7 minute read
VIP. Georges Gilkinet, ministre fédéral de la Mobilité, axe surtout sa politique sur le transfert modal en faveur du rail. Et il n’est pas facile de l’amener sur le terrain du transport routier, où il conserve pourtant quelques compétences.
Georges Gilkinet ne cache pas sa préférence absolue pour le fret ferroviaire.
CIRCULEZ EN TRAIN, Y A RIEN À VOIR
Même si les compétences liées à la mobilité des marchandises ont été largement régionalisées, un ministre fédéral de la Mobilité conserve certaines responsabilités et certaines prérogatives en matière de transport routier. L’actuel titulaire de ce poste semble cependant diriger toute son attention sur une seul d’entre elles: le transfert de la route vers le rail. Toute tentative de s’écarter du sujet est relativement vaine…
Claude Yvens - claude.yvens@transportmedia.be
Quel est votre objectif pour transférer des marchandises de la route vers le rail en Belgique et en Europe? Georges Gilkinet : L’ambition est claire. C’est une des priorités de l’accord gouvernemental, et elle s’inscrit en plus parfaitement dans l’actuel contexte énergétique. Nous devons à la fois abaisser nos émissions de CO2 et faire baisser la congestion routière qui coûte entre 4,5 et 8 milliards par an à notre économie. Mon ambition est donc de doubler le volume de marchandises transportées par rail d’ici 2030 puisque chaque train de marchandises, c’est 50 camions de moins sur les routes avec tout l’impact que cela a en matière de mobilité, mais aussi de sécurité routière.
TOUT POUR LE RAIL Et quels moyens mettez-vous en œuvre pour y parvenir ? G. Gilkinet : Il y a des actions qui sont déjà en cours. Nous inscrivons cela dans une vision 2040 qui permettra de prioriser les décisions politiques et les moyens à mettre en œuvre. La consultation des divers acteurs économiques se termine et le gouvernement devrait adopter le texte peu après Pâques.
Les fédérations du transport ont-elles été consultées ? G. Gilkinet : Oui, au travers de la FEB et du Conseil central de l’Economie.
Pratiquement, qu’est-ce qui est déjà en place ? G. Gilkinet : Il y a le nouveau contrat de performance d’Infrabel qui devra être conclu avant la fin de l’année et qui sera valable pour dix ans. Ce contrat règlera par exemple les relations entre Infrabel et les opérateurs ferroviaires comme Lineas, SNCF Fret ou DB Cargo pour les marchandises. Il y a aussi un nouveau masterplan en cours de gestation pour le fret qui déterminera quelles actions entreprendre pour doubler le volume du rail. Nous avons déjà sauvé le raccordement ferroviaire du port de Bruxelles et nous envisageons comment améliorer l’efficacité de la bosse de triage à Anvers, mais il y a aussi les aides à accorder aux transporteurs, dans le cadre de ce que permet l’Europe. Dès cette année, nous accordons ainsi une aide directe par kilomètre parcouru. Nous avons aussi débloqué 15 millions pour soutenir le trafic diffus. Nous travaillons aussi pour faciliter et digitaliser la réservation de sillons ferroviaires réservés au fret, pour alléger les règles dans les zones portuaires et pour former les travailleurs du rail. Mais cela passera aussi par la création d’un écolabel ‘transporté par rail’.
Aucune aide ne semble devoir venir soutenir les transporteurs qui souhaiteraient développer le transport combiné en Belgique.
Les transporteurs routiers y sont ouverts, mais la multimodalité est handicapée par le coût des ruptures de charge. Prévoyezvous quelque chose pour les soutenir en ce sens ? G. Gilkinet : Ca ne fait pas partie des aides directes pour 2022. Je dois rester à la fois dans le cadre des aides d’état autorisées par l’Europe. La future nouvelle directive sur le transport combiné vise à créer un ‘level playing field’ entre le routier et le ferroviaire qui est, certes, handicapé sur le plan du premier et du dernier kilomètre. Notre position sera d’assouplir le système des interventions d’état, directes et indirectes, en faveur du ferroviaire. Je dois aussi rester dans le cadre fédéral. Or, le transbordement est une compétence régionale.
«Ma priorité, c’est vraiment de soutenir le fret ferroviaire.»
