Entretiens avec des organisations du commerce ĂŠquitable
Table des matières DÉTAILLANT
GRANDE DISTRIBUTION
CERTIFICATION
TRANSFORMATEUR
ACHATS DIRECTS AUX PRODUCTEURS DU SUD
LOBBYING ET SENSIBILISATION
Freja Food: des biscuits respectueux des petits producteurs tant du Nord que du Sud
03
GingerLove: une alternative équitable au café ou au thé
09
Fairtrade Belgium
14
Belgian Fair Trade Federation: l’union fait la force
20
Ethiquable: offrir des débouchés aux producteurs du Sud
25
Latino: l’artisanat latino-américain dans l’air du temps
30
Belvas: la passion du chocolat et de l’exportation
34
Optimart: le café du commerce équitable
39
La Pachamama: l’équitable pour petits et grands (mais surtout les petits)
43
Café Chorti: le café équitable du Guatemala en ligne directe
48
Couleurs sud: éthique et convivialité
53
Fairytale: petits cadeaux équitables pour toutes les occasions
57
Ana Edelsmid: bijoux en or équitable
62
Biodia: des pâtes italiennes équitables au lait belge équitable
67
Mon rêve : un réseau de wereldcafés dans toute la Flandre
71
Meer dan Mooi: fashionable fair
76
Fair in Trade: des lessives et produits d’entretien à base d’huile de palmiste équitable
81
Femimain: la boucle est bouclée
86
Oxfam-Wereldwinkels et Oxfam Fair Trade: agir en faveur du changement structurel
91
Oxfam Fair Trade Crafts
96
Oxfam-Magasins du monde: un mouvement citoyen
103
Clarysse: 4 millions de serviettes de bain équitables
109
ACP: des vêtements de travail et promotionnels équitables
114
Le café équitable Puro à la rescousse de la forêt vierge
120
Klingele: un délice de chocolat
125
Candico investit dans les relations avec les paysans du Sud
130
Ozfair: la caverne d’Ali Baba de l’équitable
135
Café citoyen Altérez-vous
139
Biodyvino: un " bon " verre de vin sans goût d’amertume
145
BeFre: l’union fait la force
150
Fair Trade Connection: parce que les producteurs ont des histoires à raconter
154
Maya Fair Trade: la coopérative monte en puissance, tout en douceur
159
FREJA FOOD
Entretien avec
Roland Dejaegere
Portée sur les fonts baptismaux en l’an 2000, l’entreprise louvaniste Freja Food confectionne aujourd’hui plus de 20 types de produits de biscuiterie, écoulés dans quelque 300 magasins d’alimentation bio belges. Avec ses biscuits, gaufres et cakes artisanaux, Freja Food jette des ponts entre les petits producteurs du Nord et ceux du Sud.
Après ses études en sciences économiques appliquées, Roland Dejaeghere a travaillé pendant douze ans dans le secteur des ingrédients de boulangerie, le plus souvent à l’étranger, notamment en Europe du Sud. " Après la crise de la dioxine en 1999, j’ai commencé à me poser des questions sur notre alimentation et la durabilité de notre système alimentaire ", se remémore Roland. Au terme de plusieurs entrevues cruciales avec des pionniers du secteur bio belge, il a décidé, avec Marc Boerboom, de commercialiser un produit bio. « Nous avions tous les deux de l’expérience dans le secteur de la boulangerie-pâtisserie. Marc en tant que fils de boulanger, et moi, dans la vente d’ingrédients de boulangerie. Ainsi avons-nous décidé de nous lancer ensemble dans la fabrication de biscuits. » La
Freja Food : des biscuits respectueux des petits producteurs tant du Nord que du Sud
déesse norvégienne de la fertilité, Freja, a inspiré le nom de la nouvelle entreprise. " Nous avons, pour commencer, offert un assortiment réduit de biscuits, gaufres et cakes. » D’emblée, Freja Food a opté pour des ingrédients bio et une méthode de production artisanale. " Au début, tous nos produits étaient faits à base de froment, mais au fil des ans, nous avons commencé à expérimenter d’autres céréales telles que l’épeautre, le quinoa, l’avoine et le chanvre. En rencontrant les bonnes personnes, nous avons pu innover. "
Interview réalisée par Lisa Develtere pour le Trade for Development Centre, novembre 2014. 04
Pas de coût additionnel pour le consommateur Il y a dix ans, avec l’aide de l’ONG Vredeseilanden, Freja Food a décidé de recourir, dans la mesure du possible, à des ingrédients équitables. Aujourd’hui, pratiquement tous les produits de
Freja Food a pris le parti de ne pas aug-
Pour Roland, opter pour des ingrédients
Freja Food commercialisés sous les
menter le prix de vente de ses produits
équitables est un choix éthique et phi-
marques Be Bene et MONDOh portent
équitables. " La différence de prix des
losophique. " S’investir dans la durabi-
le label Fairtrade. " Le goût est primor-
ingrédients n’est pas très grande, nous
lité signifie pour moi mettre en place
dial pour nous, aussi nous a-t-il fallu
n’avons donc pas voulu la répercuter sur
des activités économiques rentables,
quelque temps pour trouver les ingré-
le consommateur. L’équitable ne doit
dans le respect de l’environnement et
dients adéquats. Aujourd’hui, notre
pas être un élément stratégique brandi
des producteurs dans les pays en dé-
sucre provient du Paraguay et d’Inde,
comme une excuse pour demander un
veloppement. "
et notre cacao du Ghana et du Pérou. "
prix plus élevé aux clients. "
05
“L’équitable ne doit pas être un élément stratégique brandi comme une excuse pour demander un prix plus élevé aux clients.”
Simply tasty Simply tasty est le slogan de Freja Food.
Bon nombre de fabricants utilisent des
" Nous référons ainsi à nos recettes
moules pour façonner leurs biscuits.
traditionnelles, simples et savoureuses.
Freja Food, pour sa part, déverse la pâte
En lisant l’étiquette, le consommateur
sur une plaque de four. " Cela donne une
doit pouvoir comprendre comment sont
tout autre texture ", explique Roland.
confectionnés nos biscuits. Nous uti-
"Les biscuits fondent dans la bouche.
lisons au maximum huit ingrédients."
C’est aussi pour cela que leur forme
Les produits sont pratiquement tous
est légèrement différente. De plus, le
confectionnés de façon artisanale et
saupoudrage d’amandes ou de pépites
manuelle. " Nous pourrions certes pro-
de chocolat étant réalisé à la main, les
céder autrement, mais pour nous, c’est
quantités ne sont donc pas tout à fait
hors de question. "
identiques. Cela ne me dérange pas, et mes clients non plus. Je pense même
" Pour obtenir la texture et le goût de
que cela ajoute une touche de charme. "
biscuits faits maison, il faut travailler avec de petites quantités de pâte. Notre prix de revient est dès lors supérieur. Jusqu’à 15 kilos de pâte environ, il n’est pas nécessaire d’utiliser des émulsifiants pour obtenir un produit léger et appétissant. Même si cet ingrédient est accepté dans le secteur bio, nous avons résolument choisi de ne pas l’utiliser. "
06
Un pont entrele Nord et le Sud En 2007, Freja Food a cofondé la nou-
Si MONDOh témoigne déjà de l’engage-
velle marque MONDOh, qui, la même
ment remarquable dont fait preuve
année, a reçu un Be Fair Award, ré-
Freja Food, Roland estime qu’ils peuvent
compensant la meilleure marque de
toujours faire mieux. " C’est pourquoi
commerce équitable, par le Trade for
nous cherchons constamment à être
Development Centre. MONDOh jette un
plus durables encore. L’emballage de
pont entre le commerce équitable dans
nos biscuits est désormais réalisé en
le Sud et l’agriculture à petite échelle
polyéthylène recyclable au lieu de PVC.
dans le Nord.
Mais il existe aussi des emballages à base d’amidon de maïs biologique-
" À travers la charte MONDOh, nous nous
ment dégradables, et nous envisageons
engageons à importer des produits équi-
maintenant de passer à ce type de con-
tables et à acheter des ingrédients lo-
ditionnement. " D’autre part, Freja Food
caux dans un rayon de 150 kilomètres
appuie depuis plus de cinq ans l’ONG
autour de notre entreprise. Notre farine
Cunina, qui s’investit dans la promotion
d’épeautre provient par exemple du nord
del’enseignement en faveur des enfants
du Luxembourg, notre beurre de Recogne
défavorisés dans le Sud.
et nos œufs de Tessenderlo. Le chanvre utilisé dans nos biscuits est également d’origine belge. "
07
Innovation En 2009, l’assortiment Be Bene a reçu
Personnellement, Roland a une pré-
le prix Bio pour son caractère inno-
férence pour ses biscuits au chanvre.
vant et ses ingrédients équitables.
"Ils sont délicieusement croustillants !
Décerné par BioForum à l’occasion de
J’aime aussi particulièrement les bis-
la Semaine bio, ce prix récompense les
cuits à l’avoine, dans lesquels seule cette
entreprises fournissant des efforts par-
céréale est utilisée. La plupart des autres
ticuliers pour promouvoir le label bio
biscuits à l’avoine n’en contiennent que
ou innover dans le secteur. Freja Food
très peu."
expérimente aussi régulièrement de nouvelles recettes, par exemple à base
"Les mentalités évoluent fortement.
de quinoa, de chanvre ou de manioc.
Quand j’ai commencé il y a quinze ans,
" Chaque jour, nous voyons ou nous
les gens trouvaient le concept étrange,
entendons parler de gens qui innovent
se rappelle Roland." Mais aujourd’hui, il
d’une manière ou d’une autre, et cela
me semble que tout le monde connaît
nous motive à faire de même."
et sait ce que représentent le bio et le commerce équitable. Et si tous ne pas-
Cela ne signifie pas pour autant que
sent pas pour autant à l’achat, ils savent
chaque tentative est couronnée de suc-
de quoi il retourne et sont de plus en
tenir le rythme et nous souhaitons con-
Nous utilisons le mot "Fairtrade" si nous nous
cès. " Nous avons par exemple voulu
plus nombreux à estimer que c’est là
tinuer à produire de manière artisanale,
référons au label de commerce équitable
confectionner des biscuits sans sucre,
une alternative parfaitement valable à
avec des ingrédients de bonne qualité.
de Fairtrade Belgium (anciennement Max
mais notre procédé de fabrication en
l’alimentation traditionnelle."
Par ailleurs, un changement devrait
Havelaar) ou aux ingrédients ou produits
s’opérer plus rapidement dans notre
issus du commerce équitable qui portent le label Fairtrade.
requérait pour produire des biscuits savoureux et pouvant être conservés un
Cela se traduit-il aussi dans les chiffres?
système alimentaire. Il faudrait abso-
certain temps. Et nous ne pouvions pas
"Il est clair que le secteur bio dans son
lument veiller à ce que notre alimen-
simplement remplacer le sucre par un
ensemble se développe, mais je ne crois
tation redevienne plus saine." Ce n’est
autre ingrédient. Les biscuits au quinoa,
pas que Freja Food connaisse une crois-
certes pas la motivation qui manque à
par contre, étaient très bons ! Nous avons
sance plus rapide que les autres acteurs
Roland. " Je le fais avec plaisir, c’est cela
donc choisi de les commercialiser, mais
du secteur. Cette évolution nous réjouit,
qui, à mes yeux, donne tout son sens à
En savoir plus?
ils ne se sont malheureusement pas
mais nous n’ambitionnons pas de deve-
l’entrepreneuriat."
www.frejafood.be
bien vendus. "
nir trop grands. Nous voulons pouvoir
08
GINGERLOVE
Entretien avec
Alain Indria
Boisson chaude au goût intense d’agrumes, de gingembre et d’épices, à l’origine uniquement servie au restaurant Lombardia, GingerLove a conquis de nombreux foyers en Belgique. Depuis, Alain Indria, son créateur, a conçu deux autres saveurs : Coconut Vibrations et GreenLove. GingerLove est né un peu par hasard au Lombardia, un restaurant végétarien populaire anversois. Alors qu’il y a dix ans environ, Alain Indria, le fils de la fondatrice, s’y préparait une boisson chaude à base d’agrumes et de gingembre, un client a demandé à la goûter. Et l’a trouvée délicieuse. " Plusieurs autres clients lui ont emboîté le pas et, de fil en aiguille, l’affaire a pris de l’ampleur, " nous confie Alain, lorsque nous le rencontrons dans son restaurant légendaire. " Je ne supporte pas le café et je trouve le thé insipide. Je mélangeais donc toujours toutes sortes d’ingrédients pour me concocter une bonne petite boisson revitalisante : cinq sachets de thé, des épices, des fleurs, du jus de fruit, etc. Car c’est là la passion d’Alain : créer des saveurs que les gens apprécient. " La famille de ma mère compte des chefs cuisiniers depuis plus de 120 ans ! Personnellement, cuisiner ne me tente pas vraiment, mais j’adore créer de nouvelles saveurs... même dans mes rêves ! " C’est
GingerLove: une alternative équitable au café ou au thé
aussi Alain qui a mis au point les pâtés végétariens servis au Lombardia. " Quand j’ai une idée en tête, je suis capable d’en décrire précisément le goût. Ensuite, il me faut expérimenter en long et en large avant de pouvoir m’exclamer : Eurêka ! "
Interview réalisée par Lisa Develtere pour le Trade for Development Centre, novembre 2014. 10
"Personnellement, cuisiner ne me tente pas vraiment, mais j’adore créer de nouvelles saveurs... même dans mes rêves !"
Peace and love Fort des réactions enthousiastes de
"Je ne connaissais en fait pas cette
ses clients, Alain a décidé d’intégrer
organisation, mais tous ceux avec qui
sa boisson au gingembre à la carte
j’en parlais, qu’ils soient jeunes, vieux,
du restaurant. Cette boisson chau-
branchés, riches ou pauvres, n’en di
de, saine, mousseuse et délicieuse, a
saient que du bien. De plus, je trouvais
connu un succès immédiat. À tel point
que le nom Vredeseilanden avait une
qu’en 2010, alors qu’Alain venait tout
forte connotation peace and love, qui
juste de lancer la vente des boîtes de
nous convenait parfaitement", nous
GingerLove, ainsi qu’avait été baptisée
confie Alain en riant." Ils nous ont vrai-
sa création, elle est devenue la boisson
ment aidés à transformer GingerLove en
chaude officielle du pavillon belge lors
un produit équitable."
de l’Exposition universelle de Shanghai. "Les gens voulaient toutefois aussi
La création des boissons chaudes du
pouvoir la déguster chez eux. C’est donc
Lombardia s’est faite par tâtonnements.
au terme d’une longue recherche des
"Cela n’a pas été facile, mais, dans le
bons ingrédients que je suis finalement
même temps, c’était chouette et pas-
parvenu à élaborer la recette de cette
sionnant ", ajoute Alain." Je ne suis pas
boisson saine et de qualité. "
quelqu’un qui baisse tout de suite les bras, même si le processus a été ardu.
"Le monde entier se côtoie au Lombar-
Je choisissais les ingrédients sur la
dia", affirme Alain tout en lançant un
base d’échantillons. J’ai ainsi une fois
"Hello" enthousiaste à un client qui vient
commandé trois tonnes d’une matière
d’entrer. " Dès la première heure, j’ai
première qui, à la livraison, avait un as-
aussi voulu faire quelque chose pour
pect et un goût tout à fait différents de
notre planète ", poursuit-il. " Aussi, si,
l’échantillon. Une erreur qui peut s’avérer
au début, GingerLove était un produit
fatale pour une petite entreprise !"
conventionnel, nous avons souhaité en faire une boisson tant bio qu’équitable." Alain travaillait déjà avec des fournisseurs du secteur bio. Et pour dénicher les ingrédients équitables, il a bénéficié de l’aide de l’ONG Vredeseilanden. 11
Coconut Vibrations et GreenLove " La collaboration avec Vredeseilanden,
et les épiceries fines, ainsi que dans
et depuis peu aussi avec Fairtrade Bel-
l’horeca. " De nombreux établissements
gium, m’a apporté un réel savoir-faire
recherchent des produits équitables
alimentaire, qui m’aide énormément
sains et savoureux ", affirme Alain. " Nos
pour créer de nouvelles saveurs ", nous
boissons séduisent surtout les femmes.
confie Alain. " Nous venons de lancer,
Elles sont apparemment plus récepti-
il y a quelques mois, deux nouvelles
ves à l’innovation que les hommes. Ce
boissons : Coconut Vibrations, avec du
sont mes ambassadrices ! " Et de nous
nectar de noix de coco et de l’ananas,
désigner une femme qui vient d’entrer
et GreenLove, à base de matcha et de
dans son restaurant. Après avoir dégusté
pomme. " À terme, Alain entend propo-
un GingerLove dans un centre sportif,
ser tout un assortiment, composé de
celle-ci s’était mise à la recherche de
différentes variantes, sous l’appellation
cette boisson dans son quartier, pour
de Lombardia Hot Drinks.
constater qu’elle ne pouvait l’acheter nulle part. Aussi a-t-elle pris rendez-vous
" Le label Fairtrade ouvre la porte à de
avec Alain pour voir comment remédier
nouveaux marchés. Certaines multinatio
à cette situation !
nales, par exemple, lancent un produit
“De nombreux établissements recherchent des produits équitables sains et savoureux.“
équitable à côté de leur assortiment
Certains Magasins du Monde-Oxfam
existant, car cela leur permet de nouer
vendent également les Lombardia Hot
des contacts avec de gros distributeurs
Drinks. Pour pouvoir porter le label Fair-
et d’influencer l’opinion publique. Per-
trade, 20 % au moins des ingrédients des
sonnellement, je préfère opter complè-
produits composés doivent être certifiés
tement pour le bio et l’équitable. Cela
Fairtrade. Les Magasins du Monde-Oxfam
coule de source pour moi, mais il est
placent la barre encore plus haut : " Les
vrai que j’ai grandi dans une ambiance
produits qu’ils vendent doivent contenir
peace and love. "
51 % d’ingrédients équitables. Nos boissons étant Fairtrade à 67 %, elles ont tout
On trouve les Lombardia Hot Drinks essentiellement dans les magasins bio
12
de suite été acceptées. "
Équitables et bio Le vœu le plus cher d’Alain, c’est qu’à
" La production se fait à l’échelon local.
ainsi qu’en Suède, par l’intermédiaire
terme, ses produits soient tous équita-
Toutes les activités connexes, telles la
d’un distributeur. Des contacts sont en
bles à 100 %. " Mais ce n’est pas évident,
production des emballages en carton et
outre en cours avec des distributeurs en
pour la simple et bonne raison déjà
l’impression, sont également réalisées
Norvège, en Finlande et au Royaume-Uni. "
que tous les ingrédients ne sont pas
dans un rayon de 50 kilomètres. À mes
disponibles en version bio ou équitable.
yeux, cela aussi relève d’une production
Pour Alain, Lombardia Hot Drinks doit
Chaque recette implique d’examiner
équitable. Je ne vais par exemple pas
rester une entreprise familiale. " Nous
quels ingrédients bio et équitables il
acheter de carton tchèque, puisque nous
avons déjà reçu la visite d’investisseurs
convient d’utiliser pour créer le goût
avons de bons fabricants de carton en
en capital-risque, mais obéir aux ordres
parfait. Si nous ne trouvons que des
Belgique. Nous contribuons ainsi aussi à
n’a jamais été mon fort, et j’ai donc tou-
ingrédients bio non équitables, nous
l’emploi local. Cela revient certes un peu
jours décliné leurs offres. Ceci étant, nous
essayons de rendre la production in-
plus cher, mais je ne pense pas que cela
devons réaliser un bon chiffre d’affaires,
terne aussi équitable que possible,
rebutera les consommateurs. "
sinon nous ne pourrons survivre seuls.
en nous approvisionnant auprès de
Mais je crois à 100 % en mes boissons
producteurs bio locaux ou européens,
Opter pour des produits biologiques et
et je continue à les trouver excellentes!",
par exemple. "
équitables, et produire localement im-
conclut Alain en riant. " Je vis une aven-
pliquent un coût de production élevé.
ture passionnante et je vois l’entreprise
Pour Alain, équitable devrait rimer avec
" Mon chiffre d’affaires doit donc être
grandir de jour en jour. C’est formidable !"
bio. Aujourd’hui, 80 % des ingrédients
assez conséquent, sinon c’est la fin de
de nos Lombardia Hot Drinks sont bio et
l’aventure ", précise Alain. " Nous sommes
Nous utilisons le mot "Fairtrade" si nous nous
67% Fairtrade. " Fairtrade Belgium m’aide
dès lors tenus de travailler avec de gros
référons au label de commerce équitable
maintenant à trouver des agriculteurs
clients, ce qui n’est pas évident pour
de Fairtrade Belgium (anciennement Max
qui soient à la fois bio et équitables, ou
une petite entreprise. Notre gestionnaire
Havelaar) ou aux ingrédients ou produits
bien des producteurs équitables dis-
des grands comptes est par ailleurs
issus du commerce équitable qui portent le
posés à passer au bio. Nous espérons
responsable des exportations, puisque
label Fairtrade.
pouvoir ainsi décrocher le certificat bio
nous vendons aussi nos produits aux
pour ces produits dans 4 à 6 mois. "
Pays-Bas, dans les magasins De Tuinen, En savoir plus ? www.lombardiahotdrinks.com
13
FAIRTRADE BELGIUM
Entretien avec
Lily Deforce
Le consommateur à la recherche d’un produit équitable dans les magasins se laisse en général guider par le label Fairtrade. L’organisation au label bleu-vert fête entretemps ses 25 années d’existence et change de nom pour l’occasion : “Max Havelaar Belgique“ devient“ Fairtrade Belgium”. Si ” Trade, not aid “ est toujours son credo, l’organisation s’est aujourd’hui engagée dans une nouvelle voie avec le commerce Sud-Sud et ses programmes d’approvisionnement Fairtrade (Fairtrade Sourcing Programs).
Les origines du commerce équitable remontent aux années 60 et s’inscrivent dans la philosophie Trade, not aid : " Mettons en place un commerce équitable avec les habitants du Sud pour les aider à sortir de la misère. C’était l’idée phare à l’époque et ça l’est toujours ", nous confie Lily Deforce, directrice de Fairtrade Belgium. " Le principe est simple, mais efficace ! "
“Mettons en place un commerce équitable avec les habitants du Sud pour les aider à sortir de la misère. C’était l’idée phare à l’époque et ça l’est toujours.“ Durant les trente premières années, les magasins du monde ont constitué le principal moteur du commerce équitable. En 1989, plusieurs grandes organisations
Fairtrade Belgium
de développement, dont Oxfam, Broederlijk Delen et 11.11.11, ont créé l’association Max Havelaar Belgique, dont la mission consistait à mettre en place un système permettant au citoyen belge de reconnaître les produits issus du commerce équitable. " L’intention était d’améliorer l’accès des petits producteurs au marché, en sensibilisant un plus grand nombre de Belges. Et le label Fairtrade constituait un
Interview réalisée par Lisa Develtere
instrument à cet effet, " explique Lily Deforce.
pour le Trade for Development Centre, novembre 2014. 15
30.000 produits certifiés
“Aujourd’hui, nous d énombrons 420 c atégories différentes de produits, pour plus de 30.000 produits certifiés de par le monde.”
Le système sous-tendant le label Fair-
Au début, le café était le seul produit
pesticides, par exemple, sont différentes
trade fonctionne comme suit : " Nous
labellisé Fairtrade. " Aujourd’hui, nous
selon qu’il s’agisse de bananes ou de riz,
définissons des critères sociaux et
dénombrons 420 catégories différentes
de vin ou de soja. "
environnementaux stricts, que doivent
de produits, pour plus de 30.000 produits
respecter les producteurs travaillant
certifiés de par le monde " poursuit Lily
Outre la Belgique, 26 autres pays dans
sous notre label. En contrepartie, nous
Deforce. 420 catégories de produits, cela
le monde disposent de leur propre orga-
leur offrons des garanties économiques.
signifie aussi 420 cahiers des charges
nisation nationale Fairtrade. " Ensemble,
Nous garantissons en premier lieu aux
décrivant en détail les critères auxquels
nous avons créé Fairtrade International,
agriculteurs un prix minimum couvrant
les producteurs doivent répondre. " Nous
qui prend en charge les tâches qu’il est
leurs coûts et octroyons à la coopéra-
disposons de critères généraux, appli-
préférable d’accomplir ensemble plutôt
une organisation distincte, FLO-Cert, qui
tive qui les fédère une prime que ses
cables à tous les produits, ainsi que de
que chacun dans son coin : appuyer les
est responsable de la délivrance des cer-
membres peuvent réinjecter dans la
critères spécifiques à chaque produit.
producteurs et rédiger les cahiers des
tificats Fairtrade et des inspections. Elle
communauté ou dans la production. "
Les règles en matière de recours aux
charges, par exemple. Enfin, il existe aussi
représente un peu notre police interne. "
16
Mise en contact Le rôle que s’est assigné Fairtrade Bel-
"Nous avons ainsi aidé une entreprise
gium consiste à créer des débouchés
dans sa recherche de vin sud-africain
pour les produits labellisés Fairtrade.
labellisé Fairtrade."
"D’une part, nous visons à sensibili-
Potentiel de croissance dans le Sud
ser la population belge : nous voulons que les consommateurs sachent ce qu’est un produit Fairtrade et qu’ils soient motivés à l’acheter. D’autre part, nous voulons que les produits
À l’échelon mondial, Fairtrade est le
Fairtrade soient disponibles en plus
plus grand système éthique, avec un
grand nombre dans les magasins." Pour
flux de marchandises qui a atteint 5,5
ce faire, Fairtrade Belgium collabore
milliards d’euros en 2013. " Notre label
aujourd’hui avec 160 sociétés belges,
est connu dans un nombre croissant
tant des chaînes de supermarchés que
de pays et y est considéré comme un
des petites entreprises.
système crédible et performant de développement durable. Il fait réellement
"Nous n’achetons ni ne vendons rien
une différence. " En 2012, Fairtrade In-
nous-mêmes, " souligne la directrice de
ternational a été cédé pour moitié aux
Fairtrade Belgium. " Nous aidons les pro-
agriculteurs. "Auparavant, nous étions
ducteurs à adhérer au système Fairtrade
une organisation qui décidait dans le
et facilitons les contacts avec le marché
Nord de ce qui devait se passer dans
belge. En 2003, nous avons ainsi appuyé
le Sud. Aujourd’hui, ces décisions sont
290 petits producteurs péruviens de
prises de concert avec les producteurs.
bananes qui s’étaient associés en vue
Et cela est unique, notamment parmi
de participer au commerce équitable.
les certificateurs."
Lorsque leurs produits ont acquis le label
17
Fairtrade, notre tâche a consisté à les
Jusqu’à récemment, le commerce équita-
mettre en contact avec le marché belge."
ble était vu comme un commerce entre le
D’autre part, les entreprises belges à la
Nord et le Sud, mais cet axe Nord-Sud n’a
recherche d’un produit Fairtrade peuvent
plus la même importance aujourd’hui,
aussi s’adresser à Fairtrade Belgium.
explique Lily Deforce. "Il existe désormais
des organisations Fairtrade en Inde, en Afrique du Sud et au Kenya qui écoulent des produits labellisés Fairtrade sur les marchés locaux. Et nous allons bientôt faire de même au Mexique et au Brésil. Tous les baromètres économiques confirment le potentiel de croissance du marché dans les pays du Sud. C’est aussi ce que dénote l’expansion dans ces pays de grands acteurs tels que Carrefour et Wallmart. " Lily Deforce soutient à 100 % l’application du concept Fairtrade dans le Nord, mais cela n’est pas vraiment à l’ordre du jour
“Si nous voulons vraiment développer un marché durable, il nous faut opérer des choix du côté de l’offre. Nous devons mener une concertation stratégique avec les grandes marques.”
de Fairtrade Belgium pour le moment. "À l’avenir, vous trouverez peut-être dans les magasins du lait sous label Fairtrade. Mais s’il s’agit uniquement de garantir
Concertation avec les grands acteurs
un bon prix aux paysans, cela se fera
et sont pour le reste à la merci des
les grandes marques. " Et Lily Deforce de
caprices du marché. En 2013, sur plus
citer l’exemple de deux grandes chaînes
de 1.000 coopératives Fairtrade, une
de supermarchés suisses ayant inclus
sans nous, car, pour nous, la philosophie
Si le flux mondial de marchandises
bonne centaine ont jeté l’éponge. " La
dans leur offre un grand assortiment
Fairtrade s’articule autour de trois piliers:
Fairtrade ne cesse de croître d’année
situation est donc problématique, "
de produits Fairtrade dont les parts de
l’économie, l’écologie et le social. "
en année, la demande de produits la-
relève Lily Deforce.
marché avoisinent les 20, 30, voire 50 %.
en regard de l’offre. " Pour la plupart
Le marché de l’équitable aurait-il at-
" Dans le cas d’un produit simple com-
des produits, notamment le cacao et
teint ses limites dans notre société
me les bananes, il est relativement aisé
le sucre, l’offre excède la demande de-
occidentale ? " Certainement pas. Les
pour une grande surface d’opter pour
puis des années. " En ce qui concerne
consommateurs conscientisés jouent
Fairtrade. Pour les produits composés de
le cacao, Fairtrade a enregistré une
un rôle de pionnier, mais représentent
plusieurs ingrédients, par contre, c’est
énorme croissance du nombre d’orga-
un segment trop limité de la population.
une tout autre affaire. Pas question, par
nisations affiliées. Nombreuses sont
Si nous voulons vraiment développer
exemple, de changer tout simplement la
les coopératives qui ne parviennent à
un marché durable, il nous faut opérer
recette du Mars. Néanmoins, au Royau
vendre qu’un infime pourcentage de
des choix du côté de l’offre. Nous devons
me-Uni, nous avons réussi à faire label-
leur récolte aux conditions Fairtrade
mener une concertation stratégique avec
liser Fairtrade les très populaires barres
bellisés Fairtrade demeure trop faible
18
de chocolat au lait Cadbury. Les consommateurs les achètent non pas parce qu’elles portent le label Fairtrade, mais parce qu’ils aiment la marque. L’impact d’un passage à l’équitable, comme celui qu’a effectué le chocolat Dairy Milk de Cadbury, est considérable ; toutefois, ce processus, particulièrement complexe, a pris de nombreuses années. " Quelque 120.000 tonnes de cacao Fairtrade sont produites chaque année. " Pour l’heure, seuls 30 % environ sont achetées aux conditions Fairtrade, " nous confie Lily Deforce. " Nous devons réagir. C’est la raison pour laquelle nous avons mis en place nos nouveaux programmes d’approvisionnement intitulés Fairtrade Sourcing Program pour le cacao, le sucre et le coton. " Ces programmes s’adressent aux entreprises souhaitant instaurer une
Un nouveau label
politique d’achat durable. " Ferrero, par exemple, achète annuellement 100.000
" Ferrero s’est engagée au niveau de
Les programmes d’approvisionnement
Deforce. " Nos normes n’ont par ailleurs
tonnes de cacao. Nous avons conclu un
l’entreprise. Nous contrôlerons donc
Fairtrade ne constituent-ils pas pour
pas changé et les conditions auxquelles
contrat avec l’entreprise, aux termes
uniquement si elle a effectivement
les grandes entreprises une solution de
doivent répondre les petits producteurs
duquel elle s’engage à porter à 10 % sa
acheté 10.000 tonnes de cacao Fair-
facilité pour redorer leur blason ? " Quel-
sont toujours les mêmes. Notre première
part de cacao Fairtrade d’ici trois ans. "
trade, " explique Lily Deforce. Les
le que soit la motivation sous-tendant
priorité consiste à aider ces derniers à
produits Ferrero ne porteront pas le
l’engagement en faveur de la durabilité,
augmenter leurs volumes de vente. Que
label Fairtrade. Un nouveau label a
c’est en tout cas un pas dans la bonne
leur cacao soit utilisé dans un produit
certes été créé pour les programmes
direction ! Mais nous ne ferons jamais de
d’Oxfam ou de Delhaize ne fait pour eux
d’approvisionnement Fairtrade, mais
communication sur les entreprises qui
absolument aucune différence ! "
il ne peut être utilisé que si le cacao,
achètent moins de 10 % de produits la-
le coton ou le sucre acheté est à 100%
bellisés Fairtrade. Cela s’apparente pour
En savoir plus ?
Fairtrade.
nous à de l’écoblanchiment, " conclut Lily
www.fairtradebelgium.be
19
BELGIAN FAIR TRADE FEDERATION
Entretien avec
Claire Cambier
La Belgian Fair Trade Federation (BFTF) se définit comme la plate-forme belge du commerce équitable. Portée sur les fonds baptismaux en 2010 après deux années de gestation, elle réunit 13 membres effectifs et 4 membres observateurs.
L’idée d’une plate-forme belge du commerce équitable, à l’instar de la plate-forme française (www.commercequitable.org), trottait depuis longtemps dans la tête de bien des acteurs du secteur. Du côté des autorités aussi, l’on souhaitait pouvoir s’adresser à un interlocuteur représentatif du secteur puisque jusqu’alors ( et jusqu’aujourd’hui), il n’y avait aucun cadre légal qui définisse et réglemente le commerce équitable. Encouragée par le ministre wallon de l’Economie Jean-Claude Marcourt, la nouvelle plate-forme, basée à Liège, s’est vue fixer trois objectifs: a) la représentation du secteur, b) l’accompagnement des entreprises qui veulent s’orienter vers le commerce équitable, c) la promotion des membres, l’information et la sensibilisation du public sur le commerce équitable.
Belgian Fair Trade Federation : l’union fait la force Interview réalisée par François Hubert pour le Trade for Development Centre, juin 2014. 21
Des critères d’admission assez stricts
Le service aux membres avant tout
Pour en faire partie, une entreprise
Depuis sa création, la fédération a
acteurs non membres – pour vendre des
doit atteindre un certain pourcenta
plutôt connu une diminution du nom
biens non alimentaires. Ce groupe, de-
ge de son chiffre d’affaires en équi
bre de ses membres, certains d’entre
venu complètement autonome, organise
table : 75 % pour les importateurs,
eux ayant malheureusement disparu
régulièrement des ventes collectives au
grossistes et transformateurs, 60%
à cause de la crise. " Nos critères d’ad
Centre des Tanneurs, à Bruxelles.
pour les détaillants. Mais comment
hésion sont aussi assez sévères. Ces
distinguer ce qui est équitable de ce
critères ont pour but d’inclure unique
qui ne l’est pas ? Pour ce qui est des
ment des acteurs dont le commerce
produits labellisés, la question ne se
équitable est l’activité première, et non
pose pas. Pour le reste, c’est l’appro
pas annexe ", explique Claire Cambier,
che d’une certification de la filière de
l’actuelle coordinatrice." Etre petit
" Les personnes qui se lancent dans le
l’accueil, la capacité à retenir le client,
production qui a été choisie, selon
nous permet aussi de répondre plus
commerce équitable ont un rêve et des
à le fidéliser, etc.
les dix critères de la WFTO (World
justement aux besoins de chacun ",
valeurs. Mais après, c’est du business,
Fair Trade Organization).
ajoute-t-elle.
ajoute la chargée de projets. Et ces
La sensibilisation des consommateurs
personnes sont souvent bien seules.
et la promotion des membres sont
Concrètement, que fait la BFTF ? Tout
Elles font tout elles-mêmes. C’est là que
une a utre mission d’importance de la
La BFTF compte actuellement 13 membres
d’abord, elle rend des services aux mem-
la fédération intervient en proposant
fédération. Outre des débats, ainsi q u’une
effectifs, tous basés en Wallonie ou à
bres, tels que des formations et des
des formations, en cernant d’abord
présence sur les réseaux sociaux et dans
Bruxelles : Latino Fierros, Optimart, La
rencontres. Un Business Day fut ainsi
les besoins et les demandes de ses
les m édias, la BFTF organise, par e xemple,
Pachamama, Ozfair, Café Chorti, Couleurs
organisé en 2013 pour encourager les
membres."
la Fête de l’équitable à l’occasion de la
Sud, D’ici D’ailleurs, Miel Maya, Maya
relations commerciales entre les dif-
Fair Trade, Oxfam-Magasins du Monde,
férents membres de la fédération. " Ce
Un autre exemple de service rendu aux
blic est invité à rencontrer les acteurs du
Ethiquable, Belvas et Tiksy Import. Quatre
que nos membres viennent chercher,
membres et qui illustre bien l’apport
commerce équitable. En 2014, la fête fut
autres, comme le Trade for Development
c’est le contact, la mise en réseau ", pré-
"business" de la BFTF : l’audit. Six ma-
organisée à Liège. Les v isiteurs purent
Centre, ont un statut d’observateur. Les
cise Coline Van de Kerckhove, la chargée
gasins (deux Magasins du Monde, Chorti,
ainsi déguster – et acheter – des produits
labels ne peuvent en être membre car ils
de projets de la plate-forme, qui donne
Belvas, Couleur Sud et Ozfair) ont ainsi
équitables, participer à des animations
seraient à la fois juge et partie.
un autre exemple : la mise sur pied d’un
été audités par un expert extérieur sur
ludiques, assister à un spectacle, une
collectif – incluant aujourd’hui aussi des
leur présentation, leur accessibilité,
causerie et des concerts, se restaurer, etc.
