LA MORT AUX TROUSSES (Tristan JOSSE / Kévin HOREM)

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LA MORT aux

TROUSSE

Kévin HOREM Tristan JOSSE



LA MORT AUX TROUSSES SCENARIO: Kévin HOREM ILLUSTRATIONS: Tristan JOSSE



Est-ce le bon choix ? C’est la question que je me pose alors que je viens de m’infiltrer dans la file d’attente du Solferino, le seul bar-tabac du coin à ouvrir ses portes tardivement aux allumés de la nicotine. Six personnes me précèdent, ça me laisse trois minutes pour réfléchir. Dans ma main, un billet :

Cinquante euros, une somme. Je viens de le trouver dans la rue, fraîchement tombé des poches d’un marcheur solitaire. Je l’ai vu s’échapper, glisser discrètement des poches arrière du jean. J’ai vu sa lente et morne chute, son atterrissage félin puis son saut désespéré lorsque le vent le fit courber l’échine et le coinça entre une poubelle et le mur.


Je m’en suis emparé promptement. Mon autre main s’est levée. Mon premier réflexe était d’héler son possesseur, de le prévenir. Mais la texture du billet, la relative douceur de l’argent, m’en a dissuadé. Trèves de bonne volonté, j’ai plongé l’argent dans ma poche et j’ai changé de trottoir. J’ai attendu que le promeneur s’éloigne. Je l’ai déplié une minute après. Son aspect ne faisait aucun doute sur sa valeur, un cadeau inespéré ! J’ai levé les yeux. Son ancien propriétaire venait d’entrer dans un bar non loin, «La plage», un endroit mal nommé, la mer la plus proche est à cent bornes.

Je l’ai à nouveau regardé. Un détail me turlupinait. La partie gauche du billet était gribouillée au crayon. J’ai essayé de lire mais, sans lumières, c’était peine perdue.



Piqué par la curiosité, je n’ai pas pu m’empêcher de tourner la tête en passant pour regarder par la fenêtre du bistrot.

Il était plein à craquer.


Le Dj s’en donnait à cœur joie et, l’alcool aidant, un attroupement de lycéennes se déhanchaient sur le bar, monopolisant l’attention d’une foule masculine dont les cris simiesques ne faisaient que refléter l’intérêt. Seule une personne, un homme tout de noir et de jean vêtu, ne semblait pas concerné. Il fouillait ses poches en vain, contrarié à mon avis par une perte récente,

c’était à lui ! Son regard croisa le mien. Il avait les traits coupés à la serpe, les yeux bleu pâle, le cheveu blond et dru. Des traits slaves. Il me fixait. Je détournai les yeux.

Se sentir coupable est un fait, le montrer en est une autre.




Je m’écartais de l’entrée et pressai le pas. Deux secondes plus tard, un bruit sourd de porte qu’on referme,

il est sorti ! J’ai accéléré, certain qu’il me talonnait déjà, que si je ne fuyais pas, j’allais devoir me battre. Je ne marchais pas assez vite. Les gens me ralentissaient. Je me suis mis à courir, zigzaguant entre les passants, poussant d’une main ceux qui m’entravaient et gardant fermement dans l’autre mon précieux sésame. La porte du bar tabac représentait un asile, je m’y suis engouffré. Le Solferino était bondé, la foule me cachait. J’osais un rapide coup d’œil par les fenêtres.

Je ne le voyais pas. J’étais sorti d’affaire.



Restait à comprendre pourquoi j’avais la mafia russe aux trousses. J’avais visité les pays de l’est plus jeune, j’avais vu leurs policiers à l’œuvre. Ce type leur ressemblait comme deux gouttes d’eau. Je me suis mis à l’abri des regards. J’ai sorti le billet et je me suis mis à le déchiffrer. L’écriture n’avait rien de cyrillique. Son auteur était une femme. La finesse des courbes, l’application qui avait été sienne malgré le papier utilisé, ça me semblait évident. Rendez-vous à la plage à 1 heure. Mon numéro 0604020024 Ma théorie se recoupait. L’espion Rüskof auquel je viens d’échapper avait rendez-vous avec une femme !

Etrangement, la panique me gagna. Un tas d’hypothèses complexes à base de sociétés secrètes et d’espionnage industriel se mirent à fulminer.


Les images se bousculaient et finissaient inexorablement sur la photo de mon cadavre en première page du vingt minutes.

Il n’y avait qu’une solution au problème : m’en débarrasser.

Ce billet, c’est sept ans de malheur !


Je m’insère dans la file de droite. C’est un excellent soir pour reprendre la cigarette ! Le buraliste me demande d’avancer. Mes réflexions n’ont rien donné de bon. La nana devant moi a pris peur. En mode panique, je parle tout seul, c’est comme ça. Elle s’est barrée. Résultat, je suis passé plus vite. Je tends le billet au commerçant et commande deux Malbac light. Il me rend la monnaie et mes clopes. Je m’écarte de la file et prend la seconde sortie. Le vendeur se met à se marrer. Il vient de lire le billet. Il m’interpelle verbalement avant que je ne passe la porte.

«Hé mon gars. J’irai pas à ton rendez-vous ! Merci quand même.»



Je balaye l’assistance du regard. Les gars n’ont pas l’air de comprendre. La majorité n’y fait même pas attention. Seulement, il est là, fallait qu’il ait aussi besoin de clopes !

Il me regarde. Je ne vois que lui. Et ce connard qui trouve ça marrant de me dénoncer à voix haute. Il a compris, son regard ne trompe pas. Je prend mes jambes à mon cou. Mon épaule se déboîte à moitié alors que je heurte la porte vitrée dans la précipitation. Je hurle de douleur. Les gens s’écartent. Je cours sans me retourner.


Je ne veux pas aller au goulag ! J’enchaîne les hectomètres. J’ai du souffle à revendre depuis que j’ai arrêté de fumer. Je m’enfuis loin de ces rues où, sur pour un simple billet perdu, l’on craint pour sa vie.

C’est terminé, je vais me terrer chez moi. Les psys avaient raison, je ne suis pas encore prêt.

Donc je cours !




Au même moment, Mike sortait du Solferino. Elle devait y être mais, malchance, il avait paumé son numéro, et l’argent qui allait avec. Tant pis pour ce soir. Il ne restait plus qu’à rentrer. Au moins se dit-il, il n’avait pas raté l’attraction de la soirée. Il n’avait jamais vu un mec courir aussi vite.

A croire qu’il avait la mort aux trousses.




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