Entretiens avec des organisations du commerce equitable

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Entretiens avec des organisations du commerce ĂŠquitable


Table des matières DÉTAILLANT

GRANDE DISTRIBUTION

CERTIFICATION

TRANSFORMATEUR

ACHATS DIRECTS AUX PRODUCTEURS DU SUD

LOBBYING ET ­SENSIBILISATION

Freja Food: des biscuits respectueux des petits producteurs tant du Nord que du Sud

03

GingerLove: une alternative équitable au café ou au thé

09

Fairtrade Belgium

14

Belgian Fair Trade Federation: l’union fait la force

20

Ethiquable: offrir des débouchés aux producteurs du Sud

25

Latino: l’artisanat latino-américain dans l’air du temps

30

Belvas: la passion du chocolat et de l’exportation

34

Optimart: le café du commerce équitable

39

La Pachamama: l’équitable pour petits et grands (mais surtout les petits)

43

Café Chorti: le café équitable du Guatemala en ligne directe

48

Couleurs sud: éthique et convivialité

53

Fairytale: petits cadeaux équitables pour toutes les occasions

57

Ana Edelsmid: bijoux en or équitable

62

Biodia: des pâtes italiennes équitables au lait belge équitable

67

Mon rêve : un réseau de wereldcafés dans toute la Flandre

71

Meer dan Mooi: fashionable fair

76

Fair in Trade: des lessives et produits d’entretien à base d’huile de palmiste équitable

81

Femimain: la boucle est bouclée

86

Oxfam-Wereldwinkels et Oxfam Fair Trade: agir en faveur du changement structurel

91

Oxfam Fair Trade Crafts

96

Oxfam-Magasins du monde: un mouvement citoyen

103

Clarysse: 4 millions de serviettes de bain équitables

109

ACP: des vêtements de travail et promotionnels équitables

114

Le café équitable Puro à la rescousse de la forêt vierge

120

Klingele: un délice de chocolat

125

Candico investit dans les relations avec les paysans du Sud

130

Ozfair: la caverne d’Ali Baba de l’équitable

135

Café citoyen Altérez-vous

139

Biodyvino: un " bon " verre de vin sans goût d’amertume

145

BeFre: l’union fait la force

150

Fair Trade Connection: parce que les producteurs ont des histoires à raconter

154

Maya Fair Trade: la coopérative monte en puissance, tout en douceur

159


FREJA FOOD

Entretien avec

Roland Dejaegere


Portée sur les fonts baptismaux en l’an 2000, l’entreprise ­louvaniste Freja Food confectionne aujourd’hui plus de 20 types de produits de biscuiterie, écoulés dans quelque 300 magasins ­d’alimentation bio belges. Avec ses biscuits, gaufres et cakes artisanaux, Freja Food jette des ponts entre les petits producteurs du Nord et ceux du Sud.

Après ses études en sciences économiques appliquées, Roland Dejaeghere a travaillé pendant douze ans dans le secteur des ingrédients de boulangerie, le plus souvent à l’étranger, notamment en Europe du Sud. " Après la crise de la dioxine en 1999, j’ai commencé à me poser des questions sur notre alimentation et la durabilité de notre système alimentaire ", se remémore Roland. Au terme de plusieurs entrevues cruciales avec des pionniers du secteur bio belge, il a décidé, avec Marc Boerboom, de commercialiser un produit bio. « Nous avions tous les deux de l’expérience dans le secteur de la boulangerie-pâtisserie. Marc en tant que fils de boulanger, et moi, dans la vente d’ingrédients de boulangerie. Ainsi avons-nous décidé de nous lancer ensemble dans la fabrication de biscuits. » La

Freja Food : des biscuits respectueux des petits producteurs tant du Nord que du Sud

déesse norvégienne de la fertilité, Freja, a inspiré le nom de la nouvelle entreprise. " Nous avons, pour commencer, offert un assortiment réduit de biscuits, gaufres et cakes. » D’emblée, Freja Food a opté pour des ingrédients bio et une méthode de production artisanale. " Au début, tous nos produits étaient faits à base de froment, mais au fil des ans, nous avons commencé à expérimenter d’autres céréales telles que l’épeautre, le quinoa, l’avoine et le chanvre. En rencontrant les bonnes personnes, nous avons pu innover. "

Interview réalisée par Lisa Develtere pour le Trade for Development Centre, novembre 2014. 04


Pas de coût ­additionnel pour le consommateur Il y a dix ans, avec l’aide de l’ONG Vredeseilanden, Freja Food a décidé de recourir, dans la mesure du possible, à des ingrédients équitables. Aujourd’hui, pratiquement tous les produits de

Freja Food a pris le parti de ne pas aug-

Pour Roland, opter pour des ingrédients

Freja Food commercialisés sous les

menter le prix de vente de ses produits

équitables est un choix éthique et phi-

marques Be Bene et MONDOh portent

équitables. " La différence de prix des

losophique. " S’investir dans la durabi-

le label Fairtrade. " Le goût est primor-

ingrédients n’est pas très grande, nous

lité signifie pour moi mettre en place

dial pour nous, aussi nous a-t-il fallu

n’avons donc pas voulu la répercuter sur

des activités économiques rentables,

quelque temps pour trouver les ingré-

le consommateur. L’équitable ne doit

dans le respect de l’environnement et

dients adéquats. Aujourd’hui, notre

pas être un élément stratégique brandi

des producteurs dans les pays en dé-

sucre provient du Paraguay et d’Inde,

comme une excuse pour demander un

veloppement. "

et notre cacao du Ghana et du Pérou. "

prix plus élevé aux clients. "

05

“L’équitable ne doit pas être un élément stratégique brandi comme une excuse pour demander un prix plus élevé aux clients.”


Simply tasty Simply tasty est le slogan de Freja Food.

Bon nombre de fabricants utilisent des

" Nous référons ainsi à nos recettes

moules pour façonner leurs biscuits.

traditionnelles, simples et savoureuses.

Freja Food, pour sa part, déverse la pâte

En lisant l’étiquette, le consommateur

sur une plaque de four. " Cela donne une

doit pouvoir comprendre comment sont

tout autre texture ", explique Roland.

confectionnés nos biscuits. Nous uti-

"Les biscuits fondent dans la bouche.

lisons au maximum huit ingrédients."

C’est aussi pour cela que leur forme

Les produits sont pratiquement tous

est légèrement différente. De plus, le

confectionnés de façon artisanale et

saupoudrage d’amandes ou de pépites

manuelle. " Nous pourrions certes pro-

de chocolat étant réalisé à la main, les

céder autrement, mais pour nous, c’est

quantités ne sont donc pas tout à fait

hors de question. "

identiques. Cela ne me dérange pas, et mes clients non plus. Je pense même

" Pour obtenir la texture et le goût de

que cela ajoute une touche de charme. "

biscuits faits maison, il faut travailler avec de petites quantités de pâte. Notre prix de revient est dès lors supérieur. Jusqu’à 15 kilos de pâte environ, il n’est pas nécessaire d’utiliser des émulsifiants pour obtenir un produit léger et appétissant. Même si cet ingrédient est accepté dans le secteur bio, nous avons résolument choisi de ne pas l’utiliser. "

06


Un pont entre­le Nord et le Sud En 2007, Freja Food a cofondé la nou-

Si MONDOh témoigne déjà de l’engage-

velle marque MONDOh, qui, la même

ment remarquable dont fait preuve

année, a reçu un Be Fair Award, ré-

­Freja Food, Roland estime qu’ils peuvent

compensant la meilleure marque de

toujours faire mieux. " C’est pourquoi

commerce équitable, par le Trade for

nous cherchons constamment à être

Development Centre. MONDOh jette un

plus durables encore. L’emballage de

pont entre le commerce équitable dans

nos ­biscuits est désormais réalisé en

le Sud et l’agriculture à petite échelle

­polyéthylène recyclable au lieu de PVC.

dans le Nord.

Mais il existe aussi des emballages à base d’amidon de maïs biologique-

" À travers la charte MONDOh, nous nous

ment dégradables, et nous envisageons

engageons à importer des produits équi-

maintenant de passer à ce type de con-

tables et à acheter des ingrédients lo-

ditionnement. " D’autre part, Freja Food

caux dans un rayon de 150 kilomètres

appuie depuis plus de cinq ans l’ONG

autour de notre entreprise. Notre farine

Cunina, qui s’investit dans la promotion

d’épeautre provient par exemple du nord

de­­l’enseignement en faveur des enfants

du Luxembourg, notre beurre de Recogne

défavorisés dans le Sud.

et nos œufs de Tessenderlo. Le chanvre utilisé dans nos biscuits est également d’origine belge. "

07


Innovation En 2009, l’assortiment Be Bene a reçu

Personnellement, Roland a une pré-

le prix Bio pour son caractère inno-

férence pour ses biscuits au chanvre.

vant et ses ingrédients équitables.

"Ils sont délicieusement croustillants !

Décerné par BioForum à l’occasion de

J’aime aussi particulièrement les bis-

la Semaine bio, ce prix récompense les

cuits à l’avoine, dans lesquels seule cette

entreprises fournissant des efforts par-

céréale est utilisée. La plupart des autres

ticuliers pour promouvoir le label bio

biscuits à l’avoine n’en contiennent que

ou innover dans le secteur. Freja Food

très peu."

expérimente aussi régulièrement de nouvelles recettes, par exemple à base

"Les mentalités évoluent fortement.

de quinoa, de chanvre ou de manioc.

Quand j’ai commencé il y a quinze ans,

" Chaque jour, nous voyons ou nous

les gens trouvaient le concept étrange,

entendons parler de gens qui innovent

se rappelle Roland." Mais aujourd’hui, il

d’une manière ou d’une autre, et cela

me semble que tout le monde connaît

nous motive à faire de même."

et sait ce que représentent le bio et le commerce équitable. Et si tous ne pas-

Cela ne signifie pas pour autant que

sent pas pour autant à l’achat, ils savent

chaque tentative est couronnée de suc-

de quoi il retourne et sont de plus en

tenir le rythme et nous souhaitons con-

Nous utilisons le mot "Fairtrade" si nous nous

cès. " Nous avons par exemple voulu

plus nombreux à estimer que c’est là

tinuer à produire de manière artisanale,

référons au label de commerce équitable

confectionner des biscuits sans sucre,

une alternative parfaitement valable à

avec des ingrédients de bonne qualité.

de Fairtrade Belgium (anciennement Max

mais notre procédé de fabrication en

l’alimentation traditionnelle."

Par ailleurs, un changement devrait

Havelaar) ou aux ingrédients ou produits

s’opérer plus rapidement dans notre

issus du commerce équitable qui portent le label Fairtrade.

requérait pour produire des biscuits savoureux et pouvant être conservés un

Cela se traduit-il aussi dans les chiffres?

système alimentaire. Il faudrait abso-

certain temps. Et nous ne pouvions pas

"Il est clair que le secteur bio dans son

lument veiller à ce que notre alimen-

simplement remplacer le sucre par un

ensemble se développe, mais je ne crois

tation redevienne plus saine." Ce n’est

autre ingrédient. Les biscuits au quinoa,

pas que Freja Food connaisse une crois-

certes pas la motivation qui manque à

par contre, étaient très bons ! Nous avons

sance plus rapide que les autres acteurs

Roland. " Je le fais avec plaisir, c’est cela

donc choisi de les commercialiser, mais

du secteur. Cette évolution nous réjouit,

qui, à mes yeux, donne tout son sens à

En savoir plus?

ils ne se sont malheureusement pas

mais nous n’ambitionnons pas de deve-

­l’entrepreneuriat."

www.frejafood.be

bien vendus. "

nir trop grands. Nous voulons pouvoir

08


GINGERLOVE

Entretien avec

Alain Indria


Boisson chaude au goût intense d’agrumes, de gingembre et d’épices, à l’origine uniquement servie au restaurant Lombardia, GingerLove a conquis de nombreux foyers en Belgique. Depuis, Alain Indria, son créateur, a conçu deux autres saveurs : Coconut Vibrations et GreenLove. GingerLove est né un peu par hasard au Lombardia, un restaurant végétarien populaire anversois. Alors qu’il y a dix ans environ, Alain Indria, le fils de la fondatrice, s’y préparait une boisson chaude à base d’agrumes et de gingembre, un client a demandé à la goûter. Et l’a trouvée délicieuse. " Plusieurs autres clients lui ont emboîté le pas et, de fil en aiguille, l’affaire a pris de l’ampleur, " nous confie Alain, lorsque nous le rencontrons dans son restaurant légendaire. " Je ne supporte pas le café et je trouve le thé insipide. Je mélangeais donc toujours toutes sortes d’ingrédients pour me concocter une bonne petite boisson revitalisante : cinq sachets de thé, des épices, des fleurs, du jus de fruit, etc. Car c’est là la passion d’Alain : créer des saveurs que les gens apprécient. " La famille de ma mère compte des chefs cuisiniers depuis plus de 120 ans ! Personnellement, cuisiner ne me tente pas vraiment, mais j’adore créer de nouvelles saveurs... même dans mes rêves ! " C’est

GingerLove: une alternative équitable au café ou au thé

aussi Alain qui a mis au point les pâtés végétariens servis au Lombardia. " Quand j’ai une idée en tête, je suis capable d’en décrire précisément le goût. Ensuite, il me faut expérimenter en long et en large avant de pouvoir m’exclamer : Eurêka ! "

Interview réalisée par Lisa Develtere pour le Trade for Development Centre, novembre 2014. 10

"Personnellement, cuisiner ne me tente pas vraiment, mais j’adore créer de nouvelles saveurs... même dans mes rêves !"


Peace and love Fort des réactions enthousiastes de

"Je ne connaissais en fait pas cette

ses clients, Alain a décidé d’intégrer

­organisation, mais tous ceux avec qui

sa boisson au gingembre à la carte

j’en parlais, qu’ils soient jeunes, vieux,

du restaurant. Cette boisson chau-

branchés, riches ou pauvres, n’en di­

de, saine, mousseuse et délicieuse, a

saient que du bien. De plus, je trouvais

connu un succès immédiat. À tel point

que le nom Vredeseilanden avait une

qu’en 2010, alors qu’Alain venait tout

forte connotation peace and love, qui

juste de lancer la vente des boîtes de

nous convenait parfaitement", ­nous

GingerLove, ainsi qu’avait été baptisée

­confie Alain en riant." Ils nous ont vrai-

sa création, elle est devenue la boisson

ment aidés à transformer GingerLove en

chaude officielle du pavillon belge lors

un produit équitable."

de l’Exposition universelle de Shanghai. "Les gens voulaient toutefois aussi

La création des boissons chaudes du

pouvoir la déguster chez eux. C’est donc

Lombardia s’est faite par tâtonnements.

au terme d’une longue recherche des

"Cela n’a pas été facile, mais, dans le

bons ingrédients que je suis finalement

même temps, c’était chouette et pas-

parvenu à élaborer la recette de cette

sionnant ", ajoute Alain." Je ne suis pas

boisson saine et de qualité. "

quelqu’un qui baisse tout de suite les bras, même si le processus a été ardu.

"Le monde entier se côtoie au Lombar-

Je choisissais les ingrédients sur la

dia", affirme Alain tout en lançant un

base d’échantillons. J’ai ainsi une fois

"Hello" enthousiaste à un client qui ­vient

commandé trois tonnes d’une matière

d’entrer. " Dès la première heure, j’ai

première qui, à la livraison, avait un as-

aussi voulu faire quelque chose pour

pect et un goût tout à fait différents de

notre planète ", poursuit-il. " Aussi, si,

l’échantillon. Une erreur qui peut s’avérer

au début, GingerLove était un produit

fatale pour une petite entreprise !"

conventionnel, nous avons souhaité en faire une boisson tant bio qu’équitable." Alain travaillait déjà avec des fournisseurs du secteur bio. Et pour dénicher les ingrédients équitables, il a bénéficié de l’aide de l’ONG Vredeseilanden. 11


Coconut Vibrations et GreenLove " La collaboration avec Vredeseilanden,

et les épiceries fines, ainsi que dans

et depuis peu aussi avec Fairtrade Bel-

l’horeca. " De nombreux établissements

gium, m’a apporté un réel savoir-faire

recherchent des produits équitables

alimentaire, qui m’aide énormément

sains et savoureux ", affirme Alain. " Nos

pour créer de nouvelles saveurs ", nous

boissons séduisent surtout les femmes.

confie Alain. " Nous venons de lancer,

Elles sont apparemment plus récepti-

il y a quelques mois, deux nouvelles

ves à l’innovation que les hommes. Ce

boissons : Coconut Vibrations, avec du

sont mes ambassadrices ! " Et de nous

nectar de noix de coco et de l’ananas,

désigner une femme qui vient d’entrer

et GreenLove, à base de matcha et de

dans son restaurant. Après avoir dégusté

pomme. " À terme, Alain entend propo-

un GingerLove dans un centre sportif,

ser tout un assortiment, composé de

celle-ci s’était mise à la recherche de

différentes variantes, sous l’appellation

cette boisson dans son quartier, pour

de Lombardia Hot Drinks.

constater qu’elle ne pouvait l’acheter nulle part. Aussi a-t-elle pris rendez-vous

" Le label Fairtrade ouvre la porte à de

avec Alain pour voir comment remédier

nouveaux marchés. Certaines multinatio­

à cette situation !

nales, par exemple, lancent un produit

“De nombreux établissements recherchent des produits équitables sains et savoureux.“

équitable à côté de leur assortiment

Certains Magasins du Monde-Oxfam

existant, car cela leur permet de nouer

vendent également les Lombardia Hot

des contacts avec de gros distributeurs

Drinks. Pour pouvoir porter le label Fair-

et d’influencer l’opinion publique. Per-

trade, 20 % au moins des ingrédients des

sonnellement, je préfère opter complè-

produits composés doivent être certifiés

tement pour le bio et l’équitable. Cela

Fairtrade. Les Magasins du Monde-Oxfam

coule de source pour moi, mais il est

placent la barre encore plus haut : " Les

vrai que j’ai grandi dans une ambiance

produits qu’ils vendent doivent contenir

peace and love. "

51 % d’ingrédients équitables. Nos boissons étant Fairtrade à 67 %, elles ont tout

On trouve les Lombardia Hot Drinks essentiellement dans les magasins bio

12

de suite été acceptées. "


Équitables et bio Le vœu le plus cher d’Alain, c’est qu’à

" La production se fait à l’échelon local.

ainsi qu’en Suède, par l’intermédiaire

terme, ses produits soient tous équita-

Toutes les activités connexes, telles la

d’un distributeur. Des contacts sont en

bles à 100 %. " Mais ce n’est pas évident,

production des emballages en carton et

outre en cours avec des distributeurs en

pour la simple et bonne raison déjà

l’impression, sont également réalisées

Norvège, en Finlande et au ­Royaume-Uni. "

que tous les ingrédients ne sont pas

dans un rayon de 50 kilomètres. À mes

disponibles en version bio ou équitable.

yeux, cela aussi relève d’une production

Pour Alain, Lombardia Hot Drinks doit

Chaque recette implique d’examiner

équitable. Je ne vais par exemple pas

rester une entreprise familiale. " Nous

quels ingrédients bio et équitables il

acheter de carton tchèque, puisque nous

avons déjà reçu la visite d’investisseurs

convient d’utiliser pour créer le goût

avons de bons fabricants de carton en

en capital-risque, mais obéir aux ordres

parfait. Si nous ne trouvons que des

Belgique. Nous contribuons ainsi aussi à

n’a jamais été mon fort, et j’ai donc tou-

ingrédients bio non équitables, nous

l’emploi local. Cela revient certes un peu

jours décliné leurs offres. Ceci étant, nous

essayons de rendre la production in-

plus cher, mais je ne pense pas que cela

devons réaliser un bon chiffre d’affaires,

terne aussi équitable que possible,

rebutera les consommateurs. "

sinon nous ne pourrons survivre seuls.

en nous approvisionnant auprès de

Mais je crois à 100 % en mes boissons

producteurs bio locaux ou européens,

Opter pour des produits biologiques et

et je continue à les trouver excellentes!",

par exemple. "

équitables, et produire localement im-

conclut Alain en riant. " Je vis une aven-

pliquent un coût de production élevé.

ture passionnante et je vois l’entreprise

Pour Alain, équitable devrait rimer avec

" Mon chiffre d’affaires doit donc être

grandir de jour en jour. C’est formidable !"

bio. Aujourd’hui, 80 % des ingrédients

assez conséquent, sinon c’est la fin de

de nos Lombardia Hot Drinks sont bio et

l’aventure ", précise Alain. " Nous sommes

Nous utilisons le mot "Fairtrade" si nous nous

67% Fairtrade. " Fairtrade Belgium m’aide

dès lors tenus de travailler avec de gros

référons au label de commerce équitable

maintenant à trouver des agriculteurs

clients, ce qui n’est pas évident pour

de Fairtrade Belgium (anciennement Max

qui soient à la fois bio et équitables, ou

une petite entreprise. Notre ­gestionnaire

Havelaar) ou aux ingrédients ou produits

bien des producteurs équitables dis-

des grands comptes est par ailleurs

issus du commerce équitable qui portent le

posés à passer au bio. Nous espérons

responsable des exportations, puisque

label Fairtrade.

pouvoir ainsi décrocher le certificat bio

nous vendons aussi nos produits aux

pour ces produits dans 4 à 6 mois. "

Pays-Bas, dans les magasins De Tuinen, En savoir plus ? www.lombardiahotdrinks.com

13


FAIRTRADE BELGIUM

Entretien avec

Lily Deforce


Le consommateur à la recherche d’un produit équitable dans les magasins se laisse en général guider par le label Fairtrade. L’organisation au label bleu-vert fête entretemps ses 25 années d’existence et change de nom pour l’occasion : “Max Havelaar Belgique“ devient“ Fairtrade Belgium”. Si ” Trade, not aid “ est toujours son credo, l’organisation s’est aujourd’hui engagée dans une nouvelle voie avec le commerce Sud-Sud et ses programmes d’approvisionnement Fairtrade (Fairtrade Sourcing Programs).

Les origines du commerce équitable remontent aux années 60 et s’inscrivent dans la philosophie Trade, not aid : " Mettons en place un commerce équitable avec les habitants du Sud pour les aider à sortir de la misère. C’était l’idée phare à l’époque et ça l’est toujours ", nous confie Lily Deforce, directrice de Fairtrade Belgium. " Le principe est simple, mais efficace ! "

“Mettons en place un commerce équitable avec les habitants du Sud pour les aider à sortir de la misère. C’était l’idée phare à l’époque et ça l’est toujours.“ Durant les trente premières années, les magasins du monde ont constitué le principal moteur du commerce équitable. En 1989, plusieurs grandes organisations

Fairtrade Belgium

de développement, dont Oxfam, Broederlijk Delen et 11.11.11, ont créé l’association Max Havelaar Belgique, dont la mission consistait à mettre en place un système permettant au citoyen belge de reconnaître les produits issus du commerce équitable. " L’intention était d’améliorer l’accès des petits producteurs au marché, en sensibilisant un plus grand nombre de Belges. Et le label Fairtrade constituait un

Interview réalisée par Lisa Develtere

instrument à cet effet, " explique Lily Deforce.

pour le Trade for Development Centre, novembre 2014. 15


30.000 produits certifiés

“Aujourd’hui, nous d ­ énombrons 420 c ­ atégories différentes de produits, pour plus de 30.000 produits certifiés de par le monde.”

Le système sous-tendant le label Fair-

Au début, le café était le seul produit

pesticides, par exemple, sont différentes

trade fonctionne comme suit : " Nous

labellisé Fairtrade. " Aujourd’hui, nous

selon qu’il s’agisse de bananes ou de riz,

définissons des critères sociaux et

dénombrons 420 catégories différentes

de vin ou de soja. "

environnementaux stricts, que doivent

de produits, pour plus de 30.000 produits

respecter les producteurs travaillant

certifiés de par le monde " poursuit Lily

Outre la Belgique, 26 autres pays dans

sous notre label. En contrepartie, nous

Deforce. 420 catégories de produits, cela

le monde disposent de leur propre orga-

leur offrons des garanties économiques.

signifie aussi 420 cahiers des charges

nisation nationale Fairtrade. " Ensemble,

Nous garantissons en premier lieu aux

décrivant en détail les critères auxquels

nous avons créé Fairtrade International,

agriculteurs un prix minimum couvrant

les producteurs doivent répondre. " Nous

qui prend en charge les tâches qu’il est

leurs coûts et octroyons à la coopéra-

disposons de critères généraux, appli-

préférable d’accomplir ensemble plutôt

une organisation distincte, FLO-Cert, qui

tive qui les fédère une prime que ses

cables à tous les produits, ainsi que de

que chacun dans son coin : appuyer les

est responsable de la délivrance des cer-

membres peuvent réinjecter dans la

critères spécifiques à chaque produit.

producteurs et rédiger les cahiers des

tificats Fairtrade et des inspections. Elle

communauté ou dans la production. "

Les règles en matière de recours aux

charges, par exemple. Enfin, il existe aussi

représente un peu notre police interne. "

16


Mise en contact Le rôle que s’est assigné Fairtrade Bel-

"Nous avons ainsi aidé une entreprise

gium consiste à créer des débouchés

dans sa recherche de vin sud-africain

pour les produits labellisés Fairtrade.

labellisé Fairtrade."

"D’une part, nous visons à sensibili-

Potentiel de croissance dans le Sud

ser la population belge : nous voulons que les consommateurs sachent ce qu’est un produit Fairtrade et qu’ils soient motivés à l’acheter. D’autre part, nous voulons que les produits

À l’échelon mondial, Fairtrade est le

Fairtrade soient disponibles en plus

plus grand système éthique, avec un

grand nombre dans les magasins." Pour

flux de marchandises qui a atteint 5,5

ce faire, Fairtrade Belgium collabore

milliards d’euros en 2013. " Notre label

aujourd’hui avec 160 sociétés belges,

est connu dans un nombre croissant

tant des chaînes de supermarchés que

de pays et y est considéré comme un

des petites entreprises.

système crédible et performant de développement durable. Il fait réellement

"Nous n’achetons ni ne vendons rien

une différence. " En 2012, Fairtrade In-

nous-mêmes, " souligne la directrice de

ternational a été cédé pour moitié aux

Fairtrade Belgium. " Nous aidons les pro-

agriculteurs. "Auparavant, nous étions

ducteurs à adhérer au système Fairtrade

une organisation qui décidait dans le

et facilitons les contacts avec le marché

Nord de ce qui devait se passer dans

belge. En 2003, nous avons ainsi appuyé

le Sud. Aujourd’hui, ces décisions sont

290 petits producteurs péruviens de

prises de concert avec les producteurs.

bananes qui s’étaient associés en vue

Et cela est unique, notamment parmi

de participer au commerce équitable.

les certificateurs."

Lorsque leurs produits ont acquis le label

17

Fairtrade, notre tâche a consisté à les

Jusqu’à récemment, le commerce équita-

mettre en contact avec le marché belge."

ble était vu comme un commerce entre le

D’autre part, les entreprises belges à la

Nord et le Sud, mais cet axe Nord-Sud n’a

recherche d’un produit Fairtrade peuvent

plus la même importance aujourd’hui,

aussi s’adresser à Fairtrade Belgium.

explique Lily Deforce. "Il existe désormais


des organisations Fairtrade en Inde, en Afrique du Sud et au Kenya qui écoulent des produits labellisés Fairtrade sur les marchés locaux. Et nous allons bientôt faire de même au Mexique et au Brésil. Tous les baromètres économiques confirment le potentiel de croissance du marché dans les pays du Sud. C’est aussi ce que dénote l’expansion dans ces pays de grands acteurs tels que Carrefour et Wallmart. " Lily Deforce soutient à 100 % l’application du concept Fairtrade dans le Nord, mais cela n’est pas vraiment à l’ordre du jour

“Si nous voulons vraiment développer un marché durable, il nous faut opérer des choix du côté de l’offre. Nous devons mener une concertation stratégique avec les grandes marques.”

de Fairtrade Belgium pour le moment. "À l’avenir, vous trouverez peut-être dans les magasins du lait sous label Fairtrade. Mais s’il s’agit uniquement de garantir

Concertation avec les grands acteurs

un bon prix aux paysans, cela se fera

et sont pour le reste à la merci des

les grandes marques. " Et Lily Deforce de

caprices du marché. En 2013, sur plus

citer l’exemple de deux grandes chaînes

de 1.000 coopératives Fairtrade, une

de supermarchés suisses ayant inclus

sans nous, car, pour nous, la philosophie

Si le flux mondial de marchandises

bonne centaine ont jeté l’éponge. " La

dans leur offre un grand assortiment

Fairtrade s’articule autour de trois piliers:

Fairtrade ne cesse de croître d’année

situation est donc problématique, "

de produits Fairtrade dont les parts de

l’économie, l’écologie et le social. "

en année, la demande de produits la-

relève Lily Deforce.

marché avoisinent les 20, 30, voire 50 %.

en regard de l’offre. " Pour la plupart

Le marché de l’équitable aurait-il at-

" Dans le cas d’un produit simple com-

des produits, notamment le cacao et

teint ses limites dans notre société

me les bananes, il est relativement aisé

le sucre, l’offre excède la demande de-

occidentale ? " Certainement pas. Les

pour une grande surface d’opter pour

puis des années. " En ce qui concerne

consommateurs conscientisés jouent

Fairtrade. Pour les produits composés de

le cacao, Fairtrade a enregistré une

un rôle de pionnier, mais représentent

plusieurs ingrédients, par contre, c’est

énorme croissance du nombre d’orga-

un segment trop limité de la population.

une tout autre affaire. Pas question, par

nisations affiliées. Nombreuses sont

Si nous voulons vraiment développer

exemple, de changer tout simplement la

les coopératives qui ne parviennent à

un marché durable, il nous faut opérer

recette du Mars. Néanmoins, au Royau­

vendre qu’un infime pourcentage de

des choix du côté de l’offre. Nous devons

me-Uni, nous avons réussi à faire label-

leur récolte aux conditions Fairtrade

mener une concertation stratégique avec

liser Fairtrade les très populaires barres

bellisés Fairtrade demeure trop faible

18


de chocolat au lait Cadbury. Les consommateurs les achètent non pas parce qu’elles portent le label Fairtrade, mais parce qu’ils aiment la marque. L’impact d’un passage à l’équitable, comme celui qu’a effectué le chocolat Dairy Milk de Cadbury, est considérable ; toutefois, ce processus, particulièrement complexe, a pris de nombreuses années. " Quelque 120.000 tonnes de cacao Fairtrade sont produites chaque année. " Pour l’heure, seuls 30 % environ sont achetées aux conditions Fairtrade, " nous confie Lily Deforce. " Nous devons réagir. C’est la raison pour laquelle nous avons mis en place nos nouveaux programmes d’approvisionnement intitulés Fairtrade Sourcing Program pour le cacao, le sucre et le coton. " Ces programmes s’adressent aux entreprises souhaitant instaurer une

Un nouveau label

politique d’achat durable. " Ferrero, par exemple, achète annuellement 100.000

" Ferrero s’est engagée au niveau de

Les programmes d’approvisionnement

Deforce. " Nos normes n’ont par ailleurs

tonnes de cacao. Nous avons conclu un

l’entreprise. Nous contrôlerons donc

Fairtrade ne constituent-ils pas pour

pas changé et les conditions auxquelles

contrat avec l’entreprise, aux termes

uniquement si elle a effectivement

les grandes entreprises une solution de

doivent répondre les petits producteurs

duquel elle s’engage à porter à 10 % sa

acheté 10.000 tonnes de cacao Fair-

facilité pour redorer leur blason ? " Quel-

sont toujours les mêmes. Notre première

part de cacao Fairtrade d’ici trois ans. "

trade, " explique Lily Deforce. Les

le que soit la motivation sous-tendant

priorité consiste à aider ces derniers à

produits Ferrero ne porteront pas le

l’engagement en faveur de la durabilité,

augmenter leurs volumes de vente. Que

label Fairtrade. Un nouveau label a

c’est en tout cas un pas dans la bonne

leur cacao soit utilisé dans un produit

certes été créé pour les programmes

direction ! Mais nous ne ferons jamais de

d’Oxfam ou de Delhaize ne fait pour eux

d’approvisionnement Fairtrade, mais

communication sur les entreprises qui

absolument aucune différence ! "

il ne peut être utilisé que si le cacao,

achètent moins de 10 % de produits la-

le coton ou le sucre acheté est à 100%

bellisés Fairtrade. Cela s’apparente pour

En savoir plus ?

Fairtrade.

nous à de l’écoblanchiment, " conclut Lily

www.fairtradebelgium.be

19


BELGIAN FAIR TRADE FEDERATION

Entretien avec

Claire Cambier


La Belgian Fair Trade Federation (BFTF) se définit comme la­ ­plate-forme belge du commerce équitable. Portée sur les fonds baptismaux en 2010 après deux années de gestation, elle réunit 13 membres effectifs et 4 membres observateurs.

L’idée d’une plate-forme belge du commerce équitable, à l’instar de la plate-forme française (www.commercequitable.org), trottait depuis longtemps dans la tête de bien des acteurs du secteur. Du côté des autorités aussi, l’on souhaitait pouvoir s’adresser à un interlocuteur représentatif du secteur puisque jusqu’alors (­ et jusqu’aujourd’hui), il n’y avait aucun cadre légal qui définisse et réglemente le commerce équitable. Encouragée par le ministre wallon de l’Economie Jean-Claude Marcourt, la nouvelle plate-forme, basée à Liège, s’est vue fixer trois objectifs: a) la représentation du secteur, b) l’accompagnement des entreprises qui veulent s’orienter vers le commerce équitable, c) la promotion des membres, l’information et la sensibilisation du public sur le commerce équitable.

Belgian Fair Trade Federation : l’union fait la force Interview réalisée par François Hubert pour le Trade for Development Centre, juin 2014. 21


Des critères ­d’admission assez stricts

Le service aux ­membres ­avant tout

Pour en faire partie, une entreprise

Depuis sa création, la fédération a

acteurs non membres – pour vendre des

doit atteindre un certain pourcenta­

plutôt connu une diminution du nom­

biens non alimentaires. Ce groupe, de-

ge de son chiffre d’affaires en équi­

bre de ses membres, certains d’entre

venu complètement autonome, organise

table : 75 % pour les importateurs,

eux ayant malheureusement disparu

régulièrement des ventes collectives au

grossistes et transformateurs, 60%

à cause de la crise. " Nos critères d’ad­

Centre des Tanneurs, à Bruxelles.

pour les détaillants. Mais comment

hésion sont aussi assez sévères. Ces

distinguer ce qui est équitable de ce

critères ont pour but d’inclure unique­

qui ne l’est pas ? Pour ce qui est des

ment des acteurs dont le commerce

produits labellisés, la question ne se

équitable est l’activité première, et non

pose pas. Pour le reste, c’est l’appro­

pas annexe ", explique Claire Cambier,

che d’une certification de la filière de

l’actuelle coordinatrice." Etre petit

" Les personnes qui se lancent dans le

l’accueil, la capacité à retenir le client,

production qui a été choisie, selon

nous permet aussi de répondre plus

commerce équitable ont un rêve et des

à le fidéliser, etc.

les dix critères de la WFTO (World

justement aux besoins de chacun ",

valeurs. Mais après, c’est du business,

Fair Trade Organization).

ajoute-t-elle.

ajoute la chargée de projets. Et ces

La sensibilisation des ­consommateurs

personnes sont souvent bien seules.

et la promotion des membres sont

Concrètement, que fait la BFTF ? Tout

Elles font tout elles-mêmes. C’est là que

une a ­ utre mission d’importance de la

La BFTF compte actuellement 13 ­membres

d’abord, elle rend des services aux mem-

la fédération intervient en proposant

­fédération. Outre des débats, ainsi q ­ u’une

effectifs, tous basés en Wallonie ou à

bres, tels que des formations et des

des formations, en cernant d’abord

­présence sur les réseaux sociaux et dans

Bruxelles : Latino Fierros, Optimart, La

rencontres. Un Business Day fut ainsi

les besoins et les demandes de ses

les m ­ édias, la BFTF organise, par e­ xemple,

Pachamama, Ozfair, Café Chorti, Couleurs

organisé en 2013 pour encourager les

membres."

la Fête de l’équitable à ­l’occasion de la

Sud, D’ici D’ailleurs, Miel Maya, Maya

relations commerciales entre les dif-

Fair Trade, Oxfam-Magasins du Monde,

férents membres de la fédération. " Ce

Un autre exemple de service rendu aux

blic est invité à rencontrer les acteurs du

Ethiquable, Belvas et Tiksy Import. Quatre

que nos membres viennent chercher,

membres et qui illustre bien l’apport

commerce équitable. En 2014, la fête fut

autres, comme le Trade for Development

c’est le contact, la mise en réseau ", pré-

"business" de la BFTF : l’audit. Six ma-

organisée à Liège. Les v ­ isiteurs purent

Centre, ont un statut d’observateur. Les

cise Coline Van de Kerckhove, la chargée

gasins (deux Magasins du Monde, Chorti,

ainsi déguster – et ­acheter – des produits

labels ne peuvent en être membre car ils

de projets de la plate-forme, qui donne

Belvas, Couleur Sud et Ozfair) ont ainsi

équitables, participer à des animations

seraient à la fois juge et partie.

un autre exemple : la mise sur pied d’un

été audités par un expert extérieur sur

ludiques, assister à un spectacle, une

collectif – incluant aujourd’hui aussi des

leur présentation, leur accessibilité,

causerie et des concerts, se restaurer, etc.