G. Gilkinet
SALAIRE MINIMUM EUROPÉEN Même si le fret ferroviaire double de volume, cela ne permettra qu’à absorber au mieux l’augmentation des volumes à transporter. Quel rôle le gouvernement fédéral veut-il et peut-il jouer pour rendre les kilomètres routiers aussi verts que possible ? G. Gilkinet : Tout d’abord, je voudrais souligner que la croissance des volumes de transport n’est pas une fatalité. Pensez à la relocalisation de la production. Ensuite, le premier élément c’est de rendre le transport par rail plus concurrentiel sur les longues distances. On aura toujours besoin de camions, mais pour des distances plus courtes. C’est aussi lié à la lutte contre le dumping social, dans le cadre des mesures du Mobility Package. Moi, je plaide pour un salaire minimum européen pour les chauffeurs routiers, je demande plus d’attention pour les chauffeurs en provenance de pays tiers. Si nous réussissons à rendre la concurrence plus loyale, nous permettrons aux transporteurs européens qui pourront
investir dans un matériel de qualité avec des chauffeurs correctement payés. Il y a aussi un volet qui concerne l’amélioration de l’efficacité énergétique de la flotte de camions. On commence à voir des camions électriques, mais ils sont toujours au stade de prototypes. Pour le camion du futur, est-ce que l’hydrogène sera un jour une solution, oui ou non ? Ce sont des choses sur lesquelles on peut travailler, mais mon levier le plus important, c’est vraiment le levier ferroviaire.
COOPÉRATION ÉTATRÉGIONS Si vous ne disposez pas, en tant que ministre fédéral de la Mobilité, des leviers nécessaires pour verdir les flottes de poids lourds, qui peut le faire ? Nos voisins ont déjà annoncé des plans de soutien massifs en faveur des camions à zéro émission… G. Gilkinet : Tout cela dépend des régions. L’état fédéral ne peut que créer un cadre fiscal avantageux, comme nous l’avons fait pour les bornes de recharges électriques. Mais y a-t-il une action coordonnée entre le fédéral et les régions dans ce domaine ? G. Gilkinet : La conférence inter-ministérielle a été relancée et se réunit tous les deux mois, notamment pour rendre les outils de soutien complémentaires.
Cette conférence traite-t-elle aussi la complémentarité entre la route et les voies navigables ? G. Gilkinet : Je suis moins autorisé à parler de cela, mais je défends ce principe au niveau européen. Je le répète, le principal obstacle actuel est lié à ce que l’Europe autorise en termes d’aides d’état. La révision de cette Directive sera une des priorités de la présidence belge de l’Union qui interviendra en 2024.
DIGITALISATION DU TRANSPORT La Belgique s’inscrit-elle suffisamment dans les projets de digitalisation du transport et dans la conduite autonome ? G. Gilkinet : Nous insistons beaucoup sur la digitalisation des flux de transport ferroviaires, via
Georges Gilkinet: «Les camions électriques en sont toujours à l’état de prototypes.» les systèmes ETCS ou la réservation des sillons par exemple.
Oui, mais pour le transport routier ? G. Gilkinet : La digitalisation du transport routier doit avant tout profiter à la sécurité routière, dans le cadre de notre campagne All4Zero qui veut réduire à zéro le nombre de tués sur les routes à l’horizon 2050. Il y a les systèmes d’aide à la conduite, les systèmes contre l’angle mort, mais aussi la récolte de data sur les endroits accidentogènes. Quant à la conduite autonome, de plus en plus de solutions se développent, mais je pense qu’il faut créer un cadre légal. Mais même un camion sans conducteur, cela crée de la congestion et ce n’est donc une solution que dans certaines zones.
La Belgique n’a pas encore signé le protocole eCMR, pourquoi ? G. Gilkinet : La Belgique a été pionnière dans le cadre de la lettre de voiture électronique. Mais je dois encore voir au niveau européen…
Commentaires
Il n’entre pas dans nos habitudes de commenter le contenu d’une interview, mais celle-ci met véritablement en lumière à la fois les failles béantes de la sixième réforme de l’état et un dogmatisme certain de la part du ministre fédéral de la Mobilité. Sur le premier point, force est de constater que personne en Belgique ne se soucie vraiment d’aider les transporteurs belges à électrifier leur flotte (à moins d’un futur sursaut régional, qui pourrait se manifester par des aides supplémentaires en Flandre pour l’achat de véhicules électriques et à hydrogène). D’ici 2025, leur position concurrentielle risque d’en souffrir énormément. La question du transbordement tel qu'elle est évoquée par le ministre laisse aussi songeur: entre un mode ‘fédéral’ (le rail) et un mode ‘régional’ (la route), rien n’a été prévu et le ministre fédéral semble s’en désintéresser complètement. Il est d’ailleurs frappant de constater combien de fois Georges Gilkinet réussit à glisser sur le terrain ferroviaire suite à une question clairement énoncée sur le transport routier. Enfin, lors de l’interview, Georges Gilkinet nous avait promis une réponse rapide quant à la non adoption par la Belgique du protocole eCMR… Nous attendons toujours.