocular. One lens will focus on the need of the environment, the other on economic growth. » 53

Et si l’on ne faisait rien ? Et si l’inaction était un projet à part entière ? Après tout, le Lac Cahuilla avant la Salton Sea est apparu et devenu hyper salé, puis s’est évanoui plusieurs fois, sans pour autant générer de catastrophe dans la région. Ses poissons ont sûrement disparu peu à peu face à l’augmentation de la salinité, pour laisser place à un nouvel

53. DEBUYS William, MYERS Joan, Salt Dreams : Land and Water in LowDown California, Albuquerque, Uni- versity of New Mexico Press, 1999, 307 p., p256.

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écosystème basé sur l‘artémia, crevette saline (Artemia salina) que l’on trouve aujourd’hui à Mono Lake en Californie, ou dans les Grands Lacs Salés d’Utah aux Etats-Unis. Ses oiseaux ont dû migrer vers d’autres points d’eau et trouver une solution face à la disparition de leur environnement, ou s’adapter au nouvel environnement. Quant aux populations, les tribus amérindiennes savaient vivre avec les aléas du lac – à savoir les temps de prospérité, ainsi que d’assèchement de la vallée. Le problème aujourd’hui est que le lac Cahuilla en question n’a jamais eu dans sa formule chimique d’éléments toxiques ni de pesticides. De même, l’Ouest Américain avait encore à l’époque d’autres lacs et zones humides, tandis qu’aujourd’hui ces écosystèmes sont en train de disparaître. Les oiseaux et les autres espèces animales souffrent beaucoup du manque d’eau dans la région, sous la pression urbaine du littoral. La Californie du sud est à présent une région fortement urbanisée sur le littoral, et les populations humaines concernées par le risque sont plus éloignées, et beaucoup plus nombreuses. On compte environ 18 millions de personnes vivant dans les environs, avec plus de 12 millions d’habitants dans la région de Los Angeles, plus de 4 millions d’habitants dans la région de Riverside-San Bernardino et plus de 3 millions d’habitants dans la région de San Diego. L’aspect incertain de tous ces scénarios dans un contexte géographique complexe, confronté à l’émergence et l’expansion d’une mégalopole dans l’un des États les plus sec, est plus que préoccupant. Et c’est pourquoi après des années de négociation et de discussion, aucun projet n’a encore été entrepris. Au milieu de tous ces débats, interrogations et angoisses des populations et politiques, la Salton Sea agonise, et donne naissance à une playa grandissante de jour en jour. Elle est la traduction de toutes les actions néfastes et inactions concernant la vallée Impériale et son lac endoréique. La catastrophe s’insinue, lentement mais sûrement. Elle progresse et s’installe, et les espoirs s’affaiblissent alors de jour en jour, face à ce paysage nouveau qui questionne.

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Conclusion Depuis la rencontre virtuelle avec le site, son arpentage par divers supports visuels, ouvrages et par la découverte physique de son territoire ; à travers l’analyse de son histoire, et de l’importance du rôle de l’eau dans sa création: nous avons pu établir un état des lieux de cet espace, et de son contexte dans une approche multiscalaire, spatiale et temporelle. Le suivi de l’eau, du Colorado à travers la vallée Impériale, et jusqu’à la Salton Sea, nous a témoigné de son importance dans sa manière de dessiner le paysage d’aujourd’hui. L’influence des différents acteurs et des politiques, en rupture avec le site, ont joué un rôle majeur dans l’évolution de cet espace, mais aussi dans la perception et l’imaginaire développés autour de celui-ci. Enfin, nous avons pu observer que le trait de côte est un élément paysager en mutation, un espace de transition extrême, entre désert, agriculture intensive et lac salé, à la croisée des rencontres d’ambiances écologique et humaine. Habité par la pollution et une l’écologie fragile, il nous sert de rappel constant des accidents ravageurs ou fortuits s’étant produits sur le site. L’identité du site est donc intrinsèquement liée à l’eau et ses aléas : la région entière, le désert, mais aussi la vallée, sont marqués par les cycles d’absence et de présence de l’eau depuis des milliers d’années. Comment le trait de côte de la Salton Sea peut-il donc être narrateur de l’évolution du site, et quelle lecture avons-nous pu accorder à ce nouveau paysage dont l’esthétique ainsi que les conséquences questionnent ? Il s’agit d’un lieu sensible, qui imprime les marques des éléments qui lui sont imposés. Il est le témoin des aléas de l’eau, de la mer de Cortez au fleuve Colorado, ainsi que des conflits de ressources autour de cet or bleu. Il a témoigné de l’arrivée presque immédiate d’une riche biodiversité dès le lendemain de la création de la mer, de l’établissement de nouvelles communautés, mais aussi des catastrophes écologiques décimant des populations de poissons et d’oiseaux. Aujourd’hui, il témoigne de l’assèchement du lac, du passage du rapport entre eau et sable vers un paysage pollué, de sel et de poussière.