Business is ­business

“Les personnes qui se lancent dans le commerce équitable ont un rêve et des valeurs. Mais après, c’est du business.”

Journée mondiale lors de laquelle le pu-

22


La crise, ­déclencheuse d’une prise de conscience collective Comme pas mal d’acteurs du com­

Comment les deux chevilles ouvrières

merce équitable, la plate-forme est

de la fédération voient-elles l’avenir

confrontée à des difficultés finan­

du commerce équitable ? " On ne verra

cières. Certes, elle est subventionnée

pas de grand changement radical dans

à 100 % par la Région wallonne et elle

les années à venir, mais le commerce

emploie deux personnes. Mais pour

équitable fait son trou petit à petit. Le

mener à bien leurs missions, celles-ci

comportement des gens change ", ana-

sont parfois amenées à faire preuve

lyse Claire Cambier. " La crise a en effet

de débrouillardise. Il n’y a donc pas

remis certaines choses à leurs places.

encore de disponibilité pour entamer

Si l’on continue ainsi, on va dans le

un réel travail de lobby auprès des

mur. Quelles sont alors les alternatives?

institutions. A défaut, la BFTF relaie

Parmi celles-ci, il y a le commerce équi-

auprès de ses membres les nouvel­

table ", poursuit Coline Van de Kerck­

les législations, comme les clauses

hove. " Mais le commerce équitable ne

ESE (environnementales, sociales et

fonctionne qu’à partir du moment où

éthiques) qui doivent désormais être

il y a des consommateurs ", conclut la

intégrées dans les appels d’offre pour

coordinatrice.

marchés publics de la Région wallonne.

“Le comportement des gens change. La crise a en effet remis certaines choses à leurs places. Si l’on continue ainsi, on va dans le mur.” 23


Et au Nord ? Autre source de réflexion et d’inspi­

Parmi les missions externes de la BFTF,

ration au sein de la fédération : le

il y a l’intégration aux réseaux inter-

­commerce équitable Nord-Nord. Pour

nationaux. Bien sûr, elle travaille déjà

le moment, il ne correspond pas aux

en étroite collaboration avec certains

critères d’admission de la plate-forme

membres de la WFTO (World Fair Trade

car ceux-ci sont basés sur la définition

Organization), la fédération internationa-

historique du commerce équitable,

le qui soutient un commerce équitable

c’est-à-dire un commerce Nord-Sud

basé sur des " filières " plutôt que sur des

qui, entre autres, fixe un prix minimum

produits précis, mais un des souhaits les

garanti et établit une prime destinée

plus chers des fondateurs et dirigeants

à développer la communauté dans

de la plate-forme francophone serait de

­laquelle vivent les producteurs. " Mais

pouvoir accueillir les acteurs flamands

il est clair qu’il y a une complémentarité

du commerce équitable afin que la fé-

au niveau des produits entre le Nord et le

dération puisse être représentative de

Sud ", relativise Claire Cambier. La porte

tout le pays.

n’est donc pas définitivement fermée aux producteurs équitables du ­­ Nord.

En savoir plus? www.bftf.be

24


ETHIQUABLE

Entretien avec

Vincent De Grelle


Avec une gamme de produits d’épicerie variée, Ethiquable est devenu en quelques années un acteur incontournable du commerce équitable en Belgique. Des commerces spécialisés à la grande distribution, cette société coopérative tisse sa toile à une vitesse impressionnante, offrant ainsi des débouchés importants aux producteurs du Sud, tout en accroissant la visibilité des produits équitables. L’aventure d’Ethiquable débute dans les années 90 en Equateur. Dans la province de Loja, les futurs fondateurs de la coopérative de commerce équitable y aident les producteurs de café à valoriser leur production locale, pour qu’elle soit reconnue au même titre que les meilleurs cafés du continent. Ingénieur agronome de formation, le Carolo d’origine et Andennais d’adoption Vincent De Grelle fait partie des chevilles ouvrières du projet. Revenu ensuite en Belgique, il travaille un temps dans l’économie sociale, mais caresse déjà l’idée de contribuer au développement du commerce équitable. " Je me rendais compte que l’un des freins se situait en aval et avait trait au manque de débouchés ", explique-t-il. Avant même de participer activement au commerce équitable, sa philosophie est faite : en tant que consommateurs du Nord, notre responsabilité vis-à-vis des producteurs du Sud est d’augmenter la part des produits équitables dans notre consommation quotidienne. Mais pour y parvenir, le commerce équitable doit évidemment être capable de fournir du volume.

Ethiquable : offrir des débouchés aux producteurs du Sud

La réussite d’Ethiquable France, créée en 2003, lui donne raison. Dès le début, la coopérative promeut une agriculture paysanne et un mode de production en polyculture, dans lesquels la préservation du goût et des saveurs est essentielle. En 2007, Vincent De Grelle contacte Ethiquable France dans le but de créer une structure similaire dans le Benelux, qui voit le jour deux ans plus tard. Entretemps, il s’est associé avec Stéphan Vincent, dont l’expérience dans la grande distribution

Interview réalisée par Alain De Bast

et chez Oxfam- Magasins du monde est parfaitement complémentaire à la sienne.

pour le Trade for Development Centre, décembre 2013. 26


Une croissance ­impressionnante “L’achat en grande ­surface n’est donc pas incompatible avec celui dans des petits magasins.”

Pour Ethiquable Benelux, la ‘success story’ passe donc par une diversification des canaux de distribution et par l’arrivée constante de nouveaux clients, séduits par les valeurs du commerce équitable. " Notre croissance est importante : le chiffre d’affaires était de 400.000 euros il y a quatre ans et atteindra environ 1.700.000 euros en 2013. Nous avons débuté à deux, et nous employons aujourd’hui six personnes ", explique Vincent De Grelle. Il

Le succès est immédiat, notamment

ne s’en cache pas, la crise se ressent

parce qu’Ethiquable Benelux parvient

toutefois au niveau de l’évolution des

vite à mettre un pied dans la grande dis-

ventes chez les clients ‘historiques’.

tribution. Celle-ci représente aujourd’hui 60% de son chiffre d’affaires. " Notre rôle,

La croissance d’Ethiquable Benelux

c’est de vendre des produits équitables à

découle aussi tout naturellement de la

des revendeurs, qu’il s’agisse d’acteurs

diversification de sa gamme de produits.

spécialisés ou d’enseignes de la grande

Son nouvel entrepôt de Waremme voit

distribution. Il n’existe pas un mode

défiler non seulement des quantités

de commercialisation idéal, mais des

importantes de café, mais aussi de

complémentarités. L’achat en grande

thés, de chocolats, de jus, de snacks, de

surface n’est donc pas incompatible

produits à tartiner, de céréales, d’épices

avec celui dans des petits magasins. A

ou d’huiles. " La gamme la plus importan-

mes yeux, il est essentiel de se mettre

te reste celle des chocolats, qui connaît

à la place du producteur : il veut avant

un grand succès auprès des consomma-

tout vendre sa récolte et pour cela, il

teurs. Nous sommes d’ailleurs parmi les

lui faut des débouchés ", explique à cet

seuls à avoir une traçabilité complète de

égard Vincent De Grelle.

la filière du cacao, depuis le producteur

27


“Je pense que le commerce équitable gagne en sympathie auprès des gens, mais qu’ils ne savent pas toujours ce qu’il implique réellement. Il faut donc continuer à l’expliquer, de la manière la plus simple et la plus didactique possible. ” jusqu’au consommateur ", explique Vin-

Chez Ethiquable, la promotion d’une

cent De Grelle.

agriculture paysanne s’est accompagnée tout naturellement d’un engagement

La gamme de produits d’Ethiquable est

auprès de producteurs de l’agriculture

certainement encore appelée à s’étoffer.

biologique. Presque tous les produits

Pour Vincent De Grelle, il est d’autant plus

portent le label bio. " C’est un choix qui

important de continuer à expliquer ce

s’est imposé, par conviction, mais éga-

qui différencie les produits équitables

lement parce que le consommateur

des produits conventionnels. " Au dos

nous le demandait. Et contrairement à

de nos emballages, le consommateur

ce que l’on pourrait croire, le prix n’est

trouve des explications sur l’origine du

pas forcément supérieur pour autant.

produit, ainsi que sur l’impact environ-

Certains produits affichent des prix si-

nemental, social et économique de son

milaires aux produits bio conventionnels,

achat. Je pense que le commerce équi-

voire aux produits non bio convention-

table gagne en sympathie auprès des

nels. C’est le cas de la vanille, que nous

gens, mais qu’ils ne savent pas toujours

achetons directement aux producteurs,

ce qu’il implique réellement. Il faut donc

sans passer par des intermédiaires. Le

continuer à l’expliquer, de la manière la

produit doit être vendu au prix le plus

plus simple et la plus didactique possi-

juste possible, tant pour le producteur

ble. C’est un travail de longue haleine ".

que pour le consommateur ".

28


Au Nord également Avec l’évolution qu’elle connaît, et forte du soutien de sa grande sœur française,

produits locaux et il faut favoriser les

Ethiquable Benelux est promise à un

contacts avec l’agriculture paysanne

bel avenir. Celui-ci passe notamment

de chez nous, pour que les produits

par le développement d’une gamme de

bio et équitables prennent la place

produits agricoles du Nord. " C’est la

des produits conventionnels dans leur

Terre qui nous nourrit tous les jours,

assiette ", indique Vincent De Grelle.

“Les consommateurs manifestent un intérêt croissant pour les produits locaux et il faut favoriser les contacts avec l’agriculture paysanne de chez nous, pour que les produits bio et équitables prennent la place des produits conventionnels dans leur assiette.”

au Nord comme au Sud. Ethiquable France a donc développé une gamme

A l’avenir Ethiquable Benelux souhaite

de produits du Nord, baptisée Paysans

encore davantage se développer dans

d’ici ", explique Vincent De Grelle. Cet-

des magasins spécialisés, qu’elle con-

te gamme propose par exemple des

sidère comme les meilleurs relais pour

lentilles, des châtaignes ou du jus de

faire passer le message du commerce

tomate. Puisqu’il n’existe pas de label

équitable. Elle espère aussi étendre ses

équitable dans le Nord, Ethiquable a

parts de marché et toucher davantage

choisi d’appliquer pour ces produits

de clients. " Pour cela, il faut une prise

les mêmes critères qu’avec le Sud,

de conscience de ce qu’est l’agriculture

dans le cadre d’une charte et avec un

paysanne et des enjeux du développe-

cahier des charges précis. Des produits

ment durable, tant en Europe qu’au Sud.

de l’agriculture paysanne typiquement

Le consommateur ne doit pas acheter un

belges devraient d’ailleurs bientôt

produit équitable pour faire de la charité,

venir étoffer la gamme. Avec celle-ci,

mais pour poser un acte citoyen et poli-

Ethiquable obéit une fois de plus à son

tique. Ce faisant, il soutient directement

credo, qui consiste à permettre à l’offre

un mode de production respectueux de

de produits éthiques de rencontrer la

l’homme et de l’environnement, et rend

demande. " Les consommateurs ma-

pérenne un système économique ", con-

nifestent un intérêt croissant pour les

clut Vincent De Grelle.

En savoir plus? www.ethiquable.be

29


LATINO

Entretien avec

Philippe Vander Elst


Le commerce équitable se démarque du commerce conventionnel par les principes et les valeurs qu’il défend et qui lui sont propres. Cela ne l’empêche pas de devoir, lui aussi, obéir à certaines lois immuables du marché. Philippe Vander Elst, qui dirige une entreprise d’import-export de produits artisanaux latino-américains, le sait mieux que quiconque : dans l’équitable aussi, pour que les affaires marchent, il faut notamment faire preuve de créativité et pouvoir se renouveler.

Les articles d’artisanat et les bijoux occupent une place de choix dans le commerce équitable. Qu’ils viennent d’Asie, d’Afrique ou d’Amérique latine, ils sont souvent réalisés par des artisans vivant dans une grande précarité, pour lesquels ils sont le seul moyen de subsistance. C’est en 1998 que Philippe Vander Elst crée à Bruxelles l’entreprise Latino, spécialisée dans l’import-export d’artisanat et de bijoux en provenance d’Amérique latine. Il a depuis toujours un petit faible pour cette région du globe, puisqu’il a grandi au Pérou et qu’il a ensuite longtemps travaillé en Colombie. " J’ai débuté en important vers l’Europe des articles de vannerie. Ce savoir-faire ancestral répandu dans le monde entier et grâce auquel on réalise des chapeaux, des sacs, des paniers et toutes sortes d’objets, m’a toujours attiré. Il a constitué le

Latino: l’artisanat ­latino-américain dans l’air du temps

cœur de mon activité pendant cinq ans ", explique Philippe Vander Elst. Le célèbre et indémodable chapeau de paille panama, fabriqué en Equateur, fait bien entendu partie de sa gamme d’articles, tout comme les écharpes en alpaga. Dès le début, Philippe Vander Elst opte pour une approche qui épouse les principes du commerce équitable. " L’appartenance de Latino au à ce type de commerce se traduit par notre implication dans la Fédération belge du commerce équitable. Dans l’artisanat, il n’existe pas de véritable label et d’étiquetage équitable des produits. C’est le caractère équitable de la démarche et du comportement de l’acteur qui importe. A cet égard, qu’il s’agisse d’une coopérative, d’un atelier familial ou d’une

Interview réalisée par Alain De Bast

personne isolée, je peux garantir aux producteurs avec lesquels je collabore une

pour le Trade for Development Centre, décembre 2013. 31


relation à long terme et un vrai respect

de teinture à Bruxelles, afin de pouvoir

du prix. La principale responsabilité au

travailler avec des teintes écologiques

niveau du respect des salariés et de

certifiées, de mieux contrôler leur qualité

leurs conditions de travail repose sur

et la précision des couleurs, de même

leur employeur, mais à mon niveau, il

que la gestion des stocks. Et à cette

est surtout essentiel de ne pas écraser

époque, la tagua est visiblement dans

les prix lors d’une négociation, parce que

l’air du temps, tant auprès des boutiques

cela obligerait l’employeur à répercuter

auxquelles Philippe Vander Elst revend

la baisse sur ses travailleurs ", explique

ses articles qu’auprès de leurs clients :

Philippe Vander Elst.

"J’ai importé des millions de perles. C’était l’âge d’or de la tagua : les gens vou-

Grâce à ses contacts en Amérique du Sud,

laient de gros volumes de boutons, de

Philippe Vander Elst découvre en 2005

perles, de colliers, de poignées... Mais

un matériau idéal pour la création de

comme pour tout matériau utilisé com-

bijoux : l’ivoire végétal, également appelé

me accessoire de mode, après quelques

tagua. " Il s’agit en réalité de la graine

années, j’ai vu la demande diminuer.

du palmier. J’ai rencontré un homme

C’est normal, car les créateurs sont con-

à Bogota qui fabriquait des perles en

tinuellement à la recherche de nouvelles

ivoire végétal et j’ai décidé d’importer

choses ", explique Philippe Vander Elst.

la graine elle-même, de la découper et de la teindre ici pour créer des bijoux ".

Début 2013, Latino a ainsi été contraint

C’est ainsi que Latino a ouvert un atelier

de fermer son atelier et sa boutique

“Qu’il s’agisse d’une coopérative, d’un ­atelier familial ou d’une personne isolée, je peux g ­ arantir aux producteurs avec lesquels je ­collabore une relation à long terme et un vrai ­respect du prix.” 32


bruxelloise, mais plutôt que de se tour-

leurs de pays comme l’Inde, les Phi-

rienne ou colombienne ! Les nouvel-

C’est en suivant cette logique et en répon-

ner vers d’autres matériaux, Philippe

lippines ou l’Indonésie, où les prix de

les technologies rendent aujourd’hui

dant à l’absolue nécessité de toujours

Vander Elst est resté fidèle à la tagua,

départ permettent des marges plus

les choses un peu plus aisées. " Avec

capter l’air du temps que Philippe Vander

se fixant pour défi de lui trouver d’au-

importantes et rendent le commerce

l’aide de deux stylistes, je dessine ici

Elst développe aujourd’hui, à côté des

tres débouchés. " J’aime ce matériau et

plus rentable ".

ce que je souhaite et j’envoie par mail

articles plus traditionnels proposés sous

l’une des bases du commerce équitable

les croquis. Vu la mondialisation et la

la marque Latino, une collection de ba-

réside dans le partenariat à long terme

libéralisation du commerce mondial,

gues et de bijoux en tagua, sous le nom

que l’on noue avec les producteurs. Il est

Dans ce contexte, Philippe Vander Elst

les affaires prennent de plus en plus

de marque Ring me Up®. " J’ai lancé ces

certainement aussi important qu’une

considère que sa tâche est de trouver

une orientation qui fait correspondre

bijoux dans un concept de mode, mais

rétribution correcte."

des produits et articles qui présentent

la demande et l’offre, en faisant évo-

maintenant, j’essaie de les développer

un attrait pour le consommateur final

luer le design davantage en fonction

dans une optique promotionnelle, à l’effi-

et pour la boutique qui les revend, et

des souhaits de l’acheteur potentiel.

gie d’un événement, d’une marque, d’un

dont le prix reste acceptable pour tous,

Dessiner soi-même permet aussi de

concept ou d’un message ". Avant de voir

depuis l’achat initial au producteur

se démarquer des autres et de générer

un jour – qui sait ? – un bijou en tagua

jusqu’à la vente finale. Et cette tâche

une marge d’exclusivité pendant un

à l’effigie des Diables rouges, Philippe

exige un feeling et une implication à de

certain temps ", observe Philippe Van-

Vander Elst a ainsi notamment créé une

multiples niveaux : il faut rencontrer

der Elst. Selon lui, un produit artisanal

balle de tennis stylisée pour les inter-

Fidèle à la tagua, Philippe Vander

les producteurs, repérer les produits

conçu en fonction des designs euro-

nationaux de France de Roland Garros.

Elst reste et restera également fidèle

qui peuvent faire mouche, s’assurer de

péens a donc plus de chances de sé-

" Une fois le logo ou le dessin approuvé,

à l’Amérique latine. Parfois contre

disposer des bons contacts sur place,

duire qu’un produit artisanal fabriqué

les bijoux sont réalisés en Colombie à

vents et marées. " L’objectif de base

mais aussi définir des paramètres de

avec des dessins locaux d’Amérique

grande échelle. Je crois fort à ce domaine,

de la société Latino est de nouer des

qualité, des modèles, des couleurs, etc.

latine, qui est plutôt un souvenir de

car si la gamme de prix est plus basse

contacts avec les pays d’Amérique

Ce n’est pas évident lorsque les produc-

voyage. Cela demande cependant des

que pour le véritable bijou, le volume

latine et d’y générer de l’emploi ",

teurs sont parfois de petits artisans

investissements plus importants et

est important et cela intéresse tout le

résume-t-il. Dans un secteur de l’ar-

vivant au fin fond de la forêt équato-

plus risqués.

monde, à commencer par les artisans

Générer de l’emploi en Amérique du Sud

tisanat fort concurrentiel, ce n’est

qui réalisent les objets."

pas une sinécure. " Je participe aux grands salons internationaux du secteur et je constate que les prix de départs de l’artisanat latino-améri-

En savoir plus? www.latino.be

cain sont certainement moins intéressants que ceux de l’Asie du Sudest. La grande majorité des produits exposés dans les salons vient d’ail-

33


BELVAS

Entretien avec

Thierry Noesen


Qui eût cru que les pralines d’une petite chocolaterie mouscronnoise au bord de la faillite rachetée il y a presque dix ans allaient devenir un produit incontournable des épiceries bio dans le monde et trouver sa place parmi les plus grands chocolatiers belges, tout en respectant les principes du commerce équitable ? Comme dans la plupart des entreprises, chez Belvas, on tombe d’abord sur la récep­ tion, avec le comptoir habituel et les certificats des récompenses obtenues accrochés au mur, bien en évidence pour que le visiteur sache qu’il a affaire à une compagnie sérieuse et reconnue. Derrière le guichet, le bureau est vide. La réceptionniste va bientôt revenir, se dit-on. Après quelques minutes, le visiteur s’impatiente et s’aven­ ture dans le couloir, en quête d’un interlocuteur. Quelqu’un arrive. On explique alors qu’on a rendez-vous avec le patron, Thierry Noesen. " Pas de problème, s’entend-on répondre, je vais vous introduire dans son bureau. " Et le visiteur se retrouve dans le bureau vide, derrière le comptoir d’accueil : oui, chez Belvas, c’est le patron qui fait office de réceptionniste… Cette anecdote est symptomatique de l’esprit qui règne dans l’entreprise et de son patron, un homme accessible, accueillant et qui a l’œil sur tout, de la réception d’un colis jusqu’au positionnement du ruban sur les boîtes de pralines.

Belvas: la passion du chocolat et de l’exportation Interview réalisée par François Hubert pour le Trade for Development Centre, juin 2014. 35


Le goût avant tout C’est un peu forcé qu’il a racheté en

Au-delà du parcours du combattant que

2005 la chocolaterie Devas ­(l’ancien

peut représenter une labellisation équi­

nom de Belvas), alors qu’il était déjà

table (en l’occurrence Max Havelaar) d’un

occupé à lancer sa propre marque de

produit complexe tel que des pralines,

produits naturels pour bébés. " Il y avait

le principal défi de Thierry Noesen fut de

sept employés chez Devas. Je n’étais

conserver l’excellence dans la qualité.

pas prêt pour une reprise. Mais quand

Hors de question de sacrifier le goût aux

le patron m’a dit qu’il allait fermer et

critères équitables ! Et inversement. Le

licencier le personnel, je ne l’ai pas

maître chocolatier maison travaille ses

supporté ", dit-il. En deux, trois jours,

recettes jusqu’à obtenir le goût désiré.

l’affaire était pliée. Et dès le lendemain de la reprise effective, la chocolaterie

" On trouve d’abord l’ingrédient, explique

passait au tout équitable. Et bio un peu

l’entrepreneur. Ensuite, on crée la praline.

plus tard, en 2007.

Par exemple, on a trouvé une pâte de fi­ gues bio. Le maître chocolatier a cherché

“Comme il n’y a jamais d’arômes ajoutés, cela nous force aussi à mettre plus de cacao, plus d’amandes, moins de sucre… afin d’obtenir des goûts plus puissants.“

jusqu’à trouver la bonne combinaison. Tout ce qui est fair trade, bio et local, on le prend. Nous, nous sommes 100 % équi­ table, par rapport à d’autres chocolatiers qui font aussi de l’équitable en plus de leurs produits habituels."

36


Une gamme limitée Ici, on ne parle pas de pralines à l’an-

Authentiquement belges et seules sur

chois ou au poivre rose de Madagascar:

le marché du bio-équitable, les pralines

"On reste dans des goûts élémentaires,

Belvas ont assez vite trouvé leur créneau.

très ‘terroir’, avec des noisettes, du

Elles sont vendues chez Delhaize, dans

caramel, de la crème fraîche, des pis-

les Magasins du Monde Oxfam et dans

taches, etc.", affirme Thierry Noesen.

les épiceries bio. " Nous sommes un

C’est la raison pour laquelle la gamme

chocolatier qui n’est concurrent d’aucun

de pralines Delvas, d’une vingtaine de

autre chocolatier. " A 45 euros du kilo,

sortes, reste limitée. " Comme il n’y a

Belvas se positionne au niveau du prix

jamais d’arômes ajoutés, cela nous

à la même hauteur que Galler, entre Leo­

force aussi à mettre plus de cacao,

nidas et Neuhaus ou Marcolini.

“L’équitable est une opportunité pour changer le monde. Je ne crois pas que ce soit une mode. Je vois chez les jeunes une soif d’éthique.”

plus d’amandes, moins de sucre… afin d’obtenir des goûts plus puissants. "

37


Le respect de ­l’environnement, c’est aussi en Belgique

L’éthique, une valeur d’avenir

moi de voir toutes les implications qu’un tel genre de construction peut avoir sur l’environnement ", précise l’entrepreneur.

Au vu de son parcours, il n’était pour-

Depuis 2013, Belvas a aussi son propre

tant pas évident que Thierry Noesen

point de vente, près de la très huppée Mais c’est à l’étranger que Belvas

place du Sablon, à Bruxelles. Outre le

s’étend le plus : 80 % de la production

prestige que confère l’emplacement,

est exportée et trouve une place dans

"cela permet d’obtenir en direct les réac­

les rayons bio du monde entier, en

tions des consommateurs. Dès qu’on

Allemagne et aux Etats-Unis surtout,

sort un nouveau produit, c’est là qu’on

mais aussi en Chine, en Espagne, aux

le teste ", explique le patron.

trouve le succès dans l’équitable : son premier job, c’était chez Nestlé, l’une des multinationales agro-alimentaires les plus critiquées pour ses relations avec les pays du Sud, tant au niveau de ses fournisseurs que pour ses pratiques marketing. Thierry

Pays-Bas, en France… Et il y a encore un sérieux potentiel de croissance: " Nous sommes dans la niche du bio ; donc, tous les points de vente bio nous sont ouverts. Il y a beaucoup de territoires où nous pouvons grandir : le Brésil, la Grande-Bretagne… "

Noesen y restera trois ans en tant que

“Et c’est là mon angoisse : des grandes marques lancent de nouveaux labels qui sont plus faibles au niveau de l’éthique. Certains de ces labels ont clairement un objectif commercial.“

chef des produits "chocolat" pour le marché belge.

Quelle est sa vision de l’équitable et de l’avenir du secteur ? " J’y vois à la fois une opportunité et une source d’an­ goisse. L’équitable est une opportunité pour changer le monde. Je ne crois pas que ce soit une mode. Je vois chez les jeunes une soif d’éthique. Donc, je pense que cette idée d’aider les producteurs du Sud par l’achat de leurs produits va perdurer. Mais pour que ça dure, il faut que la sévérité des contrôles n’ait pas de limites. Je suis pour des contrôles très stricts. Et c’est là mon angoisse : des grandes marques lancent de nouveaux labels qui sont plus faibles au niveau de l’éthique. Certains de ces labels ont clairement un objectif commercial. "

Des difficultés, l’entreprise en a connues, pour en arriver là où elle est aujourd’hui :

Difficile, cependant, d’entamer la bonne

celle de trouver des fournisseurs fiables

humeur de cet amoureux du chocolat.

et certifiés d’abord, le coût du person­

" J’ai aussi été administrateur de la

nel ensuite. Quinze personnes sont

chocolaterie Gudrun, à Anvers. J’y ai

employées à temps plein, auxquelles

découvert la passion de l’exportation.

s’ajoutent une dizaine d’intérimaires.

Et je crois franchement que j’ai le plus

" Malheureusement, avec les nouvel­

beau métier du monde : je travaille avec

les réglementations, je ne sais même

un produit amusant, nous avons une

plus engager ", se désole l’entrepreneur.

équipe formidable et je suis tout le temps

Heureusement, il a aussi reçu des aides

en train de converser avec le monde en­

un système de récupération de chaleur

bien utiles, à commencer par celles de

tier. " Ne dit-on pas que le chocolat est

sur les machines permet à l’entreprise

la Région wallonne, et de l’Awex (Agence

un bon antidépresseur ? En tout cas, à

d’être à 70 % autonome en énergie. " Ce

wallonne à l’Exportation) en particulier.

Ghislenghien, c’est prouvé.

Belvas prouve son attachement à l’en­ vironnement encore d’une autre manière. En 2007, la société a quitté la région de Mouscron pour s’installer dans le zoning de Ghislenghien. Thierry Noesen a tenu à ce que son usine soit entièrement bâtie selon les critères de l’éco-construction. Par exemple, des panneaux solaires et

n’est pas seulement pour l’image ou pour les économies que cela nous permet de

En savoir plus?

faire, mais c’est aussi très excitant pour

www.belvas.be

38


OPTIMART

Entretien avec

Philippe Deman


Depuis 1991, l’association Optimart développe, dans une logique de commerce équitable et solidaire, des partenariats avec des groupements d’artisans d’Afrique de l’Ouest. L’artisanat arrivant cependant à la fin d’un cycle, Optimart tente de rebondir avec un concept-bar basé sur l’équitable. A la base de l’association, il y a Philippe Deman, assistant social de formation et ancien objecteur de conscience qui a passé, dans les années 1980, son service civil chez Artimo, qui faisait la promotion et vendait de l’artisanat du Rwanda. A la liquidation d’Artimo, personne ne voulait de l’artisanat. Philippe a racheté le stock, point de départ de sa nouvelle association, Optimart. Thierry Ouedraogo, Burkinabé venu en Belgique pour ses études, l’a rejoint peu de temps après. Pendant des années, la vitrine d’Optimart, c’était Mbeubeuss, une boutique au centre de Bruxelles qui portait le nom de la plus grande décharge de Dakar. Aussi petite fût-elle, cette boutique fascinait : c’était le royaume du recyclage, et si l’on y trouvait des objets attendus (des petites voitures réalisées en cannettes, des sacs à main fabriqués à partir de journaux ou de sacs en plastique…), on y faisait aussi des découvertes plus surprenantes comme des tabourets " zébulon " dont les pieds étaient des amortisseurs de camion. Optimart avait monté un partenariat avec les artisans sénégalais de Soweto ­Village qui eux-mêmes achetaient aux ramasseurs de la décharge les matériaux de r­ ecyclage nécessaires à leur art. Tout le monde y trouvait son compte.

Nouveau à Bruxelles : le café du commerce équitable

Alors, pourquoi avoir fermé la boutique ? Philippe Deman répond : " On ne s’en sortait plus avec l’artisanat. Tant qu’il y avait une demande, cela avait du sens. Il y a vingt-cinq ans, ce genre d’artisanat marchait du tonnerre. Mais maintenant, les gens voyagent beaucoup plus et découvrent par eux-mêmes ces produits dans les pays où ils sont fabriqués. De plus, il faut des produits qui se renouvellent. Et avec les artisans, ce n’est pas toujours facile… "

Interview réalisée par François Hubert pour le Trade for Development Centre, juin 2014. 40


Mais il n’y a pas que la création… Comme beaucoup d’entreprises de commerce

pendant quinze ans avec un objectif : le

A cela s’ajoutait la situation de la bouti-

deux ans que l’association a racheté le

équitable, surtout dans le secteur de

changement. Pourquoi rien n’a changé

que, au cœur de Bruxelles, certes, mais

pas-de-porte de l’ancien magasin, mais

l’artisanat, Optimart a été confrontée

là-bas alors que de notre côté, nous y

pas idéalement placée. " Notre clientèle,

ouvrir un commerce dans l’horeca s’avère

à des difficultés d’approvisionnement:

avons mis tous les moyens ? Pour qu’un

c’était des gens qui connaissaient la

aussi parfois un véritable parcours du

des délais non respectés, une qualité des

changement ait lieu, il faut qu’il soit

boutique, mais nous avions très peu de

combattant : il a fallu 18 mois pour obtenir

produits pas toujours égale, les sempi-

endogène ", ajoute son collègue.

gens de passage. Nous étions en dehors

le permis d’urbanisme, uniquement parce

du parcours habituel des touristes ",

que la commune s’y opposait… alors que

précise Thierry Ouedraogo.

celle-ci est propriétaire du bâtiment !

ternelles discussions sur les prix… " Importer de l’artisanat coûte très cher.

Sur ce coup, on sent les responsables

Et il est très difficile dévaluer l’impact

d’Optimart un peu amers. Au final, le

Assez parlé du passé. Tournons-nous

Philippe Deman se désole d’ailleurs

de ce genre de projet ", estime Philippe

résultat est que les ventes ont fortement

vers le présent et l’avenir. Pour Optimart,

du peu de soutien qu’il obtient de la

Deman. " A Soweto Village, ils vivent au

diminué. Même sur les événements et

devenue membre de la BFTF (Fédération

commune. " Il n’y a pas d’interlocuteur

jour le jour. Il n’y a pas de leader avec

marchés où Optimart était présente, la

belge du commerce équitable), c’est le

Commerce équitable à Bruxelles, qui

une vision d’avenir. A la fin, cela pose un

perte d’intérêt des consommateurs s’est

" Café du commerce…équitable " qui se

porte pourtant le titre de commune du

problème de confiance ", avance Thierry

fait sentir : " Au dernier marché de Noël,

trouve, comme par hasard, juste en face

commerce équitable ".

Ouedraogo, lui-même Africain d’origine.

même les petits objets à cinq euros ne

de l’ancienne boutique Mbeubeuss, mais

" Nous avons eu un partenariat avec eux

partaient pas ".

sur un coin de rue plus visible. Cela fait

“Il y a vingt-cinq ans, ce genre d’artisanat marchait du tonnerre. Mais maintenant, les gens voyagent beaucoup plus et découvrent par eux-mêmes ces produits dans les pays où ils sont fabriqués.” 41


"Notre café est un lieu de convivialité et

Pour ce pionnier du commerce équita-

de rencontre avant tout", annonce Phi-

ble qu’est Philippe Deman, ce qu’il fait

lippe Deman. On n’y sert pas de repas

"n’est pas un travail, mais une passion ".

" Small is beautiful ", semble regretter

L’avenir du commerce équitable ? " Il ne

(faute d’autorisation pour une cuisine),

Il a suivi toute l’évolution du commerce

Philippe, qui se définit comme " un acteur

marchera pas si les gens qui peuvent le

mais du bon café, entre autres. Optimart

équitable, de la démarche caritative à la

de changement social ". Avec Optimart

faire décoller ne font pas le nécessaire."

s’est trouvé un partenaire avec les cafés

participation de l’économie sociale et

et son complice Thierry, il continue à

S’il avait été entouré de marketeurs, de

Chorti, qui sont également vendus dans

solidaire en passant par le secteur de la

réfléchir sur les mécanismes sociétaux

directeurs d’achats, d’actionnaires à

l’établissement. Des paniers bio y sont

distribution et des multinationales. Le

qui régissent le commerce mondial et

deux chiffres, de banquiers, de politiques

aussi proposés. Et puis du thé, du cho-

moins que l’on puisse dire, c’est qu’il pose

local. Il participe à la formation des in-

ou d’économistes, on aurait pu suivre son

colat, de la bière… le tout équitable, ou

un regard très acerbe sur l’évolution du

stituteurs, organise des séminaires de

regard… mais vous l’avez certainement

à tout le moins durable. Malgré tout, les

secteur: " Si le commerce équitable a été

formation à l’économie sociale à l’école

compris, Philippe Deman n’appartient

animateurs d’Optimart ne désespèrent

initié et développé par des militants qui

Francisco Ferrer, développe des projets

pas à ce monde-là.

pas de pouvoir un jour ouvrir une véri-

voulaient plus de justice dans les échan-

participatifs… On le sent très fier de son

table table d’hôtes.

ges économiques, il a fini, en vendant son

parcours, même s’il n’a pas été couron-

âme à la grande distribution, par être

né du succès escompté : " Quelle liberté

phagocyté par le système capitaliste. "

d’avoir fait tout ça ! ", dit-il.

“A Soweto Village, ils vivent au jour le jour. Il n’y a pas de leader avec une vision ­d’avenir. A la fin, cela pose un problème de confiance.” Le Café du commerce (équitable) accueillera bien évidemment certaines des activités de sensibilisation de l’association: soirées thématiques sur l’alimentation durable, atelier sur les potagers urbains, achats collectifs, etc..

