Juwelier Nele Braet @ Lux Photography
Fair Fashion Fest © Steven Colin
DÉFAULT DE FABRICATION
Le 24 avril 2013 fut un jour noir pour l’industrie mondiale de l’habillement. 1138 couturières trouvèrent la mort sur leur lieu de travail et 2000 blessées furent sorties des décombres lors de l’effondrement du Rana Plaza. Des fissures avaient été remarquées la veille, témoignant d’un risque imminent, mais les ouvrières qui refusaient de travailler risquaient un mois de retenue sur salaire. C’est aussi pour cela que le drame du Rana Plaza n’était pas un accident mais un symptôme de la « course au coût plancher » qui règne dans l’industrie mondiale de l’habillement, avec pour tristes trophées, des T-shirts en vente pour une poignée d’euros dans la plupart des enseignes pratiquant des prix cassés.
Depuis plus de 20 ans, la Clean Clothes Campaign n’a de cesse de taper sur le même clou : la confection des vêtements comprend un défaut de fabrication majeur, celui de forcer des ouvrières à travailler pendant des heures interminables dans des bâtiments insalubres, pour un salaire de misère. Rien n’a donc changé en tant d’années ?
Fair Fashion Fest © Steven Colin
SYMPTÔME
« Sur le plan de la sécurité des bâtiments, si », réagit Sara Ceustermans, coordinatrice de la campagne en Flandres. « Après le drame du Rana Plaza en avril 2013, les grandes enseignes de l’habillement, les détaillants et les syndicats ont conclu un accord incluant des engagements concrets sur le plan de la sécurité des bâtiments. Cela aura vraisemblablement permis d’éviter d’autres drames comme celui du Rana Plaza. Mais sur les autres volets, comme le salaire, il n’y a pas beaucoup d’avancées. Les gouvernements asiatiques se montrent réticents à augmenter le niveau du salaire minimum légal car ils craignent de faire fuir les investisseurs ». Selon Jean-Marc Caudron, Responsable actions urgentes et plaidoyer chez ach’ACT*, « L’accord de 2013 sur la prévention incendie et la sécurité des bâtiments d’usine au Bangladesh ouvre la voie à une nouvelle
Fair Fashion Fest © Steven Colin
Après vingt ans de sensibilisation par la Clean Clothes Campaign, la notion de « vêtements propres », est devenue bien plus qu’un simple slogan. De petites initiatives sont 100% fair trade, mais de plus en plus de grandes marques rendent aussi leur production plus éthique, du moins en partie.
manière de faire respecter les droits des travailleurs dans l’industrie de l’habillement et, plus largement, dans toutes les industries qui travaillent avec un grand nombre de soustraitants. Il vient en grande partie combler un vide juridique en allant plus loin que les accords-cadres internationaux, critiqués pour la faible implication des syndicats locaux et le peu d’impact sur le terrain, surtout dans les filières d’approvisionnement. L’accord est juridiquement contraignant, les enseignes s’engagent à obliger leurs fournisseurs à accepter les inspections et les mesures de mise en conformité. Elles ont aussi la responsabilité de vérifier si ces derniers ont la capacité financière de mettre en oeuvre les réparations exigées »**.
FAIR WEAR Pour Sara Ceustermans : « Certaines choses se mettent quand-même à bouger ». De plus en plus de marques rejoignent la Fair Wear Foundation (FWF)***, une organisation multipartite créée à l’initiative de syndicats et d’ONG. En Belgique, les ralliements de Mayerline, B&C et Stanley & Stella, ont été suivis par ceux, entre autres, de Bel&Bo et JBC. « Fair Wear n’est ni un certificat, ni un label à coller sur un vêtement », explique Saartje Boutsen, Responsable RSE (Responsabilité sociétale des entreprises) chez JBC. « Mais cela indique que notre entreprise s’est engagée à produire des vêtements de la manière la plus équitable possible. C’est une démarche sur laquelle nous sommes évalués chaque année. Dans ce sens, Fair Wear est une manière d’investir dans l’avenir ». Tine Buysens, responsable RSE pour Bel&Bo ajoute : « Nous essayions depuis longtemps d’avoir une meilleure vue sur nos filières d’approvisionnement. Mais à chaque fois que nous découvrions une anomalie dans un atelier de production, notre intermédiaire confiait simplement la prochaine commande à un autre fournisseur.