Business is business
“Les personnes qui se lancent dans le commerce équitable ont un rêve et des valeurs. Mais après, c’est du business.”
Journée mondiale lors de laquelle le pu-
22
La crise, déclencheuse d’une prise de conscience collective Comme pas mal d’acteurs du com
Comment les deux chevilles ouvrières
merce équitable, la plate-forme est
de la fédération voient-elles l’avenir
confrontée à des difficultés finan
du commerce équitable ? " On ne verra
cières. Certes, elle est subventionnée
pas de grand changement radical dans
à 100 % par la Région wallonne et elle
les années à venir, mais le commerce
emploie deux personnes. Mais pour
équitable fait son trou petit à petit. Le
mener à bien leurs missions, celles-ci
comportement des gens change ", ana-
sont parfois amenées à faire preuve
lyse Claire Cambier. " La crise a en effet
de débrouillardise. Il n’y a donc pas
remis certaines choses à leurs places.
encore de disponibilité pour entamer
Si l’on continue ainsi, on va dans le
un réel travail de lobby auprès des
mur. Quelles sont alors les alternatives?
institutions. A défaut, la BFTF relaie
Parmi celles-ci, il y a le commerce équi-
auprès de ses membres les nouvel
table ", poursuit Coline Van de Kerck
les législations, comme les clauses
hove. " Mais le commerce équitable ne
ESE (environnementales, sociales et
fonctionne qu’à partir du moment où
éthiques) qui doivent désormais être
il y a des consommateurs ", conclut la
intégrées dans les appels d’offre pour
coordinatrice.
marchés publics de la Région wallonne.
“Le comportement des gens change. La crise a en effet remis certaines choses à leurs places. Si l’on continue ainsi, on va dans le mur.” 23
Et au Nord ? Autre source de réflexion et d’inspi
Parmi les missions externes de la BFTF,
ration au sein de la fédération : le
il y a l’intégration aux réseaux inter-
commerce équitable Nord-Nord. Pour
nationaux. Bien sûr, elle travaille déjà
le moment, il ne correspond pas aux
en étroite collaboration avec certains
critères d’admission de la plate-forme
membres de la WFTO (World Fair Trade
car ceux-ci sont basés sur la définition
Organization), la fédération internationa-
historique du commerce équitable,
le qui soutient un commerce équitable
c’est-à-dire un commerce Nord-Sud
basé sur des " filières " plutôt que sur des
qui, entre autres, fixe un prix minimum
produits précis, mais un des souhaits les
garanti et établit une prime destinée
plus chers des fondateurs et dirigeants
à développer la communauté dans
de la plate-forme francophone serait de
laquelle vivent les producteurs. " Mais
pouvoir accueillir les acteurs flamands
il est clair qu’il y a une complémentarité
du commerce équitable afin que la fé-
au niveau des produits entre le Nord et le
dération puisse être représentative de
Sud ", relativise Claire Cambier. La porte
tout le pays.
n’est donc pas définitivement fermée aux producteurs équitables du Nord.
En savoir plus? www.bftf.be
24
ETHIQUABLE
Entretien avec
Vincent De Grelle
Avec une gamme de produits d’épicerie variée, Ethiquable est devenu en quelques années un acteur incontournable du commerce équitable en Belgique. Des commerces spécialisés à la grande distribution, cette société coopérative tisse sa toile à une vitesse impressionnante, offrant ainsi des débouchés importants aux producteurs du Sud, tout en accroissant la visibilité des produits équitables. L’aventure d’Ethiquable débute dans les années 90 en Equateur. Dans la province de Loja, les futurs fondateurs de la coopérative de commerce équitable y aident les producteurs de café à valoriser leur production locale, pour qu’elle soit reconnue au même titre que les meilleurs cafés du continent. Ingénieur agronome de formation, le Carolo d’origine et Andennais d’adoption Vincent De Grelle fait partie des chevilles ouvrières du projet. Revenu ensuite en Belgique, il travaille un temps dans l’économie sociale, mais caresse déjà l’idée de contribuer au développement du commerce équitable. " Je me rendais compte que l’un des freins se situait en aval et avait trait au manque de débouchés ", explique-t-il. Avant même de participer activement au commerce équitable, sa philosophie est faite : en tant que consommateurs du Nord, notre responsabilité vis-à-vis des producteurs du Sud est d’augmenter la part des produits équitables dans notre consommation quotidienne. Mais pour y parvenir, le commerce équitable doit évidemment être capable de fournir du volume.
Ethiquable : offrir des débouchés aux producteurs du Sud
La réussite d’Ethiquable France, créée en 2003, lui donne raison. Dès le début, la coopérative promeut une agriculture paysanne et un mode de production en polyculture, dans lesquels la préservation du goût et des saveurs est essentielle. En 2007, Vincent De Grelle contacte Ethiquable France dans le but de créer une structure similaire dans le Benelux, qui voit le jour deux ans plus tard. Entretemps, il s’est associé avec Stéphan Vincent, dont l’expérience dans la grande distribution
Interview réalisée par Alain De Bast
et chez Oxfam- Magasins du monde est parfaitement complémentaire à la sienne.
pour le Trade for Development Centre, décembre 2013. 26
Une croissance impressionnante “L’achat en grande surface n’est donc pas incompatible avec celui dans des petits magasins.”
Pour Ethiquable Benelux, la ‘success story’ passe donc par une diversification des canaux de distribution et par l’arrivée constante de nouveaux clients, séduits par les valeurs du commerce équitable. " Notre croissance est importante : le chiffre d’affaires était de 400.000 euros il y a quatre ans et atteindra environ 1.700.000 euros en 2013. Nous avons débuté à deux, et nous employons aujourd’hui six personnes ", explique Vincent De Grelle. Il
Le succès est immédiat, notamment
ne s’en cache pas, la crise se ressent
parce qu’Ethiquable Benelux parvient
toutefois au niveau de l’évolution des
vite à mettre un pied dans la grande dis-
ventes chez les clients ‘historiques’.
tribution. Celle-ci représente aujourd’hui 60% de son chiffre d’affaires. " Notre rôle,
La croissance d’Ethiquable Benelux
c’est de vendre des produits équitables à
découle aussi tout naturellement de la
des revendeurs, qu’il s’agisse d’acteurs
diversification de sa gamme de produits.
spécialisés ou d’enseignes de la grande
Son nouvel entrepôt de Waremme voit
distribution. Il n’existe pas un mode
défiler non seulement des quantités
de commercialisation idéal, mais des
importantes de café, mais aussi de
complémentarités. L’achat en grande
thés, de chocolats, de jus, de snacks, de
surface n’est donc pas incompatible
produits à tartiner, de céréales, d’épices
avec celui dans des petits magasins. A
ou d’huiles. " La gamme la plus importan-
mes yeux, il est essentiel de se mettre
te reste celle des chocolats, qui connaît
à la place du producteur : il veut avant
un grand succès auprès des consomma-
tout vendre sa récolte et pour cela, il
teurs. Nous sommes d’ailleurs parmi les
lui faut des débouchés ", explique à cet
seuls à avoir une traçabilité complète de
égard Vincent De Grelle.
la filière du cacao, depuis le producteur
27
“Je pense que le commerce équitable gagne en sympathie auprès des gens, mais qu’ils ne savent pas toujours ce qu’il implique réellement. Il faut donc continuer à l’expliquer, de la manière la plus simple et la plus didactique possible. ” jusqu’au consommateur ", explique Vin-
Chez Ethiquable, la promotion d’une
cent De Grelle.
agriculture paysanne s’est accompagnée tout naturellement d’un engagement
La gamme de produits d’Ethiquable est
auprès de producteurs de l’agriculture
certainement encore appelée à s’étoffer.
biologique. Presque tous les produits
Pour Vincent De Grelle, il est d’autant plus
portent le label bio. " C’est un choix qui
important de continuer à expliquer ce
s’est imposé, par conviction, mais éga-
qui différencie les produits équitables
lement parce que le consommateur
des produits conventionnels. " Au dos
nous le demandait. Et contrairement à
de nos emballages, le consommateur
ce que l’on pourrait croire, le prix n’est
trouve des explications sur l’origine du
pas forcément supérieur pour autant.
produit, ainsi que sur l’impact environ-
Certains produits affichent des prix si-
nemental, social et économique de son
milaires aux produits bio conventionnels,
achat. Je pense que le commerce équi-
voire aux produits non bio convention-
table gagne en sympathie auprès des
nels. C’est le cas de la vanille, que nous
gens, mais qu’ils ne savent pas toujours
achetons directement aux producteurs,
ce qu’il implique réellement. Il faut donc
sans passer par des intermédiaires. Le
continuer à l’expliquer, de la manière la
produit doit être vendu au prix le plus
plus simple et la plus didactique possi-
juste possible, tant pour le producteur
ble. C’est un travail de longue haleine ".
que pour le consommateur ".
28
Au Nord également Avec l’évolution qu’elle connaît, et forte du soutien de sa grande sœur française,
produits locaux et il faut favoriser les
Ethiquable Benelux est promise à un
contacts avec l’agriculture paysanne
bel avenir. Celui-ci passe notamment
de chez nous, pour que les produits
par le développement d’une gamme de
bio et équitables prennent la place
produits agricoles du Nord. " C’est la
des produits conventionnels dans leur
Terre qui nous nourrit tous les jours,
assiette ", indique Vincent De Grelle.
“Les consommateurs manifestent un intérêt croissant pour les produits locaux et il faut favoriser les contacts avec l’agriculture paysanne de chez nous, pour que les produits bio et équitables prennent la place des produits conventionnels dans leur assiette.”
au Nord comme au Sud. Ethiquable France a donc développé une gamme
A l’avenir Ethiquable Benelux souhaite
de produits du Nord, baptisée Paysans
encore davantage se développer dans
d’ici ", explique Vincent De Grelle. Cet-
des magasins spécialisés, qu’elle con-
te gamme propose par exemple des
sidère comme les meilleurs relais pour
lentilles, des châtaignes ou du jus de
faire passer le message du commerce
tomate. Puisqu’il n’existe pas de label
équitable. Elle espère aussi étendre ses
équitable dans le Nord, Ethiquable a
parts de marché et toucher davantage
choisi d’appliquer pour ces produits
de clients. " Pour cela, il faut une prise
les mêmes critères qu’avec le Sud,
de conscience de ce qu’est l’agriculture
dans le cadre d’une charte et avec un
paysanne et des enjeux du développe-
cahier des charges précis. Des produits
ment durable, tant en Europe qu’au Sud.
de l’agriculture paysanne typiquement
Le consommateur ne doit pas acheter un
belges devraient d’ailleurs bientôt
produit équitable pour faire de la charité,
venir étoffer la gamme. Avec celle-ci,
mais pour poser un acte citoyen et poli-
Ethiquable obéit une fois de plus à son
tique. Ce faisant, il soutient directement
credo, qui consiste à permettre à l’offre
un mode de production respectueux de
de produits éthiques de rencontrer la
l’homme et de l’environnement, et rend
demande. " Les consommateurs ma-
pérenne un système économique ", con-
nifestent un intérêt croissant pour les
clut Vincent De Grelle.
En savoir plus? www.ethiquable.be
29
LATINO
Entretien avec
Philippe Vander Elst
Le commerce équitable se démarque du commerce conventionnel par les principes et les valeurs qu’il défend et qui lui sont propres. Cela ne l’empêche pas de devoir, lui aussi, obéir à certaines lois immuables du marché. Philippe Vander Elst, qui dirige une entreprise d’import-export de produits artisanaux latino-américains, le sait mieux que quiconque : dans l’équitable aussi, pour que les affaires marchent, il faut notamment faire preuve de créativité et pouvoir se renouveler.
Les articles d’artisanat et les bijoux occupent une place de choix dans le commerce équitable. Qu’ils viennent d’Asie, d’Afrique ou d’Amérique latine, ils sont souvent réalisés par des artisans vivant dans une grande précarité, pour lesquels ils sont le seul moyen de subsistance. C’est en 1998 que Philippe Vander Elst crée à Bruxelles l’entreprise Latino, spécialisée dans l’import-export d’artisanat et de bijoux en provenance d’Amérique latine. Il a depuis toujours un petit faible pour cette région du globe, puisqu’il a grandi au Pérou et qu’il a ensuite longtemps travaillé en Colombie. " J’ai débuté en important vers l’Europe des articles de vannerie. Ce savoir-faire ancestral répandu dans le monde entier et grâce auquel on réalise des chapeaux, des sacs, des paniers et toutes sortes d’objets, m’a toujours attiré. Il a constitué le
Latino: l’artisanat latino-américain dans l’air du temps
cœur de mon activité pendant cinq ans ", explique Philippe Vander Elst. Le célèbre et indémodable chapeau de paille panama, fabriqué en Equateur, fait bien entendu partie de sa gamme d’articles, tout comme les écharpes en alpaga. Dès le début, Philippe Vander Elst opte pour une approche qui épouse les principes du commerce équitable. " L’appartenance de Latino au à ce type de commerce se traduit par notre implication dans la Fédération belge du commerce équitable. Dans l’artisanat, il n’existe pas de véritable label et d’étiquetage équitable des produits. C’est le caractère équitable de la démarche et du comportement de l’acteur qui importe. A cet égard, qu’il s’agisse d’une coopérative, d’un atelier familial ou d’une
Interview réalisée par Alain De Bast
personne isolée, je peux garantir aux producteurs avec lesquels je collabore une
pour le Trade for Development Centre, décembre 2013. 31
relation à long terme et un vrai respect
de teinture à Bruxelles, afin de pouvoir
du prix. La principale responsabilité au
travailler avec des teintes écologiques
niveau du respect des salariés et de
certifiées, de mieux contrôler leur qualité
leurs conditions de travail repose sur
et la précision des couleurs, de même
leur employeur, mais à mon niveau, il
que la gestion des stocks. Et à cette
est surtout essentiel de ne pas écraser
époque, la tagua est visiblement dans
les prix lors d’une négociation, parce que
l’air du temps, tant auprès des boutiques
cela obligerait l’employeur à répercuter
auxquelles Philippe Vander Elst revend
la baisse sur ses travailleurs ", explique
ses articles qu’auprès de leurs clients :
Philippe Vander Elst.
"J’ai importé des millions de perles. C’était l’âge d’or de la tagua : les gens vou-
Grâce à ses contacts en Amérique du Sud,
laient de gros volumes de boutons, de
Philippe Vander Elst découvre en 2005
perles, de colliers, de poignées... Mais
un matériau idéal pour la création de
comme pour tout matériau utilisé com-
bijoux : l’ivoire végétal, également appelé
me accessoire de mode, après quelques
tagua. " Il s’agit en réalité de la graine
années, j’ai vu la demande diminuer.
du palmier. J’ai rencontré un homme
C’est normal, car les créateurs sont con-
à Bogota qui fabriquait des perles en
tinuellement à la recherche de nouvelles
ivoire végétal et j’ai décidé d’importer
choses ", explique Philippe Vander Elst.
la graine elle-même, de la découper et de la teindre ici pour créer des bijoux ".
Début 2013, Latino a ainsi été contraint
C’est ainsi que Latino a ouvert un atelier
de fermer son atelier et sa boutique
“Qu’il s’agisse d’une coopérative, d’un atelier familial ou d’une personne isolée, je peux g arantir aux producteurs avec lesquels je collabore une relation à long terme et un vrai respect du prix.” 32
bruxelloise, mais plutôt que de se tour-
leurs de pays comme l’Inde, les Phi-
rienne ou colombienne ! Les nouvel-
C’est en suivant cette logique et en répon-
ner vers d’autres matériaux, Philippe
lippines ou l’Indonésie, où les prix de
les technologies rendent aujourd’hui
dant à l’absolue nécessité de toujours
Vander Elst est resté fidèle à la tagua,
départ permettent des marges plus
les choses un peu plus aisées. " Avec
capter l’air du temps que Philippe Vander
se fixant pour défi de lui trouver d’au-
importantes et rendent le commerce
l’aide de deux stylistes, je dessine ici
Elst développe aujourd’hui, à côté des
tres débouchés. " J’aime ce matériau et
plus rentable ".
ce que je souhaite et j’envoie par mail
articles plus traditionnels proposés sous
l’une des bases du commerce équitable
les croquis. Vu la mondialisation et la
la marque Latino, une collection de ba-
réside dans le partenariat à long terme
libéralisation du commerce mondial,
gues et de bijoux en tagua, sous le nom
que l’on noue avec les producteurs. Il est
Dans ce contexte, Philippe Vander Elst
les affaires prennent de plus en plus
de marque Ring me Up®. " J’ai lancé ces
certainement aussi important qu’une
considère que sa tâche est de trouver
une orientation qui fait correspondre
bijoux dans un concept de mode, mais
rétribution correcte."
des produits et articles qui présentent
la demande et l’offre, en faisant évo-
maintenant, j’essaie de les développer
un attrait pour le consommateur final
luer le design davantage en fonction
dans une optique promotionnelle, à l’effi-
et pour la boutique qui les revend, et
des souhaits de l’acheteur potentiel.
gie d’un événement, d’une marque, d’un
dont le prix reste acceptable pour tous,
Dessiner soi-même permet aussi de
concept ou d’un message ". Avant de voir
depuis l’achat initial au producteur
se démarquer des autres et de générer
un jour – qui sait ? – un bijou en tagua
jusqu’à la vente finale. Et cette tâche
une marge d’exclusivité pendant un
à l’effigie des Diables rouges, Philippe
exige un feeling et une implication à de
certain temps ", observe Philippe Van-
Vander Elst a ainsi notamment créé une
multiples niveaux : il faut rencontrer
der Elst. Selon lui, un produit artisanal
balle de tennis stylisée pour les inter-
Fidèle à la tagua, Philippe Vander
les producteurs, repérer les produits
conçu en fonction des designs euro-
nationaux de France de Roland Garros.
Elst reste et restera également fidèle
qui peuvent faire mouche, s’assurer de
péens a donc plus de chances de sé-
" Une fois le logo ou le dessin approuvé,
à l’Amérique latine. Parfois contre
disposer des bons contacts sur place,
duire qu’un produit artisanal fabriqué
les bijoux sont réalisés en Colombie à
vents et marées. " L’objectif de base
mais aussi définir des paramètres de
avec des dessins locaux d’Amérique
grande échelle. Je crois fort à ce domaine,
de la société Latino est de nouer des
qualité, des modèles, des couleurs, etc.
latine, qui est plutôt un souvenir de
car si la gamme de prix est plus basse
contacts avec les pays d’Amérique
Ce n’est pas évident lorsque les produc-
voyage. Cela demande cependant des
que pour le véritable bijou, le volume
latine et d’y générer de l’emploi ",
teurs sont parfois de petits artisans
investissements plus importants et
est important et cela intéresse tout le
résume-t-il. Dans un secteur de l’ar-
vivant au fin fond de la forêt équato-
plus risqués.
monde, à commencer par les artisans
Générer de l’emploi en Amérique du Sud
tisanat fort concurrentiel, ce n’est
qui réalisent les objets."
pas une sinécure. " Je participe aux grands salons internationaux du secteur et je constate que les prix de départs de l’artisanat latino-améri-
En savoir plus? www.latino.be
cain sont certainement moins intéressants que ceux de l’Asie du Sudest. La grande majorité des produits exposés dans les salons vient d’ail-
33
BELVAS
Entretien avec
Thierry Noesen
Qui eût cru que les pralines d’une petite chocolaterie mouscronnoise au bord de la faillite rachetée il y a presque dix ans allaient devenir un produit incontournable des épiceries bio dans le monde et trouver sa place parmi les plus grands chocolatiers belges, tout en respectant les principes du commerce équitable ? Comme dans la plupart des entreprises, chez Belvas, on tombe d’abord sur la récep tion, avec le comptoir habituel et les certificats des récompenses obtenues accrochés au mur, bien en évidence pour que le visiteur sache qu’il a affaire à une compagnie sérieuse et reconnue. Derrière le guichet, le bureau est vide. La réceptionniste va bientôt revenir, se dit-on. Après quelques minutes, le visiteur s’impatiente et s’aven ture dans le couloir, en quête d’un interlocuteur. Quelqu’un arrive. On explique alors qu’on a rendez-vous avec le patron, Thierry Noesen. " Pas de problème, s’entend-on répondre, je vais vous introduire dans son bureau. " Et le visiteur se retrouve dans le bureau vide, derrière le comptoir d’accueil : oui, chez Belvas, c’est le patron qui fait office de réceptionniste… Cette anecdote est symptomatique de l’esprit qui règne dans l’entreprise et de son patron, un homme accessible, accueillant et qui a l’œil sur tout, de la réception d’un colis jusqu’au positionnement du ruban sur les boîtes de pralines.
Belvas: la passion du chocolat et de l’exportation Interview réalisée par François Hubert pour le Trade for Development Centre, juin 2014. 35
Le goût avant tout C’est un peu forcé qu’il a racheté en
Au-delà du parcours du combattant que
2005 la chocolaterie Devas (l’ancien
peut représenter une labellisation équi
nom de Belvas), alors qu’il était déjà
table (en l’occurrence Max Havelaar) d’un
occupé à lancer sa propre marque de
produit complexe tel que des pralines,
produits naturels pour bébés. " Il y avait
le principal défi de Thierry Noesen fut de
sept employés chez Devas. Je n’étais
conserver l’excellence dans la qualité.
pas prêt pour une reprise. Mais quand
Hors de question de sacrifier le goût aux
le patron m’a dit qu’il allait fermer et
critères équitables ! Et inversement. Le
licencier le personnel, je ne l’ai pas
maître chocolatier maison travaille ses
supporté ", dit-il. En deux, trois jours,
recettes jusqu’à obtenir le goût désiré.
l’affaire était pliée. Et dès le lendemain de la reprise effective, la chocolaterie
" On trouve d’abord l’ingrédient, explique
passait au tout équitable. Et bio un peu
l’entrepreneur. Ensuite, on crée la praline.
plus tard, en 2007.
Par exemple, on a trouvé une pâte de fi gues bio. Le maître chocolatier a cherché
“Comme il n’y a jamais d’arômes ajoutés, cela nous force aussi à mettre plus de cacao, plus d’amandes, moins de sucre… afin d’obtenir des goûts plus puissants.“
jusqu’à trouver la bonne combinaison. Tout ce qui est fair trade, bio et local, on le prend. Nous, nous sommes 100 % équi table, par rapport à d’autres chocolatiers qui font aussi de l’équitable en plus de leurs produits habituels."
36
Une gamme limitée Ici, on ne parle pas de pralines à l’an-
Authentiquement belges et seules sur
chois ou au poivre rose de Madagascar:
le marché du bio-équitable, les pralines
"On reste dans des goûts élémentaires,
Belvas ont assez vite trouvé leur créneau.
très ‘terroir’, avec des noisettes, du
Elles sont vendues chez Delhaize, dans
caramel, de la crème fraîche, des pis-
les Magasins du Monde Oxfam et dans
taches, etc.", affirme Thierry Noesen.
les épiceries bio. " Nous sommes un
C’est la raison pour laquelle la gamme
chocolatier qui n’est concurrent d’aucun
de pralines Delvas, d’une vingtaine de
autre chocolatier. " A 45 euros du kilo,
sortes, reste limitée. " Comme il n’y a
Belvas se positionne au niveau du prix
jamais d’arômes ajoutés, cela nous
à la même hauteur que Galler, entre Leo
force aussi à mettre plus de cacao,
nidas et Neuhaus ou Marcolini.
“L’équitable est une opportunité pour changer le monde. Je ne crois pas que ce soit une mode. Je vois chez les jeunes une soif d’éthique.”
plus d’amandes, moins de sucre… afin d’obtenir des goûts plus puissants. "
37
Le respect de l’environnement, c’est aussi en Belgique
L’éthique, une valeur d’avenir
moi de voir toutes les implications qu’un tel genre de construction peut avoir sur l’environnement ", précise l’entrepreneur.
Au vu de son parcours, il n’était pour-
Depuis 2013, Belvas a aussi son propre
tant pas évident que Thierry Noesen
point de vente, près de la très huppée Mais c’est à l’étranger que Belvas
place du Sablon, à Bruxelles. Outre le
s’étend le plus : 80 % de la production
prestige que confère l’emplacement,
est exportée et trouve une place dans
"cela permet d’obtenir en direct les réac
les rayons bio du monde entier, en
tions des consommateurs. Dès qu’on
Allemagne et aux Etats-Unis surtout,
sort un nouveau produit, c’est là qu’on
mais aussi en Chine, en Espagne, aux
le teste ", explique le patron.
trouve le succès dans l’équitable : son premier job, c’était chez Nestlé, l’une des multinationales agro-alimentaires les plus critiquées pour ses relations avec les pays du Sud, tant au niveau de ses fournisseurs que pour ses pratiques marketing. Thierry
Pays-Bas, en France… Et il y a encore un sérieux potentiel de croissance: " Nous sommes dans la niche du bio ; donc, tous les points de vente bio nous sont ouverts. Il y a beaucoup de territoires où nous pouvons grandir : le Brésil, la Grande-Bretagne… "
Noesen y restera trois ans en tant que
“Et c’est là mon angoisse : des grandes marques lancent de nouveaux labels qui sont plus faibles au niveau de l’éthique. Certains de ces labels ont clairement un objectif commercial.“
chef des produits "chocolat" pour le marché belge.
Quelle est sa vision de l’équitable et de l’avenir du secteur ? " J’y vois à la fois une opportunité et une source d’an goisse. L’équitable est une opportunité pour changer le monde. Je ne crois pas que ce soit une mode. Je vois chez les jeunes une soif d’éthique. Donc, je pense que cette idée d’aider les producteurs du Sud par l’achat de leurs produits va perdurer. Mais pour que ça dure, il faut que la sévérité des contrôles n’ait pas de limites. Je suis pour des contrôles très stricts. Et c’est là mon angoisse : des grandes marques lancent de nouveaux labels qui sont plus faibles au niveau de l’éthique. Certains de ces labels ont clairement un objectif commercial. "
Des difficultés, l’entreprise en a connues, pour en arriver là où elle est aujourd’hui :
Difficile, cependant, d’entamer la bonne
celle de trouver des fournisseurs fiables
humeur de cet amoureux du chocolat.
et certifiés d’abord, le coût du person
" J’ai aussi été administrateur de la
nel ensuite. Quinze personnes sont
chocolaterie Gudrun, à Anvers. J’y ai
employées à temps plein, auxquelles
découvert la passion de l’exportation.
s’ajoutent une dizaine d’intérimaires.
Et je crois franchement que j’ai le plus
" Malheureusement, avec les nouvel
beau métier du monde : je travaille avec
les réglementations, je ne sais même
un produit amusant, nous avons une
plus engager ", se désole l’entrepreneur.
équipe formidable et je suis tout le temps
Heureusement, il a aussi reçu des aides
en train de converser avec le monde en
un système de récupération de chaleur
bien utiles, à commencer par celles de
tier. " Ne dit-on pas que le chocolat est
sur les machines permet à l’entreprise
la Région wallonne, et de l’Awex (Agence
un bon antidépresseur ? En tout cas, à
d’être à 70 % autonome en énergie. " Ce
wallonne à l’Exportation) en particulier.
Ghislenghien, c’est prouvé.
Belvas prouve son attachement à l’en vironnement encore d’une autre manière. En 2007, la société a quitté la région de Mouscron pour s’installer dans le zoning de Ghislenghien. Thierry Noesen a tenu à ce que son usine soit entièrement bâtie selon les critères de l’éco-construction. Par exemple, des panneaux solaires et
n’est pas seulement pour l’image ou pour les économies que cela nous permet de
En savoir plus?
faire, mais c’est aussi très excitant pour
www.belvas.be
38
OPTIMART
Entretien avec
Philippe Deman
Depuis 1991, l’association Optimart développe, dans une logique de commerce équitable et solidaire, des partenariats avec des groupements d’artisans d’Afrique de l’Ouest. L’artisanat arrivant cependant à la fin d’un cycle, Optimart tente de rebondir avec un concept-bar basé sur l’équitable. A la base de l’association, il y a Philippe Deman, assistant social de formation et ancien objecteur de conscience qui a passé, dans les années 1980, son service civil chez Artimo, qui faisait la promotion et vendait de l’artisanat du Rwanda. A la liquidation d’Artimo, personne ne voulait de l’artisanat. Philippe a racheté le stock, point de départ de sa nouvelle association, Optimart. Thierry Ouedraogo, Burkinabé venu en Belgique pour ses études, l’a rejoint peu de temps après. Pendant des années, la vitrine d’Optimart, c’était Mbeubeuss, une boutique au centre de Bruxelles qui portait le nom de la plus grande décharge de Dakar. Aussi petite fût-elle, cette boutique fascinait : c’était le royaume du recyclage, et si l’on y trouvait des objets attendus (des petites voitures réalisées en cannettes, des sacs à main fabriqués à partir de journaux ou de sacs en plastique…), on y faisait aussi des découvertes plus surprenantes comme des tabourets " zébulon " dont les pieds étaient des amortisseurs de camion. Optimart avait monté un partenariat avec les artisans sénégalais de Soweto Village qui eux-mêmes achetaient aux ramasseurs de la décharge les matériaux de r ecyclage nécessaires à leur art. Tout le monde y trouvait son compte.
Nouveau à Bruxelles : le café du commerce équitable
Alors, pourquoi avoir fermé la boutique ? Philippe Deman répond : " On ne s’en sortait plus avec l’artisanat. Tant qu’il y avait une demande, cela avait du sens. Il y a vingt-cinq ans, ce genre d’artisanat marchait du tonnerre. Mais maintenant, les gens voyagent beaucoup plus et découvrent par eux-mêmes ces produits dans les pays où ils sont fabriqués. De plus, il faut des produits qui se renouvellent. Et avec les artisans, ce n’est pas toujours facile… "
Interview réalisée par François Hubert pour le Trade for Development Centre, juin 2014. 40
Mais il n’y a pas que la création… Comme beaucoup d’entreprises de commerce
pendant quinze ans avec un objectif : le
A cela s’ajoutait la situation de la bouti-
deux ans que l’association a racheté le
équitable, surtout dans le secteur de
changement. Pourquoi rien n’a changé
que, au cœur de Bruxelles, certes, mais
pas-de-porte de l’ancien magasin, mais
l’artisanat, Optimart a été confrontée
là-bas alors que de notre côté, nous y
pas idéalement placée. " Notre clientèle,
ouvrir un commerce dans l’horeca s’avère
à des difficultés d’approvisionnement:
avons mis tous les moyens ? Pour qu’un
c’était des gens qui connaissaient la
aussi parfois un véritable parcours du
des délais non respectés, une qualité des
changement ait lieu, il faut qu’il soit
boutique, mais nous avions très peu de
combattant : il a fallu 18 mois pour obtenir
produits pas toujours égale, les sempi-
endogène ", ajoute son collègue.
gens de passage. Nous étions en dehors
le permis d’urbanisme, uniquement parce
du parcours habituel des touristes ",
que la commune s’y opposait… alors que
précise Thierry Ouedraogo.
celle-ci est propriétaire du bâtiment !
ternelles discussions sur les prix… " Importer de l’artisanat coûte très cher.
Sur ce coup, on sent les responsables
Et il est très difficile dévaluer l’impact
d’Optimart un peu amers. Au final, le
Assez parlé du passé. Tournons-nous
Philippe Deman se désole d’ailleurs
de ce genre de projet ", estime Philippe
résultat est que les ventes ont fortement
vers le présent et l’avenir. Pour Optimart,
du peu de soutien qu’il obtient de la
Deman. " A Soweto Village, ils vivent au
diminué. Même sur les événements et
devenue membre de la BFTF (Fédération
commune. " Il n’y a pas d’interlocuteur
jour le jour. Il n’y a pas de leader avec
marchés où Optimart était présente, la
belge du commerce équitable), c’est le
Commerce équitable à Bruxelles, qui
une vision d’avenir. A la fin, cela pose un
perte d’intérêt des consommateurs s’est
" Café du commerce…équitable " qui se
porte pourtant le titre de commune du
problème de confiance ", avance Thierry
fait sentir : " Au dernier marché de Noël,
trouve, comme par hasard, juste en face
commerce équitable ".
Ouedraogo, lui-même Africain d’origine.
même les petits objets à cinq euros ne
de l’ancienne boutique Mbeubeuss, mais
" Nous avons eu un partenariat avec eux
partaient pas ".
sur un coin de rue plus visible. Cela fait
“Il y a vingt-cinq ans, ce genre d’artisanat marchait du tonnerre. Mais maintenant, les gens voyagent beaucoup plus et découvrent par eux-mêmes ces produits dans les pays où ils sont fabriqués.” 41
"Notre café est un lieu de convivialité et
Pour ce pionnier du commerce équita-
de rencontre avant tout", annonce Phi-
ble qu’est Philippe Deman, ce qu’il fait
lippe Deman. On n’y sert pas de repas
"n’est pas un travail, mais une passion ".
" Small is beautiful ", semble regretter
L’avenir du commerce équitable ? " Il ne
(faute d’autorisation pour une cuisine),
Il a suivi toute l’évolution du commerce
Philippe, qui se définit comme " un acteur
marchera pas si les gens qui peuvent le
mais du bon café, entre autres. Optimart
équitable, de la démarche caritative à la
de changement social ". Avec Optimart
faire décoller ne font pas le nécessaire."
s’est trouvé un partenaire avec les cafés
participation de l’économie sociale et
et son complice Thierry, il continue à
S’il avait été entouré de marketeurs, de
Chorti, qui sont également vendus dans
solidaire en passant par le secteur de la
réfléchir sur les mécanismes sociétaux
directeurs d’achats, d’actionnaires à
l’établissement. Des paniers bio y sont
distribution et des multinationales. Le
qui régissent le commerce mondial et
deux chiffres, de banquiers, de politiques
aussi proposés. Et puis du thé, du cho-
moins que l’on puisse dire, c’est qu’il pose
local. Il participe à la formation des in-
ou d’économistes, on aurait pu suivre son
colat, de la bière… le tout équitable, ou
un regard très acerbe sur l’évolution du
stituteurs, organise des séminaires de
regard… mais vous l’avez certainement
à tout le moins durable. Malgré tout, les
secteur: " Si le commerce équitable a été
formation à l’économie sociale à l’école
compris, Philippe Deman n’appartient
animateurs d’Optimart ne désespèrent
initié et développé par des militants qui
Francisco Ferrer, développe des projets
pas à ce monde-là.
pas de pouvoir un jour ouvrir une véri-
voulaient plus de justice dans les échan-
participatifs… On le sent très fier de son
table table d’hôtes.
ges économiques, il a fini, en vendant son
parcours, même s’il n’a pas été couron-
âme à la grande distribution, par être
né du succès escompté : " Quelle liberté
phagocyté par le système capitaliste. "
d’avoir fait tout ça ! ", dit-il.
“A Soweto Village, ils vivent au jour le jour. Il n’y a pas de leader avec une vision d’avenir. A la fin, cela pose un problème de confiance.” Le Café du commerce (équitable) accueillera bien évidemment certaines des activités de sensibilisation de l’association: soirées thématiques sur l’alimentation durable, atelier sur les potagers urbains, achats collectifs, etc..