42

En savoir plus? www.optimart.org


LA PACHAMAMA

Entretien avec

Isabelle Steenebruggen


Pachamama, ça veut dire « terre-mère », dans la culture indienne d’Amérique latine. La Pachamama, c’est la terre nourricière et c’est une femme. Cela tombe bien car c’est aussi le nom d’une coopérative belge qui vend des articles pour bébés (et mamans), en total respect pour les gens qui les produisent et leur environnement. Isabelle Steenebruggen est ce qu’on appelle une " mompreneur ", une maman entrepreneure. Cette maman de deux enfants a fondé La Pachamama, une coopérative à finalité sociale qui importe et distribue des articles pour enfants et mamans. Comment cette traductrice de profession en est-elle arrivée là ? " Quand j’ai eu des enfants, je me suis rendu compte qu’on leur proposait finalement beaucoup de crasses, des articles qui contenaient beaucoup de produits chimiques et toxiques, fabriqués dans des conditions de travail épouvantables. En en parlant à d’autres parents, j’ai vu qu’il y avait une demande pour des produits éthiques destinés aux enfants. Et je me suis dit : pourquoi ne pas faire le lien ? "

La Pachamama : ­l’équitable pour petits et grands (­ mais surtout les petits) Interview réalisée par François Hubert pour le Trade for Development Centre, juin 2014. 44


Des objets porteurs d’histoire Elle s’est donc lancée dans l’aventure

" Je me doutais bien que ce ne serait pas

et est partie à la recherche de jeux,

florissant du premier coup. Mais malgré

de doudous, de poupées, de layettes,

tout, on s’est développé assez vite, grâ-

de couches lavables, de porte-bébés,

ce entre autres à Lanka Kade que nous

d’objets de décoration, etc., tous plus

avons très vite commencé à distribuer.

éthiques et équitables les uns que les

" Lanka Kade est une marque équitable

autres. Le concept du commerce équi-

anglaise de jouets, peluches et objets

table ne lui était d’ailleurs pas étranger

de déco qui fait fabriquer ses produits

puisqu’elle avait travaillé auparavant

par des groupements d’artisans du Sri

comme bénévole dans les Magasins du

Lanka. Avec un millier de références, c’est

Monde-Oxfam. " Notre rôle est de faire

déjà un gros acteur du secteur.

se rencontrer le professionnel qui travaille en investissant son amour et son talent, et l’acquéreur d’un objet porteur d’une histoire, de valeur humaine, de dignité ", écrit-elle dans son petit texte de présentation.

“Quand j’ai eu des enfants, je me suis rendu compte qu’on leur proposait finalement beau­coup de crasses, des articles qui contenaient beaucoup de produits chimiques et toxiques, fabriqués dans des conditions de travail épouvantables.” 45


Où sont les dînettes et les instruments de musique ? "En Belgique, il y a six ans, la vente par In-

Après trois années à travailler comme

ternet n’était pas encore très développée.

indépendante complémentaire, Isabelle

que 80% des livres jeunesse en français

Elle l’était davantage en France, où nous

Steenebruggen a franchi le pas et a

sont imprimés en Chine ? Les livres

réalisions 75 % de nos ventes en ligne,

transformé son activité en c ­ oopérative

Pourpenser, eux, sont fabriqués sur du

même en concurrence avec des gros

à finalité sociale. La coopérative est

papier recyclé par des ateliers protégés",

sites. Aujourd’hui, les familles belges

­o uverte à tous. Une vingtaine de

précise la " mompreneur ". L’entrepre-

achètent beaucoup plus sur Internet",

coopérateurs ont déjà pris au moins

neure a cependant un petit regret : elle

explique-t-elle. "Mais il y avait une telle

une part sociale – de 100 euros – qui

ne trouve pas, en équitable, de dînette

demande de produits équitables pour

donne droit à une ristourne de 5 % ­sur

ni d’instruments de musique.

les enfants que nous nous sommes vite

leurs achats.

tournés vers la distribution. Nos produits

La France, premier marché pour la ­vente en ligne aux particuliers

sont maintenant disponibles dans une

Parmi les autres marques phares dis-

quarantaine de points de vente dans

tribuées par La Pachamama, on compte

toute la Belgique, ainsi que dans les

aussi Akha Biladjo (une ONG du Laos qui

Magasins du Monde-Oxfam."

fabrique des objets de décoration), Barefoot (des jouets en tissu), Global Affairs (marque équitable néerlandaise qui fait faire ses produits pour enfants en Chine et en Inde),.. " Ce qu’on aime, ce sont des

Au premier étage de sa maison, Isa-

jeux qui durent longtemps et qui vont

belle Steenebruggen a installé son

créer du lien. Les jeux qui invitent parents

show-room, ouvert sur rendez-vous.

et enfants à se mettre ensemble. Quand

Un vrai paradis pour bébé ! Ajoutez à

nous disons ‘ commerce équitable pour

cela les dessins de ses propres enfants

petits et grands’, c’est parce qu’on n’est

affichés dans les autres pièces, avec

jamais trop grand pour jouer. " Bien sûr,

quelques jouets qui traînent, comme

tous ces articles répondent aux normes

dans toute famille qui se respecte, et

de sécurité édictées par la Commission

vous comprendrez que cela donne à la

européenne. Autre marque réputée : les

maison un petit air de crèche

livres Pourpenser. " A propos, savez-vous

46

“Ce qu’on aime, ce sont des jeux qui durent longtemps et qui vont créer du lien. Les jeux qui invitent ­parents et enfants à se mettre ensemble.”


La crise porteuse d’espoir La crise ? Elle ne l’a pas trop sentie, même si le prix de la majorité des a ­ rticles vendus tourne autour des dix euros. " La crise a même été plutôt positive car elle a donné naissance à une prise de conscience chez beaucoup de ­personnes par rapport à leurs achats. De plus, dans le jouet, on a la chance d’avoir des prix similaires à ceux pratiqués dans le commerce traditionnel, c’est-à-dire hors les gros distributeurs. "

Jeu éducatif cherche investisseurs… “Nous avons l’ambition de placer des jouets équitables dans plein de boutiques qui disent ne pas avoir la place pour ça.“

" Le commerce équitable a un avenir.

­sensibilisation au commerce destiné aux

On est un peu comme le bio il y a une

enfants entre six et dix ans. Un prototype

vingtaine d’années. Ça bouge. Les gens

a déjà été fabriqué et testé. Il ne manque

sont intelligents et de plus en plus exi-

plus que 3.500 euros pour le produire.

geants ", analyse Isabelle Steenebruggen,

Le jeu sera produit au Sri Lanka. Une

qui a " l’ambition de placer des jouets

campagne de financement participatif

équitables dans plein de boutiques qui

sera lancée à la rentrée 2014 afin d’en

disent ne pas avoir la place pour ça ".

financer la production.

Elle a un autre rêve : produire un jeu de En savoir plus? www.lapachamama.be

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CAFÉ CHORTI

Entretien avec

Dimitri Lecarte


Garantir à de petits producteurs du Guatemala un juste revenu pour leur café et proposer aux consommateurs du nord un produit de qualité supérieure à un prix abordable : voilà le double défi de Café Chorti, une initiative de commerce équitable grâce à laquelle le produit passe directement du producteur à notre tasse, et qui fait de nous de vrais ‘consomm’acteurs’.

A la bourse du café de New-York, l’origine et la qualité de l’arabica du Guatemala en font l’un des cafés les mieux cotés. Et pour cause : c’est l’un des meilleurs cafés au monde. Mais ce n’est pas pour autant que les petits producteurs tirent de leur travail un revenu leur permettant de subvenir décemment à leurs besoins et d’avoir une chance de développer leur activité. Les Indiens chortis en ont fait l’amère expérience dans les années 90, lorsque tous les cours du café se sont effondrés. Mais paradoxalement, c’est sans doute cette adversité qui les a incités à chercher des issues qui leur permettent aujourd’hui de vivre correctement et d’envisager un avenir serein. Dès 1999, ils ont en effet décidé de mettre leur production en commun au sein d’une société coopérative, La Cuna Chorti. Présent sur place depuis 1994 pour mener différents projets de coopération, le Cinacien Dimitri Lecarte a été l’une des chevilles ouvrières de la coopérative. " Rapidement, nous nous sommes orientés vers le commerce équitable et notre structure s’est regroupée avec des coopératives qui étaient déjà actives dans le domaine. Nous avons profité de l’expérience

Café Chorti : le café équitable du Guatemala en ligne directe

des autres ", explique-t-il. La coopérative, c’était la meilleure manière de valoriser un café de qualité et aux arômes intenses, cultivé dans les collines à plus de 1.200 mètres d’altitude. C’était aussi, pour les producteurs, une manière de garantir un revenu minimum stable et deux fois plus élevé que celui perçu via les canaux habituels. Grâce à cela, ils ont pu enfin à la fois rentabiliser leur culture, redynamiser l’économie locale et investir

Interview réalisée par Alain De Bast

dans leur propre développement.

pour le Trade for Development Centre, décembre 2013.

49


"La coopérative est une structure qui ne

Des débuts difficiles

“L’objectif était de créer un lien direct entre le producteur chorti et le consommateur belge et européen.”

fait pas que produire et vendre du café. Elle permet aux plus petits de s’unir et de s’en sortir, aux enfants d’aller à

En 2006, Dimitri Lecarte et son épouse

l’école. Le café et sa vente, ce sont des

guatémaltèque sont rentrés en Bel-

outils pour parvenir à ces évolutions

gique pour constituer une société de

cruciales ", résume Dimitri Lecarte. Afin

commercialisation directe du café,

de commercialiser leur café, les mem-

dépendant directement de la coopéra-

A son arrivée sur le marché belge, Café

des produits équitables. F ­ inalement, à

bres de La Cuna Chorti se sont associés

tive guatémaltèque. L’objectif était de

Chorti ne porte en effet pas de label du

force d’expliquer notre démarche et quel

avec la coopérative d’épargne et de crédit

créer un lien direct entre le produc-

commerce équitable, tout en se reven-

était notre projet sur place au Guatema-

Coosajo.

teur chorti et le consommateur belge

diquant équitable. " Faire grimper le prix

la, tout le monde a compris ce que nous

et européen. Mais les débuts ont été

pour avoir le label, ce n’était pas une so-

faisions. Aujourd’hui, nous ­sommes

tout sauf faciles ! " Notre idée était de

lution. Le fait de ne pas être labellisé nous

d’ailleurs membres de la BFTF, la Fédéra-

court-circuiter toute la chaîne com-

a certainement fermé des portes, mais

tion du commerce équitable ", explique

merciale en devenant des importa-

nous avons assumé ce choix. A nos yeux,

Dimitri Lecarte. Il est d’ailleurs convaincu

teurs-distributeurs, mais nous avons

grâce à notre commercialisation directe

que le commerce équitable a de beaux

rencontré plus d’oppositions que reçu

et notre contrôle de toute la ­filière, Café

jours devant lui, pour autant qu’il reste

de soutiens ", explique Dimitri Lecarte.

Chorti était peut-être le plus équitable

fidèle à ses origines et à ses processus.

50


De belles ­perspectives Le Cinacien, garde forestier de for-

Pour Dimitri Lecarte, les premières an-

mation, n’a pas vraiment un profil

nées difficiles qui ont suivi le lancement

commercial, et le démarchage dans

de la société de commercialisation dans

les grandes surfaces n’est pas son

notre pays semblent n’être aujourd’hui

point fort. D’ailleurs, il privilégie la

qu’un lointain souvenir. C’est avec

vente de Café Chorti aux particuliers,

­optimisme et un enthousiasme bien à

dans les groupements d’achats et les

lui qu’il se tourne vers l’avenir, notam-

magasins spécialisés. " Ma vocation

ment grâce à l’essor actuel des circuits

première, c’est de mettre le producteur

courts auprès des consommateurs.

et le consommateur en contact, dans

"Je pense que la crise du lait de 2009 a

un climat de confiance qui apporte

­ouvert les yeux de beaucoup de gens. Les

beaucoup plus de bénéfice au pro-

groupements d’achat ont commencé à

ducteur", dit-il avec conviction. Et la

se développer et j’ai sauté à pieds joints

qualité de son café est certainement

sur cette opportunité. Elle correspond

son atout majeur pour atteindre et

réellement à notre marché et à notre

fidéliser le consommateur. Outre la

clientèle. Avec ces circuits courts, je me

richesse intrinsèque du grain arabica

sens aussi personnellement dans mon

du Guatemala, elle est aussi le fruit

élément ". Cela n’a rien de surprenant,

d’un travail minutieux, qui comporte

car Café Chorti et les différents types

notamment une récolte manuelle, une

de circuits courts partagent une même

fermentation contrôlée, un séchage au

philosophie : créer un lien direct entre

soleil et une sélection rigoureuse des

producteurs et consommateurs, en sup-

grains. " Avec Café Chorti, les produc-

primant le plus possible les intermé­

teurs sont aussi directement distribu-

diaires qui se sucrent au passage. " Café

teurs. Ils n’ont donc jamais été aussi

Chorti apporte la preuve qu’il est possible

motivés qu’aujourd’hui, parce que c’est

de vendre un café bio et équitable à un

le café qu’ils pouponnent durant toute

prix raisonnable. Il démontre par là même

l’année qu’ils vendent eux-mêmes ! "

aussi que dans l’industrie et les filières conventionnelles, les marges sont très conséquentes", observe Dimitri Lecarte.

51


Séchage du café chorti Café Chorti est fidèle de bout en bout à sa démarche : la torréfaction du café, lente et de tradition, est confiée aux Cafés St Médard, à Dinant, une petite entreprise familiale avec laquelle Dimitri Lecarte entretient davantage des relations amicales que commerciales. Quinze tonnes de café Chorti y sont torréfiées chaque année, mais les volumes pourraient rapidement augmenter. " J’ai vraiment le sentiment que nous sommes dans une phase

“ Faire grimper le prix pour avoir le label, ce n’était pas une solution.Le fait de ne pas être labellisé nous a certainement fermé des portes.”

charnière. Grâce au développement des filières courtes, qui cherchent

l’aventure de Café Chorti sous une au-

de nouveaux produits, je perçois des

tre forme : la sprl créée en 2006 s’est

possibilités de développement et un

transformée en coopérative à finalité

intérêt manifeste pour nos cafés. La

sociale depuis le 1er janvier 2014. Un

crise peut aussi provoquer un réveil

appel à coopérateurs sera lancé en

chez une partie de la population, qui

Belgique, pour que cette coopérative

est capable de prendre conscience du

regroupe à la fois les producteurs et

fait qu’une autre consommation est

des ‘consomm’acteurs’ de café Chorti

possible ". Il compte aussi sur cette

dans notre pays. Peut-on rêver de lien

prise de conscience pour poursuivre

plus étroit entre les deux?

En savoir plus? www.chorti.be

52


COULEURS SUD

Entretien avec

Serge Lenaerts


Couleurs sud, c’est le défi de deux enseignants qui, voici plus de dix ans, ont décidé d’ouvrir un magasin de produits ­équitables à Court-Saint-Etienne, dans le Brabant wallon. A leur ­clientèle de proximité, ils proposent des vêtements, des bijoux, de ­l’artisanat et une gamme variée de produits alimentaires. En toute ­convivialité.

Dès qu’ils poussent la porte de Couleurs sud, les clients du magasin se voient proposer une tasse de thé. C’est sans doute un détail, mais il en dit long sur l’idée que Serge et Nadia Lenaerts se font de leur magasin : il doit être un endroit chaleureux, détendu, où le conseil et l’échange sont érigés en principes incontournables. " Nous étions tous deux enseignants. Avant de se concrétiser, notre projet de créer une boutique de produits équitable a mûri pendant cinq ans, notamment au cours de voyages en Inde ", explique Serge Lenaerts. Auparavant, il avait déjà travaillé plusieurs années comme bénévole dans un magasin Oxfam, et avait été la cheville ouvrière d’un autre Magasin du Monde dans le collège bruxellois où il enseignait. Pour lui, le commerce équitable était donc une préoccupation de longue date En contact avec des artisans bijoutiers en Inde, Serge et Nadia comptaient initialement ne proposer que ces produits, et combiner cette activité avec leur métier d’enseignant. Après avoir pris conseil auprès de personnes actives dans le commerce, ils ont toutefois décidé d’ajouter les vêtements et l’artisanat à leur gamme de produits. " Avec les bijoux, nous aurions eu une grosse demande au moment des fêtes, mais des périodes creuses durant le reste de l’année. La diversification

Couleurs sud : éthique et convivialité

exigeait de plus gros investissements et un plus grand magasin, ainsi que la mise sur la table de fonds propres, mais c’est l’option que nous avons choisie ", raconte Serge Lenaerts. Après une année de congé sans solde, destinée à prendre des cours de gestion, à faire les démarches auprès de fournisseurs et à acheter le magasin, le moment était venu d’ouvrir Couleurs sud.

Interview réalisée par Alain De Bast pour le Trade for Development Centre, décembre 2013. 54


Une grande variété d’articles Depuis décembre 2002, le magasin

Aujourd’hui, on trouve à Couleurs sud

est niché à deux pas de la gare de

une grande variété d’articles du com-

Court-Saint-Etienne. Avec ses couleurs

merce équitable, solidaire ou éthique:

­chaudes, sa musique relaxante et sa

de l’artisanat, des bijoux en argent et

grande ­diversité de produits équitables, il

de fantaisie, des objets de décoration

est une véritable invitation à la curiosité.

et des produits alimentaires. Les vête-

Ici, on prend le temps, on tâte, on sent, on

ments occupent une grande partie du

discute. " Notre but n’était pas d’ouvrir

magasin et viennent principalement

un commerce comme les autres, mais

d’Inde et du Népal, tandis que les au-

de promouvoir l’équitable et le bio. Notre

tres articles ont des provenances di-

démarche est donc différente de celle

verses : Equateur, Namibie, Indonésie,

d’un commerçant qui ne recherche que

Afrique saharienne… Les bijoux en

la rentabilité ", explique Serge Lenaerts.

argent proviennent quant à eux d’une coopérative de femmes au Mexique. La fourniture de tous ces articles passe

leur cause, seuls l’écotourisme et l’ar-

par des acteurs reconnus du commerce

tisanat leur procuraient des rentrées

équitable, mais découle parfois aussi

financières."

de contacts directs que Serge et Nadia

“Notre démarche est donc différente de celle d’un commerçant qui ne recherche que la rentabilité.“

nouent avec les producteurs lors de

Outre les produits équitables du Sud,

l’occasion des fêtes ou des anniversai-

leurs voyages. " Nous nous sommes

le magasin propose aujourd’hui aussi

res ". La crise s’éternise et les gens ont

par exemple rendus en Equateur, où

des produits du Nord, essentiellement

aujourd’hui encore visiblement plus de

nous avons logé dans un village dont

alimentaires. Les bières locales (une

mal à acheter des pièces plus coûteuses,

les habitants fabriquent de la poterie

septantaine au total) en font partie, de

comme des vêtements. Le développe-

très fine, réalisée avec des méthodes

même que les vins ou les huiles des ré-

ment, lent mais constant, du commerce

ancestrales. Une autre tribu y réalise

gions méditerranéennes. " C’est à partir

équitable rend quant à lui plus aisée la

des bijoux en graines. Nous avons

de 2008 que nous avons étoffé cette

mise à disposition de produits, alimen-

acheté les produits de ces villageois

gamme alimentaire, parce qu’en raison

taires notamment. " Nous sommes plus

pour les soutenir, car leur territoire est

de la crise, les gens se rabattaient plutôt

nombreux qu’il y a quelques années à

envahi par des compagnies pétrolières.

sur les petits cadeaux alimentaires

promouvoir le commerce équitable et

Pour payer leurs avocats et plaider

que sur des vêtements, plus onéreux, à

nous travaillons davantage en synergie

55


qu’en concurrence. Nous proposons des

d’autant que la qualité est meilleure,

marque d’intérêt pour un autre type de

ils ont donc aussi d’autres valeurs à nous

produits similaires, et puisque nous

notamment au niveau de la teinture et

commerce est certainement une source

transmettre. C’est peut-être ce que nos

ne sommes pas forcément actifs dans

de la résistance des fibres ", constate

de motivation pour le couple. " Dans nos

clients recherchent lorsqu’ils achètent

les mêmes régions, cela ne pose pas de

Serge Lenaerts.

pays occidentaux, nous avons parfois la

ces objets qui viennent de très loin : un

prétention de croire que nous apportons

échange de culture qui nous permet de

problèmes de concurrence. Cela facilite par contre la recherche des produits

Selon lui, à terme, les commerces qui

notre modèle de développement aux pays

progresser ". Assurément, Serge et ­Nadia

et le fait que ceux-ci soient proposés

proposent des produits équitables et

du Sud. Le commerce équitable démont-

puisent également dans ces valeurs

par différents acteurs les crédibilise ",

bio travailleront encore davantage en-

re que les producteurs du Sud ont un

­toute leur motivation. " On a le senti-

observe Serge.

semble, pour proposer une offre globale

modèle de société et des structures qui

ment de contribuer à faire progresser la

fonctionnent, qui respectent la nature.

société", résume Serge Lenaerts.

Ce sont certes des structures modes-

“Nous sommes plus nombreux qu’il y a ­quelques années à promouvoir le commerce équitable et nous travaillons davantage en synergie qu’en concurrence.”

Equitable et bio, indissociables

cohérente aux clients. " L’idéal, ce serait d’avoir de petits magasins de q ­ uartier qui proposent tous ces produits. C’est un modèle social et économique cohérent, contrairement à la logique des ­grandes

Chez Couleurs sud, la gamme alimen-

surfaces ". Par la force des choses, le

taire est résolument biologique. Pour

commerce équitable Nord-Nord est

Serge et Nadia, équitable et bio sont

­également amené à se développer.

indissociables dans leur démarche et les deux dimensions vont de pair,

Au fil des ans, Serge et Nadia ont pu

pour l’alimentaire comme pour le reste

constater une attitude de plus en plus

d’ailleurs. " J’en veux pour exemple

positive des gens vis-à-vis du commerce

l’exploitation du coton en mode non

équitable. " On sent qu’ils sont solidai-

bio. Elle est catastrophique pour les

res avec la cause. La preuve en est que

gens et pour l’environnement, eu égard

notre fichier de clients s’allonge sans

aux quantités de pesticides utilisées. Il

arrêt", remarque Serge. Même si le chiffre

faut donc davantage d’alternatives bio,

d’affaires ne suit pas forcément, cette 56

tes, mais sur lesquelles nous pouvons

En savoir plus?

prendre exemple. Au-delà du commerce,

www.couleurs-sud.eu


FAIRYTALE

Entretien avec

Barbara Brugmans


Femme de cœur dotée d’une énergie hors du commun, Barbara Brugmans apporte à sa manière sa pierre à l’édifice de la coopération avec et au profit des femmes aux quatre coins du monde. Il y a tout juste dix ans, elle a créé sa propre boutique en ligne de ­dragées équitables. En 2010, ses efforts se sont vus ­récompensés par l’obtention d’un Be Fair Award par le Trade for Development Centre. Dans le grand hall de Bruxelles-Central, je n’ai point besoin d’aide pour repérer Barbara Brugmans : c’est cette dame entourée de bagages débordant de babioles et de colifichets des quatre coins du monde. " Lors de notre quête d’un nouveau produit équitable, mes amis et moi avons eu l’idée de nous concentrer sur le secteur de la petite enfance. La tradition bien ancrée chez nous, en Flandre, de distribuer des dragées à l’occasion des naissances nous a semblé un point de départ idéal. Comme il n’est pas donné à tout le monde de soutenir une bonne œuvre plutôt que de déposer une liste de naissance, j’ai souhaité combiner dragées et bonne œuvre. "C’est ainsi que l’ASBL Fairytale a vu le jour. Barbara s’y dévoue pleinement, contre un salaire minimum de mi-temps. Applique-t-elle des critères spécifiques dans la recherche de collaborations avec

Fairytale: petits cadeaux ­équitables pour toutes les occasions

des projets étrangers ? " Je ne me rends pas personnellement dans tous les projets; souvent, ce sont les rencontres avec les gens du circuit qui débouchent sur une collaboration. Elles permettent de repérer rapidement les projets durables, ceux qui évoluent positivement. Car ils ne sont pas tous à même de rassembler et de former les femmes, ni de fabriquer et d’organiser le transport de produits de qualité."

Interview réalisée par Sara Vercauteren pour le Trade for Development Centre, février 2014. 58


Poupées et oiseaux porte-bonheur Comme il était hors de question, pour

" Je travaille entretemps avec six or-

indienne Opus III, un autre groupement

mes besoins que ceux des femmes loca-

Barbara, de dépendre de subsides et

ganisations du quatrième pilier* avec

de femmes, qui confectionne de petits

les. Étant donné que la vie est devenue

de sponsors, elle a décidé d’investir

des projets situés aux quatre coins du

oiseaux porte-bonheur. Les recettes sont

plus chère ces dix dernières années, les

elle-même des fonds dans les projets.

monde. L’un d’entre eux est, par exemple,

destinées à des écoles, des maisons

salaires doivent par exemple augmenter.

" Une connaissance habitant au Kenya

la fondation Mama Alice, qui accueille

communautaires et des centres de santé.

Mais ils doivent aussi rester proportion-

m’a mise en contact avec une école si-

et accompagne les enfants des rues

tuée à Kibera, un bidonville de Nairobi.

en retard scolaire. Ce sont les mamans

"Le commerce équitable ne fonctionne

de nuire à l’économie locale. L’on pourrait

Nous avons lancé un appel pour créer

de ces enfants qui confectionnent nos

qu’à condition d’être sûr que l’argent va

bien sûr comparer les salaires de ces

un groupement de femmes, et organiser

poupées porte-bonheur, un travail pour

à ceux qui en ont besoin. " Barbara est

femmes à ceux versés en Flandre et en

la production et le transport jusqu’en

lequel elles reçoivent un salaire équita-

bien consciente de la difficulté de cette

déduire que le fossé est encore énorme,

Belgique d’arbres de vie artisanaux.

ble. Leur contribution au revenu fami-

démarche. " Dans le projet mis en œuvre

mais, dans leur contexte spécifique, ils

C’est moi qui me charge ensuite de la

lial leur permet en outre de gagner en

au Kenya, c’est une Kenyane qui veille

sont tout à fait équitables. Nous avons

vente et du marketing. Les femmes tou-

confiance en soi et d’avoir davantage

sur place à la rémunération correcte des

opté pour un paiement à la pièce pour

chent un salaire décent et les bénéfices

voix au chapitre chez elles. Qui plus est,

femmes. Elle a fait ses études à Louvain,

ces femmes. Il y a en effet différents

vont à un projet en faveur des enfants. "

les enfants ne doivent plus chercher à

habite au Kenya et parcourt le monde

facteurs dont nous devons tenir compte:

gagner quelques sous dans la rue. " Un

avec sa collection de bijoux. Elle peut

il s’agit pratiquement toujours de fem-

autre de nos partenaires est l’association

donc appréhender correctement tant

mes socialement défavorisées, avec des

nels et raisonnables, sinon ils risquent

* "Le quatrième pilier de la coopération au développement comprend tous les acteurs et initiatives (…) dans le domaine du dé-

“Nous avons opté pour un paiement à la pièce pour ces femmes. Il s’agit ­pratiquement toujours de femmes ­socialement défavorisées, avec des enfants, qui ne travaillent pas à temps plein pour le projet.”

veloppement et qui n’appartiennent ni à la coopération gouvernementale bilatérale reconnue (premier pilier) ni à la coopération gouvernementale multilatérale reconnue (deuxième pilier) ni à la coopération non gouvernementale reconnue par le gouvernement (troisième pilier) avec le Sud" (De Bruyn T. et Huyse H., De vierde pijler van ontwikkelingssamenwerking. Voorbij de eerste 59

kennismaking, VAIS, Brussel, 2009)


enfants, qui ne travaillent pas à temps

trafic maritime, les très stricts con-

plein pour le projet. Ainsi, lorsque la

trôles de contrebande d’ivoire… Je n’ai

pluie est suffisamment abondante, elles

pas d’autre choix que de me résigner,

travaillent aussi dans les champs pour

mais ce n’est pas de gaieté de cœur.

assurer leur subsistance. " Dans le souci

Ma clientèle, qui se compose majori-

de vérifier si les autres projets versent

tairement de femmes enceintes, ne

un salaire décent à leurs travailleurs,

peut pas toujours attendre. Certaines

Barbara analyse les rapports annuels et

commandent longtemps à l’avance,

entre en contact avec les chefs de projet.

mais d’autres pas et cela peut tourner

Un revenu propre

au drame. " En ce qui concerne les conditions de

" Grâce à mon contact au Kenya, tout

vie des femmes, il reste, selon Barbara,

marche généralement comme sur des

encore un long chemin à parcourir. Pour-

roulettes. Mais quand elle n’est pas là,

tant, bien des choses ont déjà changé

il arrive que nous recevions des con-

puisque, grâce au projet, les femmes sont

teneurs d’arbres de vie ou de petits

aujourd’hui en mesure d’envoyer leurs

paniers tout de travers, trop petits, ou

enfants à l’école. Et Barbara d’insister

mal peints... Et dans ce cas, je dois tout

sur l’importance de cet acquis : " C’est

réparer moi-même. Il est même déjà

bien grâce au fait que leurs enfants vont

arrivé que des sacs entiers de paniers

à l’école qu’elles peuvent se sortir du

aient été mangés par les termites. Je

cercle vicieux de la pauvreté ! En octobre

verse malgré tout les salaires, mais je

2013, je me suis encore rendue sur place

n’ai alors rien à vendre. Parfois aussi,

au Kenya. Nous laissons les femmes

nous sommes confrontés à des pro-

choisir en toute liberté de l’affectation

blèmes d’expédition des conteneurs, ces derniers pouvant ainsi arriver avec un mois de retard. Les raisons en sont multiples : la piraterie qui ralentit le

“Les clients ne doivent pas être incités à acheter mes produits parce que l’emballage des dragées est équitable ; c’est un atout, bien sûr, mais le produit doit en première instance leur plaire.” 60


des revenus de la vente des arbres de vie ; nous ne leur imposons rien. Elles les consacrent bien entendu en premier lieu à leur logement et à l’alimentation.

Le commerce ­équitable comme norme

La première fois que je suis allée au

Que le commerce équitable doive être la

À l’avenir, Barbara compte élargir l’offre

règle et non l’exception ne fait pas l’om-

équitable et donc aussi la part de marché

bre d’un pli pour Barbara. " Le commerce

de l’équitable. " Afin d’être en mesure

équitable devrait être accepté partout et

de vendre des articles plus originaux et

par tous, et seuls les produits qui en sont

plus tendance, j’aimerais entamer une

Kenya, la famine faisait rage dans la

Un produit équitable n’implique pas

issus devraient être disponibles sur le

collaboration avec un développeur de

région où sont confectionnés les petits

nécessairement un prix plus élevé,

marché. Même si la situation actuelle est

produits. Fairytale pourrait ainsi évoluer

paniers. Ceux qui n’ont pas de revenus

estime Barbara. " Les clients ne doivent

la conséquence de l’économie de marché,

vers l’entrepreneuriat social. Je songe

dépendent entièrement de ce qu’ils par-

pas être incités à acheter mes produits

il est fort regrettable que les autorités

éventuellement aussi à rester plus près de

viennent à cultiver ; partant, lorsque

parce que l’emballage des dragées est

ne promulguent pas plus de lois ou de

chez moi, et à travailler avec des femmes

les récoltes sont mauvaises, ils n’ont

équitable ; c’est un atout, bien sûr,

règlements imposant le commerce équi-

socialement en difficulté en Flandre. "

tout simplement pas de quoi se nourrir.

mais le produit doit en première in-

table. Finalement, en Occident aussi, les

Grâce au projet, les femmes peuvent

stance leur plaire. Je vends aussi mes

travailleurs se révoltent si on touche à

confectionner les paniers et acheter de

produits aux Pays-Bas, où la tradition

leur salaire. Malheureusement, le com-

la nourriture avec les bénéfices. Elles

des dragées n’existe pas. Ils y sont es-

merce équitable est aujourd’hui encore

investissent aussi une partie des reve-

sentiellement utilisés pour des cadeaux

trop souvent associé à des produits

nus dans la communauté, p. ex. dans la

d’anniversaire ou à d’autres occasions.

alternatifs, une image dont il doit abso-

En savoir plus?

construction d’une petite église. Pour

Les articles Fairytale peuvent en effet

lument s’affranchir. "

www.fairytale.be

elles, c’est très important de disposer

servir non seulement d’emballage pour

de leur propre église, car auparavant, il

des dragées, mais aussi en guise de

leur fallait une heure pour atteindre la

petits cadeaux à d’autres occasions,

communauté religieuse la plus proche. "

telles que des anniversaires, des mariages, des communions… "

“J’aimerais entamer une collaboration avec un développeur de produits. Fairytale pourrait ainsi évoluer vers ­l’entrepreneuriat social.” 61


ANA EDELSMID

Entretien avec

Ana Kindermans


Installée au cœur de l’environnement boisé d’ Heusden-Zolder, Ana Kindermans conçoit dans son atelier des bijoux réalisés en or équitable. Ana fait figure de pionnière : elle est en effet la ­première créatrice belge à avoir opté pour de l’or produit de façon équitable. C’est en Amérique latine qu’Ana a attrapé le virus de la création de bijoux. " À l’époque, alors que je recherchais un nouveau défi à relever et m’envolais pour un stage au Nicaragua, une amie m’a offert du matériel pour créer des bijoux. Elle savait que j’allais beaucoup en rencontrer là-bas et pensais que je pourrais apprendre de nouvelles choses. En quête d’une solution alternative au fil utilisé pour les boucles d’oreilles, mais auquel bon nombre de personnes sont allergiques, je me suis retrouvée dans un atelier regroupant des forgerons de différents pays. Je n’avais pas la moindre idée s’ils pouvaient faire du fil, mais avant que j’aie eu le temps de dire ouf, l’un d’entre eux avait commencé à tirer un fil d’un bloc d’argent. Fascinant! J’ai eu la chance de pouvoir travailler un mois durant dans cet atelier. De retour en Belgique, je savais parfaitement ce que je voulais faire ; je me suis donc lancée immédiatement dans une formation en orfèvrerie. " Ana a peu à peu développé son activité : " Ce que je trouve chouette, c’est que les clients viennent parfois simplement pour des bijoux et qu’ils repartent avec de l’or équitable. Certains d’entre eux ne savent même pas ce que cela signifie. Une partie de la clientèle fait le choix délibéré d’acheter équitable ; ils viennent parfois de loin. D’autres viennent spécialement pour mes créations, et j’espère qu’ils considèrent comme une plus-value le fait que je travaille uniquement avec de l’or équitable. "

Ana Edelsmid: bijoux en or équitable Interview réalisée par Lene Van Langenhove pour le Trade for Development Centre, février 2014. 63


À la recherche d’un fournisseur Au début de sa carrière, Ana travaillait

À l’heure actuelle, il n’y a toujours pas de

encore à temps partiel dans des ONG

fournisseur d’or équitable en Belgique.

telles que Vredeseilanden et Max Ha-

Ana achète toujours son or chez un gros-

velaar. Elle avait bien conscience de la

siste hollandais qui le commande chez

problématique dans les mines, mais se

Oro Verde, une coopérative certifiée de

sentait tiraillée : " Je créais de belles

Colombie. Toujours en quête d’un mode

choses pour des moments privilégiés,

de vie plus durable, Ana est satisfaite de

mais je travaillais dans le même temps avec une matière pre­mière extraite dans de bien moins belles conditions. " Lorsqu’elle a entendu parler d’or équitable chez Max Havelaar, cela a tout de suite piqué sa curiosité et elle s’est mise à suivre de près les évolutions. L’or équitable a finalement fait son apparition sur le marché en Grande-Bretagne, puis aux Pays-Bas, mais en obtenir en Belgique n’était pas vraiment une sinécure. Ana faisait déjà des achats

“Ce n’est pas tellement un choix d’ordre économique ; si vous ne le faites pas avec conviction, mieux vaut arrêter.”

auprès d’un grossiste néerlandais et, fort heureusement, celui-ci s’est aussi

ce label : " Ce n’est pas tellement un choix

lancé dans l’aventure équitable. Un

d’ordre économique ; si vous ne le faites

autre défi de taille s’est ensuite posé:

pas avec conviction, mieux vaut arrêter.

obtenir le label Max Havelaar pour ses

Vous payez plus pour l’or, le processus

bijoux." Cela n’a pas été une mince

de certification coûte un pont et je ne

affaire, comme j’étais la première en

parle même pas de la paperasserie. Mais

Belgique. Les démarches ont pris une

c’est mon truc. " Ana n’a pas fait le choix

année environ. "

du commerce équitable pour proposer

64


quelque chose de différent’. " Bien sûr, il faut aussi que des gens entrevoient un créneau dans le marché, mais pour moi, ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Pour le moment, d’un point de vue commercial, cela ne vaut pas la peine de se lancer dans l’aventure. "

L’ensemble de la ­filière doit suivre Ana collabore également avec Catapa,

doit satisfaire aux différents critères.

une organisation qui sensibilise la po-

Les exploitants miniers ont consenti

pulation à la problématique de l’exploi-

de lourds investissements dans cette

tation minière. Lorsqu’elle a entendu

optique et ils s’attendent donc à un

parler de leur projet GOUD:EERLIJK? à

chiffre d’affaires plus conséquent. "Et

Gand, elle a entamé des discussions

c’est bien dommage, car si les mines

avec la commune de Heusden-Zolder

ne vendent pas suffisamment d’or

dans le Limbourg, discussions qui ont

équitable, elles vont jeter l’éponge. "

débouché sur un projet avec de nom-

“Par contre, pour l’extraction d’or équitable, une attention toute particulière est accordée à l’aspect environnemental... Je trouve cela très bien et peut-être même plus important ­encore qu’un ‘salaire décent’.”

breux partenaires. Grâce à ses bonnes

Aussi, Ana juge particulièrement im-

relations avec Catapa, Ana a été par la

portant qu’arrivent sur le marché des

suite conviée à une réunion à Londres

créateurs de bijoux qui se font certifier

avec les responsables sud-américains

et qui optent pour l’or labellisé Fairtrade:

de mines. Ils ont abordé l’avenir et

"Force m’est de constater que ce n’est pas

prendre ce problème à bras-le-corps

la plupart des bijoutiers achètent des

les problèmes liés à l’extraction d’or

là une priorité pour Fairtrade Bel­gium

et analyser en profondeur les rouages

produits semi-finis ou créent des mou-

équitable. Ce qu’Ana en a essentielle-

(anciennement Max Havelaar), mais

du secteur aurifère, le trajet depuis la

les qu’ils utilisent plusieurs fois par la

ment retenu, c’est que seul un faible

bon, ils ne peuvent pas être sur tous

matière première jusqu’au produit fini,

suite. Si vous voulez atteindre un chiffre

pourcentage du minerai extrait peut

les fronts. Je crains toutefois que cela

les intermédiaires. Ma filière est très

d’affaires plus élevé avec de l’or équita-

être vendu à des conditions équitables,

ne compromette l’avenir de ce type de

courte : j’achète de la matière première

ble, il faut investir dans la certification

alors que la mine dans son ensemble

commerce équitable. Quelqu’un devrait

et je la transforme en produit fini, mais

des fonderies. "

65


Ana se heurte fréquemment à une mon-

dans l’aventure de l’or équitable pour que

pour l’extraction d’or équitable, une at-

tisation de nos propres mines d’or. Je

tagne de paperasse. " En ma qualité

ce dernier puisse se faire une place sur

tention toute particulière est accordée

donne d’ailleurs des formations à cet

d’orfèvre, je souhaite avant tout travailler

le marché. À l’instar des bananes équi-

à l’aspect environnemental en limitant

égard avec Catapa. Lors du Dag van de

dans mon atelier. En plus de ma compta-

tables qui ont gagné leurs galons dans

notamment l’utilisation de mercure et

Ambachten (La Journée de l’Artisan), les

bilité, je me débats à présent aussi avec

les rayons des supermarchés. "

de cyanure de même qu’en récupérant

visiteurs ont pu visiter l’atelier et nous

des tas de démarches administratives

et recyclant l’eau polluée. Je trouve cela

leur avons donné des informations sur la

pour Fairtrade Belgium. Quel dommage

très bien et peut-être même plus im-

problématique de l’exploitation minière

que l’idéologie du commerce équitable

portant encore qu’un ‘salaire décent’.

dans le Sud et l’importance du recyclage. "

se traduise pour moi par tout un systè-

Et l’écologie dans tout cela ?