Pour contrer cela, il faut mener des politiques au niveau supranational, continental et régional. C’est ce que tente de faire l’Asia Floor Wage Alliance qui a défini un salaire minimum vital. L’organisation négocie au niveau régional l’augmentation des salaires et directement avec les grandes enseignes pour peser concrètement sur les filières d’approvisionnement. Le principe est donc d’essayer d’aligner sur une même région, des revendications salariales communes. Bien-sûr, c’est un processus lent qui s’inscrit dans le moyen terme. »
M-Fair 2016 © Luc Hilderson
SAMA @ TDC
Cet accord, pourrait-il servir de modèle pour d’autres secteurs et régions dans le monde ? Jean-Marc Caudron nuance : « Avec la mondialisation, les États, les régions, sont mis en concurrence. Tant qu’on est dans ce modèle, on assiste à une réduction systématique des coûts (…), à une compétition où les grandes entreprises mettent en concurrence plusieurs pays, ce qui induit les violations des droits des travailleurs et des droits humains, dans des pays d’Afrique, mais aussi au Cambodge, en Birmanie
Seuls, nous ne sommes pas bien équipés, c’est pourquoi nous avons frappé à la porte de Fair Wear Foundation. Celle-ci nous a aidé à rassembler des informations et depuis, tout s’est mis en route. La première année, nous avons fait le point sur toute notre chaîne de production et diffusé dans tous les ateliers les codes de conduite de FWF et la liste des droits des travailleurs. Nous devons régulièrement mettre la pression sur nos fournisseurs intermédiaires pour qu’ils répondent à nos exigences de respect des droits des travailleurs et de transparence. Par après, il nous a été conseillé de limiter le nombre d’intermédiaires et d’augmenter le nombre d’échanges directs. Cela permet d’obtenir de véritables partenariats, et d’influer sur les salaires, les heures supplémentaires et les conditions de travail, même si nous ne sommes qu’un acteur relativement petit. Ce processus nous demande beaucoup d’efforts et de travail supplémentaire, mais toute l’équipe soutient cette démarche. Sur le site de la Fair Wear Foundation, il est d’ailleurs possible de voir les rapports de nos progrès annuels. UNE LARGE PALETTE D’ALTERNATIVES « La palette d’alternatives est pourtant large, rajoute Sara Ceustermans. Le mot Fair de Fair Wear Foundation ne concerne que les conditions de travail dans les usines de confection. Il existe des initiatives qui se concentrent sur d’autres aspects dans les longues chaînes de production. Par exemple, certaines matières sont constituées de coton issu du commerce équitable, qui garantit un revenu correct aux producteurs. Le label GOTS (Global Organic Textile standard) est, lui, particulièrement strict sur les critères écologiques. De plus en plus d’entrepreneurs décident de se lancer dans la mode durable. » LA MODE FAIR Depuis quelques années, deux Communes du commerce équitable**** ont décidé de donner davantage d’écho à toutes ces initiatives positives. Gand et Malines investissent non seulement dans l’alimentation, mais aussi dans le textile équitable. Avec la Fair Fashion Fest et le salon M-Fair, elles partagent le même objectif : faire se rencontrer
entrepreneurs et consommateurs qui ont en commun la recherche d’alternatives de consommation et de production. Les milliers de visiteurs des deux événements attestent de leur succès. #VÊTEMENTS PROPRES Au printemps dernier, le cycliste Philippe Gilbert a été le premier à signer la pétition #vêtementspropres. La campagne tente de convaincre les fabricants belges de vêtements de sport de suivre la même voie que Bel&Bo, JDE et d’autres marques internationales telles que Odlo, Deuter, Jack Wolfskin, Sprayway, Vaude et Haglöfs, en rejoignant à leur tour la Fair Wear Foundation. Après avoir interpellé cyclistes et clubs cyclistes, la campagne s’adressera en 2018 au monde du football.
PLUS D’INFO
www.achact.be www.schonekleren.be www.fairwear.org www.fairfashionfest.be www.mechelen.be/m-fair
* ach’ACT : Actions Consommateurs Travailleurs est une plateforme d’organisations qui veulent contribuer à améliorer les conditions de travail et à renforcer les travailleurs dans des secteurs de l’industrie légère largement mondialisés où les femmes constituent la majorité de la main d’oeuvre. www.achact.be ** Voir l’article : #4 Un contrat à respecter « Entreprises : sortir du tout volontaire vers des accords négociés et contraignants », Jean-Marc Caudron, www.ranaplaza.be *** Fair Wear Fondation = Fondation de l’habillement équitable **** Voir le site internet : www.cdce.be