42
En savoir plus? www.optimart.org
LA PACHAMAMA
Entretien avec
Isabelle Steenebruggen
Pachamama, ça veut dire « terre-mère », dans la culture indienne d’Amérique latine. La Pachamama, c’est la terre nourricière et c’est une femme. Cela tombe bien car c’est aussi le nom d’une coopérative belge qui vend des articles pour bébés (et mamans), en total respect pour les gens qui les produisent et leur environnement. Isabelle Steenebruggen est ce qu’on appelle une " mompreneur ", une maman entrepreneure. Cette maman de deux enfants a fondé La Pachamama, une coopérative à finalité sociale qui importe et distribue des articles pour enfants et mamans. Comment cette traductrice de profession en est-elle arrivée là ? " Quand j’ai eu des enfants, je me suis rendu compte qu’on leur proposait finalement beaucoup de crasses, des articles qui contenaient beaucoup de produits chimiques et toxiques, fabriqués dans des conditions de travail épouvantables. En en parlant à d’autres parents, j’ai vu qu’il y avait une demande pour des produits éthiques destinés aux enfants. Et je me suis dit : pourquoi ne pas faire le lien ? "
La Pachamama : l’équitable pour petits et grands ( mais surtout les petits) Interview réalisée par François Hubert pour le Trade for Development Centre, juin 2014. 44
Des objets porteurs d’histoire Elle s’est donc lancée dans l’aventure
" Je me doutais bien que ce ne serait pas
et est partie à la recherche de jeux,
florissant du premier coup. Mais malgré
de doudous, de poupées, de layettes,
tout, on s’est développé assez vite, grâ-
de couches lavables, de porte-bébés,
ce entre autres à Lanka Kade que nous
d’objets de décoration, etc., tous plus
avons très vite commencé à distribuer.
éthiques et équitables les uns que les
" Lanka Kade est une marque équitable
autres. Le concept du commerce équi-
anglaise de jouets, peluches et objets
table ne lui était d’ailleurs pas étranger
de déco qui fait fabriquer ses produits
puisqu’elle avait travaillé auparavant
par des groupements d’artisans du Sri
comme bénévole dans les Magasins du
Lanka. Avec un millier de références, c’est
Monde-Oxfam. " Notre rôle est de faire
déjà un gros acteur du secteur.
se rencontrer le professionnel qui travaille en investissant son amour et son talent, et l’acquéreur d’un objet porteur d’une histoire, de valeur humaine, de dignité ", écrit-elle dans son petit texte de présentation.
“Quand j’ai eu des enfants, je me suis rendu compte qu’on leur proposait finalement beaucoup de crasses, des articles qui contenaient beaucoup de produits chimiques et toxiques, fabriqués dans des conditions de travail épouvantables.” 45
Où sont les dînettes et les instruments de musique ? "En Belgique, il y a six ans, la vente par In-
Après trois années à travailler comme
ternet n’était pas encore très développée.
indépendante complémentaire, Isabelle
que 80% des livres jeunesse en français
Elle l’était davantage en France, où nous
Steenebruggen a franchi le pas et a
sont imprimés en Chine ? Les livres
réalisions 75 % de nos ventes en ligne,
transformé son activité en c oopérative
Pourpenser, eux, sont fabriqués sur du
même en concurrence avec des gros
à finalité sociale. La coopérative est
papier recyclé par des ateliers protégés",
sites. Aujourd’hui, les familles belges
o uverte à tous. Une vingtaine de
précise la " mompreneur ". L’entrepre-
achètent beaucoup plus sur Internet",
coopérateurs ont déjà pris au moins
neure a cependant un petit regret : elle
explique-t-elle. "Mais il y avait une telle
une part sociale – de 100 euros – qui
ne trouve pas, en équitable, de dînette
demande de produits équitables pour
donne droit à une ristourne de 5 % sur
ni d’instruments de musique.
les enfants que nous nous sommes vite
leurs achats.
tournés vers la distribution. Nos produits
La France, premier marché pour la vente en ligne aux particuliers
sont maintenant disponibles dans une
Parmi les autres marques phares dis-
quarantaine de points de vente dans
tribuées par La Pachamama, on compte
toute la Belgique, ainsi que dans les
aussi Akha Biladjo (une ONG du Laos qui
Magasins du Monde-Oxfam."
fabrique des objets de décoration), Barefoot (des jouets en tissu), Global Affairs (marque équitable néerlandaise qui fait faire ses produits pour enfants en Chine et en Inde),.. " Ce qu’on aime, ce sont des
Au premier étage de sa maison, Isa-
jeux qui durent longtemps et qui vont
belle Steenebruggen a installé son
créer du lien. Les jeux qui invitent parents
show-room, ouvert sur rendez-vous.
et enfants à se mettre ensemble. Quand
Un vrai paradis pour bébé ! Ajoutez à
nous disons ‘ commerce équitable pour
cela les dessins de ses propres enfants
petits et grands’, c’est parce qu’on n’est
affichés dans les autres pièces, avec
jamais trop grand pour jouer. " Bien sûr,
quelques jouets qui traînent, comme
tous ces articles répondent aux normes
dans toute famille qui se respecte, et
de sécurité édictées par la Commission
vous comprendrez que cela donne à la
européenne. Autre marque réputée : les
maison un petit air de crèche
livres Pourpenser. " A propos, savez-vous
46
“Ce qu’on aime, ce sont des jeux qui durent longtemps et qui vont créer du lien. Les jeux qui invitent parents et enfants à se mettre ensemble.”
La crise porteuse d’espoir La crise ? Elle ne l’a pas trop sentie, même si le prix de la majorité des a rticles vendus tourne autour des dix euros. " La crise a même été plutôt positive car elle a donné naissance à une prise de conscience chez beaucoup de personnes par rapport à leurs achats. De plus, dans le jouet, on a la chance d’avoir des prix similaires à ceux pratiqués dans le commerce traditionnel, c’est-à-dire hors les gros distributeurs. "
Jeu éducatif cherche investisseurs… “Nous avons l’ambition de placer des jouets équitables dans plein de boutiques qui disent ne pas avoir la place pour ça.“
" Le commerce équitable a un avenir.
sensibilisation au commerce destiné aux
On est un peu comme le bio il y a une
enfants entre six et dix ans. Un prototype
vingtaine d’années. Ça bouge. Les gens
a déjà été fabriqué et testé. Il ne manque
sont intelligents et de plus en plus exi-
plus que 3.500 euros pour le produire.
geants ", analyse Isabelle Steenebruggen,
Le jeu sera produit au Sri Lanka. Une
qui a " l’ambition de placer des jouets
campagne de financement participatif
équitables dans plein de boutiques qui
sera lancée à la rentrée 2014 afin d’en
disent ne pas avoir la place pour ça ".
financer la production.
Elle a un autre rêve : produire un jeu de En savoir plus? www.lapachamama.be
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CAFÉ CHORTI
Entretien avec
Dimitri Lecarte
Garantir à de petits producteurs du Guatemala un juste revenu pour leur café et proposer aux consommateurs du nord un produit de qualité supérieure à un prix abordable : voilà le double défi de Café Chorti, une initiative de commerce équitable grâce à laquelle le produit passe directement du producteur à notre tasse, et qui fait de nous de vrais ‘consomm’acteurs’.
A la bourse du café de New-York, l’origine et la qualité de l’arabica du Guatemala en font l’un des cafés les mieux cotés. Et pour cause : c’est l’un des meilleurs cafés au monde. Mais ce n’est pas pour autant que les petits producteurs tirent de leur travail un revenu leur permettant de subvenir décemment à leurs besoins et d’avoir une chance de développer leur activité. Les Indiens chortis en ont fait l’amère expérience dans les années 90, lorsque tous les cours du café se sont effondrés. Mais paradoxalement, c’est sans doute cette adversité qui les a incités à chercher des issues qui leur permettent aujourd’hui de vivre correctement et d’envisager un avenir serein. Dès 1999, ils ont en effet décidé de mettre leur production en commun au sein d’une société coopérative, La Cuna Chorti. Présent sur place depuis 1994 pour mener différents projets de coopération, le Cinacien Dimitri Lecarte a été l’une des chevilles ouvrières de la coopérative. " Rapidement, nous nous sommes orientés vers le commerce équitable et notre structure s’est regroupée avec des coopératives qui étaient déjà actives dans le domaine. Nous avons profité de l’expérience
Café Chorti : le café équitable du Guatemala en ligne directe
des autres ", explique-t-il. La coopérative, c’était la meilleure manière de valoriser un café de qualité et aux arômes intenses, cultivé dans les collines à plus de 1.200 mètres d’altitude. C’était aussi, pour les producteurs, une manière de garantir un revenu minimum stable et deux fois plus élevé que celui perçu via les canaux habituels. Grâce à cela, ils ont pu enfin à la fois rentabiliser leur culture, redynamiser l’économie locale et investir
Interview réalisée par Alain De Bast
dans leur propre développement.
pour le Trade for Development Centre, décembre 2013.
49
"La coopérative est une structure qui ne
Des débuts difficiles
“L’objectif était de créer un lien direct entre le producteur chorti et le consommateur belge et européen.”
fait pas que produire et vendre du café. Elle permet aux plus petits de s’unir et de s’en sortir, aux enfants d’aller à
En 2006, Dimitri Lecarte et son épouse
l’école. Le café et sa vente, ce sont des
guatémaltèque sont rentrés en Bel-
outils pour parvenir à ces évolutions
gique pour constituer une société de
cruciales ", résume Dimitri Lecarte. Afin
commercialisation directe du café,
de commercialiser leur café, les mem-
dépendant directement de la coopéra-
A son arrivée sur le marché belge, Café
des produits équitables. F inalement, à
bres de La Cuna Chorti se sont associés
tive guatémaltèque. L’objectif était de
Chorti ne porte en effet pas de label du
force d’expliquer notre démarche et quel
avec la coopérative d’épargne et de crédit
créer un lien direct entre le produc-
commerce équitable, tout en se reven-
était notre projet sur place au Guatema-
Coosajo.
teur chorti et le consommateur belge
diquant équitable. " Faire grimper le prix
la, tout le monde a compris ce que nous
et européen. Mais les débuts ont été
pour avoir le label, ce n’était pas une so-
faisions. Aujourd’hui, nous sommes
tout sauf faciles ! " Notre idée était de
lution. Le fait de ne pas être labellisé nous
d’ailleurs membres de la BFTF, la Fédéra-
court-circuiter toute la chaîne com-
a certainement fermé des portes, mais
tion du commerce équitable ", explique
merciale en devenant des importa-
nous avons assumé ce choix. A nos yeux,
Dimitri Lecarte. Il est d’ailleurs convaincu
teurs-distributeurs, mais nous avons
grâce à notre commercialisation directe
que le commerce équitable a de beaux
rencontré plus d’oppositions que reçu
et notre contrôle de toute la filière, Café
jours devant lui, pour autant qu’il reste
de soutiens ", explique Dimitri Lecarte.
Chorti était peut-être le plus équitable
fidèle à ses origines et à ses processus.
50
De belles perspectives Le Cinacien, garde forestier de for-
Pour Dimitri Lecarte, les premières an-
mation, n’a pas vraiment un profil
nées difficiles qui ont suivi le lancement
commercial, et le démarchage dans
de la société de commercialisation dans
les grandes surfaces n’est pas son
notre pays semblent n’être aujourd’hui
point fort. D’ailleurs, il privilégie la
qu’un lointain souvenir. C’est avec
vente de Café Chorti aux particuliers,
optimisme et un enthousiasme bien à
dans les groupements d’achats et les
lui qu’il se tourne vers l’avenir, notam-
magasins spécialisés. " Ma vocation
ment grâce à l’essor actuel des circuits
première, c’est de mettre le producteur
courts auprès des consommateurs.
et le consommateur en contact, dans
"Je pense que la crise du lait de 2009 a
un climat de confiance qui apporte
ouvert les yeux de beaucoup de gens. Les
beaucoup plus de bénéfice au pro-
groupements d’achat ont commencé à
ducteur", dit-il avec conviction. Et la
se développer et j’ai sauté à pieds joints
qualité de son café est certainement
sur cette opportunité. Elle correspond
son atout majeur pour atteindre et
réellement à notre marché et à notre
fidéliser le consommateur. Outre la
clientèle. Avec ces circuits courts, je me
richesse intrinsèque du grain arabica
sens aussi personnellement dans mon
du Guatemala, elle est aussi le fruit
élément ". Cela n’a rien de surprenant,
d’un travail minutieux, qui comporte
car Café Chorti et les différents types
notamment une récolte manuelle, une
de circuits courts partagent une même
fermentation contrôlée, un séchage au
philosophie : créer un lien direct entre
soleil et une sélection rigoureuse des
producteurs et consommateurs, en sup-
grains. " Avec Café Chorti, les produc-
primant le plus possible les intermé
teurs sont aussi directement distribu-
diaires qui se sucrent au passage. " Café
teurs. Ils n’ont donc jamais été aussi
Chorti apporte la preuve qu’il est possible
motivés qu’aujourd’hui, parce que c’est
de vendre un café bio et équitable à un
le café qu’ils pouponnent durant toute
prix raisonnable. Il démontre par là même
l’année qu’ils vendent eux-mêmes ! "
aussi que dans l’industrie et les filières conventionnelles, les marges sont très conséquentes", observe Dimitri Lecarte.
51
Séchage du café chorti Café Chorti est fidèle de bout en bout à sa démarche : la torréfaction du café, lente et de tradition, est confiée aux Cafés St Médard, à Dinant, une petite entreprise familiale avec laquelle Dimitri Lecarte entretient davantage des relations amicales que commerciales. Quinze tonnes de café Chorti y sont torréfiées chaque année, mais les volumes pourraient rapidement augmenter. " J’ai vraiment le sentiment que nous sommes dans une phase
“ Faire grimper le prix pour avoir le label, ce n’était pas une solution.Le fait de ne pas être labellisé nous a certainement fermé des portes.”
charnière. Grâce au développement des filières courtes, qui cherchent
l’aventure de Café Chorti sous une au-
de nouveaux produits, je perçois des
tre forme : la sprl créée en 2006 s’est
possibilités de développement et un
transformée en coopérative à finalité
intérêt manifeste pour nos cafés. La
sociale depuis le 1er janvier 2014. Un
crise peut aussi provoquer un réveil
appel à coopérateurs sera lancé en
chez une partie de la population, qui
Belgique, pour que cette coopérative
est capable de prendre conscience du
regroupe à la fois les producteurs et
fait qu’une autre consommation est
des ‘consomm’acteurs’ de café Chorti
possible ". Il compte aussi sur cette
dans notre pays. Peut-on rêver de lien
prise de conscience pour poursuivre
plus étroit entre les deux?
En savoir plus? www.chorti.be
52
COULEURS SUD
Entretien avec
Serge Lenaerts
Couleurs sud, c’est le défi de deux enseignants qui, voici plus de dix ans, ont décidé d’ouvrir un magasin de produits équitables à Court-Saint-Etienne, dans le Brabant wallon. A leur clientèle de proximité, ils proposent des vêtements, des bijoux, de l’artisanat et une gamme variée de produits alimentaires. En toute convivialité.
Dès qu’ils poussent la porte de Couleurs sud, les clients du magasin se voient proposer une tasse de thé. C’est sans doute un détail, mais il en dit long sur l’idée que Serge et Nadia Lenaerts se font de leur magasin : il doit être un endroit chaleureux, détendu, où le conseil et l’échange sont érigés en principes incontournables. " Nous étions tous deux enseignants. Avant de se concrétiser, notre projet de créer une boutique de produits équitable a mûri pendant cinq ans, notamment au cours de voyages en Inde ", explique Serge Lenaerts. Auparavant, il avait déjà travaillé plusieurs années comme bénévole dans un magasin Oxfam, et avait été la cheville ouvrière d’un autre Magasin du Monde dans le collège bruxellois où il enseignait. Pour lui, le commerce équitable était donc une préoccupation de longue date En contact avec des artisans bijoutiers en Inde, Serge et Nadia comptaient initialement ne proposer que ces produits, et combiner cette activité avec leur métier d’enseignant. Après avoir pris conseil auprès de personnes actives dans le commerce, ils ont toutefois décidé d’ajouter les vêtements et l’artisanat à leur gamme de produits. " Avec les bijoux, nous aurions eu une grosse demande au moment des fêtes, mais des périodes creuses durant le reste de l’année. La diversification
Couleurs sud : éthique et convivialité
exigeait de plus gros investissements et un plus grand magasin, ainsi que la mise sur la table de fonds propres, mais c’est l’option que nous avons choisie ", raconte Serge Lenaerts. Après une année de congé sans solde, destinée à prendre des cours de gestion, à faire les démarches auprès de fournisseurs et à acheter le magasin, le moment était venu d’ouvrir Couleurs sud.
Interview réalisée par Alain De Bast pour le Trade for Development Centre, décembre 2013. 54
Une grande variété d’articles Depuis décembre 2002, le magasin
Aujourd’hui, on trouve à Couleurs sud
est niché à deux pas de la gare de
une grande variété d’articles du com-
Court-Saint-Etienne. Avec ses couleurs
merce équitable, solidaire ou éthique:
chaudes, sa musique relaxante et sa
de l’artisanat, des bijoux en argent et
grande diversité de produits équitables, il
de fantaisie, des objets de décoration
est une véritable invitation à la curiosité.
et des produits alimentaires. Les vête-
Ici, on prend le temps, on tâte, on sent, on
ments occupent une grande partie du
discute. " Notre but n’était pas d’ouvrir
magasin et viennent principalement
un commerce comme les autres, mais
d’Inde et du Népal, tandis que les au-
de promouvoir l’équitable et le bio. Notre
tres articles ont des provenances di-
démarche est donc différente de celle
verses : Equateur, Namibie, Indonésie,
d’un commerçant qui ne recherche que
Afrique saharienne… Les bijoux en
la rentabilité ", explique Serge Lenaerts.
argent proviennent quant à eux d’une coopérative de femmes au Mexique. La fourniture de tous ces articles passe
leur cause, seuls l’écotourisme et l’ar-
par des acteurs reconnus du commerce
tisanat leur procuraient des rentrées
équitable, mais découle parfois aussi
financières."
de contacts directs que Serge et Nadia
“Notre démarche est donc différente de celle d’un commerçant qui ne recherche que la rentabilité.“
nouent avec les producteurs lors de
Outre les produits équitables du Sud,
l’occasion des fêtes ou des anniversai-
leurs voyages. " Nous nous sommes
le magasin propose aujourd’hui aussi
res ". La crise s’éternise et les gens ont
par exemple rendus en Equateur, où
des produits du Nord, essentiellement
aujourd’hui encore visiblement plus de
nous avons logé dans un village dont
alimentaires. Les bières locales (une
mal à acheter des pièces plus coûteuses,
les habitants fabriquent de la poterie
septantaine au total) en font partie, de
comme des vêtements. Le développe-
très fine, réalisée avec des méthodes
même que les vins ou les huiles des ré-
ment, lent mais constant, du commerce
ancestrales. Une autre tribu y réalise
gions méditerranéennes. " C’est à partir
équitable rend quant à lui plus aisée la
des bijoux en graines. Nous avons
de 2008 que nous avons étoffé cette
mise à disposition de produits, alimen-
acheté les produits de ces villageois
gamme alimentaire, parce qu’en raison
taires notamment. " Nous sommes plus
pour les soutenir, car leur territoire est
de la crise, les gens se rabattaient plutôt
nombreux qu’il y a quelques années à
envahi par des compagnies pétrolières.
sur les petits cadeaux alimentaires
promouvoir le commerce équitable et
Pour payer leurs avocats et plaider
que sur des vêtements, plus onéreux, à
nous travaillons davantage en synergie
55
qu’en concurrence. Nous proposons des
d’autant que la qualité est meilleure,
marque d’intérêt pour un autre type de
ils ont donc aussi d’autres valeurs à nous
produits similaires, et puisque nous
notamment au niveau de la teinture et
commerce est certainement une source
transmettre. C’est peut-être ce que nos
ne sommes pas forcément actifs dans
de la résistance des fibres ", constate
de motivation pour le couple. " Dans nos
clients recherchent lorsqu’ils achètent
les mêmes régions, cela ne pose pas de
Serge Lenaerts.
pays occidentaux, nous avons parfois la
ces objets qui viennent de très loin : un
prétention de croire que nous apportons
échange de culture qui nous permet de
problèmes de concurrence. Cela facilite par contre la recherche des produits
Selon lui, à terme, les commerces qui
notre modèle de développement aux pays
progresser ". Assurément, Serge et Nadia
et le fait que ceux-ci soient proposés
proposent des produits équitables et
du Sud. Le commerce équitable démont-
puisent également dans ces valeurs
par différents acteurs les crédibilise ",
bio travailleront encore davantage en-
re que les producteurs du Sud ont un
toute leur motivation. " On a le senti-
observe Serge.
semble, pour proposer une offre globale
modèle de société et des structures qui
ment de contribuer à faire progresser la
fonctionnent, qui respectent la nature.
société", résume Serge Lenaerts.
Ce sont certes des structures modes-
“Nous sommes plus nombreux qu’il y a quelques années à promouvoir le commerce équitable et nous travaillons davantage en synergie qu’en concurrence.”
Equitable et bio, indissociables
cohérente aux clients. " L’idéal, ce serait d’avoir de petits magasins de q uartier qui proposent tous ces produits. C’est un modèle social et économique cohérent, contrairement à la logique des grandes
Chez Couleurs sud, la gamme alimen-
surfaces ". Par la force des choses, le
taire est résolument biologique. Pour
commerce équitable Nord-Nord est
Serge et Nadia, équitable et bio sont
également amené à se développer.
indissociables dans leur démarche et les deux dimensions vont de pair,
Au fil des ans, Serge et Nadia ont pu
pour l’alimentaire comme pour le reste
constater une attitude de plus en plus
d’ailleurs. " J’en veux pour exemple
positive des gens vis-à-vis du commerce
l’exploitation du coton en mode non
équitable. " On sent qu’ils sont solidai-
bio. Elle est catastrophique pour les
res avec la cause. La preuve en est que
gens et pour l’environnement, eu égard
notre fichier de clients s’allonge sans
aux quantités de pesticides utilisées. Il
arrêt", remarque Serge. Même si le chiffre
faut donc davantage d’alternatives bio,
d’affaires ne suit pas forcément, cette 56
tes, mais sur lesquelles nous pouvons
En savoir plus?
prendre exemple. Au-delà du commerce,
www.couleurs-sud.eu
FAIRYTALE
Entretien avec
Barbara Brugmans
Femme de cœur dotée d’une énergie hors du commun, Barbara Brugmans apporte à sa manière sa pierre à l’édifice de la coopération avec et au profit des femmes aux quatre coins du monde. Il y a tout juste dix ans, elle a créé sa propre boutique en ligne de dragées équitables. En 2010, ses efforts se sont vus récompensés par l’obtention d’un Be Fair Award par le Trade for Development Centre. Dans le grand hall de Bruxelles-Central, je n’ai point besoin d’aide pour repérer Barbara Brugmans : c’est cette dame entourée de bagages débordant de babioles et de colifichets des quatre coins du monde. " Lors de notre quête d’un nouveau produit équitable, mes amis et moi avons eu l’idée de nous concentrer sur le secteur de la petite enfance. La tradition bien ancrée chez nous, en Flandre, de distribuer des dragées à l’occasion des naissances nous a semblé un point de départ idéal. Comme il n’est pas donné à tout le monde de soutenir une bonne œuvre plutôt que de déposer une liste de naissance, j’ai souhaité combiner dragées et bonne œuvre. "C’est ainsi que l’ASBL Fairytale a vu le jour. Barbara s’y dévoue pleinement, contre un salaire minimum de mi-temps. Applique-t-elle des critères spécifiques dans la recherche de collaborations avec
Fairytale: petits cadeaux équitables pour toutes les occasions
des projets étrangers ? " Je ne me rends pas personnellement dans tous les projets; souvent, ce sont les rencontres avec les gens du circuit qui débouchent sur une collaboration. Elles permettent de repérer rapidement les projets durables, ceux qui évoluent positivement. Car ils ne sont pas tous à même de rassembler et de former les femmes, ni de fabriquer et d’organiser le transport de produits de qualité."
Interview réalisée par Sara Vercauteren pour le Trade for Development Centre, février 2014. 58
Poupées et oiseaux porte-bonheur Comme il était hors de question, pour
" Je travaille entretemps avec six or-
indienne Opus III, un autre groupement
mes besoins que ceux des femmes loca-
Barbara, de dépendre de subsides et
ganisations du quatrième pilier* avec
de femmes, qui confectionne de petits
les. Étant donné que la vie est devenue
de sponsors, elle a décidé d’investir
des projets situés aux quatre coins du
oiseaux porte-bonheur. Les recettes sont
plus chère ces dix dernières années, les
elle-même des fonds dans les projets.
monde. L’un d’entre eux est, par exemple,
destinées à des écoles, des maisons
salaires doivent par exemple augmenter.
" Une connaissance habitant au Kenya
la fondation Mama Alice, qui accueille
communautaires et des centres de santé.
Mais ils doivent aussi rester proportion-
m’a mise en contact avec une école si-
et accompagne les enfants des rues
tuée à Kibera, un bidonville de Nairobi.
en retard scolaire. Ce sont les mamans
"Le commerce équitable ne fonctionne
de nuire à l’économie locale. L’on pourrait
Nous avons lancé un appel pour créer
de ces enfants qui confectionnent nos
qu’à condition d’être sûr que l’argent va
bien sûr comparer les salaires de ces
un groupement de femmes, et organiser
poupées porte-bonheur, un travail pour
à ceux qui en ont besoin. " Barbara est
femmes à ceux versés en Flandre et en
la production et le transport jusqu’en
lequel elles reçoivent un salaire équita-
bien consciente de la difficulté de cette
déduire que le fossé est encore énorme,
Belgique d’arbres de vie artisanaux.
ble. Leur contribution au revenu fami-
démarche. " Dans le projet mis en œuvre
mais, dans leur contexte spécifique, ils
C’est moi qui me charge ensuite de la
lial leur permet en outre de gagner en
au Kenya, c’est une Kenyane qui veille
sont tout à fait équitables. Nous avons
vente et du marketing. Les femmes tou-
confiance en soi et d’avoir davantage
sur place à la rémunération correcte des
opté pour un paiement à la pièce pour
chent un salaire décent et les bénéfices
voix au chapitre chez elles. Qui plus est,
femmes. Elle a fait ses études à Louvain,
ces femmes. Il y a en effet différents
vont à un projet en faveur des enfants. "
les enfants ne doivent plus chercher à
habite au Kenya et parcourt le monde
facteurs dont nous devons tenir compte:
gagner quelques sous dans la rue. " Un
avec sa collection de bijoux. Elle peut
il s’agit pratiquement toujours de fem-
autre de nos partenaires est l’association
donc appréhender correctement tant
mes socialement défavorisées, avec des
nels et raisonnables, sinon ils risquent
* "Le quatrième pilier de la coopération au développement comprend tous les acteurs et initiatives (…) dans le domaine du dé-
“Nous avons opté pour un paiement à la pièce pour ces femmes. Il s’agit pratiquement toujours de femmes socialement défavorisées, avec des enfants, qui ne travaillent pas à temps plein pour le projet.”
veloppement et qui n’appartiennent ni à la coopération gouvernementale bilatérale reconnue (premier pilier) ni à la coopération gouvernementale multilatérale reconnue (deuxième pilier) ni à la coopération non gouvernementale reconnue par le gouvernement (troisième pilier) avec le Sud" (De Bruyn T. et Huyse H., De vierde pijler van ontwikkelingssamenwerking. Voorbij de eerste 59
kennismaking, VAIS, Brussel, 2009)
enfants, qui ne travaillent pas à temps
trafic maritime, les très stricts con-
plein pour le projet. Ainsi, lorsque la
trôles de contrebande d’ivoire… Je n’ai
pluie est suffisamment abondante, elles
pas d’autre choix que de me résigner,
travaillent aussi dans les champs pour
mais ce n’est pas de gaieté de cœur.
assurer leur subsistance. " Dans le souci
Ma clientèle, qui se compose majori-
de vérifier si les autres projets versent
tairement de femmes enceintes, ne
un salaire décent à leurs travailleurs,
peut pas toujours attendre. Certaines
Barbara analyse les rapports annuels et
commandent longtemps à l’avance,
entre en contact avec les chefs de projet.
mais d’autres pas et cela peut tourner
Un revenu propre
au drame. " En ce qui concerne les conditions de
" Grâce à mon contact au Kenya, tout
vie des femmes, il reste, selon Barbara,
marche généralement comme sur des
encore un long chemin à parcourir. Pour-
roulettes. Mais quand elle n’est pas là,
tant, bien des choses ont déjà changé
il arrive que nous recevions des con-
puisque, grâce au projet, les femmes sont
teneurs d’arbres de vie ou de petits
aujourd’hui en mesure d’envoyer leurs
paniers tout de travers, trop petits, ou
enfants à l’école. Et Barbara d’insister
mal peints... Et dans ce cas, je dois tout
sur l’importance de cet acquis : " C’est
réparer moi-même. Il est même déjà
bien grâce au fait que leurs enfants vont
arrivé que des sacs entiers de paniers
à l’école qu’elles peuvent se sortir du
aient été mangés par les termites. Je
cercle vicieux de la pauvreté ! En octobre
verse malgré tout les salaires, mais je
2013, je me suis encore rendue sur place
n’ai alors rien à vendre. Parfois aussi,
au Kenya. Nous laissons les femmes
nous sommes confrontés à des pro-
choisir en toute liberté de l’affectation
blèmes d’expédition des conteneurs, ces derniers pouvant ainsi arriver avec un mois de retard. Les raisons en sont multiples : la piraterie qui ralentit le
“Les clients ne doivent pas être incités à acheter mes produits parce que l’emballage des dragées est équitable ; c’est un atout, bien sûr, mais le produit doit en première instance leur plaire.” 60
des revenus de la vente des arbres de vie ; nous ne leur imposons rien. Elles les consacrent bien entendu en premier lieu à leur logement et à l’alimentation.
Le commerce équitable comme norme
La première fois que je suis allée au
Que le commerce équitable doive être la
À l’avenir, Barbara compte élargir l’offre
règle et non l’exception ne fait pas l’om-
équitable et donc aussi la part de marché
bre d’un pli pour Barbara. " Le commerce
de l’équitable. " Afin d’être en mesure
équitable devrait être accepté partout et
de vendre des articles plus originaux et
par tous, et seuls les produits qui en sont
plus tendance, j’aimerais entamer une
Kenya, la famine faisait rage dans la
Un produit équitable n’implique pas
issus devraient être disponibles sur le
collaboration avec un développeur de
région où sont confectionnés les petits
nécessairement un prix plus élevé,
marché. Même si la situation actuelle est
produits. Fairytale pourrait ainsi évoluer
paniers. Ceux qui n’ont pas de revenus
estime Barbara. " Les clients ne doivent
la conséquence de l’économie de marché,
vers l’entrepreneuriat social. Je songe
dépendent entièrement de ce qu’ils par-
pas être incités à acheter mes produits
il est fort regrettable que les autorités
éventuellement aussi à rester plus près de
viennent à cultiver ; partant, lorsque
parce que l’emballage des dragées est
ne promulguent pas plus de lois ou de
chez moi, et à travailler avec des femmes
les récoltes sont mauvaises, ils n’ont
équitable ; c’est un atout, bien sûr,
règlements imposant le commerce équi-
socialement en difficulté en Flandre. "
tout simplement pas de quoi se nourrir.
mais le produit doit en première in-
table. Finalement, en Occident aussi, les
Grâce au projet, les femmes peuvent
stance leur plaire. Je vends aussi mes
travailleurs se révoltent si on touche à
confectionner les paniers et acheter de
produits aux Pays-Bas, où la tradition
leur salaire. Malheureusement, le com-
la nourriture avec les bénéfices. Elles
des dragées n’existe pas. Ils y sont es-
merce équitable est aujourd’hui encore
investissent aussi une partie des reve-
sentiellement utilisés pour des cadeaux
trop souvent associé à des produits
nus dans la communauté, p. ex. dans la
d’anniversaire ou à d’autres occasions.
alternatifs, une image dont il doit abso-
En savoir plus?
construction d’une petite église. Pour
Les articles Fairytale peuvent en effet
lument s’affranchir. "
www.fairytale.be
elles, c’est très important de disposer
servir non seulement d’emballage pour
de leur propre église, car auparavant, il
des dragées, mais aussi en guise de
leur fallait une heure pour atteindre la
petits cadeaux à d’autres occasions,
communauté religieuse la plus proche. "
telles que des anniversaires, des mariages, des communions… "
“J’aimerais entamer une collaboration avec un développeur de produits. Fairytale pourrait ainsi évoluer vers l’entrepreneuriat social.” 61
ANA EDELSMID
Entretien avec
Ana Kindermans
Installée au cœur de l’environnement boisé d’ Heusden-Zolder, Ana Kindermans conçoit dans son atelier des bijoux réalisés en or équitable. Ana fait figure de pionnière : elle est en effet la première créatrice belge à avoir opté pour de l’or produit de façon équitable. C’est en Amérique latine qu’Ana a attrapé le virus de la création de bijoux. " À l’époque, alors que je recherchais un nouveau défi à relever et m’envolais pour un stage au Nicaragua, une amie m’a offert du matériel pour créer des bijoux. Elle savait que j’allais beaucoup en rencontrer là-bas et pensais que je pourrais apprendre de nouvelles choses. En quête d’une solution alternative au fil utilisé pour les boucles d’oreilles, mais auquel bon nombre de personnes sont allergiques, je me suis retrouvée dans un atelier regroupant des forgerons de différents pays. Je n’avais pas la moindre idée s’ils pouvaient faire du fil, mais avant que j’aie eu le temps de dire ouf, l’un d’entre eux avait commencé à tirer un fil d’un bloc d’argent. Fascinant! J’ai eu la chance de pouvoir travailler un mois durant dans cet atelier. De retour en Belgique, je savais parfaitement ce que je voulais faire ; je me suis donc lancée immédiatement dans une formation en orfèvrerie. " Ana a peu à peu développé son activité : " Ce que je trouve chouette, c’est que les clients viennent parfois simplement pour des bijoux et qu’ils repartent avec de l’or équitable. Certains d’entre eux ne savent même pas ce que cela signifie. Une partie de la clientèle fait le choix délibéré d’acheter équitable ; ils viennent parfois de loin. D’autres viennent spécialement pour mes créations, et j’espère qu’ils considèrent comme une plus-value le fait que je travaille uniquement avec de l’or équitable. "
Ana Edelsmid: bijoux en or équitable Interview réalisée par Lene Van Langenhove pour le Trade for Development Centre, février 2014. 63
À la recherche d’un fournisseur Au début de sa carrière, Ana travaillait
À l’heure actuelle, il n’y a toujours pas de
encore à temps partiel dans des ONG
fournisseur d’or équitable en Belgique.
telles que Vredeseilanden et Max Ha-
Ana achète toujours son or chez un gros-
velaar. Elle avait bien conscience de la
siste hollandais qui le commande chez
problématique dans les mines, mais se
Oro Verde, une coopérative certifiée de
sentait tiraillée : " Je créais de belles
Colombie. Toujours en quête d’un mode
choses pour des moments privilégiés,
de vie plus durable, Ana est satisfaite de
mais je travaillais dans le même temps avec une matière première extraite dans de bien moins belles conditions. " Lorsqu’elle a entendu parler d’or équitable chez Max Havelaar, cela a tout de suite piqué sa curiosité et elle s’est mise à suivre de près les évolutions. L’or équitable a finalement fait son apparition sur le marché en Grande-Bretagne, puis aux Pays-Bas, mais en obtenir en Belgique n’était pas vraiment une sinécure. Ana faisait déjà des achats
“Ce n’est pas tellement un choix d’ordre économique ; si vous ne le faites pas avec conviction, mieux vaut arrêter.”
auprès d’un grossiste néerlandais et, fort heureusement, celui-ci s’est aussi
ce label : " Ce n’est pas tellement un choix
lancé dans l’aventure équitable. Un
d’ordre économique ; si vous ne le faites
autre défi de taille s’est ensuite posé:
pas avec conviction, mieux vaut arrêter.
obtenir le label Max Havelaar pour ses
Vous payez plus pour l’or, le processus
bijoux." Cela n’a pas été une mince
de certification coûte un pont et je ne
affaire, comme j’étais la première en
parle même pas de la paperasserie. Mais
Belgique. Les démarches ont pris une
c’est mon truc. " Ana n’a pas fait le choix
année environ. "
du commerce équitable pour proposer
64
quelque chose de différent’. " Bien sûr, il faut aussi que des gens entrevoient un créneau dans le marché, mais pour moi, ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Pour le moment, d’un point de vue commercial, cela ne vaut pas la peine de se lancer dans l’aventure. "
L’ensemble de la filière doit suivre Ana collabore également avec Catapa,
doit satisfaire aux différents critères.
une organisation qui sensibilise la po-
Les exploitants miniers ont consenti
pulation à la problématique de l’exploi-
de lourds investissements dans cette
tation minière. Lorsqu’elle a entendu
optique et ils s’attendent donc à un
parler de leur projet GOUD:EERLIJK? à
chiffre d’affaires plus conséquent. "Et
Gand, elle a entamé des discussions
c’est bien dommage, car si les mines
avec la commune de Heusden-Zolder
ne vendent pas suffisamment d’or
dans le Limbourg, discussions qui ont
équitable, elles vont jeter l’éponge. "
débouché sur un projet avec de nom-
“Par contre, pour l’extraction d’or équitable, une attention toute particulière est accordée à l’aspect environnemental... Je trouve cela très bien et peut-être même plus important encore qu’un ‘salaire décent’.”
breux partenaires. Grâce à ses bonnes
Aussi, Ana juge particulièrement im-
relations avec Catapa, Ana a été par la
portant qu’arrivent sur le marché des
suite conviée à une réunion à Londres
créateurs de bijoux qui se font certifier
avec les responsables sud-américains
et qui optent pour l’or labellisé Fairtrade:
de mines. Ils ont abordé l’avenir et
"Force m’est de constater que ce n’est pas
prendre ce problème à bras-le-corps
la plupart des bijoutiers achètent des
les problèmes liés à l’extraction d’or
là une priorité pour Fairtrade Belgium
et analyser en profondeur les rouages
produits semi-finis ou créent des mou-
équitable. Ce qu’Ana en a essentielle-
(anciennement Max Havelaar), mais
du secteur aurifère, le trajet depuis la
les qu’ils utilisent plusieurs fois par la
ment retenu, c’est que seul un faible
bon, ils ne peuvent pas être sur tous
matière première jusqu’au produit fini,
suite. Si vous voulez atteindre un chiffre
pourcentage du minerai extrait peut
les fronts. Je crains toutefois que cela
les intermédiaires. Ma filière est très
d’affaires plus élevé avec de l’or équita-
être vendu à des conditions équitables,
ne compromette l’avenir de ce type de
courte : j’achète de la matière première
ble, il faut investir dans la certification
alors que la mine dans son ensemble
commerce équitable. Quelqu’un devrait
et je la transforme en produit fini, mais
des fonderies. "
65
Ana se heurte fréquemment à une mon-
dans l’aventure de l’or équitable pour que
pour l’extraction d’or équitable, une at-
tisation de nos propres mines d’or. Je
tagne de paperasse. " En ma qualité
ce dernier puisse se faire une place sur
tention toute particulière est accordée
donne d’ailleurs des formations à cet
d’orfèvre, je souhaite avant tout travailler
le marché. À l’instar des bananes équi-
à l’aspect environnemental en limitant
égard avec Catapa. Lors du Dag van de
dans mon atelier. En plus de ma compta-
tables qui ont gagné leurs galons dans
notamment l’utilisation de mercure et
Ambachten (La Journée de l’Artisan), les
bilité, je me débats à présent aussi avec
les rayons des supermarchés. "
de cyanure de même qu’en récupérant
visiteurs ont pu visiter l’atelier et nous
des tas de démarches administratives
et recyclant l’eau polluée. Je trouve cela
leur avons donné des informations sur la
pour Fairtrade Belgium. Quel dommage
très bien et peut-être même plus im-
problématique de l’exploitation minière
que l’idéologie du commerce équitable
portant encore qu’un ‘salaire décent’.
dans le Sud et l’importance du recyclage. "
se traduise pour moi par tout un systè-
Et l’écologie dans tout cela ?