À quoi cela vous avance-t-il en effet d’avoir de l’argent si le sous-sol est

Ana met toujours la barre plus haut et

soutien au niveau du contenu ! Dans sa

pollué, s’il n’y a plus d’eau potable, si

déborde d’idées. Vu que bien souvent,

conception actuelle, tout reste bloqué au

les animaux tombent malades"

ses clients viennent de loin – comme

me de contrôle sur papier et bien peu de

niveau des orfèvres comme moi, mais,

S’il reste beaucoup à faire pour amé-

avec mon demi-kilo d’or par an, je ne fais

liorer les conditions de travail dans le

" Notre montagne de déchets vaut une

ment choisir ses alliances –, Ana est

pas vraiment la différence pour ces mi-

secteur minier, la pollution environne-

petite fortune. L’or contenu dans 200

en train d’élaborer un arrangement à la

nes certifiées. Un chiffre d’affaires plus

mentale est tout aussi problématique.

GSM suffit à produire une nouvelle bague

fois durable et local. En font déjà partie :

conséquent est absolument nécessaire. Il

L’or est majoritairement extrait à l’aide

en or. À mes yeux, il est très important

B&B moka&vanille, le négociant en vins

faut que davantage d’acteurs se lancent

de mercure et de cyanure. " Par contre,

de miser sur le recyclage et la conscien-

‘maison simple’, un boulanger artisanal,

ce couple de Poperinge venu récem-

cc Muze et Ana Edelsmid. Les clients peuvent visiter l’atelier, commander un bijou, manger un petit bout, faire une dégustation de vin équitable, profiter de la culture et passer la nuit dans un B&B au beau milieu de la nature. Un petit weekend à deux pour demander votre partenaire en mariage et choisir dans la foulée une bague unique, qu’y a-t-il de plus romantique ? En savoir plus? www.ana-edelsmid.be

66


BIODIA

Entretien avec

Nils Mouton (agriculteur) Mieke Lateir (Biosano)


Une exploitation agricole où trois générations se partagent le travail, c’est presque devenu une curiosité. C’est le cas de De ­Zwaluw à Lovendegem, qui conjugue également innovation et ­vision à long terme avec une manière équitable et ­écologique de travailler. Un partenaire rêvé donc pour le grossiste en ­alimentation bio, Biosano, qui produit, sous le label Biodia, du lait et du ­chocolat au lait équitables. Se retrouver, à 21 ans, à la tête d’une grande exploitation agricole, ce n’est pas vraiment donné à tout le monde. Et pourtant, Nils Mouton ne se vante pas le moins du monde de son saut de carrière. " J’ai repris la ferme de mon père en 2010. Je suis déjà la quatrième génération consécutive à le faire. Pour l’heure, tant ma grand-mère que mes deux parents, ma compagne et moi-même, nous travaillons ensemble. C’est un peu comme s’il existait une sorte de coopérative au sein de la famille. Sans eux, je n’aurais pas pu tenir le coup. " Jusqu’en 1998, De Zwaluw était une exploitation agricole ‘conventionnelle’, mais un concours de circonstances nous a amenés à opter pour des produits bios. "Cette décision a été notamment dictée par les cas de peste porcine diagnostiqués dans une ferme proche de la nôtre, ce qui s’est soldé par la destruction des porcs, y compris des nôtres. Cet évènement a poussé mon père à repenser sciemment notre mode de production. Comme il fait preuve d’un grand esprit d’ouverture face à l’innovation, il est de même persuadé que, lors qu’une méthode de production

Biodia: des pâtes ­italiennes équitables au lait belge équitable

n’est plus rentable ni fonctionnelle, il faut l’adapter. Et bien qu’en tant que ferme bio, nous ne soyons par la suite pas nécessairement à l’abri de ‘nettoyages’ éventuels, il s’est tout de même engagé dans cette voie."

Interview réalisée par Sara Vercauteren pour le Trade for Development Centre, février 2014. 68


Modèle de calcul des prix En Belgique, l’idée de réaliser quelque

compte de l’ensemble des maillons de

chose de similaire a peu à peu fait son

la chaîne. Si l’un d’entre eux éprouve des

chemin. À cette époque, Mieke Lateir

difficultés suite à des circonstances im-

travaillait pour Vredeseilanden. " Nous

prévues, les autres doivent faire preuve

avons fondé Biodia en nous basant sur

de respect. Cela permet de garantir le

l’exemple des agriculteurs, producteurs

financement de chaque entreprise et à

de pâtes. Vredeseilanden a ensuite rédi-

chacun de poursuivre sa vision et ses

gé un cahier des charges reprenant en

activités. Personne ne travaille pour rien,

détail le calcul des prix. Biodia entend

n’est exploité, ni lésé. C’est la raison pour

payer aux fournisseurs de lait un prix

laquelle nous refusons de collaborer avec

équitable, dans l’espoir que d’autres

des agriculteurs qui appliqueraient des

acheteurs lui emboîteront le pas. Le

marges trop importantes. Le prix courant

De Zwaluw est l’un des 24 membres

Biodia, un projet de Biosano, est l’un de

prix est notamment déterminé sur base

est équitable, parce qu’il tient com­

de la Coopérative BioMelk Vlaanderen.

leurs partenaires et acheteurs réguliers de

d’un modèle de coût mis au point par

pte des frais de production de chaque

Chaque année, elle récolte auprès de ses

lait. Mieke Lateir, responsable chez Biosa-

l’expert Wim Govaerts. Chaque année,

membre de la coopérative pour produire

membres quelque 6 millions de litres

no, lève le voile sur l’histoire de ce grossiste

nous recalculons le prix. En 2011, il s’é-

du lait et non sur les pourcentages de

de lait qu’elle transforme et transporte

en produits d’alimentation bio. " Biodia a

levait ainsi à 44,52 eurocentimes par

­marges. " Et Mieke Lateir d’ajouter : " Dans

en collaboration avec l’ensemble des

vu le jour en partie suite aux colla­borations

litre de lait ; cette année, il est monté

ce contexte, Biosano obtient lui aussi un

fermiers. Ils unissent ainsi leurs efforts

nouées par le chef d’entreprise, Lode Spe-

à 45,10 eurocentimes le litre. Cette

prix équitable pour son lait transformé.

en vue d’obtenir un prix équitable pour

leers, avec des agriculteurs italiens. Il fait

hausse est dictée par des coûts très

le lait en commercialisant ensemble une

ainsi affaire, depuis un certain temps déjà,

concrets, notamment une augmen-

partie du produit. Un nombre extrême-

avec une centaine de producteurs de pâtes

tation du prix du foin. Nous ne nous

ment élevé d’agriculteurs combinent

qui déterminent leur prix sur base de leurs

basons pas que sur ce modèle ; les

cette méthode avec la transformation

coûts de production et de la quantité de

agriculteurs sont eux aussi impliqués

et la vente au sein de leur exploitation,

céréales récoltée, indépendamment des

et ont leur mot à dire. "

car c’est pour eux la meilleure manière

prix du marché mondial. Leur prix inclut

de valoriser leur lait et de nouer un lien

de même des marges de risques qui protè-

Nils Mouton est un fervent défenseur de

avec les consommateurs.

gent les coopératives contre, par exemple,

ce modèle de calcul du prix et, partant,

de mauvaises récoltes imputables aux

du commerce équitable. " Le caractère

conditions climatiques. "

unique de ce concept, c’est qu’il tient

69

“Biodia entend payer aux fournisseurs de lait un prix équitable, dans l’espoir que d’autres acheteurs lui emboîteront le pas.”


Une fois encore, celui-ci est basé sur les

à Gand. C’est là une situation Win-Win :

de problèmes aux pattes. Pour nous, ce

coûts de production et tient compte des

la nature est entretenue et nous en reti-

modus operandi est fructueux à long

frais de transport et de commercialisa-

rons dans le même temps un bénéfice.

terme, car les animaux vivent plus long-

tion, ce qui est beaucoup plus équitable

En plus, c’est une chouette vue pour les

temps, nous devons investir moins en

que les pourcentages de marges. "

promeneurs. Grâce au pâturage naturel,

termes d’hommes/heure et nous pou-

je suis à présent capable de garder 300

vons donc utiliser ces heures gagnées

moutons, car ce mode opératoire n’en-

pour nos autres activités. Grâce à la

traîne pas de coûts liés aux clôtures, à un

répartition des recettes, nous ne nous

bail emphytéotique, etc. Cela ne rapporte

retrouvons de surcroît jamais vraiment

en effet rien de faire paître des moutons

en difficulté, lorsqu’une des activités est

sur des terres agricoles. "

moins florissante. Outre la production

Opter pour la ­durabilité

laitière, dont nous transformons une La durabilité, c’est bien plus que le sim-

Chaque choix posé en faveur de la du-

partie ici et dont l’autre est achetée par

ple commerce équitable ; le cahier des

rabilité a également une conséquence

la coopérative, nous cultivons des légu-

charges de Biodia intègre donc un très

économique, souligne Mieke Lateir. Se-

mes et nous élevons des moutons et des

grand nombre d’autres critères de du-

lon elle, la différence majeure avec les

cochons. Un agriculteur bio, avec lequel

rabilité, notamment l’encouragement

entreprises " conventionnelles ", c’est

nous avions un accord de coopération,

à utiliser des protéines locales et, à

la vision à long terme caractérisant

nous a un jour offert un prix bien trop bas

compter de 2015, la réduction de l’usage

les entreprises équitables. " En 2012,

pour nos légumes. Aussi, plutôt que de

d’antibiotiques ainsi que la promotion

les prix du lait étaient bas et ceux des

les vendre sous le prix du marché, nous

de la biodiversité ", explique Mieke Lateir.

aliments concentrés extrêmement éle-

avons décidé d’en faire de la nourriture

Et Nils Mouton de donner un exemple

vés. Nous avons alors décidé de donner

pour notre bétail. Nous préférons opter

concret : " Outre l’autorécolte de nos

essentiellement aux vaches de l’herbe

pour une solution durable. "

légumes et notre élevage bio de bétail,

et du trèfle séchés (fourrage grossier)

nous appliquons aussi la technique du

avec, en complément, un minimum de

La situation est claire pour Nils ­Mouton :

pâturage naturel, en collaboration avec

concentrés. La production laitière était

une entreprise ne peut connaître le succès

l’Agentschap voor Natuur en Bos et la

certes nettement inférieure, mais bien

de génération en génération que si elle

ville de Gand. En d’autres termes, nous

moins onéreuse. En outre, les vaches

travaille de façon durable. " Si De Z ­ waluw

faisons paître nos bêtes, dans ce cas

étaient beaucoup plus fertiles, ce qui

garde ce cap, mes enfants p ­ ourront eux

des moutons, dans des zones naturelles

réduisait d’autant les efforts d’insémi-

aussi reprendre ­l’entreprise l’esprit tran-

créées ou existantes, comme les berges

nation. Elles s’épuisaient par ailleurs

quille et poursuivre ses a ­ ctivités. "

de la Coupure et de la Watersportbaan

moins rapidement et présentaient moins

“Outre la production laitière, dont nous transformons une partie ici et dont l’autre est achetée par la coopérative, nous cultivons des légumes et nous élevons des moutons et des cochons.Grâce à la répartition des ­recettes, nous ne nous retrouvons de surcroît jamais ­vraiment en difficulté, lorsqu’une des ­activités est moins florissante.” En savoir plus? www.biosano.be

70


LEUVENS WERELDCAFÉ

Entretien avec

Peter Raymaekers


Tout en sirotant une Mongozo, une petite bière équitable africaine à base de banane, Peter Raymaekers lève un coin du voile sur les principes directeurs du Wereldcafé de Leuven, un concept unique qui existe en fait depuis dix ans déjà. Le secret de cette réussite? L’ alliance surprenante entre une entreprise sous la forme ­ d’une coopérative et une association soutenue par près de nonante volontaires. Une année durant, les fondateurs ont organisé des séances de brainstorming, mené des exercices de réflexion et élaboré des plans de vision. Et, en 2004, le Wereldcafé de Leuven a ouvert ses portes à la Bondgenotenlaan, nous confie, fier comme Artaban, Peter Raymaekers, président du Conseil d’administration. " L’idée vient d’un cofondateur inspiré par les cafés (coffee bars) Fair Trade canadiens. Son objectif était d’introduire ce concept à Leuven. Les principes fondamentaux définis à l’époque sont toujours applicables : nous entendons, en première instance, vendre des produits équitables du Sud, mais dans le contexte "accessible à tous" d’un café-restaurant. " " Pour la confection de nos plats, nous collaborons notamment avec des entreprises d’économie sociale. Ainsi, nos quiches sont, par exemple, livrées par le Centre de jour De Wroeter à Kortessem. Les travailleurs du centre De Wroeter ne peuvent

Mon rêve : un réseau de ­wereldcafés dans toute la Flandre

pas travailler dans le circuit traditionnel et sont, en tant qu’Arbeidszorgproject, financés par l’Agence flamande pour les personnes handicapées (VAPH - Vlaams Agentschap voor Personen met een Handicap) ", poursuit Peter Raymaekers. " Quant au pain servi au Wereldcafé, il est préparé dans la ferme d’activités De Brabander à Kersbeek-Miskom. Membre des Leuvense Biertherapeuten, l’un des bénévoles est responsable de la carte des bières exclusive, celle-ci étant à chaque fois complétée par quelques bières du mois. Les bières équitables et les différentes bières belges locales proposées sont des produits qui ont leur propre histoire. Vous ne trouverez pas de Stella ni de Jupiler au Wereldcafé ; par contre, vous pourrez y déguster une Anker rafraîchissante, la bière maison d’un brasseur malinois. "

Interview réalisée par Sara Vercauteren pour le Trade for Development Centre, février 2014. 72


Les bénévoles, ­fondements du ­Wereldcafé Des produits équitables, des bières

nos bénévoles se font un plaisir de

régionales, des plats simples : en soi,

les donner à de bonnes œuvres. Et ils

rien de bien révolutionnaire à première

décident eux-mêmes à quel projet cet

vue. Mais ce qui fait la particularité du

argent sera destiné. "

Wereldcafé, c’est sa forme d’entreprise. Il a été fondé en tant que coopérative

En tant qu’entreprise sociale, le Wereld-

cogérée par ses actionnaires. " Les

café tourne grâce au dévouement et à

quelque 180 associés qui, ensemble,

l’engagement de sept employés perma-

ont rassemblé un capital de 90.000

nents et de plus de nonante bénévoles,

euros définissent, lors de l’Assemblée

dont les membres du Conseil d’adminis-

générale, l’orientation prise par le We-

tration notamment. Et Peter Raymaekers

reldcafé. Par contre, ils ne perçoivent

de poursuivre : " Le Wereldcafé se situe

pas de bénéfices. Même s’il n’est pas

entre un café classique et un mouve-

putteplein, à un jet de pierre de l’Oude

évident de faire beaucoup de bénéfices

ment. Notre souhait est d’offrir un lieu

Markt, de très nombreux associés sont

dans le secteur de l’horeca, ceux réa-

de rencontre aux personnes et organi-

devenus bénévoles. Chaque semaine pra-

lisés sont réinvestis dans le Wereldcafé

sations qui œuvrent dans le commerce

tiquement, des jeunes et moins jeunes

ou bien nous les utilisons pour soutenir

et le développement durables ou qui

se bousculent au portillon pour donner

des (communautés) paysan(ne)s dans

s’inscrivent dans la problématique Nord-

un coup de main, sans que nous soyons

le Sud et des entreprises d’économie

Sud. " Est-ce à chaque fois une gageure

obligés de battre le rappel. "

sociale dans le Nord. Une partie de

de trouver suffisamment de candidats

notre bénéfice est ainsi allouée à une

disposés à consacrer gratuitement un

banque de céréales coopérative et à

peu de leur temps libre à une bonne cau-

une institution de microcrédit de l’ONG

se ? "Après avoir dû quitter notre premier

Hundee en Éthiopie. Nous soutenons

emplacement à la Bondgenotenlaan, le

par ailleurs aussi des actions, comme

Wereldcafé fut à l’arrêt durant une année.

11.11.11. Quant aux éventuels pourboires,

Depuis sa réouverture à la Joris Helle-

“Les quelque 180 associés qui, ensemble, ont rassemblé un ­capital de 90.000 euros définissent, lors de l’Assemblée générale, l’orientation prise par le Wereldcafé.”

73


Tenir un café-restaurant cinq jours par semaine tout en organisant en parallèle des activités les dimanches et lundis

se mousse au chocolat maison, mais

sous-entend de tenir un planning ­serré.

le café-restaurant sert aussi parfois

" Nos bénévoles font vraiment tout, y

de décor à des soirées d’information

compris dans les coulisses. Ils s ­ ’occupent

académiques avec des orateurs de

des commandes, du nettoyage et du

l’université de Leuven, entre autres.

suivi comptable. Avec notre p ­ ersonnel

À ces occasions, tous les associés et

permanent, ils représentent le moteur

bénévoles sont les bienvenus pour

du Wereldcafé, car c’est grâce à eux

venir en apprendre davantage sur

que nous pouvons maintenir des tarifs

le commerce équitable. " Nous ne

démocratiques : nous ne sommes bien

sommes pas les seuls à organiser

entendu pas un café estudiantin, mais

ces soirées ; d’autres organisations

nos prix sont comparables à ceux pra-

utilisent aussi les infrastructures

tiqués sur l’Oude Markt. Il ne vous en

pour transmettre et partager des

coûtera ici que dix euros pour déguster

connaissances, notamment The Blue

un délicieux repas. "

Academy et The School for Social Entrepreneurship qui viennent dans

Clients réguliers

notre établissement pour réfléchir sur le commerce équitable et l’entrepreneuriat social. Nous accueillons

Au Wereldcafé, vous pouvez non seu-

par ailleurs de temps à autre des

lement déguster un bon bol de soupe

étudiants internationaux qui souhai-

fumante, des bières originaires de

tent comprendre comment fonction-

pays exotiques ainsi qu’une délicieu-

ne une entreprise sociale. "

“Avec notre personnel permanent, ils représentent le moteur du Wereldcafé, car c’est grâce à eux que nous pouvons maintenir des tarifs démocratiques.” 74


Not all small is beautiful Peter Raymaekers a foi en une éco-

Concernant l’avenir, Peter Raymaekers

nomie qui ne privilégie pas la maxi-

fait montre d’un positivisme prudent.

malisation des profits, cette dernière

" Bien que le concept du Wereldcafé

incitant tout simplement les action-

soit encore peu développé, j’aimerais

naires à délocaliser ou à fermer les

beaucoup l’étendre à toute la Flandre.

entreprises pour accroître leurs béné-

Nous relevons un certain intérêt pour

fices. Et lorsqu’il s’agit du rôle joué

ce concept et nous nous sentons en

par les organisations de commerce

phase avec des cafés équitables étran-

équitable dans le contexte de la mon-

gers, comme le Weltcafé à Vienne, et

dialisation, Peter Raymaekers est on

des initiatives en Belgique, telles que la

ne peut plus clair : " À l’échelon mon-

Wereldhuis Bonangana à Sint-Niklaas.

dial, la production équitable n’est

Nous avons récemment eu la visite de

qu’une goutte d’eau dans l’océan.

Néerlandais qui se sont montrés très

Des certificats sont distribués et des

enthousiastes et souhaitent dévelop-

contrôles sont effectués, mais not all

per un concept similaire à Amsterdam.

small is beautiful : parfois, les plus

Ce serait fantastique si un réseau de

petites entreprises ne possèdent pas

Wereldcafés pouvait voir le jour, un peu

le savoir-faire et la capacité suffisan-

à l’instar de ce qui s’est passé il y a 10

te pour gérer les choses de façon plus

ans quand tout a commencé par une

équitable. Ce sont bien souvent les

seule filiale du Wereldwinkel à Anvers

plus grandes sociétés qui peuvent se

avant de s’étendre à l’ensemble de la

le permettre. Et le message que nous

Flandre. "

souhaitons véhiculer est qu’il est tout à fait possible d’exploiter une entreprise rentable dans le respect des principes sociaux et écologiques."

“Et le message que nous souhaitons véhiculer est qu’il est tout à fait possible d’exploiter une entreprise rentable dans le respect des principes sociaux et écologiques. ”

En savoir plus? www.wereldcafe.be

75


MEER DAN MOOI

Entretien avec

Nancy De Poorter


Il y a cinq ans, Nancy De Poorter ouvrait une boutique de cadeaux assortie d’une boutique en ligne à Zammel, à proximité de Geel. C’est lors de son travail comme volontaire dans le Wereldwinkel de Westerlo, axé plutôt sur l’alimentation, qu’elle se découvre une passion pour les cadeaux produits de façon équitable. Meer dan Mooi a connu une évolution assez rapide pour passer d’un magasin de ventes de cadeaux équitables et d’objets de décoration intérieure à une boutique de vêtements équitables où l’aspect bio prend aussi toute son importance.

Alors qu’initialement, Nancy ne voulait pas entendre parler d’un magasin d’habillement, elle propose à présent même une gamme de vêtements pour hommes et enfants. Pourquoi ce revirement ? " Je trouvais tellement peu souvent de beaux vêtements équitables pour moi-même que j’ai finalement décidé de me lancer personnellement dans l’aventure. Parfois même, je dois me retenir. J’ai ainsi une fois vu une très jolie boîte à thé, mais bon, il faut alors aussi vendre du thé. Et après le thé, il faudra aussi proposer du café. Je ne veux pas non plus vendre de chaussures ni de soutiens-gorge ; pour moi, c’est un métier à part. Mais bon, je change parfois d’avis, comme pour les vêtements. " C’est ainsi que l’offre s’est peu à peu étoffée dans cette petite, mais ô combien agréable boutique. Aujourd’hui, on y trouve des foulards chamarrés en soie sauvage du Vietnam, des sacs d’Inde, intemporels en cuir écologique tanné, de jolies boucles d’oreille de Colombie et des bracelets en argent sertis de pierres précieuses du

Meer dan Mooi: fashionable fair Interview réalisée par Lene Van Langenhove pour le Trade for Development Centre, février 2014. 77


Népal, ainsi que des tenues décontrac-

tions. C’est aussi la raison pour laquelle

disposés à me prêter leurs chaussures

tées en coton bio portant le label Max

Nancy choisit ses articles avec soin:

en cuir écologique tanné. Grâce à cette

Havelaar. Ce dernier est le label le plus

"J’opte pour un style pas trop alternatif

collaboration, Torfs a même décidé de

connu, mais il y en a d’autres. Tous les

et j’évite les bijoux typiquement népalais

braquer dorénavant les projecteurs sur

vêtements sont certifiés GOTS, un label

ou encore les masques africains. Les

les écomarques. J’en apprends encore

octroyé aux textiles produits de façon

bijoux thaïlandais ornés de fleurs que

chaque jour ; ainsi, il y a bien plus de

écologique et dans le respect de certains

je propose à la vente sont certes tout à

marques avec des objectifs caritatifs ou

critères sociaux. Si certains foulards sont

fait typiques de ce pays, mais ils sont

qui s’occupent de recyclage que vous ne

fabriqués en coton non bio, ils le sont

plus sobres. "

le pensez. " Et pourtant, l’organisation

conformément aux principes du com-

de ce genre de défilé de mode réclame

merce équitable ; pour les vêtements, il

énormément de travail : " Il ne suffit pas

s’agit toujours d’une combinaison des

d’échafauder un plan b ou c, mais bien

deux labels.

Oser se jeter à l’eau

deux fois l’alphabet en entier. " Cela en vaut cependant la peine.

Nancy a étudié la psychologie et occupait

Grâce à sa boutique Meer dan Mooi,

un emploi de bureau tout ce qu’il y a de

Nancy espère aussi attirer un autre

"Bon nombre de mes clients n’avaient

plus classique dans une vie antérieure.

public que les aficionados du com-

encore jamais sciemment acheté de

Elle n’avait jamais rêvé d’avoir sa propre

merce équitable. C’est la raison pour

produits équitables. Les gens du coin

affaire : " Je voulais simplement stimu-

laquelle elle organise des évènements,

viennent dans la boutique pour acheter

ler le commerce équitable, aider le plus

comme le défilé de mode annuel ou

des cadeaux et des bijoux, comme la col-

grand nombre possible de producteurs

encore un atelier nouage de foulards,

lection de fleurs de Thaïlande, unique en

aux quatre coins du monde. Avoir ma

qui lui permettent de toucher un autre

Belgique. Pour ce qui est des vêtements,

propre affaire n’était pas un but en soi,

public. Le défilé de mode étant à 100

nous avons plutôt des clients originaires

mais plutôt un moyen pour parvenir à

% fair trade et bio, c’est donc aussi le

d’Anvers, de Louvain ou de Hasselt, vu

mes fins. " Sa mission consiste à faire

cas du maquillage, des chaussures et

l’offre très réduite en Flandre. Il existe

connaître les vêtements équitables et

des coiffures.

certes des boutiques en ligne, mais les

bio auprès d’un plus large public. Et sur

clients préfèrent essayer les vêtements.

ce plan, elle rencontre encore et toujours

L’organisation de ce défilé de mode lui

Ce sont précisément ceux, qui achètent

des préjugés tenaces, du style " S’habiller

a appris une chose essentielle, à savoir

des produits équitables et bio, qui jugent

avec des vêtements équitables ? Autant

qu’il ne faut jamais se considérer comme

important de toucher les étoffes.

enfiler un sac de jute ! ". Les gens se font

un petit acteur du marché : " Lorsque

bien souvent une idée préconçue des

mon partenaire pour les chaussures s’est

Et ici, le client est roi. Que vous n’achetiez

vêtements équitables et bio ; du coup, ils

soudain désisté, je me suis jetée à l’eau

qu’un petit quelque chose ou que vous

sont assez surpris par la beauté des créa-

et j’ai appelé Torfs. Ils ont tout de suite été

vous contentiez de regarder les arti-

78

“Je trouvais tellement peu souvent de ­beaux vêtements équitables pour moi-même que j’ai finalement décidé de me lancer personnellement dans l’aventure.“


cles, vous serez toujours bien accueillis

opinion en toute franchise. Avant de se

trouve un article qui me semble valoir

ment large et surtout au goût du client.

et bénéficierez gratuitement de con-

lancer dans les vêtements pour hommes,

la peine, je commence à me renseigner:

Ce dernier n’achète en effet pas un

seils équitables. Pour Nancy, le contact

Nancy a réalisé une petite enquête qui

quelles sont les conditions, quel est le

article pour soutenir un projet, pour

avec la clientèle est particulièrement

a révélé que les hommes ne voulaient

niveau qualitatif ? Cela n’a pas de sens

ensuite le remiser dans son armoire. "

vital, en premier lieu, dans la boutique

pas d’impressions ou de logos sur leurs

s’il s’agit uniquement d’un beau projet,

même, mais très certainement aussi via

vêtements, et que ces derniers ne pou-

qui ne tient la route qu’une semaine.

Pour Nancy, il est important de travailler

­Facebook. Régulièrement, les abonnés

vaient pas non plus être trop moulants.

Ou si le produit est bio, mais qu’il est

avec un importateur : " Il est impossible

fabriqué par des enfants. Il doit être

de travailler en ligne directe à l’échelon

de bonne qualité, beau et abordable.

mondial. Si je devais visiter des ateliers

Si vous proposez à quelqu’un deux

dans des pays où le travail des enfants

colliers similaires au même prix, l’un

est normal, ils m’assureraient qu’ils

à la page ont la chance de participer à la sélection des articles de la boutique: ils décident s’ils veulent ou non des

Sélection stricte

­combi-pantalons, quelle couleur sera commandée pour un article en particu-

Nancy repère elle-même les fournis-

équitable et l’autre non, personne ne

ne travaillent pas avec des enfants.

lier, ou bien ils ont l’opportunité de tester

seurs sur Internet avant de les démar-

va choisir le non équitable. Mais bon,

Dès que le contrat a été signé, je perds

des sous-vêtements et d’exprimer leur

cher. " C’est là une véritable quête. Si je

il faut aussi que le choix soit suffisam-

tout contrôle. Je fais donc confiance

“Il faut aussi que le choix soit ­suffisamment large et surtout au goût du client. Ce dernier n’achète en effet pas un a ­ rticle pour soutenir un p ­ rojet, pour ­ensuite le remiser dans son armoire.“

79


aux importateurs avec lesquels je col-

ce que deux travaillent et deux aillent

Qui dit commerce équitable ne dit pas

avec le producteur, alors qu’il est encore

labore, car cela fait des années déjà

à l’école, vous avez fait un pas dans la

seulement production équitable ; il en va

et toujours rogné. Le producteur pourrait

qu’ils entretiennent des relations avec

bonne direction. C’est ainsi que tourne

aussi d’une forme de commerce respec-

facilement obtenir une meilleure rétribu-

les mêmes producteurs. Ils veillent de

la planète. Les choses évoluent peu à

tant un tout autre principe. Mais il va de

tion, sans que le prix du produit ne soit

même à la qualité : lorsqu’un produit

peu. En tant que consommateur, vous

soi que cela demeure du commerce. " Si

beaucoup plus élevé. Et si les grandes

n’est pas conforme, vous pouvez le leur

êtes toutefois en mesure de faire la

chaque commerçant changeait un tout

marques de vêtements arrêtaient de

renvoyer. Je serais bien naïve de croire

différence : si, pour tous vos achats,

petit peu sa façon de travailler, cela se

travailler avec des producteurs "inéquita-

que je pourrais faire tout cela moi-mê-

vous regardez toujours au préalable

traduirait déjà par un monde meilleur.

bles", tout le monde achèterait forcément

me. En Occident, il y a aussi tellement

s’il n’existe pas de solution alterna-

Quand on sait que les coûts salariaux

des produits équitables. " Ce serait là,

de choses que nous trouvons évidentes :

tive, cela signifie que vous avez au

représentent à peine 2%du prix, on se-

en effet, un grand pas pour l’humanité.

c’est par exemple une catastrophe lors-

moins conscience de la problématique.

rait amené à en déduire que les grandes

que deux boucles d’oreilles ne sont pas

Lorsque vous achetez un article non

sociétés partagent un pourcentage plus

En savoir plus?

identiques, alors que ce n’est pas le cas

équitable, comme une veste en cuir

important de leur marge bénéficiaire

www.meerdanmooi.be

pour les producteurs locaux. Et essayez

made in Bangladesh, essayez donc de

donc de leur expliquer que chaque pièce

vous représenter la personne qui l’a

de vêtement d’une certaine taille doit

confectionnée. "

être identique ! "

Un petit pas pour l’homme... Pour Nancy, le commerce équitable est un mode de vie. Elle opte donc sciemment pour une alimentation et des produits équitables, par respect pour les personnes qui les réalisent. " Le commerce équitable, de bonnes conditions de travail, c’est là un idéal. Je ne pense pas qu’il puisse jamais être atteint à l’échelon mondial, mais chaque petit pas compte. Si, dans une région où le travail des enfants est monnaie courante, vous parvenez, dans une famille de quatre enfants, à

“Il y a aussi tellement de choses que nous trouvons évidentes: c’est par ­exemple une catastrophe ­lorsque deux boucles ­d’oreilles ne sont pas ­identiques, alors que ce n’est pas le cas pour les producteurs locaux.” 80


FAIR IN TRADE

Entretien avec

Stefan Peeters


« Respect people and planet » annonce fièrement le slogan sur l’écran d’affichage dans les bureaux, avec vue sur l’Atomium, de la jeune entreprise Fair In Trade. Il résume parfaitement sa mission: commercialiser une gamme de produits de lessive et d’entretien à base d’huile de palmiste dans le but de soutenir la population locale au Sénégal et de protéger l’environnement. Jetées jusqu’à tout récemment au rebut, les graines des palmistes qui y poussent à l’état sauvage sont désormais ramassées et pressées sur place par des coopératives locales.

Stefan Peeters était, dans une autre vie, directeur général, pour le Benelux, de la plus grande marque d’appareils ménagers au monde. Mais, à l’âge de quarante ans, il fait une double crise cardiaque. " Je me suis trouvé à la croisée des chemins ", se rappelle-t-il, " soit je continuais, soit je changeais tout ". Il a donc démissionné, voici maintenant six ans, pour fonder un bureau de consultance. C’est alors qu’un de ses clients, Jan Huyghens, lui a demandé de rejoindre le projet Fair In Trade que celui-ci venait de créer, un peu par hasard, et qui était en train de prendre un envol fulgurant.