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Cette fine ligne de sel et de sable, infime face à l’étendue du territoire, rassemble tous les enjeux que la vallée affronte, et s’agrandit à mesure que les causes continuent de l’accabler, après avoir envoyé divers signaux auparavant. Les activités et décisions politiques ont continué d’exploiter la région sans prise en compte du milieu, et ont contribué à empirer la situation. Il représente alors une ligne de discontinuité des usages dans l’immensité du désert. A présent, le trait de côte recule : tel est son ultime mouvement. Nous faisons face à un système de cause à effet : l’effet se concrétise par la disparition progressive de la Salton Sea ; les causes sont diverses, tant climatiques, que politiques et humaines. L’effet, ou plutôt la conséquence, nous amène à nous questionner sur ce type de paysage, et comment l’Homme agit en « déconnection » et ignorance avec son milieu. Le trait de côte pose la question du rapport d’un corps d’eau à la terre. Il s’agit d’une ligne d’interface qui propose une limite entre deux éléments très distincts, qui agit comme intermédiaire de transition d’un environnement à un autre. Le trait de côte est donc un rappel permanent du bord de l’eau, et imprègne le territoire de sa présence. Comme le trait de côte du Lac Cahuilla avant celui de la Salton Sea, celui-ci a laissé la marque de sa présence par une ligne distincte sur le flanc des montagnes Ouest. Il est un rappel permanent de la présence antérieure du lac et constitue l’identité de la région : il donne une forme caractéristique au cœur de la vallée, reconnaissable par vue aérienne ou cartographique. Il représente alors en quelque sorte son identité. Narrateur et témoin de ces aléas, il est voué à disparaître, et son recul – voire sa disparition – annoncent un nouveau chapitre pour l’Histoire de la vallée. Une nouvelle forme se dessine, un nouveau paysage naît : tous deux impliquent de nouvelles problématiques auxquelles les populations doivent à présent répondre. Une page se tourne, et le futur du site devient incertain. Le trait de la Salton Sea recule, dû aux différents facteurs politiques, économiques, et climatologiques qui font pression sur la région. Il crée un nouveau paysage, incertain, « la playa », dont la composition inquiète et menace l’équilibre du site.

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La lecture que j’en tire est qu’il s’agit d’un élément visuel, dont l’esthétique questionne : il nous confronte à un nouvel environnement, et soulève des problèmes d’ordres écologiques, sanitaires, pratiques et sociaux (ainsi que des questions de gouvernance et d’économie du territoire), auxquelles les populations ne sont pas préparées. S’y concrétise la somme des actions anthropiques et naturelles, amenant alors à l’évolution incertaine d’un paysage vulnérable. C’est ainsi que le paysage nous parle, nous donne des indications sur son passé et sur la relation que nous pouvons entretenir avec lui. Dans un dialogue, les interlocuteurs se considèrent et s’écoutent. Dans cette situation, l’Homme a coupé la discussion, lui tournant le dos. Le paysage a alors adopté un discours agressif, et sa menace a provoqué un faible réveil des consciences face au devenir et à l’État de la Salton Sea. Aujourd’hui les propositions de projets restent peu développées et abouties –par manque de temps, d’intérêt et de financements. Face aux divers enjeux humains et géographiques, il est essentiel d’établir un « dialogue » et d’être à l’écoute du territoire, en observant ses changements, afin d’organiser les sociétés et activités en adéquation avec celui-ci. La naissance d’un nouveau paysage dans la vallée Impériale amène de nouvelles visions de la région, du désert, du lac ainsi que de nos pratiques. Ce site questionne le domaine de l’incertitude, ce qui le rend difficile à anticiper, il demande à définir de nouvelles manières de vivre, d’observer et d’habiter ce territoire, en engageant le dialogue avec celui-ci. Les populations locales et plus éloignées doivent être à l’écoute de leur milieu, et respecter une relation saine entre les paysages et nos sociétés : changer les pratiques, s’adapter à un nouveau paysage, comprendre son environnement.

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Le fond du bassin était poussière, a été mer, et deviendra une vaste étendue brune, sèche, où les vents du désert de Sonoran et le Sel reprendront la place qu’ils ont occupé dans le passé. Comme de nombreux autres lacs au destin funeste, tels que Owens Lake en Californie, mais aussi la Mer d’Aral en Asie Centrale, ou la Mer Morte (entre Israël, la Cisjordanie et la Jordanie), ce que nous raconte le trait de côte est peut-être cette histoire de cycles, de la respiration de la vallée entre assèchement et présence de lac, et de l’acceptation de vivre au gré de ces aléas, tout comme les Indiens Cahuilla en leur temps.

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Remerciements

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Je tiens à remercier l’École Nationale Supérieure de Paysage de Versailles ainsi que l’équipe enseignante des DEP, qui nous a amené à travers ces trois années à développer une ouverture d’esprit et une réflexion personnelle face aux enjeux et à la diversité de la question du paysage. Je remercie particulièrement Yves Petit-Berghem, mon tuteur, pour son accompagnement et ses remarques, qui m’ont aidé à affiner mon questionnement tout au long de ce travail. Je remercie également Patrick Moquay, pour ses conseils lors des diverses présentations de suivi. J’aimerais aussi remercier chaleureusement les personnes qui ont participé à enrichir ce mémoire de par leurs témoignages, et qui ont pris le temps de me rencontrer pour échanger des idées et réflexions autour de mon sujet de mémoire. Merci à Timothy Bradley, dont les connaissances, expériences et dévouement m’ont inspiré et guidé à travers l’écriture. Merci à la tribu Torres Martinez de m’avoir accueilli dans leurs bureaux, et tout particulièrement à Mary Resvaloso, Alberto Ramirez et Daniel Tiraldo Lopez pour leur gentillesse et bienveillance. Ces diverses rencontres ont été de précieux éléments très enrichissants pour ce sujet de recherche. Je remercie également Christine, Anaïs, Philippine et Océane pour les relectures orthographiques et les non-sens de mes textes à mi-chemin entre le français et l’anglais. Merci à Laura pour son aide dans mes traductions. Merci à Dan pour son accueil et son temps durant mes divers déplacements en Californie. Enfin, je remercie Christine et Alain pour leur soutien et optimisme quotidiens. J’ai énormément appris durant ce semestre, tant en connaissances qu’expériences diverses de terrain ; et j’ai pris beaucoup de plaisir dans cet exercice de recherche et d’écriture, que j’ai trouvé passionnant.

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