À quoi cela vous avance-t-il en effet d’avoir de l’argent si le sous-sol est
Ana met toujours la barre plus haut et
soutien au niveau du contenu ! Dans sa
pollué, s’il n’y a plus d’eau potable, si
déborde d’idées. Vu que bien souvent,
conception actuelle, tout reste bloqué au
les animaux tombent malades"
ses clients viennent de loin – comme
me de contrôle sur papier et bien peu de
niveau des orfèvres comme moi, mais,
S’il reste beaucoup à faire pour amé-
avec mon demi-kilo d’or par an, je ne fais
liorer les conditions de travail dans le
" Notre montagne de déchets vaut une
ment choisir ses alliances –, Ana est
pas vraiment la différence pour ces mi-
secteur minier, la pollution environne-
petite fortune. L’or contenu dans 200
en train d’élaborer un arrangement à la
nes certifiées. Un chiffre d’affaires plus
mentale est tout aussi problématique.
GSM suffit à produire une nouvelle bague
fois durable et local. En font déjà partie :
conséquent est absolument nécessaire. Il
L’or est majoritairement extrait à l’aide
en or. À mes yeux, il est très important
B&B moka&vanille, le négociant en vins
faut que davantage d’acteurs se lancent
de mercure et de cyanure. " Par contre,
de miser sur le recyclage et la conscien-
‘maison simple’, un boulanger artisanal,
ce couple de Poperinge venu récem-
cc Muze et Ana Edelsmid. Les clients peuvent visiter l’atelier, commander un bijou, manger un petit bout, faire une dégustation de vin équitable, profiter de la culture et passer la nuit dans un B&B au beau milieu de la nature. Un petit weekend à deux pour demander votre partenaire en mariage et choisir dans la foulée une bague unique, qu’y a-t-il de plus romantique ? En savoir plus? www.ana-edelsmid.be
66
BIODIA
Entretien avec
Nils Mouton (agriculteur) Mieke Lateir (Biosano)
Une exploitation agricole où trois générations se partagent le travail, c’est presque devenu une curiosité. C’est le cas de De Zwaluw à Lovendegem, qui conjugue également innovation et vision à long terme avec une manière équitable et écologique de travailler. Un partenaire rêvé donc pour le grossiste en alimentation bio, Biosano, qui produit, sous le label Biodia, du lait et du chocolat au lait équitables. Se retrouver, à 21 ans, à la tête d’une grande exploitation agricole, ce n’est pas vraiment donné à tout le monde. Et pourtant, Nils Mouton ne se vante pas le moins du monde de son saut de carrière. " J’ai repris la ferme de mon père en 2010. Je suis déjà la quatrième génération consécutive à le faire. Pour l’heure, tant ma grand-mère que mes deux parents, ma compagne et moi-même, nous travaillons ensemble. C’est un peu comme s’il existait une sorte de coopérative au sein de la famille. Sans eux, je n’aurais pas pu tenir le coup. " Jusqu’en 1998, De Zwaluw était une exploitation agricole ‘conventionnelle’, mais un concours de circonstances nous a amenés à opter pour des produits bios. "Cette décision a été notamment dictée par les cas de peste porcine diagnostiqués dans une ferme proche de la nôtre, ce qui s’est soldé par la destruction des porcs, y compris des nôtres. Cet évènement a poussé mon père à repenser sciemment notre mode de production. Comme il fait preuve d’un grand esprit d’ouverture face à l’innovation, il est de même persuadé que, lors qu’une méthode de production
Biodia: des pâtes italiennes équitables au lait belge équitable
n’est plus rentable ni fonctionnelle, il faut l’adapter. Et bien qu’en tant que ferme bio, nous ne soyons par la suite pas nécessairement à l’abri de ‘nettoyages’ éventuels, il s’est tout de même engagé dans cette voie."
Interview réalisée par Sara Vercauteren pour le Trade for Development Centre, février 2014. 68
Modèle de calcul des prix En Belgique, l’idée de réaliser quelque
compte de l’ensemble des maillons de
chose de similaire a peu à peu fait son
la chaîne. Si l’un d’entre eux éprouve des
chemin. À cette époque, Mieke Lateir
difficultés suite à des circonstances im-
travaillait pour Vredeseilanden. " Nous
prévues, les autres doivent faire preuve
avons fondé Biodia en nous basant sur
de respect. Cela permet de garantir le
l’exemple des agriculteurs, producteurs
financement de chaque entreprise et à
de pâtes. Vredeseilanden a ensuite rédi-
chacun de poursuivre sa vision et ses
gé un cahier des charges reprenant en
activités. Personne ne travaille pour rien,
détail le calcul des prix. Biodia entend
n’est exploité, ni lésé. C’est la raison pour
payer aux fournisseurs de lait un prix
laquelle nous refusons de collaborer avec
équitable, dans l’espoir que d’autres
des agriculteurs qui appliqueraient des
acheteurs lui emboîteront le pas. Le
marges trop importantes. Le prix courant
De Zwaluw est l’un des 24 membres
Biodia, un projet de Biosano, est l’un de
prix est notamment déterminé sur base
est équitable, parce qu’il tient com
de la Coopérative BioMelk Vlaanderen.
leurs partenaires et acheteurs réguliers de
d’un modèle de coût mis au point par
pte des frais de production de chaque
Chaque année, elle récolte auprès de ses
lait. Mieke Lateir, responsable chez Biosa-
l’expert Wim Govaerts. Chaque année,
membre de la coopérative pour produire
membres quelque 6 millions de litres
no, lève le voile sur l’histoire de ce grossiste
nous recalculons le prix. En 2011, il s’é-
du lait et non sur les pourcentages de
de lait qu’elle transforme et transporte
en produits d’alimentation bio. " Biodia a
levait ainsi à 44,52 eurocentimes par
marges. " Et Mieke Lateir d’ajouter : " Dans
en collaboration avec l’ensemble des
vu le jour en partie suite aux collaborations
litre de lait ; cette année, il est monté
ce contexte, Biosano obtient lui aussi un
fermiers. Ils unissent ainsi leurs efforts
nouées par le chef d’entreprise, Lode Spe-
à 45,10 eurocentimes le litre. Cette
prix équitable pour son lait transformé.
en vue d’obtenir un prix équitable pour
leers, avec des agriculteurs italiens. Il fait
hausse est dictée par des coûts très
le lait en commercialisant ensemble une
ainsi affaire, depuis un certain temps déjà,
concrets, notamment une augmen-
partie du produit. Un nombre extrême-
avec une centaine de producteurs de pâtes
tation du prix du foin. Nous ne nous
ment élevé d’agriculteurs combinent
qui déterminent leur prix sur base de leurs
basons pas que sur ce modèle ; les
cette méthode avec la transformation
coûts de production et de la quantité de
agriculteurs sont eux aussi impliqués
et la vente au sein de leur exploitation,
céréales récoltée, indépendamment des
et ont leur mot à dire. "
car c’est pour eux la meilleure manière
prix du marché mondial. Leur prix inclut
de valoriser leur lait et de nouer un lien
de même des marges de risques qui protè-
Nils Mouton est un fervent défenseur de
avec les consommateurs.
gent les coopératives contre, par exemple,
ce modèle de calcul du prix et, partant,
de mauvaises récoltes imputables aux
du commerce équitable. " Le caractère
conditions climatiques. "
unique de ce concept, c’est qu’il tient
69
“Biodia entend payer aux fournisseurs de lait un prix équitable, dans l’espoir que d’autres acheteurs lui emboîteront le pas.”
Une fois encore, celui-ci est basé sur les
à Gand. C’est là une situation Win-Win :
de problèmes aux pattes. Pour nous, ce
coûts de production et tient compte des
la nature est entretenue et nous en reti-
modus operandi est fructueux à long
frais de transport et de commercialisa-
rons dans le même temps un bénéfice.
terme, car les animaux vivent plus long-
tion, ce qui est beaucoup plus équitable
En plus, c’est une chouette vue pour les
temps, nous devons investir moins en
que les pourcentages de marges. "
promeneurs. Grâce au pâturage naturel,
termes d’hommes/heure et nous pou-
je suis à présent capable de garder 300
vons donc utiliser ces heures gagnées
moutons, car ce mode opératoire n’en-
pour nos autres activités. Grâce à la
traîne pas de coûts liés aux clôtures, à un
répartition des recettes, nous ne nous
bail emphytéotique, etc. Cela ne rapporte
retrouvons de surcroît jamais vraiment
en effet rien de faire paître des moutons
en difficulté, lorsqu’une des activités est
sur des terres agricoles. "
moins florissante. Outre la production
Opter pour la durabilité
laitière, dont nous transformons une La durabilité, c’est bien plus que le sim-
Chaque choix posé en faveur de la du-
partie ici et dont l’autre est achetée par
ple commerce équitable ; le cahier des
rabilité a également une conséquence
la coopérative, nous cultivons des légu-
charges de Biodia intègre donc un très
économique, souligne Mieke Lateir. Se-
mes et nous élevons des moutons et des
grand nombre d’autres critères de du-
lon elle, la différence majeure avec les
cochons. Un agriculteur bio, avec lequel
rabilité, notamment l’encouragement
entreprises " conventionnelles ", c’est
nous avions un accord de coopération,
à utiliser des protéines locales et, à
la vision à long terme caractérisant
nous a un jour offert un prix bien trop bas
compter de 2015, la réduction de l’usage
les entreprises équitables. " En 2012,
pour nos légumes. Aussi, plutôt que de
d’antibiotiques ainsi que la promotion
les prix du lait étaient bas et ceux des
les vendre sous le prix du marché, nous
de la biodiversité ", explique Mieke Lateir.
aliments concentrés extrêmement éle-
avons décidé d’en faire de la nourriture
Et Nils Mouton de donner un exemple
vés. Nous avons alors décidé de donner
pour notre bétail. Nous préférons opter
concret : " Outre l’autorécolte de nos
essentiellement aux vaches de l’herbe
pour une solution durable. "
légumes et notre élevage bio de bétail,
et du trèfle séchés (fourrage grossier)
nous appliquons aussi la technique du
avec, en complément, un minimum de
La situation est claire pour Nils Mouton :
pâturage naturel, en collaboration avec
concentrés. La production laitière était
une entreprise ne peut connaître le succès
l’Agentschap voor Natuur en Bos et la
certes nettement inférieure, mais bien
de génération en génération que si elle
ville de Gand. En d’autres termes, nous
moins onéreuse. En outre, les vaches
travaille de façon durable. " Si De Z waluw
faisons paître nos bêtes, dans ce cas
étaient beaucoup plus fertiles, ce qui
garde ce cap, mes enfants p ourront eux
des moutons, dans des zones naturelles
réduisait d’autant les efforts d’insémi-
aussi reprendre l’entreprise l’esprit tran-
créées ou existantes, comme les berges
nation. Elles s’épuisaient par ailleurs
quille et poursuivre ses a ctivités. "
de la Coupure et de la Watersportbaan
moins rapidement et présentaient moins
“Outre la production laitière, dont nous transformons une partie ici et dont l’autre est achetée par la coopérative, nous cultivons des légumes et nous élevons des moutons et des cochons.Grâce à la répartition des recettes, nous ne nous retrouvons de surcroît jamais vraiment en difficulté, lorsqu’une des activités est moins florissante.” En savoir plus? www.biosano.be
70
LEUVENS WERELDCAFÉ
Entretien avec
Peter Raymaekers
Tout en sirotant une Mongozo, une petite bière équitable africaine à base de banane, Peter Raymaekers lève un coin du voile sur les principes directeurs du Wereldcafé de Leuven, un concept unique qui existe en fait depuis dix ans déjà. Le secret de cette réussite? L’ alliance surprenante entre une entreprise sous la forme d’une coopérative et une association soutenue par près de nonante volontaires. Une année durant, les fondateurs ont organisé des séances de brainstorming, mené des exercices de réflexion et élaboré des plans de vision. Et, en 2004, le Wereldcafé de Leuven a ouvert ses portes à la Bondgenotenlaan, nous confie, fier comme Artaban, Peter Raymaekers, président du Conseil d’administration. " L’idée vient d’un cofondateur inspiré par les cafés (coffee bars) Fair Trade canadiens. Son objectif était d’introduire ce concept à Leuven. Les principes fondamentaux définis à l’époque sont toujours applicables : nous entendons, en première instance, vendre des produits équitables du Sud, mais dans le contexte "accessible à tous" d’un café-restaurant. " " Pour la confection de nos plats, nous collaborons notamment avec des entreprises d’économie sociale. Ainsi, nos quiches sont, par exemple, livrées par le Centre de jour De Wroeter à Kortessem. Les travailleurs du centre De Wroeter ne peuvent
Mon rêve : un réseau de wereldcafés dans toute la Flandre
pas travailler dans le circuit traditionnel et sont, en tant qu’Arbeidszorgproject, financés par l’Agence flamande pour les personnes handicapées (VAPH - Vlaams Agentschap voor Personen met een Handicap) ", poursuit Peter Raymaekers. " Quant au pain servi au Wereldcafé, il est préparé dans la ferme d’activités De Brabander à Kersbeek-Miskom. Membre des Leuvense Biertherapeuten, l’un des bénévoles est responsable de la carte des bières exclusive, celle-ci étant à chaque fois complétée par quelques bières du mois. Les bières équitables et les différentes bières belges locales proposées sont des produits qui ont leur propre histoire. Vous ne trouverez pas de Stella ni de Jupiler au Wereldcafé ; par contre, vous pourrez y déguster une Anker rafraîchissante, la bière maison d’un brasseur malinois. "
Interview réalisée par Sara Vercauteren pour le Trade for Development Centre, février 2014. 72
Les bénévoles, fondements du Wereldcafé Des produits équitables, des bières
nos bénévoles se font un plaisir de
régionales, des plats simples : en soi,
les donner à de bonnes œuvres. Et ils
rien de bien révolutionnaire à première
décident eux-mêmes à quel projet cet
vue. Mais ce qui fait la particularité du
argent sera destiné. "
Wereldcafé, c’est sa forme d’entreprise. Il a été fondé en tant que coopérative
En tant qu’entreprise sociale, le Wereld-
cogérée par ses actionnaires. " Les
café tourne grâce au dévouement et à
quelque 180 associés qui, ensemble,
l’engagement de sept employés perma-
ont rassemblé un capital de 90.000
nents et de plus de nonante bénévoles,
euros définissent, lors de l’Assemblée
dont les membres du Conseil d’adminis-
générale, l’orientation prise par le We-
tration notamment. Et Peter Raymaekers
reldcafé. Par contre, ils ne perçoivent
de poursuivre : " Le Wereldcafé se situe
pas de bénéfices. Même s’il n’est pas
entre un café classique et un mouve-
putteplein, à un jet de pierre de l’Oude
évident de faire beaucoup de bénéfices
ment. Notre souhait est d’offrir un lieu
Markt, de très nombreux associés sont
dans le secteur de l’horeca, ceux réa-
de rencontre aux personnes et organi-
devenus bénévoles. Chaque semaine pra-
lisés sont réinvestis dans le Wereldcafé
sations qui œuvrent dans le commerce
tiquement, des jeunes et moins jeunes
ou bien nous les utilisons pour soutenir
et le développement durables ou qui
se bousculent au portillon pour donner
des (communautés) paysan(ne)s dans
s’inscrivent dans la problématique Nord-
un coup de main, sans que nous soyons
le Sud et des entreprises d’économie
Sud. " Est-ce à chaque fois une gageure
obligés de battre le rappel. "
sociale dans le Nord. Une partie de
de trouver suffisamment de candidats
notre bénéfice est ainsi allouée à une
disposés à consacrer gratuitement un
banque de céréales coopérative et à
peu de leur temps libre à une bonne cau-
une institution de microcrédit de l’ONG
se ? "Après avoir dû quitter notre premier
Hundee en Éthiopie. Nous soutenons
emplacement à la Bondgenotenlaan, le
par ailleurs aussi des actions, comme
Wereldcafé fut à l’arrêt durant une année.
11.11.11. Quant aux éventuels pourboires,
Depuis sa réouverture à la Joris Helle-
“Les quelque 180 associés qui, ensemble, ont rassemblé un capital de 90.000 euros définissent, lors de l’Assemblée générale, l’orientation prise par le Wereldcafé.”
73
Tenir un café-restaurant cinq jours par semaine tout en organisant en parallèle des activités les dimanches et lundis
se mousse au chocolat maison, mais
sous-entend de tenir un planning serré.
le café-restaurant sert aussi parfois
" Nos bénévoles font vraiment tout, y
de décor à des soirées d’information
compris dans les coulisses. Ils s ’occupent
académiques avec des orateurs de
des commandes, du nettoyage et du
l’université de Leuven, entre autres.
suivi comptable. Avec notre p ersonnel
À ces occasions, tous les associés et
permanent, ils représentent le moteur
bénévoles sont les bienvenus pour
du Wereldcafé, car c’est grâce à eux
venir en apprendre davantage sur
que nous pouvons maintenir des tarifs
le commerce équitable. " Nous ne
démocratiques : nous ne sommes bien
sommes pas les seuls à organiser
entendu pas un café estudiantin, mais
ces soirées ; d’autres organisations
nos prix sont comparables à ceux pra-
utilisent aussi les infrastructures
tiqués sur l’Oude Markt. Il ne vous en
pour transmettre et partager des
coûtera ici que dix euros pour déguster
connaissances, notamment The Blue
un délicieux repas. "
Academy et The School for Social Entrepreneurship qui viennent dans
Clients réguliers
notre établissement pour réfléchir sur le commerce équitable et l’entrepreneuriat social. Nous accueillons
Au Wereldcafé, vous pouvez non seu-
par ailleurs de temps à autre des
lement déguster un bon bol de soupe
étudiants internationaux qui souhai-
fumante, des bières originaires de
tent comprendre comment fonction-
pays exotiques ainsi qu’une délicieu-
ne une entreprise sociale. "
“Avec notre personnel permanent, ils représentent le moteur du Wereldcafé, car c’est grâce à eux que nous pouvons maintenir des tarifs démocratiques.” 74
Not all small is beautiful Peter Raymaekers a foi en une éco-
Concernant l’avenir, Peter Raymaekers
nomie qui ne privilégie pas la maxi-
fait montre d’un positivisme prudent.
malisation des profits, cette dernière
" Bien que le concept du Wereldcafé
incitant tout simplement les action-
soit encore peu développé, j’aimerais
naires à délocaliser ou à fermer les
beaucoup l’étendre à toute la Flandre.
entreprises pour accroître leurs béné-
Nous relevons un certain intérêt pour
fices. Et lorsqu’il s’agit du rôle joué
ce concept et nous nous sentons en
par les organisations de commerce
phase avec des cafés équitables étran-
équitable dans le contexte de la mon-
gers, comme le Weltcafé à Vienne, et
dialisation, Peter Raymaekers est on
des initiatives en Belgique, telles que la
ne peut plus clair : " À l’échelon mon-
Wereldhuis Bonangana à Sint-Niklaas.
dial, la production équitable n’est
Nous avons récemment eu la visite de
qu’une goutte d’eau dans l’océan.
Néerlandais qui se sont montrés très
Des certificats sont distribués et des
enthousiastes et souhaitent dévelop-
contrôles sont effectués, mais not all
per un concept similaire à Amsterdam.
small is beautiful : parfois, les plus
Ce serait fantastique si un réseau de
petites entreprises ne possèdent pas
Wereldcafés pouvait voir le jour, un peu
le savoir-faire et la capacité suffisan-
à l’instar de ce qui s’est passé il y a 10
te pour gérer les choses de façon plus
ans quand tout a commencé par une
équitable. Ce sont bien souvent les
seule filiale du Wereldwinkel à Anvers
plus grandes sociétés qui peuvent se
avant de s’étendre à l’ensemble de la
le permettre. Et le message que nous
Flandre. "
souhaitons véhiculer est qu’il est tout à fait possible d’exploiter une entreprise rentable dans le respect des principes sociaux et écologiques."
“Et le message que nous souhaitons véhiculer est qu’il est tout à fait possible d’exploiter une entreprise rentable dans le respect des principes sociaux et écologiques. ”
En savoir plus? www.wereldcafe.be
75
MEER DAN MOOI
Entretien avec
Nancy De Poorter
Il y a cinq ans, Nancy De Poorter ouvrait une boutique de cadeaux assortie d’une boutique en ligne à Zammel, à proximité de Geel. C’est lors de son travail comme volontaire dans le Wereldwinkel de Westerlo, axé plutôt sur l’alimentation, qu’elle se découvre une passion pour les cadeaux produits de façon équitable. Meer dan Mooi a connu une évolution assez rapide pour passer d’un magasin de ventes de cadeaux équitables et d’objets de décoration intérieure à une boutique de vêtements équitables où l’aspect bio prend aussi toute son importance.
Alors qu’initialement, Nancy ne voulait pas entendre parler d’un magasin d’habillement, elle propose à présent même une gamme de vêtements pour hommes et enfants. Pourquoi ce revirement ? " Je trouvais tellement peu souvent de beaux vêtements équitables pour moi-même que j’ai finalement décidé de me lancer personnellement dans l’aventure. Parfois même, je dois me retenir. J’ai ainsi une fois vu une très jolie boîte à thé, mais bon, il faut alors aussi vendre du thé. Et après le thé, il faudra aussi proposer du café. Je ne veux pas non plus vendre de chaussures ni de soutiens-gorge ; pour moi, c’est un métier à part. Mais bon, je change parfois d’avis, comme pour les vêtements. " C’est ainsi que l’offre s’est peu à peu étoffée dans cette petite, mais ô combien agréable boutique. Aujourd’hui, on y trouve des foulards chamarrés en soie sauvage du Vietnam, des sacs d’Inde, intemporels en cuir écologique tanné, de jolies boucles d’oreille de Colombie et des bracelets en argent sertis de pierres précieuses du
Meer dan Mooi: fashionable fair Interview réalisée par Lene Van Langenhove pour le Trade for Development Centre, février 2014. 77
Népal, ainsi que des tenues décontrac-
tions. C’est aussi la raison pour laquelle
disposés à me prêter leurs chaussures
tées en coton bio portant le label Max
Nancy choisit ses articles avec soin:
en cuir écologique tanné. Grâce à cette
Havelaar. Ce dernier est le label le plus
"J’opte pour un style pas trop alternatif
collaboration, Torfs a même décidé de
connu, mais il y en a d’autres. Tous les
et j’évite les bijoux typiquement népalais
braquer dorénavant les projecteurs sur
vêtements sont certifiés GOTS, un label
ou encore les masques africains. Les
les écomarques. J’en apprends encore
octroyé aux textiles produits de façon
bijoux thaïlandais ornés de fleurs que
chaque jour ; ainsi, il y a bien plus de
écologique et dans le respect de certains
je propose à la vente sont certes tout à
marques avec des objectifs caritatifs ou
critères sociaux. Si certains foulards sont
fait typiques de ce pays, mais ils sont
qui s’occupent de recyclage que vous ne
fabriqués en coton non bio, ils le sont
plus sobres. "
le pensez. " Et pourtant, l’organisation
conformément aux principes du com-
de ce genre de défilé de mode réclame
merce équitable ; pour les vêtements, il
énormément de travail : " Il ne suffit pas
s’agit toujours d’une combinaison des
d’échafauder un plan b ou c, mais bien
deux labels.
Oser se jeter à l’eau
deux fois l’alphabet en entier. " Cela en vaut cependant la peine.
Nancy a étudié la psychologie et occupait
Grâce à sa boutique Meer dan Mooi,
un emploi de bureau tout ce qu’il y a de
Nancy espère aussi attirer un autre
"Bon nombre de mes clients n’avaient
plus classique dans une vie antérieure.
public que les aficionados du com-
encore jamais sciemment acheté de
Elle n’avait jamais rêvé d’avoir sa propre
merce équitable. C’est la raison pour
produits équitables. Les gens du coin
affaire : " Je voulais simplement stimu-
laquelle elle organise des évènements,
viennent dans la boutique pour acheter
ler le commerce équitable, aider le plus
comme le défilé de mode annuel ou
des cadeaux et des bijoux, comme la col-
grand nombre possible de producteurs
encore un atelier nouage de foulards,
lection de fleurs de Thaïlande, unique en
aux quatre coins du monde. Avoir ma
qui lui permettent de toucher un autre
Belgique. Pour ce qui est des vêtements,
propre affaire n’était pas un but en soi,
public. Le défilé de mode étant à 100
nous avons plutôt des clients originaires
mais plutôt un moyen pour parvenir à
% fair trade et bio, c’est donc aussi le
d’Anvers, de Louvain ou de Hasselt, vu
mes fins. " Sa mission consiste à faire
cas du maquillage, des chaussures et
l’offre très réduite en Flandre. Il existe
connaître les vêtements équitables et
des coiffures.
certes des boutiques en ligne, mais les
bio auprès d’un plus large public. Et sur
clients préfèrent essayer les vêtements.
ce plan, elle rencontre encore et toujours
L’organisation de ce défilé de mode lui
Ce sont précisément ceux, qui achètent
des préjugés tenaces, du style " S’habiller
a appris une chose essentielle, à savoir
des produits équitables et bio, qui jugent
avec des vêtements équitables ? Autant
qu’il ne faut jamais se considérer comme
important de toucher les étoffes.
enfiler un sac de jute ! ". Les gens se font
un petit acteur du marché : " Lorsque
bien souvent une idée préconçue des
mon partenaire pour les chaussures s’est
Et ici, le client est roi. Que vous n’achetiez
vêtements équitables et bio ; du coup, ils
soudain désisté, je me suis jetée à l’eau
qu’un petit quelque chose ou que vous
sont assez surpris par la beauté des créa-
et j’ai appelé Torfs. Ils ont tout de suite été
vous contentiez de regarder les arti-
78
“Je trouvais tellement peu souvent de beaux vêtements équitables pour moi-même que j’ai finalement décidé de me lancer personnellement dans l’aventure.“
cles, vous serez toujours bien accueillis
opinion en toute franchise. Avant de se
trouve un article qui me semble valoir
ment large et surtout au goût du client.
et bénéficierez gratuitement de con-
lancer dans les vêtements pour hommes,
la peine, je commence à me renseigner:
Ce dernier n’achète en effet pas un
seils équitables. Pour Nancy, le contact
Nancy a réalisé une petite enquête qui
quelles sont les conditions, quel est le
article pour soutenir un projet, pour
avec la clientèle est particulièrement
a révélé que les hommes ne voulaient
niveau qualitatif ? Cela n’a pas de sens
ensuite le remiser dans son armoire. "
vital, en premier lieu, dans la boutique
pas d’impressions ou de logos sur leurs
s’il s’agit uniquement d’un beau projet,
même, mais très certainement aussi via
vêtements, et que ces derniers ne pou-
qui ne tient la route qu’une semaine.
Pour Nancy, il est important de travailler
Facebook. Régulièrement, les abonnés
vaient pas non plus être trop moulants.
Ou si le produit est bio, mais qu’il est
avec un importateur : " Il est impossible
fabriqué par des enfants. Il doit être
de travailler en ligne directe à l’échelon
de bonne qualité, beau et abordable.
mondial. Si je devais visiter des ateliers
Si vous proposez à quelqu’un deux
dans des pays où le travail des enfants
colliers similaires au même prix, l’un
est normal, ils m’assureraient qu’ils
à la page ont la chance de participer à la sélection des articles de la boutique: ils décident s’ils veulent ou non des
Sélection stricte
combi-pantalons, quelle couleur sera commandée pour un article en particu-
Nancy repère elle-même les fournis-
équitable et l’autre non, personne ne
ne travaillent pas avec des enfants.
lier, ou bien ils ont l’opportunité de tester
seurs sur Internet avant de les démar-
va choisir le non équitable. Mais bon,
Dès que le contrat a été signé, je perds
des sous-vêtements et d’exprimer leur
cher. " C’est là une véritable quête. Si je
il faut aussi que le choix soit suffisam-
tout contrôle. Je fais donc confiance
“Il faut aussi que le choix soit suffisamment large et surtout au goût du client. Ce dernier n’achète en effet pas un a rticle pour soutenir un p rojet, pour ensuite le remiser dans son armoire.“
79
aux importateurs avec lesquels je col-
ce que deux travaillent et deux aillent
Qui dit commerce équitable ne dit pas
avec le producteur, alors qu’il est encore
labore, car cela fait des années déjà
à l’école, vous avez fait un pas dans la
seulement production équitable ; il en va
et toujours rogné. Le producteur pourrait
qu’ils entretiennent des relations avec
bonne direction. C’est ainsi que tourne
aussi d’une forme de commerce respec-
facilement obtenir une meilleure rétribu-
les mêmes producteurs. Ils veillent de
la planète. Les choses évoluent peu à
tant un tout autre principe. Mais il va de
tion, sans que le prix du produit ne soit
même à la qualité : lorsqu’un produit
peu. En tant que consommateur, vous
soi que cela demeure du commerce. " Si
beaucoup plus élevé. Et si les grandes
n’est pas conforme, vous pouvez le leur
êtes toutefois en mesure de faire la
chaque commerçant changeait un tout
marques de vêtements arrêtaient de
renvoyer. Je serais bien naïve de croire
différence : si, pour tous vos achats,
petit peu sa façon de travailler, cela se
travailler avec des producteurs "inéquita-
que je pourrais faire tout cela moi-mê-
vous regardez toujours au préalable
traduirait déjà par un monde meilleur.
bles", tout le monde achèterait forcément
me. En Occident, il y a aussi tellement
s’il n’existe pas de solution alterna-
Quand on sait que les coûts salariaux
des produits équitables. " Ce serait là,
de choses que nous trouvons évidentes :
tive, cela signifie que vous avez au
représentent à peine 2%du prix, on se-
en effet, un grand pas pour l’humanité.
c’est par exemple une catastrophe lors-
moins conscience de la problématique.
rait amené à en déduire que les grandes
que deux boucles d’oreilles ne sont pas
Lorsque vous achetez un article non
sociétés partagent un pourcentage plus
En savoir plus?
identiques, alors que ce n’est pas le cas
équitable, comme une veste en cuir
important de leur marge bénéficiaire
www.meerdanmooi.be
pour les producteurs locaux. Et essayez
made in Bangladesh, essayez donc de
donc de leur expliquer que chaque pièce
vous représenter la personne qui l’a
de vêtement d’une certaine taille doit
confectionnée. "
être identique ! "
Un petit pas pour l’homme... Pour Nancy, le commerce équitable est un mode de vie. Elle opte donc sciemment pour une alimentation et des produits équitables, par respect pour les personnes qui les réalisent. " Le commerce équitable, de bonnes conditions de travail, c’est là un idéal. Je ne pense pas qu’il puisse jamais être atteint à l’échelon mondial, mais chaque petit pas compte. Si, dans une région où le travail des enfants est monnaie courante, vous parvenez, dans une famille de quatre enfants, à
“Il y a aussi tellement de choses que nous trouvons évidentes: c’est par exemple une catastrophe lorsque deux boucles d’oreilles ne sont pas identiques, alors que ce n’est pas le cas pour les producteurs locaux.” 80
FAIR IN TRADE
Entretien avec
Stefan Peeters
« Respect people and planet » annonce fièrement le slogan sur l’écran d’affichage dans les bureaux, avec vue sur l’Atomium, de la jeune entreprise Fair In Trade. Il résume parfaitement sa mission: commercialiser une gamme de produits de lessive et d’entretien à base d’huile de palmiste dans le but de soutenir la population locale au Sénégal et de protéger l’environnement. Jetées jusqu’à tout récemment au rebut, les graines des palmistes qui y poussent à l’état sauvage sont désormais ramassées et pressées sur place par des coopératives locales.
Stefan Peeters était, dans une autre vie, directeur général, pour le Benelux, de la plus grande marque d’appareils ménagers au monde. Mais, à l’âge de quarante ans, il fait une double crise cardiaque. " Je me suis trouvé à la croisée des chemins ", se rappelle-t-il, " soit je continuais, soit je changeais tout ". Il a donc démissionné, voici maintenant six ans, pour fonder un bureau de consultance. C’est alors qu’un de ses clients, Jan Huyghens, lui a demandé de rejoindre le projet Fair In Trade que celui-ci venait de créer, un peu par hasard, et qui était en train de prendre un envol fulgurant.