Fair in Trade: des lessives et produits ­d’entretien à base d’huile de ­palmiste équitable

L’huile de palmiste est une huile végétale tirée du noyau des fruits du palmier à huile. Elle ne doit pas être confondue avec l’huile de palme, extraite par pression à chaud de la pulpe des fruits. En effet, quelques années plus tôt, alors qu’il traversait le Sénégal à moto avec des amis, Jan avait été frappé par les quantités de graines de palmiste jonchant les bords de la route. Trop dures à casser, ces graines renferment cependant de nom­ breux nutriments. Qui plus est, l’huile de palmiste est la seule huile non cancérigène, avec l’huile de coco, à pouvoir être chauffée à très haute température. Pendant le vol de retour, en bavardant avec son voisin, membre d’une organisation humanitaire, Jan a réalisé qu’il pourrait faire bon usage de ces graines. Il est donc retourné au

Interview réalisée par Lene Van Langenhove

Sénégal où il a signé des contrats avec plusieurs villages en vue de la collecte des

pour le Trade for Development Centre, février 2014. 82


graines contre une rémunération équita-

Fair In Trade. " J’ai tout de suite accepté,

ble. L’étape suivante a été la construction

car c’était pour moi une opportunité

d’une petite fabrique de pressage des

de faire quelque chose de différent, de

graines en huile non raffinée.

moins commercial. Et, en même temps, de donner quelque chose en retour au

Excédents

monde. " Tout à la recherche d’un investisseur, Stefan s’est adressé à son ancien chef et c’est ainsi qu’ils se sont retrou-

Dans un premier temps, l’huile était

vés à quatre : Jan, son fils, Stefan et le

destinée à la population locale, qui

directeur à la retraite de Whirlpool. Ils ont

s’en servait entre autres pour la cuisi-

commencé par produire exclusivement

ne. Plus tard, il s’est avéré que, grâce

des lessives liquides, étant donné que la

à sa teneur élevée en acide laurique,

poudre devait être adaptée à la dureté

une importante composante des déter-

de l’eau sur le marché belge, mais ont

gents, elle se prêtait parfaitement à la

étoffé l’offre en ce début de 2014.

fabrication de savon, destiné lui aussi au marché local. Au fur et à mesure que

La gamme Rhytmic Power se compose

d’autres villages adhéraient au projet,

ainsi désormais, entre autres, de lessives

l’offre s’est développée, au point que

pour textiles blancs, de couleurs ou déli-

Jan a eu l’idée d’expédier l’huile de

cats, de lessives pour bébés, de liquides

palmiste par bateau en Belgique pour y

vaisselle, de détartrants, de nettoie-tout

fabriquer du détergent. Quelque temps

et de détergents pour sol. Le savon pour

après, il y a de cela maintenant quatre

les mains de la gamme Rhytmic Energy

ans, l’organisation s’est vu décerner le

sera bientôt décliné en produits pour

label biologique et équitable Ecocert

bébés, réalisés en collaboration avec un

équitable. Ce label garantit un prix

pharmacien français exclusivement spéci-

minimum pour les producteurs, des

alisé dans les produits bio. " Ces nouvelles

conditions de travail décentes et un

gammes, combinées à notre approche

fonds social de financement de projets

équitable, signifient que nous avons une

de développement.

bonne longueur d’avance sur toutes les offres actuelles du marché. Nos clients

C’est à ce moment que Stefan s’est vu

agissent selon leur conscience : il est clair

proposer la fonction de codirigeant de

qu’ils sont à la recherche de quelque chose de différent, de meilleur pour le monde. "

83


Du pain sur la planche

On dirait bien que la machine est tout

dit, il nous arrive inévitablement aussi

besoin. Après, il faut commercialiser ces

de même déjà en marche... " Je ne l’au-

des choses moins drôles ; ainsi, nous

produits, de sorte qu’une grande partie

rais pas fait s’il ne s’était pas agi du

avons eu un de nos associés qui, trois

des bénéfices reviennent au pays d’où

commerce équitable. Ce n’est pas les

ans durant, remplissait sa camionnette

proviennent les matières premières. "

Si les produits Rhytmic sont actuel­

lessives qui manquent sur le marché,

à la nuit tombée, subtilisant de la sorte

lement disponibles dans tous les ma-

mais pour autant que je sache, il n’exi-

pour des centaines de milliers d’euros

gasins Oxfam et Origino en Flandre,

ste nulle part au monde d’autre produit

de produits. Il y a des années, je suis

Stefan entend bien conquérir l’en-

qui soit à la fois équitable et biologique.

parti au Sénégal avec une organisation

semble de la Belgique. Qui plus est,

Notre objectif n’est pas de vendre un

qui allait y construire des puits. Dans un

À l’inverse de la Malaisie, d’où provient

l’Allemagne, la Grande-Bretagne et la

maximum, mais surtout de permettre

des villages, elle avait installé un puits

90 % de la production d’huile de palme,

France ont aussi déjà manifesté leur

à la population locale de réaliser ses

entièrement automatisé, mais au bout

les palmiers sénégalais poussent à

intérêt. Stefan a le sentiment que, de-

projets. Les surplus, on les expédie ici.

d’une semaine, il n’en restait plus rien : le

l’état sauvage. L’Asie pratique la défo-

puis l’extension de la gamme, on les

Notre priorité n’est pas de gagner de l’ar-

moteur avait été volé et tout le reste avait

restation et aménage des plantations

prend enfin au sérieux. Pour l’heure,

gent ; nous avons tous un job rémunéré

été démonté pour être utilisé ailleurs. À

au détriment de la faune, notamment

il ne souhaite pas encore collaborer

en dehors de Fair In Trade. Quand on se

avec les grandes chaînes, de crainte

lance dans une pareille aventure, c’est

de déclencher une guerre des prix.

par idéalisme. Nous sommes une petite

"Nous ne disposons pas de stocks im-

organisation, nous avons des contacts

portants, vu notre engagement avec la

très directs. Jan passe près de six mois

population locale, et notre produit doit

par an au Sénégal. C’est une aventure

rester vendable. Mais, bon, les grandes

fantastique, mais il nous reste aussi

chaînes suivront à terme. "

encore beaucoup de pain sur la planche. "

“Notre priorité n’est pas de gagner de l’argent ; nous avons tous un job rémunéré en dehors de Fair In Trade.”

Cueillette sauvage

“Il faut veiller à ne pas spolier la population locale et à faire en sorte qu’elle dispose en suffisance de ce dont elle a besoin.” mon sens, il faut absolument éviter de

des orangs-outans. Les terres ne s’y

lancer dans les pays en développement

prêtant pas du tout, le recours aux

des projets dont la population locale

pesticides s’avère inévitable. L’huile

n’est pas elle-même demandeuse. Si, par

est en outre raffinée sur place, tous ses

contre, on se base sur les produits dont

bienfaits sont donc perdus. Dans le cas

Fair In Trade a dû se battre à chaque fois

ces personnes ont vraiment besoin, on

de l’huile de palmiste, par contre, les

pour gagner la confiance de la population

s’assure leur implication et on a plus de

graines, auparavant jetées, sont main-

locale. " Mais après un certain temps, ils

chances de mener à bien le projet. Plus

tenant ramassées et pressées. Pour Fair

commencent à nous faire confiance et

que tout, il faut veiller à ne pas spolier la

In Trade, un des grands défis consiste

nous les impliquons bien sûr aussi dans

population locale et à faire en sorte qu’el-

à contrer l’image négative de l’huile

le fonctionnement de la fabrique. Ceci

le dispose en suffisance de ce dont elle a

de palme véhiculée par les médias. En

Partir des besoins réels

84


effet, au Sénégal, les arbres ne sont

tout le monde se fait concurrence. Ces

pas abattus et aucun pesticide n’est

organismes procèdent à la certification

utilisé ; de plus, l’huile non raffinée est

et décident si oui ou non, ils vous oc-

non cancérigène et même très bonne

troient le label, et ce n’est pas donné !

pour la santé. Pour diffuser le messa-

Ce n’est pas vraiment le but, loin de là. "

ge positif des bienfaits pour la santé de l’huile de palmiste, l’organisation

Mais Stefan est plus indigné encore par

devrait disposer de budgets bien plus

ce qu’il appelle " l’affaire des communes

conséquents. Au Sénégal, Fair In Tra-

du commerce équitable ". Ce titre est oc-

de investit entre-temps aussi dans la

troyé aux communes qui consomment

plantation de nouveaux palmiers, ainsi

une quantité minimale de café, chocolat,

que dans des clôtures pour protéger les

etc. équitables. Lorsqu’il a demandé à

jeunes pousses, dont sont très friandes

intégrer aux critères d’octroi du label

les chèvres.

les produits d’entretien équitables, la réponse a été... njet ! " Et pourquoi ?

En tant que " non-initié ", Stefan a été

Parce que Max Havelaar organise cette

stupéfié par le processus de certification.

campagne et que Max Havelaar ne cer-

" Il n’y a aucune espèce de collaboration

tifie pas l’huile de palmiste ! Pourtant,

entre les différents organismes. J’étais

si cela était inscrit dans la charte des

bien naïf de croire que nous étions tous

communes du commerce équitable, le

des idéalistes nourrissant de bonnes

monde s’en trouverait déjà un peu meil-

intentions. Ce n’est en fin de compte

leur ! Et c’est quand même bien de cela

qu’un énième domaine commercial, où

qu’il s’agit, non ? " En savoir plus? www.rhytmic.be

85


FEMIMAIN

Entretien avec

Trees Candaele


À sa mesure, Trees Candaele contribue à l’essor du commerce équitable. Elle recherche personnellement pour Femimain - sa collection de produits artisanaux réalisés à la main par des femmes marocaines - des coopératives auxquelles elle rend régulièrement visite pour discuter avec elles des projets. Elle leur garantit un prix équitable et des conditions de travail décentes ; les femmes, pour leur part, livrent des produits originaux. Femimain consolide non seulement la position socioéconomique des femmes au Maroc, mais elle crée aussi, chez nous à Bruxelles, de l’emploi pour les femmes. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si ce projet a vu le jour dans le giron du centre communautaire de Saint-Gilles, le Pianofabriek, qui s’investit énormément dans la durabilité et la solidarité. En 2003, Trees se rend, en compagnie de quinze Marocaines de la commune, dans une région qu’elles ne connaissaient pas, le Sud du Maroc. Elles y rendent visite à plusieurs organisations militantes de femmes, afin de montrer tout ce que ces femmes sont en mesure de réaliser avec peu de moyens. Cette expérience fut tellement intense que les femmes du Pianofabriek ont souhaité la poursuivre, nous confie Trees : " Je suis assez rapidement retournée au Maroc pour y rechercher des organisations désireuses de travailler selon les principes du commerce équitable et relativement accessibles en termes de localisation et de moyens de communication. " Aux yeux de Trees, commerce équitable rime non ­seulement avec bonnes conditions de travail, rémunération correcte et utilisation de matériaux durables, mais aussi avec relations économiques fondées sur l’égalité. " J’ai consenti beaucoup d’investissements pour arriver à un produit de qualité apte

Femimain: la boucle est bouclée

à être vendu sur le marché occidental, en tablant sur leur savoir-faire et en tenant compte des matériaux à leur disposition. "

Interview réalisée par Lene Van Langenhove pour le Trade for Development Centre, février 2014. 87


Trees a choisi de travailler avec dix coopératives ne disposant encore d’aucun accord de coopération avec d’autres

Apprendre à lire et à lâcher prise

partenaires, afin que toutes commencent

“Même si elle ne jouit d’aucune certification, Femimain incarne pleinement le commerce équitable.”

sur le même pied d’égalité. Les différents

Au fil du temps, de nouvelles coopérati-

ateliers fournissent des produits très

ves se sont ajoutées, mais d’autres ont

diversifiés : des bracelets et colliers en

aussi décroché, parce que les produits

passementerie, suivant une technique

s’avéraient invendables ou parce que

de tissage marocaine ancestrale, des

la charte n’était pas respectée. Même

couvre-lits brodés à la main, des paniers

si elle ne jouit d’aucune certifica­tion,

en osier et de l’huile d’argan. Mais aussi

Femimain incarne pleinement le com-

d’authentiques verres à thé peints à la

merce équitable. Le partenariat s’ac-

main. Ou encore des babouches en cuir,

compagne fréquemment d’un projet

habituellement l’apanage des hommes,

d’alphabétisation. Les femmes qui

mener d’âpres négociations sur le prix ;

mais Trees est parvenue à persuader

veulent travailler à l’atelier doivent

après tout, elles connaissent mieux que

un jeune homme d’enseigner la techni-

aussi suivre des cours en parallèle.

"Nous ne sommes pas des commer­ çantes; ce qui nous importe, c’est l’économie sociale. J’ai énormément appris de cette coopération. Au début, la différence de mentalité m’a irritée au plus haut point, mais bon, il faut apprendre à lâcher prise. Cela serait terrible pour moi si elles avaient le sentiment que je leur impose quelque chose. Je ne vais pas

que de fabrication aux femmes de son

restants sont répartis comme suit : un

moi le prix des matières premières et le

tiers affecté à la gestion de l’atelier, un

temps qu’elles ont passé à la confection.

village. Sans oublier les portefeuilles et

À la coopérative Atma, par exemple, 50 %

tiers réservé à l’achat de matières premi-

Ma tâche consiste à calculer ce que cela

trousses de toilette réalisés à partir de

du prix d’un tapis vendu reviennent à la

ères et un tiers alloué à un fonds destiné

coûtera en fin de compte et à estimer si

grands sacs de riz imprimés.

femme qui l’a tissé, tandis que les 50 %

à des cours d’alphabétisation. Trees :

le produit est vendable ou non. "

88


“Au début, la différence de mentalité m’a irritée au plus haut point, mais bon, il faut apprendre à lâcher prise. Cela serait terrible pour moi si elles avaient le ­sentiment que je leur impose quelque chose.”

Pas de production de masse contrôlent les livraisons, organisent

grandes villes. Le public des Magasins

rien à voir avec la production de masse

De nombreuses nationalités se côtoient

le stock, suivent les commandes des

du monde/Wereldwinkels se compose

que l’on rencontre dans de nombreux

au Pianofabriek. Toutes ces personnes

magasins et tiennent régulièrement

d’acheteurs déjà convaincus et moi, je

Magasins du monde/Wereldwinkels, de

proposent fréquemment de nouer des

un stand lors de festivals.

rêvais de séduire un nouveau public. "

Knokke à Hasselt. C’est bien dommage

Trees a pourtant dû revoir sa position et

pour les ateliers, car, si nous avions plus

partenariats avec des coopératives de leur pays d’origine. Trees hésite :

La collection est principalement destinée

entreprendre plusieurs tentatives en vue

de débouchés, nous serions en mesure

"Femimain faisant partie intégrante du

au marché belge, mais il arrive de temps

de susciter l’intérêt d’Oxfam-Magasins

de leur passer commande plus réguliè-

Pianofabriek, ce n’est pas vraiment le

à autre que nous recevions une com-

du Monde/Wereldwinkels. " Ils veulent

rement. En outre, si nous commandons

but qu’elle génère des revenus. Et même

mande d’Amérique et des Pays-Bas. Pour

assurer la distribution au départ de leur

1 000 boucles d’oreille plutôt que 100,

si c’est important pour notre image, il

l’heure, les magasins qui nous passent

entrepôt, mais cela ajoute un maillon

cela permet aussi de réduire le prix et

s’agit d’un poste déficitaire et étendre

des commandes régulières sont au nom-

à la chaîne, ce qui grève lourdement

d’attirer plus d’acheteurs. "

nos activités coûte cher. Pour se rendre

bre de quinze, dont Letude à Leuven,

le prix des produits, alors que moi, je

sur place, mais aussi pour préfinancer

Phulkari à Gand et Ozfair à Saint-Gilles,

souhaite vendre en ligne directe aux

Certains ateliers, comme ceux de confec-

les activités. Et personnellement, je

ainsi que plusieurs Oxfam-Magasins

Magasins du monde/Wereldwinkels.

tion des paniers et des foulards, réalisent

suis déjà pas mal occupée. " Fort heu-

du monde/Wereldwinkels. " Lorsque

Je ne comprends pas pourquoi ils sont

de bons chiffres de vente, tandis que

reusement, Trees peut compter sur les

j’ai lancé le projet, mon désir était de

tellement protectionnistes. Notre pro-

d’autres sont totalement dépendants

femmes " activées " ici dans le cadre

voir nos produits dans les étalages des

jet respecte intégralement les règles

de Femimain. À l’antipode du bienfai-

d’un projet de mise à l’emploi. Elles

plus belles rues commerçantes des

du commerce équitable et n’a, en plus,

teur néocolonial, Trees s’efforce de les

89


persuader de miser sur les marchés

se. Au début, Assiya, de la coopérative

En 2012, Trees a réalisé une enquête d’im-

locaux ou les exportations, ou encore

Bensllou, trouvait que la combinaison

pact auprès de l’ensemble des coopéra-

de suivre une formation à orientation

de couleurs des bijoux était abomina-

tives afin de savoir si la collaboration

plus commerciale. " L’atelier de confec-

ble ; à présent, ses travailleuses fabri-

répondait à la proposition qu’elle leur

tion de foulards, par exemple, est très

quent parfois elles-mêmes des objets

avait faite cinq années auparavant. " La

reculé ; les femmes n’y comprennent

qui correspondent parfaitement à nos

première chose qu’elles ont affirmée,

que le berbère. Elles tissaient des choses

goûts. Lorsque je me souviens des dé-

c’est que grâce à Femimain, elles ont

magnifiques, qui s’accumulaient dans

buts et que je vois où nous en sommes

pu se faire une idée de l’Europe. À leurs

un coin faute de marché sur lequel les

à présent, je n’arrive parfois pas à y

yeux, nos contacts personnels revêtaient

écouler. La situation s’est entretemps

croire. Je me rappelle, par exemple,

également une très grande importance.

améliorée. " Dans leur propre pays, les

ma pre­mière visite. Nous nous étions

C’est une histoire entre ces femmes et

ateliers entrent en concurrence avec

entendues sur tout, et puis, deux jours

moi, et personne d’autre. Je loge d’ailleurs

les souks où les produits, vendus à des

après mon retour en Belgique, Assiya

toujours chez elles et nous allons nous

prix dérisoires, sont fabriqués dans les

m’a appelée pour me demander si je

coucher et nous nous levons ensemble.

conditions de travail les plus déplora-

ne pouvais pas passer la voir pour dis-

S’il n’y a pas d’eau, nous nous lavons

bles, et bien souvent par des enfants. "

cuter encore de certaines choses. Je lui

ensemble dehors dans des bassines.

Apparemment, la population ne serait

ai alors répondu que j’étais rentrée en

Je trouve cela très important en termes

pas encore prête à faire sien le message

Belgique, ce à quoi elle a rétorqué : " Je

d’égalité : si elles ont besoin de moi, j’ai

du commerce équitable, mais j’entends

viens tout juste de préparer du cous-

tout autant besoin d’elles. Ces échanges

bien continuer à marteler le clou. "

cous ; il reste chaud très longtemps ! "

sont essentiels. "

Un regard sur l’Europe

Trees ne sait pas très bien comment Femimain va évoluer. " Trouver plus de

Le Maroc est le champion de la copie; la créativité y étant parfois une denrée rare, il est difficile de proposer un produit original. " L’an dernier, j’ai vu quelque part de magnifiques objets, très modernes, bien que typiquement marocains. J’ai appris de bouche à oreille qu’ils étaient l’œuvre d’une créatrice japonaise, qui est née et qui

débouchés, telle est ma principale préoc-

“Si elles ont besoin de moi, j’ai tout autant besoin d’elles. Ces échanges sont ­essentiels. “

cupation. Ce ne sont pas les initiatives qui manquent. Mais je trouve que la force de ce projet, c’est que la boucle est bouclée : il génère des emplois pour les groupes à potentiel dans le Sud, mais également ici. "

a grandi au Maroc. Élargir le champ de

En savoir plus?

vision des femmes est une bonne cho-

www.feminain.org

90


OXFAM WERELDWINKELS OXFAM FAIR TRADE

Entretien avec

Joris Rossie


Depuis plus de quarante ans, l’organisation Oxfam-Wereldwinkels rassemble des bénévoles qui se mobilisent en faveur d’un changement structurel des relations commerciales entre le Nord et le Sud. « En tant que pionniers, nous plaçons la barre le plus haut possible et tentons de convaincre d’autres personnes de nous ­emboîter le pas », nous explique le directeur Joris Rossie.

C’est en 1971 que le premier magasin du monde belge ouvre ses portes à Anvers. Son concept fait rapidement tache d’huile et, quatre ans plus tard à peine, 31 magasins du monde se constituent en une ASBL dénommée Oxfam-Wereldwinkels. " Pendant ses premières années d’existence, Oxfam-Wereldwinkels était principalement un mouvement de solidarité axé sur le commerce, mais sans critères équitables clairs. Pour prouver notre solidarité avec la population algérienne, nous achetions du vin algérien, à l’origine de bien des migraines, " nous confie en riant Joris Rossie. " Après, nous nous sommes progressivement professionnalisés et nous nous sommes engagés dans la voie du commerce équitable. Nos vins remportent désormais bien des prix. " Quelque 8.000 volontaires font aujourd’hui tourner les 234 magasins du monde flamands d’Oxfam. " Nous pouvons aider les populations du Sud en optant pour un commerce équita-

Oxfam-Wereldwinkels et Oxfam Fair ­Trade : agir en faveur du ­changement structurel

ble. Mais pour mettre en place des relations commerciales équitables, nous devons aussi disposer de produits de qualité, susceptibles de trouver acquéreur ", poursuit Joris Rossie. " Souvent, les gens pensent que les petites coopératives de paysans du Sud ne sont pas capables de produire de la qualité. Or, c’est tout le contraire, à l’instar des petits producteurs de chez nous qui travaillent de façon artisanale : leurs produits sont souvent de meilleure qualité que ceux des grandes usines qui fabriquent des produits standards. "

Interview réalisée par Lisa Develtere pour le Trade for Development Centre, novembre 2014. 92


Une marque propre Oxfam-Wereldwinkels constitue avec

Outre dans ses relations avec des dizai-

Oxfam-Solidarité et les Magasins du

nes de partenaires commerciaux dans le

monde-Oxfam la branche belge d’Ox-

Sud, Oxfam Fair Trade s’engage aussi en

fam International. " Il s’agit cependant

faveur de petits acteurs particulièrement

de trois organisations distinctes : Ox-

vulnérables. " Nous élaborons avec eux

fam-Solidarité est plutôt une ONG qui

un trajet de développement détaillé, car

collecte, entre autres, des fonds dans le

ils ont besoin de tout l’appui que nous

Nord pour financer des projets de déve-

pouvons leur apporter. Nous achetons

loppement dans le Sud, " nous explique

par exemple du café à plusieurs parte-

Joris Rossie. " Les deux chaînes de ma-

naires dans la région du Kivu en RDC, en

gasins du monde dans les deux régions

proie à la violence. Nous leur enseignons

du pays se soutiennent mutuellement.

des méthodes de culture d’ombre, ainsi

Pour notre part, nous nous concentrons

que des techniques pour accroître la

plutôt sur l’importation de produits

qualité du café et mieux conserver les

alimentaires, tandis qu’Oxfam-Ma-

grains. Et nous dispensons des forma­

gasins du monde est spécialisée dans

tions aux agriculteurs sur les avantages

eux, et avec leur café, auprès d’autres

ce le plus rapidement possible. Une fois

l’importation et la commercialisation

du travail en coopérative. Nous offrons

entreprises en Europe auxquelles nous

nos partenaires autonomes, nous nous

de produits non alimentaires.

parfois aussi à ces partenaires un appui

demandons d’acheter directement du

mettons à la recherche de nouveaux par-

financier qui leur permet, par exemple,

café chez nos partenaires. Nous créons

tenaires qui ont besoin de notre aide. Ce

À la fin des années nonante, Oxfam-Wereld-

d’acquérir de nouvelles stations de la-

en fait ainsi notre propre concurrence,

modèle d’entreprise peut sembler idiot à

winkels a lancé sa propre marque : Oxfam

vage du café. "

mais notre objectif est avant tout de voir

certains, mais pour nous, c’est là notre

nos partenaires gagner leur indépendan-

mission sociale. "

Fair Trade. " Nous ne développons pas nos propres produits de la même manière que

" Nos partenaires sont sûrs de pouvoir

le fait une entreprise ‘ordinaire’ ", souli­

écouler leur café chez nous. Contraire-

gne Joris Rossie. " Nous recherchons des

ment aux entreprises traditionnelles,

partenaires commerciaux susceptibles

nous acceptons que, parfois, les temps

de tirer profit d’une relation à long terme.

sont durs, que la guerre peut éclater, ou

Il s’agit souvent de petites coopératives

qu’ils peuvent rencontrer des problèmes

qui ne sont pas en position de négocier

de qualité. Nous ne les abandonnons pas

avec les grandes entreprises, mais qui

pour autant ! ", poursuit Joris Rossie.

sont néanmoins indépendantes. "

"Nous essayons aussi de les aider à accéder au marché : nous nous rendons avec

“Souvent, les gens pensent que les petites coopératives de paysans du Sud ne sont pas capables de produire de la qualité. Or, c’est tout le contraire, à l’instar des petits producteurs de chez nous qui travaillent de façon artisanale.” 93


Prendre des risques Il existe plusieurs normes équitables

critères de Fairtrade International, une

Oxfam-Wereldwinkels est aussi l’un

dont les plus connues sont celles de

commission composée de bénévoles

des cofondateurs de l’organisme de

Fairtrade International. " Ce sont les

analyse la situation. Le producteur de

labellisation Max Havelaar, depuis peu

normes minimales que nous adoptons

café du Kivu, par exemple, n’avait au

rebaptisé en Fairtrade Belgium. Néan-

pour nos partenaires commerciaux.

début de notre collaboration pas encore

moins, les produits Oxfam Fair Trade ne

Lorsqu’il n’existe pas encore de critères

la capacité requise pour satisfaire à

porteront plus le label familier Fairtrade*.

équitables pour un produit donné, ou

toutes les exigences administratives.

" Nos producteurs dans le Sud reçoivent

lorsqu’un partenaire commercial tra-

Pour ce genre de partenaires, nous

régulièrement la visite de contrôleurs

vaille de manière équitable sans tou-

sommes prêts à prendre des risques. "

qui vérifient leur respect des normes

tefois être en mesure de satisfaire aux

Fairtrade. De notre côté, nous mandatons une organisation externe qui vérifie

“Nos partenaires sont sûrs de pouvoir écouler leur café chez nous. Contrairement aux entreprises traditionnelles, nous acceptons que, parfois, les temps sont durs.”

que nous achetons bien nos produits à de petits producteurs certifiés. Le label Fairtrade informe le consommateur que nous satisfaisons effectivement

Rossie. En disant cela, il fait allusion

à ces deux conditions. Je conçois bien

au programme d’approvisionnement

que pour une entreprise normale, cela

Fairtrade Sourcing Program pour le ca-

s’avère intéressant et que cela vaut

cao, le coton et le sucre que Fairtrade

l’investissement, mais une enquête

International a mis en place l’année

auprès de nos consommateurs a révélé

dernière. Le label de ce programme peut

que pour nous, cela n’était pas vraiment

être décerné dès qu’un produit contient

nécessaire. Notre marque jouit d’une

un de ces trois ingrédients Fairtrade. Le

grande confiance et nos clients n’ont

label Fairtrade traditionnel, de son côté,

nul besoin de preuves supplémentaires

implique que tous les ingrédients d’un

de notre engagement équitable sous la

produit pouvant être labellisés, le soient

forme d’un label. Ils attendent de nous,

effectivement. C’est-à-dire qu’une barre

en notre qualité d’ONG, que nous consa-

de chocolat Fairtrade doit contenir tant

crions plutôt nos ressources à appuyer

du cacao Fairtrade que du sucre de can-

nos partenaires de développement. "

ne Fairtrade. Dans le cadre du nouveau programme, une barre de chocolat con-

94

" De plus, notre conception du commerce

tenant uniquement du cacao Fairtrade

équitable diverge parfois ", poursuit Joris

peut déjà être labellisée. " Ce n’est pas là


notre définition du commerce équitable.

À l’heure actuelle, Oxfam Fair Trade met

En tant que pionniers, nous plaçons la

la plus grande partie de son vin en bou-

barre le plus haut possible et tentons de

teille dans le Sud. " Chez les autres pro-

convaincre d’autres personnes de nous

ducteurs, la mise en bouteille se fait

emboîter le pas. "

en général en Europe. Notre approche

Un changement structurel

permet de créer une bien plus grande

" Oxfam-Wereldwinkels vise un

néanmoins objecter que l’importation

changement structurel des relations

de bouteilles de vin va à l’encontre de

commerciales entre le Nord et le Sud.

l’écologie. C’est là un dilemme difficile

La politique commerciale européen-

à résoudre, étant donné que les paysans

ne est encore beaucoup trop protec-

du Sud seront les premiers frappés par

tionniste. Lorsque nous importons

le changement climatique. Toujours est-

des matières premières comme des

il que nous souhaitons que les petits

produits Oxfam Fair Trade dans les su-

le public dans la poursuite de cet idéal.

grains de café vert, nous ne payons

producteurs puissent se développer et

permarchés, les chiffres d’affaires d’Ox-

Dans nos magasins, nos bénévoles ne se

que relativement peu de taxes, tan-

qu’ils ne restent pas jusqu’à la fin des

fam-Wereldwinkels s’en sont ressentis.

contentent pas de vendre des produits

dis que l’importation de produits

temps de simples fournisseurs de ma-

D’aucuns s’interrogeaient sur l’utilité de

équitables, ils ont aussi une histoire à

finis en Europe est assujettie à des

tières premières. Après mûre réflexion,

maintenir les magasins. À nos yeux, cela

raconter. Nos magasins enthousiasment

tarifs douaniers bien plus élevés. Le

nous avons donc décidé de privilégier

semblait une évidence. Nous sommes

et rassemblent les gens. Bon nombre de

but est de stimuler la création de

l’option de la création de valeur ajoutée

un mouvement de bénévoles soucieux

bénévoles y consacrent plusieurs jours

valeur ajoutée chez nous ; or, c’est

dans le Sud, mais toujours en fonction

d’apporter des changements structu-

par semaine. Cela est et reste un modèle

cela qui génère le plus de bénéfices.

du produit, au cas par cas. "

rels dans le monde. Pour ce faire, nous

fantastique pour canaliser l’énergie de

menons des campagnes et impliquons

ces bénévoles. "

valeur ajoutée dans le Sud, et cela est évidemment une excellente chose ", se réjouit Joris Rossie. " L’on pourrait

Nous nous opposons à cette législation et estimons qu’elle doit changer.

Les 8.000 bénévoles constituent la force

Il est inacceptable que les opportuni-

motrice d’Oxfam-Wereldwinkels. " Nous

Nous utilisons le mot "Fairtrade" si nous nous

tés de développement du Sud soient

sommes une organisation de bénévoles.

référons au label de commerce équitable de

étouffées dans l’œuf du fait que les

Notre personnel a pour mission d’ap-

Fairtrade Belgium (anciennement Max Ha-

importations se limitent aux seules

puyer les bénévoles, ce sont eux nos

matières premières et ne portent pas

chefs ", insiste Joris Rossie. " Lorsque

sur des produits finis. "

nous avons commencé à vendre nos

En savoir plus? www.oxfamwereldwinkels.be

95

velaar) ou aux ingrédients ou produits issus du commerce équitable qui portent le label Fairtrade.


OXFAM FAIR TRADE CRAFTS

Entretien avec

Erik Devogelaere


Des bénévoles de tous les Oxfam-Wereldwinkels se rendent au centre de distribution d’Oxfam Fair Trade Crafts à Bierbeek (à proximité de Leuven) pour y choisir les produits qu’ils veulent vendre dans leur magasin. « J’adore travailler avec ces bénévoles qui, mus par un fantastique sentiment de fierté ou d’indignation, viennent passer leur temps libre ici, » nous confie le directeur Erik Devogelaere. Oxfam Fair Trade développe, promeut et distribue des produits du Sud, principalement dans les Oxfam-Wereldwinkels en Flandre. Jusqu’il y a peu, vous ne pouviez vous adresser à Oxfam Fair Trade que pour des denrées alimentaires. Toutefois, depuis qu’il a repris les activités artisanales de Fair Trade Original en Belgique, Oxfam Fair Trade distribue à présent aussi des produits du Sud faits main. Vaisselle, bijoux, foulards, jouets et produits de soin : l’éventail est tout aussi étendu que diversifié. Pour les bénévoles d’Oxfam-Wereldwinkels, il n’y a pas grand-chose qui change : depuis des années déjà, ils achetaient leurs produits non alimentaires au centre de distribution de Bierbeek. Par contre, en coulisse, les changements sont légion.

“Il est plus difficile de décrire l’aspect ­équitable de produits artisanaux que de ­denrées alimentaires.” " Auparavant, nous n’étions qu’un fournisseur ; maintenant, nous faisons partie

Oxfam Fair Trade Crafts

intégrante du mouvement Oxfam-Wereldwinkels, " nous confie le directeur Erik Devogelaere.

Interview réalisée par Lisa Develtere pour le Trade for Development Centre, novembre 2014. 97


Distribution Pendant 30 ans, Erik Devogelaere a été à la tête de l’antenne belge de Fair Trade Original, une fondation et un distributeur néerlandais de produits issus du commerce équitable. " Fair

“Les organisations du Sud cherchent parfois tellement à vendre leurs produits qu’elles en arrivent à sous-estimer les coûts.”

Trade Original fait figure de véritable pionnier sur le plan du commerce équitable en Europe, " raconte Erik Devogelaere. Les débuts de cette fondation remontent à 1959 lorsqu’un groupe de jeunes idéalistes a créé le Comité S.O.S. (Steun Onderontwikkelde Streken) qui expédiait du lait en poudre aux enfants souffrant de malnutrition en Sicile. L’organisation s’est professionnalisée et a pris l’appellation de SOS Wereldhandel. " SOS Wereldhandel et, par la suite, Fair Trade Original, a toujours joué le rôle d’importateur et de distributeur. Depuis 2015, Oxfam-Magasins du monde se charge de l’importation des produits. Et nous nous occupons de la distribution pour la Flandre. Nous avons notre mot à dire en ce qui concerne l’assortiment et nous nous efforçons, avec nos sept membres du personnel, de veiller à ce que le plus grand nombre possible de produits artisanaux soient vendus dans les Wereldwinkels. "

98


Produits de solidarité Au centre de distribution de Bierbeek, de petits groupes de bénévoles d’Oxfam farfouillent dans les produits du Sud. "Les particuliers peuvent eux aussi venir faire leur shopping ici. Et l’on rencontre même des propriétaires de magasins design d’Anvers en train de fureter dans les rayons à la recherche de produits de recyclage, par exemple. Mais bon, les clients proviennent majoritairement des Oxfam-Wereldwinkels," poursuit Erik Devogelaere. Outre les produits du Sud faits main, vous trouverez aussi chez Oxfam Fair Trade Crafts des produits de solidarité, comme des calendriers de 11.11.11 ou des bougies d’Amnesty International. "Chaque année, le Weredlwinkel moyen opte pour 300 à 400 références sur les 2.000 disponibles. Chaque Wereldwinkel décide s’il intègre ou non un produit à son assortiment. De notre côté, nous nous efforçons de les guider un peu dans leur choix en faisant la promotion de certains produits dans Fair, le magazine d’Oxfam-Wereldwinkels."

99

“Ce n’est pas le but que tout soit déterminé ici et que les fabricants du Sud soient de simples exécutants. Le ­développement des produits doit se faire de façon conjointe.“


Une multitude ­d’organisations ­partenaires Les produits sont issus de différents types d’organisations du Sud. " Certains produits sont fabriqués par de grandes et solides ONG. Leur fonc­ tionnement repose en partie sur le commerce équitable, mais elles font bien plus que simplement commercia­

D’autres produits proviennent d’entrepri-

de produits artisanaux que de denrées

liser des produits. L’organisation Tara

ses, grandes ou petites. " L’idée de fem-

alimentaires. Il existe bien entendu

en Inde est un bon exemple. Son action

mes cuisant leurs poteries sur un petit

quelques critères applicables, comme

est centrée sur l’éducation et l’appui

feu devant leur hutte a certes un petit

la gestion d’entreprise, la participation

aux jeunes entrepreneurs, mais elle

côté romantique, mais si vous voulez de

du personnel et le respect de l’environ-

possède également des ateliers dans

la poterie de qualité, il faut vous adresser

nement. Mais le contexte joue lui aussi

lesquels les femmes créent des bijoux.

à une entreprise sérieuse, satisfaisant de

un rôle extrêmement important. Vous

Tara commercialise ses produits en

plus, cela va de soi, aux critères équita-

ne pouvez pas vous attendre à ce que

Inde, en Europe ainsi qu’en Amérique

bles, " poursuit Erik Devogelaere. " Il est

les mêmes critères s’appliquent tant

du Nord. "

plus difficile de décrire l’aspect équitable

au Rwanda qu’au Guatemala ou en Inde.

100


Développement de produits Selon Erik Devogelaere, ce qui fait des

" Toutes les organisations européennes

produits d’Oxfam Fair Trade Crafts des

qui s’occupent d’artisanat équitable in-

produits " équitables " est largement

vestissent par ailleurs beaucoup d’éner-

fonction des relations nouées avec le

gie dans le développement de produits.

partenaire du Sud. " La relation que

Il existe bien entendu aussi des produits

l’importateur noue avec ce partenaire

"de série", comme nous les appelons. Il

repose sur la question suivante : ‘Que

est dès lors possible d’y apporter quel-

pouvons-nous nous apporter l’un l’aut-

ques modifications mineures, comme

re au cours des prochaines années ?’ Il

demander à ce qu’une théière soit plus

est demandé au partenaire de calculer

petite. Ou encore à ce que le motif floral

ce que devrait coûter un produit, puis

imprimé sur un vase soit un peu moins

ce chiffre est analysé. Les organisations

criard. L’objectif est que les produits se

du Sud cherchent parfois tellement à

vendent ici, une démarche pour laquelle

vendre leurs produits qu’elles en arri-

certains partenaires ont besoin d’une

vent à sous-estimer les coûts. D’autres

solide assistance. Quoi qu’il en soit, ce

grands acteurs, qui n’optent pas pour

n’est pas le but que tout soit déterminé

le commerce équitable, adoptent eux

ici et que les fabricants du Sud soient

une attitude totalement différente. Ils

de simples exécutants. Le développe-

demandent : ‘Pouvez-vous fabriquer ce

ment des produits doit se faire de façon

produit pour cinquante centimes?’ Et si

conjointe. "

le fabricant répond ‘Non’, ils continuent à chercher un autre qui acceptera de le produire à ce prix. "

101


Détachement Pendant trente ans, Erik Devogelaere

dans les rayons du supermarché, cela

Leur raisonnement est que, de la sorte,

Fairtrade Belgium, je suis néanmoins

a occupé le poste de directeur de Fair

m’a rempli de joie. Les organisations

ils pourront réaliser quelque chose de

convaincu que nous avons toujours

Trade Original, tout en siégeant durant

commerciales alternatives ont toujours

significatif pour les paysans du Sud. Ils

besoin d’un mouvement de base doté

25 ans au Conseil d’administration

accueilli avec enthousiasme le label

savent par ailleurs aussi quels dangers

d’un esprit critique. Et si le commerce

de Max Havelaar, devenu entretemps

Fairtrade, mais elles commencent un

ils encourent. Et, sur ce plan, les orga-

équitable devait, en fin de compte, ne

Fairtrade Belgium. " J’estime que nous

peu à s’en détacher. Mais, bien entendu,

nisations commerciales alternatives ne

s’avérer être qu’une mode pour les gran-

avons réalisé énormément de choses

le commerce équitable ne se résume

se sentent pas vraiment à l’aise. Elles

des entreprises, le mouvement de base,

pendant toutes ces années d’activité.

pas aux produits portant le label. "

prétendent que créer plus de débouchés

lui, demeurera toujours, car il prend sa

pour les paysans ne change rien aux rè-

source dans son indignation face aux

Le commerce équitable est devenu un concept connu. Rétrospectivement,

" Pour l’heure, Fairtrade Belgium mise

gles du jeu. C’est entre autres la raison

rapports commerciaux inéquitables et

je suis donc extrêmement fier de ces

fortement sur le volume, raison pour

pour laquelle Oxfam Fair Trade n’est plus

dans le besoin de fédérer la population

réalisations. La première fois que j’ai

laquelle elle se lance dans l’aventure

titulaire de licence du label Fairtrade.

autour de cette problématique. "

vu des produits labellisés Fairtrade

avec les grands acteurs du marché.

Si je comprends le raisonnement de

En savoir plus? www.oxfamfairtrade.be/crafts Nous utilisons le terme " Fairtrade " uniquement lorsque nous nous référons au label Fairtrade de Fairtrade Belgium (ex-Max Havelaar) ou à des ingrédients ou produits portant le label Fairtrade.

102


OXFAM-MAGASINS DU MONDE

Entretien avec

Douchka Van Olphen


D’Oxfam-Magasins du monde, on connaît notamment les ­boutiques où l’on peut acheter une pléthore de produits équitables de très bonne qualité. Les habitués s’y rendent régulièrement pour acheter leur vin, leur jus de fruits, leurs céréales, leur café ou leurs produits d’artisanat équitable et de soin du corps. Les moins habitués s’y rendent en général au moment des fêtes, parce que les boutiques regorgent d’idées de cadeaux originales. Mais derrière les étals se cache un grand mouvement citoyen, un pionnier du commerce équitable qui parvient à mobiliser des milliers de bénévoles pour changer les mentalités.

Dans la famille Oxfam, je demande les Magasins du monde. C’est que, en effet, il y a Oxfam et Oxfam… L’organisation a été créée en 1942 en Angleterre sous l’appellation Oxford Committee for Famine Relief (d’où le nom) pour répondre à la famine qui sévissait alors en Grèce sous l’occupation allemande. Cette ONG historique s’est aujourd’hui développée en une confédération de dix-sept organisations ­indépendantes, dans le Nord mais aussi de plus en plus dans le Sud, Oxfam Inde, Oxfam Mexique, Oxfam Afrique du Sud…. En Belgique, où le mouvement s’est implanté en 1964, on en compte trois : Oxfam-So-

Oxfam-Magasins du monde : un mouvement citoyen

lidarité, ONG de coopération au développement, et ses deux sœurs jumelles, qui s’occupent de commerce équitable, Oxfam-Wereldwinkels (créée en 1971) en Flandre et Oxfam-Magasins du monde (créée en 1976) en Fédération Wallonie-Bruxelles. Oui, curieusement, ces jumelles ne sont pas nées le même jour. Mais elles pratiquent la même philosophie, celle du " trade not aid ", le commerce plutôt que l’assistanat.

Interview réalisée par François Hubert pour le Trade for Development Centre, juin 2014. 104


Professionnalisation " Les premiers produits équitables qui

ceux-ci doivent respecter des critères de

chances d’entrer dans les foyers. " De

jectif est de lutter contre les injustices

sont arrivés sur le marché belge é­­taient

qualité et d’authenticité exigeants, en

toute façon, la rentabilité n’a jamais été

socio-économiques. Nous portons une

des produits politiques ", explique

plus de ceux du commerce équitable ",

– et ne sera jamais – le seul but. "Nous

attention particulière aux populations

Douchka van Olphen, responsable de la

précise Douchka.

sommes des ASBL : si on dégage un

les plus marginalisées dans le Sud mais

Partage

bénéfice, ça nous permet de réinvestir

aussi le monde paysan dans le Nord

dans des projets avec nos partenaires

depuis le lancement de la démarche

et de veiller à la pérennité de l’associa-

Paysans du Nord en 2012. Notre but est de créer le changement.

communication chez Oxfam-Magasins du monde. " Ils étaient une manière très concrète d’attirer l’attention sur des questions d’injustice socio-éco-

À l’origine, les deux Oxfam " équitables"

tion. Le commerce équitable exercé par

nomiques dans le monde. " De fait, les

belges s’étaient partagés la tâche : les

Oxfam est et restera toujours un outil de

plus âgés d’entre nous se souviennent

produits alimentaires du Sud seraient

changement (parmi d’autres) dont l’ob-

peut-être des premières boutiques Ox-

gérés par les Oxfam Fair Trade (Gand)

fam, où des bénévoles militants vous

tandis qu’Oxfam-Magasins du mon-

guidaient autant vers les bouquins sur

de se spécialiserait dans l’artisanat.

le pouvoir des multinationales fruitiè-

Les mêmes produits se retrouvent

res que vers les ponchos fabriqués par

dans les boutiques des uns et des au-

les paysans boliviens.

tres. Aujourd’hui, il n’y a pas que des produits Oxfam dans les Magasins du

Rassurez-vous, si l’esprit militant n’a

monde-Oxfam. Il y a, par exemple, des

pas disparu, cette période-là est bien

produits alimentaires de la marque

passée : aujourd’hui, comme tout le

Ethiquable, qui suit les mêmes critères

secteur associatif, les Magasins du mon-

exigeants (équitables et de qualité)

de-Oxfam (et les Oxfam-Wereldwinkels)

qu’Oxfam.

se sont professionnalisés. Même si les boutiques sont toujours tenues par

A ceux qui prétendent que l’artisanat

des bénévoles, les produits proposés

est un marché plus complexe, avec des

sont de grande qualité et l’offre est très

volumes moins importants et des con-

variée. " Nos partenaires du Sud sont

trôles de qualité plus difficiles, Douchka

des professionnels. Nous visons tous

van Olphen répond : " Parce qu’il s’agit de

en priorité le changement social, mais

produits de consommation quotidiens,

dès lors que nous vendons des produits,

les produits alimentaires ont plus de

105


Des partenaires soigneusement choisis Membre de la WFTO (World Fair Trade

(artisanat) et la quantité est limitée.

Oxfam-Magasins du monde respecte

sont notamment accompagnés d’évalua­

Organization), Oxfam-Magasins du

Les frais de licence pourraient en outre

des procédures très strictes de sélection

teurs externes.

monde ne considère pas la labellisation

s’avérer trop chers pour les producteurs

des partenaires. Quand un nouveau par-

des produits équitables comme une fin

les plus marginalisés. A contrario, la

tenariat est envisagé, une commission

Réinvestissement dans l’outil, projets

en soi. " Un label est un outil, explique

chaîne d’approvisionnement est plus

composée de bénévoles et de salariés

sanitaires, sociaux, éducatifs ou d’in-

Douchka. Chez Oxfam-Magasins du

courte que dans l’alimentaire, ce qui

Oxfam évalue le partenaire en fonction

frastructures…, le but de la " prime "

monde, nous travaillons par filières,

facilite la labellisation. Malgré ces

de critères exigeants. La transparence est

du commerce équitable mais aussi du

avec les acteurs, pas par produits.

particularités, la WFTO a récemment

de rigueur. " Cela peut prendre des mois

système de préfinancement est que le

Labelliser des produits d’artisanat

créé un label spécifique à l’artisanat

avant d’accepter un nouveau partenaire",

partenaire puisse réinvestir dans son

s’avérerait d’ailleurs très difficile car

équitable avec des critères exigeants,

précise Douchka. Pour les évaluations

projet et avancer dans son objectif de

il y a un côté éphémère au produit

reconnaissant le travail de qualité des

(respect des critères), Oxfam-Magasins

changement social. " On n’est pas dans

(collections printemps et hiver, évo-

organisations de commerce équitable

du monde rend également visite aux

une démarche paternaliste. Nous som-

lution et variété des objets). " De plus,

qui les respectent.

producteurs et collabore avec d’autres

mes sur pied d’égalité, les partenaires

acteurs européens pour les effectuer. Ils

et nous. "

chaque objet est fabriqué à la main

106


Priorité à la ­sensibilisation Sur le potentiel du commerce équi-

gne de l’ONG dénonce par exemple leur

table, Douchka van Olphen reste réa-

mainmise au Brésil sur la production des

liste : " Le commerce équitable est

oranges. Le pays est le plus grand pro-

une alternative, pas une solution à

ducteur et exportateur de jus au monde,

tout. Il nous permet de montrer qu’il

mais trois multinationales contrôlent à

est possible de produire, de vendre et

elles seules 99% de la production d’oran-

de consommer autrement. On le con-

ges ! Les campagnes sont parfois menées

state à travers les impacts positifs

conjointement avec l’organisation-sœur

en termes sociaux-économiques, en

"Oxfam-Wereldwinkels " comme en 2010

termes de santé ou d’environnement

avec la campagne sur les conditions

qu’apporte la pratique d’un commerce

de production du cacao en Afrique de

équitable exigeant. En même temps,

l’Ouest, où des situations d’esclavage

la sensibilisation des citoyens sur les

des enfants existent.

enjeux liés au commerce équitable est primordiale. " Pour preuve, les grandes campagnes qui sont depuis longtemps le fer de lance de l’association. Par exemple, Oxfam-Magasins du monde a été parmi les premiers à militer en faveur de vêtements "propres" produits dans des condi­ tions de travail décentes. Aujourd’hui, ­Oxfam-Magasins du monde continue à dénoncer les injustices créées par les multinationales. La dernière campa­

“Le commerce ­équitable est une ­alternative, pas une solution à tout. Il nous permet de montrer qu’il est possible de produire, de vendre et de consommer autrement. ” 107


Nord, Sud, même combat Les problèmes auxquels sont con-

trialisation croissante de l’agriculture

venu le même combat au Nord qu’au Sud,

conviviale : chaque année, l’ONG organise

frontés les paysans n’ont plus de

précipite la disparition de centaines de

analyse Douchka. Chaque jour, on se rend

les petits déjeuners Oxfam à l’occasion

­fron­tières. Au Sud comme au Nord,

milliers d’emplois paysans, y compris

compte davantage que nous, citoyens,

de la semaine du commerce équitable en

­l’agriculture paysanne disparaît au

en Belgique. C’est la raison pour la-

nous devons chercher des alternatives.

octobre, une manière originale de décou-

profit de l’agro-industrie qui ne pour-

quelle désormais, Oxfam-Magasins du

En Belgique, il y a des tas d’initiatives qui

vrir les produits du commerce équitable

ra pas nourrir le monde durablement.

monde s’engage également aux côtés

naissent : dans les vêtements de secon-

et " d’encourager les consommateurs à

De plus en plus de paysans cessent

des paysans du Nord proposant dans

de main, dans les logements partagés,

modifier leurs habitudes de consomma-

leur activité car il n’est plus possible

ses magasins des produits issus de

dans les coopératives laitières, les Gac,

tion et de se mettre en action". Un petit

d’en vivre dignement. En 2009, par

l’agriculture paysanne durable du Nord.

les associations comme Terre en vue… »

café pour la route ?

épandu leur lait sur leurs champs pour

" Nous sommes dans un monde de plus

Oxfam-Magasins du monde est un mou-

dénoncer des prix de vente plus bas

en plus inter-relié. L’agro-industrie, le

vement citoyen qui invite tout le monde à

En savoir plus?

que leurs coûts de production. L’indus-

climat, les inégalités sociales…, c’est de-

s’engager. Et ce, parfois de manière très

www.wereldcafe.be

exemple, des fermiers désespérés ont

“Nous sommes dans un monde de plus en plus inter-relié. L’agro-industrie, le climat, les ­inégalités sociales…, c’est ­devenu le même combat au Nord ­qu’au Sud.”

108


CLARYSSE

Entretien avec

Peter Bauwens


Jules Clarysse s’est lancé dans la production de textile de bain à très petite échelle il y a plus de 70 ans déjà. Avec une ­production annuelle de 20 millions de serviettes de bain, dont 20% ­d’équitables en 2014, Clarysse NV est aujourd’hui le chef de file du ­marché européen. Même durant la crise, Clarysse a continué à s’investir et à investir dans la durabilité.

Aujourd’hui encore, l’entreprise est dirigée par la famille Clarysse. Les deux petits-fils de Jules Clarysse, Luc et Bernard, en assurent la direction générale avec Peter Bauwens, leur directeur commercial. " J’ai commencé à travailler ici comme employé il y a 18 ans, après mes candidatures en médecine, " se rappelle ce dernier. "En termes de durabilité, nous sommes le numéro un mondial dans notre secteur", explique Peter Bauwens. " La durabilité comporte tant un volet éthique qu’un volet écologique. Nous avons commercialisé nos premières serviettes de bain en coton équitable il y a environ dix ans maintenant. Après quelques années, nous avons mis au point une nouvelle gamme dans le droit fil de la philosophie de l’économie circulaire : Cradle to Cradle (C2C). " Ce modèle commercial vise à concevoir des produits de façon à ce qu’ils soient sûrs et recyclables d’un bout à l’autre de la chaîne de production.

Clarysse : 4 millions de serviettes de bain équitables Interview réalisée par Lisa Develtere pour le Trade for Development Centre, novembre 2014. 110


4 millions de serviettes de bain équitables Clarysse a choisi de ne pas trop aug-

juste un coup de marketing ! Le fait

menter le prix de ses textiles en coton

d’avoir notre propre vision de la durabi-

équitable. " Le coton équitable revient

lité donne un sens à ma vie. Je pourrais

un peu plus cher que le coton non équi-

m’enfermer dans mon grenier et écrire un

table, mais nous ne facturons qu’un

gros bouquin sur le sujet, mais ce n’est

petit supplément de prix pour compen-

pas cela qui va aider les petits produc-

ser le coût plus élevé du fil de coton.

teurs de coton. Nous avons un produit

Nous avons pris le parti de miser sur

et c’est grâce à cela que nous pouvons

les volumes ", explique Peter Bauwens.

effectivement faire une différence. "

" Nous voulons réaliser des bénéfices non pas en vendant les articles équitables à un prix supérieur, mais en écoulant de grandes quantités. "

Faire la différence

" C’est justement grâce au fait que nos

Tout le coton équitable utilisé chez

serviettes de bain en coton équitable

Clarysse NV provient d’Afrique de l’Ouest,

ne coûtent pas beaucoup plus cher

plus spécifiquement du Mali. "Les cen-

que les autres qu’elles remportent un

taines de camions de coton équitable

franc succès ", conclut Peter Bauwens.

que nous importons permettent à un

"­Aujourd’hui, la vente de textiles équita-

très grand nombre de petits produc-

bles représente près de 20 % du chiffre

teurs maliens d’améliorer leur quotidien.

d’affaires de Clarysse, soit environ 4 mil-

Je me suis rendu au Mali avec ma famille

lions de serviettes de bain. Pouvez-vous

il y a quelques années et j’ai vu de mes

vous imaginer combien de conteneurs

propres yeux que le commerce équitable

de coton cela représente ?"

y fait réellement une différence !"

“Les centaines de camions de coton équitable que nous importons permettent à un très grand nombre de petits producteurs maliens d’améliorer leur quotidien.”

Peter Bauwens tire une grande fierté du succès des serviettes de bain équitables. " Nous y croyons vraiment, ce n’est pas

111


Transparence et ­volumes d’achat Néanmoins, Peter Bauwens pointe aussi quelques problèmes. " Nous n’achetons pas notre coton directement auprès des producteurs maliens. Nous achetons le fil de coton à une filature certifiée, en laquelle nous avons une confiance totale. Mais il y a trop peu de transparence au niveau des chaînons entre le coton de la coopérative de producteurs et les conteneurs arrivant dans le port d’Anvers. Il y a encore un nombre important d’intermédiaires. " " Un second problème se situe au niveau des distributeurs et des consommateurs ", poursuit Peter Bauwens. " Tout le monde veut changer le monde, mais n’est pas disposé à payer plus pour y arriver. Les petits producteurs de coton équitable se plaignent tous des volumes d’achat trop faibles. La responsabilité en ­incombe partiellement aux distributeurs qui ­s’alignent toujours les uns sur les autres. De leur côté, les consommateurs sont aussi plus enclins à acheter du café ou des bananes équitables que des textiles équitables. "

112


Continuer à ­s’investir dans la­ ­durabilité

Tout au long de la crise, Clarysse a con-

Fin 2009, Clarysse a remporté le prix

qui est bien entendu parfaitement bio-

tinué à s’investir et à investir dans la

Cradle to Cradle du gouvernement fla-

dégradable. Mais le problème résidait

durabilité. "Lorsque tout va mal, on en

mand. "Nous avons été les premiers

dans les teintures, le fil de confection

Clarysse a traversé une période avec

arriverait presque à oublier certains

surpris. Nous avions certes introduit

et l’étiquette, qui ne le sont pas. Nous

la crise financière et économique. "Il

principes. Et à penser que le commerce

un dossier, mais nous ne nous étions

avons donc dû plancher pour trouver

y a six ans, nous étions encore six fa-

équitable ou la méthode de production

pas encore concrètement lancés dans

des solutions. "Clarysse adopte la même

bricants belges de serviettes de bain.

C2C peuvent bien attendre. Nous avons

la production de serviettes biodégra-

approche pour ses produits C2C que pour

Nous sommes le seul à avoir survécu

résolument choisi de ne pas succomber

dables. Apparemment, le jury a estimé

ses produits équitables." Nous y croyons,

à la crise. Et il s’en est fallu de peu!",

à l’appel des sirènes. En plein cœur de

que notre potentiel de croissance était le

nous ne les considérons pas juste com-

nous confie Peter Bauwens." Après

la crise, nous avons reçu la visite du

plus prometteur et nous a octroyé cette

me une stratégie de marketing et nous

trois années pénibles, le vent a tourné

couple alors encore princier, Mathilde

récompense destinée à la recherche sur

ne demandons qu’un supplément de

et nous avons connu trois années de

et Philippe. À l’époque, nous essuyions

le C2C."

prix modéré."

croissance, tant en termes de chiffre

des pertes et ne savions même pas si

d’affaires que de bénéfices. Pour moi,

nous passerions le cap de l’année, ce

Deux ans plus tard, Clarysse a lancé

c’est grâce à notre plan stratégique, à

n’était donc pas simple. Mais nous leur

sur le marché sa première serviette de

notre persévérance, mais aussi à une

avons expliqué notre philosophie sans

bain biodégradable." Ces serviettes sont

bonne dose de chance. "

arrière-pensée ni faux-semblant."

réalisées en coton, une fibre naturelle

113

En savoir plus? www.julesclarysse.com

“Lorsque tout va mal, on en arriverait presque à oublier certains principes. Nous avons résolument choisi de ne pas ­succomber à l’appel des sirènes.“


ACP

Entretien avec

Dirk Piret


L’atelier d’impression textile ACP, qui propose des vêtements équitables promotionnels et de travail, ressent clairement une hausse tant de l’offre que de l’intérêt pour des vêtements durables. ­Toutefois, même si « bon nombre de clients s’informent sur le choix le plus durable, au moment de prendre la décision finale, même les organisations les plus engagées optent pour le produit le meilleur marché, ce qui, pour nous, s’avère parfois extrêmement frustrant », nous confie le directeur Dirk Piret.

L’atelier d’impression textile ACP a vu le jour il y a onze ans. Auparavant, Dirk Piret était responsable d’une imprimerie sérigraphique, pour un projet bruxellois d’insertion professionnelle. Lorsque les subsides se sont taris, Dirk Piret a perdu son travail. Il a alors pris la décision de se lancer comme indépendant et de continuer la sérigraphie. Dès le départ, ACP a travaillé avec des encres durables à base aqueuse. " C’est au moment où nous avons pu acheter des t-shirts à un euro la pièce que nous avons résolument franchi le pas et opté pour la durabilité, " se souvient Dirk Piret. " Il n’était même pas nécessaire d’acheter une boîte complète de t-shirts. Le transport depuis l’importateur à Bruxelles ou Anvers jusque chez nous coûtait plus que le t-shirt lui-même. Une logique qui nous paraissait tout à fait absurde. Lorsque je vais prendre une bière dans un café tout proche, cela me coûte plus cher que ce t-shirt fabriqué au Cambodge et dont le coton a été cultivé, cueilli, tissé et

ACP: des vêtements de travail et promo­ tionnels équitables

teint en Inde, par exemple. " Ce constat a dès lors motivé ACP à s’investir dans la difficile quête du textile équitable. " Nous avons demandé des codes de conduite (codes of conduct) à nos fournisseurs, ce qu’ils nous ont d’ailleurs immédiatement fourni. Toutefois, ces codes ne sont rien de plus qu’une déclaration d’intention énumérant des évidences, comme le fait que le producteur est opposé au travail des enfants et qu’il a la volonté de

Interview réalisée par Lisa Develtere

verser un salaire ", déclare Anne Verbruggen, collaboratrice de l’entreprise familiale.

pour le Trade for Development Centre, novembre 2014. 115


Transparence Derrière l’industrie textile se cache

fasse effectivement l’objet d’un contrôle,

toute une série d’acteurs, ce qui ne

"affirme Anne Verbruggen. " La Fair Wear

plaide pas en faveur de la transparen-

Foundation est une initiative multipartite

ce de la filière. " Nous achetons notre

représentant à la fois les organisations

textile à des stockistes, qui l’achètent

de travailleurs et les associations pa-

eux à des fabricants, avant de le dis-

tronales. Le respect du code de conduite

patcher sur l’ensemble du territoire ",

est vérifié au moyen d’audits externes.

explique Dirk Piret. " La majorité de ces

En cas d’infractions constatées, le mem­

prétendus "fabricants" ne produisent

bre dispose de quelques années pour se

pas eux-mêmes les vêtements. Ils se

mettre en ordre."

contentent de passer commande dans un pays comme le Bangladesh. Ils in-

"Nous avons immédiatement introduit

diquent qu’ils veulent faire produire x

une demande d’affiliation, même si cela

millions de pièces et c’est l’atelier qui

s’avère extrêmement coûteux. En fait,

peut honorer cette commande au prix le

nous délions les cordons de la bourse...

plus bas, qui l’emporte. Et ce n’est qu’à

pour nous faire contrôler ", nous confie

ce moment-là que ce dernier commen-

en riant Dirk Piret. Attendu qu’ACP est

ce à recruter le personnel temporaire

membre de la Fair Wear Foundation,

nécessaire pour la commande. "

90 % de ses fournisseurs doivent par ailleurs aussi y être affiliés. Et pourquoi

Lors de sa quête de vêtements équita-

pas 100 % ? " Afin de pouvoir répondre

bles, ACP est rapidement entré en contact

aussi à certaines demandes ", explique

avec la campagne " SKC - Schone Kleren

Anne Verbruggen. " Aucun fabricant de

Campagne " (l’équivalent en Flandres

chaussures n’est par exemple membre

d’achACT), un réseau d’ONG qui milite

de la Fair Wear Foundation. Lorsqu’un de

en faveur d’une amélioration des condi-

nos clients demande des chaussures,

tions de travail dans l’industrie textile.

cela nous permet donc d’accéder à sa

" Selon les dires de la campagne SKC,

demande. "

“Lorsque je vais prendre une bière dans un café tout proche, cela me coûte plus cher que ce t-shirt fabriqué au Cambodge et dont le coton a été cultivé, cueilli, tissé et teint en Inde, par exemple.“

une affiliation à la Fair Wear Foundation offre la meilleure garantie que le code de conduite signé par ses membres

116


Label or not label La Fair Wear Foundation n’est pas par-

ton. Ce label ne se prononce en principe

tisane de l’apposition d’un label sur

pas sur les conditions de tissage ou sur

les vêtements de ses membres. "Un

la confection. Nous vendons aussi des

choix qu’elle motive par le fait qu’il est

vêtements en coton bio portant le label

impossible de garantir à 100 % qu’un

GOTS, la norme mondialement connue

vêtement particulier soit "propre", c.-

de certification de fibres organiques. "

“Derrière l’industrie textile se cache toute une série d’acteurs, ce qui ne plaide pas en faveur de la ­ transparence de la filière.“

à-d. produit dans des conditions de travail décentes ", poursuit Anne Verbruggen. " Toutefois, l’absence de label

" Même si le client veut pouvoir faire son

empêche une communication claire

choix entre plusieurs couleurs et modè-

avec la clientèle. Pour les commandes

les, sa motivation première demeure le

plus conséquentes, nous ajoutons à

prix, " ajoute Dirk Piret. " Bien souvent,

nos articles vestimentaires un petit

des vêtements portant un label tel que

document donnant plus d’informations

Fairtrade coûtent plus cher. Bon nom-

sur la provenance du vêtement et sur

bre de clients s’informent certes sur le

les garanties que nous offrons. "

choix le plus durable, mais au moment de prendre la décision finale, même les

Une partie du textile imprimé par ACP

organisations les plus engagées optent

porte cependant d’autres labels connus.

pour le produit le meilleur marché, ce qui,

" Certains t-shirts portent le label Fair-

pour nous, s’avère parfois extrêmement

trade, connu de bon nombre de consom-

frustrant. "Een deel van het textiel dat

mateurs, bien qu’il ne garantisse un prix

ACP bedrukt, draagt wel andere bekende

décent qu’aux seuls producteurs de co-

labels.

117


Rana Plaza Après l’effondrement en 2013 du Rana

suit Dirk Piret. " Aux Pays-Bas, les pou-

Plaza, un immeuble abritant des ate-

voirs publics ont l’obligation d’acheter

liers de confection au Bangladesh, les

des vêtements de travail auprès d’un

médias du monde entier ont braqué les

vendeur affilié à la Fair Wear Foundation.

projecteurs sur les mauvaises condi­

Tous les acteurs de ce secteur sont donc

tions de travail dans l’industrie textile.

de facto membres de cette organisation. "

"Notre sentiment est que les producteurs en parlent eux aussi davantage.

" Depuis quelque temps, nous propo-

Bien entendu, il ne suffit pas d’en par-

sons des vêtements de travail labellisés

ler; il faut également agir ", souligne

Fairtrade, conçus sur mesure pour les

Anne Verbruggen. " Depuis cet évène-

travailleurs communaux, dont les é­­

ment, nous recevons beaucoup plus de

boueurs. Nous avons fait le tour de toutes

demandes, mais je ne sais pas si cela

les FairTradeGemeenten (communes

va durer. C’est une situation un peu

flamandes du commerce équitable) avec

comparable à la crise de la dioxine dans

notre concept, mais depuis, plus aucune

le secteur alimentaire. Pendant tout

nouvelle. Et pourtant, le prix est tout à fait

un temps, plus personne n’a acheté

comparable à celui d’autres vêtements

de poulets, mais peu après, la plupart

de travail de qualité ", ajoute Anne Ver-

des gens avaient oublié. "

bruggen. " Les communes veulent toutes être certifiées FairTradeGemeente, mais

Pour l’heure, ACP est la seule entreprise

les responsables des achats optent bien

belge d’impression textile à être affiliée à

souvent pour la solution la plus simple.

la Fair Wear Foundation. " Il serait intéres-

Et la durabilité est loin d’être un critère

sant pour nous que d’autres entreprises

repris dans les marchés publics plus

comme la nôtre adhèrent elles aussi à la

conséquents. "

Fair Wear Foundation. Cela permettrait une concurrence plus équitable ", pour-

118


20.000 litres d’eau " En peu de temps, l’offre de textile durable a connu une forte hausse. La différence par rapport à il y a quelques années est énorme. Et c’est aussi abso­

bou, mais cette production n’en est qu’à

lument nécessaire, car la production

ses balbutiements. Contrairement à la

"conventionnelle" de coton n’est en fait

Chine, l’Europe ne compte encore aucune

pas du tout durable ", raconte Dirk Piret.

filature de chanvre. Le bambou est une

" La confection d’un jean et d’un t-shirt

matière très raffinée à porter. Il offre la

nécessite un kilo de coton et consomme

même sensation que le satin, présente

20.000 litres d’eau. C’est intenable d’un

l’avantage de ne pas se froisser et peut

point de vue écologique. D’autre part,

se substituer au polyester. Grâce à sa

si demain tout le monde voulait passer

croissance ultrarapide, le bambou peut

au coton bio, cela poserait un sérieux

être récolté jusqu’à cinq fois par an. Et

problème, car cette production requiert

même si la transformation de fibres de

le double de superficie cultivable que

bambou en textile s’avère quelque peu

pour le coton conventionnel. "

polluante, je suis d’avis que les problè-

“La confection d’un jeans et d’un t-shirt nécessite un kilo de coton et consomme 20.000 litres d’eau. C’est intenable d’un point de vue écologique.”

mes posés par le chanvre et le bambou "ACP propose aussi des vêtements fa-

sont bien plus faciles à surmonter que

briqués dans d’autres matières que le

les difficultés majeures liées à la produc-

coton. " Nous développons entre autres

tion de coton. Mais le secteur du coton

du textile à base de chanvre et de bam-

peut lui compter sur un solide lobby. "

En savoir plus? www.acpinfo.be

119


PURO

Entretien avec

Frans Van Tilborg


Chaque année, des millions de kilos de café Puro Fairtrade Coffee sont vendus à travers le monde. Pour le CEO, Frans Van Tilborg, entreprendre ne signifie pas seulement faire du profit, mais aussi se soucier des gens et de la planète. Une part du chiffre d’affaires de Puro est ainsi consacrée à l’achat de portions de forêt tropicale menacée, dans le but de la protéger durablement. Depuis son lancement, il y a dix ans, Puro a déjà acquis une superficie de forêt équatoriale équivalant à plus de 10.000 terrains de football.

Puro est une marque de café de la société Miko, établie à Turnhout depuis plus de 200 ans. " Nous existons depuis plus longtemps que la Belgique ", affirme en riant le CEO Frans Van Tilborg. Créé en 1801, le groupe Miko s’est lancé dans le commerce d’articles coloniaux, dont des produits exotiques tels que poivre, sel, café et thé. Ce n’est qu’à la fin du 19e siècle que Miko décide de se consacrer entièrement au café. À cette époque, le café est torréfié dans un brûloir dans le magasin même, avant d’être livré à domicile en triporteur. La construction de l’usine de torréfaction à Turnhout permet ensuite à Miko de professionnaliser ses activités. Jusque dans les années 70, Miko livrait tout son café au commerce de détail. " Mais avec l’avènement des supermarchés, la société a changé de cap, et nous avons étendu nos activités au marché extérieur. D’abord à la Belgique, puis aussi à d’autres pays ", déclare Frans Van Tilborg. " Nous livrons

Puro : le café équitable Puro à la rescousse de la forêt vierge

surtout aux entreprises, mais aussi à l’horeca et aux établissements de santé, par exemple. " En 2005, le groupe Miko conçoit l’idée de commercialiser une marque de café durable, baptisée Puro Fairtrade Coffee. " L’assortiment Miko comprenait déjà un café équitable, qui remportait surtout un franc succès au Royaume-Uni. Nous avons néanmoins décidé de faire une distinction plus claire entre ce que nous appelons

Interview réalisée par Lisa Develtere

" free trade " (libre-échange) et " fair trade " (commerce équitable). Mais attention,

pour le Trade for Development Centre, novembre 2014. 121


le café du " free trade " doit lui aussi res-

(People) et la Planète. Ce à quoi nous

plus résistants. Nous soutenons par

aujourd’hui encore. Si nous n’agissons

pecter certaines conditions minimales,

avons ajouté un quatrième P : le Plaisir.

ailleurs un projet dans les bidonvilles

pas rapidement, dans vingt ans, il n’y

en termes de droits de la personne, par

Le café Puro doit donc également faire

sud-africains. "

aura plus de forêt vierge ! "

exemple. "

la part belle à ces quatre P. " " Mais nous avons aussi pris au sérieux

Lors de la création de ses cafés Puro,

Entreprendre ne signifie pas seulement

le P de Planète ", poursuit Frans Van Til-

Miko a mis en place un panel inter-

faire du profit, mais aussi se soucier des

borg. " Ainsi, nous offrons 2 % du chiffre

national de dégustateurs de café. " Si

gens. C’est pourquoi nous avons choisi le

d’affaires réalisé sur les produits Puro

l’histoire du café est importante, c’est

label Fairtrade pour notre café Puro. Mais

au World Land Trust, une organisation

par le goût que tout commence. Sans

nous ne nous en tenons pas là : le groupe

de protection de la nature établie au

le Plaisir, les Profit, People et Planète

Miko appuie aussi des projets dans des

Royaume-Uni, pour permettre à celle-ci

comptent pour du beurre ", affirme Frans

Le groupe Miko ne voulait surtout pas

régions caféicoles en RDC par l’entremise

d’acheter et de protéger des parties de

Van Tilborg. " À l’échelon mondial, seul

lancer une énième marque de café la-

des ONG Ondernemers voor Ondernemers

forêt tropicale menacée. Depuis le lance-

un faible pourcentage du café cultivé

bellisé équitable. " Puro marque pour

et Congodorpen. Nous y avons investi

ment de Puro, nous avons ainsi acquis

est certifié Fairtrade. C’est à partir de

nous une nouvelle étape ", explique

dans deux machines de transforma-

l’équivalent de plus de 10.000 terrains

cette offre limitée que nous avons dû

Frans Van Tilborg, " car, depuis, l’en-

tion du café, ainsi que dans quelques

de foot, une démarche particulièrement

créer un bon café au goût harmonieux.

trepreneuriat durable aussi fait partie

hectares de terre destinés à permettre

importante à mes yeux. Après tout, la

Cela n’a pas été évident. Mais le fait que

de notre mission. Nous voulons en effet

aux caféiculteurs, dont les plantations

forêt vierge n’est-elle pas le poumon

nous fournissons en café des établis-

prendre en compte, dans chacune de

sont attaquées par des bactéries, de

vert de la planète ? Or, on y assiste à une

sements parmi les plus en vue, comme

nos décisions, tant le Profit que les gens

recommencer avec de nouveaux plants

véritable coupe à blanc, qui se poursuit

le Saint Andrews, le deuxième club de

Profit, Peuple, Planète et Plaisir

“Depuis le lancement de Puro, nous avons ainsi acquis l’équivalent de plus de 10.000 terrains de foot.” 122


golf au monde, prouve bien que nous y sommes arrivés, car qualité et goût y sont les maîtres mots ! " te", déclare-t-il en riant. " Nous vendons

le café contenu dans l’emballage n’est

quelques millions de kilos de café Puro

pas toujours certifié à 100 %. Person-

par an. Ce n’est pas rien ! Bien entendu,

nellement, je trouve que cela revient à

Miko a d’emblée voulu faire de Puro une

ces résultats me réjouissent. Car notre

tromper le client. On est soit 100 % " free

marque tendance. " Nous souhaitions

action en faveur du Sud et le nombre

trade ", soit 100 % " fair trade ". Ce que

sortir le café équitable de la marginali-

d’hectares de forêt tropicale que nous

j’apprécie aussi chez Fairtrade, c’est leur

té ; notre raisonnement était donc que

pouvons acheter dépendent directement

ramification internationale : c’est une

plus nous en vendions, plus nous pour-

du chiffre d’affaires de Puro. "

grande organisation capable de tenir

Branché

rions agir en faveur du Sud et acheter

ses promesses en matière de contrôles. "

des pans de forêt vierge. Le meilleur

Il y a 20 ans, Frans Van Tilborg entamait

moyen d’y parvenir consistait, selon

sa carrière chez Miko comme représen-

nous, à lancer une marque branchée,

tant. Lors du lancement du café Puro, il

ce que nous avons réalisé grâce à un

n’était pas encore CEO, mais en sa qualité

marketing créatif et non pas à coups

de responsable export et d’administra-

de gros budgets. Puro est synonyme

teur délégué, il fut étroitement associé au

de classe et de plaisir, et même de

développement de la marque. " Puro, c’est

bien-être. Je pense qu’il est prisé par

un peu mon bébé ", nous confie Frans Van

toutes les tranches d’âge. "

Tilborg, le sourire aux lèvres. " J’ai étudié en détail les différents labels applicables

La politique de durabilité de Puro lui a

au café. Nous souhaitions à tout prix

déjà valu plusieurs prix, cette approche

collaborer avec une organisation dotée

se soldant par ailleurs par de remar-

d’un contrôle externe, car se contrôler

quables chiffres de vente. Le jour du

soi-même est plutôt tendancieux ! "

lancement de Puro, Frans Van Tilborg exprimait le souhait que la marque re-

" L’aspect qui me plaît le plus chez Fair-

présente 15 % du volume du groupe le

trade est qu’ils respectent rigoureuse-

jour de sa retraite. " Aujourd’hui, elle a

ment leur mission et ne s’éparpillent pas

déjà dépassé le cap de 30 %, alors que

tous azimuts. Par ailleurs, ils n’autorisent

je suis encore loin de prendre ma retrai-

pas les mélanges. Chez les autres labels,

“Nous avons dû créer un bon café au goût harmonieux. Cela n’a pas été évident. Mais le fait que nous fournissons en café des établissements parmi les plus en vue prouve bien que nous y sommes arrivés.”