Fair in Trade: des lessives et produits d’entretien à base d’huile de palmiste équitable
L’huile de palmiste est une huile végétale tirée du noyau des fruits du palmier à huile. Elle ne doit pas être confondue avec l’huile de palme, extraite par pression à chaud de la pulpe des fruits. En effet, quelques années plus tôt, alors qu’il traversait le Sénégal à moto avec des amis, Jan avait été frappé par les quantités de graines de palmiste jonchant les bords de la route. Trop dures à casser, ces graines renferment cependant de nom breux nutriments. Qui plus est, l’huile de palmiste est la seule huile non cancérigène, avec l’huile de coco, à pouvoir être chauffée à très haute température. Pendant le vol de retour, en bavardant avec son voisin, membre d’une organisation humanitaire, Jan a réalisé qu’il pourrait faire bon usage de ces graines. Il est donc retourné au
Interview réalisée par Lene Van Langenhove
Sénégal où il a signé des contrats avec plusieurs villages en vue de la collecte des
pour le Trade for Development Centre, février 2014. 82
graines contre une rémunération équita-
Fair In Trade. " J’ai tout de suite accepté,
ble. L’étape suivante a été la construction
car c’était pour moi une opportunité
d’une petite fabrique de pressage des
de faire quelque chose de différent, de
graines en huile non raffinée.
moins commercial. Et, en même temps, de donner quelque chose en retour au
Excédents
monde. " Tout à la recherche d’un investisseur, Stefan s’est adressé à son ancien chef et c’est ainsi qu’ils se sont retrou-
Dans un premier temps, l’huile était
vés à quatre : Jan, son fils, Stefan et le
destinée à la population locale, qui
directeur à la retraite de Whirlpool. Ils ont
s’en servait entre autres pour la cuisi-
commencé par produire exclusivement
ne. Plus tard, il s’est avéré que, grâce
des lessives liquides, étant donné que la
à sa teneur élevée en acide laurique,
poudre devait être adaptée à la dureté
une importante composante des déter-
de l’eau sur le marché belge, mais ont
gents, elle se prêtait parfaitement à la
étoffé l’offre en ce début de 2014.
fabrication de savon, destiné lui aussi au marché local. Au fur et à mesure que
La gamme Rhytmic Power se compose
d’autres villages adhéraient au projet,
ainsi désormais, entre autres, de lessives
l’offre s’est développée, au point que
pour textiles blancs, de couleurs ou déli-
Jan a eu l’idée d’expédier l’huile de
cats, de lessives pour bébés, de liquides
palmiste par bateau en Belgique pour y
vaisselle, de détartrants, de nettoie-tout
fabriquer du détergent. Quelque temps
et de détergents pour sol. Le savon pour
après, il y a de cela maintenant quatre
les mains de la gamme Rhytmic Energy
ans, l’organisation s’est vu décerner le
sera bientôt décliné en produits pour
label biologique et équitable Ecocert
bébés, réalisés en collaboration avec un
équitable. Ce label garantit un prix
pharmacien français exclusivement spéci-
minimum pour les producteurs, des
alisé dans les produits bio. " Ces nouvelles
conditions de travail décentes et un
gammes, combinées à notre approche
fonds social de financement de projets
équitable, signifient que nous avons une
de développement.
bonne longueur d’avance sur toutes les offres actuelles du marché. Nos clients
C’est à ce moment que Stefan s’est vu
agissent selon leur conscience : il est clair
proposer la fonction de codirigeant de
qu’ils sont à la recherche de quelque chose de différent, de meilleur pour le monde. "
83
Du pain sur la planche
On dirait bien que la machine est tout
dit, il nous arrive inévitablement aussi
besoin. Après, il faut commercialiser ces
de même déjà en marche... " Je ne l’au-
des choses moins drôles ; ainsi, nous
produits, de sorte qu’une grande partie
rais pas fait s’il ne s’était pas agi du
avons eu un de nos associés qui, trois
des bénéfices reviennent au pays d’où
commerce équitable. Ce n’est pas les
ans durant, remplissait sa camionnette
proviennent les matières premières. "
Si les produits Rhytmic sont actuel
lessives qui manquent sur le marché,
à la nuit tombée, subtilisant de la sorte
lement disponibles dans tous les ma-
mais pour autant que je sache, il n’exi-
pour des centaines de milliers d’euros
gasins Oxfam et Origino en Flandre,
ste nulle part au monde d’autre produit
de produits. Il y a des années, je suis
Stefan entend bien conquérir l’en-
qui soit à la fois équitable et biologique.
parti au Sénégal avec une organisation
semble de la Belgique. Qui plus est,
Notre objectif n’est pas de vendre un
qui allait y construire des puits. Dans un
À l’inverse de la Malaisie, d’où provient
l’Allemagne, la Grande-Bretagne et la
maximum, mais surtout de permettre
des villages, elle avait installé un puits
90 % de la production d’huile de palme,
France ont aussi déjà manifesté leur
à la population locale de réaliser ses
entièrement automatisé, mais au bout
les palmiers sénégalais poussent à
intérêt. Stefan a le sentiment que, de-
projets. Les surplus, on les expédie ici.
d’une semaine, il n’en restait plus rien : le
l’état sauvage. L’Asie pratique la défo-
puis l’extension de la gamme, on les
Notre priorité n’est pas de gagner de l’ar-
moteur avait été volé et tout le reste avait
restation et aménage des plantations
prend enfin au sérieux. Pour l’heure,
gent ; nous avons tous un job rémunéré
été démonté pour être utilisé ailleurs. À
au détriment de la faune, notamment
il ne souhaite pas encore collaborer
en dehors de Fair In Trade. Quand on se
avec les grandes chaînes, de crainte
lance dans une pareille aventure, c’est
de déclencher une guerre des prix.
par idéalisme. Nous sommes une petite
"Nous ne disposons pas de stocks im-
organisation, nous avons des contacts
portants, vu notre engagement avec la
très directs. Jan passe près de six mois
population locale, et notre produit doit
par an au Sénégal. C’est une aventure
rester vendable. Mais, bon, les grandes
fantastique, mais il nous reste aussi
chaînes suivront à terme. "
encore beaucoup de pain sur la planche. "
“Notre priorité n’est pas de gagner de l’argent ; nous avons tous un job rémunéré en dehors de Fair In Trade.”
Cueillette sauvage
“Il faut veiller à ne pas spolier la population locale et à faire en sorte qu’elle dispose en suffisance de ce dont elle a besoin.” mon sens, il faut absolument éviter de
des orangs-outans. Les terres ne s’y
lancer dans les pays en développement
prêtant pas du tout, le recours aux
des projets dont la population locale
pesticides s’avère inévitable. L’huile
n’est pas elle-même demandeuse. Si, par
est en outre raffinée sur place, tous ses
contre, on se base sur les produits dont
bienfaits sont donc perdus. Dans le cas
Fair In Trade a dû se battre à chaque fois
ces personnes ont vraiment besoin, on
de l’huile de palmiste, par contre, les
pour gagner la confiance de la population
s’assure leur implication et on a plus de
graines, auparavant jetées, sont main-
locale. " Mais après un certain temps, ils
chances de mener à bien le projet. Plus
tenant ramassées et pressées. Pour Fair
commencent à nous faire confiance et
que tout, il faut veiller à ne pas spolier la
In Trade, un des grands défis consiste
nous les impliquons bien sûr aussi dans
population locale et à faire en sorte qu’el-
à contrer l’image négative de l’huile
le fonctionnement de la fabrique. Ceci
le dispose en suffisance de ce dont elle a
de palme véhiculée par les médias. En
Partir des besoins réels
84
effet, au Sénégal, les arbres ne sont
tout le monde se fait concurrence. Ces
pas abattus et aucun pesticide n’est
organismes procèdent à la certification
utilisé ; de plus, l’huile non raffinée est
et décident si oui ou non, ils vous oc-
non cancérigène et même très bonne
troient le label, et ce n’est pas donné !
pour la santé. Pour diffuser le messa-
Ce n’est pas vraiment le but, loin de là. "
ge positif des bienfaits pour la santé de l’huile de palmiste, l’organisation
Mais Stefan est plus indigné encore par
devrait disposer de budgets bien plus
ce qu’il appelle " l’affaire des communes
conséquents. Au Sénégal, Fair In Tra-
du commerce équitable ". Ce titre est oc-
de investit entre-temps aussi dans la
troyé aux communes qui consomment
plantation de nouveaux palmiers, ainsi
une quantité minimale de café, chocolat,
que dans des clôtures pour protéger les
etc. équitables. Lorsqu’il a demandé à
jeunes pousses, dont sont très friandes
intégrer aux critères d’octroi du label
les chèvres.
les produits d’entretien équitables, la réponse a été... njet ! " Et pourquoi ?
En tant que " non-initié ", Stefan a été
Parce que Max Havelaar organise cette
stupéfié par le processus de certification.
campagne et que Max Havelaar ne cer-
" Il n’y a aucune espèce de collaboration
tifie pas l’huile de palmiste ! Pourtant,
entre les différents organismes. J’étais
si cela était inscrit dans la charte des
bien naïf de croire que nous étions tous
communes du commerce équitable, le
des idéalistes nourrissant de bonnes
monde s’en trouverait déjà un peu meil-
intentions. Ce n’est en fin de compte
leur ! Et c’est quand même bien de cela
qu’un énième domaine commercial, où
qu’il s’agit, non ? " En savoir plus? www.rhytmic.be
85
FEMIMAIN
Entretien avec
Trees Candaele
À sa mesure, Trees Candaele contribue à l’essor du commerce équitable. Elle recherche personnellement pour Femimain - sa collection de produits artisanaux réalisés à la main par des femmes marocaines - des coopératives auxquelles elle rend régulièrement visite pour discuter avec elles des projets. Elle leur garantit un prix équitable et des conditions de travail décentes ; les femmes, pour leur part, livrent des produits originaux. Femimain consolide non seulement la position socioéconomique des femmes au Maroc, mais elle crée aussi, chez nous à Bruxelles, de l’emploi pour les femmes. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si ce projet a vu le jour dans le giron du centre communautaire de Saint-Gilles, le Pianofabriek, qui s’investit énormément dans la durabilité et la solidarité. En 2003, Trees se rend, en compagnie de quinze Marocaines de la commune, dans une région qu’elles ne connaissaient pas, le Sud du Maroc. Elles y rendent visite à plusieurs organisations militantes de femmes, afin de montrer tout ce que ces femmes sont en mesure de réaliser avec peu de moyens. Cette expérience fut tellement intense que les femmes du Pianofabriek ont souhaité la poursuivre, nous confie Trees : " Je suis assez rapidement retournée au Maroc pour y rechercher des organisations désireuses de travailler selon les principes du commerce équitable et relativement accessibles en termes de localisation et de moyens de communication. " Aux yeux de Trees, commerce équitable rime non seulement avec bonnes conditions de travail, rémunération correcte et utilisation de matériaux durables, mais aussi avec relations économiques fondées sur l’égalité. " J’ai consenti beaucoup d’investissements pour arriver à un produit de qualité apte
Femimain: la boucle est bouclée
à être vendu sur le marché occidental, en tablant sur leur savoir-faire et en tenant compte des matériaux à leur disposition. "
Interview réalisée par Lene Van Langenhove pour le Trade for Development Centre, février 2014. 87
Trees a choisi de travailler avec dix coopératives ne disposant encore d’aucun accord de coopération avec d’autres
Apprendre à lire et à lâcher prise
partenaires, afin que toutes commencent
“Même si elle ne jouit d’aucune certification, Femimain incarne pleinement le commerce équitable.”
sur le même pied d’égalité. Les différents
Au fil du temps, de nouvelles coopérati-
ateliers fournissent des produits très
ves se sont ajoutées, mais d’autres ont
diversifiés : des bracelets et colliers en
aussi décroché, parce que les produits
passementerie, suivant une technique
s’avéraient invendables ou parce que
de tissage marocaine ancestrale, des
la charte n’était pas respectée. Même
couvre-lits brodés à la main, des paniers
si elle ne jouit d’aucune certification,
en osier et de l’huile d’argan. Mais aussi
Femimain incarne pleinement le com-
d’authentiques verres à thé peints à la
merce équitable. Le partenariat s’ac-
main. Ou encore des babouches en cuir,
compagne fréquemment d’un projet
habituellement l’apanage des hommes,
d’alphabétisation. Les femmes qui
mener d’âpres négociations sur le prix ;
mais Trees est parvenue à persuader
veulent travailler à l’atelier doivent
après tout, elles connaissent mieux que
un jeune homme d’enseigner la techni-
aussi suivre des cours en parallèle.
"Nous ne sommes pas des commer çantes; ce qui nous importe, c’est l’économie sociale. J’ai énormément appris de cette coopération. Au début, la différence de mentalité m’a irritée au plus haut point, mais bon, il faut apprendre à lâcher prise. Cela serait terrible pour moi si elles avaient le sentiment que je leur impose quelque chose. Je ne vais pas
que de fabrication aux femmes de son
restants sont répartis comme suit : un
moi le prix des matières premières et le
tiers affecté à la gestion de l’atelier, un
temps qu’elles ont passé à la confection.
village. Sans oublier les portefeuilles et
À la coopérative Atma, par exemple, 50 %
tiers réservé à l’achat de matières premi-
Ma tâche consiste à calculer ce que cela
trousses de toilette réalisés à partir de
du prix d’un tapis vendu reviennent à la
ères et un tiers alloué à un fonds destiné
coûtera en fin de compte et à estimer si
grands sacs de riz imprimés.
femme qui l’a tissé, tandis que les 50 %
à des cours d’alphabétisation. Trees :
le produit est vendable ou non. "
88
“Au début, la différence de mentalité m’a irritée au plus haut point, mais bon, il faut apprendre à lâcher prise. Cela serait terrible pour moi si elles avaient le sentiment que je leur impose quelque chose.”
Pas de production de masse contrôlent les livraisons, organisent
grandes villes. Le public des Magasins
rien à voir avec la production de masse
De nombreuses nationalités se côtoient
le stock, suivent les commandes des
du monde/Wereldwinkels se compose
que l’on rencontre dans de nombreux
au Pianofabriek. Toutes ces personnes
magasins et tiennent régulièrement
d’acheteurs déjà convaincus et moi, je
Magasins du monde/Wereldwinkels, de
proposent fréquemment de nouer des
un stand lors de festivals.
rêvais de séduire un nouveau public. "
Knokke à Hasselt. C’est bien dommage
Trees a pourtant dû revoir sa position et
pour les ateliers, car, si nous avions plus
partenariats avec des coopératives de leur pays d’origine. Trees hésite :
La collection est principalement destinée
entreprendre plusieurs tentatives en vue
de débouchés, nous serions en mesure
"Femimain faisant partie intégrante du
au marché belge, mais il arrive de temps
de susciter l’intérêt d’Oxfam-Magasins
de leur passer commande plus réguliè-
Pianofabriek, ce n’est pas vraiment le
à autre que nous recevions une com-
du Monde/Wereldwinkels. " Ils veulent
rement. En outre, si nous commandons
but qu’elle génère des revenus. Et même
mande d’Amérique et des Pays-Bas. Pour
assurer la distribution au départ de leur
1 000 boucles d’oreille plutôt que 100,
si c’est important pour notre image, il
l’heure, les magasins qui nous passent
entrepôt, mais cela ajoute un maillon
cela permet aussi de réduire le prix et
s’agit d’un poste déficitaire et étendre
des commandes régulières sont au nom-
à la chaîne, ce qui grève lourdement
d’attirer plus d’acheteurs. "
nos activités coûte cher. Pour se rendre
bre de quinze, dont Letude à Leuven,
le prix des produits, alors que moi, je
sur place, mais aussi pour préfinancer
Phulkari à Gand et Ozfair à Saint-Gilles,
souhaite vendre en ligne directe aux
Certains ateliers, comme ceux de confec-
les activités. Et personnellement, je
ainsi que plusieurs Oxfam-Magasins
Magasins du monde/Wereldwinkels.
tion des paniers et des foulards, réalisent
suis déjà pas mal occupée. " Fort heu-
du monde/Wereldwinkels. " Lorsque
Je ne comprends pas pourquoi ils sont
de bons chiffres de vente, tandis que
reusement, Trees peut compter sur les
j’ai lancé le projet, mon désir était de
tellement protectionnistes. Notre pro-
d’autres sont totalement dépendants
femmes " activées " ici dans le cadre
voir nos produits dans les étalages des
jet respecte intégralement les règles
de Femimain. À l’antipode du bienfai-
d’un projet de mise à l’emploi. Elles
plus belles rues commerçantes des
du commerce équitable et n’a, en plus,
teur néocolonial, Trees s’efforce de les
89
persuader de miser sur les marchés
se. Au début, Assiya, de la coopérative
En 2012, Trees a réalisé une enquête d’im-
locaux ou les exportations, ou encore
Bensllou, trouvait que la combinaison
pact auprès de l’ensemble des coopéra-
de suivre une formation à orientation
de couleurs des bijoux était abomina-
tives afin de savoir si la collaboration
plus commerciale. " L’atelier de confec-
ble ; à présent, ses travailleuses fabri-
répondait à la proposition qu’elle leur
tion de foulards, par exemple, est très
quent parfois elles-mêmes des objets
avait faite cinq années auparavant. " La
reculé ; les femmes n’y comprennent
qui correspondent parfaitement à nos
première chose qu’elles ont affirmée,
que le berbère. Elles tissaient des choses
goûts. Lorsque je me souviens des dé-
c’est que grâce à Femimain, elles ont
magnifiques, qui s’accumulaient dans
buts et que je vois où nous en sommes
pu se faire une idée de l’Europe. À leurs
un coin faute de marché sur lequel les
à présent, je n’arrive parfois pas à y
yeux, nos contacts personnels revêtaient
écouler. La situation s’est entretemps
croire. Je me rappelle, par exemple,
également une très grande importance.
améliorée. " Dans leur propre pays, les
ma première visite. Nous nous étions
C’est une histoire entre ces femmes et
ateliers entrent en concurrence avec
entendues sur tout, et puis, deux jours
moi, et personne d’autre. Je loge d’ailleurs
les souks où les produits, vendus à des
après mon retour en Belgique, Assiya
toujours chez elles et nous allons nous
prix dérisoires, sont fabriqués dans les
m’a appelée pour me demander si je
coucher et nous nous levons ensemble.
conditions de travail les plus déplora-
ne pouvais pas passer la voir pour dis-
S’il n’y a pas d’eau, nous nous lavons
bles, et bien souvent par des enfants. "
cuter encore de certaines choses. Je lui
ensemble dehors dans des bassines.
Apparemment, la population ne serait
ai alors répondu que j’étais rentrée en
Je trouve cela très important en termes
pas encore prête à faire sien le message
Belgique, ce à quoi elle a rétorqué : " Je
d’égalité : si elles ont besoin de moi, j’ai
du commerce équitable, mais j’entends
viens tout juste de préparer du cous-
tout autant besoin d’elles. Ces échanges
bien continuer à marteler le clou. "
cous ; il reste chaud très longtemps ! "
sont essentiels. "
Un regard sur l’Europe
Trees ne sait pas très bien comment Femimain va évoluer. " Trouver plus de
Le Maroc est le champion de la copie; la créativité y étant parfois une denrée rare, il est difficile de proposer un produit original. " L’an dernier, j’ai vu quelque part de magnifiques objets, très modernes, bien que typiquement marocains. J’ai appris de bouche à oreille qu’ils étaient l’œuvre d’une créatrice japonaise, qui est née et qui
débouchés, telle est ma principale préoc-
“Si elles ont besoin de moi, j’ai tout autant besoin d’elles. Ces échanges sont essentiels. “
cupation. Ce ne sont pas les initiatives qui manquent. Mais je trouve que la force de ce projet, c’est que la boucle est bouclée : il génère des emplois pour les groupes à potentiel dans le Sud, mais également ici. "
a grandi au Maroc. Élargir le champ de
En savoir plus?
vision des femmes est une bonne cho-
www.feminain.org
90
OXFAM WERELDWINKELS OXFAM FAIR TRADE
Entretien avec
Joris Rossie
Depuis plus de quarante ans, l’organisation Oxfam-Wereldwinkels rassemble des bénévoles qui se mobilisent en faveur d’un changement structurel des relations commerciales entre le Nord et le Sud. « En tant que pionniers, nous plaçons la barre le plus haut possible et tentons de convaincre d’autres personnes de nous emboîter le pas », nous explique le directeur Joris Rossie.
C’est en 1971 que le premier magasin du monde belge ouvre ses portes à Anvers. Son concept fait rapidement tache d’huile et, quatre ans plus tard à peine, 31 magasins du monde se constituent en une ASBL dénommée Oxfam-Wereldwinkels. " Pendant ses premières années d’existence, Oxfam-Wereldwinkels était principalement un mouvement de solidarité axé sur le commerce, mais sans critères équitables clairs. Pour prouver notre solidarité avec la population algérienne, nous achetions du vin algérien, à l’origine de bien des migraines, " nous confie en riant Joris Rossie. " Après, nous nous sommes progressivement professionnalisés et nous nous sommes engagés dans la voie du commerce équitable. Nos vins remportent désormais bien des prix. " Quelque 8.000 volontaires font aujourd’hui tourner les 234 magasins du monde flamands d’Oxfam. " Nous pouvons aider les populations du Sud en optant pour un commerce équita-
Oxfam-Wereldwinkels et Oxfam Fair Trade : agir en faveur du changement structurel
ble. Mais pour mettre en place des relations commerciales équitables, nous devons aussi disposer de produits de qualité, susceptibles de trouver acquéreur ", poursuit Joris Rossie. " Souvent, les gens pensent que les petites coopératives de paysans du Sud ne sont pas capables de produire de la qualité. Or, c’est tout le contraire, à l’instar des petits producteurs de chez nous qui travaillent de façon artisanale : leurs produits sont souvent de meilleure qualité que ceux des grandes usines qui fabriquent des produits standards. "
Interview réalisée par Lisa Develtere pour le Trade for Development Centre, novembre 2014. 92
Une marque propre Oxfam-Wereldwinkels constitue avec
Outre dans ses relations avec des dizai-
Oxfam-Solidarité et les Magasins du
nes de partenaires commerciaux dans le
monde-Oxfam la branche belge d’Ox-
Sud, Oxfam Fair Trade s’engage aussi en
fam International. " Il s’agit cependant
faveur de petits acteurs particulièrement
de trois organisations distinctes : Ox-
vulnérables. " Nous élaborons avec eux
fam-Solidarité est plutôt une ONG qui
un trajet de développement détaillé, car
collecte, entre autres, des fonds dans le
ils ont besoin de tout l’appui que nous
Nord pour financer des projets de déve-
pouvons leur apporter. Nous achetons
loppement dans le Sud, " nous explique
par exemple du café à plusieurs parte-
Joris Rossie. " Les deux chaînes de ma-
naires dans la région du Kivu en RDC, en
gasins du monde dans les deux régions
proie à la violence. Nous leur enseignons
du pays se soutiennent mutuellement.
des méthodes de culture d’ombre, ainsi
Pour notre part, nous nous concentrons
que des techniques pour accroître la
plutôt sur l’importation de produits
qualité du café et mieux conserver les
alimentaires, tandis qu’Oxfam-Ma-
grains. Et nous dispensons des forma
gasins du monde est spécialisée dans
tions aux agriculteurs sur les avantages
eux, et avec leur café, auprès d’autres
ce le plus rapidement possible. Une fois
l’importation et la commercialisation
du travail en coopérative. Nous offrons
entreprises en Europe auxquelles nous
nos partenaires autonomes, nous nous
de produits non alimentaires.
parfois aussi à ces partenaires un appui
demandons d’acheter directement du
mettons à la recherche de nouveaux par-
financier qui leur permet, par exemple,
café chez nos partenaires. Nous créons
tenaires qui ont besoin de notre aide. Ce
À la fin des années nonante, Oxfam-Wereld-
d’acquérir de nouvelles stations de la-
en fait ainsi notre propre concurrence,
modèle d’entreprise peut sembler idiot à
winkels a lancé sa propre marque : Oxfam
vage du café. "
mais notre objectif est avant tout de voir
certains, mais pour nous, c’est là notre
nos partenaires gagner leur indépendan-
mission sociale. "
Fair Trade. " Nous ne développons pas nos propres produits de la même manière que
" Nos partenaires sont sûrs de pouvoir
le fait une entreprise ‘ordinaire’ ", souli
écouler leur café chez nous. Contraire-
gne Joris Rossie. " Nous recherchons des
ment aux entreprises traditionnelles,
partenaires commerciaux susceptibles
nous acceptons que, parfois, les temps
de tirer profit d’une relation à long terme.
sont durs, que la guerre peut éclater, ou
Il s’agit souvent de petites coopératives
qu’ils peuvent rencontrer des problèmes
qui ne sont pas en position de négocier
de qualité. Nous ne les abandonnons pas
avec les grandes entreprises, mais qui
pour autant ! ", poursuit Joris Rossie.
sont néanmoins indépendantes. "
"Nous essayons aussi de les aider à accéder au marché : nous nous rendons avec
“Souvent, les gens pensent que les petites coopératives de paysans du Sud ne sont pas capables de produire de la qualité. Or, c’est tout le contraire, à l’instar des petits producteurs de chez nous qui travaillent de façon artisanale.” 93
Prendre des risques Il existe plusieurs normes équitables
critères de Fairtrade International, une
Oxfam-Wereldwinkels est aussi l’un
dont les plus connues sont celles de
commission composée de bénévoles
des cofondateurs de l’organisme de
Fairtrade International. " Ce sont les
analyse la situation. Le producteur de
labellisation Max Havelaar, depuis peu
normes minimales que nous adoptons
café du Kivu, par exemple, n’avait au
rebaptisé en Fairtrade Belgium. Néan-
pour nos partenaires commerciaux.
début de notre collaboration pas encore
moins, les produits Oxfam Fair Trade ne
Lorsqu’il n’existe pas encore de critères
la capacité requise pour satisfaire à
porteront plus le label familier Fairtrade*.
équitables pour un produit donné, ou
toutes les exigences administratives.
" Nos producteurs dans le Sud reçoivent
lorsqu’un partenaire commercial tra-
Pour ce genre de partenaires, nous
régulièrement la visite de contrôleurs
vaille de manière équitable sans tou-
sommes prêts à prendre des risques. "
qui vérifient leur respect des normes
tefois être en mesure de satisfaire aux
Fairtrade. De notre côté, nous mandatons une organisation externe qui vérifie
“Nos partenaires sont sûrs de pouvoir écouler leur café chez nous. Contrairement aux entreprises traditionnelles, nous acceptons que, parfois, les temps sont durs.”
que nous achetons bien nos produits à de petits producteurs certifiés. Le label Fairtrade informe le consommateur que nous satisfaisons effectivement
Rossie. En disant cela, il fait allusion
à ces deux conditions. Je conçois bien
au programme d’approvisionnement
que pour une entreprise normale, cela
Fairtrade Sourcing Program pour le ca-
s’avère intéressant et que cela vaut
cao, le coton et le sucre que Fairtrade
l’investissement, mais une enquête
International a mis en place l’année
auprès de nos consommateurs a révélé
dernière. Le label de ce programme peut
que pour nous, cela n’était pas vraiment
être décerné dès qu’un produit contient
nécessaire. Notre marque jouit d’une
un de ces trois ingrédients Fairtrade. Le
grande confiance et nos clients n’ont
label Fairtrade traditionnel, de son côté,
nul besoin de preuves supplémentaires
implique que tous les ingrédients d’un
de notre engagement équitable sous la
produit pouvant être labellisés, le soient
forme d’un label. Ils attendent de nous,
effectivement. C’est-à-dire qu’une barre
en notre qualité d’ONG, que nous consa-
de chocolat Fairtrade doit contenir tant
crions plutôt nos ressources à appuyer
du cacao Fairtrade que du sucre de can-
nos partenaires de développement. "
ne Fairtrade. Dans le cadre du nouveau programme, une barre de chocolat con-
94
" De plus, notre conception du commerce
tenant uniquement du cacao Fairtrade
équitable diverge parfois ", poursuit Joris
peut déjà être labellisée. " Ce n’est pas là
notre définition du commerce équitable.
À l’heure actuelle, Oxfam Fair Trade met
En tant que pionniers, nous plaçons la
la plus grande partie de son vin en bou-
barre le plus haut possible et tentons de
teille dans le Sud. " Chez les autres pro-
convaincre d’autres personnes de nous
ducteurs, la mise en bouteille se fait
emboîter le pas. "
en général en Europe. Notre approche
Un changement structurel
permet de créer une bien plus grande
" Oxfam-Wereldwinkels vise un
néanmoins objecter que l’importation
changement structurel des relations
de bouteilles de vin va à l’encontre de
commerciales entre le Nord et le Sud.
l’écologie. C’est là un dilemme difficile
La politique commerciale européen-
à résoudre, étant donné que les paysans
ne est encore beaucoup trop protec-
du Sud seront les premiers frappés par
tionniste. Lorsque nous importons
le changement climatique. Toujours est-
des matières premières comme des
il que nous souhaitons que les petits
produits Oxfam Fair Trade dans les su-
le public dans la poursuite de cet idéal.
grains de café vert, nous ne payons
producteurs puissent se développer et
permarchés, les chiffres d’affaires d’Ox-
Dans nos magasins, nos bénévoles ne se
que relativement peu de taxes, tan-
qu’ils ne restent pas jusqu’à la fin des
fam-Wereldwinkels s’en sont ressentis.
contentent pas de vendre des produits
dis que l’importation de produits
temps de simples fournisseurs de ma-
D’aucuns s’interrogeaient sur l’utilité de
équitables, ils ont aussi une histoire à
finis en Europe est assujettie à des
tières premières. Après mûre réflexion,
maintenir les magasins. À nos yeux, cela
raconter. Nos magasins enthousiasment
tarifs douaniers bien plus élevés. Le
nous avons donc décidé de privilégier
semblait une évidence. Nous sommes
et rassemblent les gens. Bon nombre de
but est de stimuler la création de
l’option de la création de valeur ajoutée
un mouvement de bénévoles soucieux
bénévoles y consacrent plusieurs jours
valeur ajoutée chez nous ; or, c’est
dans le Sud, mais toujours en fonction
d’apporter des changements structu-
par semaine. Cela est et reste un modèle
cela qui génère le plus de bénéfices.
du produit, au cas par cas. "
rels dans le monde. Pour ce faire, nous
fantastique pour canaliser l’énergie de
menons des campagnes et impliquons
ces bénévoles. "
valeur ajoutée dans le Sud, et cela est évidemment une excellente chose ", se réjouit Joris Rossie. " L’on pourrait
Nous nous opposons à cette législation et estimons qu’elle doit changer.
Les 8.000 bénévoles constituent la force
Il est inacceptable que les opportuni-
motrice d’Oxfam-Wereldwinkels. " Nous
Nous utilisons le mot "Fairtrade" si nous nous
tés de développement du Sud soient
sommes une organisation de bénévoles.
référons au label de commerce équitable de
étouffées dans l’œuf du fait que les
Notre personnel a pour mission d’ap-
Fairtrade Belgium (anciennement Max Ha-
importations se limitent aux seules
puyer les bénévoles, ce sont eux nos
matières premières et ne portent pas
chefs ", insiste Joris Rossie. " Lorsque
sur des produits finis. "
nous avons commencé à vendre nos
En savoir plus? www.oxfamwereldwinkels.be
95
velaar) ou aux ingrédients ou produits issus du commerce équitable qui portent le label Fairtrade.
OXFAM FAIR TRADE CRAFTS
Entretien avec
Erik Devogelaere
Des bénévoles de tous les Oxfam-Wereldwinkels se rendent au centre de distribution d’Oxfam Fair Trade Crafts à Bierbeek (à proximité de Leuven) pour y choisir les produits qu’ils veulent vendre dans leur magasin. « J’adore travailler avec ces bénévoles qui, mus par un fantastique sentiment de fierté ou d’indignation, viennent passer leur temps libre ici, » nous confie le directeur Erik Devogelaere. Oxfam Fair Trade développe, promeut et distribue des produits du Sud, principalement dans les Oxfam-Wereldwinkels en Flandre. Jusqu’il y a peu, vous ne pouviez vous adresser à Oxfam Fair Trade que pour des denrées alimentaires. Toutefois, depuis qu’il a repris les activités artisanales de Fair Trade Original en Belgique, Oxfam Fair Trade distribue à présent aussi des produits du Sud faits main. Vaisselle, bijoux, foulards, jouets et produits de soin : l’éventail est tout aussi étendu que diversifié. Pour les bénévoles d’Oxfam-Wereldwinkels, il n’y a pas grand-chose qui change : depuis des années déjà, ils achetaient leurs produits non alimentaires au centre de distribution de Bierbeek. Par contre, en coulisse, les changements sont légion.
“Il est plus difficile de décrire l’aspect équitable de produits artisanaux que de denrées alimentaires.” " Auparavant, nous n’étions qu’un fournisseur ; maintenant, nous faisons partie
Oxfam Fair Trade Crafts
intégrante du mouvement Oxfam-Wereldwinkels, " nous confie le directeur Erik Devogelaere.
Interview réalisée par Lisa Develtere pour le Trade for Development Centre, novembre 2014. 97
Distribution Pendant 30 ans, Erik Devogelaere a été à la tête de l’antenne belge de Fair Trade Original, une fondation et un distributeur néerlandais de produits issus du commerce équitable. " Fair
“Les organisations du Sud cherchent parfois tellement à vendre leurs produits qu’elles en arrivent à sous-estimer les coûts.”
Trade Original fait figure de véritable pionnier sur le plan du commerce équitable en Europe, " raconte Erik Devogelaere. Les débuts de cette fondation remontent à 1959 lorsqu’un groupe de jeunes idéalistes a créé le Comité S.O.S. (Steun Onderontwikkelde Streken) qui expédiait du lait en poudre aux enfants souffrant de malnutrition en Sicile. L’organisation s’est professionnalisée et a pris l’appellation de SOS Wereldhandel. " SOS Wereldhandel et, par la suite, Fair Trade Original, a toujours joué le rôle d’importateur et de distributeur. Depuis 2015, Oxfam-Magasins du monde se charge de l’importation des produits. Et nous nous occupons de la distribution pour la Flandre. Nous avons notre mot à dire en ce qui concerne l’assortiment et nous nous efforçons, avec nos sept membres du personnel, de veiller à ce que le plus grand nombre possible de produits artisanaux soient vendus dans les Wereldwinkels. "
98
Produits de solidarité Au centre de distribution de Bierbeek, de petits groupes de bénévoles d’Oxfam farfouillent dans les produits du Sud. "Les particuliers peuvent eux aussi venir faire leur shopping ici. Et l’on rencontre même des propriétaires de magasins design d’Anvers en train de fureter dans les rayons à la recherche de produits de recyclage, par exemple. Mais bon, les clients proviennent majoritairement des Oxfam-Wereldwinkels," poursuit Erik Devogelaere. Outre les produits du Sud faits main, vous trouverez aussi chez Oxfam Fair Trade Crafts des produits de solidarité, comme des calendriers de 11.11.11 ou des bougies d’Amnesty International. "Chaque année, le Weredlwinkel moyen opte pour 300 à 400 références sur les 2.000 disponibles. Chaque Wereldwinkel décide s’il intègre ou non un produit à son assortiment. De notre côté, nous nous efforçons de les guider un peu dans leur choix en faisant la promotion de certains produits dans Fair, le magazine d’Oxfam-Wereldwinkels."
99
“Ce n’est pas le but que tout soit déterminé ici et que les fabricants du Sud soient de simples exécutants. Le développement des produits doit se faire de façon conjointe.“
Une multitude d’organisations partenaires Les produits sont issus de différents types d’organisations du Sud. " Certains produits sont fabriqués par de grandes et solides ONG. Leur fonc tionnement repose en partie sur le commerce équitable, mais elles font bien plus que simplement commercia
D’autres produits proviennent d’entrepri-
de produits artisanaux que de denrées
liser des produits. L’organisation Tara
ses, grandes ou petites. " L’idée de fem-
alimentaires. Il existe bien entendu
en Inde est un bon exemple. Son action
mes cuisant leurs poteries sur un petit
quelques critères applicables, comme
est centrée sur l’éducation et l’appui
feu devant leur hutte a certes un petit
la gestion d’entreprise, la participation
aux jeunes entrepreneurs, mais elle
côté romantique, mais si vous voulez de
du personnel et le respect de l’environ-
possède également des ateliers dans
la poterie de qualité, il faut vous adresser
nement. Mais le contexte joue lui aussi
lesquels les femmes créent des bijoux.
à une entreprise sérieuse, satisfaisant de
un rôle extrêmement important. Vous
Tara commercialise ses produits en
plus, cela va de soi, aux critères équita-
ne pouvez pas vous attendre à ce que
Inde, en Europe ainsi qu’en Amérique
bles, " poursuit Erik Devogelaere. " Il est
les mêmes critères s’appliquent tant
du Nord. "
plus difficile de décrire l’aspect équitable
au Rwanda qu’au Guatemala ou en Inde.