123


Une nouvelle philosophie Les cafés Puro sont légèrement plus chers que les autres cafés de Miko. "L’appui au World Land Trust est entiè­ rement supporté par le groupe, mais le supplément de prix généré par le label équitable est perçu comme un engagement de la part du client et donc répercuté en majeure partie sur ce dernier. Qu’il y ait ou non une différence de prix entre le " fair trade " et le " free trade " dépend du cours des prix du café. Ceux-ci étant actuellement exceptionnellement élevés, la différence est minime. " Les cafés Puro se déclinent en trois variétés : Puro Noble, Puro Fuerte et Puro Bio. " Notre gamme ne se limite pas au café. Nous proposons aussi du chocolat au lait, du thé et d’autres produits tels que

déterminé. Le lancement de Puro a né-

En 2015, à l’occasion de son dixième an-

des morceaux de sucre blanc ou brun.

cessité un changement de philosophie.

niversaire, Puro a lancé une campagne

Le tout certifié Fairtrade. "

Certains d’entre eux ont tout de suite

intitulée Pure Power. " À travers celle-ci,

amorcé le virage, d’autres ont mis un

nous souhaitions remettre à l’honneur

Selon Frans Van Tilborg, la première

peu plus de temps. Mais dès l’instant

notre engagement ", déclare Frans Van

Nous utilisons le mot "Fairtrade" si nous nous

étape de la " success story " de Puro fut

où l’enthousiasme a gagné l’ensemble

Tilborg. " Nous voulions faire savoir à

référons au label de commerce équitable de

de convaincre ses propres troupes. " Les

de l’équipe, il s’est aussitôt propagé au

toutes les entreprises, organisations

Fairtrade Belgium (anciennement Max Ha-

collaborateurs sont habitués aux mar-

marché. Cet enthousiasme est la clé du

et écoles servant du café Puro que, les

velaar) ou aux ingrédients ou produits issus

ques existantes et à un mode de travail

succès ! "

dix années à venir, nous continuerons à

du commerce équitable qui portent le label

nous engager en faveur de la durabilité ".

Fairtrade.

124

En savoir plus? www.purocoffee.com


KLINGELE

Entretien avec

Koen Klingele


Fabricant de chocolat depuis plus de 20 ans, Klingele s’est ­spécialisé dans les chocolats sans sucre ajouté et les chocolats équitables et bios. Outre ses propres marques, Balance et Green Dream, il produit aussi du chocolat pour d’autres. Il y a donc de fortes chances pour que vous ayez déjà rencontré des produits de ­Klingele dans les rayons de votre supermarché.

Le jeune Koen Klingele n’avait nullement l’intention de devenir chocolatier. Il avait en fait étudié l’agriculture tropicale dans l’optique de travailler dans le secteur de la coopération au développement. " Durant mon séjour à l’étranger dans le cadre de ma thèse, je me suis rendu compte qu’être loin de mes amis et de ma famille, ce n’était pas vraiment pour moi. J’ai donc cherché du travail en Belgique. Au début, j’ai trouvé un emploi dans la vente de pesticides, alors que je suis en fait opposé à leur usage, " nous confie-t-il en riant. " Par la suite, alors que je travaillais pour une société de dératisation, je me suis rendu à plusieurs reprises chez des fabricants de chocolat. C’est ainsi qu’a germé dans mon esprit l’idée de me lancer moi aussi dans le chocolat. " Au départ, Koen Klingele faisait exclusivement du chocolat sans sucre ajouté. "Je voulais développer un produit de niche, quelque chose qu’on ne trouvait nulle part ailleurs. J’ai démarré mes activités à très petite échelle dans la première moitié des années 90. Je préparais le chocolat dans ma cuisine, où je le coulais dans de petits moules, avant d’apporter en vélo les barres de chocolat à plusieurs magasins bios de Gand. " Après quatre ans, Koen Klingele a lancé la marque Balance et il a ­commencé à produire à plus grande échelle du chocolat sans sucre ajouté.

Klingele : un délice de chocolat Interview réalisée par Lisa Develtere pour le Trade for Development Centre, novembre 2014. 126


Plaisir Il y a aujourd’hui environ dix ans, Koen

Et de poursuivre : " Depuis que nous

Klingele a créé une nouvelle marque :

avons modernisé nos emballages, les

Green Dream, du chocolat bio et équi-

ventes de nos marques Balance et Green

table. " Si j’ai franchi ce pas, c’est que

Dream ont progressé ". Il n’empêche que

je voulais me diversifier, mais aus-

60 % de la production sont toujours

si et surtout que j’y crois vraiment.

destinés à d’autres marques. " Nous pou-

­Depuis ma plus tendre enfance, j’étais

vons aussi créer des produits spéciaux,

­volontaire dans un Wereldwinkel. Pour

en faibles et grandes quantités, pour

moi, chocolat rime avec plaisir à l’état

nos clients. Les tablettes de chocolat

pur. Mais peut-on réellement apprécier

bio Fairtrade* de Carrefour notamment

quelque chose, quand on sait que des

sont produites par Klingele. "

enfants sont exploités pour produire du cacao ? Tout à coup, le chocolat perd toute saveur. " " L’équitable et le bio reviennent un peu plus chers pour le consommateur, mais cela n’est pas dû au prix versé pour le cacao équitable. Ce supplément de prix garantit certes aux agriculteurs de meilleures conditions de vie, mais il est imperceptible sur le prix du produit final. Si le bio et l’équitable sont si chers, c’est parce qu’il s’agit d’un produit de niche, fabriqué à petite échelle, " nous confie Koen Klingele, qui produit essentiellement des tablettes et des barres de chocolat.

127

“Pour moi, chocolat rime avec plaisir à l’état pur. Mais peut-on réellement ­apprécier quelque chose, quand on sait que des enfants sont e ­ xploités pour ­produire du cacao ?”


2 tonnes de chocolat Klingele ne se charge pas lui-même de la transformation des fèves de cacao en chocolat. " La Belgique compte

chocolat sans sucre ajouté que le Japon

avons, en effet, pratiquement fait faillite

mencé à circuler sur son obésité présu-

approximativement quatre transfor-

et la Corée du Sud, qui optent davantage

en 2003. À l’époque, nous exportions de

mée qui aurait entraîné des problèmes

mateurs de ce genre, auxquels nous

pour la marque Green Dream. "

gros volumes vers quelques grandes

cardiaques. " Du jour au lendemain, tous

chaînes de supermarchés aux USA.

les produits associés au régime Atkins

faisons appel, tout comme quelque 300 autres chocolatiers belges. Com-

Ces cinq dernières années, Klingele a

me nous leur commandons de grosses

enregistré une croissance de 15 à 20 %

Le régime hypoglucidique Atkins, dans

chés. Notre chiffre d’affaires s’est alors

quantités, nous pouvons réclamer qu’il

l’an. Mais celle-ci comporte aussi des ris-

lequel s’inscrivaient parfaitement nos

effondré de 50 %, au moment où nous

soit préparé selon notre propre recet-

ques, selon Koen Klingele. " Nous devons

produits, y faisait rage. " Toutefois, en

venions tout juste d’investir dans un

te**. Nous ajoutons à ce chocolat des

consentir de lourds investissements

2003, Robert Atkins, fondateur de ce ré-

nouveau site de production. À présent,

fruits ou des noix, par exemple, avant

pour pouvoir suivre, mais nous devons

gime, est décédé des suites d’une chute.

je ne travaille plus avec ce genre de gros

de le mouler, puis de l’emballer. Cela

aussi faire preuve de prudence. Nous

Très rapidement, des rumeurs ont com-

clients. "

ont disparu des rayons des supermar-

représente quotidiennement quelque 2 tonnes de chocolat. " Klingele s’est lancé dans l’exportation autour de l’an 2000. Tant Balance que Green Dream ont actuellement le vent en poupe à l’étranger. " Il s’agit certes de produits de niche, mais les person-

“Si j’ai franchi ce pas, c’est que je voulais me diversifier, mais aussi et surtout que j’y crois vraiment.”

nes faisant attention à leur santé sont toujours plus nombreuses, et le bio et l’équitable séduisent aussi beaucoup de personnes. " Pour l’heure, Klingele exporte dans 45 pays, principalement dans nos pays voisins, les pays scandinaves et la Grande-Bretagne. " Certains pays sont plus intéressés par la marque Green Dream que par Balance, ou vice-versa. La France, par exemple, ainsi que l’Italie et le Moyen-Orient achètent plus de

128


La qualité avant tout Il n’est pas toujours simple de trouver

" À mes yeux, il est important que les

des matières premières bios, équi-

produits que nous vendons soient de

tables de bonne qualité, nous confie

bonne qualité. Si le chocolat belge est

Koen Klingele. " Notre gamme compte,

réputé aux quatre coins du monde, nous

par exemple, du chocolat aux noix.

ne sommes pour autant pas le seul pays

Certifiées tant bios qu’équitables, ces

à produire du délicieux chocolat. Il nous

dernières étaient cependant produites

faut donc impérativement garantir la

à si petite échelle qu’il subsistait par-

qualité. Et celle-ci passe par de bons

fois des débris de coquilles parmi les

produits de base. Tous les ingrédients

noix. Les grandes entreprises utilisent,

que j’utilise sont d’origine naturelle. Bon

elles, des scanners pour filtrer et retirer

nombre des ingrédients présents dans

ces débris. Nos clients risquant de se

ma marque Balance, par exemple, sont

casser une dent, nous avons choisi un

bios, sans que l’ensemble du produit

autre fournisseur, dont les noix sont

soit pour autant certifié. Et même si un

bios, mais pas équitables. "

client ne réclame pas spécifiquement du chocolat bio et qu’il ne le mentionne pas

“Ces cinq dernières années, Klingele a enregistré une croissance de 15 à 20 % l’an.”

non plus sur l’emballage, vu les frais que cela entraîne, le chocolat contenu dans son produit est en fait bio. Pour moi, le bio est indissociable de l’équitable. Notre chocolat équitable est aussi toujours bio et vice-versa. " En savoir plus? www.klingelechocolade.be

Nous utilisons le terme " Fairtrade " uni-

** La gamme Green Dream est élaborée à

quement lorsque nous nous référons au

partir d’une recette de chocolat à base de

label Fairtrade de Fairtrade Belgium (ex-Max

fèves de cacao bio et équitable, de lait bio, de

Havelaar) ou à des ingrédients ou produits

sucre de canne bio et équitable… La gamme

portant le label Fairtrade.

Balance utilise elle des fèves de cacao et succédanés de sucre " réguliers ".

129


CANDICO

Entretien avec

Isabelle Roelandts


L’an dernier, plus de 22 mille tonnes de produits à base de sucre ont quitté l’usine Candico de Merksem, près d’Anvers. Quelque 50% d’entre eux étaient labellisés Fairtrade. Cette usine, qui ­emploie 78 personnes, emballe du sucre de canne importé via le port d’Anvers ; elle produit également du sucre candi. Anvers connaît une longue tradition de production et de transformation du sucre. La Suikerrui (Canal au sucre) doit son nom à la bonne centaine de " confiseries " qui, au début du 16e siècle, s’établissent entre le quai et la Grand-Place. Les ­raffineries, dont la première remonte à 1508 à Anvers, épurent le sucre de canne brut et le ­transforment en sucre candi, un produit de luxe. Jusqu’au 19e siècle, la totalité du sucre est extraite à partir de la canne à sucre, produite dans des pays lointains. Durant les guerres napoléoniennes, un coup d’arrêt est donné à l’importation de produits d’outre-mer suite au blocus continental. C’est à ce moment que l’industrie sucrière s’est lancée dans la production de sucre de betterave. Au fil des siècles, le nombre de candiseries diminue fortement à Anvers. En 1935, quatre raffineries décident d’unir leurs forces en créant la société Candico. " ­Aujourd’hui, nous utilisons la même recette pour notre sucre candi que les premières raffineries du 16e siècle, à la différence près qu’il est maintenant produit à base de sucre de betterave ", nous confie Isabelle Roelandts, Communications & Governmental Relations Manager de la Raffinerie Tirlemontoise, dont fait partie Candico depuis 1969.

Candico investit dans les relations avec les paysans du Sud Interview réalisée par Lisa Develtere pour le Trade for Development Centre, novembre 2014. 131


Pionnier Candico propose des produits à base de

" Lorsque nous avons pris la décision

sucre de canne et de sucre candi. Le su-

de commercialiser du sucre de canne

cre de canne est soit bio soit équitable.

labellisé Fairtrade, plusieurs paysans du

Lorsque le sucre de canne devient un

Sud se sont fait certifier. Vu les bonnes

produit labellisable Fairtrade en 2002,

relations que nous entretenions déjà

Candico est le premier à se lancer dans

avec certains d’entre eux, cela s’est passé

l’aventure. " Les pratiques commercia-

comme sur des roulettes. Pour eux aussi,

les équitables sont solidement ancrées

cette transition s’est avérée avantageuse

dans nos relations avec les planteurs

dans le sens où elle a apporté des res-

de betteraves ", poursuit Isabelle Roe-

sources financières supplémentaires à

landts. "Il est important pour nous de

leur communauté. Une visite sur place

nouer des relations durables avec nos

nous a par ailleurs permis de nous rendre

planteurs, et ce, tant en Belgique qu’à

compte que le commerce équitable fait

l’étranger. Rechercher une situation

véritablement une différence pour les

win-win, tel est notre leitmotiv. "

agriculteurs avec lesquels nous collaborons à l’île Maurice, au Malawi et en Zambie, par exemple. "

132

“Nous avons calculé qu’un consommateur qui boit trois tasses de café par jour avec, à chaque fois, un seul morceau de sucre de canne équitable paie moins de 1 euro de plus par an.”


Indispensable

L’aventure équitable

" Nous avons perçu une demande en

Depuis 1989, la Raffinerie Tirlemontoise

Dans les pays où sont cultivées les can-

faveur du commerce équitable, et ce,

est membre du groupe allemand Süd-

nes à sucre, les cultivateurs sont réunis

non seulement dans le chef du consom-

zucker. " Nous nous efforçons d’ancrer

en coopératives qui livrent leurs récol-

mateur lambda, mais aussi de l’indus-

l’équitable non seulement au sein de

tes à une usine. " La canne à sucre y

trie. Dès lors, le sucre équitable, un des

Candico, mais aussi de l’ensemble du

est pressée pour en extraire une sorte

principaux ingrédients du chocolat

groupe Südzucker ", affirme Isabelle

de jus ", explique Isabelle Roelandts.

équitable, s’avère indispensable aux

Roelandts. " Le sucre de canne Fairtrade

"Celui-ci est ensuite cristallisé par cuis-

producteurs ", ajoute Isabelle Roe-

de la marque Candico n’est disponible

sons successives. En s’évaporant, l’eau

landts. " Notre gamme équitable a été

qu’en Belgique et au Luxembourg, mais

cède la place à un sirop toujours plus

lancée en 2002 et le succès a été au

nous en commercialisons aussi pour le

épais dont la centrifugation permet de

rendez-vous. Les ventes ont progressé

compte d’autres membres du groupe,

séparer les cristaux de sucre et l’eau. Le

d’année en année et sont maintenant

sous leur propre marque. Au départ,

même procédé de production s’applique

stables depuis quelques années. Cer-

chez Candico, une personne s’occupait

au sucre de betterave. Le sucre de can-

taines personnes sont manifestement

à plein temps des contacts avec Fair-

ne, qui arrive en vrac au port d’Anvers,

en quête du label Fairtrade ou bio. "

trade International et les paysans du

est conditionné pour sa majeure partie

Sud, ainsi que de leur transition vers

dans notre usine de Merksem, une petite

En 2008, l’ensemble de la gamme de

le bio ou l’équitable. Depuis, elle a pris

partie étant encore raffinée pour obtenir

produits à base de sucre de canne de

sa retraite et tous les contacts avec les

du sucre de canne blanc. "

Candico a été certifié Fairtrade. Deux

acteurs équitables se font à présent au

ans après, Candico a lancé une nouvelle

niveau du groupe. "

gamme à base de sucre de canne bio. "Force nous est de constater que le bio et l’équitable séduisent deux groupes de consommateurs différents. Dans le cas du sucre de canne bio, c’est essentiellement l’aspect écologique qui importe pour le consommateur. Le processus de certification Fairtrade inclut également des critères écologiques, mais les consommateurs associent l’équitable

“ Nous avons perçu une demande en faveur du commerce équitable, et ce, non seulement dans le chef du consommateur lambda, mais aussi de l’industrie.”

plutôt à l’aspect social. "

133


1 euro par an L’an dernier, la Raffinerie Tirlemontoise a vendu 165 produits différents sous la marque Candico, dont 34 références de produits labellisées Fairtrade. " Un paquet de sucre de canne d’un kilo porte une autre référence qu’un paquet d’un demi-kilo. Pour le commerce au détail, nous proposons une gamme limitée comprenant des morceaux de sucre, du sucre de canne ordinaire et du sucre de canne blanc, tandis que nous livrons d’autres produits encore à l’industrie. " Bien souvent, le sucre de canne équitable

Nous utilisons le mot "Fairtrade" si nous nous

est légèrement plus cher que le sucre

référons au label de commerce équitable de

de canne ordinaire. " Mais la différence

Fairtrade Belgium (anciennement Max Ha-

de prix est minime. Nous avons calculé

velaar) ou aux ingrédients ou produits issus

qu’un consommateur qui boit trois tas-

du commerce équitable qui portent le label

ses de café par jour avec, à chaque fois,

Fairtrade.

un seul morceau de sucre de canne équitable paie moins de 1 euro de plus par an. Vu le surcoût dérisoire, opter pour le commerce équitable s’avère donc un choix logique. "

En savoir plus? www.fr.candico.be

134


OZFAIR

Entretien avec

Guerric Gautier


Dans un quartier animé de la commune bruxelloise de Saint-Gilles, la boutique Ozfair propose depuis 2008 une foule de produits équitables, respectueux de l’homme et de l’environnement. A côté des produits alimentaires, on y trouve des vêtements, des bijoux, des jouets, des articles de décoration, des cosmétiques, de la vaisselle, de la papeterie… Bref, une caverne d’Ali Baba équitable en plein Bruxelles. " L’idée de départ d’Ozfair, c’était de braquer les projecteurs sur les producteurs des pays du Sud et de leur redonner la place qu’ils méritent dans la chaîne globale du commerce, tout en promouvant également une consommation responsable. Pour cela, il nous semblait logique de proposer un maximum de produits différents, car le commerce équitable ne se limite pas à ses produits emblématiques. Nous voulions un endroit capable de montrer aux gens qu’il propose énormément de choix et de qualité ". Guérric Gautier est visiblement dans son élément au milieu de la boutique Ozfair, qu’il a fondée avec plusieurs amis en 2008. Guérrice Gautier devant le magasin Ozfair, économiste de formation, il a travaillé à l’étranger pour Médecins sans frontières pendant plus de quinze ans, avant de poser ses valises à Bruxelles avec sa famille. " A un certain moment, j’ai voulu recréer un lien avec les pays du Sud. Lors de ma dernière mission pour MSF au Mali, j’avais déjà eu l’occasion de rencontrer quelques personnes qui essayaient d’accrocher le wagon du commerce équitable. J’avais trouvé leur démarche et leur motivation intéressantes, différentes de celles du commerce classique ".

Ozfair : la caverne ­ d’Ali Baba de l’équitable

La boutique Ozfair est la concrétisation de cette volonté. Elle est à la fois un endroit où une clientèle de quartier vient s’approvisionner en produits de consommation de tous les jours, et un sensationnel endroit de slow shopping, où il fait bon flâner et dénicher des surprises. " C’est vrai que nous proposons à une clientèle des environs des produits classiques tels que du chocolat, du café ou du riz, mais nous

Interview réalisée par Alain De Bast pour le Trade for Development Centre, décembre 2013. 136


sommes également une enseigne où l’on vient pour acheter des cadeaux. On a tous plusieurs fois par an des ca-

aux producteurs soit la plus grande

Saint-Gilles, qui a pris le projet à cœur.

deaux à faire", explique Guérric Gautier.

possible. " Nous avons trois filières de

"Nous ne savions pas très bien où nous

Et ceux qui choisissent Ozfair achètent

ce type actuellement, avec le Mali, le

installer dans Bruxelles, et nous ­sommes

leurs cadeaux d’une manière différente.

Sénégal et le Laos. Je souhaiterais vrai-

arrivés dans un bon endroit, car le tis-

Ils veulent offrir des cadeaux équita-

ment les développer, également pour

su socio-économique du quartier est

bles et originaux, à un prix tout à fait

avoir davantage de contacts directs

porteur pour un projet comme le nôtre",

r­ aisonnable.

avec le Sud, mais c’est extrêmement

explique Guérric Gautier.

fastidieux". Bon nombre de produits

Des fournisseurs ­inscrits dans la ­démarche Aujourd’hui, environ 90% des articles

équitables disponibles dans la boutique

Malgré cela, faire vivre la boutique est un

sont également biologiques, mais Ozfair

combat de tous les jours. "Nous avons

sélectionne d’abord un produit pour son

ouvert en mai 2008 et ce n’était pas le

caractère équitable. " Ensuite, s’il est bio,

meilleur moment, car le premier domi-

tant mieux, mais le cahier des charges

no de la crise est tombé en octobre de

du commerce équitable est plus exigeant

cette année. L’avantage, c’est que nous

aujourd’hui que celui du bio, raboté tel

n’avons jamais connu la situation telle

qu’il est ", constate Guérric Gautier.

qu’elle était avant. Notre situation de

et produits proposés dans la boutique

référence, c’est déjà celle de la crise. On

“ Nous avons trois filières de ce type actuellement, avec le Mali, le Sénégal et le Laos. Je souhaiterais vraiment les développer, également pour avoir davantage de contacts directs avec le Sud, mais c’est extrêmement fastidieux “.

Ozfair sont importés en Europe par des

Dès le début, lui et ses amis coopérateurs

ne peut donc qu’espérer que la situation

acteurs spécialisés dans les produits

ont imaginé de combiner la boutique

s’améliore". Guérric Gautier sait perti-

équitables." Notre travail consiste donc

­– sorte de joyeux capharnaüm – avec

nemment que ce n’est pas Ozfair qui le

à trouver des produits qui vont plaire à

une table d’hôte végétarienne et bio.

rendra riche, mais il assume son choix.

conseillés et ne cherche pas à réaliser

notre clientèle, mais aussi à vérifier que

"Le concept s’est un peu affiné depuis

"Avec le commerce équitable, on se met

des marges importantes sur les produits

les fournisseurs s’inscrivent bien dans

l’ouverture en 2008, mais il y a une

quelques boulets aux pieds : nos marges

et articles qui sont vendus. Sa table

la démarche du commerce équitable. Il

constante dans notre démarche : nous

bénéficiaires sont nettement inférieures

d’hôte ouvre plus de perspectives à cet

nous faut une filière qui soit garantie,

devons toujours réaliser beaucoup de

à celles de nos voisins, mais nous avons

égard. Depuis un an, Ozfair a également

et globalement, cela se passe vraiment

choses avec peu de moyens. Ce n’est

évidemment les mêmes charges, qu’elles

développé un projet de livraison à vélo

très bien", affirme Guerric Gautier.

pas toujours simple", explique Guérric

soient salariales ou liées aux coûts fixes

de soupe équitable, biologique et végéta-

Gautier. La localisation de la boutique,

d’un magasin. "

rienne, qui s’adresse plutôt aux collecti-

Les statuts d’Ozfair - une coopérative -

sur un axe avec beaucoup de passage,

vités. " Si ce projet fonctionne, cela nous

prévoient de créer dès que possible des

est un vrai coup de chance. L’opportuni-

Ozfair emploie aujourd’hui près de quatre

aiderait assez bien, car nous le gérons

filières plus directes avec les pays du

té de s’y installer s’est présentée grâce

personnes à temps plein. La boutique

nous-mêmes de A à Z, avec une maîtrise

Sud, afin que la part de recettes destinée

à l’aide d’un responsable d’Atrium à

s’efforce de respecter les prix de vente

des marges", résume Guerric Gautier.

137


Une goutte d’eau

Mais l’objectif d’Ozfair, c’est aussi de valoriser un comportement de consommation responsable chez nous. " Nous

Même s’il augmente lentement mais

voulons promouvoir une démarche de

sûrement ses parts de marché, le

consommation différente et à tout le

commerce équitable reste marginal

moins montrer qu’elle est possible ".

dans notre pays. Guerric Gautier est ­cependant fermement convaincu des

Guerric Gautier et ses amis d’Ozfair sont

bienfaits qu’il apporte. " En débutant

bien conscients que leur boutique ne

Ozfair, je voulais explorer le domaine du

changera pas le monde. Mais les grandes

commerce équitable, pour savoir s’il est

causes ont parfois besoin d’une petite

réellement un levier de développement

dose d’abnégation, voire d’utopisme !

pour le Sud, à côté des coopérations tra-

"Il faut y croire, sur le principe des petits

ditionnelles, qu’elles soient institution-

ruisseaux qui font les grandes rivières, et

nelles ou h ­ umanitaires. A ­ ujourd’hui, je

cela même si Ozfair n’est qu’une petite

constate que les ­petits producteurs du

goutte dans cette rivière. Le concept de

Sud bénéficient r­ éellement du système

notre boutique est d’ailleurs relativement

du commerce ­équitable et qu’ils en

facile à dupliquer ", conclut Guerric Gau-

­retirent de réels avantages dans leur vie

tier, comme une sorte d’appel du pied.

quotidienne. Ce n’est pas massif, mais

Et c’est vrai : Ozfair mériterait tant de

c’est tangible, et c’est une satisfaction

faire des petits !

qui me touche beaucoup ". En savoir plus? www.ozfair.be

“Aujourd’hui, je constate que les petits producteurs du Sud bénéficient réellement du système du commerce équitable et qu’ils en retirent de réels avantages dans leur vie quotidienne. Ce n’est pas massif, mais c’est tangible, et c’est une satisfaction qui me touche beaucoup.“ 138


ALTÉREZ-VOUS

Entretien avec

Sorina Ciucu


Un café citoyen est généralement un lieu convivial où l’on débat de problématiques de société. A Louvain-la-Neuve, le concept a été affiné. Il ne s’agit pas seulement de conscientiser les ­citoyens sur un problème de société, mais aussi de prouver qu’une ­entreprise respectant tous les principes éthiques, même dans un ­secteur aussi difficile que celui de l’horeca, peut s’avérer rentable.

C’est un peu à l’écart de la célèbre place des Wallons et en face de Respect-Table, un sandwich-bar slow food équitable, que l’Altérez-Vous a ouvert ses portes en 2009 à Louvain-la-Neuve, place des Brabançons. A l’origine, on trouve quatre étudiants qui, pour trois d’entre eux, faisaient partie du kot à projet Unicef et qui, surtout, étaient bénévoles pour les Magasins du Monde-Oxfam. " Nous allions souvent à des conférences sur l’écologie, l’environnement, et nous y rencontrions toujours les mêmes personnes ", explique Sorina Ciucu, l’une des fondatrices. " Nous nous sommes alors posé la question : qu’est-ce qu’on peut faire pour sensibiliser davantage de monde ? Après chaque conférence, nous avions envie de continuer le débat de manière informelle, mais il n’y avait pas d’endroit assez éthique à nos yeux. C’est alors que nous est venue l’idée de créer un café, un lieu convivial qui nous permettrait d’atteindre un public plus large. " Pour avoir plus d’expérience, nous avons intégré dans notre équipe deux personnes plus âgées que nous qui, leur carrière derrière eux, pouvaient accorder du temps et un regard critique à notre projet. Ensuite, cela a été très vite. Après six mois de préparation, l’Altérez-Vous ouvrait ses portes à la rentrée universitaire de 2009.

Café citoyen Altérez-vous

" Ce qui nous a pris le plus de temps, c’est travailler sur les statuts. Nous hésitions entre ASBL et coopérative. Finalement, nous avons choisi le statut de coopérative à finalité sociale, car ça reflétait l’initiative commune à l’origine du projet portée par les membres fondateurs, et ça répondait à la volonté d’impliquer les acteurs

Interview réalisée par François Hubert

locaux en ouvrant la coopérative. De même, notre objectif était de prouver qu’il

pour le Trade for Development Centre, juin 2014.

était possible d’avoir un projet entrepreneurial rentable tout en restant éthique. " 140


L’effet papillon Pour ne pas devoir faire face à des assemblées trop mouvantes et pour responsabiliser davantage les coopérateurs, la part sociale a été fixée à 250 euros, une somme à la fois conséquente

“Notre objectif était de prouver qu’il était possible d’avoir un ­projet entrepreneurial rentable tout en restant éthique.“

et raisonnable. De dix coopérateurs au départ, la coopérative est aujourd’hui passée à 110. Les coopérateurs, qui bénéficient d’une réduction de 10 % sur la carte, viennent du milieu familial, universitaire ou étudiant, auxquels s’ajoutent des personnes pensionnées. Le nom du café fait penser à se désaltérer. " Mais ça veut aussi dire ‘changez-vous’, avec l’idée que l’on peut changer à tout moment ", ajoute Sorina. Pour logo, c’est un papillon qui a été choisi. " Le papillon, petit être fragile, libre et joyeux, incarnant notre volonté de changement d’un petit coin de la planète à l’entièreté de celle-ci ", précise-t-elle encore.

141


Une cuisine de ­qualité A l’intérieur, l’endroit est cosy : des cou-

Aujourd’hui, le café a en effet trouvé sa

lades, des gratins, des plats sans gluten,

faisaient appel à leurs talents culinaires,

leurs chaudes aux murs, un éclairage

clientèle et fait des bénéfices. Il emploie

sans lactose, etc. Alors qu’auparavant,

aujourd’hui, l’Altérez-vous a son propre

discret, des tables de bois massif, une

sept équivalents temps plein et a déga-

c’était les fondateurs eux-mêmes qui

chef en cuisine.

musique jazzy, un canapé où l’on peut

gé 6.200 euros de bénéfice net en 2013.

s’affaler dans un coin et juste à côté,

"C’est peu, car on est dans un secteur

un piano droit. Les clients s’y sentent

– l’horeca – qui est très dur et gourmand

à l’aise. Ils papotent tranquillement

en personnel. Plus de 40% de nos charges

en dégustant une bière artisanale ou

vont pour le personnel, nous ne travail-

un café équitable. L’endroit s’anime

lons que de la qualité et nous pratiquons

beaucoup plus le midi, à l’heure du re-

des prix corrects. " Les rares plats de

pas, " et la plupart des clients viennent

viande sont en effet à 14 euros. Mais au

se restaurer sans vraiment connaître

menu, c’est le végétarien qui domine.

le projet qu’il y a derrière, car nous

Au fil des années, le menu s’est étoffé

proposons une alimentation durable,

et les recettes se sont améliorées : des

qui respecte la saisonnalité ".

soupes, des pâtes, des quiches, des sa-

“On est dans un secteur – l’horeca – qui est très dur et gourmand en personnel. Plus de 40% de nos charges vont pour le personnel, nous ne travaillons que de la qualité et nous pratiquons des prix corrects. “

142


Consommer responsable Le fonctionnement de ce café-restau-

Le deuxième principe est celui de la sen-

rant citoyen repose sur trois grands

sibilisation. Le café sert de point de vente

principes. Le premier, c’est la consom-

à quelques produits solidaires, comme

mation responsable.

les bougies Amnesty ou des calendriers vendus au profit d’un dispensaire au

Pour l’approvisionnement, la filière cour-

Mali. Des expos, des débats et des con-

te est privilégiée, avec des produits bio

férences y sont organisés une fois par

locaux, de saison et/ou équitables. Le

mois. " Au début, nous étions un peu trop

chocolat, par exemple, est acheté à une

enthousiastes et nous avons organisé

petite chocolatière locale qui travaille

jusqu’à huit conférences par mois. On

avec des produits issus du commerce

s’est rendu compte qu’à la fin, ça rebu-

équitable. La vaisselle est fournie par un

tait les clients potentiels ", se souvient

producteur de céramique palestinien.

Sorina. L’équipe a donc changé son fusil

"On veille aussi à limiter au maximum le

d’épaule en organisant moins d’événe-

gaspillage alimentaire. Et on ne négocie

ments de sensibilisation, mais mieux.

pas les prix des fournisseurs, car derrière

Pour la première fois, l’Altérez-Vous a

les prix, il y a un travail qu’on respecte ",

monté une séance en dehors de ses

souligne la co-fondatrice. A table, l’eau

murs, dans un auditoire de l’université.

plate est gratuite, comme en France. Et

Avec succès : 120 personnes ont assisté

tout ce qui peut l’être est respectueux de

à cette conférence-débat sur les gaz de

l’environnement : l’énergie, les produits

schiste et leur impact sur l’environ-

d’entretien, etc.

nement. Pour le prochain débat, sur le TTIP (Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement), l­ ’équipe espère attirer 400 personnes.

143


Tables de ­conversation et ­ateliers tricots Enfin, le troisième principe, et non des moindres, est la convivialité, condition sine qua non pour faire connaître le

Dès la réouverture, en mars 2015, un

café et fidéliser sa clientèle. Toute une

brunch végétarien avec film et débat

série d’événements sont organisés pour

sera proposé une fois par mois le di-

attirer des publics différents. Le soir, ce

manche, une première expérience ayant

sont des concerts, du café-théâtre, des

été tentée avec succès : 38 personnes

soirées contes, des apéros, des tables

(le maximum) ont pu assister à la pro-

de conversation en langues étrangères

jection du documentaire " Love meat

(néerlandais, espagnol, allemand)…

tender " (sur la production de viande),

L’après-midi, place aux ateliers tricots,

suivie d’un débat avec le réalisateur et

d’écriture…

quelques spécialistes.

Après cinq années d’existence, le café a

Des projets, l’équipe dynamique d’Al-

besoin d’un petit coup de rénovation et

térez-Vous n’en manque pas. Par exemple

de quelques travaux : repeindre les murs,

la création d’un réseau de cafés-citoyens.

changer le bar de place, placer du dou-

" Beaucoup de personnes intéressées de

ble vitrage, aménager une entrée pour

monter un café viennent nous voir, nous

personnes à mobilité réduite, installer

demander des conseils. Ce serait bien

une aération et un écran de projection.

de monter un réseau, avec des aides à

Au début de l’année 2015, le papillon

la création, mais pas sur le système de

d’Altérez-Vous se métamorphose, pour

la franchise ", explique Sorina.

mieux renaître. En savoir plus? www.alterezvous.be

144


BIODYVINO

Entretien avec

Vincent De Coninck


Vincent De Coninck est un entrepreneur au sens le plus large du terme : ces dix dernières années, il a mis sur pied tant un négoce de vins qu’un réseau d’entrepreneuriat social, tout en organisant des évènements et en donnant des conférences. Et toutes ces initiatives s’inscrivent dans une seule et même mission : créer, au moyen de l’entrepreneuriat social, un monde meilleur pour les générations futures. Durant ses études de marketing, Vincent s’est rendu compte que les techniques de marketing s’appliquent unilatéralement aux multinationales, axées sur le " big business ", alors qu’elles peuvent servir à atteindre bien d’autres objectifs encore. Cette frustration l’a alors incité à partir en sac à dos en Inde. Depuis, Vincent met son énergie uniquement au service des objectifs dans lesquels il a totalement foi. Après avoir bouclé ses études par un mémoire consacré au social profit marketing, il a entamé sa carrière professionnelle comme marketeur indépendant pour Max Havelaar, Africalia et d’autres organisations à but non lucratif. Quelques années plus tard, et après avoir développé un vaste réseau, Vincent a décidé de finalement mettre en pratique lui-même ces concepts et connaissances. Véritable épicurien, Vincent est aussi un sommelier diplômé. " Ma passion pour la bonne chère et le bon vin m’a amené à fonder en 2005 la société Vino Mundo, qui se focalise sur les vins bios, équitables et belges. Les vins locaux s’adressant à un autre public que les vins bios et équitables, le message à véhiculer était donc

Biodyvino : un “ bon “ verre de vin sans goût d’amertume

différent. C’est pourquoi j’ai créé le site belgianwines.com. Vu le caractère pionnier de mon entreprise, j’ai suscité beaucoup d’intérêt dans la presse et suis assez ­rapidement devenu la boutique en ligne par excellence pour le vin belge de qualité. Mais, en fin de compte, mon cœur vibrait surtout pour le bio et l’équitable ; j’ai donc pris la décision, il y a quatre ans, de vendre belgianwines.com. Cela m’a alors permis de me concentrer sur la vente de vins bios et équitables à des particuliers par le biais des boutiques en ligne, mais aussi à des magasins, des traiteurs ou lors

Interview réalisée par Lene Van Langenhove pour le Trade for Development Centre, février 2014. 146


d’évènements. Je suis vraiment parti de rien avec, pour seul moyen, une voiture de location que j’utilisais pour livrer les commandes aux clients. "

leur appui financier, les actionnaires faisaient aussi office de "caisse de résonance" et d’ambassadeurs. L’an

Fidèle à sa philosophie

dernier, nous avons décidé de fusion­ ner avec Biotiek, LE pionnier belge en matière de vins bios. " En unissant leurs forces, ces deux petits

Il n’était pas évident du tout, il y a dix

acteurs peuvent continuer à se déve-

ans, de convaincre les clients d’acheter

lopper au sein de la nouvelle entreprise

des produits bios et équitables. " Je

Biodyvino. Pour Vincent, c’était là une

dois bien avouer que cela aide d’être

opportunité de se décharger un peu de

reconnu comme sommelier dans le

la direction journalière et de la vente. Il

secteur. Je suis resté fidèle à ma vision,

reste en charge de la commercialisation

à savoir : combiner expertise et convic­

de Biodyvino, mais s’engage désormais

tion. Et cela a fait son petit bonhomme

aussi comme coordinateur du Positive

de chemin. L’entreprise a continué à se

Entrepreneurs Network. Ce réseau per-

développer ; j’ai pu engager un collabo­

met aux entrepreneurs sociaux de nouer

rateur et nous avons ouvert le capital

des contacts entre eux ainsi qu’avec des

aux particuliers, clients et organisa­

bailleurs de fonds, tout en promouvant

tions qui souhaitaient contribuer à une

ce modèle économique auprès des entre-

"autre forme d’entrepreneuriat". Outre

preneurs, universités et pouvoirs publics.

“Le commerce équitable ne peut revêtir un caractère pérenne que si vous collaborez avec des partenaires professionnels et que vous misez à fond sur la qualité, le prix et le service. “ 147


Un goût de douceur

ère il sélectionne les producteurs : " La plupart du temps, les premiers contacts se nouent à l’occasion de salons inter-

Pour le vin équitable, Biodyvino travail­

que son concurrent, nous n’allons pas

nationaux. Vu le caractère neutre de cet

le exclusivement avec des producteurs

le forcer à diminuer son prix. "

environnement, vous risquez moins de

viticoles certifiés par Max Havelaar

vous laisser influencer par le cadre ; la

ou Fair for Life de l’IMO (Institute for

Vincent relève-t-il une différence entre

dégustation se focalise donc uniquement

Marketecology). Pour pouvoir porter

les deux labels avec lesquels il collabore? "

sur les caractéristiques du vin. Nous éva-

un label équitable, les produits doi­

En raison de sa plus grande flexibilité,

luons avec une grande rigueur le profil

vent satisfaire à différents critères :

IMO séduit plus les grands acteurs que

aromatique, le packaging et l’entrepri-

rémunérations correctes, liberté syndi­

les petites coopératives. Et si sa vision

se, ou examinons si le vin en question

cale, sécurité et hygiène dans les plan­

est certes correcte, il s’agit d’initiatives

présente une valeur ajoutée pour notre

tations et les fabriques. " À mes yeux,

de type top-down plutôt que bottom-up.

gamme. Nous nous rendons ensuite chez

commerce équitable rime avec déve­

Je me suis rendu compte que Max Have-

le producteur. Nous ne nous lançons pas

loppement de relations à long terme

laar est parfois trop strict, ce qui freine

dans l’aventure avec des viticulteurs qui

avec les coopératives et les travailleurs.

le dynamisme entrepreneurial. Je ne

affirment produire du vin de manière

Ceci dit, la situation en Afrique du Sud

peux que me réjouir du nombre toujours

totalement bio, mais qui ne sont pas

est, par exemple, totalement différente

croissant d’initiatives ; notre objectif, en

labellisés, parce que cela coûte trop cher.

de celle au Chili ou en Argentine. Par­

fin de compte, c’est bien de faire progres-

" Ce qui importe pour Vincent, ce n’est

fois, les agriculteurs de la région livrent

ser le marché équitable. La concurrence

pas tant l’histoire contée, mais bien la

leurs raisins au producteur ; parfois, ils

est toujours une bonne chose, même au

force du produit même. " Le commerce

sont copropriétaires de la coopérative

niveau des labels. "

équitable ne peut revêtir un caractère

viticole. Pour moi, il est important que

pérenne que si vous collaborez avec des

le vin que nous vendons soit produit par

Vos vins sont-ils toujours à la fois bios et

partenaires professionnels et que vous

des personnes qui, en fin de compte,

équitables ? " La plupart de nos vins sont

misez à fond sur la qualité, le prix et le

ont le sentiment d’avoir pu personnelle­

bios ; ils proviennent majoritairement

service. C’en est bien fini de raconter

ment apporter leur contribution et d’en

d’Espagne, de France et d’Italie. 20% des

des boniments pour venir en aide aux

avoir retiré quelque chose. Un vin ne

vins de notre gamme sont équitables,

"petits Noirs". "

peut, en quelque sorte, pas être doux,

mais ils ne sont pas tous bios. Lorsque

s’il a été produit dans l’amertume. Il

nous importons des vins de pays ex-

est primordial pour nous que chaque

tra-européens, nous nous efforçons, dans

maillon du processus soit équitable.

la mesure du possible, d’opter pour des

Lorsque nous demandons le prix d’un

produits issus du commerce équitable.

producteur et qu’il s’avère plus cher

" Vincent nous explique de quelle mani-

Monsieur et Madame Tout-le-monde Biodyvino livre ses vins dans divers magasins bios, restaurants et épice­ ries fines, mais aussi à des organisa­ tions telles que le Beursschouwburg, l’Ancienne Belgique, Bozar, ‘t Pand, ainsi qu’à différentes villes et com­ munes, et même au Gouvernement flamand. Les prix oscillent entre 5 et 15 euros, soit un montant intention­ nellement peu élevé. "Ma mission consiste à rendre le vin bio et équi­ table accessible. Je travaille certes avec de grands restaurants, comme ceux de Sergio Herman, ou mainte­ nant aussi avec le jeu-concours télé­ visé Mijn Pop-up Restaurant, mais ce que je souhaite surtout, en fait, c’est attirer Monsieur et Madame Tout-lemonde. Pas les gens huppés qui font la fine bouche quand on ne leur sert pas du Saint-Emilion. Ce sont fina­ lement ceux qui en parlent le plus qui en savent souvent le moins. Been there, done that!"

“Je travaille certes avec de grands restaurants, mais ce que je souhaite surtout, en fait, c’est attirer Monsieur et Madame Tout-lemonde.” 148


Cow-boys En dix ans de temps, Vincent a vu les

vent en poupe, mais parfois, les nou­

La morale de toute cette histoire : il faut

choses pas mal évoluer. "Nous avons,

veaux acteurs qui respectent certes

continuer à croire dans la mission que

nous aussi, apporté notre petite pierre

les critères, ne partagent pas vraiment

vous vous êtes assignée. "À l’époque,

à l’édifice : nous donnons des exposés

notre philosophie. Notre carte de visite,

j’avais opté pour les marchés de niche

dans les écoles d’hôtellerie, nous or­

c’est notre intégrité. Le marché compte

les moins évidents, en l’occurrence,

ganisons des évènements portant sur

un certain nombre de cow-boys, mais

le vin bio, équitable et belge ; tout le

la viticulture durable. J’ai fait énor­

ce n’est pas un hasard si nous, nous

monde m’a traité de fou et on s’est

mément de choses pour implanter

sommes toujours présents. Nous avons

bien moqué de moi dans l’univers des

cette tendance sur le marché et la

développé notre expertise et sommes à

­sommeliers." Les années écoulées ont

reconnaissance est peu à peu au ren­

même de la partager avec, par exemple,

prouvé que ce n’était finalement pas

dez-vous. À l’avenir, j’espère que nous

des centrales de boissons et de petits

une si mauvaise idée.

parviendrons à garder un juste équi­

supermarchés qui veulent se lancer

libre entre mission et rentabilité, à

dans le bio et l’équitable. Il existe en­

continuer à soutenir la croissance et

core une belle marge de croissance."

En savoir plus? www.biodyvino.be

à conserver notre place sur le marché. Le bio et le commerce équitable ont le

“Notre carte de visite, c’est notre intégrité.”

149


BEFRE

Entretien avec

Bernard Holvoet


Situés dans l’ancien Palais du vin de style Art déco, les Ateliers des Tanneurs sont aujourd’hui sans nul doute le hotspot le plus « vert » de Bruxelles. Connus surtout pour leur marché bio, ils ­abritent cependant aussi plusieurs jeunes entreprises ­bruxelloises s’investissant dans la durabilité et l’écologie. ­ Parmi celles-ci, la petite société BeFre, créée par Bernard Holvoet et spécialisée dans la fabrication de sacs et d’emballages réutilisables ­personnalisés.

Il y a de fortes chances que vous ayez déjà eu entre les mains un sac de BeFre, puisque la jeune entreprise compte de nombreux gros clients, et ce, tant en Belgique que dans les pays voisins. Le sac Kabouter Wesley d’Oxfam-Wereldwinkels ? Fabriqué par BeFre. De même que les solides sacs en propylène distribués par les supermarchés ou les grandes chaînes de magasins. Ou encore les sacs à provisions des marques­ " vertes " telles que Lampiris, Essentiel ou Exki, ou des magazines branchés comme The Word, qui sont, quant à eux, réalisés en coton équitable. À l’origine, BeFre fabriquait des sacs réutilisables en polypropylène, mais, pour Bernard, cette matière n’était pas suffisamment durable. Aussi, l’entreprise s’est tournée vers des sacs réalisés pour 80 à 100 % à partir de bouteilles PET recyclées. De là au coton équitable, il n’y avait plus qu’un pas. " J’ai toujours pensé que le coton était une matière naturelle, biodégradable, mais j’ai déchanté quand j’ai appris qu’il faut 70 litres d’eau pour fabriquer un seul T-shirt ! De quoi remplir toute une baignoire ! De plus, l’usage de pesticides est largement répandu dans ce secteur.

BeFre: sacs durables

C’est pourquoi j’ai choisi le bio et l’équitable, et que nous travaillons aujourd’hui avec Max Havelaar et Bio Équitable. " Les sacs à provisions, housses pour costume et trousses de toilette de BeFre sont bio, mais pas tous équitables. C’est une question d’offre et de demande, nous

Interview réalisée par Lene Van Langenhove

explique Bernard. Il reconnaît que, pour sa part, il avait surestimé la demande

pour le Trade for Development Centre, février 2014. 151


de sacs équitables. " Notre entreprise

démontrent que celle-ci s’engage pour

Pour Bernard, l’équitable est indissocia-

sait donc exactement d’où provient le

existe depuis sept ans maintenant, et

la préservation de l’environnement. "

ble du bio. Il a donc été particulièrement

coton. Le site affiche une carte des pays

je ne vois pas vraiment d’augmenta-

D’où vient cette préoccupation écolo-

déçu que Max Havelaar n’ait pas agréé à

où celui-ci est cultivé. C’est ce type de

tion de la demande de sacs en coton

gique ? " Il y a huit ans, j’ai voyagé en

sa demande d’un label qui combine les

transparence que je souhaite offrir. "

équitable. Les produits équitables sont

Asie en sac à dos. Partout, je voyais des

deux philosophies. Cela l’a rendu très

certes b ­ eaucoup plus chers et c’est

sacs en plastique abandonnés le long

sceptique sur cette organisation. " Nous

Ceci étant, Bernard collabore quand

la crise, mais je crois surtout que les

des routes ou accrochés aux arbres.

devons lui payer un droit de licence ainsi

même avec Max Havelaar, qui s’avère

consommateurs font plus attention à

J’étais dégoûté. Quand j’ai ensuite

que 2 % sur le chiffre d’affaires. Chaque

moins cher, mais il rêve de trouver une

leurs dépenses et veulent réutiliser plus

visité l’Australie, j’ai été frappé par

année, les frais excèdent les revenus,

manière d’informer le client sur le pro-

et jeter moins. Dans les années 70 et 80,

l’absence totale de pollution plastique,

car la demande de sacs équitables reste

cessus de production, à l’instar de ce qu’il

tout était en plastique ; aujourd’hui, nous

car seuls les sacs réutilisables y sont

faible. J’ai donc déjà songé à tout arrêter,

a vu récemment dans un documentaire

voulons des matières ayant une durée

employés. C’est ce que je souhaitais

mais, malgré tout, je veux continuer à

consacré à une entreprise française de

de vie de plus de vingt minutes. "

voir en Belgique aussi. Je travaillais à

offrir ce produit. "

cette époque comme banquier privé,

Ecologie

mais ce n’était pas vraiment ma tasse

Transparence

de thé. Nous avons commencé au bon moment, car en 2007, une nouvelle loi

Si Bernard mise sur des matières réuti-

a été promulguée sur l’utilisation des

Le principal problème, estime Bernard,

lisables, c’est qu’il veut aller au-delà de

sacs en plastique. "

réside dans le manque de transparence.

la consommation pure et simple. Il est le premier à affirmer qu’ils n’ont pas réinventé la roue. " Je pense toujours à ma grand-mère qui partait au marché avec son panier. Nous, nous avons choisi une autre matière et en avons fait un article promotionnel. Au début, j’avais du mal à convaincre les clients, car ils ne songeaient qu’à la différence de prix avec un sac en plastique. Aujourd’hui, ils ont compris que ce qu’ils paient est en fait une campagne promotionnelle : ces sacs se remarquent, s’utilisent longtemps et sont bons pour l’image de l’entreprise, puisqu’ils

" Je serais très heureux si je pouvais recevoir, en fin d’année, un rapport

“Les consommateurs qui optent pour l’équitable ont le droit de savoir d’où proviennent les produits et pourquoi ceux-ci reviennent plus cher.“

précisant le bénéfice réalisé par Max Havelaar et la part qui en a été allouée respectivement au contrôle et aux investissements durables. " L’association française Bio Équitable - qui combine donc le bio et l’équitable - est bien plus convaincante aux yeux de Bernard. "Elle est plus présente sur le terrain et entretient une communication ouverte. J’ai reçu des tas d’informations ainsi que des photos d’écoles construites par des ONG locales. Elle conclut des partenariats avec les producteurs et

152


confection de T-shirts. " Chaque T-shirt a son propre code, et lorsque vous l’encodez sur leur site, vous obtenez un aperçu

quoi, bien des clients seraient déçus. "

de la chaîne de bout en bout. C’est le

ailleurs, BeFre dispose aussi d’un stock

savoir s’il est correctement réalisé, c’est

principe même du commerce équitable:

de sacs en jute et en coton pouvant être

difficile, puisqu’ils ne nous remettent

les consommateurs qui optent pour

imprimés, en Belgique cette fois, selon

pas de rapports. En ce qui concerne les

" Cette philosophie sera estimée à sa

l’équitable ont le droit de savoir d’où

les souhaits du client. Bernard se voit

fabricants asiatiques de nos sacs, ils ne

juste valeur à long terme, je n’en doute

proviennent les produits et pourquoi

comme un intermédiaire entre le client

sont qu’au nombre de cinq, donc nous

pas un instant. Elle ne fait pas gagner

ceux-ci reviennent plus cher. "

européen et le producteur asiatique :

les connaissons tous. Nous leur rendons

des masses d’argent, mais procure un

" Si je basais la production en Euro-

visite tous les deux ans et savons donc

sentiment de satisfaction. Cela fait sept

Bernard aussi joue la transparence sur

pe, elle reviendrait dix fois plus cher

pertinemment comment ils fonction-

ans maintenant que j’ai lancé cette ini-

son label CO2 : " Nous contrôlons tout, à

et personne ne voudrait de nos sacs

nent. Nous le faisons autant par acquit

tiative et chaque semaine encore, on

toutes les étapes. Nous collaborons avec

réutilisables. Travailler avec des pro-

de conscience que pour la réputation

m’en félicite. Certes, je pourrais faire

nos voisins de CO2 Logic qui calculent la

ducteurs asiatiques n’est néanmoins

de notre entreprise. Nous tenons à nous

plus, et produire plus, mais je me dois

compensation requise pour la production

pas toujours simple ; c’est une tout

assurer qu’aucun enfant n’y travaille et

de respecter notre philosophie. Sans

et le transport de nos sacs. Nous y af-

autre culture. Il faut pouvoir leur faire

que les security lines et filtres requis

fectons une partie de nos bénéfices, tout

confiance et disposer de suffisamment

en préservant notre compétitivité. Notre

de réserves pour tout préfinancer ".

marge n’est certes pas grande, mais nous restons fidèles à notre principe. "

Les sacs fabriqués en Extrême-Orient sont-ils équitables de A à Z ? " Certains

Long terme

des fournisseurs avec lesquels nous travaillons cultivent eux-mêmes le coton qu’ils utilisent pour les sacs, tandis que

BeFre reçoit surtout des commandes

d’autres l’achètent à des agriculteurs

et agit, en tant que spécialiste des

équitables. Nous collaborons directe-

produits en matière recyclée, comme

ment avec plusieurs entreprises, mais

intermédiaire entre le client final et le

il se peut qu’à leur tour, celles-ci travail-

producteur. Les sacs en coton et en jute

lent avec d’autres petites entreprises.

sont fabriqués en Inde, les produits

Nos fournisseurs détenant en tout cas

en d’autres matières en Chine. Tous

le label équitable, nous comptons bien

sont finis et imprimés avant d’être

qu’un contrôle soit effectué, puisque

acheminés vers le port d’Anvers. Par

nous payons pour ce label. Mais de là à

En savoir plus? www.befre.be

153

ont été mis en place. "

“J’ai toujours pensé que le coton était une matière naturelle, biodégradable, mais j’ai déchanté quand j’ai appris qu’il faut 70 litres d’eau pour ­fabriquer un seul T-shirt!”


FAIR TRADE CONNECTION

Entretien avec

Ronny Hermosa


Une agence de communication spécialement dédiée au ­commerce équitable qui propose à la demande des photos, des vidéos, du conseil et des formations en marketing, axée tout ­particulièrement sur les réseaux sociaux ? Il fallait y penser. ­Ronny Hermosa l’a fait. Difficile de choper Ronny Hermosa pour une interview. Cet éternel voyageur, amoureux des rencontres, est perpétuellement en voyage, s’amusant à sauter d’un pays à l’autre, voire d’un continent à l’autre, au fil des contrats qu’il conclut avec les producteurs équitables qu’il a envie de filmer. En 2012, par exemple, il passe de l’Inde au Bangladesh, puis en Thaïlande, en I­ ndonésie, saute par-dessus le Pacifique via Sydney pour atterrir au Chili et de là, en ­Argentine, en Equateur et au Costa Rica, avec à chaque étape, une visite ou carrément un séjour chez un acteur du commerce équitable ou du développement durable. "C’est la seule manière que j’ai de rentabiliser mes voyages, explique-t-il. Les ­entreprises de commerce équitable ont généralement peu d’argent à consacrer à la production d’une vidéo. Je dois donc m’adapter et maximiser mes d ­ éplacements."En 2011, Ronny a créé Fair Trade Connection, une agence de communication (associative) spécialisée dans le commerce équitable, avec la production de

Fair Trade Connection: parce que les ­producteurs ont des ­histoires à raconter

vidéos et de contenu de médias sociaux, auquel s’ajoute un volet de formation à la ­communication. Ses clients sont aussi bien de petits producteurs que les grands réseaux de distribution (équitables, évidemment).

Interview réalisée par François Hubert pour le Trade for Development Centre, novembre 2014. 155


De Blankenberge à Chiangmai Comment cet ancien étudiant en scien­

apprend les techniques de tournage et

ces économiques, spécialisé dans la

de montage sur le tas. Une fois terminé,

coopération au développement, en est-

son film en main, il retourne chez Ox-

il arrivé là, lui qui n’avait jamais touché

fam-Magasins du Monde. Il leur propose

une caméra avant de se lancer dans

de réaliser un tour du monde et de tour-

l’aventure ? A la sortie de ses études, il

ner des vidéos sur leurs fournisseurs.

effectue un stage chez Oxfam-Magasins

En 2011, l’ONG lui confie la réalisation de

du Monde. On l’assigne à la campagne

petits portraits de deux de ses principaux

Vêtements propres, une campagne en

fournisseurs en Inde et d’autres contrats

faveur de l’amélioration des conditions

dans six pays différents.

“Les petits producteurs ont également besoin de se vendre, de se mettre en avant, afin de pouvoir mieux convaincre les acheteurs.”

de travail dans le secteur textile des pays en développement. " A la fin de mon stage, je voulais continuer à tra­ vailler chez Oxfam. Je suis donc devenu magasinier dans leur entrepôt. Puis, une opportunité s’est présentée : on m’a chargé de préparer la conférence mondiale de WFTO de 2007 qui avait lieu à Blankenberge. " Décidé à rester dans le secteur, il mûrit longuement son projet. Il se dit que les petits producteurs ont également besoin de se vendre, de se mettre en avant, afin de pouvoir mieux convaincre les ­acheteurs. Avec un ami, il part en T ­ haïlande réaliser un film pilote sur Thai Tribal Crafts, une organisation qui procure du travail aux tribus – Mongs, entre autres – dans le nord du pays. Il

156


Des formations très accessibles Ronny et son collègue voyagent léger,

Une expertise qui lui sert lorsqu’il re-

avec comme matériel de base, outre

prend Fair Trade Connection : " J’ai beau­

leur ordinateur, un Canon 70D et une

coup appris sur le web et les médias

‘pocket cam’. Tout ce qu’il faut pour

sociaux. Aujourd’hui, non seulement

faire de la bonne image. Ils séjournent

je réalise des vidéos ou des sites web,

en général entre sept et dix jours à

mais je propose aussi des formations

chaque étape, ce qui leur permet de

au ‘social marketing’, aux blogs et bien

réaliser – en moyenne – trois vidéos de

sûr, à la production visuelle. " Ses prix

trois minutes environ et une dizaine

sont à la mesure des moyens des ac-

d’interviews. Le montage leur prend

teurs du commerce équitable : un atelier

deux jours de travail. Ceux qui connais­

d’une journée aux médias sociaux, par

sent la production vidéo devinent que

exemple, est proposé à un prix mini. Ces

les voyages de Fair Trade Connections

petites formations ont pour but de pro-

ne sont pas vraiment de tout repos…

fessionnaliser davantage les commerces, les fédérations ou les producteurs qui

Après la conférence WFTO d’Arusha

sont ses clients. " Les formations sont

­(Tanzanie) à laquelle il a encore participé,

très accessibles. Elles sont adaptées à

en 2013, Ronny s’est autorisé un break

la réalité et aux demandes des produc-

de six mois à Barcelone. "J’ai eu envie de

teurs. Il suffit parfois juste d’enseigner

me poser un peu. Et j’avais aussi en tête

quelques trucs et astuces. "

de créer un autre projet, une start-up basée sur les nouvelles technologies." Si ce projet n’a pas été couronné de succès comme il l’espérait, au moins lui a-t-il procuré une certaine expertise dans le domaine.

157


Si les gros acteurs jouent le jeu… Ronny, qui se considère aujourd’hui

trés ou les entreprises équitables que

Au-delà de l’enthousiasme de son fon-

comme bien calé en video-marketing,

j’ai découvertes. Je vise plus de 20.000

dateur, une agence de marketing et de

veut partager son expertise. L’un des

‘followers’ sur Facebook et sur notre

communication spécialisée dans le com-

nouveaux projets de Fair Trade Connec­

plateforme YouTube." Pour cela, l’idéal

merce équitable peut-elle être elle-mê-

tion, sur lequel il travaille depuis deux

serait de trouver un gros sponsor ou de

me durable ? Pour le moment, le mode

ans, c’est de faire parler les produits via

faire appel au financement participatif.

de vie de Ronny Hermosa, relativement

les QR codes : en scannant le QR code

peu exigeant et toujours sur la route, lui

d’un produit avec son smartphone, le

Fair Trade Connection commence à se

permet d’en vivre. " Mais une telle agen-

consommateur pourrait, par exemple,

faire un nom dans le milieu. Parmi ses

ce peut être parfaitement viable. Il y a

être renvoyé vers une petite vidéo d’u­

clients, Ronny Hermosa compte les

une demande du secteur pour ce genre

ne minute présentant le producteur.

Magasins du Monde, WFTO, FairTrade

de communication et de formations. Il

" L’important, c’est de raconter une

Belgium (ex-Max Havelaar), Fair Trade

suffit que les gros acteurs du secteur

histoire. Les gens sont soucieux de

Original et de nombreux producteurs.

jouent le jeu ", précise Ronny, tout à

connaître l’histoire qu’il y a derrière

Au fil des voyages, Fair Trade ­Connection

fait lucide. Les nouvelles technologies

le produit qu’ils achètent. "

accumule les vidéos et photos en haute

de l’information, à la portée de chacun

définition, des images qui sont égale-

ayant accès à une connexion internet,

Toujours en quête de nouvelles poten­

ment proposées à la vente sur le site de

ont tout pour séduire les entrepreneurs

tialités pour faire connaître le commerce

l’association. L’ASBL occupe aujourd’hui

du développement durable.

équitable et assurer en même temps la

deux temps pleins. " Dans le monde du

viabilité de Fair Trade Connection, Ronny

commerce équitable, à ma connaissance,

a développé une nouvelle idée : partager

nous sommes les seuls à proposer ce

ses expériences de voyage avec les in-

genre de services. Habituellement, les

ternautes. " Il s’agit de ‘video blogging’,

vidéos produites dans le secteur sont

un peu dans le style des émissions ‘J’irai

tournées soit à l’aide d’un smartphone,

dormir chez vous’ ou ‘Pékin Express’. Tou-

soit par une agence de pub qui est davan-

tes les semaines, je tourne et monte au

tage habituée à un style corporate. "

En savoir plus? www.fairtradeconnection.org

moins un épisode vidéo – aussitôt mis en ligne – sur les gens que j’ai rencon-

158

“Une telle agence peut être parfaitement viable. Il y a une demande du secteur pour ce genre de communication et de formations. Il suffit que les gros acteurs du secteur jouent le jeu.“


RHYTMIC

Entretien avec

Maya Fair Trade


Le nom a été choisi bien avant l’arrivée du célèbre dessin animé avec la petite abeille. Et pour cause, le miel Maya, qui fait ­référence à un une grande civilisation précolombienne, a été l’un des premiers produits équitables importés en tant que tel en Belgique.

L’histoire du miel Maya Fair Trade – à ne pas confondre non plus avec un autre miel qui porte quasi le même nom mais n’a rien d’équitable – remonte aux années 1970. " Au tout début, Maya, c’était une équipe de bénévoles sensibilisés par l’appel d’un prêtre missionnaire liégeois au Guatemala qui avait dix tonnes de miel à vendre", raconte Maurice Lambert, le directeur de Maya Fair Trade. Le prêtre en question t­ ravaille avec des paysans qui défrichent des terres concédées par le gouvernement guatémaltèque afin d’empêcher la construction d’un barrage mexicain et qui n’ont d’autre ressource, pour payer leur concession, que celle de vendre leur production de miel. Très vite, les pots de miel proposés sont vendus. Les bénévoles liégeois décident de poursuivre leur action et commandent en 1975 un premier container de vingt ­tonnes… qui coule avec le bateau qui le transportait. Le container ayant heureusement été assuré, les bénévoles purent en commander un second, qui arriva à bon port. En 1978, les bénévoles se structurèrent en ASBL. Maya était née.

Maya Fair Trade : la coopérative monte en puissance, tout en douceur

"Le miel Maya a été le premier produit équitable importé en Belgique en tant que tel", précise Maurice Lambert. Pendant longtemps, l’ASBL mène de front l’importation et la commercialisation du miel, la sensibilisation au commerce équitable et des activités de développement pour les communautés d’apiculteurs avec lesquelles elle travaille. Ce n’est qu’il y a une quinzaine d’années qu’elle se divise afin de mieux pouvoir distinguer les activités commerciales de celles de développement. Aujourd’hui, on compte trois sociétés distinctes :

Interview réalisée par François Hubert pour le Trade for Development Centre, novembre 2014. 160


Miel Maya Honing, une ONG de sensibilisation, d’éducation et de d ­ éveloppement.

Maya Fair Trading, une ASBL qui sera amenée à développer des activités touristiques autour de la thématique du miel et du commerce équitable.

Maya Fair Trade, le bras commercial et support financier du " groupe ", c­ onstitué en une coopérative à finalité sociale qui importe, conditionne et vend du miel ou des produits à base de miel.

Des recettes maison La diversification des produits Maya date du tournant du siècle. Fin des années 1990, d’autres douceurs, à base de miel évidemment, sont apparues: des bonbons, des biscuits, du pain d’épices… Toute une nouvelle gamme de produits a ainsi vu le jour, avec l’obligation de contenir un minimum de 51 % d’ingrédients issus du commerce équitable. " Il n’y a que dans les spéculoos que le pourcentage n’est pas respecté, car on n’y arrive pas… ", précise le directeur de la coopérative. Aujourd’hui, outre les produits déjà cités, Maya Fairtrade offre du nougat, de la pâte de spéculoos à tartiner, du chocolat et des confitures à 17 % de miel. " Toutes les recettes ont été développées chez nous. Puis, nous avons cherché les fabricants qui pouvaient les réaliser à façon. "

au commerce équitable et Maya Fair Trade se voit offrir la possibilité de distribuer ses produits chez Delhaize. "Naturellement, cela a généré des discussions en interne. Fallait-il y aller ou pas ? Finalement, on s’est dit que c’était une belle opportunité de faire connaître nos produits et le commerce équitable. Depuis, il faut avouer qu’on a jamais eu de problème avec Delhaize qui a bien joué le jeu, même si le débat sur la grande distribution reste ouvert", confie Maurice Lambert, qui reconnaît à celle-ci le droit de développer ses propres produits équitables. Mais il ajoute : "Là où je ne suis plus d’accord, c’est quand la grande distribu­ tion cherche à appliquer au commerce équitable les mêmes recettes du profit maximum, en voulant diminuer le prix des produits équitables pour arriver au même prix que les autres produits. Fai-

En 2000, la grande distribution com-

re du volume au détriment des produc-

mence tout doucement à s’intéresser

teurs, ça ne va pas ! " 161


Une toute nouvelle miellerie L’année 2014 marque un autre tournant

Le travail du miel s’avère beaucoup plus

pour Maya Fair Trade. La coopérative a

technique que la simplicité du produit

enfin sa propre miellerie ! Il aura fallu

ne le laisse supposer. " Le miel arrive en

onze ans pour enfin voir le projet se

fûts, dur comme de la pierre ", explique

concrétiser. " Jusqu’alors, nous étions

Maurice Lambert. Le temps de le récolter,

dépendants d’autres sociétés pour le

de le stocker et de l’acheminer en Bel-

conditionnement. Nous contrôlions

gique, les cristaux de sucre se sont en

toute la chaîne, sauf celui-là. " Désor-

effet agglomérés. " Chacun a sa manière

mais, les fûts de miel arrivent et sont

de faire pour le décristalliser, poursuit

directement stockés dans la miellerie

le directeur. Nous avons pris le parti de

d’Harzé, au sud de Liège. Des cuves

le chauffer le moins possible parce que

et une chaîne de conditionnement

c’est ça qui l’abîme. " Un miel soumis à

flambant neuves permettent de pro-

des températures trop fortes perd en

duire chaque semaine les différentes

effet une grande partie de ses arômes

qualités de miel.

et de ses avantages nutritionnels. Toute bonne chose sachant se faire attendre, le miel Maya est donc soumis à un réchauf-

“Il faut dire que c’est unique en Europe, une entreprise 100 % équitable, qui maîtrise toutes les étapes, avec un grand contrôle sur l’origine. “ 162

fement plus bas et plus long. Au bout du quelques heures, on o ­ btient à nouveau un miel liquide. Pour en f­ aire une substance plus crémeuse, la ­consistance généralement préférée des consommateurs, il faut l’ensemencer, c’est-à-dire introduire des cristaux afin de provoquer une nouvelle cristallisation. En fonction de la taille et de la quantité des cristaux introduits, la cristallisation – et donc la consistance – peut être contrôlée.


Maîtriser toutes les étapes de transformation Maya Fair Trade est typiquement le

d’Harzé sont devenues un argument

type de société où le patron doit enco-

commercial. " On sent déjà l’effet ‘miel-

re lui-même mettre la main à la pâte.

lerie’ : de nouveaux marchés se sont déjà

Maurice Lambert réceptionne les nou-

ouverts, s’enorgueillit Maurice Lambert. Il

veaux arrivages, contrôle le réchauffe-

faut dire que c’est unique en Europe, une

ment et l’ensemencement, emballe les

entreprise 100 % équitable, qui maîtrise

pots dans les caisses, etc. Au total, la

toutes les étapes, avec un grand contrôle

coopérative emploie cinq personnes

sur l’origine. " De plus, le marché du miel

sur le site d’Harzé, auxquelles s’ajoute

est très spécifique. L’Europe doit acheter

une sixième, basée en Amérique lati-

plus de 50 % de sa consommation, il y

ne et chargée de la partie achat et du

a eu énormément de cas de fraude sur

contrôle de qualité.

les origines et les importateurs de miel équitable se comptent sur les doigts

Actuellement, le miel provient de quatre

d’une main. Maya Fair Trade exporte

pays : le Mexique, le Guatemala, le Nica-

d’ailleurs la moitié de la production vers

ragua et le Chili. " On essaye de soutenir

d’autres pays européens. Récemment, la

les petites coopératives, sauf au Chili où

coopérative a lancé une autre spécialité

justement, nous traitons avec la plus

latino-américaine, et plus précisément

grande d’entre elles. Beaucoup de ces

mexicaine : le sirop d’agave. Cet édulco-

petites coopératives font à la fois du café

rant tiré du suc d’un cactus possède un

et du miel. Pour l’agriculteur, le miel est

indice glycémique deux fois moindre que

un moyen relativement économique d’a-

le miel (trois fois moins que le sucre). Et

méliorer son quotidien, car l’apiculture

encore un produit équitable, caramba !

ne demande pas de posséder de terres. " Avec une capacité de production de 200 tonnes par an actuellement (dont 40 % sont destinés aux autres produits de la gamme Maya) et de 400 tonnes à l’ho-

En savoir plus?

rizon 2025, les nouvelles installations

www.maya-ft.be

163


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