100
Développement de produits Selon Erik Devogelaere, ce qui fait des
" Toutes les organisations européennes
produits d’Oxfam Fair Trade Crafts des
qui s’occupent d’artisanat équitable in-
produits " équitables " est largement
vestissent par ailleurs beaucoup d’éner-
fonction des relations nouées avec le
gie dans le développement de produits.
partenaire du Sud. " La relation que
Il existe bien entendu aussi des produits
l’importateur noue avec ce partenaire
"de série", comme nous les appelons. Il
repose sur la question suivante : ‘Que
est dès lors possible d’y apporter quel-
pouvons-nous nous apporter l’un l’aut-
ques modifications mineures, comme
re au cours des prochaines années ?’ Il
demander à ce qu’une théière soit plus
est demandé au partenaire de calculer
petite. Ou encore à ce que le motif floral
ce que devrait coûter un produit, puis
imprimé sur un vase soit un peu moins
ce chiffre est analysé. Les organisations
criard. L’objectif est que les produits se
du Sud cherchent parfois tellement à
vendent ici, une démarche pour laquelle
vendre leurs produits qu’elles en arri-
certains partenaires ont besoin d’une
vent à sous-estimer les coûts. D’autres
solide assistance. Quoi qu’il en soit, ce
grands acteurs, qui n’optent pas pour
n’est pas le but que tout soit déterminé
le commerce équitable, adoptent eux
ici et que les fabricants du Sud soient
une attitude totalement différente. Ils
de simples exécutants. Le développe-
demandent : ‘Pouvez-vous fabriquer ce
ment des produits doit se faire de façon
produit pour cinquante centimes?’ Et si
conjointe. "
le fabricant répond ‘Non’, ils continuent à chercher un autre qui acceptera de le produire à ce prix. "
101
Détachement Pendant trente ans, Erik Devogelaere
dans les rayons du supermarché, cela
Leur raisonnement est que, de la sorte,
Fairtrade Belgium, je suis néanmoins
a occupé le poste de directeur de Fair
m’a rempli de joie. Les organisations
ils pourront réaliser quelque chose de
convaincu que nous avons toujours
Trade Original, tout en siégeant durant
commerciales alternatives ont toujours
significatif pour les paysans du Sud. Ils
besoin d’un mouvement de base doté
25 ans au Conseil d’administration
accueilli avec enthousiasme le label
savent par ailleurs aussi quels dangers
d’un esprit critique. Et si le commerce
de Max Havelaar, devenu entretemps
Fairtrade, mais elles commencent un
ils encourent. Et, sur ce plan, les orga-
équitable devait, en fin de compte, ne
Fairtrade Belgium. " J’estime que nous
peu à s’en détacher. Mais, bien entendu,
nisations commerciales alternatives ne
s’avérer être qu’une mode pour les gran-
avons réalisé énormément de choses
le commerce équitable ne se résume
se sentent pas vraiment à l’aise. Elles
des entreprises, le mouvement de base,
pendant toutes ces années d’activité.
pas aux produits portant le label. "
prétendent que créer plus de débouchés
lui, demeurera toujours, car il prend sa
pour les paysans ne change rien aux rè-
source dans son indignation face aux
Le commerce équitable est devenu un concept connu. Rétrospectivement,
" Pour l’heure, Fairtrade Belgium mise
gles du jeu. C’est entre autres la raison
rapports commerciaux inéquitables et
je suis donc extrêmement fier de ces
fortement sur le volume, raison pour
pour laquelle Oxfam Fair Trade n’est plus
dans le besoin de fédérer la population
réalisations. La première fois que j’ai
laquelle elle se lance dans l’aventure
titulaire de licence du label Fairtrade.
autour de cette problématique. "
vu des produits labellisés Fairtrade
avec les grands acteurs du marché.
Si je comprends le raisonnement de
En savoir plus? www.oxfamfairtrade.be/crafts Nous utilisons le terme " Fairtrade " uniquement lorsque nous nous référons au label Fairtrade de Fairtrade Belgium (ex-Max Havelaar) ou à des ingrédients ou produits portant le label Fairtrade.
102
OXFAM-MAGASINS DU MONDE
Entretien avec
Douchka Van Olphen
D’Oxfam-Magasins du monde, on connaît notamment les boutiques où l’on peut acheter une pléthore de produits équitables de très bonne qualité. Les habitués s’y rendent régulièrement pour acheter leur vin, leur jus de fruits, leurs céréales, leur café ou leurs produits d’artisanat équitable et de soin du corps. Les moins habitués s’y rendent en général au moment des fêtes, parce que les boutiques regorgent d’idées de cadeaux originales. Mais derrière les étals se cache un grand mouvement citoyen, un pionnier du commerce équitable qui parvient à mobiliser des milliers de bénévoles pour changer les mentalités.
Dans la famille Oxfam, je demande les Magasins du monde. C’est que, en effet, il y a Oxfam et Oxfam… L’organisation a été créée en 1942 en Angleterre sous l’appellation Oxford Committee for Famine Relief (d’où le nom) pour répondre à la famine qui sévissait alors en Grèce sous l’occupation allemande. Cette ONG historique s’est aujourd’hui développée en une confédération de dix-sept organisations indépendantes, dans le Nord mais aussi de plus en plus dans le Sud, Oxfam Inde, Oxfam Mexique, Oxfam Afrique du Sud…. En Belgique, où le mouvement s’est implanté en 1964, on en compte trois : Oxfam-So-
Oxfam-Magasins du monde : un mouvement citoyen
lidarité, ONG de coopération au développement, et ses deux sœurs jumelles, qui s’occupent de commerce équitable, Oxfam-Wereldwinkels (créée en 1971) en Flandre et Oxfam-Magasins du monde (créée en 1976) en Fédération Wallonie-Bruxelles. Oui, curieusement, ces jumelles ne sont pas nées le même jour. Mais elles pratiquent la même philosophie, celle du " trade not aid ", le commerce plutôt que l’assistanat.
Interview réalisée par François Hubert pour le Trade for Development Centre, juin 2014. 104
Professionnalisation " Les premiers produits équitables qui
ceux-ci doivent respecter des critères de
chances d’entrer dans les foyers. " De
jectif est de lutter contre les injustices
sont arrivés sur le marché belge étaient
qualité et d’authenticité exigeants, en
toute façon, la rentabilité n’a jamais été
socio-économiques. Nous portons une
des produits politiques ", explique
plus de ceux du commerce équitable ",
– et ne sera jamais – le seul but. "Nous
attention particulière aux populations
Douchka van Olphen, responsable de la
précise Douchka.
sommes des ASBL : si on dégage un
les plus marginalisées dans le Sud mais
Partage
bénéfice, ça nous permet de réinvestir
aussi le monde paysan dans le Nord
dans des projets avec nos partenaires
depuis le lancement de la démarche
et de veiller à la pérennité de l’associa-
Paysans du Nord en 2012. Notre but est de créer le changement.
communication chez Oxfam-Magasins du monde. " Ils étaient une manière très concrète d’attirer l’attention sur des questions d’injustice socio-éco-
À l’origine, les deux Oxfam " équitables"
tion. Le commerce équitable exercé par
nomiques dans le monde. " De fait, les
belges s’étaient partagés la tâche : les
Oxfam est et restera toujours un outil de
plus âgés d’entre nous se souviennent
produits alimentaires du Sud seraient
changement (parmi d’autres) dont l’ob-
peut-être des premières boutiques Ox-
gérés par les Oxfam Fair Trade (Gand)
fam, où des bénévoles militants vous
tandis qu’Oxfam-Magasins du mon-
guidaient autant vers les bouquins sur
de se spécialiserait dans l’artisanat.
le pouvoir des multinationales fruitiè-
Les mêmes produits se retrouvent
res que vers les ponchos fabriqués par
dans les boutiques des uns et des au-
les paysans boliviens.
tres. Aujourd’hui, il n’y a pas que des produits Oxfam dans les Magasins du
Rassurez-vous, si l’esprit militant n’a
monde-Oxfam. Il y a, par exemple, des
pas disparu, cette période-là est bien
produits alimentaires de la marque
passée : aujourd’hui, comme tout le
Ethiquable, qui suit les mêmes critères
secteur associatif, les Magasins du mon-
exigeants (équitables et de qualité)
de-Oxfam (et les Oxfam-Wereldwinkels)
qu’Oxfam.
se sont professionnalisés. Même si les boutiques sont toujours tenues par
A ceux qui prétendent que l’artisanat
des bénévoles, les produits proposés
est un marché plus complexe, avec des
sont de grande qualité et l’offre est très
volumes moins importants et des con-
variée. " Nos partenaires du Sud sont
trôles de qualité plus difficiles, Douchka
des professionnels. Nous visons tous
van Olphen répond : " Parce qu’il s’agit de
en priorité le changement social, mais
produits de consommation quotidiens,
dès lors que nous vendons des produits,
les produits alimentaires ont plus de
105
Des partenaires soigneusement choisis Membre de la WFTO (World Fair Trade
(artisanat) et la quantité est limitée.
Oxfam-Magasins du monde respecte
sont notamment accompagnés d’évalua
Organization), Oxfam-Magasins du
Les frais de licence pourraient en outre
des procédures très strictes de sélection
teurs externes.
monde ne considère pas la labellisation
s’avérer trop chers pour les producteurs
des partenaires. Quand un nouveau par-
des produits équitables comme une fin
les plus marginalisés. A contrario, la
tenariat est envisagé, une commission
Réinvestissement dans l’outil, projets
en soi. " Un label est un outil, explique
chaîne d’approvisionnement est plus
composée de bénévoles et de salariés
sanitaires, sociaux, éducatifs ou d’in-
Douchka. Chez Oxfam-Magasins du
courte que dans l’alimentaire, ce qui
Oxfam évalue le partenaire en fonction
frastructures…, le but de la " prime "
monde, nous travaillons par filières,
facilite la labellisation. Malgré ces
de critères exigeants. La transparence est
du commerce équitable mais aussi du
avec les acteurs, pas par produits.
particularités, la WFTO a récemment
de rigueur. " Cela peut prendre des mois
système de préfinancement est que le
Labelliser des produits d’artisanat
créé un label spécifique à l’artisanat
avant d’accepter un nouveau partenaire",
partenaire puisse réinvestir dans son
s’avérerait d’ailleurs très difficile car
équitable avec des critères exigeants,
précise Douchka. Pour les évaluations
projet et avancer dans son objectif de
il y a un côté éphémère au produit
reconnaissant le travail de qualité des
(respect des critères), Oxfam-Magasins
changement social. " On n’est pas dans
(collections printemps et hiver, évo-
organisations de commerce équitable
du monde rend également visite aux
une démarche paternaliste. Nous som-
lution et variété des objets). " De plus,
qui les respectent.
producteurs et collabore avec d’autres
mes sur pied d’égalité, les partenaires
acteurs européens pour les effectuer. Ils
et nous. "
chaque objet est fabriqué à la main
106
Priorité à la sensibilisation Sur le potentiel du commerce équi-
gne de l’ONG dénonce par exemple leur
table, Douchka van Olphen reste réa-
mainmise au Brésil sur la production des
liste : " Le commerce équitable est
oranges. Le pays est le plus grand pro-
une alternative, pas une solution à
ducteur et exportateur de jus au monde,
tout. Il nous permet de montrer qu’il
mais trois multinationales contrôlent à
est possible de produire, de vendre et
elles seules 99% de la production d’oran-
de consommer autrement. On le con-
ges ! Les campagnes sont parfois menées
state à travers les impacts positifs
conjointement avec l’organisation-sœur
en termes sociaux-économiques, en
"Oxfam-Wereldwinkels " comme en 2010
termes de santé ou d’environnement
avec la campagne sur les conditions
qu’apporte la pratique d’un commerce
de production du cacao en Afrique de
équitable exigeant. En même temps,
l’Ouest, où des situations d’esclavage
la sensibilisation des citoyens sur les
des enfants existent.
enjeux liés au commerce équitable est primordiale. " Pour preuve, les grandes campagnes qui sont depuis longtemps le fer de lance de l’association. Par exemple, Oxfam-Magasins du monde a été parmi les premiers à militer en faveur de vêtements "propres" produits dans des condi tions de travail décentes. Aujourd’hui, Oxfam-Magasins du monde continue à dénoncer les injustices créées par les multinationales. La dernière campa
“Le commerce équitable est une alternative, pas une solution à tout. Il nous permet de montrer qu’il est possible de produire, de vendre et de consommer autrement. ” 107
Nord, Sud, même combat Les problèmes auxquels sont con-
trialisation croissante de l’agriculture
venu le même combat au Nord qu’au Sud,
conviviale : chaque année, l’ONG organise
frontés les paysans n’ont plus de
précipite la disparition de centaines de
analyse Douchka. Chaque jour, on se rend
les petits déjeuners Oxfam à l’occasion
frontières. Au Sud comme au Nord,
milliers d’emplois paysans, y compris
compte davantage que nous, citoyens,
de la semaine du commerce équitable en
l’agriculture paysanne disparaît au
en Belgique. C’est la raison pour la-
nous devons chercher des alternatives.
octobre, une manière originale de décou-
profit de l’agro-industrie qui ne pour-
quelle désormais, Oxfam-Magasins du
En Belgique, il y a des tas d’initiatives qui
vrir les produits du commerce équitable
ra pas nourrir le monde durablement.
monde s’engage également aux côtés
naissent : dans les vêtements de secon-
et " d’encourager les consommateurs à
De plus en plus de paysans cessent
des paysans du Nord proposant dans
de main, dans les logements partagés,
modifier leurs habitudes de consomma-
leur activité car il n’est plus possible
ses magasins des produits issus de
dans les coopératives laitières, les Gac,
tion et de se mettre en action". Un petit
d’en vivre dignement. En 2009, par
l’agriculture paysanne durable du Nord.
les associations comme Terre en vue… »
café pour la route ?
épandu leur lait sur leurs champs pour
" Nous sommes dans un monde de plus
Oxfam-Magasins du monde est un mou-
dénoncer des prix de vente plus bas
en plus inter-relié. L’agro-industrie, le
vement citoyen qui invite tout le monde à
En savoir plus?
que leurs coûts de production. L’indus-
climat, les inégalités sociales…, c’est de-
s’engager. Et ce, parfois de manière très
www.wereldcafe.be
exemple, des fermiers désespérés ont
“Nous sommes dans un monde de plus en plus inter-relié. L’agro-industrie, le climat, les inégalités sociales…, c’est devenu le même combat au Nord qu’au Sud.”
108
CLARYSSE
Entretien avec
Peter Bauwens
Jules Clarysse s’est lancé dans la production de textile de bain à très petite échelle il y a plus de 70 ans déjà. Avec une production annuelle de 20 millions de serviettes de bain, dont 20% d’équitables en 2014, Clarysse NV est aujourd’hui le chef de file du marché européen. Même durant la crise, Clarysse a continué à s’investir et à investir dans la durabilité.
Aujourd’hui encore, l’entreprise est dirigée par la famille Clarysse. Les deux petits-fils de Jules Clarysse, Luc et Bernard, en assurent la direction générale avec Peter Bauwens, leur directeur commercial. " J’ai commencé à travailler ici comme employé il y a 18 ans, après mes candidatures en médecine, " se rappelle ce dernier. "En termes de durabilité, nous sommes le numéro un mondial dans notre secteur", explique Peter Bauwens. " La durabilité comporte tant un volet éthique qu’un volet écologique. Nous avons commercialisé nos premières serviettes de bain en coton équitable il y a environ dix ans maintenant. Après quelques années, nous avons mis au point une nouvelle gamme dans le droit fil de la philosophie de l’économie circulaire : Cradle to Cradle (C2C). " Ce modèle commercial vise à concevoir des produits de façon à ce qu’ils soient sûrs et recyclables d’un bout à l’autre de la chaîne de production.
Clarysse : 4 millions de serviettes de bain équitables Interview réalisée par Lisa Develtere pour le Trade for Development Centre, novembre 2014. 110
4 millions de serviettes de bain équitables Clarysse a choisi de ne pas trop aug-
juste un coup de marketing ! Le fait
menter le prix de ses textiles en coton
d’avoir notre propre vision de la durabi-
équitable. " Le coton équitable revient
lité donne un sens à ma vie. Je pourrais
un peu plus cher que le coton non équi-
m’enfermer dans mon grenier et écrire un
table, mais nous ne facturons qu’un
gros bouquin sur le sujet, mais ce n’est
petit supplément de prix pour compen-
pas cela qui va aider les petits produc-
ser le coût plus élevé du fil de coton.
teurs de coton. Nous avons un produit
Nous avons pris le parti de miser sur
et c’est grâce à cela que nous pouvons
les volumes ", explique Peter Bauwens.
effectivement faire une différence. "
" Nous voulons réaliser des bénéfices non pas en vendant les articles équitables à un prix supérieur, mais en écoulant de grandes quantités. "
Faire la différence
" C’est justement grâce au fait que nos
Tout le coton équitable utilisé chez
serviettes de bain en coton équitable
Clarysse NV provient d’Afrique de l’Ouest,
ne coûtent pas beaucoup plus cher
plus spécifiquement du Mali. "Les cen-
que les autres qu’elles remportent un
taines de camions de coton équitable
franc succès ", conclut Peter Bauwens.
que nous importons permettent à un
"Aujourd’hui, la vente de textiles équita-
très grand nombre de petits produc-
bles représente près de 20 % du chiffre
teurs maliens d’améliorer leur quotidien.
d’affaires de Clarysse, soit environ 4 mil-
Je me suis rendu au Mali avec ma famille
lions de serviettes de bain. Pouvez-vous
il y a quelques années et j’ai vu de mes
vous imaginer combien de conteneurs
propres yeux que le commerce équitable
de coton cela représente ?"
y fait réellement une différence !"
“Les centaines de camions de coton équitable que nous importons permettent à un très grand nombre de petits producteurs maliens d’améliorer leur quotidien.”
Peter Bauwens tire une grande fierté du succès des serviettes de bain équitables. " Nous y croyons vraiment, ce n’est pas
111
Transparence et volumes d’achat Néanmoins, Peter Bauwens pointe aussi quelques problèmes. " Nous n’achetons pas notre coton directement auprès des producteurs maliens. Nous achetons le fil de coton à une filature certifiée, en laquelle nous avons une confiance totale. Mais il y a trop peu de transparence au niveau des chaînons entre le coton de la coopérative de producteurs et les conteneurs arrivant dans le port d’Anvers. Il y a encore un nombre important d’intermédiaires. " " Un second problème se situe au niveau des distributeurs et des consommateurs ", poursuit Peter Bauwens. " Tout le monde veut changer le monde, mais n’est pas disposé à payer plus pour y arriver. Les petits producteurs de coton équitable se plaignent tous des volumes d’achat trop faibles. La responsabilité en incombe partiellement aux distributeurs qui s’alignent toujours les uns sur les autres. De leur côté, les consommateurs sont aussi plus enclins à acheter du café ou des bananes équitables que des textiles équitables. "
112
Continuer à s’investir dans la durabilité
Tout au long de la crise, Clarysse a con-
Fin 2009, Clarysse a remporté le prix
qui est bien entendu parfaitement bio-
tinué à s’investir et à investir dans la
Cradle to Cradle du gouvernement fla-
dégradable. Mais le problème résidait
durabilité. "Lorsque tout va mal, on en
mand. "Nous avons été les premiers
dans les teintures, le fil de confection
Clarysse a traversé une période avec
arriverait presque à oublier certains
surpris. Nous avions certes introduit
et l’étiquette, qui ne le sont pas. Nous
la crise financière et économique. "Il
principes. Et à penser que le commerce
un dossier, mais nous ne nous étions
avons donc dû plancher pour trouver
y a six ans, nous étions encore six fa-
équitable ou la méthode de production
pas encore concrètement lancés dans
des solutions. "Clarysse adopte la même
bricants belges de serviettes de bain.
C2C peuvent bien attendre. Nous avons
la production de serviettes biodégra-
approche pour ses produits C2C que pour
Nous sommes le seul à avoir survécu
résolument choisi de ne pas succomber
dables. Apparemment, le jury a estimé
ses produits équitables." Nous y croyons,
à la crise. Et il s’en est fallu de peu!",
à l’appel des sirènes. En plein cœur de
que notre potentiel de croissance était le
nous ne les considérons pas juste com-
nous confie Peter Bauwens." Après
la crise, nous avons reçu la visite du
plus prometteur et nous a octroyé cette
me une stratégie de marketing et nous
trois années pénibles, le vent a tourné
couple alors encore princier, Mathilde
récompense destinée à la recherche sur
ne demandons qu’un supplément de
et nous avons connu trois années de
et Philippe. À l’époque, nous essuyions
le C2C."
prix modéré."
croissance, tant en termes de chiffre
des pertes et ne savions même pas si
d’affaires que de bénéfices. Pour moi,
nous passerions le cap de l’année, ce
Deux ans plus tard, Clarysse a lancé
c’est grâce à notre plan stratégique, à
n’était donc pas simple. Mais nous leur
sur le marché sa première serviette de
notre persévérance, mais aussi à une
avons expliqué notre philosophie sans
bain biodégradable." Ces serviettes sont
bonne dose de chance. "
arrière-pensée ni faux-semblant."
réalisées en coton, une fibre naturelle
113
En savoir plus? www.julesclarysse.com
“Lorsque tout va mal, on en arriverait presque à oublier certains principes. Nous avons résolument choisi de ne pas succomber à l’appel des sirènes.“
ACP
Entretien avec
Dirk Piret
L’atelier d’impression textile ACP, qui propose des vêtements équitables promotionnels et de travail, ressent clairement une hausse tant de l’offre que de l’intérêt pour des vêtements durables. Toutefois, même si « bon nombre de clients s’informent sur le choix le plus durable, au moment de prendre la décision finale, même les organisations les plus engagées optent pour le produit le meilleur marché, ce qui, pour nous, s’avère parfois extrêmement frustrant », nous confie le directeur Dirk Piret.
L’atelier d’impression textile ACP a vu le jour il y a onze ans. Auparavant, Dirk Piret était responsable d’une imprimerie sérigraphique, pour un projet bruxellois d’insertion professionnelle. Lorsque les subsides se sont taris, Dirk Piret a perdu son travail. Il a alors pris la décision de se lancer comme indépendant et de continuer la sérigraphie. Dès le départ, ACP a travaillé avec des encres durables à base aqueuse. " C’est au moment où nous avons pu acheter des t-shirts à un euro la pièce que nous avons résolument franchi le pas et opté pour la durabilité, " se souvient Dirk Piret. " Il n’était même pas nécessaire d’acheter une boîte complète de t-shirts. Le transport depuis l’importateur à Bruxelles ou Anvers jusque chez nous coûtait plus que le t-shirt lui-même. Une logique qui nous paraissait tout à fait absurde. Lorsque je vais prendre une bière dans un café tout proche, cela me coûte plus cher que ce t-shirt fabriqué au Cambodge et dont le coton a été cultivé, cueilli, tissé et
ACP: des vêtements de travail et promo tionnels équitables
teint en Inde, par exemple. " Ce constat a dès lors motivé ACP à s’investir dans la difficile quête du textile équitable. " Nous avons demandé des codes de conduite (codes of conduct) à nos fournisseurs, ce qu’ils nous ont d’ailleurs immédiatement fourni. Toutefois, ces codes ne sont rien de plus qu’une déclaration d’intention énumérant des évidences, comme le fait que le producteur est opposé au travail des enfants et qu’il a la volonté de
Interview réalisée par Lisa Develtere
verser un salaire ", déclare Anne Verbruggen, collaboratrice de l’entreprise familiale.
pour le Trade for Development Centre, novembre 2014. 115
Transparence Derrière l’industrie textile se cache
fasse effectivement l’objet d’un contrôle,
toute une série d’acteurs, ce qui ne
"affirme Anne Verbruggen. " La Fair Wear
plaide pas en faveur de la transparen-
Foundation est une initiative multipartite
ce de la filière. " Nous achetons notre
représentant à la fois les organisations
textile à des stockistes, qui l’achètent
de travailleurs et les associations pa-
eux à des fabricants, avant de le dis-
tronales. Le respect du code de conduite
patcher sur l’ensemble du territoire ",
est vérifié au moyen d’audits externes.
explique Dirk Piret. " La majorité de ces
En cas d’infractions constatées, le mem
prétendus "fabricants" ne produisent
bre dispose de quelques années pour se
pas eux-mêmes les vêtements. Ils se
mettre en ordre."
contentent de passer commande dans un pays comme le Bangladesh. Ils in-
"Nous avons immédiatement introduit
diquent qu’ils veulent faire produire x
une demande d’affiliation, même si cela
millions de pièces et c’est l’atelier qui
s’avère extrêmement coûteux. En fait,
peut honorer cette commande au prix le
nous délions les cordons de la bourse...
plus bas, qui l’emporte. Et ce n’est qu’à
pour nous faire contrôler ", nous confie
ce moment-là que ce dernier commen-
en riant Dirk Piret. Attendu qu’ACP est
ce à recruter le personnel temporaire
membre de la Fair Wear Foundation,
nécessaire pour la commande. "
90 % de ses fournisseurs doivent par ailleurs aussi y être affiliés. Et pourquoi
Lors de sa quête de vêtements équita-
pas 100 % ? " Afin de pouvoir répondre
bles, ACP est rapidement entré en contact
aussi à certaines demandes ", explique
avec la campagne " SKC - Schone Kleren
Anne Verbruggen. " Aucun fabricant de
Campagne " (l’équivalent en Flandres
chaussures n’est par exemple membre
d’achACT), un réseau d’ONG qui milite
de la Fair Wear Foundation. Lorsqu’un de
en faveur d’une amélioration des condi-
nos clients demande des chaussures,
tions de travail dans l’industrie textile.
cela nous permet donc d’accéder à sa
" Selon les dires de la campagne SKC,
demande. "
“Lorsque je vais prendre une bière dans un café tout proche, cela me coûte plus cher que ce t-shirt fabriqué au Cambodge et dont le coton a été cultivé, cueilli, tissé et teint en Inde, par exemple.“
une affiliation à la Fair Wear Foundation offre la meilleure garantie que le code de conduite signé par ses membres
116
Label or not label La Fair Wear Foundation n’est pas par-
ton. Ce label ne se prononce en principe
tisane de l’apposition d’un label sur
pas sur les conditions de tissage ou sur
les vêtements de ses membres. "Un
la confection. Nous vendons aussi des
choix qu’elle motive par le fait qu’il est
vêtements en coton bio portant le label
impossible de garantir à 100 % qu’un
GOTS, la norme mondialement connue
vêtement particulier soit "propre", c.-
de certification de fibres organiques. "
“Derrière l’industrie textile se cache toute une série d’acteurs, ce qui ne plaide pas en faveur de la transparence de la filière.“
à-d. produit dans des conditions de travail décentes ", poursuit Anne Verbruggen. " Toutefois, l’absence de label
" Même si le client veut pouvoir faire son
empêche une communication claire
choix entre plusieurs couleurs et modè-
avec la clientèle. Pour les commandes
les, sa motivation première demeure le
plus conséquentes, nous ajoutons à
prix, " ajoute Dirk Piret. " Bien souvent,
nos articles vestimentaires un petit
des vêtements portant un label tel que
document donnant plus d’informations
Fairtrade coûtent plus cher. Bon nom-
sur la provenance du vêtement et sur
bre de clients s’informent certes sur le
les garanties que nous offrons. "
choix le plus durable, mais au moment de prendre la décision finale, même les
Une partie du textile imprimé par ACP
organisations les plus engagées optent
porte cependant d’autres labels connus.
pour le produit le meilleur marché, ce qui,
" Certains t-shirts portent le label Fair-
pour nous, s’avère parfois extrêmement
trade, connu de bon nombre de consom-
frustrant. "Een deel van het textiel dat
mateurs, bien qu’il ne garantisse un prix
ACP bedrukt, draagt wel andere bekende
décent qu’aux seuls producteurs de co-
labels.
117
Rana Plaza Après l’effondrement en 2013 du Rana
suit Dirk Piret. " Aux Pays-Bas, les pou-
Plaza, un immeuble abritant des ate-
voirs publics ont l’obligation d’acheter
liers de confection au Bangladesh, les
des vêtements de travail auprès d’un
médias du monde entier ont braqué les
vendeur affilié à la Fair Wear Foundation.
projecteurs sur les mauvaises condi
Tous les acteurs de ce secteur sont donc
tions de travail dans l’industrie textile.
de facto membres de cette organisation. "
"Notre sentiment est que les producteurs en parlent eux aussi davantage.
" Depuis quelque temps, nous propo-
Bien entendu, il ne suffit pas d’en par-
sons des vêtements de travail labellisés
ler; il faut également agir ", souligne
Fairtrade, conçus sur mesure pour les
Anne Verbruggen. " Depuis cet évène-
travailleurs communaux, dont les é
ment, nous recevons beaucoup plus de
boueurs. Nous avons fait le tour de toutes
demandes, mais je ne sais pas si cela
les FairTradeGemeenten (communes
va durer. C’est une situation un peu
flamandes du commerce équitable) avec
comparable à la crise de la dioxine dans
notre concept, mais depuis, plus aucune
le secteur alimentaire. Pendant tout
nouvelle. Et pourtant, le prix est tout à fait
un temps, plus personne n’a acheté
comparable à celui d’autres vêtements
de poulets, mais peu après, la plupart
de travail de qualité ", ajoute Anne Ver-
des gens avaient oublié. "
bruggen. " Les communes veulent toutes être certifiées FairTradeGemeente, mais
Pour l’heure, ACP est la seule entreprise
les responsables des achats optent bien
belge d’impression textile à être affiliée à
souvent pour la solution la plus simple.
la Fair Wear Foundation. " Il serait intéres-
Et la durabilité est loin d’être un critère
sant pour nous que d’autres entreprises
repris dans les marchés publics plus
comme la nôtre adhèrent elles aussi à la
conséquents. "
Fair Wear Foundation. Cela permettrait une concurrence plus équitable ", pour-
118
20.000 litres d’eau " En peu de temps, l’offre de textile durable a connu une forte hausse. La différence par rapport à il y a quelques années est énorme. Et c’est aussi abso
bou, mais cette production n’en est qu’à
lument nécessaire, car la production
ses balbutiements. Contrairement à la
"conventionnelle" de coton n’est en fait
Chine, l’Europe ne compte encore aucune
pas du tout durable ", raconte Dirk Piret.
filature de chanvre. Le bambou est une
" La confection d’un jean et d’un t-shirt
matière très raffinée à porter. Il offre la
nécessite un kilo de coton et consomme
même sensation que le satin, présente
20.000 litres d’eau. C’est intenable d’un
l’avantage de ne pas se froisser et peut
point de vue écologique. D’autre part,
se substituer au polyester. Grâce à sa
si demain tout le monde voulait passer
croissance ultrarapide, le bambou peut
au coton bio, cela poserait un sérieux
être récolté jusqu’à cinq fois par an. Et
problème, car cette production requiert
même si la transformation de fibres de
le double de superficie cultivable que
bambou en textile s’avère quelque peu
pour le coton conventionnel. "
polluante, je suis d’avis que les problè-
“La confection d’un jeans et d’un t-shirt nécessite un kilo de coton et consomme 20.000 litres d’eau. C’est intenable d’un point de vue écologique.”
mes posés par le chanvre et le bambou "ACP propose aussi des vêtements fa-
sont bien plus faciles à surmonter que
briqués dans d’autres matières que le
les difficultés majeures liées à la produc-
coton. " Nous développons entre autres
tion de coton. Mais le secteur du coton
du textile à base de chanvre et de bam-
peut lui compter sur un solide lobby. "
En savoir plus? www.acpinfo.be
119
PURO
Entretien avec
Frans Van Tilborg
Chaque année, des millions de kilos de café Puro Fairtrade Coffee sont vendus à travers le monde. Pour le CEO, Frans Van Tilborg, entreprendre ne signifie pas seulement faire du profit, mais aussi se soucier des gens et de la planète. Une part du chiffre d’affaires de Puro est ainsi consacrée à l’achat de portions de forêt tropicale menacée, dans le but de la protéger durablement. Depuis son lancement, il y a dix ans, Puro a déjà acquis une superficie de forêt équatoriale équivalant à plus de 10.000 terrains de football.
Puro est une marque de café de la société Miko, établie à Turnhout depuis plus de 200 ans. " Nous existons depuis plus longtemps que la Belgique ", affirme en riant le CEO Frans Van Tilborg. Créé en 1801, le groupe Miko s’est lancé dans le commerce d’articles coloniaux, dont des produits exotiques tels que poivre, sel, café et thé. Ce n’est qu’à la fin du 19e siècle que Miko décide de se consacrer entièrement au café. À cette époque, le café est torréfié dans un brûloir dans le magasin même, avant d’être livré à domicile en triporteur. La construction de l’usine de torréfaction à Turnhout permet ensuite à Miko de professionnaliser ses activités. Jusque dans les années 70, Miko livrait tout son café au commerce de détail. " Mais avec l’avènement des supermarchés, la société a changé de cap, et nous avons étendu nos activités au marché extérieur. D’abord à la Belgique, puis aussi à d’autres pays ", déclare Frans Van Tilborg. " Nous livrons
Puro : le café équitable Puro à la rescousse de la forêt vierge
surtout aux entreprises, mais aussi à l’horeca et aux établissements de santé, par exemple. " En 2005, le groupe Miko conçoit l’idée de commercialiser une marque de café durable, baptisée Puro Fairtrade Coffee. " L’assortiment Miko comprenait déjà un café équitable, qui remportait surtout un franc succès au Royaume-Uni. Nous avons néanmoins décidé de faire une distinction plus claire entre ce que nous appelons
Interview réalisée par Lisa Develtere
" free trade " (libre-échange) et " fair trade " (commerce équitable). Mais attention,
pour le Trade for Development Centre, novembre 2014. 121
le café du " free trade " doit lui aussi res-
(People) et la Planète. Ce à quoi nous
plus résistants. Nous soutenons par
aujourd’hui encore. Si nous n’agissons
pecter certaines conditions minimales,
avons ajouté un quatrième P : le Plaisir.
ailleurs un projet dans les bidonvilles
pas rapidement, dans vingt ans, il n’y
en termes de droits de la personne, par
Le café Puro doit donc également faire
sud-africains. "
aura plus de forêt vierge ! "
exemple. "
la part belle à ces quatre P. " " Mais nous avons aussi pris au sérieux
Lors de la création de ses cafés Puro,
Entreprendre ne signifie pas seulement
le P de Planète ", poursuit Frans Van Til-
Miko a mis en place un panel inter-
faire du profit, mais aussi se soucier des
borg. " Ainsi, nous offrons 2 % du chiffre
national de dégustateurs de café. " Si
gens. C’est pourquoi nous avons choisi le
d’affaires réalisé sur les produits Puro
l’histoire du café est importante, c’est
label Fairtrade pour notre café Puro. Mais
au World Land Trust, une organisation
par le goût que tout commence. Sans
nous ne nous en tenons pas là : le groupe
de protection de la nature établie au
le Plaisir, les Profit, People et Planète
Miko appuie aussi des projets dans des
Royaume-Uni, pour permettre à celle-ci
comptent pour du beurre ", affirme Frans
Le groupe Miko ne voulait surtout pas
régions caféicoles en RDC par l’entremise
d’acheter et de protéger des parties de
Van Tilborg. " À l’échelon mondial, seul
lancer une énième marque de café la-
des ONG Ondernemers voor Ondernemers
forêt tropicale menacée. Depuis le lance-
un faible pourcentage du café cultivé
bellisé équitable. " Puro marque pour
et Congodorpen. Nous y avons investi
ment de Puro, nous avons ainsi acquis
est certifié Fairtrade. C’est à partir de
nous une nouvelle étape ", explique
dans deux machines de transforma-
l’équivalent de plus de 10.000 terrains
cette offre limitée que nous avons dû
Frans Van Tilborg, " car, depuis, l’en-
tion du café, ainsi que dans quelques
de foot, une démarche particulièrement
créer un bon café au goût harmonieux.
trepreneuriat durable aussi fait partie
hectares de terre destinés à permettre
importante à mes yeux. Après tout, la
Cela n’a pas été évident. Mais le fait que
de notre mission. Nous voulons en effet
aux caféiculteurs, dont les plantations
forêt vierge n’est-elle pas le poumon
nous fournissons en café des établis-
prendre en compte, dans chacune de
sont attaquées par des bactéries, de
vert de la planète ? Or, on y assiste à une
sements parmi les plus en vue, comme
nos décisions, tant le Profit que les gens
recommencer avec de nouveaux plants
véritable coupe à blanc, qui se poursuit
le Saint Andrews, le deuxième club de
Profit, Peuple, Planète et Plaisir
“Depuis le lancement de Puro, nous avons ainsi acquis l’équivalent de plus de 10.000 terrains de foot.” 122
golf au monde, prouve bien que nous y sommes arrivés, car qualité et goût y sont les maîtres mots ! " te", déclare-t-il en riant. " Nous vendons
le café contenu dans l’emballage n’est
quelques millions de kilos de café Puro
pas toujours certifié à 100 %. Person-
par an. Ce n’est pas rien ! Bien entendu,
nellement, je trouve que cela revient à
Miko a d’emblée voulu faire de Puro une
ces résultats me réjouissent. Car notre
tromper le client. On est soit 100 % " free
marque tendance. " Nous souhaitions
action en faveur du Sud et le nombre
trade ", soit 100 % " fair trade ". Ce que
sortir le café équitable de la marginali-
d’hectares de forêt tropicale que nous
j’apprécie aussi chez Fairtrade, c’est leur
té ; notre raisonnement était donc que
pouvons acheter dépendent directement
ramification internationale : c’est une
plus nous en vendions, plus nous pour-
du chiffre d’affaires de Puro. "
grande organisation capable de tenir
Branché
rions agir en faveur du Sud et acheter
ses promesses en matière de contrôles. "
des pans de forêt vierge. Le meilleur
Il y a 20 ans, Frans Van Tilborg entamait
moyen d’y parvenir consistait, selon
sa carrière chez Miko comme représen-
nous, à lancer une marque branchée,
tant. Lors du lancement du café Puro, il
ce que nous avons réalisé grâce à un
n’était pas encore CEO, mais en sa qualité
marketing créatif et non pas à coups
de responsable export et d’administra-
de gros budgets. Puro est synonyme
teur délégué, il fut étroitement associé au
de classe et de plaisir, et même de
développement de la marque. " Puro, c’est
bien-être. Je pense qu’il est prisé par
un peu mon bébé ", nous confie Frans Van
toutes les tranches d’âge. "
Tilborg, le sourire aux lèvres. " J’ai étudié en détail les différents labels applicables
La politique de durabilité de Puro lui a
au café. Nous souhaitions à tout prix
déjà valu plusieurs prix, cette approche
collaborer avec une organisation dotée
se soldant par ailleurs par de remar-
d’un contrôle externe, car se contrôler
quables chiffres de vente. Le jour du
soi-même est plutôt tendancieux ! "
lancement de Puro, Frans Van Tilborg exprimait le souhait que la marque re-
" L’aspect qui me plaît le plus chez Fair-
présente 15 % du volume du groupe le
trade est qu’ils respectent rigoureuse-
jour de sa retraite. " Aujourd’hui, elle a
ment leur mission et ne s’éparpillent pas
déjà dépassé le cap de 30 %, alors que
tous azimuts. Par ailleurs, ils n’autorisent
je suis encore loin de prendre ma retrai-
pas les mélanges. Chez les autres labels,
“Nous avons dû créer un bon café au goût harmonieux. Cela n’a pas été évident. Mais le fait que nous fournissons en café des établissements parmi les plus en vue prouve bien que nous y sommes arrivés.”
123
Une nouvelle philosophie Les cafés Puro sont légèrement plus chers que les autres cafés de Miko. "L’appui au World Land Trust est entiè rement supporté par le groupe, mais le supplément de prix généré par le label équitable est perçu comme un engagement de la part du client et donc répercuté en majeure partie sur ce dernier. Qu’il y ait ou non une différence de prix entre le " fair trade " et le " free trade " dépend du cours des prix du café. Ceux-ci étant actuellement exceptionnellement élevés, la différence est minime. " Les cafés Puro se déclinent en trois variétés : Puro Noble, Puro Fuerte et Puro Bio. " Notre gamme ne se limite pas au café. Nous proposons aussi du chocolat au lait, du thé et d’autres produits tels que
déterminé. Le lancement de Puro a né-
En 2015, à l’occasion de son dixième an-
des morceaux de sucre blanc ou brun.
cessité un changement de philosophie.
niversaire, Puro a lancé une campagne
Le tout certifié Fairtrade. "
Certains d’entre eux ont tout de suite
intitulée Pure Power. " À travers celle-ci,
amorcé le virage, d’autres ont mis un
nous souhaitions remettre à l’honneur
Selon Frans Van Tilborg, la première
peu plus de temps. Mais dès l’instant
notre engagement ", déclare Frans Van
Nous utilisons le mot "Fairtrade" si nous nous
étape de la " success story " de Puro fut
où l’enthousiasme a gagné l’ensemble
Tilborg. " Nous voulions faire savoir à
référons au label de commerce équitable de
de convaincre ses propres troupes. " Les
de l’équipe, il s’est aussitôt propagé au
toutes les entreprises, organisations
Fairtrade Belgium (anciennement Max Ha-
collaborateurs sont habitués aux mar-
marché. Cet enthousiasme est la clé du
et écoles servant du café Puro que, les
velaar) ou aux ingrédients ou produits issus
ques existantes et à un mode de travail
succès ! "
dix années à venir, nous continuerons à
du commerce équitable qui portent le label
nous engager en faveur de la durabilité ".
Fairtrade.
124
En savoir plus? www.purocoffee.com
KLINGELE
Entretien avec
Koen Klingele
Fabricant de chocolat depuis plus de 20 ans, Klingele s’est spécialisé dans les chocolats sans sucre ajouté et les chocolats équitables et bios. Outre ses propres marques, Balance et Green Dream, il produit aussi du chocolat pour d’autres. Il y a donc de fortes chances pour que vous ayez déjà rencontré des produits de Klingele dans les rayons de votre supermarché.
Le jeune Koen Klingele n’avait nullement l’intention de devenir chocolatier. Il avait en fait étudié l’agriculture tropicale dans l’optique de travailler dans le secteur de la coopération au développement. " Durant mon séjour à l’étranger dans le cadre de ma thèse, je me suis rendu compte qu’être loin de mes amis et de ma famille, ce n’était pas vraiment pour moi. J’ai donc cherché du travail en Belgique. Au début, j’ai trouvé un emploi dans la vente de pesticides, alors que je suis en fait opposé à leur usage, " nous confie-t-il en riant. " Par la suite, alors que je travaillais pour une société de dératisation, je me suis rendu à plusieurs reprises chez des fabricants de chocolat. C’est ainsi qu’a germé dans mon esprit l’idée de me lancer moi aussi dans le chocolat. " Au départ, Koen Klingele faisait exclusivement du chocolat sans sucre ajouté. "Je voulais développer un produit de niche, quelque chose qu’on ne trouvait nulle part ailleurs. J’ai démarré mes activités à très petite échelle dans la première moitié des années 90. Je préparais le chocolat dans ma cuisine, où je le coulais dans de petits moules, avant d’apporter en vélo les barres de chocolat à plusieurs magasins bios de Gand. " Après quatre ans, Koen Klingele a lancé la marque Balance et il a commencé à produire à plus grande échelle du chocolat sans sucre ajouté.
Klingele : un délice de chocolat Interview réalisée par Lisa Develtere pour le Trade for Development Centre, novembre 2014. 126
Plaisir Il y a aujourd’hui environ dix ans, Koen
Et de poursuivre : " Depuis que nous
Klingele a créé une nouvelle marque :
avons modernisé nos emballages, les
Green Dream, du chocolat bio et équi-
ventes de nos marques Balance et Green
table. " Si j’ai franchi ce pas, c’est que
Dream ont progressé ". Il n’empêche que
je voulais me diversifier, mais aus-
60 % de la production sont toujours
si et surtout que j’y crois vraiment.
destinés à d’autres marques. " Nous pou-
Depuis ma plus tendre enfance, j’étais
vons aussi créer des produits spéciaux,
volontaire dans un Wereldwinkel. Pour
en faibles et grandes quantités, pour
moi, chocolat rime avec plaisir à l’état
nos clients. Les tablettes de chocolat
pur. Mais peut-on réellement apprécier
bio Fairtrade* de Carrefour notamment
quelque chose, quand on sait que des
sont produites par Klingele. "
enfants sont exploités pour produire du cacao ? Tout à coup, le chocolat perd toute saveur. " " L’équitable et le bio reviennent un peu plus chers pour le consommateur, mais cela n’est pas dû au prix versé pour le cacao équitable. Ce supplément de prix garantit certes aux agriculteurs de meilleures conditions de vie, mais il est imperceptible sur le prix du produit final. Si le bio et l’équitable sont si chers, c’est parce qu’il s’agit d’un produit de niche, fabriqué à petite échelle, " nous confie Koen Klingele, qui produit essentiellement des tablettes et des barres de chocolat.
127
“Pour moi, chocolat rime avec plaisir à l’état pur. Mais peut-on réellement apprécier quelque chose, quand on sait que des enfants sont e xploités pour produire du cacao ?”
2 tonnes de chocolat Klingele ne se charge pas lui-même de la transformation des fèves de cacao en chocolat. " La Belgique compte
chocolat sans sucre ajouté que le Japon
avons, en effet, pratiquement fait faillite
mencé à circuler sur son obésité présu-
approximativement quatre transfor-
et la Corée du Sud, qui optent davantage
en 2003. À l’époque, nous exportions de
mée qui aurait entraîné des problèmes
mateurs de ce genre, auxquels nous
pour la marque Green Dream. "
gros volumes vers quelques grandes
cardiaques. " Du jour au lendemain, tous
chaînes de supermarchés aux USA.
les produits associés au régime Atkins
faisons appel, tout comme quelque 300 autres chocolatiers belges. Com-
Ces cinq dernières années, Klingele a
me nous leur commandons de grosses
enregistré une croissance de 15 à 20 %
Le régime hypoglucidique Atkins, dans
chés. Notre chiffre d’affaires s’est alors
quantités, nous pouvons réclamer qu’il
l’an. Mais celle-ci comporte aussi des ris-
lequel s’inscrivaient parfaitement nos
effondré de 50 %, au moment où nous
soit préparé selon notre propre recet-
ques, selon Koen Klingele. " Nous devons
produits, y faisait rage. " Toutefois, en
venions tout juste d’investir dans un
te**. Nous ajoutons à ce chocolat des
consentir de lourds investissements
2003, Robert Atkins, fondateur de ce ré-
nouveau site de production. À présent,
fruits ou des noix, par exemple, avant
pour pouvoir suivre, mais nous devons
gime, est décédé des suites d’une chute.
je ne travaille plus avec ce genre de gros
de le mouler, puis de l’emballer. Cela
aussi faire preuve de prudence. Nous
Très rapidement, des rumeurs ont com-
clients. "
ont disparu des rayons des supermar-
représente quotidiennement quelque 2 tonnes de chocolat. " Klingele s’est lancé dans l’exportation autour de l’an 2000. Tant Balance que Green Dream ont actuellement le vent en poupe à l’étranger. " Il s’agit certes de produits de niche, mais les person-
“Si j’ai franchi ce pas, c’est que je voulais me diversifier, mais aussi et surtout que j’y crois vraiment.”
nes faisant attention à leur santé sont toujours plus nombreuses, et le bio et l’équitable séduisent aussi beaucoup de personnes. " Pour l’heure, Klingele exporte dans 45 pays, principalement dans nos pays voisins, les pays scandinaves et la Grande-Bretagne. " Certains pays sont plus intéressés par la marque Green Dream que par Balance, ou vice-versa. La France, par exemple, ainsi que l’Italie et le Moyen-Orient achètent plus de
128
La qualité avant tout Il n’est pas toujours simple de trouver
" À mes yeux, il est important que les
des matières premières bios, équi-
produits que nous vendons soient de
tables de bonne qualité, nous confie
bonne qualité. Si le chocolat belge est
Koen Klingele. " Notre gamme compte,
réputé aux quatre coins du monde, nous
par exemple, du chocolat aux noix.
ne sommes pour autant pas le seul pays
Certifiées tant bios qu’équitables, ces
à produire du délicieux chocolat. Il nous
dernières étaient cependant produites
faut donc impérativement garantir la
à si petite échelle qu’il subsistait par-
qualité. Et celle-ci passe par de bons
fois des débris de coquilles parmi les
produits de base. Tous les ingrédients
noix. Les grandes entreprises utilisent,
que j’utilise sont d’origine naturelle. Bon
elles, des scanners pour filtrer et retirer
nombre des ingrédients présents dans
ces débris. Nos clients risquant de se
ma marque Balance, par exemple, sont
casser une dent, nous avons choisi un
bios, sans que l’ensemble du produit
autre fournisseur, dont les noix sont
soit pour autant certifié. Et même si un
bios, mais pas équitables. "
client ne réclame pas spécifiquement du chocolat bio et qu’il ne le mentionne pas
“Ces cinq dernières années, Klingele a enregistré une croissance de 15 à 20 % l’an.”
non plus sur l’emballage, vu les frais que cela entraîne, le chocolat contenu dans son produit est en fait bio. Pour moi, le bio est indissociable de l’équitable. Notre chocolat équitable est aussi toujours bio et vice-versa. " En savoir plus? www.klingelechocolade.be
Nous utilisons le terme " Fairtrade " uni-
** La gamme Green Dream est élaborée à
quement lorsque nous nous référons au
partir d’une recette de chocolat à base de
label Fairtrade de Fairtrade Belgium (ex-Max
fèves de cacao bio et équitable, de lait bio, de
Havelaar) ou à des ingrédients ou produits
sucre de canne bio et équitable… La gamme
portant le label Fairtrade.
Balance utilise elle des fèves de cacao et succédanés de sucre " réguliers ".
129
CANDICO
Entretien avec
Isabelle Roelandts
L’an dernier, plus de 22 mille tonnes de produits à base de sucre ont quitté l’usine Candico de Merksem, près d’Anvers. Quelque 50% d’entre eux étaient labellisés Fairtrade. Cette usine, qui emploie 78 personnes, emballe du sucre de canne importé via le port d’Anvers ; elle produit également du sucre candi. Anvers connaît une longue tradition de production et de transformation du sucre. La Suikerrui (Canal au sucre) doit son nom à la bonne centaine de " confiseries " qui, au début du 16e siècle, s’établissent entre le quai et la Grand-Place. Les raffineries, dont la première remonte à 1508 à Anvers, épurent le sucre de canne brut et le transforment en sucre candi, un produit de luxe. Jusqu’au 19e siècle, la totalité du sucre est extraite à partir de la canne à sucre, produite dans des pays lointains. Durant les guerres napoléoniennes, un coup d’arrêt est donné à l’importation de produits d’outre-mer suite au blocus continental. C’est à ce moment que l’industrie sucrière s’est lancée dans la production de sucre de betterave. Au fil des siècles, le nombre de candiseries diminue fortement à Anvers. En 1935, quatre raffineries décident d’unir leurs forces en créant la société Candico. " Aujourd’hui, nous utilisons la même recette pour notre sucre candi que les premières raffineries du 16e siècle, à la différence près qu’il est maintenant produit à base de sucre de betterave ", nous confie Isabelle Roelandts, Communications & Governmental Relations Manager de la Raffinerie Tirlemontoise, dont fait partie Candico depuis 1969.
Candico investit dans les relations avec les paysans du Sud Interview réalisée par Lisa Develtere pour le Trade for Development Centre, novembre 2014. 131
Pionnier Candico propose des produits à base de
" Lorsque nous avons pris la décision
sucre de canne et de sucre candi. Le su-
de commercialiser du sucre de canne
cre de canne est soit bio soit équitable.
labellisé Fairtrade, plusieurs paysans du
Lorsque le sucre de canne devient un
Sud se sont fait certifier. Vu les bonnes
produit labellisable Fairtrade en 2002,
relations que nous entretenions déjà
Candico est le premier à se lancer dans
avec certains d’entre eux, cela s’est passé
l’aventure. " Les pratiques commercia-
comme sur des roulettes. Pour eux aussi,
les équitables sont solidement ancrées
cette transition s’est avérée avantageuse
dans nos relations avec les planteurs
dans le sens où elle a apporté des res-
de betteraves ", poursuit Isabelle Roe-
sources financières supplémentaires à
landts. "Il est important pour nous de
leur communauté. Une visite sur place
nouer des relations durables avec nos
nous a par ailleurs permis de nous rendre
planteurs, et ce, tant en Belgique qu’à
compte que le commerce équitable fait
l’étranger. Rechercher une situation
véritablement une différence pour les
win-win, tel est notre leitmotiv. "
agriculteurs avec lesquels nous collaborons à l’île Maurice, au Malawi et en Zambie, par exemple. "
132
“Nous avons calculé qu’un consommateur qui boit trois tasses de café par jour avec, à chaque fois, un seul morceau de sucre de canne équitable paie moins de 1 euro de plus par an.”
Indispensable
L’aventure équitable
" Nous avons perçu une demande en
Depuis 1989, la Raffinerie Tirlemontoise
Dans les pays où sont cultivées les can-
faveur du commerce équitable, et ce,
est membre du groupe allemand Süd-
nes à sucre, les cultivateurs sont réunis
non seulement dans le chef du consom-
zucker. " Nous nous efforçons d’ancrer
en coopératives qui livrent leurs récol-
mateur lambda, mais aussi de l’indus-
l’équitable non seulement au sein de
tes à une usine. " La canne à sucre y
trie. Dès lors, le sucre équitable, un des
Candico, mais aussi de l’ensemble du
est pressée pour en extraire une sorte
principaux ingrédients du chocolat
groupe Südzucker ", affirme Isabelle
de jus ", explique Isabelle Roelandts.
équitable, s’avère indispensable aux
Roelandts. " Le sucre de canne Fairtrade
"Celui-ci est ensuite cristallisé par cuis-
producteurs ", ajoute Isabelle Roe-
de la marque Candico n’est disponible
sons successives. En s’évaporant, l’eau
landts. " Notre gamme équitable a été
qu’en Belgique et au Luxembourg, mais
cède la place à un sirop toujours plus
lancée en 2002 et le succès a été au
nous en commercialisons aussi pour le
épais dont la centrifugation permet de
rendez-vous. Les ventes ont progressé
compte d’autres membres du groupe,
séparer les cristaux de sucre et l’eau. Le
d’année en année et sont maintenant
sous leur propre marque. Au départ,
même procédé de production s’applique
stables depuis quelques années. Cer-
chez Candico, une personne s’occupait
au sucre de betterave. Le sucre de can-
taines personnes sont manifestement
à plein temps des contacts avec Fair-
ne, qui arrive en vrac au port d’Anvers,
en quête du label Fairtrade ou bio. "
trade International et les paysans du
est conditionné pour sa majeure partie
Sud, ainsi que de leur transition vers
dans notre usine de Merksem, une petite
En 2008, l’ensemble de la gamme de
le bio ou l’équitable. Depuis, elle a pris
partie étant encore raffinée pour obtenir
produits à base de sucre de canne de
sa retraite et tous les contacts avec les
du sucre de canne blanc. "
Candico a été certifié Fairtrade. Deux
acteurs équitables se font à présent au
ans après, Candico a lancé une nouvelle
niveau du groupe. "
gamme à base de sucre de canne bio. "Force nous est de constater que le bio et l’équitable séduisent deux groupes de consommateurs différents. Dans le cas du sucre de canne bio, c’est essentiellement l’aspect écologique qui importe pour le consommateur. Le processus de certification Fairtrade inclut également des critères écologiques, mais les consommateurs associent l’équitable
“ Nous avons perçu une demande en faveur du commerce équitable, et ce, non seulement dans le chef du consommateur lambda, mais aussi de l’industrie.”
plutôt à l’aspect social. "
133
1 euro par an L’an dernier, la Raffinerie Tirlemontoise a vendu 165 produits différents sous la marque Candico, dont 34 références de produits labellisées Fairtrade. " Un paquet de sucre de canne d’un kilo porte une autre référence qu’un paquet d’un demi-kilo. Pour le commerce au détail, nous proposons une gamme limitée comprenant des morceaux de sucre, du sucre de canne ordinaire et du sucre de canne blanc, tandis que nous livrons d’autres produits encore à l’industrie. " Bien souvent, le sucre de canne équitable
Nous utilisons le mot "Fairtrade" si nous nous
est légèrement plus cher que le sucre
référons au label de commerce équitable de
de canne ordinaire. " Mais la différence
Fairtrade Belgium (anciennement Max Ha-
de prix est minime. Nous avons calculé
velaar) ou aux ingrédients ou produits issus
qu’un consommateur qui boit trois tas-
du commerce équitable qui portent le label
ses de café par jour avec, à chaque fois,
Fairtrade.
un seul morceau de sucre de canne équitable paie moins de 1 euro de plus par an. Vu le surcoût dérisoire, opter pour le commerce équitable s’avère donc un choix logique. "
En savoir plus? www.fr.candico.be
134
OZFAIR
Entretien avec
Guerric Gautier
Dans un quartier animé de la commune bruxelloise de Saint-Gilles, la boutique Ozfair propose depuis 2008 une foule de produits équitables, respectueux de l’homme et de l’environnement. A côté des produits alimentaires, on y trouve des vêtements, des bijoux, des jouets, des articles de décoration, des cosmétiques, de la vaisselle, de la papeterie… Bref, une caverne d’Ali Baba équitable en plein Bruxelles. " L’idée de départ d’Ozfair, c’était de braquer les projecteurs sur les producteurs des pays du Sud et de leur redonner la place qu’ils méritent dans la chaîne globale du commerce, tout en promouvant également une consommation responsable. Pour cela, il nous semblait logique de proposer un maximum de produits différents, car le commerce équitable ne se limite pas à ses produits emblématiques. Nous voulions un endroit capable de montrer aux gens qu’il propose énormément de choix et de qualité ". Guérric Gautier est visiblement dans son élément au milieu de la boutique Ozfair, qu’il a fondée avec plusieurs amis en 2008. Guérrice Gautier devant le magasin Ozfair, économiste de formation, il a travaillé à l’étranger pour Médecins sans frontières pendant plus de quinze ans, avant de poser ses valises à Bruxelles avec sa famille. " A un certain moment, j’ai voulu recréer un lien avec les pays du Sud. Lors de ma dernière mission pour MSF au Mali, j’avais déjà eu l’occasion de rencontrer quelques personnes qui essayaient d’accrocher le wagon du commerce équitable. J’avais trouvé leur démarche et leur motivation intéressantes, différentes de celles du commerce classique ".
Ozfair : la caverne d’Ali Baba de l’équitable
La boutique Ozfair est la concrétisation de cette volonté. Elle est à la fois un endroit où une clientèle de quartier vient s’approvisionner en produits de consommation de tous les jours, et un sensationnel endroit de slow shopping, où il fait bon flâner et dénicher des surprises. " C’est vrai que nous proposons à une clientèle des environs des produits classiques tels que du chocolat, du café ou du riz, mais nous
Interview réalisée par Alain De Bast pour le Trade for Development Centre, décembre 2013. 136
sommes également une enseigne où l’on vient pour acheter des cadeaux. On a tous plusieurs fois par an des ca-
aux producteurs soit la plus grande
Saint-Gilles, qui a pris le projet à cœur.
deaux à faire", explique Guérric Gautier.
possible. " Nous avons trois filières de
"Nous ne savions pas très bien où nous
Et ceux qui choisissent Ozfair achètent
ce type actuellement, avec le Mali, le
installer dans Bruxelles, et nous sommes
leurs cadeaux d’une manière différente.
Sénégal et le Laos. Je souhaiterais vrai-
arrivés dans un bon endroit, car le tis-
Ils veulent offrir des cadeaux équita-
ment les développer, également pour
su socio-économique du quartier est
bles et originaux, à un prix tout à fait
avoir davantage de contacts directs
porteur pour un projet comme le nôtre",
r aisonnable.
avec le Sud, mais c’est extrêmement
explique Guérric Gautier.
fastidieux". Bon nombre de produits
Des fournisseurs inscrits dans la démarche Aujourd’hui, environ 90% des articles
équitables disponibles dans la boutique
Malgré cela, faire vivre la boutique est un
sont également biologiques, mais Ozfair
combat de tous les jours. "Nous avons
sélectionne d’abord un produit pour son
ouvert en mai 2008 et ce n’était pas le
caractère équitable. " Ensuite, s’il est bio,
meilleur moment, car le premier domi-
tant mieux, mais le cahier des charges
no de la crise est tombé en octobre de
du commerce équitable est plus exigeant
cette année. L’avantage, c’est que nous
aujourd’hui que celui du bio, raboté tel
n’avons jamais connu la situation telle
qu’il est ", constate Guérric Gautier.
qu’elle était avant. Notre situation de
et produits proposés dans la boutique
référence, c’est déjà celle de la crise. On
“ Nous avons trois filières de ce type actuellement, avec le Mali, le Sénégal et le Laos. Je souhaiterais vraiment les développer, également pour avoir davantage de contacts directs avec le Sud, mais c’est extrêmement fastidieux “.
Ozfair sont importés en Europe par des
Dès le début, lui et ses amis coopérateurs
ne peut donc qu’espérer que la situation
acteurs spécialisés dans les produits
ont imaginé de combiner la boutique
s’améliore". Guérric Gautier sait perti-
équitables." Notre travail consiste donc
– sorte de joyeux capharnaüm – avec
nemment que ce n’est pas Ozfair qui le
à trouver des produits qui vont plaire à
une table d’hôte végétarienne et bio.
rendra riche, mais il assume son choix.
conseillés et ne cherche pas à réaliser
notre clientèle, mais aussi à vérifier que
"Le concept s’est un peu affiné depuis
"Avec le commerce équitable, on se met
des marges importantes sur les produits
les fournisseurs s’inscrivent bien dans
l’ouverture en 2008, mais il y a une
quelques boulets aux pieds : nos marges
et articles qui sont vendus. Sa table
la démarche du commerce équitable. Il
constante dans notre démarche : nous
bénéficiaires sont nettement inférieures
d’hôte ouvre plus de perspectives à cet
nous faut une filière qui soit garantie,
devons toujours réaliser beaucoup de
à celles de nos voisins, mais nous avons
égard. Depuis un an, Ozfair a également
et globalement, cela se passe vraiment
choses avec peu de moyens. Ce n’est
évidemment les mêmes charges, qu’elles
développé un projet de livraison à vélo
très bien", affirme Guerric Gautier.
pas toujours simple", explique Guérric
soient salariales ou liées aux coûts fixes
de soupe équitable, biologique et végéta-
Gautier. La localisation de la boutique,
d’un magasin. "
rienne, qui s’adresse plutôt aux collecti-
Les statuts d’Ozfair - une coopérative -
sur un axe avec beaucoup de passage,
vités. " Si ce projet fonctionne, cela nous
prévoient de créer dès que possible des
est un vrai coup de chance. L’opportuni-
Ozfair emploie aujourd’hui près de quatre
aiderait assez bien, car nous le gérons
filières plus directes avec les pays du
té de s’y installer s’est présentée grâce
personnes à temps plein. La boutique
nous-mêmes de A à Z, avec une maîtrise
Sud, afin que la part de recettes destinée
à l’aide d’un responsable d’Atrium à
s’efforce de respecter les prix de vente
des marges", résume Guerric Gautier.
137
Une goutte d’eau
Mais l’objectif d’Ozfair, c’est aussi de valoriser un comportement de consommation responsable chez nous. " Nous
Même s’il augmente lentement mais
voulons promouvoir une démarche de
sûrement ses parts de marché, le
consommation différente et à tout le
commerce équitable reste marginal
moins montrer qu’elle est possible ".
dans notre pays. Guerric Gautier est cependant fermement convaincu des
Guerric Gautier et ses amis d’Ozfair sont
bienfaits qu’il apporte. " En débutant
bien conscients que leur boutique ne
Ozfair, je voulais explorer le domaine du
changera pas le monde. Mais les grandes
commerce équitable, pour savoir s’il est
causes ont parfois besoin d’une petite
réellement un levier de développement
dose d’abnégation, voire d’utopisme !
pour le Sud, à côté des coopérations tra-
"Il faut y croire, sur le principe des petits
ditionnelles, qu’elles soient institution-
ruisseaux qui font les grandes rivières, et
nelles ou h umanitaires. A ujourd’hui, je
cela même si Ozfair n’est qu’une petite
constate que les petits producteurs du
goutte dans cette rivière. Le concept de
Sud bénéficient r éellement du système
notre boutique est d’ailleurs relativement
du commerce équitable et qu’ils en
facile à dupliquer ", conclut Guerric Gau-
retirent de réels avantages dans leur vie
tier, comme une sorte d’appel du pied.
quotidienne. Ce n’est pas massif, mais
Et c’est vrai : Ozfair mériterait tant de
c’est tangible, et c’est une satisfaction
faire des petits !
qui me touche beaucoup ". En savoir plus? www.ozfair.be
“Aujourd’hui, je constate que les petits producteurs du Sud bénéficient réellement du système du commerce équitable et qu’ils en retirent de réels avantages dans leur vie quotidienne. Ce n’est pas massif, mais c’est tangible, et c’est une satisfaction qui me touche beaucoup.“ 138
ALTÉREZ-VOUS
Entretien avec
Sorina Ciucu
Un café citoyen est généralement un lieu convivial où l’on débat de problématiques de société. A Louvain-la-Neuve, le concept a été affiné. Il ne s’agit pas seulement de conscientiser les citoyens sur un problème de société, mais aussi de prouver qu’une entreprise respectant tous les principes éthiques, même dans un secteur aussi difficile que celui de l’horeca, peut s’avérer rentable.
C’est un peu à l’écart de la célèbre place des Wallons et en face de Respect-Table, un sandwich-bar slow food équitable, que l’Altérez-Vous a ouvert ses portes en 2009 à Louvain-la-Neuve, place des Brabançons. A l’origine, on trouve quatre étudiants qui, pour trois d’entre eux, faisaient partie du kot à projet Unicef et qui, surtout, étaient bénévoles pour les Magasins du Monde-Oxfam. " Nous allions souvent à des conférences sur l’écologie, l’environnement, et nous y rencontrions toujours les mêmes personnes ", explique Sorina Ciucu, l’une des fondatrices. " Nous nous sommes alors posé la question : qu’est-ce qu’on peut faire pour sensibiliser davantage de monde ? Après chaque conférence, nous avions envie de continuer le débat de manière informelle, mais il n’y avait pas d’endroit assez éthique à nos yeux. C’est alors que nous est venue l’idée de créer un café, un lieu convivial qui nous permettrait d’atteindre un public plus large. " Pour avoir plus d’expérience, nous avons intégré dans notre équipe deux personnes plus âgées que nous qui, leur carrière derrière eux, pouvaient accorder du temps et un regard critique à notre projet. Ensuite, cela a été très vite. Après six mois de préparation, l’Altérez-Vous ouvrait ses portes à la rentrée universitaire de 2009.
Café citoyen Altérez-vous
" Ce qui nous a pris le plus de temps, c’est travailler sur les statuts. Nous hésitions entre ASBL et coopérative. Finalement, nous avons choisi le statut de coopérative à finalité sociale, car ça reflétait l’initiative commune à l’origine du projet portée par les membres fondateurs, et ça répondait à la volonté d’impliquer les acteurs
Interview réalisée par François Hubert
locaux en ouvrant la coopérative. De même, notre objectif était de prouver qu’il
pour le Trade for Development Centre, juin 2014.
était possible d’avoir un projet entrepreneurial rentable tout en restant éthique. " 140
L’effet papillon Pour ne pas devoir faire face à des assemblées trop mouvantes et pour responsabiliser davantage les coopérateurs, la part sociale a été fixée à 250 euros, une somme à la fois conséquente
“Notre objectif était de prouver qu’il était possible d’avoir un projet entrepreneurial rentable tout en restant éthique.“
et raisonnable. De dix coopérateurs au départ, la coopérative est aujourd’hui passée à 110. Les coopérateurs, qui bénéficient d’une réduction de 10 % sur la carte, viennent du milieu familial, universitaire ou étudiant, auxquels s’ajoutent des personnes pensionnées. Le nom du café fait penser à se désaltérer. " Mais ça veut aussi dire ‘changez-vous’, avec l’idée que l’on peut changer à tout moment ", ajoute Sorina. Pour logo, c’est un papillon qui a été choisi. " Le papillon, petit être fragile, libre et joyeux, incarnant notre volonté de changement d’un petit coin de la planète à l’entièreté de celle-ci ", précise-t-elle encore.
141
Une cuisine de qualité A l’intérieur, l’endroit est cosy : des cou-
Aujourd’hui, le café a en effet trouvé sa
lades, des gratins, des plats sans gluten,
faisaient appel à leurs talents culinaires,
leurs chaudes aux murs, un éclairage
clientèle et fait des bénéfices. Il emploie
sans lactose, etc. Alors qu’auparavant,
aujourd’hui, l’Altérez-vous a son propre
discret, des tables de bois massif, une
sept équivalents temps plein et a déga-
c’était les fondateurs eux-mêmes qui
chef en cuisine.
musique jazzy, un canapé où l’on peut
gé 6.200 euros de bénéfice net en 2013.
s’affaler dans un coin et juste à côté,
"C’est peu, car on est dans un secteur
un piano droit. Les clients s’y sentent
– l’horeca – qui est très dur et gourmand
à l’aise. Ils papotent tranquillement
en personnel. Plus de 40% de nos charges
en dégustant une bière artisanale ou
vont pour le personnel, nous ne travail-
un café équitable. L’endroit s’anime
lons que de la qualité et nous pratiquons
beaucoup plus le midi, à l’heure du re-
des prix corrects. " Les rares plats de
pas, " et la plupart des clients viennent
viande sont en effet à 14 euros. Mais au
se restaurer sans vraiment connaître
menu, c’est le végétarien qui domine.
le projet qu’il y a derrière, car nous
Au fil des années, le menu s’est étoffé
proposons une alimentation durable,
et les recettes se sont améliorées : des
qui respecte la saisonnalité ".
soupes, des pâtes, des quiches, des sa-
“On est dans un secteur – l’horeca – qui est très dur et gourmand en personnel. Plus de 40% de nos charges vont pour le personnel, nous ne travaillons que de la qualité et nous pratiquons des prix corrects. “
142
Consommer responsable Le fonctionnement de ce café-restau-
Le deuxième principe est celui de la sen-
rant citoyen repose sur trois grands
sibilisation. Le café sert de point de vente
principes. Le premier, c’est la consom-
à quelques produits solidaires, comme
mation responsable.
les bougies Amnesty ou des calendriers vendus au profit d’un dispensaire au
Pour l’approvisionnement, la filière cour-
Mali. Des expos, des débats et des con-
te est privilégiée, avec des produits bio
férences y sont organisés une fois par
locaux, de saison et/ou équitables. Le
mois. " Au début, nous étions un peu trop
chocolat, par exemple, est acheté à une
enthousiastes et nous avons organisé
petite chocolatière locale qui travaille
jusqu’à huit conférences par mois. On
avec des produits issus du commerce
s’est rendu compte qu’à la fin, ça rebu-
équitable. La vaisselle est fournie par un
tait les clients potentiels ", se souvient
producteur de céramique palestinien.
Sorina. L’équipe a donc changé son fusil
"On veille aussi à limiter au maximum le
d’épaule en organisant moins d’événe-
gaspillage alimentaire. Et on ne négocie
ments de sensibilisation, mais mieux.
pas les prix des fournisseurs, car derrière
Pour la première fois, l’Altérez-Vous a
les prix, il y a un travail qu’on respecte ",
monté une séance en dehors de ses
souligne la co-fondatrice. A table, l’eau
murs, dans un auditoire de l’université.
plate est gratuite, comme en France. Et
Avec succès : 120 personnes ont assisté
tout ce qui peut l’être est respectueux de
à cette conférence-débat sur les gaz de
l’environnement : l’énergie, les produits
schiste et leur impact sur l’environ-
d’entretien, etc.
nement. Pour le prochain débat, sur le TTIP (Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement), l ’équipe espère attirer 400 personnes.
143
Tables de conversation et ateliers tricots Enfin, le troisième principe, et non des moindres, est la convivialité, condition sine qua non pour faire connaître le
Dès la réouverture, en mars 2015, un
café et fidéliser sa clientèle. Toute une
brunch végétarien avec film et débat
série d’événements sont organisés pour
sera proposé une fois par mois le di-
attirer des publics différents. Le soir, ce
manche, une première expérience ayant
sont des concerts, du café-théâtre, des
été tentée avec succès : 38 personnes
soirées contes, des apéros, des tables
(le maximum) ont pu assister à la pro-
de conversation en langues étrangères
jection du documentaire " Love meat
(néerlandais, espagnol, allemand)…
tender " (sur la production de viande),
L’après-midi, place aux ateliers tricots,
suivie d’un débat avec le réalisateur et
d’écriture…
quelques spécialistes.
Après cinq années d’existence, le café a
Des projets, l’équipe dynamique d’Al-
besoin d’un petit coup de rénovation et
térez-Vous n’en manque pas. Par exemple
de quelques travaux : repeindre les murs,
la création d’un réseau de cafés-citoyens.
changer le bar de place, placer du dou-
" Beaucoup de personnes intéressées de
ble vitrage, aménager une entrée pour
monter un café viennent nous voir, nous
personnes à mobilité réduite, installer
demander des conseils. Ce serait bien
une aération et un écran de projection.
de monter un réseau, avec des aides à
Au début de l’année 2015, le papillon
la création, mais pas sur le système de
d’Altérez-Vous se métamorphose, pour
la franchise ", explique Sorina.
mieux renaître. En savoir plus? www.alterezvous.be
144
BIODYVINO
Entretien avec
Vincent De Coninck
Vincent De Coninck est un entrepreneur au sens le plus large du terme : ces dix dernières années, il a mis sur pied tant un négoce de vins qu’un réseau d’entrepreneuriat social, tout en organisant des évènements et en donnant des conférences. Et toutes ces initiatives s’inscrivent dans une seule et même mission : créer, au moyen de l’entrepreneuriat social, un monde meilleur pour les générations futures. Durant ses études de marketing, Vincent s’est rendu compte que les techniques de marketing s’appliquent unilatéralement aux multinationales, axées sur le " big business ", alors qu’elles peuvent servir à atteindre bien d’autres objectifs encore. Cette frustration l’a alors incité à partir en sac à dos en Inde. Depuis, Vincent met son énergie uniquement au service des objectifs dans lesquels il a totalement foi. Après avoir bouclé ses études par un mémoire consacré au social profit marketing, il a entamé sa carrière professionnelle comme marketeur indépendant pour Max Havelaar, Africalia et d’autres organisations à but non lucratif. Quelques années plus tard, et après avoir développé un vaste réseau, Vincent a décidé de finalement mettre en pratique lui-même ces concepts et connaissances. Véritable épicurien, Vincent est aussi un sommelier diplômé. " Ma passion pour la bonne chère et le bon vin m’a amené à fonder en 2005 la société Vino Mundo, qui se focalise sur les vins bios, équitables et belges. Les vins locaux s’adressant à un autre public que les vins bios et équitables, le message à véhiculer était donc
Biodyvino : un “ bon “ verre de vin sans goût d’amertume
différent. C’est pourquoi j’ai créé le site belgianwines.com. Vu le caractère pionnier de mon entreprise, j’ai suscité beaucoup d’intérêt dans la presse et suis assez rapidement devenu la boutique en ligne par excellence pour le vin belge de qualité. Mais, en fin de compte, mon cœur vibrait surtout pour le bio et l’équitable ; j’ai donc pris la décision, il y a quatre ans, de vendre belgianwines.com. Cela m’a alors permis de me concentrer sur la vente de vins bios et équitables à des particuliers par le biais des boutiques en ligne, mais aussi à des magasins, des traiteurs ou lors
Interview réalisée par Lene Van Langenhove pour le Trade for Development Centre, février 2014. 146
d’évènements. Je suis vraiment parti de rien avec, pour seul moyen, une voiture de location que j’utilisais pour livrer les commandes aux clients. "
leur appui financier, les actionnaires faisaient aussi office de "caisse de résonance" et d’ambassadeurs. L’an
Fidèle à sa philosophie
dernier, nous avons décidé de fusion ner avec Biotiek, LE pionnier belge en matière de vins bios. " En unissant leurs forces, ces deux petits
Il n’était pas évident du tout, il y a dix
acteurs peuvent continuer à se déve-
ans, de convaincre les clients d’acheter
lopper au sein de la nouvelle entreprise
des produits bios et équitables. " Je
Biodyvino. Pour Vincent, c’était là une
dois bien avouer que cela aide d’être
opportunité de se décharger un peu de
reconnu comme sommelier dans le
la direction journalière et de la vente. Il
secteur. Je suis resté fidèle à ma vision,
reste en charge de la commercialisation
à savoir : combiner expertise et convic
de Biodyvino, mais s’engage désormais
tion. Et cela a fait son petit bonhomme
aussi comme coordinateur du Positive
de chemin. L’entreprise a continué à se
Entrepreneurs Network. Ce réseau per-
développer ; j’ai pu engager un collabo
met aux entrepreneurs sociaux de nouer
rateur et nous avons ouvert le capital
des contacts entre eux ainsi qu’avec des
aux particuliers, clients et organisa
bailleurs de fonds, tout en promouvant
tions qui souhaitaient contribuer à une
ce modèle économique auprès des entre-
"autre forme d’entrepreneuriat". Outre
preneurs, universités et pouvoirs publics.
“Le commerce équitable ne peut revêtir un caractère pérenne que si vous collaborez avec des partenaires professionnels et que vous misez à fond sur la qualité, le prix et le service. “ 147
Un goût de douceur
ère il sélectionne les producteurs : " La plupart du temps, les premiers contacts se nouent à l’occasion de salons inter-
Pour le vin équitable, Biodyvino travail
que son concurrent, nous n’allons pas
nationaux. Vu le caractère neutre de cet
le exclusivement avec des producteurs
le forcer à diminuer son prix. "
environnement, vous risquez moins de
viticoles certifiés par Max Havelaar
vous laisser influencer par le cadre ; la
ou Fair for Life de l’IMO (Institute for
Vincent relève-t-il une différence entre
dégustation se focalise donc uniquement
Marketecology). Pour pouvoir porter
les deux labels avec lesquels il collabore? "
sur les caractéristiques du vin. Nous éva-
un label équitable, les produits doi
En raison de sa plus grande flexibilité,
luons avec une grande rigueur le profil
vent satisfaire à différents critères :
IMO séduit plus les grands acteurs que
aromatique, le packaging et l’entrepri-
rémunérations correctes, liberté syndi
les petites coopératives. Et si sa vision
se, ou examinons si le vin en question
cale, sécurité et hygiène dans les plan
est certes correcte, il s’agit d’initiatives
présente une valeur ajoutée pour notre
tations et les fabriques. " À mes yeux,
de type top-down plutôt que bottom-up.
gamme. Nous nous rendons ensuite chez
commerce équitable rime avec déve
Je me suis rendu compte que Max Have-
le producteur. Nous ne nous lançons pas
loppement de relations à long terme
laar est parfois trop strict, ce qui freine
dans l’aventure avec des viticulteurs qui
avec les coopératives et les travailleurs.
le dynamisme entrepreneurial. Je ne
affirment produire du vin de manière
Ceci dit, la situation en Afrique du Sud
peux que me réjouir du nombre toujours
totalement bio, mais qui ne sont pas
est, par exemple, totalement différente
croissant d’initiatives ; notre objectif, en
labellisés, parce que cela coûte trop cher.
de celle au Chili ou en Argentine. Par
fin de compte, c’est bien de faire progres-
" Ce qui importe pour Vincent, ce n’est
fois, les agriculteurs de la région livrent
ser le marché équitable. La concurrence
pas tant l’histoire contée, mais bien la
leurs raisins au producteur ; parfois, ils
est toujours une bonne chose, même au
force du produit même. " Le commerce
sont copropriétaires de la coopérative
niveau des labels. "
équitable ne peut revêtir un caractère
viticole. Pour moi, il est important que
pérenne que si vous collaborez avec des
le vin que nous vendons soit produit par
Vos vins sont-ils toujours à la fois bios et
partenaires professionnels et que vous
des personnes qui, en fin de compte,
équitables ? " La plupart de nos vins sont
misez à fond sur la qualité, le prix et le
ont le sentiment d’avoir pu personnelle
bios ; ils proviennent majoritairement
service. C’en est bien fini de raconter
ment apporter leur contribution et d’en
d’Espagne, de France et d’Italie. 20% des
des boniments pour venir en aide aux
avoir retiré quelque chose. Un vin ne
vins de notre gamme sont équitables,
"petits Noirs". "
peut, en quelque sorte, pas être doux,
mais ils ne sont pas tous bios. Lorsque
s’il a été produit dans l’amertume. Il
nous importons des vins de pays ex-
est primordial pour nous que chaque
tra-européens, nous nous efforçons, dans
maillon du processus soit équitable.
la mesure du possible, d’opter pour des
Lorsque nous demandons le prix d’un
produits issus du commerce équitable.
producteur et qu’il s’avère plus cher
" Vincent nous explique de quelle mani-
Monsieur et Madame Tout-le-monde Biodyvino livre ses vins dans divers magasins bios, restaurants et épice ries fines, mais aussi à des organisa tions telles que le Beursschouwburg, l’Ancienne Belgique, Bozar, ‘t Pand, ainsi qu’à différentes villes et com munes, et même au Gouvernement flamand. Les prix oscillent entre 5 et 15 euros, soit un montant intention nellement peu élevé. "Ma mission consiste à rendre le vin bio et équi table accessible. Je travaille certes avec de grands restaurants, comme ceux de Sergio Herman, ou mainte nant aussi avec le jeu-concours télé visé Mijn Pop-up Restaurant, mais ce que je souhaite surtout, en fait, c’est attirer Monsieur et Madame Tout-lemonde. Pas les gens huppés qui font la fine bouche quand on ne leur sert pas du Saint-Emilion. Ce sont fina lement ceux qui en parlent le plus qui en savent souvent le moins. Been there, done that!"
“Je travaille certes avec de grands restaurants, mais ce que je souhaite surtout, en fait, c’est attirer Monsieur et Madame Tout-lemonde.” 148
Cow-boys En dix ans de temps, Vincent a vu les
vent en poupe, mais parfois, les nou
La morale de toute cette histoire : il faut
choses pas mal évoluer. "Nous avons,
veaux acteurs qui respectent certes
continuer à croire dans la mission que
nous aussi, apporté notre petite pierre
les critères, ne partagent pas vraiment
vous vous êtes assignée. "À l’époque,
à l’édifice : nous donnons des exposés
notre philosophie. Notre carte de visite,
j’avais opté pour les marchés de niche
dans les écoles d’hôtellerie, nous or
c’est notre intégrité. Le marché compte
les moins évidents, en l’occurrence,
ganisons des évènements portant sur
un certain nombre de cow-boys, mais
le vin bio, équitable et belge ; tout le
la viticulture durable. J’ai fait énor
ce n’est pas un hasard si nous, nous
monde m’a traité de fou et on s’est
mément de choses pour implanter
sommes toujours présents. Nous avons
bien moqué de moi dans l’univers des
cette tendance sur le marché et la
développé notre expertise et sommes à
sommeliers." Les années écoulées ont
reconnaissance est peu à peu au ren
même de la partager avec, par exemple,
prouvé que ce n’était finalement pas
dez-vous. À l’avenir, j’espère que nous
des centrales de boissons et de petits
une si mauvaise idée.
parviendrons à garder un juste équi
supermarchés qui veulent se lancer
libre entre mission et rentabilité, à
dans le bio et l’équitable. Il existe en
continuer à soutenir la croissance et
core une belle marge de croissance."
En savoir plus? www.biodyvino.be
à conserver notre place sur le marché. Le bio et le commerce équitable ont le
“Notre carte de visite, c’est notre intégrité.”
149
BEFRE
Entretien avec
Bernard Holvoet
Situés dans l’ancien Palais du vin de style Art déco, les Ateliers des Tanneurs sont aujourd’hui sans nul doute le hotspot le plus « vert » de Bruxelles. Connus surtout pour leur marché bio, ils abritent cependant aussi plusieurs jeunes entreprises bruxelloises s’investissant dans la durabilité et l’écologie. Parmi celles-ci, la petite société BeFre, créée par Bernard Holvoet et spécialisée dans la fabrication de sacs et d’emballages réutilisables personnalisés.
Il y a de fortes chances que vous ayez déjà eu entre les mains un sac de BeFre, puisque la jeune entreprise compte de nombreux gros clients, et ce, tant en Belgique que dans les pays voisins. Le sac Kabouter Wesley d’Oxfam-Wereldwinkels ? Fabriqué par BeFre. De même que les solides sacs en propylène distribués par les supermarchés ou les grandes chaînes de magasins. Ou encore les sacs à provisions des marques " vertes " telles que Lampiris, Essentiel ou Exki, ou des magazines branchés comme The Word, qui sont, quant à eux, réalisés en coton équitable. À l’origine, BeFre fabriquait des sacs réutilisables en polypropylène, mais, pour Bernard, cette matière n’était pas suffisamment durable. Aussi, l’entreprise s’est tournée vers des sacs réalisés pour 80 à 100 % à partir de bouteilles PET recyclées. De là au coton équitable, il n’y avait plus qu’un pas. " J’ai toujours pensé que le coton était une matière naturelle, biodégradable, mais j’ai déchanté quand j’ai appris qu’il faut 70 litres d’eau pour fabriquer un seul T-shirt ! De quoi remplir toute une baignoire ! De plus, l’usage de pesticides est largement répandu dans ce secteur.
BeFre: sacs durables
C’est pourquoi j’ai choisi le bio et l’équitable, et que nous travaillons aujourd’hui avec Max Havelaar et Bio Équitable. " Les sacs à provisions, housses pour costume et trousses de toilette de BeFre sont bio, mais pas tous équitables. C’est une question d’offre et de demande, nous
Interview réalisée par Lene Van Langenhove
explique Bernard. Il reconnaît que, pour sa part, il avait surestimé la demande
pour le Trade for Development Centre, février 2014. 151
de sacs équitables. " Notre entreprise
démontrent que celle-ci s’engage pour
Pour Bernard, l’équitable est indissocia-
sait donc exactement d’où provient le
existe depuis sept ans maintenant, et
la préservation de l’environnement. "
ble du bio. Il a donc été particulièrement
coton. Le site affiche une carte des pays
je ne vois pas vraiment d’augmenta-
D’où vient cette préoccupation écolo-
déçu que Max Havelaar n’ait pas agréé à
où celui-ci est cultivé. C’est ce type de
tion de la demande de sacs en coton
gique ? " Il y a huit ans, j’ai voyagé en
sa demande d’un label qui combine les
transparence que je souhaite offrir. "
équitable. Les produits équitables sont
Asie en sac à dos. Partout, je voyais des
deux philosophies. Cela l’a rendu très
certes b eaucoup plus chers et c’est
sacs en plastique abandonnés le long
sceptique sur cette organisation. " Nous
Ceci étant, Bernard collabore quand
la crise, mais je crois surtout que les
des routes ou accrochés aux arbres.
devons lui payer un droit de licence ainsi
même avec Max Havelaar, qui s’avère
consommateurs font plus attention à
J’étais dégoûté. Quand j’ai ensuite
que 2 % sur le chiffre d’affaires. Chaque
moins cher, mais il rêve de trouver une
leurs dépenses et veulent réutiliser plus
visité l’Australie, j’ai été frappé par
année, les frais excèdent les revenus,
manière d’informer le client sur le pro-
et jeter moins. Dans les années 70 et 80,
l’absence totale de pollution plastique,
car la demande de sacs équitables reste
cessus de production, à l’instar de ce qu’il
tout était en plastique ; aujourd’hui, nous
car seuls les sacs réutilisables y sont
faible. J’ai donc déjà songé à tout arrêter,
a vu récemment dans un documentaire
voulons des matières ayant une durée
employés. C’est ce que je souhaitais
mais, malgré tout, je veux continuer à
consacré à une entreprise française de
de vie de plus de vingt minutes. "
voir en Belgique aussi. Je travaillais à
offrir ce produit. "
cette époque comme banquier privé,
Ecologie
mais ce n’était pas vraiment ma tasse
Transparence
de thé. Nous avons commencé au bon moment, car en 2007, une nouvelle loi
Si Bernard mise sur des matières réuti-
a été promulguée sur l’utilisation des
Le principal problème, estime Bernard,
lisables, c’est qu’il veut aller au-delà de
sacs en plastique. "
réside dans le manque de transparence.
la consommation pure et simple. Il est le premier à affirmer qu’ils n’ont pas réinventé la roue. " Je pense toujours à ma grand-mère qui partait au marché avec son panier. Nous, nous avons choisi une autre matière et en avons fait un article promotionnel. Au début, j’avais du mal à convaincre les clients, car ils ne songeaient qu’à la différence de prix avec un sac en plastique. Aujourd’hui, ils ont compris que ce qu’ils paient est en fait une campagne promotionnelle : ces sacs se remarquent, s’utilisent longtemps et sont bons pour l’image de l’entreprise, puisqu’ils
" Je serais très heureux si je pouvais recevoir, en fin d’année, un rapport
“Les consommateurs qui optent pour l’équitable ont le droit de savoir d’où proviennent les produits et pourquoi ceux-ci reviennent plus cher.“
précisant le bénéfice réalisé par Max Havelaar et la part qui en a été allouée respectivement au contrôle et aux investissements durables. " L’association française Bio Équitable - qui combine donc le bio et l’équitable - est bien plus convaincante aux yeux de Bernard. "Elle est plus présente sur le terrain et entretient une communication ouverte. J’ai reçu des tas d’informations ainsi que des photos d’écoles construites par des ONG locales. Elle conclut des partenariats avec les producteurs et
152
confection de T-shirts. " Chaque T-shirt a son propre code, et lorsque vous l’encodez sur leur site, vous obtenez un aperçu
quoi, bien des clients seraient déçus. "
de la chaîne de bout en bout. C’est le
ailleurs, BeFre dispose aussi d’un stock
savoir s’il est correctement réalisé, c’est
principe même du commerce équitable:
de sacs en jute et en coton pouvant être
difficile, puisqu’ils ne nous remettent
les consommateurs qui optent pour
imprimés, en Belgique cette fois, selon
pas de rapports. En ce qui concerne les
" Cette philosophie sera estimée à sa
l’équitable ont le droit de savoir d’où
les souhaits du client. Bernard se voit
fabricants asiatiques de nos sacs, ils ne
juste valeur à long terme, je n’en doute
proviennent les produits et pourquoi
comme un intermédiaire entre le client
sont qu’au nombre de cinq, donc nous
pas un instant. Elle ne fait pas gagner
ceux-ci reviennent plus cher. "
européen et le producteur asiatique :
les connaissons tous. Nous leur rendons
des masses d’argent, mais procure un
" Si je basais la production en Euro-
visite tous les deux ans et savons donc
sentiment de satisfaction. Cela fait sept
Bernard aussi joue la transparence sur
pe, elle reviendrait dix fois plus cher
pertinemment comment ils fonction-
ans maintenant que j’ai lancé cette ini-
son label CO2 : " Nous contrôlons tout, à
et personne ne voudrait de nos sacs
nent. Nous le faisons autant par acquit
tiative et chaque semaine encore, on
toutes les étapes. Nous collaborons avec
réutilisables. Travailler avec des pro-
de conscience que pour la réputation
m’en félicite. Certes, je pourrais faire
nos voisins de CO2 Logic qui calculent la
ducteurs asiatiques n’est néanmoins
de notre entreprise. Nous tenons à nous
plus, et produire plus, mais je me dois
compensation requise pour la production
pas toujours simple ; c’est une tout
assurer qu’aucun enfant n’y travaille et
de respecter notre philosophie. Sans
et le transport de nos sacs. Nous y af-
autre culture. Il faut pouvoir leur faire
que les security lines et filtres requis
fectons une partie de nos bénéfices, tout
confiance et disposer de suffisamment
en préservant notre compétitivité. Notre
de réserves pour tout préfinancer ".
marge n’est certes pas grande, mais nous restons fidèles à notre principe. "
Les sacs fabriqués en Extrême-Orient sont-ils équitables de A à Z ? " Certains
Long terme
des fournisseurs avec lesquels nous travaillons cultivent eux-mêmes le coton qu’ils utilisent pour les sacs, tandis que
BeFre reçoit surtout des commandes
d’autres l’achètent à des agriculteurs
et agit, en tant que spécialiste des
équitables. Nous collaborons directe-
produits en matière recyclée, comme
ment avec plusieurs entreprises, mais
intermédiaire entre le client final et le
il se peut qu’à leur tour, celles-ci travail-
producteur. Les sacs en coton et en jute
lent avec d’autres petites entreprises.
sont fabriqués en Inde, les produits
Nos fournisseurs détenant en tout cas
en d’autres matières en Chine. Tous
le label équitable, nous comptons bien
sont finis et imprimés avant d’être
qu’un contrôle soit effectué, puisque
acheminés vers le port d’Anvers. Par
nous payons pour ce label. Mais de là à
En savoir plus? www.befre.be
153
ont été mis en place. "
“J’ai toujours pensé que le coton était une matière naturelle, biodégradable, mais j’ai déchanté quand j’ai appris qu’il faut 70 litres d’eau pour fabriquer un seul T-shirt!”
FAIR TRADE CONNECTION
Entretien avec
Ronny Hermosa
Une agence de communication spécialement dédiée au commerce équitable qui propose à la demande des photos, des vidéos, du conseil et des formations en marketing, axée tout particulièrement sur les réseaux sociaux ? Il fallait y penser. Ronny Hermosa l’a fait. Difficile de choper Ronny Hermosa pour une interview. Cet éternel voyageur, amoureux des rencontres, est perpétuellement en voyage, s’amusant à sauter d’un pays à l’autre, voire d’un continent à l’autre, au fil des contrats qu’il conclut avec les producteurs équitables qu’il a envie de filmer. En 2012, par exemple, il passe de l’Inde au Bangladesh, puis en Thaïlande, en I ndonésie, saute par-dessus le Pacifique via Sydney pour atterrir au Chili et de là, en Argentine, en Equateur et au Costa Rica, avec à chaque étape, une visite ou carrément un séjour chez un acteur du commerce équitable ou du développement durable. "C’est la seule manière que j’ai de rentabiliser mes voyages, explique-t-il. Les entreprises de commerce équitable ont généralement peu d’argent à consacrer à la production d’une vidéo. Je dois donc m’adapter et maximiser mes d éplacements."En 2011, Ronny a créé Fair Trade Connection, une agence de communication (associative) spécialisée dans le commerce équitable, avec la production de
Fair Trade Connection: parce que les producteurs ont des histoires à raconter
vidéos et de contenu de médias sociaux, auquel s’ajoute un volet de formation à la communication. Ses clients sont aussi bien de petits producteurs que les grands réseaux de distribution (équitables, évidemment).
Interview réalisée par François Hubert pour le Trade for Development Centre, novembre 2014. 155
De Blankenberge à Chiangmai Comment cet ancien étudiant en scien
apprend les techniques de tournage et
ces économiques, spécialisé dans la
de montage sur le tas. Une fois terminé,
coopération au développement, en est-
son film en main, il retourne chez Ox-
il arrivé là, lui qui n’avait jamais touché
fam-Magasins du Monde. Il leur propose
une caméra avant de se lancer dans
de réaliser un tour du monde et de tour-
l’aventure ? A la sortie de ses études, il
ner des vidéos sur leurs fournisseurs.
effectue un stage chez Oxfam-Magasins
En 2011, l’ONG lui confie la réalisation de
du Monde. On l’assigne à la campagne
petits portraits de deux de ses principaux
Vêtements propres, une campagne en
fournisseurs en Inde et d’autres contrats
faveur de l’amélioration des conditions
dans six pays différents.
“Les petits producteurs ont également besoin de se vendre, de se mettre en avant, afin de pouvoir mieux convaincre les acheteurs.”
de travail dans le secteur textile des pays en développement. " A la fin de mon stage, je voulais continuer à tra vailler chez Oxfam. Je suis donc devenu magasinier dans leur entrepôt. Puis, une opportunité s’est présentée : on m’a chargé de préparer la conférence mondiale de WFTO de 2007 qui avait lieu à Blankenberge. " Décidé à rester dans le secteur, il mûrit longuement son projet. Il se dit que les petits producteurs ont également besoin de se vendre, de se mettre en avant, afin de pouvoir mieux convaincre les acheteurs. Avec un ami, il part en T haïlande réaliser un film pilote sur Thai Tribal Crafts, une organisation qui procure du travail aux tribus – Mongs, entre autres – dans le nord du pays. Il
156
Des formations très accessibles Ronny et son collègue voyagent léger,
Une expertise qui lui sert lorsqu’il re-
avec comme matériel de base, outre
prend Fair Trade Connection : " J’ai beau
leur ordinateur, un Canon 70D et une
coup appris sur le web et les médias
‘pocket cam’. Tout ce qu’il faut pour
sociaux. Aujourd’hui, non seulement
faire de la bonne image. Ils séjournent
je réalise des vidéos ou des sites web,
en général entre sept et dix jours à
mais je propose aussi des formations
chaque étape, ce qui leur permet de
au ‘social marketing’, aux blogs et bien
réaliser – en moyenne – trois vidéos de
sûr, à la production visuelle. " Ses prix
trois minutes environ et une dizaine
sont à la mesure des moyens des ac-
d’interviews. Le montage leur prend
teurs du commerce équitable : un atelier
deux jours de travail. Ceux qui connais
d’une journée aux médias sociaux, par
sent la production vidéo devinent que
exemple, est proposé à un prix mini. Ces
les voyages de Fair Trade Connections
petites formations ont pour but de pro-
ne sont pas vraiment de tout repos…
fessionnaliser davantage les commerces, les fédérations ou les producteurs qui
Après la conférence WFTO d’Arusha
sont ses clients. " Les formations sont
(Tanzanie) à laquelle il a encore participé,
très accessibles. Elles sont adaptées à
en 2013, Ronny s’est autorisé un break
la réalité et aux demandes des produc-
de six mois à Barcelone. "J’ai eu envie de
teurs. Il suffit parfois juste d’enseigner
me poser un peu. Et j’avais aussi en tête
quelques trucs et astuces. "
de créer un autre projet, une start-up basée sur les nouvelles technologies." Si ce projet n’a pas été couronné de succès comme il l’espérait, au moins lui a-t-il procuré une certaine expertise dans le domaine.
157
Si les gros acteurs jouent le jeu… Ronny, qui se considère aujourd’hui
trés ou les entreprises équitables que
Au-delà de l’enthousiasme de son fon-
comme bien calé en video-marketing,
j’ai découvertes. Je vise plus de 20.000
dateur, une agence de marketing et de
veut partager son expertise. L’un des
‘followers’ sur Facebook et sur notre
communication spécialisée dans le com-
nouveaux projets de Fair Trade Connec
plateforme YouTube." Pour cela, l’idéal
merce équitable peut-elle être elle-mê-
tion, sur lequel il travaille depuis deux
serait de trouver un gros sponsor ou de
me durable ? Pour le moment, le mode
ans, c’est de faire parler les produits via
faire appel au financement participatif.
de vie de Ronny Hermosa, relativement
les QR codes : en scannant le QR code
peu exigeant et toujours sur la route, lui
d’un produit avec son smartphone, le
Fair Trade Connection commence à se
permet d’en vivre. " Mais une telle agen-
consommateur pourrait, par exemple,
faire un nom dans le milieu. Parmi ses
ce peut être parfaitement viable. Il y a
être renvoyé vers une petite vidéo d’u
clients, Ronny Hermosa compte les
une demande du secteur pour ce genre
ne minute présentant le producteur.
Magasins du Monde, WFTO, FairTrade
de communication et de formations. Il
" L’important, c’est de raconter une
Belgium (ex-Max Havelaar), Fair Trade
suffit que les gros acteurs du secteur
histoire. Les gens sont soucieux de
Original et de nombreux producteurs.
jouent le jeu ", précise Ronny, tout à
connaître l’histoire qu’il y a derrière
Au fil des voyages, Fair Trade Connection
fait lucide. Les nouvelles technologies
le produit qu’ils achètent. "
accumule les vidéos et photos en haute
de l’information, à la portée de chacun
définition, des images qui sont égale-
ayant accès à une connexion internet,
Toujours en quête de nouvelles poten
ment proposées à la vente sur le site de
ont tout pour séduire les entrepreneurs
tialités pour faire connaître le commerce
l’association. L’ASBL occupe aujourd’hui
du développement durable.
équitable et assurer en même temps la
deux temps pleins. " Dans le monde du
viabilité de Fair Trade Connection, Ronny
commerce équitable, à ma connaissance,
a développé une nouvelle idée : partager
nous sommes les seuls à proposer ce
ses expériences de voyage avec les in-
genre de services. Habituellement, les
ternautes. " Il s’agit de ‘video blogging’,
vidéos produites dans le secteur sont
un peu dans le style des émissions ‘J’irai
tournées soit à l’aide d’un smartphone,
dormir chez vous’ ou ‘Pékin Express’. Tou-
soit par une agence de pub qui est davan-
tes les semaines, je tourne et monte au
tage habituée à un style corporate. "
En savoir plus? www.fairtradeconnection.org
moins un épisode vidéo – aussitôt mis en ligne – sur les gens que j’ai rencon-
158
“Une telle agence peut être parfaitement viable. Il y a une demande du secteur pour ce genre de communication et de formations. Il suffit que les gros acteurs du secteur jouent le jeu.“
RHYTMIC
Entretien avec
Maya Fair Trade
Le nom a été choisi bien avant l’arrivée du célèbre dessin animé avec la petite abeille. Et pour cause, le miel Maya, qui fait référence à un une grande civilisation précolombienne, a été l’un des premiers produits équitables importés en tant que tel en Belgique.
L’histoire du miel Maya Fair Trade – à ne pas confondre non plus avec un autre miel qui porte quasi le même nom mais n’a rien d’équitable – remonte aux années 1970. " Au tout début, Maya, c’était une équipe de bénévoles sensibilisés par l’appel d’un prêtre missionnaire liégeois au Guatemala qui avait dix tonnes de miel à vendre", raconte Maurice Lambert, le directeur de Maya Fair Trade. Le prêtre en question t ravaille avec des paysans qui défrichent des terres concédées par le gouvernement guatémaltèque afin d’empêcher la construction d’un barrage mexicain et qui n’ont d’autre ressource, pour payer leur concession, que celle de vendre leur production de miel. Très vite, les pots de miel proposés sont vendus. Les bénévoles liégeois décident de poursuivre leur action et commandent en 1975 un premier container de vingt tonnes… qui coule avec le bateau qui le transportait. Le container ayant heureusement été assuré, les bénévoles purent en commander un second, qui arriva à bon port. En 1978, les bénévoles se structurèrent en ASBL. Maya était née.
Maya Fair Trade : la coopérative monte en puissance, tout en douceur
"Le miel Maya a été le premier produit équitable importé en Belgique en tant que tel", précise Maurice Lambert. Pendant longtemps, l’ASBL mène de front l’importation et la commercialisation du miel, la sensibilisation au commerce équitable et des activités de développement pour les communautés d’apiculteurs avec lesquelles elle travaille. Ce n’est qu’il y a une quinzaine d’années qu’elle se divise afin de mieux pouvoir distinguer les activités commerciales de celles de développement. Aujourd’hui, on compte trois sociétés distinctes :
Interview réalisée par François Hubert pour le Trade for Development Centre, novembre 2014. 160
•
Miel Maya Honing, une ONG de sensibilisation, d’éducation et de d éveloppement.
•
Maya Fair Trading, une ASBL qui sera amenée à développer des activités touristiques autour de la thématique du miel et du commerce équitable.
•
Maya Fair Trade, le bras commercial et support financier du " groupe ", c onstitué en une coopérative à finalité sociale qui importe, conditionne et vend du miel ou des produits à base de miel.
Des recettes maison La diversification des produits Maya date du tournant du siècle. Fin des années 1990, d’autres douceurs, à base de miel évidemment, sont apparues: des bonbons, des biscuits, du pain d’épices… Toute une nouvelle gamme de produits a ainsi vu le jour, avec l’obligation de contenir un minimum de 51 % d’ingrédients issus du commerce équitable. " Il n’y a que dans les spéculoos que le pourcentage n’est pas respecté, car on n’y arrive pas… ", précise le directeur de la coopérative. Aujourd’hui, outre les produits déjà cités, Maya Fairtrade offre du nougat, de la pâte de spéculoos à tartiner, du chocolat et des confitures à 17 % de miel. " Toutes les recettes ont été développées chez nous. Puis, nous avons cherché les fabricants qui pouvaient les réaliser à façon. "
au commerce équitable et Maya Fair Trade se voit offrir la possibilité de distribuer ses produits chez Delhaize. "Naturellement, cela a généré des discussions en interne. Fallait-il y aller ou pas ? Finalement, on s’est dit que c’était une belle opportunité de faire connaître nos produits et le commerce équitable. Depuis, il faut avouer qu’on a jamais eu de problème avec Delhaize qui a bien joué le jeu, même si le débat sur la grande distribution reste ouvert", confie Maurice Lambert, qui reconnaît à celle-ci le droit de développer ses propres produits équitables. Mais il ajoute : "Là où je ne suis plus d’accord, c’est quand la grande distribu tion cherche à appliquer au commerce équitable les mêmes recettes du profit maximum, en voulant diminuer le prix des produits équitables pour arriver au même prix que les autres produits. Fai-
En 2000, la grande distribution com-
re du volume au détriment des produc-
mence tout doucement à s’intéresser
teurs, ça ne va pas ! " 161
Une toute nouvelle miellerie L’année 2014 marque un autre tournant
Le travail du miel s’avère beaucoup plus
pour Maya Fair Trade. La coopérative a
technique que la simplicité du produit
enfin sa propre miellerie ! Il aura fallu
ne le laisse supposer. " Le miel arrive en
onze ans pour enfin voir le projet se
fûts, dur comme de la pierre ", explique
concrétiser. " Jusqu’alors, nous étions
Maurice Lambert. Le temps de le récolter,
dépendants d’autres sociétés pour le
de le stocker et de l’acheminer en Bel-
conditionnement. Nous contrôlions
gique, les cristaux de sucre se sont en
toute la chaîne, sauf celui-là. " Désor-
effet agglomérés. " Chacun a sa manière
mais, les fûts de miel arrivent et sont
de faire pour le décristalliser, poursuit
directement stockés dans la miellerie
le directeur. Nous avons pris le parti de
d’Harzé, au sud de Liège. Des cuves
le chauffer le moins possible parce que
et une chaîne de conditionnement
c’est ça qui l’abîme. " Un miel soumis à
flambant neuves permettent de pro-
des températures trop fortes perd en
duire chaque semaine les différentes
effet une grande partie de ses arômes
qualités de miel.
et de ses avantages nutritionnels. Toute bonne chose sachant se faire attendre, le miel Maya est donc soumis à un réchauf-
“Il faut dire que c’est unique en Europe, une entreprise 100 % équitable, qui maîtrise toutes les étapes, avec un grand contrôle sur l’origine. “ 162
fement plus bas et plus long. Au bout du quelques heures, on o btient à nouveau un miel liquide. Pour en f aire une substance plus crémeuse, la consistance généralement préférée des consommateurs, il faut l’ensemencer, c’est-à-dire introduire des cristaux afin de provoquer une nouvelle cristallisation. En fonction de la taille et de la quantité des cristaux introduits, la cristallisation – et donc la consistance – peut être contrôlée.
Maîtriser toutes les étapes de transformation Maya Fair Trade est typiquement le
d’Harzé sont devenues un argument
type de société où le patron doit enco-
commercial. " On sent déjà l’effet ‘miel-
re lui-même mettre la main à la pâte.
lerie’ : de nouveaux marchés se sont déjà
Maurice Lambert réceptionne les nou-
ouverts, s’enorgueillit Maurice Lambert. Il
veaux arrivages, contrôle le réchauffe-
faut dire que c’est unique en Europe, une
ment et l’ensemencement, emballe les
entreprise 100 % équitable, qui maîtrise
pots dans les caisses, etc. Au total, la
toutes les étapes, avec un grand contrôle
coopérative emploie cinq personnes
sur l’origine. " De plus, le marché du miel
sur le site d’Harzé, auxquelles s’ajoute
est très spécifique. L’Europe doit acheter
une sixième, basée en Amérique lati-
plus de 50 % de sa consommation, il y
ne et chargée de la partie achat et du
a eu énormément de cas de fraude sur
contrôle de qualité.
les origines et les importateurs de miel équitable se comptent sur les doigts
Actuellement, le miel provient de quatre
d’une main. Maya Fair Trade exporte
pays : le Mexique, le Guatemala, le Nica-
d’ailleurs la moitié de la production vers
ragua et le Chili. " On essaye de soutenir
d’autres pays européens. Récemment, la
les petites coopératives, sauf au Chili où
coopérative a lancé une autre spécialité
justement, nous traitons avec la plus
latino-américaine, et plus précisément
grande d’entre elles. Beaucoup de ces
mexicaine : le sirop d’agave. Cet édulco-
petites coopératives font à la fois du café
rant tiré du suc d’un cactus possède un
et du miel. Pour l’agriculteur, le miel est
indice glycémique deux fois moindre que
un moyen relativement économique d’a-
le miel (trois fois moins que le sucre). Et
méliorer son quotidien, car l’apiculture
encore un produit équitable, caramba !
ne demande pas de posséder de terres. " Avec une capacité de production de 200 tonnes par an actuellement (dont 40 % sont destinés aux autres produits de la gamme Maya) et de 400 tonnes à l’ho-
En savoir plus?
rizon 2025, les nouvelles installations
www.maya-ft.be
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